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COMPOSITION DU RECUEIL
Il comporte trois parties qui s’intitulent, respectivement, Coups de pilons, édition originale
comprenant 17 poèmes ;Cinq poèmes [3] et enfin Poèmes retrouvés renfermant 21 pièces.
Ainsi, l’ensemble des poèmes du recueil de l’édition Présence Africaine, 1973 [4], s’élève à
43 et non pas à 30, comme le souligne SamuelAde Ojo, qui semble avoir travaillé sur le texte
de la deuxième édition de Présence Africaine [5] et non pas sur la troisième comme nous le
faisons, car le volume de l’ouvrage a lui-même changé : onpasse de 63 pages à 91 pages et on
a trois textes annexés au lieu d’un seul texte : une lettre très brève, exactement en huit lignes,
adressée à Alioune Diop et qui semble tronquée, un document enquatre pages intitulé
« Contribution au débat sur la poésie nationale : Autour des conditions d’une poésie nationale
chez les peuples noirs » et enfin un autre document en cinq pages qui porte le titre« Autour de
la réforme de l’enseignement en Guinée, texte paru dans Présence Africaine, n° XXIX
(décembre 1959 janvier 1960).
Nous tenterons ici de montrer à quel point l’unique recueil poétique de David Diop, Coups de
pilon, est à la fois un cri de révolte contre le colonialisme et contre ses méfaits multiples
(violence, assimilation, abâtardissement, aliénation, etc.) et une revendication du droit à la
différence à la « reconnaissance » par l’Autre ; bref, dans quelle mesure c’est de la poésie
militante, du moins engagée.
Le deuxième point de notre étude portera sur l’écriture poétique chez David Diop et sur la
place qu’occupe la mise en texte de l’action politique dans sa poésie. Nous soulignerons la
présence en filigrane des idées d’Aimé Césaire [2], l’influence de Jacques Roumain et
probablement celle de Claude Mc Kay. Nous mettrons en relief la dissidence du poète par
l’art poétique par rapport au monde colonial et ses valeurs.
1. COMPOSITION DU RECUEIL
Il comporte trois parties qui s’intitulent, respectivement, Coups de pilons, édition originale
comprenant 17 poèmes ; Cinq poèmes [3] et enfin Poèmes retrouvés renfermant 21 pièces.
Ainsi, l’ensemble des poèmes du recueil de l’édition Présence Africaine, 1973 [4], s’élève à
43 et non pas à 30, comme le souligne Samuel Ade Ojo, qui semble avoir travaillé sur le texte
de la deuxième édition de Présence Africaine [5] et non pas sur la troisième comme nous le
faisons, car le volume de l’ouvrage a lui-même changé : on passe de 63 pages à 91 pages et on
a trois textes annexés au lieu d’un seul texte : une lettre très brève, exactement en huit lignes,
adressée à Alioune Diop et qui semble tronquée, un document en quatre pages intitulé
« Contribution au débat sur la poésie nationale : Autour des conditions d’une poésie nationale
chez les peuples noirs » et enfin un autre document en cinq pages qui porte le titre « Autour
de la réforme de l’enseignement en Guinée, texte paru dans Présence Africaine, n° XXIX
(décembre 1959 janvier 1960).
L’adjectif « militant(e) » puis le substantif, nous dit Le Robert, viennent du verbe intransitif
« militer » qui veut dire « faire la guerre » et dont l’apparition remonte au XIIIe siècle. Au
XVIIe siècle sont nées les expressions figées « militer pour » ou « contre », c’est-à-dire
« constituer une raison, un argument pour ou contre » ; et ce n’est que plus tard, au début du
XIXe siècle, que les deux expressions lexicalisées ont fini par signifier respectivement « lutter
sans violence pour ou contre (une cause) ». Quant à l’adjectif et au substantif « militant », ils
commencent dès le XIXe siècle à indiquer une personne qui adhère à un parti politique ou à
un syndicat et qui agit sans violence.
En bref, nous retenons qu’un militant est quelqu’un qui prône l’action directe, active, qui
combat, qui lutte. Dans quelle mesure la poésie de David Diop peut-elle être considérée
comme une poésie militante ?
Qui est d’abord David Diop, plutôt l’homme que l’auteur de Coups de pilons [6] ? Samuel
Ade Ojo affirme que le poète devint « officiellement membre du Parti communiste une
dizaine d’années avant sa mort » [7] et tous ses biographes notent qu’il participait de manière
effective à l’action politique.
Ce poète a d’ailleurs souvent été comparé à Jacques Roumain (1907-1944), diplomate et
militant communiste et grand écrivain de la Renaissance haïtienne, auteur du roman
Gouverneurs de la Rosée et d’un recueil de poèmes [8], « les plus agressifs qu’ait jamais
écrits un poète noir » [9], qui « marqua fortement Césaire, Damas, David Diop [lui-même],
sans compter ses compatriotes » [10]. Comme le souligne S.A.Ojo, les critiques sont
unanimes sur le fait que David Diop est désigné dès la publication des premiers poèmes dans
la revue Présence Africaine en 1948 comme étant « un poète extrêmement militant » [11].
Dans sa lettre à Alioune Diop, D. Diop confie :
Il est donc clair que David Diop est un écrivain engagé au sens double du terme : sa poésie
met en scène ses convictions politiques et intellectuelles. Par ailleurs, comme il le laisse
entendre dans sa confidence à Alioune Diop, il est même prêt à sacrifier ses devoirs familiaux
au profit de ses convictions politiques. Dans sa communication intitulée « Autour de la
Réforme de l’Enseignement en Guinée » [13], il déclare que le régime colonial, « reposant sur
l’exploitation économique et la falsification historique », a toujours donné la priorité à ses
valeurs :
« Hypocrisie donc que de parler de symbiose de civilisations, de profits réciproques dans une
communauté dont les universités ignorent jusqu’aux noms de nos grands penseurs et passent
sous silence l’histoire de nos empires. Seuls peuvent s’en accommoder les tenants d’un
cosmopolitisme culturel habillé d’oripeaux exotiques » [14].
Senghor cite David Diop dans son Anthologie de poésie nègre et malgache et souligne, en
effet le caractère provocateur de la poésie de celui-ci en la qualifiant d’« expression violente
d’une conscience raciale aiguë » [15] dont « [/l’/] accent [est] âpre est rêche » et dont « [le]
ton [est] brutal et dur » [16].
Mais ce qui distingue la poésie de Diop de celle de Claude Mac Kay, c’est que Diop n’hésite
pas à répondre à la violence par la violence, ne serait- ce que par le lyrisme et la violence
verbale qui l’emportent chez lui sur le rationalisme.
Ce qui est certain, c’est que David Diop doit également beaucoup à Aimé Césaire. Il lui doit
jusqu’à la manière de percevoir le concept de civilisation lié à l’idée de progrès économique
et scientifique et de développement. Etant pour l’auteur un instrument de combat, la poésie
sert donc non seulement à expliquer l’origine du déchaînement des haines et des violences
entre les races noire et blanche mais aussi à fustiger toutes les formes d’injustice perpétrées
dans le monde. Il nous fait songer aussi à Jacques Roumain qui célèbre le nègre révolté,
l’Afrique, et tous les prolétaires et hommes libres du monde dans son recueil poétique Bois
d’ébène :
Douter, souffrir, haïr mais aussi être certain de l’avenir, espérer, aimer son prochain et
pousser son frère à retrouver son identité, à recouvrer son moi, à agir, à dire non quand il le
faut, à arracher sa liberté à l’Autre, voilà le rôle du poète tel que le montre sa poésie.
D. Diop est un écrivain engagé au double sens du terme : il écrit une poésie où il met en scène
ses convictions politiques et intellectuelles, participe mais aussi à l’action. Il est, comme il le
laisse entendre dans sa confidence à Alioune Diop, prêt à sacrifier sa famille pour ses valeurs,
et ses principes.
Dans le texte intitulé « Autour de la Réforme de l’Enseignement en Guinée », l’auteur déclare
que le régime colonial, « reposant sur l’exploitation économique et la falsification
historique » [22], a toujours donné la priorité à ses valeurs :
La révolte se traduit par le choix des thèmes, nostalgie, tentative de ressourcement, tout est
matière à réflexion, l’Afrique en tant que berceau de civilisation (Ghâna, Tombouctou,
Congo), les peuples africains (les bantous, les Soudanais, les Guinéens, les Togolais, etc.
(« Appel », p. 42), la femme, qu’elle soit mère, sœur, épouse ou bien aimée, chanteuse ou
danseuse, et l’homme noir, qu’il soit compagnon de route dans la lutte pour la libération de
l’Afrique, martyre, ou renégat, qu’il soit enfant ou adulte, nègre des bars, clochard ou héros
d’épopée (Chaka, etc.). Coups de pilons est un hommage rendu à tous les Africains et d’abord
à la femme africaine : belle, forte et féconde, un hommage à ces femmes que le système
colonial a transformées en victimes ou corrompues (« A ma mère », p. 9, « Souffre pauvre
nègre » p. 36), à ces femmes dignes d’être aimées (« Déclaration d’amour », p. 66).
Célébration du continent noir ou évocation de mauvais souvenirs, « les jours en lambeaux à
goût narcotique » (cf. « A ma mère »p.9 et « Afrique » p.23) ou satire de l’ « Afrique
écartelée », ou refus d’une image de soi fêlée (« Souffre pauvre nègre » et « Un blanc m’a
dit », « Le Renégat ») ou exhortation à la reconstruction d’une nouvelle Afrique : « Pour toi
nous referons Ghâna et Tombouctou » (« Nègre clochard »), etc.
Le poète se révèle un iconoclaste qui commence par inciter au refus de la soumission :
00[24]. Avant lui, Césaire a créé le terme de « négritude » en 1933, qui désigne l’« ensemble
des caractères, des manières de penser, de sentir propres à la race noire » et « l’appartenance à
la race noire » [25], mais d’abord la volonté d’ « accepter », « la simple reconnaissance du fait
d’être noir et l’acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre
culture » [26]. Senghor en fait aussi toute une vision du monde, toute une philosophie [27].
David Diop, lui, va plus loin, il veut arracher à l ‘homme blanc cette reconnaissance ; il ne se
contente pas d’exiger la reconnaissance de l’homme noir lui-même, c’est-à-dire l’acceptation
de sa différence [28], mais rejette la civilisation occidentale qui le révolte par ses valeurs. Le
poème intitulé « Reconnaissance », qui fait partie des 21 Poèmes retrouvés, est un véritable
pastiche d’un fragment de Cahier d’un retour au pays natal de Césaire [29].
Le ton est d’un sarcasme singulier. C’est un véritable pamphlet :
La révolte, le refus de la culture de l’Autre, la haine que voue l’opprimé à l’oppresseur sont
tellement violents qu’ils prennent une tournure raciste. La dimension intertextuelle révèle, en
effet, l’attachement du poète à sa race et le mépris de la race blanche qu’il vomit. Autant, il
chante l’Afrique et ses valeurs (« Je sais », p. 60) autant il veut se défaire de l’image que lui a
inculquée le colonisateur :
Le souffle épique traverse certains poèmes, même lorsque le poète déclare le contraire :
Dans ce même poème, « Non » (p.52-53), le poète commence par donner le ton :
Ce qui est certain, c’est que David Diop tient beaucoup plus de Césaire que de Senghor, et sa
poésie se révèle une lutte acharnée contre le colonialisme et contre toutes les formes du
racisme. Cela ne veut pas dire que la poésie de Senghor n’est pas engagée ; au contraire, elle
est foncièrement engagée, mais elle est moins violente, plus pacifique, plus encline à
l’ouverture sur l’Autre, et la deuxième génération des écrivains négro-africains lui a souvent
reproché d’avoir accepté le compromis, d’avoir été même complaisant et inactif : « Un tigre
ne chante pas sa tigritude, il saute sur sa proie », disait ironiquement Wole Soyinka. Lilyan
Kesteloot a bien compris, comme Senghor d’ailleurs [32], que la poésie de David Diop est
« hyper engagée », si nous pouvons nous permettre l’expression :
« Reprenant les thèmes et parfois les mots de Jacques Roumain, David Diop s’inscrivit donc
dans une tradition non seulement engagée, mais militante jusqu’à la limite de la poésie, qu’il
dépassait parfois » [33].
Coups de pilon est un hymne à la liberté, un cri de révolte contre toutes les formes
d’oppression que subissait l’Afrique à l’époque coloniale. C’est aussi une célébration de la
lutte du peuple noir pour son indépendance politique et pour l’affirmation de son identité. La
réhabilitation de la race noire, de l’homme opprimé se fait d’abord par la revalorisation de la
culture négro-africaine et la remise en question des valeurs de l’envahisseur.
Comme beaucoup d’écrivains de la deuxième génération, David Diop va au-delà de la
célébration du continent noir et de la culture africaine. Il revendique l’indépendance et la
liberté de son peuple et accuse le colonisateur d’avoir commis tous les crimes et d’être à
l’origine de toutes les souffrances de son peuple. Il dénonce tous ses abus : exploitation des
richesses des Africains, injustice sociale et raciale qui va jusqu’à la provocation de guerres
intestines entre Africains, qu’à l’écrasement et à l’humiliation de l’homme noir, voire jusqu’à
sa dépossession et son aliénation [34]. Il conteste la sauvagerie qui porte.
Le poète s’indigne aussi contre le comportement de ses congénères. Il dénonce leur traîtrise et
leur compromission :
Loin d’être sadique, mais plein de rage contre les siens sans honneur il leur en veut d’être
inactifs et éternellement soumis, éternellement au service du colonisateur :
Ainsi, David Diop vomit une image qu’on a inculquée à l’Africain noir, une image que celui-
ci a lui-même fini par intérioriser, l’image du « sale nègre » :
Poésie du refus, le recueil de David Diop l’est sans conteste. Les titres des poèmes sont très
révélateurs à cet égard : « Témoignage » (p. 45), « Liberté » (p.46), « Où étiez-vous ? »,
« Non ! » (p.53), etc. Les vers ou groupes de vers, pour ne pas dire la ou les strophes, qui
expriment ce refus émergent du flot torrentiel de l’expression poétique :
Le refus prend aussi la forme d’une antiphrase (voir « Reconnaissance » p.57) et le poème se
pose alors, à la manière magistrale d’Aimé Césaire dans Cahier d’un retour au pays natal,
comme un véritable pamphlet à l’adresse de l’homme blanc. Dire non en utilisant la
rhétorique du Blanc, dire non en utilisant sa propre langue mais en faisant un usage
particulier, dire non en exprimant sa joie et sa détresse, raconter la perte et la récupération de
sa propre fierté devient un leitmotiv dans le recueil du poète sénégalais.
Refus de la soumission, mais militantisme et lutte sans trêve :
La plupart des poèmes s’achèvent d’ailleurs sur une note heureuse, sur l’espoir de retrouver sa
nature humaine :
C’est une poésie qui tire sa sève du passé lointain de l’Afrique, de ses souvenirs
millénaires [35], mais une poésie tournée vers l’Avenir. Le futur est là pour exprimer le désir
ardent, la volonté inébranlable de réaliser le rêve du peuple africain : la liberté et l’amour :
Le futur de l’indicatif ayant une valeur du présent cède la place au présent de ce mode pour
que l’événement futur soit vécu comme une réalité :
« Oyo ma négresse
...
Je chante et je te nomme
Par l’élan de ton corps délirant sur mes lèvres
Par Yandé par nos fils ciselant l’avenir
Par l’Afrique basculée à son de trompe panique
Et qui se rue vers l’aube tout espoir déployé
Oyo ma négresse
Je te nomme à musique délivrée
A musique enroulée aux lianes lumineuses de ta peau
Et tu verras comme
S’effacent les pas à portée d’abîmes
Tu verras ma négresse comme
S’émiettent dérisoires les marionnettes de l’ombre
Lorsque tout veut renaître à cœur à ventre d’homme » (Ton sourire » p.51).
Seuls cinq poèmes (« Démon », « Le Monde », « Pleure », « Tam-tam » « Canne blanche »)
de la dernière partie du recueil intitulée « Poèmes retrouvés » sont ponctués et un seul, le
dernier du recueil, intitulé « Déclaration d’amour » (p. 66), obéit aux normes de la poésie
classique même : composition en strophes, blancs, mètre, rimes et ponctuation. Mais ce qui
prévaut, c’est la transgression de la norme et, évidemment, le choix de la forme poétique dans
Coups de pilons est en soi un acte militant. L’auteur refuse toutes les normes poétiques
établies pendant des siècles dans la culture occidentale : métrique, rimes, strophes,
ponctuation, etc. Il utilise les mêmes procédés utilisés par le poète traditionnel (ellipse, la
comparaison, les répétitions, les rimes internes, l’anadiplose, etc.), mais il en fait un usage
particulier ou plutôt un dosage particulier ; pour nous limiter à ces deux derniers procédés, il
est à noter qu’ils sont très fréquents :
- Rimes internes :
« Le peuple que l’on traîne Traîne et promène et déchaîne [...] » (« Peuple noir », p.41),
- Anadiplose :
L’humour et la satire sous toutes ses formes sont également là pour neutraliser la cruauté du
colonisateur et lui prouver que le Noir est capable d’exorciser le sentiment d’infériorité qu’il
lui a inculqué durant des siècles.
Le refus s’exprime donc par le renouveau ou la réactivation de la forme poétique qui consiste
à contester ce qui est préétabli, précieusement conservé pendant des siècles et considéré
comme élément constitutif de la poéticité d’un texte même ; ainsi, allant dans le sillage des
grands poètes modernistes, dont Apollinaire, il n’utilise que très rarement la ponctuation (dans
« Cinq poèmes ») quant à la composition en strophes, elle n’est présente que dans quelques
poèmes : « Celui qui a tout perdu » p.34-35 ; « Non ! » p. 53 ; « Canne blanche » p.64-65 ;
« Déclaration d’Amour » p.66). Le poème se présente comme un seul bloc et seul le rythme
donne forme au sens en faisant ressortir les mouvements ascendants du poème, les pauses ou
les chutes. Le ton oratoire dans les poèmes à caractère épique et dans les chants (« Nègre
Clochard » pp.28-29, « Canne blanche » p.64-65 et « Non » p.53) est rendu par le style
périodique ou par l’utilisation du récit dialogué (« Tam-Tam » p.62-63). De même, on note
l’utilisation très fréquente de la conjonction « et » qui vient ponctuer le poème et lui donner
un caractère à la fois narratif et dramatique. Le poète commence par camper les personnages
dans un décor souvent changeant et les événements se succèdent suivant une atmosphère
tendue presque jusqu’à la fin du poème où le ton change brusquement et où l’on bascule du
dramatique dans l’euphorique. Le rythme africain que scandent les coups de tam-tam est là
dans la poésie de Diop. La répétition des mêmes événements mais avec des variantes, la
répétition anaphorique, si l’on se permet ce pléonasme, comme l’anadiplose et les refrains, la
répétition des sonorités (allitérations, assonances et rimes internes) qui assurent au poème sa
musicalité (« Les Vautours », « La Route véritable », « Les heures » « Ensemble »), la
variation du rythme, l’usage d’un lexique tantôt exotique tantôt familier au lecteur,
l’utilisation d’une onomastique et l’évocation d’une toponymie tantôt locale, tantôt
universellement connue, tout contribue à donner au poème un caractère original. C’est en fait
un métissage de deux cultures qui s’opère malgré l’intention subversive du poète : l’oralité
africaine et la modernité occidentale assimilée par le jeune poète des années 50-60 du XXe
siècle.
Les dédicaces (« A ma mère » p.9, « Aux mystificateurs », p.17, « A un enfant noir » p. 24) et
les adresses aux lecteurs désignés, très fréquentes, visent la complicité d’un large lectorat. En
fait, l’auteur oriente son public, le guide vers un port de salut.
CONCLUSION
Tel qu’il se présente, le recueil est l’expression d’une prise de conscience de l’Africain à une
époque historique bien déterminée. L’on s’achemine progressivement de la soumission de
l’Africain et de sa souffrance vers l’affirmation de son identité et vers l’appel à la révolte, à
l’action. Mais comme le soulignent Alain Rough et Gérard Clavreuil, on ne doit pas voir de
racisme dans la poésie de David Diop, car « le contexte politique explique la violence du
ton » [36], et Jean Paul Sartre avait bien raison d’écrire il y a un peu plus d’un demi siècle :
« Qu’est-ce que donc vous espériez, quand vous ôtiez le bâillon qui fermait ces bouches
noires ? » [37]. Opprimé, le Noir, comme tous les colonisés, puis parvenu à posséder la
langue de son oppresseur en fait une arme qu’il retourne efficacement contre lui. Au
Maghreb, Mohamed Khaïr-Eddine, et d’autres écrivains de sa génération livraient une guérilla
contre le système colonial. En Afrique et aux Antilles, l’écrivain use de la langue d’emprunt,
mais d’abord pour exprimer sa différence. Le réveil brutal de l’Africain coïncide avec une
sorte de renouveau soudain de la nature. David Diop, comme Aimé Césaire avant lui, révèle
la violence de son œuvre et sa volonté inébranlable.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Corpus
CESAIRE, Aimé, Cahier d’un retour au pays natal, Paris, Présence Africaine, 1983, (réédité
en 1988).
OUOLOGUEM, Yambo, Le Devoir de violence, Paris, Seuil, 1968.
DIOP, Cheikh Anta, Nations nègres et culture, (Préface à l’édition de 1955), Paris, Présence
Africaine, voir « De l’usage de l’aliénation culturelle ».
FANON, Frantz, Peau noire masques blancs, Paris, Seuil, 1952.
JOUBERT, Jean-Louis, La Poésie, Paris, Armand Colin, 1988.
KESTELOOT, Lilyan, Anthologie négro-africaine : La littérature de 1918 à 1981, Paris,
Marabout, 1967.
MIDIOHOUAN, Guy Ossito, L’idéologie dans la littérature négro-africaine d’expression
française, Paris, L’Harmattan, 1986.
NGAL, Georges, « Lire... » Le Discours sur le colonialisme, d’Aimé Césaire, Paris, Présence
Africaine, 1984.
OJO, Samuel Ade, « Coups de pilon : recueil de poèmes de David Diop », in Dictionnaire des
œuvres littéraires négro-africaines de langue française des origines à 1978, sous la direction
de Ambroise KOM, Canada, Québec, A.C.C.T. et Editions Naäman de Sherbrooke, 1983, p.
152-154.
l s’agit des œuvres complètes de M. David Mandessi Diop, poète de la négritude, farouche dé-
fenseur de la cause africaine (XXe siècle). Né en France, d’un père sénégalais et d’une mère
camerounaise, M. Diop faisait de ses poèmes de vraies armes de combat dans une période de
lutte contre le colonialisme européen. En 1956, il publiait dans la revue « Présence africaine »
un pamphlet intitulé « Autour des conditions d’une poésie nationale chez les peuples noirs »,
lequel devait servir plus tard de préface à son recueil de poèmes « Coups de pilon ». Dans ce
pamphlet, M. Diop décrivait la francophonie avec un pessimisme tragique, car tout succès des
littératures d’expression française lui semblait être un succès de « la colonisation qui, lors-
qu’elle ne parvient plus à maintenir ses sujets en esclavage, en fait des intellectuels do-
ciles aux modes littéraires occidentales » *. On saisit alors le déchirement de M. Diop qui,
privé de l’usage des langues africaines et coupé de ses terres ancestrales, était convaincu
qu’en écrivant dans une langue qui n’était pas celle de ses aïeux, il ne pouvait réellement tra-
duire le chant profond du continent africain :
En dehors des fameux vers que je viens de citer, devenus un hymne déclamé dans les classes
africaines, la poésie de M. Diop produit une impression inégale sur ceux qui la lisent. Sa
langue est tantôt pleine de justesse, tantôt sauvage, incorrecte, sans construction ; sa philoso-
phie engagée est nourrie de haine et de vengeance. C’est non sans raison que M. Léopold Sé-
dar Senghor lui reprocha son accent âpre et rêche, son ton brutal et dur, avant d’ajouter : «
Nous ne doutons pas qu’avec le temps David Diop n’aille s’humanisant » ***. Hélas ! ce
temps manqua à M. Diop qui resta, autant par ses convictions intérieures et ses angoisses pa-
triotiques que par sa mort prématurée, le plus courroucé de tous les poètes de la négritude. «
En choisissant d’intituler son recueil “Coups de pilon”, David Diop laissait deviner ses
intentions d’engager une polémique acharnée contre la civilisation occidentale », ex-
plique M. Sana Camara ****. « Adoptant la posture d’un polémiste, il déverse tout son
mépris du monde blanc à l’aide d’un langage acéré… Le choix rigoureux et l’expressi-
vité [des] métaphores nominales — “vautours”, “hyènes”, “bêtes”, “monstres”, etc.
— permettent de souligner la pertinence des accusations portées par David Diop [et]
nous rappellent ses intentions : “Que nous importe alors que son chant (celui du poète),
ample et dur, éclate en alexandrins ou en vers libres : pourvu qu’il crève les tympans de
ceux qui ne veulent pas l’entendre, et claque comme des coups de verge sur les égoïsmes
et les conformismes de l’ordre”. »