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INTRODUCTION

Dans la “Grande transformation” Karl Polanyi présente une analyse remarquable du caractère unique du
monde moderne ; d’après cet auteur c’est l’apparition du “système de marchés formateurs de prix”,
l’institutionnalisation du “marché autorégulateur” comme un mécanisme autonome qui impose des
contraintes spécifiques à tous les autres domaines d’activité humaine (comme le domaine religieux ou le
politique), qui caractérise le mieux la spécificité de la société contemporaine. Son travail est consacré à
étudier les origines de cette innovation institutionnelle. Polanyi signale que les marchés locaux et les marchés
de longue distance (les “marchés internationaux”) ont existé à différentes époques et dans différentes
sociétés, mais la création des marchés nationaux, corrélative de la construction des Etats libéraux, a engendré
une interdépendance entre les échanges marchands dans des lieux les plus différents et à différents moments
qui n’avait jamais été connue auparavant. C’est l’interdépendance entre les négociations réalisées dans une
multiplicité d’endroits qui fonde la conception du “marché autorégulateur” comme un système indépendant.
La création des économies nationales est ainsi un objet privilégié pour penser le travail de construction de
nouveaux liens sociaux caractéristiques de l’époque contemporaine.
La formation du Brésil est directement liée à la production de biens destinés aux marchés européens,
comme la culture de la canne à sucre depuis le XVIe siècle ; le rapport entre les marchés locaux et les
“marchés mondiaux” est constitutif de la nouvelle collectivité. Mais la construction d’une économie nationale
est bel et bien une oeuvre accomplie au XXe siècle, tout particulièrement après 1930. L’interdépendance entre
les activités économiques des différentes régions du territoire national date de l’implantation du parc
industriel dans le pays, processus qui a doté la collectivité nationale d’un dynamisme sans précédent. Une
véritable mutation s’est produite au XXe : en gros la population a été multipliée par 10 et le PIB par 100.
Entre 1930 et 1980 toutes les branches industrielles caractéristiques des pays européens et des Etats-Unis ont
été implantées et le sort de chacune est strictement lié au destin de toutes les autres ; l’Etat a joué un rôle
majeur pour assurer la coordination des investissements pour donner existence à des entreprises les plus
diverses. Les changements en profondeur ne sont pas limités au seul domaine de l’économie : la création des
universités, la construction d’un système d’enseignement unifié pour tout le pays, l’implantation du marché
éditorial, la création du système de moyens modernes de communication (radio, télévision, téléphone, etc.)
sont autant d’exemples des transformations qui ont atteint le domaine de l’éducation et de la culture et qui
contribuent à la compréhension de l’essor de la croyance dans “l’émergence d’une culture authentiquement
nationale”. C’est également après 1930 que se constitue un espace public sur des bases proprement
nationales.
La réflexion sur ces processus qui ont bouleversé la société brésilienne sera l’objet de différents ateliers
qui réuniront des scientifiques brésiliens et français pendant la Semaine Brésil 2000, organisée par un
ensemble d’institutions de recherche des deux pays sous la coordination de la Maison des Sciences de
l’Homme et le haut patronage des Ministères de l’Education Nationale et de la Recherche des deux pays, qui
se réalisera du 16 au 20 octobre au Carré des Sciences à Paris. Ce numéro des Cahiers du Brésil
Contemporain vise à apporter des subsides à l’ensemble de ces débats ; il présente des séries statistiques qui
essayent de couvrir, dans la mesure de nos possibilités, l’ensemble du XXe siècle et doit contribuer à la
réflexion sur les principales transformations morphologiques. L’idée de ce numéro revient à Ignacy Sachs ; la
conception, le recueil et la critique des informations sont le fruit du travail d’Afrânio Garcia, de Vassili
Rivron et de Patrick Bouvier. La mise en forme pour les Cahiers a été faite par Dominique Duchanel. Nous

Cahiers du Brésil Contemporain, 2000, n° 40


Brésil : le siècle des grandes transformations

tenons à remercier de leur précieuse contribution Ignacy Sachs (CRBC/EHESS) ; Hervé Théry (ENS) ; Odaci
Luís Coradini (UFRGS) ; Ana Maria de Almeida (UNICAMP) ; Gustavo Sorá (UERJ) ; Hélgio Trindade
(UFRGS) ; Márcio Garcia (PUC-RJ) ; Marcelo Motta Rezende (PUC-RJ) ; Marcelo Abreu (PUC-RJ) et Teresa
Cristina de Araujo (IBGE).
Nous avons pensé aussi à l’intérêt des doctorants de pouvoir disposer de données sur la longue période
pour mieux préciser le sujet étudié dans leurs thèses. Nous présenterons une version plus étendue des séries
publiées dans ces Cahiers sur notre site web (www.ehess.fr/crbc). Nous espérons que ce travail
d'objectivation des légats de l'histoire récente contribuera aussi à éclairer les conditions de possibilité des
différents avenirs inscrits dans le présent.

Afrânio GARCIA

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