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Première partie
VENISE (1703-1717)
Deuxième partie
Troisième partie
L’EUROPE ET L’ITALIE
APOTHÉOSE ET DÉCLIN
L’héritage
Abréviations
Catalogue
Bibliographie
Venise
(1703-1717)
I
1678-1703
Campo de la Bragora
(4 mars 1678)
Prêtre et musicien
(1693-1703)
Formation musicale
(1703-1713)
L’église de la Pietà
(1704-1707)
C’est encore en 1705 que paraît son premier recueil de sonates. L’éditeur,
Giuseppe Sala, tient son magasin « À l’enseigne du roi David », dans le
quartier du Rialto, tout près du théâtre San Giovanni Grisostomo. De cet
Opus 1, un seul exemplaire de l’édition vénitienne a survécu, incomplet. Il
est conservé à la bibliothèque du Conservatoire B. Marcello à Venise. Si ce
fascicule est daté 1705, on suppose toutefois qu’il s’agirait de la
réimpression d’une partition primitive perdue, éditée en 1703, juste avant
l’entrée de Vivaldi à la Pietà. En effet, sur le frontispice, le compositeur est
cité comme « Musicien de violon, Professeur vénitien ». Si le recueil avait
été effectivement imprimé pour la première fois en 1705, pourquoi Vivaldi
n’a-t-il pas utilisé son titre de maître de violon à la Pietà, comme il le fera
dans le recueil suivant ? Ce premier recueil est dédié au comte Annibale
Gambara, un « Noble vénitien » originaire de Brescia, qui en a sans doute
financé, tout ou partiellement, la publication. Vivaldi remercie son
dédicataire de lui avoir permis cette édition et reconnaît que la musique, qui
n’avait été qu’un simple penchant, venait de se révéler à lui comme une
nécessité absolue. Ce recueil sera réimprimé à Amsterdam, en 1715.
Intitulé Suonate da Camera a Tre, due Violini, e Violone o Cembalo,
l’Opus 1 contient douze sonates de chambre, écrites pour deux violons et
basse continue. Ce sont des sonates en trio d’une facture encore
conventionnelle, structurées en quatre ou en cinq mouvements, précédées
d’une ouverture lente largo, puis enchaînant des mouvements de danses,
allemandes, sarabandes, courantes, gigues, gavottes, selon les modèles en
vigueur. La douzième sonate (RV 63) est une « Follia », hommage évident
à Corelli, le « père » de la génération des violonistes, interprètes et
compositeurs nés, comme Vivaldi, à la fin du xviie siècle.
Le 1er décembre 1705, la famille Vivaldi déménage. Ils logent désormais
sur le campo SS. Filippo e Giacomo, proche du campo de la Bragora, plus
proche encore de la Pietà que ne l’était la première habitation. Les Vivaldi
demeureront dans cet appartement jusqu’au 30 novembre 1708.
Un procès
à Venise
(hiver 1708-1709)
(1711-1713)
Estienne Roger
Cette même année 1711, Vivaldi fait paraître à Amsterdam son troisième
ouvrage et, surtout, son premier recueil de concertos. Le compositeur a tout
lieu de se réjouir, comme il l’explique lui-même dans sa préface aux
Dilettanti di musica (amateurs de musique) : « Concernant mes
compositions, j’avoue que si, dans le passé, outre leurs propres défauts,
celles-ci avaient souffert de l’impression, cette fois leur qualité majeure est
d’avoir été gravées par la célèbre main de Monsieur Estienne Roger. »
Estienne Roger est célèbre en effet parmi les musiciens et les amateurs, et
bien placé sur le marché international.
D’origine française, Estienne Roger s’était installé à Amsterdam où il
avait fondé, en 1696, une maison d’édition musicale. Il avait adopté un
système d’écriture plus moderne et plus souple que ceux des deux éditeurs
vénitiens, Giuseppe Sala et Antonio Bortoli, auxquels Vivaldi avait confié
ses sonates précédemment. Au lieu d’être séparées et imprimées
individuellement, les notes brèves étaient reliées par une ligature. La
gravure sur une seule feuille de cuivre était aussi plus efficace. Roger
s’impose comme l’un des éditeurs les plus dynamiques en Europe. Il attire à
lui les compositeurs italiens qui, dans leur pays, sont victimes du déclin de
l’édition musicale. Roger, et à sa suite ses héritiers, sa fille Jeanne, puis son
gendre Michel-Charles Le Cène, seront dès lors les éditeurs attitrés de
Vivaldi. Le Prêtre roux s’est-il (peut-être justement en ces années 1709-
1711 où nous perdons sa trace à Venise) rendu en Hollande pour connaître
personnellement Roger, et suivre la fabrication de ses éditions ? Nous n’en
avons aucun témoignage.
Le 15 février 1712, les Vivaldi, père et fils, sont à Padoue. Ils jouent à
Saint-Antoine (Il Santo), une fois encore ensemble, à l’occasion de la fête
donnée pour la Translation de la Langue de saint Antoine. Antonio y aurait
fait admirer sa virtuosité exceptionnelle. Le Concerto fait pour Solennité de
la Sainte Langue de saint Antoine de Padoue (RV 212) aurait, suppose-t-on,
été composé et joué à cette occasion28. Il s’agit d’une œuvre pour violon
solo, cordes et basse continue, qui existe en plusieurs versions manuscrites,
certaines fragmentaires. Le premier manuscrit, conservé à Dresde, est une
copie où l’on reconnaît l’écriture du violoniste allemand Johann Georg
Pisendel, qui a noté sur le manuscrit la date de « 1712 » et sans doute ajouté
lui-même les deux parties de hautbois ; il possède une cadence écrite à la
fin du premier mouvement et deux cadences dans le troisième
mouvement29. Le second manuscrit est conservé à Turin ; il s’agit d’une
copie, incomplète, avec quelques interventions autographes30 : le troisième
manuscrit, incomplet, est un autographe31 ; il semble postérieur à la version
de Dresde (RV 212a) ; seul le troisième mouvement possède une cadence
écrite, beaucoup plus volubile que celle de Dresde, peut-être celle jouée par
Antonio Vivaldi à Padoue.
On situe aussi à l’année 1712 la copie d’une pièce sacrée, un Stabat
Mater (RV 621) conservé à Turin32. Cette œuvre religieuse est destinée à
un effectif réduit (voix d’alto, sans doute masculin, cordes et basse
continue), qui correspond au petit ensemble musical dont disposait
l’oratoire des Philippins à Brescia. On suppose que Vivaldi aurait pu écrire
cette pièce à l’occasion de la fête des Sept Douleurs de la Bienheureuse
Vierge Marie, le 18 mars 1712. Dans les archives de Brescia, sur une page
d’un registre provenant de la Congrégation de Saint-Philippe de Néri, se
trouve une note de « Frais extraordinaires » (Spese straordinarie), signée le
9 janvier 1713 ; on lit : « Pour un Stabat Mater composé par Vivaldi : 20 :4
[20 lire 4 soldi] ». Il pourrait s’agir du Stabat Mater (RV 621) dont on
conserve une copie à Turin. En tête de l’Eia Mater, le copiste a noté :
« Dans le cas où il n’y aurait pas d’alto, c’est le violon qui joue33. » Ce
Stabat est précieux : il est l’une des premières pièces de musique vocale
sacrée composées par Vivaldi et parvenues jusqu’à nous.
Le 12 mars 1713, Vivaldi est réélu à la Pietà. Le lendemain, sa sœur
cadette, Cecilia Maria, épouse Giovanni Antonio Mauro. Peut-être que
toute la famille continue à vivre ensemble dans la maison du campo SS.
Filippo e Giacomo, comme le suggère Gastone Vio.
pour la Pietà
(1713-1717)
(mai-juin 1713)
Le Teatro olimpico
L’Ottone in villa (RV 729), représenté au Teatro delle Grazie le 17 mai
1713, est le fruit d’une collaboration exceptionnelle entre Domenico Lalli et
Antonio Vivaldi1. Le protagoniste est inspiré du personnage d’Otton Ier,
surnommé Otton le Grand, qui était né à Walhausen près du lac de
Constance. Couronné empereur des Romains en 962, Otton régna jusqu’à sa
mort, en 973. Par son sens politique et par ses victoires militaires, il conféra
à la royauté germanique un prestige éclatant. C’est lui qui fonda ce qu’on
nommera plus tard le Saint Empire romain germanique. Au cours de son
existence, Otton avait passé plusieurs années en Italie. Cette absence lui fut
reprochée par son peuple et, durant cet éloignement, son pouvoir en
Allemagne s’était affaibli.
Lalli ne part pas de rien pour cet opéra. Il reprend et adapte au goût
moderne un drame qui avait été représenté à Venise trente ans auparavant,
la Messalina mise en musique par Carlo Pallavicino. L’impératrice
Messaline (25-48), épouse de l’empereur Claude, était connue pour sa
nymphomanie, son goût du luxe et des richesses. Quant à Claude, son
penchant pour les jeunes femmes n’était un secret pour personne ; même si
la grande Histoire, dans cet opéra, restera une préoccupation fort
secondaire !
Le nouveau livret était passé à la censure (le « faccio fede ») le 21 avril
1713. Il est publié à Venise par Antonio Bortoli. Quelques jours plus tard,
Vivaldi priait les députés de la Pietà de bien vouloir l’autoriser à s’absenter
pendant un mois. Lalli signe la dédicace en hommage à Henri Lord Herbert,
un jeune Anglais qui séjournait alors en Italie, et salue au passage le père du
garçon, le comte de Pembroke, chef du prestigieux ordre anglais des
chevaliers de la Jarretière. Quant à la musique, elle est composée (lit-on
dans le livret) par le « célèbre virtuose du violon, il Sig. D. Antonio
Vivaldi » : un titre propre à séduire le public… Car, à cette date, Vivaldi est
connu surtout comme violoniste ; il est un virtuose notoire qui joue avec
son père dans les églises, à la Pietà, et éblouit l’auditoire par son étonnant
coup d’archet !
La partition manuscrite autographe de l’opéra est conservée à Turin2. Il
s’agit du premier opéra connu composé officiellement par Vivaldi ; du
moins le premier opéra dont nous conservons la partition. Au début et à la
fin de son manuscrit, Vivaldi inscrit son monogramme : les initiales des
mots formant le début de l’invocation à la Vierge L.D.B.M.D.A (Laus Deo
Beatae Mariae Dei parae Amen) enlacées de façon à faire apparaître les
initiales « AV » de Antonio Vivaldi, en tête-bêche.
La partition est écrite pour un petit ensemble instrumental : deux violons
solistes – sans doute Vivaldi et son père –, peut-être aussi deux autres
violons de soutien, un alto, deux flûtes et deux hautbois (joués
éventuellement par les mêmes instrumentistes), et les musiciens réalisant la
basse continue ; la distribution comprend cinq chanteurs, déjà sur place, à
Vicence ou à Venise.
Le manuscrit musical, plein de corrections, montre que le binôme Lalli-
Vivaldi travailla dans la hâte. Vivaldi avait-il en main le livret de la
Messalina lorsqu’il composa, dans l’urgence, sa partition ? Des lapsus
naissent sous sa plume : on lit par exemple (fol 87 v°). : « Mentre Caio
legge il foglio, Claudio segue » (Tandis que Caio lit la feuille, Claudio
poursuit) ; et, dans le livret de Lalli, I, 9, le nom « Messalina », au lieu de
« Cleonilla ».
« Ottone aurait sûrement épousé Cleonilla si le peuple romain le lui avait
permis – lit-on dans l’Argomento ; néanmoins, pour lui plaire, il la traitait
avec la même considération que si elle avait été l’Impératrice de Rome. »
Lalli cherche-t-il à griffer les nobles vénitiens qui gaspillent leur fortune
auprès de femmes légères ?
L’opéra se déroule tout entier dans les jardins d’une villa proche de
Rome, où Ottone a l’habitude de se retirer pour prendre du repos. Le
personnage de Decio, confident d’Ottone, n’existait pas dans la Messalina.
Après la Sinfonia d’ouverture en trois mouvements, le rideau se lève sur
« Un coin charmant dans les jardins de la villa impériale avec des
charmilles ombragées, des allées de cèdres, des pièces d’eau et des
fontaines ornées de vases de fleurs. Cleonilla est seule. Elle cueille des
fleurs pour en parer ses seins ». Elle dit choisir les hommes sur leur aspect
extérieur ; elle les veut jeunes et beaux ! Ses propos choquent d’emblée les
spectateurs. L’interprète est Anna Maria Giusti dite la Romaine (soprano) ;
à Rome, elle est protégée par Alexander Sobieski, le fils de l’ex-reine de
Pologne, Maria Casimira ; on l’a déjà entendue à Venise, au théâtre
Sant’Angelo, quatre ans auparavant. Entre Caio Silio (Bartolomeo Bartoli,
jeune castrat soprano originaire de Faenza) ; il courtise fougueusement
Cleonilla. Apparaît le protagoniste, Ottone : le rôle est interprété par une
femme, Diana Vico (contralto), une chanteuse vénitienne spécialisée dans
les rôles masculins. L’Empereur est irrité par l’inconstance de Cleonilla ;
celle-ci minaude, et retourne l’accusation contre lui. Un jeune homme entre
en scène ; il dit s’appeler Ostilio ; en réalité, il s’agit de Tullia, une dame
étrangère, amoureuse de Caio Silio, travestie en page (la soprano
Margherita Faccioli, de Vicence, qui avait chanté quelques mois plus tôt
dans le même théâtre). Sous ce déguisement, elle cherche à surprendre son
amant volage et, pour cela, elle est entrée au service de sa frivole rivale.
La scène change : « Au centre d’un charmant bosquet de myrtes une
rotonde sur laquelle se trouve une baignoire et un lit de camp ; à l’arrière-
plan, une cascade d’eau. Cleonilla sort de son bain. Ottone la tient par la
main ; survient Decio. »
Scène d’intimité entre l’Empereur et sa maîtresse ; l’auditoire devient
voyeur. Decio, serviteur de l’Empereur, dernier personnage à entrer en
scène, assiste au duo amoureux : l’interprète, Gaetano Mozi (ou Mossi)
(ténor), est un chanteur d’origine romaine ; trois ans plus tôt il s’était
produit à Rome, dans le théâtre privé du cardinal Pietro Ottoboni. On
l’entend sur les scènes vénitiennes dans plusieurs opéras. Le serviteur
prévient son maître : les Romains, dit-il, se plaignent de l’absence de leur
empereur ; il cherche à le ramener à la raison. Decio reproche à Cleonilla sa
lascivité et sa mauvaise influence sur l’Empereur. Quant au bel Ostilio
(Tullia travestie), il profite de la séduction exercée sur sa patronne, pour
détourner celle-ci de Caio. Caché mais proche, ce dernier entend la
conversation entre les deux femmes (il se méprend et pense qu’il s’agit
d’une scène sensuelle entre Cleonilla et son page). Preuve en main, Tullia
peut maintenant démontrer au fiancé volage que Cleonilla est une femme
infidèle. L’acte se termine par un air de bravoure (« Gelosia/Tu già rendi
l’alma mia »), chanté par Caio, jaloux d’Ostilio et déçu dans son amour
pour Cleonilla : il se vengera en révélant à Ottone que sa maîtresse le
trahit !
Le second acte se situe dans un coin retiré du parc entourant la villa
impériale : « Un bosquet de verdure en contrebas d’une plaisante colline ;
un bassin d’eau pour l’agrément de l’Empereur, une grotte couverte de
végétation et, tout autour, plusieurs sièges de mousse. »
Decio encourage son maître à rester vigilant : le peuple romain fomente
contre vous, à cause de votre relation avec cette femme indigne, dit-il.
Exaspéré, Ottone se lance dans une aria de bravoure (« Come l’onda, /Con
vorragine orrenda »). Decio restera néanmoins fidèle à l’Empereur ; à son
tour, il chante une aria héroïque (« Che giova il trono al Re »).
Caio est assis sur un siège de mousse, la tête inclinée en arrière. Il rumine
sa colère et sa jalousie contre le page. Tullia s’est cachée dans la grotte. Un
dialogue s’engage entre les deux personnages (Caio assis à l’extérieur et
Tullia enfermée dans la grotte), d’abord en recitativo secco puis en récitatif
accompagné : l’émotion croît avec la musique. Puis l’ensemble
instrumental se divise en deux : deux flûtes et deux violons (Antonio et
Giovanni Battista ?) « in scena » (sur scène) ; les autres musiciens (cordes
et basse continue) à leur place, à distance : deux groupes instrumentaux et
deux personnages, dispersés dans l’espace ; au total, quatre sources sonores,
comme lorsque, en mai 1704, Vivaldi et Gasparini distribuaient les filles du
chœur dans les quatre angles de l’église de la Pietà, produisant entre les
musiciennes des effets d’écho et une tension dramatique qui réjouissaient
l’auditoire. Caio est bouleversé. Il dialogue avec la nature : chant des
oiseaux, brise, murmure de l’eau. Les soupirs et la voix de Tullia déformés
par la grotte répondent à Caio ; elle reproche à l’amant volage son
infidélité.
Tullia est maintenant sortie de la grotte. Elle est devant Caio, de nouveau
sous le déguisement d’Ostilio ; elle feint de se trouver là par hasard. Aux
yeux de Caio, elle est un rival à éliminer.
« Un pavillon rustique avec une coiffeuse et un miroir. Cleonilla se
contemple dans le miroir, tandis que Caio approche. »
Cleonilla triomphe : trois hommes se prosternent à ses pieds. Soumis,
Caio remet à la belle une lettre où il confirme ses sentiments. Intervient
Ottone qui s’empare de la missive, la lit, et découvre le jeu amoureux qui
s’était tramé derrière son dos. Cleonilla ne perd pas son assurance : ce
garçon perd son temps en me courtisant, dit-elle, puisque moi, je ne l’aime
pas. En présence d’Ottone, elle écrit à Caio pour le dissuader de poursuivre
sa cour. Elle chante une aria largo. À cet endroit du manuscrit (fol. 80),
Vivaldi a noté « Cleonilla chante l’aria suivante tout en s’interrompant
constamment pour écrire ». Elle remet la lettre à Ottone et, avec la même
douceur feinte, chante sa constance et sa fidélité. Toujours aux côtés
d’Ottone, Decio exprime sa fidélité à l’Empereur. Ottone lit les deux lettres,
celle de Cleonilla puis celle de Caio. Magnanime, il comprend la détresse
de l’amoureux évincé et usera de clémence. Caio se retrouve seul ; il ne
peut contenir sa colère contre Cleonilla. Tullia, à son tour, est seule en scène
et exprime son désespoir (Misero spirto mio). C’est un air virtuose,
concertant ; presto et largo alternent ; la jeune femme est divisée, entre sa
colère et son amour pour Caio.
Le troisième acte est bref ; il ne comporte que cinq arias. Le décor
représente « Un passage solitaire avec des recoins cachés par des
frondaisons ». Decio essaie encore de convaincre Ottone de retourner aux
affaires de l’État. Je n’ai que faire du trône et de l’empire, répond Ottone,
pourvu que je sois auprès de ma bien-aimée. Maintenant, la situation est
très emmêlée : Cleonilla fait semblant de repousser Caio ; puis elle joue de
ses charmes pour tenter de conquérir le page. Caio se cache derrière les
plantes et assiste à la scène ; il chante d’abord une aria très douce en mi
mineur « Guardami almeno, e senti » (III, 4) : l’introduction au violon est
plaintive, chargée d’émotion (« violino solo senza bassi » – violon seul sans
les basses) ; à la fin, Vivaldi place un signe de cadence sur la dominante et
note : « Qui si ferma a piacimento » (Ici on joue selon son bon plaisir).
Cadence : moment réservé au seul violoniste qui peut improviser et, à
l’instar des chanteurs, déployer sa virtuosité technique devant le public.
Cette cadence improvisée fut-elle jouée par Vivaldi lui-même ? Un visiteur
allemand, le baron von Uffenbach qui entendra bientôt jouer Vivaldi au
Sant’Angelo, laisse ce précieux témoignage : « Vers la fin, Vivaldi joua un
magnifique a solo qu’il fit suivre d’une cadence, qui m’éblouit
véritablement car jamais on n’entendit (et jamais on n’entendra plus) une
telle façon de jouer. » Passé ce moment de lyrisme musical, tout à la gloire
du compositeur virtuose, on voit Caio qui observe à la dérobée la scène
entre Cleonilla et Ostilio. Convaincu de l’infidélité de Cleonilla, il sort de
sa cachette, se saisit d’un stylet, menace de tuer Ostilio. L’intrigue se
dénoue rapidement : Tullia enlève sa perruque. Agenouillée aux pieds
d’Ottone, elle avoue tout. Caio et Tullia se pardonnent réciproquement ;
Cleonilla et Ottone leur emboîtent le pas : tous chantent en chœur la fin
heureuse.
Dans l’Ottone in villa, Vivaldi affirme son style particulier ; il est le
Vivaldi de la « Fantaisie Harmonique » (L’Estro Armonico) : des rythmes
énergiques, souvent issus de l’univers de la danse, un jaillissement inventif
permanent, une verve mélodique très personnelle et des harmonies
audacieuses que lui permettent sa parfaite maîtrise du violon, son habitude
de jouer et d’improviser en public, un style vocal issu de la technique
violonistique, du jeu de l’archet sur les cordes. À l’exception de l’aria de
Tullia « Che bel contento io sento » (III, 5), écrite en quatre sections AA B
C et D, comme une lente coda, toutes les arias sont écrites avec un retour au
début (à da capo) ; tour à tour languides et douces, ou brillantes et
virtuoses ; arias de demi-caractère quand il s’agit de rendre la gravité du
discours ; récitatifs accompagnés chargés d’émotion, dans les moments
d’instabilité et de malaise psychologique. Le compositeur ménage de
longues suspensions durant lesquelles les acteurs peuvent s’exprimer par la
gestuelle et par le regard.
Le livret de l’Ottone in villa évoque la haute société romaine de
l’Antiquité, lorsque celle-ci se repose et se divertit loin de la capitale. De
prestigieuses personnalités étrangères, esthètes et mécènes, ont élu leur
résidence dans la Rome des xviie et xviiie siècles : de 1659 à sa mort en
1689, la reine Christine de Suède ; quelque temps plus tard, à partir de
1696, Maria Casimira (après la mort de son mari, le roi de Pologne Jean III
Sobieski), qui possède son théâtre privé. La fille de Maria Casimira,
Therese Kunigunde, vit en exil à Venise. De Venise, elle se rend à Vicence
pour assister à l’Ottone in villa. Therese écrit à son mari, l’Électeur de
Bavière, et lui parle de ce spectacle avec enthousiasme, ainsi que des
chanteurs. On ne connaît pas la lettre de Thérèse mais la réponse que lui
envoie son époux, l’Électeur Max Emmanuel, écrite en français et datée du
25 juin 1714 ; il y félicite son épouse d’être allée à Vicence « à l’occasion
de la foire, et pour y voire l’Opera qui est tres beau3 ». Quelque temps plus
tard, Therese Kunigunde fera engager le castrat Bartolomeo Bartoli à
Munich, et suggérera aussi à son mari le nom de Vivaldi pour diriger la
chapelle musicale bavaroise…
La villégiature
Dans l’Ottone in villa, pas de lourde intrigue politique ; pas d’allusions
cryptées aux conflits pour le trône d’Espagne… Cet opéra évoque
simplement le goût des riches Vénitiens pour la villégiature dans leurs villas
construites sur les rives de la Brenta, ou sur les collines avoisinantes, près
de Vicence par exemple. Cela fait bien longtemps maintenant que la
noblesse de la Sérénissime, chassée par les Ottomans des territoires qu’elle
occupait dans le Levant, s’était installée dans les campagnes de la Vénétie.
Elle y dirigeait paysans et ouvriers et, désormais, passait une bonne partie
de l’année en terre-ferme. Les villas léguées par leurs aïeux avaient été
embellies de fresques dont les thèmes étaient (comme ceux des livrets
d’opéra) inspirés des romans de l’Arioste et du Tasse, de la mythologie et
de l’Antiquité romaine. Ils avaient agrandi les jardins trop exigus, y avaient
fait disposer par les architectes des statues, des grottes, des plans d’eau, des
fabriques. « Le jardin du comte de Valmarana est une chose fort vantée dans
cette ville », écrit, lors de son étape à Vicence, Maximilien Misson dans son
Nouveau Voyage d’Italie ; « & l’inscription que nous avons lue, au-dessus
de la porte de ce jardin, nous en a donné de grandes idées. Voici à peu près
ce qu’elle contient : “Arreste toy, cher voyageur : toi qui cherches les
choses rares, & les lieux enchantez ; c’est icy que tu trouveras à te
satisfaire. Entre dans ce jardin délicieux & gouste abondamment toutes
sortes de plaisirs. Le comte de Valmarana te le permet.” Effectivement,
poursuit Misson, on a autrefois eû dessein de faire là un lieu assez agréable.
Il y avoit un canal, des parterres, des cabinets : & il reste encore une belle
allée de citronniers & d’orangers. »
À l’époque de Vivaldi, les nobles construisent en terre-ferme des
centaines de nouvelles demeures. Les Grimani (qui possèdent les deux plus
beaux théâtres de Venise) font partie des plus riches propriétaires terriens.
L’architecte de Padoue, Girolamo Frigimelica Roberti, qui crée les décors
des opéras du théâtre San Giovanni Grisostomo, dessine aussi les jardins de
la splendide villa Pisani, à Stra, sur les bords de la Brenta. Les saisons
consacrées à la villégiature sont de plus en plus longues et nombreuses. Les
Vénitiens, gens de la mer, ont appris à aimer la campagne, à vivre dans la
nature, à se divertir en jouant la comédie, en organisant des concerts dans
les salons de musique, des fêtes en plein air et des banquets dans les
prestigieuses salles de bal de leurs villas. La réalité et l’illusion se
confondent. Les classes sociales se mélangent ; maîtres et domestiques
partagent les mêmes loisirs. Des thèmes qui hanteront les livrets du Vénète
Lorenzo da Ponte et, par ricochet, les partitions de Mozart !
Goût pour un univers simple et rustique, nostalgie du temps qui passe,
des saisons qui s’enfuient, sujets poétiques et tableaux réalisés par les
peintres locaux à l’intention des touristes étrangers, anglais en particulier
qui, comme le comte de Pembroke, auquel est dédié le livret de l’Ottone,
collectionnent ces trésors, les rapportent dans leur pays et en font les
supports de leurs rêveries. Ce sont des coins de jardin, dans le goût rocaille,
des caprices et des vedute dont Marco Ricci et Canaletto – eux-mêmes
décorateurs de théâtres – se font les spécialistes. Les décors de l’Ottone in
villa évoquent un jardin de fantaisie ; les scènes sont de charmantes visions.
Dans cette nature, théâtre des sentiments, Vivaldi trouvera sa meilleure
veine. Plein de séductions dangereuses, le jardin de Cleonilla entraîne
l’homme vers sa chute. Le parc qui entoure la villa d’Ottone sait aussi se
faire refuge, lieu solitaire où les êtres sensibles, comme Tullia et Caio,
épanchent, à l’écart de la société, leurs peines de cœur, dialoguent avec le
murmure de la source, avec la brise dans les feuillages, les chants
d’oiseaux. La scène de la grotte, au second acte d’Ottone (« L’ombre, l’aure
e ancora il Rio »), lorsque les flûtes et les violons dialoguent avec les
personnages éplorés, contient déjà tous les éléments du Printemps. La
« Primavera », telle que le public romain l’entendra, en 1724, au début de
l’opéra Il Giustino, quand la Fortune paraît en scène juchée sur sa machine ;
tel qu’il sera élaboré ensuite dans le célèbre premier concerto de l’Opus 8.
Les propos paraissent futiles, les situations sont parfois transgressives (un
empereur germanique qui oublie son devoir auprès d’une coquette
Romaine, deux femmes qui se caressent sur scène…). Pourtant, le sujet de
cet opéra n’est-il pas plus grave qu’il y paraît ?
Depuis le traité de Karlowitz, signé en 1694 entre Venise et l’Empire
ottoman, la paix semble régner dans la République Sérénissime. Toutefois,
à l’heure où l’on donne l’Ottone in villa, des rumeurs courent… Les
tensions entre la Russie et la Turquie se sont accrues ; il suffit d’un rien
pour que ces difficultés politiques rejaillissent sur la Sérénissime et que la
guerre reprenne avec Venise, anéantissant les conquêtes précédentes de
Francesco Morosini. Est-il encore possible, en ces premières années du
siècle nouveau, de croire en une victoire possible de la flotte vénitienne ?
Combien de batailles inutiles, de vies sacrifiées pour rien ! La paix n’est-
elle pas plus désirable que le monde du pouvoir ?
Dans les mois qui suivront, Vivaldi réutilisera plusieurs arias de l’Ottone
in villa, au théâtre Sant’Angelo, dans l’Orlando furioso, ainsi que dans
l’Orlando finto pazzo ; plus tard, en 1719, dans Tito Manlio et dans
Teuzzone, puis dans d’autres opéras encore.
Plusieurs arias de cet opéra seront disséminées en Italie et en Europe par
l’intermédiaire des chanteurs qui les colportent d’une scène à l’autre. La
contralto vénitienne, Diana Vico, interprète du rôle d’Ottone, est l’une des
principales cantatrices à chanter des airs de Vivaldi à Londres, arias
intégrées à des pastiches signés ou non par des compositeurs résidant en
Angleterre. Dès 1713, elle reprend l’aria « Frema pur, si lagni Roma » (I, 7)
dans le pastiche Ernelinda au théâtre Haymarket. Deux ans plus tard, sur les
mêmes scènes, elle interprétera l’aria « Sole degli occhi miei » (qui avait été
chantée à Vicence par Anna Maria Giusti), dans Lucio Vero, un pastiche
arrangé par Nicola Francesco Haym.
Les imprésarios, les directeurs de théâtres, les troupes itinérantes
intègrent dans leurs spectacles ces arias manuscrites, détachées du corps des
opéras, transportées dans les malles, d’une ville à l’autre. L’aria de Decio
« L’esser amante colpa non è » (III, 2) est chantée dans Die Getreue Alceste
(Le fidèle Alceste), un pastiche donné à Hambourg, sous la direction de
Georg Caspar Schürmann, un compositeur allemand qui avait passé
quelques années à Venise. Schürmann est l’un des principaux promoteurs
du répertoire vénitien en Allemagne.
Ces phénomènes échappent au contrôle de Vivaldi qui, lui-même, ne
cesse de réemployer ses propres œuvres, les masquant, les parodiant, faisant
circuler les thèmes d’une œuvre à l’autre. La Sinfonia d’ouverture de
l’Ottone sera reprise dans plusieurs concertos ; le premier mouvement
réapparaît dans le concerto RV 370 ; le troisième mouvement dans trois
concertos différents : RV 185 (op. 4 n° 7), RV 188 (op. 7 n° 2) et RV 447.
De vocales, les mélodies se font instrumentales : ainsi le thème de l’aria de
Caio « Chi seguir vuol la costanza » (I, 5) sera employé dans le cinquième
mouvement du concerto pour basson dit La Notte RV 501 (ainsi que dans le
troisième mouvement du concerto RV 268). De l’opéra, les thèmes vocaux
migrent dans la musique sacrée : le thème de l’aria « Chi seguir vuol la
costanza » est repris dans l’un des chœurs du psaume Laudate pueri (RV
602).
Seize ans plus tard, en 1729, Vivaldi aménagera le manuscrit de l’Ottone
in villa pour une représentation au Teatro Dolfin, de Trévise. Si le manuscrit
autographe conservé à Turin correspond bien à la création de Vicence, les
nombreuses interventions effectuées par le compositeur sur sa partition
(passages rayés, mentions diverses servant aux chanteurs et aux musiciens :
« Ne se joue pas » (« Non si suona »), « air en blanc » (« aria in bianco »),
« ceci ne se dit pas » (« qui non si dice »)… font penser que celui-ci a
travaillé sur la partition de Vicence pour préparer la reprise de Trévise. Il
faut changer les tessitures (le rôle de Decio, écrit pour un ténor, est chanté
par une femme ; Caio, de soprano devient contralto ; le rôle d’Ottone, écrit
pour la contralto Diana Vico, est interprété par une basse). Des récitatifs
sont coupés. Un nouveau personnage est intégré à la dramaturgie, Ersina,
sœur de Caio, qui reçoit trois nouvelles arias. Seules quelques arias de
l’Ottone créé à Vicence réapparaissent dans le livret de Trévise, où le nom
du compositeur n’est pas mentionné. De nombreuses arias sont réécrites,
empruntées peut-être par Vivaldi à plusieurs des opéras composés avant
1729, ou même intégrées par les chanteurs eux-mêmes. Enfin, phénomène
troublant, le manuscrit corrigé de l’Ottone in villa ne correspond pas
exactement au livret de l’Ottone, tel qu’il aurait été exécuté à Trévise, en
1729…
Dès 1713, la « méthode » de travail de Vivaldi, compositeur et arrangeur,
est en place. Il constitue un réservoir de thèmes, instrumentaux et vocaux,
qui serviront dans d’autres œuvres : repris à l’identique, ou modifiés pour
s’adapter aux effectifs à disposition, aux livrets, aux interprètes, aux
exigences des imprésarios. Tous les opéras composés par Vivaldi seront
régis par ces mécanismes. L’économie des théâtres de l’époque n’est viable
que dans la rapidité. L’impératif est : faire du neuf avec du vieux tout en
paraissant constamment nouveau ! Il faut trouver des solutions, quand les
moyens financiers et artistiques sont limités, quand les spectacles sont
décidés au dernier moment, parfois modifiés dans des conditions extrêmes.
Ce sens de l’adaptation fait partie du génie du compositeur.
Le 10 juin 1713, Antonio Vivaldi et son père sont encore (ou de nouveau)
à Vicence ; les Dominicains les ont invités à plusieurs fêtes liturgiques,
données au monastère et à l’église de Santa Corona.
L’église en briques rouges de Santa Corona est à deux pas du Teatro
Olimpico. Si le monastère fut bombardé en 1944, l’église en revanche a
gardé l’aspect général qu’elle avait à l’époque de Vivaldi, malgré les
nombreuses restaurations entreprises sur ce monument au xixe siècle. En
1713, lorsque les Vivaldi s’y produisirent, l’église Santa Corona conservait
encore le tombeau d’Andrea Palladio.
Les Dominicains ont organisé un hommage au pape Pie V (Michele
Ghisilieri), membre de leur congrégation qui avait été canonisé l’année
précédente, le 4 août 1712. Pie V avait joué un rôle essentiel lorsque les
forces navales espagnoles, génoises et vénitiennes s’étaient unies en une
seule armée, la Sainte Ligue, qui remporta la célèbre bataille de Lépante
contre les Turcs, le 7 octobre 1571. Guerre encore et infinie célébration de
la victoire ! Les fêtes messes, processions, concerts sacrés alterneront
pendant une semaine (« Octave ») et se termineront le 18 juin 1713.
À cette occasion, Vivaldi compose son premier oratorio, La Vittoria
Navale (RV 782). La dramaturgie évoque la bataille historique des chrétiens
contre l’armée ottomane. L’auteur du livret, un prêtre de Pavie, ne veut pas
choquer la congrégation catholique. En forme d’Avertissement, il écrit dans
sa préface : « Lecteur, Tu connais très bien la prédiction faite par le Saint
Père Pie V sur la célèbre Bataille Navale remportée à Lépante par les
Armées Chrétiennes contre les Turcs ; comme tu le verras, il s’agit d’une
œuvre brève, pour le texte comme pour la musique. Les mots qui sont
contraires à la Foi catholique tu ne les entendras que dans la bouche de
l’Infidèle. Ils sont le reflet de ses mœurs et n’expriment pas les sentiments
de celui qui écrit. »
La partition est hélas perdue. Nous ne conservons que le livret, en italien,
de ce premier oratorio qui ne précède que de trois ans la plus célèbre
Juditha triumphans. Écrit en deux parties, le texte comporte trois
personnages allégoriques : la Valeur, l’Infidélité (c’est-à-dire l’adversaire
musulman), l’Ange qui descend du Paradis (lumière envoyée du Ciel pour
illuminer l’esprit du Saint Père, qui « répandra sur la mer souillée le sang du
cadavre de l’Infidèle ») et un personnage historique, le pape Pie V.
Un document manuscrit découvert dans les archives de Vicence relate le
déroulement de ces fêtes religieuses et musicales4. L’ensemble instrumental
était formé de : quatre (ou six) violons (dont Antonio et Giovanni Battista
Vivaldi), deux violette (altos), un violone, une viola da brazzo5, un
hautbois, une trompette et l’orgue. Les huit chanteurs étaient tous
masculins, comme il se doit à l’église, deux par partie : deux sopranos (dont
le castrat Bartolomeo Bartoli), deux altos, deux ténors (dont Gaetano
Mossi) et deux basses. On utilisa quelques décors, dont le portrait du pape.
Les fêtes se poursuivirent jusqu’au jeudi, relate le chroniqueur, jour où,
après le repas, on exécuta l’oratorio à quatre voix qui remporta un vif
succès […] tant pour la musique écrite par le virtuose D. Antonio Vivaldi,
maître des concerts à la Pietà de Venise, que pour l’intermède de
cornemuse […]6 que celui-ci exécuta avec son merveilleux violon, ainsi
que pour le jeu d’échos – vivement applaudi – qui s’engagea entre notre
grand orgue et son violon, réalisant à deux une fugue qui souleva le Viva !
de tout l’auditoire.
En l’église Santa Corona de Vicence, Vivaldi avait donc déployé son
extraordinaire virtuosité violonistique, son art de l’improvisation et son
étonnante capacité à émettre, tantôt par les combinaisons harmoniques,
tantôt par la sonorité produite par le frottement de l’archet sur les cordes,
des effets particuliers, surprenants, qui avaient enthousiasmé le public de
Vicence.
Quelques jours plus tard, il reçoit son paiement et signe le reçu de sa
main :
Ce 27 juin 1713, j’affirme avoir reçu du Révérend Père comptable de
S. Corona 310 lire pour quatre violons, plus 186 lire pour la Composition,
et les copies de l’Oratorio, à l’occasion des offices célébrés pendant
l’Octave de saint Pie, pour un total de 496 L. Je soussigné Antonio
Vivaldi7.
Dans la diligence qui vient de quitter Vicence et se dirige vers Venise,
outre les Vivaldi, se trouvent le ténor Gaetano Mossi que l’on entendra au
San Giovanni Grisostomo au cours du carnaval suivant puis en été 1718, à
Florence, au théâtre de la Pergola, dans le Scanderbeg de Vivaldi ; Anna
Maria Giusti – la frivole Cleonilla – qui interprétera dans l’Orlando furioso
le rôle de l’ambiguë Angelica, Margherita Faccioli – la douce Tullia – qui
sera la magicienne Alcina ; peut-être aussi, roulées et ficelées sur le toit, ou
repliées dans les malles, à l’arrière de la voiture – comme le dit Maximilien
Misson – des toiles peintes : un jardin « délicieux » orné de bosquets,
charmilles et bancs de mousse, une grotte, pour y enfermer Roland, et des
accessoires de toutes sortes : costumes, chapeaux, fleurs, fontaines et
miroirs, où se refléteront les visages de ces équivoques séductrices…
(1713-1715)
En fin de carnaval, les Vivaldi ont inscrit à leur programme Nerone fatto
Cesare (Néron fait César) (RV 724)23. Le livret de Matteo Noris avait été
originellement mis en musique par Giacomo Antonio Perti et l’opéra créé à
Venise en 1693. L’Avertissement au lecteur n’est pas signé. On dit
seulement que le livret original a été « adapté au goût moderne par une
plume célèbre ». Les décors sont réalisés par Bernardo Canale, qui avait
déjà conçu les scénographies de l’Orlando finto pazzo. Trois femmes
incarnent des personnages masculins : Anna Maria Fabri dans le rôle titre
de Nerone ; Margherita Gualandi dans celui d’Agrippina, tandis
qu’Elisabetta Denzio incarne Tigrane. Parmi les autres chanteurs, on trouve
le castrat Andrea Pacini et la basse Anton Francesco Carli, dans le rôle de
Sénèque, qui compose lui-même la musique de son aria « È la corte ».
Du livret original, il ne reste presque plus rien. Vivaldi réalise un collage
d’arias anciennes (certaines provenant de la partition originelle de Perti,
d’autres composées par le célèbre chanteur et compositeur Francesco
Antonio Pistocchi) et d’arias plus récentes signées par Antonio Pollarolo,
Francesco Gasparini, et Giuseppe Maria Orlandini. Vivaldi compose
néanmoins pour cet opéra une douzaine d’arias ; deux d’entre elles seront
utilisées dans des opéras ultérieurs24.
(1713-1717)
« Des Vêpres »
« Un oratorio »
À l’époque de Vivaldi, le motet n’a plus rien de commun avec les pièces
polyphoniques de la Renaissance. Ce qu’on appelle « motet » est une œuvre
relativement courte, pour une voix soliste (à la Pietà soprano ou contralto),
accompagnée par un petit effectif instrumental (cordes et basse continue).
Le motet ne se différencie de la cantate profane que par le texte en latin et
l’Alleluia final. Comme la cantate, le style du motet évolue dans le sillage
de l’opéra. Il n’est pas considéré comme un genre liturgique au sens strict
du terme. Les textes ne sont pas extraits des Écritures saintes, mais fournis
par des auteurs généralement anonymes. Ils sont écrits dans un latin souvent
médiocre, mélangé d’italianismes, influencé par la poésie mélodramatique
de l’époque, autre élément qui les rapproche de la cantate. Il est considéré
comme une pièce festive.
Pierre Jean Grosley, qui se trouve à Venise en 1759-1760, fournit ce
témoignage :
Les Fêtes & Dimanches, l’Office paroissial du matin n’est suivi à
Venise que par quelques bonnes âmes dont le Curé possède exclusivement
la confiance. […] Les Oratorio que donnent les Conservatoires tiennent
lieu pour tout le monde de l’Office de l’après-dînée. Dans ces
Conservatoires administrés avec ferveur par quelques vieux Sénateurs, des
orphelines ou filles abandonnées, sont élevées, entretenues & dotées des
fonds considérables affectés à chacune de ces Maisons, sous la direction
des meilleurs Maîtres. La Musique fait la partie capitale d’une éducation
qui paroît plus propre à former des Laïs & des Aspasies, que des
Religieuses ou des Mères de famille. Quoi qu’il en soit, ces
Conservatoires ont tour à tour de belles Vêpres en Musique suivies d’un
grand Motet, dont les loueurs de chaises vendent les paroles, qui ne sont
autre chose qu’un mauvais assemblage rimé de mots Latins, où les
barbarismes & les solécismes sont plus communs que le sens & la raison ;
aussi est-ce ordinairement l’ouvrage du Sacristain. La plus brillante
musique brode ce mauvais fond ; elle est exécutée, & pour la partie
vocale, & pour la partie instrumentale, uniquement par les filles de la
Maison, que l’on voit à travers la grille garnie d’un crêpe léger, se
trémousser, & se donner tous les mouvemens qu’exige l’exécution de la
Musique la plus vive : le tout presque toujours à l’Italienne, c’est-à-dire
sans battement de mesure […]48.
Le motet est exécuté à des moments précis de l’office, de la messe
solennelle ou des Vêpres, à raison d’un ou deux par célébration religieuse.
Il sert de pause, permet la prière tout en offrant un moment de pure
délectation à l’auditoire. Il peut aussi être placé avant le début de la messe,
préparant ainsi l’atmosphère de la célébration. Les paroles et le climat du
motet se référent à la fête célébrée le jour pour lequel le compositeur l’a
conçu. L’esthétique en est généralement simple et candide. Les textes sont
émaillés d’évocations de la nature (les fleurs, les étoiles, le ciel…) propres à
susciter l’espérance et la foi dans le cœur des filles de l’hospice. La
musique exprime cette aspiration à la pureté. Dans les quatre ospedali de
Venise, le motet permet de valoriser la voix de telle ou telle fille pour
laquelle la pièce a été écrite spécifiquement, s’adaptant à la tessiture, aux
qualités vocales et à la personnalité de l’interprète.
Le chroniqueur du journal vénitien Pallade Veneta évoque, en 1688,
l’exécution d’un motet à la Pietà, chanté par Barbara, durant une messe
célébrée en la mémoire du doge Marc’Antonio Giustiniani, récemment
décédé. Après avoir longuement décrit le décor de l’église (ornements
noirs, nombreux cierges) et suggéré la tristesse de l’assemblée, l’auteur
écrit :
Madame Barbara, qui est l’une des chanteuses de cette chapelle
musicale, interpréta avant la messe un motet chargé d’affliction […]. Le
texte de Bernardo Sandrinelli et la musique de Don Giacomo Spada, le
maître de ces femmes talentueuses, étaient particulièrement appropriés,
avec dièses, demi-tons, bémols et dissonances, tous placés entre pauses et
soupirs, entre fugues lentes et réponses étouffées. Exécuté par la gorge de
cette Sirène éplorée, il toucha profondément les auditeurs noyés dans un
fleuve de larmes. Après cette cantate funèbre, la messe solennelle se
termina dans la satisfaction générale. L’assemblée entière se sentait
pénétrée par la paix et le repos de l’âme de celui pour lequel on avait
prié49.
Les motets de Vivaldi présentent une structure à peu près fixe : le premier
mouvement est écrit allegro, suivi par un bref récitatif ; puis un second
mouvement lent, lyrique, dans une tonalité voisine ; le troisième
mouvement, l’Alleluja final, brillant, ornementé, festif, revient dans la
tonalité principale ; sauf quelques exceptions (deux mouvements vifs, ou un
mouvement lent et un mouvement vif). Avec son alternance entre
accompagnement instrumental et voix, le motet de Vivaldi ressemble à un
« concerto » pour voix soliste.
On ne conserve pas plus de douze motets de Vivaldi. Seuls cinq d’entre
eux semblent avoir été composés entre 1713 et 1717. Les manuscrits,
presque tous dans le fonds de Turin, sont des autographes.
– Carae rosae respirate (RV 624). La datation de ce motet pour soprano
conservé à Londres en deux exemplaires50 n’est pas certaine.
– Clarae stellae scintillate (RV 625) pour contralto (datation incertaine
également). Les deux arias sont écrites dans un mouvement rapide. Le texte
est enrichi de métaphores aux étoiles et d’images naïves : « Claires étoiles,
scintillez ! » Le cœur trouve la joie dans la prière. La beauté est en nous.
Fraîcheur, espérance, candeur, répétitions des mêmes phrases sont les
caractéristiques de cette œuvre. Les arias ne sont pas écrites à da capo,
comme cela est le plus souvent le cas dans le motet, mais sous forme de
sections, sur le modèle des mouvements de danses. Il a peut-être été
composé pour la fête de la Visitation de la Vierge, le 2 juillet.
– Invicti bellate (RV 628). Deux pages manquent dans le manuscrit de ce
motet pour contralto.
– Nulla in mundo pax (RV 630), motet pour soprano dont le manuscrit
n’est que partiellement autographe.
– Vestro principi divino (RV 633). Dans le manuscrit de ce motet pour
contralto, un feuillet est inséré aux fol. 163-164, peut-être une alternative au
troisième mouvement, à moins que ce fragment ne provienne d’une autre
œuvre51.
« D’autres œuvres »
Parmi les quelques autres pièces qui auraient pu être composées par
Vivaldi pour la Pietà entre 1713 et 1717, on pourrait encore ranger, parmi
les œuvres religieuses connues, un Magnificat, cinq Introduzioni et un
hymne.
– Le Magnificat est tiré de l’Évangile selon saint Luc (I, 46-55). Ce
cantique de la Vierge peut être chanté pour l’Assomption, fête qui revêt une
valeur particulière pour la Pietà. On conserve quatre versions du Magnificat
de Vivaldi. Le plus ancien, le RV 610b, pourrait avoir été écrit pour la Pietà
entre 1713 et 1717 ; RV 610 et RV 610a sont datables plutôt de 1720-1735
et se trouvent sur le même manuscrit autographe conservé à Turin52, qui
porte des annotations : « Il pio Ospedale della Pietà », et les noms des filles
notés à plusieurs endroits : Apollonia, Maria Bolognese, Ambrosina et
Albetta. La quatrième version (RV 611) est datable de 1739, c’est-à-dire la
période finale ; elle est aussi contenue dans le manuscrit Giordano 35, à
Turin. On en trouve un fragment dans le fonds « Esposti », au
Conservatoire Benedetto Marcello de Venise. Le Magnificat (RV 610b) que
l’on situe à la première période de Vivaldi à la Pietà est écrit pour deux
sopranos, un alto, un ténor et une basse, un chœur à quatre parties, les
cordes et la basse continue (orgue). Cette œuvre se trouve à Prague en deux
exemplaires. Il s’agit de deux copies ; la première, au Národní Muzeum,
provient du couvent Ossegg53 ; la seconde, conservée à l’Arckív
Metropolitní Kapituly54, comprend en plus deux « clarini » (clarinettes),
sans doute ajoutés par un autre musicien.
– Cinq Introduzioni. L’Introduzione précède certaines pièces de la messe,
comme le Gloria, ou certains psaumes (ici le Dixit et le Miserere) et prépare
le climat de l’œuvre qui suit. C’est un moment de prière, de méditation et
de foi. Les auteurs des textes ne sont pas connus. À l’époque de Vivaldi,
l’Introduzione est une forme qui n’est plus guère en usage ; il semble que le
compositeur ait cherché à en conserver la tradition. Au plan formel, une
Introduzione ressemble beaucoup à un motet. Le plus souvent la voix soliste
est accompagnée par les cordes et la basse continue. Le plan est : Aria-
récitatif-Aria, sans l’Alleluia final, qui se trouve dans le motet. Comme
dans le motet, l’esthétique est associée à la candeur féminine ; allégories
des fleurs, du jardin, monde candide et bucolique. C’est l’univers de la
Vierge. Les images simples sont transportées du texte vers la musique.
On ne conserve que huit Introduzioni de Vivaldi. Elles sont à voix seule.
Cinq d’entre elles semblent dater des premières années à la Pietà. Les
manuscrits autographes sont conservés à Turin.
– Une Introduzione au Dixit Dominus Domino meo (psaume 109) :
« Ascende laeta montes » (RV 635) pour soprano.
– Deux Introduzioni au Miserere mei Deus (psaume 50) chanté pendant la
Semaine sainte (mais on ne conserve pas de Miserere de Vivaldi) : « Filiae
mestae Jerusalem » (RV 638) pour contralto ; exceptionnellement, cette
pièce commence et finit par un récitatif très plaintif, en forme de
déploration ; l’aria qui suit est un largo douloureux. À l’idée de la mort du
Christ, nous sommes envahis par la tristesse ; la nature doit participer à ce
chagrin. On invoque les filles de Jérusalem (auxquelles, symboliquement,
les filles du chœur peuvent s’identifier) qui pleurent sur la crucifixion.
Pendant la Semaine sainte, l’orgue devait être remplacé par l’épinette qui
exécutait la ligne de basse ornementée. La seconde Introduzione au
Miserere, « Non in pratis » (RV 641), est pour contralto.
– Deux Introduzioni au Gloria (fragment de messe) : la première,
« Jubilate ò amaeni chori », existe en deux exemplaires. Pour le premier
(RV 639), la datation du manuscrit autographe est incertaine. La pièce est
écrite pour quatre voix solistes (SATB), un chœur à quatre parties,
trompette, deux hautbois, cordes et basse continue (orgue). Le second
manuscrit (RV 639a) est partiellement autographe ; l’effectif est le même ;
les parties solistes pour contralto de la version précédente sont confiées à
une voix de soprano ; sur le manuscrit apparaît l’intervention d’une écriture
étrangère, peut-être celle de Giovanni Battista Vivaldi ; la seconde
Introduction au Gloria, « Ostro picta armata spina » (RV 642) pour
soprano, dont la datation n’est pas certaine.
Parmi les œuvres sacrées de Vivaldi dites de la « première période », on
peut encore faire entrer l’hymne Gaude Mater Ecclesia (RV 613) pour
soprano, cordes et basse continue.
10
(1716-1717)
11
(août-novembre 1716)
Judith est l’une des héroïnes bibliques qui a le plus inspiré les peintres de
la Renaissance et de l’âge baroque. Le thème avait été mis à la mode par
Caravage. Chez Giorgione, Judith est debout sur une terrasse, l’épée à la
main, la tête du général placé sous son pied. Chez Titien, la scène rappelle
la décapitation de Jean-Baptiste, Judith tient la tête d’Holopherne sur un
plateau. Les femmes peintres interprètent la légende biblique avec une
grande force. Dans le tableau d’Artemisia Gentileschi, Judith prend
Holopherne par les cheveux ; les deux femmes unissent leurs forces pour
maintenir le personnage, renversé vers nous. Le contre-jour jette une
lumière tragique sur la scène. Dans le tableau de la Vénitienne Julia Lama
(v. 1730, Galerie de l’Académie à Venise), le visage barbu d’Holopherne
ressemble à celui de Jésus. Il apparaît dans une perspective renversée, un
peu comme le Christ peint par Tintoret à la Scuola di San Rocco, à Venise.
Judith est l’emblème de la beauté et de la vulnérabilité ; elle est l’allégorie
de Venise, ville née de la volonté de Dieu et protégée par Dieu, sans
murailles et pourtant jamais assaillie. Femme pieuse, elle est aussi un
emblème fort et réconfortant pour les filles de la Pietà.
Plus que dans les trois autres ospedali de Venise dont la vocation est de
soigner les malades, les femmes jouent un rôle primordial à la Pietà ; les
« consorelle » (consœurs) de la Celestia, les Dame dell’Umiltà furent les
premières à recueillir les enfants. Les nobles dames bienfaitrices, les deux
prieures conservent une position de haute responsabilité dans cette
institution. Le chant des filles fait partie du symbole de Venise. Avec leurs
voix pures et candides, « angéliques », elles se font les médiatrices entre la
terre et le ciel. Dans un rappel à l’Antiquité, on dit le « chœur » (et non la
chapelle musicale) ; on les appelle volontiers les « vierges », comme l’on
dirait, tout aussi bien, les vestales.
Les filles de la Pietà ne sont-elles pas, pourtant, les fruits d’amours
illégitimes, souvent aussi des enfants de prostituées ? On ne peut cacher la
nature double, ange et démon, de Judith, la part ténébreuse que cette femme
cache, l’inquiétude qu’elle suscite. Lorsqu’elle devint veuve, Judith n’était
pas retournée vivre chez son père comme le voulait la coutume juive, mais
elle vivait seule, indépendante. De son propre chef, elle avait décidé d’aller
au devant d’Holopherne, alors que le sage Ozias lui recommandait de prier,
comme il convient à une femme. Par sa liberté, Judith transgresse à la fois
sa condition de femme et celle de veuve.
On rencontre fréquemment des images de femmes guerrières dans
l’opéra. Judith cependant n’est pas casquée et revêtue d’une armure, comme
les héroïnes musulmanes du Tasse (Clorinde et Armide), et la Bradamante
de l’Arioste, mais d’une parure toute féminine qui la rend plus redoutable
encore. La séduction mène l’homme à sa mort ; la séduction et la sensualité
sont de redoutables pièges. La solidarité féminine (entre Judith et sa
servante) se transforme en coalition infernale. L’homme craint ce genre de
séductrice (Dalila coupant les cheveux de Samson, dans la Bible ; Salomé
faisant trancher la tête de Jean-Baptiste dans l’Évangile de Luc) qui,
pendant son sommeil, peut l’anéantir. Dans cette décapitation brutale, la
femme apparaît à l’homme comme une dangereuse castratrice.
Judith, belle et désirable, mais double et traîtresse. Est-elle si différente
de la Cleonilla de l’Ottone in villa et de l’Angelica de l’Orlando furioso,
ces femmes qui détournent l’homme de son devoir de guerrier ? La nature,
comme la musique, le vin, le banquet, la fête ont la même duplicité que la
femme. Lors des fastueuses réceptions dans les palais vénitiens, les dames
de la noblesse se mêlent aux courtisanes. Patricienne ou putain, la femme
est tour à tour révérée et diabolisée. Si sa beauté paraît le reflet platonicien
de la vertu, de la pureté céleste, elle peut tout aussi bien cacher des côtés
démoniaques.
Le Livre de Judith, une légende
Le livret est de Giacomo Cassetti, qui avait aussi écrit le texte du Moyses
Deus Pharaonis, mis en musique par Vivaldi deux ans plus tôt. Cassetti est
un érudit de la Vénétie. Le titre exact de l’oratorio est Judith triomphant des
barbaries d’Holopherne, oratorio militaire sacré, écrit en temps de guerre,
exécuté par le chœur des Vierges dans le Temple de la Pietà80.
Dans la partition autographe conservée à Turin81, le monogramme de
Vivaldi « LDBMDA » rencontré sur la partition de l’Ottone in villa apparaît
sur le recto de la première page, dans la colonne de gauche.
La Sinfonia d’ouverture manque. Vivaldi a sans doute employé l’une de
ses Sinfonie (ou les mouvements d’un concerto) au choix, pourvu qu’elle
soit d’une tonalité semblable au chœur du début, en ré majeur.
1. Les timbales résonnent seules pendant sept mesures, puis les violons
entrent, formant une fanfare luxuriante, comme on peut l’imaginer lors des
processions et des fêtes vénitiennes, par exemple lorsqu’on sortait le
Bucentaure pour le mariage du doge avec la mer. On pense aussi aux six
trompettes et aux deux timbales d’argent qui escortaient le doge, symboles
de son autorité, dans les processions, sur terre et sur mer. Le son rebondit
comme rebondissaient au xvie siècle les ensembles vocaux et instrumentaux
d’Andrea Gabrieli dispersés sous les voûtes de Saint-Marc pour fêter la
victoire de Lépante. Le chœur (accompagné par les timbales, les cordes,
deux hautbois, deux trompettes) exhorte à la destruction : « Que les armes,
les carnages, la vengeance/La fureur guerrière, la pauvreté, la terreur/Nous
précèdent, /Tournoyez, / Livrez bataille, / Ô sorts de la guerre/Attirez /
Mille plaies, / Mille morts. »
Première partie
2. Nous sommes dans la tente d’Holopherne qui est allongé « sur un lit
placé sous une draperie de pourpre et d’or, rehaussée d’émeraudes et de
pierres précieuses » (Ju 10-21).
2-3. Récitatif, puis aria d’Holopherne : « Sans valeur sont les armes, sans
valeur est la guerre » (« Nil arma, nil bella »), qui évoque les héros
victorieux, le plaisir de la victoire donnée par les astres. Le style de
bravoure, les vocalises, suggèrent la vaillance ; le soldat n’a qu’une seule
mission : obéir à son devoir.
4-5. Vagaus (dans la Bible, Bagoas), l’eunuque serviteur d’Holopherne
entre et annonce que vient d’arriver une séduisante visiteuse qui demande à
rencontrer le général. Les vocalises de l’aria « Une matrone ennemie »
(« Matrona innimica ») suggèrent la beauté et les parures de Judith. Vivaldi
a prévu une aria de remplacement, notée « Per la Sigre Barbara ». Le texte
de Cassetti joue la discrétion qui sied à un subordonné : « Elle te sera amie,
dit Vagaus, si seulement tu poses les yeux sur elle » (« Tibi erit amica / Si
lumina cernes »). Un frémissement sensuel traverse la musique ; il évoluera
jusqu’au moment de la préparation du repas. Dans la tente où le masculin
domine encore, la ruse fonctionne et le guerrier est prêt à faiblir. L’oratorio
n’est pas représenté mais les détails scéniques fournis par le texte
permettent d’imaginer la scène : Judith debout à l’entrée de la tente
d’Holopherne.
Les hommes déjà forment un clan (comme l’empereur Ottone, dans
l’Ottone in villa, en formait un, avec son aide de camp, Decio), face à celui
des deux femmes : également une maîtresse et sa servante.
6. Récitatif d’Holopherne qui accepte de recevoir la Juive en audience.
Vagaus introduit Judith dans la tente.
7. Aria de Judith : « C’est l’amour de ma Patrie qui m’amène » (« Quo
cum Patriae me ducit amore ») dans un style élégiaque. Liberté et amour de
la patrie sont des valeurs vénitiennes. L’air est langoureux ; Judith est
portée par l’amour divin ; ses pas « guidés par la plus haute lueur des
cieux » (« Summo ductus a caeli fulgore »). C’est en Dieu que cette femme
trouve son courage. Elle vient à mains nues : l’air est simple, avec les
cordes.
8-9. Récitatif et aria d’Abra, la servante de Judith, avec le seul
accompagnement de la basse continue « Face à ton magnifique visage »
(« Vultus tui vago splendori ») ; un style simple qui convient à une personne
de rang inférieur. Elle encourage sa maîtresse en la flattant et en valorisant
sa beauté. La femme est faible, mais la beauté, la pureté seront plus fortes,
car les deux héroïnes sont assistées par Dieu. Venise, elle aussi, est
vulnérable, car aucune muraille ne la protège, mais elle est forte car née de
la volonté divine. Ici, ce sont les serviteurs qui instiguent les actes de leurs
maîtres et conduisent leurs bras ; ils sont davantage que de simples
domestiques.
10. Conversation entre Abra et Judith. Réconfortée par Abra, Judith
s’enhardit et se prépare à aller trouver Holopherne ; elle demande aux
soldats de l’accompagner.
11. Le chœur des soldats dialogue avec Vagaus, accompagnés par deux
hautbois (douceur féminine), qui se joignent aux cordes ; ils louent la
beauté de Judith. Face à eux, Judith est seule ; alternance de ritournelles
instrumentales et de passages chantés tantôt par le soliste, tantôt par le
chœur ; on ne ressent aucune trace de méfiance envers la Juive. Le monde
militaire est comme subjugué par la beauté féminine.
12-13. Récitatif et aria de Vagaus toujours en alternance avec le chœur,
« Si insensible soit-il, si violent soit son glaive » (« Quamvis ferro et ense
gravis »), accompagné par les cordes. La rencontre se fait attendre et le
désir croît. Vagaus assure Judith que, malgré sa cruauté, le tyran la traitera
avec bonté. L’aria contient ces deux aspects : la fureur (vocalises serrées) et
les épisodes élégiaques.
14. On assiste à la première entrevue entre Judith et Holopherne
(dialogue en récitatif). Holopherne est d’emblée ébloui par la beauté de
Judith ; la voie est libre. Les mots « lumière » et « soleil » sont répétés ; ils
s’opposeront aux ténèbres de la nuit, porteuse du crime.
15. Aria de Judith, largo, « Combien plus noble, /Plus glorieux est le
vainqueur » (« Quanto magis generosa ») très plaintive, comme une
supplication ; la voix concerte avec les instruments (viole d’amour, violons
« con piombi », avec sourdines) ; on se rappelle que Vivaldi en 1704 avait
été nommé à la Pietà maître de viola all’inglese). Le violon se fait
incantatoire, avec des passages solistes (« a solo »). Holopherne se tait.
C’est un très long moment, une prière qui fait penser aux invocations
adressés par les filles du chœur pour la victoire de Corfou. Doublée par la
réalité historique, cette musique est réellement pathétique. Judith flatte la
bonté, la générosité d’Holopherne.
16. Dialogue en récitatif entre Judith et Holopherne ; Judith à nouveau
sollicite la vanité de l’ennemi (dans la Bible, la Juive propose au général de
lui expliquer comment pénétrer dans le village de Béthulie). Holopherne
séduit par la beauté de la visiteuse se met du côté du bien. Judith demande
la paix pour Béthulie. Holopherne conquis demande aux « machines de
guerre » et à tout ce qui a trait à la guerre de se retirer : « Ô tympanus, faites
silence ! » (« O timpani, silete »).
17. Holopherne renvoie les gardes et prie Judith de s’asseoir : « Assieds-
toi ô charmante » (« Sede o cara »), aria accompagnée par les cordes, en ré
majeur, tonalité militaire. Il la convie à un repas, afin de fêter leur amitié.
Le général invoque « ses » dieux, Mars, Apollon. Judith refuse l’invitation
disant qu’elle est habituée au jeûne et à l’austérité (elle est juive et ne
mange que les aliments que sa religion lui autorise). « Je me garderai bien
d’en manger de peur que, pour moi, il n’y ait là une occasion de faute », dit-
elle dans la Bible (Ju 12-2).
Judith demeurera trois jours dans le camp, lit-on dans le Livre de Judith.
Elle sortait de nuit, s’approchait du ravin de Béthulie puis se lavait à la
source où se trouvait le poste de garde. En remontant, elle priait. Une fois
purifiée, elle se tenait dans sa tente jusqu’au moment où on lui apportait sa
nourriture. Ce n’est que le quatrième jour qu’elle accepte enfin de dîner
avec Holopherne, dans sa tente.
18-19. Récitatif puis aria de Judith : « Agitée par le souffle inconstant »
(« Agitata infido flatu ») avec cordes ; une mélodie virtuose – étrange dans
ce moment suspendu – évoque son cœur qui bat, l’imminence de l’acte
criminel. Vivaldi suggère l’oiseau en vol, le vent, la nature changeante
exprimés dans le texte.
20. Récitatif d’Holopherne qui demande à son serviteur de préparer le
banquet ; le théorbe léger et complice suggère l’affairement pour préparer le
banquet, les bruits de la vaisselle. On sait que plusieurs filles de la Pietà
jouaient très bien du théorbe, un instrument qui, à cette époque-là,
commençait pourtant à disparaître des ensembles instrumentaux.
21. Le chœur (les soldats transformés en serviteurs) alterne avec Vagaus
et son aria « Serviteurs pressez-vous ! » (« O servi volate ») ; l’esprit de la
danse convient pour la préparation du tête-à-tête amoureux entre
Holopherne et la Juive. Le chœur commente l’action à la manière d’un
chœur antique. Il existe une alternative pour cette aria. Vivaldi note sur son
manuscrit : « Per la Sigra Barbara ».
22. Vagaus invite Abra à participer à la fête. « Toi aussi servante des
Hébreux » (« Tu quoque hebraica ancilla »).
23. L’aria de Judith « Viens, suis-moi fidèle » (« Veni, veni me squere
fida ») ; accompagnée par le chalumeau (un instrument parent de la
clarinette, mais plus limité) et les cordes encore dans un style de danse, en
si bémol majeur, élégiaque. Voix et instrument dialoguent ; un pacte est
scellé entre les deux femmes. Dans les peintures vénitiennes ayant pour
sujet les banquets bibliques (par exemple Les Noces de Cana et Le Repas
chez Levi de Véronèse), les serviteurs et les musiciens sont aussi présents.
Judith et sa servante Abra forment un couple étrange, équivoque. Judith
dit à Abra : « Je suis sans amant ; mais toi, tu es ma compagne. » Dans la
peinture, Abra est souvent représentée comme une femme laide et vieille.
Elle reste dans l’ombre. Comme Holopherne, elle est du monde de la nuit et
sa présence contraste avec l’aspect angélique de Judith.
24-25-26. Récitatif et aria d’Abra « Que resplendissent tes beaux traits »
(« Fulgeat sul frontis decorae ») ; la beauté de Judith semble une vision
céleste.
27. Prière des jeunes filles de Judée que l’on entend « dans le lointain ».
La ville lointaine est sans doute Venise : Vivaldi aime ces effets d’espace ;
les filles qui chantent et jouent dans les tribunes, en haut, dissimulées aux
regards de l’auditoire, sont comme les « Vierges de Judée ». Pendant que
Judith et Abra sont dans le camp ennemi, les femmes israélites se retournent
vers Dieu pour invoquer son soutien. Sacré et militaire se confondent. On
pense aux églises de Venise illuminées le mardi soir afin de prier Dieu pour
qu’il accorde la victoire aux Vénitiens ; aux chœurs féminins dans les
couvents de Venise. L’espoir des gens de Béthulie se place en Judith, tout
comme la population vénitienne place son espérance dans son armée repliée
à Corfou.
Deuxième partie
Cette partition est remarquable par le grand nombre et par la variété des
instruments employés : deux flûtes à bec, deux hautbois, un chalumeau,
deux clarinettes, deux trompettes, des timbales, une mandoline, quatre
théorbes, une viole d’amour, des violes de gambe, deux clavecins et l’orgue,
avec en plus les deux bassons et le violone, qui produisent un formidable
chatoiement sonore. Elle est la digne héritière de l’ancienne tradition
vénitienne de Saint-Marc. Les filles du chœur étaient en mesure de jouer de
plusieurs instruments, à cordes, à vent et à clavier. Elles employaient tantôt
l’un, tantôt l’autre ; telle Francesca qui, dans l’oratorio de Giacomo Spada,
Santa Maria Egizziaca, chantait aussi merveilleusement qu’elle jouait du
luth et du théorbe.
Francesco Gasparini et Antonio Vivaldi avaient travaillé ensemble
pendant dix ans à enrichir et à perfectionner l’ensemble instrumental de la
Pietà, autant sur le plan de la qualité sonore que sur celui de la diversité des
timbres. On avait acheté de nouveaux instruments de musique, réparé ceux
qui étaient défectueux, nommé d’excellents maîtres de hautbois, de flûte et
de chalumeau. Vivaldi avait enseigné le violon, mais aussi la viole à
l’anglaise que l’on entend ici à plusieurs reprises. Certains de ces
instruments, comme le théorbe et le chalumeau, sont en train de disparaître
des ensembles instrumentaux. Dans cette œuvre, il est évident que Vivaldi
cherche à exploiter ces sonorités étranges pour se référer au monde de la
Bible, de l’Antiquité et du Moyen Orient.
Pour exprimer la liesse des Vénitiens, Vivaldi emploie timbales,
trombones, et trompettes. Les mandolines et les théorbes évoquent les lyres
et les harpes de l’Antiquité. Les sonorités plus douces des chalumeaux, des
flûtes et des hautbois, les violons « avec sourdine », ou préparés pour
obtenir des effets de « trombe marine » suggèrent l’Orient et le monde de la
Bible.
La Giuditta de Benedetto Marcello (1710) comprend sept chanteurs
accompagnés par les cordes. Une quinzaine d’années plus tard, dans les
Psaumes de David, Marcello effectuera sa « réforme » et supprimera les
instruments, afin, dit-il, de « rendre sa dignité à la musique italienne » et se
montrer fidèles à une époque où, croit-il, les voix n’étaient pas couvertes
par tant d’instruments. Pourtant, dans sa version musicale de l’histoire de
Judith, Vivaldi ne serait-il pas plus près de l’esprit de la musique hébraïque
que ne le pense Marcello ?
Suzanne Haïk Vantura, qui a restitué la musique de la Bible et des
Psaumes88, pense que, dans les synagogues, on lisait sans doute les textes
sacrés en réalisant une simple « cantilation ». En revanche, au Temple de
Jérusalem, on jouait une musique de type festif, comme le suggère la fin du
Livre de Judith, et la musique y tenait une place importante. Sous le règne
de David, avant la construction du Temple, les psaumes étaient chantés par
près de trois cents chanteurs qui jouaient de la harpe, de la lyre et des
cymbales, soutenus dans certains textes par cent vingt trompettes. Vingt-
quatre chefs de chant enseignaient sans relâche la musique aux quelque
quatre mille aspirants chantres. Cette splendeur déclina au début de notre
ère. De la Bible, nous ne possédons que la partie chantée. Mais nous savons
que les psaumes étaient accompagnés par les instruments. Dans le Psaume
150, on trouve ces mots : « Louez Dieu en son sanctuaire… Louez-le par
l’éclat du cor, louez-le par la harpe et la cithare, louez-le par la danse et le
tambour, louez-le par les cordes et les flûtes, louez-le par les cymbales
sonores, louez-le par les cymbales triomphantes ! Que tout ce qui respire
loue Yahvé ! Alleluia. » Il existait aussi, dit Suzanne Haïk Vantura, une
danse cultuelle. Nous avons des témoignages de ces musiques luxuriantes
par exemple lors du transport de l’Arche, ou encore après la sortie de la mer
Rouge. Sous le roi David, la musique sacerdotale était riche ; la musique
des Lévites était très festive.
Les musiques populaires orientales n’étaient pas ignorées à Venise. Dans
le ghetto vivaient des milliers de Juifs. Dans le quartier de l’Arsenal et de la
Pietà, résidaient d’importantes communautés de Grecs et d’Arméniens, qui
pratiquaient librement leur culte et leurs traditions musicales.
Il est probable que le violoniste Johann Georg Pisendel a assisté, en
novembre 1716, à l’exécution de la Juditha triumphans. Peut-être aussi le
prince de Saxe, Friedrich August. Pour ces invités de marque, les
gouverneurs des ospedali font construire de belles salles de musique où
ceux-ci peuvent assister aux concerts des filles, sans être mêlés à
l’auditoire. À la Pietà, les hôtes d’exception montaient au premier étage,
regardaient et écoutaient, sans être vus par l’assistance, depuis les lunettes.
Pénétrer dans un hospice restait toutefois un privilège. Quel que soit son
rang, toute personne qui prétendait assister à un concert en privé devait en
adresser la demande aux députés sur le chœur. On se rappelle par exemple,
durant le rude hiver 1708, la visite de Frédéric IV, roi de Danemark, auquel
Vivaldi dédie, dans la foulée, son recueil de sonates Opus 2. On connaît
aussi la visite du prince et de la princesse de Modène, le 14 mai 1723 ; le
21 janvier 1724, d’un groupe de « Dames et Cavaliers milanais de Casa
Trivolcio » ; le 3 septembre 1727, de la comtesse Grimaldi, de Gênes ; le
15 septembre 1727, du comte Arach. En 1738, Ferdinand Maria, duc de
Bavière, frère de Karl Albrecht, assistera à la Pietà à la sérénade de Vivaldi
intitulée Il Mopso (RV 691 perdue). Le 21 mars 1740, peu avant le départ
de Vivaldi pour Vienne, la Pietà reçoit encore la visite de Friedrich
Christian, prince héritier de Saxe. Aujourd’hui, seule la Sala della Musica,
à l’Ospedaletto (hospice des Derelitti), est conservée.
Après la victoire de Corfou
La victoire de Corfou contre les Turcs était inespérée. Elle est un coup de
théâtre, un véritable miracle ! Ayant repris confiance en eux, les Vénitiens
rentreront à nouveau en possession de plusieurs îles, ainsi que des territoires
en Dalmatie qui leur avaient été enlevés. Le 1er août 1717, Alvise Mocenigo
se rend maître de la forteresse turque d’Imoschi. Le 12 juin 1717, les
Vénitiens sont encore victorieux en mer, près du mont Athos. Andrea Pisani
et sa flotte poursuivent les combats. Le 20 juillet 1718, les Vénitiens
marquent une nouvelle victoire vénitienne dans le golfe de Pagania. Puis les
combats s’arrêtent brusquement ; les différentes parties désirent en finir et
négocier. « Le 21 juillet 1718, le traité de Passarowitz est signé, écrit
l’historien vénitien Alvise Zorzi. Venise conserve les dernières conquêtes
de l’Epire et des confins de l’Herzégovine et obtient enfin d’être traitée sur
un pied d’égalité avec les concurrents “ponantais”, en ce qui concerne les
tarifs douaniers ottomans. Mais elle dit adieu à l’éphémère royaume de
Morée, et aux dernières bases en mer Égée et en Crète. Il est vrai qu’il lui
reste les îles de Cythère et d’Anticythère, mais à quoi peuvent bien lui
servir ces deux îlots en terrasse sur la route de Candie, maintenant que
Candie est à jamais entre les mains du Turc ? En tant que puissance
méditerranéenne, en tant que puissance coloniale, Venise a cessé d’exister.
La possession des îles Ioniennes n’est qu’un reste symbolique de l’antique
empire maritime89. »
Dans l’Adriatique croisent des navires internationaux ; les ports
d’Ancône et de Trieste prennent de plus en plus d’importance au détriment
d’une Venise désormais contrainte à l’immobilisme.
Les Vénitiens ont fêté la victoire de Corfou. Le monstre a perdu sa tête.
Mais, en ce début du xviiie siècle, la vraie décapitée n’est-elle pas Venise ?
La porte d’entrée de l’Arsenal par terre raconte les espoirs et les luttes
épuisantes des Vénitiens contre les Turcs. Le portail monumental en forme
d’arc de triomphe, d’inspiration classique, avait été construit en 1460.
Après la victoire de Lépante, en 1571, il devint un monument
commémoratif, décoré de victoires ailées. En 1682, on construisit devant le
portail la terrasse entourée d’une grille et ornée de huit statues allégoriques.
En 1687, on ajouta les deux lions que Francesco Morosini avait envoyés
d’Athènes, comme butin de guerre après la reprise de la Morée
(Péloponnèse). On pense que le lion assis sur ses pattes postérieures servait
de fontaine dans le port du Pirée (les deux autres lions étaient déjà à
Venise).
Pour fêter la reconquête de la Morée, en 1693, on avait fixé sur la place,
devant l’entrée, le pilonne, ainsi que les grandes portes en bronze. Après la
victoire de Corfou, on ajouta le lion du milieu qui date du vie siècle avant
Jésus-Christ (la tête fut ajoutée plus tard) ; il provient de l’île de Délos où,
avec d’autres lions en marbre, il décorait la balustrade d’une terrasse. Après
la victoire de Corfou, dans la cour intérieure, on érigea le monument en
l’honneur du général comte de Schulenburg, qui avait commandé la flotte
des alliés à Corfou, ainsi que le mausolée dédié au général Königsmark qui
commanda les troupes de débarquement dirigées par Francesco Morosini en
1687 durant la conquête de la Morée. Tous deux avaient perdu la vie
pendant ces batailles.
La porte d’entrée de l’Arsenal par terre est l’un des seuls monuments
restés intacts. Elle fut conservée jusqu’à nous telle que Vivaldi la vit et telle
qu’il la vit se transformer, au fil des dernières défaites et des ultimes et
vaines victoires de la Sérénissime contre les Turcs.
12
(1716-1717)
Soliste à l’opéra
Voyages en Italie
Brescia, Rome
(1718-1724)
I
En Lombardie
(1718-1722)
13
(1718)
Le Teatro Arciducale
Ce théâtre, dit aussi Teatro Comico, où Vivaldi fera représenter ses
opéras avait servi, longtemps auparavant, aux spectacles de comédies. Il se
trouvait près de l’actuelle piazza Arche dite aussi Delle commedie.
Restructuré en 1688, il a aujourd’hui disparu. La salle disposait de 130
places au parterre, 5 rangs de 104 loges ; au cinquième rang, se trouvaient
en plus 17 bancs. Une loge plus grande, placée au-dessus de l’entrée qui
conduisait au parterre, accueillait les membres du gouvernement. La scène
mesurait 14 mètres de long sur 19 mètres de large. On jouait deux opéras à
carnaval, et un autre au printemps.
Les saisons d’opéra étaient organisées par les imprésarios qui
n’investissaient pas leur propre capital, comme à Venise. Une partie des
frais restaient à la charge du prince et c’est lui qui couvrait les déficits
éventuels. Les chanteurs étaient tantôt des membres de la chapelle de la
cour, tantôt des artistes engagés ponctuellement. Le personnel était payé par
la Scalcheria (chancellerie), qui tenait les comptes de la cour. À l’époque de
Vivaldi, le « surintendant » était Carlo Bertazzone (ou Bertazoni) ; c’est lui
qui paie le compositeur. Lorsqu’il occupe les fonctions d’imprésario,
Vivaldi signe aussi les fiches de paie des chanteurs, qui sont ensuite
adressées pour règlement à la même instance. Comme au temps des
Gonzague, les bénéfices tirés de la location des loges permettent en partie
de payer le compositeur. À cela s’ajoutent l’aide financière apportée par le
prince et les revenus provenant de la salle de jeux. Au début de la saison,
toute personne qui veut assister aux opéras doit payer 20 lire en échange de
quoi l’imprésario lui remet les clés de sa loge.
Quant aux décors et aux costumes, ils étaient souvent empruntés aux
institutions de la ville, en particulier à l’Accademia dei Timidi. Sans se
soucier ses sujets des opéras, on employait des costumes de cour luxueux ;
des emblèmes et des allégories du règne des Gonzague, puis de celui des
Habsbourg et des Hesse-Darmstadt étaient incrustés dans les scénographies.
Le contexte social et économique dans lequel se déroulaient les
représentations était plus proche de l’univers de la cour de Vienne que de
celui d’une ville comme Venise où les théâtres fonctionnaient sur des
principes princiers et mercenaires à la fois, et sans véritables subventions. À
Mantoue, il fallait respecter des règles protocolaires et honorer un prince.
Les livrets d’opéras, de sérénades, les textes des cantates étaient chargés
d’allusions à Philipp de Hesse-Darmstadt, à l’histoire de sa famille, à ses
enfants. Les banquets, les bals, les représentations d’opéras étaient des
exhibitions de luxe ; le pouvoir en place s’y mirait avec complaisance. Au
centre de la fête se tenait le prince, qui participait à l’action. Où était
l’actualité politique ? Où était la fiction ? Derrière les personnages de
l’Antiquité, du roman épique de la Renaissance, des nymphes et des bergers
de la mythologie, derrière les pseudonymes empruntés à l’univers de
l’Arcadie romaine, se cachaient les personnages de l’actualité politique, les
puissants qu’il fallait servir sans jamais les offenser.
Les sept opéras montés par Vivaldi au Teatro Arciducale de Mantoue,
entre 1718 et 1732, auront pour vocation de célébrer la gloire de ces
princes. Ils serviront de divertissements à Philipp, à ses enfants, et à leurs
amis. La famille de Hesse-Darmstadt était cultivée et aimait les traditions
littéraires. Dans leur château de Darmstadt, ces princes étaient habitués à
faire représenter des drames français, aussi bien que des pièces italiennes.
Le fils aîné de Philipp, Joseph, futur évêque d’Augsbourg, excelle en tant
qu’acteur dans ces représentations. Il joue du clavecin, accompagne sa sœur
Teodora lorsqu’elle chante les cantates et les sérénades que les
compositeurs écrivent à leur intention. Philipp possède une chapelle
musicale où gravitent plusieurs chanteurs d’opéra renommés, comme le
ténor Annibale Pio Fabri, et la soprano Giovanna Gasparini, fille du
compositeur Francesco Gasparini. Pour la première fois de sa vie, Vivaldi
devra se faire courtisan. À Mantoue, il lui faudra se maintenir dans un
carcan de conventions diplomatiques, de poncifs littéraires et musicaux, une
situation peu faite pour son caractère d’artiste génial et de Vénitien
orgueilleux, libre et insoumis. En retour, il bénéficiera d’un statut
prestigieux, confortable au plan économique ; il pourra se flatter d’une
protection princière institutionnelle. De son titre de « maître de chapelle de
chambre du landgrave Philipp de Hesse-Darmstadt » qu’il affichera quinze
ans durant sur les livrets de ses opéras, le Prêtre roux fera en effet une pièce
maîtresse de son curriculum, lors de ses engagements à Florence, à Milan et
à Rome, et surtout lors de ses déplacements ultérieurs à Trieste, à Vienne et
en Bohême.
Le talent singulier dont est doté dans la Musique l’illustre Maestro, Sig.
Don Antonio Vivaldi, outre ses remarquables qualités personnelles, le
rendent digne de recevoir la protection de sa Grandeur Électorale pendant
le temps que durera son séjour [à Florence], à l’occasion de la
représentation de son opéra […]6.
Au printemps, la cour s’apprête à partir pour sa résidence d’été, la villa
della Favorità, près de Mantoue. Avant cela, il faut préparer les spectacles
qui se tiendront l’automne et l’hiver suivants. Philipp demande au duc de
Modène de pouvoir engager deux des chanteuses de sa cour : Teresa Mucci
et Anna d’Ambreville. Pour sa part, Vivaldi apprête ses bagages pour son
séjour en Toscane. Il dispose de moins de trois semaines pour écrire l’opéra
qu’on vient de lui commander.
Scanderbeg (RV 732), représenté le 22 juin 1718, est le premier des
quatre opéras composés par le Prêtre roux pour le théâtre de la Pergola7. Ce
n’est pas le premier contact de Vivaldi avec la cour des Médicis puisque, en
1711, il avait déjà dédié L’Estro Armonico au grand-duc Ferdinando, alors
très malade. « C’est par votre cœur que vous surmontez les désagréments de
votre condition », écrivait le compositeur en des termes emplis de respect et
d’empathie. Ferdinando est maintenant décédé.
Scanderbeg fête la réouverture du théâtre de la Pergola, événement très
important pour les Florentins. Le frère d’Anna Maria Luisa de’ Medici,
Ferdinando de’ Medici, avait épousé Violante Beatrice de Bavière (la mère
de Therese Kunigunde exilée à Venise), qui était une grande mélomane.
Après les fêtes destinées à célébrer ce mariage, le Teatro della Pergola
n’avait plus guère servi pour l’opéra et l’édifice commençait à rendre l’âme.
En 1712 on avait envisagé de redorer la salle, mais le projet était resté sans
suite. Après la mort de Ferdinando en 1713, le théâtre de cour était passé
sous la tutelle de son frère cadet, le grand-prince Gian Gastone auquel de
nombreux livrets florentins de cette période sont dédiés. En réalité, les
mécènes les plus actifs sont les femmes : Violante Beatrice, « gouverneur »
de Sienne et sa belle-sœur, Anna Maria Luisa de’ Medici, à laquelle Philipp
de Hesse-Darmstadt confie Vivaldi, le 31 mai 1718. En 1717, Cosme
(Cosimo) III avait délié sa bourse et consenti à verser 600 écus, afin de
couvrir les dettes de l’Académie des Immobiles. Grâce à cette aide, on avait
modernisé les statuts. L’Académie, que dirigeait Luca Casimiro degli
Albizzi, s’était rendue propriétaire du théâtre de via della Pergola, qui
ouvrit enfin ses portes le 22 juin 1718. Une nouvelle vie commençait !
Nouvelle vie car la salle ne serait plus jamais un théâtre privé, comme
autrefois, mais un théâtre « républicain » c’est-à-dire que les Florentins
pourraient, comme à Venise, assister au spectacle en achetant simplement
un billet.
Scanderbeg est le premier opéra de la saison. Ensuite, les représentations
seront régulières, jusqu’en 1755, date à laquelle le théâtre en bois sera
rénové, agrandi et construit en pierre. Pendant plusieurs années, le marquis
Luca Casimiro degli Albizzi restera l’imprésario de cette salle aristocratique
qui, avec Scanderbeg, reprend sa place de premier théâtre d’opéra de la
Toscane.
Le livret du Florentin Antonio Salvi revient sur la question brûlante de la
lutte des catholiques contre l’Empire ottoman (qui avait déjà servi de
fondement aux deux oratorios de Vivaldi, La Vittoria navale et La Juditha
triumphans). Le sujet est toujours d’actualité.
Les Turcs avaient été battus sur l’île de Corfou en été 1716. Face aux
troupes que dirige Eugène de Savoie, ceux-ci subissent de nouvelles
défaites lors des batailles de Petravaradin (5 août 1716), de Temesvar
(1er octobre 1716) et de Belgrade (18 octobre 1717). Le traité de paix entre
la Sérénissime et l’Empire ottoman est signé le 21 juillet 1718 dans la ville
serbe de Pozarevac (en allemand Passarowitz). Sont présents le délégué du
sultan Ahmed III, les représentants de l’empereur Charles VI, Carlo Ruzzini
pour Venise, ainsi que deux médiateurs pour l’Angleterre et la Hollande.
L’Empire sort victorieux de ce traité et étend ses territoires dans les
Balkans. Venise, qui se croyait protégée par les Habsbourg, sera la grande
perdante. Elle doit céder aux Turcs la Crète et la Morée (le Péloponnèse,
déjà perdu en 1715) mais conserve les îles Ioniennes. Si elle étend ses
domaines en Dalmatie et en Albanie, il ne s’agit que de quelques places
fortifiées. La Turquie a désormais pris largement pied en Grèce. Venise,
quant à elle, a perdu définitivement son statut de puissance
méditerranéenne. À partir de cette date, elle sera neutralisée et mise à
l’écart par Vienne. Au moment où l’on représente le Scanderbeg de Vivaldi
à Florence, le traité de Passarowitz met un terme définitif à la guerre entre
la Sérénissime et les Turcs, commencée en 1714. Dès lors, les ressorts
dramatiques et politiques contenus dans le livret de cet opéra perdent de
leur raison d’être et de leur efficacité émotionnelle.
L’action est située dans la capitale de l’Albanie, au xvie siècle, à l’époque
d’une rébellion de la population contre l’occupation ottomane. L’Albanie
est soumise aux Ottomans. Le roi doit donner en otage ses quatre fils.
L’héritier du trône est Alessandro ; le monarque turc, Amuraat II, présenté
ici comme un tyran, l’oblige à transformer son nom en Scanderbeg selon la
loi musulmane. Dans cet opéra, pour ne pas être reconnus, les princes
légitimes doivent se travestir en bergers. On passe constamment d’un
univers à l’autre.
L’opéra comprend huit personnages, divisés en deux camps : cinq Grecs
et trois Turcs. Antonio Salvi prévient son lecteur : il y aura sur scène plus
de machines, plus de décors et de scènes de bataille que d’habitude. Les
scénographies évoquent le monde de la guerre et du pouvoir (un
campement, des remparts), tout en ménageant quelques lieux d’intimité (un
pavillon royal et une chambre).
Le rôle de Scanderbeg est interprété par le castrat Giovanni Battista
Carboni, dit Battistino, qui s’était formé à la cour des Gonzague et
appartenait désormais au cercle de Philipp. Pour la saison de printemps
1719, c’est lui qui sera l’imprésario au Teatro Arciducale de Mantoue et qui
succédera, dans cette fonction, à Vivaldi. Rosa Venturini, virtuose du
« Prince Antoine de Parme », est la seule chanteuse de l’Armida que
Vivaldi emmène avec lui, de Mantoue à Florence. Ici, Rosa n’a qu’un rôle
secondaire, celui d’Acomat, général d’Amurat II. Elle reprend l’aria « Se
correndo in seno al mare » (I, 7) qu’elle avait chantée dans l’Armida, à
Venise. La célèbre mezzo-soprano Francesca Cuzzoni, alors au service de la
« Gran Principessa Violante », chante le rôle de Doneca, femme de
Scanderbeg (habillée en bergère). Quelques années plus tard, elle fera un
séjour retentissant dans la troupe de Haendel à Londres. La Cuzzoni n’est
alors qu’à ses débuts. Elle chantera pour la première fois à Venise
l’automne suivant, au théâtre San Giovanni Grisostomo, aux côtés de la
jeune Vénitienne Faustina Bordoni (toutes deux se retrouveront ensuite sur
les scènes anglaises) et d’Antonio Bernacchi, castrat contralto et fondateur
d’une école de chant célèbre, à Bologne. Giovanni Pietro Sbaraglia, qui
interprète le rôle d’Ormondo, est aussi un chanteur de Violante Beatrice.
Quant à Anna Guglielmi, de Bologne, on la retrouvera à Mantoue, dans La
Candace, puis à Reggio, dans Siroe re di Persia, au printemps 1727.
On ne conserve pas, à proprement parler, de partition de Scanderbeg. Six
arias se trouvent dans un recueil de pièces diverses conservé à Turin8.
Plusieurs arias seront reprises par Vivaldi dans ses opéras ultérieurs9.
Scanderbeg connaît dix-huit représentations entre le 22 juin et le 15 août.
Dans la foulée, l’opéra sera repris en août 1718 à Sienne, la ville que
gouverne Violante Beatrice.
Après plusieurs mois d’absence, on peut imaginer que, en ce mois de
juillet, Antonio et Giovanni Battista Vivaldi ont repris le chemin de Venise,
afin d’y passer l’été aux côtés de leur famille.
14
Philipp de Hesse-Darmstadt
(1719)
15
(1720)
Durant son séjour à Mantoue, Vivaldi n’a pas été mis à contribution pour
n’écrire que des opéras. Son titre de « maître de chapelle de chambre »
pouvait l’amener à recevoir toutes sortes de commandes servant aux
divertissements et à la vie de la cour : cantates, sérénades, concertos et
sonates.
La cantate, genre pratiqué surtout dans les palais, les salons, les cercles
académiques, sert à meubler les longues soirées d’hiver, ainsi que les
journées à la campagne, pendant la période estivale. Le (ou) les chanteurs
sont accompagnés par le clavier (clavecin ou épinette) et le violoncelle
(ensemble ou séparément), parfois aussi par un petit ensemble de chambre,
le plus souvent les cordes. L’influence de l’Arcadie est très forte. On prend
plaisir à exprimer ses sentiments, en les masquant derrière des symboles.
Les personnages sont issus le plus souvent de la mythologie. Tout est
métaphore et allégorie, les textes mais aussi la musique, les tonalités, les
accords, les modulations… sont des flatteries aux commanditaires. La
cantate a une fonction proche de celle qu’avait déjà le madrigal à la
Renaissance. Elle est conçue par les professionnels ou des amateurs, les
aristocrates et les prélats eux-mêmes. Ce sont des formes très convenues,
souvent ennuyeuses pour nous à qui ces codes restent indéchiffrables ; à
moins qu’elles ne soient composées par Alessandro Scarlatti, Francesco
Gasparini ou même Georg Friedrich Haendel, lors de son séjour en Italie.
Le compositeur écrit les cantates et les sérénades sur commande, pour
des fêtes, des anniversaires, des réunions académiques. Comme l’opéra, ce
sont des genres éphémères, et la plupart d’entre elles restent manuscrites,
sauf quelques cas, comme les recueils publiés par Francesco Gasparini,
Benedetto et Alessandro Marcello.
Au plan formel, la cantate est écrite comme un motet : généralement en
trois (parfois quatre) épisodes (récitatif-aria-récitatif), dans une alternance
de mouvements lents et rapides. Elle est un petit morceau d’opéra ; seul
l’accompagnement (clavecin ou violoncelle ou les deux) reste plus simple,
car ces pièces sont assez fréquemment exécutées par des amateurs.
Avant son séjour à Mantoue, Antonio Vivaldi avait été peu familiarisé
avec la cantate et la sérénade. Durant sa carrière, il compose plusieurs
cantates pour les académies de Venise. Il a par exemple fréquenté
l’académie de la chanteuse vénitienne Faustina Bordoni, l’épouse de Johann
Adolf Hasse, ainsi que le cercle du violoniste compositeur Mauro d’Alay. Il
est probable que Vivaldi a aussi composé des pièces vocales et
instrumentales pour le petit groupe de musiciens et chanteurs qui se
trouvaient auprès du prince de Saxe, Friedrich August, pendant ses séjours à
Venise. Il aurait ensuite continué à écrire et à envoyer des cantates à Dresde
qui, pense-t-on, auraient été interprétées par les chanteurs et les musiciens
de la Hofkapelle saxonne49.
On conserve une douzaine de manuscrits de cantates composées par
Vivaldi dans une période qui correspond au séjour du compositeur à
Mantoue. Les textes de ces œuvres sont chargés de flatteries, d’allégories,
d’allusions aux situations historiques vécues par Philipp, par sa famille et
par les personnes de leur entourage. Les sentiments exprimés (langueur
amoureuse, insatisfaction permanente, bonheur inaccessible vécu par les
bergers d’Arcadie) sont conventionnels ; des conventions qui régissent tous
les arts, à cette période. À Mantoue, les cantates étaient exécutées par les
membres de la famille de Philipp et par leurs amis ; ou par les musiciens et
chanteurs de la cour et du théâtre ; ou encore par les chanteurs de la
cathédrale San Pietro et de l’église ducale San Barbara. Philipp, sa famille,
ses amis se cachent sous les noms des bergers et des nymphes d’Arcadie :
Daliso (généralement Philipp lui-même), Tirsi, Elvira. Les cantates écrites
pour Mantoue sont assez simples ; elles conviennent à des amateurs.
La plupart des manuscrits des cantates de Mantoue sont conservés dans
les recueils de Turin Foà 28 et Foà 27. Deux sont autographes (RV 685 et
RV 686), pour voix de contralto, et facilement identifiables par leurs
dédicaces50. La première, « O mie porpore più belle » (RV 685),
accompagnée par les cordes, fut composée en hommage à Antonio dei
Conti Guidi qui, le 15 avril 1719, devenait évêque de Mantoue ; sur le
manuscrit, Vivaldi a noté : « En hommage à Monseigneur de Bagni, Évêque
de Mantoue ». La seconde, « Qual in pioggia dorata » (RV 686),
accompagnée par deux cors, les cordes et la basse continue, porte une
dédicace à Philipp, gouverneur de Mantoue.
Les autres cantates sont écrites pour soprano, la plupart avec la seule
basse continue51. Les copies semblent être de la main de Giovanni Battista
Vivaldi, avec des annotations autographes d’Antonio. Si cette hypothèse est
exacte, cela montre que Vivaldi senior était le plus souvent aux côtés de son
fils à Mantoue.
Pour Philipp de Hesse-Darmstadt, Vivaldi a aussi écrit la sérénade à
quatre voix « Questa Eurilla gentil » (RV 692), exécutée le 31 juillet 1726,
au palais de La Favorita, résidence d’été de la cour, près de Mantoue (onze
jours après l’anniversaire de Philipp). Les interprètes sont les deux enfants
du prince : Teodora (Eurilla) et Joseph (Elpino) et leurs amies, les
comtesses Maria Caterina Capilupi Biondi (Fillide) et Margherita
Facipecora Pavesi Furlani (Tirsi). La musique de cette sérénade est perdue.
À Mantoue, Vivaldi se fait courtisan. Comme tous les compositeurs de
son époque, il doit servir les mécènes ; composer des œuvres qui
conviennent aux circonstances (anniversaires, bals, réunions d’amis,
évènements politiques, réceptions importantes…). Tout n’est pourtant pas
qu’ennui et platitude dans ces petites formes occasionnelles ; l’auteur peut y
mener des expériences personnelles, sur la forme, sur le langage, y risquer
des traits audacieux. C’est peut-être à Mantoue qu’Antonio Vivaldi aurait
expérimenté une forme nouvelle de concerto : le concerto de chambre
(concerto da camera). Ce ne sont pas des œuvres destinées à la publication,
mais plutôt des pièces écrites pour des ensembles précis, comme la chapelle
musicale de Mantoue, ou les filles de la Pietà, ou encore les musiciens de la
chapelle saxonne. L’effectif instrumental est composé d’une flûte (le plus
souvent traversière), d’un hautbois, d’un violon, d’un basson et de la basse
continue. La flûte traversière est un instrument encore peu utilisé à Venise,
davantage prisé dans les milieux germaniques, comme la cour de Mantoue,
alors placée sous la tutelle des Habsbourg et dirigée par un landgrave
allemand.
Une vingtaine de concertos connus peuvent entrer dans la catégorie des
concertos de chambre. Outre la célèbre Tempesta di Mare (Tempête en mer)
(RV 98) et le concerto dit « Del Gardellino » (du chardonneret) (RV 90)52,
dont les manuscrits sont des copies, les autres concertos sont tous conservés
dans le fonds Giordano, à Turin, sous forme autographe53.
En raison du deuil vécu par la cour de Mantoue, Philipp de Hesse-
Darmstadt accorde à son « maître de chapelle de chambre » l’autorisation
de rentrer chez lui pour y vaquer à ses occupations personnelles, à condition
que celui-ci revienne à Mantoue dès que le prince le lui demandera.
Antonio Vivaldi ne laisse jamais échapper les occasions qui s’offrent à
lui. Avant de quitter Mantoue, il prie son mécène de le recommander à
l’ambassadeur impérial à Venise, ce dont Philipp de Hesse-Darmstadt
s’acquitte par une lettre rédigée de sa main à l’intention du comte Johann
Baptist Colloredo-Waldsee :
À Mr L’Ambassadeur
Résident
à Venise Comte Giovanni Battista Colloredo
Très illustre Excellence […]
le 3 mars 1720, pour servir de recommandation de Mr D. Ant° Vivaldi.
J’ai donné à D. Antonio Vivaldi, mon maître de chapelle de chambre,
l’autorisation de se rendre à Venise sa Patrie, afin de s’y occuper d’affaires
personnelles, car ici, le deuil qui nous touche le contraindrait à rester oisif.
Durant le temps que durera son séjour, celui-ci aimerait être confié à la
générosité que Votre Excellence daigne me témoigner, afin que, porteur de
cette missive, il puisse jouir, sans en abuser, de votre très précieuse
Protection, dont le singulier talent qu’il possède le rend tout à fait digne.
Je prie donc V. E. d’être particulièrement bienveillant à son égard. Dans
l’attente de pouvoir vous servir autant que je le voudrais, je me prosterne
très respectueusement54.
16
(1720-1721)
Vivaldi est de retour dans sa ville natale où, sans l’avoir prévu, il se
retrouve libre de lui-même. À la Pietà, il n’a plus de charge
officielle. Carlo Luigi Pietragrua, qui dirige la chapelle musicale
depuis un an, gardera ce poste jusqu’à sa mort, au printemps 1726.
Le grand violoncelliste Antonio Vandini, alors âgé de trente ans, est
nommé maître de violoncelle le 17 septembre 1720. Solution
d’attente probablement, car Vandini ne restera à Venise que
quelques mois. L’année suivante, il entrera dans l’ensemble
instrumental de la basilique Saint-Antoine, à Padoue où, cinquante
ans durant, il jouera aux côtés du violoniste Giuseppe Tartini.
Vandini et Tartini seront deux complices inséparables, parcourant
les mêmes routes, partageant les mêmes intérêts et fréquentant les
mêmes cercles académiques de la ville. Cinquante ans plus tard,
Charles Burney faisant étape à Padoue visitera la basilique du
Santo, espérant y entendre jouer le célèbre violoncelliste,
désormais âgé. Il écrit : « Je désirais beaucoup entendre le vieil
Antonio Vandini qui, à ce que disent les Italiens, joue de son
violoncelle a parlare, c’est-à-dire d’une manière à faire parler son
instrument55…» Mais l’attente du voyageur anglais ne sera pas
comblée : le jour de la visite de Burney, le vieux Vandini ne joua
pas à l’office. Antonio Vandini fut l’un des plus grands
violoncellistes de son temps. Sa présence à la Pietà, en 1720-1721,
époque où Vivaldi ne remplit aucune fonction connue dans
l’institution, permet de rêver pourtant que plusieurs des somptueux
concertos pour violoncelle du Prêtre roux furent écrits en présence
de ce maître exceptionnel, et joués par lui à la Pietà.
Au printemps 1720, à Vicence, sur la scène du Teatro delle Grazie,
on donne une nouvelle version de l’Armida, intitulée Gl’inganni
per vendetta. Parmi les interprètes se trouvent Francesco Benedetti
et Chiara Orlandi. Vivaldi s’est sans doute déplacé pour s’occuper
de cette production.
Passé l’été, le Prêtre roux trouve à s’employer au Sant’Angelo ;
l’imprésario du théâtre est toujours l’ami Giovanni Orsato, qui
dirige en même temps le San Moisè. D’après une chronique locale,
Vivaldi et Orsato auraient travaillé de concert, pour la saison
d’automne 1720 et le carnaval suivant. Comme compositeur,
Vivaldi produira La Verità in cimento. Puis il participera à
l’ouverture du carnaval en composant le troisième acte du pastiche
Filippo re di Macedonia.
Après l’Opus 6 publié en 1719, paraît, sans doute en 1720, et dans les
mêmes conditions que le recueil précédent, l’Opus 7 chez « Jeanne Roger ».
On pense que celle-ci a probablement confectionné elle-même ce recueil à
partir de concertos provenant de sources différentes. Certaines pièces sont
douteuses. Qui sait si Vivaldi a même connu l’existence de cette
publication ?
À la différence du recueil Opus 6 qui contenait six concertos, l’Opus 7 en
comprend douze, distribués en deux livres, chacun numéroté de 1 à 672. Ce
sont des concertos pour violon, sauf le premier de chaque volume (RV 465
et RV 464) qui est pour hautbois. Ce sont les premiers concertos pour
hautbois (et aussi les premiers concertos pour un instrument à vent) de
Vivaldi. Le premier recueil de concertos pour hautbois avait été publié à
Venise par Tomaso Albinoni (Opus 7, 1715). La vogue du concerto pour
hautbois avait été lancée en Europe par Georg Philipp Telemann. La
chapelle musicale de la Pietà disposait d’excellents maîtres de hautbois :
Ignazio Rion, Ludwig Erdmann, Ignaz Sieber, Onofrio Penati. Vivaldi avait
peut-être composé plusieurs pièces pour hautbois (entre autres la Sonata per
oboe RV 53 et peut-être le concerto RV 455) lors du passage à Venise, en
1717, de Johann Christian Richter73. Toutefois, on hésite à affirmer que ces
deux concertos pour hautbois publiés en Hollande sont bien de Vivaldi. Il
n’existe pas de manuscrits correspondants à l’édition hollandaise. La partie
soliste est assez simple et ne correspond pas vraiment au style de Vivaldi.
Ils sont moins virtuoses et moins élaborés que les concertos pour hautbois
que le compositeur publiera quelques années plus tard, dans l’Opus 8 (n° 9,
RV 454 et n° 12, RV 449). Le concerto RV 354 (n° 4 du volume I) n’est
probablement pas de Vivaldi non plus ; sur un manuscrit conservé à
Manchester74, on lit cette note : « Cattivo, non è di Vivaldi » (Mauvais,
n’est pas de Vivaldi).
Plusieurs manuscrits correspondant à certains concertos publiés dans
l’Opus 7 sont conservés à Dresde ; la plupart d’entre eux transcrits par J.
G. Pisendel : le RV 28575, le RV 29976 : ainsi que le concerto RV 37377
dont le troisième mouvement est une fugue « Allabreve », qui semble elle
aussi douteuse. Le RV 299 (n° 2 du volume II) fut transcrit par J.S. Bach
pour clavecin (BWV 973).
Le concerto RV 294a (n° 4 du volume II) est intitulé « Il Ritiro » (Le
retrait). Il fut peut-être composé pour une jeune fille entrant au couvent. On
le date approximativement de 1716. Il existe plusieurs transcriptions
manuscrites de cette œuvre, dont une à Dresde, réalisée par Pisendel, qui a
peut-être ajouté sur ce manuscrit les deux parties de hautbois78. Un autre
manuscrit (RV 294), un peu plus tardif, est à Manchester79 ; le second
mouvement « Grave » est différent de la version éditée.
Le « Grosso Mogul » (n° 5 du volume II) (RV 208a) est considéré
comme l’un des concertos les plus anciens parmi les œuvres publiées dans
cet opus. On en connaît une autre version, avec un second mouvement
différent (RV 208). De cette version, un manuscrit autographe est à
Turin80 ; il ne porte ni titre, ni cadence écrite. En revanche, dans une copie
conservée à Schwerin81 les cadences des deux mouvements rapides sont
entièrement écrites. Le « Grosso Mogul » (RV 208) a été transcrit par Bach
pour orgue (BWV 594). Le concerto RV 214 (n° 6 du volume II) possède
lui aussi un manuscrit correspondant à Schwerin82.
Antonio Vivaldi a-t-il été perturbé par les attaques de son compatriote,
Benedetto Marcello ? Après la saison du carnaval 1721, le Prêtre roux
disparaîtra à nouveau des scènes vénitiennes pendant quatre ans. Venise
n’est plus comme autrefois la base presque unique de ses activités. Le
monde change et lui a pris ses distances… Il appartient à la cour de
Mantoue et compose des cantates, des sérénades, des concertos pour ses
différents commanditaires. Son nouveau titre de « maître de chapelle de
chambre », du gouverneur de Mantoue lui est cher. S’il se fait courtisan, il
veut rester libre ; libre compositeur, et libre entrepreneur.
17
Milan
(1721-1722)
Saisons romaines
(1723-1724)
18
(1723)
La musique
L’opéra comprend en tout une trentaine d’arias, deux duos, des chœurs ;
ceux-ci accompagnaient certainement les déplacements de personnages,
peut-être aussi des danses. Au premier acte, on entend une fanfare
militaire : « Combats sur le pont du navire, au son des trompettes, timbales
et tambours ».
Il s’agit d’un pastiche élaboré par Vivaldi à partir de ses œuvres
antérieures. Le compositeur a certainement participé sur place, à Rome, au
remaniement du texte. Des arias sont extraites d’une dizaine d’œuvres4 ; on
entend aussi la musique de « Nox Obscura tenebrosa », puisée dans la
seconde partie de la Juditha triumphans ; elle a été réinsufflée dans l’aria
d’Antiope « Pur ch’appaghi un giusto sdegno » (II, 3). Quant à l’aria « Ti
sento, si ti sento » (III, 7)5, elle est à peu près semblable à l’aria chantée par
Zelinda dans Teuzzone (I, 13) ; les ornements ont sans doute été ajoutés par
Minelli lui-même. Deux airs de l’Ercole seront intégrés au Farnace, en
1727.
Il n’existe pas de manuscrit de cet opéra. On peut seulement en
reconstituer partiellement la physionomie à partir des fragments se trouvant
dans d’autres opéras : la Sinfonia d’ouverture est une variante de celle
d’Armida al campo d’Egitto (RV 699) et se trouve à Paris6 ; des airs sont
conservés dans plusieurs fonds européens ; un recueil d’arias est conservé à
Munich7.
Dans l’aria que chante Ippolita au début du second acte, « Onde chiare
che susurrate » (Ondes claires qui murmurez), deux violons jouent sur
scène et dialoguent avec la chanteuse. Vivaldi utilisera le même matériel
thématique au début du Giustino, lorsque le chœur chante « Viva Augusto
eterno impero ». On entendra encore ce thème dans le célèbre concerto du
Printemps (RV 269), qui sera publié dans l’Opus 8, en 1725.
L’air interprété par Hercule « Non fia della vittoria » (III, 3), avant que
les Grecs lancent l’assaut contre les Amazones, est très beau, pathétique et
virtuose à la fois. Un peu plus loin, à la scène 7, Ippolita chante « Amato
ben Tu sei la mia speranza » (Mon bien aimé, tu es mon espérance), une
aria élégiaque, à la ligne sinueuse ; la mélodie est agrémentée de petites
cellules, comme si l’ornementation improvisée avait été intégrée à la ligne
écrite : une esthétique typique du baroque tardif. On dit que ce style
gracieux aurait été imposé par la mezzo-soprano vénitienne Faustina
Bordoni. Cette cantatrice avait en effet une voix très souple et une grande
précision d’exécution qui lui permettait de broder de tels détails. Ensuite, ce
style vocal fut repris par d’autres chanteurs, comme Farinelli. La voix et les
violons solistes exécutent la même mélodie, s’épousent ou se font écho,
rivalisant de finesse et de légèreté. Cette aria avait été entendue la première
fois dans La Verità in cimento (I, 12) (Venise, 1720), chantée par Anna
Maria Strada, dans le rôle de Rosane. Le même matériel thématique
apparaît dans le concerto pour violon RV 761, « dit Amato bene », dont le
manuscrit est aujourd’hui conservé à Manchester, dans le fonds provenant
de la collection du cardinal Pietro Ottoboni8.
Après avoir entendu l’Ercole sul Termodonte, un certain Fernando
Manno (peut-être le secrétaire du palais de la famille Pamphili), parle de
Vivaldi comme d’un « excellent auteur d’arias et d’un charmant inventeur
de mélodies pour la voix ». Manno fournit encore cette intéressante
information sur les activités du Prêtre roux à Rome ; il écrit : « Monsieur
Vivaldi, vénitien, a composé les arias sur le texte de S. E. Mons. Barbieri,
qui lui a donné cent écus ; elles furent chantées dans la maison du prince
Colonna où s’est rendu également l’ambassadeur de l’Empereur9. »
Je présente aux pieds de V. E. mon très profond respect, et vous fais
part de mon arrivée en bonnes conditions à Venise, où rien ne m’afflige
plus que la distance qui m’empêche de servir Votre Excellence.
Si V. E. voulait me rendre pleinement heureux, il suffirait qu’elle
comble les désagréments que lui cause (mon) éloignement en me faisant
l’hommage de l’une de ses très révérées et estimées commandes. Ma
médiocrité est, je le sais très bien, le plus grand de mes défauts, mais je
prie quand même votre très grande générosité de surmonter cette difficulté
et de m’en faire l’honneur.
Bientôt, je fournirai aussi à Madame Laura17 plusieurs musiques
vénitiennes. Je prie V. E. de présenter mes respects à toute votre
Excellente Maison et me prosterne avec respect.
Je reste votre très Humble Serviteur
Venise 20 Mars 1723
Antonio Vivaldi18.
Trois mois plus tard, Vivaldi est toujours à Venise. A-t-il lui-même
demandé à réintégrer la Pietà ? Le 2 juillet, les gouverneurs acceptent de
reprendre le Prêtre roux à leur service. Sa dernière nomination datait du
24 mai 1716. Pour la première fois, il avait été nommé maestro de’ concerti
(maître des concerts), une charge chèrement acquise qui lui permettait de
composer des œuvres pour les filles du chœur, tout en gardant la liberté
d’écrire pour les théâtres et de voyager. En novembre de la même année,
avait eu lieu à la Pietà, dans la jubilation générale, l’exécution de la Juditha
triumphans. Le dernier salaire versé au Prêtre roux par la Pietà datait du
mois de septembre 1717. Ensuite, Vivaldi partait pour Mantoue.
Jour symbolique donc et jour festif aussi : le 2 juillet, comme chaque
année, on célèbre la Visitation de la Vierge. Les gouverneurs réunis votent
(neuf voix « oui » et une abstention) la nomination de Vivaldi. Ils rédigent
un nouveau contrat, conservé dans les Notatori (minutes) de la Pietà19.
Ils soulignent d’abord qu’il faut continuer à faire progresser la qualité de
la musique, afin de louer Dieu, d’assurer l’affluence des fidèles et de
susciter dans la population et parmi les visiteurs des gestes de charité. Ils
admettent ensuite que la chapelle musicale manque de concertos et qu’il est
devenu urgent de compléter le répertoire du chœur. Les députés chargent
donc « Don Antonio Vivaldi, dont les activités sont notoires » de fournir à
l’hospice deux concertos par mois, « tout comme il vient d’en composer
deux à l’occasion de la fête de notre église ». Il faudra aussi établir avec le
même Vivaldi un accord « pour les périodes où celui-ci séjournera dans
cette ville, ainsi que, s’il l’accepte, pour les périodes où il sera absent, grâce
à des missions ». Sans renoncer à ses autres engagements, Vivaldi pourra
ainsi composer pour la Pietà, comme convenu, les deux concertos mensuels.
Chaque concerto lui sera rétribué un sequin, somme pour laquelle il devra
aussi, lorsqu’il résidera à Venise, se rendre en personne à la Pietà au moins
trois ou quatre fois par œuvre, afin d’enseigner aux filles la manière de bien
les interpréter. Les maîtresses de chœur, quant à elles, « devront être
présentes chaque fois que le Révérend Vivaldi viendra faire répéter les
filles, comme elles le sont habituellement avec les autres maîtres, et veiller
à ce que les Filles observent la discipline de rigueur, et à ce qu’elles tirent
profit, sans se distraire, de l’occasion qui leur est offerte ».
À la fin de l’année 1723, Vivaldi sera payé pour huit concertos ; puis
pour soixante-douze autres, entre 1725 et 172920.
Le réengagement du Prêtre roux à la Pietà, à des conditions tout à fait
exceptionnelles, n’est pas la seule mesure adoptée les gouverneurs afin de
faire face aux difficultés croissantes que rencontre l’institution. Il est
devenu impératif d’agrandir et d’aménager les locaux, qui ont toujours
souffert d’étroitesse. Conséquences des guerres, des difficultés
économiques, des épidémies, la Pietà reçoit de plus en plus de nouveau-nés
déposés anonymement par leur mère dans la scaffetta. En 1718, on avait
déjà fait agrandir la maison du côté du rio de San Lorenzo, et obtenu le
droit de modifier à volonté les parties nouvelles afin de les rendre plus
adaptées au logement et au travail des enfants. La même année, les
gouverneurs avaient signé un accord avec la Camera del Purgo afin qu’une
centaine de jeunes puissent travailler à filer la laine, au service des
marchands qui fournissaient la Hollande et l’Angleterre. À cet effet, on
avait aménagé un petit bâtiment dans la cour de l’hospice, du côté de la riva
degli Schiavoni. L’année suivante, pour agrandir encore les locaux, on avait
annexé le palais des nobles Capello. L’espace dont disposait l’hospice
restera, malgré ces dispositions, toujours insuffisant, tant du côté des
dortoirs, que de l’infirmerie où il restait difficile de séparer les malades des
enfants sains. À cette même période, les députés se rendent compte qu’il est
devenu indispensable de repenser l’édifice et de transformer l’église de la
Pietà en un lieu de prestige où la musique trouvera sa pleine expression.
Après de longues tergiversations, ce n’est qu’en 1736 que sera lancé un
concours destiné à sélectionner un architecte qui engagera concrètement le
projet de la nouvelle Pietà !
En 1723, les réaménagements touchent aussi la petite église. Le 4 juin,
c’est-à-dire un mois seulement avant qu’ils n’expriment officiellement leur
volonté de réengager Vivaldi, les gouverneurs reconnaissent « que le chœur
est vraiment trop étroit21 » ; on se décide à construire deux « choretti »
(petits chœurs latéraux), de chaque côté de la tribune centrale. L’objectif est
d’y placer les filles sur deux rangs, afin qu’elles « puissent mieux remplir
leurs tâches22 ». On nomme un nouvel entrepreneur, Bortolo Franceschini.
Le 27 janvier 1724, les maçons travaillent « à agrandir le vieux chœur23 ».
On commande un deuxième orgue qui devra être placé dans un chœur
latéral. Le 8 mars 1726, les gouverneurs décideront de placer devant les
« choretti », une grille en fer doré, remplaçant les anciens volets en bois de
façon à ce que les filles placées sur les côtés puissent voir la maîtresse de
chœur battant la mesure dans le chœur central24.
L’objectif des députés est l’amélioration constante de la qualité du chœur,
afin d’attirer les fidèles et de susciter les dons envers l’institution. Il faut
veiller constamment à la discipline, regarnir constamment le chœur en
nouvelles instrumentistes et de chanteuses et, pour cela, intégrer des élèves
payantes. Le 30 avril 1723, les gouverneurs décident que les « fie a spese »
ne pourront prendre des leçons de musique à la Pietà que si elles sont issues
de la noblesse25. Le 27 janvier 1724, on décide d’intégrer annuellement
deux filles pour le chant et deux pour l’instrument, choisies parmi celles
qui, par leurs activités et par leur sérieux, se seront méritées l’assentiment
du maître de chœur26. Voulant faire preuve de reconnaissance envers le roi
de Pologne qui s’était souvent montré si généreux envers la Pietà, le
22 septembre 1724, les gouverneurs acceptent que puissent prendre des
leçons de musique « deux fillettes de très bonnes mœurs… destinées au
service de Sa Majesté [le roi de Pologne] de la Maison Royale ». On
demande que celles-ci n’aient pas plus de douze ans ; il leur sera interdit
plus tard de chanter au théâtre27. Six ans plus tard, le 17 mars 1730, la
Pietà confie au chambellan du roi de Pologne deux jeunes filles, Maria Rosa
et Anna Bolognese (Rosa et Anna Negri), qui avaient été éduquées, la
première par « Maddalena dal Soprano », et la seconde par « Meneghina
dalla Viola ». Il s’agit sans doute des deux fillettes qui avaient été intégrées
en septembre 172428.
Les visites régulières de personnalités de marque sont aussi un sujet de
fierté et une source de revenus pour la Pietà ; ainsi que pour les filles qui
participent aux bénéfices réalisés sur la location des chaises dans l’église.
Pas question cependant de laisser qui que ce soit pénétrer dans l’enceinte de
l’hospice sans une autorisation des gouverneurs (la réputation de Venise,
ville de toutes les licences, ne s’applique pas à cette institution !). Le
30 avril 1723, les députés rappellent que toute personne qui souhaite
entendre les filles en concert doit d’abord en faire la demande auprès des
gouverneurs, qui voteront l’autorisation29 (en 1725, on définira à nouveau
les conditions selon lesquelles les personnalités importantes peuvent venir
écouter les filles du chœur30). Au mois de mai 1723, on permet ainsi au
prince de Modène de venir écouter « un divertissement virtuose donné par
nos filles » ; celui-ci sera accompagné par la princesse son épouse et par
d’autres gentilshommes ; avec eux se trouveront aussi « plusieurs jeunes
virtuoses, chanteuses et musiciennes, qui désirent écouter les filles du
chœur, afin d’en tirer profit31 ». Et, le 3 septembre 1723 (alors que Vivaldi
vient tout juste de reprendre son service), on attend à la Pietà la visite des
princes Borghese : Camillo (le fils aîné de Marco Antonio et de Maria
Livia), accompagné de son épouse, Anna Colonna32.
19
(carnaval 1724)
Le « goût lombard »
20
Il reste à ajouter aux œuvres citées précédemment trois motets pour voix
de soprano, écrits sur du papier romain, sans doute composées pour un
castrat87.
Ce sont des motets de forme classique (première aria allegro – récitatif –
seconde aria largo – Alleluja). Leur style vocal est fleuri et exige de
l’interprète une certaine puissance ; davantage que dans les motets écrits par
Vivaldi pour les filles de la Pietà. En particulier « In furore giustissimae
irae » (RV 626) exprime la peur de la colère de Dieu après la faute ; il est
surtout remarquable par l’énergie imprimée aux instruments et à la voix dès
la première aria ; ensuite, après un largo pathétique, l’Alleluja reprend
l’élan du début. Le second motet, « Canta in prato » (RV 623), est chargé
de références bucoliques précieuses ; la seconde aria évoque des
instruments rustiques : flûtes agrestes, tambours, pipeaux. Dans « O Qui
coeli terraeque serenitas » (RV 631), la paix domine ; le flux musical se fait
plus modéré.
Retour à Venise
(1725-1729)
21
(1725)
À l’exception des concertos n° 6 (RV 180) et n° 12 (RV 178/449), tous
les concertos publiés dans l’Opus 8 possèdent des manuscrits
correspondants. Ces manuscrits permettent de dater plus précisément les
œuvres publiées dans l’opus 820.
À Turin, dans le fonds « Giordano », se trouvent les manuscrits
autographes des concertos RV 332 et RV 210, ainsi qu’un manuscrit
autographe que l’on date environ de 1718-1720 du concerto RV 362 dit La
Caccia, avec de nombreuses variantes par rapport à l’édition (une copie
d’origine allemande en parties séparées se trouve aussi à Dresde). Dans le
fonds « Foà », est conservé un autographe du concerto RV 454, pour
hautbois. À la Sächsische Landesbibliothek de Dresde se trouve un
manuscrit de La Tempesta di mare (RV 253), partiellement autographe, avec
une intervention probable de Johann Georg Pisendel21. Il s’agit d’un
manuscrit d’origine vénitienne sur lequel ont été ajoutées (probablement par
Pisendel) deux parties de hautbois ; cette œuvre date sans doute des années
1716-1717, période à laquelle Pisendel se trouvait à Venise. Dans le même
fonds se trouve le premier mouvement autographe du concerto RV 242 ; il
porte une dédicace à Pisendel ; on le date aussi de 1716-1717, et l’on pense
que Vivaldi l’aurait remis en main propre à son ami allemand22.
En résumé, on peut dire que les manuscrits de La Tempesta di mare (n° 5)
et du concerto n° 7 (dédié à Pisendel) conservés à Dresde sont datables des
années 1716-1717 ; les concertos RV 332, RV 362 et RV 210 des années
1718-1720 ; le n° 9 (RV 236/RV 454) aurait été composé vers 1720 ; ce qui
signifie que les œuvres imprimées dans l’Opus 8 furent composées par
Vivaldi plusieurs années avant leur publication.
On ne conserve pas hélas de manuscrits autographes des Quatre Saisons.
Les manuscrits connus les plus authentiques sont les copies de Manchester
provenant de la collection musicale de Pietro Ottoboni23. On ne s’accorde
pas sur leur datation : certains musicologues pensent que ces copies auraient
été transcrites vers 1726, peut-être à partir des autographes aujourd’hui
disparus ; d’autres, plus tardivement, à partir des partitions imprimées en
Hollande.
II Largo
F Maintenant, sur le charmant pré fleuri,
Au doux murmure que forment les feuillages et les plantes
Le chevrier s’endort, son chien fidèle à ses côtés.
III Allegro
G Au son joyeux de la musette rustique
Le berger amoureux danse avec les nymphes,
Leurs visages rayonnent
Dans la lumière du printemps nouveau.
II Adagio
F Les éclairs, les coups de tonnerre
Le vrombissement furieux des mouches et des insectes
L’empêchent de se reposer et de soulager ses membres las.
III Presto
G Ah comme ses craintes sont réelles !
Il tonne ; la foudre gronde dans le ciel et la grêle
Couche au sol les blés, et tous les autres grains.
II Adagio molto
D Tous ont délaissé les danses et les chants ;
L’air doux enchante
Car cette saison invite tout un chacun
À jouir du très doux sommeil.
III Allegro
E Dès l’aube, les chasseurs partent pour la chasse
Avec leurs cors, leurs fusils et leurs chiens.
F La bête sauvage s’enfuit, et ils suivent sa trace.
G Étourdie et exténuée par le fracas
Des fusils et des chiens, blessée, elle tente
H De s’échapper, mais meurt tapie contre terre.
II Largo
E Enfin on s’assoit, paisibles et heureux, devant le feu
Tandis que, dehors, la pluie tombe à verse.
F On marche à pas lents sur la glace
G De peur de tomber
III Allegro
H Car en allant trop vite, on perd l’équilibre, et l’on tombe à terre
I On se remet sur ses pieds et, sur la glace, l’on court vite
L Avant que celle-ci ne se brise, et fonde.
M Derrière les portes closes on entend
Sirocco et Borée, et tous les vents se faire la guerre
N C’est cela l’hiver, mais qui apporte aussi ses joies.
Au xviie et au xviiie siècle le thème des Saisons est présent dans tous les
arts, des plus nobles aux plus décoratifs (papiers peints, vignettes, gravures,
calendriers, étoffes, porcelaines…), ainsi que dans la poésie et la littérature.
En France, Nicolas Poussin avait peint en 1660 les Quatre Saisons
(Louvre). Lully avait créé le ballet des Saisons, à Fontainebleau, en 1661.
On parle souvent d’une influence sur Vivaldi de la poésie anglaise et du
cycle poétique de John Milton L’Allegro et Il Penseroso publié en 1631-
1632 ; la même œuvre qui inspirera à Haendel, en 1740, l’ode pastorale
L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato (c’est Charles Jennens, le
collectionneur de partitions vivaldiennes, qui avait ajouté Il Moderato au
texte de Milton). Les poésies de Milton traduites en italien circulèrent sans
doute en Italie, et à Venise plus particulièrement25. On cite aussi les
célèbres poèmes de James Thomson, The Seasons, The Months and other
divisions of time, qui paraissent en 1726. Depuis longtemps, les
compositeurs essayaient d’imiter les bruits ; on en trouve de nombreux
exemples au Moyen Âge et à la Renaissance. Des effets de « stile
concitato » (fracas des armes, piétinements des chevaux, accélérations des
rythmes) figurent aussi chez Monteverdi, dans le Combat de Tancrède et
Clorinde. En France, les clavecinistes, tels D’Anglebert, Couperin et
Rameau, aimaient placer des titres sur leurs œuvres instrumentales et
imaginer des situations particulières comme la chasse. Cette mode se
poursuivra encore pendant plusieurs décennies, si l’on pense à la cantate
profane de Telemann (Die Tageszeiten, 1759), à la trilogie symphonique Le
Matin, Le Midi et Le Soir de Haydn (1761), ainsi qu’à son oratorio des
Saisons (1800) ; si l’on se rappelle aussi la Symphonie pastorale de
Beethoven (1808) et la Symphonie fantastique de Berlioz (1830)26. On
s’accorde à affirmer que le concerto « à programme », tel qu’il est traité par
Vivaldi dans ses Quatre Saisons, représente véritablement, à son époque,
une nouveauté.
22
Anna Maria était une violoniste et une musicienne hors pair. En témoigne
le pamphlet manuscrit et anonyme sur les filles de la Pietà conservé au
Musée Correr de Venise (déjà évoqué à propos des chanteuses, Geltruda et
Apollonia). Habituellement moqueur, peu flatteur, et ne laissant rien
échapper des défauts des musiciennes et chanteuses de l’hospice, par trop
encensées par les visiteurs étrangers, cette fois l’auteur se répand en éloges.
Il ne dédie pas moins de dix strophes à Anna Maria, vantant non seulement
son talent et sa virtuosité, mais aussi sa séduction et sa grâce :
Voici venir maintenant, en tête,
Comme un chef de bande,
Le phénomène : Anna Maria,
Véritable incarnation de la bonté et de la beauté.
Elle joue du violon avec tant de ferveur
Que tous ceux qui l’entendent en sont transportés au paradis,
S’il est vrai que là-haut
Les anges jouent aussi bien.
Le bras qui tient l’archet et sa main sur les cordes
Sont d’une même agilité.
Personne ne l’égale
Dans tout l’État de San Marco.
Dans le monde entier, à vrai dire,
Aucune femme, aucun homme n’arrive à sa hauteur.
Je n’exagère pas, je dis la vérité,
Et donne ma parole d’honneur.
Quel musicien professionnel
Joue comme elle du clavecin, du violon,
Du violoncelle, de la viole d’amour,
Du luth, du théorbe et de la mandoline ?
En vérité, ce sont des vertus
Qui immortalisent celui qui les possède ;
Mais elle en a plus encore
Et je puis en témoigner.
Elle a un cœur d’or et d’une honnêteté sans faille,
Fidèle, reconnaissant et aimant :
Elle est très belle, mais sa beauté
Ne lui monte pas à la tête.
Elle a les cheveux blonds, les joues roses,
Des seins blancs comme neige,
Des yeux pétillants
Et des traits nobles ; elle a un caractère vif,
Dans les moments sérieux comme lorsqu’elle rit.
Mais je n’en dirai pas plus, car vous croirez peut-être
Que je suis amoureux d’elle.
Vous ne seriez sans doute
Pas très loin de la vérité.
Oubliez ce que je viens de dire
Et revenons à notre sujet.
Vient ensuite… vient… enfer et damnation !
Qui avons-nous donc ensuite ?
Je suis troublé45 !
Les visiteurs étrangers, pour leur part, n’expriment qu’admiration et
étonnement après avoir entendu, dans une simple institution de charité, une
musicienne de si haut niveau, capable de rivaliser avec les musiciens
professionnels masculins qui se produisent sur les scènes et dans les cours
les plus prestigieuses.
Ce sont surtout les musiciens, théoriciens et visiteurs des pays
germaniques qui propagent la notoriété d’Anna Maria. Dans une relation de
Joachim Christoph Nemeitz publiée en 1726, on trouve ces lignes
concernant les ospedali de Venise : « Chacun de ces hôpitaux possède son
propre directeur musical, qui tire son salaire de la République [une
information erronée !] ; et le célèbre Vivaldi ne pensait pas moins bien la
servir, il y a quelques années, qu’en se prétendant directeur musical de la
Pietà46. » Ensuite, Nemeitz ajoute : « Rares sont les représentants de notre
sexe qui égalent Anna Maria en tant qu’interprète de cet instrument [le
violon] si difficile et délicat. » L’auteur raconte ensuite que, grâce à l’une
des chanteuses avec laquelle il avait lié connaissance (comme le fera
Rousseau, vingt ans plus tard !), il a eu ce privilège insigne de pénétrer dans
le lieu si mystérieux et convoité. Après la messe, il fut régalé d’un concert
magnifique, exécuté par les jeunes filles de la Pietà, accompagnées par
l’orgue, vingt violons, le violoncelle et les théorbes. La qualité de
l’interprétation fut incomparable, affirme-t-il. Dans une partie de violon
concertant magnifiquement exécuté, Anna Maria montra qu’elle possédait
non seulement la délicatesse, mais aussi la virtuosité de Faust47 !
Le compositeur et théoricien Johann Gottfried Walther, auteur d’un
dictionnaire de musique, parle quelques années plus tard d’Anna Maria
comme de la musicienne la plus versatile et la plus accomplie des
instrumentistes de la Pietà48.
Reste l’enthousiasme du truculent Bourguignon, Charles de Brosses, qui
laisse ce précieux témoignage : « La Chiaretta serait sûrement le premier
violon de l’Italie, si l’Anna Maria des hospitalettes [= la Pietà] ne la
surpassait encore. J’ai été assez heureux pour entendre cette dernière qui est
si fantasque qu’à peine joue-t-elle une fois par an » (lettre XVIII à M. de
Blancey, 29 août 1739).
Les députés qui gèrent la chapelle musicale des quatre ospedali de Venise
ont toujours eu à guerroyer pour rassembler et conserver, dans les armoires
de leurs hospices, un corpus d’œuvres vocales et instrumentales dans lequel
les filles pourraient toujours trouver de quoi s’exercer et jouer pendant les
offices. À la fin de leur service, les maîtres de chapelle quittaient souvent
l’institution en emportant leurs œuvres avec eux. Dans le règlement du
4 mars 1708, il est souligné que les filles n’ont le droit de jouer que la
musique qui a été approuvée par les gouverneurs. On rappelle aussi que les
noms des filles doivent être méthodiquement notés sur les parties de celles
qui seront chargées de les exécuter49. Dans le règlement du 6 juillet 1710,
il est stipulé à l’article 4 que le maître de chœur « devra confier ses
partitions à la maestra di choro qui se chargera de les faire transcrire, afin
que le maître en question ne souffre aucun préjudice50 ». En 1736, lorsque
le maître de chapelle de la Pietà, Giovanni Porta, annonce son départ pour
la cour de Bavière, les députés chargent les deux filles organistes, Bianca
Maria et Antonia, de recopier les partitions du maître (sous le contrôle de
Meneghina, responsable des copistes)51. L’année suivante, au moment du
départ de Porta, on s’assure encore que Bianca Maria et Antonia ont porté
leur tâche à bon terme, lesquelles par ailleurs « ne demandent en retour
aucune rétribution »52.
Ce qui reste des partitions musicales ayant appartenu à la Pietà est
conservé à la bibliothèque du Conservatoire Benedetto Marcello de Venise,
dans le fonds dit des Esposti (enfants trouvés)53. Il s’agit d’un ensemble
hétérogène constitué de fascicules fragmentaires, pièces instrumentales,
rassemblées principalement à partir de 1726, et œuvres vocales religieuses
plus tardives, datant d’environ 1739. On peut citer, par exemple, pour la
musique vocale sacrée, un In exitu Israel (RV 604), avec le nom de Lorenza
sur la partie de contralto ; une version du Magnificat datée de 1739 (RV
611, partie de contralto) ; un Confitebor tibi Domine (RV 789, avec le nom
de « Crestina » (Cristina Maria) ; un Beatus vir (RV 795) qui ne contient
que la partie chorale de contralto54.
En ce qui concerne la musique instrumentale, on trouve le nom de
« Teresa » sur les parties manuscrites d’alto de deux concertos pour
violoncelle (RV 787 et RV 78855), où il est noté : « Concerto Per
Violoncello Per Teresa. D [on]. V. [ivaldi] ». On trouve encore dans ce
fonds, des concertos pour « Chiara », dite aussi « Chiaretta » (« Il y a aussi
Chiaretta, elle aussi jeune fille et petit pinçon », écrit l’auteur du pamphlet
anonyme sur les filles de la Pietà56) : RV 222 (« Concerto per Sigra
Chiara57 ») et RV 372a « Concerto per Sigra Chiaretta. D[on].
V[ivaldi]58 »). On peut citer encore la partie d’alto du concerto pour violon
solo et violoncelle solo RV Anh 87 qui porte cette note : « Lorenza
Concerto A Violino Chiaretta E Violoncello Terse (ta) D. V.59 ». Le nom de
Chiaretta apparaît encore sur le Psaume Lauda Jerusalem (RV 609) à deux
chœurs dont le manuscrit autographe, daté de 1739, est conservé à Turin60 ;
sur les parties solistes, figurent les noms de : « Marga (Margherita II) e
Julietta (Giulia II) » « Fortunata (I) e Chiaretta (Chiara II) ».
Les filles copistes de la Pietà transcrivaient la musique en prenant pour
modèle « l’original » du maître. La confrontation de ce matériel avec les
manuscrits autographes qui proviennent de la collection personnelle de
Vivaldi, conservés par exemple à Turin, révèle les nombreuses petites
erreurs commises par les copistes, inexpérimentées ou qui ne comprenaient
pas toujours les annotations et les signes abrégés de leur maître.
Violoniste célèbre, Anna Maria jouait (comme les autres filles du chœur)
de plusieurs instruments. Mais elle en jouait en soliste, et à un niveau
d’excellence. « Quel musicien professionnel Joue comme elle du clavecin,
du violon, Du violoncelle, de la viole d’amour, Du luth, du théorbe et de la
mandoline ? », demande le pamphlétaire anonyme…
Mandoline
Viole d’amour
Les deux concertos RV 393 et RV 397 avec viola d’amore (dont les
manuscrits autographes se trouvent dans le recueil « Foà 29 », à Turin) se
réfèrent directement à Anna Maria79. Dans le titre, « Con.to con Viola
d’AMor » Vivaldi écrit le mot « AMor », en mettant en évidence (par des
majuscules) les lettres A et M qui sont les initiales d’Anna Maria)80. Le
concerto RV 39381, en ré mineur, est une variante du concerto RV 769,
pour violon, que le compositeur a transposé pour la viola d’amore peut-être
à l’intention d’Anna Maria82. Du concerto RV 397, en la mineur, nous
connaissons un manuscrit autographe (incomplet) et une copie à Dresde
(avec l’intervention de Pisendel)83.
Vivaldi traite souvent la viole d’amour comme un violon. En revanche,
dans les mouvements rapides du concerto RV 392, ainsi que dans le premier
mouvement de RV 397, il tire davantage parti du potentiel sonore de cet
instrument : les doubles notes et les accords produisent des résonances
grâce aux cordes vibrant par sympathie, que possède cet instrument84.
La septième pièce copiée dans le Cahier d’Anna Maria (fol. 22 v°-25 v°)
est un concerto de Giuseppe Tartini qui fut publié par le compositeur chez
Le Cène, à Amsterdam, en 1728, dans le recueil de ses Sei Concerti a
cinque.
Avant de se fixer définitivement à Padoue, comme violoniste soliste au
Santo, le jeune Giuseppe Tartini avait passé plusieurs années à Venise. On
sait qu’il avait entendu jouer Francesco Maria Veracini au palais Mocenigo,
en présence de Friedrich August de Saxe et qu’il en avait été bouleversé au
point de changer radicalement sa façon de jouer. Dans les années 1720,
Tartini vivait en donnant des cours de violon dans diverses familles
patriciennes de Venise ; celle du patricien Girolamo Ascanio Giustiniani,
traducteur des Psaumes de David mis en musique par Benedetto Marcello.
Il fut aussi le maître d’Alessandro Marcello. À partir de 1727, il fonde à
Padoue une célèbre école de violon, où confluent des violonistes venus de
l’Europe entière.
Anna Maria fut-elle en contact avec le célèbre violoniste, compositeur et
pédagogue ? Tartini a-t-il donné des cours à la Pietà et en particulier à Anna
Maria ? Par exemple entre 1717 et 1723, à l’époque où Vivaldi semble
absent et où Tartini enseigne à Venise… Comment Anna Maria était-elle en
possession de cette pièce de Tartini avant sa publication, alors qu’il était
interdit aux filles du chœur de jouer d’autres œuvres que celles des maîtres
de la Pietà ?
Quels rapports existèrent (s’ils existèrent) entre Antonio Vivaldi et
Giuseppe Tartini ? Entre Vivaldi et Padoue ? On se rappelle que, en 1712,
Vivaldi avait composé et joué avec son père à la basilique du Santo. Il a
aussi composé plusieurs œuvres pour la fête de saint Antoine. Après avoir
enseigné à la Pietà dans les années 1720-1721, Antonio Vandini,
violoncelliste d’envergure, était entré dans la chapelle musicale de la
basilique, aux côtés de Tartini, dont il restera toute sa vie un ami intime.
Si Antonio Vivaldi a entretenu une relation privilégiée avec son élève
Anna Maria, Giuseppe Tartini a, lui aussi, attaché son nom à une élève
favorite, Vénitienne également, formée elle aussi dans les ospedali, et
exceptionnellement douée pour le violon : Maddalena Lombardini.
Elle naît à Venise en 1735. C’est en tant qu’élève payante qu’elle apprend
le violon à l’hospice des Mendicanti ; ensuite, elle se perfectionne en
prenant des cours avec Giuseppe Tartini. Elle se produit dans plusieurs
villes italiennes, puis épouse le violoniste et compositeur Ludovico Sirmen.
Ensemble ils partent pour Paris et jouent au Concert spirituel, pendant l’été
1768. Maria s’embarque ensuite pour Londres, sans doute seule, et
remporte un triomphe au théâtre Haymarket. Plus tard, elle cherchera à se
produire comme chanteuse mais connaîtra un échec. Lorsqu’elle cherchera
à relancer sa carrière de violoniste, elle sera désormais considérée comme
une musicienne d’un goût dépassé. Elle a composé et publié, à Londres et à
Paris, plusieurs recueils de sonates et de concertos pour le violon.
L’Anna Maria de la Pietà et Maddalena Lombardini sont sans doute les
deux plus grandes violonistes italiennes du xviiie siècle. Toutes deux
femmes, toutes deux Vénitiennes. Quarante années les séparent. On ne peut
s’empêcher de rapprocher leurs destinées : la première, une fille cloîtrée ; la
seconde, une pionnière, une femme libre et engagée, menant une carrière
internationale. L’une et l’autre furent profondément liées à leur maître,
Anna Maria à Antonio Vivaldi, et Maddalena à Giuseppe Tartini.
Aujourd’hui encore, les filles de la Pietà, chanteuses et musiciennes,
continuent à solliciter l’imagination des écrivains, qui transforment ces
créatures mystérieuses et désormais lointaines en héroïnes de roman,
partant de la Consuelo de George Sand, passant par le Concerto baroque
d’Alejo Carpentier, la Lavinia fuggita (Lavinia disparue) d’Anna Banti ;
jusqu’aux plus récentes Vivaldi’s Virgins de l’écrivaine américaine Barbara
Quick, et au Stabat Mater du Vénitien Tiziano Scarpa.
Anna Maria a 41 ans lorsque, le 30 août 1737, elle accède au statut de
maestra di violino. Quelque temps plus tard, elle passera maestra di coro.
Le règlement de la Pietà permettait en effet aux filles de devenir sotto
maestra à 24 ans et maestra à 30 ans. À 40 ans elles avaient le choix entre
rester dans le chœur pour enseigner aux plus jeunes comme maestre, se
marier ou entrer au couvent. Trois ans plus tard, en 1740, Vivaldi quittera
Venise pour Vienne. À cette date, si Anna Maria n’est pas habilitée à
composer, comme le faisait Vivaldi, elle est néanmoins en mesure de
remplacer son maître auprès de ses camarades. Elle est apte à enseigner et à
diriger le chœur pendant les répétitions et les offices, du haut de la tribune ;
là où depuis tant d’années elle joue comme soliste… derrière les grilles.
23
Vivaldi et la France
Le 31 juillet 1726, dix jours après que Pietro Ottoboni a fait son retour
triomphal à Venise, une sérénade à quatre voix de Vivaldi est exécutée dans
la résidence d’été de Philipp de Hesse-Darmstadt, La Favorita, située dans
les environs de Mantoue.
À cette époque de l’année, Philipp et sa famille sont en villégiature et le
gouverneur de Mantoue célèbre son anniversaire. S’il est loin de Mantoue,
peut-être même pas présent pour les deux opéras représentés en janvier et
février 1725 au Teatro Arciducale, Vivaldi n’en conserve pas moins son
titre de « maître de chapelle de chambre » du gouverneur. Il peut être à tout
moment sollicité pour la composition de pièces instrumentales, de cantates
et de sérénades destinées à fêter tel ou tel événement de la cour.
« Questa Eurilla gentil » (Cette gentille Eurilla) (RV 692) est dédiée à
Philipp par ses enfants. Hélas, la musique en est perdue ; on ne conserve
que le livret, sur lequel il est écrit : « La Musica è del Sig. D. Antonio
Vivaldi… ».
Le style du texte, peut-être écrit par Vittore Vettori, un poète au service
de la cour, reste dans le goût de celui des cantates mises en musique par
Vivaldi pour Mantoue. La sérénade est organisée en deux parties et dix
numéros. Le personnage principal est Eurilla, fille d’Irène, arrivée sur un
radeau. Elle avait été élevée dans les bois, parmi les nymphes et les bergers.
L’œuvre baigne dans un univers arcadien, une nature allégorique où les
personnages réels se mêlent aux êtres qui vivent en plein air. Les interprètes
sont les membres de la famille Hesse-Darmstadt et leurs amis. Le rôle
d’Eurilla est interprété par la fille de Philipp, Teodora ; Elpino par Joseph,
le fils, prêtre malgré lui et futur évêque ; la comtesse Margherita Facipecora
Pavesi Furlani est Tirsi ; la comtesse Maria Caterina Capilupi Biondi est
Fillide. Sous ces noms d’emprunt, se cachent peut-être diverses
personnalités de Mantoue qui se réunissent dans l’importante Accademia
dei Timidi (l’académie des Timides), peut-être aussi des allusions à la
guerre de Succession d’Espagne. Les personnes de la cour savent se
reconnaître. À la fin de la sérénade, tous ouvrent la fête : « Allons, et que
les premières notes festives que je lance vers ces rivages soient des accents
d’hommage à ce héros qui est applaudi par la généreuse et aimable
Arcadie. » Enfin, Eurilla et Elpino chantent en duo la gloire du « parent
aimé » (Al diletto genitor).
Ce ne fut pas un garçon qui naquit en août 1727, mais deux petites
princesses, deux jumelles : Marie-Louise-Élisabeth et Anne-Henriette. Le
Vénitien Antonio Conti cherche à consoler son amie française, madame de
Caylus : « Les Dauphins succéderont aux Dauphines, écrit-il, il faut
l’espérer. En attendant je vous félicite de l’heureux accouchement de la
Reyne, mais il me semble que les gageures ont été bien éloignées du vray
terme. Je me souviens pas si Louis 13 a eu des filles. Je me souviens
seulement d’Henriette Reine d’Angleterre et d’une Duchesse de Savoye
fille d’Henri 4. Mais ni Louis 14 ni le Dauphin, ny le Duc de Bourgogne,
c’est-à-dire trois âges n’ont pas donnés de filles à la Maison de France. Je
ne sçais [pas] si vous les marirez à quelques fils du Nouvel Empereur, ou du
Prince [d’] des Asturies. Je vous ayderay dans le cas, car il nous est toujours
permis de nous promener en long et en large dans la piramide de Monsr
Leibnitz pour nous divertir. Les choses vont toujours leur train111. »
Le comte de Gergy ne cache pas sa déception. « Quoyque les désirs de Sa
Majté et les vœux de tout le Royaume ne soient pas aussi parfaitement
accompli qu’ils eussent été par la naissance d’un dauphin112 », écrit-il à la
cour, il n’en organisera pas moins une fête qui rendra dignement hommage
aux souverains français.
Lorsqu’une naissance se produit à la cour, l’ambassadeur en est informé
par une dépêche, qui arrive avec beaucoup de retard, plusieurs semaines, et
même plusieurs mois quand il s’agit d’un pays lointain. Celui-ci doit
aussitôt répercuter la nouvelle auprès du pays d’accueil, puis aviser les
autres diplomates étrangers séjournant sur le territoire. Puis il attend
l’autorisation et les ordres de la cour de France pour commencer à préparer
les festivités.
À Venise, les Français ont l’habitude de célébrer religieusement les
événements de la cour à l’église de la Madonna dell’Orto, dans le quartier
de Cannaregio (vaste édifice dont la façade gothique donne sur le campo du
même nom, proche de l’ambassade de France).
Les fêtes organisées par Gergy ont lieu le 19 septembre 1727 (gageons
que l’abbé Conti ne peut les avoir manquées !) : un Te Deum (RV 622)
chanté à la Madonna dell’Orto, et une nouvelle sérénade commandée à
Vivaldi, L’Unione della Pace e di Marte (RV 694) (L’union de la Paix et de
Mars).
En octobre 1727, les Français peuvent, comme d’habitude, lire le récit
dans le Mercure de France : « Le 19 [septembre] Le Comte de Gergi
Ambassadeur du Roi T[rès] Ch[étien] à Venise, fit chanter le Te Deum dans
l’église paroissiale de N.D. del Horto, qui étoit très magnifiquement ornée
et très ingénieusement illuminée, à l’occasion de la naissance des
Mesdames de France. Au milieu de l’église s’élevoit sur une charpente une
Tribune qui contenoit quatre-vingts Musiciens… Le Comte de Gergi arriva
à l’église au bruit d’une décharge de boëtes… Il fut salué par une seconde
décharge de boëtes en sortant de l’église pour retourner à son palais, à
l’entrée duquel deux fontaines de vin coulèrent pendant toute la fête. »
Vers vingt heures, les façades du palais de l’ambassade furent
illuminées ; au fond du jardin, sur l’eau, on avait installé une tribune
flottante, soutenue par des barques réunies. Elle représentait, sous forme
d’amphithéâtre, le palais du soleil, selon la description qu’en fait Ovide. Au
centre du palais, sur douze colonnes de Corinthe, on voyait la statue
d’Apollon avec sa lyre et les armes de la France, posées sur la corniche. Au
sommet d’une pyramide, avaient été suspendus un soleil resplendissant,
ainsi que les signes du zodiaque avec, au centre, les jumelles royales. Enfin,
lit-on encore dans le Mercure, tous les invités purent entendre « un très beau
concert d’Instrumens qui dura près de deux heures, dont la musique ainsi
que celle du Te Deum étoit du fameux Vivaldi ».
La musique du Te Deum, si elle fut vraiment composée par Vivaldi,
comme l’indique le journal français, est perdue. De la sérénade, L’Unione
della Pace e di Marte, on ne conserve que le livret d’Antonio Grossatesta,
sur lequel il est noté : « La Musica è del Signor D. Antonio Vivaldi Maestro
di Cappella di Sua Altezza Serenissima il Signor Prencipe Filippo
Langravio d’Armstat ». L’œuvre comprend trois personnages, Apollo,
Marte et Lucina ; elle est en deux parties dont chacune se termine par un
chœur. Une aria sera reprise dans l’opéra Farnace (dans la version de
Venise, 1727), « Mi sento nel petto » (II, 2).
Lorsque la reine de France mettra enfin au monde le si attendu Dauphin,
deux ans plus tard, l’abbé Conti ne pourra partager sa joie avec son amie, la
comtesse de Caylus, décédée quelques mois plus tôt. Quant à Vivaldi, à
cette date, il a pris la route de la Bohême et ne pourra non plus fêter ce
grand évènement113. C’est à Tomaso Albinoni (un autre compositeur
proche de la famille Ottoboni, à Venise) que Gergy fera appel pour la
composition de la sérénade Il Concilio de’ Pianeti, Serenata a tre voci, qui
sera exécutée dans les jardins de l’ambassade de France, le 16 octobre
1729114.
Étrangement, le Mercure de France ne fournit aucune relation sur les
fêtes organisées à Venise par le comte Gergy en octobre 1729. Si nous
connaissons les détails des festivités données par l’ambassadeur de France,
c’est surtout par les divers courriers envoyés à la cour de France par
Rishofe, le secrétaire de l’ambassade, conservés dans les archives du
ministère des Affaires étrangères115.
Les festivités organisées à Rome pour la naissance du Dauphin par le
cardinal Pietro Ottoboni, protecteur des affaires de France auprès du Saint-
Siège et par le cardinal Melchior de Polignac, ministre du roi auprès du
pape Benoît XIII, furent somptueuses. Le Mercure de France en rend
compte en décembre 1729116. Le pape « a fait dire au Cardinal Melchior de
Polignac qu’il y aura Chapelle Pontificale dans l’Église Nationale des
François le jour que ce Cardinal fera chanter le Te Deum pour commencer la
Fête qu’il doit donner à l’occasion de la Naissance du Dauphin ». Le
13 novembre au soir, « le Cardinal Ottoboni fit faire sur le Théâtre de la
Chancellerie une Répétition générale de l’Opéra qu’il a fait préparer pour
célébrer la naissance du Dauphin ; S. E. a fait inviter tous les
Cardinaux & toutes les autres personnes de considération qui sont à Rome à
la première représentation de cet Opéra ». Ces fêtes furent immortalisées
par plusieurs tableaux dont la « Préparation du feu d’artifice et de la
décoration de la place Navone, à Rome, le 30 novembre 1729, à l’occasion
de la naissance du Dauphin » qui fut commandé à Giovanni Paolo Pannini
par le cardinal de Polignac.
La présence du cardinal Pietro Ottoboni, entre Venise, Rome et Paris est
constante. Il fut une personnalité de poids pour la transmission de la culture
française à Rome et à Venise et, par ricochet, de la culture vénitienne à
Paris. Charles de Brosses, qui séjourne à Rome à la fin de 1739 et au début
de l’année 1740 (Pietro Ottoboni décédera le 29 février 1741), nous laisse
un autre témoignage de ce phénomène. Il écrit à M. de Maleteste : « Les
Français ne peuvent pas mieux savoir ce que peut produire Artaxerxès au
théâtre que les Italiens sentir l’effet d’Armide. J’ai ouï chanter à Rome,
chez le cardinal Ottoboni, le second et le dernier acte de cet opéra français :
c’était ce qu’on pouvait choisir de mieux dans tout Lulli : les nationaux
baillaient et nous levions les épaules. »
24
(1725-1726)
Par ce document privé qui vaut obligation au même titre que s’il avait
été présenté devant le notaire public de cette ville, il est convenu par il
Sig. Don Antonio Vivaldi, directeur des opéras, qui seront représentés au
théâtre Sant’Angelo, de commun accord avec La Sig.a Lucrezia Baldini
qui devra interpréter un personnage féminin dans le troisième et dernier
opéra qui sera donné au carnaval de l’année 1727 ; comme reconnaissance
et honoraire de la susnommée Sig.ra Lucrezia, on promet de façon ferme de
lui octroyer deux cents ducats, de 6,4 lire par ducat, avec l’obligation de
lui remettre un tiers de la somme convenue avant qu’elle n’entre en scène
pour sa première représentation ; le second tiers au milieu des
représentations, et le reste le Jeudi Gras. En contrepartie, la dite Sig.ra
Lucrezia Baldini s’engage à être présente à toutes les répétitions, et à tout
ce qui concernera la représentation de cet opéra. Pour servir de caution
aux deux parties, il lui sera remis une copie de ce document, qui devra être
signé par les deux parties.
Sur ma foi, je soussigné Antonio Vivaldi certifie ce qui précède149.
Anna Girò152 interprète ici son premier rôle pour Vivaldi. Elle est une
nymphe, un personnage secondaire (elle n’intervient qu’au troisième acte),
et peu flatteur (elle est repoussée par l’homme qu’elle aime). Lorsque la
Dorilla sera reprise dans le même théâtre, en 1734, Anna n’incarnera plus
cette créature effacée. Elle chantera l’aria écrite pour Dorilla, « Il povero
mio core » (III, 4) (probablement pas de Vivaldi car non autographe dans le
manuscrit de 1734)153, qui deviendra dès lors l’un de ses airs favoris ; elle
reprendra aussi la lamentation d’Elmiro « Arsa da rai cocenti » (II, 8 non
autographe mais attribuée à Vivaldi), qu’elle chantera aussi lors de la
reprise du Farnace, à Pavie, en 1731.
Anna naît probablement vers 1710. Son nom de famille est Teseire
(italianisé en Tessieri). « Girò » (ou « Giraud ») est un surnom que son père
(un barbier et perruquier d’origine française) portait déjà, d’après son acte
de décès. Dès ses débuts, elle est appelée « Anna Girò Mantovana », c’est-
à-dire de Mantoue. On imagine que Vivaldi aurait pu connaître Anna et sa
sœur aînée Paolina à Mantoue, bien que, à l’époque du séjour de Vivaldi
dans cette ville (1718-1720), Anna n’était qu’une petite fille de huit ou dix
ans. Dans son acte de mariage avec le comte Antonio Maria Zanardi Landi,
en 1748, elle apparaîtra avec son vrai nom : « Anna Madalena Tessieri dite
Girò de la ville de Mantoue ». On dit – sans preuve – qu’elle était l’élève de
Vivaldi. Si ce n’est lui qui lui donna des cours de chant, du moins l’a-t-il
formée à la scène d’opéra. Au début de sa carrière, Anna est (comme la
soprano Chiara Orlandi, elle aussi appelée « La Mantoanina ») une artiste
protégée par le duc de Massa-Carrara. Il est possible aussi que Vivaldi ait
rencontré Anna par l’intermédiaire de Chiara Orlandi et du castrat vénitien
Felice Novelli, deux artistes qui chantent au théâtre San Moisè, lorsque
Anna se produisit pour la première fois à Venise, en automne 1724, dans la
Laodice de Tomaso Albinoni. Les deux théâtres de San Moisè et de
Sant’Angelo, s’ils ne sont jumelés, travaillent avec les mêmes imprésarios,
décorateurs, chanteurs et compositeurs. Elle n’a alors guère plus de
quatorze ou quinze ans.
Le 17 septembre 1725, Antonio Vivaldi avait été accusé devant les
tribunaux pour ne pas avoir acquitté sa dette pour l’achat d’un clavecin
destiné justement à Anna Girò. Le compositeur aurait dû payer 60 sequins
pour cet instrument et il n’avait versé que la moitié de la somme, puis il
aurait « dilapidé les trente restants dans d’autres choses154 ». C’est une des
premières mentions du nom de Vivaldi associé à celui d’Anna Girò. Ce
document montre bien que Vivaldi était en train de préparer, avec Anna, ses
prochaines prestations sur la scène du Sant’Angelo.
Beaucoup plus tard, en novembre 1737, Vivaldi devra abandonner tout
projet théâtral à Ferrare, car le cardinal Tommaso Ruffo l’accusera de ne
plus célébrer la messe comme le voudrait son titre de prêtre et d’entretenir
une amitié par trop rapprochée avec la chanteuse d’opéra Anna Girò, peut-
être même d’habiter avec elle…
Les deux sœurs, Anna et Paolina (et pendant une certaine période aussi
leur mère), n’habitaient pas avec Vivaldi qui, par ailleurs, a toujours vécu
avec sa famille. Elles logeaient tout près du théâtre Sant’Angelo,
« campiello del Teatro », entre le Grand Canal et le palais Corner-
Spinelli155. Vivaldi disposait lui aussi, pour son travail au théâtre, d’un
petit local attenant à la salle. Dans un document d’archives provenant du
service des taxes, il est écrit que le n° 122 de la « Casa del teatro » est
« occupé par Monsieur Antonio Vivaldi, comme stipulé dans le contrat avec
le théâtre ».
On dit qu’Anna Girò n’était pas très belle et qu’elle n’avait pas non plus
une grande voix. Pourtant le public l’aimait pour ses qualités d’expression,
un charme certain. Carlo Goldoni se souviendra dans ses Mémoires, publiés
à Paris cinquante ans plus tard : « Cet ecclésiastique [Vivaldi], excellent
joueur de violon et compositeur médiocre, avait élevé et formé pour le
chant Mademoiselle Giraud, jeune chanteuse née à Venise, mais fille d’un
perruquier français. Elle n’était pas jolie, mais elle avait des grâces, une
taille mignonne, de beaux yeux, de beaux cheveux, une bouche charmante,
peu de voix, mais beaucoup de jeu156. »
On l’appelait « L’Annina del Prete Rosso » (la petite Anne du Prêtre
roux) ; mais aussi « L’Annina della Pietà » (la petite Anne de la Pietà)157.
Aurait-elle été éduquée à la Pietà ? L’hypothèse a été soulevée, mais elle est
peu vraisemblable, car les « filles payantes » devaient provenir de la
bourgeoisie et de préférence de l’aristocratie ; des jeunes filles pauvres
(comme la Consuelo imaginée par George Sand) ne pouvaient pas être
éduquées dans les ospedali en tant que filles « a spese ». Ne règne-t-il pas
sur ce sujet une certaine confusion entre les deux Anna ? La première,
violoniste, « l’Anna Maria dal Violin », qui passera toute sa vie à la Pietà, et
la seconde, la contralto Anna Girò, qui rencontre Antonio Vivaldi dans le
milieu des théâtres ; quoi qu’il en soit, deux petites « Anne » qui étaient
l’une et l’autre des « créatures » de Vivaldi.
Anna Girò n’est pas la seule interprète avec laquelle Vivaldi a entretenu
une relation privilégiée. Il a déjà démontré, dans le passé, une certaine
fidélité à d’autres chanteurs, souvent des personnalités fortes, capables de
s’incarner totalement dans leur rôle ; par exemple la contralto bolonaise
Antonia Merighi, créatrice du rôle d’Armida, la basse Anton Francesco
Carli, qui incarna Orlando, tantôt « furieux », tantôt « faussement fou », le
ténor Annibale Pio Fabri qui fut le Dario de L’Incoronazione… La relation
d’Antonio Vivaldi avec Anna Girò restera toutefois différente : par la durée,
le nombre d’opéras auxquels elle participera, la façon dont le Prêtre roux
l’imposera aux directeurs et imprésarios. Anna et sa sœur Paolina
accompagneront le compositeur dans ses voyages, rendant ses déplacements
plus légers et prévenant les difficultés qu’il pourrait rencontrer. On sait qu’il
doit supporter des problèmes respiratoires et une santé fragile. Anna Girò
était pourtant une jeune femme fluette, petite, peu jolie, et à la voix faible :
péché d’un homme d’âge mûr pour une très jeune fille ? Tendresse
paternelle ? Ou véritable attachement d’un artiste pour sa muse ?
Anna Girò se révélera une excellente tragédienne, bouleversante,
déterminée et vulnérable à la fois. Toutefois, on ne peut oublier qu’à cette
époque-là le Vénitien trouve désormais devant lui, dans sa propre ville, une
rude concurrence et des goûts qui évoluent rapidement. En 1726, l’année
même de la Dorilla in Tempe, le Napolitain Nicola Porpora, un
extraordinaire pédagogue de la voix, est nommé maître de chapelle à
l’ospedale des Incurabili. En quelques années, il attirera à lui (à Venise
d’abord, puis à Londres) d’autres Napolitains : ses élèves surtout, des
castrats prodigieusement doués, comme Farinelli et Caffariello. À Venise
s’installe aussi le Saxon Johann Adolf Hasse, qui épouse la mezzo-soprano
vénitienne Faustina Bordoni : il est doté d’un prestige international
considérable, elle est l’une des meilleures cantatrices de son temps (« je ne
crois pas en vérité que les anges chantent mieux »… elle a « toute l’Italie
pour elle », écrit Antonio Conti158) ; jouissant d’une estime sans faille
auprès du public, des imprésarios et des directeurs de théâtres, ils sont des
points de référence ! Mais Antonio Vivaldi croit en son talent et en celui
d’Anna Girò. Il a foi dans ses projets et il s’est constitué un bon réseau de
relations. Pour imposer Anna Girò, il jettera des ponts vers d’autres villes,
Florence, Ferrare, Vérone où il cherchera à obtenir le contrôle sur la gestion
des théâtres, afin de pouvoir choisir à l’aise ses livrets, ses héroïnes et ses
interprètes.
Après son apparition dans la Dorilla in Tempe, les collaborations d’Anna
Girò avec Vivaldi seront régulières : près de vingt prestations connues au
Sant’Angelo, à Venise, mais aussi à Florence, à Vérone, Ferrare, Mantoue,
Pavie, Graz… Elle ne chantera pas exclusivement pour Vivaldi, car elle
dispose de ses propres protecteurs et relations personnelles, mais elle ne
cessera plus de chanter et d’interpréter pour lui des rôles de femmes fortes
et tragiques, jusque dans les mois qui précèdent le départ du compositeur
pour Vienne, et peut-être aussi dans la capitale de l’Empire, lorsque le
Prêtre roux vivra ses derniers instants.
25
(1727)
Vivaldi avait écrit son premier opéra pour la Pergola le 22 juin 1718. À
cette époque, il était engagé à Mantoue, et c’est Philipp de Hesse-Darmstadt
qui, le 31 mai 1718, avait confié le Prêtre roux à la princesse Anna Maria
Luisa de’ Medici, soulignant dans sa lettre « le talent singulier » de ce
compositeur et virtuose, ainsi que « ses remarquables qualités
personnelles ». Scanderbeg avait fait la réouverture du célèbre théâtre, qui
était resté longtemps fermé ; c’est sans doute à cet événement que se réfère
Antonio Conti dans sa lettre du 23 février 1727.
Plusieurs lettres conservées parmi la correspondance du marquis Albizzi
permettent de reconstituer la préparation de l’Ipermestra. Les archives
concernant Luca Casimiro degli Albizzi et son père se trouvent
actuellement dans le palais de la famille Guicciardini (via Guicciardini), à
Florence. Elles contiennent 3 500 documents concernant les activités
d’imprésario du marquis ; 109 lettres contiennent des références à Vivaldi ;
52 d’entre elles lui sont adressées mais hélas, aucune lettre de Vivaldi n’y
est conservée. Les documents provenant de l’Accademia degli Immobili qui
gérait le théâtre de la Pergola se trouvent quant à eux avec les archives de
ce théâtre160.
Lors du carnaval 1724, Luca Casimiro degli Albizzi était à Venise et
avait vu une version de l’Ipermestra au théâtre San Giovanni Grisostomo.
Geminiano Giacomelli était l’auteur de la musique ; parmi les interprètes se
trouvaient des artistes de premier plan, comme la jeune soprano vénitienne
Faustina Bordoni et le célèbre castrat de Bologne, Antonio Bernacchi161.
Dès le 1er juin 1726, Albizzi avait écrit à Venise afin de se procurer un
exemplaire du livret. Le 6 juillet, l’imprésario florentin s’adressait à
Antonio Vivaldi à Venise pour lui demander s’il accepterait de composer un
opéra pour la saison suivante ; le 12 juillet, il envoyait la même lettre à
Nicola Porpora. Le Napolitain, qui venait de s’installer à Venise, avait pris
la tête de l’ospedale des Incurabili et produit déjà plusieurs opéras pour le
théâtre des Grimani. La tâche lui suffisait : il refusa. Albizzi s’était donc
retourné vers Vivaldi ; le 20 juillet, il lui communiquait que quarante
doublons (ceux que demandaient Vivaldi dans une lettre qui nous manque),
c’était trop pour son théâtre. Le 17 août, Albizzi renouvelait son offre avec
trente doublons, et Vivaldi accepta. Le 31 août 1726, Albizzi confirma le
contrat à Vivaldi et lui présenta la liste des chanteurs ; il lui ferait parvenir
au plus vite le livret révisé, afin qu’il puisse se mettre au travail. Puis il
ajouta : « Puis-je vous demander de m’envoyer à votre tour les noms de vos
virtuosi ? En vous souhaitant de tout cœur un très grand succès162… »
Dans ces courriers, le titre de l’Ipermestra n’est jamais cité.
Le 5 octobre 1726, Albizzi qui est en train de préparer son spectacle, écrit
à Venise, à Michele Grimani, propriétaire du San Giovanni Grisostomo ; il
aimerait, dit-il, reprendre des éléments de décors du spectacle donné en
1724 qui lui ont beaucoup plu : « Dans le drame de l’Ipermestra qui fut
représenté dans le théâtre de Votre Excellence, explique-t-il, j’ai remarqué
un décor au clair de lune et un autre au soleil. Si ceux-ci ne vous servent
plus et s’ils sont transportables, je vous prierais de me dire combien cela
coûterait. Comment les illuminations étaient-elles produites et avec quel
type de matériel les faisait-on apparaître ? Devant donner le même opéra au
théâtre de via della Pergola, même si le livret est d’un autre poète, je
pourrais reprendre les mêmes décors qui devraient forcément plaire au
public. Peut-être que, désormais, votre Excellence n’en a plus besoin. Je
vous prie de m’excuser pour ce dérangement, je suis… &c.163 »
Albizzi a-t-il obtenu les décors vénitiens, comme il le souhaitait ?
L’histoire ne le dit pas. Mais, au premier acte de la production florentine, on
voit en effet : un « Temple illuminé de nuit pour la cérémonie du mariage »,
une chambre, un camp militaire près d’Argos, avec une vue sur la ville,
dans le lointain et un « lever de soleil », enfin, une prison.
Le livret de l’Ipermestra avait été écrit par Antonio Salvi, poète de la
cour des Médicis (qui était aussi l’auteur du Scanderbeg, en 1718)164.
L’histoire est fondée sur la légende des Danaïdes, qui avaient tué les
cinquante fils d’Aegyptos (dit aussi Egisto). Autrefois, cette légende avait
inspiré le livret de l’Egisto au dramaturge vénitien Marco Faustini. L’opéra
avait été mis en musique par Francesco Cavalli et représenté en 1643.
L’histoire d’Ipermestra est celle-ci : le fils du roi d’Égypte, Danao, avait fui
à Argos, où il tua le roi afin de s’emparer du pouvoir. Un oracle lui prédit
qu’il sera assassiné à son tour par l’un des fils de son frère, Egisto. Tentant
d’échapper à son destin, Danao demanda à ses cinquante filles d’épouser les
cinquante fils de son frère, puis de tuer leurs maris pendant la nuit de noces.
Seule Ipermestra refusa d’obéir à son père, car elle aimait trop son époux,
Linceo. Pour éviter toute violence sur scène, le librettiste suppose que
Danao est finalement pardonné. Les conflits personnels, les déploiements
militaires, l’assaut donné à la forteresse du tyran, les prises d’otage
constituent le menu de cet opéra.
Le livret d’Antonio Salvi connaîtra de nombreuses autres mises en
musique, surtout en Allemagne. Pour la représentation florentine, le
dramaturge modifie le livret qu’il avait conçu trois ans plus tôt pour le San
Giovanni Grisostomo, apportant parfois une nouvelle couleur aux situations
dramatiques. Ces remaniements permettent aussi à Vivaldi d’intégrer,
comme il en a l’habitude, des arias provenant de ses opéras précédents.
On ne connaît que trois arias qui proviennent directement de l’Ipermestra
de Florence, conservées au sein d’un recueil à Berkeley165. D’après le
livret, il semble que trois arias aient été reprises de la Dorilla in Tempe ;
deux autres seront réentendues, le mois suivant, à Venise, dans Farnace.
Parmi les interprètes de l’Ipermestra, se trouve le ténor Annibale Pio
Fabri, qui incarne le tyran Danao. Fabri est l’un des chanteurs les plus
fidèles à Vivaldi. Il avait chanté dans l’Arsilda Regina di Ponto, en automne
1716 au Sant’Angelo ; il avait été Dario dans L’Incoronazione, au carnaval
1716 ; les Milanais l’avaient applaudi dans La Silvia, en automne 1721 ; il
se produira encore à Florence, dans L’Atenaide de Vivaldi, fin
décembre 1728. Pour ce ténor, Vivaldi écrit des arias très expressives. La
contralto Lucia Lancetti « detta la Grechetta » (« dite la petite Grecque »),
une virtuose au service de la princesse Violante Beatrice de Toscane,
interprète, quant à elle, le rôle du primo uomo, Linceo, mari d’Ipermestra.
On retrouvera la Lancetti à Venise, dans deux rôles masculins d’envergure :
Farnace, puis Orlando.
Quinze jours seulement séparent l’Ipermestra à Florence de la création
du Farnace à Venise : pour Vivaldi, moins de concessions en perspective
puisqu’il sera à Venise chez lui, dans son théâtre préféré, où il assurera
aussi, cette saison-là, la fonction d’imprésario. Anna Girò y incarnera son
premier personnage fort et l’un des premiers grands rôles de sa carrière.
Les personnages
La création du Farnace
La troupe est la même que celle qui avait donné Dorilla in Tempe, au
début du mois de novembre précédent. Il y a sept personnages et un enfant
(muet). Cette présence innocente accentue la vulnérabilité de la mère (Anna
Girò) et rend sa solitude face aux déploiements militaires plus
bouleversante encore, tout particulièrement lorsque celle-ci tente de sauver
son fils en le cachant dans la tombe de ses aïeux. On retrouve les
collaborateurs du spectacle de la Dorilla : Antonio Mauro pour les décors
(certains éléments comme la forêt, l’entrée des bûcherons taillant la forêt,
seront repris dans Farnace) ; Giovanni Gallo (ou Galletto) qui dirige les
ballets, lors de l’arrivée des militaires, asiatiques puis romains,
accompagnés par les chœurs, les cors ou les trompettes. Voilà de quoi
donner à ce spectacle un caractère festif, une certaine majesté, voire même
un aspect « tragédie antique » que l’on avait déjà relevé dans la Dorilla.
Que conservons-nous de cette création ? Le seul livret ! On y remarque
que le compositeur a de nouveau puisé plusieurs arias dans ses opéras
précédents (La Verità, Ercole, Armida, Ipermestra)172. Même si l’on ne
possède pas les versions vénitiennes, on imagine que les deux manuscrits
musicaux (Giordano 36 et Giordano 37), bien que plus tardifs, sont assez
fidèles aux versions originales de 1727 aujourd’hui disparues. Dans les
versions de Pavie (1731) et de Ferrare (1738), Anna Girò reprendra le rôle
de Tamiri. Les parties écrites par Vivaldi pour ce rôle lors de la création ne
changeront probablement pas dans les versions ultérieures, comme le grand
récitatif si touchant du premier acte : « O figlio, o troppo tardi ».
La Sinfonia, en trois mouvements, est accompagnée par les cordes. Le
rideau se lève sur le rivage de la mer Noire ; un bois dense occupe toute la
scène ; la mer est à distance. Des bûcherons entrent et élaguent la forêt, la
transformant en clairière. Sur la ligne d’horizon, on aperçoit plusieurs
navires qui approchent de la rive : c’est la flotte de Berenice.
Farnace (la contralto Maria Maddalena Pieri), roi du Pont, a fui Héraklée,
la capitale de son royaume assiégé par l’armée romaine victorieuse. Il paraît
sur scène, l’épée à la main : il refuse de se rendre. Il remet un poignard à sa
femme Tamiri et lui demande de tuer leur enfant puis de se donner la mort ;
il chante l’aria « Ricordati che sei », avec les cordes. La scène suivante est
entièrement dédiée à Tamiri, prise entre le marteau (son mari qui ne veut
pas se rendre) et l’enclume (sa mère qui s’est alliée aux Romains) : un
récitatif est suivi d’une aria parlante, « Combattono quet’alma » (I, 2), telle
que le castrat Nicolino savait encore les interpréter, à cette époque-là, au
San Giovanni Grisostomo. Dans les pauses, Anna Girò peut s’exprimer
avec le regard, les gestes ; elle peut s’avancer sur le devant de la scène, là
où les flammes des bougies éclairent son visage, et prendre le public à
partie. Pendant que les violons pulsent l’angoisse par des figures
mélodiques répétées, Tamiri exprime sa terreur par des mots lourds de sens,
énoncés distinctement : l’époux, le fils, la gloire, l’espérance ; Lucchini
joue sur la concision de ces termes forts qui suscitent dans l’auditoire un
tumulte de sentiments contraires.
Les navires approchent ; les soldats jettent les passerelles. Berenice (la
contralto romaine Angela Capuano) et son général Gilade (le castrat
soprano Filippo Finazzi) mettent pied à terre. Le chœur chante
« Dell’Eusino con aura seconda » (I, 3), accompagné par les trompettes.
Les bûcherons continuent à couper les arbres : le bois se transforme en
clairière, laissant voir une vaste campagne, la ville d’Héraklée en arrière-
plan, un pont conduisant à la ville, un mausolée placé au centre d’une
grande pyramide : c’est la tombe des rois du Pont. Vivaldi écrit : « Tamiri
col Fanciullo » (Tamiri avec l’enfant) : Tamiri a décidé de désobéir à son
mari. Elle tente de persuader l’enfant d’entrer dans la pyramide : d’abord en
récitatif, « Mon fils, il n’y a plus de fuite » (« Figlio non v’è più scampo »),
qui se prolonge sur un récitatif accompagné lent et doux andante e piano
molto « Ô mon fils, c’est trop tard » (« O figlio, o troppo tardi »)… « je te
donne une vie que ton père condamne » (« Io ti do una vita, che il genitor
condanna ») : encore une fois, peu de mots, mais chargés de sens : pitié
(pietà), pardonne (perdona), chaîne (catena). L’enfant ayant disparu, elle
s’apprête à se tuer avec le poignard laissé par Farnace. Berenice survient.
Elle n’a pas vu l’enfant. Elle essaie d’empêcher sa fille de se tuer, par une
aria tendre et maternelle « Da quel ferro che ha svenato ». Les Romains
débarquent à leur tour : chœur à quatre voix, accompagné par deux
trompettes et les cordes, « Sù Campioni, sù guerrieri » (I, 3), avec des
danses, probablement. Tamiri chante « Leon feroce », une aria évoquant le
destin cruel, avec les cordes. En automne 1727 et à Pavie, en 1731, Vivaldi
conclura le premier acte avec l’aria de bravoure « Sorge l’irato nembo »,
provenant d’Orlando (II, 4) que chante le général romain, Pompeo.
Le début de l’acte II nous transporte « Dans le palais », où l’on voit une
« puissante architecture ». Selinda, la sœur de Farnace, entre en scène. Le
rôle est interprété par la contralto Lucrezia Baldini que Vivaldi, imprésario
de la saison, avait engagée le 13 octobre 1726. Pour détourner l’attention et
créer de la zizanie parmi les militaires romains, la jeune femme se laisse
courtiser par Gilade, prince de sang royal, capitaine de Berenice, et par
Aquilio, préfet des légions romaines (le castrat alto Domenico Giuseppe
Galletti). Berenice fait rechercher Farnace, ainsi que l’enfant. Farnace de
son côté tente de se suicider ; Berenice l’en empêche. « Mausolée avec la
pyramide comme précédemment ; puis chambre royale ». Tamiri est face à
son mari ; elle lui fait croire qu’elle a exécuté sa demande et qu’elle a tué
l’enfant. Farnace ordonne la destruction du mausolée : Tamiri est obligée de
confesser que l’enfant y est caché. Suit un dialogue en récitatif sec : Tamiri
se fait réprimander par Farnace, qui n’éprouve que colère et mépris pour la
faiblesse démontrée par sa femme (II, 9). À la suite de ce dialogue, Vivaldi
écrit : « Qui bisogna fermarsi un poco senza suonare » (« Ici il faut
s’arrêter un peu sans jouer ») ; puis : « Segue subito » (« Suit aussitôt »). La
pause augmente le suspens et renforce le récitatif accompagné de Tamiri qui
suit. À cet endroit, les violons sont tenus de jouer Pianissimo e staccato
(très doucement et détaché). Tamiri chante « Dites, dites-moi ô Ciel, qu’ai-
je fait ». Son désespoir et sa solitude rendent la scène poignante :
« Seulement parce que je sauve un pauvre innocent de la colère cruelle de
son destin, dit-elle ; déjà ma mère me niait mon titre de fille, et maintenant
mon époux me retire mon nom de compagne ; dans mon cœur, il ne reste
plus que ma peine immense d’épouse et de fille » ; le mouvement est tantôt
bref et incisif, tantôt arioso. Suit une aria : « Dividete, o giusti dei », dans
un mouvement andante, sempre piano (mi bémol majeur, senza cembali –
sans clavecins). Sur des harmonies chromatiques, les violons exécutent des
traits liés ; la partie vocale est gracieuse, souple, avec peu de mélismes,
mais elle demande de la précision dans la diction. On ne sait si la musique
qui se trouve dans le manuscrit « Giordano 37 » (noté comme « 1738 ») fut
celle chantée à Venise, en 1727, par Anna. Mais cette scène sera en tout cas
chantée dans plusieurs reprises du Farnace. Au plan musical et dramatique,
il s’agit du moment le plus tendu de l’opéra. Maintenant Berenice prend
l’enfant par la main. Selinda intervient : elle profite de la séduction qu’elle
exerce sur les deux Romains Gilade et Aquilio et les incite à avoir pitié de
l’enfant. Pompée demande qu’il soit confié au Sénat romain, en la personne
d’Aquilio.
Le troisième acte commence sur une « Place d’Héraklée avec des
trophées et d’autres allégories du triomphe ». Les deux armées (asiatique
dirigée par Gilade et romaine conduites par Pompée), fêtent leur victoire.
« Chambre et jardin contigu » : Berenice est en compagnie de Gilade,
Aquilio et Pompée. Elle est déçue de n’avoir pu obtenir la mort de Farnace.
Aussi, elle demande à Pompée de mettre à mort l’enfant et lui offre en
échange la moitié de son royaume. Tamiri fait à Pompée la même
proposition, par l’aria élégiaque « Forse, o caro in questi accenti »
accompagnée à l’unisson par les cordes (colla parte), sans clavecin (senza
cembali). Elle est au bout de ses forces. Selinda, de son côté, fait en sorte
que Gilade n’obéisse pas à Berenice et persuade Aquilio de tuer Gilade.
Désormais Farnace et Aquilio sont liés contre Pompée qu’ils cherchent,
mais en vain, à éliminer. Vivaldi compose ici un très beau quatuor vocal,
profond et contenu, avec une entrée contrapuntique des différentes voix
(Berenice, Tamiri, Farnace, Pompeo) « Io crudel ? Giusto rigore » (III, 6),
qui restera dans les versions successives de l’opéra. Farnace tente
d’échapper à la vengeance de Berenice en cachant son identité. Celle-ci
découvre sa ruse. Farnace est enchaîné. Sa sœur, Selinda, intervient auprès
de ses amis romains. Farnace est délivré par Gilade et par Aquilio. Pompée
finalement est sauf ; il pardonne et conseille à Berenice de faire preuve
d’indulgence. Celle-ci baisse les armes et souhaite au couple de Farnace et
Tamiri et à leur enfant un règne heureux. Le chœur final chante dans une
atmosphère de candeur virginale : « Coronata di giglie e di rose »
(couronnée de lys et de roses), accompagné par les violons.
L’abbé Antonio Conti a aimé le côté tragique de cet opéra, les moments
de galanterie amoureuse entre Selinda et Gilade, qui font diversion au
drame ambiant, ainsi que le jeu d’actrice de la jeune Anna Girò, bien que
peu dotée au plan vocal. « Mon opéra est le nouveau de Sant’Angelo, écrit-
il le 23 février à madame de Caylus. Le livre est passable si vous en
exceptez les fautes d’un épisode contraire à toute vraisemblance. La
musique est de Vivaldi. Elle est très variée dans le sublime, et dans le
tendre. Son élève y fait des merveilles quoyque sa voix ne soit pas des plus
belles173. »
Siroe, re di Persia, Reggio, avril et mai 1727 (RV 735)
Automne 1727
C’est le 19 septembre 1727 que sont données les œuvres commandées à
Vivaldi par le comte de Gergy, ambassadeur de France (Te Deum et
sérénade)181.
Le 28 novembre, la Gazette d’Amsterdam annonce la sortie d’un nouveau
recueil de concertos de Vivaldi intitulé La Cetra (la lyre) (Opus 9) ; le
volume est dédié à l’empereur Charles VI. Le compositeur est-il déjà, dans
le secret de son âme, en train de préparer un voyage à Vienne182 ?
En cette même saison le théâtre San Giovanni Grisostomo met à son
affiche Arianna e Teseo, opéra de Nicola Porpora. Parmi les chanteurs se
trouvent Annibale Pio Fabri, l’un des fidèles de Vivaldi, dans le rôle de
Minosse, et le castrat napolitain Nicola Grimaldi qui incarne le (jeune)
héros grec Teseo. Nicolino, alors à la fin de sa carrière, n’a plus guère de
voix mais il est très aimé du public de Venise, une ville où il a chanté
pendant de longues années. C’est un chanteur à l’ancienne, spécialiste du
style d’Alessandro Scarlatti, et aussi très bon acteur. Antonio Conti qui
l’entend dans l’opéra de Porpora écrit à madame de Caylus : « Le Chevalier
Nicolini à l’âge de 75 ans est monté sur le théâtre de San Grisostomo. Il se
soutient par son action. En effet c’est le plus grand acteur de nos théâtres.
Mais il parle plus qu’il ne chante néanmoins il est fort applaudi, car il
exprime avec vivacité toutes les passions. Je n’aime pas son combat avec le
Minotaure183. » Né en 1673, Nicolino n’avait pas 75 ans (comme le croit
l’abbé Conti) mais 54 ! Quant au Napolitain Nicola Porpora, il vient
d’arriver à Venise où il avait déjà donné, l’année précédente, trois opéras.
Dans les livrets son nom est accompagné du titre de « Maître du Pieux
Ospedale des Incurabili ». Il est le premier compositeur originaire du sud
de la Péninsule à occuper un poste de maître de chapelle dans un ospedale
de Venise.
La folie d’Orlando
Plus loin (scène 9), nous assistons à un duo amoureux entre les
bienheureux Angelica et Medoro. Survient Orlando, tout entier possédé par
la douleur qui le rend fou. Il imagine Angelica sous forme de fantasme sorti
de l’Achéron. Il n’a que haine contre cette femme qui l’a dupé. Le voici
maintenant face à la statue de Merlin (le véritable objet de sa présence dans
le palais d’Alcina) qu’il confond avec Angelica. Il lutte contre Aronte, le
gardien de la statue, casse la chaîne qui tient la massue liée à son bras, la lui
arrache des mains et reprend le combat, développant (tout comme le Roland
de l’Arioste) une force physique surhumaine, produite par sa démence. Il dit
qu’Aronte est fou furieux, puis le tue. Alors, sa colère s’apaise. Orlando
soulève la statue qu’il continue à confondre avec Angelica, l’embrasse et
veut la protéger. Les murs de la grotte se mettent à trembler et la caverne
infernale disparaît. Le récitatif sec devient récitatif accompagné, avec des
traits ascendants, des arpèges en triples croches, tandis que l’on change de
décors : « Quel fracas ! Qu’est-ce, les murs tremblent jusque dans leurs
fondements ? Les toits volent ! /Le sol tremble ! Peut-être est-ce le monde
qui s’écroule ? » Enfin, Orlando épuisé s’endort, en chuchotant : « Je suis si
fatigué ; si las ! »
Dans l’Orlando finto pazzo de 1714, pour arriver à leurs fins, presque
tous les protagonistes utilisaient la ruse et le travestissement vestimentaire.
Les personnages n’étaient pas ceux qu’ils disaient être et chacun se
retrouvait trompé dans ses sentiments par ces jeux de mensonges, suscitant
la jalousie, le dépit, la colère et la fureur. Le vrai personnage furieux dans le
Finto pazzo, ce n’était pas le héros, mais la magicienne Ersilla, lorsqu’elle
prit conscience qu’elle avait été doublement trompée : Brandimarte n’était
pas Orlando, il n’était pas amoureux d’elle et Orlando n’était pas fou.
Aucun amour n’était partagé. Et si Orlando agissait par amour pour
Angelica, celle-ci restait invisible. Les personnages n’étaient réconciliés
qu’à la fin, afin de respecter la règle de la « lieto fine » (fin heureuse).
Dans le livret de l’Orlando furioso, le maléfice de la magicienne compte
peu. C’est un autre couple qui en est affecté, celui de Bradamante et de
Ruggiero. On met en évidence le bonheur lumineux d’Angelica et Medoro,
leur mariage dans une nature idyllique, le couple établi de Ruggiero et de
Bradamante, la douleur d’Orlando, dans la caverne ténébreuse de son âme.
La version de 1727 est plus lyrique, entièrement basée sur la folie
d’Orlando déçu dans son amour pour Angelica. Les chœurs qui, dans le
Finto pazzo revêtaient une fonction antique, incantatoire et étaient un
médiateur entre Ersilla et les enfers, se transforment, dans le Furioso, en un
intermédiaire avec le ciel, dans un moment de bonheur (lors du mariage
d’Angelica et Medoro).
Dans ce nouvel Orlando, un monde de mutations est mis en scène, un jeu
de miroirs et d’illusions continuelles. La scénographie elle-même subit des
« transformations » importantes : la nuit dans la grotte ; le jour et la lumière
sur l’île, les paysages arcadiens, trompeurs eux aussi comme le jardin
d’Alcina qui recèle la caverne infernale. Des accessoires aident à créer ce
monde d’illusions. C’est un rameau d’or qui déjoue l’enchantement de la
magicienne dans la version de 1714 ; un anneau dans le Furioso. Dans le
Furioso, Astolfo n’est pas transformé en myrte ; il est seulement furieux
contre Alcina, et Ruggiero n’entre pas en scène sur un cheval ailé. Dans le
Finto pazzo, la magicienne avait créé une vision idéale mais fausse (le
palais de cristal enfermant Angelica), alors que dans le Furioso, Orlando
génère lui-même ses hallucinations ; par exemple, il voit Angelica dans la
statue de Merlin et danse avec elle. Le personnage d’Orlando mis en scène
par Vivaldi en 1727 est un personnage héroïque. Partagée entre les actes II
et III, la scène de la folie furieuse est tout entière traitée en récitatifs secs et
en récitatifs accompagnés, d’une grande expressivité. La folie est, pour
Vivaldi, un cri de désespoir et de douleur poignante, inconciliable avec la
mélodie du chant cantabile, avec le style de bravoure et la codification de
l’aria « à da capo ». La folie inhibe le flux de la mélodie, les arias volubiles,
le plaisir du chant et de la musique.
La femme et la nature traîtresses
Dans Orlando, les femmes sont des êtres dangereux, qui mentent dans
leurs apparences, leurs gestes, leurs paroles et leurs sentiments. Angelica
elle-même est d’une douceur fausse. Le compositeur suggère cette douceur
trompeuse par des arias cantabile, comme il l’avait fait avec la frivole
Cleonilla, dans Ottone in villa. Les seules femmes bonnes sont Bradamante
et la fée Melissa, qui n’est pas visible. Les femmes laides sont toutes des
furies, dit Orlando, dans sa folie. Angelica est belle, et pourtant elle est, elle
aussi, une furie… Angelica est à l’image de la nature, douce et
accueillante ; comme la nature, elle est capable de trahisons. Tout comme
dans les concertos des Saisons, le printemps se transforme en un été torride.
C’est elle qui envoie Orlando dans la grotte diabolique où il retrouve…. une
autre femme, Alcina, autre être double, complice des ténèbres qui attire les
hommes dans son jardin délectable, où coulent les deux fontaines, celle qui
allume et celle qui éteint l’amour.
Dans l’Orlando de 1727, l’enchanteresse est incarnée par Anna Girò.
C’est elle qui ouvre l’opéra par un récitatif « Bella Regina ». Elle s’adresse
à Angelica, sa complice féminine. C’est Alcina qui sauve Medoro, lorsqu’il
arrive sur le rivage à l’agonie. Dans l’aria virtuose « Alza in quegl’occhi »
(I, 2), allegro, avec les cordes, Alcina évoque l’amour de façon guerrière,
comme un combat. En 1727, c’est Alcina qui conclut le premier acte avec
l’aria « Amorose à i rai del sole », métaphore d’une nature douce et
pourtant, sans soumission ; voix et tutti alternent, comme dans un concerto.
Alcina revient sur scène pour ouvrir le second acte ; elle chante l’aria
« Vorresti amor da me », répondant de façon froide et presque méprisante à
son prisonnier Astolfo qui lui déclare son amour. C’est une aria parlante,
dans le style ancien, qui permet à Anna Girò de faire preuve de ses qualités
d’actrice. L’aria suivante « Cosi potessi anch’io » est presque douloureuse :
Angelica et Medoro s’aiment et sa propre passion pour Ruggiero est sans
espoir. Au lieu de féliciter le couple comme l’avait fait la magicienne en
1714, cette fois, elle projette sur eux son malheur. Les arias des deux
premiers actes ont été nouvellement composées spécialement pour Anna
Girò.
Au troisième acte, Orlando est prisonnier d’Alcina. Le désespoir du
paladin déçu dans son amour pour Angelica trouve son écho en la folie
destructrice d’Alcina, enfermée dans son univers de ténèbres, où elle
dialogue avec les êtres diaboliques. L’un et l’autre se répondent comme en
un jeu de miroirs. Elle chante l’« aria breve » (sans da capo) « L’arco vuò
frangerti » (III, 2) reprise de 1713 ; puis se lance dans ses manipulations
diaboliques en proférant des invocations terrifiantes. Le mur d’acier
s’ouvre. Orlando perd la tête. Alcina à son tour voit sa raison s’égarer :
« Malheureuse, où fuir ? Où me cacher ? Je suis vaincue et outragée. Cieux
injustes ! » dit-elle, en sortant un poignard. Mais contre qui ? Son pouvoir
sur l’amour vrai est inexistant… Sur ce terrain, elle est impuissante. Dans
l’aria « Anderò/Chiamerò », air de fureur où les mots sont débités à toute
allure, la magicienne exprime sa colère et son dépit : les chevaliers
chrétiens sont en train de sortir du palais où elle les tenait enfermés et de lui
échapper. Vivaldi a ici retravaillé l’aria du Finto pazzo de 1714, « Anderò,
volerò, griderò », écrit pour le rôle d’Origille (III, 12).
26
(1728)
Printemps-été 1728
Automne 1728
Il est étrange que Vivaldi ait conçu, en 1727 et 1728, deux recueils
intitulés l’un et l’autre « La Cetra », tous deux dédiés à Charles VI : un
manuscrit, autographe (1728) et un recueil imprimé qui, à l’exception du
concerto RV 391, contient des œuvres différentes de celles renfermées dans
le manuscrit.
La parution de l’Opus 9 avait été annoncée dans la Gazette d’Amsterdam
le 31 janvier 1727. « La Cetra » (la lyre), l’instrument de musique qui
symbolise la famille des Habsbourg, est l’allégorie d’Apollon et
d’Orphée229. Charles VI, passionné par la musique, est un protecteur de la
vie musicale viennoise, ainsi que des musiciens italiens engagés à sa cour.
Dans sa dédicace, Vivaldi se montre extrêmement formel et révérencieux ;
il vénère le souverain dans son rôle de « très doux, très généreux et très
bienfaisant protecteur et promoteur des Beaux Arts ».
Faut-il relier la publication de l’Opus 9 (qui suit de peu l’édition de
l’Opus 8) à la lettre écrite en novembre 1724 au comte Carlo Giacinto
Roero di Guarene par Antonio Vivaldi qui se disait en quête de soutiens
financiers pour, avait-il dit dans cette lettre, faire imprimer « vingt-quatre
concertos » (les douze de l’Opus 8 et les douze de l’Opus 9 ?) ?
Il s’agit de onze concertos pour violon et d’un concerto pour deux
violons230. Chaque livre se clôt par un concerto qui comporte une
« scordatura » (changement d’accord) du violino solo (RV 348 et RV 391),
une influence qui vient de l’Allemagne du sud et de l’Autriche ; cela peut
être pour plaire à l’empereur. Les cordes du violon sont normalement
accordées par quintes justes (sol-ré-la-mi) ; on hausse d’un ton une ou deux
cordes. Cette technique, explique Cesare Fertonani, est employée par les
compositeurs de l’Europe centrale, tels Johann Heinrich Schmelzer,
Nicolaus Adam Strungk et surtout Heinrich Ignaz Franz von Biber, ainsi
que par des Italiens comme Carl’Ambrogio Lonati, Antonio Lolli et plus
occasionnellement par Giuseppe Tartini. La sonorité inhabituelle,
surprenante, devient plus brillante. La « scordatura » permet aussi, dans les
arpèges et dans les traits polyphoniques, de jouer sur les cordes à vide231.
Sauf pour les concertos 7, 8, 9 et 10, on dispose de manuscrits
correspondants, dans les fonds de Turin, de Dresde ou de Manchester.
Après avoir confronté ces manuscrits avec les plaques de cuivre utilisées
par l’éditeur pour l’impression, on déduit que ces recueils ont été constitués
vers 1723-1725. Certains concertos ont emprunté des mouvements à
d’autres œuvres : par exemple le premier concerto RV 181a a puisé son
premier et son second mouvement dans le concerto RV 181, et son
troisième dans le concerto RV 183, deux concertos dont les manuscrits
autographes sont conservés à Turin.
Deux ans plus tard, le 2 septembre 1729, la Gazette d’Amsterdam
annonce la parution prochaine des Opus 11 et 12, contenant six concertos
chacun. La parution de l’Opus 10 pour la flûte traversière est légèrement
retardée par rapport aux deux autres recueils.
Ces trois Opus ne portent ni titre ni dédicace. Leur frontispice est presque
identique : « Sei/Concerti/a Violino Principale, Violino Primo e
Secondo/Alto Viola, Organo e Violoncello di Antonio Vivaldi… » Vivaldi
s’y présente comme violoniste « maître du Pieux Ospedale de la ville de
Venise », et maître de chapelle de chambre de Philipp de Hesse-Darmstadt.
L’éditeur signale aussi que ces recueils sont imprimés « Aux frais de
Michel-Charles Le Cène ».
L’Opus 11 contient cinq concertos pour violon, cordes et basse continue
et un concerto final (RV 460) pour le hautbois232. Deux concertos (RV 207
et RV 308) ont été recopiés dans le Cahier d’Anna Maria.
L’Opus 12 contient cinq concertos pour violon et un concerto sans
instrument soliste (RV 124) ; il est l’unique « concerto ripieno », publié à
l’époque de Vivaldi233. Le concerto RV 244, second du recueil, avait déjà
été publié comme second dans l’Opus 11. Deux de ces concertos, RV 124 et
RV 379, ont des correspondances manuscrites autographes à Turin. On en
déduit que les quatre autres, pour lesquels on ne connaît pas d’autres
exemplaires, ont peut-être été composés spécialement par Vivaldi en vue de
cette édition.
L’Opus 10 est une exception puisqu’il comprend six concertos pour flûte
traversière, cordes et basse continue234. Il serait le premier recueil
constitué dédié à cet instrument. Trois de ces concertos sont en réalité des
adaptations réalisées par Vivaldi à partir de concertos à programme
existants : La Tempesta di mare (RV 433) (repris de RV 98) ; La Notte (RV
439) (repris de RV 104) et Il Gardellino (RV 428) (repris de RV 90). Les
concertos n° 5 (RV 434) et n° 6 (RV 437) sont, quant à eux, des adaptations
de concertos qui avaient déjà été écrits pour la flûte droite et d’autres
instruments (RV 442 et RV 101) ; en outre, Vivaldi réemploie du matériel
thématique issu d’arias et d’autres concertos235. On peut dire que dans cet
Opus, seul le n° 4 (RV 435), qui ne possède aucun manuscrit correspondant,
serait une composition récente, écrite spécialement pour ce recueil. Faut-il
attribuer cette publication à la présence à la Pietà de l’hautboïste et flûtiste
allemand Ignaz Sieber, un musicien de la chapelle musicale de Saint-Marc,
réengagé en décembre 1728 dans le chœur comme professeur de flûte
traversière ? Il semble que c’est l’éditeur, Michel-Charles Le Cène, qui
aurait pris la décision de mêler des œuvres anciennes et nouvelles dans ce
volume dédié à la flûte, un instrument nouvellement prisé par les musiciens.
La plupart des concertos imprimés dans ces cinq recueils (Opus 8 à 12) à
Amsterdam entre 1725 et 1729 sont des concertos pour violon, une forme
typiquement italienne fortement demandée par les amateurs et les
professionnels, dans toute l’Europe. Les progrès réalisés par les grands
luthiers italiens renforcent ce goût propre à l’âge galant. On pense en
particulier à la seconde génération des prestigieuses familles Guarneri
(Giuseppe Guarneri – dit Giuseppe del Gesù – qui travaille avec son père à
Crémone et Pietro Guarneri qui fonde sa propre marque à Venise vers
1730), et Stradivari (Francesco et Omobono).
À cette même période, qui précède son départ pour la Bohême, Vivaldi
travaille de façon continue pour la Pietà, fournit régulièrement des
concertos pour les filles du chœur, et travaille en symbiose avec la très
virtuose Anna Maria, désormais maestra dans son art, qui est peut-être la
principale inspiratrice de ces œuvres du Prêtre roux, presque entièrement
dédiées au violon.
1- Voir chapitre 24.
2- Voir chapitre 22.
3- Voir chapitre 23.
4- Sur l’Opus 8, voir, entre autres, les études de Paul Everett, 1996 et de Cesare Fertonani,
1998, p. 319-356.
5- « Il Cimento dell’Armonia/e dell’Inventione/concerti/a 4 e 5/Consacrati/all’ illustrissimo
signore/Il Signor Venceslao Conte di Marzin, Signore Ereditario di Hohenelbe […] Cameriere
Attuale, e Consigliere di/S.M.C.C. /Da D. Antonio Vivaldi/Maestro in Italia dell’Illustris.mo
Signor Conte Sudetto, /Maestro de’ Concerti del Pio Ospitale della Pietà in Venetia, /e Maestro
di Capella dà Camera di S.A.S. il Signor/Principe Filippo Langravio d’Hassia Darmistath.
/Opera Ottava. /Libro Primo. /A Amsterdam. /Spesa di Michele Carlo Le Cene./Libraro. »
6- I-Tn, Foà 32, fol. 103-110.
7- Sur Wenzel von Morzin, voir Michael Talbot, Vivaldi and the empire, 1987, p. 36, et Paul
Everett (1996), traduction de 1999, p. 26-27.
8- Ainsi transposés pour hautbois, les concertos RV 236 et RV 178, portent respectivement les
numéros de catalogue RV 454 et RV 449 (P. Ryom, 2009).
9- C. Fertonani, 1998, p. 204.
10- Les concertos du deuxième livre sont : 7. RV 242 ; 8. RV 332. 9. RV 236 (réécrit pour
hautbois : RV 454) ; 10. La Caccia (RV 362) ; 11. RV 210 ; 12. RV 178 (réécrit pour hautbois :
RV 449).
11- C. Fertonani, 1998, p. 138-139.
12- I-Tn, Giordano 34, fol. 141-150.
13- D-Dl, Mus. 2389-0-78.
14- I-Tn, Giordano 31, fol. 353-56, copie peut-être de Giovanni Battista Vivaldi, avec des
interventions autographes.
15- I-Tn, Giordano 34, fol 88-95, manuscrit autographe.
16- GB-Mp, MS 580 Ct 51.
17- I-Vc, fonds Esposti, busta 55.1, fol. 14v°-15v°.
18- C. Fertonani, 1998, p. 136 ; le tableau de G. Bella, Vestiario di una nobil dama veneta a
San Lorenzo se trouve à Venise, Galleria Querini Stampalia.
19- E. Selfridge-Field, 1975 ; traduction italienne, 1980, p. 227-228.
20- Pour une datation minutieuse des manuscrits, voir P. Everett, 1999, p. 38-44.
21- D-Dl, Mus. 2389-0-62.
22- D-Dl, Mus. 2389-0-44.
23- GB-Mp, MS 580 Ct 51.
24- RV 97, RV 538, RV 539, RV 568, RV 569, RV 571 et RV 574 – avec des « trombon da
caccia » (trombone de chasse) ; C. Fertonani, 1998, p. 344.
25- P. Everett, 1999, « Il Nesso inglese », p. 104-108.
26- M. Talbot, Vivaldi, traduction italienne, 1973, p. 148-149.
27- C. Goldoni, Commedia, vol. XIII, 1761, p. 11.
28- Voir chapitre 23.
29- D-Dl, Mus. 2389-E-2 et mus ; 2389-E-1.
30- Sur la datation des œuvres sacrées de Vivaldi, voir M. Talbot, « Vivaldi’s Sacred Vocal
Music : The Three Periods » (1988), réédité en 1999 et l’ouvrage très complet, The sacred vocal
music of Antonio Vivaldi (1995). Michael Talbot situe la « période intermédiaire » entre 1720
et 1735.
31- M. Talbot, 1991, p. 38.
32- K. Heller, 1991, p. 43-49, aux dates correspondantes.
33- C. Fertonani, 1998, p. 514-515.
34- Fertonani, p. 514-515.
35- C. Fertonani, 1998, p. 424-425.
36- I-Tn, Giordano 28, fol. 45-55 ; D-Dl, Mus. 2389-O-119.
37- RV 399, RV 403, RV 406, RV 412, RV 414 et RV 424.
38- C. Fertonani, p. 399-412.
39- Venise, Archivio di Stato, Ospitali e Luoghi Pii, Pio ospitale della Pietà, Notatori ;
Notatorio N. 9 (I), busta 689 (1711-1715), fol. 51, à la date du 22 septembre 1712 ; R. Giazotto,
1973, p. 366, document 30.
40- Idem, Notatorio N. 11 (M), busta 690 (juin 1719-février 1721), fol. 51, à la date du
26 avril 1720 ; R. Giazotto, p. 370, document 51.
41- Idem, Registre 1005, Quaderno cassa, entrée 678 ; M. Talbot, 1995, p. 112, n. 62.
42- Notatorio M, busta 690, fol. 79.
43- Documents cités par M. Talbot, 1995, p. 112.
44- Notatorio N. 12 (N primo), busta 691 (1721-1723 m.v.), fol. 74, à la date du 13 mars
1722 ; R. Giazotto, p. 372, document 57.
45- « Sopra le putte della Pietà di coro », fol. 206 r°-212 v°, strophes XLVI à LV ;
R. Giazotto, 1973, p. 389-396.
46- J. Ch. Nemeitz, 1726, p. 62 ; M. Talbot, 1995, p. 2 et p. 525.
47- M. Talbot, 1995, p. 97 ; le texte allemand original aux p. 531-532.
48- Johann Gottfried Walther, 1732 ; cité par M. Talbot, 1995, p. 111.
49- Venise, Archivio di Stato, fonds cité supra, Notatorio N. 8 (H), busta 689, (1708-1711),
4 mars 1708 ; R. Giazotto, p. 358-362, document 17.
50- Idem, fol. 136, 6 juillet 1710 ; R. Giazotto, 1973, p. 364, document 23.
51- Idem, Notatorio N. 15 (Q), busta 692 (6 mars 1733-30 août 1737), fol. 158 v°, à la date
du 12 août 1736 ; R. Giazotto, p. 379, document 99.
52- Idem, Notatorio N. 16 (R), busta 692 (27 septembre 1737-21 février 1743), fol. 4, à la
date du 27 septembre 1737 ; op. cit., p. 380, doc. 102.
53- I-Vc Fonds Esposti e Provenienze Diverse. Sur ce fonds provenant de la Pietà et
aujourd’hui conservé au Conservatoire B. Marcello à Venise, voir les travaux de M. Talbot,
1982, de F.S. Tanenbaum, 1987 et 1988 et de Ch. Pancino, 2010.
54- M. Talbot, 1995, p. 198-199.
55- I-Vc, busta 77.2, fol. 47v°-48 r° (RV 787) et fol. 44 v°-46 r° (RV 788).
56- R. Giazotto, 1973, p. 394.
57- I-Vc, busta 90.5, fol. 19r°-21 v°.
58- I-Vc, busta 58.1 fol. 10 v°-12 v°.
59- I-Vc, busta 77.2, fol. 42 r°-43 v°.
60- I-Tn, Foà 40, fol 127-144.
61- Les parties de premier violon figurent dans le Cahier d’Anna Maria dans cet ordre : RV
366 ; RV 772 ; RV 229 ; RV 207 ; RV 775 ; RV 270a ; RV 771 ; RV 343 ; RV 363 ; RV 267a ;
RV 248 ; RV 213a ; RV Anh 74 ; RV 260 ; RV 387 ; RV 261 ; RV Anh 72 ; RV 349 ; RV 308 ;
RV 179a ; RV 582 ; RV 773 ; RV 774 ; RV 581 ; RV 286.
62- R. Giazotto, 1973, p. 394.
63- I-Tn, Giordano 34 (fol. 43-64) (RV 581) et fol. 22-42 (RV 582).
64- P. Ryom, 2007, p. 255.
65- I-Tn, Foà 30, fol. 12-23.
66- A-Wn, Cod. 15.996.
67- GP-Mp, Ms 580 Ct 51.
68- I-Vc, busta 55.1, fol. 77 v°.
69- Cité par C. Fertonani, p. 411.
70- Idem, p. 410-412.
71- M. Talbot, 1995, p. 432.
72- Idem, p. 277 et 427.
73- C. Fertonani, 1998, p. 399-412.
74- P. Ryom, 2007, p. 506.
75- M. Talbot, Vivaldi, 1978, p. 145
76- D-Dl, Mus. 2389-O-84.
77- I-Tn, Foà 40, fol. 251-297.
78- M. Talbot, 1995, p. 276-277. P. Ryom, 2007, p. 283-284.
79- M. Talbot, Vivaldi, p. 145 ; M. Talbot, 1995, p. 112, 277 ; C. Fertonani, p. 77.
80- I-Tn, Foà 29, fol. 293-300.
81- I-Tn, Foà 29, fol. 319-323.
82- P. Ryom, 2007, p. 106.
83- D-Dl, Mus. 2389-0-82.
84- C. Fertonani, p. 399-412.
85- A. Kendall, 1978, p. 233.
86- Extrait de « Ambasciatori di Francia a Venezia. Ambassadeurs de France à Venise. xvie-
xviiie siècles »,
1987.
87- Cardinal de Bernis, Mémoires et Lettres, 1715-1758 ; réédition, 1878, t. I, p. 167.
88- Voyages de Montesquieu [1728], 1844, p. 45.
89- J.-J. Rousseau, Confessions, Livre VII, 1959, I, p. 322.
90- Son costume est reproduit par Giovanni Grevembroch, dans l’ouvrage célèbre Gli habiti
de Veneziani di quasi ogni età.
91- Mémoires de l’entrée et de l’audience publiques de M. Amelot de Gournay, Manuscrit
conservé à la bibliothèque de Troyes, cité dans Ambasciatori di Francia, 1987, p. 12.
92- Ambasciatori di Francia a Venezia, p. 10-12.
93- Louis-Pierre Hozier, Armorial Général de la France, 1992, vol. 2, p. 675-676.
94- M. Talbot, 1981, II, 31-41 ; 34-35 ; le texte de cette lettre est en italien.
95- Idem.
96- Mercure de France, p. 1417-1418 : « Feste donnée à Venise, au sujet du Mariage du Roi,
par le comte de Gergi, Ambassadeur de France le 12 septembre 1725 ».
97- I-Tn, Foà 27, fol 62-94 (RV 687). Pour une description précise du manuscrit, voir
M. Talbot, Vivaldi’s Serenatas, 1982, réédité en 1999 (IV), p. 82-83 ; au sujet des deux
sérénades composées par Vivaldi pour l’ambassade de France, voir aussi P. Everett et M. Talbot
Michael, Homage to a French King, 1995.
98- M. Talbot, Vivaldi’s Serenatas, p. 83-84.
99- Paris, ministère des Affaires étrangères (archives), Correspondances politiques, Venise,
1725, vol. 179, lettre du 15 septembre 1725 au comte de Merville, fol. 279 r°-279 v°.
100- Antonio Benigna ; cité par M. Talbot, 1977-1978, réédité 1999 (V), p. 29 n. 39.
101- Venise, Archivio di Stato, Ospitali e Luoghi Pii, busta 691 ; Notatorio O/13 fol. 49 ;
M. Talbot, 1977-1978, p. 29.
102- Venise, bibliothèque du Musée Correr, manuscrit Cicogna 3255/II/57 document signalé
par M. Talbot, 1984, article réédité en 1999 (I), p. 52, n. 74.
103- I-Tn, Foà 27, fol. 146-253. Il s’agit d’une copie, peut-être de la main de Giovanni
Battista Vivaldi, mais avec des insertions et des substitutions de son fils Antonio (fol. 218-220 et
233-235) ; M. Talbot, 1981, p. 37-38 et 1982, p. 92-94.
104- M. Talbot, Vivaldi, traduction italienne, p. 70 ; et 1982, p. 93-94.
105- M. Talbot, 1982, réédition 1999, Addenda.
106- E. Selfridge-Field, Vivaldi’s Te Deum, 1981, p. 46-47.
107- I-Vc, fonds Correr (Carminati), busta 6 n° 9.
108- « Sovvente il sole », RV 749-27, autographe à I-Vc, busta 127.55 ; P. Ryom 2007, p. 529.
109- I-Tn, Foà 27, fol. 95-145.
110- M. Talbot, 1982 ; édition 1999 (IV), p. 87-90.
111- Lettre de l’abbé Antonio Conti à la comtesse de Caylus, datée de Venise, 29 août 1727 ;
S. Mamy, 2003, lettre 23, p. 157-159.
112- Paris, ministère des Affaires étrangères (archives), Correspondances politiques, Venise,
1727, volume 181, lettre du 19 août 1727, fol. 232.
113- Eleanor Selfridge-Field a suggéré que l’exécution de ce même Te Deum aurait pu avoir
lieu à Paris en septembre 1729 ; dans le Mercure de France on lit qu’il a été donné, dans
« l’Eglise Paroissiale du Temple », un Te Deum à grand chœur « du sieur Antonio ci-devant
Violon de feue S(on) A(ltesse) R(oyale) qui fut fort applaudi » ; 1981, p. 45. L’automne 1729 est
la période à laquelle Antonio Vivaldi et son père quittent Venise pour un pays germanique
indéterminé
114- Je retrouvai, en 1996, dans le fonds anonyme du département de la Musique de la BnF,
le manuscrit autographe de la sérénade d’Albinoni, sous la cote « Ms 1108 » ; S. Mamy, « Le
Congrès des Planètes, une sérénade de Tomaso Albinoni exécutée à l’ambassade de France à
Venise le 16 octobre 1729 », 1998.
115- Paris, ministère des Affaires étrangères, Archives, Correspondances politiques, Venise,
1729, volume 183, fol. 273 r°-273 v° « Compliment que Mr le Cte de Gergy fit le 26 7bre 1729 au
Collège sur la Naissance de Mgr le Dauphin » ; voir aussi fol. 302 r°-303 v° ; lettre du 19
novembre 1729, fol. 319 r°-319 v° ; et 1730, vol. 184, lettre du 4 février 1730 au Garde des
Sceaux ».
116- Mercure de France, décembre 1729, p. 2930-2939 ; 3125-43 : « Réjouissances faites à
Rome par le Cardinal de Polignac Ministre du Roi auprès de N.S.P. le Pape Benoît XIII ».
117- F-Pc, Ac e4 346 ; A-D. Il s’agit des concertos RV 157, RV 133, RV 119, RV 136, RV
154, RV 114, RV 160, RV 127, RV 164, RV 121, RV 150, RV 159 ; P. Ryom, 2007,
« Sammlung III », p. 586.
118- Registres Giordano 29-30, Foà 30.
119- F-Pc, D. 1226.
120- F-PC, D. 12 740.
121- RV 47, RV 41, RV 43, RV 45, RV 40, RV 46 ; F-Pc, Vm7 6310 24 ; P. Ryom, 2007,
« Sammlung II », p. 586 ; sur ces sonates, voir P. Everett, 1990, p. 54, 66 ; C. Fertonani, 1998,
p. 199-202 et E. Selfridge-Field, 1992, p. 127-148. La sonate RV 47 se trouve sous forme de
copie avec des interventions autographes à Naples I-Nc Ms 111 88, S. Pietro a Majella et la
sonate RV 46 à Wiesentheid (D-WD, 782).
122- F-Pn, Rés. ms. 2225.
123- RV 3, RV 5, RV 10, RV 12, RV 15, RV 26, RV 34.
124- RV 2, RV 26, RV 25 et RV 20.
125- C. Fertonani, 1998, p. 181-182.
126- C. Fertonani, p. 351.
127- RV 68, RV 70, RV 71 et RV 77 dans le volume (I-Tn, Giordano 28) ; cf. C. Fertonani,
1998, p. 164-165.
128- M. Talbot, Vivaldi, Londres 1979, p. 66 ; cité par C. Fertonani, 1998, p. 165.
129- S. Mamy, 2003.
130- E. Selfridge-Field, 1992, p. 127-148.
131- D-Dl, Mus. 2389-0-160.
132- C. Fertonani, 1998, tableau, p. 210.
133- C. Fertonani, 1998, p. 209-212 ; 329-330.
134- Ph. Lescat, 1990 et 1992.
135- S. Mamy, 1992.
136- S. Mamy, 1992.
137- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 347-348.
138- Idem, p. 349-353 ; tableau, p. 712-713.
139- Idem, p. 354-358 ; tableau p. 688-689.
140- E. Selgridge-Field,1984, p. 54, 63.
141- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 358-363 ; tableau p. 700-701.
142- D-Dl, Mus. 2389-J-1 ; voir P. Ryom, 2007, « Sammlung VII », p. 589, n° 3.
143- E. Selfridge-Field, 1984, p. 60.
144- Parmi les œuvres instrumentales conservées à Dresde, à la Sächsische Landesbibliothek
(D-Dl), on croit reconnaître l’écriture de Johann Joachim Quantz, dans les Concertos RV 111a,
RV 192, RV 219, RV 228, RV 343, RV 229, RV 262, RV 314a, RV 329, RV 341, RV 364a, RV
422, RV 521, RV 568 ; parfois avec une double intervention, de Quantz et de Pisendel, comme
dans les concertos RV 184 et RV 199. Sur la question du concerto RV 571, voir Cesare
Fertonani (1998, p. 472) ; Fertonani doute que le concerto 571 ait été joué par Pisendel à
Venise : le manuscrit, sur papier italien, conservé à Dresde (Mus. 2389-0-48.1 et 48.2) aurait été
transcrit par Quantz à Venise en 1726, donc dix ans après les deux séjours de Pisendel à Venise.
Sur la datation des manuscrits, voir aussi P. Everett, 1990, p. 34 et 52.
145- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 226.
146- K. Heller, 1991, p. 42.
147- I Teatri del Veneto. Venezia e il suo territorio, 1996, vol. 2, p. 8.
148- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 36-37 et vol. 2, p. 364-365.
149- Venise, Archivio di Stato, Avogaria di Comun Civil, busta 352/13 et Notarile, Atti Pietro
Zuccoli, busta 14319, fol. 56 ; le texte italien est publié dans I Teatri del Veneto, Venise, 1996,
vol. 2, p. 42 et par R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 364.
150- R. Strohm, 2008, p. 364-378, tableau p. 690-691 ; et P. Ryom, 2007, p. 390-397.
151- I-Tn, Foà 39, fol. 142-295 ; le manuscrit porte ce titre : « La Dorilla / ati tre, con
sinfonia, e cori cantano, e ballano / musica di D. Antonio Vivaldi/cantata nel Teatro di
S. Angelo in inverno 1734 » ; F. Tammaro, 1988. Sur la représentation vénitienne de 1734, voir
R. Strohm, 2008, p. 381-384 et tableau p. 692-693.
152- Sur la personnalité et la carrière d’Anna Girò, voir G. Vio, 1988 et J.W Hill, 1978.
153- Voir l’exemple musical transcrit par R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 375.
154- K. Heller, 1991, p. 41. Voir chapitre 21.
155- A. Bova, 1995, n° 230 et S. Mamy, 2006, p. 120.
156- C. Goldoni, Mémoires, chapitre XXXVI, 1787.
157- M. Talbot, 1978, p. 65.
158- Antonio Conti à madame de Caylus, lettre du 26 janvier 1729 ; S. Mamy, 2003, lettre 81,
p. 233.
159- S. Mamy, 2003 ; lettre d’Antonio Conti n° 5, p. 124-126.
160- Les archives de Luca Casimiro degli Albizzi ont été étudiées par Gino Corti qui a aussi
transcrit les cinq lettres adressées par Albizzi à Vivaldi en 1726 et 1727 ; 1980, p. 182-188 ;
ainsi que par Walter C. Holmes, 1982 et 1993 ; voir les signalements précis dans M. Talbot,
Fonti, 1991, sous la cote I-Fag (Florence, Archivio Guicciardini) le copie lettres du marquis est
sous la cote « Albizzi 769 », où se trouve la correspondance envoyée par le marquis entre 1721
et 1731.
161- W.C. Holmes, 1993, p. 119-121.
162- G. Corti, 1980, p. 187, n. 6 et R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 385.
163- Lettre à Michele Grimani, citée par W.C. Holmes, 1982, p. 121.
164- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 384-393 ; tableau p. 714.
165- US-BEM, Ms. 13 : « Vaghe luci, luci belle », pour Linceo (I, 1) (fol. 26 r°-28 r°) ;
« Priva del suo compagno », pour Ipermestra (I, 2) (fol. 30 v°-31 v°) et « Sazierò col morir
mio », pour Danao (II, 5) (fol. 24 r°-26 r°).
166- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 393-421, sur les reprises du Farnace, p. 421-435 ; tableaux
p. 696-699.
167- R. Wiesend, 1983, p. 397, n. 541.
168- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 396.
169- I-Tn, Giordano 36, fol. 2-139.
170- R. Strohm, 2008, vol. 2 et Liva Pancino, 1999, p. 28-29 ; E. Pozzi, 2008, p. 270-272.
171- I-Tn, Giordano 37, fol. 58-160.
172- R. Strohm, 2008, vol. 2, tableau, p. 696-697.
173- S. Mamy, 2003, lettre d’Antonio Conti n° 5, p. 124-126.
174- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 436-446 et tableau, p. 734-735.
175- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 439 ; tableau p. 734-735.
176- R. Strohm, vol. 2, p. 443-446 et Olivier Rouvière, 1998.
177- S. Mamy, 2003, lettre n° 5, p. 125.
178- S. Mamy, 1994, p. 52 et suivantes.
179- Florence, Archivio Guicciardini, Albizzi 769 ; lettre transcrite par G. Corti, 1980.
180- K. Heller, 1991, p. 45.
181- Voir chapitre 23.
182- Voir chapitre 26.
183- S. Mamy, 2003, lettre 32, 29 novembre 1729, p. 169.
184- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 446-459 ; tableau « Orlando 27 », p. 720-721.
185- Pour une comparaison entre les versions de 1714 et de 1727, voir R. Strohm, p. 447-448.
186- I-Tn, Giordano 38, fol. 2-175.
187- I-Tn, Giordano 37, fol. 162-250.
188- I-Tn, Giordano 39 bis, fol. 2-153.
189- Grazio Braccioli, Orlando Furioso, Venise, Marino Rossetti, 1713, « Argomento Al
Lettore », p. 8.
190- « All’invito gentil, ch’amor le fé/Madam la Cruauté/Con guardo torvo, e minaccioso,
aspetto/Dise ‘petit fripon ; je ne veux pas’ così si fà !, /Ed il rigor presa beltà per mano/Lasciò
con passo grave, e ciera brutta/Il mio povero amore a bocca asciutta/Deh appaghi ella il mio
amor meco danzando/Danziam Signora la follia d’Orlando. Suonate, Suonate che fatte ? La, la,
la ra la… »
191- Ercole, Teuzzone, Tito Manlio, Farnace, L’Atenaide, Fida ninfa.
192- Ginevra, principessa di Scozia, Adelaide, Griselda, Catone in Utica… Pour une liste
détaillée des livrets mis en musique par Vivaldi, voir Anna Laura Bellina, Bruno Brizi et Maria
Pensa, 1982.
193- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 426-429.
194- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 459-463.
195- Rosilena ed Oronta, Drama per musica […] Venezia, A. Bortoli, 1728, p. 3-4.
196- Idem, p. 5-6.
197- Dans RV Anh. 127a : « Leggo in quel torvo aspetto » (II, 8, Ergisto) (n° 30) dans
Penelope la Casta, à Prague, en 1730 ; « Furibonda a me dinante », l’aria de bravoure d’Anna
Girò qui conclut l’acte I, se retrouvera dans La Pravità Castigata à Prague, en 1730 (n° 33) ;
« O placa il tuo furor » (II, 5) (n° 31) dans « Il più fedel fra vassali », à Prague, en 1733
(n° 31) ; « L’Occhio nero, il ciglio arciero » (III, 9) dans Ezio à Milan en 1730, et dans « Amor,
Odio e Pentimento » à Graz, en 1740 (n° 13 et n° 2) ; P. Ryom, 2007, p. 582-583.
198- K. Heller, 1991, p. 47.
199- A. de Montesquieu, 1894-1896, vol. I, p. 45.
200- S. Mamy, 2003, passim.
201- Sur le voyage de Vivaldi à Trieste voir L. Cataldi, 2010.
202- A. de Montesquieu, 1894-1896, vol. 1, p. 50.
203- Idem, vol. I, p. 27.
204- S. Mamy, 2003, passim.
205- A-Wn, Cod. 15.996. Le recueil manuscrit comprend les concertos suivants : 1. RV 360 ;
2. RV 189 ; 3. RV 202 ; 4. RV 286 ; 5. RV 391 ; 6. RV 526 (pour deux violons) ; 7. RV 183 ; 8.
RV 322 ; 9. RV 203 ; 10. RV 271 ; 11 RV 277 ; 12 RV 520 (pour deux violons) ; P. Ryom, 2007,
« Sammlung IV », p. 586.
206- RV 360, RV 526, RV 322, RV 203 et RV 520.
207- RV 391 (Opus 9, n° 12), RV 277 et RV 202 dans l’Opus 11, n° 2 et n° 5.
208- À Vienne, à la Österreichische Nationalbibliothek se trouve en effet le manuscrit d’un
motet de Johann Joseph Fux « Ave mundi spes Maria » (K 171) (Ms 17390) sur lequel il est noté
« 12 Septemb. 1728 à Triest » ; Michael Talbot cite une information transmise par Rudolf Rasch
qui a découvert ce document, art. 1987, réédité en 1999, III, Addenda and Corrigenda, p. 2-3.
209- Luigi Cataldi, 2010, p. 175, reprend le récit de Casimiro Donadoni, 1866, p. 30.
210- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 378.
211- R. Strohm, p. 463-473 ; tableau p. 681-682.
212- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 464.
213- I-Tn, Giordano 39, fol. 2-169.
214- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 463-473 ; tableau, p. 681-682.
215- P. Ryom, 2007, p. 375.
216- P. Ryom, « Sammlung VII », p. 589 ; D-Dl, Mus. 2389-J-1 ; n° 6, 10, 11, 14, 17 « Può
essere cantata da un Basso » (peut être chantée par une basse) ; et 19.
217- William C. Holmes, 1982, p. 121-123.
218- Lettre de Camillo Pola du 22 janvier 1729, idem, p. 122.
219- Lettre de Ferdinando Bartolommei, datée du 5 février 1729 ; idem supra.
220- Idem.
221- Lettre de Camillo Pola du 18 février 1729, idem supra, p. 123.
222- Lettre du 19 mars 1726 de Mons. Alamanno Salviati à Pesaro ; W.C. Holmes, 1993,
p. 34-35, 185-186.
223- Idem, p. 124. Voir p. 631.
224- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 466-467.
225- A. de Montesquieu, vol. 1, p. 186.
226- Poème publié par Theophil Antoniceck, 1997 ; E. Pozzi, 2008, p. 282.
227- Lettre de Camillo Pola du 5 mars 1729 ; Holmes, 1982, p. 121.
228- Idem, lettre datée du 23 avril 1729 ; idem, p. 122.
229- M. Talbot, 1987 ; réédition de 1999 (III), p. 37.
230- 1. RV 181a ; 2. RV 345 ; 3. RV 334 ; 4. RV 263a ; 5. RV 358 ; 6. RV 348 ; 7. RV 359 ; 8.
RV 238 ; 9. RV 530 (pour deux violons) ; 10. RV 300 ; 11. RV 198a ; 12. RV 391.
231- C. Fertonani, 1998, p. 365.
232- 1. RV 207 ; 2. RV 244 (aussi n° 2 de l’Opus 12) ; 3. RV 336 ; 4. RV 308 ; 5. RV 202 ; 6.
RV 460 (pour hautbois).
233- 1. RV 317 ; 2. RV 244 ; 3. RV 124 ; 4. RV 173 ; 5. RV 379 ; 6. RV 361.
234- RV 433, RV 439, RV 428, RV 435, RV 434 et RV 437.
235- F. Sardellli, 2001, p. 93-95.
Troisième partie
L’Europe et l’Italie
Nouveaux déplacements
27
(1729-1731)
Préparatifs de départ
C’est en automne 1729 que l’on situe le départ de Vivaldi et de son père
dans les pays germaniques. Le document le plus fiable qui permet de situer
la date à laquelle les Vivaldi ont quitté Venise provient de la chapelle
musicale de Saint-Marc. En septembre, Giovanni Battista avise les
procurateurs qu’il désire prendre un congé d’un an afin, dit-il,
d’accompagner l’un de ses fils « en Allemagne » (« in Germania ») – une
expression qui, à cette époque, signifie dans les pays de langue allemande.
Le texte de la requête est repris le 30 septembre par les autorités
ecclésiastiques de la chapelle ducale :
Giovanni Battista Vivaldi, violoniste, demande l’aimable autorisation
de pouvoir s’éloigner de la chapelle ducale pour se rendre en Germanie
accompagner l’un de ses fils. Il sera remplacé par Francesco Negri […].
Passé le délai d’un an, s’il ne se représente pas, celui-ci sera rayé du Livre
des Paies. Pendant son absence, il devra toutefois se faire remplacer par le
dit Francesco Negri, à la condition que le maître de chapelle reconnaisse
que celui-ci en est capable6.
Quelques jours plus tard, toujours en octobre, le Teatro Dolfin, à Trévise,
présente une reprise de l’Ottone in villa (RV 729-B). Vivaldi avait-il
commencé à retravailler la vieille partition de 1713 en vue d’une
représentation au théâtre Sant’Angelo, que son départ pour l’étranger
l’aurait obligé à annuler ? L’Ottone aurait-il alors été joué à Trévise ? Il
s’agit de la seule reprise connue de cet opéra. Le livret, qui ne signale pas le
nom du compositeur, a été beaucoup remanié7.
En octobre, lorsque le comte de Gergy organise une fête afin de célébrer
la naissance tant attendue du dauphin, Vivaldi est absent.
Exceptionnellement, c’est Tomaso Albinoni qui compose la sérénade
destinée à être jouée le soir, dans les jardins de l’ambassade de France à
Venise. Il paraît donc évident qu’à cette date, Vivaldi a déjà quitté Venise.
Alvilda, Regina de’ Goti, Prague, printemps 1731 (RV Anh 88)
Lors de ces spectacles bâtards, les manipulations réalisées sur les livrets
et les partitions originales étaient multiples. Aussi est-on en droit de se
demander ce qu’on appelle un opéra « de Vivaldi » donné par la troupe
d’Antonio Denzio sur la scène du théâtre de Franz Anton von Sporck, à
Prague. Plusieurs cas de figure peuvent se présenter, explique Reinhard
Strohm. Il peut s’agir d’un opéra nouvellement composé, comme Argippo.
Cela peut être un opéra créé en Italie, à Venise en particulier, et adapté à
Prague par un autre compositeur ; c’est sans doute le cas de Farnace, de
Dorilla in Tempe et de Doriclea. Il peut s’agir aussi d’un opéra que Vivaldi
reprend de l’une de ses partitions précédentes, mais qu’il arrange pour un
nouveau livret ; c’est peut-être le cas d’Alvilda. Cela peut être aussi un
opéra pour lequel Vivaldi n’écrit que les arias principales, laissant une autre
personne composer les récitatifs et ajouter d’autres arias ; cela pourrait être
aussi le cas d’Alvilda, dans sa genèse. Il peut s’agir encore d’un opéra que
quelqu’un a produit comme étant « de Vivaldi », mais dont Vivaldi ne sait
rien ; c’est probablement le cas de La Tirannia gastigata, représentée en
1726 à partir de la partition de La Costanza trionfante32.
Des arias extraites des opéras de Vivaldi sont disséminées dans des
pastiches portant des titres divers ; l’œuvre originale n’est pas toujours
reconnaissable de prime abord. Après ses recherches approfondies dans les
archives de Prague, le musicologue américain Daniel Freeman retrouve de
nombreuses arias de Vivaldi dans les pastiches dirigés par Antonio Denzio.
L’imprésario puisait dans ses partitions (à peu près toujours les mêmes
suivant les époques) qu’il utilisait comme des portefeuilles d’arias. Il
disposait de partitions complètes et d’arias détachées. Il est probable que les
chanteurs apportaient aussi avec eux leurs arias préférées, qui étaient
intégrées à ces pastiches. Daniel Freeman montre encore, par l’exemple,
comment on peut modifier une aria pour l’adapter à un autre texte, à un
autre chanteur, à un autre opéra, à une autre situation ; seul l’incipit est
identique à l’original et, malgré les modifications, l’aria et le style « de
Vivaldi » restent néanmoins reconnaissables33. Une telle dissémination
d’arias de Vivaldi intégrées dans des pastiches portant des titres divers
(voire aussi d’arias parodiques) se produit au xviiie siècle en Angleterre,
ainsi que dans toute l’Europe centrale et les pays dits « allemands »34.
28
(mai 1731-janvier 1732)
Cela faisait plus de dix ans maintenant que Vivaldi avait quitté Mantoue !
Le dernier opéra créé au Teatro Arciducale était La Candace, en
janvier 1720, si l’on fait exception des deux opéras pastiches (Orlando
furioso et Artabano) représentés au début de l’année 1725 (et pour lesquels
il n’est pas certain que le Vénitien se soit déplacé). Pourtant le compositeur
n’a jamais cessé d’employer son titre de « maître de chapelle de chambre »
de Philipp de Hesse-Darmstadt et le prince l’avait prié de se tenir à sa
disposition. Vivaldi a peut-être continué à composer pour Mantoue des
sonates, des concertos, des cantates et des sérénades… ? En cette fin
d’année 1731, il fait son grand retour sur la scène du Teatro Arciducale, et
cette fois avec sa chanteuse favorite, Anna Girò.
Le compositeur n’a que quelques jours pour faire travailler les artistes.
D’après les documents conservés dans les archives de Mantoue, les
répétitions pour la Semiramide auraient commencé le 21 décembre.
Musiciens, chanteurs, danseurs, costumiers, décorateurs…, tout le monde se
tient dans la galerie de l’ancien palais des Gonzague, à côté des salons où
réside le gouverneur, Philipp de Hesse-Darmstadt. Celui-ci veut contrôler
personnellement les répétitions, donner son avis, comme le faisaient
autrefois les ducs. Vivaldi reçoit les clés des loges disponibles, qu’il rendra
à la fin des représentations ; la « Liste de la disposition des loges au Teatro
Comico [dit aussi Arciducale] pendant les représentations des deux opéras
au carnaval de l’année 1732 » est signée de sa main. Le document
d’archives porte cette note : « La clé a été remise à M. D. Vivaldi,
imprésario de l’opéra45 » ; cette saison-là, le Vénitien est donc aussi
l’imprésario du théâtre.
Les scénographies de la Semiramide sont réalisées par « plusieurs ». On
utilise certainement des éléments de décors récupérés ici et là, comme on a
l’habitude de le faire à Mantoue, Andrea Galluzzi, élève de Francesco
Bibiena, l’un des scénographes attitrés de la cour, étant alors absent. Les
costumes sont de Pietro Nazzari, couturier personnel de Teodora, la fille de
Philipp. Les musiciens de la cour étant en nombre insuffisant, on leur
adjoint des professionnels, appelés de l’extérieur. En tant qu’imprésario,
Vivaldi peut choisir les chanteurs. On n’est donc pas étonné de voir figurer
dans la distribution ses deux égéries : Anna Girò, qui interprète le rôle-titre,
et Maria Maddalena Pieri46 !
Le frontispice du livret porte une dédicace à « Joseph landgrave d’Hesse-
Darmstadt ». Il s’agit du fils de Philipp, lui-même claveciniste et grand
amateur de musique, qui prenait de plus en plus d’importance à la cour,
remplaçant dans plusieurs de ses fonctions son père désormais vieillissant.
Sur la même page est imprimé un aigle, qui tient dans ses serres une
branche de laurier. La lettre de dédicace est signée le 26 décembre 1731 par
« l’impresario ». S’il s’agit bien de Vivaldi, il reste anonyme. Toujours prêt
à flatter ses mécènes, il commence par ces mots : « Étant donné que, par le
passé, j’ai eu l’honneur de me prosterner devant le Mérite Sublime de Son
Altesse Sérénissime47 ». Entre les actes de l’opéra, on ajoutera des
intermèdes, « La vendetta di Despina », joués, comme c’est l’usage, par un
couple de chanteurs comiques.
Le livret de la Semiramide avait été écrit par Francesco Silvani en 1713
et mis en musique à Venise par Carlo Francesco Pollarolo. Le drame est
fondé sur les textes de deux historiens d’origine grecque : Diodore de Sicile
et Ctésias de Cnide. L’histoire de Sémiramis, reine d’Assyrie, est une semi-
légende. Elle est un personnage fabuleux, inspiré peut-être par la princesse
babylonienne Sammouramat, épouse du roi d’Assyrie Shamshi-Adad V
(-823/-810) qui, pour se substituer à son mari, serait montée sur le trône, un
phénomène rare en Orient où les épouses et les concubines vivaient à l’écart
du pouvoir, dans le cercle privé du harem. Le personnage de Sémiramis est
à l’honneur dans le théâtre français du xviiie siècle. Crébillon père, en 1715,
en avait fait une tragédie ; plus tard, en 1748, Voltaire écrira, sur le même
sujet, une œuvre théâtrale importante, dite réformatrice. Metastasio, pour sa
part, avait signé le livret de sa Semiramide riconosciuta, quelque temps plus
tôt, à Rome, en 1729 ; il fut mis en musique par Leonardo Vinci puis, dans
la foulée, repris à Venise, au théâtre San Giovanni Grisostomo, avec une
partition de Nicola Porpora.
L’axe central du drame est donc l’accession au pouvoir d’une femme,
mais pour un jour seulement. Ce sujet puisé dans l’histoire antique sert une
fois encore de prétexte pour suggérer des questions politiques d’actualité.
Quand Vivaldi met en musique le livret de l’abbé Silvani, l’accession de
l’archiduchesse Marie-Thérèse de Habsbourg, fille de Charles VI, paraît
inévitable, et redoutée par une partie de l’Europe… Comme il paraît
inévitable que celle-ci se fiance, en 1735, avec Franz Stephan von
Lothringen, un favori de l’empereur – et l’un des protecteurs de Vivaldi –,
futur empereur lui-même. Le mariage de Franz Stephan et de Marie-
Thérèse aura lieu à Vienne, le 12 février 1736.
Dans cet opéra, Anna Girò interprète à nouveau un rôle de femme forte et
dominante : celui de la souveraine Semiramide, aux prises avec son mari, le
roi d’Assyrie (Nino), incarné par Maria Maddalena Pieri. Un face-à-face
dramatique où, comme dans Farnace, les deux femmes s’affrontent dans
une situation tendue et conflictuelle.
Les représentations de la Semiramide commencèrent le lendemain de
Noël. Les décors somptueux (« … une pompe nécessitée par l’Idée d’un
faste magnifique48 ») décrits dans le livret glorifient l’Empire. Ils sont dans
le pur style de l’opéra seria qui plaît à Vienne et flatte, à Mantoue, la famille
des Hesse-Darmstadt : à l’acte I, « Place magnifique avec trône d’un côté et
une arche pour la procession triomphale de Semiramide au centre. Chambre
avec trône et sièges » ; à l’acte II, « Temple du Soleil illuminé par ses
rayons. Autel avec piédestal ; au centre la coupe du mariage et un vase d’or.
Campagne avec les armées d’Assyrie et de Médie (pays des Mèdes) » ; à
l’acte III, « Chambre avec table et chaise. Hall préparé pour des funérailles
après l’exécution de Nino. Amphithéâtre royal ».
De ce spectacle, nous n’avons qu’une vague idée. La partition de Vivaldi
est perdue ; il n’en reste que des arias isolées. Six d’entre elles proviennent
d’opéras précédents (Ipermestra, Orlando, Atenaide, Giustino), ainsi que de
la sérénade La Sena festeggiante ; trois de ces arias furent chantées par
Anna Girò dans le rôle de Semiramide49. Six autres sont conservées dans
un recueil mixte, à Dresde, à la Sächsische Landesbibliothek, avec d’autres
extraits d’opéras de Vivaldi, parmi une série d’œuvres, peut-être envoyées
par Vivaldi en Saxe dans l’espoir d’obtenir un poste dans la chapelle
musicale saxonne50.
La Semiramide terminée, Vivaldi ne dispose que de quelques jours pour
préparer l’opéra de Vérone, La Fida Ninfa (la nymphe fidèle), qui fera
l’ouverture du Teatro Filarmonico. L’initiative d’édifier un nouveau théâtre,
destiné à l’opéra, était née au sein de l’Accademia Filarmonica. Le projet
avait surtout germé dans l’esprit de Scipione Maffei, non seulement le chef
de cette prestigieuse académie de Vérone, mais aussi l’une des plus
éminentes personnalités intellectuelles et artistiques du xviiie siècle italien.
Le livret
L’histoire
Dans La Fida Ninfa, à part Junon qui, comme Alcina, dialogue avec le
maître des ténèbres, il n’y a pas de rôle de femme dominante. Nous sommes
face à deux jeunes filles accompagnées par leur père ; des êtres doux, à
l’image de l’île regrettée et du bonheur brisé. Les habituelles comparaisons
avec la nature, tantôt accueillante et pacifique, tantôt déchaînée et hostile,
permettent aux chanteurs de faire montre des différentes facettes de leur
talent : l’orage qui secoue les cimes des arbres ; la biche qui gambade sur la
colline. Au-delà des clichés, l’opéra recèle plusieurs trouvailles musicales
judicieuses : par exemple, le serpent qui s’enroule autour de l’arbre pour
évoquer les chaînes de l’amour (Osmino, « Qual serpe tortuosa » ; II, 9).
En somme, une esthétique propre à la première moitié du xviiie siècle,
émaillée de moments étranges, hors du temps, où l’on se sent déjà proche
de Haydn, de Mozart et du classicisme viennois ; par exemple l’aria
d’Osmino « Ah ch’io non posso, no, lasciar d’amare » (Ah je ne puis, non,
renoncer à aimer) (II, 2), chantée par le castrat alto Stefano Pasi, avec ses
frottements et ses dissonances particulièrement émouvantes ; et encore celle
de Narete « Deh ti piega, deh consenti » (Allons je t’en supplie, accepte)
(II, 3), interprétée par le ténor Ottavio Sinco, lorsque le berger de Scyros
prie Oralto de lui rendre la liberté…
Critiques et retombées
Fin janvier 1732, Vivaldi laisse Vérone derrière lui et revient sur
Mantoue où doit avoir lieu, le 26 janvier, la reprise du Farnace77. Maria
Maddalena Pieri et Anna Girò y reprennent les rôles qu’elles avaient créés à
Venise, cinq ans plus tôt. Le livret résulte d’une fusion entre la création
vénitienne (carnaval 1727) et la reprise de Pavie (1731). Les chroniques
affirment que, lors des représentations, la salle du Teatro Arciducale fut
toujours comble ; remplie par les familles patriciennes de Mantoue et des
environs, par Philipp et par sa famille, confortablement installés dans leurs
loges, somptueusement ornées.
Charles de Brosses visitera le palais de Mantoue en 1739, quatre ans
après le départ de Philipp de Hesse-Darmstadt. L’ancienne demeure des
Gonzague lui paraît vide, dépouillée de son riche mobilier, de ses biens les
plus précieux. « Le palais du duc de Mantoue est si peu de choses quant au
bâtiment, écrit le Bourguignon, qu’on ne voudroit pas le prendre pour une
maison de marchand ; mais les logements sont fort vastes. Celui de la
duchesse est tout démeublé, et non celui du duc, qui sert au gouverneur de
l’empereur, quand il y en a un. Au reste, on n’a, à vrai dire, laissé là que ce
que l’on n’a pas pu emporter. Toutes les curiosités dont les cabinets étaient
remplis ont été enlevées mais il reste dans l’appartement d’excellentes
peintures… » (lettre XI à M. de Blancey. Route de Milan à Vérone.
Mantoue).
Farnace terminé, Antonio Vivaldi et Anna Girò quittent Mantoue et
reprennent la route de Venise. Un nouveau théâtre, le Regio Ducale Teatro
Nuovo, sera inauguré le 27 décembre 173278. Cet édifice avait été projeté
plus de trente ans plus tôt par le duc de Gonzague, Ferdinando Carlo. On a
parfois suggéré que Vivaldi aurait été, même partiellement, l’imprésario du
nouveau théâtre, l’hiver suivant (1732-1733)79. Rien n’est sûr pourtant, car
les documents d’archives sont peu clairs et aucun opéra de Vivaldi ne sera
représenté cette saison-là.
Le Prêtre roux ne reviendra probablement plus jamais à Mantoue, mais il
n’en continuera pas moins à employer, plusieurs années encore, son titre de
« maître de chapelle de chambre » de Philipp de Hesse-Darmstadt.
29
(1732-1734)
En cette période assez floue où, après ses différents voyages, il ne semble
plus vraiment attaché à Venise, ni à Mantoue, où Philipp de Hesse-
Darmstadt vieillissant est proche de son retrait, Vivaldi aurait-il tenté sa
chance pour un poste de maître de chapelle à Dresde ?
Johann David Heinichen, maître de chapelle à la cour de Saxe, était
décédé le 16 juillet 1729. Il fut remplacé par Johann Adolf Hasse, à une
date que l’on situe entre le carnaval et l’Ascension 1730. Cette nomination
suscita la déception du compositeur tchèque Jan Dismas Zelenka qui s’était
mis en piste pour succéder à Heinichen mais qui dut se contenter d’un poste
de compositeur d’église. Occupé par la représentation de ses opéras à
Venise, Hasse ne se présentera pas à Dresde avant le début du mois de
juillet 1731.
Le 1er février 1733 s’éteint l’Électeur de Saxe et roi de Pologne Friedrich
August Ier dit Auguste le Fort. Un deuil de cinq mois est prononcé. Le
Kurprinz Friedrich August II, qui s’apprête à succéder à son père, veut
nommer de nouveaux artistes. Jean Sébastien Bach lui envoie le Kyrie et le
Gloria de sa Missa en si mineur (BWV 232), avec une note le priant pour
un « titre de Votre Très Haute Chapelle de Cour » ; ce n’est pourtant qu’en
1736 que Bach deviendra Hofkomponist du nouvel Électeur de Saxe.
Les relations musicales et artistiques entre Dresde et Venise sont
constantes ; relations des princes de Saxe avec les patriciens vénitiens, mais
aussi avec la Pietà. On sait par exemple qu’en 1724, le comte Ämilius
Villio, ambassadeur de Saxe à Venise, avait demandé à ce que trois jeunes
filles et quatre jeunes garçons apprennent à la musique à Venise, puis soient
renvoyés à Dresde. Ces élèves vivaient dans la maison de l’ambassadeur.
Une petite soprano fut ainsi éduquée par Pietro Scarpari, maître de chant à
la Pietà. En septembre de la même année 1724, on confiait à la Pietà « deux
petites filles de bonnes mœurs, afin qu’elles soient éduquées dans la
musique et destinées au service de Sa Majesté (le roi de Pologne) et de la
Maison Royale86 ». Les gouverneurs de la Pietà désirent prouver leur
reconnaissance à l’Électeur pour toutes les actions généreuses que le
souverain avait eues à plusieurs occasions envers l’institution, mais posent
plusieurs conditions pour accepter la proposition : que ces fillettes « n’aient
pas plus de douze ans, qu’elles aient de bonnes manières, qu’elles soient
destinées à la Maison Royale et que, à l’avenir, elles ne chantent pas dans
les théâtres de la ville et de l’État ». Six ans plus tard, le 17 mars 1730, les
deux sœurs Anna et Rosa Negri sortaient de la Pietà et étaient confiées au
chambellan du Roi de Pologne87.
Une candidature pour un poste dans la chapelle musicale de Dresde ?
En cette fin d’année 1733, le Prêtre roux effectue un retour en force sur la
scène de son théâtre favori, le Sant’Angelo, où il présente trois opéras, dont
deux créations à « grand spectacle » : Motezuma, pour la saison d’automne ;
puis, à la fin du carnaval, en février de l’année suivante, L’Olimpiade, sur
l’un des plus célèbres livrets de Pietro Metastasio.
On ne sait si Antonio Vivaldi était l’imprésario de ces deux saisons. En
tout cas, sa personnalité transparaît dans les choix des spectacles, ainsi que
dans l’engagement de ses collaborateurs : Antonio Mauro, le scénographe
vénitien qui réalise probablement les décors des deux saisons ; le maître de
ballet Giovanni Gallo dit Galletto, qui dirige les danseurs100.
Quatre des interprètes sont engagés pour l’automne et l’hiver : les deux
castrats soprano : Francesco Bilanzoni, virtuose du prince napolitain
Caracciolo della Torella. On sait par une lettre du comte Rambaldo
Rambaldi datée du 12 novembre 1731 que les imprésarios de Vérone
avaient cherché à engager le castrat pour la création de La Fida Ninfa, à
Vérone… en échange, on promettait au soprano cent sequins, une réception
princière, ainsi qu’un écrin précieux. Bilanzoni ne put pas (ou ne voulut
pas) répondre à cette proposition, car son nom ne figure pas dans la
distribution de l’opéra de Vérone en janvier 1732101. On le retrouve avec
Vivaldi à Venise, en automne 1733. Bilanzoni est déjà connu à Venise, où il
chante depuis deux ans. Le second castrat engagé au Sant’Angelo pour cette
saison est Marianino Nicolini, virtuose de Philipp de Hesse-Darmstadt ; il
avait chanté six mois plus tôt à Mantoue, dans le Farnace de Vivaldi ; la
basse allemande Massimiliano Miller sera le créateur du rôle du Mexicain
Motezuma. La mezzo soprano Angiola Zanucchi est elle aussi attachée à la
cour de Philipp de Hesse-Darmstadt ; elle interprète des rôles masculins.
Deux des interprètes féminines partiront dès que les représentations du
Motezuma seront terminées : Giuseppa Pircher, dite la « Tedesca »
(l’Allemande), une chanteuse originaire de Graz, troisième artiste de la
compagnie à faire partie de la chapelle de Philipp de Hesse-Darmstadt. Son
vrai nom était Josepha Susanna Gayereck ; elle fut la première épouse de
Franz Joseph Carl Pircker, concert-master de la compagnie Mingotti (elle
décédera vers 1735)102 ; enfin Anna Girò, qui quittera elle aussi Venise
après Motezuma pour se produire au Teatro Filarmonico de Vérone… Elles
seront remplacées par Marta Arrigoni, une contralto de Vénétie, et par la
Romaine, Anna Caterina della Parte.
30
(carnaval 1735)
La genèse
L’histoire
Le livret
L’histoire
Le livret
Un pastiche
L’opéra se déroule sur une série de dix décors différents qui représentent
« la ville de Pavie puis, le palais d’Adelaide et ses environs ; un jardin à
l’extérieur de la ville de Pavie ; une salle du trône avec des statues dans
l’appartement d’Adelaide ; la ville de Pavie (acte I) ; une vaste campagne
entourée par un bois, surplombant la rivière Ticino, avec au loin, la ville de
Pavie ; une prison avec, en arrière-plan, les murs entourant la ville, un pont-
levis et des tours, plus loin encore le camp d’Otton (acte II) ; la chambre de
Bérenger dans le palais d’Adelaide, avec trois sièges ; le campement
d’Otton au pied des murs de la ville, à côté du Ticino ; un agréable jardin
avec une fontaine dont l’eau provient du Ticino ; un vaste salon royal ».
La partition de L’Adelaide est perdue, mais le texte du livret suffit à lui
seul à montrer qu’il s’agit encore d’un pastiche. Cette fois, Vivaldi ne mêla
pas ses propres arias à celles empruntées à d’autres compositeurs, comme il
l’avait fait dans Tamerlano, mais, selon son habitude, il avait extrait de
nombreuses arias de ses opéras les plus récents (Semiramide, Motezuma et
Olimpiade) et y avait ajouté de nouvelles arias composées pour la
circonstance et appropriées aux chanteurs. De nombreuses modifications
ont été effectuées sur le livret original de Munich. Des textes ont été
prélevés dans d’autres versions du livret de l’opéra, plus particulièrement
dans une représentation qui avait été donnée à Rome, en 1723, avec une
partition de Nicola Porpora, ainsi que dans la version de Venise (1729).
Sept arias avaient été entendues lors d’une reprise de l’opéra de Porpora à
Pavie, en 1732.
À l’exception de « Sei troppo, troppo facile » (I, 6), qui provient de
Motezuma, Anna Girò, dans le rôle-titre d’Adelaide, reçoit des arias
nouvelles. Pietro Morigi (Idelberto) chante aussi une aria puisée dans
Motezuma, « L’aquila generosa » (III, 13) ; ses deux autres arias sont
probablement nouvelles ; « Vede orgogliosa l’onda » (I, 5) sera reprise par
Lorenzo Saletti dans la Griselda, à Venise, quatre mois plus tard. Giovanni
Manzuoli (Glodomiro, capitaine de Berengario) ne reçoit que des arias
importées : deux de Motezuma et « Langue misero quel valore » (I, 9), qui
vient du Farnace de 1727. Marc’Antonio Mareschi (Everard) reçoit un rôle
plus limité que dans Tamerlano ; parmi ses trois arias, « Quel torrente che
s’inalza » (II, 17) vient du Giustino (Rome, 1724). La contralto Maria
Maddalena Pieri (Ottone) chante deux arias de L’Olimpiade : « Quel
destrier che all’albergo » (I, 5), assez virtuose, qui évoque la course du
cheval ; l’autre plus pathétique, « Gemo in un punto e fremo » ; deux arias
nouvelles se sont perdues… avec la partition ! Margherita Giacomazzi
(Matilde, épouse de Berengario) qui, dans Tamerlano, avait interprété des
arias pleines d’acrobaties composées pour le divo Farinelli, chante à
nouveau des arias brillantes, telle « Agitata da due venti » (I, 17) qui
conclut le premier acte de façon triomphale, et qui est probablement
nouvelle. Francesco Venturini (Berengario) avait été employé par la cour de
Bavière ; désormais assez âgé, il était surtout fixé à Venise. Il avait été
Oralto dans La Fida Ninfa. Il avait sans doute été prévu pour le rôle de
Bajazet dans Tamerlano, puis remplacé par le ténor Marc’Antonio Mareschi
(des clés de fa, indiquant une tessiture de basse, subsistent sur le manuscrit,
en face des parties, puis elles furent corrigées pour être adaptées au
ténor137). Son aria, qui ouvre l’opéra, « O tu tremar non dei », (I, 3) vient
de L’Olimpiade ; une autre « Vincerà la mia costanza », à l’atmosphère
saisissante, avait été écrite pour Maria Maddalena Pieri, dans Semiramide.
On se rappelle que Rambaldo Rambaldi n’avait pu, comme cela avait été
convenu, se rendre à Venise pour rencontrer Vivaldi, car il avait été retenu à
Vérone par un rendez-vous avec le comte Lothar Joseph Dominik von
Königsegg und Rothenfels, commandant de l’armée impériale, qui se
trouvait alors en Italie du Nord, durant la guerre de Succession polonaise.
Lors de cet entretien, Königsegg voulait sans doute négocier avec Rambaldi
la garnison hivernale de ses troupes dans la région, suggère Carlo Vitali qui
étudie ces documents ; un projet que la Sérénissime, qui cherchait à rester
neutre, voyait d’un mauvais œil138. On se souvient aussi que, lors de
l’ouverture du Teatro Filarmonico, par ordre du Sénat vénitien, Scipione
Maffei avait dû attendre dix-huit mois avant de pouvoir fêter l’inauguration
du nouveau théâtre, peut-être en raison des conspirations proautrichiennes
qui agitaient Vérone. Il est clair qu’une partie de l’élite aristocratique et
intellectuelle de Vérone, dont fait partie Scipione Maffei, cherche à se
rapprocher de l’empereur… Parmi ceux-ci, on peut aussi ranger Sicinio
Pepoli, puissant aristocrate de Bologne. En mars 1740, il sera nommé par
Charles VI… conseiller intime d’État !
(Ascension 1735)
C’est ici que Carlo Goldoni entre en scène. Après le succès triomphal de
sa première pièce, Il Belisario, le jeune dramaturge vénitien (il n’a guère
plus de vingt-sept ans) est chargé par Michele Grimani de réviser un vieux
livret d’opéra, la Griselda, qui serait représenté pour l’Ascension. Cette
tâche aurait dû revenir à l’imprésario en titre, Domenico Lalli ; mais
Goldoni s’était arrangé avec le Napolitain : Lalli signerait la dédicace du
livret, et Goldoni dirigerait la production. Quant à la musique, elle serait
composée par Don Antonio Vivaldi, que tout le monde à Venise appelle Il
Prete rosso (le Prêtre roux).
Laissons Carlo Goldoni nous raconter (dans la Préface du tome XIII de
ses Commedie) sa rencontre avec Antonio Vivaldi, une rencontre que l’on
peut imaginer dans la maison du Rialto que le compositeur occupait alors,
avec son père, et peut-être aussi ses deux sœurs :
Son Excellence Grimani voulait faire représenter pour la Fête de
l’Ascension, dans le même théâtre, un opera seria per musica.
Habituellement, on reprenait de vieux drames ; et il fallait toujours, soit
les raccourcir pour les adapter à la belle saison, soit les modifier, afin de
satisfaire les demandes du compositeur de la musique, ou les exigences
des chanteurs. C’est pourquoi, tant pour la direction que pour les
instructions servant aux interprètes, on avait besoin d’un poète qui sache
écrire des arias nouvelles et ait quelque connaissance du théâtre. Cette
année-là, pour l’opéra de l’Ascension, le compositeur de la musique était
l’abbé Antonio Vivaldi, dit il Prête Rosso [le Prêtre roux], en raison de la
couleur de ses cheveux, et appelé à tort par certains Rossi [Roux], croyant
que c’était son nom de famille. Ce très célèbre joueur de violon, cet
homme célèbre pour ses Sonates, surtout pour celles intitulées les Quattro
stagioni [Quatre Saisons], composait aussi des opéras ; et malgré ce que
disaient les bons connaisseurs – qu’il était faible dans le contrepoint et
n’écrivait pas bien les basses –, il faisait chanter très bien les parties, et le
plus souvent ses opéras eurent du succès. Cette même année, celle qui
devait tenir le rôle de la prima donna était la Sig. Annina Girò ou Giraud,
fille d’un perruquier d’origine française ; celle-ci étant l’élève de Vivaldi,
on l’appelait couramment l’Annina del Prete Rosso [la petite Anne du
Prêtre Roux]. Elle n’avait pas une belle voix, elle n’était pas une grande
virtuose musicale, mais elle était belle et gracieuse ; elle était bonne
comédienne (chose rare par les temps qui courent) et elle avait des
protecteurs ; il n’en faut pas plus pour mériter la position de prima donna.
Il était très important pour Vivaldi que le poète soit en mesure de réviser et
d’impasticciare le drame à son goût, afin d’y intégrer, tant bien que mal,
les arias que son élève avait chantées précédemment. Étant chargé de cela,
je me présentai donc au compositeur à la demande du Chevalier mon
patron. Celui-ci me reçut assez froidement. Il me prenait pour un débutant,
et il ne se trompait pas. Comme il ne me trouvait pas très compétent en la
science d’estropier les drames, il avait, cela se voyait, très envie de me
renvoyer. Il était informé toutefois du succès qu’avait connu mon
Bellisario ; il n’ignorait pas non plus les applaudissements que mes
intermèdes avaient remportés ; mais impasticciare un drame était une
chose qu’il considérait comme difficile, et qui méritait un talent
particulier. Je me rappelai alors ces Regole [règles] qui m’avaient fait
perdre la tête à Milan, quand je lus mon Amalassunta ; moi aussi, je fus
alors pris du désir de m’en aller. Mais ma situation, ainsi que la gêne de
devoir me présenter face à Son Excellence Grimani, sans parler de mon
espoir d’obtenir la direction du grandiose théâtre San Giovanni
Grisostomo me firent faire bonne figure et je priai presque le Prêtre roux
de me mettre à l’épreuve. Il me regarda avec un sourire compatissant, prit
en main un livret : « Voici, dit-il, voici le drame qu’il faut réviser : la
Griselda d’Apostolo Zeno ! L’opéra, ajouta-t-il, est très beau ; le rôle de la
prima donna ne pourrait être meilleur, mais il nécessite quelques
modifications… Si vous connaissiez les Regole… Bref ! vous ne pouvez
pas les connaître. Ici, par exemple, après la scène de tendresse, il y a une
aria cantabile ; mais comme madame Annina ne.. ne… n’aime pas ce
genre d’aria (c’est-à-dire ne savait pas les chanter) ici, il faudrait plutôt
une aria d’action… qui exprime la passion, sans être pathétique, ni
cantabile…
– J’ai compris, répondis-je ; je ferai en sorte de vous servir ; confiez-
moi le livret.
– Mais moi, répliqua Vivaldi, j’en ai besoin, je n’ai pas fini les
récitatifs. Quand me le rendrez-vous ?
– Tout de suite, répondis-je ; donnez-moi un morceau de papier et un
encrier !…
– Quoi ? Vous pensez qu’une aria d’opéra, c’est comme dans les
Intermèdes… !
Je ressentis un peu de colère et lui dis avec vivacité : « Donnez-moi
l’encrier ! » ; et je tirai de ma poche une lettre, dont je déchirai un
morceau de papier blanc.
– Ne vous mettez pas en colère, dit-il avec calme. S’il vous plaît,
asseyez-vous à cette table ; voici le papier, l’encrier et le livret ; faites à
votre aise ! »
Il retourna à sa table, et se mit à réciter le bréviaire. Je lus alors
attentivement la scène ; je me concentrai sur le sentiment contenu dans
l’aria cantabile, et en fis une d’action, de passion et de mouvement. Je lui
apportai et lui fis voir. Il tenait son bréviaire de la main droite et, de la
gauche, ma feuille ; il lut lentement. Lorsqu’il eut fini de lire, il jeta son
bréviaire, se leva, m’embrassa, courut à la porte, appela Madame Annina.
Madame Annina arriva, ainsi que sa sœur, Madame Paolina. Il leur lut
l’arietta et s’écria avec force : « Il l’a faite ici, il l’a faite ici, il l’a faite
ici ! » ; et, de nouveau, il m’embrassa et me dit bravo ! Je suis dès lors
devenu son Cher, son Poète, son Confident, et il ne m’a plus lâché.
Ensuite, j’ai assassiné le drame de Zeno autant, et comme il l’a demandé.
L’opéra a été mis en scène. Il a eu du succès. En ce qui me concerne, finie
la Fête de l’Ascension, je me suis rendu à Padoue où se trouvaient Imer et
sa Compagnie, où je passai modestement la saison de Printemps143.
Griselda, Venise, mai 1735 (RV 718)
Le livret
La musique
Le livret d’Apostolo Zeno était certainement trop long par rapport aux
besoins du San Samuele, et trop long aussi pour un spectacle donné à
l’Ascension, où l’on privilégiait des œuvres propres à divertir le public. De
nombreuses coupures avaient donc été pratiquées dans le texte original. Six
des dix-neuf arias réécrites pour cette version sont des arias métaphoriques :
quatre arias de tempête ; une cinquième aria sur la fidélité amoureuse des
oiseaux ; une sixième évoque la chasse et la peur des animaux sauvages.
Ces situations plaisent au public ; créant des atmosphères certes
conventionnelles, mais que l’auditoire attend, elles sont incontournables
pour un compositeur. Lorsque la vague napolitaine déferle sur les scènes
des théâtres d’opéras, les librettistes et les compositeurs privilégient des
vers riches en voyelles exigeant des chanteurs une parfaite maîtrise du
souffle afin d’émettre avec force des notes longuement tenues, de larges
sauts, de longues chaînes de vocalises, des passages acrobatiques. Pour
Vivaldi aussi, les temps ont changé. il n’est plus question d’écrire des notes
évoquant les chants d’oiseaux, le murmure des sources, la brise dans les
feuillages ; ni de faire circuler les thèmes d’un instrument à l’autre, des
instruments vers la voix en produisant des effets d’échos, comme il les
inventait à ses débuts, avec Francesco Gasparini, dans la petite église de la
Pietà, ou sur la scène du théâtre de Vicence, dans l’Ottone in villa. Le son
part désormais d’un seul point : la poitrine du chanteur puis, de là, envahit
la salle. La leçon des Napolitains venait de briser les effets d’échos chers
aux Vénitiens…
Carlo Goldoni coupe dans les récitatifs de Zeno. Il enlève les arias et en
place d’autres qui ne présentent pas toujours de cohérence dramatique avec
le texte original, mais qui fonctionnent musicalement. Le jeune dramaturge
écrit sur-le-champ de nouveaux vers, empruntant par-ci, par-là, à
Metastasio, des mots que tout le monde est en train de fredonner… Il
change la métrique du vers d’Apostolo Zeno pour l’adapter à la musique de
Vivaldi, aux chanteurs, aux qualités d’actrice et à la gestuelle d’Annina.
Antonio Vivaldi, pour sa part, parodie les airs de ses confrères napolitains…
Quelque temps auparavant, Bartolomeo Vitturi avait supprimé du livret de
L’Olimpiade de Metastasio les passages qui avaient été conçus pour la cour
viennoise, mais qui n’étaient pas appropriés à l’esprit libre du théâtre
vénitien. Le rôle de Domenico Lalli n’était-il pas, déjà, de travailler au
ciseau dans les textes des vieux livrets, de réécrire les textes des récitatifs et
ceux des arias ? S’il n’avait pas eu le talent et l’ambition de devenir un
véritable auteur de théâtre, le jeune Carlo Goldoni aurait pu prendre, à
Venise, la succession du Napolitain et il aurait passé sa vie à remanier de
vieux livrets écrits par ses prédécesseurs, dans d’autres temps ou dans
d’autres sphères.
Dans le sillage de Benedetto Marcello, les hommes de lettres italiens
Ludovico Muratori, Pier Jacopo Martello et Scipione Maffei s’élèvent
contre ces pratiques communes dans les milieux des théâtres d’opéra qui
réduisent la tragédie à un simple torchon servant aux besoins des scènes et
des divas. À plusieurs reprises, le grand Metastasio se plaint des
modifications qui sont apportées à ses drames. Dans une lettre écrite de
Vienne le 7 décembre 1748, et adressée à Madrid, à son « Gemello
adorabile » (adorable jumeau), Carlo Broschi dit Farinelli, il écrit, à propos
de l’Armida placata :
Vous y trouverez beaucoup moins de défauts que ceux que vous auriez
pu trouver, si ce pleurnicheur de Migliavacca, alors que j’avais accepté de
corriger moi-même toute mon œuvre, n’avait pas pris l’initiative en la
recopiant de changer, d’ajouter et d’enlever en divers endroits, n’en
faisant qu’à sa tête, ce qui m’a fait bondir, quand il me l’a dit155…
Et encore, dans une missive envoyée à Turin, à un certain Filipponi, à la
date du 6 décembre 1751 :
Vous n’auriez pas pu mesurer avec plus de bonheur la durée du Re
Pastore. Sachez que si mes erreurs m’ont parfois coûté le châtiment
d’écrire des opéras, celui-ci en constituera toujours le modèle.
J’empêcherai ainsi que mes œuvres soient offertes au couteau hardi de
bouchers inexperts, et j’occuperai au théâtre ce peu d’espace que les
ritournelles, les vocalises, les dialogues, les pauses, le trilles, les cadences
des musiciens et la sempiternelle fatigue des danseurs veulent bien laisser
encore aujourd’hui, par charité, à la poésie156.
Les neuf arias écrites par Apostolo Zeno pour le rôle de Griselda étaient
parfaitement cohérentes avec le drame. Néanmoins, Carlo Goldoni et
Antonio Vivaldi les suppriment et introduisent pour ce rôle quatre arias
nouvelles ; deux d’entre elles sont reprises d’opéras précédents : « Brami le
mie catene » et « No non tanta crudeltà » ; seules sont composées pour
l’occasion : « Ho il cor già lacero » et « Son infelice tanto », deux arias
pathétiques qui pourraient convenir à toutes sortes de situations. On pense
qu’Antonio Vivaldi voulait transformer la femme soumise et tragique
campée par Apostolo Zeno en l’une de ces femmes fortes et combatives,
comme les aime Anna Girò ; une mère et une épouse à la hauteur de Tamiri
dans Farnace (la présence de l’enfant aide la cantatrice à rejouer devant le
public le rôle où elle avait connu tant de succès). Plus tragédienne que
chanteuse à voix, Anna incarne ce type d’héroïne (Mitrena dans Motezuma,
Astoria dans Tamerlano…) dans la vingtaine de rôles interprétés entre 1731
et 1740157. Tout au long du drame, Griselda reste au premier plan. Sans se
rendre, elle affronte avec dignité toutes les situations tragiques et
humiliantes que lui fait subir son mari. Griselda et Costanza constituent les
deux pôles du drame ; mère et fille se retrouvent, sans se reconnaître
vraiment, au fond d’un bois ; Griselda est à demi endormie ; Costanza est
subjuguée par cette apparition. La relation entre la mère et la fille, victimes
de la barbarie masculine, est l’un des aspects les plus originaux et novateurs
de cet opéra.
32
Je constate que vous êtes seul à vous occuper de vos affaires et je vous
plains. Le proverbe est bien connu. Vous ne pouvez mettre ainsi vos pieds
à tous les étriers. Si vos contrats avec Milan et Rome sont antérieurs au
mien, vous ne pouvez plus vous engager avec moi. Et moi je ne peux pas
forcer les autres sopranos à attendre les ordres de Votre Majesté et leur
dire : « Monsr Niccolini vous communiquera ma décision finale ! ». Si les
autres contrats sont plus avantageux, pourquoi ne pas me dire dès
maintenant que vous ne pouvez pas me servir, au lieu de me laisser en
permanence dans le doute, pour me répondre ensuite, dans quinze jours,
que le contrat offert par un autre imprésario est beaucoup plus avantageux
que le mien. D’ici à huit jours j’attends votre décision170.
Au début de l’été, les « cavaliers » florentins ont enfin fixé leur choix sur
les deux opéras qui seront représentés au prochain carnaval : le Giulio
Cesare in Egitto de Geminiano Giacomelli, où Anna Girò interprétera le
personnage de Cornelia, un rôle qui avait été créé à Milan par la grande
contralto Vittoria Tesi, et qu’elle avait repris à Venise, au théâtre San
Giovanni Grisostomo, en automne 1735. Il y a de très belles arias, écrit
Albizzi ; toutefois, il faudra que Vivaldi les retouche afin de les adapter à la
voix d’Anna. Le reste de la partition sera arrangé par Giuseppe Maria
Orlandini. Pour le second opéra, celui que Vivaldi devra mettre en musique,
le choix s’est fixé sur la Ginevra, principessa di Scozia, dont le livret avait
été écrit en 1708 par Antonio Salvi pour une représentation au théâtre privé
des Médicis, à Pratolino. Le texte avait déjà été repris plusieurs fois en
Italie, sous le titre d’Ariodante ; un Ariodante avait par exemple été donné à
Venise en 1716, mis en musique par Carlo Francesco Pollarolo, avec deux
grandes vedettes féminines : Marianna Benti Bulgarelli, la Romaine, et
Faustina Bordoni, la Vénitienne. Il avait été repris en 1718, encore avec
Faustina et une autre diva, la soprano de Parme, Francesca Cuzzoni, dans le
rôle de Dalinda. Haendel venait pour sa part de faire représenter son
Ariodante à Londres, au théâtre de Covent Garden, le 8 janvier 1735. Le
succès remporté par ce spectacle avait peut-être suggéré à Albizzi l’idée de
reprendre le drame à Florence, la ville où cet opéra avait été créé.
Début juillet, Albizzi informe Vivaldi que le poète de la Pergola,
Domenico Marchi, n’a pas encore terminé la révision du livret. Puis une
nouvelle difficulté se présente à l’imprésario : Antonio Vivaldi vient de lui
écrire que Ginevra n’est pas un personnage qui convient à Anna Girò. Le
Prêtre roux a suggéré une autre idée : monter la Merope d’Apostolo Zeno !
L’opéra venait d’être donné à Venise, au théâtre San Giovanni Grisostomo,
avec une musique de Geminiano Giacomelli. On avait pu y entendre les
deux grands castrats napolitains, Farinelli et Caffariello. La Vénitienne
Lucia Facchinelli chantait le rôle de Merope ; Maria Teresa Pieri (sans
doute la sœur de Maria Maddalena) faisait aussi partie de la distribution.
Quel rôle idéal que celui de Merope pour une bonne comédienne comme
Anna Girò ! Merope, veuve et mère, une femme au caractère bien trempé,
tandis que Ginevra est une jeune princesse souffrante, un peu fade et
passive. Albizzi refuse d’emblée la proposition, prétendant que la Merope
avait déjà été entendue plusieurs fois à Florence.
Le 9 juillet, l’imprésario d’adresse à Vivaldi en ces termes
V.S. me dit dans sa lettre du 2 que, au lieu de la Ginevra, je devrais
donner la Merope qui conviendrait mieux à madame Girò. Mais cet opéra
a été joué et rejoué à Florence, et il n’y a pas un commis qui ne s’en
souvienne. Alors que la Ginevra de Pratolino n’a plus jamais été
représentée ; et il faut que je diversifie mes livrets autant que possible, les
gens de ce théâtre étant impossibles à satisfaire171 !
Vivaldi insiste ; Albizzi résiste. Fin juillet on tombe enfin d’accord sur la
Ginevra, principessa di Scozia.
Le 6 août, Luca Casimiro degli Albizzi envoie à Vivaldi le livret de la
Ginevra dont Damiano Marchi a fait la révision. Il fournit à Vivaldi
quelques informations sur les chanteurs devant interpréter les différents
rôles, puis conclut :
Que V.S. compose tranquillement et prenne son temps car,
habituellement, le dernier opéra est celui auquel les gens accordent le plus
d’intérêt172.
Le 13 août, le marquis envoie une nouvelle missive à Vivaldi car il veut
s’assurer que le livret est arrivé à bon port. En même temps, il conseille au
compositeur de ne pas lui envoyer la partition tant qu’elle ne sera pas
terminée. Trois jours plus tard, Vivaldi répond à Albizzi, une lettre dont
nous ignorons le contenu. En revanche, nous avons la réaction de
l’imprésario, datée du 20 août :
Je lis le premier paragraphe de la lettre de V.S., du 16 août ; vous dites
être très déprimé de devoir composer cet opéra en raison de la médiocrité
des musiciens qui font partie de ma compagnie. Vraiment, si vous êtes si
peu enthousiaste, je vous libère sans autres obligations de votre
engagement. Renvoyez-moi le livret afin que je le fasse mettre en musique
par quelqu’un d’autre173 !
Vivaldi n’en poursuit pas moins la composition de sa partition et
conseille même l’imprésario de la Pergola sur le choix des danseurs,
qu’Albizzi généralement recrute à Turin. Le marquis s’était toujours fié à
Michele Grimani, le propriétaire du théâtre San Samuele, habitué à engager
des troupes de danseurs pour ses spectacles de ballets. Mais, pour la saison
du carnaval 1735-1736, c’est Antonio Vivaldi que Luca Casimiro degli
Albizzi consulte à plusieurs reprises174. Le 3 septembre, par exemple, il
s’adresse au compositeur en ces termes :
Je suis très obligé à V.S. qui porte tant d’attention au choix des danseurs
pour mon théâtre175.
Afin de superviser le rôle de Cornelia que devra chanter Anna à Florence,
Vivaldi cherche aussi à s’introduire dans la production du Cesare in Egitto.
Albizzi réagit une nouvelle fois et assez vivement aux méthodes de Vivaldi.
Le 17 septembre, il écrit :
Il est impossible de toucher au livret du Cesare in Egitto dont on a déjà
transcrit les parties que je ferai bientôt parvenir à madame Annina. Que,
dans la Ginevra, vous changiez les paroles de l’aria de 1708, je vous
l’accorde, mais pour celles qui ont été écrites et qui vous ont été envoyées
par notre poète, M. le docteur Marchi, je refuse qu’on lui fasse cet affront.
Je vous rappelle que les Toscans sont connus pour ne faire de compromis
avec personne quand il s’agit de poésie. Je vous assure que la Ginevra ne
sombrera pas car elle est très attendue à Florence. Désormais, les dés en
sont jetés ; ne touchez pas au contenu du livret ni à la division des actes
car je les veux ainsi. Je sais que tout ce que vous dites c’est pour mon
bien, mais à Florence, moi je sais ce qu’il faut176.
Luca Casimiro degli Albizzi se méfie des procédés de Vivaldi, qui ne
cesse de reprendre, même en les modernisant et en les adaptant aux
chanteurs, des arias déjà entendues, car le public de la Pergola pourrait s’en
apercevoir. Le 23 septembre, il écrit :
Quand vous en aurez terminé avec l’opéra de la Ginevra et que vous
l’aurez consignée à monsieur Cottini, je vous ferai parvenir ce que j’ai
promis ; sans tenir compte du nombre d’arias anciennes que vous avez
employées, car cela dépend de votre jugement. Mais si, ensuite, au théâtre,
on les reconnaît, vous savez vous-même que cela ne vous portera pas
crédit et peut-être aussi que ceux qui les chanteront seront contraints de les
changer, ce qui portera préjudice à mes finances177.
Albizzi poursuit l’organisation de sa production, l’engagement des
chanteurs, et la préparation des rôles. Le 20 octobre, il écrit au ténor Pietro
Baratta qui chantera dans la Ginevra aux côtés de sa fille débutante, Teresa
Baratta :
Je ne désapprouve pas ce que me propose V.S. dans sa missive du 16,
c’est-à-dire de modifier l’aria (dans Cesare in Egitto) destinée à madame
votre fille, ainsi que pour votre propre rôle ; je peux l’accepter, car il s’agit
d’une musique qui n’est pas nouvelle. Mais en ce qui concerne Vivaldi, il
faudra chanter tout ce qu’il envoie178.
En automne, Albizzi reçoit la partition de Vivaldi, terminée. Déception !
Le compositeur a effectué plusieurs remaniements dans le livret, malgré les
consignes que l’imprésario lui avaient données.
J’ai reçu la partition de la Ginevra, très bien emballée…, écrit Albizzi le
12 novembre. J’ai lu votre feuille avec les remarques que je respecterai ; je
les transmettrai plus particulièrement à M. Tanfani, premier violon. En ce
qui concerne les quelques paroles modifiées dans les récitatifs, je n’y vois
pas de problèmes ; en ce qui concerne les arias, il me semble que vous
avez pris beaucoup de liberté ; j’en compte douze, et je n’aime pas du tout
celles de comparaison qui affaiblissent la scène, alors qu’elles devraient
être de reproche et d’exhortation, ou de prière. Finissons-en là ! Je ferai en
sorte que tout cela soit exécuté dans le respect vos intentions, et je m’en
justifierai avec le copiste. Dites-moi les frais que vous avez eus pour
l’expédition de leurs parties aux virtuoses et pour la copie de celles-ci, et
tout ce que je vous dois pour le papier et la reliure, qui vous seront aussi
remboursés179.
Albizzi fournit à Vivaldi d’autres instructions pour le paiement de son
cachet : « Vous pourrez allez chez monsieur Annibale della Caia, qui a
l’ordre de vous payer les 60 ducats prévus par nos accords180. »
Cette missive du 12 novembre est la dernière lettre envoyée par Luca
Casimiro delgi Albizzi à Antonio Vivaldi, à propos de la préparation de la
Ginevra, principezza di Scozia.
33
d’Aragona à Ferrare
(carnaval 1737)
Vivaldi fait référence à une proposition que lui aurait faite le théâtre San
Cassiano à Venise. Le compositeur cherche-t-il à démontrer à Guido qu’il
est déjà très occupé, et cherchait-il à lui communiquer, de façon indirecte, le
cachet reçu habituellement pour la composition d’un opéra ? Nous ne
connaissons aucune collaboration de Vivaldi avec ce théâtre. Depuis près de
quarante ans, le San Cassiano était géré par l’héritier de la famille Tron,
Francesco II200. Il avait été un théâtre prestigieux, mais l’édifice était
désormais très vieux ; il connaissait des hauts et des bas. Au carnaval 1737,
on y donne toutefois le Demetrio de Hasse avec Lucia Lancetti, Pietro et
Teresa Baratta, le père et la fille (Teresa avait, on s’en souvient, chanté dans
la Ginevra, à Ferrare, et son père avait négocié son contrat avec Albizzi).
Le second opéra au San Cassiano était le Lucio Papirio de Nicola Porpora.
Tron aurait-il, comme le laisse croire Vivaldi, fait appel au Prêtre roux pour
le troisième opéra ? Dans une prochaine missive, datée du 29 décembre, on
comprendra que Vivaldi avait proposé de faire représenter à Ferrare deux de
ses opéras, L’Olimpiade de 1734 et la Ginevra principessa di Scozia de
Ferrare ; deux reprises pour lesquelles il acceptait, dit-il, un cachet fort
léger puisqu’il ne s’agissait que d’adapter les partitions précédentes à la
nouvelle troupe. C’était aussi l’occasion d’y présenter Anna Girò. Mais les
événements vont tourner autrement…
La préparation du Demetrio de Johann Adolf Hasse201
Trois jours plus tard, le 29 décembre, une nouvelle lettre arrive chez
Guido Bentivoglio. Antonio Vivaldi est excédé. Ses conflits avec
l’imprésario de Ferrare, Giuseppe Maria Bollani, et avec l’agent théâtral
Daniele Lanzetti ont dépassé les bornes. Le Prêtre roux raconte comment il
a dû aller chercher la partition de l’Alessandro nelle Indie de Hasse chez
Michele Grimani, le propriétaire du théâtre San Giovanni Grisostomo, les
revirements incessants de Bollani, les frais de copie qu’il a dû supporter, la
peine qu’il éprouve à se faire rembourser…
Excellence
Les sentiments très distingués que V. E. exprime dans sa missive
révérée me montrent que vous ne m’avez pas oublié. Ce n’est qu’une
manifestation de votre bienveillance et un signe de votre générosité. Je
n’exprimerai pas plus longuement mon plaisir afin de ne pas vous
déranger davantage. Je vous prierai seulement de bien vouloir considérer
un petit problème qui m’arrive et que j’ai tenté le plus longtemps possible
de résoudre par moi-même.
Le révérend abbé Bollani s’est présenté chez moi à l’improviste et m’a
fait promettre de travailler à deux opéras, la Genevra (sic) et l’Olimpiade,
en réécrivant les récitatifs pour sa troupe, en échange de la modeste
somme de 6 sequins par opéra. De retour à Ferrare, celui-ci m’a harcelé
afin que je termine immédiatement la Genevra. J’ai adapté aussitôt
l’original et fait transcrire les partitions que j’envoie à V. E., comme
preuves ; celles d’[Elisabetta] Moro et du ténor sont encore en leurs
mains. Je n’avais pas encore terminé cette tâche que voilà un contre-
ordre : on me dit que les Cavaliers [de Ferrare] ne veulent plus la Genevra
mais le Demetrio. Je suis allé chercher la partition à Cà Grimani afin de la
faire copier et découvre que, parmi les six rôles, cinq devaient être
modifiés, car aucun des récitatifs ne convenait. Malgré tout (vous
remarquerez ma bonne volonté), je commence à réécrire tous les récitatifs.
Après avoir arrangé à la perfection le Demetrio, je fais copier les parties
des chanteurs et des instruments, j’ordonne à tous de les apprendre par
cœur, j’organise trois répétitions et conclus le tout comme il se doit. Il ne
pourrait être question de refaire un tel cadeau pour le deuxième opéra ! Je
dois vous informer que, outre les 6 sequins, je me suis entendu avec
Monsieur l’imprésario, pour qu’il finance toutes les copies des parties
vocales et instrumentales. Après tout cela, je l’informe que j’ai dépensé 50
lire pour les copies des partitions vocales et instrumentales de Genevra et
Demetrio, alors que l’imprésario avait calculé un coût de 30 lire pour un
seul opéra. Entre-temps, bien que j’aie envoyé une dizaine de rappels à
Bollani pour qu’il ordonne à ce Lanzetti de me verser les 20 lire restantes,
ce dernier a fait la sourde oreille. À la place, il m’a adressé plusieurs
lettres pour que je lui fasse parvenir l’Olimpiade. De mon côté, j’arrange,
ou plutôt j’abîme mon original en lui apportant des corrections. Je fais
copier, sous mes yeux, plusieurs rôles sans que celui-ci me l’ait demandé,
jugeant qu’il y a allait de son intérêt, vu la qualité de ces copistes [par
rapport à ceux de Lanzetti], et voilà un nouveau contre-ordre : il ne veut
plus l’Olimpiade, mais plutôt l’Alessandro nell’Indie. De plus, il a eu
l’idée ridicule de demander à S. E. Michele Grimani d’envoyer la partition
originale [de Hasse] à Ferrare afin que celle-ci y soit recopiée, chose
qu’un imprésario normal ne ferait jamais. S’agissant d’un original
précieux, je vous assure que, pour l’obtenir, il a fallu toute la pression dont
est capable M. Pietro Pasqualigo ; et à la seule condition que celle-ci soit
transcrite immédiatement par le copiste choisi par l’imprésario pour le
prix de trois sequins. L’original a donc été retranscrit et payé. Tous les
récitatifs ont été adaptés et sont prêts pour la copie. Mercredi, je n’avais
envoyé de Venise que les lettres. Puis j’ai décidé de me faire violence et
d’envoyer au moins le premier acte, qui m’a coûté quatre lire. Je l’ai fait
parvenir aussi à Madame Girò par l’intermédiaire de M. Bertelli, afin
d’épargner le coût de l’envoi. Je vous ai aussi expédié le second acte, puis,
mercredi, le troisième. M. l’imprésario voulait le faire arranger [à Ferrare]
pour épargner trois sequins sur la copie, ce que je n’ai pas permis. Par
conséquent M. l’imprésario me doit 6 sequins et 20 lire. Que V. E. juge si
j’ai démérité, après avoir arrangé quatre opéras au lieu de deux, réécrit
tous les récitatifs et avoir exécuté tout ce que demandait cet imprésario, en
en supportant les frais. Ce monsieur ne connaît pas son métier
d’imprésario et ne sait ni quand il faut dépenser, ni quand on peut
épargner. S’il avait réuni toute la troupe dans ma maison, d’abord il
n’aurait pas eu ce ténor [Giovanni Pupilla], ensuite, il aurait épargné 150
écus. Mais il a voulu rester fidèle à Lanzetti, qui n’a d’autre objectif que
de contenter la Becchera. Il a fait erreur, car Isola e Compagno ne
méritaient pas cet argent. Après Pâques, je serai en ce qui me concerne
engagé dans une entreprise importante, et à juste titre. Pardonnez-moi
pour ce long dérangement. Je demeure votre humble serviteur.
Antonio Vivaldi
Quelques jours plus tard, Guido Bentivoglio reçoit une lettre, datée du
9 janvier, de l’agent théâtral à Venise Daniele Lanzetti qui dit soutenir
Vivaldi dans sa démarche et affirme que le compositeur a en effet endossé
des frais supplémentaires. Toutefois, le 12 janvier… coup de théâtre ! Dans
une autre lettre à Bentivoglio, Lanzetti affirme que c’est sous la menace que
Vivaldi l’aurait contraint à écrire la missive précédente. Il retire donc tout
ce qu’il a écrit à Bentivoglio trois jours plus tôt208.
L’Alessandro nelle Indie n’en est pas moins représenté au Teatro
Bonacossi de Ferrare en janvier 1737. Le livret est dédié à l’épouse de
Guido Bentivoglio, Dona Licinia Martinengo Bentivoglio d’Aragona. La
musique est dite « De M. Johann Adolf Hasse dit le Saxon et d’autres
auteurs célèbres ». Comme pour le Demetrio, on ne conserve aucune
partition de cette représentation de Ferrare. Le livret ne comporte pas plus
de cinq arias de Vivaldi. Ont été intégrées à la partition originale de Hasse
plusieurs arias des Napolitains Domenico Sarro et Pergolèse. On y retrouve
par exemple l’aria de Sarro « L’onda che mormora », qui fut adaptée au
texte de l’aria « Non è dell’anima »209. Bien peu gratifiante, la tâche de
Vivaldi fut surtout d’adapter la partition vénitienne à la troupe engagée à
Ferrare : Anna Girò, qui reprend le rôle de Cleofide chanté à Venise par
Vittoria Tesi, ne reçoit que quatre arias ; Rosa Mancini, qui plaît tant à
Vivaldi, chante le rôle interprété à Venise par Margherita Giacomazzi
(Erissena), une artiste aux grandes capacités techniques qui, à Vérone, avait
repris des arias de Farinelli et qui avait aussi chanté dans la Griselda. Il
fallut aussi adapter le rôle masculin de Poro, qui avait été chanté à Venise
par le castrat Antonio Castori, pour Rosa Cardini ; la contralto Elisabetta
Moro reprit le rôle d’Alessandro conçu initialement pour le ténor Angelo
Amorevoli ; le ténor Giovanni Pupilli incarna quant à lui Gandarte (une
partie destinée au castrat soprano Lorenzo Saletti) ; la soprano Diamante
Gualandi reprit le rôle de Timagene, écrit par Hasse pour la contralto Anna
Caterina Della Parte.
Il Farnace, Trévise, 1737 (RV 711-F)
34
(printemps 1737)
Guido Bentivoglio répond deux jours plus tard une missive brève et
sèche, comme pour éteindre en Vivaldi tout espoir d’une nouvelle
collaboration :
Je me réjouis pour vous que votre opéra ait remporté un tel succès. Je
n’ai pas eu le plaisir d’y assister, étant occupé par celui de Bologne.
Sincèrement je ne vous encouragerai pas à mettre en scène cet opéra ici à
l’automne prochain ; les pronostics ne sont pas bons. En outre, je pense
que, l’automne prochain, je ne serai pas dans mon pays.
Pour l’autre requête, je ferai le nécessaire, autant qu’il m’est possible.
Je reste à votre disposition pour d’autres questions éventuelles.
Veuillez croire en toute mon attention.
PS. Je vous prie de transmettre mes salutations à Mesdames Paolina et
Nina Girò
Ferrare, le 5 mai 1737222.
Il n’y eut pas de reprise de cet opéra. Le Catone in Utica qui sera
représenté par la troupe de Pietro Mingotti à Graz, au théâtre du
Tummelplatz, au carnaval 1740, n’a rien à voir avec Vivaldi, même si Anna
Girò, qui chante cette saison-là à Graz, y interprète le rôle de Marzia223.
Catone in Utica est le dernier opéra créé par Antonio Vivaldi pour
Vérone. Il est aussi sa dernière collaboration avec l’Accademia
Filarmonica.
Le parlementaire bourguignon Charles de Brosses arrive à Vérone le
25 juillet 1739, c’est-à-dire seulement deux ans après cette représentation. Il
nous laisse un témoignage amusé sur le milieu des Académiciens, sur le
théâtre de Francesco Bibiena…
Cette ville, dit-il, a un amour décidé pour les antiques, et en contient un
assez bon nombre [….] Il faut visiter près de l’Adige les ruines d’une
ancienne naumachie ; mais ce qu’il y a de mieux en ce genre est le recueil
que vient de faire le marquis Scipion Maffei, au devant du théâtre
moderne. […. ] Le théâtre […] est un grand bâtiment qui se présente par
un beau péristyle d’ordre ionique, il n’y a que cela de bon. Au-dessus on a
élevé le buste du marquis Maffei, quoique vivant. […] L’intérieur du
théâtre est composé d’une quantité de salles peu jolies, où l’on tient tous
les jours la conversation, les académies des beaux-esprits, etc. Cette
académie s’assemble fort rarement : on la nomme des Philarmoniques.
Son institution avait pour but de renouveler la musique ancienne. Les
académiciens devaient savoir jouer du barbitus [sic], de la cithare et du
sistre ; mais, comme beaucoup d’autres académiciens, ils ne font rien de
ce qu’ils devraient faire ; de sorte que je fus frustré de l’espérance que
j’avais conçue de voir exécuter une cantate dont les paroles seraient de
Pindare et la musique de Timothée… (lettre XII à M. de Blancey).
Plus loin, Brosses ajoute « On trouve aussi dans le même palais de
l’académie le théâtre effectif de l’Opéra, qui ne vaut pas celui de Mantoue,
mais plus beau cependant qu’aucun qui soit en France224. »
35
Je pense que V. E. a déjà été informée de tout par M. Picchij. Ses
propositions sont ridicules. S’il avait été possible d’engager des musiciens
et des danseurs à un prix moindre, croyez-moi, je les aurais déjà engagés
moi-même. Je peux vous assurer que si ces compagnies avaient été
formées par d’autres que par moi-même, elles auraient couté 24 mille lire
au lieu de 15.
J’ai réfléchi jusqu’à maintenant avant de prendre une décision, mais
j’estime que, même si le temps a cherché à me prendre à la gorge, je ne
peux non plus trahir les autres, car j’ai des musiciens jusqu’à Rome. La
raison principale de ma requête auprès de vous était de me mettre à votre
service. Ainsi je supplie V. E. de ne pas m’en tenir rigueur et de croire
que, en tous temps et lieux, je ferai de mon mieux pour vous exprimer
mon obéissance et ma vénération.
PS – Je n’ai pas le temps de répondre. Après avoir écrit toutes les
lettres, j’ai pensé faire appel à un coursier pour un coût de 9 sequins, car je
voulais attendre les décisions de Ferrare jusqu’à mercredi matin. Picchij se
trompe grandement concernant les dépenses ; je prie donc V. E. de se faire
lire ma lettre et de pardonner mon audace.
Antonio Vivaldi
Apothéose et déclin
36
(Carnaval 1738)
Le livret et la musique
Le 19 février 1738 est le mercredi des Cendres. Les théâtres ont fermé
leurs portes. Comme ils s’étaient masqués, la veille, pour se rendre à
l’opéra, les Vénitiens se couvrent de cendres et font pénitence, avec le
même fanatisme (écrit l’abbé Antonio Conti dans l’une de ses lettres à
madame de Caylus).
Antonio Vivaldi pour sa part règle ses affaires. Il signe une procuration
en faveur de Giuseppe Tonini, qui lui a servi de prête-nom pour la gestion
du théâtre, autorisant celui-ci à relever le loyer des loges ; le document
(partiellement illisible) est signé dans la maison de Tonini, « dans le
quartier de S. Angelo » :
Le Révérend D. Antonio Vivaldi (fils de Giovanni Battista) qui a dirigé
le Théâtre S. Angelo, dans cette ville, au carnaval passé, spontanément et
de la meilleure façon […] a convenu avec son Procurateur et commis,
monsieur Giuseppe Tonini (fils de Giuliano), ici présent, accepte et donne
pouvoir au dit monsieur, de relever et d’exiger de tout loueur de loges
dans le dit Théâtre les loyers, selon la location […] et cession faite par les
Nobles copropriétaires du susdit théâtre dont M. le Lieutenant Cesare
Garganti avait été l’ imprésario l’automne passé […]11.
Ce même 19 février, Vivaldi engage une poursuite contre l’un des
danseurs, Pietro Sodi (ce chorégraphe se produira à Londres et à Paris ; en
1757 il apparaît avec le titre de « premier danseur et maître de danse des
petits appartements du Roi de France »). Avec une certaine légèreté, ce
même Sodi s’était absenté à plusieurs reprises durant les représentations de
l’Armida. Voici comment Vivaldi explique l’affaire :
Il avait été convenu entre vous, Pietro Sodi, et moi-même, Antonio
Vivaldi, imprésario du Théâtre S. Angelo, que vous deviez danser dans
tous les opéras qui seraient représentés dans le dit théâtre au prochain
Carnaval, avec l’obligation contractuelle d’être préent à toutes les
répétitions et représentations. Dimanche passé, le 16 courant, toute la
journée, vous vous êtes promené, et même au pas de course, dans les rues
et sur les places. Le soir, vous vous êtes présenté au théâtre ; fini le
premier ballet, à l’improviste, vous avez quitté le susdit théâtre en
prétendant que vous vous étiez blessé à une jambe et que vous alliez
rentrer chez vous (où vous étiez supposé vous mettre au lit). Il s’est avéré
qu’au contraire vous étiez gaiement en bonne compagnie ; vous êtes allé
au théâtre San Giovanni Grisostomo, et n’êtes rentré chez vous qu’à la fin
de l’opéra, tout cela pour votre bon plaisir, et sans aucune forme de
douleur. Le soir suivant, c’est-à-dire le lundi, vous êtes venu danser avec
les autres, mais vous êtes reparti au pas de deux, qui est le ballet le plus
important de l’opéra, suscitant l’émotion générale et le scandale. Tout cela
sous les yeux de nombreux témoins. Aussi, en raison de ces absences
multipliées, sans raison valable ni justification, par la présente poursuite,
écrite, (je demande) le dédommagement des pertes subies pour ces deux
soirées et plus spécialement le lundi, cela en fonction de la liquidation qui
devait se faire, sans aucun préjudice, mais au contraire avec une expresse
réserve pour chacune de mes démarches, et à bon droit12.
37
L’échec de Ferrare
Suite et fin
(1738-1739)
Le livret est dédié au cardinal Agapito Mosca. Les décors sont réalisés
par « Il Sig. Antonio Mauri » (qui est aussi, sous forme de prête-nom,
l’imprésario de la saison) et par d’autres « peintres célèbres » ; les
costumes, par Pietro Nazzari, de Mantoue. Cette fois, Vivaldi ne porte plus
son titre de maître des concerts à la Pietà ; sur le livret, il est cité seulement
en tant que maître de chapelle du (nouveau) grand-duc de Toscane.
De la compagnie de chanteurs qui avaient représenté Il Siroe à Ancône,
l’été précédent, il ne reste qu’Anna Girò, dans le rôle travesti
d’Idaspe/Emira. Siroe est incarné par le castrat Geremia Dalsette « Virtuose
de S. E. l’Ambassadeur d’Espagne à Venise », que Vivaldi avait
auditionné ; Cosroe par Domenico Negri ; Anna Cosimi est Laodice ;
Arasse, le ténor de Ferrare Michele Caselli qui, au clavecin, fait répéter les
chanteurs à Venise.
Plus qu’une reprise, cette version du Siroe re di Persia est plutôt un
pastiche ; des éléments ne sont pas de Vivaldi. Anna reprend certainement
quelques arias chantées dans des opéras précédents ; mais on ne réussit pas
à les retrouver dans les œuvres passées de Vivaldi. Par exemple « Va tra le
selve ircane » (acte III) : le texte provient de l’Artaserse de Metastasio,
tandis que la musique est peut-être extraite de la partition de Leonardo
Vinci, ou de celle de Johann AdolfAdolf Hasse. Le style de Metastasio est-
il toujours respecté par Vivaldi ? se demande Reinhard Strohm. Seuls les
récitatifs gardent leur intégrité, mais les arias intégrées ne correspondent
guère au style du poète, pourtant si soucieux de la transmission de ses
drames22.
Les malchanceux qui ne sont pas soutenus par des mécènes de qualité
ne peuvent que sombrer dans le désespoir. C’est dans cet état pitoyable
que je me trouverais, en effet, si je n’étais assuré de votre aide, vous, mon
généreux et ancien protecteur. L’estime dont je jouissais à Ferrare est
tombée si bas qu’on me refuse désormais de mettre en scène comme
second opéra Il Farnace, qui, selon mon contrat avec Mauro, fut
entièrement révisé pour cette compagnie. Mon crime le plus grand,
d’après eux, serait que mes récitatifs sont abjects. Étant donné ma
notoriété et ma réputation, répandues dans toute l’Europe, et après avoir
composé 94 opéras, je ne peux souffrir un tel outrage. Tout ce que j’ai
l’honneur de vous confier ici sont des vérités absolues.
Vu les relations que j’avais eues avec lui dans le passé, je savais que
Beretta n’était pas en mesure de tenir le premier clavecin ; mais
M. Acciaiol [chanteur de Ferrare] m’avait assuré qu’il était un excellent
virtuose et un homme correct. Par la suite, j’ai constaté qu’il était un
incapable vaniteux. Dès les premières répétitions, je me suis rendu compte
qu’il n’avait pas les qualités pour accompagner les récitatifs. Ensuite, il a
eu l’audace et la malice de modifier mes récitatifs pour les adapter à ses
capacités ; outre le fait qu’il ne savait pas les jouer, il les a lui-même
corrigés ; ceux-ci sont donc devenus mauvais. Pourtant, ces mêmes
récitatifs avaient déjà été joués à Ancône, avec les mêmes notes, et vous
savez qu’ils y ont reçu un accueil chaleureux, et que ce sont les scènes qui
contenaient justement ces récitatifs qui ont été les plus applaudies.
Joués à Venise lors des répétitions par Michielino [Michele Caselli],
deuxième ténor de Ferrare, ceux-ci convenaient à merveille. Et si on
prenait la peine de les écouter en privé, joués par Michielino, on verrait
s’ils sont bons ou mauvais. Il faut dire que mon « original » ne supporte
pas qu’on change une seule note, ni par un trait de plume, ni par un
grattage au couteau, car tout ce qui est écrit fut réalisé par cet habile
virtuose.
Excellence, je suis désespéré et ne peux admettre qu’un tel ignorant
fonde sa gloire sur la destruction de mon pauvre nom. Je vous supplie de
ne pas m’abandonner, car, je vous en fais serment, sans protection, je peux
être capable du pire pour défendre ma réputation ; qui offense mon
honneur porte atteinte à ma vie.
La seule consolation qui me reste dans cette situation est votre
inestimable patronage. En vous exprimant mes hommages, avec les larmes
aux yeux, je vous prie […].
[P. S.] Tout ceci est dû au fait que je ne sois pas personnellement
présent à Ferrare et que Monseigneur le Commissaire ait voulu
absolument croire en cet imprésario.
Antonio Vivaldi
38
L’adieu à Venise
(mai 1739-mai 1740)
Antonio Vivaldi ne quitte plus guère sa ville natale. Pourtant, rien ne l’y
retient : pas de nouvelle création pour le théâtre Sant’Angelo ; Anna Girò,
quant à elle, est partie pour Graz, où elle chante dans la troupe de Pietro
Mingotti. En ce qui concerne la Pietà, il n’y sera pas réélu en 1738, et pas
plus l’année suivante. Giovanni Porta, le maître de chœur, avait quitté
Venise pour un poste plus intéressant à la cour de Munich. Sans directeur,
les députés s’étaient décidés à acheter ponctuellement des œuvres à des
compositeurs extérieurs. Dans le Quaderno cassa (livre comptable) de
l’institution de charité, apparaissent ces années-là plusieurs paiements à des
compositeurs. Il apparaît que la Pietà rétribue aussi deux maestre di coro
(maîtresses de chœur) pour des œuvres musicales, sans fournir plus de
précisions34… Les filles du chœur étaient-elles donc en mesure de
composer ? On sait qu’il était autrefois strictement interdit aux filles des
ospedali d’écrire de la musique. Il semble cependant qu’au moins sept filles
de la Pietà (Vicenta da Ponte, Agata, Geltruda, Giulia, Michielina, Sanza,
Teresa Orsini et Maria Verger, une jeune fille payante venue de Dresde), ont
été compositrices35. Le cas de Lavinia, appelée Lavinia della Pietà (notée
dans les registres de la Pietà comme Figlia della Casa, Scaffetta n° 3134),
est bien documenté, même si un peu exceptionnel. Avant d’être accueillie à
la Pietà, Lavinia avait vécu pendant sept ans à l’hospice des Mendicanti où
elle avait été l’élève de Giovanni Legrenzi. En raison de sa mauvaise santé,
la jeune fille fut prise en charge par la famille du patricien Christoforo
Minotto, qui lui offrit la possibilité de développer son art, grâce à des
professeurs privés. Lavinia étudia ainsi le théorbe, l’orgue, l’ornementation
et la composition. Musicienne et compositrice accomplie, elle revint à la
Pietà, comme enseignante, tout en continuant à habiter dans la famille
Minotto. La jeune fille cessa ses activités musicales le jour de son mariage ;
elle aurait reçu une dot digne d’une patricienne. Anna Banti publia en 1951
un joli roman, Lavinia fuggita (Lavinia disparue), inspiré du personnage
historique. En cachette, la Lavinia d’Anna Banti compose plusieurs œuvres
musicales sur le modèle de son maître Antonio Vivaldi, musique qu’elle
glisse subrepticement parmi les partitions du Prêtre roux, et qu’elle fait
exécuter par ses compagnes, avec la peur d’être durement punie…
Parmi les maîtres payés ponctuellement pour des œuvres sacrées,
apparaît, à la date du 14 avril 1739, le nom d’un certain « D° Ant° Viviani »,
qui reçoit 72 lire et 12 soldi (= 21 sequins), pour « Six psaumes avec
antiennes et six motets ». Le nom de Viviani correspond certainement à
Vivaldi ; l’orthographe des noms étant souvent écorchée dans les registres
de la Pietà. Le mois suivant, le 27 mai, figure un autre versement à : « D°
Ant° » (certainement Dominio Antonio Vivaldi), qui reçoit 50 lire (= 14
sequins) pour 5 motets et 9 « Concertos et sonates »36. À défaut d’un poste
fixe, Antonio Vivaldi vend donc de la musique vocale sacrée à la Pietà, au
même titre qu’un musicien extérieur…
Michael Talbot a dessiné trois périodes dans le corpus de la musique
religieuse composée durant sa vie par Vivaldi, pour les filles de la Pietà,
ainsi que pour toutes sortes d’églises et circonstances37. La première
période se situe après le départ de Francesco Gasparini (1713-1717) ; la
seconde, approximativement dans les années 1720-1735 ; la troisième et
dernière période correspond à l’année 1739, date à laquelle Vivaldi n’a plus
de charge fixe, mais vend ponctuellement des lots de partitions à
l’institution de charité.
Quatre manuscrits musicaux sont actuellement datés de cette période
finale : trois psaumes pour les Vêpres : Beatus vir (RV 795) ; In exitu Israel
(RV 604), Confitebor tibi Domine (RV 789), et le cantique, Magnificat (RV
611)38.
Le Beatus vir (psaume 111) (RV 795) est une variante de RV 597.
L’effectif est de quatre solistes (SAAT – ou A ?), un chœur (SSATB),
cordes et bc. On a longtemps cru que cette œuvre n’était conservée que sous
forme fragmentaire, dans le fonds « Esposti », au Conservatoire
B. Marcello, à Venise. Puis Peter Ryom identifia un autre exemplaire,
complet celui-là, conservé à la Sächsische Landesbibliothek de Dresde ; le
manuscrit, qui provient de l’atelier du copiste Iseppo Baldan, avait été
catalogué sous le nom de Baldassare Galuppi39.
In exitu Israel (psaume 113) (RV 604), pour chœur (SATB), cordes et bc,
dont le manuscrit autographe est conservé à Turin40 ; d’autres fragments
sont dans le fonds « Esposti ».
On conserve un fragment du Confitebor tibi Domine (psaume 110) (RV
789) dans le fonds « Esposti » ; une partie de viola porte le nom de
« Crestina ».
Le Magnificat (RV 611), dont le manuscrit autographe est à Turin41, est
écrit pour deux solistes (SA), un chœur (SATB), cordes et bc. Plusieurs
versets sont communs avec le Magnificat (RV 610) qui se trouve dans le
même volume (« Giordano 35 ») ; on y lit les noms des filles : « Apollonia,
Bolognese ; Chiaretta, Ambrosina, Albetta » ; quelques fragments sont dans
le fonds « Esposti » ; Vivaldi a retravaillé sur le manuscrit du Magnificat
composé dans les années 1720-1735 (catalogué comme RV 610) et ajouté
cinq nouvelles arias pour les filles dont il connaissait très bien la voix, mais
dans un style qui correspond au goût des scènes d’opéra de cette période-là.
À l’occasion de cette révision, Apollonia reçoit un « Et exultavit » brillant ;
Maria Bolognese un « Quia respexit » pathétique ; Chiaretta un « Quia
fecit », plein de douceur ; Ambrosina, un « Esurientes » vif et agité, et
Albetta un « Sicut locutus est » andante et gracieux42.
Le Napolitain Gennaro d’Alessandro, maître de chœur
La sérénade offerte à Frédéric est intitulée Il Coro delle Muse (le chœur
des muses)64. Le texte, tout en allégories charmantes et conventionnelles,
est signé par Carlo Goldoni qui, à cette époque-là, dirige les théâtres
Grimani. Le procurateur Pietro Foscarini, l’un des gouverneurs de la Pietà,
avait conseillé au dramaturge vénitien de simplement réunir trois cantates
déjà écrites. Personne en effet ne se rendit compte du stratagème, pas même
Gennaro d’Alessandro ; « et moi – écrit non sans humour Goldoni – j’eus
une fois de plus la confirmation que l’homme fait tout ce qu’il veut, grâce à
son imagination et à sa patience65 ».
Il n’existe pas de livret de cette sérénade, mais le texte est reproduit dans
l’opuscule L’Adria festosa, qui fournit aussi les noms des muses
chanteuses : Clio (Apollonia), Euterpe (Maria la Bolognese), Talia
(Giulietta), Melpomena (Ambrosina), Terpsichore (Fortunata), Erato
(Chiaretta), Polinnia (Margherita), Urania (Teresa) et Calliope (Albetta),
plusieurs des filles dont les noms figurent dans le manuscrit du Magnificat
(RV 611), datant de 173966.
La musique de la sérénade, Il Coro delle Muse, composée comme il se
doit par le nouveau maître de chœur, Gennaro d’Alessandro, étant perdue,
on ne sait ce qu’elle valait. Son plus grand prix fut sans doute d’être
accompagnée par un festival de pièces instrumentales composées par le
vieil Antonio Vivaldi qui, une fois de plus, et comme il l’avait toujours fait
(par exemple lors du rude hiver 1708, lors de la visite de Frédéric IV, roi du
Danemark, et, plus récemment, pour Ferdinand Maria de Bavière), y était
allé de son talent de compositeur de concertos, et peut-être aussi de
violoniste (mais l’histoire ne le dit pas) pour divertir le jeune prince et sa
suite et donner de sa ville une impression encore brillante et fastueuse.
Dans son journal de bord, aujourd’hui conservé dans les archives de
Dresde, Friedrich note, dans un français maladroit :
[…] Le soir je fus à S. Polo, comme le jour précédent, et après que je
m’eus entretenu avec le R.P. et que nous ayons commencée une nouvelle
matière de notre philosophie, savoir celle des quatre premières qualités, je
me rendis à l’Opital de la Pietà où j’entendis une Cantate faite
expressément pour l’amour de moi. Il est vrai qu’elle réussit très bien,
mais ce qui rend cet Opital fameux ce sont les instruments de musique qui
sont vraiment excellents et d’autant plus rares qu’ils sont tous joués par
des filles, sans aucun homme. Le dernier concert des deux violons a été
fort joli67.
En ce printemps 1740, Vivaldi vient de fêter ses 62 ans. Il prépare son
départ vers l’Autriche. Dans cette perspective, il propose aux députés de la
Pietà un lot de partitions. Le 29 avril, ceux-ci délibèrent en ces termes :
Nous avons constaté que notre chœur a besoin de concertos, pour
l’orgue et pour d’autres instruments, afin de maintenir le chœur dans
l’estime dont il jouit. Il se trouve que le Rev. Vivaldi s’apprête à quitter
cette Dominante et qu’il dispose d’un certain nombre de concertos dont
nous pourrions faire l’acquisition. On convient donc que Messieurs les
Gouverneurs chargés de l’Église et du Chœur se consultent, afin de
décider s’il faut ou non en faire l’acquisition, pour une dépense
correspondant à un sequin par partition, (payés) par notre caisse, selon
l’usage72.
La proposition de Vivaldi est rejetée (4 « oui », 3 « non » et 3
abstentions). Toutefois, le 12 mai Vivaldi reçoit de la Pietà (outre le
paiement des pièces jouées le 21 mars déjà réglé trois jours plus tôt), la
somme de 70 ducats et 23 grossi (= 440 lire ou 20 sequins) pour la vente de
vingt concertos.
Le reçu de ce paiement constitue le dernier élément connu qui, dans les
livres comptables de la Pietà, concerne Antonio Vivaldi73.
À cette date, Friedrich Christian de Saxe préparait lui aussi son départ.
Le Sénat vénitien venait d’ordonner au provéditeur général de Palmanova76
de faire en sorte que le passage du prince à la frontière entre la Vénétie et
l’Autriche soit aisé et rapide77.
Le soir du 9 juin 1740, l’Académie Albrizzi (Accademia Albriziana)
avait exceptionnellement réouvert son casino, situé sur les Fondamente
Nuove, pour une fête magnifique donnée en hommage au prince de Saxe.
Les académiciens avaient organisé un concours de musique et de poésie, et
réalisé une mise en scène, toute à la gloire de Friedrich Christian. Là où la
gondole du prince devait accoster, on avait construit un arc de triomphe et
placé, de chaque côté, les statues de César et de Cicéron. Un escalier mobile
permettait de monter au premier étage, et de se rendre dans le hall de
l’Académie où l’on avait placé un trône sous un baldaquin. Le salon était
tout décoré d’allégories, d’emblèmes, de bustes de philosophes, de poètes et
de personnalités de l’Antiquité, qui côtoyaient les portraits et les médaillons
représentant des Vénitiens illustres. La maison entière était illuminée par
des torches et des objets en verres colorés. Toute la nuit durant, on fit de la
musique et l’on récita des vers… Mais cela fut fait en vain car, le matin
même du 9 juin, après les cinq mois passés à Venise, le prince et sa suite
avaient pris la route de Padoue. Ainsi, écrit Massimo Gemin, « sur les
Fondamente Nuove, tandis que la nuit tombait, et que le vent des
montagnes – 1740 fut l’année d’un froid polaire – plissait les ondes de la
lagune, et s’engouffrait dans les calli sombres du front nord de la ville, un
lieu oublié même par les cartographes, derrière les vitres tremblantes de
l’Académie Albrizzi, la fête se fit quand même, mais face à un trône
desert78 ». C’est ce même froid glacial qui emporta peut-être avec lui
Antonio Vivaldi… à moins que le Kurprinz qui, en ce début juin 1740, avait
repris la direction de Vienne, ait emmené, dans l’un des carosses qui
formaient son escorte, le génial Prêtre roux, comme autrefois les
ambassadeurs vénitiens avaient transporté avec eux le compositeur,
lorsqu’ils allèrent rencontrer l’empereur, à Trieste.
39
L’ultime résidence
Vienne
(février-juillet 1741)
Ces fonds reflètent les liens que Vivaldi entretenait avec ses mécènes, ses
commanditaires, ainsi qu’avec les musiciens qui furent ses amis et ses
élèves.
Dresde, la Sächsische Landesbibliothek
Après Turin, la Sächsische Landesbibliothek, à Dresde (D-Dl) conserve,
sous la cote « Mus. 2389 » la collection la plus importante de manuscrits
musicaux de Vivaldi. Le fonds se distingue aussi par la variété des œuvres
qu’il contient. Les manuscrits ont des origines diverses ; la majeure partie
d’entre eux proviennent de l’orchestre de la cour saxonne et de la chapelle
catholique de la cour (Katholische Hofkapelle). Les collections particulières
de Johann Georg Pisendel (1687-1755) et de Jan Dismas Zelenka (1679-
1745), instrumentale pour la première, vocale pour la seconde, furent
intégrées dans la bibliothèque musicale de la cour après la mort des deux
musiciens. Il s’y trouve des œuvres copiées par Pisendel à Venise en 1716-
1717 (parmi les œuvres les plus anciennes de Vivaldi qui nous sont
parvenues), mais aussi des copies datant des années 1730. Afin d’adapter
les compositions à l’orchestre de la cour de Dresde, Pisendel a souvent
ajouté des parties d’instruments à vent sur les manuscrits de Vivaldi, ce qui
rend l’authenticité de ces documents parfois problématique. Vivaldi lui-
même a envoyé des œuvres à Dresde, dont les manuscrits autographes sont
conservés à Turin. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux
manuscrits furent abîmés par une inondation, et sont devenus presque
illisibles.
Manchester, Henry Watson Music Library
La Henry Watson Music Library, département de la Central Public
Library, à Manchester (GB-Mp), conserve un recueil de douze sonates pour
violon de Vivaldi (MS 624.1 Vw 81), ainsi que vingt-quatre concertos en
treize livres, eux-mêmes formés de parties séparées (MS 580 Ct. 51) ; le
quatorzième volume est à Londres, à la Royal Music Library (British
Library). Elle est la troisième collection par ordre d’importance. Ce fonds
est très intéressant car il provient d’un seul collectionneur, le cardinal Pietro
Ottoboni.
Wiesentheid, Musiksammlung der Grafen von Schönborn-Wiesentheid
La collection musicale des comtes de Schönborn-Wiesentheid (D-Wd)
contient une quinzaine de pièces instrumentales attribuées à Vivaldi ; une
partie d’entre elles sont des pièces uniques ; quelques-unes sont
d’attribution douteuse comme le concerto pour violoncelle RV 415. Rudolf
Franz Erwein von Schönborn (1677-1754) était un passionné de musique et
il jouait du violoncelle. Il possédait un grand nombre de sonates et
concertos pour cet instrument. Dans sa collection, se trouvent huit concertos
pour violoncelle et un concerto pour violon et violoncelle. Les œuvres de
Vivaldi sont souvent des pièces assez précoces (on sait qu’il y avait des
œuvres de Vivaldi dans la bibliothèque des comtes de Schönborn avant
1710). Certaines furent envoyées par Vivaldi au comte ; d’autres furent
transcrites par le musicien Franz Horneck lors de son séjour à Venise en
1708-1709.
Vienne, la Österreichische Nationalbibliothek
La Österreichische Nationalbibliothek à Vienne (A-Wn) conserve le
précieux recueil autographe de douze concertos intitulé « La Cetra », qui
fut dédié par Vivaldi à l’empereur Charles VI, en 1728 (Ms 15.966). Ce
sont des parties séparées auxquelles il manque le violino principale. Dans la
collection Este, se trouve le concerto RV 382, inséré dans une anthologie
(E.M. 149). Le manuscrit porte une inscription, « del Sige.A.V. » (del Signor
Don Antonio Vivaldi), comme celles qui apparaissent sur les manuscrits
provenant de la Pietà.
Paris, Bibliothèque nationale de France (département de la Musique)
Dans l’ancien fonds du Conservatoire (F-Pc) se trouvent douze concertos
sans soliste, en parties séparées, copiés sans doute dans les années 1720
sous le contrôle du compositeur (Ac e4 346). Ces pièces furent peut-être
écrites pour un commanditaire français (on a pensé au comte de Gergy,
ambassadeur de France à Venise) car ils rendent hommage au style français.
Dans le fonds général (F-Pn), sont conservés un manuscrit de sonates pour
violoncelle (Vm7 6310), peut-être celui qui a servi à Le Clerc pour la
publication de son recueil vers 1740, ainsi que l’une des cinq sonates
autographes dédiées à Pisendel (RV 19) (Rés ms. 225), étrangement
détachée de la série conservée à Dresde, à la Sächsische Landesbibliothek.
Des extraits des opéras représentés à Rome, en 1723-1724, l’Ercole su’l
Termodonte et Il Giustino, sont conservés au sein de plusieurs recueils, dans
le fonds du Conservatoire (D.12 740 et D. 12 741) et dans le fonds général
(Vm7 7206 et Vm7 7694) ; des extraits de Tito Manlio dans le recueil
D.1226.
Prague, Národní Muzeum
Après la guerre, les collections qui venaient de différents monastères,
châteaux, églises de Bohême ont été transférées au Musée national de
Prague (CZ-Pnm). Les manuscrits de Vivaldi proviennent du monastère
cistercien de Osek, de la cathédrale San Vito, ainsi que de l’église de l’Ordo
Crucigerorum (Kreuzherren) de Prague. Le fonds est petit car il a subi de
nombreuses pertes, mais il est intéressant car il contient des œuvres sacrées
vocales qui datent des années 1713-1717, l’époque où Vivaldi avait
remplacé Gasparini. Ces manuscrits avaient été acquis par Balthasar Knapp,
secrétaire du comte Stephan Kinsky, qui vécut longtemps en Italie. En
1717, il vendit de nombreux manuscrits à Johann Christoph Gayer, maître
de chœur à la cathédrale San Vito ; à la mort de Gayer, ses manuscrits
allèrent à l’église de l’ordre des Kreuzherren. Les archives des Kreuzherren
contiennent aussi un Dixit Dominus (RV 595) et un Laudate pueri (RV
600). Il est difficile de déterminer la provenance du manuscrit du
Magnificat (RV 610b), qui se trouvait originellement au monastère d’Osek
(Ossegg-Archiv).
Lund, Universitetsbiblioteket
La Universitetsbiblioteket de Lund, en Suède(S-L), possède plusieurs
manuscrits dits de Vivaldi dont l’attribution est souvent douteuse. La sonate
pour deux violons et basse continue (RV 74) et celle pour deux hautbois et
basse continue (RV 81) semblent authentiques.
D’autres manuscrits de Vivaldi se trouvent dispersés dans diverses
bibliothèques de Schwerin, Varsovie, Stockholm, Berlin, Naples …
Les catalogues
Bibliothèques
Revues
I Recueils imprimés
A/ Cantates et sérénades
B/ Chronologie des opéras
Recueils imprimés
Opus 1
Opus 2
Opus 3
Opus 4
Opus 5
Opus 7
Opus 8
Opus 9
Titre : La Cetra
Pièces : Onze concertos pour violino principale, cordes et continuo ; un
concerto (n° 9) pour deux violons obligés, cordes et continuo
Éditeur, date : Amsterdam, Le Cène, [1727]
Dédicace : Carlo VI
Contenu : (RV) Libro I 181a, 345, 334, 263a, 358, 348 ; Libro II 359,
238, 530, 300, 198a, 391
Opus 10
Opus 11
Opus 12
[Opus 14 ?]
II
RV 38 Ré mineur ; perdu
RV 39 Mib
RV 40 Mi mineur ; Opus 14, n° 5
RV 41 Fa majeur ; Opus 14, n° 2
RV 42 Sol mineur
RV 43 La mineur ; Opus 14, n° 3
RV 44 La mineur
RV 45 Sib ; Opus 14, n° 4
RV 46 Sib ; Opus 14, n° 6
RV 47 Sib ; adapté de RV 17a ; Opus 14, n° 1
RV 54/ Anh. 95 Do majeur ; musette, vielle, fl, hb, vl, bc ; Opus 13,
n° 1 ; attribution douteuse
RV 55/ Anh. 95 Do majeur ; musette, vielle, fl, hb, vl, bc ; Opus 13,
n° 5 ; attribution douteuse
RV 56/ Anh. 95 Do majeur ; musette, vielle, fl, hb, vl, bc ; Opus 13,
n° 2 ; attribution douteuse
RV 57/ Anh. 95 Sol majeur ; musette, vielle, fl, hb, vl, bc ; Opus 13,
n° 3 ; attribution douteuse
RV 58/ Anh. 95 Sol mineur ; musette, vielle, fl, hb, vl, bc ; Opus 13,
n° 6 ; attribution douteuse
RV 59/ Anh. 95 La majeur ; musette, vielle, fl, hb, vl, bc ; Opus 13,
n° 4 ; attribution douteuse
RV 60 Do majeur ; 2 vl, bc
RV 61 Do majeur ; 2 vl, bc ; Opus 1, n° 3
RV 62 Ré majeur ; 2 vl, bc ; Opus 1, n° 6
RV 63 Ré mineur ; 2 vl, bc ; Opus 1, n° 12 ; La Follia
RV 64 Ré mineur, 2 vl, bc ; Opus 1, n° 8
RV 65 Mi bémol majeur ; 2 vl, bc ; Opus 1, n° 7
RV 66 Mi majeur ; 2 vl, bc ; Opus 1, n° 4
RV 67 Mi mineur, 2 vl, bc ; Opus 1, n° 2
RV 68 Fa majeur, 2 vl, bc (peut se jouer sans bc)
RV 69 Fa majeur, 2 vl ; bc ; Opus 1, n° 5
RV 70 Fa majeur ; 2 vl, bc (peut se jouer sans bc)
RV 71 Sol majeur ; 2 vl, bc (peut se jouer sans bc)
RV 72 Sol mineur, 2 vl, bc ; Opus 5, n° 6
RV 73 Sol mineur, 2 vl, bc ; Opus 1, n° 1
RV 74 Sol mineur, 2 vl, bc
RV 75 La majeur ; 2 vl, bc ; Opus 1, n° 9
RV 76 Si bémol majeur ; 2 vl, bc ; Opus 5, n° 5
RV 77 Si bémol majeur ; 2 vl, bc (peut se jouer sans bc)
RV 78 Si bémol majeur ; 2 vl, bc ; Opus 1, n° 10
RV 79 Si mineur, 2 vl, bc ; Opus 1, n° 11
RV 170 Do majeur
RV 171 Do majeur
RV 172 Do majeur ; dédicace : Con.to facto p Mr Pisende[l]
RV 172a Do majeur ; 1er et 2e mvts = RV 172 ; 3e mvt d’un concerto de
C. Tessarini ; incomplet
RV 173 Do majeur ; Opus 12, n° 4
RV 174 Do majeur ; perdu
RV 175 / Anh. 104 Do majeur
RV 176 Do majeur
RV 177 Do majeur
RV 178 Do majeur ; l’original probablement écrit pour hb (voir RV
449) ; Opus 8, n° 12
RV 179 Do majeur : imprimé dans VI Concerti a 5 stromenti, n° 3
(Amsterdam 1736) (voir RV 581).
RV 179a Do majeur ; incomplet ; 3e mvt différent de RV 179 ; Concerto
Per S.ra Anna Maria (I-Vc)
RV 180 Do majeur ; Opus 8, n° 6 ; Il Piacere
RV 181 Do majeur
RV 181a Do majeur ; 3e mvt = RV 183 ; Opus 9, n° 1
RV 182 Do majeur
RV 183 Do majeur ; 3e mvt = RV 181a
RV 184 Do majeur ; hb ( ?), cordes, bc
RV 185 Do majeur ; 4e mvt pour cordes, 2 vl, vlc soli
RV 186 Do majeur
RV 187 Do majeur
RV 188 Do majeur ; Opus 7, vol. 1, n° 2
RV 189 Do majeur ; imprimé dans VI Concerti a cinque stromenti n° 1
(Amsterdam 1735)
RV 190 Do majeur
RV 191 Do majeur
RV 192 Do majeur ; Sinfonia, 2 vl soli dans le 1er mvt
RV 192a Do majeur ; Sinfonia, 2 vl soli dans le 1er mvt ; 3e mvt différent
de RV 192
RV 193 Do majeur ; perdu
RV 194 Do majeur
RV 195 Do majeur ; imprimé dans VI Concerts à 5 & 6 instrumens n° 6
(Amsterdam 1716)
RV 196 Do mineur ; Opus 4, n° 10
RV 197 Do mineur
RV 198 Do mineur
RV 198a Do mineur ; Opus 9, n° 11 ; 2e mvt différent de RV 198
RV 199 Do mineur ; Il sospetto
RV 200 Do mineur ; perdu
RV 201 Do mineur
RV 202 Do mineur ; Opus 11, n° 5
RV 203 Ré majeur ; incomplet
RV 204 Ré majeur ; Opus 4, n° 11 ; 2 vl soli dans le 1er mvt
RV 205 Ré majeur ; 2e mvt = 212 ; dédicace Concerto facto p Mo.r P
RV 206 Ré majeur
RV 207 Ré majeur
RV 208 Ré majeur ; Grosso Mogul ; cadence publiée par M. Grattoni
(Udine, éditions Pizzicato)
RV 208a Ré majeur ; Opus 7, livre 2, n° 5 ; 2e mvt différent de RV 208 ;
1er et 3e mvts sans cadence ; transcription Bach BWV 594.
RV 209 Ré majeur
RV 210 Ré majeur ; Opus 8, n° 11
RV 211 Ré majeur
RV 212 Ré majeur ; v, (2 hb), cordes, bc ; Concerto fatto per la Solennità
della S. Lingua di S. Antonio in Padova 1712 ; incomplet
RV 213 Ré majeur
RV 213a Ré majeur ; 3e mvt différent de RV 213 ; Concerto Per la Sig.ra
Anna Maria (I-Vc)
RV 214 Ré majeur ; Opus 7, livre 2, n° 6 ; originellement attribué à
D. Gallo
RV 215 Ré majeur
RV 216 Ré majeur ; Opus 6, n° 4
RV 217 Ré majeur
RV 218 Ré majeur
RV 219 Ré majeur
RV 220 Ré majeur ; imprimé dans Concerti a cinque, n° 6 (Amsterdam
1717)
RV 221 Ré majeur ; violino in tromba [marina], cordes, bc
RV 222 Ré majeur
RV 223 voir RV 762
RV 224 Ré majeur
RV 224a ; 2e mvt différent de RV 224 ; voir RV 772
RV 225 Ré majeur
RV 226 Ré majeur
RV 227 Ré majeur
RV 228 Ré majeur
RV 229 Ré majeur ; voir RV 755
RV 230 Ré majeur ; Opus 3, n° 9, transcription Bach BWW 972
RV 231 Ré majeur
RV 232 Ré majeur
RV 233 Ré majeur
RV 234 Ré majeur ; L’inquietudine Con.to
RV 235 Ré mineur
RV 236 Ré mineur ; pour hb = RV 454 ; Opus 8, n° 9
RV 237 Ré mineur
RV 238 Ré mineur ; Opus 9 n° 8
RV 239 Ré mineur ; Opus 6, n° 6
RV 240 Ré mineur
RV 241 Ré mineur
RV 242 Ré mineur ; Opus 8, n° 7 ; 2e mvt = RV 101 ; dédicace : Con.to
del Vivaldi facto p M : Pisend[e]l
RV 243 Ré mineur ; Con.to con Violino senza Cantin
RV 244 Ré mineur ; Opus 12, n° 2
RV 245 Ré mineur ; Concerto Originale del quale non vi è altra copia
(D-Dl)
RV 246 Ré mineur
RV 247 Ré mineur
RV 248 Ré mineur
RV 249 Ré mineur ; Opus 4, n° 8
RV 250 Mi bémol majeur
RV 251 Mi bémol majeur
RV 252 Mi bémol majeur
RV 253 Mi bémol majeur ; Opus 8, n° 5 ; La Tempesta di Mare
RV 254 Mi bémol majeur
RV 255 Mi bémol majeur ; Brno, catalogue Moraskvé Muzeum ; perdu
RV 256 Mi bémol majeur ; Il Ritiro
RV 257 Mi bémol majeur
RV 258 Mi bémol majeur
RV 259 Mi bémol majeur ; Opus 6, n° 2 ; Brno, catalogue Moraskvé
Muzeum
RV 260 Mi bémol majeur
RV 261 Mi bémol majeur ; 2 vl soli dans le 1er mvt
RV 262 Mi bémol majeur
RV 263 Mi majeur
RV 263a Mi majeur ; Opus 9, n° 4 ; 3e mvt différent de RV 263 (voir RV
762)
RV 264 Mi majeur
RV 265 Mi majeur ; Opus 3, n° 2 ; transcription Bach BWV 976
RV 266 Mi majeur
RV 267 Mi majeur
RV 267a Mi majeur ; 2e mvt différent de RV 267 ; Concerto Per Sig.ra
Anna Maria (I-Vc) ; incomplet
RV 268 Mi majeur
RV 269 Mi majeur ; Opus 8, n° 1 ; La primavera
RV 270 Mi majeur ; Il riposo Per il S. Natale
RV 271 Mi majeur ; L’amoroso
RV 272 / Anh. 64 et 64a Mi mineur ; attribué à J.A. Hasse
RV 273 Mi mineur ; Brno, catalogue Moraskvé Muzeum
RV 274/Anh. 106 Mi mineur ; attribution douteuse
RV 275 Mi mineur ; imprimé das Concerti a cinque, n° 12 (Amsterdam
1717)
RV 275a Mi mineur ; 2e mvt différent de RV 275 ; pour fl trav = RV 430 ;
attribution douteuse
RV 276 Mi mineur ; imprimé dans Concerti à 5, 6 & 7 instrumens, n° 1
(Amsterdam 1714)
RV 277 Mi mineur ; Opus 11, n° 2 ; Il favorito
RV 278 Mi mineur
RV 279 Mi mineur ; Opus 4, n° 2
RV 280 Mi mineur ; Opus 6, n° 5
RV 281 Mi mineur
RV 282 Fa majeur
RV 283 Fa majeur
RV 284 Fa majeur ; Opus 4, n° 9 ; 1er mvt = RV 285
RV 285 Fa majeur ; 1er mvt = RV 775 et 284
RV 285a Fa majeur ; Opus 7, livre 1, n° 5 ; 1er mvt différent de RV 285
RV 286 Fa majeur ; Conc.to p la Solennità di S. Lorenzo ; dédié à Anna
Maria (I-Vc) (copie avec interventions autogr. à GB-Mp)
RV 287 Fa majeur
RV 288 Fa majeur
RV 289 Fa majeur
RV 290 Fa majeur ; Brno, catalogue Moraskvé Muzeum ; perdu
RV 291 Fa majeur, Opus 4, n° 6 ; 2 mvt = RV 357
RV 292 Fa majeur (attribué à F. Chelleri « Giuseppe Cheleri »)
RV 293 Fa majeur ; Opus 8, n° 3 ; L’autunno
RV 294 Fa majeur ; 2e mvt = RV 22 ; Il ritiro
RV 294a Fa majeur ; Opus 7, livre 2, n° 4 ; 2e mvt différent de RV 294 ;
Il ritiro
RV 295 Fa majeur
RV 296 Fa majeur
RV 297 Fa mineur ; Opus 8, n° 4 ; L’inverno
RV 298 Sol majeur ; Opus 4, n° 12
RV 299 Sol majeur ; Opus 7, livre 2, n° 2 ; transcription Bach BWV 973
RV 300 Sol majeur ; Opus 9, n° 10
RV 301 Sol majeur ; Opus 4, n° 3
RV 302 Sol majeur ; attribué à G.B. Somis
RV 303 Sol majeur
RV 304 Sol majeur ; Brno, catalogue Moraskvé Muzeum ; perdu
RV 305 Sol majeur ; perdu
RV 306 Sol majeur
RV 307 Sol majeur
RV 308 Sol majeur ; Opus 11, n° 4 ; Concerto Per Sig.ra Anna Maria (I-
Vc)
RV 309 Sol majeur ; Il mare tempestoso ; Brno, catalogue Moraskvé
Muzeum, perdu
RV 310 Sol majeur ; transcription de Bach BWV 978 ; Opus 3, n° 3
RV 311 Sol majeur ; avec l’indication : violino in tomba [marina]
RV 312 Sol majeur
RV 313 Sol majeur ; avec l’indication : violino in tomba [marina]
RV 314 Sol majeur ; 2e mvt = RV 17a ; dédié à Pisendel
RV 314a Sol majeur ; 2e mvt différent de RV314
RV 315 Sol mineur ; Opus 8, n° 2 ; L’estate
RV 316 Sol mineur ; perdu
RV 316a Sol mineur ; Opus 4, n° 6
RV 317 Sol mineur ; Opus 12, n° 1
RV 318 Sol mineur ; Opus 6, n° 3
RV 319 Sol mineur
RV 320 Sol mineur ; incomplet
RV 321 Sol mineur
RV 322 Sol mineur ; incomplet
RV 323 Sol mineur
RV 324 Sol mineur ; Opus 6, n° 1
RV 325 Sol mineur
RV 326 Sol mineur ; Opus 7, livre 1, n° 3 ; 2e mvt = RV 370
RV 327 Sol mineur
RV 328 Sol mineur
RV 329 Sol mineur
RV 330 Sol mineur
RV 331 Sol mineur
RV 332 Sol mineur ; Opus 8, n° 8
RV 333 Sol mineur
RV 334 Sol mineur ; Opus 9, n° 3 ; voir RV 460
RV 335 La majeur ; en plusieurs versions ; The Cuckow ; voir aussi RV
518
RV 335a La majeur ; 2e mvt différent de RV 335 ; Il Rosignuolo
RV 336 La majeur ; Opus 11, n° 3
RV 337 La majeur ; Brno, catalogue Moraskvé Muzeum, perdu
RV 338 / Anh. 65 La majeur ; attribution douteuse (attribué à Joseph
Meck)
RV 339 La majeur
RV 340 La majeur
RV 341 La majeur ; imprimé dans VI Concerti a cinque stromenti, n° 4
(Amsterdam 1735)
RV 342 La majeur
RV 343 La majeur ; Concerto con Violini d’accordatura diversa
RV 344 La majeur
RV 345 La majeur ; Opus 9, n° 2
RV 346 La majeur
RV 347 La majeur ; Opus 4, n° 5
RV 348 La majeur ; Opus 9, n° 6
RV 349 La majeur
RV 350 La majeur
RV 351 La majeur
RV 352 La majeur
RV 353 La majeur
RV 354 La mineur, Opus 7, livre 1, n° 4
RV 355 / Anh. 107 (a) La mineur ; attribution douteuse
RV 356 La mineur ; Opus 3, n° 6
RV 357 La mineur ; Opus 4, n° 4 ; 2e mvt = RV 291
RV 358 La mineur ; Opus 9, n° 5 ; attribué à Piantanida
RV 359 Si bémol majeur ; Opus 9, n° 7
RV 360 Si bémol majeur ; incomplet
RV 361 Si bémol majeur ; Opus 12, n° 6
RV 362 Si bémol majeur ; Opus 8, n° 10, La caccia
RV 363 Si bémol majeur ; Il Corneto da Posta
RV 364 Si bémol majeur ; imprimé dans Concerti a cinque, n° 8
(Amsterdam 1717)
RV 364a Si bémol majeur ; imprimé dans L’Élite des Concerto Italiens,
n° 1 (Paris 1742-51) ; 2e mvt différent de RV 364
RV 365 Si bémol majeur
RV 366 Si bémol majeur ; Il Carbonelli
RV 367 Si bémol majeur ; Brno, catalogue Moraskvé Muzeum
RV 368 Si bémol majeur
RV 369 Si bémol majeur ; ajout d’un vl solo dans le 1er mvt et de 2 vl soli
dans le 2e mvt
RV 370 Si bémol majeur
RV 371 Si bémol majeur ; Brno, catalogue Moraskvé Muzeum
RV 372 Si bémol majeur
RV 372a Si bémol majeur ; 2e mvt différent de RV 372 ; Concerto Per
Sigra Chiaretta D.V. (I-Vc) ; incomplet ; classé comme RV 790
RV 373 Si bémol majeur ; Opus 7, livre 2, n° 3 ; attribution douteuse
RV 374 Si bémol majeur ; Opus 7, livre 1, n° 6
RV 375 Si bémol majeur
RV 376 Si bémol majeur
RV 377 Si bémol majeur
RV 378 Si bémol majeur ; incomplet
RV 379 Si bémol majeur ; Opus 12, n° 5 ; ajout d’un vl solo dans le 3e
mvt
RV 380 Si bémol majeur
RV 381 Si bémol majeur ; voir aussi RV 528 ; transcription de Bach
BWV 980
RV 382 Si bémol majeur ; del Sige D.A.V. [del Signor Don Antonio
Vivaldi]
RV 383 Si bémol majeur ; ajout d’un vl solo dans le 1er mvt
RV 383a Si bémol majeur ; Opus 4, n° 1 ; 1er mvt = RV381 ; transcription
de Bach BWV 980
RV 384 Si mineur
RV 385/Anh.108 Si mineur
RV 386 Si mineur
RV 387 Si mineur ; Concerto Per Sigra Anna Maria (I-Vc)
RV 388 Si mineur
RV 389 Si mineur
RV 390 Si mineur ; Brno, catalogue Moraskvé Muzeum
RV 391 Si mineur ; Opus 9, n° 12 ; ajout d’un vl solo dans le 1er mvt
RV 745 Si bémol majeur ; 3e mvt seul
RV 752 Ré majeur ; perdu
RV 761 Do mineur ; cordes (2 vl ; vl/alto), bc ; Amato bene
RV 762 Mi majeur ; identifié comme RV 223 ; 3e mvt = RV 263a : la
mineur, p Sa Anna Ma alla Pietà
RV 763 La majeur ; L’ottavina
RV 768 La majeur ; nouvelle version de RV 396 ; d’abord classé RV 744
RV 769 Ré mineur ; révision de RV 393
RV 770 Ré mineur ; révision de RV 395 ; identifié comme RV 395a
RV 771 Do mineur ; Concerto Per Sig.ra Anna Maria ; incomplet
RV 772 Ré majeur ; 2e mvt= RV 224a ; incomplet
RV 773 Fa majeur ; concerto Per Sig.ra Anna Maria ; incomplet
RV 792 La majeur ; incomplet
RV 794 Fa majeur ; incomplet
RV 392 Ré majeur
RV 393 Ré mineur ; allusion à Anna Maria dans le mot « AMore » ;
transcrit sans doute de RV 769 (pour violon)
RV 394 Ré mineur
RV 395 Ré mineur
RV 395a Ré mineur ; transcrit sans doute de RV 770 (pour violon)
RV 396 La majeur ; transcrit sans doute de RV 768 (pour violon)
RV 397 La mineur ; ajout de 2 vl et une vla soli dans le 2e mvt ; allusion
à Anna Maria dans le mot « AMor »
RV 398 Do majeur
RV 399 Do majeur
RV 400 Do majeur
RV 401 Do mineur
RV 402 Do mineur
RV 403 Ré majeur
RV 404 Ré majeur
RV 405 Ré mineur
RV 406 Ré mineur ; 1er mvt = concerto pour basson RV 481
RV 407 Ré mineur
RV 408 Mi bémol majeur
RV 409 Mi mineur
RV 410 Fa majeur
RV 411 Fa majeur
RV 412 Fa majeur
RV 413 Sol majeur
RV 414 Sol majeur ; voir aussi version pour fl trav RV 438
RV 415 Sol majeur ; attribution douteuse
RV 416 Sol mineur
RV 417 Sol mineur
RV 418 La mineur
RV 419 La mineur
RV 420 La mineur
RV 421 La mineur
RV 422 La mineur
RV 423 Si bémol majeur
RV 424 Si mineur
RV 787 Mi mineur ; Concerto Per violoncello Per Teresa D.V. (I-Vc) ;
incomplet
RV 788 Si bémol majeur ; Concerto Per violoncello Per Teresa D.V. ;
incomplet
RV 425 Do majeur
RV 466 Do majeur
RV 467 Do majeur
RV 468 Do majeur
RV 469 Do majeur
RV 470 Do majeur ; éléments communs avec RV 447 ; autre version
pour hb = RV 448
RV 471 Do majeur ; autre version pour hb = RV 450
RV 472 Do majeur
RV 473 Do majeur
RV 474 Do majeur
RV 475 Do majeur
RV 476 Do majeur
RV 477 Do majeur
RV 478 Do majeur
RV 479 Do majeur
RV 480 Do mineur
RV 481 Ré mineur ; le 1er mvt = RV 406
RV 482 Ré mineur ; incomplet
RV 483 Mi bémol majeur
RV 484 Mi mineur
RV 485 Fa majeur ; version pour hb = RV 457
RV 486 Fa majeur
RV 487 Fa majeur
RV 488 Fa majeur ; ajout de 2 vl soli dans le 1er mvt
RV 489 Fa majeur
RV 490 Fa majeur
RV 491 Fa majeur ; accord débutant le 2nd mvt dans RV 129, 587, 610 et
611
RV 492 Sol majeur
RV 493 Sol majeur
RV 494 Sol majeur
RV 495 Sol mineur
RV 496 Sol mineur ; dédicace : Ma : dè Morzin
RV 497 La mineur
RV 498 La mineur
RV 499 La mineur
RV 500 La mineur ; version pour hb = RV 463
RV 501 Si bémol majeur ; La notte
RV 502 Si bémol majeur
RV 503 Si bémol majeur
RV 504 Si bémol majeur
RV 505 Do majeur
RV 506 Do majeur
RV 507 Do majeur
RV 508 Do majeur
RV 509 Do mineur
RV 510 Do mineur
RV 511 Ré majeur
RV 512 Ré majeur
RV 513 Ré majeur ; imprimé dans VI Concerti a 5 stromenti n° 6
(Amsterdam, 1736)
RV 514 Ré mineur
RV 515 Mi bémol majeur
RV 516 Sol majeur ; 2e mvt = RV 71
RV 517 Sol mineur
RV 518 La majeur ; voir RV 335 ; attribution douteuse
RV 519 La majeur ; Opus 3, n° 5
RV 520 La majeur ; incomplet
RV 521 La majeur
RV 522 La mineur ; Opus 3, n° 8
RV 523 La mineur
RV 524 Si bémol majeur
RV 525 Si bémol majeur
RV 526 Si bémol majeur ; incomplet
RV 527 Si bémol majeur
RV 528 Si bémol majeur ; peut-être révision de RV 381
RV 529 Si bémol majeur
RV 530 Si bémol majeur ; Opus 9, n° 9
RV 764 Si bémol majeur
RV 765 Fa majeur
RV 774 Do majeur, vl, orgue, cordes, bc ; Concerto Per Sigra Anna Maria
con organo obligato D.V. (I-Vc) ; incomplet
RV 808 Do majeur, vl, org, cordes, bc ; incomplets ; classé comme Anh.
76 ; éléments communs avec d’autres concertos, surtout RV 114
RV 766 Do mineur ; vl, orgue, cordes, bc ; version pour 2 vl = RV 510
RV 540 Ré mineur ; viole d’amour, luth, cordes, bc
RV 541 Ré mineur ; vl, orgue, cordes, bc
RV 542 Fa majeur ; vl, orgue, cordes, bc
RV 543 Fa majeur ; vl, hb, cordes, bc ; des éléments thématiques
communs avec RV 139
RV 544 Fa majeur ; vl, vlc, cordes, bc ; Il Proteo ò sia il mondo al
rovescio ; autre version en RV 572 avec instruments différents
RV 767 Fa majeur ; vl, org, cordes, bc ; version avec 2 vl = RV 510
RV 775 Fa majeur ; vl, orgue, cordes, bc ; 1er mvt = RV 285 ; incomplet
RV 545 Sol majeur ; hb, bs, cordes, bc
RV 546 La majeur ; vl, vlc, cordes, bc ; repris en RV 780
RV 547 Si bémol majeur ; vl, vlc, cordes, bc
RV 548 Si bémol majeur ; vl, hb, cordes, bc ; version avec 2 vl = RV 764
RV 781 Ré majeur ; 2 trompettes (hb ?), cordes, bc ; vl, cordes, bc dans
le 2nd mvt ; classé aussi comme RV 563
RV 549 Ré majeur ; 4 vl, cordes, bc, solo vlc dans le 1er mvt ; Opus 3,
n° 1
RV 550 Mi mineur ; 4 vl, cordes, bc ; Opus 3, n° 4
RV 551 Fa majeur ; 3vl, cordes, bc
RV 552 La majeur ; vl, 3 vl en « écho », cordes et bc ; Concerto Con
violino Principale et altro Violino per eco in lontano
RV 553 Si bémol majeur ; 4 vl, cordes, bc
Motets
Introduzioni
Arias sacrées
RV 646, 647, 648 /Anh. 59 : arias extraites d’opéras de Vivaldi (Vedrai
nel volto di quella infelice de RV 700 ; Benché nasconda la serpe in seno
de RV 728 ; Son come farfalletta de RV 728) placées sur des textes latins
(arias parodiques) par un auteur non identifié, conservées à la Bibliothèque
universitaire de Varsovie.
Oratorios
II
Musique vocale profane
A/ Cantates et sérénades
Cantates
Sérénades