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RÉSUMÉ DE LA PIECE

Le Prince aime Silvia, sa sujette, qui aime Arlequin, le naïf paysan.


Les voici tous deux à la cour sur ordre du souverain. Séparés, ils sont l’objet de
toutes les attentions, de toutes les flatteries.
Mais ni les plus beaux présents, ni la promesse d’une fortune, ni même les lettres de
noblesse apportées en grande pompe à Arlequin ne les font renoncer à leur amour.
Comme le dit Silvia : «Une bourgeoise contente dans un petit village vaut mieux
qu’une princesse qui pleure dans un bel appartement. » Le Prince se désespère car
la loi lui interdit de faire violence aux filles de son royaume. Il lui faut donc gagner,
d’une manière ou d’une autre, le coeur de Silvia et persuader Arlequin de lui céder
sa fiancée. Flaminia, la confidente du Prince, se dit prête à relever ce défi et à «
détruire » l’amour des deux innocents.
Elle sait déjà que Silvia n’est pas restée insensible à un seigneur de la cour auquel
un jour elle a offert à boire, lors d’une chasse. La jeune fille ignore que ce
gentilhomme «qui est d’aussi bonne façon qu’on puisse être » est en réalité le Prince
lui-même.
Il ne reste plus à Flaminia qu’à s’occuper d’Arlequin, auquel elle raconte la mort
cruelle de son amant, qui, assure-t-elle ressemblait fort au villageois. Le crédule
garçon ne demande qu’à accorder foi à des propos si flatteurs. Et la rouée courtisane
se découvre un penchant inattendu pour ce « petit homme » dont la spontanéité
l’émerveille. Mais si le « naturel » d’Arlequin séduit Flaminia, il commence à déplaire
à Silvia, qui a revu le gentilhomme de la chasse, tout en continuant à ignorer son
identité. Piquée de voir son fiancé lui préférer le bon vin et les «friandes fricassées »,
elle sent faiblir sa passion, et avoue à Flaminia combien il lui semble difficile d’être
fidèle. Confidence pour confidence, cette dernière lui révèle son attirance pour
Arlequin, tout rustre qu’il soit. Le dénouement est proche : il suffira au Prince de se
faire reconnaître pour conquérir Silvia et à Flaminia de dévoiler ses sentiments à
Arlequin pour le détourner définitivement de son premier amour. Ce chassé-croisé
amoureux se conclut par deux mariages, scellant l’union des puissants avec leurs
sujets.

I - UNE PASTORALE DRAMATIQUE


Aux yeux du Prince et de sa confidente Flaminia, Arlequin et Silvia incarnent le rêve
d’un « naturel » dont le XVIII siècle éprouve la nostalgie. La comédie reprend les
thèmes d’un genre alors très à la mode, la pastorale dramatique, où les vertus
naïves de la vie champêtre étaient opposées aux artifices immoraux de la cour, afin
de dénoncer les fausses valeurs de la « civilisation >.
Les jeunes paysans représentent les deux facettes de ce naturel dont le Prince et sa
confidente ne se lassent pas de faire l’éloge. Silvia a la grâce ingénue et le charme
enfantin des paysannes idéalisées par Greuze, tandis qu’Arlequin est doté
d’une vitalité débordante, que manifeste son solide appétit, trait de caractère
constitutif du personnage. Pureté et sensualité s’opposent à l’univers des maîtres où
règnent la corruption et le caprice vite assouvi.

II- ÉTAT DE NATURE ET NATURE HUMAINE


Le pari des libertins
Paradoxalement, les maîtres ne pourront acquérir ce naturel qui les attire qu’en le
dégradant. La possession de Silvia pour le Prince et d’Arlequin pour Flaminia est
l’enjeu d’un véritable pari, qui ranime ces coeurs blasés. « C’est maintenant à moi de
tenter l’aventure », déclare Flaminia, lorsque, sa soeur ayant échoué à séduire
Arlequin, elle décide d’entrer elle-même en lice (I, 6). A l’innocence des deux
amants, les courtisans opposent un autre « naturel », celui des passions dont toute
âme est habitée. «Refuser ce qu’elle refuse — est-il dit à propos de Silvia qui
dédaigne de devenir la favorite du Prince —‘ cela n’est point naturel, ce n’est point là
une femme, voyez-vous, c’est quelque créature d’une espèce à nous inconnue... » (I,
2).

Le venin de la vanité
Par un reversement de perspective, « l’état de nature » des petits paysans apparaît
comme un « prodige » inhumain à ces mondains dont la stratégie consistera à
éveiller en Arlequin et Silvia ce second « naturel ». « Je connais mon sexe, décrète
Flaminia, il n’a rien de prodigieux que sa coquetterie [...] Silvia a un coeur, et par
conséquent de la vanité... » La machination ne réussira que trop bien : Silvia parée
de coûteuses parures et Arlequin bâtonnant ses laquais se montreront vite les dignes
émules de leurs maîtres. En instillant le venin de la vanité à leurs victimes, le Prince
et ses complices détruisent du même coup l’idéal qui les faisait rêver.

III - UNE ESTHÉTIQUE DU DOUBLE

Des êtres divisés


Comme l’indique son titre, La Double Inconstance développe deux intrigues
parallèles, celle de Silvia et du Prince, celle d’Arlequin et de Fiaminia. Chacun des
héros est lui-même double le coeur de Silvia oscille entre sa fidélité à Arlequin et son
attirance pour l’inconnu rencontré près du village, Arlequin s’insurge contre les
coutumes de la cour tout en se laissant gagner par le goût du pouvoir, Flaminia tente
de maîtriser le cours des événements, sans réussir à échapper au trouble qu’éveille
en elle < le petit homme », et le Prince, à son tour, hésite entre sa passion pour
Silvia et la pitié que suscite en lui Arlequin. Inconsciente chez les uns, aussitôt
analysée chez les autres, cette duplicité apparaît comme l’un des traits
fondamentaux du coeur humain selon Marri aux.

Un langage à double entente


Pour traduire cette psychologie, le dramaturge invente un langage original, qui lui
valut souvent les critiques de ses contemporains. Sous le discours de convention
perce la vérité du coeur, dont les personnages « innocents » demeurent long temps
inconscients. Arlequin et Silvia multiplient les répliques à double entente et les sous-
entendus. Au spectateur de décrypter ces figures ambigués. Le public est relayé sur
scène par les meneurs de jeu, Flaminia et le Prince, qui ne sont pas dupes et voient
clair dans l’âme des petits paysans (cf II, 1, la didascalie concernant Flaminia «
souriant en cachette », entendant Silvia parler du gentilhomme rencontré par hasard
pour regretter de n’avoir « pu l’aimer dans le fond »). De la lucidité à la manipulation,
il n’y a qu’un pas. En même temps qu’il est mis en position de deviner l’évolution des
sentiments d’Arlequin et de Silvia, le spectateur devient complice de la ruse des
aristocrates, et assiste aux efforts inutiles des héros pour y résister.

IV - UNE SATIRE SOCIALE DANS LA DOUBLE INCONSTANCE

La civilisation corruptrice
Avant de succomber aux attraits du luxe et des honneurs, Arlequin et Silvia en auront
fait avec virulence le procès. La Double inconstance est la première pièce de
Marivaux à contenir une critique sociale. Reprenant l’un des thèmes favoris du XVIII
siècle, celui de la civilisation corruptrice, le dramaturge s’y livre à une satire de
l’aristocratie, à travers les propos de deux jeunes paysans. Le réquisitoire de Silvia
contre l’hypocrisie courtisane évoque celui de La Bruyère dans ses Caractères (« De
la cour », 74; 1688). A la manière du moraliste, la jeune fille présente la cour comme
un étrange « pays », une contrée dont les moeurs vont au rebours du bon sens et de
l’honnêteté. Elle s’indigne que l’on puisse «tout naturellement et sans honte » lui
conseiller d’abandonner Arlequin et de manquer à sa parole. Il est vrai que dans «ce
maudit endroit-ci » le naturel a changé de sens, et n’a plus rien à voir avec « les
grâces naturelles » de Silvia, dont Flaminia fait l’éloge à la fin de cette scène (II, 1).

Le bon sens d’Arlequin


Aux séduisantes propositions de l’envoyé du Prince, Arlequin oppose lui aussi un
inébranlable bon sens. Que ferait-il de deux maisons, quand « il ne [lui] faut qu’une
chambre »? Qu’a-t-il besoin d’un somptueux équipage, quand il a deux jambes
solides pour le porter? Et il préfère cultiver son champ plutôt que l’amitié du Prince (I,
4 et II, 6). Plus sages que leurs maîtres, les subalternes connaissent le vrai prix des
choses et savent se contenter de l’essentiel. Leur refus obstiné des « honneurs »
(qu’Arlequin refuse de confondre avec «l’honneur », estimant que la noblesse morale
ne va pas «naturellement» de pair avec la noblesse sociale) fait vaciller l’univers des
puissants. Ceux-ci, pourtant, auront le dernier mot. Mais, si la résistance de Silvia et
d’Arlequin a été vaine, est-elle restée sans effets?

V - LA MORALE DU COEUR

Une double lecture


On peut voir dans la machination des libertins un noir complot contre l’innocence et
faire de La Double Inconstance une « pièce terrible », comme Anouilh dans La
Répétition ou l’Amour puni, où il met en scène des personnages en train de répéter
la comédie de Marivaux. Mais on peut aussi l’interpréter comme une parabole
optimiste, au-delà du simple conte de fées où les princes épousent les bergères.

Le prince idéal
Confronté à son souverain, Arlequin abandonne ses naïvetés, qui sont autant
d’insolences à peine déguisées (III, 5). Il se contente de réclamer justice, au nom de
l’égale dignité des êtres humains.
Voyez la belle occasion de montrer que la justice est pour tout le monde », dit-il à
son maître, qui ne peut que reconnaître le bien-fondé de cette revendication. Non
sans habileté, le subalterne présente à son supérieur un portrait idéal du bon prince,
soucieux du bonheur de ses sujets. Comment refuser d’incarner cette image
exemplaire?

Le triomphe de la sensibilité
Le Prince se rend et décide de renoncer à Silvia. Mais davantage qu’aux leçons de
morale, c’est au chagrin d’Arlequin que le gentilhomme se montre sensible. La
puissance du sentiment unit un instant le maître et le serviteur.
La bonté est contagieuse et Arlequin est touché à son tour par le désespoir de son
seigneur : « je suis tendre à la peine d’autrui, mais le Prince est tendre aussi »...
L’attendrissement réconcilie les deux rivaux et abolit la distance sociale. Cette
morale du cœur, qui parie sur la bonté « naturelle » de l’homme, est le fondement de
l’humanisme de Marivaux.

 Etant entendu que l’amour - le sentiment amoureux dans tous ses états - constitue le centre
d’intérêt primordial de Marivaux. Mais sa prédilection pour ce thème ne tient pas seulement
à son goût pour les jeux érotiques du langage (le fameux marivaudage...) ; il y a chez lui un
enjeu, en quelque sorte, politique de l’amour, qui donne à son théâtre une singulière
gravité : aimer, c’est se mettre sous la coupe de l’autre ; être aimé, c’est avoir tout pouvoir
sur l’autre, c’est le « posséder »... L’observation quasi-entomologique des mécanismes
secrets du désir, du sentiment amoureux et de son jeu de miroir narcissique, revêt donc la
plus grande importance stratégique pour Marivaux ; il s’y livre avec délice, inventant de
perverses intrigues, mettant en place un monde poétique étrange où le raffinement se mêle
à la trivialité, la mignardise à la cruauté, la bienveillance à une lucidité sans faille. De ces
points de vue là, La Double Inconstance est un chef-d’œuvre de cynisme tranquille ou de
cruauté souriante, puisque la croyance en l’amour, le mythe de la toute-puissance de
l’amour, s’y trouve battue en brèche par la volonté du pouvoir politique. Soit Arlequin et
Silvia qui s’aiment passionnément, qui se sont fait des serments définitifs ; soit encore le
Prince qui, amoureux de Silvia, va tout faire, “sans violence” et avec l’aide de quelques séides
habiles et dévoués, pour séparer les deux jeunes gens... Drôle d’histoire, drôle de
manipulation. Et drôle d’atmosphère paradoxale que celle de ce théâtre marivaudien, qui
semble suspendu dans un entre-deux onirique et qui, pourtant, met en scène avec une
confondante minutie le comportement d’êtres humains qui nous ressemblent étonnamment
dans leurs élans et leur naïveté comme dans leurs rodomontades et leurs insignes faiblesses.

René Loyon

Le Prince
C’est autour de son amour pour Silvia qu’oscille l’intrigue, qu’il a rencontrée lors d’une
partie de chasse alors qu’il s’était éloigné de sa troupe pour étancher sa soif. À sa vue, il fut
« enchanté de sa beauté et de sa simplicité », et tomba amoureux d’elle, mais ceci sous
l’identité d’un simple officier du palais.
Il est présenté comme un homme honnête, intègre et qui respecte les lois. Bien qu’il ait le
pouvoir sur Arlequin et qu’il puisse le forcer à lui abandonner Silvia, il ne le fait pas :«  la
loi… me défend d’user de violence contre qui que ce soit. » (Acte I, Scène 1). Il se différencie
donc des autres rois, empereurs ou princes tyranniques très souvent décrits dans les pièces de
théâtre.
Le Prince démontre également sa sensibilité et son côté humain lorsqu’il supplie Arlequin
de lui laisser la main de Silvia ; et c’est ce trait de caractère – qui pour certains apparaîtrait
comme une faiblesse – qui convainc Arlequin de céder finalement aux demandes du Prince.
Silvia
À l’origine elle n’est qu’une pauvre villageoise, mais lorsqu’elle devient l’objet de l’amour
du Prince qui la kidnappe, sa vie prend un tournant dramatique et elle devient le centre de
toutes les attentions. Bien qu’elle soit villageoise et que Lisette sans cesse la réduise à ce rang,
Silvia est une femme de principes, pourvue de valeurs morales. Elle est amoureuse
d’Arlequin, et entend bien maintenir cet amour pour lui, malgré les pressions exercées sur
elle. À Arlequin elle réitère son amour et son attachement, et à la Cour royale corrompue elle
réaffirme que rien ne la satisferait plus que son bien-aimé : « Quand il me donnerait toute la
boutique d’un mercier, cela ne me ferait pas tant de plaisir qu’un petit peloton qu’Arlequin
m’a donné. » (Acte II, Scène 1).
Elle se révolte contre la Cour du Prince qui tente de la forcer à l’aimer : « je ne veux qu’être
fâchée, vous haïr tous tant que vous êtes  » (Acte I, Scène 1).
Mais en se liant d’amitié avec Flaminia qui est de mèche avec le Prince dans son plan de
gagner le cœur de la paysanne, Silvia voit ses valeurs et ses pensées 
Arlequin
L’amant de Silvia est un homme modeste. Il ne se soucie « ni d’honneurs, ni de richesses,
ni de belles maisons, ni de magnificence, ni de crédit, ni d’équipages. » (Acte I, Scène 4). Ce
fort trait de caractère rend la tâche difficile à Trivelin qui essaie en vain de l’amadouer avec
les richesses du palais que le Prince serait prêt à lui offrir contre un renoncement à Silvia.
Aussi, Arlequin a la mentalité typique d’un paysan : tout ce dont il a besoin c’est son pain
quotidien, rien de plus. Le nécessaire prime sur tout, et au-delà tout devient superflu : « fait-
on autre chose dans sa maison que s’asseoir, prendre ses repas et se coucher ? Eh bien, avec
un bon lit, une bonne table, une douzaine de chaises de paille, ne suis-je pas bien meublé ?
N’ai-je pas toutes mes commodités ? ». Marivaux rajoute même quelque barbarie à son
personnage ; vers la fin de la neuvième scène du premier acte, Arlequin, qui ne supporte pas
d’être suivi par les valets envoyés par le Prince – forme d’« honneurs » qu’il honnit –, irrité,
se retourne et commence à frapper d’un bâton Trivelin, et par la suite les valets.
Flaminia
Fille d’un officier du palais, elle est également une des acolytes du Prince dans son
stratagème qui vise à séparer Silvia d’Arlequin. Elle démontre son manque de scrupules par
l’audace et l’enthousiasme qu’elle manifeste dans cette tâche : « ne songeons qu’à détruire
l’amour de Silvia pour Arlequin. » (Acte I, Scène 1). Et Flaminia est une partenaire efficace,
qui réussit où d’autres ont échoué. Car si Arlequin a su refuser de se faire corrompre par les
richesses offertes par Trivelin ou de se faire séduire par Lisette, il échoue à déjouer les
charmes de Flaminia. Femme pleine de malices, elle se présente à Arlequin comme une
bienfaitrice, en prétendant vouloir le voir uni à Silvia pour toujours. Et bien que le reste de
l’équipe (y compris le Prince) ne soit pas convaincu du plan de Flaminia, cette dernière reste
sur ses positions et impose son contrôle. Elle sait que gagner la confiance des deux amants lui
permettra de les influencer facilement. Et chose dite, chose faite. Par ses intrigues, elle
retourne Silvia contre les femmes du palais et gagne son amitié. Silvia lui révèle même son
amour secret pour un certain « officier du palais » ; et Flaminia ne tarde pas à l’encourager à
écouter et nourrir ces sentiments. Simultanément, elle tente de miner sa relation avec
Arlequin par de petites remarques :« Voulez-vous que je vous dise ? Vous me paraissez mal
assortis ensemble. Vous avez du goût, de l’esprit, l’air fin et distingué ; lui il a l’air pesant,
les manières grossières  ».
Trivelin
Officier du palais au service du Prince, il est le premier à être envoyé en mission pour
convaincre Arlequin de renoncer à son amour pour Silvia. Mais il échoue misérablement, de
même qu’il ne réussit pas non plus à persuader Silvia d’aimer le Prince. En ce qui la concerne,
il ne la considère d’ailleurs pas comme une femme, car il est inadmissible pour lui qu’elle
refuse tant de richesses par amour pour un seul homme, qui en plus n’est qu’un paysan : « il y
a quelque chose d’extraordinaire dans cette fille-là [...] cela n’est point naturel, ce n’est
point là une femme, voyez-vous, c’est quelque créature d’une espèce à nous
inconnue. »  (Acte I, Scène 1). Mais c’est cette obstination, cette éternelle fidélité de Silvia
envers l’objet de son amour qui rend le Prince encore plus amoureux d’elle.
Lisette
La sœur de Flaminia est décrite comme une fille à l’air « coquet », au geste « vif » et aux
yeux qui veulent « attendrir  ». C’est elle que Flaminia choisit pour essayer de séduire
Arlequin. C’est une fille de valeur, contrairement à sa sœur : « si je ne l’aime pas, je le
tromperai ; je suis fille d’honneur, et je m’en fais un scrupule. »  Mais Flaminia l’encourage
néanmoins à le séduire, car, dit-elle, épouser Arlequin et le séparer de Silvia ferait d’elle une
fille riche, une « grande dame  ».

AXES :
Amours éprouvés, amours retrouvés
La Double Inconstance est avant tout une comédie d’amour, ou mieux encore, d’« amours
éprouvées et retrouvées ». Silvia et Arlequin croyaient avoir connu l’amour véritable,
puisqu’ils avaient grandi ensemble dans le même village, s’étaient connus depuis déjà
longtemps et appréciaient la compagnie l’un de l’autre. Mais en réalité, cet amour – ou du
moins ce qu’ils pensaient que c’était – n’était qu’une illusion, une prison temporaire qui les
séparait de leur véritable destinée. Soumis à des conditions éprouvantes, leur amour ne survit
pas même les vingt-quatre heures que dure la pièce. Lorsque Silvia rencontre une fois de plus
le seul homme pour qui elle était réellement disposée à se séparer d’Arlequin, elle ressent –
cette fois – un amour différent, et bien plus réel que celui qu’elle ressentit jadis pour Arlequin.
Ensuite, il y a l’amour de Flaminia pour Arlequin. Cet amour est surprenant car Flaminia est
sans doute le seul personnage duquel on n’attendait pas l’expression d’une telle tendresse.
Dans la pièce, Flaminia est une femme intrigante et manipulatrice, qui fait preuve d’habileté,
de duplicité, et même de cynisme dans ses tentatives de séparer Arlequin de Silvia. C’est dans
ses élans de calculatrice qu’elle se décide à séduire – sans engager aucunement...

Le regard de Marivaux sur la royauté et la Cour


Dans La Double Inconstance, Marivaux présente deux aspects particuliers de la royauté :
Premièrement, le roi a, fondamentalement, tous les droits : « s’il le veut, il le peut ».
Marivaux montre ici le pouvoir octroyé aux personnes de descendance royale et leur emprise
sur le destin d’autrui, leur pouvoir d’utiliser cette emprise pour satisfaire leurs désirs. Et c’est
contre cette philosophie que Silvia se rebelle, car elle pense qu’en tant que personne, il est de
son droit de donner son accord à quelque décision que ce soit qui concerne son destin : « mais
point du tout, il m’aime, crac, il m’enlève, sans me demander si je le trouverai bon. [...]
Force-t-on les gens à recevoir des présents malgré eux ? » (Acte I, Scène 1).
Les courtisans, dont le Seigneur est une caricature, sont également pris pour cible par
Arlequin. Ce dernier ne perd pas une occasion de souligner leur hypocrisie : révérences,
« compliments » ou « témoignages d’estime » ne sont pour eux qu’un moyen de s’élever dans
la hiérarchie sociale, en obtenant les faveurs du souverain. Au cours de sa...

Dichotomie entre deux mondes


La pièce de théâtre La Double Inconstance nous présente deux mondes diamétralement
opposés : le monde royal et le monde paysan. En effet, l’époque voulait que riches et ceux
qu’on appellera prolétaires n’étaient pas destinés à se mélanger, mais le fait que le Roi lui-
même, en âge de se marier, choisisse son épouse parmi les paysannes – et ceci malgré la
surabondance de femmes enviables à la Cour – pousse à réévaluer ce contexte de
hiérarchisation très marquée entre les classes. Et c’est ce paradoxe, constitutif d’une sorte de
suspense, qui maintient l’attention du lecteur, désireux de savoir comment la pièce se
terminera : Silvia acceptera-t-elle d’épouser le Prince ? Arlequin cèdera-t-il à la corruption et
préfèrera-t-il l’amour des richesses à l’amour véritable ?
Marivaux fait une description délicate de ces deux mondes. D’une part, il présente le monde
paysan représenté par Silvia et Arlequin, et d’autre part le monde des privilégiés représenté
par tous les autres personnages. De leur style de vie à leur manière de penser, Marivaux fait
tout ressortir. Dans la vie des privilégiés par exemple, l’argent est au centre de tout, placé
avant l’amour. L’enthousiasme de Trivelin qui essaie d’« acheter » l’amour de Silvia à
Arlequin l’illustre bien. Similairement, Arlequin se sent insulté par ce manque de respect, et
rétorque : « Vous êtes un grand nigaud, mon ami, de faire entrer Silvia en comparaison avec
des...

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