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Études littéraires

Le rôle des revues littéraires et des maisons d'édition dans la


spécification de la (des) littérature(s) de l'Afrique
subsaharienne francophone
Josias Semujanga

Volume 24, numéro 2, automne 1991 Résumé de l'article


L'auteur propose une mise au point sur le champ de la littérature africaine
L’institution littéraire en Afrique subsaharienne francophone francophone dans une perspective sociohistorique, en montrant les liens
existant entre l'histoire littéraire et le processus de production des oeuvres. À
URI : https://id.erudit.org/iderudit/500970ar partir d'un aspect précis de l'institution littéraire, les revues et les maisons
DOI : https://doi.org/10.7202/500970ar d'édition, il considère la naissance, la reconnaissance et la consécration des
pratiques littéraires dans un cadre global de littérature négro-africaine, puis
dans un cadre régional et, finalement, comment ces pratiques littéraires sont
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en train de se constituer en littératures nationales.

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Département des littératures de l'Université Laval

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0014-214X (imprimé)
1708-9069 (numérique)

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Semujanga, J. (1991). Le rôle des revues littéraires et des maisons d'édition
dans la spécification de la (des) littérature(s) de l'Afrique subsaharienne
francophone. Études littéraires, 24(2), 99–112. https://doi.org/10.7202/500970ar

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LE ROLE DES REVUES


LITTÉRAIRES ET DES
MAISONS D'ÉDITION
DANS LA SPÉCIFICATION DE LA (DES)
LITTÉRATURE(S) DE L'AFRIQUE
SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE
Josias Semujanga

• Cet article propose une mise au point sur le crées comme littéraires dans un cadre régio-
champ de la littérature africaine francophone nal, et comment elles sont en train de se
dans une perspective sociohistorique. En ef- constituer en littératures nationales.
fet, l'histoire littéraire est coupée en plusieurs
1 La spécification d'un c h a m p litté-
périodes qui permettent de saisir le processus
raire, u n p h é n o m è n e sociohistorique
de la création des œuvres en regard de leur
contexte de production. Ainsi, nous nous in- L'histoire de la littérature africaine est en
terrogerons sur le processus de l'autonomisation soi une recherche de l'autonomie et de la
et de la légitimation du champ littéraire en légitimité du littéraire par rapport à d'autres
Afrique francophone au sud du Sahara. À par- activités intellectuelles. En conséquence, s'in-
tir d'un aspect précis de l'institution littéraire, terroger sur l'histoire littéraire africaine équi-
les revues et les maisons d'édition, nous étu- vaut à s'interroger sur la spécificité de son
dierons la naissance des pratiques littéraires champ, c'est-à-dire analyser le double aspect
dans cette région de l'Afrique, à savoir com- de son autonomisation et de sa légitimation.
ment ces pratiques sont reconnues et consa- Comme institution, la littérature consiste

Études Littéraires Volume 24 N° 2 Automne 1991


ÉTUDES LITTÉRAIRES 24 N° 2 AUTOMNE 1991

en une prise de distance à l'égard d'autres l'autonomisation de la littérature, par le pro-


instances sociales comme la politique, la reli- cessus de la circulation du livre.
gion et les idéologies diverses qui peuvent L'institution littéraire, en tant que système
légiférer en matière de biens symboliques et ouvert, fonde son unité sur le principe de la
dans l'affirmation d'une légitimité d'ordre es- déstructuration et de la restructuration : les
thétique. Néanmoins, la relation entre la litté- nouveaux textes s'insèrent dans le système en
rature et d'autres pratiques sociales est telle bousculant les anciens et en s'imposant comme
que la légitimité du littéraire est, toutes pro- des modèles esthétiques 1 . Dès lors, toute si-
portions gardées, contingente au reste de l'en- tuation littéraire apparaît comme un mouve-
semble selon une détermination sociohistorique. ment où les crises successives ont une fonc-
Cependant, il s'agit moins de chercher le re- tion structurante. C'est par une analyse
flet des conditions de production dans les sociocritique des revues littéraires que nous
textes littéraires africains que de souligner parviendrons (du moins nous l'espérons) à
l'action du social, à travers les institutions montrer quels éléments ont permis l'émergence
littéraires, dans le processus de production et l'éclosion de la littérature africaine en tant
des textes de création, c'est-à-dire chercher que champ spécifique, et à cerner sa probléma-
en quoi l'institution comme lieu de sanction et tique actuelle. Comment alors choisir un corpus
de consécration de textes occupe une fonc- qui répond de manière pertinente aux objec-
tion importante dans l'ensemble des champs tifs assignés à ce travail? Comment pouvons-
sociaux. La littérature en tant qu'institution nous établir la cohérence de ce corpus?
est ainsi pensée en rapport avec les autres La cohérence thématique se trouve dans la
champs sociaux. naissance et l'évolution du processus litté-
C'est à partir de tels critères d'historicité raire en Afrique au sud du Sahara, phénomène
que l'on peut expliquer comment des prati- sociohistorique longtemps étudié par la criti-
ques littéraires de l'Afrique au sud du Sahara que littéraire. Aussi avons-nous choisi les re-
se sont constituées, d'abord comme littéra- vues et les maisons d'édition qui ont une
ture africaine dans un cadre régional, ensuite portée régionale ou nationale dans la spécifi-
comme littératures nationales en s'émanci- cation des pratiques littéraires. Ensuite, au
pant d'autres pratiques sociales. Partout, la niveau des acteurs impliqués dans ce mouve-
critique et le marché du livre se sont dévelop- ment d'élaboration de l'institution littéraire,
pés grâce aux revues littéraires et aux maisons la cohésion sociale se trouve dans leurs activi-
d'édition dont les rapports étroits avec l'appa- tés et leur formation. Ils sont tous des intellec-
reil scolaire constituent le facteur décisif pour tuels et des universitaires ou des écrivains qui

1 Les travaux d'Edgar Morin sur la structuration des systc sociaux, notamment ses analyses sur la culture comme sous-
système, éclairent de façon intéressante les phénomènes qu'on rve dans le champ littéraire.

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font de la critique littéraire ou écrivent des cette manière une fonction autonomisante de
œuvres de fiction qu'ils publient dans ces la littérature en tant qu'institution, en impo-
revues ou chez ces éditeurs. Enfin, la cohésion sant ou en précisant les normes selon lesquel-
du corpus est assurée par son objet : tous ces les se fait la sélection des écrits qui sont pu-
textes parlent de littérature de façon générale, bliés au cours d'une période donnée de l'his-
même si certaines revues peuvent s'intéresser toire. Elles établissent une frontière entre les
à d'autres activités culturelles ou artistiques, textes littéraires et les textes non littéraires,
et même si les éditeurs ne publient pas unique- séparent le littéraire d'autres pratiques intel-
ment des textes de fiction ou de critique litté- lectuelles (économiques, politiques, religieu-
raire. ses ou morales). En somme, elles font partie
Si nous privilégions la période qui com- des instances de consécration des écrits de
mence au milieu des années i960, c'est pour création en textes littéraires.
des raisons historiques particulières. En effet, Pour élaborer une poétique nouvelle, ces
le mouvement de la Négritude, inspiré du revues se fondent sur les principes qui insti-
panafricanisme qui proposait une vision tuent les pratiques littéraires en littérature
globalisante de « l'espace nègre », perd régionale — en littérature africaine. Née dans
progressivement de l'influence après l'acces- un contexte social où la lutte pour la libéra-
sion des pays africains à l'indépendance. De tion de l'Afrique était le sociolecte dominant,
nouvelles structures étatiques postcoloniales la littérature africaine devait être militante et
engendrent des préoccupations sociales de engagée, et rendait compte ainsi de la lutte des
type nouveau. Dès lors, les institutions littérai- peuples africains pour la liberté et la dignité
res africaines prennent la marque du cachet humaine, droits fondamentaux dont le colo-
social. En quoi les revues littéraires et les nialisme les privait. Par ailleurs, en utilisant le
maisons d'édition ont-elles joué un rôle dans français, langue du colonisateur, ces textes
ce processus d'institutionnalisation du litté- font état de la dualité culturelle des sociétés
raire? Telle est la question fondamentale à africaines postcoloniales, phénomène irrécu-
laquelle cet article tentera de répondre. sable souligné par les historiens. En tant qu'ins-
titution, la littérature africaine se fonde donc
2 Le rôle des revues dans la spécifica- en réaction contre la littérature française. Quelles
tion du c h a m p littéraire e n Afrique sont alors les positions des revues et leur rôle
f r a n c o p h o n e subsaharienne dans la spécification du champ littéraire afri-
Le texte de revue littéraire est une produc- cain?
tion qui s'adresse aux spécialistes, soit pour Il importe de souligner que, toutes propor-
contester la légitimité culturelle dominante, tions gardées, ces revues s'inscrivent dans le
et faire admettre ainsi de nouvelles catégories processus commencé auparavant par le mou-
esthétiques, soit pour faire un constat de l'évolu- vement de la Négritude. En gros, les revues de
tion poétique. Les revues littéraires jouent de ce courant avaient le même programme : pro-

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mouvoir la littérature du monde noir. Si certai- pratiques culturelles; or, dans ces domaines,
nes de leurs préoccupations étaient d'ordre chaque État légifère selon des priorités politi-
politique, c'est que la situation coloniale les y ques d'ordre national. En conséquence, une
obligeait. Il paraît même aberrant de parler de littérature supranationale comme la littéra-
littérature nationale autonome dans un pays ture négro-africaine ne répond pas convena-
politiquement colonisé quand on connaît le blement aux structures politiques africaines
poids du politique dans la configuration des postcoloniales, le monde noir devenant trop
champs sociaux. hétérogène et trop composite pour servir de
Certes, l'histoire littéraire montre que la réfèrent collectif à toute œuvre de fiction. Des
Négritude a été un grand mouvement dont la littératures nationales devaient la remplacer
naissance et le rayonnement ont été facilités inévitablement.
parles revues d'avant-garde 2 ; cependant, mou- Ainsi, depuis quelques années, le débat sur
vement corporatiste par essence, il compor- l'existence des littératures nationales suscite
tait en lui-même les germes de sa contradic- de vives passions et provoque beaucoup de
tion. En effet, une littérature négro-africaine controverse dans le milieu de la recherche
qui englobe le monde noir à l'échelle de l'uni- africaniste, à un point tel que l'élaboration des
vers est un projet trop vaste et trop hétéroclite anthologies nationales a précédé le discours
pour être réalisable. La Négritude qui magnifie théorique sur les littératures nationales en Afrique
le mythe des origines du Noir, différent des subsaharienne. Alors que le consensus n'est
autres races, est un simple discours idéologique pas encore obtenu, les anthologies continuent
de nature identitaire. Il convient de souligner de tomber comme une nuée de sauterelles sur
que cette nostalgie de l'Eldorado négro-afri- l'Afrique littéraire. À la fin des années 1970,
cain est déjà dépassée depuis la génération des chaque pays semblait vouloir se doter de sa
années 1970. Dès lors, fonder une poétique littérature nationale. À cet égard, l'évolution
sur la notion de race relève plus de l'idéologie de la critique est significative. Les premières
politique et philosophique que de la littéra- générations d'intellectuels et d'écrivains afri-
ture en tant qu'expression esthétique d'un cains s'identifiaient, tantôt à l'ensemble du
imaginaire social. Si le texte est jugé d'après sa monde noir, tantôt à l'Afrique, tandis que les
rentabilité sociale, il faut convenir que c'est le nouvelles générations se définissent en tant
littéraire qui perd son autonomie au profit du qu'appartenant à un pays et non en termes de
non littéraire. continent 3 . En effet, personne ne pourrait affir-
Par ailleurs, l'institution littéraire se conso- mer sans risque de se contredire que l'imagi-
lide en s'appuyant sur l'appareil scolaire et les naire d'un écrivain zaïrois, sénégalais, camerounais

2 La Négritude en tant que mouvement avant-gardiste a été étudiée par de nombreux chercheurs mais, à notre avis, ce sont
surtout les travaux de Lilyan Kesteloot qui font convenablement le tour de la question.
3 Voir à ce propos Jacques Chevrier, « Écritures ethniques ou écriture tout court? », p. 18.

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ou malien embrasse la globalité de l'espace thode pour le chercheur. Le mérite d'une telle
africain. Grâce aux anthologies nationales existant approche, c'est qu'elle permet de réaliser une
dans de nombreux pays africains, on peut étu- étude plus ou moins exhaustive, en limitant
dier le processus de l'institutionnalisation du géographiquement son champ d'investigation.
littéraire dans tel ou tel pays en se basant sur la Comme la littérature se présente dans la confi-
nationalité des écrivains. En somme, « les litté- guration générale des biens symboliques comme
ratures nationales semblent résolument s'im- un fait socioculturel, son institutionnalisation
poser comme une réalité culturelle pertinente s'élabore dans le cadre de l'État-nation. Dans
et un état de fait si on s'en tient aux titres et à ce contexte, toute étude du processus litté-
la démarche adoptée par certains critiques raire procède plus par l'institution que par le
dans l'approche qu'ils font de l'activité litté- contenu référentiel des textes produits.
raire en Afrique francophone au sud du Sahara » Cette nationalisation des littératures africai-
(Vignonde, p. 91) et ce, malgré les divergen- nes est proportionnellement liée à l'accroisse-
ces qui persistent sur la notion même de litté- ment des publications et à l'intervention de la
rature nationale. politique éducative des États. De nouvelles
Le rythme des publications en Afrique fran- formes d'écriture apparaissent. C'est pourquoi
cophone est tel que, vers la fin des années les années 1970 ont vu la naissance d'autres
1970, il devient quasi impossible de faire le revues littéraires et artistiques dont le propos
tour de toutes les œuvres. L'approche globalisante s'écarte nettement des positions de la Négritude.
à l'échelle du continent s'avère dès lors de Afrique littéraire, Africa, Notre Librairie, Demain
moins en moins efficace. Or, sans recensement VAfrique, Peuples noirs-Peuples africains, pour
exhaustif de toutes les œuvres produites à un ne citer que celles-là, traitent de tous les sujets
moment donné, écrire l'historiographie litté- culturels dans les espaces négro-africains. Cel-
raire de l'Afrique semble impossible, et élabo- les qui se spécialisent dans la littérature se
rer une anthologie devient une gageure. Seul le préoccupent davantage de son processus
concept de littérature nationale semble opéra- d'autonomisation en regard des normes d'écri-
toire pour réaliser un tel travail. En effet, dans ture de l'institution française. Leurs anima-
ce foisonnement de publications, tout choix teurs considèrent que la création littéraire étant
de textes devient sujet à l'arbitraire. Dès lors, d'abord une créativité linguistique, il faut ré-
l'élaboration des anthologies selon les pays et soudre le problème de la norme pour que
la constitution de l'institution littéraire natio- naissent des littératures nationales authenti-
nale s'imposent comme une nécessité de mé- ques 4 . Les jeunes écrivains réclament à cor et à

4 À ce propos, Kourouma dénonce le style calqué sur le r iodèle français. Il a révolutionné avec succès la forme d'écriture
dans ses romans, notamment dans les Soleils des Indépendances Il est devenu depuis lors l'exemple du renouveau stylistique en
Afrique.

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cri, à travers les revues, une écriture qui ex- tionaux panafricains (Paris, 1956; Rome, 1959).
prime mieux les contradictions sociales de Pour ce qui concerne le fait littéraire lui-même,
l'Afrique postcoloniale. L'Afrique littéraire semble Présence africaine a publié de nombreux ar-
régler ses comptes avec elle-même et veut ticles sur la littérature africaine, soit sur son
balayer devant ses cases 5 . Pour notre étude, histoire, soit sur un écrivain et son oeuvre. En
nous avons analysé trois revues principales qui faisant connaître de cette façon des textes, des
semblent représentatives de l'ensemble : Pré- auteurs et en ouvrant des débats sur la critique
sence africaine, Notre Librairie et Afrique littéraire, Présence africaine est devenue un
littéraire. instrument efficace dans la promotion et la
La revue Présence africaine, fondée en 1949, spécification du littéraire en Afrique subsaha-
est incontournable dans l'histoire des lettres rienne. La revue a d'ailleurs connu un tel
africaines, d'autant plus qu'elle est la pre- rayonnement que les activités de son fonda-
mière revue du genre à paraître sur le conti- teur ont entraîné la création des éditions Pré-
nent noir. En 1955, elle commence à paraître sence africaine, dont la tâche fut d'éditer les
dans une série bilingue pour répondre aux ouvrages qui paraissaient sur l'Afrique et ce,
sollicitations de tous les Africains, tant franco- quel que soit le domaine : œuvres littéraires,
phones qu'anglophones. Toutefois, il faut no- études scientifiques, études politiques. Leur
ter que même si Alioune Diop, fondateur de la action a été déterminante, comme nous allons
revue, et ses amis ont essayé autant que possi- le voir ultérieurement.
ble d'accorder une place aux articles en an- En outre, il faut rappeler que le rayonne-
glais ou en portugais, Présence africaine est ment de Présence africaine est dû aussi à sa
destinée avant tout aux lecteurs francopho- double vocation régionale et locale, comme
nes. D'où le rôle particulièrement actif qu'elle bien d'autres revues littéraires africanistes.
a joué dans la promotion du livre dans les pays Publiée à Paris et à Dakar, la revue s'adresse
africains francophones au sud du Sahara. C'est autant à l'Afrique qu'au reste du monde noir
là d'ailleurs l'objectif de la revue : « encoura- (Caraïbes, Haïti, Mascareignes et Antilles).
ger les cultures nationales [...], leur activité Toutefois, la revue traverse pour le moment
constructive et la circulation des idées 6 ». une phase difficile, de telle sorte que d'autres
L'élite africaine : écrivains, intellectuels et revues littéraires plus dynamiques sont en
hommes politiques se sont exprimés dans les train de lui ravir la palme.
colonnes de cette revue. Elle a publié de nom- Avec ses quatre numéros par an, Notre Li-
breux actes de colloques sur les cultures afri- brairie est la revue littéraire africaniste dont
caines et elle a organisé des congrès interna- l'importance se fait de plus en plus sentir.

5 Voir Henri Lopes dans la préface de l'ouvrage collectif rédigé sous la direction de Laurent Mounier. D'intéressants travaux
y ont été publiés sur les fonctions politiques de l'écriture romanesque en Afrique centrale.
6 Note liminaire de Présence africaine, 1-2, p. 6.

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Certes, son champ d'étude est vaste, car en concept de littérature nationale suppose un
plus de l'Afrique subsaharienne, la revue promeut État-nation, le cas de l'Afrique devient
le livre dans l'océan Indien, au Maghreb et problématique. Un État multiethnique peut-il
dans les Caraïbes, mais ses réalisations sur la être considéré comme une nation dans le sens
littérature africaine d'expression française sont culturel et anthropologique du terme? Voilà,
notables. Publiée à Paris sous les auspices du entre autres, des interrogations importantes
gouvernement français, la revue n'est pas sans que Notre Librairie soulève régulièrement et
intention politique. On sait, en effet, que l'es- auxquelles les spécialistes tentent d'apporter
pace qu'elle couvre se situe dans la zone d'in- des éléments de réponse. Avec ses travaux
fluence de l'hégémonie culturelle et politique diversifiés et novateurs, Notre Librairie se
française. Malgré cette immixtion du politi- révèle une revue indispensable à la promotion
que dans le champ littéraire et malgré l'éten- des écrits en Afrique subsaharienne. Son ac-
due de l'espace visé, Notre Librairie est ac- tion dans le processus d'autonomisation et de
tuellement l'un des lieux où s'élaborent des spécification de la littérature africaine apparaît
travaux de qualité dans le domaine littéraire indéniable. Cependant, elle est loin d'être un
en Afrique subsaharienne. Ses réalisations sont cas isolé, car bien d'autres poursuivent des
nombreuses et diversifiées. Les articles de cri- objectifs similaires, notamment la revue Afrique
tique littéraire sont réguliers et avant-gardistes littéraire.
dans plusieurs domaines de la recherche africa- Afrique littéraire se définit comme étant
niste. Ainsi, sur le plan de l'histoire littéraire, une revue culturelle sur l'Afrique et le monde
des numéros spéciaux sur le phénomène de noir. L'espace visé, même s'il dépasse l'Afrique
périodisation s'avèrent d'une appréciable con- subsaharienne, est moins étendu que celui de
tribution 7 . D'autres ont été consacrés de façon Notre Librairie. Par contre la revue aborde
exhaustive aux débats actuels de la critique beaucoup d'aspects de la culture : la littéra-
africaniste sur la littérature nationale, délicate ture, les arts, l'histoire, les traditions, les spec-
notion dont l'idée remonte bien avant les indé- tacles et même le tourisme. Éditée à Paris et
pendances africaines 8 . Le chercheur y trouve couvrant tout « l'espace nègre », Afrique litté-
des analyses portant sur la problématique des raire se donnait une vocation régionale comme
littératures nationales, sur la langue, sur la jadis les revues de la Négritude. Ses multiples
notion de frontières nationales et sur l'épi- rubriques nuisaient à son unité; son programme
neuse question de l'identité nationale. Autant s'avérait trop vaste pour être réalisable. Elle
d'intéressantes questions, en effet, car si le opta pour la spécialisation dans le domaine

7 Notamment les numéros 78 et 79 (Cinq Ans de littératures africaines : 1979-1984), où toutes les questions relatives aux
publications, à la critique et à l'édition sont examinées.
8 Cette question a également été analysée dans Afrique littéraire, 83-85.

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littéraire, modifia son nom et changea de voca- posent les lecteurs. En somme, Afrique litté-
tion. Elle devint moins ambitieuse pour être raire a diversifié ses moyens de vulgarisation
efficace. L'Afrique littéraire et artistique se des textes littéraires africains.
transforma en Afrique littéraire. Depuis lors, Au bout du compte, on peut dire que les
elle se limite à l'Afrique subsaharienne et son trois revues présentent des similitudes sur
intervention devient locale par rapport à l'en- plusieurs plans. Leur action autonomisante
semble du monde noir visé antérieurement. passe par la recension des œuvres nouvellement
Dans le domaine littéraire, la revue publie des publiées. En révélant, de cette manière, les
travaux critiques, soit des recensions qui ren- qualités de ces écrits aux lecteurs, elles les
seignent sur la réception de textes nouvellement instituent textes littéraires. En outre, toutes
publiés, soit des textes sur l'histoire de la ces revues font un travail de réception, de
littérature africaine. Ainsi, dès son premier diffusion et de classification (histoire litté-
numéro, Afrique littéraire a attiré l'attention raire). Ce travail d'analyse textuelle s'accom-
des lecteurs sur les qualités du texte de Yambo pagne d'études sur l'histoire littéraire à tra-
Ouologem, le Devoir de violence, avant que vers la critique, dans le cadre desquelles sont
ce roman ne reçoive le PrixThéophraste-Renaudot; publiés des travaux spécialisés tels que les
plus tard, d'autres œuvres ont été analysées, congrès, les conférences et les colloques sur la
entre autres, les Soleils des Indépendances littérature africaine ou d'autres productions
d'Ahmadou Kourouma. culturelles d'Afrique subsaharienne. Ces re-
La revue publie des numéros spéciaux sur vues réalisent ainsi leur principal objectif qui
des questions de l'heure au sein de la critique est de soutenir et d'encourager l'expression
africaniste et sur des colloques organisés sur littéraire en Afrique subsaharienne. Dès lors,
un aspect de la recherche en littérature afri- leur action autonomisante et légitimante du
caine, notamment sur la place de cette littéra- littéraire semble indubitable.
ture dans le champ des études comparatistes 9 Si les revues littéraires ont joué un rôle de
— voir l'article de Pageard. Par ailleurs, la premier plan dans le processus d'autonomisation
revue a créé une rubrique spéciale où sont du champ littéraire africain, on ne saurait
publiés des textes courts dans tous les genres : oublier l'importance de l'appareil de l'édition.
nouvelle, épopée, théâtre et poésie (voir le Il faut souligner d'abord les rapports étroits
numéro 57). Enfin, dans des entrevues, des qui existent entre les maisons d'édition et les
écrivains invités à parler de leur écriture et de revues littéraires. En effet, les revues analy-
l'ensemble de leur oeuvre parviennent à ré- sées évoquent toutes, d'une façon ou d'une
pondre à de nombreuses questions que se autre, les activités des maisons d'édition et

9 À propos de la place des littératures africaines dans e champ comparatiste, Chevrier fournit dans « les Littératures
africaines » une critique très enrichissante qui montre les obstacle rencontrés jusqu'à maintenant et souligne les avenues à explorer
pour une recherche plus féconde.

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LE RÔLE DES REVUES LITTÉRAIRES ET DES MAISONS D'ÉDITION

soulignent ainsi leur importance dans la pro- mie s'engage entre le centre et la périphérie.
motion du livre. Le bilan des activités des Que peut-on attendre de la décennie 2000? La
éditions CEDA, effectué par la revue Afrique question reste ouverte.
littéraire, s'inscrit dans cette ligne 10 ; le dis-
3 Les m a i s o n s d'édition : contribution à
cours de l'éditeur s'avère par la suite une
l'émergence des littératures nationales
sanction positive de la revue. Notre Librairie,
à son tour, publie des titres d'ouvrages de Les maisons d'édition qui publient sur la
littérature sur l'Afrique, les Antilles et l'océan littérature subsaharienne sont nombreuses. Elles
Indien (le monde noir francophone) dans deux se répartissent généralement en deux catégo-
numéros spéciaux (64 et 94), où les maisons ries importantes. Certaines ont une dimension
d'édition et leur importance dans la publica- très large : elles visent, non seulement l'Afrique
tion des œuvres de fiction, de critique ou et le monde noir, mais aussi l'ensemble du
d'histoire littéraire sont aussi mentionnées. Tiers-Monde. Ce sont, notamment, les édi-
En somme, sans entrer plus avant dans les tions du Seuil, P.J. Oswald, L'Harmattan, Mas-
détails, les liens étroits qui existent entre les péro, Karthala et Hatier. Elles éditent à Paris et
revues littéraires et les maisons d'édition sont beaucoup d'écrivains africains y ont publié.
indéniables. Les deux institutions, à des échel- Elles sont pour la plupart des lieux de consé-
les différentes, ont le même objectif : promou- cration d'une carrière d'écrivain. Par ailleurs,
voir le livre en général et, de façon particu- il existe d'autres maisons installées à Paris qui
lière, les œuvres littéraires. Elles sont des lieux éditent exclusivement des textes africains, comme
sûrs de consécration des écrits de création en Silex, entre autres.
textes littéraires. Le rôle joué par les revues À côté de ce réseau éditorial parisien dont le
dans le processus d'autonomisation du litté- rôle régional dans la promotion du livre afri-
raire est incontestable. Cependant il faut no- cain n'est plus à démontrer, se trouvent dans
ter que, pour diverses raisons (économiques, beaucoup de villes africaines quelques mai-
politiques, etc.), les revues les plus prospères sons d'édition à tirage limité mais dont l'im-
sont installées à Paris et que certaines, telle portance dans la promotion du livre s'accroît
Notre Librairie, sont subventionnées par le avec la scolarisation de la population et le
gouvernement français. Autant dire que, sur le nombre de lecteurs. Il s'agit, entre autres, des
plan de l'institution littéraire, la littérature éditions CLE (Yaoundé), NEA (Abidjan, Dakar
africaine reste dépendante des appareils et Lomé), des Éditions Saint-Paul et des Édi-
institutionnels parisiens. Le combat de la litté- tions du Mont noir (Kinshasa). Les jeunes écri-
rature africaine francophone pour son autono- vains qui commencent leur carrière tirent pro-

10 Numéros 80-82, consacrés aux vingt-cinq ans des éditi< )ns CEDA à Abidjan. La même revue avait publié antérieurement
le bilan des vingt-cinq années d'activités des éditions CLE dans son numéro double 71-72; Philippe Decraene y soulignait notamment
l'impact de cette institution sur la promotion du livre en Afrique subsaharienne et surtout au Cameroun.

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fit de cet appareil éditorial pour publier leurs concurrence. Il est vrai que certaines maisons
oeuvres avec plus de facilité, avec pour consé- d'édition africaines telles que CLE, NEA, Saint-
quence la croissance rapide de la production Paul et bien d'autres ont le quasi-monopole
littéraire en Afrique depuis les années 1970. dans les pays où elles sont installées. Il reste
Par ailleurs, il faut souligner le rôle de pion- que même entre elles la collaboration est loin
nier que les éditions Présence africaine ont d'être facile. Ainsi, dans la politique éditoriale
joué au sein de l'institution littéraire africaine. initiale de CLE et de NEA, on avait prévu la
En effet, stimulé par le succès de la revue coédition des œuvres afin de couvrir adéqua-
Présence africaine, son fondateur Alioune Diop tement les deux grandes régions littéraires
a créé une maison d'édition qui porte le même africaines francophones, le Centre et l'Ouest.
nom que la revue et dont la tâche principale L'idylle n'a duré que quelques moments. Mais
fut d'éditer les ouvrages qui paraissaient sur la concurrence entre les maisons d'édition
l'Afrique, quel qu'en soit le domaine : africaines n'est pas la plus farouche, car les
petites maisons installées à Paris comme Karthala,
Le premier volume, la Philosophie bantoue du L'Harmattan ou Silex semblent être leurs vraies
R. P. Tempels, parut au premier semestre 1949. Il s'agis- rivales.
sait de la réédition d'un ouvrage paru en 1945 aux
éditions Lovania, à Élisabethville, mais dont la diffusion Pour combattre ce phénomène de concur-
avait été freinée par le clergé. Depuis lors, les Éditions rence, les maisons d'édition se spécialisent :
Présence africaine n'ont jamais cessé de s'enrichir la production augmente et les rubriques de
d'œuvres littéraires, autant que d'études scientifiques et
publication se diversifient au profit du fait
politiques (Kesteloot, p. 270).
littéraire. Ainsi, les éditions Silex, tout en con-
tinuant de publier comme les autres des œuvres
Les éditions Présence africaine continuent de
de création en général, ont une prédilection
répondre aux besoins des écrivains malgré la
pour la poésie. La multiplication des collec-
concurrence de plus en plus grande d'autres
tions, à laquelle on assiste autour des années
maisons installées en Afrique ou à Paris. Leurs
1980 chez presque tous les éditeurs, permet
prises de position dans le débat culturel sur
aussi de diffuser plus facilement le livre en
l'Afrique et le monde noir en général, leurs
Afrique. Ainsi, des collections à but didacti-
publications d'œuvres de création et d'ouvra-
que se développent avec une réussite inégalée
ges de critique ou d'histoire littéraire en font
chez Saint-Paul, qui a publié beaucoup de
la pierre angulaire dans la construction et
textes africains dans sa célèbre collection « Com-
l'édification du champ littéraire africain. Elles
prendre les classiques africains » depuis 1964,
sont de ce fait l'exemple typique de la
avec une production accrue durant les années
complémentarité des objectifs de deux insti-
1980. D'autres éditeurs ont emboîté le pas :
tutions littéraires : l'édition et les revues.
Silex, avec sa collection « A », Présence afri-
Certes, le réseau de l'édition n'est pas très
caine avec « Approches », Nathan avec ses « Clas-
étendu, compte tenu des dimensions de l'es-
siques du monde noir » et bien d'autres —
pace africain; il connaît cependant une vive

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LE RÔLE DES REVUES ET DES MAISONS D'ÉDITION

autant de collections à portée didactique. En Sur le plan externe, le politique et le litté-


relevant la qualité des œuvres publiées et étu- raire entretiennent des rapports étroits dans
diées selon les méthodes d'analyse textuelle, chaque État-nation. En effet, le politique en
les responsables des collections font un travail tant qu'appareil d'organisation des structures
de vulgarisation des classiques africains, sur- sociales permet au champ littéraire d'accroî-
tout auprès des jeunes lecteurs. L'appareil de tre son autonomie. Ainsi, la politique éduca-
l'édition mis au service de l'enseignement permet tive qui inscrit au programme d'enseignement
ainsi à la littérature africaine d'atteindre son les textes littéraires nationaux permet à l'ins-
troisième niveau d'autonomisation, en la cons- titution littéraire d'atteindre son troisième degré
tituant objet de savoir dans les collèges, les d'autonomisation, c'est-à-dire de constituer la
lycées et les universités 11 . littérature en objet de savoir. L'appareil édito-
rial a une fonction de vulgarisation et de diffu-
Conclusion
sion des textes littéraires par le canal des
Le processus historique d'autonomisation manuels scolaires et des anthologies. Les re-
et de spécification de la littérature africaine a vues, par la mise à jour des catalogues et par
été long. Les revues et les maisons d'édition y l'analyse des textes, sont des outils indispen-
ont joué un rôle de premier plan. Au terme de sables aux enseignants, aux bibliothécaires et
cette analyse, on constate que la littérature aux étudiants. Cette intervention du politique
africaine francophone en tant qu'institution dans le champ littéraire par le biais de l'appa-
existe et fonctionne de façon de plus en plus reil scolaire est un coup de pouce à la littéra-
autonome vis-à-vis de sa sœur aînée, la littéra- ture africaine.
ture négro-africaine. Bien qu'à des degrés hié- Mais si on considère le concept même d'une
rarchiques différents, il existe dans tous les littérature africaine, un problème majeur sur-
pays africains francophones des pratiques lit- git. En effet, le caractère régional que sous-
téraires en langue française, et l'autonomie du tend le terme de littérature africaine, comme
littéraire par rapport à d'autres pratiques so- expression de civilisations et de cultures afri-
ciales est de plus en plus marquée. Longtemps caines, s'oppose au discours nationaliste qui
associé au politique et à l'idéologique, le litté- prévaut dans chaque pays (État-nation) et dont
raire a mis du temps à créer son champ pro- chaque institution littéraire nationale porte
pre. La décennie 1970 a été le point culminant les marques. L'émergence de littératures na-
de ce processus; les tendances nouvelles le tionales à l'intérieur de ce champ constitué et
confirment. jadis reconnu comme homogène procède du

11 Le rapport entre les institutions scolaires et littéraires es tellement important que seule une œuvre inscrite au programme
est assurée d'être rééditée. Toutefois, avec l'impression de textes fricains en formats de grande diffusion tels que le Livre de Poche,
10/18, Monde noir (Hatier), la situation commence à changer. V >ir à ce propos l'article de Jean-Louis Joubert.

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ÉTUDES LITTÉRAIRES VOLUME 24 N" 2 AUTOMNE 1991

rapport entre le littéraire et le politique, dont res nationales; aussi, dans certains pays comme
le point de convergence est l'idéologie natio- le Sénégal, le Cameroun, le Zaïre, le Congo ou
naliste véhiculée par l'appareil scolaire. la Côte-d'Ivoire, l'institution littéraire devient
Par ailleurs, il faut remarquer que la littéra- de plus en plus autonome, assez pour qu'on
ture africaine reste encore tributaire des cir- puisse parler de littérature nationale : des maisons
cuits de l'édition française qui, grâce à ses d'édition, des anthologies, des revues et des
moyens économiques puissants, inonde de ses manifestes en sont autant de modes de promo-
productions tout l'espace francophone. Et le tion. Chaque pays vit une situation littéraire
moins que l'on puisse dire est que cette con- qui lui est propre et à laquelle il apporte des
currence parisienne met à l'épreuve les peti- réponses particulières, conformément à ses
tes maisons d'édition locales. L'autonomie des objectifs.
littératures africaines est aussi à ce prix 12 . Les revues littéraires ont joué un rôle de
Sur le plan interne, les tendances actuelles premier plan dans la constitution régionale du
sont caractérisées d'une part par l'émergence champ littéraire africain et dans le débat ac-
des littératures nationales, d'autre part par le tuel sur l'émergence des littératures nationa-
renouvellement et la diversification des thè- les. Les maisons d'édition, par l'augmentation
mes et la tendance accrue à l'universalité 13 . et la diversification des publications, ont réa-
L'écriture poétique ou romanesque adopte de lisé un objectif similaire. Néanmoins, il sem-
multiples formes et, par son style heurté, de- ble encore trop tôt pour affirmer de façon
vient un raccourci où « l'audace du langage ne définitive qu'il existe en Afrique subsaharienne
se distingue pas de la violence dans les situa- des littératures nationales autonomes de la
tions et les sentiments exprimés » (Brahimi- littérature africaine. Le palier régional est en
Chapuis, p. 7). Le concept de littérature afri- rapport étroit avec le palier national. Ils s'in-
caine a fait place à l'émergence des littératu- terpellent de telle sorte que si l'ensemble ne

12 Cette remarque est d'ailleurs valable pour toutes les littératures d'expression française produites en dehors de l'Hexagone.
Cependant les crises régulières des structures de l'édition africaine n'augurent rien de bon pour l'autonomie de cette institution
vitale. Comme la plupart des institutions sociales en Afrique, l'édition connaît de sérieux problèmes de gestion. Voir à ce propos
l'article de David Ndachi Tagne.
13 La tendance se confirme de plus en plus chez la jeune génération d'écrivains africains, qui aspirent à la reconnaissance
universelle. À travers son expérience personnelle de sujet écrivant, le romancier africain veut peindre la condition humaine au-delà
des peuples et des continents. Voir à ce propos la réponse de Sony Labou Tansi à la question de savoir si le comportement bizarre
de son héros dans les Yeux du volcan s'explique par ses origines africaines : « C'est un fou qui n'a pas de couleur. Africain ou
Européen, peu importe. Je crois d'ailleurs que nous devons commencer à réfléchir autrement. Jusqu'à présent, nous Africains, avons
été très archaïques. [... ] Les identités ne doivent pas devenir des handicaps. Moi je suis kongo, mais j'ai aussi une capacité d'ouverture
sur les autres, la capacité d'accepter les différences. Donc, mon savant n'a pas de couleur. Sa première préoccupation, c'est le travail
qu'il fait et non la couleur de sa peau ou la longueur de ses cheveux » (entrevue avec Sennen Andriamirado, p. 125).

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LE RÔLE DES REVUES LITTÉRAIRES ET DES MAISONS D'ÉDITION

trouve sa justification qu'à travers ses sous- texte, tout texte de création produit dans un
ensembles, le sens de ceux-ci ne se révèle espace national risque d'être consacré comme
profondément que dans l'historicité globale. texte littéraire, peu importent ses qualités
En somme, la volonté des États de se doter intrinsèques. On voit donc que les animateurs
d'institutions littéraires nationales, noble en de revues littéraires et les éditeurs régionaux
soi, n'est pas sans dangers, car la complai- ou nationaux ont de grandes responsabilités à
sance des jurys littéraires nationaux reste pos- remplir pour la promotion du livre en Afrique
sible : dans certains pays africains francopho- subsaharienne en général, et de façon particu-
nes au sud du Sahara, cette volonté est peut- lière là où ces institutions sont encore au stade
être inversement proportionnelle au volume embryonnaire.
national des publications. Dans un tel con-

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ÉTUDES LITTÉRAIRES VOLUME 24 N° 2 AUTOMNE 1991

Références

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