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Soucieux de reprendre les idées napoléoniennes et de restaurer la suprématie de la

France, Napoléon III prône la construction d’une Europe d’Etats-nations. Avec le principe
des nationalités, il espère revenir sur les traites de 1815 et cherche à flatter le patriotisme des
français en faisant du pays le guide des autres peuple. Bien qu’il ait déclare « l’Empire, c’est
la paix », Napoléon III se lance dans une diplomatie offensive qui l’amené à prendre parti
dans plusieurs conflits européens1.
La défense des chrétiens de l’Empire Ottoman déclenche une rivalité entre la Russie
et la France. Napoléon III désire en fait s’entendre avec la Grande Bretagne –inquiète de
l’expansion russe- afin de rompre l’alliance du congrès de Vienne, d’étendre l’influence
française en Méditerranée, et d’intervenir en faveur des nationalités d’Europe Centrale et
Orientale. En 1853, le tsar entre en conflit avec le sultan au sujet des Lieux saints : les troupes
russes envahissent les Principautés de Valaquie et Moldavie2.
Napoléon III est décidé à agir en Europe, l’imprudence de tsar Nicolas Ier lui en
fournit l’occasion. Le tsar imagine une nouvelle méthode de pénétration : se faire reconnaitre
un « protectorat » sur les chrétiens orthodoxes de l’Empire Ottoman. S’il en est ainsi, il
trouvera mille prétextes pour intervenir dans les Balkans. Il proclame que la Turquie est un
« homme malade » à l’héritage duquel il va falloir songer 3. Puis, sous le mince prétexte des
« lieux saints » de Palestine ou se disputent âprement catholiques et orthodoxes, il envoie en
mai 1853 son aide de camp Metchnikoff réclamer la protection russe sur les orthodoxes.
L’Angleterre a un intérêt réel en jeu. Il n’est pas surprenant qu’elle pousse la Turquie à
résister et que, la guerre s’étant déclenchée entre russes et turcs, elle finisse par intervenir. Par
contre, on comprend mal que Napoléon III lui emboite le pas. Pour la France, c’est à peu près
uniquement une question de prestige4.
Ce dernier veut faire de l’empire turc un satellite de la Russie et revendique le
protectorat des chrétiens orthodoxes soumis aux Ottomans. Le sultan, espérant l’aide
anglaise, résiste, une guerre russo-turque s’engage, et les anglais, n’ayant pas de forces
d’intervention terrestre suffisantes, trouvent en Napoléon III un allie plein de bonne volonté.
Les franco-anglais débarquent en Crimée. Le passage victorieux de l’Alma, 20 septembre
1854, ouvre la route de Sébastopol, le grand arsenal maritime russe en mer Noire. La guerre
de Crimée se résume alors au siège de la ville, qui dure un an 5. En dépit des difficultés
1
René Girault, Diplomatie européenne. Nations et impérialisme 1871-1914, Paris, Editeur Masson, 2004, p. 21.
2
Jean Charles Asselain, Précis d’histoire européenne. Du 19e siècle à nos jours, Paris, Editeur Armand Colin,
2011, p. 46.
3
Dominique Barjot, La France au XIXe siècle 1814-1914, Paris, Editeur Puf, 2008, p. 69.
4
Ibidem, p. 73.
5
Francis Demier, La France du XIXe siècle 1814-1914, Paris, Editions du Seuil, 2014, p. 103.

1
terribles de l’hiver, le général Mac Mahon emporte le tour Malakoff, clef du dispositif de
défense. Le corps expéditionnaire a pu être ravitaille par un train continu de navires à vapeur,
symbole de la supériorité des puissances modernes face à une Russie empêtrée dans une
logistique vieillie à laquelle font cruellement défaut les chemins de fer. Il est périlleux
toutefois d’aller plus loin. L’Autriche est attentiste, la Prusse reste fidèle à l’alliance russe,
une invasion de la Russie parait aventureuse. La France et l’Angleterre négocient dans un
congrès, à Paris. L’Europe garantit l’intégrité de l’empire Ottoman, la mer Noire est
démilitarisée, la Russie perd sa prépondérance acquise sur le continent depuis 1815 au profit
de la France et l’Angleterre6.
La paix est signée lors du congrès de Paris, février-avril 1856, les vainqueurs n’ont
aucun gain territorial mais, pour la France, le congre était une revanche sur les traites de
1815. De plus, la question des nationalités est officiellement traitée : au sujet de la Moldavie
et de la Valaquie placées sous protectorat international, et au sujet de l’Italie 7. Le Piémont a
en effet envoyé un contingent appuyé l’alliance anglo-française. Son représentant, Cavour,
assiste donc aux négociations et profite pour dénoncer la domination autrichienne dans la
péninsule et laisse entendre que cette situation pourrait dégénérer en révolution8.
L’échec des révolutions et la prospérité économique aidant, les mouvements
populaires s’apaisent pour un temps. Les chefs d’Etat, jouissant d’une plus large liberté de
manœuvré, ont joué un rôle plus personnel, plus décisif. Certains d’entre eux sont des
personnalités exceptionnelles. Outre Palmerston, on peut compter parmi les premiers rôles
Napoléon III et Cavour jusqu’à 1861 et Bismarck après 1862. Ces trois noms sont lies au
grand bouleversement de l’Europe que constituent la formation de l’unité italienne et la
formation de l’unité allemande9.
On sait qu’avec Napoléon III cette position évolue, que l’empereur est le principal
créateur des unités roumaine et italienne et qu’il ne s’est jamais vraiment oppose à l’unité
allemande, qui pourtant s’est faite contre lui. Quel que soit, dans cette longue histoire
diplomatique, le rôle joue dans sa pensée par la volonté d’assurer la libération de la Vénétie
et d’améliorer le trace des frontières françaises, on doit reconnaitre une part de sincérité et de
conviction dans sa conception du principe des nationalités, dont la théorie achevé de se

6
J. B. Duroselle, L’Europe de 1815 à nos jours. Vie politique et relations internationales, Paris, Editeur Presses
universitaires de France, 1967, p. 88.
7
René Girault, op. cit., p. 33.
8
Charles Pouthas, Démocratie, réaction, capitalisme 1848-1860, Paris, Editeur Presses Universitaires de
France, 1984, p. 32.
9
Francois Dreyfus, Le temps des révolutions 1787-1870, Paris, Editeur Larousse, 1968, p. 131.

2
préciser sous son règne, bien qu’il prétende l’avoir héritée du Mémorial de Ste Hélène 10.
Plusieurs petits peuples, danois, moldaves et valaques, grecs, neuchâtelois, monténégrins,
serbes, ont bénéficié d’une sollicitude à peu près désintéresse, et ses tentatives en faveur de la
Pologne insurgée de 1863 ont été si pressantes qu’elles ont failli conduire à une guerre
européenne et ont consacré en tout cas la rupture de rapprochement franco-russe, sans nul
profit pour l’empereur. Il est cependant arrive à celui-ci, assez fréquemment, de sacrifier
inversement les revendications des peuples a la politique générale, et même son appui aux
nationalités s’est rarement fonde sur une expression formelle de leurs revendications, car ce
fameux plébiscites, dont on ne saurait contester l’intérêt, ont généralement consiste à
approuver une décision prise11. Pourtant, le principe des nationalités devenait peu à peu, en
France, un axiome, et la diplomatie européenne en admettait l’existence, fut-ce pour le
combattre. La refonte de l’Europe sur ces données paraissait, a beaucoup de français, un idéal
peut-être lointain, mais désirable à mesure que s’accentuaient les oppressions en Europe
Centrale et Orientale, soulevant chez eux, périodiquement des mouvements d’émotion
profonde. Le martyre des irlandais, polonais et des chrétiens des Balkans rencontrait à Paris
un écho puissant, qui empêchait de bien saisir l’opposition entre la conception française de la
nationalité et celle des peuples qui, soupirant après leur liberté et leur unité, invoquaient leur
langue, leur religion, leurs usages, leur passé12. L’une et l’autre de ces deux conceptions
s’amalgamaient d’ailleurs dans un véritable mythe des nationalités, un peu imprécis, mais
professe par les irrédentismes extérieurs comme par l’opinion française, voire dans
l’enseignement français. On avait même tendance et pas seulement en France à la projeter
arbitrairement dans le passé; pour prendre au hasard des exemples de cette vue anachronique,
les allemands reportaient les problèmes de race à l’époque carolingienne, les roumains
considéraient la conquête éphémère de leurs trois Principautés par le voïvode Michel le Brave
en 1600 comme le prélude de l’union nationale13.
Il ne faut pas oublier non plus à l’actif de la politique nationalitaire de Napoléon III
que l’Italie ne fut qu’un des champs ou celle-ci trouva à s’exercer. L’ensemble de la politique
balkanique de l’empereur a fait l’objet d’une étude de A. Mange, The near Eastern Policy of
the Emperor Napoleon III : le souci de préserver l’intégrité de l’Empire Ottoman va de pair,
chez lui, avec le désir de satisfaire les aspirations nationales des peuples chrétiens. C’est par
10
Max Beloff, Pierre Renouvin, Franz Schnabel, Franco Valsecchi, L’Europe du XIXe et XXe siècle, 1815-1870.
Problèmes et interprétations historiques, Milan, Editeur Marzorati, 1964, p. 191.
11
Ibidem, p. 203.
12
Jean Yves Mollier, Jocelyne George, Le plus longues des républiques, 1870-1940, Paris, Editeur Fayard,
1994, p. 109.
13
Pierre Miquel, La troisième république, Paris, Editeur Fayard, 1989, p. 90.

3
des reformes appropries, rendant possible la coexistence des chrétiens et des musulmans, que
l’empereur espère la consolidation, à ses yeux nécessaire, de l’Empire Ottoman. Son champ
d’élection a été la Roumanie, ou l’influence française, connue par des travaux d’ailleurs
insuffisants et anciens, était singulièrement active et déjà profonde. L’immensité des services
rendus par la France a la cause roumaine, d’abord dans la création d’un état unitaire sous la
direction du prince Cuza, puis dans le choix d’un souverain, qui fut Charles de Hohenzollern,
a été montrée dans deux thèses de doctorat : P. Henry, L’abdication du prince Cuza et
l’avènement de la dynastie des Hohenzollern et M. Emerit, Madame Cornu et Napoléon III. Il
n’est pas exagère de dire que l’unité roumaine a été pour une grande part l’œuvre de la
politique française14.
Le mouvement révolutionnaire qui avait enflamme, dans le sillage du « printemps des
peuples», les Principautés roumaines en quête d’autonomie et de réformes sociales a non
seulement échoue, mais abouti à la mise en place d’un protectorat conjoint de la Russie et de
l’Empire Ottoman sur la Moldavie et la Valachie. Nombre des meneurs de la révolution
trouvent refuge en France, où ils avaient découvert, en tant qu’étudiants, de nouveaux
courants politiques et sociaux. Ces exiles, tels les frères Demetre et Jean Bratianu, Constantin
A. Rosetti, Dimitrie Bolintineanu, Vasile Alecsandri ou les Golescu trouvent l’appui de
Français roumanophones tels l’historien Edgar Quinet, le journaliste Hippolyte Desprez ou
l’écrivain Elias Regnault, mais ils représentent un groupe trop restreint pour espérer influer
sur la politique européenne15. Quand les relations russe-ottomanes s’enveniment et que la
guerre de Crimée éclate, les exiles voient dans le conflit, ou interviennent la France et
l’Angleterre don ils espèrent pouvoir obtenir l’appui, l’opportunité de tirer un avantage pour
leur patrie. Les anciens révolutionnaires de 1848 sollicitent de combattre avec les troupes
françaises, anglaises, piémontaises et turques, mais le passe « perturbateur » de ces éléments
remuants entraine le refus du général Omer Pacha.
Les Principautés, occupées par la Russie quand éclate le conflit, passent sous la coupe
autrichienne, avec l’accord de la Turquie. Le congrès de Paris, qui annexe à la Moldavie un
morceau de la Bessarabie méridionale, établit les deux Principautés en une zone de défense
contre la Russie, sous la garantie collective des puissances européennes : une conférence
spéciale devra établir un statut d’autonomie relative. La question de l’unité roumaine se
heurte à la volonté des Anglais de maintenir l’intégrité ottomane, tandis que les diplomates
français restent persuadés que le congrès de Vienne de 1815 à établi en Europe un état

14
Claire Fredj, La France au XIXe siècle, Paris, Editeur PUF, 2009, p. 76.
15
A.D. Xenopol, Domnia lui Cuza-Voda, vol. I, Iasi, Editeur Dacia, 1903, p. 10.

4
d’équilibre qu’il ne faut en rien perturber. Cependant, cette idée, soutenue par une opinion
publique favorable, reste au cœur des revendications des exiles et trouve un écho auprès de
Napoléon III, qui souhaite la création d’un Etat fort aux bouches du Danube pour empêcher
tout empiètement futur et qui demeure fidèle à l’idée de l’émancipation des nationalités16.
Comme l’ensemble du monde balkanique, la Moldavie et la Valachie subissent
jusqu’au XIXe siècle la domination ottomane. Elles abritent un mouvement national dont les
vagues révolutionnaires successives finiront par obtenir l’indépendance. La situation de ces
Principautés est compliquée par une présence russe très active. La rivalité de celle-ci avec les
turcs marque la période. A partir de 1821, le mouvement national roumain tente d’en profiter
mais tombe sous le protectorat Saint-Pétersbourg. En 1848, les révolutionnaires de Bucarest
s’effacent devant l’union russo-turque intervenue contre eux17.
Devenus plus réalistes, les émigres roumains, regroupes à Paris, comprennent que seul
un appui international peut les faire triompher. L’occasion en est fournie, en 1853, par
l’action de Napoléon III auprès du sultan. L’invasion de la Moldavie par le tsar, un juin,
l’entraine dans un conflit avec la Turquie en octobre. L’Angleterre et la France exigent, en
accord avec Vienne, l’évacuation des Principautés qui sera effective en avril 1854. Mais,
depuis mars, Londres et Paris sont en guerre avec Saint-Pétersbourg et les opérations
s’engagent pour un an en Crimée18.
Les princes roumains regagnent leur pays à la suite des troupes autrichiennes. Ils sont
sensibles aux revendications de patriotes qui publient un journal unioniste dirige par
Kogalniceanu, ancien agitateur de 1848. Il le transfert en Belgique pour mobiliser l’opinion
occidentale. Le traite de Paris, en mars 1856, met fin au protectorat russe sur le Principautés
mais maintient la suzeraineté ottomane sous la garantie des puissances. La Moldavie retrouve
le sud de la Bessarabie, annexée par la Russie en 1812, et on confie à de futures assemblées
une révision institutionnelle19.
Dans les provinces danubiennes, la traite prévoyait une consultation des populations et
une organisation administrative autonome. Les puissances avaient été d’accord lorsqu’il
s’agissait de faire vivre les provinces pour elles-mêmes. L’Autriche, qui s’était en vain
efforcée de se rallier par promesses diverses l’opinion des populations, avait retarde le plus
possible le retrait de ses troupes : elle avait dû l’exécuter en novembre 1856. Elle craignait la

16
Oltea Rascanu Gramaticu, Alexandru Ioan Cuza si demnitatea nationala, Barlad, Editeur Sfera, 2011, p. 15.
17
Eric Hobsbawm, L’ère des empires 1875-1914, Paris, Editeur Fayard, 2000, p. 216.
18
Jacques Néré, Précis d’histoire contemporaine, Paris, Editeur PUF, 1973, p. 144.
19
Jean Clement Martin, Révolution et contre-révolution en France 1789-1989. Les rouages de l’histoire,
Rennes, Editeur Presses Universitaires de Rennes, 1996, p. 131.

5
formation, dans les provinces qui lui échappaient, d’un Etat national qui fut un pôle
d’attraction pour les transylvains; elle s’entendit, par une convention secrète avec la Turquie,
qui voulait se soustraire au traite, et avec l’Angleterre, qui voyait toujours dans les Etats
balkaniques des protectorats russes, pour travailler contre l’union, en un seul corps, de la
Moldavie et de la Valachie20.
Parler de la nation est aussi une manière de concevoir un territoire dans des frontières,
de protéger ce territoire qui fut durant près de cinquante ans un espace de guerres. Deux
propos émanant d’un diplomate français et de l’empereur d’Autriche méritent d’être cites.
Les deux discours révèlent l’inquiétude issue d’une approche locale de la situation et d’une
vision géopolitique plus vaste. Ces positions éclairent le mélange de principes et de
pragmatisme quant à la conception de l’ordre international, un ordre applique à l’espace de la
question d’Orient. Le baron d’Avril estime : « L’Europe dois se résigner a ce qui est la loi
commune de l’humanité, c’est-à-dire a être obligée de veiller toujours à la défense du droit de
tous et des intérêts de chacun, il reste à examiner si les provinces roumaines et, en élargissant
la question, si les populations chrétiennes de la Turquie d’Europe méritent d’être comptées
pour quelque chose dans un travail d’organisation, et si l’Europe peut espérer d’y détruire
l’influence trop longtemps prédominante de la Russie ». Mais l’empereur d’Autriche confie
au ministre français Bourqueney le 22 juin 1856 : « Je vois avec un chagrin profond une
divergence d’opinion entre votre gouvernement et le mien sur un principe fondamental ;
l’union des deux Principautés, c’est la constitution d’une souveraineté russe a ma frontière en
cas de succès ; c’est le désordre et l’agitation révolutionnaire si l’expérience ne réussit pas»21.
L’empereur d’Autriche reprochera aux Français de conduire une diplomatie fondée
sur des chimères et sur la gloriole alors que la sécurité de son empire est en jeu : certains
patriotes roumains que Vienne qualifie de factieux et d’exaltes veulent la reconstitution d’un
empire daco-romain qui engloberait la Transylvanie. La conscience de cette menace à
rebondissements multiples est précise dans les milieux diplomatiques. On n’est pas sans
savoir que jamais les Hongrois n’accepteraient de voir la Transylvanie unie à la Moldo-
Valachie. L’empereur port sur l’espace de l’Europe centrale et orientale un regard favorable
au statu quo, a le non révision des frontières et de leur légitimité, révision qui ouvrirait la
boite de Pandore22.

20
Constantin Giurescu, Viata si opera lui Cuza Voda, Bucuresti, Editeur Stiintifica, 1966, p. 75.
21
Charles Upson Clark, Romania unita, Bucuresti, Editeur Malasi, 2003, p. 56.
22
Dimitrie Bolinitineanu, Viata lui Cuza-Voda, Bucuresti, Editeur G. Joannide&C-nie, 1878, p. 22.

6
Ce n’est qu’un demi-succès pour les patriotes puisque les Principautés demeurent
séparées malgré la prise de position française en faveur de leur union. En juillet 1856, les
princes démissionnent et leurs successeurs, nommes par le sultan, préparent les élections.
Elles ont lieu un an plus tard en Moldavie mais entrainent des contestations. Les protestations
internationales contraignent Istanbul s’incliner et de nouvelles élections donnent une majorité
pour l’union. La Valachie vote à son tour en ce sens en septembre 185723.
Concrètement, l’application des clauses de la traite de Paris traitant de la
réorganisation des Principautés s’accomplit en trois années de luttes intestines et de
négociations entre les Grands. Le premier enjeu est celui de l’élection des assemblées en
1857, en Moldavie comme en Valachie : la lutte oppose partisans de l’union et anti-
unionistes. Les premiers réclament l’union des Principautés sous un prince étranger et une
charte constitutionnelle. Les émissaires de Constantinople entrent en scène, manipulent et
faussent les élections. De Plombières, ou il séjourne, Napoléon III menace en juillet 1857 de
rompre les relations avec la Porte. Les enjeux portent sur la composition sociale et politique
des listes électorales : les paysans sont exclus du vote24. Les groupes qui s’opposent sur le
programme s’entredéchirent sur des rivalités de personnes : les conservateurs mènent des
guerres intestines parfois au sein des mêmes familles ; le camp du parti national est divisé en
plusieurs factions : les boyards de second rang s’opposent à ceux de la première classe. Les
unionistes l’emportent à Iasi comme à Bucarest. Le consul de France a Iasi, Victor Place,
triomphe dans une missive adressée en octobre 1857 a l’ambassadeur Thouvenel : « Enfin, le
grand œuvre est commencé ; le divan (assemblée) moldave est non seulement convoque, mais
ouvert depuis dimanche. J’aurais voulu que vous assistiez à l’enthousiasme qui a éclaté ici à
cette occasion, et vous vous seriez trouvé récompense de toutes les peines que vous vous êtes
données pour soutenir cette malheureuse population défaillante ». La formulation de
l’ingérence est habile25.
Les élections pour les divans ad-hoc, faites en juillet 1857, sous la surveillance et la
pression de caïmacans furent une comédie. Napoléon qui malgré son entourage et en dépit de
la mauvaise volonté de ses diplomates, se considérait comme personnellement engage à
l’exécution de la traite, et qui commençait à se poser en protecteur des nationalités, protesta,
appuyé par les autres signataires de la traite, Russie, Prusse et Sardaigne. Il réclama, et, par la

23
Yves Lequin, Histoire des français XIXe-XIXe siècles. Un peuple et son pays, Paris, Editeur Armand Colin,
1983, p. 90.
24
Gheorghe Cliveti, Romania si Puterile Garante 1856-1878, Iasi, Editeur Université Al. I. Cuza, 1988, p. 54.
25
Iordachescu Lacramioara, Un consul francez in Principate : Adolph Billecocq dans « Istoria, o meditatie
asupra trecutului », Iasi, Editeur Tipo-Moldova, 2001, p. 260.

7
menace d’une rupture des relations diplomatiques, obtint de la Turquie leur annulation. Les
élections furent refaites en septembre. Les assemblées demandèrent la constitution d’un Etat
national à forme représentative et neutre, le sultan en prononça la dissolution. Mais
Napoléon, qui s’était entendu avec Alexandre II à Stuttgart, évoqua l’affaire en une
conférence européenne, qui se tint à Paris en aout 1858. Il ne put faire triompher entièrement
son point de vue. Les organes d’Etat, communs aux deux provinces, furent réduits a une
commission centrale et des cours suprêmes de justice siégeant à Focşani ; chacune des
provinces aurait son assemblée et son hospodar, élu par celle-ci parmi les nationaux, elles
auraient la satisfaction platonique de s’appeler « Principautés unies »26.
Les deux assemblées travaillent jusqu’en décembre et Kogalniceanu présente, en
Moldavie, le projet de création d’une Roumanie dirigée par un prince étranger. Il prévoit une
monarchie constitutionnelle, dotée d’un système représentatif, et une indépendance garantie
par les puissances. Ces vues sont adoptées à la quasi-unanimité et reprises en Valachie. Cette
démarche, contraire au traité de Paris, est appuyée par Napoléon III qui convoque une
conférence internationale en mai 1858. Apres des négociations difficiles, la convention du 7
août octroie un nouveau statut aux Principautés. Unies, avec chacune un prince autochtone,
un gouvernement et une assemblée, elles ont une Cour de justice commune. La suzeraineté et
l’approbation d’Istanbul demeurent nécessaires27.
L’historien Nicolae Iorga, dont l’œuvre s’est imposée dès le début du XXe siècle et a
fait autorité depuis en Roumanie pratiquement sans interruption, propose un récit image de
cet épisode qui éclaire les mésententes locales, profondes au sein des grandes familles et des
groupes dirigeants. Il raconte : « Les élections avaient été faites sous la surveillance des
caïmacans a la turque. En Valachie, on avait fait revenir le doux Alexandre Ghica, qui vivait
depuis des années retire en Italie, alors que ce poste avait été confie en Moldavie, après la
mort du vieux boïar Theodore Bals, au jeune Grec, plus ou moins francise Nicolas Vogorides,
fils d’un lieutenant princier de 1821 : comme il avait épouse la fille du boïar Conachi, il
aimait à s’entendre nommer Vogoridi-Conachi et, manifestant en même temps des sentiments
de fidélité pour la France, il espérait devenir prince de Moldavie. Il fit son possible pour que
ses seuls adhérents soient élus, et aussitôt éclataient les protestations du parti unioniste.
Napoléon III, qui après avoir louvoyé au début, affirmait avec énergie le principe de son
idéologie personnelle –il pensait aussi à l’indépendance du pays unifie- ordonna a son
ambassadeur auprès de la Porte, Thouvenel de demander que les élections moldaves soient
26
Nicolae Corivan, Relatiile diplomatice ale Romaniei de la 1859 la 1877, Bucuresti, Editeur Stiintifica si
Enciclopedica, 1984, p. 28.
27
Jacques Sole, Révolutions et révolutionnaires en Europe 1789-1918, Paris, Editeur Gallimard, 2008, p. 117.

8
cassées ; comme ou était allé jusqu’à menacer les Turcs de faire descendre le drapeau
impérial, il faudra bien céder. Le résultat fut, bien entendu, tout à fait diffèrent : il n’y aura
dans le Divan que des chaleureux partisans de l’Union »28.
Les enjeux sont complexes et les débats violents entre les conservateurs moldaves, qui
entendent garder l’autonomie de leur province et ne pas s’attacher aux Valaques, les fidèles
de l’Empire Ottoman, dont certains ont cherché à s’engager auprès des Turcs dans la guerre
de Crimée, et les occidentalistes libéraux, fascines pal les luttes des Italiens pour leur unité :
réunis pour la plupart d’entre eux dans le « Comité national roumain de Paris », ils ont, dès le
début des hostilités russo-turques, lance un appel à Napoléon III pour réaliser, avec son aide,
la réunion de la Valachie et de la Moldavie en un Etat unitaire et obtenir l’indépendance29.
En 1858, la Convention de Paris est chargée de régler définitivement le sort des
Principautés. Elle prend acte de la situation de blocage et élude la question paysanne (les
grandes puissances demandent simplement que des mesures soient adoptées contre la
corruption des sous-préfets). La question de l’unification est réglée par une manière de
compromis : il s’agit d’accorder la volonté unanime des collèges représentes dans les divans
ad hoc avec les réticences marquées par certaines chancelleries. Moldavie et Valachie sont
regroupées sous la désignation générique de Principautés Unies ; dans chaque Principauté
une assemblée législative sera élue qui désignera elle-même un prince, sans que les grandes
puissances puissent y redire ; les deux assemblées siègeront l’une à Iasi et l’autre à Bucarest ;
elles obéiront aux mêmes règlements30. Une commission centrale devra les chapeauter.
Compose de 4 membres élus par les députes et de 8 membres nommés par les princes de
Moldavie et de Valachie, elle sera chargée d’élaborer des lois communes. Chaque Principauté
disposera enfin d’un gouvernement et d’une administration propres.
La Porte refuse d’accepter la revendication de l’union, qu’elle juge contraire aux
clauses de la traite de Paris. L’accord est trouvé en aout 1858 (la Grande-Bretagne et la
Russie finissent par se rallier aux positions de la France afin de prévenir des troubles graves
en Moldo-Valachie) et codifie dans le cadre de la convention de Londres. Les Principautés
demeurent sous suzeraineté de la Porte et sous garantie des puissances signataires de la traite
de Paris ; elles ne sont pas unies mais conservent des institutions parallèles coordonnées par
une commission centrale à Focşani. Le pouvoir exécutif est confié à l’hospodar, qui exerce le
pouvoir législatif conjointement avec l’assemblée et la commission. Mais les unionistes

28
Nicolae Iorga, Histoire des relations entre la France et les Roumains, Iasi, Editeur Imprimerie, 1917, p. 167.
29
Ibidem, p. 172.
30
Eric Anceau, Les grands discours parlementaires du XIXe siècle, Paris, Editeur Armand Colin, 2004, p. 133.

9
persistent et font élire, après des négociations internes passionnées, le colonel Alexandru
Cuza au siège d’hospodar à l’unanimité à Iasi le 17 janvier et à Bucarest le 5 février31.
Cette double élection, après de telles divisions, pose problème. Napoléon III, recevant
aux Tuileries le messager du prince, Alecsandri, ose demander à ce dernier si cette élection
représente bien le vœu de la population ou si elle est le résultat d’une machination, d’une
manipulation des députes. Alecsandri se récrie : « Quand a sonné l’heure des élections, tous
les députes ont été animes d’un vrai patriotisme et se sont montres dignes de leur mandat ».
Sa mission est d’obtenir de l’empereur qu’il impose aux grandes puissances une révision de
la convention de 1858 dans le sens d’une union définitive. Il était les liens de Cuza avec la
franc-maçonnerie, sa propre affiliation, celle de Kogalniceanu, des frères Ion et Demetre
Bratianu, solidarités qui ont été déterminantes dans l’élection du prince par les deux divans
de Moldavie et de Valachie32.
Cette double élection d’un prince unique pour un peuple que ses élites du parti
national présentent comme uni est refusée par Constantinople. En septembre 1859, les
puissances parviennent pourtant à un accord sur la reconnaissance de la double élection de
Cuza comme fait accompli et comme formule de gouvernement exceptionnelle et temporaire,
accord auquel la Porte souscrit en décembre. L’accord de Napoléon III pour une révision de
la convention de Londres ne vient pas : il est question pour Paris non pas d’une relation
privilégiée, bilatérale, avec la Moldo-Valachie, mais d’une stratégie globale et à long terme
de pénétration aux périphéries des empires. Dans l’immédiat, Napoléon III suffire a
Alecsandri de solliciter un emprunt auprès de la banque Pereire et lui promet l’envoi
d’instructeurs militaires. L’investiture de Cuza, qui rend visite au sultan, est confirmée en
octobre 1860. En 1861, Cuza parvient à obtenir, toujours sous la réserve du temporaire, un
« arrangement » concernant l’union administrative des deux Principautés33.
Les divergences idéologiques entravent cependant le rapprochement franco-russe dès
le début des années 1860, comme en témoigne ce message du chancelier russe Gortchakov :
« La France a sa main dans toutes les trames révolutionnaires dans les provinces
danubiennes, dans l’Herzégovine, en Pologne, en Hongrie ». Face au jeu des puissances et
dans l’après-guerre d’une guerre à laquelle ils n’ont pas pris part (bien que certains patriotes
aient envisage la formation d’une légion), les acteurs moldo-valaques sont prêts. Ils disposent
d’une traite, la traite de Paris, de puissances garantes disposées à intervenir, de protecteurs –
31
Georges Duby, Histoire de la France. Les temps nouveaux de 1852 à nos jours, Paris, Editeur Larousse, 1992,
pp. 98-101.
32
Georges Henri Soutou, Napoléon III et l’Europe, 1856 : le Congrès de Paris, Paris, Editeur Art, 2005, p. 94.
33
Henry Bogdan, Histoire des pays de l’Est. Des origines à nos jours, Paris, Editeur Perrin, 1988, p. 94.

10
en France essentiellement- d’un discours du droit qui a le mérite d’être adapte à ce temps de
crise et fonde sur la tradition. Le traite de Paris stipule à l’article 22 : « Les Principautés de
Valachie et de Moldavie continueront à jouir sous la suzeraineté de la Porte et sous la
garantie des puissances contractantes des privilèges et immunités dont elles sont en
possession. Aucune protection exclusive ne sera exercée sur elles par une des puissances
garantes. Il n’y aura aucun droit particulier d’ingérence dans leurs affaires intérieures ».
L’article 23 dispose : « La Sublime Porte s’engage à conserver auxdites Principautés une
administration indépendante et nationale ; ainsi que la pleine liberté de culte, de législation,
de commerce et de navigation ». Concrètement, l’article 24 annonce : « Sa Majesté le Sultan
promet de convoquer immédiatement dans chacune des deux provinces un divan ad-hoc,
compose de manière a constitué la représentation le plus exacte des intérêts de toutes les
classes de la société. Ces divans seront appelés à exprimer les vœux des populations
relativement à l’organisation définitive des Principautés »34.
Des lors, les deux Divans élus élaborent séparément un projet d’union. L’intervention
de Napoléon III, favorable à la formation d’une Roumanie monarchique, fut décisive : une
conférence des grandes puissances réunie à Paris donna son accord à la formation d’un Etat
baptise, « Provinces unies de Moldavie et de Valachie », à condition que soit maintenue la
suzeraineté ottomane, et que chaque Principauté conserve son prince et son assemblée. La
nouvelle déception roumaine fut de courte durée : les assemblées élues dans chaque
Principauté, en vertu de la convention de 1858, élièrent en janvier 1859 le même prince,
Alexandre Ioan Cuza qui prit le titre de prince de Roumanie. Inspires par les représentants
français, Victor Place à Iasi, Blondel a Bucarest, les roumains tournèrent l’obstacle, en élisant
la mémé hospodar à la fin de janvier 1859 et au début de février, le colonel Cuza, élevé en
France et tout pénètre de ses idées. La Turquie protesta, mais à la conférence de Paris en avril
1859, l’opposition de l’Angleterre et de l’Autriche fléchit et le sultan accorda deux firmans
d’investiture au prince en septembre. La fiction de la séparation se marquait par l’existence
de deux ministères, à Iasi et à Bucarest. Les grandes puissances, de nouveau réunies à Paris,
acceptèrent cette union réalisée de facto, y compris l’Autriche après sa défaite en Italie, et la
Turquie en 1861, mais seulement pour la durée du règne du prince. Le prince Cuza put
s’exclamer : «Roumains, l’union est accomplie, la nationalité roumaine est fondée»35.
Napoléon III entendait encourager la réunion de la Moldavie et de la Valachie sous un
seul prince pour éviter que les deux provinces ne tombassent dans l’orbite russe. « Dans les
34
Antoine Roger, Les fondements du nationalisme roumain 1791-1921, Genève, Editeur Droz, 2003, p. 100-
102.
35
Bernard Michel, L’Europe des nationalismes aux nations, Paris, Editeur Sedes, 1995, p. 68.

11
congres jusqu’ici on n’a fait attention qu’aux intérêts des souverains. Je me préoccupe avant
tout de l’intérêt des peuples ». En la circonstance, il ne craignait pas non plus de mécontenter
le sultan. « Je perdrai un peu d’influence, je l’avoue, à Constantinople, confiât-il à Persigny,
mais j’en gagnerai parmi les populations qui souffrent et qui partout se tournent vers la
France lorsqu’elles ont des griefs à faire valoir ou une espérance à réaliser. Le
démembrement de l’Empire Ottoman, ajoutait-il, est le dernier de mes soucis pourvu qu’il ne
se fasse pas au profit de la Russie »36.
Les patriotes, une fois de plus déçus, répondent par l’élection de partisans de l’union.
En janvier 1859, les deux assemblées portent sur le trône, à l’unanimité, le même prince,
Alexandre-Ioan Cuza. Cette réalisation de l’union est soutenue par Napoléon III qui
s’emploie à la faire approuver par les puissances. Une nouvelle conférence parisienne, en
avril, lui apporte l’accord de Londres, Berlin et Turin. Vienne puis Istanbul finiront par
accepter dans le mois qui suit37. En ouvrant la session législative, le 8 février 1859, Napoléon
III expliqua les raisons de son implication : « Si l’on me demandait quel intérêt la France
avait dans ces contrées lointaines qu’arrose le Danube, je répondrais que l’intérêt de la France
est partout où il y a une cause juste et civilisatrice à faire prévaloir ». Il fit envoyer une
mission militaire et des armes sur place et accueillit des moldaves et des Valaques dans les
écoles militaires françaises.
A la suite du congrès de Paris, une conférence européenne est convoquée afin
d’établir les nouveaux statuts de la Moldavie et de la Valachie. Les deux Principautés
demeurent sous la suzeraineté théorique de l’Empire Ottoman et disposent d’une cour de
justice commune, mais chacune doit posséder son assemblée, son gouvernement et son prince
élu. Napoléon III a pu obtenir que les élections se déroulent librement. Le colonel Cuza,
ministre de la guerre de Moldavie en 1858 et représentant de Galatzi à l’assemblée élective
moldave, plaide brillamment pour l’union des deux Principautés. Il se trouve porte au pouvoir
par l’assemblée moldave en janvier 1859, sous le nom d’Alexandre-Jean Ier. Une dizaine de
jours plus tard, sous la pression populaire, les députes valaques le croissent à leur tour comme
hospodar et, sous l’influence de Napoléon III, les puissances européennes, placées devant
cette unité de fait, le confirment dans cette double fonction. En 1862, La Roumanie est
officiellement crée, avec pour capitale Bucarest. Devant l’opposition montante des boyards.
Cuza proclame une nouvelle constitution qui lui attribue les pleins pouvoirs et la soumet à un
plébiscite qui remporte une majorité écrasante. Cependant, la reforme se révèle peu satisfaite

36
Fran Zwitter, Les problèmes nationaux dans la monarchie des Habsbourg, Beograd, 1960, p. 86.
37
Georges Henri Soutou, L’Europe de 1815 à nos jours, Paris, Editeur PUF, 2009, p. 335.

12
pour les paysans et la situation financière du pays se dégrade. Cuza doit affronter non
seulement l’opposition des propriétaires terriens, mais aussi celle des républicains roumains
qui l’accusent de marcher sur les traces de Napoléon III. Devant les troubles qui agitent le
pays, l’opinion française se fait sévère. Craignant de perdre le soutien de la France, Cuza en
appelle à Napoléon, invoquant les idéaux de l’empereur : principe des nationalités, équilibre
européen etc. Il défend ses réformes sociales, économiques, militaires et politiques et propose
même de s’éloigner du pouvoir pour en préserver les acquis. Hélas pour lui, la France est
alors préoccupée par l’unité italienne et n’émet pas de protestation quand une conspiration
militaire provoque en février 1866 la chute du souverain roumain38.
Cette naissance « révolutionnaire » de la Roumanie, opérée par l’action de la
diplomatie européenne, est limitée pour l’instant à la durée du règne du prince. Il faut
d’ailleurs attendre novembre 1861 pour que le sultan sanctionne officiellement cette
unification. Cuza appartient à une famille de boyards moldaves, il a étudié à Paris et participe
à la révolution de 1848 à Iasi. Contraint à une cour exil, il est devenu colonel et passe pour
libéral. En quelques années, il va jeter les bases de la modernisation de son pays39.
La vie politique se structura autour des deux groupements des Conservateurs et des
Libéraux qui ne s’organisèrent en partis politiques qu’en 1871 et 1875. Les conservateurs
représentaient les grands propriétaires terriens. Sans programme politique précis, ils
dominaient les assemblées élues sur la base d’un cens élevé. Les libéraux étaient l’émanation
de la bourgeoisie, petits propriétaires, agents de l’Etat, professions libérales ; ils se
réclamaient des révolutions de 1848 auxquelles ils avaient souvent participe et voulaient des
reformes, y compris dans le domaine agraire au bénéfice des paysans. Mais cette image d’une
vie politique à l’occidentale était déformée par le système électoral fonde sur un cens élevé et
par le retard culturel des mases illettrées. Elle se réduisit souvent à des querelles de clans,
avec le phénomène des « clientèles », comme dans les pays balkaniques ou méditerranéens40.
Le 3 février 1862, Cuza appela les conservateurs qui dominaient les Assemblées des
deux Principautés à former le premier gouvernement unitaire : ce fut le cabinet Barbu
Catargiu qui ne dura que quatre mois, à cause du décès de son chef.
Deux jours plus tard, Alexandre Cuza ayant réuni à Bucarest les membres des
assemblées de Moldavie et de Valachie, ouvrait le premier Parlement commun et proclamait

38
Nicolas Bourguinat, Benoit Pellistrandi, Le 19e siècle en Europe, Paris, Editeur Armand Colin, 2001, p. 88.
39
Iulian Oncescu, Romania in politica orientala a Frantei 1866-1878, Bucuresti, Editeur Cetatea de Scaun,
2010, p. 28.
40
R.V. Bossy, Agentia diplomatica a Romaniei in Paris si legaturile politice franco-romane sub Cuza-Voda,
Bucuresti, Editeur Cartea Romaneasca, 1931, p. 26.

13
« l’Union définitive des Principautés ». Bien vite, toutefois, le prince se heurta aux
conservateurs à propos de ses projets de loi agraire. En octobre 1863, il fit donc appel aux
libéraux et confia le pouvoir à Mihail Kogalniceanu, ancien leader de la révolution moldave
de 1848. C’est ce gouvernement qui, en quinze mois, réalisa les reformes essentielles.
La politique s’y organise autour de grands propriétaires conservateurs, dominant des
assemblées censitaires, et de libéraux, plus radicaux, issus d’une peu nombreuse bourgeoisie
urbaine. Ces luttes de clans, étrangères a une masse illettrée, débouchent, après quelques
mesures fondatrices (proclamation de Bucarest comme siège du gouvernement en février
1862), sur l’action énergique de Kogalniceanu qui réalise des reformes essentielles :
nationalisation du quart des terres de pays, appartenant à de grands monastères, et
réorganisation de l’armée et de l’administration. En 1864, un plébiscite, modifiant la
Constitution, approuve la distribution de plus de deux millions d’hectares à cinq cent mille
familles. Cette étape dans le développement capitaliste aggrave les tensions sociales entre
exportateurs de blé et paysans sans terre41.
L’ex-étudiant parisien s’appuya sur la bourgeoisie libérale, partisane de reformes
modérées, alors que les boyards se retrouvaient dans le camp des conservateurs. Le cens
électoral élevé leur permettait d’avoir la majorité dans les assemblées. Celles-ci furent
réunies dans un unique Parlement qui siégea dans la nouvelle capitale, Bucarest. Le
gouvernement de Kogalniceanu s’attaqua à un programme de réformes : création d’une armée
nationale, nationalisation d’une partie des terres monastiques, fondation du Conseil d’Etat et
de la Chambre des comptes, promulgation d’un Code pénal et civil, création de deux
universités à Bucarest et Iasi. Malgré la résistance acharnée des boyards à l’Assemblée, qui
fut dissoute en 1864 avant qu’une modification de la Constitution massivement approuvée
par plébiscite ne réduise son rôle, une réforme agraire fut menée à terme permettant à des
certaines de milliers de paysans d’accéder à la petite propriété. Quant à l’Eglise orthodoxe,
elle fut déclarée autocéphale en dépit de protestations du patriarche de Constantinople42.
La relation des Principautés aux Russes, capitale, est occultée par un contrepoids
diplomatique oriente vers le soutien français. Cuza est contraint à l’abdication en 1866 par un
complot qui unit des conservateurs et des libéraux. Sa chute et l’accession au trône des
Principautés du prince Charles de Hohenzollern, candidat de la France et de la Prusse,
masquent l’enjeu géopolitique et culturel majeur : la Russie est la puissance montante dans
41
Michel Bertrand, Patrick Cabanel, La fabrique des nations. Figures de l’Etat-nation dans l’Europe du XIXe
siècle, Paris, Les Editions de Paris, 2003, p. 257.
42
Apostol Stan, Grupari si curente politice in Romania intre Unire si Independenta, Bucuresti, Editeur
Stiintifica si Enciclopedica, 1979, p. 88.

14
les Balkans contre la Porte. Si certaines élites roumaines considèrent que la tactique pour
l’avenir consiste à négocier avec l’empire déclinant et réformiste qu’est l’Empire Ottoman,
d’autres sont persuadées que la solidarité de chrétienté impose un rapprochement avec la
Russie, que l’européanisation de l’identité nationale est incompatible avec une alliance avec
les Turcs43. Le jeu des représentations opère autour de plusieurs représentations de l’Orient :
un Orient chrétien, et il est russe ; un Orient musulman, et il est turc ; un Orient latin et donc
occidentalise, et il est roumain. Cette forme de solidarité roumano-russe en dépit de la grande
cassure apportée par la lecture romantique de l’identité roumaine profondément antirusse, et
avec toute sa complexité due au fait que Bucarest protège des réseaux révolutionnaires anti-
ottomans que Saint-Pétersbourg entend contrôler, s’intègre dans une solidarité balkanique de
la Roumanie avec l’ensemble des chrétiens d’Orient : en 1868, un traite d’amitié est signe
avec la Serbie. Cette solidarité russe-balkanique est contredite par le discours idéologique des
dirigeants et des élites intellectuelles qui sont détermines à situer leur identité et leurs
programmes dans un champ de références occidentales44.
Une telle activité réformatrice heurtait assurément bien des intérêts. Une opposition
s’organisa autour des grands propriétaires, tandis que les libéraux étaient mécontents des
complications de la vie privée du prince qui, de plus, n’avait pas d’enfant pour lui succéder.
En février 1865, Cuza se brouilla avec Kogalniceanu qu’il renvoya. Les leaders des deux
partis se rapprochement pour le chasser du pouvoir. Ce fut la « monstrueuse coalition » qui
dépêcha Ion Bratianu à Paris consulter Napoléon III et rechercher un prince étranger ayant
l’agrément des puissances. Dans la nuit du 23 février 1866, un groupe de comploteurs et
d’officiers de la Garde pénétra dans la chambre du prince et l’obligea à signer son abdication.
Napoléon III les aide à trouver un successeur. Le choix d’un Hohenzollern est approuvé par
un vote triomphal et ce Carol Ier est proclame souverain en mai. On élabore un Constitution,
inspirée de celle de la Belgique, et ce changement est reconnu par Istanbul en octobre45.
Les contacts pris par Ion Bratianu à Paris auprès de Napoléon III et en Prusse
aboutissent à une proposition de candidature en faveur du jeune Charles, fils de Charles-
Antoine de Hohenzollern peut-il accepter une suzeraineté turque ? Bismarck propose une
démarche habile, suggérant au jeune homme de demander un simple conge de son régiment
de dragons. Qu’il tente l’aventure ; si elle échoue, l’expérience aura été intéressante. La
politique du coup de force assorti d’un légalisme de façade l’emporte : une proclamation

43
Gheorghe Cliveti, op. cit., p. 105.
44
Sophie Kerignard, 100 fiches d’histoire du XIXe siècle, Paris, Editeur Bréal, 2009, p. 55.
45
Benedetto Croce, Histoire de l’Europe au XIXe siècle, Paris, Editeur Gallimard, 1994, p. 188.

15
affichée annonce au peuple la candidature du prince avant même que ce dernier ait signifie
son accord. Un plébiscité est très rapidement organise d’où il résulte, selon Bratianu, que
« Cinq millions de Roumains acclament pour leur souverain, le prince Charles ». La Chambre
entérine le plébiscité.46
L’aventure commence par un voyage clandestin : Charles, officier prussien, doit en
effet traverser l’Autriche déguise en marchand. Arrive à Bazias, terminus des chemins de fer
de l’Etat autrichien, il s’embarque sur un vapeur qui le conduit à Orsova puis à Turnu-
Severin. Le récit des débuts de son règne a donné lieu à une abondante littérature historique :
souvenirs du prince notes par son secrétaire et publies en 1894 en Roumanie, études qui, du
cote français, insistent sur le rôle de Napoléon III dans le choix du candidat (le mazzinien
Bratianu est en relation avec la nièce de l’empereur, Mme Cornu). On se plait à souligner le
caractère idéal de cette candidature : Charles de Hohenzollern a une double ascendance :
française par sa mère, la princesse Joséphine, fille du grand-duc de Bade, Charles-Louis-
Fréderic, et de la grande-duchesse Stéphanie de Beauharnais, et prussienne par son père, le
prince Charles-Antoine de Hohenzollern47.
Il reste à Charles à découvrir les Principautés : il s’informe et reçoit a Düsseldorf
Bratianu et Davila, inspecteur général du service sanitaire roumain et ancien aide de camp du
prince Cuza. « Le docteur Davila montre au prince une carte représentant la Roumanie et les
pays voisins, la Transylvanie, le Banat, la Bucovine et la Bessarabie. Il explique que tous ces
pays sont habités en grande majorité par des Roumains et que, partant, ils devraient un jour
être incorpores aux Principautés roumaines. Mais le prince Charles ne veut pas entendre
parler de plans a perte de vue ; ces messieurs laissent au prince un grand nombre de livres et
de photographies destines à lui faire connaitre de plus près sa future principauté ».

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Université de Bourgogne, Dijon

La position de la France vers l'unification des Principautés roumaines dans


le milieu du XIXe siècle

Gherman Iustin (étudiant ERASMUS)


Master I, Histoire contemporaine

19

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