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BEETHOVEN
PAR LUI-MÊME
Traduction de
SOFIANE BOUSSAHEL
Beethoven par lui-même est un florilège d’écrits de la main même du
compositeur, depuis la première lettre connue de Ludwig enfant disant son
amour de la musique, jusqu’aux dernières, rédigées juste avant sa mort,
dans lesquelles il implore des subsides pour se nourrir.
Composée d’extraits de lettres et nourrie des célèbres cahiers de
conversation (auxquels recourait Beethoven devenu sourd), cette
anthologie, réalisée et commentée par Nathalie Krafft, dessine une
passionnante autobiographie.
En pénétrant dans le plus intime de sa vie, elle redonne chair au musicien
sans doute le plus statufié de l’histoire, et fait apparaître un Beethoven
complexe, excessif, profondément humain, très drôle, et toujours génial.
La nouvelle traduction de Sofiane Boussahel apporte à ces textes une
saveur inédite.
ISBN : 978-2-283-03362-3
Avant-propos
Nathalie Krafft
1. Les premières mesures ont été utilisées par la BBC pendant la Seconde Guerre mondiale : trois
signes brefs et un long signifient en code morse le V de « victoire ».
2. L’Insoutenable Légèreté de l’être, Paris, Gallimard, 1984.
3. Ibid.
Chapitre 1
Lignage
Beethoven
Beethoven
Humeurs
Mais dès que quelqu’un a un souci autour de lui, il est présent, toutes
affaires cessantes. À la princesse Joséphine de Liechenstein, il recommande
« le pauvre Ries, mon élève, contraint dans cette malheureuse guerre de
prendre le mousquet à l’épaule, et qui ne possède rien, absolument rien ». Il
soutient régulièrement une institution en faveur des indigents de Graz, ainsi
que la fille de Jean-Sébastien Bach, encore vivante et dans le besoin.
«UN SANG CHAUD, VOILÀ MON TORT »
Beethoven s’inspire de la pièce de théâtre Don Carlos de Schiller pour
évoquer les « bouillonnements qui l’assaillent ».
À A. Vocke 1
Vienne, le 22 mai 1793
Symboliquement
Faire le bien,
lorsque l’on peut
par-dessus tout
aimer la liberté,
ne jamais renier la vérité
fût-ce devant un trône.
Continuez aussi
de temps en temps à penser
à votre ami
dévoué,
« AU BÉNÉFICE DE LA FILLE DE
BACH »
Beethoven cherche à venir en aide à la plus jeune fille de Bach, encore
en vie et sans ressources.
Est-ce donc vrai ? es-tu ici ? — effroyable ami, qui ne tient pas parole,
indigne de ma confiance, traître, inconscient ! tu serais mon ami ? — si
j’avais suivi mon cœur, je me serais précipité chez toi en dépit de toute la
rancœur et de la colère qui se déchaînent en moi contre toi — mais non —
il faut apprendre à se maîtriser, car vous autres sans cœur ne faites que rire
de nous — tu n’as même pas montré ton respect pour le nom d’auteur, ma
dédicace est restée sans réponse de ta part — je t’attends demain matin
devant le tribunal sévère de l’amitié ; tout baron, tout émissaire secret ou
Dieu sait quoi encore, que tu sois — je ne suis purement et simplement rien
de moins et guère davantage que ton ami hautement furieux,
Beethoven
Il n’est certainement pas permis — d’être aussi amis que je croyais l’être
avec vous, et de demeurer si inamicalement l’un à côté de l’autre sans se
voir !!!!!!!! tout à vous [en français], écrivez-vous, eh toi, brasseur de vent,
me disais-je — non, non, cela est trop fort — j’aurai tout le loisir de vous
remercier 9 000 fois pour la peine que vous vous êtes donnée pour moi et de
vous rétribuer de 20 000 insultes le fait que vous soyez parti comme vous
êtes venu — ainsi, tout est illusion : amitié, royaume, empire — tout n’est
que brouillard que le moindre souffle de vent chasse pour lui donner une
autre forme !! —
Je partirai peut-être pour Teplitz, bien que ce ne soit pas sûr ; je pourrais
profiter de l’occasion pour faire entendre quelque chose aux Pragois ; qu’en
pensez-vous, à supposer que vous pensiez encore à mon sujet ?
[…]
En quoi puis-je vous servir avec mon art ? Dites-moi, préférez-vous que
je vous chante le soliloque d’un roi fuyard 8 ou bien le parjure d’un
usurpateur 9 — sinon le voisinage de deux amis qui ne se voient jamais —
dans l’espoir que nous entendions bientôt parler l’un de l’autre, car vous
êtes désormais si éloigné de moi, et cela est tellement plus facile que de se
trouver l’un à côté de l’autre.
Je suis votre éternellement à vous dévoué et respectueux ami,
Votre Beethoven
Beethoven
« BARBOUILLEUR DE SCRIBE ! »
Barbouilleur de scribe !
Pauvre imbécile !
Corrigez les erreurs que votre ignorance, votre exubérance, votre fatuité
et votre idiotie vous ont fait commettre, cela vaudra mieux que de vouloir
me donner des leçons, car c’est comme si la truie voulait instruire Minerve.
Beethoven
Il a été décidé dès hier, et ce même avant, de ne plus vous faire écrire
pour moi !
Vous 14 ferez l’honneur à Mozart et à Haydn de ne pas les mentionner.
Amours
« Aide-moi à chercher femme. Elle devra être belle, je ne puis rien aimer
qui ne soit beau, et susceptible d’émettre à mes harmonies un soupir. » Ce
vœu exprimé à son ami Ignaz von Gleichenstein en mars 1809 ne sera
jamais exaucé et toutes les amours vécues par Beethoven seront
contrariées : il se jetait dans la passion sans filet et donnait son cœur sans
compter. Si personne ne s’accorde sur le nombre de ses amoureuses, il ne
s’agit en rien du « mille e tre » du catalogue donjuanesque. Car c’est
toujours Beethoven qui souffre. Aveuglements suivis de prises de conscience
amères, demandes en mariage repoussées ou impossibles, espoirs bafoués,
tocades dans le meilleur des cas sont son lot. Reste la grande énigme :
l’immortelle bien-aimée.
Magdelena Willmann, originaire comme lui de Bonn et soprano, refuse
de lui donner sa main, avec ces mots : « si laid et à moitié fou 1 ! » Giulietta
Guicciardi, qui vient d’Italie, est son élève, elle a 17 ans et Beethoven lui
dédie la sonate « Au clair de lune ». Son amour est-il partagé ? Un temps,
peut-être, car elle lui offre un portrait qu’il gardera jusqu’à sa mort. Il écrit
à son ami Wegeler le 16 novembre 1801 : « Voilà que je retrouve plus de
plaisir à vivre. Celle qui accomplit cette métamorphose est une aimable,
une charmante jeune fille qui m’aime et que j’aime. Pour la première fois je
sens que le mariage pourrait me rendre heureux, mais elle n’est pas de mon
rang, je ne pourrai naturellement l’épouser. » Effectivement. Elle se marie
avec l’imprésario et compositeur de ballets Robert de Gallenberg, avec qui
elle avait une liaison tandis qu’elle flirtait avec Beethoven. Vingt ans plus
tard, le couple revient vivre à Vienne et cette nouvelle bouleverse
Beethoven. « J’étais bien aimé d’elle et plus que jamais son époux. Il était
pourtant plutôt son amant que moi », confie-t-il alors — en français — à
Anton Schindler (Cahiers de conversation).
Joséphine Deym, la deuxième des trois sœurs Brunsvik et aussi la cousine
de Giulietta Guicciardi, entretient d’étroites relations avec Beethoven après
la mort de son mari en 1804. Beethoven est très amoureux. ll lui fait la cour,
lui offre le lied « An die Hoffnung » (« À l’espérance ») op. 32 2, mais
contre tout espoir. À travers les lettres qu’il lui envoie, on assiste, heureux,
puis circonspect, puis désolé, au cours de cette romance qui finit, après
bien des péripéties, par une porte claquée au nez de Beethoven. En 1810,
elle épousera le baron de Stackelberg.
En 1810, c’est le père de Thérèse Malfatti, jeune aristocrate de 18 ans,
qui repousse la demande en mariage de Beethoven. Beethoven se sent
« précipité des régions de la plus haute extase dans une chute profonde ».
Très amoureux, il avait comparé sa situation à celle d’un esclave, « comme
Hercule jadis chez la reine Omphale 3 », écrit-il à son ami Nikolaus
Zmeskall. Thérèse Malfatti épousera le baron von Drosdick. Est-ce elle,
Thérèse, l’Élise de la Lettre ? Est-ce à son intention que Beethoven a écrit
la fameuse Bagatelle en la mineur ? Élise pourrait aussi être Élisabeth
Roeckel, une cantatrice allemande qui épousera le compositeur Hummel et
qui était la sœur de Joseph Roeckel, interprète à Vienne en 1806 du
Florestan de Fidelio.
Certaines femmes traversent son cœur sans le blesser, comme la
cantatrice Amalie Sebald à qui Beethoven envoie « un baiser qui soit
vraiment ardent, si personne ne nous voit 4 » ou bien Bettina Brentano.
Avec d’autres, il entretient des relations complexes, mi-amour mi-amitié,
comme avec Marie Erdödy et Marie Bigot, ou mi-frère mi-sœur comme avec
Thérèse Brunsvik, la sœur de Joséphine Deym, à qui il dédie la Sonate pour
piano n° 24 op. 78 nommée depuis « À Thérèse 5 ».
Et la grande énigme : l’identité de l’immortelle bien-aimée, la
destinataire à laquelle Beethoven adresse en 1812 une lettre enflammée qui
témoigne d’un amour semble-t-il partagé. Depuis deux siècles, les
conjectures vont bon train. L’hypothèse la plus récente (2016), émise par
Heinz Härtl, étant que la lettre n’aurait pas été écrite par Beethoven mais
par Bettina Brentano, cette amie fantasque du compositeur à qui l’on prête
déjà deux faux. Alors pourquoi pas trois, ou quatre ?
Chacun y va donc de ses certitudes étayées par de savantes
démonstrations : derrière l’immortelle bien-aimée se cacheraient ainsi
Giulietta Guicciardi (selon Anton Schindler, 1840), Thérèse Brunsvik (selon
Thayer, 1879), Amalie Sebald (selon Thomas-San-Galli, 1909), Joséphine
Deym (selon La Mara, 1920) et bien d’autres, plus fantaisistes.
Aujourd’hui, la plupart des beethovenologues s’accordent sur le nom
d’Antonie Brentano, épouse de Franz Brentano. Beethoven a écrit un trio
pour piano pour sa fille Maximiliane daté de quelques jours avant la
fameuse lettre. En 1816 il envoie son portrait à Antonie, à qui il dédie plus
tard les Variations « Diabelli ». Aucune « preuve » bien sûr dans ces faits,
et aucune preuve d’ailleurs, si ce n’est la présence simultanée d’Antonie et
de Ludwig en 1812 dans les mêmes lieux. Nous ne sommes pas donc pas à
l’abri d’une surprise.
LETTRES DE BEETHOVEN À JOSÉPHINE DEYM
Sœur de Thérèse et Franz, Joséphine Brunsvik, qui a épousé
le comte Deym à 19 ans, se retrouve veuve en 1804.
Beethoven en tombe amoureux.
[…] je n’ai pas été aussi diligent que j’aurais dû l’être — mais un chagrin
intérieur — m’avait longtemps — privé de mon énergie habituelle pendant
quelque temps lorsque le sentiment de l’amour pour vous, Joséphine
adorée, en moi commença à germer ; mon chagrin ne fit que croître — dès
que nous serons de nouveau réunis dans la quiétude, il faudra que je vous
entretienne de mon véritable tourment et du combat entre la vie et la mort
que j’ai mené contre moi-même pendant quelque temps. — Un événement
me fit longtemps douter de toute félicité de la vie ici-bas — la douleur est
maintenant moindre, j’ai gagné votre cœur ; ô, je sais certainement quelle
valeur je dois accorder à cela, mon activité se remettra à croître, et — je
vous en fais ici la promesse solennelle, d’ici peu je me tiendrai devant vous
plus digne de moi et de vous — ô, puissiez-vous tout de même mettre un
point d’honneur à faire naître — à augmenter — ma félicité grâce à votre
amour — ô, bien-aimée Joséphine, ce n’est pas l’inclination pour l’autre
sexe qui me pousse vers vous, mais vous uniquement, votre être dans son
entier avec toutes vos qualités particulières — ont fixé sur vous ma
considération — tous mes sentiments — toute ma capacité à ressentir
— lorsque je vins chez vous — j’étais fermement déterminé à ne pas laisser
germer en moi la moindre étincelle amoureuse, mais vous avez triomphé de
moi — si c’est cela que vous vouliez ? — ou ne vouliez point ?
— Joséphine pourrait sans doute répondre pour moi à cette question. —
Las, mon dieu, il y a tant de choses que j’aimerais encore vous dire
— comme je pense à vous — ce que je ressens pour vous — mais comme
cette langue est faible et misérable — la mienne tout au moins. —
Longtemps — longtemps — une éternité — doit durer notre amour — il
est si noble — si solidement fondé sur l’estime et l’amitié réciproques.
— Jusqu’à la grande ressemblance entre nous deux à tant d’égards, dans
nos façons de penser et ressentir — ô, vous me faites espérer que votre
cœur longtemps — pour moi battra — le mien ne pourra — s’arrêter —
pour vous de battre — que lorsqu’il — ne battra plus du tout — bien-aimée
J[oséphine].
Portez-vous bien. — J’espère cependant aussi — que vous trouverez un
peu de bonheur grâce à moi — je serais sinon — un égoïste.
D’elle —
d’elle, la seule aimée — pourquoi n’existe-t-il aucune langue qui puisse
exprimer ce qui se situe bien au-delà de la simple estime — bien au-dessus
de tout — ce qu’il nous est possible de nommer — ô, celui qui est capable
de parler de vous sans sentir que tout ce qu’il peut bien dire de vous — ne
peut vous — atteindre — seuls les sons le peuvent — Ah, ne suis-je pas
trop fier d’imaginer que les sons m’obéiraient davantage que les mots —
vous, vous, mon tout, ma félicité — Hélas, non — je ne le puis même pas
dans mes sons, bien que toi, ô Nature, tu aies été à cet égard envers moi si
peu avare de tes dons ; mais cela est encore trop peu pour vous. Continue de
battre en silence, pauvre cœur — c’est tout ce qu’il te reste à faire —. Pour
vous — toujours pour vous — seulement vous — vous pour l’éternité —
rien que vous jusqu’à la tombe — mon réconfort — mon tout ; ô, Créateur,
veille sur Elle — bénis ses jours — que le mal s’abatte plutôt sur moi
rien que vous — encourage, bénis et console-la — dans l’existence
misérable, malgré tout si remplie de félicité, de nous autres mortels — —
vous n’auriez point été celle qui m’a de nouveau enchaîné à la vie, même
sans cela, vous seriez tout pour moi —
Portez-vous bien, chère amie, je vous aime autant que vous ne m’aimez
pas.
Beethoven
Je me rends aujourd’hui de ce pas en ville — et pourrais presque remettre
ma lettre en main propre — si je ne craignais — que ma tentative pour vous
voir n’échoue pour la troisième fois.
« SOYEZ FRANCHE »
Beethoven
Vous recevez ici, Thérèse adorée, ce que je vous avais promis, et s’il n’y
avait eu les empêchements les plus insurmontables, vous auriez reçu plus
encore pour vous montrer que j’offre toujours à mes amis plus que ce que je
promets —
J’espère et ne doute point que vous vous livriez toujours à d’aussi belles
occupations qu’à d’agréables entretiens — pas trop cependant pour ce qui
est de ces derniers, afin que nous pensions encore à nous —
Ce serait avoir trop compté sur vous, ou m’être fait une trop haute
opinion de ma personne, si je vous écrivais que « les hommes ne sont pas
seulement unis lorsqu’ils sont rassemblés, celui qui se trouve éloigné, celui
qui se trouve écarté vit aussi en nous 8 ». Qui voudrait écrire pareils propos
à notre fugace T[hérèse] qui dans la vie prend tout à la légère ?
— N’oubliez pas cependant, pour ce qui regarde vos occupations, le piano
ou, plus généralement, la musique dans son entier ; vous y avez tant de beau
talent, pourquoi ne pas le cultiver tout à fait, vous qui avez tant de
sensibilité pour le Beau et le Bon, pourquoi ne pas appliquer cette
sensibilité afin de reconnaître aussi dans un si bel art ce qui se distingue par
sa perfection et, d’en haut, ne cesse de nous irradier — je vis dans une
grande solitude et dans le silence, bien qu’ici et là, des lueurs voudraient me
réveiller ; mais depuis que vous tous êtes partis de Vienne, s’est créé en moi
un vide impossible à combler dont mon art même, qui par ailleurs m’a
toujours été si fidèle, n’a pas réussi à triompher définitivement — votre
piano est commandé et vous l’aurez bientôt — Quelle différence, j’imagine,
vous trouverez dans le traitement du thème inventé un certain soir et la
manière dont je l’ai mis sur le papier récemment pour vous ; expliquez-vous
cela vous-même, mais ne demandez pas au punch de vous aider —
Comme vous avez de la chance d’avoir pu partir si tôt à la campagne ; je
ne peux moi-même profiter de ce bonheur qu’à partir du 8 ; je m’en réjouis
comme un enfant ; comme je suis heureux de pouvoir errer dans les
buissons, les forêts, parmi les arbres, les herbes et les rochers ; personne ne
saurait aimer la campagne comme moi — car forêts, arbres, rochers
renvoient l’écho désiré par l’homme — ayez la gentillesse de remettre à
votre chère sœur Nanette l’arrangement pour guitare de la mélodie ; le
temps m’a manqué, j’aurais sinon écrit aussi la partie de chant ! —
Vous recevrez bientôt quelques autres compositions de moi, où vous
n’aurez pas trop à vous plaindre des difficultés — avez-vous lu le Wilhelm
Meister de Goethe et le Shakespeare traduit par Schlegel ? À la campagne,
on a tant de loisirs, peut-être vous sera-t-il agréable que je vous envoie ces
ouvrages — Le hasard a fait que j’ai une connaissance dans la région, peut-
être me verrez-vous un matin tôt pour une demi-heure chez vous, guère
plus ; vous voyez que je veux vous ménager le moins d’ennui possible
— Recommandez-moi à la bienveillance de votre père, de votre mère, bien
que je ne puisse à juste titre encore avoir droit à aucune prétention à ce
sujet — n’oubliez pas votre sœur N. 9 —
Portez-vous bien, T[hérèse] adorée, je vous souhaite tout ce que la vie
possède de beau et de bon. Souvenez-vous de moi, et ce avec plaisir
— oubliez la folie en moi — soyez convaincue de ce que personne ne
désire savoir votre vie plus joyeuse et plus heureuse que moi, et ce même si
vous n’êtes aucunement en sympathie
avec votre très dévoué serviteur et ami,
Beethoven
À UNE FEMME INCONNUE
Retrouvée dans les papiers de Beethoven après sa mort,
la lettre à l’immortelle bien-aimée explose d’une passion
qui semble partagée. Mais par qui ?
Mon ange, mon tout, mon moi. — quelques mots seulement aujourd’hui,
au crayon d’ailleurs (ton crayon !) — après-demain, mon logement ne me
sera plus garanti, quelle infâme perte de temps que tout cela ! — pourquoi
ce chagrin profond, quand la nécessité parle — notre amour ne peut-il
exister autrement que dans les sacrifices, l’abandon de toute aspiration, ne
peux-tu rien changer au fait que tu n’es entièrement mienne et moi tout à
fait tien ? — Mon Dieu, porte ton regard sur la beauté de la Nature et apaise
ton âme au contact de ce qui doit être — l’amour exige tout et ce à très juste
raison ; il en va ainsi de moi avec toi, de toi avec moi — si tu n’oubliais si
vite que je dois vivre pour toi et pour moi, si nous étions complétement
unis, tu ne ressentirais alors guère plus que moi ce qui nous fait souffrir —
hier, mon voyage fut épouvantable, je ne suis arrivé ici qu’à quatre heures
du matin, en raison du manque de chevaux, la voiture postale a choisi un
autre trajet, mais quelle route affreuse ; à l’avant-dernière station, on m’a
mis en garde contre un voyage de nuit et on m’a fait craindre une forêt,
mais cela n’a fait que m’exciter — et j’ai eu tort, la voiture s’est cassée à
cause de cette horrible route, un mauvais chemin de campagne, et sans les
deux postillons comme ceux que j’avais, je serais resté en route.
— Esterházy a connu le même sort sur l’autre chemin habituel pour venir
jusqu’ici, avec huit chevaux, moi avec quatre. — D’une certaine façon, j’y
ai quand même pris un certain plaisir, comme chaque fois que je me tire
avec bonheur d’une difficulté. — Maintenant vite, passons de l’extérieur à
l’intérieur ; nous nous reverrons sans doute bientôt ; aujourd’hui non plus,
je ne puis partager avec toi les observations que j’ai faites pendant ces
quelques jours sur ma vie — si nos cœurs étaient toujours étroitement liés
l’un à l’autre, je n’aurais sans doute aucune de ces pensées ; ma poitrine est
pleine de tout ce que j’ai à te dire — Las ! — Il est des moments où je
trouve que la langue n’est encore à mon sens absolument rien — réjouis-
toi — demeure mon fidèle et unique trésor, sois mon tout comme je le suis
pour toi ; les dieux doivent nous envoyer le reste, quoi qu’il nous advienne
et doive encore nous advenir.
Tu souffres, toi, mon plus cher parmi tous les êtres — je viens seulement
maintenant de me rendre compte que je dois déposer mes lettres à la poste
le plus tôt possible. Lundi — jeudi — les seuls jours où la poste se rend
d’ici à K. — Tu souffres — Ah, où que je sois, tu y es avec moi, je me parle
à moi-même et je te parle ; je fais en sorte de pouvoir vivre avec toi, quelle
vie !!!! cette vie !!!! sans toi — tourmenté par moments par la bonté des
hommes que je pense — vouloir désirer aussi peu que je la mérite
— humilité de l’homme à l’égard de l’homme — elle m’est douloureuse
— et quand je considère ce qui me lie à l’Univers, ce que je suis et ce
qu’est — celui qu’on nomme le Très Grand — et pourtant — c’est ici
encore le divin en l’homme — je pleure en pensant que tu ne recevras
probablement ce premier message de moi qu’à partir de samedi — aussi
fort que tu m’aimes — mais je t’aime encore plus — ne te cache jamais de
moi — bonne nuit — comme je fais la cure des bains, je dois aller me
coucher — Oh, mon Dieu — si près ! si loin ! n’avons-nous point une vraie
demeure céleste en notre amour — solide comme l’est la voûte des Cieux.
—
L.
éternellement tien
éternellement mien
éternellement nôtre
1. Propos rapportés par Thayer, le premier biographe de Beethoven, qui les tenait de la nièce de
Magdelena Willmann.
2. Poème de Christoph August Tiedge extrait de L’Urania, paru en 1801.
3. Selon la légende, Hercule a été tenu trois ans en esclavage par Omphale, reine de Lydie.
4. 6 septembre 1811.
5. Composée en 1809.
6. La sœur aînée de Joséphine, Thérèse Brunsvik.
7. Il s’agirait de la Sonate pour violoncelle op. 69 qui date de l’automne 1809.
8. Egmont de Goethe, acte V.
9. Nanette : Anna Malfatti, sœur cadette de Thérèse.
Chapitre 4
Au quotidien
Vénérée Éléonore !
ma très chère amie !
[…] Pour clore ma lettre, j’ose encore une prière : que je serais de
nouveau très heureux de posséder un autre gilet tricoté en poils de lièvre par
vos mains ; pardonnez le manque d’humilité dans cette prière d’un ami,
conséquence d’une prédilection pour tout ce qui vient de vos mains, et je
puis vous le dire en secret, une petite vanité en est aussi la cause, celle
précisément de pouvoir dire que je possède quelque chose de l’une des
meilleures et des plus dignes de vénération parmi les filles de Bonn. J’ai
bien sûr gardé le gilet que vous eûtes la grande bonté de m’offrir à Bonn,
mais la mode actuelle l’a à ce point rendu démodé que je ne puis guère plus
le traiter autrement qu’en bien très précieux à conserver dans mon armoire.
Vous me feriez grand plaisir si vous me réjouissiez bien vite d’une
charmante lettre de vous […].
Votre sincère ami, vous tenant en très haute estime,
À Nikolaus Zmeskall
[Vienne, novembre 1809]
Beethoven
À Nikolaus Zmeskall
[Nussdorf, le 21 août 1817]
L. van Beethoven
N.B. : Je vous prie de m’acheter un quart de taffetas 2 lustré vert qui doit
être vert des deux côtés ; il est incroyable que je n’aie pu m’en procurer de
tel, même non lustré — il me sert à appliquer le bois-gentil [Daphne
mezereum].
À Nanette Streicher
[Nussdorf, peu après le 27 juillet 1817]
À Madame v. Streicher, Ungargasse
L. van Beethoven
Honoré ami !
Docteur : Comment allez-vous, patient ?
Patient : Nous sommes plutôt en mauvais point — toujours aussi faible,
des expectorations, etc. ; je crois qu’enfin s’impose un remède fortifiant qui
ne constipe pas — le vin blanc coupé d’eau devrait m’être bientôt autorisé,
car la bière méphitique ne m’inspire que de la répugnance — mon état
catarrheux s’exprime par les symptômes suivants : je crache pas mal de
sang, qui vraisemblablement ne vient que de la trachée, mais le sang coule
de mon nez avec plus de fréquence, ce qui a été plus souvent le cas cet
hiver ; mais que l’estomac soit effroyablement affaibli comme du reste ma
constitution entière, cela ne souffre aucun doute ; seulement il se peut que
sans aide, autant que je connais ma nature, mes forces ne se rétablissent que
péniblement.
Docteur : J’y contribuerai, tantôt par Brown, tantôt par Stoll, etc. 3
Patient : Ce me serait une telle joie de pouvoir me retrouver bientôt à
mon pupitre avec quelques forces ; gardez cela à l’esprit ; — Finis.
[…]
Recevez la considération reconnaissante de votre ami,
Beethoven
Mon ouïe
de ton Beethoven
Beethoven
À Nanette Streicher
Nussdorf, le 7 juillet [1817]
L. van Beethoven
TESTAMENT DE HEILIGENSTADT
« L’ART SEUL ME RETINT DE METTRE UN TERME À MA VIE »
Dans cette supplique retrouvée chez lui après sa mort et adressée à ses
deux frères, Beethoven en appelle à leur compassion, mais aussi à celle de
l’humanité tout entière.
Goethe et moi
Beethoven
« VOS GRANDIOSES CRÉATIONS »
Beethoven écrit à Goethe. Ils ne se sont encore jamais rencontrés.
Votre Excellence !
L’occasion urgente au cours de laquelle un de mes amis, un de vos grands
admirateurs (tout comme je le suis) doit partir d’ici précipitamment, ne me
laisse qu’un instant pour vous remercier de m’avoir donné de vous
connaître depuis longtemps (car je vous connais depuis mon enfance)
— c’est peu rendre pour obtenir beaucoup — Bettine Brentano m’a assuré
que vous me recevriez avec bonté et même amicalement. Mais comment
pourrais-je m’imaginer tel accueil, tandis que je suis à peine en mesure de
vous approcher avec la plus grande déférence et avec un penchant
inexprimable et profond pour vos grandioses créations — vous recevrez
bientôt la musique d’Egmont de Leipzig par Breitkopf & Härtel, ce
grandiose Egmont que je me suis imaginé, que j’ai senti à nouveau à travers
vous, sur lequel j’ai mis de la musique, avec la même ardeur qu’en le
lisant — je désire fortement connaître votre jugement à son sujet, même le
blâme me sera bienfaiteur comme à mon art ; je l’accueillerai aussi
volontiers que la plus grande louange.
De Votre Excellence le grand admirateur,
Beethoven
[…] Mon médecin m’envoie d’un endroit à un autre, dans l’espoir que je
débusque enfin la santé […].
Je dois une fois de plus barboter dans l’eau ; à peine ai-je fini de remplir
mon intérieur d’une quantité respectable de cette même eau que je dois, en
plus de cela, me refaire arroser l’extérieur — je ne répondrai que la
prochaine fois à votre autre lettre —
Goethe goûte bien trop l’atmosphère des cours, plus qu’il ne sied à un
poète. On ne peut plus dire grand-chose sur le ridicule des virtuoses si les
poètes, qui devraient être regardés comme les premiers instructeurs de la
nation, sont capables d’oublier tout ce qui peut passer au-dessus de ce
clinquant —
Votre Beethoven
Votre Excellence
Encore et toujours, comme depuis mes années de jeunesse, vivant à
travers vos œuvres immortelles que ne marque pas le poids des années et
gardant sans cesse à l’esprit les heures heureuses passées en votre
compagnie, je trouve néanmoins l’occasion de me rappeler à votre souvenir
— j’espère que vous aurez reçu la dédicace à Votre Excellence de
« Meeresstille und glückliche Fahrt 7 » que j’ai mis en musique, les deux
m’ont paru se prêter parfaitement, en raison de leurs contrastes, à exprimer
ceux-ci par la musique ; comme il me serait agréable de savoir si j’ai
convenablement relié mes harmonies aux vôtres ; de plus, un enseignement
de votre part que je pourrais tout aussi bien considérer comme une vérité
me serait extrêmement bienvenu, car j’affectionne la vérité plus que tout et
on ne m’entendra jamais dire : Veritas odium parit 8. — Bientôt, peut-être,
plusieurs de vos poèmes, qui demeurent uniques, devraient paraître mis en
musique par moi, parmi lesquels se trouve aussi « Rastlose Liebe 9 » ; à
quel point j’estimerais une observation générale sur la composition ou la
mise en musique de vos poèmes ! —
[…] Je vous dédiai déjà ces ouvrages en mai 1822 et ne songeai point à
faire connaître la Messe 10 de cette manière, jusqu’il y a seulement quelques
semaines — l’admiration, l’amour et la vénération que j’avais déjà pour
l’unique et immortel Goethe depuis mes années de jeunesse me sont restés ;
de tels sentiments ne se laissent point facilement saisir par les mots,
notamment par un esprit aussi mal dégrossi que le mien, qui n’a jamais
songé qu’à se rendre maître des sons ; ce n’est qu’un sentiment personnel
qui constamment me pousse à vous confier toutes ces choses, tandis que je
vis à travers vos écrits. —
Vous ne manquerez pas, je le sais, d’user de votre influence en faveur
d’un serviteur de l’art qui n’a que trop senti combien le simple gain éloigne
de celui-ci ; mais la nécessité le fait s’employer à servir aussi la cause
d’autrui, pour le compte d’autrui — ce qui est bon nous apparaît clairement
en toute circonstance ; ainsi, je sais que Votre Excellence ne repoussera pas
ma demande — Quelques mots de vous à moi me combleraient de bonheur.
—
De Votre Excellence avec la considération
la plus profonde et la plus infinie, demeurant pour toujours votre
Beethoven
1. WoO, 180.
2. In Les Chants écossais, op. 108.
3. Cahiers de conversation, 1820, op. cit.
4. Allusion à Schiller, La Pucelle d’Orléans, acte V, scène 2.
5. Goethe note la rencontre dans son journal aux 19, 20, 21 et 23 juillet 1812.
6. Musico barré probablement par une autre plume que celle de Beethoven. Musico signifiait aussi
« eunuque » en italien.
7. Goethe mentionne dans son journal le 21 mai 1822 : « Partition reçue de Beethoven ».
8. « La vérité engendre la haine. »
9. Poème qui resta inachevé.
10. Il s’agit de la Missa solemnis, pour laquelle Beethoven demande à Goethe d’intervenir auprès du
grand-duc de Saxe-Weimar pour qu’il en soit un des souscripteurs.
Chapitre 7
Beethoven
[…] Je m’étais mis plusieurs fois à donner chez moi chaque semaine un
petit concert de chant — mais cette guerre néfaste a tout arrêté — dans ce
but, et à toutes fins utiles, il me serait agréable que vous m’envoyiez peu à
peu le plus grand nombre des partitions en votre possession telles que par
exemple le Requiem de Mozart, les messes de Haydn, enfin tout ce que
vous avez de partitions comme celles de Haydn, Mozart, Bach, Johann
Sebastian Bach, Emanuel, etc. — Des œuvres pour le clavier d’Emanuel
Bach, je n’ai que des échantillons et pourtant certaines d’entre elles se
doivent de figurer chez tout véritable artiste, comme objet non seulement de
haute satisfaction mais aussi à des fins d’étude ; mon plus grand plaisir est
de jouer des œuvres que je n’ai jamais, ou que rarement, vues, chez
quelques vrais amateurs d’art — j’arrangerai pour vous quelque genre de
compensation d’une manière qui puisse vous satisfaire —
[…]
Beethoven
« JEAN-SÉBASTIEN BACH,
LA COPIE DU CLAVIER BIEN TEMPÉRÉ »
Mes œuvres
Entre les Variations pour clavier sur une marche de Ernst Christoph
Dressler, la première œuvre publiée de Beethoven en 1782 alors qu’il a
12 ans, et la dernière éditée de son vivant en 1827, le Quatuor à cordes op.
135, un monde inouï est né. Un vaste monde où se côtoient symphonies,
quatuors à cordes, sonates pour piano, pour violon et piano, violoncelle et
piano, messes, musique de scène, opéra… Un monde nouveau qui conjugue
intelligence, émotion, et métaphysique, où chacun peut se reconnaître.
Quand Beethoven s’exprime à propos de ses compositions dans sa
correspondance (plus de 2 200 lettres) ou les Cahiers de conversation, il est
principalement question de leur édition (corrections, dédicaces,
honoraires), de leur exécution ou de leur financement. Rarement il
s’aventure à les qualifier, ni, surtout, ce qui nous serait précieux, à évoquer
le processus qui a abouti à leur naissance. Au détour d’une phrase, il glisse
qu’il a composé « deux nouvelles sonates pour piano solo, qui ne sont
réellement pas trop difficiles » : il s’agit des opus 110 et 111 ! Ou bien il
écrit à propos de la Missa solemnis : « Quelque difficulté que j’éprouve à
parler de moi-même, je tiens à dire que c’est ma plus grande œuvre. »
C’est sur la page de titre de la Symphonie n° 6, dite « Pastorale » qu’il
donne cette indication majeure : « Plutôt émotion exprimée que peinture
descriptive ». On apprend aussi qu’il va apporter des corrections à ses
Cinquième et Sixième Symphonies après leur exécution : « Quand je vous
les ai remises », écrit-il à son éditeur, « je n’en avais encore jamais entendu
aucune, et l’on ne doit pas vouloir être si divin que de ne pas procéder à
quelques retouches dans ses créations. » On sait par une lettre à son ami
Amenda en 1801 qu’il a « beaucoup remanié » son premier quatuor 1,
« attendu que je sais maintenant seulement écrire des quatuors corrects,
comme tu pourras le constater quand tu les recevras ».
Pour ce qui concerne l’opéra, Beethoven consacre un temps considérable
— et des lettres innombrables — à chercher un livret qui convienne au
nouvel ouvrage qu’il veut écrire. « Il est si difficile de trouver un livret
d’opéra. Depuis l’année dernière, je n’en ai pas refusé moins de douze ou
davantage », note-t-il en 1811. Et aussi à tenter de refaire donner Fidelio,
qu’il « réaménage » sans cesse.
C’est Christian Gottlob Neefe, son professeur de musique à Bonn, qui
avait décidé de la publication des Variations sur une marche de Dressler.
C’est lui aussi qui a fait paraître une publicité pour son jeune élève :
« Louis van Beethoven, fils du ténoriste ci-dessus nommé, jeune garçon de
11 ans, doué des plus rares dispositions. Il joue du pianoforte avec un talent
remarquable ; il déchiffre fort bien, et en un mot il joue couramment le
Clavecin bien tempéré de Sébastien Bach. Quiconque connaît cette
collection de préludes et de fugues dans tous les tons, œuvre de la plus
haute difficulté, peut juger du degré de science qu’il faut avoir pour la
jouer. M. Neefe l’a aussi poussé dans l’étude sérieuse du contrepoint.
Maintenant il l’exerce à la composition. Ce jeune génie mérite d’être
soutenu et de pouvoir voyager. Il deviendra certainement un second Mozart,
s’il continue comme il a commencé. » On ne saurait mieux dire. Mais il
n’est pas devenu un second Mozart, il est devenu ce qu’il était, Beethoven.
« J’AI 11 ANS ET LA MUSE ME MURMURE… »
La première lettre que l’on connaisse de Beethoven. Il y est question,
bien sûr, de musique…
À Nikolaus Zmeskall
[Vienne, novembre 1802]
[…] Toute la clique des facteurs de claviers […] veut m’offrir ses
services — et ce gratuitement, ils veulent tous me construire un clavier
comme je le souhaite ; ainsi Reicha a été chaudement prié, par celui qui lui
a fait son clavier, de me convaincre d’accepter que ce même facteur me
fasse un pianoforte, et c’est pourtant l’un de ces braves hommes chez qui
j’ai vu de plutôt bons instruments — faites donc comprendre à Walter 6 que
je le lui paierai 30 ducats, puissé-je me le faire faire gratuitement par
n’importe qui d’autre, mais je lui en donne 30 ducats avec la seule
condition qu’il soit en acajou et j’insiste pour avoir une tension à une corde.
— S’il n’accepte pas de me faire cet instrument, insinuez alors que je
choisirai un facteur parmi les autres, que je le chargerai de construire cet
instrument et le conduirai par la même occasion chez Haydn pour le lui y
montrer —
[…]
Votre Beethoven
Beethoven
[…] Pour ce qui est du sujet d’un opéra, au cas extrême où vous
daigneriez vous y abaisser, je le souhaiterais cette fois sans danses ni
récitatifs — après y avoir bien réfléchi, je crois que si je vous expose mes
raisons, vous abonderez dans mon sens — du reste, je crois que nous serons
contraints d’attendre encore un peu et de nous plier au décret de la
vénérable et superlative direction du théâtre — j’ai si peu de raisons
d’espérer quelque nouvelle favorable de la part de ces gens que je ne
parviens à m’ôter de l’esprit l’idée que je devrai certainement prendre mon
bâton et m’en aller battre les chemins.
Votre admirateur,
Beethoven
À Carl Czerny
[Vienne, le 12 février 1816]
Cher Z. […] j’ai littéralement explosé hier et m’en suis trouvé peiné
lorsque cela est arrivé ; pardonnez seulement à un auteur qui aurait préféré
entendre son œuvre telle qu’il l’a écrite, quelle qu’ait été du reste la qualité
de l’interprétation. —
Mais je me rachèterai à pleine voix avec la Sonate pour violoncelle
— soyez persuadé que je nourris la plus grande bienveillance envers
l’artiste que vous êtes et que je m’efforcerai toujours de vous le montrer. —
Votre véritable ami,
Beethoven
À Carl Czerny
[Vienne, février ou mars 1816]
etc.,
etc. etc.
afin que des passages de cette sorte puissent glisser ; bien entendu, les sons
sont ici, comme on dit, « perlés (joués avec peu de doigts) ou à la manière
d’une perle », seulement on peut aussi vouloir d’autres joyaux — on en
parlera plus une autre fois — je souhaite que vous accueilliez tout cela avec
la tendresse que j’ai mise dans ces propos adressés à vous, en espérant que
vous la receviez comme telle, et demeure votre obligé — puisse ma
franchise vous être, du mieux possible autant qu’à moi-même, le gage de
l’acquittement prochain de ma dette. —
Votre ami sincère,
Beethoven
À Tobias Haslinger
Baden, le 10 septembre 1821
Beethoven
À Peter Gläser
[Vienne, peu après le 19 avril 1824]
Beethoven
Cher Diabelli !
Il ne m’a pas été possible de vous écrire plus tôt ; vous souhaitez une
grande sonate à quatre mains 10 ; il n’est pas dans mes habitudes d’écrire ce
genre de pièce, mais j’aimerais vous témoigner ma bonne volonté et je vais
l’écrire ; le temps m’autorisera peut-être à vous la livrer plus tôt que vous le
désirez ; en ce qui concerne l’honoraire, je crains qu’il ne vous étonne ;
pour la seule raison que je dois repousser l’écriture d’autres pièces plus
rémunératrices et plus dans mes cordes ; vous ne trouverez peut-être pas
excessif que je fixe l’honoraire à 80 ducats-or ; vous le savez, tel un
valeureux chevalier qui vit de son épée, je dois vivre de ma plume, et les
académies m’ont à ce titre fait subir de grandes pertes. — Vous pouvez
m’écrire à cette même adresse, car si vous acceptez ma proposition,
j’aimerais le savoir rapidement ; pour ce qui est de la tonalité de fa majeur,
je suis d’accord. —
Portez-vous bien, comme toujours votre ami et serviteur,
Beethoven
Beethoven
Au Quatuor Schuppanzigh
[Vienne, probablement fin février/début mars 1825]
Excellents collègues !
Que chacun, par la présente, reçoive ce qui lui est dû et se voie tenu
d’endosser la responsabilité qui, précisément, l’engage en son âme et
conscience, sur l’honneur, à adopter la meilleure attitude qui soit, à exceller,
à vouloir que tous se surpassent mutuellement.
Ce document sera revêtu de la signature de tous ceux qui sont appelés à
contribuer à la cause portée à leur connaissance.
Schuppanzigh 13 manu propria Beethoven
Weiss 14
Cher fils !
Je suis pris d’angoisse mortelle au sujet du quatuor, car Holz a emporté
les 3e, 4e, 5e et 6e mouvements ; j’ai encore les premières mesures du
troisième, précisément treize mesures — je n’ai pas de nouvelles de Holz ;
je lui ai écrit hier, car il m’écrit habituellement ; quel affreux hasard ce
serait s’il les avait perdues ; soit dit entre nous, il boit beaucoup ; rassure-
moi aussi vite que tu pourras — Haslinger pourra t’en dire plus sur l’endroit
où habite Linke ; Haslinger est venu aujourd’hui, il s’est montré très
chaleureux, m’a apporté les cahiers et d’autres publications du même genre,
il a beaucoup insisté pour avoir les nouveaux quatuors ; ne te mêle avec
[Schindler 17 ?] et d’autres du même genre d’aucun ragot, tu n’en récolteras
que de la vulgarité — au nom du Ciel, j’ai déjà assez de soucis avec le
quatuor, quelle perte terrible, les esquisses ne sont rien d’autre que des
petites bribes et jamais plus je ne serai en mesure d’écrire tout le quatuor
ainsi —
[Deuxième version] Voici, mon cher ami, mon dernier quatuor, ce sera le
dernier, mais il m’a demandé du labeur, je n’arrivais pas à me mettre à
composer le dernier mouvement. Comme vos lettres me rappelaient mes
engagements, je me suis enfin résolu à écrire mon quatuor et c’est pour
cette raison que j’ai écrit la devise : « La décision difficilement prise — Le
faut-il ? — Il le faut, il le faut ! »…
… Je suis un malheureux garçon, je n’ai même pas pu trouver un copiste
ici pour terminer l’écriture des parties séparées de ma partition, ce qui
semblait nécessaire à l’impression, et pour cette raison, j’ai dû les copier
moi-même ; je vous fais donc parvenir ci-joint les parties séparées écrites
de ma main, avec l’espoir que le graveur saura lire mon gribouillage et la
prière que les épreuves, etc.
1. Op. 18 n° 1.
2. Beethoven avait en réalité 13 ans.
3. Les Dreßler-Variationen WoO 63 (1782) et la pièce pour piano WoO 48 sont d’abord parues
comme WoO 47.
4. Probablement Élisabeth von Kissow. Beethoven emploie dans cette lettre le mot « Klavier » au lieu
de pianoforte.
5. Le trio avec piano, peut-être op. 1 n° 1, le deuxième mouvement est adagio cantabile.
6. Anton Walter (1752-1826), facteur de piano à Vienne. Parmi ses clients ont figuré Mozart et
Beethoven.
7. Piano à queue d’Érard que Beethoven avait reçu en cadeau en 1803 et qu’il conserva jusqu’aux
environs de 1825.
8. Taches d’encre.
9. La lettre est écrite en français.
10. Elle n’a jamais été achevée.
11. Le numéro 121 étant déjà attribué aux Variations Kakadu, Schott publia les Trois Chants sous les
numéros 121b et 122.
12. « C’est assez ». Mots barrés par Beethoven.
13. Ignaz Schuppanzigh (1776-1830), célèbre violoniste qui fonde un quatuor portant son nom puis
devient premier violon du Quatuor Razoumovsky jusqu’à la dissolution de l’ensemble en 1815. Il
s’établit à Saint-Pétersbourg et revient à Vienne en 1823 où il reconstitue son quatuor.
14. Franz Weiss (1778-1830), altiste qui fit partie du premier Quatuor Schuppanzigh, du Quatuor
Razoumovsky puis du Quatuor Schuppanzigh reconstitué.
15. Joseph Linke (1783-1837), qui fit partie du Quatuor Razoumovsky de 1808 jusqu’à sa dissolution
en 1815.
16. Karl Holz (1798-1858), violoniste et fonctionnaire, qui joua dans les deux Quatuors
Schuppanzigh et qui donnait des leçons de violon. Il devint au fil du temps un ami très proche de
Beethoven.
17. Barré par Beethoven.
Chapitre 9
Être un artiste
« Les soussignés ont décidé de placer Herr Ludwig van Beethoven dans
une situation où les nécessités de la vie ne puissent lui causer d’embarras
ni entraver son puissant génie. »
Les soussignés de ce contrat signé en 1809 sont le prince Lobkowitz, son
beau-frère le prince Kinsky, et l’archiduc Rodolphe, trois jeunes et riches
mélomanes qui s’engagent à verser à Beethoven une rente annuelle à vie de
4 000 florins pour composer ce qu’il veut, quand bon lui semble. Par ce
geste, ils retiennent à Vienne Beethoven qui s’apprête à accepter le poste de
maître de chapelle offert par le roi de Westphalie 1. Beethoven salue le geste
des princes par ces mots : « Je vais pouvoir me consacrer entièrement au
but essentiel de mon art, qui est d’écrire des œuvres magistrales. »
Quelques années auparavant, grâce à une lettre de recommandation du
comte Waldstein, le compositeur avait habité à Vienne chez le prince
Lichnowsky qui lui avait alloué une rente annuelle de 1 800 florins jusqu’à
leur brouille en 1806. Brouille qui se serait conclue par ces mots de
Beethoven, raconte la légende : « Prince ! Ce que vous êtes, vous l’êtes par
hasard et par naissance. Ce que je suis, je le suis par moi-même. Il y a eu et
il y aura encore des milliers de princes. Il n’y a qu’un Beethoven. »
Par ce document de 1809, Beethoven est reconnu en tant qu’artiste,
occupant dans l’ordre social une position unique et nouvelle par son
indépendance. Est-ce Beethoven qui, par son caractère farouche et son
génie propre, aura été l’instigateur de cette révolution, ou bien sont-ce les
transformations des conventions et des critères esthétiques au tournant du
XIXe siècle qui l’ont générée ? L’irruption du « génie », est-ce au génie
qu’on la doit, ou bien à la société qui l’invente ? Sans nul doute, la vérité se
situe à l’intersection de ces paradigmes. En tout état de cause, Beethoven a
la pleine conscience d’être un artiste envers qui la société a des devoirs.
« Soyez assuré que vous traitez avec un Vrai artiste qui aime à être
honorablement payé mais qui pourtant aime encore plus sa gloire et aussi
la gloire de l’art, et qui n’est jamais content de soi-même et s’efforce de
faire des progrès encore plus grands dans son art », écrit-il à son éditeur
cette même année 1809.
Cette position, il la justifie déjà par l’intensité de son travail : « Je vis
uniquement dans mes cahiers de musique : à peine en ai-je terminé un que
l’autre est en chantier. Il n’est pas rare que je compose trois ou quatre
ouvrages à la fois », écrit celui qui s’est donné pour devise « Nulla dies
sine linea » (« Pas un jour sans une ligne »). Ce qui ne peut se réaliser
qu’en étant dégagé de toute contingence matérielle : « J’étais en train de
composer et devais tout aussitôt après m’occuper de choses pratiques.
C’est comme si l’on était brusquement jeté de l’Etna aux glaciers de la
Suisse. »
Et il formule un vœu : « Qu’il y ait au monde un seul grand magasin
d’art où l’artiste n’aurait qu’à remettre ses ouvrages pour recevoir ce dont
il a besoin. »
« JE NE SUIS PAS UN USURIER DE L’ART
QUI ÉCRIT POUR S’ENRICHIR »
[…] Je n’ai pas pour but ultime, comme vous le croyez, de devenir un
usurier de l’art qui n’écrit que dans le but de s’enrichir ; Dieu m’en garde !
mais je goûte assez une vie indépendante et je ne puis la mener autrement
qu’avec une petite fortune et de ce fait, l’honoraire même doit faire quelque
honneur à l’artiste, comme tout ce qu’il entreprend doit en être auréolé ; je
ne devrais dire à personne que Breitkopf & Härtel m’a donné 200 ducats
pour cette œuvre — vous, qui êtes plus humain et qui avez de loin un esprit
plus cultivé que n’importe quel autre éditeur de musique, ne pouvez avoir
pour but ultime de payer à l’artiste le minimum nécessaire à sa subsistance,
mais devriez plutôt lui ouvrir le chemin sur lequel il pourra accomplir sans
être dérangé ce qui est en lui et ce qu’à l’extérieur on attend de lui — […]
[…] laissez recenser l’oratorio 2, comme tout ce qui vous siéra du reste,
par qui vous voudrez ; il m’est pénible de ne vous avoir écrit qu’un seul mot
sur la misérable recension 3. Qui peut appeler de telles recensions après
avoir vu comment les plus misérables gribouilleurs sont portés aux nues par
de tels recenseurs, comment ils portent sur les œuvres d’art un regard des
plus avilissant auquel leur incompétence les oblige, ce en place de quoi ils
ne fournissent ni ne trouvent immédiatement un critère d’évaluation
conventionnel, comme le cordonnier a son modèle — s’il y a quelque chose
à prendre en considération dans mon oratorio, c’est bien le fait qu’il s’agit
de ma première œuvre de ce type, une œuvre de jeunesse, et qu’elle fut
écrite en quinze jours dans tout le tumulte imaginable et autres événements
désagréables et angoissants d’une vie (mon frère souffrait alors d’une
maladie mortelle) —
Rochlitz 4 vous a, si je me souviens bien, avant même que l’ouvrage vous
ait été donné à graver, parlé en des termes peu flatteurs du chœur des
disciples « Wir haben ihnen gesehen 5 » (en do majeur), il l’a qualifié de
bizarre, une impression qu’en tout cas personne ici parmi le public n’a
exprimée, car il se trouve aussi parmi mes amis des critiques ; que j’écrirais
aujourd’hui un oratorio bien différemment qu’autrefois, cela est certain —
et qu’on recense maintenant autant qu’on voudra, je souhaite à tous bien
du plaisir, cela aura tout au plus l’effet d’une petite piqûre de moustique,
c’est vite passé, la piqûre oubliée, on y voit une jolie plaisanterie ! re
— re — re — re — re cen — cen — s — s — si — s — sez sez — sez — Non
pas jusque dans l’éternité, vous n’y arriverez pas. Sur ce, que Dieu vous
garde —
À Nikolaus Zmeskall 6
[Vienne, le 19 février 1812]
Cher Z.
[…] ces gens de la haute société, en dépit de tout leur semblant d’amitié
pour moi, prétendent que mes exigences seraient disproportionnées !!!! Ô
Ciel, aide-moi à porter [ce fardeau] ; je ne suis point un Hercule capable
d’aider Atlas à porter le monde, voire le porter à sa place. — Pas plus tard
qu’hier, j’ai entendu en détail de quelle jolie façon Monsieur le baron Kruft
a parlé de moi chez Zizius 7 et m’a jugé — laissez cela de côté, cher
Zmeskall, le temps est compté pendant lequel je continuerai à endurer ici
ces manières insultantes. L’art, cet être persécuté, trouve partout un havre ;
Dédale enfermé dans le labyrinthe y a bien su inventer les ailes qui lui ont
permis de s’élever dans les airs, ô, je les trouverai moi aussi, ces ailes —
Tout à vous,
Beethoven
À Émilie M., H.
Teplitz, le 17 juillet 1812
Ludwig v. Beethoven
Merci mille fois, mon honoré K., je revois enfin un représentant du droit
et homme qui peut écrire et penser sans employer de formules misérables
— vous pouvez à peine vous imaginer comme je soupire en espérant la fin
de tels agissements, parce qu’ils me font vivre, en ce qui concerne mes
économies, dans l’incertitude —
sans parler du tort que cela me cause par ailleurs, comme vous le savez
vous-même ; l’esprit des gens d’action ne doit pas être enchaîné à de
misérables besoins par lesquels je me vois encore privé de maintes choses,
y compris de celles qui égayent ma vie ; j’ai même dû et dois encore mettre
des limites à mon inclination, dont je me suis fait un devoir, à me mettre par
mon art au service de l’humanité dans le besoin. —
De nos monarques, etc. et de nos monarchies, etc. je ne vous écris rien,
vous trouverez tout dans les journaux 8 — je n’aime rien tant que le
royaume de l’esprit, pour moi la plus élevée de toutes les monarchies
spirituelles et temporelles — écrivez-moi donc ce que vous attendriez de
moi pour vous-même, de mes faibles forces musicales, afin de me permettre
de créer, autant que je le puisse, quelque chose pour votre sens ou votre
goût musicaux personnels — […] pensez à moi et songez que vous êtes le
défenseur d’un artiste désintéressé contre une famille de grippe-sous ;
comme les gens se plaisent à reprendre au pauvre artiste ce qu’ils lui
doivent par ailleurs — et Zeus n’est plus là, chez qui on pouvait s’inviter
pour goûter l’ambroisie — prêtez des ailes, cher ami, aux pas traînants de la
justice.
Aussi haut que je me sente encore élevé dans les moments de félicité où
je me trouve dans la sphère de l’art, aussitôt les esprits de la terre me
ramènent en bas ; s’y ajoutent désormais parmi eux les deux procès
— vous-même aussi avez des contrariétés, bien que je ne l’aurais jamais cru
étant donné vos points de vue et vos capacités inhabituelles, en particulier
dans votre métier ; permettez que je ramène votre attention sur moi-
même — j’ai vidé une coupe entière de souffrance amère et dans l’art gagné
le martyre, aidé en cela par mes chers disciples et confrères artistes. […]
À Vinzenz Hauschka
[Mödling, après le 19 mai 1818]
Le neveu
Les pires démons de Beethoven hantent cet épisode très noir de sa vie : la
tutelle de son neveu Karl, fils de son frère Kaspar Karl décédé à Vienne le
15 novembre 1815, et qui aboutira à un geste tragique, la tentative de
suicide de l’orphelin. La veille de sa mort, Kaspar avait ajouté un codicille
à son testament qui plaçait l’enfant, alors âgé de 9 ans, sous la co-tutelle de
sa mère, Johanna, et de son oncle Ludwig. « C’est seulement dans l’unité
que peut être atteint le but que je me suis fixé en nommant mon frère tuteur
de mon fils : c’est pourquoi, pour le bien de mon fils, je recommande de la
soumission à ma femme et plus de modération à mon frère. Que Dieu leur
permette de vivre en harmonie pour le bien de mon enfant. »
Karl est ainsi ballotté entre l’un et l’autre, au gré des différents
jugements. Après quantité de démêlés juridiques, la tutelle est donnée de
façon définitive à Beethoven en 1820. Les relations entre Karl et son oncle
sont tendues et l’enfant fugue à de nombreuses reprises pour rejoindre sa
mère. Il y a malgré tout des périodes d’accalmie, comme en témoignent les
Cahiers de conversation : Karl, souvent présent auprès de son oncle,
participe aux discussions et lui prodigue maints conseils, notamment pour
les programmes des concerts. Il prend des leçons de piano avec Carl
Czerny et se montre un bon élève capable de jouer, d’après Czerny, la
Sonate pathétique. N’empêche. En 1826, n’en pouvant plus de subir la
tyrannie de son tuteur et leurs incessantes disputes, Karl se tire une balle
dans la tête. Il s’en sort et s’engage dans l’armée. Une façon d’échapper à
son oncle et ainsi de recouvrer la liberté.
D’après les témoins, le « chameau » était auprès de Beethoven au
moment de sa mort.
« LE PRÉCIEUX GAGE QUI M’A ÉTÉ CONFIÉ »
Beethoven conduit son neveu à l’institut d’éducation Giannattasio où il
séjournera plusieurs années par intermittence.
Beethoven
Je me réjouis beaucoup d’aller chez vous.
L. v. Beethoven
L. v. Beethoven
L. van Beethoven
« AUCUN ENFANT DE 13 ANS NE DEVRAIT ÊTRE AMENÉ
DEVANT UN TRIBUNAL »
N.B. : les capitaux comptent sept titres de banque ; ce qui par ailleurs
constitue la somme des espèces restantes sera de la même façon sien,
comme les titres bancaires 5.
père
père
Beethoven
À Karl Holz
[Vienne], le 9 septembre 1826
Beethoven
1. Avocat qui représente les intérêts du neveu Karl à la demande de Beethoven, puis devient co-tuteur
de la succession Kaspar Karl van Beethoven.
2. Le chirurgien.
3. Magistrat au Sénat pour les affaires civiles.
4. « La seule robe d’honneur de la créature humaine est la pudeur et la sincérité. »
5. Beethoven avait en sa possession huit actions de la Banque nationale autrichienne.
6. Un examen de fin d’études.
7. En charge de l’institut militaire de Wiener-Neustadt.
Chapitre 11
La fin
Beethoven
[Beethoven]
[Beethoven]
Hummel est ici et m’a déjà rendu visite plusieurs fois.
Ami vénéré
Mes remerciements pour le plat que vous m’avez fait envoyer hier, un
malade est comme un enfant, avide de ces choses-là, c’est pourquoi je
demande aujourd’hui de la compote de pêches, pour les autres aliments, je
dois d’abord demander conseil aux médecins — pour ce qui est du vin, ils
trouvent que le Grinzinger est ce qui me convient le mieux, mais à tous les
autres, ils préfèrent un vieux Krumpholz-Kirchner — puisse mon
explication n’entraîner aucune mésinterprétation de votre part —
Avec ma très haute et cordiale considération,
Ami vénéré !
Comment pourrais-je assez vous remercier pour cet excellent
champagne ! Comme il m’a remis sur pied et me remettra encore sur pied !
Pour aujourd’hui, je n’ai besoin de rien et vous dis merci pour tout — quel
que soit le résultat que vous pourriez obtenir à propos des vins, merci de me
les noter, je me ferai un plaisir de vous en dédommager à la mesure de mes
moyens — je ne pourrai continuer à écrire aujourd’hui, que le Ciel surtout
vous bénisse, et pour votre affectueuse sympathie
à l’égard de celui qui vous estime profondément,
Beethoven souffrant
Sofiane Boussahel
© Libella, 2019
Du même auteur