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1.

Une fenêtre, il faut regarder la fenêtre. Tourne la tête, scrute


ces points noirs qui bougent en rythme, partout, ils tournent au
milieu de s for m e s. La tête, elle to ur ne, le s murs, ils
s’effondrent, ferme les yeux, retourner dans cette illusion si
belle, j’étais une justicière, une vraie. Les murs tombent. Je
hurle, des liens retiennent mes mains, mes pieds, je me griffe,
mes ongles maculés de sang, je ris, je me lève. Journal maudit,
il doit brûler par le feu. Allumette, feu, journal, feu. Mes yeux se
ferment, une main me saisit puis ça fait clac et clac, la chambre
de l’hôpital psychiatrique. Des points verts remplis de désespoir,
et ça coule, l’eau, je dis :
« Folle pour toujours,
Là où règne l’amour
Aller sans retour
Dans l’horreur, elle finira ses vieux jours. »
Et puis je ris, pauvre folle que je suis.

Anna

2.

Je me réveille en sursaut, me redressant brusquement sur mon


lit. Je suis trempée de sueur et il me faut quelques secondes
pour reprendre mon souffle. Encore ces cauchemars, ces visions,
à la fois terrifiantes et familières. Depuis ma rencontre avec
Hugo, elles semblent de plus en plus présentes, de plus en plus
puissantes : dans sa maison de campagne, dans sa voiture, et
maintenant ici, dans un banal hôtel du centre de Marseille.
J’attrape les béquilles calées contre mon lit, et me lève
doucement. Dans la pénombre de la chambre, j’aperçois la
lumière du réveil digital : 5h15 du matin. Nous sommes censés
rencontrer le professeur à 9h, mais je sais que je ne me
rendormirai pas, trop envahie par un mélange d’impatience et
de terreur. Hier soir, lors de notre arrivée à l’hôtel, Catherine
avait contacté Hugo : des dizaines de policiers avaient envahi
Lourmarin, à la recherche d’un trentenaire et d’une adolescente
de seize ans...

Noam 

3.

Soudain, j’entends la sirène d’une voiture de police qui se


rapproche de plus en plus. Hugo me prend sur son dos. Nous
nous enfuyons par l’escalier de service. Dans l’arrière-cour,
nous montons dans un petit camion de livraison et nous nous
cachons derrière les cartons. Je reste silencieuse et calme car je
sais que je peux lui faire confiance. Avec soulagement, je
reconnais ta couverture dans ma poche, cher journal.
Au bout d’un certain temps, nous nous arrêtons. Ici, aux
Calanques, tout paraît calme. Sans un mot, Hugo me hisse sur son
dos et nous descendons vers la mer. Je serre mes béquilles et
profite de cette vue imprenable et sauvage. Au loin, quelques
dauphins sautent entre les vagues, comme pour me faire signe.
Le mistral frais me ramène à la réalité.
En bas de la falaise, un bateau nous attend. Nous montons à
bord, le moteur démarre.
Adieu Marseille !

 
Mira
4.

Je n’ai même pas eu le temps de profiter de la vue que notre


bateau s’apprête déjà à accoster. 
Ce fut un « Adieu Marseille ! » de courte durée. 
– L’endroit où nous allons se nomme la calanque de Sormiou,
m’explique Hugo, un chef-d’œuvre, une beauté de la nature". 
En chemin, nous sommes passés devant le Château d’If, et de
vagues souvenirs du Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas
me reviennent en mémoire. Je suis heureuse de voir qu’après
toutes ces aventures, je me souviens encore de ce livre, un chef-
d’œuvre lui aussi. Je suis d’autant plus heureuse actuellement,
cher journal, que je sens que ces aventures vont bientôt prendre
fin, et mes questions avec elles. 
Une fois à terre, Hugo m’a emmené dans une maison très jolie,
typique du sud de la France, avec un grand jardin. C’est dans
ce jardin qu’après quelques minutes, j’ai vu arriver le fameux
professeur. Il a posé un plateau à côté de lui, m’a servi de la
limonade, et ne m’a pas laissé le temps de me présenter : 
– Bonjour, Alice. Je vais être bref, nous n’avons pas beaucoup de
temps. Je suis désolé pour les épreuves que tu as traversées,
mais sache qu’elles n’avaient qu’un seul but : nous assurer que
l’antidote, que le regretté frère d’Hugo et moi-même avions mis
au point, fonctionne bel et bien. Et le test est concluant, grâce à
toi. Nous t’en avons déjà beaucoup demandé, mais nous avons
une dernière mission : tu dois ramener l’antidote qui se trouve
sur ce plateau à ton père.

Alexandre
5.

Je comprends que cette escale dans le sud prend fin. Je suis


déçue, j’avais l’impression d’être au paradis. A Paris, il fait
souvent gris. Hugo se lève et dit :
– Pas de temps à perdre, en route !
– Au revoir, professeur, merci pour cette limonade, dis-je en
rangeant précieusement l’antidote dans ma poche.
– Au revoir, et surtout, bonne chance à toi.
 
Nous traversons le jardin. Des petites fleurs dessinent des taches
violettes, rouges et jaunes sur le gazon vert. Nous montons dans
le bateau, l’eau de la mer est claire. Je ne peux pas m’empêcher
de plonger ma main dans l’eau fraîche. Après notre arrivée au
port, Hugo se dirige vers une grosse voiture noire garée sur le
côté. Il envoie un sms. La porte de la voiture se déverrouille.
C’est parti, direction Paris.
 
Hugo allume la radio. La voix du journaliste annonce que les
contrôles policiers aux péages sont terminés. Nous pouvons
circuler en toute liberté. Le journaliste enchaîne :  un homme
noir, George Floyd, a été tué aux États-Unis à cause de sa
couleur de peau. Moi qui croyais que le confinement planétaire
allait rendre les gens meilleurs. Je suis révoltée. 
J’aimerais tellement qu’on trouve un antidote contre toutes les
inégalités.

Tom

6.

Je cours dans les rues de Paris.


Hugo a dû me laisser un peu avant la Porte Maillot. Il ne
pouvait pas avancer plus loin ; les véhicules s’agglutinent à
nouveau sur le périphérique depuis la fin du confinement. Je
suis sortie de la voiture en lui glissant un rapide merci et je
suis partie.
Le président partira en début de soirée de l’Elysée pour visiter
le laboratoire qui a développé et testé le vaccin… Hugo n’a plus
dit un mot après l’annonce à la radio. Avant de me quitter il
m’a juste rappelé :
– Avant 20h. Sois-y avant 20h !
Il y a tant de monde, avenue des Champs-Élysées, que je dois
souvent marcher sur la chaussée pour passer. Il fait si chaud
que mes mains sont glissantes, moites. Au creux de ma paume la
fiole est toujours là, mais j’ai peur de la lâcher. Je la serre fort
et je continue à avancer.
19h45.
Rue du Colisée, je commence à voir les premiers militaires. Ils
sont immobiles en plein soleil, ils surveillent les passants. Il y
en a plus encore rue du Faubourg Saint-Honoré. Je pile net
devant l’Elysée et je demande à entrer. On m’arrête. Ils partent
demander. Tout est trop lent. Beaucoup trop lent.
19h55.
Soudain je le vois, devant moi, à quelques dizaines de mètres.
Habillé dans son costume bleu marine habituel, il dévale les
escaliers et s’apprête à s’installer dans une voiture noire garée
au milieu de l'allée quand je lui hurle de s’arrêter. Un garde se
lance à ma poursuite. En deux pas, il m’agrippe et me plaque au
sol. Ma respiration est coupée et je ne vois plus rien, la tête
contre le gravier. Quelques secondes plus tard, une voix
ordonne sèchement :
– Lâchez-la !
Mon père est là. Il me prend à part et je commence à parler
avant qu’il n’ait le temps de m’arrêter. Je lui raconte tout  : les
missions, l’Organisation, Chloé, Hugo… et l’antidote. Je reprends
mon souffle et le regarde enfin. Il ne prend pas la fiole que je
lui tends. Il me fixe, effrayé et dit simplement avant de se
détourner :
– Je ne t’ai jamais rien demandé.
Quand je parviens enfin à répondre, sa portière a déjà claqué
et la voiture noire s’éloigne devant mes yeux. À travers la vitre
opaque je peux deviner l’expression de son visage.
Il ne me regarde pas.
Jeanne
7.

La voiture quitte la cour de l’Elysée. C’est bizarre, je n’entends


pas le son des pneus sur le gravier, ni le bruit des gyrophares
des motards qui ouvrent la route à la voiture de mon père. Le
cortège a l’air au ralenti. Les gardes me regardent, sans aucune
expression sur le visage. Ils sont neutres. Je n’ai plus de force
dans les jambes, je crois qu’elles flageolent. Je m’appuie contre
la grille du palais de mon père pour éviter de vaciller. 
Un mot inventé par Esther dans le dernier album de Riad Sattouf
me vient à l’esprit : la choquance. C’est exactement ça, je suis
sous le choc. Je marche lentement sur le Faubourg Saint-Honoré,
j’ai du mal à respirer avec mon masque, je sens les battements
de mon cœur dans mon cou. 
Je suis sidérée. Tous mes efforts n’ont servi à rien. Toutes les
missions de l’Organisation, Chloé, Hugo, l’antidote… La fiole est
toujours dans ma main, j’ai réussi à ne pas la lâcher. Je la
range précieusement dans ma poche. Mais que dois-je faire? Où
aller? Je suis déboussolée.
Un bus  klaxonne et me fait sursauter. Je retrouve mes esprits.
C’est le 69, le bus qui mène chez moi. Je vais retourner là où
tout a commencé, dans mon appartement du 11e arrondissement.
Je saute dans le bus, j’aimerais m’asseoir mais une place sur
deux est interdite à cause du Covid. Je me cale contre une
barre du bus avec mon pied pour éviter de la toucher avec la
main, et je regarde par la grande baie vitrée. Je traverse ma
ville que j’avais quittée déserte et paralysée.
Aujourd’hui tout Paris est sorti dans les rues, elle n’hiberne
plus. 

Malo
8.

Je me laisse bercer par les secousses du bus. Je me sens vide. Je


ne suis pas triste. Non. Je suis juste vidée de toute force, de
tout espoir. Mon regard est perdu. Je regarde sans vraiment les
voir les rues, les avenues, les gens heureux. J’aperçois mon reflet
dans la grande porte vitrée du bus. Je le fixe. Je me regarde
dans les yeux. Je n’ai plus confiance en ma mère, mon père m’a
ignorée, Chloé m’a trahie, j’ai perdu Hugo. Je me retrouve seule,
perdue dans cette histoire sans fin. Seule, avec une fiole dans
une poche et toi, mon cher journal, dans l’autre. Le bus s’arrête.
Je descends. Je marche dans la nuit claire. Le ciel, qui était
noir et étoilé dans le sud, est ici jaune et nuageux.
J’arrive devant mon immeuble. Je tape le code machinalement et
tente de pousser la porte… qui ne s’ouvre pas. Je me heurte au
bois poisseux. Ce contact me sort de mon état de zombie. Je
fronce les sourcils, retape les cinq chiffres que je connais par
cœur. La porte ne bouge pas. Bien sûr, je n’ai pas mes clés. J’ai
les larmes les yeux, je suis épuisée. Le code a dû changer. Où
pourrais-je aller ? Marion, une copine du collège, habite à deux
rues d’ici. Ce n’est pas mon amie la plus proche, mais elle a
quelque chose que les autres n’ont pas  : une mère journaliste
d’investigation.

A la semaine prochaine, mon cher Journal

Lola

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