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En couverture 

Portrait anonyme d’un prêtre musicien


© Collection particulière
Couverture Josseline Rivière
© Librairie Arthème Fayard 2011
ISBN : 978-2-213-665795
Le Baroque ne renvoie pas à une essence, mais plutôt à une
fonction opératoire, à un trait. Il ne cesse de faire des plis. Il
n’invente pas la chose : il y a tous les plis venus d’Orient, les plis
grecs, romains, romans, gothiques, classiques… Mais il courbe et
recourbe les plis, les pousse à l’infini, pli sur pli, pli selon pli. Le
trait du Baroque, c’est le pli qui va à l’infini.
Gilles Deleuze, Le Pli, 1988
Table des matières

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Table des matières

Antonio Vivaldi, une renaissance

Première partie

VENISE (1703-1717)

I. Enfance et adolescence à Venise 1678-1703

  1. Campo de la Bragora (4 mars 1678)

 2. Prêtre et musicien (1693-1703)

II. Les débuts à l’hospice de la Pietà

3. Au cœur de l’assistance publique

4. Dans l’atelier de la Pietà (1704-1707)

5. Frédéric IV, roi du Danemark et de Norvège, à Venise (hiver


1708-1709)

6. La célèbre main de monsieur Estienne Roger (1711-1713)

III. Premiers opéras et premières compositions pour la Pietà (1713-


1717)

7. Les jardins de Vicence (mai-juin 1713)

8. Le théâtre Sant’Angelo De la folie furieuse à la folie feinte (1713-


1715)
9. Avec les filles du chœur (1713-1717)

10. Friedrich August de Saxe et Karl Albrecht de Bavière au


carnaval de Venise (1716-1717)

11. La victoire de Corfou (août-novembre 1716)

12. Johann Georg Pisendel De Dresde à Venise (1716-1717)

Deuxième partie

VOYAGES EN ITALIE MANTOUE, FLORENCE, MIAN, BRESCIA,


ROME (1718-1724)

I. En Lombardie dans l’ombre des Habsbourg (1718-1722)

13. La cour de Mantoue (1718)

14. Philipp de Hesse-Darmstadt Un projet de mariage annulé (1719)

15. Le décès de l’Impératrice douairière Suite du séjour à Mantoue


(1720)

16. Le Théâtre à la Mode Benedetto Marcello contre « Aldiviva »


(1720-1721)

17. L’anniversaire d’Élisabeth Christine, impératrice et reine


d’Espagne Milan (1721-1722)

II. Saisons romaines

18. Premier séjour romain (1723)

19. Au théâtre Capranica (carnaval 1724)

20. La collection musicale du cardinal Pietro Ottoboni conservée à


Manchester. Le fil d’une enquête

III. Retour à Venise (1725-1729)


21. Le théâtre de la nature (1725)

22. « L’Anna Maria dal Violino » Un amour secret du Prêtre roux ?

23. Vivaldi et la France

24. Une saison de carnaval et de nouveaux opéras (1725-1726)

25. Florence, Reggio, Venise (1727)

26. Le voyage à Trieste (1728)

Troisième partie

L’EUROPE ET L’ITALIE

27. Une colonie vénitienne à Prague Le théâtre de Franz Anton von


Sporck (1729-1731)

28. Pavie, Mantoue et Vérone L’inauguration du Teatro Filarmonico


(mai 1731-janvier 1732)

29. Du Mexique à l’ancienne Grèce (1732-1734)

30. Une saison à Vérone sur fond de tensions politiques (carnaval


1735)

31. Au théâtre San Samuele Avec Carlo Goldoni et Anna Girò


(Ascension 1735)

32. Luca Casimiro degli Albizzi imprésario du Teatro della Pergola à


Florence

33. Une correspondance avec Guido Bentivoglio d’Aragona à Ferrare


(carnaval 1737)

34. Le dernier séjour à Vérone (printemps 1737)

35. L’interdit du cardinal Tommaso Ruffo. Ferrare, automne 1737


Quatrième partie

APOTHÉOSE ET DÉCLIN

36. Trois opéras pour Anna Girò (Carnaval 1738)

37. L’échec de Ferrare Suite et fin (1738-1739)

38. L’adieu à Venise (mai 1739-mai 1740)

39. L’ultime résidence Vienne (février-juillet 1741)

L’héritage

Abréviations

Catalogue

Bibliographie

Index des noms


Index des compositions
Antonio Vivaldi, une renaissance
Crépuscules flamboyants à la Tiepolo. Ciels d’émeraude et d’améthyste à
la Giorgione, lorsque l’orage menace. Lumière bleue, rose, vert de grisée
qui rebondit sur les coupoles de San Marco, du Redentore et de San Giorgio
Maggiore, se réfracte sur la surface mouvante de la lagune puis jaillit sur les
marbres étincelants du palazzo ducale. Brouillard, où toute forme se
dissout. Cadence d’une rame sur un canal, clapotis de l’eau, écho d’une
voix dans une calle, grincement d’un volet qui se ferme dans le silence
profond de la nuit ou de l’hiver solitaire. Rythme du gondolier, du pas lent,
syncopé, lorsqu’on franchit, légèrement essoufflés, les marches des ponts ;
la même sensation d’épuisement, le même déhanchement que les premiers
coups d’archet, indécis, de « l’Hiver »… Aimerions-nous autant Venise s’il
n’y avait la musique de Vivaldi pour nous y conduire, plus sûrement que
tout autre moyen de transport, par terre et par air ? « Deux ou trois accords,
et on est immédiatement sur place, écrit Philippe Sollers  ; dans la lagune,
entre ciel et eau, dans la préparation des navires, en bateau. Tout évoque ici
le bois profilé et rapide, le violon volant, le lent détour flottant suspendu,
les cordes, les cordages, une sorte d’artisanat enflammé tenu par l’archet, la
main, les doigts, l’oreille infaillible, et puis groupe, varlope, copeaux,
coques bondissantes, éclats. Vivaldi est un dieu grec  » (Dictionnaire
amoureux de Venise, 2004).
Et que serait Vivaldi sans Venise ? Venise et Vivaldi, amalgamés l’un à
l’autre par autant de flux et de reflux de l’Adriatique  ; les innombrables
« acque alte  », qui ont fixé le sel, les algues et les coquillages sur le bois
des pilotis qui soutiennent la cité lacustre, ville poisson ou plutôt sirène, née
de l’eau saumâtre et de la boue  ; ville-luth, ville-Vénus, ville-femme.
L’étranger l’aime fougueusement, tel un amant qui ne pourra la posséder
que par moments, brefs et fulgurants, pour la regretter aussitôt après avoir
retrouvé son domicile parisien, le gris et la pluie qui sont sa véritable patrie.
Lorsque le désir renaît, il abandonne tout pour y courir, train ou avion, peu
importe, pourvu de passer le pont et de se jeter dans ses bras, pour s’y
oublier  : «  J’étais content de mourir devant la Douane de mer. J’étais
content surtout de mourir auprès de Marie. J’avais été vivant dans les bras
de Marie. C’est aussi dans ses bras que je suis devenu un mort. Elle est
restée longtemps avec moi au pied de la Douane de mer et j’avais, comme
avant, ma tête sur ses genoux. Des larmes coulaient de ses yeux que j’avais
tant aimés parce qu’ils étaient très bleus. Je ne bougeais pas. Je ne disais
rien. Je n’ai jamais dit grand-chose. Je ne disais plus rien. Je n’ai jamais dit
grand-chose. Je ne disais plus rien du tout. Elle baisait mes lèvres sans vie
qui ne répondaient plus et elle pleurait en silence. Moi, je n’étais plus nulle
part – ou peut-être déjà partout.  » (Jean d’Ormesson, La Douane de mer,
1993).
Une surface glacée de la carte postale où la place Saint-Marc est associée
invariablement à une envolée de pigeons et aux notes du Printemps. Des
images trop vues, trop consommées, devenues clichés, banalités, lieux
communs employés jusqu’à saturation par les organisateurs de voyages à
prix modeste, que chacun peut s’offrir pour une fin de semaine. Et Vivaldi
employé comme « musique d’ameublement » pour aéroports, supermarchés
et répondeurs téléphoniques. À force, il pourrait arriver qu’un jour on se
lasse, et que, finalement, on ne les aime plus.
 
Signé le 21  juillet 1718, le traité de Passarowitz marque la fin de
l’existence politique de la Sérénissime et sanctionne la perte de son empire
maritime. Sur la coupole de la Salute, la Vierge, « capitaine générale de la
mer  », contemple un royaume réduit à peau de chagrin. Devenue un État
neutre, la République ne compte plus dans les conflits que se livrent les
Habsbourg, la Pologne, la Saxe, la Bavière, la Russie… pour se partager
l’Europe. Entre deux guerres, les princes viennent passer le carnaval à
Venise et se divertissent en banquets, bals, théâtres d’opéras, chasses sur la
lagune, fêtes populaires et aristocratiques, dames et courtisanes. Les artistes
vendent leurs œuvres aux étrangers de passage  ; Rosalba Carriera ses
portraits au pastel, Canaletto ses vues de Venise, et Vivaldi des leçons de
violon et des concertos manuscrits, cherchant à en tirer le maximum. Les
artistes et les intellectuels s’exilent  : Antonio Caldara meurt à Vienne, en
1736. Au bout de ses forces, Giambattista Tiepolo s’éteint à Madrid, en
1770. Après avoir vécu longuement à Dresde et à Munich, Bernardo
Bellotto décède à Varsovie en 1780. Carlo Goldoni passe les trente
dernières années de sa vie à Paris, où il meurt en 1793. En 1798, Giacomo
Casanova s’éteint en Bohême, chez le comte Waldstein, où il vivait depuis
quinze ans, et Lorenzo da Ponte, le librettiste de Mozart, s’éteint à New
York en 1838. Quant à Vivaldi, s’il prétend vivre « presque toujours reclus à
la maison » et ne sortir « qu’en gondole ou en carrosse »… « étant chétif et
malade des poumons », il décèdera lui aussi à l’étranger, dans la capitale de
l’Empire, à Vienne, en juillet 1741.
 
Après 1725, les théâtres de Venise sont submergés par les musiciens et
les chanteurs originaires du sud de la péninsule, que les imprésarios
engagent à prix d’or. Le compositeur en lequel les Vénitiens se réfèrent en
tout et pour tout n’est pas un artiste du crû, mais Johann Adolph Hasse.
«  Le fameux Saxon est aujourd’hui l’homme fêté  », écrit Charles de
Brosses depuis Venise, en août 1739.
Venise ne croit plus ni en elle-même ni dans les siens. Après avoir
rencontré Vivaldi, le même Charles de Brosses constate  : «  J’ai trouvé à
mon grand étonnement qu’il n’est pas aussi estimé qu’il le mérite en ce
pays-ci… ». « Cet ecclésiastique, compositeur médiocre… », écrira encore,
beaucoup plus tard, à Paris, Goldoni, lorsqu’il évoquera le nom de son
compatriote.
 
Issu d’un milieu social modeste, il manqua à Vivaldi la reconnaissance
d’un prince ou celle d’une grande chapelle musicale. Ses mécènes étaient
nombreux, mais ils ne lui assurèrent qu’une protection instable, plus
honorifique qu’institutionnelle. Même la Pietà, où il fut par intermittence
maître de violon puis maître des concerts, ne lui offrit pas de véritable
stabilité. Artiste versatile, son image était difficile à cerner  : «  Ce très
célèbre joueur de violon, cet homme célèbre pour ses Sonates, surtout pour
celles intitulées les Quattro stagioni, composait aussi des opéras…  », dit
encore, vingt ans après la disparition du compositeur, le même Goldoni. Il
était prêtre (appelé partout le «  Prêtre roux  »), mais il ne célébrait pas la
messe et, qui plus est, voyageait accompagné de deux jeunes femmes, les
sœurs Girò. Il travaillait comme pédagogue et compositeur dans le milieu
clos d’un institut de charité, au milieu de jeunes filles recluses, tout en se
mêlant au milieu corrompu des théâtres où il fréquentait (d’après les
méchantes langues) une chanteuse d’opéra ! Extraordinaire violoniste, mais
aussi auteur de musique instrumentale, sacrée, de cantates, d’opéras.
Compositeur, mais aussi imprésario, qui n’engageait pas seulement les
chanteurs, mais aussi les danseurs. Originaire du petit peuple, se pliant aux
compliments les plus serviles, parfois obséquieux, et en même temps
toujours prêt à quelque algarade motivée par son orgueil et son
intransigeance. Il disait travailler le plus possible enfermé chez lui (« Tout
ce que je peux faire de bien, je le fais à la maison, à ma table  ») et il est
constamment par monts et par vaux. Sa prétendue sédentarité ne
l’empêchant d’ailleurs pas de fournir des concertos à une clientèle
prestigieuse, en Bavière, en Saxe, à Vienne…  : j’ai, déclare-t-il sans
modestie, «  le privilège de correspondre avec neuf grands Princes, et mes
lettres circulent dans toute l’Europe ».
 
S’il est vrai qu’au Settecento la Sérénissime cesse d’être une grande
puissance maritime, il n’est pas non plus exact de parler de véritable déclin
économique. Ayant perdu les territoires qu’ils gouvernaient dans le Levant,
les patriciens se retournent vers la terre ferme où ils dirigent de petites
industries, papier, cristal, lentilles de précision. Les Grimani, propriétaires
des deux plus prestigieux théâtres de Venise, sont parmi les plus riches
exploitants agricoles du territoire.
Dans les villes de la Vénétie, la vie intellectuelle est très active. Des
séminaires et des académies sont disséminés dans toute la région. On s’y
rencontre et l’on y mène des spéculations scientifiques, littéraires et
philosophiques. À Padoue par exemple, l’Université maintient un niveau
international, et l’académie des Ricoverati (pensionnaires) est fréquentée
par les musiciens de la chapelle musicale de la basilique Saint-Antoine, le
violoncelliste Antonio Vandini, le violoniste Giuseppe Tartini, le castrat
Gaetano Guadagni (qui crée le rôle d’Orfeo à Vienne, dans l’opéra de
Gluck). «  Vous rirez peut-être, écrit l’érudit vénitien Gasparo Gozzi en
1760, si je dis qu’à Venise, je vois en certains quelque chose de semblable à
l’âge d’or » (dans la Gazzetta veneta, n° 29).
 
Les musiciens qui n’ont pas de difficultés économiques restent à Venise :
les Pollarolo, père et fils, l’un et l’autre dans la chapelle musicale de Saint-
Marc  ; les frères Marcello, Alessandro et Benedetto, qui sont des
patriciens ; Tomaso Albinoni, le fils d’un industriel. S’ils partent pour des
séjours à l’étranger, les intellectuels et les artistes très souvent cherchent à
revenir chez eux : Rosalba Carriera après son séjour à Paris ; Canaletto qui,
après avoir vécu à Londres une quinzaine d’années, se réinstalle à Venise en
1755, où il décèdera en 1768  ; Baldassare Galuppi après avoir dirigé la
chapelle musicale impériale, à Saint-Pétersbourg. Disséminés en Europe,
les Vénitiens gardent leur identité. Dans la peinture comme dans la
musique, on reconnaît leur style entre tous et leur influence sur les artistes
autochtones n’est pas négligeable. Il suffit de se rappeler, en France
seulement, le modèle que représentent les peintres vénitiens sur Watteau et
Fragonard…
Venise, au Settecento, n’est pas une ville de province. Elle jouit d’un
immense prestige. Les princes en font leur résidence élective et y séjournent
de longs mois. Beaucoup disposent de leur propre palais, qui leur permet
d’y revenir à loisir. Certains, comme l’Electeur de Saxe à la Pietà, tiennent
même à soutenir financièrement certaines institutions de charité.
La biographie et l’œuvre de Vivaldi sont le reflet de toutes les
contradictions que vit ce lieu si particulier quelques décennies avant la
chute de la République, en 1797  ; un drame qui aurait pu être évité, qui
reste une blessure profonde dont les Vénitiens ne se sont jamais vraiment
consolés.
Vivaldi était un patriote. Il était fier d’être vénitien. C’était en tant que
Vénitien qu’il traitait avec les plus hauts princes d’Europe. On ne peut
vraiment comprendre ni aimer sa musique, sans comprendre et aimer
Venise, au risque de perdre de vue leur richesse, leur complexité, leur
profondeur et leur mystère.
 
À la fin du xviiie  siècle, comme tous les autres musiciens italiens de la
période baroque, Vivaldi tomba dans l’oubli. George Sand aimait à raconter
que, lorsqu’elle était petite fille, c’est-à-dire vers 1810, sa grand-mère lui
chantait des arias italiennes de Leonardo Leo, un répertoire que, désormais,
tout le monde ignorait. Lorsqu’il poursuivit son étude, sur la vie et sur
l’œuvre de Jean-Sébastien Bach (publiée à Leipzig en 1802), Johann
Nikolaus Forkel s’étonna de l’intérêt porté par le compositeur allemand à
Vivaldi. Les appréciations des musicologues du xixe  siècle furent
généralement dans la même veine, c’est-à-dire négatives ou indifférentes.
Les premiers concertos de Vivaldi joués et publiés furent ceux qui avaient
été transcrits par J.S. Bach, c’est-à-dire deux ou trois oeuvres puisées dans
L’Estro Armonico.
La découverte, dans les années 1926-1927, par le musicologue italien
Alberto Gentili, du très important fonds de manuscrits de Vivaldi qui se
trouvaient à Gênes, en possession de la famille Durazzo, permit la
renaissance de Vivaldi et de son œuvre musicale. Avec de nombreuses
difficultés, Gentili réussit à reconstituer la série des 27 volumes qui, par le
jeu des achats et des héritages, avaient été divisés en deux. Les volumes
réunis furent déposés à la Bibliothèque Universitaire de Turin, dans deux
fonds distincts, appelés « Foà » et « Giordano », du nom des mécènes qui
en permirent l’acquisition1.
La violoniste américaine Olga Rudge fut l’une des premières à se rendre
à Turin pour étudier les précieux manuscrits. En 1936, elle transcrivit les
partitions et réalisa un premier catalogue, tandis que son ami et futur
compagnon, le grand poète Ezra Pound faisait microfilmer un autre groupe
de manuscrits conservés à Dresde. Ensemble, ils rassemblèrent 400 à 500
œuvres, totalement inédites. Ils commencèrent à les jouer (Olga au violon) à
Rapallo, joli port de la Ligurie où l’auteur des Cantos habitait et où depuis
1933, il organisait déjà des concerts de musiques médiévales. En tant que
secrétaire de l’Accademia Musicale Chigiana, Olga Rudge organisa à
Sienne, du 16 au 21  septembre 1939, la Settimana Vivaldiana (semaine
vivaldienne), sous la direction du compositeur Alfredo Casella. Avec le
musicologue Sebastiano Luciani, elle forma le projet de fonder un centre
spécialisé sur Vivaldi, afin de promouvoir la recherche, l’édition et
l’exécution des œuvres du compositeur. En 1945, Mario Rinaldi publiait à
Rome l’un des premiers catalogues thématiques de l’œuvre de Vivaldi. Si
les initiatives furent ralenties par la Seconde Guerre mondiale, après la fin
des conflits naquit dans la jeunesse une envie de reconstruction du pays et
de retour aux sources. Finalement, ce furent les époux légitimes qui
rappelèrent à eux la muse et donnèrent aux différents projets l’impulsion
indispensable afin que soit véritablement organisée de façon méthodique la
redécouverte de Vivaldi et que ce compositeur acquiert la place qu’il mérite
dans l’histoire de la musique.
Lorsqu’ils apprirent la découverte des manuscrits de Vivaldi par Alberto
Gentili puis leur dépôt à la Bibliothèque nationale Turin, le jeune Antonio
Fanna, alors âgé de dix-neuf ans, et son ami, le musicien , l’un et l’autre de
Trévise, décidèrent de transcrire ces œuvres et de les faire éditer. Le
transport des documents ayant été jugé impossible, les deux jeunes gens se
présentèrent à Turin, munis d’un… appareil photo. Antonio Fanna se
souvient  : «  Le troisième acte voit les deux jeunes gens en question, qui
venaient d’apprendre par hasard, en 1946, l’existence des manuscrits de
Vivaldi à Turin, et qui eurent l’idée – un peu folle vu les temps qui
couraient, l’Italie se trouvant à demi détruite dans la guerre qui venait de se
terminer – de publier les oeuvres de Vivaldi. Ils se présentèrent à la
bibliothèque de Turin et, à leur grand étonnement, ne rencontrèrent aucune
difficulté pour photographier les manuscrits. Dans l’euphorie – et dans la
crainte que rapidement tout cela devienne moins facile-ils tirèrent le
premier jour 1 500 photographies. Mais les choses allèrent leur train et ainsi
naquirent les Archives photographiques de l’Institut Vivaldi. »
En 1947, l’Istituto Italiano Antonio Vivaldi trouva sa place dans la belle
villa de goût palladien d’Antonio Fanna, dans la région de Trévise, qui,
avec son grand parc, semble un lieu de rêve, pensé pour y représenter
l’Ottone in villa2. Ce n’est pas un opéra qu’on y joua : à partir des clichés,
une petite équipe se mit à transcrire manuellement tous les manuscrits de
Vivaldi. Pour leur publication, Antonio Fanna trouva le mécène
indispensable en la personne d’un riche commerçant d’Emilie, puis il
persuada Casa Ricordi, à Milan, de commencer l’édition. Le compositeur
Gianfrancesco Malipiero, alors directeur du conservatoire Benedetto
Marcello de Venise, déjà engagé dans l’édition de l’œuvre complète de
Monteverdi, prit la responsabilité de l’entreprise. En 1973, 530 partitions
des concertos, sinfonie et sonates connus avaient été publiés. Parallèlement,
en 1968, Antonio Fanna avait publié un catalogue thématique de l’œuvre
instrumentale parue chez Ricordi (revu, enrichi et réédité en 1986).
 
En 1947, à la tête de la Radio Suisse Romande, Ernest Ansermet donnait
son premier concert vivaldien. L’année suivante, Angelo Ephrikian fondait
l’orchestre de la Scuola Veneziana et, avec cet ensemble, commençait à
jouer les œuvres instrumentales de Vivaldi dans toute l’Italie. D’autres
jeunes ensembles d’excellence, tels « I Musici » et « I Virtuosi di Roma »,
se créèrent à cette période et firent entrer Vivaldi à leur répertoire. Dans les
années suivantes, des chefs prestigieux commencèrent à s’intéresser à
l’œuvre du Prêtre roux  : Nikolaus Harnoncourt, Christopher Hogwood,
John Eliot Gardiner, Trevor Pinnock  ; les enregistrements furent facilités
par l’apparition du disque de longue durée (LP), ensuite remplacé par le
CD.
En 1978, le directeur de la Fondation Giorgio Cini, Bruno Visentini,
proposa à Antonio Fanna d’accueillir l’Istituto Italiano Antonio Vivaldi sur
l’île de San Giorgio Maggiore, à Venise. À partir de ce siège prestigieux et
plus facilement accessible, l’Istituto put mener une action conjointe  :
recherche, édition, exécution, enregistrements, rencontres entre chercheurs
et interprètes. Il a promu sept festivals dédiés à Vivaldi ; à partir de 1990, le
« Prix International du Disque Antonio Vivaldi pour la musique ancienne »,
ainsi que de nombreux colloques dont les actes furent publiés chez Olschki
et, depuis 2010, mis en ligne. L’Istituto dirige une revue, Informazioni e
studi vivaldiani (éditions S.P.E.S), ainsi que des publications approfondies,
les Quaderni Vivaldiani, publiées à Florence, aux éditions Leo S. Olschki.
Après avoir terminé l’édition de la musique instrumentale, on commença à
publier la musique vocale, cantates profanes et musique vocale sacrée  ;
cette seconde entreprise prit fin en 1995. L’Istituto vient d’entreprendre
l’édition systématique du dernier pan de l’œuvre de Vivaldi  : les opéras,
chacun accompagné d’un commentaire critique et philologique.
Depuis une cinquantaine d’années, de nombreux musiciens italiens ont
été redécouverts, Alessandro Stradella, Domenico et Alessandro Scarlatti,
Antonio Caldara… Pourtant, l’extraordinaire phénomène que représente
Vivaldi reste un cas à part. Jouées et enregistrées des centaines de fois, les
Quatre Saisons ont fait la gloire du compositeur, tout en desservant sa
notoriété. Dans la préface de son ouvrage sur Vivaldi, H.C. Robbins Landon
s’étonne qu’à une vente chez Sotheby’s à Londres le 6 décembre 1991, une
lettre écrite par Vivaldi au marquis Bentivoglio ait été achetée par un
collectionneur anglais 59  400  livres, tandis qu’une sonate pour piano
autographe de Beethoven était vendue un million. Quelques lignes plus
loin, le musicologue américain déclare que si, chez Mozart «  tout est
également populaire », chez Vivaldi en revanche, les opéras « semblent sans
intérêt pour nos oreilles modernes  » (Voice of the Baroque, 1993). Pour
moi, l’Orlando Furioso, enregistré en 1977 chez Erato, sous la baguette de
Claudio Scimone à la tête de ses mythiques I Solisti Veneti, sorti de gorges
aussi fabuleuses que celles de Marilyn Horne et de Victoria de Los Angeles,
à l’époque où, jeune étudiante, je préparais mon master sur Giuseppe
Tartini, et travaillais dans les archives musicales de la basilique du Santo, à
Padoue, représenta plus qu’une révélation : un bouleversement esthétique et
émotif.
Actuellement, Vivaldi est un compositeur estimé et aimé. Son œuvre
complète sera bientôt éditée chez Ricordi, et, en même temps, enregistrée
intégralement par de jeunes ensembles spécialisés sur la musique baroque,
qui poursuivent leurs réflexions non seulement sur la pratique mais aussi
sur les sources manuscrites.
 
Dans une recherche aussi étendue géographiquement, multiple,
effervescente, j’ai eu constamment l’impression en écrivant ce livre de
«  rassembler  » ; rassembler les recherches de mes confrères italiens,
anglais, irlandais, allemands, américains… Le catalogue de Peter Ryom
(«  RV  ») dans sa dernière version, les travaux de Michael Talbot, sur la
musique sacrée, sur les cantates et les sérénades (et pas seulement), les
récents ouvrages exhaustifs de Reinhard Strohm sur les opéras de Vivaldi
ont été des compagnons de route constants. Ce livre ne pourrait exister sans
leurs travaux. À cela s’est ajoutée ma propre expérience : les années passées
en Italie, à Venise surtout, mes séjours de recherche à Londres, à
Cambridge, à Vienne, à Bruxelles, à Washington  ; la confrontation à
laquelle je me suis livrée, des années durant, avec les documents anciens,
les papiers vénitiens que je pourrais aujourd’hui reconnaître au seul toucher,
les yeux fermés, les reliefs formés par l’encre, le sable employé par les
copistes qui roule sous les doigts…
Vivre longtemps dans une culture, côtoyer quotidiennement ceux qui y
sont nés, qui combattent et résistent afin de n’être pas totalement anéantis
par les flux touristiques, permet d’acquérir un sixième sens, une intuition
sur le passé, qui se joignent au savoir intellectuel. Et puis, il y a eu aussi,
tout au long de ces années de recherches, les multiples rencontres et les
discussions avec mes collègues, à Venise, mais aussi dans les villes où j’ai
séjourné. Je pensais surtout, en rédigeant ces lignes, à ceux qui ont disparu,
aux moments passés ensemble, aux échanges d’idées. Leurs noms sont plus
que de simples références bibliographiques inscrites au bas des pages  :
Francesco Degrada, Gianfranco Folena Giovanna Gronda, Maria Teresa
Muraro, H. C.  Robbins Landon, Don Gastone Vio, Thomas Walker,
Philippe Lescat, Reinhard Wiesend… la liste en est déjà longue.
 
Un ouvrage de ce type ne peut être considéré comme un bilan final. Il est
une étape. Il se veut un outil transmission à une génération plus jeune, qui
poursuivra les recherches. Il est aussi une manière d’être amoureuse de
Venise et de sa culture.
Mes remerciements vont à l’Istituto Italiano Antonio Vivaldi, à son
fondateur Antonio Fanna qui a longtemps animé ce lieu si beau, et continue
à le soutenir, à distance ; à Francesco Fanna, son fils qui, sacrifiant souvent
ses projets personnels de musicien, permet que ce projet continue  ; à
Giovanni Morelli qui a fondé et dirige l’Istituto per la Musica, non
seulement pour l’aide aimable et infaillible que j’ai trouvée en préparant cet
ouvrage, mais aussi pour l’accueil qui m’a été offert dès le premier jour où
je suis arrivée à Venise, par un hiver glacial de 1980, afin d’y entreprendre
mes recherches. Depuis, les Saisons ont passé  ; le Printemps, l’Été,
l’Automne, l’Hiver. De quatre, elles sont devenues quarante, puis quatre-
vingt, et plus encore… au fil du temps, ces confrères, ces maîtres… sont
devenus pour moi une famille.
 
Sylvie Mamy, Paris, 21 avril 2011
1- Voir, à la fin de l’ouvrage, « L’héritage ».
2- Luciano Alberti, Come nacque a Venezia il Centro di Studi Vivaldiani, dans « Chigiana »
(vol. XLI,1989), 1991, p. 53-64.
Première partie

Venise

 (1703-1717)
I

Enfance et adolescence à Venise

 1678-1703

 Campo de la Bragora

 (4 mars 1678)

Campo de la Bragora1, une fin d’après-midi de septembre. Rien ne


semble avoir changé depuis l’époque de Vivaldi. À peine sortis de
l’école, les enfants ont déjà métamorphosé la place en terrain de
jeux, échappant au contrôle de leurs mères qui goûtent ces instants
de liberté réunies en petits groupes, bavardant et plaisantant avec
leurs amies. Légèrement à l’écart, des dames d’un autre âge sont
assises sur les rares bancs disponibles. Immobiles, frileuses,
fragiles, effarouchées, le regard absent, elles sont là, presque
inexistantes, ignorées de tous, silhouettes fragiles surveillées par
une bande de chats à demi sauvages venus quêter les bribes de
nourriture abandonnées par les pique-niqueurs de la journée. C’est
en effet l’un des seuls campi de Venise où, lorsque tinte la cloche
de l’Angélus dans le clocher de San Giovanni in Bragora, lorsque
les touristes ont repris les itinéraires fléchés en direction de la
Stazione et du piazzale Roma, lorsque, après la tempête, toute
chose enfin s’apaise, les Vénitiens aiment se retrouver ici, parler
leur propre langue et se réchauffer au dernier rayon de soleil. Sur
cet îlot flottant tel un radeau sur le temps immobile, bulle délaissée
par la modernité et comme oubliée par la voracité mercantile des
gestionnaires touristiques, on peut, à l’heure du crépuscule, passer
quelques instants tranquilles.
Il faut pourtant bien de l’imagination si l’on veut se représenter
l’animation qu’il devait y avoir les jours du marché au poisson sur
l’ancien campo de la Bragora, autour du puits ou près des
échoppes ; le pharmacien « Al Dose » (qui vient témoigner à
l’église lors du baptême d’Antonio), un forgeron, un tailleur, un
barbier, un imprimeur, peut-être aussi un copiste de musique et un
luthier… Il faut de la fantaisie en effet pour tenter de se figurer il y
a plus de trois siècles le petit Antonio Vivaldi, malingre,
souffreteux, jouant ici avec ses deux sœurs cadettes, Margherita et
Cecilia, et les autres enfants du quartier.
Plusieurs biographes affirment que, ce jour-là, il y aurait eu un
tremblement de terre. Rien d’exceptionnel dans ce fait divers… De
légers séismes sont fréquents à Venise. Ils font tomber des pierres,
des morceaux d’architecture. Camilla aurait-elle pris peur et
accouché prématurément ? Elle met au monde un enfant pâle et
chétif ; un enfant qui respire mal. On n’est pas sûr qu’il survivra.
Qu’un accouchement finisse par la mort de l’enfant ou celle de la
mère, si ce n’est des deux, est chose courante à cette époque. Le
plus grave pour l’Église serait que le nouveau-né décède sans
baptême. Aussi les prêtres forment les accoucheuses à effectuer le
« petit baptême ». En présence de deux témoins, la matrone verse
un peu d’eau sur le front de l’enfant en prononçant les paroles
consacrées, puis elle forme trois signes de croix. C’est
probablement ainsi que procède l’accoucheuse Margherita
Veronese lorsque, le 4 mars 1678, le premier enfant de Camilla
vient au monde.
On situe la maison natale de Vivaldi entre l’église de San Giovanni
in Bragora et la calle del Dose, qui conduit à la riva degli Schiavoni
(entre les actuels numéros 3805 et 3809).
L’église de San Giovanni in Bragora est reconnaissable par les trois
lobes qui ornent sa façade. Malgré quelques restaurations
maladroites, l’église est restée telle que Vivaldi la connut. Le
plafond en bois en forme de carène de navire avait été réalisé par
les charpentiers de l’Arsenal. Originellement, elle fut consacrée à
saint Jean-Baptiste et dédiée au sacrement du baptême. Un
précieux retable de Cima da Conegliano représente Jean-Baptiste
baptisant Jésus. Les silhouettes minces et hiératiques des deux
hommes se détachent sur un paysage de collines typique de la
Vénétie. Après l’entrée, à gauche, les fonts baptismaux : une
puissante vasque en porphyre, octogonale, datant du xv  siècle, sur
e

laquelle est incrusté le blason des Gritti. C’est là qu’on baptisa


Antonio, trois mois après sa naissance, puis, dans les années qui
suivront, ses huit frères et sœurs.
 
Le nom de Vivaldi, sa musique, sont intimement associés à Venise,
aux atmosphères si particulières de cette ville, à son histoire
prestigieuse. Pourtant, la famille Vivaldi n’est pas d’origine
vénitienne. Les aïeux paternels du compositeur habitaient Brescia,
ville de Lombardie, dans la plaine du Pô, sur la route de Vérone.
Brescia est un carrefour important pour le commerce de denrées
prisées (la laine, la soie, les épices, le bois précieux), importées
d’Allemagne et d’autres contrées nordiques. Depuis trois siècles, la
ville appartient à la Sérénissime. Sa population entretient de bonnes
relations avec la République de Venise qui la domine. Lors des
guerres contre l’ennemi ottoman, au prix de leur propre vie, les
notables de Brescia prêtèrent souvent main-forte aux Vénitiens. Les
Vivaldi, père et fils, resteront toute leur vie attachés à leur ville
d’origine.
 
Aujourd’hui, s’il y a encore des Vivaldi à Brescia, la branche des
Vivaldi de Venise, elle, est éteinte depuis longtemps. Le dernier
Vivaldi de la descendance d’Agostino (l’oncle d’Antonio) serait un
prêtre, dénommé Anastasio Antonio, décédé en 1788.
Les grands-parents de Vivaldi s’étaient mariés à Brescia en 1642.
Agostino, le grand-père, avait disparu prématurément laissant son
épouse, Margherita, seule avec leurs deux fils : Agostino, âgé de
vingt-deux ans et Giovanni Battista, onze ans. Un troisième garçon,
Antonio Casara (ou Casari), se trouvait dans la maison. Il affirmera
plus tard être né chez les Vivaldi, à Brescia, et avoir été allaité par
Margherita.
Comment expliquer la décision de Margherita de quitter Brescia
pour s’installer à Venise ? Voulait-elle rejoindre les membres de la
famille de son mari qui habitaient dans la paroisse des Santi
Apostoli ? Ou bien offrir aux trois garçons des perspectives
d’emploi plus sûres, plus attirantes dans la capitale que dans une
ville de province ?
Escortée des trois garçons, Agostino, Giovanni Battista et Antonio
Casara, Margherita arrive à Venise vers 1665. Dans les registres des
paroisses, on trouve qu’Agostino est marié avec une certaine Nella
Petternella, épicière. Quatre enfants d’Agostino sont inscrits dans
le quartier des Santi Apostoli. L’aîné, Giovanni Paolo, l’oncle de
Vivaldi, se marie en 1695 à San Pietro di Castello ; il aura six
enfants. Il est employé à l’« Officio del dacio del vin » (bureau des
impôts sur le vin). En 1703 (l’année même où Antonio Vivaldi
deviendra prêtre), Giovanni Paolo sera condamné pour fraude
grave contre la magistrature qui l’emploie. Fixée sous l’un des
porches du palais ducal qui communique avec la riva degli
Schiavoni, une inscription rappelle cet événement peu glorieux
pour la famille Vivaldi. Giovanni Paolo est exilé. Ensuite, on perd
sa trace.
Agostino est engagé aux fours (forni) de l’Arsenal où l’on prépare
les biscotti (des galettes de blé plates, salées, qui constituent la base
de la nourriture des marins). Cet emploi lui permet d’obtenir dans
le bâtiment des fours, dont la façade donne sur la riva degli
Schiavoni (sur la partie du quai appelée Ca’ di Dio), un logement
où Margherita le rejoint. En 1703, l’année où son fils aîné est
condamné, l’oncle, Agostino, est cité dans les registres comme
« marchand de vin ». Après 1671, quatre autres enfants d’Agostino
voient le jour dans la paroisse de San Martino.
 
La famille Vivaldi vit désormais à Castello (l’un des six sestieri de
Venise), un quartier populaire et industrieux. Le chantier naval en
forme le cœur, l’énergie vitale. Lieu militaire et stratégique,
difficile d’accès, l’Arsenal est protégé par trois kilomètres de
murailles qui courent jusqu’à l’île de San Pietro di Castello, le fief
du patriarche. À proximité du mur d’enceinte, pour éviter tout
espionnage, les maisons ne dépassent pas trois étages. Les curés
eux-mêmes ne possèdent pas les clés des campaniles qui leur
permettraient de dominer le chantier naval. Les Arsenalotti
(ouvriers de l’Arsenal) sont renommés et estimés depuis des siècles
pour leurs multiples spécialisations : les calfats (qui clouent les
bordages sur la charpente et étalent la poix sur les planches et les
jointures précédemment garnies d’étoupe), les forgerons, les
scieurs, les charpentiers (marangoni), ceux qui s’occupent de
l’artillerie, les remeri qui fabriquent les rames. Il y a aussi les
employés qui fournissent les vivres, le pain et le poisson aux
équipages. Ces ouvriers sont toujours prêts à intervenir en cas
d’incendies et d’accidents graves ; leur présence dans le quartier
rassure la population. Au-dessus des Arsenalotti se trouvent les
proti ou architectes navals, ainsi que les contremaîtres qui
contrôlent le trafic maritime. Tout en haut de la pyramide se trouve
l’amiral, qui siège au Grand Conseil, aux côtés du doge.
 
L’Arsenal de Venise, ce sont des rythmes puissants et infatigables
(on dit que les ouvriers sont organisés en véritable chaîne de
montage et qu’ils peuvent fabriquer une galée en une seule
journée !) ; des coups de marteaux, des frottements de scies, les
tintements réguliers de la cloche (la marangona) qui, le matin,
appelle les ouvriers sur les chantiers et, le soir, signifie le retour à
la maison, après avoir scandé chacune des heures de la journée. Le
quartier de l’Arsenal, ce sont des voix, des cris, des bruits, l’odeur
forte de la poix chauffée, parfum si particulier humé par Dante,
lorsqu’il visita Venise ; des centaines, des milliers d’ouvriers qui
chaque matin, pour se rendre à leurs ateliers respectifs, franchissent
une seule porte, l’entrée de terre. Le portail est encadré par les lions
rapportés de Grèce par Morosini, des trophées qui rappellent aux
mémoires oublieuses la victoire des Vénitiens dans le Péloponnèse.
À quelques mètres de l’entrée de l’Arsenal, se trouve l’église de
San Martino. Là se tiennent les réunions de la corporation des
musiciens de Sainte-Cécile à laquelle appartient Giovanni Battista
Vivaldi ; tout près, le bâtiment des fours et le campo de la Bragora.
À la population autochtone, se mêlent plusieurs milliers de
Dalmates, de Grecs et d’Arméniens.
À l’époque où Margherita et ses deux fils s’installent dans le
quartier de Castello, l’Arsenal a déjà entrepris son déclin. Depuis la
victoire de Lépante (1571), suivie par la perte de Chypre et d’autres
îles importantes appartenant au territoire « de mer » de la
Sérénissime, les difficultés n’avaient cessé de s’aggraver.
Commencée en 1644, la guerre de Crète s’éternise et Venise y
épuisait ses dernières forces. Les vaisseaux de la République
avaient de lourds handicaps ; ce sont des bateaux à fonds plats, peu
stables, conçus originellement pour le commerce et destinés à
circuler sur les eaux peu profondes de la lagune et des côtes
adriatiques. Après avoir relevé et élargi les bases des chantiers de
construction, les ingénieurs de l’Arsenal avaient lancé de nouveaux
types d’embarcations, copiés sur le modèle anglais. Soixante-huit
navires de ligne pourvus de batteries de canons sur les flancs
sortirent des chantiers de construction. Dans les années suivantes,
on mit à flot de nouveaux vaisseaux, à voiles carrées. La guerre de
Crète se termina en été 1669 : le doge, Francesco Morosini,
valeureux Capitaine général de la Mer, avait fini par se rendre à
l’ennemi. Quinze ans plus tard, animé par le projet forcené de
reconquérir le Péloponnèse, Morosini avait repris la tête de la flotte
vénitienne. Il mourut en plein combat, à Nauplie, en 1694. Cinq ans
plus tard, le traité de Karlowitz mettait fin à la seconde guerre
austro-hongroise et signait, pour Venise, la perte de nombreuses
possessions méditerranéennes.
 
Avec ses puissantes voûtes en pierre à la Piranèse, ses contrastes
d’ombres et de lumière, ses jeux de perspective, l’intérieur de
l’Arsenal n’est-il pas, à lui seul, un véritable décor de théâtre ?
C’est là, dans l’Arsenal de Venise, sur ces bassins d’eau à ciel
ouvert, qu’il faudrait représenter le Xerse de Cavalli, Le Retour
d’Ulysse dans sa Patrie de Monteverdi et là aussi qu’on aimerait
entendre résonner les timbales et les trompettes de la Juditha
triumphans, un oratorio militaire fêtant la victoire des Vénitiens
contre les Turcs, à Corfou, composé en quelques jours par le Prêtre
roux comme un feu d’artifice et une canonnade jubilatoire.

Le mariage de Giovanni Battista Vivaldi et Camilla Calicchio


(juin 1676)

En juin 1676, Giovanni Battista se fiance avec Camilla Calicchio. Alors,


il est dit «  barbier  ». Plus tard, cette appellation de barbier disparaît. Il
n’aura plus qu’un seul métier  : violoniste  ! Il est en effet une tradition à
Venise  : les barbiers enseignent à leurs jeunes apprentis à pratiquer des
instruments de musique, à clavier ou à archet.
 
Le mariage de Giovanni Battista Vivaldi et de Camilla Calicchio a lieu le
11  juin 1676, dans une église aujourd’hui disparue qui se trouvait sur la
pointe de l’île de la Giudecca. Le document du mariage des parents de
Vivaldi est conservé dans les archives de San Giovanni in Bragora, paroisse
de Camilla.
Camilla, la mère de Vivaldi, était née à Venise mais son père, Camillo
Calicchio, venait de Pomàrico, près de Matera, dans la Basilicata. Camillo
était arrivé à Venise en 1650. Il avait épousé Zanetta Temporini. L’année
suivante naissait leur premier enfant, Salvatore (l’oncle maternel de
Vivaldi). Lorsque Camilla épouse Giovanni Battista, son père est déjà
décédé. Antonio Vivaldi ne connaîtra aucun de ses deux grands-pères.
Giovanni Battista Vivaldi et son épouse habitent campo de la Bragora,
peut-être à quelques mètres de la famille de Camilla, à moins que les jeunes
gens ne vivent chez les parents de la jeune femme, chose courante à
l’époque. Antonio, leur premier enfant, naît près de deux ans après le
mariage.

Le vrai baptême d’Antonio Lucio Vivaldi (6 mai 1678)

Le baptême complémentaire du petit Antonio a lieu soixante-trois jours


après l’ondoiement effectué par la sage-femme. Il est nommé Antonio et
reçoit, comme deuxième prénom, celui de Lucio, pape et martyr, fêté le
4 mars.
L’acte de baptême d’Antonio Vivaldi est conservé dans les archives de
l’église San Giovanni in Bragora :
Ce 6  mai 1678. Antonio Lucio fils de Giovanni Battista Vivaldi,
musicien, [lui-même] fils d’Agustin Vivaldi et de son épouse Camilla, fille
de Camillo Calicchio ; né le 4 mars dernier, et qui, par danger de mort, fut
ondoyé à la maison par la sage-femme et nourrice Margarita Veronese : il
a été ce jour porté à l’église afin d’y recevoir les exorcismes et les Huiles
saintes par moi même, Giacomo Fornacieri prêtre, et présenté par le
témoin Antonio Gerolemo Veccelio pharmacien dont le magasin à
l’enseigne Del Dose se trouve dans ce quartier2.
Sur le campo de la Bragora où Vivaldi a passé son enfance et son
adolescence, rien ne signale le passage d’un grand musicien si ce n’est la
plaque commémorative apposée sur le flanc de l’église. Un campo de
Venise sans prétention, un hospice de charité et un petit théâtre aujourd’hui
disparu… C’est là que naquit Vivaldi, qu’il fut élevé et se forma, comme
prêtre et comme musicien, puis qu’il commença sa carrière de virtuose et de
compositeur. Des lieux d’une grande simplicité, pourtant hautement
attirants pour l’étranger en visite dans la Venise d’autrefois  : érudit
voyageur, curieux, musicien dilettante et professionnel, ambassadeur, prince
voyageant incognito, dans l’espoir d’échapper, quelques jours durant, aux
corvées du pouvoir et participer, masqué, aux réjouissances du carnaval.
C’est à ces visiteurs raffinés que Vivaldi dédia ses recueils de sonates et de
concertos, les livrets de ses opéras et de ses sérénades. C’est pour eux qu’il
joua, sur son violon, ses époustouflantes cadences improvisées, et avec eux
qu’il monnaya des leçons particulières et ses concertos manuscrits. À ces
invités de marque, la Sérénissime offrait des fêtes splendides et
dispendieuses. Les théâtres d’opéra achetèrent à prix d’or les prestations des
cantatrices et des castrats auxquels les scènes et les cours européennes
faisaient des ponts d’or. En retour, la noblesse vénitienne escomptait de ces
princes des alliances politiques, des protections, ainsi que des bourses bien
garnies. Car, si la Venise de Vivaldi chantait, et chantait encore très bien, ce
n’était plus que le chant du cygne. Au xviiie  siècle, la reine de la
Méditerranée était une grande dame déchue, que se partageait une clientèle
cosmopolite bien nantie, cultivée et gourmande de plaisirs raffinés, variés,
insolites et toujours nouveaux.
 
Pour reconstituer la biographie de Vivaldi, les éléments de départ sont
posés  : un père barbier et violoniste, originaire de province, parti de rien,
doué d’un talent et d’une passion particulière pour le violon qu’il transmet à
son fils aîné ; une naissance difficile qui lui laissera des séquelles, lui fera
renoncer à sa mission de prêtre et limiter ses déplacements vers l’étranger,
une famille nombreuse où l’on vit ensemble en permanence. Des faits,
infimes et discrets, comme le sont les commerçants (apothicaires
gondoliers, savetiers, barbiers) qui viennent témoigner au mariage de
Giovanni Battista et de Camilla, et au baptême de leur fils. Dans le popolino
(petit peuple) vénitien, chacun survit grâce à plusieurs métiers. Les garçons
sont rapidement mis au travail, les filles deviennent ouvrières, brodeuses,
servantes, à moins qu’elles n’entrent au couvent. Ces individus ont laissé
peu de traces  : un signalement, une ligne, quelques phrases, qu’il faut
arracher patiemment aux registres de naissance, de baptême et de mort des
paroisses, aux archives des hôpitaux et des lieux d’assistance publique, aux
liasses contenant les procès pour contrats impayés, les scandales et diverses
entorses aux bonnes mœurs.
L’œuvre de Vivaldi fut redécouverte par hasard, il y a moins d’un siècle.
Depuis lors, on se cesse de quêter le plus petit document qui permettra de
retracer le parcours du musicien, de percer peut-être le mystère de son talent
hors normes.
Pour imaginer la Venise de Vivaldi, bourdonnante de vie, de jour comme
de nuit, on peut relire les Mémoires du dramaturge vénitien Carlo Goldoni ;
L’Histoire de ma vie, du célèbre aventurier Giacomo Casanova  ; parcourir
les chroniques locales  ; les récits des voyageurs étrangers  ; les relations
décrivant avec une emphase toute politique et un enthousiasme convenu les
fêtes organisées par la Sérénissime lors de la visite d’éminents souverains
étrangers. On peut observer les tableaux et les dessins de l’école vénitienne
qui fixèrent, sur la toile et sur le papier, le goût d’une époque ; des scènes
charmantes nichées dans une nature idéalisée, tantôt tendre et accueillante,
tantôt livrée à des débordements tempétueux  ; des thèmes et des
personnages inspirés de la Bible, de l’Antiquité, de la mythologie, ainsi que
des romans épiques de l’Arioste et du Tasse, pour lesquels les acteurs et les
prostituées de la ville servaient de modèles  ; les scènes de chasse dans la
campagne ou sur la lagune  ; les paysans des villages avoisinants vivant à
même la terre battue ; les patriciens qui, dans leurs palais, se réunissaient,
dansaient, faisaient de la musique, en famille et entre amis  ; les vues des
campi, calli et canali de la ville, reproduits avec une minutieuse exactitude,
ou déformés par les boîtes optiques… des centaines de visions stéréotypées,
fabriquées en série à l’intention des collectionneurs étrangers qui passaient
par Venise, y faisaient une étape de quelques jours avant de se diriger vers
Rome, puis vers le sud de la Péninsule. Pour reconstituer la Venise de
Vivaldi, on peut encore s’inspirer des tableaux représentant les
débarquements des ambassadeurs et des pinces étrangers sur le môle, les
fêtes sur l’eau, les compétitions nautiques, les cérémonies religieuses et
civiles de la République, les images du Bucentaure appareillé devant le
palais ducal avant de se diriger vers le Lido où seront célébrées les noces du
doge avec la mer ; les portraits officiels des héros de la République et les
visages de ceux qui comptèrent à Venise, adoucis par les pastels de Rosalba
Carriera.
 
Pour témoigner du style et de la technique violonistique de Vivaldi, nous
n’avons que quelques phrases, notées ici et là par des voyageurs étrangers
impatients de publier dans leur pays le récit de leur périple dans la
péninsule italienne. Imprimées et manuscrites, les partitions du Prêtre roux
ne sont que des signes, couchés sur du papier, qui ne livrent presque rien de
la façon dont le compositeur et les artistes de l’époque jouaient cette
musique. Quant au visage et à la silhouette de Vivaldi, ils nous sont à peu
près inconnus.
 
Pour tenter d’écrire aujourd’hui une biographie de Vivaldi, il faut
recueillir les éléments connus, les assembler ; tenter de chasser les erreurs,
dissiper les malentendus, faire émerger quelque cohérence, sans renoncer à
émettre des hypothèses, que tout nouveau document pourra confirmer,
enrichir, ou peut-être même modifier. Reconstituer l’existence et la carrière
de Vivaldi, c’est recomposer les infimes fragments de vie et les documents
qui ne cessent d’émerger des archives vénitiennes, italiennes et
européennes  ; exhumer et classer les menus détails qui, en désordre,
échappent à ces puits profonds où s’affairent quelques chercheurs curieux,
nourris par le fol espoir de découvrir, peut-être, sous la poussière du temps,
quelques-uns de ses concertos et opéras disparus ou, mieux encore, la vraie
vie du Prêtre roux.
2

 Prêtre et musicien

 (1693-1703)

Deux ans après la naissance d’Antonio, sa petite sœur vient au


monde. Elle aussi doit être baptisée à la maison, après
l’accouchement, « par danger de mort ». On la nomme Margherita,
comme la grand-mère arrivée de Brescia avec ses deux fils. En
1683, Camilla accouche d’une deuxième petite fille, appelée
Cecilia, qui sera la mère de Pietro et de Daniele Mauro, copistes de
musique.
Giovanni Battista Vivaldi et Camilla Calicchio auront en tout neuf
enfants, tous baptisés à San Giovanni in Bragora. Six d’entre eux
resteront en vie, une lourde responsabilité pour Giovanni Battista,
ainsi que pour l’aîné Antonio qui, lors de la naissance du petit
dernier, Giuseppe, avoue déjà dix-neuf ans.
Margherita Gabriella voit le jour le 18 juillet 1680.
Cecilia Maria naît le 11 janvier 1683. Elle épousera Giovanni
Antonio Mauro. Le premier fils du couple, Pietro Mauro, naît en
1715. Il chantera à l’opéra comme ténor, dans des rôles
secondaires. Puis il deviendra copiste de musique, le meilleur de
Venise, entraînant dans son sillage son frère cadet, Daniele.
Bonaventura Tommaso naît le 7 mars 1685. Il se marie en 1718.
Dès lors, il vit hors de Venise et l’on ne sait plus rien de lui.
Zanetta Anna née le 1  novembre 1687 restera sans doute
er

célibataire. Elle décède dans la paroisse des Santi Apostoli, le


2 février 1762, à l’âge de soixante-quatorze ans.
Francesco Gaetano voit le jour le 9 janvier 1690. Il épouse une
certaine Elisabetta. Il est barbier et travaille aussi comme primeur.
C’est ce frère cadet qui, au printemps 1715, de passage à Ferrare,
recevra des mains de Luigi Bentivoglio une somme de 15 lire
destinées à Antonio. En 1750 son nom figure parmi les habitants de
la paroisse des Santi Apostoli, où il vit pauvrement avec sa femme
et ses six enfants. Francesco Vivaldi mourra en 1752, à l’âge de
cinquante-cinq ans, d’une fièvre maligne. L’un de ses fils, Carlo
Vivaldi, deviendra lui aussi copiste de musique ;
Iseppo (Giuseppe) Santo naît le 4 avril 1692 et décède le 31 janvier
1696.
La petite Gierolima Michiella, née le 12 septembre 1694, meurt
elle aussi durant l’hiver 1696, deux jours après son frère Giuseppe,
peut-être d’une épidémie de variole.
Le 11 avril 1697, naît le dernier enfant de Camilla. Il est nommé
Giuseppe (Iseppo), probablement en mémoire du petit défunt.

Giovanni Battista Vivaldi, barbier et violoniste

Giovanni Battista Vivaldi a d’abord travaillé comme barbier, ce dont


témoigne le document préparatoire de son mariage, au début de l’été 1676.
Après son arrivée à Venise, Margherita semble avoir placé le jeune garçon
en apprentissage chez Francesco Bottion, barbier dans le quartier du Rialto,
sur la riva del Vin, à l’enseigne des «  Têtes d’Or  »  ; dans cette boutique
pleine d’instruments de musique, Giovanni Battista pourrait avoir appris à
jouer du violon. En 1697, le même Francesco Bottion lègue 10 ducats à son
apprenti qui, dit-il, « joue dans les opéras »3.
Le destin de Giovanni Battista Vivaldi ne se limitera pas à couper la
barbe ni à coiffer les perruques  ! Le garçon s’affirme rapidement comme
l’un des meilleurs violonistes de Venise. Son nom apparaît, au fil des
documents d’archives, parfois avec le qualificatif de « Rossi », qui veut dire
aux cheveux roux – la chevelure qu’il transmet à Antonio. C’est sous ce
pseudonyme que Giovanni Battista est engagé comme violoniste dans
l’orchestre de la chapelle du doge, le 23  avril 1685. Quatre ans plus tard,
son salaire augmente de 10 ducats, en raison des prestations
supplémentaires qu’il fournit comme violoniste soliste. Désormais,
Giovanni Battista gagne 25 ducats par an.
Six mois après sa nomination à Saint-Marc, le jour de la Sainte-Cécile,
Giovanni Battista Vivaldi et ses confrères fondent l’Association des
musiciens de sainte Cécile. Leur président est Giovanni Legrenzi, célèbre
compositeur et vice-maître de chapelle à Saint-Marc. L’association a son
siège en l’église de San Martino, tout près de l’Arsenal (n°  2426/a). En
échange de l’accueil reçu par la paroisse, les musiciens sont tenus de jouer
pendant les cérémonies religieuses, de s’occuper de l’entretien et de la
restauration de l’église.
Parfaitement structurées, ces corporations professionnelles (les Arti)
permettent à leurs membres de fixer leurs droits, d’empêcher les fraudes,
d’écarter les imposteurs, de porter secours aux musiciens en difficulté (la
maladie par exemple). Chaque corporation désigne un saint patron  et
dispose d’un oratoire, parfois un simple autel dans une église ; un prêtre lui
est assigné. Chacune d’entre elles possède son étendard, orné de l’image du
saint patron, et ses règles, que l’on appelle les mariegole. Lors des grandes
fêtes religieuses ou à l’occasion des cérémonies publiques, la corporation
défile avec son étendard et ses emblèmes. Le nouvel adhérent doit faire
preuve d’une certaine honnêteté de vie et de compétences professionnelles.
Au sein de l’association, il recevra protection et sécurité mais il aura aussi
des obligations  : payer le «  talion  », une taxe annuelle due au
gouvernement, ainsi qu’un impôt sur les revenus de son travail. L’argent
perçu est destiné aux pauvres, aux infirmes, aux veuves, aux orphelins, aux
malades, aux hospices et aux hôpitaux.
Giovanni Battista Vivaldi est l’un des membres qui paie la contribution la
plus élevée à l’Arte ; 8 ducats (et 4 pour son fils Antonio) ; plus encore pour
le talion : 6 lire et 5 sous. Il est cité dans la Guida de’ Forestieri du père
Coronelli (un guide de Venise à l’usage des étrangers) parmi les meilleurs
violonistes de la ville. Dans le même guide, apparaît bientôt le nom de son
fils, Antonio, prêtre et jeune virtuose. L’un et l’autre figurent parmi les
musiciens les plus recherchés de Venise. Le père joue dans les orchestres de
plusieurs théâtres, le San Giovanni Grisostomo, et surtout le Sant’Angelo,
et compose peut-être des opéras. En 1688, on représente à Venise un opéra
dont l’auteur serait un certain « Giambattista Rossi »… Pendant quatre ans,
de 1689 à 1693, Giovanni Battista Vivaldi, dit Rossetto, exerce aussi
comme « maître d’instruments », à l’hospice des Mendiants (Mendicanti).
Tant que ses forces le lui permettront, Giovanni Battista accompagnera
son fils et participera à sa carrière, comme interprète et comme copiste,
transcrivant la musique d’Antonio, composant peut-être aussi des parties
manquantes, ébauchant des thèmes, complétant les harmonies. Le rôle joué
par son père dans le destin musical de Vivaldi apparaît aujourd’hui plus
clairement, ainsi que l’influence qu’il exerce sur le jeune Antonio, lorsque
celui-ci choisit d’entrer dans les ordres.

Comment devenir prêtre

Un garçon est envoyé à la prêtrise vers l’âge de douze ans. Giovanni


Battista pouvait-il deviner que son fils aîné deviendrait l’un des violonistes
et compositeurs les plus zélés d’Europe  et qu’il transformerait en une
«  passion exclusive  » ce qui n’avait d’abord été qu’un simple
«  penchant  »  ? À Venise, on a toujours besoin de prêtres  ; la ville est
constamment à la recherche de clercs aptes à servir ses soixante-dix
paroisses, où l’on célèbre environ trente à quarante messes par jour, sans
compter les églises des oratoires, dans les îles et sur la proche terre ferme.
Antonio voulait-il respecter un vœu formulé par sa mère lorsque, le 4 mars
1678, il naquit, entre la vie et la mort ? Pour un garçon issu du milieu des
petits artisans, des boutiquiers et des ouvriers vénitiens, devenir prêtre est
une manière de s’élever socialement, de faire son chemin dans un milieu
bourgeois et aristocratique cultivé  ; un moyen aussi de recevoir un
enseignement en latin, en italien, en théologie, en poésie. C’est aussi
l’espoir de rencontrer des prélats, patriciens, hommes politiques, d’être
respecté et estimé. Dans les premiers chapitres de son Histoire de ma vie,
Giacomo Casanova, enfant de la balle né lui aussi sans fortune, affirme que
c’est le patricien vénitien Malipiero qui lui avait conseillé de devenir
prêtre : « Il réussit à me convaincre, en me disant que c’était un moyen de
devenir gras, car en ce temps-là j’étais fort maigre.  » Quand une famille
pauvre ne peut payer à ses enfants un précepteur particulier (comme le fait
par exemple le père de Carlo Goldoni), le séminaire reste le seul moyen de
mener des études sérieuses. Les dispositions spirituelles comptent alors
moins que la capacité à parler le latin, à rédiger des sermons, à émouvoir un
auditoire de fidèles par la prédication, à se mouvoir avec élégance dans
l’aristocratie, religieuse et laïque.
La sélection des garçons pouvant aspirer à devenir prêtres se fait très tôt.
Chaque paroisse dispose d’un groupe de servants de messe ; c’est là que les
curés choisissent leurs futurs diacres, parmi les enfants qui présentent le
plus de dispositions pour ce ministère. On écarte d’emblée les garçons
susceptibles de devenir ouvriers à l’Arsenal. Afin de maintenir la dignité de
la profession, on n’accepte pas non plus les rejetons de familles trop
modestes, ni les garçons souffrant de handicaps physiques ou mentaux.
Pour devenir prêtre, il faut être sain de corps et d’esprit, démontrer des
mœurs honnêtes et, condition indispensable, être né à Venise.
Un jeune Vénitien qui entreprend cette carrière a le choix entre deux
séminaires  : le premier le mène à la chapelle du doge, à Saint-Marc, le
second au service des paroisses, placées sous l’autorité du patriarche.
Antonio Vivaldi se dirige vers un troisième type de formation  : l’école du
sestiere. Fortement recommandées, ces petites écoles de quartier offrent aux
jeunes une excellente préparation pour les tâches qu’ils auront à effectuer.
Une contribution financière est demandée aux familles, à moins que,
comme c’est le cas d’Antonio, le garçon ne se mette au service de l’église.
Cette solution convient bien à cet adolescent qui est en train de se préparer
à un second métier, celui de violoniste ! À l’école de son quartier, Vivaldi
apprend la doctrine chrétienne et, parallèlement, suit une formation
musicale de base (le plain-chant et la connaissance des mélodies
accompagnant les fonctions liturgiques) qui lui permettra de faire partie des
chantres de Saint-Marc ou de chanter dans les églises de Venise. Un
répétiteur, généralement un prêtre, joue le rôle de maître de chant.
Pour accéder à la formation ecclésiastique initiale (les quatre ordres
mineurs), le jeune Antonio doit présenter plusieurs justificatifs  : une
attestation du curé, une déclaration de son maître qui témoigne de son
application dans les études ainsi qu’une lettre du prieur affirmant qu’il a
suivi les leçons de doctrine chrétienne. Antonio passe ensuite un examen ;
on vérifie ses connaissances en langue latine, en chant grégorien, éducation
dans l’amour de Dieu et récitation quotidienne de l’office de la Vierge.
À quinze ans, Antonio se présente comme aspirant. Deux témoins (un
barbier de San Martino et un savetier de San Giovanni in Bragora) sont
convoqués et attestent que les parents du garçon «  sont des personnes
honorables  »  ; qu’ils ont élevé eux-mêmes leur fils, et qu’ils sont «  de
bonne vie, réputation et mœurs »4.
La tonsure est célébrée dans le palais du patriarche qui coupe
symboliquement quelques mèches de cheveux sur la tête du garçon,
signifiant son entrée dans l’état ecclésiastique. Antonio est déclaré servant
en la paroisse de San Geminiano, église aujourd’hui disparue construite par
le grand architecte Sansovino (qui y avait sa tombe) située place Saint-
Marc, face à la basilique, dans l’aile des Procuraties qui sera détruite sur
l’ordre de Napoléon. À cet endroit sera érigée l’Ala Nuovissima ou Ala
Napoleonica, que l’on voit aujourd’hui. Le lendemain de la tonsure, le
19 septembre 1693, Antonio reçoit le premier des quatre ordres mineurs. Il
est dit « ostiaire » ou « portier ».
L’année suivante, il devient « lecteur ». Dans le registre des ordinations,
on lit qu’à cette date Antonio Vivaldi est en train de poursuivre sa formation
ecclésiastique à San Giovanni in Oleo. Cette église, située sur le campo San
Zaninovo (en vénitien), à quelques pas du campo de la Bragora, sera, en
1762, entièrement reconstruite. C’est une autre trace de Vivaldi perdue.
Un an plus tard, Antonio est nommé «  exorciste  », le troisième ordre
mineur.
Au début de l’année 1696, Giuseppe et Michiela, ses deux petits frère et
sœur, meurent en bas âge, peut-être lors d’une épidémie de variole  : une
douloureuse épreuve à supporter par la famille Vivaldi. Antonio a dix-huit
ans. Le 21  septembre suivant, il est nommé «  acolyte  », le dernier des
ordres mineurs. Arrivent les fêtes de Noël  ; Antonio est engagé comme
violoniste extraordinaire dans la chapelle musicale du doge, à Saint-Marc ;
une fois encore, il joue aux côtés de son père.
S’il ne veut pas arrêter sa formation aux ordres mineurs (comme le fera
plus tard le jeune Casanova), Antonio Vivaldi doit encore franchir les
ordres majeurs et attendre d’avoir atteint l’âge réglementaire de vingt-cinq
ans pour devenir prêtre. Vivant avec sa famille, guidé par son père et se
préparant à devenir musicien, Antonio poursuit sans hésiter ce chemin tout
tracé qui ne lui promet certes pas une vie aventureuse, galante et
internationale, à la hauteur de celle que mènera le sémillant Giacomo, mais
qui assurera son avenir, celui de sa famille, tout en lui permettant de jouer
du violon, peut-être dans la chapelle musicale d’une église.
Pour devenir sous-diacre, il faut vivre chastement, apprendre le bréviaire,
suivre quotidiennement l’office divin, fréquenter assidûment les réunions
où l’on discute des questions morales, assister aux leçons dispensées par le
chanoine et enseigner soi-même à l’école paroissiale. Il est nécessaire aussi
de constituer un patrimoine ecclésiastique, c’est-à-dire un placement
financier qui rapporte 60 ducats par an, obligation dont est dispensé
Antonio qui rend des services dans la paroisse de San Giovanni in Oleo.
L’année suivante, le 18  septembre 1700, à l’âge de vingt-deux ans et six
mois, il devient diacre. Le 4 mars 1703, Vivaldi fête ses vingt-cinq ans. Il a
maintenant l’âge requis pour accéder à la prêtrise. La cérémonie avec les
autres aspirants a lieu le 23 mars en l’église du patriarche, sur l’île de San
Pietro di Castello. Il célébrera sa première messe dans sa paroisse
d’appartenance, en l’église de San Giovanni in Oleo.

Formation musicale

Ce sont les éléments que nous connaissons sur l’enfance et la jeunesse


d’Antonio Vivaldi. De sa formation musicale, en revanche, nous ne savons
rien. Il est probable qu’enfant, il apprend à jouer du violon sous la conduite
de son père. Ensuite, on les voit ensemble partout, à Saint-Marc, à Padoue,
à Brescia, à Vicence… Sans doute se perfectionne-t-il auprès des
violonistes, organistes, compositeurs qui sont les confrères et les amis de
Giovanni Battista. De multiples hypothèses ont été formulées ; aucune n’est
vérifiable. À la période où, jeune diacre, il attend l’âge requis de vingt-cinq
ans pour devenir prêtre, Antonio se serait rendu à Turin, accompagné de
Giovanni Battista, pour y prendre les leçons de Lorenzo Francesco Somis,
le père du célèbre violoniste et compositeur Giovanni Battista Somis. Un
seul indice permet d’avancer cette hypothèse : un post scriptum, ajouté au
pied d’une lettre écrite à Turin par un certain Giuseppe Carlo Pesci,
tromboniste et joueur de violone, datée du 16 décembre 1701 et adressée à
Giacomo Antonio Perti, maître de chapelle de la basilique San Petronio, à
Bologne : « Je me trouve, dit Pesci, en compagnie de M. Giovanni Battista
Vivaldi dit le Rouquin du Violon, un musicien que vous connaissez déjà ; [il
est avec] son fils, lui aussi un excellent virtuose du même instrument, qui
me prient de vous adresser leurs salutations5. »

L’engagement à la Pietà, 1er septembre 1703

Quelques mois après son accession à la prêtrise, le «  Révérend Don


Antonio Vivaldi  » obtient son premier poste  fixe de musicien  : maître de
violon à la Pietà. Il est au début de sa carrière et le voilà investi de deux
fonctions : prêtre et violoniste.
À cette époque, s’il est connu localement comme un virtuose du violon,
Antonio Vivaldi n’a encore rien composé de remarquable. A-t-il même
l’ambition de devenir compositeur  ? Comme tant d’autres prêtres et
musiciens d’église, le jeune homme est prêt à assurer sa subsistance, à
épauler son père pour subvenir aux besoins de Camilla et soutenir
l’éducation de ses six frères et sœurs. Il ne pourra surmonter les handicaps
physiques que lui causent sa santé fragile et qui l’empêcheront de célébrer
la messe, ni freiner son talent exceptionnel de violoniste et son génie créatif
impétueux. Mais la rude discipline musicale imposée par son père lorsqu’il
était enfant et adolescent, l’ascèse religieuse, la foi et les exercices de
méditation chrétienne ont ouvert en lui une voie profonde où son
individualité, son inspiration artistique et sa volubilité naturelle cherchent à
s’épanouir et à s’exprimer publiquement. La musique, qui n’avait d’abord
été pour lui qu’une « vague inclination », devient passion tumultueuse et se
révèle déjà « nécessité » absolue. Ce sont ses mots ! Il devient vite évident
que le petit Vénitien, fils de Giovanni Battista dit le Rouquin, n’est pas fait
pour rester un simple clerc, célébrant des messes pour les défunts, ni un
modeste musicien, enseignant le violon à de pauvres filles illégitimes,
condamnées à chanter Dieu dissimulées derrières des grilles, dans l’ombre
froide d’une institution de charité…
1- Ce campo s’appelle aujourd’hui campo Bandiera e Moro, mais les Vénitiens continuent à
dire « la Bragora ».
2- Venise, archives de l’église San Giovanni in Bragora, registre des baptêmes, du 16  mai
1664 au 20 décembre 1691, à la date du 6 mai 1678.
3- Venise, Archivio di Stato, Notarile, Testamenti, busta 282, cedola 199, à la date du
21 septembre 1697 ; G. Vio, 1988b, p. 698.
4- Venise, Archives historiques de la Curia Patriarcale, Legitimitatum, registre 1693-1696, à
la date du 17 juin 1693, fol. 3 ; G. Vio, 1980, p. 32.
5- Bologne, Civico Museo Bibliografico Musicale, P/144, fol. 103 v°  ; la lettre a été
découverte par Carlo Vitali et communiquée à M. Talbot (1995, p. 49).
II

Les débuts à l’hospice de la Pietà

Premières publications : sonates et concertos

 (1703-1713)

 Au cœur de l’assistance publique

Le jeune diacre Antonio Vivaldi vient d’être ordonné prêtre. Il est


attaché à la paroisse de San Giovanni in Oleo, dans le sestiere de
Castello, l’église où l’on pense qu’il célèbre ses premières messes.
Puis les choses se précipitent.
Pendant l’été 1703, Francesco Gasparini, le maître de chœur de
l’hospice de la Pietà, demande que soient nommés trois nouveaux
maîtres d’instruments, pour le violon, la viola et le hautbois.
Antonio Vivaldi est connu. Fils d’un musicien estimé, il est non
seulement vénitien, mais aussi prêtre et offre des garanties de
sérieux, de moralité, de disponibilité, ainsi qu’une excellente
préparation à la liturgie, si complexe et particulière à Venise. Il a
donc toutes les qualités requises pour ce poste.
Le 1  septembre 1703, le Révérend Don Antonio Vivaldi
er

commence son service à la Pietà en tant que maître de violon. À la


même date, on lui confirme sa mission ecclésiastique : il sera
« mansionnaire », c’est-à-dire qu’il devra célébrer des messes pour
les défunts et les bienfaiteurs de l’hospice. Sa première mission
sera de dire des messes pour la patricienne Lucrezia Trevisan
Memmo ; pour cela, il lui sera versé un salaire supplémentaire de
80 ducats qui s’ajouteront aux 60 ducats annuels correspondant à
son emploi de maître de violon.
À 25 ans, Vivaldi habite toujours sur le campo de la Bragora, avec
ses parents et ses six frères et sœurs. Il vit et travaille sur le même
espace étroit qui entoure l’Arsenal ; dans le quartier se trouvent le
bâtiment des fours où son oncle Agostino avait été engagé comme
boulanger, et l’église de San Martino, siège de la congrégation des
musiciens de Sainte-Cécile.

L’église de la Pietà

Quelques centaines de mètres séparent le campo de la Bragora de


l’institution de la Pietà. Les visiteurs croient souvent que la blanche et
gracieuse église qui regarde la riva degli Schiavoni est le lieu où Vivaldi fut
maître de violon. Les premières pierres de cette église ne furent posées
qu’après son départ pour Vienne, et elle ne sera inaugurée que vingt ans
après son décès.
La nouvelle Pietà restera, comme elle l’avait été depuis sa fondation, une
institution réservée à la protection de l’enfance. Plusieurs filles du chœur
dirigées par Vivaldi, telle la violoniste Anna Maria, vécurent assez
longtemps pour connaître cette église, indissociable du passé musical de la
Pietà  : les deux tribunes face à face, leurs grilles ornées de fleurs de
grenadier, symboles de la Résurrection, les lunettes au premier étage (où les
invités suivaient l’office), l’orgue construit par Pietro Nacchini, installé
dans la tribune de gauche, la loggia au second étage où les pensionnaires de
l’hospice se plaçaient durant la messe, ainsi que la somptueuse fresque de
Giambattista Tiepolo représentant le Couronnement de la Vierge, véritable
allégorie de la chapelle musicale, avec son chœur de jeunes filles et d’anges
chantant et jouant toutes sortes d’instruments de musique, violons, violes,
violoni, trompettes, timbales, hautbois, théorbe, cor, et orgue.
La Pietà où Vivaldi prend ses fonctions en 1703 occupait à peu près le
site de l’église actuelle, à quelques mètres près : entre le ponte della Pietà,
juste avant le ponte del Sepolcro. On ne possède pas de reproduction
précise de l’ancienne Pietà, seulement des vues un peu lointaines sur des
gravures et des tableaux de l’époque. Pour retrouver (ou essayer
d’imaginer) la Pietà de Vivaldi, son église, son hospice, on peut entrer dans
l’hôtel Metropole. On y verra le puits dans la petite cour, l’escalier
qu’empruntaient les filles pour retourner à leurs dortoirs et aux lieux qui
leur étaient assignés et, dans le hall, les quatre colonnes de l’église.
L’église connue par Antonio Vivaldi, consacrée en 1622, était assez petite
(environ 20 mètres de profondeur pour 10 mètres de largeur et 10 mètres de
hauteur)  : dimensions appropriées à un hospice destiné à héberger des
enfants. La façade donnant sur la rive apparaît, bien qu’assez
indistinctement, sur une gravure datant de 1828 (Antonio Quadri, Il Canal
Grande di Venezia rappresentato in tavole) ; l’église est à quelques mètres
seulement de la nouvelle Pietà construite par Giorgio Massari. Elle
comporte une porte centrale, encadrée par deux ouvertures et, dans la partie
supérieure, une rosace centrale ; le tout surmonté d’un tympan triangulaire.
Les documents d’archives font allusion à trois cloches, peut-être
suspendues dans un campanile à arcades.
La décoration intérieure s’était enrichie progressivement au fur et à
mesure des dons. Les guides et les chroniques de l’époque fournissent
quelques descriptions de son mobilier et des tableaux. De chaque côté de la
nef centrale se trouvaient deux autels recouverts d’une peinture imitant le
marbre. Le mur interne de l’église était tapissé, jusqu’à deux mètres de
hauteur, d’un revêtement en bois. Des sièges permettaient aux fidèles de
s’asseoir. En 1692, on avait restauré le maître-autel afin de le doter d’un
cadre en marbre. À cette occasion, le chœur avait été agrandi. On avait
aussi aménagé une galerie supérieure afin d’y placer l’orgue autour duquel
se disposaient les musiciennes et les chanteuses. Sur la partie latérale
gauche, une porte communiquait avec l’hospice, où vivaient et travaillaient
les autres pensionnaires.

Une institution de charité


L’institution dans laquelle Vivaldi, jeune prêtre, commence ses fonctions
de musicien est une structure mi-laïque, mi-religieuse ; vouée à la charité et
à l’assistance aux plus faibles. La vie y est austère, la discipline stricte, la
hiérarchie pesante. Les nobles qui la gouvernent (sénateurs et procurateurs)
y sont tout puissants. Antonio devra y affronter des tâches ingrates et
répétitives pour un salaire annuel fixe et assuré, mais bien inférieur à celui
que perçoit un chanteur au théâtre, en une seule soirée  ! C’est à la Pietà
pourtant qu’il compose ses premières œuvres instrumentales, les sonates et
les concertos publiés à Venise, puis à Amsterdam, qui susciteront
l’enthousiasme des mélomanes, dans toute l’Europe.
La vocation de la Pietà est différente de celle des trois autres ospedali
(hôpitaux) de Venise, les Mendiants, les Abandonnés et les Incurables, qui,
avant la chute de la République de Venise, possédaient une chapelle
musicale entièrement féminine. Sa mission n’est pas de porter secours aux
orphelins, mais seulement aux enfants illégitimes (garçons et filles),
abandonnés par leur mère. Les nouveau-nés sont placés dans une niche
disposée contre le mur de l’établissement (la scaffetta). Dès sa réception, le
nourrisson est lavé, baptisé langé, et reçoit un prénom. Dans un registre
(libro scaffetta) sont notés soigneusement la date, l’heure de l’arrivée, les
objets qui l’accompagnent. La lettre «  P  » (de Pietà) est marquée au fer
rouge sur son pied ou son bras : un signe qu’il conservera sur son corps sa
vie  entière  ! C’est pourtant le moyen de sauver des milliers d’enfants de
l’abandon et de la mort. Avec un certain humour, un visiteur français avait
dit un jour que, sans la Pietà, toutes les prostituées de Venise auraient jeté
leurs nouveau-nés dans les canaux de la ville !
L’enfant en bas âge est envoyé en nourrice dans une famille d’accueil ;
souvent à plusieurs kilomètres de Venise, à la campagne, où il est suivi par
un prêtre. À l’âge de dix ans, il revient à l’institution. Dès lors, il entre dans
un système de vie monacale : se lever à l’aube, prier, chanter les psaumes et
les hymnes, invoquer les saints. Les repas sont pris en commun, en silence,
en écoutant la lecture des textes saints. L’instruction comporte des éléments
chrétiens, ainsi que la lecture, l’écriture, la grammaire et l’arithmétique.
L’objectif des patriciens et des religieux qui supervisent ces institutions est
de préparer ces enfants sans famille à un travail, afin de leur éviter la
mendicité et la misère. On forme les garçons chez les artisans  ; ils
deviendront tisserands, tailleurs de pierres, cordonniers, marins de
l’Arsenal. Pour les filles, les débouchés sont la couture, la broderie, la
cuisine  ; elles seront souvent placées dans les familles nobles, comme
servantes. La discipline est stricte quant aux visites et aux sorties ; un seul
jour de vacances par an, en terre ferme ou dans une île voisine, tout comme
dans les couvents.
Dans leur disposition architectonique, les quatre hospices ressemblent
aussi à des monastères : bâtiments disposés autour d’un cloître (un pour les
garçons, un autre pour les filles), au centre duquel se trouve un puits –
comme on peut le voir encore à l’hospice des Mendiants (l’actuel hôpital),
sur le campo SS. Giovanni e Paolo. L’église est attenante aux locaux
d’habitation. Les fidèles peuvent, s’ils le veulent, suivre l’office à l’église,
sans pénétrer dans le lieu où se trouvent les jeunes car l’accès de l’hospice
n’est possible que sur autorisation spéciale consentie (et votée) par les seuls
députés.
L’institution survit grâce au travail des enfants, aux dons des bienfaiteurs
vénitiens, à ceux plus occasionnels de riches visiteurs étrangers, à
l’organisation de ventes de charité, de loteries, aux legs, grâce aussi aux
messes dites pour les défunts, aux offices, dont s’occupent un chanoine, des
diacres et des « mansionnaires » qui, tel Vivaldi à ses débuts, alternent dans
l’église, toute la journée. À dix-huit ans, les jeunes gens quittent
l’institution pour affronter la vie, suivis et protégés par leurs éducateurs.
La hiérarchie de la Pietà forme une pyramide, comme le gouvernement
de Venise. Au sommet, une quarantaine de nobles élisent trois présidents et
un vice-président, souvent de hauts magistrats de la Sérénissime. Les
gouverneurs décident de tout, des personnes à engager, de l’éducation et de
l’avenir des enfants, des finances, des travaux, des achats, du planning des
offices religieux, des fêtes exceptionnelles  ; ils s’efforcent de susciter des
élans de générosité de la part des bienfaiteurs. Des prêtres toujours présents
contrôlent l’éducation des jeunes. Chaque réunion, chaque décision est
reportée dans un grand carnet blanc (Notatori)  ; des registres précieux
aujourd’hui pour comprendre l’organisation de la Pietà, l’institution à
laquelle Vivaldi restera, bien qu’à des périodes et à des titres différents,
attaché toute sa vie.
La prieure est une dame de la noblesse, l’épouse d’un gouverneur, une
religieuse ou parfois même une fille élevée dans l’institution. À la Pietà on
l’appelle « Madonna ». Elle est la femme qui a la position la plus élevée.
Elle gère parfois jusqu’à deux cents personnes, non seulement les
pensionnaires, mais aussi les ouvriers, les boulangers, les fournisseurs qui
viennent de l’extérieur et servent la maison.
L’hospice est une entreprise financière ; les compositeurs, les maîtres de
musique, les nobles, les marchands, les filles du chœur elles-mêmes
peuvent réaliser des placements qui rapportent des intérêts (3  %), léguer
leurs biens, faire des dons. Investir de l’argent à la Pietà, c’est, pour un
noble vénitien, une manière de mettre en pratique son esprit chrétien et
civique.
Toute personne qui travaille pour la Pietà, patricien, dame de
l’aristocratie, musicien et enseignant, le fait dans un esprit de dévotion
chrétienne. Aucune recherche de gloire ni de bénéfices n’est liée à cette
fonction. Pour éviter tout désir de gloire et manifestations de vanité, les
députés se doivent de répéter, régulièrement  : notre objectif est de louer
Dieu, afin qu’il protège Venise de la pauvreté, de la maladie, des
intempéries et des guerres. Du personnel, on exige rigueur morale,
obéissance, respect du déroulement des messes et des offices. Les prêtres
doivent démontrer des mœurs exemplaires.

Une éducation fondée sur la musique

À l’intérieur de l’hospice de charité, les filles du chœur constituent une


unité autonome, gérée par un petit groupe de députés qui ne s’occupent que
de la chapelle musicale  : entrée et élection de nouvelles filles, gestion,
finances, discipline. Ils sont assistés par la prieure, par le directeur de la
chapelle musicale (appelé à Venise maître de chœur), par la maîtresse du
chœur qui elle-même dirige les maestre. La musique sert essentiellement au
culte, et les revenus provenant des offices religieux, des concerts
d’oratorios, des messes commandées par les bienfaiteurs sont destinés à
maintenir les enfants recueillis. Le rôle des filles du chœur, lit-on dans les
registres, est d’accompagner chaque soir les Litanies à la Vierge et les
prières commandées par les fidèles ; elles accompagnent les Messes et les
Vêpres, tous les dimanches, ainsi que pour les fêtes obligatoires. Leurs
interventions sont beaucoup plus nombreuses qu’il n’est dit dans les
documents d’archives car les filles musiciennes des hospices étaient
sollicitées à tout moment, à l’occasion des fêtes, sacrées et civiles, dans les
églises et les couvents, mais aussi dans les palais et les académies, ainsi que
dans les villas des nobles, à la campagne.
Le directeur de la chapelle musicale est, comme les autres membres du
personnel travaillant dans la maison, soumis à une discipline très stricte.
Son salaire, s’il n’est pas mirobolant, lui offre une stabilité institutionnelle,
recherchée par les musiciens. En échange, on lui demande un engagement
presque total. S’il veut s’absenter plus de quinze jours, il lui faudra obtenir
la permission des gouverneurs. S’il sort de l’État, il devra, au moment de sa
réélection, obtenir les 2/3 des voix d’au moins douze députés ; s’il n’atteint
pas le quorum, il sera suspendu de son engagement.
Avant de nommer un nouveau directeur musical, les députés prêtent
serment. On évalue l’expérience, la moralité, le caractère et la réputation du
musicien. Comme toute personne extérieure, le maître de chœur est réélu
chaque année par bulletin secret. Au moment de voter tout nouveau salaire,
les députés vérifient que le maître a accompli correctement les fonctions
correspondant au salaire précédent.
Les tâches dévolues au maître de chœur sont multiples : composition des
œuvres musicales nouvelles destinées à la liturgie et aux fêtes particulières,
enseignement et direction de l’ensemble instrumental et vocal ; les filles du
chœur doivent exécuter (à titre personnel et en public) les seules œuvres
composées par les maîtres de la Pietà. Le règlement stipule que le maître de
chœur est chargé de composer deux messes, deux vêpres et au moins deux
motets par mois  ; écrire toute musique qui lui sera demandée par les
gouverneurs, par exemple pour des funérailles ou toute autre occasion
extraordinaire. Il compose les musiques destinées aux offices de la Semaine
sainte, à la liturgie de Pâques et à celle de la Visitation de la Vierge, le
2 juillet, fête de l’église de la Pietà, une journée tout à fait exceptionnelle
pour les filles de l’hospice.
La liste des nouvelles partitions est consignée dans un registre conservé
par la maestra, lu à la Congrégation tous les six mois. Le directeur musical
est tenu de laisser une copie de ses œuvres à la maîtresse de chœur qui les
fait transcrire par les deux filles copistes. On regrette en effet que par le
passé les maîtres de chœur aient souvent quitté la Pietà en emportant les
œuvres qu’ils avaient composées et pour lesquelles ils avaient été payés.
Trois fois par semaine, matin et après-midi, accompagné par la maestra
désignée à cet effet, il se rend à l’hospice pour faire répéter toutes les filles
du chœur, sans distinction. L’après-midi, il supervise les répétitions. Le
maître de chœur dirige les filles, du clavecin ou de l’orgue, lors des fêtes
principales, aux offices de la Semaine sainte et pour les funérailles. Il doit
se tenir disponible, et répondre à toute sollicitation venant des gouverneurs.
La maîtresse de chœur assure le lien entre le maître de chœur, la prieure
et les députés. À la Pietà, elles sont deux et se répartissent les tâches  :
veiller au bon déroulement des leçons et des offices  ; diriger le chœur en
l’absence du maître de chœur ; tenir les registres avec les noms des filles et
leurs attributions  ; garder les lieux en ordre  ; surveiller l’état des
instruments de musique  ; diriger les maestre, c’est-à-dire les élèves plus
âgées désignées pour assister leurs cadettes. La veille des offices et des
messes, les maestre communiquent les partitions aux filles chargées de les
interpréter. Celles-ci doivent les avoir en main suffisamment tôt pour les
préparer. Si l’une d’entre elles est souffrante, les maestre désignent l’une de
ses compagnes pour la remplacer. Au son de la cloche, les filles doivent se
rendre rapidement dans la salle où se déroulent les leçons et ne pas en
bouger tant que le maître est présent. Il est interdit de s’éloigner sans
autorisation. Chaque mois les maestre rendent compte aux députés de tout
manquement et désobéissance.
Les filles aptes à faire partie du chœur, comme chanteuses ou comme
musiciennes, sont sélectionnées par les gouverneurs et le maître de chapelle
vers l’âge de dix ans, quand les enfants quittent leur famille d’accueil et
reviennent à l’institution. Dès lors, elles reçoivent un enseignement musical
spécifique : lecture, formation de l’oreille, plain-chant et chant figuré. Elles
apprennent à jouer d’au moins deux instruments de musique, en fonction
des besoins du chœur.
Une fois admises, les filles sont divisées par âges : jusqu’à seize ans, les
débutantes ; de seize à vingt-deux ans, les « actives », qui chantent et jouent
dans le chœur. Si elles sont suffisamment méritantes, elles deviennent
«  maestre  ». Elles commencent alors à enseigner aux filles plus jeunes  et
sont, en conséquence, dégagées de certaines tâches. Elles sont aussi rangées
par «  classes  », selon leur registre vocal et selon leur instrument  ; et par
ordre, 1 ; 2 ; 3… Ainsi, si la première est défaillante, on la remplace par la
seconde  ; la seconde par la troisième…, selon l’ordre du classement
préétabli. Le maître de chœur gère très précisément ce roulement.
Le nombre des filles varie selon les époques. À certaines dates, on peut
évaluer à une soixantaine les filles faisant partie du chœur de la Pietà ; mais
une trentaine seulement se tiennent dans la tribune, au moment des offices
religieux. Vers 1740, c’est-à-dire à l’époque où Vivaldi s’apprête à quitter
Venise pour Vienne, le chœur de la Pietà comprend dix-huit chanteuses
actives et huit débutantes  ; dix instrumentistes actives (cinq violonistes,
trois violoncellistes, deux organistes) et six débutantes (deux violonistes  ;
deux violoncellistes  ; deux organistes)  ; il faut ajouter à ce nombre deux
maîtresses de chœur, deux « solistes » et deux copistes de musique1.
Pour les identifier, elles n’ont que le seul prénom, celui qui leur fut
attribué à leur arrivée à la Pietà, au moment de leur baptême ; on complète
ce prénom par le registre de leur voix ou l’instrument dont elles jouent. On
dit par exemple Prudenza dal Contralto, Andriana dalla tiorba, Antonia
organista… Comme elles portent souvent les mêmes prénoms (Chiara,
Maria, Anna…), il n’est pas aisé aujourd’hui de les identifier, sachant aussi
que les musiciennes jouent de plusieurs instruments.
On ne possède pas de liste exhaustive des instruments de musique dont
dispose la Pietà à l’époque de Vivaldi. Un inventaire datant de l’époque de
son entrée dans l’institution comporte le signalement de dix-neuf
instruments  : six violons, quatre viole da brazzo (violons ténors), quatre
viole da colo (violoncelle), deux violoni, un théorbe, un trombone et une
«  tromba marina  ». L’expression «  trombe marine  », qui apparaît très
fréquemment dans les manuscrits de Vivaldi, n’est pas claire. On hésite à
dire s’il s’agit d’un violon dont le chevalet est fixé d’un seul côté,
produisant un son particulier, ou bien d’un violon accordé de façon à
évoquer la sonorité de la trombe marine… La Juditha triumphans,
composée par Vivaldi en 1716, montre que le chœur possède un fonds
d’instruments de musique (clavecins, épinettes, mandolines, dulcimers,
luths, flûtes droites et flûtes traversières, chalumeaux, clarinettes, cors de
chasse, trompettes, cymbales et timbales) beaucoup plus vaste et plus varié
que ne le laissent supposer les listes d’instruments retrouvées dans les
archives de l’hospice.
Toutes les filles de la Pietà portent un vêtement rouge, une couleur qui
symbolise la charité, et un châle blanc sur les épaules. Les «  figlie di
choro  » jouissent de certains privilèges (chambres chauffées, jours de
vacances, soins…) par rapport aux travailleuses manuelles, que l’on appelle
« figlie di comun ». Malades, elles sont parfois accueillies dans des familles
nobles, le temps que dure leur convalescence. Il n’est pas rare que des
patriciens prennent telle ou telle fille sous leur protection et versent pour
elle des sommes régulières. Les filles du chœur n’en suivent pas moins les
mêmes principes religieux que tous les autres pensionnaires de la maison.
La discipline est rude et les actes de désobéissance punis. En contrepartie,
les gouverneurs sont toujours prêts à reconnaître les talents et à
récompenser les efforts particuliers des unes et des autres.
Les chanteuses et les musiciennes perçoivent une part des bénéfices
réalisés sur la location des chaises dans l’église, lors des concerts
d’oratorios par exemple. En cas de manquements ou d’incartades, une
certaine somme est retenue sur leurs revenus. Cet argent leur permet de
constituer une dot qu’elles emploieront au moment de se marier, ou d’entrer
au couvent.
Lorsqu’elles atteignent l’âge de quarante ans, les filles peuvent choisir :
rester dans le chœur, où elles jouiront de privilèges supplémentaires, entrer
au couvent, ou se marier – jamais toutefois sans l’accord du personnel
d’encadrement ! Avant de quitter la maison, toute fille doit avoir instruit au
moins deux élèves plus jeunes dans le chant ou l’instrument (sinon une
somme correspondante est retenue sur sa dot). Dans le chœur, se trouvent
des filles d’âges très variés, entre onze et soixante-dix ans. Certaines
meurent à des âges très avancés, au-delà de quatre-vingts ans.
 
À la date du 1er septembre 1703, voilà donc l’emploi du temps de Vivaldi
fixé. Composer une messe par jour pour sa commanditaire (il recevra pour
cela 20 ducats par trimestre en plus de son salaire annuel de 60 ducats à la
Pietà) et se rendre à la Pietà trois fois par semaine pour enseigner, deux
heures durant, le violon aux filles du chœur.
Dans sa tâche de «  maître d’instruments  », Vivaldi ne devra pas
seulement enseigner le violon aux filles du chœur, jouer avec elles pendant
les offices solennels, quand il s’avère utile de renforcer le chœur, mais aussi
s’occuper des instruments à cordes constituant le patrimoine, les faire
réparer, en acheter de nouveaux. Il n’est pas chargé de composer la musique
sacrée interprétée par les filles pendant les offices, ni les oratorios joués le
dimanche. Ces attributions reviennent de droit au maître de chœur. En tant
que maestro d’istromenti, il pourra en revanche fournir au chœur des pièces
instrumentales (sonates, concertos, Sinfonie) que les filles joueront, tantôt
pour elles-mêmes, tantôt en public, pendant les offices et à l’occasion des
fêtes exceptionnelles.

 Dans l’atelier de la Pietà

 (1704-1707)

Francesco Gasparini, le maître de chœur de la Pietà, est un


musicien affirmé, estimé du public, très bien accueilli parmi les
Vénitiens, considéré comme l’un des meilleurs compositeurs de
son temps et débordant d’énergie et d’activités. Issu des milieux
romains, l’esthétique de ses œuvres musicales est proche de celle
d’un Alessandro Scarlatti. Gasparini est attaché à la tradition du
« beau chant » ; le bel canto que défend le castrat et théoricien
Pierfrancesco Tosi, respectueux de règles où les parties mélodiques
doivent être fortement soutenues (et retenues) harmoniquement par
la basse continue. Antonio Vivaldi, le nouveau maître de violon,
est, quant à lui, un jeune prêtre violoniste autochtone. Brillant
violoniste, il a encore tout à prouver en tant que compositeur. Mais
il est déterminé, impulsif, exubérant. Il n’appartient à aucune école
proprement dite, à aucun rassemblement académique. Il est libre.
Et, malgré son état ecclésiastique, il brûle d’ambition.
Un maître de chœur et un maître de violon

Ces deux fortes personnalités se côtoieront non seulement à Venise mais


encore, pendant plusieurs années, dans les mêmes villes d’Italie, les mêmes
théâtres, les mêmes églises, dans les salons des mêmes princes et mécènes.
À la Pietà, leur collaboration durera dix ans. Dix années au terme
desquelles Francesco Gasparini donnera sa démission, prétendant que le
climat de la lagune ne lui convient pas ; tandis que Vivaldi, à cette époque-
là, a déjà abandonné la prêtrise, en raison de problèmes de santé.
Ces deux musiciens au tempérament exceptionnel unissent leurs forces
pour transformer une institution de bienfaisance, où la musique sert la
détresse et la solitude d’enfants anonymes et abandonnées, en un lieu
d’excellence instrumentale. Pendant ces dix années, Gasparini et Vivaldi
vont faire de la chapelle musicale un ensemble musical, entièrement
féminin, dont la qualité instrumentale et la richesse sonore seront
comparées à celles de l’orchestre de Dresde, c’est-à-dire ce qui se fait de
mieux en Europe !
Un peu plus d’un an après son engagement à la Pietà, le 17  août 1704,
Vivaldi reçoit un nouvel enseignement, celui de la viola all’inglese. On ne
sait si cet instrument est une grande viole d’amour (avec cinq ou sept cordes
et une autre série de cordes vibrant « par sympathie ») ou plutôt, comme on
tend à le penser, s’il s’agit simplement d’un alto fabriqué sur un modèle
anglais. La Pietà dispose en effet à cette période d’un lot de six viole
all’inglese prêtées par l’hospice des Mendiants2. Pour cette tâche
supplémentaire, Antonio recevra 40 ducats annuels qui s’ajouteront aux 60
ducats pour l’enseignement du violon.
Les résultats ne se font pas attendre. Un dimanche de mai 1704, pendant
l’office des Vêpres, les filles du chœur, divisées en quatre groupes, dans les
quatre coins de l’église, jouent une Sinfonia. Les fidèles sont saisis
d’étonnement. Ce concert fut «  si musical et si original – écrit le
chroniqueur du journal local Pallade Veneta [Pallas vénitienne] – que les
gens en sont restés bouche bée d’admiration, se disant que « de tels concerts
sont davantage l’œuvre du Ciel que celle des hommes3 ».
 
Le 1er septembre, 1705, la première « mansioneria » confiée à Vivaldi en
mémoire de la bienfaitrice Lucrezia Trevisan Memmo (dire la messe chaque
jour, payé 20 ducats tous les trois mois) se termine. Toutefois, entre juin et
août, il semble que don Antonio Vivaldi n’ait célébré que la moitié des
messes prévues dans son contrat (45 au lieu de 90)  ; c’est la raison pour
laquelle il n’aurait touché que 10 ducats. Puis les paiements s’interrompent
brusquement. Ensuite, de septembre 1705 à novembre 1706, Vivaldi aurait
assumé une nouvelle charge de «  mansionnaire  » pour Tomaso Gritti. Ce
qui est troublant c’est que, beaucoup plus tard, en 1737, Vivaldi écrira à
l’un de ses protecteurs, le marquis Guido Bentivoglio, à Ferrare, que, en
raison de ses mauvaises conditions de santé, il n’a pas célébré la messe plus
d’un an. Pourtant, si l’on tient compte de la deuxième charge qui lui est
confiée par Tomaso Gritti, le compositeur commet une erreur  ; à moins
qu’il réduise à dessein l’importance de son engagement ecclésiastique ! Si
l’on se repose sur les données fournies par les archives, Vivaldi aurait
célébré la messe du 1er  septembre 1703 à novembre  1706, donc bien plus
d’une année ! Une chose reste sûre : il cesse rapidement de dire la messe. Il
accuse son mauvais état général, le mal qui l’oppresse et qui viendrait de sa
naissance difficile. Peut-être préfère-t-il seulement se rendre disponible
pour la musique, répondre aux invitations que lui valent sa virtuosité
exceptionnelle, préparer la publication de recueils de sonates et de
concertos. Enfin, se consacrer totalement à son art.
Cette année-là (1705), Vivaldi participe à un concert de bienfaisance,
organisé dans son palais par l’ambassadeur français, l’abbé Henri-Charles
de Pomponne, destiné à financer la reconstruction du monastère de San
Girolamo, qui venait d’être détruit par un incendie. C’est la première d’une
série de collaborations que Vivaldi assurera, dans les années à venir, auprès
de l’ambassadeur de France à Venise.

Les sonates en trio Opus 1 (1703/1705)

C’est encore en 1705 que paraît son premier recueil de sonates. L’éditeur,
Giuseppe Sala, tient son magasin «  À l’enseigne du roi David  », dans le
quartier du Rialto, tout près du théâtre San Giovanni Grisostomo. De cet
Opus 1, un seul exemplaire de l’édition vénitienne a survécu, incomplet. Il
est conservé à la bibliothèque du Conservatoire B. Marcello à Venise. Si ce
fascicule est daté 1705, on suppose toutefois qu’il s’agirait de la
réimpression d’une partition primitive perdue, éditée en 1703, juste avant
l’entrée de Vivaldi à la Pietà. En effet, sur le frontispice, le compositeur est
cité comme « Musicien de violon, Professeur vénitien ». Si le recueil avait
été effectivement imprimé pour la première fois en 1705, pourquoi Vivaldi
n’a-t-il pas utilisé son titre de maître de violon à la Pietà, comme il le fera
dans le recueil suivant  ? Ce premier recueil est dédié au comte Annibale
Gambara, un « Noble vénitien » originaire de Brescia, qui en a sans doute
financé, tout ou partiellement, la publication. Vivaldi remercie son
dédicataire de lui avoir permis cette édition et reconnaît que la musique, qui
n’avait été qu’un simple penchant, venait de se révéler à lui comme une
nécessité absolue. Ce recueil sera réimprimé à Amsterdam, en 1715.
Intitulé Suonate da Camera a Tre, due Violini, e Violone o Cembalo,
l’Opus 1 contient douze sonates de chambre, écrites pour deux violons et
basse continue. Ce sont des sonates en trio d’une facture encore
conventionnelle, structurées en quatre ou en cinq mouvements, précédées
d’une ouverture lente largo, puis enchaînant des mouvements de danses,
allemandes, sarabandes, courantes, gigues, gavottes, selon les modèles en
vigueur. La douzième sonate (RV 63) est une « Follia », hommage évident
à Corelli, le «  père  » de la génération des violonistes, interprètes et
compositeurs nés, comme Vivaldi, à la fin du xviie siècle.
 
Le 1er décembre 1705, la famille Vivaldi déménage. Ils logent désormais
sur le campo SS. Filippo e Giacomo, proche du campo de la Bragora, plus
proche encore de la Pietà que ne l’était la première habitation. Les Vivaldi
demeureront dans cet appartement jusqu’au 30 novembre 1708.

Un procès

Que fait Vivaldi pendant l’hiver 1705-1706  ? Une série de documents


découverts récemment dans les archives de Venise  sont venus remettre en
question le prétendu mauvais état de santé invoqué par Vivaldi dans sa
célèbre lettre au marquis Bentivoglio pour justifier son abandon de la
prêtrise. En janvier et février  1706, Vivaldi avait engagé un procès contre
un certain Girolamo Polani, compositeur peu connu, ancien chanteur
soprano dans la chapelle de Saint-Marc, peut-être un ami de Giovanni
Battista Vivaldi. C’est sur la demande de Polani, explique Vivaldi aux
juges, qu’il aurait composé la partition du Creso tolto alle fiamme (Crésus
sauvé des flammes), un opéra créé au théâtre Sant’Angelo, le 5  décembre
17054. En septembre de l’année précédente, le même Girolamo Polani
l’aurait contacté, le priant de terminer l’opéra qui lui avait été commandé
par le Sant’Angelo. Vivaldi aurait accepté de composer une bonne partie de
l’opéra en question. Il affirme que les gestionnaires du théâtre (l’imprésario
Giovanni Orsato qui s’était déchargé de l’affaire sur le peintre Sebastiano
Ricci) lui doivent encore, en paiement de cet opéra, 60 ducats.
Polani répond en ces termes aux accusations du Prêtre roux :
Le Révérend D.  Antonio Vivaldi prétend que je lui dois une somme
d’argent dont il est incapable de préciser à combien elle s’élève
exactement. Les arguments qu’il présente sont tout à fait abusifs  et
fallacieux ; en conséquence, je demande à en être libéré et exempté […] ;
en effet, en ce qui me concerne, j’ai composé pour lui la musique de l’une
de ses sérénades exécutée l’automne dernier dans la ville de Rovigo, en
échange d’une somme de 25 ducats par partie, sauf liquidation5.
Trois semaines plus tard, le 26  février, Vivaldi intervient à nouveau
auprès des juges, réitérant ce qu’il avait déclaré dans sa plainte déposée le
mois précédent :
La vérité fut et reste que c’est moi-même, D.  Antonio Vivaldi, qui ai
mis en musique les quarante arias de l’opéra intitulé Creso tolto a le
fiamme, qui fut représenté au Théâtre S. Angelo en automne dernier. J’ai
également composé les parties instrumentales de la Sinfonia et écrit de
nombreux récitatifs, comme me l’avait demandé M. Girolamo Polani. J’ai
transcrit les originaux et assisté seul à toutes les répétitions6.
Nous ne possédons pas le manuscrit de la partition du Creso, ni celui de
la mystérieuse sérénade de Rovigo évoquée par Polani dans sa défense. De
nombreux points restent encore obscurs dans la biographie du Vénitien. Si,
comme le montre ce procès, Vivaldi composait pour le Sant’Angelo dès
1705 (Giovanni Battista joue depuis plusieurs années dans ce théâtre et
participe à sa gestion), pourquoi donc a-t-il attendu huit à neuf ans pour y
faire représenter, sous son nom, son premier opéra  ? Et comment peut-il
prétendre, en cette fin d’année 1705, ne plus pouvoir célébrer la messe en
raison de sa mauvaise santé, alors qu’il est à la même époque en train de
composer un opéra presque entier, de suivre les répétitions et même
d’attaquer en justice les imprésarios du Sant’Angelo ?
 
Le 7 mars 1706, Vivaldi est réélu à son poste de « maître de violon ». Il
n’obtient cependant que sept voix en sa faveur ; trois députés se prononcent
contre lui. Ses manquements à sa mission de «  mansionnaire  » (c’est la
Pietà qui gère ses émoluments et le roulement des prêtres dans l’église), son
abandon soudain de la prêtrise (dans un milieu catholique rigide), ce procès
compliqué peu digne d’un prêtre auraient-ils irrité la «  Pieuse
congrégation » qui dirige la chapelle musicale de la Pietà ?

De nouvelles règles pour le chœur

Sous la houlette de Francesco Gasparini, les messes solennelles, les


cérémonies exceptionnelles, les concerts d’oratorios se succèdent à vive
cadence. Tout succès a ses revers : l’indiscipline et le désordre s’installent
dans le chœur. Les gouverneurs promulguent de nouveaux règlements,
promettent des punitions pour les paresseuses et les rebelles, ainsi que des
récompenses à celles qui s’en montreront dignes. Ainsi, le 1er mars 1705, six
filles du chœur sont autorisées à chanter les parties solistes, un privilège qui
avait été jusque-là réservé aux maestre : « Il est juste et normal de permettre
aux filles du chœur, en fonction de leur âge et de leurs compétences, de
chanter la même chose que les autres, car cela profitera au chœur7  »,
écrivent les députés. Le 5 juin 1707, on permet à quatorze filles méritantes
d’enseigner à des élèves privées, à condition que celles-ci soient issues de
milieux nobles, ou de la bourgeoisie. Ces élèves externes, payantes, dites
Figlie in Educazione, entrent dans la maison vers l’âge de trois ou six ans.
À dix-sept ans, elles retournent dans leur famille. La notoriété de la Pietà
grandissant, des élèves arrivent bientôt de toute l’Europe. Il faut maintenant
veiller à ce que ces jeunes filles riches, au statut social privilégié, ne fassent
pas tourner la tête aux pauvres pensionnaires. Les députés soulignent que
les nouvelles venues doivent se soumettre aux usages de l’hospice  : «  se
vêtir sobrement, évitant tout maquillage festif, poudre et autres accessoires
qui ne sont pas en usage à l’hospice8  ». En cas de désobéissance, l’élève
sera aussitôt renvoyée, et la maestra qui l’avait recrutée ne pourra plus en
sélectionner d’autres. Quatre des quatorze filles citées sur le document
d’archives (Prudenza dal Contralto, Lucieta Organista, Pelegrina dall’Oboè
et Candida dalla viola) jouent dans la sonate pour violon, hautbois et orgue
(RV 779) de Vivaldi, un manuscrit autographe daté d’environ 1709,
conservé à Dresde9.
On constate aussi que des filles non autorisées se sont introduites dans le
chœur. Les députés réitèrent la règle  : aucune fille ne peut être élue sans
l’avis juré du maître de chœur, l’accord de la maîtresse de chœur et le vote
de la Congrégation. Dans la foulée, le 4  décembre 1707, Francesco
Gasparini établit une nouvelle liste officielle des 29 jeunes filles aptes à
faire partie du chœur : 16 instrumentistes : orgue (3), violons (6) ; viola (4) ;
violetta (2) et théorbe (1)  ; et 13 chanteuses  : sopranos (5), contraltos (4)
ténors (3) et basse (1)  ; il est probable que les filles désignées sur ces
documents comme «  ténors  » et «  basses  » chantent leurs parties en les
transposant vers l’aigu10. Et, une nouvelle fois, on souligne que, « pour le
bien de ce lieu pieux  », les filles du chœur sont tenues de «  servir avec
application et amour Notre Seigneur11 ».
 
Depuis son arrivée à la Pietà, en 1701, Francesco Gasparini avait fourni
sans relâche la musique commandée par les gouverneurs et rempli
scrupuleusement les tâches d’enseignement et de direction qui lui avaient
été assignées. Mais, entre la musique religieuse, les oratorios, les opéras
pour le théâtre San Cassiano et les commandes extérieures, le maître donne
des signes d’épuisement. Aussi Gasparini commence-t-il à songer
sérieusement à plier bagage et à rentrer chez lui pour prendre du repos. En
été 1707, il se rend à Rome où il passe le concours de maître de chapelle à
l’église de Santa Maria Maggiore. Le poste lui échappe et revient à son ami
Alessandro Scarlatti. S’il rentre à Venise, c’est à contrecœur. Malgré les
multiples efforts déployés par les députés pour retenir dans leurs murs un si
zélé maître de chœur, dès lors, Francesco Gasparini ne cessera plus de
désirer le départ.

 Frédéric IV, roi du Danemark et de Norvège,

 à Venise

 (hiver 1708-1709)

L’épuisante guerre pour la succession au trône d’Espagne, qui avait


divisé l’Europe entre les partisans de l’archiduc Charles de
Habsbourg et les défenseurs du duc d’Anjou, petit-fils de
Louis XIV, futur roi Philippe V, vient de se terminer. Ces années-
là, politiquement troublées, Antonio et Giovanni Battista Vivaldi
peuvent-ils avoir ignoré les opéras, chargés de connotations
politiques, représentés au théâtre San Giovanni Grisostomo ?
Peuvent-ils ne pas avoir vu, au théâtre des Grimani (de fidèles
alliés de l’Autriche), Il Trionfo della Libertà et Il Mitridate
Eupatore d’Alessandro Scarlatti ? La Partenope, mise en musique
par leur compatriote Antonio Caldara, un drame qui exalte la
fondation de Naples et exprime la rébellion des Napolitains contre
l’occupation étrangère ? Peuvent-ils avoir manqué l’Agrippina,
l’opéra vénitien du jeune Saxon Georg Friedrich Haendel ? Sous le
masque de l’Antiquité, ce livret est lui aussi émaillé de références
cryptées aux tensions que la guerre de Succession d’Espagne avait
engendrées dans la curie romaine. L’Agrippina avait connu un
triomphe et pas moins de vingt-six reprises !
Vivaldi a trente ans. Il a publié à Venise un premier recueil de
sonates en trio. Il a cessé définitivement de dire la messe et, depuis
cinq ans, il enseigne le violon aux filles de la Pietà.
Francesco Gasparini, Antonio Vivaldi et les « filles du chœur »

Le travail forcené fourni dans l’hospice de charité par Francesco


Gasparini et Antonio Vivaldi porte ses fruits  : la chapelle musicale de la
Pietà est en plein essor. Inquiets de ce succès, les gouverneurs entreprennent
une révision globale des anciens statuts de la maison et rédigent un nouveau
cahier des charges, rappelant inlassablement la vraie vocation religieuse de
l’institution, le rôle et les devoirs de chacun. Pour convaincre la
commission d’entreprendre de nouvelles dépenses, il faut alors toute
l’autorité dont jouit, auprès des députés, Francesco Gasparini. Son
dévouement total à l’institution, l’admiration dont il est l’objet, sa notoriété,
à l’église mais aussi dans les théâtres, décident les députés à délier leur
bourse. La chapelle musicale manque d’instruments de musique  ; certains
sont défectueux  : on acquiert un grand clavecin à double clavier, deux
hautbois, un psaltérion. 400 ducats sont dépensés pour six violons et quatre
violoncelles, une viole d’amour, quatre hautbois, quatre flûtes, deux
chalumeaux, deux harpes, deux psaltérions et d’autres instruments encore.
Vivaldi s’occupe des instruments à cordes ; il achète lui-même les violons,
violes, cordes nécessaires, puis se fait rembourser. Sur les registres
comptables de la Pietà, apparaissent des mentions telles que  : 2 ducats et
14 grossi versés à Vivaldi pour un archet destiné à Maddalena Rossa ; 10
ducats pour un violon destiné à Zanetta ; 13 ducats pour un violon acheté à
l’intention de Marcolina  ; 2 ducats et 22 grossi payés à Vivaldi pour des
cordes, pour une viole d’amour… Au printemps 1708, Gasparini commande
un nouvel orgue et rédige la liste précise des réparations qu’il faudra
effectuer sur le vieil orgue qui, en 1692, avait été placé sur la galerie, au-
dessus du maître autel.
Deux œuvres instrumentales composées par Vivaldi pour la Pietà, dont
les manuscrits autographes sont conservés à Dresde, évoquent par leur
distribution ces nouvelles acquisitions. La première, la sonate RV 779, est
écrite pour «  Violon, hautbois et orgue obligés  »12. Le document porte la
mention « Ospitale della Pietà » ; les noms des filles sont notés en face de
leurs parties respectives  : «  Sigra Prudenza  » pour le violon, «  Sigra
Pelegrina  », le hautbois, «  Sigra Lucietta  », l’orgue et «  Sigra Candida,
Salmoe se piace [chalumeau si l’on veut]  ». Les filles sont habituées à
adapter les partitions de leur maître  ; elles peuvent jouer leur partie avec
l’instrument qui leur convient. Dans cette sonate, Vivaldi suggère une
alternative possible (RV 779a)  : jouer la même pièce sans l’orgue, mais
avec deux violons, le hautbois et le chalumeau. Dans ce cas, c’est le
deuxième violon qui joue la partie qui, dans la première version, était
exécutée sur l’orgue par la main droite de Lucieta ; et ce qui était joué sur
l’orgue par la main gauche dans la première version peut être exécuté par
Candida, sur le chalumeau.
La deuxième pièce autographe conservée à Dresde aurait été composée
entre le 2  septembre 1708 et le 24  septembre 1709  ; elle est intitulée
«  Concerto en deux chœurs avec flûtes obligées  » (RV 585)13. Les filles
sont divisées en deux groupes, chacun comportant, outre les cordes et la
basse continue, deux flûtes (droites) qui concertent avec les deux violons
solistes.

L’Armonico pratico al cimbalo de Francesco Gasparini (1708)

En cette même année 1708, Francesco Gasparini publie à Venise, chez


l’éditeur Antonio Bortoli, son célèbre traité L’Armonico pratico al cimbalo
(L’harmonie pratique au clavecin). «  Tu seras sans doute surpris de voir
paraître une œuvre à laquelle tu ne t’attendais pas  », écrit le maître à
l’intention de son « aimable lecteur », sur un ton plutôt familier et amusé.
«  D’abord parce que tu ne m’as jamais considéré comme un organiste, et
donc incapable de traiter ce sujet. […] Toutefois, si tu daignes jeter un coup
d’œil bienveillant sur ces pages, tu verras qu’il s’y trouve quelques
éléments nouveaux et intéressants que tu vas apprécier. J’écris avec
simplicité, sans recherche littéraire  ; je m’en contente, car je sais que tu
m’estimes comme musicien, et non comme rhétoricien…  » L’ouvrage est
dédié à Girolamo Ascanio Giustiniani, le fils du procurateur Giustiniani,
gouverneur à la Pietà. Une dizaine d’années plus tard, le même Girolamo
Ascanio écrira les textes des Psaumes de David mis en musique par
Benedetto Marcello.
Le traité de Francesco Gasparini est précieux aujourd’hui encore pour
connaître les principes selon lesquels les filles du chœur apprenaient à
réaliser la basse continue sur l’orgue, le clavecin et l’épinette  ; pour
comprendre aussi comment le maître enseignait à ses élèves à s’adapter au
style de chacun des compositeurs qu’elles devaient interpréter.

Le Gare del dovere, sérénade, Rovigo, juillet 1708 (RV 688)

En juillet, on donne à Rovigo (petite ville située entre Padoue et Ferrare)


une sérénade Le Gare del dovere (Les conflits du devoir) (RV 688) dont
Vivaldi aurait, selon l’indication portée sur le livret, composé la musique.
Étrange coïncidence, si l’on songe au procès qui avait eu lieu à Venise deux
ans plus tôt  ! Girolamo Polani prétendait devant les juges avoir composé
une sérénade pour Rovigo, sous le nom de Vivaldi, tandis que Vivaldi, lui,
aurait écrit la musique de l’opéra Creso tolto alle fiamme sous le nom de
Polani ! S’agirait-il de la même sérénade, mais exécutée deux ans et demi
plus tard ? Le livret de Le Gare del dovere est dédié par Vivaldi au patricien
vénitien Francesco Querini, podestat et capitaine de Rovigo, ainsi qu’à son
épouse, Elena Minotti. Querini avait été nommé gouverneur de cette ville
en 1704 et sa mission était arrivée à son terme. Les festivités organisées
pour son départ avaient été retardées par plusieurs calamités  : l’incursion
des troupes françaises et impériales dans la plaine du Pô, puis une famine,
ensuite une inondation de l’Adige, à laquelle le livret fait référence. Enfin,
en juillet 1708, on célèbre comme il se doit le départ de Francesco Querini
et l’on joue cette sérénade mise en musique par Vivaldi. Le livret comporte
cinq personnages allégoriques  : Rovigo, la Nuit, le Temps, l’Adige et la
Gloire. La musique de cette œuvre étant perdue, impossible de savoir si elle
fut composée par Vivaldi, ou plutôt par le compère… Girolamo Polani !
 
Le 1er décembre 1708, la famille Vivaldi déménage à nouveau et quitte le
logement du campo SS. Filippo e Giacomo, dans la paroisse de San
Provolo, où elle résidait depuis trois ans. La nouvelle adresse n’est pas
connue  ; logement provisoire quoi qu’il en soit car, trois ans plus tard,
Antonio et son père signeront un nouveau contrat de location pour une autre
maison, située sur le même campo.

Le séjour de Frédéric IV à Venise (décembre 1708-mars 1709)


Le 20  décembre, le gouvernement vénitien reçoit de Lorenzo Tiepolo,
l’ambassadeur de la Sérénissime à Vienne, une dépêche urgente  :
Frédéric  IV, roi du Danemark et de Norvège, en voyage vers l’Italie,
compte s’arrêter à Venise pour y passer les fêtes du carnaval. La République
n’a pas de lien direct ni d’intérêt politique commun avec le Danemark et la
Norvège, mais les actions militaires engagées par Frédéric pour contrecarrer
les avancées du roi de Suède Charles XII en Pologne et en Russie suscitent
l’admiration du monde politique européen. Frédéric est apprécié par son
peuple, reconnu comme un excellent souverain, qui administre son pays
avec sagesse et mène des réformes humanistes et nécessaires.
Les sénateurs vénitiens n’ont que quelques jours pour préparer une
réception digne du souverain. Après un arrêt à Vicence, Frédéric  IV et sa
suite traversent Padoue et parviennent sur les bords de la Brenta. De là, ils
s’embarquent pour Venise où ils arrivent le 29 décembre, en plein carnaval.
Ils sont reçus par quatre députés  : Erizzo, Nani, Dolfin et le procurateur
Francesco Morosini, l’un des gouverneurs à la Pietà. Ces patriciens
accompagneront le roi dans tous ses déplacements, tant que durera son
séjour sur la lagune14. À peine installé dans le palais qu’on a mis à sa
disposition, Frédéric annonce qu’il tient à rester incognito  ; il faudra
l’appeler seulement « duc d’Oldenburg ». Dès le premier soir, costumé à la
Vénitienne, tabarro (manteau) et bauta (voile noir sur les épaules), masqué,
le prince se jette dans la foule.
Le lendemain matin, douze péottes (grandes gondoles) chargées de
paniers emplis de gibier, volailles, café, chocolat et vaisselle en cristal de
Murano sont ancrées devant le palais où Frédéric est hébergé. Le soir,
Frédéric est conduit au théâtre San Giovanni Grisostomo où l’on représente
un opéra d’Antonio Lotti, Il Vincitor generoso. Deux des loges qui se
trouvent sur la scène ont été transformées en luxueux appartements ; le roi
peut entrer et sortir à sa guise. Quelques jours plus tard, Giovanni Carlo
Grimani, le propriétaire du théâtre, invite à nouveau Frédéric au San
Giovanni Grisostomo, mais cette fois pour un souper. Le banquet est suivi
par un bal, dans la salle du théâtre transformée en piste de danse.
Même s’il avait désiré rester incognito et s’il avait rêvé de faire de cette
étape vénitienne un moment de plaisirs et de repos, Frédéric ne peut
échapper aux dizaines de visites et de manifestations que l’orgueilleuse
Sérénissime organise, chaque fois qu’elle reçoit un hôte prestigieux. Toute
la ville se fait théâtre et se déploie sous les yeux du prince telle une
scénographie d’opéra. Il est guidé aux cristalleries de Murano  ; puis,
«  accompagné par cinquante des plus gracieuses et riches dames
vénitiennes », il visite l’ancien Arsenal de Venise. Il parcourt les magasins
emplis de mâts, de timons et d’ancres de marine ; regarde les « mille bras »
des ouvriers qui s’affairent dans les ateliers, les centaines de femmes
occupées à la fabrication des voiles. On lui fait assister à la construction du
corps d’une galère. Devant lui, on fond six canons. On lui fait voir les
maquettes de fortifications d’État, de ponts, de machines et de vaisseaux ;
les trophées des glorieuses batailles de la marine vénitienne : des armatures
en fer où sont gravées les dates des victoires, une série de canons, en cuir,
en fer et en bronze. À l’extérieur du chantier naval, il marche parmi les
canaux où sont entreposés les vaisseaux désarmés, ainsi que ceux de l’État,
toujours prêts à être appareillés  ; on lui fait aussi admirer les chantiers
couverts où, sans crainte des intempéries, les ouvriers peuvent fabriquer un
vaisseau complet. Enfin, depuis une terrasse, en compagnie de la fine fleur
de la noblesse vénitienne, Frédéric assiste à la mise à l’eau d’une galère,
armée de soixante-quatre canons.
Pendant le Carnaval les jongleurs, acrobates, conteurs, chiens et chevaux
dressés, animaux exotiques, présentent leurs attractions dans les casotti
(cabanons), sur les campi et dans les calli de la cité… Le soir, champ libre
aux divertissements ! Frédéric passe d’un palais à l’autre, où sont organisés
soupers et bals. Après les spectacles, le prince se rend dans les salles de
jeux et en particulier au Ridotto où les patriciens et les gens du peuple se
mêlent indistinctement, une bonne partie de la nuit, sous le couvert du
masque et du déguisement. Ainsi travesti, Frédéric aura-t-il rendu visite à
quelques-unes des plus belles et érudites courtisanes de la ville, comme
l’avait fait le jeune Henri III, lors de son séjour à Venise en juillet 1574 ?
Les chroniques ne le disent pas…
Du 6 au 24 janvier, un froid polaire s’abat sur Venise ; le vent glacial fait
geler la lagune (ce qui n’empêche pas les Vénitiens de se divertir, en
marchant sur la glace, costumés, entre Venise et Mestre). Les bourrasques
de vent et de neige gênent à plusieurs reprises l’organisation des fêtes
nocturnes, dans les jardins des palais ; une chasse en barque sur la lagune,
l’un des divertissements favoris des Vénitiens, à laquelle Frédéric était
convié, doit être annulée. Lorsque la température devient enfin plus
clémente, Frédéric assiste à une compétition nautique, sur le Grand Canal.
Le noble Dolfin invite le prince à monter dans sa bissona (gondole de
parade), afin qu’il puisse approcher les embarcations des rameurs  ; un
tableau célèbre peint par Luca Carlevaris (Régate sur le Grand canal en
l’honneur de Frédéric  IV de Danemark), aujourd’hui conservé au
Danemark15, immortalise cette fête toute en couleurs.

Le roi visite les Ospedali

Enfin, comme tous les visiteurs de prestige, Frédéric visitera


successivement les quatre Ospedali de la ville où il sera régalé chaque fois
de sérénades composées par les maîtres de chœur et exécutées par les filles
de ces hospices. Les chroniques n’évoquent que brièvement la visite de
Frédéric à la Pietà. Le souverain se serait rendu dans la petite église de la
riva degli Schiavoni non pas une, mais deux fois. Il aurait d’abord assisté à
la messe puis, la seconde fois, il aurait été convié à l’exécution d’un
oratorio. Un rapport diplomatique témoigne :
Sa Majesté fit son apparition à la Pietà à onze heures du matin, après
avoir reçu la visite de messieurs de Savoie. Les filles chantèrent
accompagnées par l’ensemble instrumental [dirigées par] le maître qui
tient le pupitre en l’absence de Gasparini. Le Credo et l’Agnus Dei que
l’on exécuta avec les instruments reçurent de nombreux applaudissements,
puis il y eut un magnifique concerto digne de cet hôte16.
Francesco Gasparini était absent. Il avait en effet passé une partie de
l’hiver hors de Venise, donnant deux oratorios à Florence, des opéras à
Vienne, à Milan, et à Bergame. Qui pouvait donc être ce maître sans nom
qui, en présence de Frédéric  IV, «  tient le pupitre en l’absence de
Gasparini », si ce n’est… Antonio Vivaldi ?
Le 6  janvier 1709, cinq jours après la visite de Frédéric à la Pietà, les
députés remettent à Francesco Gasparini un bonus exceptionnel de
cinquante ducats, non seulement pour le remercier de «  sa mission
habituelle d’enseigner avec tant de succès la musique aux filles, mais aussi
pour les nombreuses et lourdes tâches extraordinaires assumées par celui-ci
lors des fêtes solennelles, durant la période de l’Avent précédant Noël, avec
des œuvres particulièrement applaudies17  ». Le 24  février suivant,
Gasparini est reconduit dans ses fonctions de maître de chœur.
Sur Antonio Vivaldi, les gouverneurs ne disent rien ; pas plus qu’ils ne
font allusion à sa prestation devant le roi du Danemark. Lors de la même
séance du 24  février, Vivaldi n’obtient que sept votes positifs  : six voix
s’opposent à son élection. Il y a ballottage. Cette fois, le vote bascule contre
lui : sept « non » pour six « oui ». Vivaldi n’est pas réélu.
Comment expliquer la décision des députés  ? Ont-ils voulu restreindre
les dépenses en suspendant temporairement le poste du maître
d’instrument  ? Ou Vivaldi a-t-il délibérément préféré se consacrer à la
préparation de son premier recueil de concertos, L’Estro Armonico, qui
paraîtra deux ans plus tard à Amsterdam ?
Le 6 mars 1709, alors qu’il est l’heure pour Frédéric de quitter Venise et
de se diriger vers la Toscane, le Sénat offre à son hôte un cadeau d’adieu :
trois des canons qui avaient été fondus devant lui à l’Arsenal18. En
échange, Frédéric remet son portrait, garni de pierres précieuses, à chacun
des quatre députés qui l’avaient accompagné pendant son séjour vénitien.

Les sonates pour violon de l’Opus 2 (1709)

Antonio Vivaldi n’est pas en reste. Il dédie à « Sua Maestà Il Re Federico


Quarto di Danimarka e Norvegia  » son second recueil de sonates.
L’ouvrage avait été annoncé par l’éditeur Antonio Bortoli dès la fin de
l’année précédente, avant même l’arrivée du roi à Venise. Le Prêtre roux
avait eu juste le temps de rédiger sa dédicace et de l’insérer dans l’ouvrage
déjà sous presse.
Cette fois, Vivaldi se présente comme «  Maître des concerts du Pieux
Ospedale della Pietà de Venise ». Ce n’est qu’en 1712, lors de la réédition
(embellie de gravures) du recueil par Estienne Roger, à Amsterdam, que le
terme «  Opera Seconda  » (Opus 2) apparaîtra sur ce volume. L’ouvrage
contient douze sonates «  pour violon et basse pour le clavecin  ». Les six
dernières sont des sonates de chambre, avec de nombreux mouvements de
danses (giga, corrente, allemanda, gavotta…). La danse n’est-elle pas le
divertissement favori du roi du Danemark  ? Ces pièces restent dans le
sillage des Opus 1 et 5 de Corelli. Toutefois, les mouvements lents
d’introduction ont perdu de la pompe et de la gravité attachées au style
d’église et reçoivent des appellations plus légères, Andante ou même
Capriccio. On y entend des harmonies déjà audacieuses, comme la
septième diminuée. La partie soliste gagne en liberté et en expressivité. La
basse s’empare de motifs thématiques que vient d’exposer la partie soliste,
puis s’amuse à lui répondre.
Le compositeur trace son sillon et poursuit sa recherche personnelle. Son
style, moins scolaire que dans le volume précédent, commence à être
reconnaissable.
Vivaldi a-t-il rencontré personnellement le roi et lui a-t-il remis en main
propre ce recueil de sonates ? L’histoire ne le dit pas. On espère seulement
que le souverain aura remporté dans ses malles cet hommage du Prêtre
roux, comme il aura aussi conservé les livrets des opéras auxquels il a
assisté à Venise, ainsi que les douze portraits de belles Vénitiennes réalisés
au pastel, à son intention, par Rosalba Carriera…
 
Cinq mois plus tard, le 2 août 1709, depuis son château de Frederiksberg,
Frédéric  IV écrira au Sénat de Venise et au doge, leur renouvelant ses
propositions de protection de la République Sérénissime. Allié au tsar
Pierre Ier et à l’Électeur de Saxe, Frédéric se lance alors dans la très longue
« guerre du Nord ».

 La célèbre main de monsieur Estienne Roger

 (1711-1713)

Le 24 février 1709, le Prêtre roux n’avait pas été réengagé à la


Pietà. Son absence durera deux ans. Que fait Antonio Vivaldi à
cette période ? Joue-t-il aux côtés de son père dans les théâtres ? Le
26 mars 1710, le Sant’Angelo doit en effet de l’argent à plusieurs
musiciens, dont Giovanni Battista Vivaldi19. Ce sont des années
cruciales ; le musicien se prépare à sortir de sa chrysalide et à
devenir le compositeur de concertos, d’opéras et de musique sacrée
de niveau international que l’on connaît aujourd’hui.
En février 1711, les Vivaldi père et fils sont en visite à Brescia,
ville natale de Giovanni Battista, que celui-ci avait quittée encore
enfant, en compagnie de sa mère Margherita et de son frère aîné,
Agostino. Il conserve sûrement une partie de sa famille dans cette
ville ; il y a sans aucun doute des appuis dans les milieux
aristocratiques et religieux. Le 2 février, pour la fête de la
Purification, Giovanni Battista et Antonio jouent ensemble à
l’église Della Pace, siège de la Congrégation de l’Oratoire des
Philippins, via Tosio. Une feuille de dépenses provenant des
archives de la Congrégation de Saint-Philippe de Néri fait
apparaître cette note : « donné à m.r Vivaldi et à son père pour la
Purification… 37 lire et dix sous » ; ce cachet relativement élevé
montre que les deux violonistes sont, à cette époque, des musiciens
prisés20. Aux mêmes dates, Giovanni Battista ne retire pas son
salaire à la chapelle musicale de Saint-Marc, ce qui confirme son
absence de Venise.
Le 20 avril suivant, la famille Vivaldi déménage à nouveau et
revient vivre dans la paroisse de San Provolo, sur le même campo
des Santi Filippo e Giacomo où elle avait habité quelques années
auparavant, entre 1705 et 1708. La maison appartient aux
religieuses de San Zaccaria. Le contrat de location est signé par le
« Révérend Don Antonio Vivaldi » ainsi que par Giovanni Battista,
pour un loyer annuel de 42 ducats.
La maison où habitent les Vivaldi était alors au numéro 9, écrit
Gastone Vio, un prêtre aujourd’hui décédé qui a dédié sa vie à
retrouver les traces de Vivaldi à Venise. Don Vio pense qu’il s’agit
de l’actuel numéro 4358. Les murs extérieurs sont restés les mêmes
du côté du campo et de la calle. Au rez-de-chaussée (aujourd’hui
un restaurant), se trouvaient la cuisine, la pièce principale et une
chambre. Sans doute n’y avait-il pas de second étage ; plutôt une
fenêtre centrale, une mezzanine et une autre pièce donnant sur la
calle. À l’emplacement où est fixée aujourd’hui la plaque d’un
laboratoire dentaire, se trouvait la porte d’entrée de la maison de
Vivaldi, suppose Don Vio. Selon une autre source, au rez-de-
chaussée, plusieurs membres de la famille Vivaldi auraient travaillé
comme barbiers et même… donné des leçons de musique dans leur
boutique21.
Le 27 septembre 1711, après un vote unanime des onze députés
(quorum indispensable pour être réengagé, après une longue
interruption), Vivaldi reprend son service à la Pietà comme maître
de violon, avec le même salaire que par le passé :
Ayant jugé qu’il est nécessaire que les filles du chœur soient mieux
instruites, lit-on sur le document, et qu’il faut donner du prestige à ce lieu
pieux, la charge de maître de violon étant vacante, nous déclarons que
Don Antonio Vivaldi est accepté comme maître de violon avec l’honoraire
de 60 ducats par an ; la Pieuse Congrégation étant convaincue qu’il mettra
tout son talent au service de l’hospice, pour le plus grand bien des filles du
chœur22.

Estienne Roger

Cette même année 1711, Vivaldi fait paraître à Amsterdam son troisième
ouvrage et, surtout, son premier recueil de concertos. Le compositeur a tout
lieu de se réjouir, comme il l’explique lui-même dans sa préface aux
Dilettanti di musica (amateurs de musique)  : «  Concernant mes
compositions, j’avoue que si, dans le passé, outre leurs propres défauts,
celles-ci avaient souffert de l’impression, cette fois leur qualité majeure est
d’avoir été gravées par la célèbre main de Monsieur Estienne Roger.  »
Estienne Roger est célèbre en effet parmi les musiciens et les amateurs, et
bien placé sur le marché international.
D’origine française, Estienne Roger s’était installé à Amsterdam où il
avait fondé, en 1696, une maison d’édition musicale. Il avait adopté un
système d’écriture plus moderne et plus souple que ceux des deux éditeurs
vénitiens, Giuseppe Sala et Antonio Bortoli, auxquels Vivaldi avait confié
ses sonates précédemment. Au lieu d’être séparées et imprimées
individuellement, les notes brèves étaient reliées par une ligature. La
gravure sur une seule feuille de cuivre était aussi plus efficace. Roger
s’impose comme l’un des éditeurs les plus dynamiques en Europe. Il attire à
lui les compositeurs italiens qui, dans leur pays, sont victimes du déclin de
l’édition musicale. Roger, et à sa suite ses héritiers, sa fille Jeanne, puis son
gendre Michel-Charles Le Cène, seront dès lors les éditeurs attitrés de
Vivaldi. Le Prêtre roux s’est-il (peut-être justement en ces années 1709-
1711 où nous perdons sa trace à Venise) rendu en Hollande pour connaître
personnellement Roger, et suivre la fabrication de ses éditions ? Nous n’en
avons aucun témoignage.

L’Estro Armonico, Opus 3 (1711)

En pleine effervescence créatrice, Vivaldi profite de la parution de son


ouvrage pour annoncer sa prochaine publication : un recueil de « Concerti a
4 ».
Comme dans l’Opus 2, le compositeur se dit «  Musico di Violino e
Maestro de’ Concerti del Pio Ospidale della Pietà di Venezia ». Le recueil
est dédié à « Ferdinando III, Gran Prencipe di Toscana ». « C’est grâce à
votre cœur, écrit Vivaldi, que vous pouvez compenser les désagréments de
votre condition. »
Fils aîné du grand-duc Cosimo III, amoureux et mécène de la musique,
aimé des artistes dont il s’entoure, Ferdinando avait transformé Florence et
sa villa de Pratolino en un centre musical de haut niveau. Lui-même cultiva
longtemps l’art musical avec passion, joua du clavecin en public et
composa. Toutefois, à l’heure où Vivaldi dédie son premier recueil de
concertos à Ferdinando de’ Medici, ces fastes sont terminés. Ferdinando
souffre de graves «  désagréments  »  : une syphilis qu’il aurait, dit-on,
contractée lors d’un séjour à Venise, où il avait profité des plaisirs du
carnaval. Le prince décédera peu de temps plus tard, en 1713. Sa veuve,
Violante Beatrice de Bavière, poursuivra efficacement le mécénat que son
époux assurait auprès des artistes. Quant à Vivaldi, il devra patienter sept
années avant de faire représenter l’un de ses opéras dans la ville des
Médicis.
L’Estro Armonico (la fantaisie harmonique) comprend douze concertos.
Écrits pour un ensemble de cordes, tantôt pour un, tantôt pour deux ou
quatre violons solistes, ils sont organisés en trois (VLV) ou quatre (LVLV)
mouvements. Des aspects traditionnels sont encore présents : l’influence du
style d’église, l’empreinte de Saint-Marc, les effets concertants, les
introductions lentes, les alternances tutti et soli dans les ritournelles des
mouvements rapides. On y perçoit l’autorité de Corelli, ainsi que
l’influence des Vénitiens, Tomaso Albinoni et Benedetto Marcello.
Pourtant, dans le concertino et dans les parties solistes, la mélodie
s’émancipe. Le violoncelle émerge de la basse continue et se fait
concertant, prenant parfois le rôle du soliste. Pour augmenter le volume
sonore, Vivaldi redouble les parties qui jouent à l’unisson. On se souvient
qu’il est d’usage, dans le chœur de la Pietà, de numéroter les parties 1) 2)
3). Si la première fille est défaillante, c’est la seconde qui joue  ; si la
deuxième manque à l’appel, c’est la troisième. C’est de cette façon que sont
organisés les carnets de travail des musiciennes conservés dans le fonds de
la Pietà, au Conservatoire de Venise. Par exemple, sur la partie de violon
d’Anna Maria, on lit aussi le nom de Chiara ; l’une et l’autre jouaient cette
même partie, seules ou ensemble, à l’unisson. Ce procédé de redoublement
donne plus de force au son, mais permet aussi aux filles du chœur de jouer
leurs parties ou seules, ou ensemble. Vivaldi marque sa différence sur les
autres compositeurs italiens par son rythme concentré, haletant, obsessif  ;
par exemple dans le concerto n° 10 du recueil (RV 580), écrit pour quatre
violons solistes, deux viole, un violoncelle solo et la basse continue. Dans le
premier mouvement du concerto suivant (n°  11) (RV 565), les deux
violons engagent un discours en imitation ; le violoncelle entre à son tour ;
ils parviennent à un bref Adagio e spiccato, puis repartent pour un parcours
rapide, une fugue très élaborée.
Estienne Roger est l’éditeur qu’il faut à Vivaldi. Rapidement, il diffuse
les premiers concertos du Vénitien dans toute l’Europe. Dès le mois
d’octobre  1711, une annonce signalant la parution de L’Estro Armonico
paraît dans le journal londonien « The Post Man » L’Opus 3 connaîtra une
vingtaine de rééditions, non seulement à Amsterdam, mais aussi à Londres
et à Paris (souvent sans l’autorisation de l’auteur) ; L’Estro Armonico lance
la renommée internationale de Vivaldi. Dans la foulée, Estienne Roger
reprend l’édition des deux premiers recueils de sonates publiés les années
précédentes à Venise.
Les Anglais, les Français, les Allemands… se passionnent pour la
musique instrumentale italienne. Les sonates «  ici naissent sous les pas  »,
lit-on, à la fin de 1713, dans le journal parisien Le Mercure galant. Les
concertos de Vivaldi, en particulier, font la gourmandise des violonistes
amateurs et professionnels. Les éditions étant encore rares, souvent fort
chères, les musiciens se les transmettent de main en main et les transcrivent
manuellement afin de les conserver. Les amateurs les plus fortunés
cherchent à se procurer la musique de Vivaldi directement à Venise. C’est
ainsi que, entre  1708 et  1713, les frères Johann Philipp Franz et Rudolf
Franz Erwein von Schönborn, à Wiesentheid, sollicitent leur oncle,
Matthias Ferdinand von Regaznig, présent alors à Venise en tant qu’agent
diplomatique du prince électeur de Mayence, et lui demandent de leur
expédier beaucoup de musique italienne, et en particulier les œuvres de
Vivaldi les plus récentes23.
Jean-Sébastien Bach s’intéresse aux concertos de Vivaldi, qu’il transcrit
avant même la parution de L’Estro Armonico, lorsque les œuvres
instrumentales du Vénitien ne circulent encore que sous forme manuscrite.
On pense que, pour certaines de ces pièces de Vivaldi transcrites par Bach,
le musicien allemand aurait agi sur la demande du jeune prince Johann
Ernst de Saxe-Weimar, son élève, lui-même compositeur dilettante. À
Weimar, Bach transcrit, tantôt pour clavecin tantôt pour orgue, cinq des
concertos de L’Estro Armonico (nos  3, 8, 9, 11 et 12)24. Il pourrait avoir
utilisé l’édition de Roger de 1711  ; en revanche pour les quatre autres
concertos transcrits par Bach et qui figurent dans les Opus 4 et 7 de Vivaldi,
celui-ci se serait inspiré de sources manuscrites25. Les transcriptions
réalisées par Jean-Sébastien Bach présentent avec les versions imprimées à
Amsterdam des différences qui ont soulevé de nombreuses interrogations :
Bach a-t-il apporté ces modifications de son propre chef, ou bien aurait-il
transcrit des manuscrits de Vivaldi aujourd’hui disparus, et quelque peu
différents des versions imprimées à Amsterdam ?
Les œuvres de Vivaldi (comme celles de nombreux autres compositeurs
italiens, auteurs de sonates et de concertos pour violon) circulent dans
l’Europe entière, sous forme manuscrite et imprimée. Le célèbre flûtiste,
théoricien et compositeur allemand Johann Joachim Quantz relate que c’est
vers 1714, à Pirna (petite ville de Saxe située près de Dresde, aujourd’hui à
la frontière tchèque), alors qu’il était encore très jeune, qu’il entendit pour
la première fois les concertos de Vivaldi  : «  Comme ils représentaient à
cette époque un genre de composition musicale tout à fait nouveau, se
souvient Quantz, ils me firent grande impression. Je fis en sorte d’en
recueillir un bon nombre. À l’avenir, les magnifiques ritornelli de Vivaldi
me fournirent de bons modèles26. »
Revenons à Venise. En ce printemps 1712, le jeune (il a 14 ans) prince de
Saxe, Friedrich August, envoyé en Italie par son père, effectue son premier
séjour à Venise, du 5 février au 17 mars. Il aurait fait, en février, une visite à
la Pietà. À la date du 29  février il apparaît dans les livres de comptes de
l’hospice que les députés ont versé à Vivaldi 35 lire et 10 soldi pour « un
livre de sonates  »… Cet ouvrage serait-il un exemplaire de L’Estro
Armonico offert par les gouverneurs de la Pietà au jeune prince27 ?

Padoue et Brescia, 1712

Le 15  février 1712, les Vivaldi, père et fils, sont à Padoue. Ils jouent à
Saint-Antoine (Il Santo), une fois encore ensemble, à l’occasion de la fête
donnée pour la Translation de la Langue de saint Antoine. Antonio y aurait
fait admirer sa virtuosité exceptionnelle. Le Concerto fait pour Solennité de
la Sainte Langue de saint Antoine de Padoue (RV 212) aurait, suppose-t-on,
été composé et joué à cette occasion28. Il s’agit d’une œuvre pour violon
solo, cordes et basse continue, qui existe en plusieurs versions manuscrites,
certaines fragmentaires. Le premier manuscrit, conservé à Dresde, est une
copie où l’on reconnaît l’écriture du violoniste allemand Johann Georg
Pisendel, qui a noté sur le manuscrit la date de « 1712 » et sans doute ajouté
lui-même les deux parties de hautbois  ; il possède une cadence écrite à la
fin du premier mouvement et deux cadences dans le troisième
mouvement29. Le second manuscrit est conservé à Turin  ; il s’agit d’une
copie, incomplète, avec quelques interventions autographes30 : le troisième
manuscrit, incomplet, est un autographe31 ; il semble postérieur à la version
de Dresde (RV 212a)  ; seul le troisième mouvement possède une cadence
écrite, beaucoup plus volubile que celle de Dresde, peut-être celle jouée par
Antonio Vivaldi à Padoue.
On situe aussi à l’année 1712 la copie d’une pièce sacrée, un Stabat
Mater (RV 621) conservé à Turin32. Cette œuvre religieuse est destinée à
un effectif réduit (voix d’alto, sans doute masculin, cordes et basse
continue), qui correspond au petit ensemble musical dont disposait
l’oratoire des Philippins à Brescia. On suppose que Vivaldi aurait pu écrire
cette pièce à l’occasion de la fête des Sept Douleurs de la Bienheureuse
Vierge Marie, le 18 mars 1712. Dans les archives de Brescia, sur une page
d’un registre provenant de la Congrégation de Saint-Philippe de Néri, se
trouve une note de « Frais extraordinaires » (Spese straordinarie), signée le
9 janvier 1713 ; on lit : « Pour un Stabat Mater composé par Vivaldi : 20 :4
[20 lire 4 soldi]  ». Il pourrait s’agir du Stabat Mater (RV 621) dont on
conserve une copie à Turin. En tête de l’Eia Mater, le copiste a noté  :
«  Dans le cas où il n’y aurait pas d’alto, c’est le violon qui joue33.  » Ce
Stabat est précieux  : il est l’une des premières pièces de musique vocale
sacrée composées par Vivaldi et parvenues jusqu’à nous.
 
Le 12  mars 1713, Vivaldi est réélu à la Pietà. Le lendemain, sa sœur
cadette, Cecilia Maria, épouse Giovanni Antonio Mauro. Peut-être que
toute la famille continue à vivre ensemble dans la maison du campo SS.
Filippo e Giacomo, comme le suggère Gastone Vio.

Retour sur la carrière de Francesco Gasparini

Au printemps de 1713, Francesco Gasparini demande aux gouverneurs


de l’hospice une licence spéciale de six mois afin de rentrer chez lui. Il a,
dit-il, besoin de se reposer et veut régler des affaires personnelles. Le
23 avril, à titre tout à fait exceptionnel, la Pieuse Congrégation autorise son
maître de chœur à «  se rendre hors de cette ville afin de se rétablir des
indispositions dont il a souffert, et de régler les affaires urgentes concernant
sa maison, souhaitant au terme de ces six mois qu’il pourra se remettre à
disposition de ce Lieu Pieux34 ».
C’est en juin 1701 que les gouverneurs de la Pietà avaient fait appel à lui.
Une telle décision révélait un changement de goût profond ; un changement
de société aussi. Les deux frères Giacomo (maître de chœur) et
Bonaventura Spada (le maître de violon qui précéda Vivaldi), prêtres l’un et
l’autre, s’étaient retirés l’un après l’autre. Le niveau de l’ensemble musical
baissait  ; la discipline se relâchait. Or la musique était une activité
essentielle pour la survie de l’hospice.
Francesco Gasparini, né en Toscane, près de Lucques, avait passé une
vingtaine d’années dans les milieux romains, laïcs et religieux, dans
l’entourage d’une riche aristocratie, puissante au plan politique et
prestigieuse dans l’Italie de l’époque. Il était un protégé des Borghese, en
particulier de la princesse Maria Livia Spinola, qui séjournait fréquemment
à Venise où elle disposait d’un palais. À Rome, où il fréquentait les mêmes
cercles que les musiciens et chanteurs protégés par les cardinaux Pamphili
et Pietro Ottoboni, Gasparini était membre de l’Académie Sainte-Cécile. Il
avait été organiste à l’oratoire du Crocefisso, et faisait aussi partie de
l’Accademia Filarmonica de Bologne, où il s’était fait l’ami du patricien
vénitien Benedetto Marcello. Il avait publié un recueil de cantates  ; il
enseignait sans doute le chant et le clavecin, et il commençait à composer
des opéras.
 
Lorsqu’il était entré à la Pietà, Gasparini avait trente-cinq ans. La
stabilité d’un poste de maître de chapelle pouvait paraître attirant, à une
période où la censure papale qui pesait sur les théâtres romains avait plongé
les musiciens et les chanteurs dans l’insécurité. Cette position lui offrait en
même temps l’occasion de composer des opéras pour les théâtres de la
lagune. Venise n’était certes plus, comme au siècle précédent, à la première
place dans le monde de l’opéra mais, par ses nombreux théâtres, par la
liberté qui y régnait, elle restait une plate-forme convoitée par les
musiciens, compositeurs et chanteurs, surtout en période de carnaval.
Les députés de la Pietà avaient décidé d’octroyer à Francesco Gasparini
un salaire de 200 ducats par an, somme fort correcte si l’on pense
qu’Antonio Vivaldi en gagne 60 comme maître de violon. On lui avait aussi
remboursé ses frais de voyage qui, de Rome à Venise, avait duré sept jours.
Gasparini s’était installé sur la lagune avec sa femme, la chanteuse d’opéra
Maria Rosa Gasparini, et ses enfants, dont la fille Giovanna, qui deviendra
une soprano techniquement douée que l’on entendra chanter à Vérone, pour
Vivaldi.
Gasparini enseignait aux filles du chœur, les faisant répéter, les dirigeant,
écrivant non seulement la musique pour les offices, les fêtes
exceptionnelles, mais aussi un, parfois deux oratorios par an.
L’enthousiasme de l’auditoire vénitien, acquis d’emblée, ne se démentira
jamais. On lit par exemple, en automne 1702, dans Pallade Veneta  :
« Dimanche après le repas, on connut l’habituelle fébrilité pour se rendre à
la Pietà où l’on est sûr de ne pas être déçu par la douceur des concerts et par
la mélodie des voix des chanteuses35. »
Dès son arrivée à Venise, Gasparini avait fait représenter un premier
opéra au théâtre Sant’Angelo (Tiberio Imperatore d’Oriente). Hélas, une
véritable catastrophe s’était produite pendant la représentation. Quatre
cantatrices venues de Ferrare avaient refusé de monter sur scène. Pour les
convaincre, il avait presque fallu en venir aux mains  ! L’une d’entre elles
tomba à l’eau et se noya ; son corps fut perdu à tout jamais et Gasparini fut
soupçonné de meurtre… Le litige resta irréparable. Le compositeur se replia
alors vers le théâtre San Cassiano. Dès lors, entre le maître et les
propriétaires de la salle, ce sera une collaboration heureuse de douze
années : près de trente opéras, avec parfois quatre à cinq créations par an !
La famille Borghese, protectrice du compositeur, est constamment
informée des succès remportés par Francesco Gasparini à la Pietà et au
théâtre. Un ami vénitien des Borghese, le procurateur Giovanni Lando, écrit
par exemple :
[…] il y avait beaucoup d’étrangers, au théâtre San Cassiano, où l’on a
joué  un opéra qui a remporté beaucoup de succès, et les gens s’y
pressaient, chaque soir. Tout le monde disait que ce triomphe était dû en
grande partie à la composition musicale. C’est pourquoi je me permets de
transmettre à V.  E. trois des ariette qui furent les plus applaudies, bien
qu’elles ne furent pas chantées par des interprètes de renom. Je les envoie
malgré tout à V.  E., pour lui fournir des exemples de ce qui, ici, a du
succès ; elles sont du maître Gasparini, un Romain, qui, grâce à cet opéra,
vient de se propulser dans cette ville devant tous les autres musiciens  ;
vous serez content d’apprendre jusqu’à combien il est estimé36.
Dans le milieu vénitien où il s’immerge, Francesco Gasparini devient un
point de référence. Il l’est aussi au plan didactique et attire à lui des élèves
de prestige. Parmi ceux-ci, Domenico Scarlatti, envoyé par son père, vient
spécialement sur la lagune pour travailler avec Gasparini. Benedetto
Marcello est non seulement l’ami, mais aussi l’élève de Gasparini. En 1708,
la parution de son traité, L’Armonico pratico al cimbalo, couronne ce
succès pédagogique.
Toutefois, entre les heures de présence à la Pietà, la production des
opéras, la préparation des oratorios, des messes, des motets, des psaumes,
les commandes extérieures… s’il ne meurt pas à la tâche Gasparini s’y
épuise. Souvent malade, souffrant de fièvre et de goutte déformante, il
accuse le climat lagunaire. En été 1707, il se rend à Rome et y passe en vain
un concours pour un poste de maître de chapelle. Malgré cet échec,
l’énergie du maître ne diminue pas. En automne 1710, à l’époque où nous
perdons la trace de Vivaldi, Gasparini est en train de préparer un nouvel
opéra, L’Amor tirannico, sur un livret de Domenico Lalli. Le chroniqueur
de Pallade Veneta écrit  : «  Au San Cassiano, on se hâte de préparer les
scénographies pour  une magnifique représentation d’un opéra très
intéressant propre à divertir la noblesse, qui devrait être prêt pour le 10 du
mois prochain ; les chanteurs sont en train de répéter37. » En novembre, le
chroniqueur rend compte du spectacle  : ainsi «  adouci par les idées
musicales de Monsieur Gasparini et représenté par des chanteurs de grand
talent  », cet opéra «  a exercé une douce violence chez tous ceux qui
finissent par applaudir la tyrannie, quand elle réussit à toucher les émotions
humaines avec autant de grâce38 ».
L’année suivante, pour la fête de Pâques, le même auditoire se porte à la
Pietà où les filles du chœur exécutent le dernier oratorio de Gasparini,
Maria Magdalena videns Christum. Dimanche, les « vierges musiciennes »
ont interprété pour la troisième fois l’oratorio de Gasparini, lit-on dans le
journal ; « l’auditoire très dense fut extasié par cette musique d’une grande
élévation, exécutée par un ensemble d’instruments nombreux et variés39 ».
Ses succès vénitiens ne le font pas changer d’idée  ; Gasparini poursuit
ses démarches pour retourner à Rome. L’appui de sa protectrice, Maria
Livia Spinola Borghese, est un atout majeur. Les lettres adressées par le
couple des Gasparini à la princesse, conservées dans les archives de la
famille Borghese, sont à ce sujet édifiantes40. Le 7  novembre 1711,
Gasparini informe Maria Livia que son opéra est en train de faire
l’ouverture de la saison au théâtre San Cassiano ; il regrette que celle-ci ne
soit pas à Venise pour le voir. Le 6  mai 1712, il s’excuse de n’avoir pas
envoyé un Duetto, comme il l’avait promis. Raison de ce retard  : il est
souffrant, épuisé  : «  Dans ce pays, je suis constamment malade, écrit-il  ;
pour moi, cette année fut un désastre, et cela ne fait qu’augmenter mon
désir de partir41.  » Le 21  mai, Gasparini envoie le Duetto à sa
correspondante, ainsi qu’une cantate, tout en rappelant son intention de
rentrer à Rome : « grâce à votre bienveillant patronage, [j’espère] atteindre
l’objectif souhaité42 ».
Le 9  juillet 1712, Gasparini écrit qu’il quittera Venise dans quelques
jours. Ce n’est encore qu’une absence provisoire  ; je reviendrai à Venise
pour quelque temps, dit-il  ; j’y resterai «  tant que mes intérêts le
nécessiteront43 ». Le lendemain, 10 juillet, les députés de la Pietà accordent
à leur maître de chœur une nouvelle gratification pour son enseignement
aux filles et ses compositions, et lui remettent une autorisation de quitter la
ville pour un mois.
Le 19  décembre suivant, Gasparini étant alité avec une grosse fièvre,
c’est Maria Rosa qui écrit de Venise à la princesse. Ce n’est que l’année
suivante, le 23 avril 1713, que Gasparini obtiendra enfin des gouverneurs de
la Pietà la permission de s’absenter pour six mois afin de se soigner et de
mettre de l’ordre dans ses affaires personnelles. Francesco Gasparini et sa
femme possèdent une petite propriété à Città di Castello, dans la région de
Pérouse, en Ombrie. C’est là qu’ils veulent se retirer, eux et leurs enfants.
Le maître s’engage cependant, vis-à-vis des gouverneurs, à «  continuer à
composer pour la Pietà toutes les œuvres commandées44 ».
Le 30  avril, sur sa demande, on restitue au maître de chœur les 200
ducats qu’il avait investis à la Pietà, augmentés des intérêts de 3,5 %.
Avant de quitter Venise, Gasparini écrit un dernier opéra pour le San
Cassiano, La Verità nell’inganno. Ce théâtre, la plus ancienne salle de
Venise pour l’opéra, connaîtra ensuite une période de difficultés. Pendant
plusieurs années les productions seront annulées ; le San Cassiano tournera
à un rythme réduit. N’était-ce pas là une autre bonne raison qui incita le
compositeur à quitter Venise ?
Dès son retour dans les milieux romains, Gasparini compose de façon
régulière des opéras pour le théâtre Capranica, dont il est l’un des
compositeurs attitrés. Sensible à la pression des députés de la Pietà, qui
espèrent toujours voir revenir leur maître de chapelle, Gasparini continue à
hésiter entre Venise et Rome. Le 20 septembre 1714, il écrit à la princesse
depuis sa maison, à Città di Castello : « Je dois vous dire que, même si j’ai
demandé à me licencier de mon poste à la Pietà de Venise, ils continuent à
attendre mon retour45. » Les députés s’engagent à offrir à Gasparini tout ce
qu’il demandera, pourvu qu’il revienne à Venise  ! Gasparini fait
élégamment comprendre qu’il préférerait travailler pour la princesse
Borghese, à Rome, plutôt que de retourner à la Pietà… Les filles du chœur,
une fois encore, chantent son oratorio, Maria Magdalena.
L’année suivante, Gasparini songe encore à un retour possible à Venise.
« J’hésite encore sur la décision à prendre, écrit-il le 12 mars 1715, car, bien
que j’aie demandé plusieurs fois à être licencié, à Venise, ils ne cessent de
me presser de revenir ; après l’opéra de Reggio [Il Tartaro nella Cina], je
me réserve la possibilité de me rendre à Rome, ou de retourner à Venise
[…]46.  » L’année suivante, le maître est engagé pour diriger la chapelle
musicale du marquis Francesco Maria Ruspoli, à Rome.
À la Pietà, les filles du chœur continuent à jouer les œuvres de Gasparini.
Après le repas, écrit en mars  1717 le chroniqueur de Pallade Veneta, les
vierges chanteuses ont interprété le très charmant oratorio de Maestro
Gasparini, Anima Rediviva, «  qui reçut maints applaudissements  et des
félicitations pour ces voix élégantes47  ». Ni l’auditoire toujours aussi
nombreux, ni les filles du chœur, souligne l’auteur de ces lignes, ne
réussissent à oublier le compositeur « qui fut leur maître » (avril 1717).
En cette même année 1717, les Gasparini quittent leur petite ferme à
Città di Castello et se fixent définitivement à Rome où Francesco est
nommé maître de chapelle à l’église de San Lorenzo in Lucina. En 1724, il
sera affecté à San Giovanni in Laterano. Son mauvais état de santé ne lui
permettra pas d’assumer les fonctions liées à ce dernier emploi. Francesco
Gasparini décède en 1727.
 
Aucun document, aucun commentaire ne permet de savoir quelle fut la
relation entre Gasparini et Vivaldi  : amitié, estime mutuelle, conflits,
rivalités ? Gasparini a-t-il été un obstacle pour Vivaldi à Venise ? Ou bien,
au contraire, a-t-il flatté l’ambition du jeune violoniste virtuose,
l’encourageant à composer des concertos, des oratorios et des opéras, à
publier ses œuvres en Hollande, à voyager, à sortir de Venise, à regarder
vers l’Europe ? Gasparini a-t-il joué un rôle fondamental dans le lancement
de la carrière de Vivaldi ? A-t-il influencé le jeune prêtre vénitien pour que
la musique, qui n’avait été pour ce violoniste qu’une simple « inclination »,
se fasse « nécessité » absolue ?
Une semaine après avoir autorisé Francesco Gasparini à quitter la Pietà
pour un congé de six mois, le 30  avril 1713, la congrégation permet à
Antonio Vivaldi de se libérer, à son tour, « pour une durée d’un mois, afin
de répondre à ses engagements de musicien  ; mais on est assuré qu’à son
retour, il reprendra sa tâche avec toute la ferveur et l’esprit qui conviennent
à sa charge48 ».
 
Au début de l’été 1713, lorsque les Vivaldi père et fils rentreront de
Vicence, l’espace sera libre : libre à la Pietà, mais libre aussi à Venise où,
par son talent, son autorité et sa fécondité, Gasparini avait attiré sur sa
personne, dix ans durant, presque toute l’attention et l’admiration des
Vénitiens.
1- Venise, Archivio di Stato, Provveditori sopra Ospedali, busta 48, s.d. (vers 1740)  ;
R. Giazotto, 1973, p. 383-388.
2- M. Talbot, Vivaldi and the english viol, 2002.
3- E. Selfridge-Field, 1985, p. 251-252, n° 169.
4- B. Glixon et M. White, dans IeStV, 2008.
5- Venise, Archivio si Stato, Giudice del Mobile, Risposte, busta 118, fasc.  26, n°  317,
réponse de Polani contre Vivaldi, le 3 février 1705 (calendrier more veneto = 1706) ; B. Glixon
et M. White, 2008, p. 14, n. 27.
6- Idem, Giudici del Mobile, busta 68, fol. 350 r° et v°.
7- Venise, Archivio di Stato, Ospedali e Luoghi Pii, Notatorio n° 7 (G), busta 688, du 8 mars
1699 au 26 février 1707, fol. 138 v° ; R. Giazotto, 1973, p. 352, document 5.
8- Idem, fol. 181 ; R. Giazotto, 1973, p. 354-355, document 12.
9- D-Dl, Mus. 2389-Q-14.
10- M. Talbot, 1994.
11- Venise, Archivio di Stato, Ospedali. .. Notatorio n° 7 (G), busta 688, du 8 mars 1699 au
26 février 1707, à la date du 4 décembre 1707, fol. 195 v° ; R. Giazotto, p. 357-58, document 15.
12- D-Dl, Mus. 2389-Q-14.
13- D-Dl, Mus. 2389-0-77.
14- Le récit du séjour de Frédéric IV à Venise est rapporté par Leonardo Manin, Relazione
delle Feste e Soggiorno di Federico IV re di Danimarca in Venezia l’anno 1708 […] ; le texte du
manuscrit a été repris par la noble Vénitienne Giustina Renier Michiel dans Origine delle feste
veneziane, 1829.
15- Au Musée national historique, à Frederiksborg.
16- R. Giazotto rapporte avoir consulté ce document dans les archives de la chancellerie
romaine à Venise (1973, p. 105) ; toutefois, on n’en a pas retrouvé la trace.
17- Venise, Archivio di Stato, Ospitali e Luoghi Pii, Notatorio N.  8 (H), busta 689, 4  mars
1708 au 29 novembre 1711, à la date du 6 janvier 1708 (m.v. = 1709), fol. 40 v° ; R. Giazotto,
p. 363, document 20.
18- Deux de ces canons sont actuellement à Copenhague, au Tojhusmusee, et le troisième à
Paris, sur l’esplanade des Invalides.
19- R. Giazotto, 1973, p. 102-105.
20- Brescia, Archivio di Stato, Fondo di Religione, Libro per la musica, busta 49, à la date du
2 février 1711 ; O. Termini, 1988, p. 68.
21- A. Bova, 1995, n° 239.
22- Venise, Archivio di Stato, Ospedali e Luoghi Pii, Notatorio N. 8 (H), busta 689, du 4 mars
1708 au 29  novembre 1711  ; à la date du 27  septembre 1711  ; R.  Giazotto, 1973, p.  365,
document 27.
23- C. Fertonani, 1998, p. 51 et K. Heller, 1991, p. 22-23.
24- Les concertos de L’Estro Armonico transcrits par J.-S. Bach sont les n° 3 (RV 310) – pour
clavecin (BWV 978) ; n° 8 (RV 522) – pour orgue (BWV 593) ; n° 9 (RV 230) – pour clavecin
(BWV 972) ; n° 11 (RV 565) – pour orgue (BWV 596) – et le n° 12 (RV 265) – pour clavecin
(BWV 976). Le concerto n° 10 (RV 580) composé par Vivaldi pour quatre violons solistes sera
transcrit par Bach après 1723, à Leipzig, pour quatre clavecins et orchestre à cordes (BWV
1065). Bach transcrira encore, pour le clavecin, deux concertos de Vivaldi  extraits d’opus
ultérieurs : de l’Opus 4 publié en 1716, Bach transcrira pour le clavecin le n° 1 (RV 381/383a)
(BWV 980) ; ainsi que le n° 6 (RV 316/316a) (BWV 975) ; dans l’Opus 7 imprimé en 1720, le
n°  8 (RV 299), pour le clavecin (BWV 973) et le n°  11 (RV 208/208a) pour l’orgue (BWV
594) ; cf. C. Fertonani, 1998, p. 302-303 et M. Th. Bouquet-Boyer, 1985, p. 108-109.
25- C. Fertonani, 1998, p. 303.
26- F. W. Marpurg, vol. I (Berlin, 1755), p. 205.
27- M. Talbot, 2006, p. 165.
28- C. Fertonani, 1998, p. 384-386.
29- D-Dl, Mus. 2389-0-74.
30- I-Tn, Giordano 29, fol. 236-237.
31- I-Tn, Giordano 29, fol. 233-235 et 238-244.
32- I-Tn, Giordano 33, fol. 36-47.
33- Brescia, Archivio di Stato, Fondi di Religione, Congregazione dell’Oratorio di S. Filippo
Neri (Padre della Pace), busta 49, Libro per la musica 1694-1726, fol. 45 r°  ; document
découvert, transcrit et commenté par Michael Talbot ; cf. New light on Vivaldi’s Stabat Mater,
1992 ; fac-similé de la note de frais, p. 29.
34- Venise, Archivio di Stato, Ospedali…, Notatorio n° 9 (I), busta 689, 6 décembre 1711 au
28 septembre 1715 ; à la date du 23 avril 1713 ; fol. 86 ; R. Giazotto, 1973, p. 366, document
32.
35- Pallade Veneta, 28 octobre au 4 novembre 1702, fol. 2 ; E. Selfridge-Field, 1985 p. 246,
n° 150.
36- Rome, Archives secrètes du Vatican, Archivio Borghese 6575  ; lettre citée par F.  Della
Seta, 1982, p. 145.
37- Pallade Veneta, 25 octobre au 1er novembre 1710, fol. 2 ; E. Selfridge-Field, 1985, p. 262,
n° 204.
38- Pallade Veneta, 8 au 15 novembre 1710, fol. 1 ; E. Selfridge-Field, p. 263, n° 205.
39- Pallade Veneta, 25 avril au 2 mai 1711, fol. 2 ; E. Selfridge-Field, p. 271-272, n° 233.
40- Plusieurs lettres de Francesco Gasparini se trouvant dans les archives de la famille
Borghese conservées dans les Archives Secrètes du Vatican ont été transcrites et publiées par
Fabrizio Della Seta, 1981, p. 215-243.
41- Lettre du 6 mai 1712, F.B.P. 1, groupe 2 ; F. Della Seta, 1981, p. 227.
42- Lettre du 21 mai 1712, A.B. 6568 ; F. Della Seta, idem supra.
43- Lettre du 9 juillet 1712, F.B.P. 25, groupe 16, F. Della Seta, p. 228.
44- Venise, Archivio di Stato, Ospedali…, Notatorio n° 9 (I), busta 689, du 6 décembre 1711
au 28 septembre 1715, fol. 86, à la date du 23 avril 1713 ; R. Giazotto, p. 366, document 32.
45- Lettre du 20 septembre 1714, A.B. 6568 ; F. Della Seta, 1981, p. 236.
46- Lettre du 12 mars 1715, F.B.P. 9, groupe 8a ; F. Della Seta, 1981, p. 238.
47- Pallade Veneta, du 6 au 13 mars 1717, fol. 2 ; E. Selfridge-Field, 1985, p. 302, n° 330.
48- Ospedali… Notatorio n° 9 (I), busta 689, 6 décembre 1711 au 28 septembre 1715, à la
date du 30 avril 1713, fol. 88 v° ; R. Giazotto, p. 367, document 33.
III

Premiers opéras et premières compositions

 pour la Pietà

 (1713-1717)

 Les jardins de Vicence

 (mai-juin 1713)

Pour rejoindre les villes de terre-ferme, il fallait autrefois (avant la


construction du ponte della Libertà) emprunter les gondoles et les
barques qui transitaient par Fusina, puis accostaient à Mestre et
Padoue. La petite ville de Vicence est située à environ 70
kilomètres de Venise. « On compte cinq mille de Mestre à Venise »,
écrit le Français Maximilien Misson, qui visite Venise entre
décembre 1687 et février 1688 (Nouveau voyage d’Italie,
Lettre XVI), « et nous avons fait ce chemin en une heure & demie
avec deux rameurs ». On pouvait aussi prendre le Burchiello, une
gracieuse embarcation qui naviguait sur la Brenta et faisait la
navette entre Venise et Padoue. Puis on poursuivait avec les
diligences, voitures et carrosses tirés par des chevaux. Misson
chemina en sens inverse, en plein hiver. Entre Vérone, Vicence et
Padoue, dit-il, la terre est « grasse, & par conséquent les chemins
mauvais : dans cette saison il faut sept ou huit chevaux aux
carrosses de voiture. On les attelle tout en un monceau sous le fouet
du cocher, afin qu’il puisse mener sans postillon » (lettre XV). De
retour de voyage, Misson publie les lettres écrites en Italie et ajoute
des remarques utiles aux voyageurs qui voudraient se rendre dans
la Péninsule.
En beaucoup d’endroits d’Italie, écrit-il, on peut avoir des
chevaux & des calèches de cambiature [rechange] : le prix en est réglé. La
plus grande commodité de cette manière de voyager consiste en ce que
l’on s’arrête où l’on veut. On change ou de cheval, ou de calèche à toutes
les postes, sans payer le retour, & sans courir. […] Qui plus est, les valises
se peuvent attacher derrière, y eût-il deux cens pesant pour chaque
calèche. […] Mais le meilleur est d’avoir sa propre calèche, où l’on est
plus à son aise, & d’où l’on n’est pas obligé d’avoir l’embarras d’ôter
perpétuellement ses valises. On est maître d’y faire attacher, ou des
chevaux de poste, ou des chevaux de cambiature, ou des chevaux de
voiture ordinaire.
Décor de théâtre tracé par le crayon d’Andrea Palladio, Vicence fait
rêver de l’Antiquité romaine : une Antiquité idéalisée par la
Renaissance, dont le Settecento naissant, avec son goût de
l’arabesque évanescente, tentait de s’accommoder en lui conférant
de la grâce et de la légèreté. Qui, lors d’un voyage en direction de
Venise, par le train ou en voiture, n’a pas désiré un jour vivre dans
l’une de ces villas à l’antique accrochées sur les coteaux plantés de
cyprès ? Un camaïeu de verts, une douceur idyllique prisés par les
voyageurs étrangers qui transitaient par Vicence, avant de se rendre
sur la lagune, puis de se diriger vers le sud, en quête de sites
archéologiques. C’est du moins ainsi que nous imaginons la ville
de Palladio en ce début du mois de mai 1713, lorsque Antonio et
Giovanni Battista Vivaldi mettent pied à terre pour venir y faire
représenter l’Ottone in villa. Le Bourguignon Charles de Brosses
qui la visite en 1739 décrit Vicence comme une ville de province
sombre, dégradée et malpropre, faisant d’un coup s’écrouler notre
songe enchanté.
Vicence était alors habitée par une noblesse ancienne et cultivée
qui vivait en bonne harmonie avec la Sérénissime qui la gouvernait.
La vie culturelle n’y était pas aussi brillante qu’à Venise, mais
l’aristocratie locale, la haute bourgeoisie, les riches marchands, les
financiers veillaient à leurs divertissements. Au xvi  siècle, avant la
e

naissance de l’opéra, la ville accueillait déjà des troupes nomades


de comédiens chanteurs qui organisaient des spectacles dans les
palais et les théâtres privés. Les érudits et les lettrés se réunissaient
en académies. C’est l’une de ces académies, l’Accademia
Olimpica, dont Palladio était l’un des membres fondateurs, qui
avait commandé au grand architecte la construction du célèbre
Teatro Olimpico.

Le Teatro olimpico

L’édifice que nous connaissons ne fut érigé qu’après la mort de Palladio,


sur ses plans, par Vincenzo Scamozzi. Repris du modèle antique, en forme
d’arène, l’Olimpico est un théâtre assez petit ; les spectateurs y étaient assis
sur des gradins. Il n’était pas adapté aux spectacles d’opéra. Aussi, au siècle
suivant, Vicence s’était dotée de deux nouveaux théâtres, l’un pour la
comédie, l’autre pour la musique, appelé Teatro delle Garzerie (les garzerie
sont des peignes servant à carder la laine  ; le théâtre avait en effet été
construit sur une ancienne manufacture de tisserands). Après l’incendie qui
ravagea l’édifice, le terrain fut acheté par trois familles nobles qui firent
construire un nouveau théâtre appelé Teatro di Piazza ou simplement Teatro
di Vicenza (théâtre de Vicence)  ; il est aussi appelé Teatro delle Garzerie,
comme le bâtiment disparu. La salle avait été inaugurée en 1688.
En 1779, le théâtre sera à nouveau détruit par un incendie. Si l’on veut
aujourd’hui retrouver la trace du petit théâtre où Vivaldi fit représenter son
Ottone in villa, il faut se rendre dans l’actuelle Contrà Pescaria, entre Piazza
delle Erbe et les Pescherie Vecchie. On verra les murs externes de l’édifice,
un portique avec trois grandes arcades frontales soutenues par de robustes
colonnes en ronde bosse.
La façade du théâtre n’avait qu’une seule porte d’entrée. À l’étage
principal se trouvaient neuf pièces où vivaient les employés du théâtre  ;
dessous, une taverne publique. Il n’y avait pas de hall d’entrée ; un couloir
menait directement à l’escalier par lequel on accédait à l’étage, situé à 6,50
mètres au-dessus du sol. Sur le premier palier, une porte communiquait avec
la scène. Un autre escalier rejoignait les loges supérieures. Un étroit couloir
ceinturait les loges qui mesuraient à peine plus d’un mètre, sur la partie qui
regardait la scène. Quatre personnes pouvaient y prendre place.
La salle contenait en tout quatre rangées de vingt-deux loges, sauf à
l’étage principal  qui n’en avait que vingt. Deux autres loges se trouvaient
sur la scène. Les loges étaient soutenues par des colonnes dorées, chacune
bordée par un muret orné de blasons et d’emblèmes des propriétaires de
l’édifice. Au-dessus des quatre rangées de loges se trouvait une galerie où
circulaient les employés. Sur la partie de l’étage qui n’était pas occupée par
l’orchestre, quelques bancs permettaient aux premiers arrivés de s’asseoir ;
les employés passaient entre les actes avec une lanterne afin de relever un
supplément.
L’avant-scène était garnie d’un cintre, décoré d’ornements sculptés
représentant les douze mois de l’année. Un écusson  qui représentait d’un
côté deux allégories de la gloire couronnée soufflant dans une trompette et,
de l’autre, les allégories de la musique et de la poésie, avec des angelots et
autres petites sculptures, était fixé sur la partie basse de la scène. Au centre,
le blason de Vicence : une croix blanche sur fond rouge soutenue par deux
lions rampants ; sur l’autre face, les armes des deux recteurs vénitiens qui
gouvernent la ville  : la musique et la poésie s’y font les servantes de la
galanterie et de l’amour, les doux sentiments qui accompagnent l’existence
humaine.
La gestion de ce théâtre était confiée à un imprésario qui louait les loges
et percevait un pourcentage. Le public payait généralement 35 et 25 ducats
pour les loges supérieures, somme à laquelle s’ajoutait une taxe annuelle.
Certaines d’entre elles étaient vendues jusqu’à 150, voire 200 ducats.
 
Le théâtre de Vicence était petit (plein, il contenait moins de six cents
personnes) et les opéras étaient le plus souvent des reprises de spectacles
donnés initialement à Venise. Il n’en était pas moins un lieu à la mode et un
point de rendez-vous pour la noblesse et la haute bourgeoisie de la ville. Les
opéras étaient représentés au printemps, lorsque se tenait la Foire  ; on
évitait ainsi la concurrence des théâtres vénitiens qui, à cette époque-là
étaient fermés.

La commande d’un opéra

Ce printemps 1713 est particulier pour le théâtre de Vicence. Quelques


mois auparavant, on a inauguré une nouvelle salle, le Teatro delle Grazie,
un édifice plus spacieux, plus luxueux aussi, qui constituait désormais une
rivalité pour le vieux théâtre de Vicence qui ouvre pour une seule
représentation. Tout le monde compte sur un succès ! Exceptionnellement,
il ne s’agit pas d’une reprise mais d’une création. Le compositeur de
l’opéra, Antonio Vivaldi, est un virtuose du violon qui vient de publier
L’Estro Armonico à Amsterdam et commence à faire parler de lui dans toute
l’Europe. Quant au librettiste, Domenico Lalli, bien que nouvellement
arrivé dans le milieu vénitien, il exploite une veine nouvelle et légère qui
plaît au public.
De son vrai nom Sebastiano Biancardi, Domenico Lalli était né à Naples
en 1679. Accusé d’avoir dérobé de l’argent à la confraternité napolitaine
pour laquelle il travaillait, Biancardi avait plaqué femmes et enfants et
s’était réfugié à Rome, au palais de l’ambassadeur d’Espagne. Pendant
quelque temps, il avait erré en Italie. Démasqué par une chanteuse, Lalli
avait cherché refuge à Venise, où il se remaria, eut d’autres enfants et se
lança dans le monde des théâtres, en tant que dramaturge, arrangeur et
imprésario. Trois ans plus tôt, Lalli avait écrit son premier livret vénitien,
L’Amor tirannico, avec une musique de Francesco Gasparini ; le tout avait
séduit les Vénitiens.
Lalli adopte les principes édictés par l’Arcadie (le resserrement de
l’action et le respect de la règle classique des trois unités) qui régnaient à
Venise depuis une vingtaine d’années. Dans le livret d’opéra,
habituellement tragique et compassé, il introduit des ressorts
dramaturgiques propres à la comédie napolitaine  : le travestissement, les
lettres qui révèlent et trahissent, les personnages qui se cachent pour voir et
pour entendre, l’ambiguïté homme/femme, les intrigues amoureuses… Sous
forme d’intermèdes, d’opere buffe ou de farse in musica, ces spectacles
raillent la société aristocratique de l’époque, figée dans ses conventions,
ignorante des revendications sociales, et forment contrepoids avec l’opéra
vénitien traditionnel, fossilisé dans un carcan de règles. Lalli est un homme
de théâtre, un touche-à-tout qui ne se prend pas au sérieux. Il sait capter les
modes, adapter d’anciens livrets au goût du temps, écrire de pied en cap des
textes d’opéras, de cantates, de sérénades. Il est, à Venise, le précurseur de
Carlo Goldoni, sans en avoir le talent dramatique. Il dirigera
successivement les théâtres Grimani de San Giovanni Grisostomo et de San
Samuele, puis il travaillera pour le Sant’Angelo, sans toutefois poursuivre
de collaboration privilégiée avec Vivaldi.
Le Napolitain Domenico Lalli et le Vénitien Antonio Vivaldi ont le
même âge : trente-cinq ans à l’époque d’Ottone in villa. Tout les réunit et
tout les oppose. L’un et l’autre ont des esprits imaginatifs et sont de malins
hommes d’affaires. L’un et l’autre coupent par-ci, et collent par-là. Du
théâtre d’opéra, ils connaissent les mécanismes, les difficultés artistiques et
financières, les risques. Leur rôle est d’inventer, le premier des intrigues, le
second des airs, mais aussi – quand ils prennent la casquette de l’imprésario
– d’engager les chanteurs, les décorateurs, les danseurs, de payer les
artistes, de percevoir les bénéfices des loges…, conscients que tout échec
peut mettre en péril leur réputation et les jeter sur la paille. Domenico Lalli
et Antonio Vivaldi sont trop semblables et trop indépendants pour devenir
de vrais associés. Plus que des partenaires, ils sont, sur le marché de l’opéra
vénitien, des rivaux. Quand il s’agira, quinze ans plus tard, de reprendre la
direction du théâtre San Giovanni Grisostomo, Vivaldi, le Vénitien, sera
évincé par Lalli… le Napolitain !

Ottone in villa, Vicence, mai 1713 (RV 729)

L’Ottone in villa (RV 729), représenté au Teatro delle Grazie le 17  mai
1713, est le fruit d’une collaboration exceptionnelle entre Domenico Lalli et
Antonio Vivaldi1. Le protagoniste est inspiré du personnage d’Otton  Ier,
surnommé Otton le Grand, qui était né à Walhausen près du lac de
Constance. Couronné empereur des Romains en 962, Otton régna jusqu’à sa
mort, en 973. Par son sens politique et par ses victoires militaires, il conféra
à la royauté germanique un prestige éclatant. C’est lui qui fonda ce qu’on
nommera plus tard le Saint Empire romain germanique. Au cours de son
existence, Otton avait passé plusieurs années en Italie. Cette absence lui fut
reprochée par son peuple et, durant cet éloignement, son pouvoir en
Allemagne s’était affaibli.
Lalli ne part pas de rien pour cet opéra. Il reprend et adapte au goût
moderne un drame qui avait été représenté à Venise trente ans auparavant,
la Messalina mise en musique par Carlo Pallavicino. L’impératrice
Messaline (25-48), épouse de l’empereur Claude, était connue pour sa
nymphomanie, son goût du luxe et des richesses. Quant à Claude, son
penchant pour les jeunes femmes n’était un secret pour personne ; même si
la grande Histoire, dans cet opéra, restera une préoccupation fort
secondaire !
Le nouveau livret était passé à la censure (le « faccio fede ») le 21 avril
1713. Il est publié à Venise par Antonio Bortoli. Quelques jours plus tard,
Vivaldi priait les députés de la Pietà de bien vouloir l’autoriser à s’absenter
pendant un mois. Lalli signe la dédicace en hommage à Henri Lord Herbert,
un jeune Anglais qui séjournait alors en Italie, et salue au passage le père du
garçon, le comte de Pembroke, chef du prestigieux ordre anglais des
chevaliers de la Jarretière. Quant à la musique, elle est composée (lit-on
dans le livret) par le «  célèbre virtuose du violon, il Sig. D.  Antonio
Vivaldi » : un titre propre à séduire le public… Car, à cette date, Vivaldi est
connu surtout comme violoniste  ; il est un virtuose notoire qui joue avec
son père dans les églises, à la Pietà, et éblouit l’auditoire par son étonnant
coup d’archet !
La partition manuscrite autographe de l’opéra est conservée à Turin2. Il
s’agit du premier opéra connu composé officiellement par Vivaldi  ; du
moins le premier opéra dont nous conservons la partition. Au début et à la
fin de son manuscrit, Vivaldi inscrit son monogramme  : les initiales des
mots formant le début de l’invocation à la Vierge L.D.B.M.D.A (Laus Deo
Beatae Mariae Dei parae Amen) enlacées de façon à faire apparaître les
initiales « AV » de Antonio Vivaldi, en tête-bêche.
La partition est écrite pour un petit ensemble instrumental : deux violons
solistes – sans doute Vivaldi et son père –, peut-être aussi deux autres
violons de soutien, un alto, deux flûtes et deux hautbois (joués
éventuellement par les mêmes instrumentistes), et les musiciens réalisant la
basse continue ; la distribution comprend cinq chanteurs, déjà sur place, à
Vicence ou à Venise.
Le manuscrit musical, plein de corrections, montre que le binôme Lalli-
Vivaldi travailla dans la hâte. Vivaldi avait-il en main le livret de la
Messalina lorsqu’il composa, dans l’urgence, sa partition  ? Des lapsus
naissent sous sa plume  : on lit par exemple (fol  87  v°).  : «  Mentre Caio
legge il foglio, Claudio segue  » (Tandis que Caio lit la feuille, Claudio
poursuit) ; et, dans le livret de Lalli, I, 9, le nom « Messalina », au lieu de
« Cleonilla ».
« Ottone aurait sûrement épousé Cleonilla si le peuple romain le lui avait
permis – lit-on dans l’Argomento ; néanmoins, pour lui plaire, il la traitait
avec la même considération que si elle avait été l’Impératrice de Rome. »
Lalli cherche-t-il à griffer les nobles vénitiens qui gaspillent leur fortune
auprès de femmes légères ?
L’opéra se déroule tout entier dans les jardins d’une villa proche de
Rome, où Ottone a l’habitude de se retirer pour prendre du repos. Le
personnage de Decio, confident d’Ottone, n’existait pas dans la Messalina.
Après la Sinfonia d’ouverture en trois mouvements, le rideau se lève sur
«  Un coin charmant dans les jardins de la villa impériale avec des
charmilles ombragées, des allées de cèdres, des pièces d’eau et des
fontaines ornées de vases de fleurs. Cleonilla est seule. Elle cueille des
fleurs pour en parer ses seins ». Elle dit choisir les hommes sur leur aspect
extérieur ; elle les veut jeunes et beaux ! Ses propos choquent d’emblée les
spectateurs. L’interprète est Anna Maria Giusti dite la Romaine (soprano) ;
à Rome, elle est protégée par Alexander Sobieski, le fils de l’ex-reine de
Pologne, Maria Casimira  ; on l’a déjà entendue à Venise, au théâtre
Sant’Angelo, quatre ans auparavant. Entre Caio Silio (Bartolomeo Bartoli,
jeune castrat soprano originaire de Faenza)  ; il courtise fougueusement
Cleonilla. Apparaît le protagoniste, Ottone  : le rôle est interprété par une
femme, Diana Vico (contralto), une chanteuse vénitienne spécialisée dans
les rôles masculins. L’Empereur est irrité par l’inconstance de Cleonilla  ;
celle-ci minaude, et retourne l’accusation contre lui. Un jeune homme entre
en scène ; il dit s’appeler Ostilio ; en réalité, il s’agit de Tullia, une dame
étrangère, amoureuse de Caio Silio, travestie en page (la soprano
Margherita Faccioli, de Vicence, qui avait chanté quelques mois plus tôt
dans le même théâtre). Sous ce déguisement, elle cherche à surprendre son
amant volage et, pour cela, elle est entrée au service de sa frivole rivale.
La scène change  : «  Au centre d’un charmant bosquet de myrtes une
rotonde sur laquelle se trouve une baignoire et un lit de camp ; à l’arrière-
plan, une cascade d’eau. Cleonilla sort de son bain.  Ottone la tient par la
main ; survient Decio. »
Scène d’intimité entre l’Empereur et sa maîtresse  ; l’auditoire devient
voyeur. Decio, serviteur de l’Empereur, dernier personnage à entrer en
scène, assiste au duo amoureux  : l’interprète, Gaetano Mozi (ou Mossi)
(ténor), est un chanteur d’origine romaine  ; trois ans plus tôt il s’était
produit à Rome, dans le théâtre privé du cardinal Pietro Ottoboni. On
l’entend sur les scènes vénitiennes dans plusieurs opéras. Le serviteur
prévient son maître : les Romains, dit-il, se plaignent de l’absence de leur
empereur ; il cherche à le ramener à la raison. Decio reproche à Cleonilla sa
lascivité et sa mauvaise influence sur l’Empereur. Quant au bel Ostilio
(Tullia travestie), il profite de la séduction exercée sur sa patronne, pour
détourner celle-ci de Caio. Caché mais proche, ce dernier entend la
conversation entre les deux femmes (il se méprend et pense qu’il s’agit
d’une scène sensuelle entre Cleonilla et son page). Preuve en main, Tullia
peut maintenant démontrer au fiancé volage que Cleonilla est une femme
infidèle. L’acte se termine par un air de bravoure («  Gelosia/Tu già rendi
l’alma mia  »), chanté par Caio, jaloux d’Ostilio et déçu dans son amour
pour Cleonilla  : il se vengera en révélant à Ottone que sa maîtresse le
trahit !
 
Le second acte se situe dans un coin retiré du parc entourant la villa
impériale : « Un bosquet de verdure en contrebas d’une plaisante colline ;
un bassin d’eau pour l’agrément de l’Empereur, une grotte couverte de
végétation et, tout autour, plusieurs sièges de mousse. »
Decio encourage son maître à rester vigilant : le peuple romain fomente
contre vous, à cause de votre relation avec cette femme indigne, dit-il.
Exaspéré, Ottone se lance dans une aria de bravoure (« Come l’onda, /Con
vorragine orrenda »). Decio restera néanmoins fidèle à l’Empereur ; à son
tour, il chante une aria héroïque (« Che giova il trono al Re »).
Caio est assis sur un siège de mousse, la tête inclinée en arrière. Il rumine
sa colère et sa jalousie contre le page. Tullia s’est cachée dans la grotte. Un
dialogue s’engage entre les deux personnages (Caio assis à l’extérieur et
Tullia enfermée dans la grotte), d’abord en recitativo secco puis en récitatif
accompagné  : l’émotion croît avec la musique. Puis l’ensemble
instrumental se divise en deux  : deux flûtes et deux violons (Antonio et
Giovanni Battista ?) « in scena » (sur scène) ; les autres musiciens (cordes
et basse continue) à leur place, à distance : deux groupes instrumentaux et
deux personnages, dispersés dans l’espace ; au total, quatre sources sonores,
comme lorsque, en mai 1704, Vivaldi et Gasparini distribuaient les filles du
chœur dans les quatre angles de l’église de la Pietà, produisant entre les
musiciennes des effets d’écho et une tension dramatique qui réjouissaient
l’auditoire. Caio est bouleversé. Il dialogue avec la nature  : chant des
oiseaux, brise, murmure de l’eau. Les soupirs et la voix de Tullia déformés
par la grotte répondent à Caio  ; elle reproche à l’amant volage son
infidélité.
Tullia est maintenant sortie de la grotte. Elle est devant Caio, de nouveau
sous le déguisement d’Ostilio  ; elle feint de se trouver là par hasard. Aux
yeux de Caio, elle est un rival à éliminer.
«  Un pavillon rustique avec une coiffeuse et un miroir. Cleonilla se
contemple dans le miroir, tandis que Caio approche. »
Cleonilla triomphe  : trois hommes se prosternent à ses pieds. Soumis,
Caio remet à la belle une lettre où il confirme ses sentiments. Intervient
Ottone qui s’empare de la missive, la lit, et découvre le jeu amoureux qui
s’était tramé derrière son dos. Cleonilla ne perd pas son assurance  : ce
garçon perd son temps en me courtisant, dit-elle, puisque moi, je ne l’aime
pas. En présence d’Ottone, elle écrit à Caio pour le dissuader de poursuivre
sa cour. Elle chante une aria largo. À cet endroit du manuscrit (fol. 80),
Vivaldi a noté «  Cleonilla chante l’aria suivante tout en s’interrompant
constamment pour écrire ». Elle remet la lettre à Ottone et, avec la même
douceur feinte, chante sa constance et sa fidélité. Toujours aux côtés
d’Ottone, Decio exprime sa fidélité à l’Empereur. Ottone lit les deux lettres,
celle de Cleonilla puis celle de Caio. Magnanime, il comprend la détresse
de l’amoureux évincé et usera de clémence. Caio se retrouve seul  ; il ne
peut contenir sa colère contre Cleonilla. Tullia, à son tour, est seule en scène
et exprime son désespoir (Misero spirto mio). C’est un air virtuose,
concertant ; presto et largo alternent ; la jeune femme est divisée, entre sa
colère et son amour pour Caio.
 
Le troisième acte est bref  ; il ne comporte que cinq arias. Le décor
représente «  Un passage solitaire avec des recoins cachés par des
frondaisons  ». Decio essaie encore de convaincre Ottone de retourner aux
affaires de l’État. Je n’ai que faire du trône et de l’empire, répond Ottone,
pourvu que je sois auprès de ma bien-aimée. Maintenant, la situation est
très emmêlée : Cleonilla fait semblant de repousser Caio ; puis elle joue de
ses charmes pour tenter de conquérir le page. Caio se cache derrière les
plantes et assiste à la scène  ; il chante d’abord une aria très douce en mi
mineur « Guardami almeno, e senti » (III, 4) : l’introduction au violon est
plaintive, chargée d’émotion (« violino solo senza bassi » – violon seul sans
les basses) ; à la fin, Vivaldi place un signe de cadence sur la dominante et
note  : «  Qui si ferma a piacimento  » (Ici on joue selon son bon plaisir).
Cadence  : moment réservé au seul violoniste qui peut improviser et, à
l’instar des chanteurs, déployer sa virtuosité technique devant le public.
Cette cadence improvisée fut-elle jouée par Vivaldi lui-même ? Un visiteur
allemand, le baron von Uffenbach qui entendra bientôt jouer Vivaldi au
Sant’Angelo, laisse ce précieux témoignage : « Vers la fin, Vivaldi joua un
magnifique a solo qu’il fit suivre d’une cadence, qui m’éblouit
véritablement car jamais on n’entendit (et jamais on n’entendra plus) une
telle façon de jouer. » Passé ce moment de lyrisme musical, tout à la gloire
du compositeur virtuose, on voit Caio qui observe à la dérobée la scène
entre Cleonilla et Ostilio. Convaincu de l’infidélité de Cleonilla, il sort de
sa cachette, se saisit d’un stylet, menace de tuer Ostilio. L’intrigue se
dénoue rapidement  : Tullia enlève sa perruque. Agenouillée aux pieds
d’Ottone, elle avoue tout. Caio et Tullia se pardonnent réciproquement  ;
Cleonilla et Ottone leur emboîtent le pas  : tous chantent en chœur la fin
heureuse.
Dans l’Ottone in villa, Vivaldi affirme son style particulier  ; il est le
Vivaldi de la « Fantaisie Harmonique » (L’Estro Armonico)  : des rythmes
énergiques, souvent issus de l’univers de la danse, un jaillissement inventif
permanent, une verve mélodique très personnelle et des harmonies
audacieuses que lui permettent sa parfaite maîtrise du violon, son habitude
de jouer et d’improviser en public, un style vocal issu de la technique
violonistique, du jeu de l’archet sur les cordes. À l’exception de l’aria de
Tullia « Che bel contento io sento » (III, 5), écrite en quatre sections AA B
C et D, comme une lente coda, toutes les arias sont écrites avec un retour au
début (à da capo)  ; tour à tour languides et douces, ou brillantes et
virtuoses  ; arias de demi-caractère quand il s’agit de rendre la gravité du
discours  ; récitatifs accompagnés chargés d’émotion, dans les moments
d’instabilité et de malaise psychologique. Le compositeur ménage de
longues suspensions durant lesquelles les acteurs peuvent s’exprimer par la
gestuelle et par le regard.
 
Le livret de l’Ottone in villa évoque la haute société romaine de
l’Antiquité, lorsque celle-ci se repose et se divertit loin de la capitale. De
prestigieuses personnalités étrangères, esthètes et mécènes, ont élu leur
résidence  dans la Rome des xviie et xviiie  siècles  : de 1659 à sa mort en
1689, la reine Christine de Suède  ; quelque temps plus tard, à partir de
1696, Maria Casimira (après la mort de son mari, le roi de Pologne Jean III
Sobieski), qui possède son théâtre privé. La fille de Maria Casimira,
Therese Kunigunde, vit en exil à Venise. De Venise, elle se rend à Vicence
pour assister à l’Ottone in villa. Therese écrit à son mari, l’Électeur de
Bavière, et lui parle de ce spectacle avec enthousiasme, ainsi que des
chanteurs. On ne connaît pas la lettre de Thérèse mais la réponse que lui
envoie son époux, l’Électeur Max Emmanuel, écrite en français et datée du
25 juin 1714 ; il y félicite son épouse d’être allée à Vicence « à l’occasion
de la foire, et pour y voire l’Opera qui est tres beau3 ». Quelque temps plus
tard, Therese Kunigunde fera engager le castrat Bartolomeo Bartoli à
Munich, et suggérera aussi à son mari le nom de Vivaldi pour diriger la
chapelle musicale bavaroise…

La villégiature
Dans l’Ottone in villa, pas de lourde intrigue politique  ; pas d’allusions
cryptées aux conflits pour le trône d’Espagne… Cet opéra évoque
simplement le goût des riches Vénitiens pour la villégiature dans leurs villas
construites sur les rives de la Brenta, ou sur les collines avoisinantes, près
de Vicence par exemple. Cela fait bien longtemps maintenant que la
noblesse de la Sérénissime, chassée par les Ottomans des territoires qu’elle
occupait dans le Levant, s’était installée dans les campagnes de la Vénétie.
Elle y dirigeait paysans et ouvriers et, désormais, passait une bonne partie
de l’année en terre-ferme. Les villas léguées par leurs aïeux avaient été
embellies de fresques dont les thèmes étaient (comme ceux des livrets
d’opéra) inspirés des romans de l’Arioste et du Tasse, de la mythologie et
de l’Antiquité romaine. Ils avaient agrandi les jardins trop exigus, y avaient
fait disposer par les architectes des statues, des grottes, des plans d’eau, des
fabriques. « Le jardin du comte de Valmarana est une chose fort vantée dans
cette ville », écrit, lors de son étape à Vicence, Maximilien Misson dans son
Nouveau Voyage d’Italie ; « & l’inscription que nous avons lue, au-dessus
de la porte de ce jardin, nous en a donné de grandes idées. Voici à peu près
ce qu’elle contient  : “Arreste toy, cher voyageur  : toi qui cherches les
choses rares, & les lieux enchantez  ; c’est icy que tu trouveras à te
satisfaire. Entre dans ce jardin délicieux  &  gouste abondamment toutes
sortes de plaisirs. Le comte de Valmarana te le permet.” Effectivement,
poursuit Misson, on a autrefois eû dessein de faire là un lieu assez agréable.
Il y avoit un canal, des parterres, des cabinets : & il reste encore une belle
allée de citronniers & d’orangers. »
À l’époque de Vivaldi, les nobles construisent en terre-ferme des
centaines de nouvelles demeures. Les Grimani (qui possèdent les deux plus
beaux théâtres de Venise) font partie des plus riches propriétaires terriens.
L’architecte de Padoue, Girolamo Frigimelica Roberti, qui crée les décors
des opéras du théâtre San Giovanni Grisostomo, dessine aussi les jardins de
la splendide villa Pisani, à Stra, sur les bords de la Brenta. Les saisons
consacrées à la villégiature sont de plus en plus longues et nombreuses. Les
Vénitiens, gens de la mer, ont appris à aimer la campagne, à vivre dans la
nature, à se divertir en jouant la comédie, en organisant des concerts dans
les salons de musique, des fêtes en plein air et des banquets dans les
prestigieuses salles de bal de leurs villas. La réalité et l’illusion se
confondent. Les classes sociales se mélangent  ; maîtres et domestiques
partagent les mêmes loisirs. Des thèmes qui hanteront les livrets du Vénète
Lorenzo da Ponte et, par ricochet, les partitions de Mozart !
Goût pour un univers simple et rustique, nostalgie du temps qui passe,
des saisons qui s’enfuient, sujets poétiques et tableaux réalisés par les
peintres locaux à l’intention des touristes étrangers, anglais en particulier
qui, comme le comte de Pembroke, auquel est dédié le livret de l’Ottone,
collectionnent ces trésors, les rapportent dans leur pays et en font les
supports de leurs rêveries. Ce sont des coins de jardin, dans le goût rocaille,
des caprices et des vedute dont Marco Ricci et Canaletto – eux-mêmes
décorateurs de théâtres – se font les spécialistes. Les décors de l’Ottone in
villa évoquent un jardin de fantaisie ; les scènes sont de charmantes visions.
Dans cette nature, théâtre des sentiments, Vivaldi trouvera sa meilleure
veine. Plein de séductions dangereuses, le jardin de Cleonilla entraîne
l’homme vers sa chute. Le parc qui entoure la villa d’Ottone sait aussi se
faire refuge, lieu solitaire où les êtres sensibles, comme Tullia et Caio,
épanchent, à l’écart de la société, leurs peines de cœur, dialoguent avec le
murmure de la source, avec la brise dans les feuillages, les chants
d’oiseaux. La scène de la grotte, au second acte d’Ottone (« L’ombre, l’aure
e ancora il Rio  »), lorsque les flûtes et les violons dialoguent avec les
personnages éplorés, contient déjà tous les éléments du Printemps. La
« Primavera », telle que le public romain l’entendra, en 1724, au début de
l’opéra Il Giustino, quand la Fortune paraît en scène juchée sur sa machine ;
tel qu’il sera élaboré ensuite dans le célèbre premier concerto de l’Opus 8.
Les propos paraissent futiles, les situations sont parfois transgressives (un
empereur germanique qui oublie son devoir auprès d’une coquette
Romaine, deux femmes qui se caressent sur scène…). Pourtant, le sujet de
cet opéra n’est-il pas plus grave qu’il y paraît ?
Depuis le traité de Karlowitz, signé en 1694 entre Venise et l’Empire
ottoman, la paix semble régner dans la République Sérénissime. Toutefois,
à l’heure où l’on donne l’Ottone in villa, des rumeurs courent… Les
tensions entre la Russie et la Turquie se sont accrues  ; il suffit d’un rien
pour que ces difficultés politiques rejaillissent sur la Sérénissime et que la
guerre reprenne avec Venise, anéantissant les conquêtes précédentes de
Francesco Morosini. Est-il encore possible, en ces premières années du
siècle nouveau, de croire en une victoire possible de la flotte vénitienne ?
Combien de batailles inutiles, de vies sacrifiées pour rien  ! La paix n’est-
elle pas plus désirable que le monde du pouvoir ?

Ottone se diffuse en Europe

Dans les mois qui suivront, Vivaldi réutilisera plusieurs arias de l’Ottone
in villa, au théâtre Sant’Angelo, dans l’Orlando furioso, ainsi que dans
l’Orlando finto pazzo  ; plus tard, en 1719, dans Tito Manlio et dans
Teuzzone, puis dans d’autres opéras encore.
Plusieurs arias de cet opéra seront disséminées en Italie et en Europe par
l’intermédiaire des chanteurs qui les colportent d’une scène à l’autre. La
contralto vénitienne, Diana Vico, interprète du rôle d’Ottone, est l’une des
principales cantatrices à chanter des airs de Vivaldi à Londres, arias
intégrées à des pastiches signés ou non par des compositeurs résidant en
Angleterre. Dès 1713, elle reprend l’aria « Frema pur, si lagni Roma » (I, 7)
dans le pastiche Ernelinda au théâtre Haymarket. Deux ans plus tard, sur les
mêmes scènes, elle interprétera l’aria « Sole degli occhi miei » (qui avait été
chantée à Vicence par Anna Maria Giusti), dans Lucio Vero, un pastiche
arrangé par Nicola Francesco Haym.
Les imprésarios, les directeurs de théâtres, les troupes itinérantes
intègrent dans leurs spectacles ces arias manuscrites, détachées du corps des
opéras, transportées dans les malles, d’une ville à l’autre. L’aria de Decio
« L’esser amante colpa non è » (III, 2) est chantée dans Die Getreue Alceste
(Le fidèle Alceste), un pastiche donné à Hambourg, sous la direction de
Georg Caspar Schürmann, un compositeur allemand qui avait passé
quelques années à Venise. Schürmann est l’un des principaux promoteurs
du répertoire vénitien en Allemagne.
Ces phénomènes échappent au contrôle de Vivaldi qui, lui-même, ne
cesse de réemployer ses propres œuvres, les masquant, les parodiant, faisant
circuler les thèmes d’une œuvre à l’autre. La Sinfonia d’ouverture de
l’Ottone sera reprise dans plusieurs concertos  ; le premier mouvement
réapparaît dans le concerto RV 370  ; le troisième mouvement dans trois
concertos différents : RV 185 (op. 4 n° 7), RV 188 (op. 7 n° 2) et RV 447.
De vocales, les mélodies se font instrumentales : ainsi le thème de l’aria de
Caio « Chi seguir vuol la costanza » (I, 5) sera employé dans le cinquième
mouvement du concerto pour basson dit La Notte RV 501 (ainsi que dans le
troisième mouvement du concerto RV 268). De l’opéra, les thèmes vocaux
migrent dans la musique sacrée  : le thème de l’aria «  Chi seguir vuol la
costanza  » est repris dans l’un des chœurs du psaume Laudate pueri (RV
602).
Seize ans plus tard, en 1729, Vivaldi aménagera le manuscrit de l’Ottone
in villa pour une représentation au Teatro Dolfin, de Trévise. Si le manuscrit
autographe conservé à Turin correspond bien à la création de Vicence, les
nombreuses interventions effectuées par le compositeur sur sa partition
(passages rayés, mentions diverses servant aux chanteurs et aux musiciens :
« Ne se joue pas » (« Non si suona »), « air en blanc » (« aria in bianco »),
«  ceci ne se dit pas  » («  qui non si dice  »)… font penser que celui-ci a
travaillé sur la partition de Vicence pour préparer la reprise de Trévise. Il
faut changer les tessitures (le rôle de Decio, écrit pour un ténor, est chanté
par une femme ; Caio, de soprano devient contralto ; le rôle d’Ottone, écrit
pour la contralto Diana Vico, est interprété par une basse). Des récitatifs
sont coupés. Un nouveau personnage est intégré à la dramaturgie, Ersina,
sœur de Caio, qui reçoit trois nouvelles arias. Seules quelques arias de
l’Ottone créé à Vicence réapparaissent dans le livret de Trévise, où le nom
du compositeur n’est pas mentionné. De nombreuses arias sont réécrites,
empruntées peut-être par Vivaldi à plusieurs des opéras composés avant
1729, ou même intégrées par les chanteurs eux-mêmes. Enfin, phénomène
troublant, le manuscrit corrigé de l’Ottone in villa ne correspond pas
exactement au livret de l’Ottone, tel qu’il aurait été exécuté à Trévise, en
1729…
 
Dès 1713, la « méthode » de travail de Vivaldi, compositeur et arrangeur,
est en place. Il constitue un réservoir de thèmes, instrumentaux et vocaux,
qui serviront dans d’autres œuvres : repris à l’identique, ou modifiés pour
s’adapter aux effectifs à disposition, aux livrets, aux interprètes, aux
exigences des imprésarios. Tous les opéras composés par Vivaldi seront
régis par ces mécanismes. L’économie des théâtres de l’époque n’est viable
que dans la rapidité. L’impératif est  : faire du neuf avec du vieux  tout en
paraissant constamment nouveau  ! Il faut trouver des solutions, quand les
moyens financiers et artistiques sont limités, quand les spectacles sont
décidés au dernier moment, parfois modifiés dans des conditions extrêmes.
Ce sens de l’adaptation fait partie du génie du compositeur.

La Vittoria navale, oratorio, Vicence, juin 1713

Le 10 juin 1713, Antonio Vivaldi et son père sont encore (ou de nouveau)
à Vicence  ; les Dominicains les ont invités à plusieurs fêtes liturgiques,
données au monastère et à l’église de Santa Corona.
L’église en briques rouges de Santa Corona est à deux pas du Teatro
Olimpico. Si le monastère fut bombardé en 1944, l’église en revanche a
gardé l’aspect général qu’elle avait à l’époque de Vivaldi, malgré les
nombreuses restaurations entreprises sur ce monument au xixe  siècle. En
1713, lorsque les Vivaldi s’y produisirent, l’église Santa Corona conservait
encore le tombeau d’Andrea Palladio.
Les Dominicains ont organisé un hommage au pape Pie  V (Michele
Ghisilieri), membre de leur congrégation qui avait été canonisé l’année
précédente, le 4  août 1712. Pie  V avait joué un rôle essentiel lorsque les
forces navales espagnoles, génoises et vénitiennes s’étaient unies en une
seule armée, la Sainte Ligue, qui remporta la célèbre bataille de Lépante
contre les Turcs, le 7 octobre 1571. Guerre encore et infinie célébration de
la victoire  ! Les fêtes messes, processions, concerts sacrés alterneront
pendant une semaine (« Octave ») et se termineront le 18 juin 1713.
À cette occasion, Vivaldi compose son premier oratorio, La Vittoria
Navale (RV 782). La dramaturgie évoque la bataille historique des chrétiens
contre l’armée ottomane. L’auteur du livret, un prêtre de Pavie, ne veut pas
choquer la congrégation catholique. En forme d’Avertissement, il écrit dans
sa préface : « Lecteur, Tu connais très bien la prédiction faite par le Saint
Père Pie  V sur la célèbre Bataille Navale remportée à Lépante par les
Armées Chrétiennes contre les Turcs  ; comme tu le verras, il s’agit d’une
œuvre brève, pour le texte comme pour la musique. Les mots qui sont
contraires à la Foi catholique tu ne les entendras que dans la bouche de
l’Infidèle. Ils sont le reflet de ses mœurs et n’expriment pas les sentiments
de celui qui écrit. »
La partition est hélas perdue. Nous ne conservons que le livret, en italien,
de ce premier oratorio qui ne précède que de trois ans la plus célèbre
Juditha triumphans. Écrit en deux parties, le texte comporte trois
personnages allégoriques  : la Valeur, l’Infidélité (c’est-à-dire l’adversaire
musulman), l’Ange qui descend du Paradis (lumière envoyée du Ciel pour
illuminer l’esprit du Saint Père, qui « répandra sur la mer souillée le sang du
cadavre de l’Infidèle ») et un personnage historique, le pape Pie V.
Un document manuscrit découvert dans les archives de Vicence relate le
déroulement de ces fêtes religieuses et musicales4. L’ensemble instrumental
était formé de : quatre (ou six) violons (dont Antonio et Giovanni Battista
Vivaldi), deux violette (altos), un violone, une viola da brazzo5, un
hautbois, une trompette et l’orgue. Les huit chanteurs étaient tous
masculins, comme il se doit à l’église, deux par partie : deux sopranos (dont
le castrat Bartolomeo Bartoli), deux altos, deux ténors (dont Gaetano
Mossi) et deux basses. On utilisa quelques décors, dont le portrait du pape.
Les fêtes se poursuivirent jusqu’au jeudi, relate le chroniqueur, jour où,
après le repas, on exécuta l’oratorio à quatre voix qui remporta un vif
succès […] tant pour la musique écrite par le virtuose D. Antonio Vivaldi,
maître des concerts à la Pietà de Venise, que pour l’intermède de
cornemuse […]6 que celui-ci exécuta avec son merveilleux violon, ainsi
que pour le jeu d’échos – vivement applaudi – qui s’engagea entre notre
grand orgue et son violon, réalisant à deux une fugue qui souleva le Viva !
de tout l’auditoire.
En l’église Santa Corona de Vicence, Vivaldi avait donc déployé son
extraordinaire virtuosité violonistique, son art de l’improvisation et son
étonnante capacité à émettre, tantôt par les combinaisons harmoniques,
tantôt par la sonorité produite par le frottement de l’archet sur les cordes,
des effets particuliers, surprenants, qui avaient enthousiasmé le public de
Vicence.
Quelques jours plus tard, il reçoit son paiement et signe le reçu de sa
main :
Ce 27  juin 1713, j’affirme avoir reçu du Révérend Père comptable de
S. Corona 310 lire pour quatre violons, plus 186 lire pour la Composition,
et les copies de l’Oratorio, à l’occasion des offices célébrés pendant
l’Octave de saint Pie, pour un total de 496  L. Je soussigné Antonio
Vivaldi7.
Dans la diligence qui vient de quitter Vicence et se dirige vers Venise,
outre les Vivaldi, se trouvent le ténor Gaetano Mossi que l’on entendra au
San Giovanni Grisostomo au cours du carnaval suivant puis en été 1718, à
Florence, au théâtre de la Pergola, dans le Scanderbeg de Vivaldi  ; Anna
Maria Giusti – la frivole Cleonilla – qui interprétera dans l’Orlando furioso
le rôle de l’ambiguë Angelica, Margherita Faccioli – la douce Tullia – qui
sera la magicienne Alcina ; peut-être aussi, roulées et ficelées sur le toit, ou
repliées dans les malles, à l’arrière de la voiture – comme le dit Maximilien
Misson – des toiles peintes  : un jardin «  délicieux  » orné de bosquets,
charmilles et bancs de mousse, une grotte, pour y enfermer Roland, et des
accessoires  de toutes sortes  : costumes, chapeaux, fleurs, fontaines et
miroirs, où se refléteront les visages de ces équivoques séductrices…

 Le théâtre Sant’Angelo

 De la folie furieuse à la folie feinte

 (1713-1715)

En ce début d’été 1713, les Vivaldi, père et fils, sont de retour à


Venise. Giovanni Battista a repris son emploi de violoniste dans la
chapelle musicale du doge, à Saint-Marc, et Antonio, son service à
la Pietà.
Antonio vit avec ses parents, ses frères et sœurs, dans une maison
située sur l’actuel campo des SS. Filippo e Giacomo, proche de
Saint-Marc, centre du pouvoir, cœur de la Sérénissime. En mars, sa
sœur cadette, Cecilia, s’était mariée avec Giovanni Mauro. Cecilia
et Giovanni vivent sans doute avec les Vivaldi. Leur premier
enfant, Pietro Mauro, futur copiste de musique, naîtra en automne
1715. Antonio Vivaldi a trente-cinq ans. Il n’exerce plus aucune
fonction ecclésiastique, mais il est lié à sa famille, inséparable de
son père, fortement enraciné à Venise et au quartier de Castello où
il a vu le jour.
Pour retracer la vie du compositeur, nous ne possédons ni
mémoires, ni lettres à ses proches, ni témoignages vivants. Nous
devons nous fonder sur de petits documents qui émergent des
archives. Nous rassemblons des signes infimes que nous tentons
d’interpréter.
Il faut imaginer Vivaldi actif sur tous les fronts. À l’hospice de la
Pietà, désormais resté sans direction musicale, depuis le départ, fin
avril, de Francesco Gasparini, il compose et expérimente avec les
filles du chœur sonates et concertos. Ses œuvres sont maintenant
éditées à l’étranger et connaissent une diffusion internationale. Les
deux premiers recueils de sonates, qui avaient été imprimés à
Venise en 1705 et 1709, sont à nouveau publiés et commercialisés
par l’éditeur hollandais Estienne Roger (l’Opus 2 en 1712 et l’Opus
1 en 1715) ; les concertos de L’Estro Armonico, édités en 1711,
sont réimprimés par l’éditeur de Londres, Walsh & Hare, en 1714
(ou 1715) ; la même année, Roger publie le concerto RV 276 dans
un recueil collectif (Concertos à 5, & 7 Instrumens). La notoriété
de Vivaldi, virtuose exceptionnel du violon, se propage au-delà des
Alpes. De jeunes musiciens allemands viennent à Venise pour
suivre son enseignement, transcrire ses œuvres, les remporter dans
leur pays.
Dès le 6 janvier 1713, les Vivaldi père et fils avaient fait savoir
qu’ils s’engageraient à gérer, deux ans durant, le théâtre
Sant’Angelo8.
Assurer la direction financière et artistique du Sant’Angelo est une
décision courageuse car, depuis plusieurs années, la gestion de ce
théâtre qui pratiquait des loges à coût réduit s’avérait difficile,
malgré une programmation de qualité. Autrefois, les petits théâtres
qui étaient nés d’initiatives privées, comme le Novissimo où, en
1641-1642, le génial scénographe Giacomo Torelli avait inventé un
mécanisme qui permettait de changer les décors sous les yeux des
spectateurs, en une seule opération, le San Apollinare, où Marco
Faustini et Francesco Cavalli avaient produit ensemble, en 1651, la
Calisto, s’étaient révélés des foyers d’expériences fondamentales
pour l’histoire de l’opéra vénitien, mais vouées à l’échec au plan
économique. En 1702, tout juste arrivé à Venise, Francesco
Gasparini y avait essuyé un scandale retentissant avec son premier
opéra. Une dispute avait éclaté entre les membres du personnel et
les artistes. L’une des chanteuses mourut noyée dans un canal ;
Gasparini avait dû se replier au théâtre San Cassiano, qui devint
dès lors son théâtre vénitien de prédilection.
Le théâtre de Vivaldi a disparu. On peut situer son emplacement
près du débarcadère de Sant’Angelo, sur la rive droite du Grand
Canal, à l’angle du ramo et du campiello del Teatro. Une gravure
de D. Moretti, datant de 1828, publiée dans le recueil d’Antonio
Quadri, Il Canal Grande di Venezia9, permet de connaître son
aspect extérieur : le Sant’Angelo avait une façade plate, sans aucun
ornement ni embellissement architectural, percée de fenêtres, avec
une simple petite porte centrale.
Ce théâtre avait été fondé par Francesco Santurini, un imprésario
connu à Venise, et inauguré en 1677, quelques mois seulement
avant la naissance de Vivaldi. Le terrain appartenait à plusieurs
copropriétaires, dont les Marcello – famille des deux frères
compositeurs, Alessandro et Benedetto Marcello – qui participent
aux bénéfices de l’entreprise même si, selon le contrat signé avec
Santurini, ce dernier détenait, en tant qu’imprésario, la pleine
jouissance de la gestion théâtrale.
 
« Le Théatre de S. Angelo n’est pas si grand que les autres, quoy
qu’il soit aussi peint, doré, et fort propre, écrit en mars 1683
Chassebras de Cramailles dans le Mercure galant. Il contient cinq
rangs de pales [loges] vingt neuf à chaque rang. La situation n’en
sçauroit estre plus avantageuse, puis qu’il est au bord du Grand
Canal. » À l’époque où Chassebras rédige ces lignes, le théâtre
Sant’Angelo comptait cinq rangs de loges disposés dans la salle en
forme de fer à cheval ; en tout, 150 loges et 850 places (600 dans
les loges, 250 au parterre). En 1702, Francesco Santurini avait fait
construire huit nouvelles loges sur l’avant-scène, deux d’entre elles
restant à disposition des chanteurs. Les loges étaient louées entre
25 ou 20 ducats, selon le rang. Le premier rang, appelé
« pepiano », était peu prisé. Les places y sont peu commodes,
témoigne Chassebras, parce qu’on « est trop près des personnes du
parterre, et que le manche des théorbes de l’orchestre cache
toujours quelque chose de la veue ; c’est pourquoy on les fait plus
bas, en manière d’entresols ».
 
L’architecte suédois Nicodemus Tessin10, à Venise en 1688, décrit
assez précisément la salle du Sant’Angelo, la structure de la scène,
la disposition des décors : cinq paires de toiles peintes (les
« teleri ») placées en oblique, de chaque côté de la scène, afin de
donner un effet de profondeur dans ce théâtre désavantagé par son
étroitesse. Les parapets fermant les loges sont décorés de
médaillons sculptés et dorés. À l’heure du spectacle, un lustre à
quatre torches, suspendu par des fils de laiton et comme soutenu
par un ange en vol, est descendu du plafond ; d’abord fermé, il
s’ouvre quand il a atteint la bonne hauteur.
En 1712, l’imprésario Giovanni (dit Zuan en vénitien) Orsato avait
repris la gestion du Sant’Angelo. Cette saison-là, deux opéras
avaient été commandés à Johann David Heinichen, un jeune
compositeur allemand venu de Leipzig, qui séjourne à Venise
entre 1710 et 1716. Orsato s’était associé à un certain Gabriel
Faggia qui, pendant la saison du carnaval 1713, avait tenté de
s’approprier l’affaire. En février 1713, les chanteurs, le
scénographe Antonio Mauro et le compositeur, non payés, avaient
intenté à Orsato un procès dont des éléments sont conservés aux
archives de Venise. Les magistrats séquestrèrent la caisse et
demandèrent aux artistes de continuer les représentations. Pris au
dépourvu, Orsato aurait demandé que l’on remplace le second
opéra, la Calfurnia de Heinichen, par l’œuvre d’un compositeur
local. Il aurait pu s’agir, pense-t-on, de l’Ottone in villa de Vivaldi.
Mais, finalement, l’Ottone fut donné à Vicence, Heinichen gagna
son procès, fut largement dédommagé et récupéra sa partition11.
En famille et sans associés extérieurs, les deux Vivaldi gardaient la
situation bien en main !
Antonio et Giovanni Battista Vivaldi assurent donc la gestion du
Sant’Angelo pendant deux ans. En mars 1715, un litige les touche
cette fois : ils font recours contre les Frères Contarini qui n’auraient
pas payé les 20 ducats dus pour la location d’une loge au troisième
rang12. Un autre document d’archives provenant de la paroisse de
Sant’Angelo, daté du 22 février 1714, fait apparaître que, à cette
date, Antonio Vivaldi dispose d’un local, mitoyen au théâtre, au
numéro 122 de la Casa del Teatro (maison du théâtre), « selon le
contrat du théâtre13 ».
Six spectacles seront donnés au Sant’Angelo sous la direction des
Vivaldi, mais un seul est entièrement composé par Antonio.
Les quatre premiers sont des « Orlando », mis en musique sur des
livrets de Grazio Braccioli qui se fonde sur deux sources
différentes : tantôt sur le célèbre poème épique de l’Arioste,
Orlando furioso, tantôt sur l’Orlando innamorato de Matteo Maria
Boiardo.
Grazio Braccioli est originaire de Ferrare. Docteur en lettres et en
droit, il occupe dans sa ville diverses charges publiques et
académiques et tient une chaire de jurisprudence à l’université.
Outre l’écriture de livrets d’opéra, il produit des discours
d’occasion, des poésies lyriques, activités familières aux cercles
académiques. Pour le théâtre Sant’Angelo, Braccioli écrit,
entre 1711 et 1715, une dizaine de livrets d’opéras.
En raison de leur structure littéraire très complexe, le Roland
amoureux de Boiardo (1483) et le Roland furieux de l’Arioste
(1516) avaient été peu utilisés par les librettistes d’opéra, car trop
difficiles à adapter à la scène. Lorsqu’ils en avaient fait leur source
d’inspiration, les dramaturges avaient préféré mettre en avant les
personnages jeunes et tendres d’Angelica et Medoro, alors que,
dans la version de Braccioli, ceux-ci glissent au second plan. Ce
dernier ne fait rien au hasard. Ses livrets sont soignés et réfléchis.
Dans ses préfaces, il explique ses choix, ses difficultés face à des
textes aussi considérables dans l’histoire de la littérature. Il
demande au lecteur de le pardonner d’avoir osé adapter le long
poème de l’Arioste à l’usage des scènes d’opéra. Dans le livret du
Rodomonte sdegnato (l’opéra donné en 1714, après l’Orlando
furioso), Braccioli souligne le respect qu’il faut accorder aux règles
d’unité de lieu et d’action, au merveilleux, à la gravité tragique,
aux préceptes d’Aristote et d’Horace. Il développe plus longuement
ses théories dans une dissertation intitulée Circa la unità del luogo
nelle tragedie (Sur l’unité de lieu dans les tragédies), publiée à
Venise en 1725.
Pour le livret de l’Orlando furioso vénitien, Grazio Braccioli
s’inspire des chants VI à VIII, XXIII et XXXIX du texte de
l’Arioste. Il a, dit-il, concentré le drame autour de la folie
d’Orlando, réduit l’action dans la durée et limité l’espace à l’île et
au palais de la magicienne.

L’Orlando furioso de Giovanni Alberto Ristori, Venise, automne 1713


La première de l’Orlando furioso a lieu le 9  novembre 171314. La
partition est signée par Giovanni Alberto Ristori, jeune musicien de
Bologne, un enfant de la balle. Son père, Tomaso Ristori, comédien et
directeur de troupe, travaillait au service de la cour de Dresde peu avant la
naissance de Giovanni Alberto. Lorsqu’il compose son Orlando furioso,
Ristori n’a qu’une vingtaine d’années  ; il vient tout juste d’écrire son
premier opéra, représenté dans la ville voisine de Padoue.
Les décors de l’opéra sont réalisés par Antonio Mauro, l’un des plus
importants scénographes de l’opéra vénitien15.
Anna Maria Giusti, la Cleonilla d’Ottone in villa, interprète le rôle
d’Angelica, la femme convoitée en vain par Orlando. «  Si j’ai changé
légèrement le personnage d’Angelica, écrit Braccioli, c’est pour mettre en
valeur le talent particulier de l’actrice. » Il veut une Angelica plus sensuelle
que celle de l’Arioste. Margherita Faccioli (la tendre Tullia de l’Ottone)
quant à elle incarne Alcina, la magicienne sorcière, dévoreuse d’hommes.
La basse Anton Francesco Carli, un chanteur de la cour de Toscane, assume
le rôle d’Orlando. Bradamante est interprétée par la jeune Elisabetta
Denzio. Le soprano Pietro Giacomo Ramponi est le chevalier Astolfo. Le
rôle du jeune premier Medoro est tenu par une femme, Agata Landi.
Ruggiero est interprété par le castrat alto Giovanni Battista Minelli que, le
8  novembre, juste avant la première, l’imprésario du théâtre de Vérone,
Giovanni Gallo, accuse Vivaldi de lui avoir subtilisé. Gallo veut être
remboursé pour le préjudice subi car, dit-il, privé de Minelli, la saison
d’opéra, au théâtre de Vérone, est tombée à l’eau16 !
La partition de Giovanni Alberto Ristori a disparu. Pour se faire une idée
de la musique, on peut se baser seulement sur le livret de la représentation ;
et, dans une moindre mesure, sur le manuscrit conservé à Turin17, que l’on
attribue habituellement à la reprise de l’Orlando furioso qui aura lieu dans
le même théâtre, l’année suivante.
 
Vivaldi avait-il choisi délibérément ce sujet inspiré du poème épique,
long et complexe, de l’Arioste  ? L’osmose entre le thème issu de
l’épopée romanesque de la Renaissance, la folie hallucinatoire de Roland, la
qualité dramaturgique, le choix des chanteurs, les décors, la musique du
jeune compositeur Giovanni Alberto Ristori plaisent au public vénitien.
L’Orlando furioso de Braccioli-Ristori connaît un succès considérable, avec
plus de quarante reprises ; une formidable réussite et une promesse d’avenir
pour le binôme Giovanni Battista et Antonio Vivaldi, imprésarios d’opéra.

Rodomonte sdegnato de Michelangelo Gasparini, Venise, janvier 1714

Le 20  janvier 1714, toujours pendant la saison du carnaval, les Vivaldi


présentent un nouvel opéra, composé par Michelangelo Gasparini18. Le
livret du Rodomonte sdegnato (Rodomont indigné) est encore de Grazio
Braccioli, et encore fondé sur l’Arioste. Les chanteurs sont les mêmes que
dans l’Orlando furioso. «  Don Antonio Vivaldi  » signe la dédicace à
Giuseppe Maria Gonzaga, prince de Mantoue.

L’Orlando finto pazzo, Venise, automne 1714 (RV 727)

Le théâtre Sant’Angelo ouvrira à nouveau ses portes pour la brève saison


d’automne 1714. Il affiche un Orlando finto pazzo (Roland faussement fou)
(RV 727), créé le 10  novembre, mis en musique par Antonio Vivaldi,
«  maître des concerts à la Pietà  », cité comme le seul auteur de la
musique19. Si l’on exclut le Creso, représenté dans le même théâtre en
automne 1705 (qui avait été composé sous le nom de Polani, mais en
réalité, si l’on en croit les déclarations du Prêtre roux, écrit par Vivaldi), cet
Orlando finto pazzo est le premier opéra officiellement composé par Vivaldi
à Venise et au théâtre Sant’Angelo.
Grazio Braccioli signe la dédicace du livret au prince Carl, Margrave de
Baden et de Hochberg, général d’armées et colonel d’infanterie de
l’empereur Charles VI.
S’il reprend le thème d’Orlando, Braccioli cette fois s’est fondé sur
l’Orlando innamorato de Matteo Maria Boiardo (livre  II, chants IV et  V).
Le dramaturge rappelle l’enthousiasme avec lequel le public avait accueilli
son Orlando furioso, l’année précédente, et s’excuse d’avoir extrapolé et
inventé que la folie d’Orlando est seulement simulée et non plus réelle.
L’action se situe dans le royaume d’Organa où (dans Boiardo) se trouve
le palais enchanté de la magicienne Ersilla. Orlando et son compagnon
Brandimarte entrent en scène. Ils ont pour mission de dérober l’épée que
celle-ci a préparée pour tuer Orlando et que ce dernier a promis de remettre
à Angelica. Pour mieux tromper la magicienne, Brandimarte se fait passer
pour Orlando, et Orlando se fait passer pour fou  : le paladin se présente
comme un Orlando imaginaire, un individu insensé qui, tel Don Quichotte,
s’enivrerait dans des entreprises épiques, pures imitations de celles du vrai
Orlando. Ersilla tombe amoureuse de Brandimarte qu’elle tient pour le
héros ; scène d’amour et de séduction entre Ersilla et Brandimarte. Ersilla
n’est pas dupe. Pour contraindre le faux Orlando à se démasquer, elle crée
une vision imaginaire  : Orlando voit apparaître devant lui Angelica
enfermée dans un palais de cristal. Bouleversé par l’émotion et sûr que sa
bien-aimée a été capturée par la magicienne, Orlando révèle son identité.
Ersilla se rend compte qu’elle a été jouée et, courroucée, elle fait
emprisonner Orlando et Brandimarte. Mais Orlando réussit à s’emparer de
l’épée qu’il était venu chercher et, avec ses compagnons, s’échappe du
palais d’Ersilla.
 
Les décors du Finto pazzo sont réalisés par Bernardo Canale (ou Canali),
le père de Giovanni Antonio Canal, plus connu sous le pseudonyme de
Canaletto. Seules quelques scènes évoquent le cadre naturel des bois et de
la campagne dans lequel se déroule l’Orlando furioso de l’Arioste. Les
décors jouent un rôle important pour transporter le spectateur dans un
monde irréel, onirique. Canale joue la carte du fantastique ; les êtres vivants
et les statues des dieux de la mythologie se confondent  ; des autels sont
dressés dans des lieux souterrains, sombres, éclairés par des torches  ; une
tour située dans un lieu isolé est transformée en prison  ; sous l’effet des
enchantements d’Ersilla, on passe des ténèbres infernales à la lumière pure
et transparente. Dans cet opéra de Vivaldi, les effets spectaculaires sont plus
importants que les symboles. C’est l’automne ; la noblesse vénitienne vient
tout juste de rentrer en ville, après plusieurs mois passés à la campagne.
L’heure est encore aux divertissements !
 
Deux chanteurs qui faisaient partie de la distribution de l’Orlando furioso
de 1713 reviennent dans le Finto pazzo  : la basse Anton Francesco Carli,
totalement identifié avec ce personnage d’Orlando, la jeune Elisabetta
Denzio (la Bradamante du Furioso de 1713), qui devient la Tigrinda du
Finto pazzo. Angelica est interprétée par Margherita Gualandi dite la
Campioli ; Ersilla par Anna Maria Fabri (qui participera à plusieurs autres
productions vénitiennes avec Vivaldi). Le castrat Andrea Pacini chante le
rôle d’Argillano, amoureux d’Ersilla. Pacini sera plus tard engagé à la
Royal Academy of Music à Londres. On le trouvera aussi à Paris, en
automne 1720, invité avec d’autres musiciens italiens, aux côtés de Rosalba
Carriera et de sa famille, chez le financier Pierre Crozat.
 
La partition conservée à Turin correspond, à l’exception de quelques
détails, au livret vénitien de l’Orlando finto pazzo. C’est un manuscrit
autographe, auquel il manque la Sinfonia d’ouverture20.
L’orchestre est formé essentiellement par les cordes. De nombreuses arias
virtuoses, métaphores de la nature rebelle, donnent à cet opéra un caractère
héroïque, malgré le contexte qui joue plutôt le ton de la fantaisie
romanesque. Le personnage de Grifone reçoit une belle aria («  Alla rosa
rugiadosa  », I,  6), accompagnée par les cordes et les basses, toutes en
pizzicati, sans clavecin  ; suit une aria, ample (largo), accompagnée par la
seule basse continue, pour Argillano (Andrea Pacini : « Dirò allor di te »,
I,  8)  ; Fabri reste en scène pour chanter «  Il destin che mi sovrasta  »,
toujours très calme (andante) et propice à la gestuelle  ; suit un chœur de
nymphes, sur les vallons, qui chantent et jouent en s’accompagnant sur des
instruments rustiques « Nel ricetto del diletto » (dans le refuge du plaisir).
Comme dans l’Ottone, les cordes sont divisées dans l’espace : les violes sur
la scène (in scena) et les violons à distance (in lontano)  ; les parties
chorales, les ritournelles instrumentales et quelques interventions en
récitatifs alternent. Comment ne pas penser, une fois encore, en entendant
ce chœur féminin, aux filles de la Pietà  ; aux expériences menées par
Francesco Gasparini et Antonio Vivaldi qui divisaient les filles en plusieurs
groupes, dans l’espace de l’église, nostalgie, peut-être, des chœurs qui se
répondaient, sous les voûtes de la chapelle ducale de Saint-Marc, à l’époque
de Willaert et de Gabrieli  ? Au troisième acte, une autre longue scène,
comme un renvoi à la scène lumineuse du premier acte. Cette fois, Arsilla
nous entraîne dans la pénombre. Elle chante un arioso, largo, accompagnée
par les cordes (violette et bassi senza cembali) («  Lo stridor e l’orror
d’Averno  »)  ; suit le chœur des ministres de Pluton et des prêtresses
d’Hécate. Ils abattent le fond de la grotte ; apparaît une façade de cristal qui
laisse entrevoir un cabinet où Angelica est endormie. Vers la fin de l’opéra,
la scène se transforme en un jardin agrémenté de pavillons où brillent feux
et flambeaux  ; dans la semi obscurité, se dessinent les silhouettes des
chevaliers prisonniers des sortilèges de la magicienne.
Cet opéra joue davantage sur les atmosphères que sur les sentiments
passionnels d’Orlando et sur son délire mental qui régissaient l’Orlando
furioso. Après les remaniements de Braccioli, l’intrigue est devenue trop
abstraite et déconcerte le public. Vivaldi lui-même semble avoir éprouvé
des difficultés à mettre en musique ce nouveau scénario où la folie
d’Orlando passe en arrière-plan.
Une rumeur dit que cet opéra « ne plut pas ». Le Finto pazzo de Vivaldi
ne connut jamais de reprise.

La reprise de l’Orlando furioso, décembre 1714

La longue saison d’hiver a sonné. Toujours dirigé par les Vivaldi, le


théâtre Sant’Angelo met à son affiche un nouvel Orlando furioso (RV Anh.
84). Aucun nom de compositeur n’est cité officiellement. On reprend les
décors créés l’année précédente par Antonio Mauro pour l’Orlando furioso
de Giovanni Alberto Ristori.
À l’exception du rôle de Medoro, chanté par une femme (Girolama
Valsecchi), ce sont les chanteurs du Finto pazzo représenté le mois
précédent qui se produisent dans cette reprise de l’Orlando furioso  :
Margherita Gualandi est Angelica ; Elisabetta Denzio, Bradamante ; Anna
Maria Fabri, Alcina ; Andrea Pacini, Ruggiero et Francesco Natali, Astolfo.
 
Le manuscrit autographe conservé à Turin21 semble être la version de
l’Orlando furioso donné en 1714 au Sant’Angelo, même s’il ne correspond
exactement ni au livret de 1714, ni à celui de 1713. Il ne contient que les
deux premiers actes. Ce document montre de nombreux aménagements faits
de la main de Vivaldi  : passages rayés, récitatifs et arias supprimés,
nouveaux passages insérés. Mais on y voit aussi des interventions de
copistes  et, parmi les écritures, on croit distinguer la calligraphie de
Giovanni Battista Vivaldi. Ce manuscrit soulève de nombreuses
interrogations. Qui est réellement l’auteur de cette reprise  ? Giovanni
Alberto Ristori ou Antonio Vivaldi  ? On sait que, à la même période, le
jeune compositeur de Bologne avait quitté l’Italie pour se rendre à Dresde.
Si son départ a eu lieu avant la reprise de son opéra, il n’aurait pu intervenir
lui-même sur sa partition. Cette version de 1714 dérive pourtant de la
version perdue de 1713. Dans ce cas, Vivaldi aurait lui-même adapté la
partition de l’Orlando furioso de Ristori.
Si Ristori a lui-même retravaillé à l’Orlando furioso de 1714, il n’a
conservé que quelques arias de sa version précédente (« Rivo che tumido »,
I, 4 ; « Nel profondo cieco mondo », I, 5 ; « Ah fuggi rapido », II, 3) ; au
total plus d’une vingtaine d’arias de la représentation de 1713 ont été
éliminées. Dans le livret de 1714, on retrouve aussi trois arias qui
proviennent de l’Ottone in villa (« Chi seguir vuol la costanza », II, 2 ; « Io
sembro appunto  », II,  6 et «  Povera fedeltà  », III,  5), qui toutefois ne
figurent pas dans le manuscrit musical. Des arias qui avaient été composées
spécialement pour le castrat Giovanni Battista Minelli et pour Margherita
Faccioli en 1713 ont été supprimées ; elles n’étaient peut-être pas adaptées
aux chanteurs de 1714… En effet, seuls deux interprètes de la version
précédente, Anton Francesco Carli (Orlando) et Elisabetta Denzio
(Bradamante) chantent dans la reprise de l’opéra, en 1714.
L’Orlando furioso de 1713-1714 ressemble à un aigle à trois têtes. La
première version, celle de 1713, attribuée à Giovanni Alberto Ristori, avait
remporté un vif succès ; mais la partition en est perdue. Dans le troisième
opéra, aucun compositeur n’est nommé. Officiellement, un seul opéra, le
second, Orlando finto pazzo, fut composé par Vivaldi, et il reçut un accueil
mitigé. Les questions restent irrésolues  : pourquoi tant de remaniements
d’une œuvre à l’autre si l’Orlando furioso de l’automne 1713 avait
remporté la faveur du public  ? Et qui est l’auteur  principal de la partition
initiale, Ristori ou Vivaldi ?
 
L’Orlando furioso est l’opéra de Vivaldi qui sera le plus largement et le
plus durablement diffusé en Allemagne et en Europe centrale22. Un
Orlando furioso sera donné sous forme de pastiche à Hambourg, le
29 janvier 1720, au Theater am Gänsemarkt sous le titre allemand de Der
Grossmüthige Roland/Der rasende Roland. De ce pastiche réalisé
probablement par Georg Caspar Schürmann, la musique est perdue. Ce
n’est ni la version de Braccioli ni la partition de Vivaldi, bien que le livret
contienne plusieurs arias extraites de l’Orlando furioso de 1714.
Schürmann, qui avait vécu à Venise (et qui avait déjà utilisé une aria de
l’Ottone in villa dans le pastiche Die Getreue Alceste), possédait peut-être
la partition de Giovanni Alberto Ristori aujourd’hui disparue. À partir de
Hambourg, le spectacle est transporté à Brunswick, en Basse Saxe, ville
dans laquelle Schürmann est maître de chapelle (Hagenmarkt-Theater,
février  1722)  ; Schürmann reprend cette fois une vingtaine de scènes du
livret de Braccioli ; probablement aussi une partie de la partition donnée à
Hambourg.
La propagation de l’opéra n’est pas immédiate. Par ailleurs, il ne s’agit
pas de reprises complètes mais seulement de quelques arias intégrées dans
des pastiches réalisés par des compositeurs, des chanteurs et des directeurs
de compagnies itinérantes se déplaçant surtout depuis l’Italie vers les pays
germaniques, la Bohême et d’autres régions d’Europe centrale. Comme les
comédiens italiens de la Renaissance, ces artistes transportent avec eux du
matériel de scène, décors, costumes et partitions qu’ils aménagent et
adaptent selon les demandes des cours et des théâtres où ils doivent
présenter leurs spectacles, sans aucun contrôle des compositeurs et sans
même citer leurs noms. Des arias extraites des opéras de Vivaldi, et plus
particulièrement de l’Orlando furioso, seront entendues en Bohême, au
théâtre privé du comte Sporck, à partir de 1724 et jusqu’en 1735.
Une reprise de l’Orlando furioso aura lieu à Mantoue, au carnaval 1725,
encore sous forme de pastiche.
Vivaldi lui-même puisera largement dans ces trois partitions pour ses
opéras ultérieurs. Puis, après tant de pastiches disséminés à droite et à
gauche, il réalisera sa propre révision de l’Orlando furioso, treize ans plus
tard, en 1727, au théâtre Sant’Angelo. Le rôle du protagoniste sera cette fois
confié à une femme  et la magicienne Alcina sera interprétée par sa
chanteuse préférée, la contralto Anna Girò. Cet Orlando est aujourd’hui le
plus connu, le plus utilisé par les interprètes, car le plus complet et le plus
cohérent des quatre versions vénitiennes de cet opéra.
 
Au début de l’année 1715, toujours placé sous la direction de Giovanni
Battista et d’Antonio Vivaldi, le théâtre Sant’Angelo annonce deux
nouveaux spectacles : un opéra, Lucio Papirio, et un pastiche, Nerone fatto
Cesare.

Lucio Papirio, de Luca Antonio Predieri, Venise, janvier 1715

Le Lucio Papirio, composé par le jeune violoniste et compositeur de


Bologne Luca Antonio Predieri, avait été créé l’année précédente à Rome
au théâtre Capranica. Il s’agit donc d’une reprise. En tant qu’imprésario,
Vivaldi dédie le livret à Carl Joseph Novohradskij, comte de Kolovrat,
membre d’une famille de Bohême dont on retrouvera le nom parmi les
locataires des loges du théâtre du comte Sporck, à Prague.
«  Cela fait maintenant deux ans que je m’emploie à te divertir dans ce
théâtre où je présente Lucio Papirio, un opéra d’un auteur célèbre », écrit
Vivaldi dans son avertissement au lecteur. Nous tournons le dos au roman
épique de la Renaissance pour retrouver l’univers de l’Antiquité romaine
où, deux ans auparavant, nous avait plongés l’Ottone in villa. En patriote
convaincu, Vivaldi souligne que ce drame héroïque exalte la vertu romaine
et qu’il est donc apte à constituer un modèle pour une République  ; une
République qui ne peut être que… la Sérénissime.

Nerone fatto Cesare, pastiche, Venise, février 1715

En fin de carnaval, les Vivaldi ont inscrit à leur programme Nerone fatto
Cesare (Néron fait César) (RV 724)23. Le livret de Matteo Noris avait été
originellement mis en musique par Giacomo Antonio Perti et l’opéra créé à
Venise en 1693. L’Avertissement au lecteur n’est pas signé. On dit
seulement que le livret original a été «  adapté au goût moderne par une
plume célèbre  ». Les décors sont réalisés par Bernardo Canale, qui avait
déjà conçu les scénographies de l’Orlando finto pazzo. Trois femmes
incarnent des personnages masculins : Anna Maria Fabri dans le rôle titre
de Nerone  ; Margherita Gualandi dans celui d’Agrippina, tandis
qu’Elisabetta Denzio incarne Tigrane. Parmi les autres chanteurs, on trouve
le castrat Andrea Pacini et la basse Anton Francesco Carli, dans le rôle de
Sénèque, qui compose lui-même la musique de son aria « È la corte ».
Du livret original, il ne reste presque plus rien. Vivaldi réalise un collage
d’arias anciennes (certaines provenant de la partition originelle de Perti,
d’autres composées par le célèbre chanteur et compositeur Francesco
Antonio Pistocchi) et d’arias plus récentes signées par Antonio Pollarolo,
Francesco Gasparini, et Giuseppe Maria Orlandini. Vivaldi compose
néanmoins pour cet opéra une douzaine d’arias  ; deux d’entre elles seront
utilisées dans des opéras ultérieurs24.

Johann Friedrich Armand von Uffenbach à Venise

Durant les représentations, entre les actes et sûrement aussi pour


accompagner certaines arias, Vivaldi violoniste se produit en soliste. Ces
moments d’exhibition virtuose constituent un attrait majeur pour le public
vénitien, comme pour les voyageurs étrangers qui viennent passer le
carnaval à Venise et fréquentent assidûment les théâtres. Le baron Johann
Friedrich Armand von Uffenbach, ingénieur, juriste, luthiste dilettante,
originaire d’une riche famille de Francfort, est l’un de ceux-là. Uffenbach a
vingt-sept ans quand il séjourne à Venise, en février et mars 1715. Il va au
Sant’Angelo, au moment où les Vivaldi dirigent le théâtre. Il entend jouer le
Prêtre roux et reste stupéfait par le style du violoniste aussi prodigieux que
difficile à aimer. À son grand étonnement, le public vénitien est sous le
charme !
Je restai là-bas [au casino], écrit Uffenbach le 4 février 1715, jusqu’à ce
qu’il soit l’heure d’aller voir l’opéra, puis je me rendis avec une
connaissance au théâtre Sant’Angelo, qui est plus petit et moins cher que
le précédent [SS. Giovanni e Paolo]  ; son entrepreneur était le célèbre
Vivaldi, qui avait aussi composé l’opéra, vraiment agréable et très
attrayant pour les yeux  ; les machines n’étaient pas aussi luxueuses que
dans l’autre théâtre, et l’orchestre moins grand, mais cela valait quand
même la peine d’aller l’écouter. […] Vers la fin, Vivaldi joua un
magnifique a solo qu’il fit suivre d’une cadence (Phantasie), qui vraiment
m’éblouit car on n’a jamais entendu et on n’entendra jamais plus une telle
manière de jouer : il faisait monter les doigts jusqu’à ce qu’il n’y ait plus
que la grosseur d’un fil qui le sépare du chevalet, ne laissant pas le plus
petit espace pour l’archet – et cela sur les quatre cordes, avec des
imitations (Fugen) et avec une vitesse incroyable. Il étonnait tout le
monde, toutefois je ne peux pas dire que j’ai trouvé cela plaisant à
entendre, car il était plus habile dans l’exécution qu’agréable à écouter25.
Uffenbach a peut-être entendu Vivaldi jouer le concerto RV 212 (que l’on
suppose créé pour Padoue en 1712), dans la version du manuscrit
autographe conservé à Turin (RV 212a)26. La cadence écrite par le
compositeur avant la fin du troisième mouvement est en effet
particulièrement volubile. Il passe du rythme ternaire (celui du troisième
mouvement) à un rythme à quatre temps, qui avait été employé dans le
premier mouvement, réutilisant des éléments thématiques du premier
mouvement ; puis il revient en ternaire, avant la conclusion cadentielle du
tutti ; on parle de cadence « cyclique »27.
Les 19 et 28 février, Uffenbach assiste au Nerone fatto Cesare. L’œuvre
lui plaît moins que la précédente (le Lucio Papirio de Predieri), « car ni le
sujet, ni les décors, ni les costumes ne convenaient au sujet  ; Nerone
interprété par la chanteuse [Maria] Fabri, portant un costume de style
français, d’autres costumes étaient de style espagnol et persan  »  ; en
somme, selon Uffenbach, tout cela formait un mélange vraiment grotesque.
Le baron trouve les chanteurs excellents. À la date du 19 février, il signale
que Vivaldi ne joua que brièvement. En revanche, le 28, le Prêtre roux se
produisit plus longuement et, cette fois, son jeu lui plut infiniment.
Uffenbach ne perdra pas cette occasion et persuade Antonio Vivaldi de
venir lui rendre visite chez lui :
Après le repas, j’ai reçu la visite de Vivaldi, écrit-il le 6 mars, célèbre
compositeur et violoniste, après lui avoir fait adresser plusieurs invitations
afin de discuter avec lui de plusieurs concerti grossi que j’avais envie de
lui commander et après lui avoir fait envoyer quelques bouteilles de vins,
sachant qu’il était prêtre. Il m’a fait entendre quelques unes de ses
improvisations sur le violon, des pièces très difficiles et vraiment
spéciales ; en me trouvant tout à côté de lui, j’étais encore plus stupéfait
de son talent. Pour moi, il est clair que, même s’il joue des morceaux
extrêmement complexes et rapides, son style n’est ni agréable, ni
cantabile.
Trois jours plus tard, Antonio Vivaldi revient avec les concertos
demandés :
Cet après-midi, Vivaldi est venu chez moi, dit Uffenbach, et m’a
apporté, comme je le lui avais demandé, dix concerti grossi, qu’il m’a dit
avoir composé spécialement à mon intention. J’en ai acheté plusieurs et,
pour que je puisse mieux les apprécier, il a exprimé le désir de
m’enseigner pas à pas à les jouer, et de venir chez moi autant de fois qu’il
le faudra […] ; ainsi cette visite n’est donc qu’un début !
Ces contacts multiples, établis par Vivaldi avec les étrangers fortunés et
amateurs de musique, sans quitter Venise, lui permettent d’étendre sa
notoriété au-delà des frontières. Ces années-là, Therese Kunigunde,
l’épouse de l’Électeur de Bavière, joue pour le Vénitien un important rôle
de médiatrice vers la cour de Munich. Elle séjourne longuement à Venise, à
deux reprises : de 1705 à 1715, lorsqu’elle est exilée de la Bavière (pendant
la guerre de Succession d’Espagne), puis de 1717 à 1730 (date de son
décès), en tant que veuve, après le décès de Max Emmanuel. Dans cet exil
forcé, mise à l’écart et regardée avec méfiance par la noblesse vénitienne, la
princesse s’ennuie et vit chichement. «  L’Électrice de Bavière, douairière
étoit venue à Venise pour y exercer son avarice, qui étoit grande  », écrit
Montesquieu, lors de son passage à Venise, dans un trait d’une ironie
mordante  ; «  et elle réussissait aisément  : on lui faisait son souper au feu
d’une lampe  »28. Montesquieu n’a pas remarqué que Therese est une
femme cultivée, qui s’entoure de livres, d’estampes, de musique. Elle
fréquente les théâtres de la ville et des environs. Par courrier, elle informe
régulièrement de ses découvertes son époux, l’Électeur de Bavière, qui est
en train de reconstituer la chapelle musicale de Munich. En automne 1714,
elle suggère un nouvel artiste à son mari : le Vénitien Antonio Vivaldi qui, à
Munich, pourrait être un excellent maître de chapelle musicale…
«  Touchant le compositeur en musique nommé Vivaldi, écrit le prince en
français, je n’y pas veu de ses compositions mais je les vois excellentes me
fiant très fort a Vostre goust » ; il reste toutefois réservé et écarte cette offre,
réglant ainsi le destin de Vivaldi : «  De Maistre de chapelle il ne nous en
faut pas, écrit-il, il y a celui de Munich [Giuseppe Antonio] Bernabei, et
puis [Pietro] Torri, cela suffit29.  » Ainsi, la Fortune était-elle passée cette
fois-là tout près du Prêtre roux, mais sans lui sourire !

Une gestion théâtrale efficace

Au terme de deux années de gestion au Sant’Angelo, malgré quelques


petits litiges, les Vivaldi peuvent se féliciter de n’avoir connu ni scandale ni
faillite retentissante. Même si la fermeture du théâtre San Cassiano, ainsi
que le vide laissé par le départ de Francesco Gasparini, un compositeur
aimé et estimé du public, eurent un rôle à jouer dans leur succès, Antonio et
Giovanni Battista Vivaldi ont démontré un certain professionnalisme.
Comment fonctionnait leur binôme ? Qui faisait quoi ? Giovanni Battista se
contentait-il d’être copiste (on croit reconnaître son écriture dans plusieurs
manuscrits  : l’Orlando finto pazzo (Giordano 38), et l’Orlando furioso
(Giordano 27) de 1714, comme on la trouvera encore dans le manuscrit de
l’Orlando30, donné au Sant’Angelo en 1727, ou bien participait-il à part
entière à la composition, au choix et à l’engagement des interprètes et des
musiciens ?
Plusieurs personnages habitent maintenant l’univers de Vivaldi et nous
deviennent familiers, telles la basse Anton Francesco Carli et Elisabetta
Denzio, la jeune sœur du ténor Antonio Denzio. Certains d’entre eux
continueront à croiser la route de Vivaldi  : Pietro Ramponi, issu de la
chapelle musicale de Saint-Marc (un ami peut-être de Giovanni Battista),
qui chante le rôle du chevalier Astolfo dans l’Orlando furioso de 1713, qui
sera l’imprésario du Sant’Angelo en 1716-1717 et imprésario associé avec
Vivaldi du théâtre de Mantoue, au début de l’année 1718. Giovanni Orsato,
quant à lui, avait dirigé précédemment, entre  1696 et  1709, le théâtre de
Vicence. D’autres connexions apparaissent entre la production de l’Orlando
furioso de Ristori, à Venise, et celle de l’Ottone in villa  : le livret du
Furioso est dédicacé au marquis Scipione dal Sale, un aristocrate de
Vicence  ; deux chanteuses, Anna Maria Giusti et Margherita Faccioli, se
produisent dans les deux opéras  ; plusieurs décors de scène du Furioso
représentant le jardin de la magicienne Alcina, réalisés par Antonio Mauro,
semblent communs avec le parc entourant la villa d’Ottone (le jardin
délicieux avec les deux fontaines, l’une allumant l’amour et l’autre
l’éteignant, au premier acte  ; un bois délicieux avec des bosquets, et la
campagne au pied d’une colline à l’acte second  ; un rocher alpestre, qui
culbute et se transforme en grotte, dans le troisième acte). Ces décors ont-ils
servi d’abord à Vicence et ensuite au Sant’Angelo ?
Au début de l’année 1713, lorsqu’ils se lancèrent dans la direction du
Sant’Angelo, les Vivaldi disposaient sans doute d’un bon réseau de
relations avec les théâtres, les cours, les mécènes et d’autres imprésarios. Ils
utilisèrent des circuits particuliers  ; se reposèrent sur des points de chute
dans des villes et des théâtres où Vivaldi retournera plus tard : Ferrare, dont
est originaire le librettiste Grazio Braccioli  ; Florence, d’où vient la basse
Anton Francesco Carli, chanteur du prince Ferdinando de’ Medici, auquel
Vivaldi avait dédié en 1711 ses concertos de L’Estro Armonico ; Mantoue
(le livret du Rodomonte sdegnato est dédié à Giuseppe Maria de
Gonzague)31  ; est-ce une pure coïncidence si, deux ans plus tôt, lors du
carnaval 1711, on avait représenté à Rome, dans le théâtre privé de Maria
Casimira, un autre Orlando, Orlando ovvero La Gelosia pazza, sur un livret
de Carlo Sigismondo Capeci, mis en musique par le maître de chapelle de
Maria Casimira, Domenico Scarlatti (ce même livret que Haendel mettra en
musique dans l’Orlando représenté à Londres, en 1733) ? Est-ce un hasard
si Anna Maria Giusti (la Cleonilla de l’Ottone in villa), cantatrice protégée
par les Sobieski, avait déjà chanté le rôle de la protagoniste Angelica dans
l’Orlando de Domenico Scarlatti  ? Hasard encore si Therese Kunigunde
Sobieska, la fille de Maria Casimira, était allée assister à l’Ottone in villa à
Vicence afin d’y entendre les chanteurs ?
À la fin de la saison d’automne 1715, les Vivaldi abandonnent la
direction du Sant’Angelo à l’imprésario Pietro Denzio (le père d’Antonio et
d’Elisabetta Denzio), auquel succédera le chanteur Pietro Ramponi.
Toutefois, les deux années suivantes et jusqu’à son départ pour Mantoue,
Antonio Vivaldi continuera à tenir, dans ce théâtre où il venait de faire ses
débuts de compositeur d’opéra, le premier rang.
9

 Avec les filles du chœur

 (1713-1717)

Francesco Gasparini a quitté Venise au mois de mai 1713. Tant que


les députés ne se résigneront pas au départ définitif de leur maître
de chœur, la chapelle musicale de la Pietà voguera tel un navire
sans capitaine au fil des messes, des Vêpres et des concerts
d’oratorios. Pour patienter, on commande des œuvres musicales à
des maîtres extérieurs et l’on prend quelques mesures urgentes.
Don Pietro Scarpari dit Pietro Dall’Oglio est nommé « maître de
chant ». Il avait été chanteur dans la chapelle du doge, à Saint-
Marc. Les années précédentes, il avait été « maître de manière »
(enseignant le style et les ornements vocaux) dans les deux
hospices des Derelitti (Abandonnés) et des Mendicanti
(Mendiants). Il est prêtre à San Giovanni in Oleo, l’église où
Vivaldi avait effectué une partie de sa formation ecclésiastique, et
curé à l’église de San Bartolomeo, à Rialto. S’il n’a pas la carrure
d’un maître de chœur, il peut assurer la bonne tenue de l’ensemble
vocal et diriger la musique pendant les offices, tant que dure
« l’absence de cette ville de Monsieur Francesco Gasparini, le
maître actuel32 ». Scarpari gardera ce poste pendant vingt-cinq ans,
travaillant au coude à coude avec Vivaldi. Les députés élisent Ignaz
Sieber, un excellent musicien allemand attaché lui aussi à la
chapelle de Saint-Marc, maître de hautbois. Il est primordial,
écrivent les députés, de répondre « au besoin qui se fait ressentir
dans cet instrument, en vue de perfectionner l’harmonie
sonore33 ». Sieber restera environ deux ans à la Pietà comme
professeur de hautbois. Après une absence de plusieurs années,
celui-ci reviendra dans la maison, en 1728, pour enseigner cette
fois la flûte traversière. Plusieurs concertos pour hautbois
composés par Vivaldi ces années-là, qui paraîtront plus tard dans
les Opus 7, 8 et 11, peuvent être associés à la présence d’Ignaz
Sieber à la Pietà34. Quant à Antonio Vivaldi, il maintient son statut
de maître de violon, payé 60 ducats annuels. Ses émoluments
tombent régulièrement, par tranches de 15 ducats, quatre fois par
an. On lui rembourse 18 ducats pour un violon destiné à « Susanna
figlia di coro » ; 20 ducats sont payés au luthier Mattio Selles pour
l’achat d’une « viola » à l’intention de « Maria figlia di coro ». En
mars, période à laquelle les députés élisent chaque année les
maîtres de musique, Vivaldi est régulièrement reconduit comme
« maestro di violino ».
Il est clair que, à la Pietà, on attend le retour de Francesco
Gasparini. Ce n’est qu’un an après son départ que les députés
commencent à chercher un nouveau maître de chœur, une
« personne compétente, expérimentée et de bonnes mœurs qui
pourra subvenir correctement à ses tâches35 ». Le projet n’est pas
mis à exécution. Le 20 septembre suivant, Francesco Gasparini,
depuis Città di Castello, écrit à la princesse Livia Spinola
Borghese : « […] ils continuent à attendre mon retour » ; et le
12 mars 1715, depuis Florence : « [….] ils ne cessent de me presser
de revenir ».

Composer pour la Pietà

En mars 1715, Vivaldi est réélu au même poste de maître de violon qu’il


occupait à ses débuts, et pour les mêmes 60 ducats annuels. D’après ces
documents, rien ne semble avoir changé en ce qui concerne le statut du
Prêtre roux. Un feuillet, découvert par hasard dans les archives de l’hospice,
a, une fois encore, changé notre vision des choses. Le 2 juin 1715, c’est-à-
dire deux ans après le départ de Gasparini, la Pieuse Congrégation fait
lecture d’une décision ; ils accordent au « Révérend Don Antonio Vivaldi,
Maître de Violon du Chœur de ce Lieu Pieux  », une compensation
financière supplémentaire, en rapport, disent-ils, avec
l’effort notoire, ainsi que les nombreuses œuvres que celui-ci a fournies,
non seulement pour enseigner aux filles en vue des concerts, avec profit et
des éloges universels, mais correspondant aussi au dévouement que celui-
ci a démontré en composant, pendant l’absence du maître Gasparini,
toutes les œuvres musicales, à savoir : une messe entière, des Vêpres, un
oratorio, plus de trente motets et autres œuvres. Cette Pieuse Congrégation
reconnaît qu’il est juste de lui témoigner sa reconnaissance et sa gratitude
pour ces activités supplémentaires. Aussi, il lui sera versé la somme de
cinquante ducats, ce qui devrait l’encourager à persévérer et à faire
progresser les filles dans la musique, celle-ci étant devenue indispensable
tant au chœur lui-même, qu’au rayonnement grandissant de l’église36.
Pour subvenir à l’ampleur du travail, le maître de chant met la main à la
pâte. L’année suivante, les députés octroient également au « Révérend Don
Pietro Scarpari maestro di canto » un supplément de 25 ducats « pour avoir
bien voulu enseigner aux filles de notre chœur de façon diligente et
pertinente, ainsi que pour ses compositions musicales37 ».
Tout au long de sa carrière de compositeur, Vivaldi écrira des pièces
religieuses pour des occasions et des lieux divers. Ses œuvres sacrées,
jamais publiées de son vivant, furent découvertes tardivement. Les
circonstances dans lesquelles elles ont été composées sont difficiles à
déterminer. On suppose qu’un lot important de ces œuvres a été perdu
irrémédiablement. Par exemple le Te Deum (RV 622), composé en 1727 sur
la demande de l’ambassadeur de France pour fêter la naissance des jumelles
royales, n’a jamais été retrouvé. Si la liste d’œuvres pour lesquelles Vivaldi
est payé 50 ducats, en juin 1715, fait mention de trente motets, nous n’en
conservons qu’une douzaine.
La plupart de l’œuvre sacrée de Vivaldi est conservée à Turin et provient
de la collection personnelle du compositeur. Ces manuscrits sont
généralement autographes ou partiellement autographes. Plusieurs partitions
se trouvent aujourd’hui au Conservatoire Benedetto Marcello, à Venise,
dans le fonds «  Esposti  » (enfants trouvés) qui provient de la Pietà, ainsi
qu’à Assise, Prague, Dresde, Brno et Londres.
Dans son catalogue, Peter Ryom a classé les œuvres sacrées de Vivaldi
selon leur destination liturgique : d’abord les pièces fondées sur l’Écriture
sainte (Ancien et Nouveau Testament)  : une vingtaine de psaumes, des
hymnes, des antiennes mariales, le célèbre cantique à la Vierge,
Magnificat  ; des fragments de messes (Kyrie, Gloria et Credo)  ; puis les
œuvres non liturgiques, composées sur des textes libres en latin  : motets,
Introduzioni et oratorios38. Dans sa vaste étude sur la musique sacrée de
Vivaldi, Michael Talbot a jugé pertinent de classer les œuvres sacrées de
Vivaldi selon leur effectif vocal et instrumental, plutôt que sur leur caractère
liturgique39.
Au fil des recherches et des découvertes, on ne cesse d’enrichir et
d’affiner le corpus existant, par exemple en détectant des faux. Il s’est avéré
qu’une série d’œuvres40 conservées à Dresde, à la Sächsische
Landesbibliothek, sous le nom de Baldassare Galuppi dit Buranello,
provenant de la boutique du copiste vénitien Giuseppe (Iseppo) Baldan(s),
sont probablement des compositions de Vivaldi. À l’inverse, certaines
œuvres qui furent dans le passé abusivement attribuées à Vivaldi, telle la
messe en do majeur RV 586 (Varsovie, Bibliothèque universitaire), sont
désormais considérées comme des erreurs d’attribution  ; Peter Ryom a
retiré l’intruse du catalogue officiel, pour la reléguer en annexe (Anhang),
avec d’autres pièces douteuses ; ainsi la messe RV 586 se trouve désormais
en RV Anh.112.
 
Comme il l’a fait dans ses opéras, Vivaldi a repris fréquemment plusieurs
fois la même œuvre, le même mouvement, le même thème, adaptant chaque
fois celui-ci aux circonstances et aux interprètes qui devaient l’exécuter.
Certaines pièces existent en plusieurs versions ; c’est le cas du Magnificat
qui porte les numéros de catalogue RV 610, RV 610a, RV 610b et RV 611.
Il est souvent difficile, même en analysant les manuscrits originaux (papier,
écriture, tracé des portées), de dire laquelle de ces versions est la plus
ancienne et dans quel ordre chronologique il faut ranger les manuscrits,
Vivaldi ayant parfois retravaillé plusieurs fois sur le même manuscrit.

Des œuvres sacrées de la « première période »


Identifier les œuvres composées par Vivaldi pour la Pietà, pendant
l’absence de Francesco Gasparini, entre 1713 et 1717, est une tâche semée
d’embûches. Par exemple, si le nom des filles n’est pas inscrit sur le
manuscrit, si l’ensemble vocal n’est pas strictement féminin (c’est-à-dire
composé uniquement de sopranos et contraltos), si aucune mention
particulière n’est portée sur le manuscrit, comment identifier une œuvre
écrite spécialement pour les filles du chœur  ? Des voix aiguës ou une
disposition SATB (soprano, alto, ténor, basse) ne suffisent pas pour intégrer
ou rejeter une œuvre puisque les hommes à l’église – castrats ou
« falsettistes » (hommes chantant en voix de tête) – interprétaient aussi les
parties aiguës. Les femmes de la Pietà chantaient les parties écrites pour
ténors et pour basses, en transposant sans doute leurs parties dans leurs
propres registres. Dans une liste des filles du chœur de la Pietà datée du
4  décembre 1707, on trouve les noms de trois filles, Paulina, Vittoria et
Antonia, avec l’appellation «  du ténor  », ou  : voix de ténor («  dal
Tenor »)41.
Charles Burney, en visite à Venise, évoque cette question troublante. Le
5 août 1770, après avoir assisté à un office aux Mendicanti, il note dans son
journal de voyage (The Present State of music in France and Italy, 1771) :
J’entendis dans ces conservatoires de nombreuses filles chanter l’alto
jusqu’au la et au sol graves, ce qui leur permet de rester toujours en
dessous des soprano et du mezzo-soprano, dont elles font la basse  ; il
semble que cet usage soit pratiqué depuis longtemps en Italie, car on
remarque dans les exemples de composition donnés par les anciens
maîtres, tels que Zarlino, Gloriano, Kirker et autres, que la plus grave des
trois parties est souvent écrite en clé d’alto.
Au terme de sa vaste étude sur la musique sacrée de Vivaldi, Michael
Talbot conclut qu’il est difficile de dater les œuvres sacrées de Vivaldi en se
fondant sur le style des pièces ; on ne constate pas d’évolution particulière
au fil des années, dans ce domaine. Les effectifs restent très variés : un ou
deux chœurs et l’ensemble instrumental, auxquels se joignent ou non des
solistes ; outre la basse continue, les cordes jouent seules ou renforcées par
des flûtes, trompettes, hautbois, clarinettes.
Le papier, les écritures des copistes, restent les seuls critères valables
d’identification et de datation (par confrontation avec les manuscrits que
l’on peut situer de façon sûre). L’œuvre la plus ancienne qui a pu être datée
grâce au papier est le Stabat Mater (RV 621) dont on pense qu’il fut exécuté
à Brescia, en l’église Santa Maria della Pace, le 18  mars 1712, pour les
Vêpres, à l’occasion de la célébration des Sept Douleurs de la Vierge.
 
Pendant l’absence de Gasparini, Vivaldi aurait composé des pièces
sacrées pour la Pietà jusqu’à l’automne 1717, date à laquelle son
engagement n’est pas renouvelé. Toutefois, jusqu’à 1739, à des moments
différents, il a pu fournir pour le chœur des pièces religieuses, même s’il ne
fut jamais officiellement maître de chœur. Rien de systématique ne peut être
conclu sans risque d’erreurs. Si l’on en juge par le papier, certains
manuscrits semblent par exemple avoir été composés pour la Pietà vers
1730, alors qu’à cette période Vivaldi n’était pas chargé de composer la
musique liturgique du chœur.
À quoi correspondent, parmi ce qui est parvenu jusqu’à nous, les pièces
pour lesquelles Vivaldi est payé par les députés de la Pietà 50 ducats, le
2 juin 171542 ?

« Une messe entière »

On n’en possède aucune, si ce n’est de mauvaises attributions43. On ne


peut être sûr que de trois fragments de messes (deux Gloria et un Credo)
dont les manuscrits autographes sont conservés à Turin44.

« Des Vêpres »

On ne connaît pas non plus de « Vêpres » complètes de Vivaldi. Plusieurs


pièces détachées : versets, psaumes et Magnificat pourraient toutefois avoir
été chantés durant les Vêpres, lors de la Fête de la Visitation de la Vierge, le
2  juillet (jour de la fête de la Pietà), et pour Pâques. Le Vénitien Antonio
Groppo a établi en 1752 un tableau des psaumes pouvant être chantés dans
les quatre ospedali de Venise lors des Vêpres de différentes fêtes. Ce
document permet d’identifier quelques pièces qui pourraient avoir été
écrites par Vivaldi pour la Pietà, entre  1713 et  1717. La datation du
manuscrit du Dixit Dominus (RV 595), pour cinq solistes SSATB, chœur à
cinq parties SSATB, trompette, deux hautbois, deux violoncelles solistes,
cordes, bc, conservé à Prague (Národní Muzeum)45, reste hypothétique.
Les autres manuscrits sont des autographes conservés à Turin46.

« Un oratorio »

L’oratorio auquel se réfèrent les députés en 1715 est probablement le


Moyses Deus Pharaonis Sacra Poesis I.C. (RV 643). Il aurait pu être
exécuté à la période de Pâques, c’est-à-dire en mars ou avril 1714. Le livret
du Moyses est accepté par la censure (« faccio fede ») le 21 octobre 171347,
c’est-à-dire à l’époque où Vivaldi composait son premier oratorio pour
Vicence, La Vittoria navale. Il est possible que les députés aient
initialement prévu de faire composer cet oratorio par Francesco Gasparini,
dont on attendait le retour. Il existe un seul exemplaire du livret, conservé à
Rome, à la Bibliothèque du Conservatoire Santa Cecilia. Le document porte
plusieurs notes manuscrites : le nom de « Rev. D. Antonio Vivaldi » comme
auteur de la musique, ainsi que les noms des dix filles de la Pietà qui l’ont
interprété  : Barbara, Candida, Silvia, Michielina, Anastasia, Soprana,
Meneghina, Apollonia, Geltruda et Anna. L’oratorio comprend trois parties,
chacune avec un chœur.

« Plus de trente motets »

À l’époque de Vivaldi, le motet n’a plus rien de commun avec les pièces
polyphoniques de la Renaissance. Ce qu’on appelle « motet » est une œuvre
relativement courte, pour une voix soliste (à la Pietà soprano ou contralto),
accompagnée par un petit effectif instrumental (cordes et basse continue).
Le motet ne se différencie de la cantate profane que par le texte en latin et
l’Alleluia final. Comme la cantate, le style du motet évolue dans le sillage
de l’opéra. Il n’est pas considéré comme un genre liturgique au sens strict
du terme. Les textes ne sont pas extraits des Écritures saintes, mais fournis
par des auteurs généralement anonymes. Ils sont écrits dans un latin souvent
médiocre, mélangé d’italianismes, influencé par la poésie mélodramatique
de l’époque, autre élément qui les rapproche de la cantate. Il est considéré
comme une pièce festive.
Pierre Jean Grosley, qui se trouve à Venise en 1759-1760, fournit ce
témoignage :
Les Fêtes  &  Dimanches, l’Office paroissial du matin n’est suivi à
Venise que par quelques bonnes âmes dont le Curé possède exclusivement
la confiance. […] Les Oratorio que donnent les Conservatoires tiennent
lieu pour tout le monde de l’Office de l’après-dînée. Dans ces
Conservatoires administrés avec ferveur par quelques vieux Sénateurs, des
orphelines ou filles abandonnées, sont élevées, entretenues  &  dotées des
fonds considérables affectés à chacune de ces Maisons, sous la direction
des meilleurs Maîtres. La Musique fait la partie capitale d’une éducation
qui paroît plus propre à former des Laïs  &  des Aspasies, que des
Religieuses ou des Mères de famille. Quoi qu’il en soit, ces
Conservatoires ont tour à tour de belles Vêpres en Musique suivies d’un
grand Motet, dont les loueurs de chaises vendent les paroles, qui ne sont
autre chose qu’un mauvais assemblage rimé de mots Latins, où les
barbarismes & les solécismes sont plus communs que le sens & la raison ;
aussi est-ce ordinairement l’ouvrage du Sacristain. La plus brillante
musique brode ce mauvais fond  ; elle est exécutée,  &  pour la partie
vocale,  &  pour la partie instrumentale, uniquement par les filles de la
Maison, que l’on voit à travers la grille garnie d’un crêpe léger, se
trémousser, & se donner tous les mouvemens qu’exige l’exécution de la
Musique la plus vive  : le tout presque toujours à l’Italienne, c’est-à-dire
sans battement de mesure […]48.
Le motet est exécuté à des moments précis de l’office, de la messe
solennelle ou des Vêpres, à raison d’un ou deux par célébration religieuse.
Il sert de pause, permet la prière tout en offrant un moment de pure
délectation à l’auditoire. Il peut aussi être placé avant le début de la messe,
préparant ainsi l’atmosphère de la célébration. Les paroles et le climat du
motet se référent à la fête célébrée le jour pour lequel le compositeur l’a
conçu. L’esthétique en est généralement simple et candide. Les textes sont
émaillés d’évocations de la nature (les fleurs, les étoiles, le ciel…) propres à
susciter l’espérance et la foi dans le cœur des filles de l’hospice. La
musique exprime cette aspiration à la pureté. Dans les quatre ospedali de
Venise, le motet permet de valoriser la voix de telle ou telle fille pour
laquelle la pièce a été écrite spécifiquement, s’adaptant à la tessiture, aux
qualités vocales et à la personnalité de l’interprète.
Le chroniqueur du journal vénitien Pallade Veneta évoque, en 1688,
l’exécution d’un motet à la Pietà, chanté par Barbara, durant une messe
célébrée en la mémoire du doge Marc’Antonio Giustiniani, récemment
décédé. Après avoir longuement décrit le décor de l’église (ornements
noirs, nombreux cierges) et suggéré la tristesse de l’assemblée, l’auteur
écrit :
Madame Barbara, qui est l’une des chanteuses de cette chapelle
musicale, interpréta avant la messe un motet chargé d’affliction […]. Le
texte de Bernardo Sandrinelli et la musique de Don Giacomo Spada, le
maître de ces femmes talentueuses, étaient particulièrement appropriés,
avec dièses, demi-tons, bémols et dissonances, tous placés entre pauses et
soupirs, entre fugues lentes et réponses étouffées. Exécuté par la gorge de
cette Sirène éplorée, il toucha profondément les auditeurs noyés dans un
fleuve de larmes. Après cette cantate funèbre, la messe solennelle se
termina dans la satisfaction générale. L’assemblée entière se sentait
pénétrée par la paix et le repos de l’âme de celui pour lequel on avait
prié49.
Les motets de Vivaldi présentent une structure à peu près fixe : le premier
mouvement est écrit allegro, suivi par un bref récitatif  ; puis un second
mouvement lent, lyrique, dans une tonalité voisine  ; le troisième
mouvement, l’Alleluja final, brillant, ornementé, festif, revient dans la
tonalité principale ; sauf quelques exceptions (deux mouvements vifs, ou un
mouvement lent et un mouvement vif). Avec son alternance entre
accompagnement instrumental et voix, le motet de Vivaldi ressemble à un
« concerto » pour voix soliste.
 
On ne conserve pas plus de douze motets de Vivaldi. Seuls cinq d’entre
eux semblent avoir été composés entre  1713 et  1717. Les manuscrits,
presque tous dans le fonds de Turin, sont des autographes.
– Carae rosae respirate (RV 624). La datation de ce motet pour soprano
conservé à Londres en deux exemplaires50 n’est pas certaine.
–  Clarae stellae scintillate (RV 625) pour contralto (datation incertaine
également). Les deux arias sont écrites dans un mouvement rapide. Le texte
est enrichi de métaphores aux étoiles et d’images naïves : « Claires étoiles,
scintillez  !  » Le cœur trouve la joie dans la prière. La beauté est en nous.
Fraîcheur, espérance, candeur, répétitions des mêmes phrases sont les
caractéristiques de cette œuvre. Les arias ne sont pas écrites à da capo,
comme cela est le plus souvent le cas dans le motet, mais sous forme de
sections, sur le modèle des mouvements de danses. Il a peut-être été
composé pour la fête de la Visitation de la Vierge, le 2 juillet.
– Invicti bellate (RV 628). Deux pages manquent dans le manuscrit de ce
motet pour contralto.
–  Nulla in mundo pax (RV 630), motet pour soprano dont le manuscrit
n’est que partiellement autographe.
–  Vestro principi divino (RV 633). Dans le manuscrit de ce motet pour
contralto, un feuillet est inséré aux fol. 163-164, peut-être une alternative au
troisième mouvement, à moins que ce fragment ne provienne d’une autre
œuvre51.

« D’autres œuvres »

Parmi les quelques autres pièces qui auraient pu être composées par
Vivaldi pour la Pietà entre 1713 et 1717, on pourrait encore ranger, parmi
les œuvres religieuses connues, un Magnificat, cinq Introduzioni et un
hymne.
 
–  Le Magnificat est tiré de l’Évangile selon saint Luc (I, 46-55). Ce
cantique de la Vierge peut être chanté pour l’Assomption, fête qui revêt une
valeur particulière pour la Pietà. On conserve quatre versions du Magnificat
de Vivaldi. Le plus ancien, le RV 610b, pourrait avoir été écrit pour la Pietà
entre 1713 et 1717 ; RV 610 et RV 610a sont datables plutôt de 1720-1735
et se trouvent sur le même manuscrit autographe conservé à Turin52, qui
porte des annotations : « Il pio Ospedale della Pietà », et les noms des filles
notés à plusieurs endroits  : Apollonia, Maria Bolognese, Ambrosina et
Albetta. La quatrième version (RV 611) est datable de 1739, c’est-à-dire la
période finale  ; elle est aussi contenue dans le manuscrit Giordano 35, à
Turin. On en trouve un fragment dans le fonds «  Esposti  », au
Conservatoire Benedetto Marcello de Venise. Le Magnificat (RV 610b) que
l’on situe à la première période de Vivaldi à la Pietà est écrit pour deux
sopranos, un alto, un ténor et une basse, un chœur à quatre parties, les
cordes et la basse continue (orgue). Cette œuvre se trouve à Prague en deux
exemplaires. Il s’agit de deux copies  ; la première, au Národní Muzeum,
provient du couvent Ossegg53  ; la seconde, conservée à l’Arckív
Metropolitní Kapituly54, comprend en plus deux «  clarini  » (clarinettes),
sans doute ajoutés par un autre musicien.
 
– Cinq Introduzioni. L’Introduzione précède certaines pièces de la messe,
comme le Gloria, ou certains psaumes (ici le Dixit et le Miserere) et prépare
le climat de l’œuvre qui suit. C’est un moment de prière, de méditation et
de foi. Les auteurs des textes ne sont pas connus. À l’époque de Vivaldi,
l’Introduzione est une forme qui n’est plus guère en usage ; il semble que le
compositeur ait cherché à en conserver la tradition. Au plan formel, une
Introduzione ressemble beaucoup à un motet. Le plus souvent la voix soliste
est accompagnée par les cordes et la basse continue. Le plan est  : Aria-
récitatif-Aria, sans l’Alleluia final, qui se trouve dans le motet. Comme
dans le motet, l’esthétique est associée à la candeur féminine  ; allégories
des fleurs, du jardin, monde candide et bucolique. C’est l’univers de la
Vierge. Les images simples sont transportées du texte vers la musique.
On ne conserve que huit Introduzioni de Vivaldi. Elles sont à voix seule.
Cinq d’entre elles semblent dater des premières années à la Pietà. Les
manuscrits autographes sont conservés à Turin.
–  Une Introduzione au Dixit Dominus Domino meo (psaume 109)  :
« Ascende laeta montes » (RV 635) pour soprano.
– Deux Introduzioni au Miserere mei Deus (psaume 50) chanté pendant la
Semaine sainte (mais on ne conserve pas de Miserere de Vivaldi) : « Filiae
mestae Jerusalem  » (RV 638) pour contralto  ; exceptionnellement, cette
pièce commence et finit par un récitatif très plaintif, en forme de
déploration ; l’aria qui suit est un largo douloureux. À l’idée de la mort du
Christ, nous sommes envahis par la tristesse ; la nature doit participer à ce
chagrin. On invoque les filles de Jérusalem (auxquelles, symboliquement,
les filles du chœur peuvent s’identifier) qui pleurent sur la crucifixion.
Pendant la Semaine sainte, l’orgue devait être remplacé par l’épinette qui
exécutait la ligne de basse ornementée. La seconde Introduzione au
Miserere, « Non in pratis » (RV 641), est pour contralto.
–  Deux Introduzioni au Gloria (fragment de messe)  : la première,
«  Jubilate ò amaeni chori », existe en deux exemplaires. Pour le premier
(RV 639), la datation du manuscrit autographe est incertaine. La pièce est
écrite pour quatre voix solistes (SATB), un chœur à quatre parties,
trompette, deux hautbois, cordes et basse continue (orgue). Le second
manuscrit (RV 639a) est partiellement autographe ; l’effectif est le même ;
les parties solistes pour contralto de la version précédente sont confiées à
une voix de soprano ; sur le manuscrit apparaît l’intervention d’une écriture
étrangère, peut-être celle de Giovanni Battista Vivaldi  ; la seconde
Introduction au Gloria, «  Ostro picta armata spina  » (RV 642) pour
soprano, dont la datation n’est pas certaine.
 
Parmi les œuvres sacrées de Vivaldi dites de la « première période », on
peut encore faire entrer l’hymne Gaude Mater Ecclesia (RV 613) pour
soprano, cordes et basse continue.

Geltruda, protégée du marquis Luigi Bentivoglio ?

Le 25 mai 1715, Vivaldi écrit à Luigi Bentivoglio d’Aragona, à Ferrare,


et prie le marquis de lui avancer quatorze lire, qui devront être remises au
porteur de la missive, Francesco (le propre frère d’Antonio). Le
compositeur dit qu’il rendra l’argent dès son arrivée à Ferrare. Le 27 mai,
Francesco Vivaldi signe un reçu à Luigi Bentivoglio pour les quatorze lire
destinées à Antonio55.
Quelque temps auparavant, le marquis Bentivoglio était passé par Venise
et avait pris une fille de la Pietà sous sa protection. On s’accorde à dire,
sans certitude toutefois, que la fille du chœur nommée Geltruda serait la
protégée du marquis de Ferrare. Dans une lettre écrite une semaine plus tôt,
le 17 mai, à un autre compositeur, Giacomo Antonio Perti, le marquis avait
commandé pour sa protégée (toujours anonyme) deux motets et un Ave
Regina coelorum, précisant que celle-ci a une voix «  très fine  » (assai
delicata) qu’il ne faut pas couvrir par les instruments  ; son style favori
serait plus lyrique (appoggiato) que virtuose (passeggiato)56.
Il semble bien que les 14 lire remises par Luigi Bentivoglio à Francesco
Vivaldi aient servi à payer Antonio Vivaldi pour la composition du motet
Clarae stellae scintillate (RV 625). Cette pièce est en effet conçue pour une
tessiture de contralto (celle de Geltruda) ; la voix y est souvent doublée par
les violons. Les arias sont simples techniquement. On suppose encore que le
motet Vestro principi divino (RV 633) et les deux Introduzioni au Miserere
(RV 638 et RV 641), dont le chant se développe dans un ambitus assez
étroit, auraient aussi pu aussi être composées par Vivaldi pour Geltruda57.
Le nom de Geltruda apparaît en plusieurs endroits sur les documents
d’archives de la Pietà. En 1705, deux ans seulement après l’entrée de
Vivaldi à l’hospice, elle était citée parmi les six filles autorisées à chanter
les parties solistes, au même titre que les «  maestre »58  ; le 4  décembre
1707, une « Geltruda della Violeta » figurait parmi les 29 filles autorisées
par Francesco Gasparini à faire partie du chœur59. Geltruda chante un rôle
secondaire dans l’oratorio Moyse mis en musique par Vivaldi. Cette « fille »
est surtout présente dans le chœur entre 1705 et  1720, mais elle reste à la
Pietà au moins jusqu’en 1750. Elle est citée également dans un pamphlet
manuscrit intitulé Sopra le putte della Pietà di coro (Sur les filles du chœur
de la Pietà), conservé au musée Correr, à Venise. Dans ce document,
l’auteur, qui tient à garder l’anonymat, décrit avec humour, et une certaine
grivoiserie misogyne, chacune des filles faisant partie du chœur. À l’époque
où ce texte a été rédigé (entre 1730 et 1740), Geltruda est une « fille » déjà
âgée  : «  Je préfère garder le silence sur Geltruda, dit-il sans beaucoup
d’égards, car elle est désormais hors course, et je sais que vous n’avez guère
de goût pour les antiquailles60 ! »
L’Allemand Joachim Christoph Nemeitz, qui a séjourné à Venise une
dizaine d’années plus tôt, évoque, quant à lui, les noms de Geltruda et
d’Apollonia comme les deux chanteuses les plus renommées de la Pietà,
avec Susanna, hautboïste, Prudenza, joueuse de théorbe, et la brillante
violoniste, Anna Maria61.
 
Le départ de Francesco Gasparini a donc joué un rôle important dans le
destin du Prêtre roux. Il a été un levier pour la composition de musique
vocale sacrée, au moment même où il engageait sa carrière dans les
théâtres, travaillant en permanence avec des chanteurs d’opéra. À la Pietà, il
ne reçoit certes pas le salaire que lui aurait valu un poste officiel de maître
de chœur. Il n’en obtient pas moins la reconnaissance des députés pour son
«  dévouement  » auprès des filles du chœur. L’auditoire formé de nobles
vénitiens, d’illustres personnalités étrangères et d’amateurs fortunés lui
exprime des éloges et admire son talent. Ces années-là, Vivaldi n’a pas non
plus pu saisir la chance d’être nommé à la cour de Munich, grâce à
l’intervention qu’avait faite en sa faveur Therese Kunigunde de Bavière.
Mais il vit et travaille à Venise dans une certaine liberté professionnelle et
artistique. Épaulé par Giovanni Battista, attaché à sa famille, sa mère, ses
frères et sœurs, il peut mener ses activités sur plusieurs fronts, l’opéra, la
musique religieuse, l’édition de sonates et de concertos qui, depuis
Amsterdam, sont diffusés dans toute l’Europe. Sans quitter Venise, Vivaldi
sert une clientèle huppée, friande de concertos italiens. Sa notoriété traverse
les frontières et il attire bientôt à lui des élèves étrangers, de niveau
international.

10

 Friedrich August de Saxe

 et Karl Albrecht de Bavière

 au carnaval de Venise

 (1716-1717)

Pendant deux ans, Antonio Vivaldi et son père avaient dirigé le


théâtre Sant’Angelo. En février 1715, la gestion de l’édifice avait
été cédée à l’imprésario Pietro Denzio. En janvier de l’année
suivante, sans tourner le dos au théâtre de ses débuts, Vivaldi
entreprend une collaboration avec le San Moisè, une salle plus
exiguë encore que ne l’est le Sant’Angelo, mais située dans le cœur
de Venise, toute proche de la place Saint-Marc,
À l’époque de Vivaldi, le théâtre San Moisè se trouvait dans une
petite cour, entre les actuelles calle Pedrocchi, calle del Labia et
corte del Teatro. La salle comportait 4 rangs de 24 loges chacun ;
de 500 à 700 spectateurs pouvaient y prendre place. La scène étant
étroite, il était difficile d’y installer des décors. En conséquence, ce
théâtre avait toujours été voué à la comédie : plus tard, après 1750,
on y donnera des farces en musique. Le San Moisè n’en avait pas
moins suivi les grands théâtres de la ville et, comme eux, il s’était
ouvert à l’opéra avec une représentation, en 1639, de l’Arianna
d’Ottavio Rinuccini et Claudio Monteverdi. Le jeune Rossini y fera
des débuts triomphants, en 1810, avec La Cambiale di Matrimonio.
En 1715, le patricien Almorò Giustiniani avait repris possession du
fonds sur lequel sa famille avait autrefois fait ériger le théâtre San
Moisè. La salle venait de connaître une période de crise et avait
subi une longue fermeture. Giustiniani est décidé à relancer les
activités et à produire des opéras. Il confie la gestion à deux
personnalités qui ont de l’entregent dans le milieu des théâtres :
Pietro Denzio (qui vient du Sant’Angelo) et Zuan (Giovanni)
Orsato. Autant dire que, en partant pour le San Moisè, Vivaldi suit
ses amis. Travailler librement, même dans une petite salle, ne peut
que plaire au Vénitien ! Pour le propriétaire de la salle, ainsi que
pour la petite équipe, la présence de Vivaldi est un gage de
réussite !

La Costanza trionfante degl’amori e degl’odi, Venise, janvier 1716


(RV 706)

Le premier opéra composé par Vivaldi pour le San Moisè est La


Costanza trionfante degl’amori e degl’odi (La Constance triomphant de
l’amour et de la haine) (RV 706)62. Le spectacle est donné à la fin du
carnaval, après le 15 janvier 1716. Le drame est repris d’un opéra qui avait
désormais une vingtaine d’années. L’histoire est connue des Vénitiens : une
allégorie de la Constance combattue par les passions de l’amour et de la
haine, sur un arrière-plan historique. Le livret est dédié par son auteur,
Antonio Marchi, au marquis «  Pietro Emanuele Martinengo Colleone  »,
membre de l’une des plus prestigieuses familles de Brescia. La dédicace,
assez hermétique, pourrait faire allusion à la situation historique vécue les
années précédentes par la cour de Bavière. Le jeune prince, Karl Albrecht,
fils de Therese Kunigunde et de Maximilien Emmanuel, était arrivé en
Italie le 3 décembre 1715. Pendant la guerre de Succession d’Espagne, son
père avait perdu son royaume, dont il avait repris possession en 1714, à la
fin du conflit. La « Regina di Pennati » (La reine des emplumés) évoquée
par Marchi dans sa préface pourrait être une référence déguisée à Therese
Kunigunde, protectrice des artistes (les emplumés en question), exilée à
Venise, séparée de son mari, de sa famille, de son pays. Dans le livret de La
Costanza, l’Arménie est envahie par les Parthes, conduits par le roi
Artabano – tout comme la Bavière avait été occupée par les Habsbourg.
Doriclea, l’épouse de Tigrane, est retenue prisonnière, comme Therese
Kunigunde avait été écartée de Bavière, pendant que son mari s’était
réfugié en France.
La distribution est formée d’artistes originaires de Venise et de Bologne.
Aucun des interprètes n’avait jamais chanté pour Vivaldi. Le Vénitien
Antonio Denzio (fils de l’imprésario Pietro Denzio) chante le rôle principal
d’Artabano. Il venait tout juste de faire ses débuts dans ce même théâtre.
Peu de matériel subsiste de cet opéra de Vivaldi, à l’exception de six
arias découvertes en Angleterre, au château de Berkeley
(Gloucestershire)63. Dans ses opéras futurs, Teuzzone (1719) et Ercole sul
Termodonte (1723), Vivaldi reprendra, en les modifiant, plusieurs arias de
La Costanza.

La Stravaganza, Opus 4 (1716)

On situe à la fin de 1715 ou au début de l’année 1716 la parution des


concertos de l’Opus 4 de Vivaldi, dits La Stravaganza. Quatre années
avaient passé depuis la parution de L’Estro Armonico, où il avait annoncé la
publication imminente d’un nouveau recueil de concertos  : «  […] j’ai fait
en sorte de vous faire plaisir en vous présentant bientôt un autre recueil de
concertos à 4. » Les concertos de l’Opus 4 étaient-ils prêts au moment où
Vivaldi avait fait part de son projet au lecteur ? Dans ce cas, d’où vient ce
retard  ? L’éditeur était-il occupé sur d’autres terrains – monopolisé par
exemple par la préparation des Concerti grossi opus 6 de Corelli, parus en
1714 ?
Entre-temps, les concertos de Vivaldi avaient circulé, sous forme
manuscrite. Jean-Sébastien Bach avait déjà transcrit pour clavecin les
concertos RV 383a et RV 316 (BWV 980 et 975), numéros 1 et 6 de l’Opus
4.
L’édition que nous conservons est dédiée au patricien vénitien Vettor
Delfino, qui avait été l’élève de Vivaldi. Aurait-il accepté de financer, ne
serait-ce que partiellement, la publication  trop longtemps suspendue de ce
recueil  ? Dans sa dédicace, Vivaldi montre pour ce personnage de la
révérence, de l’estime : « Moi qui ai eu la grande chance d’être auprès de
vous, écrit-il, davantage à titre de compagnon que de directeur d’études, je
ne suis jamais satisfait de moi-même tant que je n’ai pas obtenu votre
assentiment. »
 
L’expression «  stravaganza  » (extravagance) avait déjà été utilisée par
d’autres compositeurs pour des recueils de musique instrumentale et vocale.
Exceptionnel maître du violon, Vivaldi aimait éblouir le public par ses
improvisations virtuoses  ; on se souvient du récit fait à Vicence, en
juin  1713, après le concert donné dans l’église Santa Corona, où Antonio
s’était lancé avec son violon dans une fugue improvisée à deux, avec
l’organiste ; on se rappelle aussi la consternation exprimée par l’Allemand
Johann Friedrich Armand von Uffenbach qui, en février  1715, entendit
Vivaldi jouer au théâtre Sant’Angelo (« il était plus habile dans l’exécution
qu’agréable à écouter  »). Les cadences étaient improvisées et nous n’en
gardons que de rares témoignages. Seules quelques cadences écrites par
Vivaldi, notées sur certains de ses manuscrits autographes, sont parvenues
jusqu’à nous, par exemple dans le concerto joué, croit-on, à Padoue, en
1712, avec Giovanni Battista à l’occasion de « la Solennità della S. Lingua
di S.  Antonio in Padua  » (RV 212)64  : doubles cordes, notes suraiguës,
arpèges, brisures, marches chromatiques… autant d’expressions de
«  l’extravagance  » du Prêtre roux  ! Après tout, le violoniste virtuose ne
faisait-il pas qu’anticiper de son archet le style vocal d’une chanteuse
comme la Vénitienne Faustina Bordoni et l’arrivée à Venise du castrat
prodige, Carlo Broschi dit Farinelli, deux chanteurs capables de faire avec
leur gosier ce que Vivaldi produisait déjà avec son archet ?
 
Le recueil de la Stravaganza contient douze concertos65, présentés,
comme dans L’Estro armonico, dans une alternance de tonalités majeures et
mineures. Ils sont écrits en cinq parties, comme le seront aussi les concertos
des opus ultérieurs : « Violino di concertino » ; « Violino primo » ; « Violino
secondo » ; « Alto viola » et « Organo e Violoncello » (le terme « organo »
signifiant ici génériquement un instrument à clavier). Ces concertos sont
écrits en trois mouvements VLV. Seul le septième (RV 185), qui commence
par un mouvement lent, ample, solennel, une entrée « en terrasse », possède
quatre mouvements (LVLV), ressemblant en cela à un concerto d’église
(«  da chiesa  »). Les concertos 1, 4, 9 et 11 conservent une esthétique
traditionnelle avec des alternances de tutti et de soli se répondant comme
dans le concerto grosso de Corelli. Le mouvement central lent du n° 10 est
empreint d’une emphase solennelle  ; celui du n°  12 est une chaconne
élaborée sur une gamme descendante tout à fait baroque. En revanche les
concertos 2, 5, 8 et 12 sont plus modernes : les mouvements 1 et 3, Allegro,
sont plus longs, les « ritornelli » plus complexes au plan du cheminement et
du tissage thématique ; les passages « soli » se libèrent du tutti et possèdent
leur propre matériel thématique ; ils ont aussi plus d’ampleur et de liberté.
Les rapports entre tutti et soli sont plus dramatiques, plus intenses. La ligne
violonistique se fait parfois très complexe (concertos 2, 3, 5). Le troisième
mouvement du n°  12 est le plus volubile de tous. Les mouvements lents
sont plus développés, parfois très libres et virtuoses (2 et 5). Le plus
« extravagant » est le n° 8 (RV 249), en ré mineur. Le premier mouvement
est en trois sections  ; au lieu de commencer par la ritournelle du tutti, on
entend un solo de violon, Allegro, suivi par un bref Adagio, puis par un
Presto. Le second mouvement, Adagio, est une suite d’harmonies
dissonantes. Vivaldi note, pour les cordes, « arcate lunghe », ce qui signifie
que l’exécutant ne doit ajouter aucun agrément ; pour le clavier réalisant la
basse chiffrée, il précise «  arpeggio  ». Le dernier mouvement est dans le
style d’un menuet rapide  fondé sur deux idées différentes conduites de
façon indépendante  ; en se rencontrant, elles produisent d’autres effets
surprenants.
Dans ces concertos, des éléments traditionnels et modernes se côtoient
comme ils se côtoient encore chez Giuseppe Tartini, pourtant plus jeune que
Vivaldi. Dans cette publication, ce dernier peut avoir mêlé des œuvres
composées à des dates différentes. Les musiciens répondaient à des
commandes et s’adaptaient aux circonstances. Une œuvre destinée à être
jouée à l’église pendant une cérémonie officielle (funérailles, vigile de
Noël, Carême…) sera forcément plus conservatrice qu’un concerto ayant
servi de récréation virtuose dans un palais ou qu’une pièce qui se veut pur
divertissement entre les actes d’un opéra, dans un théâtre.
Estienne Roger fera paraître en 1723 une nouvelle édition de l’Opus 4.
Puis, vers 1728, l’éditeur anglais Walsh  &  Hare reprendra cinq des
concertos de l’Opus 4 hollandais (1, 2, 4, 9 et 11), auquel il ajoutera un
concerto (RV 291) qui n’avait encore jamais été publié.

Venise, printemps 1716

Deux personnalités de poids se trouvent à Venise  : Karl Albrecht de


Bavière, arrivé en décembre  1715, et Friedrich August de Saxe (que l’on
avait déjà rencontré au début de l’année 1712), arrivé le 9  février. Le
premier séjourne à Venise jusqu’au 11  mars 1716  ; le second repartira le
24  juillet 1717. Ces jeunes gens  de 19 et 17  ans deviendront de puissants
souverains. À Venise, ils ne songent qu’à profiter des fêtes, banquets, bals,
spectacles auxquels les Vénitiens les convient et qu’ils organisent eux-
mêmes dans les palais respectifs où ils sont hébergés. Dans une chronique
italienne, à la date du 7 mars, on lit par exemple : « Le Prince Électeur de
Saxe a été invité par le prince de Bavière à un repas somptueux donné dans
son appartement  ; il voulait ainsi rendre la magnifique réception que le
premier lui avait offerte le jeudi matin (5  mars), en compagnie de Mgr  le
Nonce et de l’Ambassadeur de Vienne  ; le même jeudi soir, ils avaient
assisté à un oratorio en musique exécuté par les putte [jeunes filles] de la
Pietà66. »
Dans un français approximatif, à la même date du 5  mars 1716, un
chroniqueur allemand évoque la visite du prince de Bavière à la Pietà en ces
termes : « Il [Karl Albrecht] y fut régalé d’une belle musique ; l’orchestre
de ces filles y excellent sur tous les autres de Venise, le nombre des
vertueuses (!) y est aussy plus grand qu’en tout autre endroit ; il y avoit plus
de trente violons sans parler des autres instrumens et des voix qui ne sont
point de la force de celles des incurables67. »

Vivaldi « maître des concerts » à la Pietà, 24 mai 1716

Au printemps 1716, Francesco Gasparini n’a toujours pas été remplacé à


la Pietà. Les députés comptent sur son retour. Vivaldi, maître de violon, et
Pietro Scarpari, maître de chant, fournissent des œuvres sacrées et dirigent
le chœur, percevant quelques compensations financières pour ces services
exceptionnels. Un litige a-t-il éclaté entre Vivaldi et les gouverneurs de la
Pietà  ? Le 29  mars, Vivaldi n’est pas réélu (sept voix «  oui  » et  cinq
« non »). Le compositeur avait-il refusé catégoriquement ce titre de « maître
de violon » qu’il portait depuis son entrée à la Pietà, en 1703 ? Demandait-il
d’obtenir enfin un statut plus compatible avec ses activités de compositeur ?
Près de trois mois plus tard, le 24 mai, il est en effet réélu, avec onze « oui »
et un « non ». Vivaldi réintègre donc l’hospice avec le titre de « maître des
concerts » (« maestro de’ concerti »), titre qu’il s’attribue lui-même depuis
plusieurs années  : sur le frontispice de ses sonates Opus 2, sur celui des
concertos de L’Estro Armonico, sur le livret de l’oratorio La Vittoria
Navale, ainsi que sur celui de l’Orlando furioso. « Le célèbre Vivaldi ne se
gêne pas pour prétendre qu’il est le maître de chapelle de la Pietà68 », relate
Joachim Christoph Nemeitz qui séjourne à Venise quelque temps plus tard,
en 1721 (après avoir fait les éloges de l’ensemble instrumental qui, d’après
lui, est à la hauteur de ceux que l’on entend dans les plus grandes cours
européennes). Le Prêtre roux garde néanmoins le même salaire de 60 ducats
par an.
À la fin du mois d’avril 1716, une délégation arrive de Dresde, avec trois
musiciens de la chapelle musicale de Friedrich August  : l’organiste
Christian Petzold, le joueur de hautbois Johann Christian Richter et le
violoniste Johann Georg Pisendel (peut-être aussi le compositeur Jan
Dismas Zelenka)  ; ceux-ci, lit-on dans les chroniques, régaleront le prince
de concerts presque quotidiens.
Le prince de Saxe jouit de tout ce que Venise lui offre à profusion. Invité
et fêté par les patriciens vénitiens, le prince va d’un palais à l’autre. On dit
que c’est au cours de l’une de ces soirées festives, le 26 juillet 1716, que le
violoniste florentin Francesco Maria Veracini aurait joué devant Friedrich
August au palais Mocenigo, où le jeune Giuseppe Tartini l’aurait entendu et
aurait eu la révélation de sa vocation profonde. Il se serait retiré des mois
durant pour travailler et aurait changé radicalement sa manière de jouer…
Veracini dédie au prince de Saxe son premier recueil de sonates pour
violon. L’année suivante, il sera engagé comme violoniste salarié à la cour
de Dresde, aux côtés de Pisendel.
Tout n’est pourtant pas que fêtes et mascarades à Venise  ! En cet été
1716, les dernières colonies que la République Sérénissime possède dans le
Levant sont à nouveau mises en danger. Par terre et par mer, l’armée turque
progresse en direction de l’Adriatique. La Morée (Péloponnèse) est perdue.
Conscients de leur faiblesse, les gouverneurs vénitiens des îles situées dans
les mers Égée et Ionienne se rendent à l’ennemi sans combattre. Andrea
Pisani, le «  capitano generale da mar  » qui dirige la flotte vénitienne
repliée à Corfou et le maréchal von Schulenburg, à la tête des embarcations
alliées, se préparent à affronter les trois mille janissaires turcs dirigés par
Janun Hoggia. Si la situation est très grave, tout n’est cependant pas perdu.
Le 5 août, une dépêche partie de Vienne est arrivée à Venise annonçant une
nouvelle porteuse d’espoir : le prince Eugène de Savoie, qui commande les
armées de Charles VI, vient de battre les Turcs à Petrovaradin, en Serbie. À
l’annonce de cette victoire, la lagune vénitienne n’est plus que canonnades,
volées de cloches, cris de joie, prières et chants sacrés entonnés dans les
églises, les couvents et les oratoires de la ville. L’ambassadeur de Vienne à
Venise, Johann Baptist von Colloredo, fait exécuter un Te Deum dans
l’église des Carmes déchaussés (Scalzi) et organise une fête nocturne dans
le jardin de son palais  : on distribue du vin, du pain et de l’argent à la
population. Le 27  août, dans le jardin de son «  casino  » (petite maison
destinée aux réceptions), quatre chanteurs d’opéra (dont la Vénitienne
Faustina Bordoni) exécutent une cantate, Fede, Valore, Gloria e Fama mise
en musique par Carlo Francesco Pollarolo.
Pas de repos possible pour le Prêtre roux  ! En l’absence du maître de
chœur, c’est lui qui sera chargé de composer l’oratorio qui devra être donné,
en novembre suivant, en l’église de l’hospice de la Pietà. Et, en ce mois
d’octobre, les théâtres d’opéra viennent d’ouvrir pour la saison d’automne.

L’Arsilda, Regina di Ponto, Venise, octobre 1716 (RV 700)

Après son passage au San Moisè, Vivaldi revient au Sant’Angelo, dont la


gestion est maintenant confiée à Pietro Ramponi, un chanteur qui avait tenu
le rôle d’Astolfo dans l’Orlando furioso de 1713. La première de l’Arsilda,
Regina di Ponto (RV 700) a lieu le 27 (ou le 28) octobre  1716. Dans la
préface de son livret, Domenico Lalli (qui avait écrit le texte de l’Ottone in
villa) explique que son texte avait été injustement rejeté par la censure au
printemps de l’année précédente. Il a dû modifier le drame  ; s’il l’a fait,
c’est à regret, car, désormais, cette nouvelle version n’est plus qu’une pâle
image du livret original «  à tel point, écrit-il, que je ne le reconnais plus
comme mien  ».. Le livret ne porte aucun nom d’auteur et la dédicace est
signée par les seules initiales : « N.N. »
 
Les scénographies sont de Bernardo Canale, attaché au Sant’Angelo, qui
avait déjà mis en scène l’Orlando finto pazzo, puis le Nerone fatto Cesare.
Ce décorateur de théâtre aime les monuments inspirés de l’Antiquité  :
colonnades, volées d’escaliers, cours, temples, intérieurs de palais, vastes
halls, salles du trône ; une Antiquité toutefois fortement mêlée d’esthétique
rocaille : temples pour les dieux (Vulcain, Diane), ruines, vestiges, statues,
nature buissonnante, lieux cachés, verrouillés (un souterrain, une grotte
d’où sort une source cristalline), des effets d’éclairage dans ces lieux
sombres (feux allumés, lanternes), quelques jolis coins de nature dans le
style rococo, des bancs recouverts d’herbes dans des lieux retirés. Dans cet
opéra, au premier acte, des allées «  délicieuses  » qui conduisent aux
appartements de la Reine du Pont  ; puis, lorsque s’ouvre le rideau sur le
second acte, une « Charmante pièce dans le palais ; on voit des vases de pur
cristal où sont déposés les trésors de la reine de Cilicie  ; dans le
prolongement un cabinet de retraite  ». Bernardo Canale emploie de
nombreux accessoires, emblèmes et allégories  : la caverne de l’île de
Lennos est ornée de représentations de cyclopes, de marteaux ayant
appartenu à des cyclopes célèbres ; on y voit une montagne de casques, de
boucliers, de lances  ; Diane est entourée de cerfs, de léopards, de lions…
Autant de scénettes que l’on retrouve dans les gravures de l’époque, dans la
peinture de chevalet, ainsi que dans les décors des appartements et des
villas. Le spectateur se trouve transporté dans un monde de fiction.
 
Deux partitions de cet opéra sont conservées à Turin, ce qui fait penser à
une double représentation. Le premier manuscrit, autographe69, présente de
nombreuses interventions, corrections. La seconde version est dans le même
volume et à la suite de l’autographe, mais sous forme de copie propre70 ;
on croit y reconnaître l’écriture de Giovanni Battista Vivaldi ; il y manque
la Sinfonia d’ouverture (qui figure dans un autre volume)71. Le manuscrit
porte une annotation autographe « Il Teuzzone… » (RV 736) : Vivaldi a en
effet employé la même sinfonia pour les deux opéras. À Dresde se trouve,
outre la Sinfonia d’ouverture copiée par le violoniste Johann Georg
Pisendel, un recueil de seize arias de cet opéra, transcrites pour chant et
basse continue72.
L’opéra fut représenté avec des intermèdes, L’Alfier fanfarone, qui ont
peut-être remplacé des ballets prévus initialement.
 
La plupart des interprètes sont nouveaux pour Vivaldi. Les Fabri (frère et
sœur ?) de Bologne dans les rôles principaux : le célèbre ténor Annibale Pio
Fabri, qui joue le rôle de Tamese, et la contralto Anna Maria (Lisea). Dans
plusieurs exemplaires du livret, le nom du castrat Carlo Valcata de Turin
(Barzane) est rayé et remplacé par celui de Carlo Cristini, un autre artiste de
Turin, qui appartient la chapelle du prince de Carignan, héritier du trône de
Savoie. Les deux contraltos bolonaises, Anna Vicenza Dotti et Anna Maria
Fabri, se disputent le rôle de la protagoniste, Arsilda. La première est
«  recommandée  »  ; son père est en effet un écrivain satirique connu de
Brescia (Bartolomeo Dotti), qui avait été assassiné en 1713 ; c’est elle qui
remporte le rôle-titre, même si ses qualités sont inférieures à celles d’Anna-
Maria Fabri, à laquelle revient la partie de Lisea, amoureuse évincée du roi
de Lydie. C’est pour elle, en revanche, que Vivaldi composera les arias les
plus intéressantes.
 
Le livret d’Arsilda ressemble, par certains traits (travestissements, deux
femmes dans une situation ambiguë) à l’Ottone in villa. Tamese et Lisea, les
enfants du roi de Cilicie défunt, sont jumeaux et se ressemblent fortement.
Lisea est amoureuse de Barzane, roi de Lydie. Celui-ci s’amourache de la
reine du Pont, Arsilda qui, elle, aime Tamese. On croit que Tamese a péri
dans un naufrage, mais il réapparaît, sous le déguisement d’un… jardinier.
Pour écarter Barzane de la reine, mais aussi parce qu’elle veut monter sur le
trône de son pays (qui lui est interdit en tant que femme), Lisea fait dire
qu’elle est décédée. Elle s’habille en homme et se fait passer pour son frère
jumeau disparu. Après une magnifique chasse royale au second acte (deux
cors de chasse jouent sur la scène – comme les violons dans la scène de la
grotte dans l’Ottone in villa), où les chœurs et les parties solistes alternent,
après de nombreux quiproquos et des rebondissements suscités par les
travestissements des deux héros, eux-mêmes perdus dans leur propre
labyrinthe, après encore une scène angoissante dans la pénombre d’un
souterrain au début du troisième acte, l’opéra se termine heureusement par
un double mariage (Lisea et Barzane, Tamese et Arsilda) célébré dans la
grande salle du trône du palais.
Le rôle de Barzane, tenu par un castrat, reçoit de jolies arias  ; en
particulier, à la fin du deuxième acte, «  Quell’usignolo  » où, de façon
métaphorique, la voix semble, comme l’oiseau, sauter de branche en
branche. Vivaldi anticipe la célèbre aria de virtuosité « Quell’usignolo che
innamorato », qui sera chantée par Farinelli, en 1734, sur la scène du San
Giovanni Grisostomo, dans la Merope de Geminiano Giacomelli. Le
compositeur donne aussi de belles arias au talentueux ténor Annibale Pio
Fabri (Tamese), capable de passer du registre pathétique de «  La tirannia
avversa sorte  » (acte  I) à la virtuosité pure de «  Siano gli astri a me
tiranni  » (acte  II)  ; de beaux moments aussi pour le rôle de Lisea, en
particulier à la fin du premier acte, la douce aria (« clavecins sans basse »)
«  Io son quel gelsomino  », qui sera transportée dans L’Incoronazione di
Dario.
L’opéra remporte un vif succès auprès du public. Après la première, le
chroniqueur de Pallade Veneta écrit  : «  Mercredi soir, invitée depuis les
tombes royales du Pont, la Reine Arsilda apparut sur les scènes du
Sant’Angelo, transfigurée par le talent du poète et du compositeur  ; elle
reçut de telles ovations qu’on peut lui prédire un grand avenir73. »
Un tiers des arias composant cet opéra seront replacées par Vivaldi dans
plusieurs opéras ultérieurs.

Les sonates pour violon Opus 5, 1716

En 1716, paraît le troisième recueil de sonates de Vivaldi, à Amsterdam,


chez Jeanne Roger, la fille d’Estienne Roger. La maison d’édition fondée
par «  Estienne Roger  » (qui décédera en 1722) vient d’être reprise par sa
fille Jeanne  ; à partir de 1723, elle sera continuée par Michel-Charles Le
Cène qui épouse Françoise Roger, la fille aînée d’Estienne. C’est Le Cène
qui publiera les recueils de Vivaldi à partir de l’Opus 7, en 1720.
L’Opus 5 contient six sonates74 (et non douze comme dans l’Opus 2),
pour lesquelles on ne possède pas de manuscrits correspondants. Elles sont
considérées par Vivaldi comme une « seconde partie de l’Opus 2 » (« Overo
parte seconda de l’Opera seconda  »), et donc chiffrées de 13 à 18. Les
quatre premières sont écrites pour violon seul et basse continue, les deux
dernières pour deux violons et basse continue. Si elles forment la suite de
l’Opus 2, ces sonates sont différentes. Elles sont ouvertes par un
mouvement lent « Preludio Largo », plus rarement «  Preludio Andante  »,
de forme assez libre, suivi par des danses, de rythme binaire ou ternaire, de
mouvement rapide  : allemandes, courantes, gavottes, gigues (une seule
sarabanda, de mouvement andante, de rythme ternaire). Malgré leur
structure binaire héritée de l’ancienne suite de danses, ces mouvements ne
sont plus que des évocations lointaines des danses primitives. Un «  Air
Menuet  », de mouvement allegro, qui termine la sonate RV 72, révèle
l’aspect informel qui règne, à cette période du baroque tardif, dans la forme
de la sonate, issue de la suite de danses. Les deux dernières sonates sont
écrites pour deux violons ; il s’agit en réalité d’un « violon solo », avec un
second violon, placé à un rang secondaire.
On pense que c’est l’éditeur Estienne Roger qui aurait suggéré à Vivaldi
la publication de ces pièces instrumentales, destinées à une clientèle de
professionnels et d’amateurs. L’attrait commercial restait une condition
essentielle à ces impressions dont la réalisation était coûteuse. Vivaldi
devait lui aussi viser au profit. On sait qu’il vendait ses œuvres par un
double canal  : l’édition, à Amsterdam, qui lui assurait une diffusion
internationale (mais il perdait le contrôle sur ses œuvres ensuite piratées par
d’autres éditeurs) ; et les manuscrits, qu’il vendait lui-même à une clientèle
fortunée, et dont il réussissait à tirer un meilleur gain.
Au fil de ces éditions, dans la sonate comme dans le concerto, Vivaldi
veille à instaurer une cohérence entre les recueils. Plusieurs concertos de
l’Opus 4 semblent liés thématiquement à ceux de l’Opus 3  : L’Estro
Armonico et la Stravaganza forment les deux volets d’une même œuvre qui
se poursuit.
 
Après treize années de service à la Pietà, Vivaldi venait enfin d’obtenir le
titre de « Maestro de’ concerti ». Quelques jours seulement séparent la fin
des représentations de l’opéra Arsilda Regina di Ponto au Sant’Angelo et
l’exécution de la Juditha triumphans, à la Pietà. Si, dans l’opéra de la
Costanza trionfante, les Parthes envahissaient l’Arménie, et si, dans
Arsilda, le roi de Lydie s’insurgeait en Cilicie, dans l’oratorio la Juditha
triumphans, c’est le général assyrien Holopherne qui, cette fois, s’est fixé
comme objectif militaire d’assiéger la ville de Béthulie…

11

 La victoire de Corfou

 (août-novembre 1716)

La victoire remportée contre l’armée ottomane par Eugène de


Savoie, général des armées impériales, à Petrovaradin au début du
mois d’août 1716, avait représenté une source d’espérance pour les
Vénitiens. Mais la menace n’en restait pas moins persistante ; les
armées turques avançaient par mer et s’approchaient de
l’Adriatique. Dans toutes les églises, les couvents et les monastères
de Venise, les prières ne cessaient pas, de jour comme de nuit. En
l’absence du maître de chœur, les gouverneurs de la Pietà avaient
commandé un oratorio à Vivaldi. Il serait une offrande, une prière
douloureuse. L’annonce de la victoire vénitienne sur l’île de
Corfou, parvenue à Venise au moment même où le Prêtre roux
travaillait à sa partition, transforma brusquement la lamentation
méditative en une exultation de joie, une jubilation lancée par les
filles du chœur vers le Ciel et vers la Vierge, protectrice de la
Sérénissime.
 
Pour comprendre la situation historique vécue par les Vénitiens en
cet été 1716, il faut se reporter brièvement quelque trente ans en
arrière, en 1684, date à laquelle la République Sérénissime s’était
engagée dans une nouvelle guerre contre les Turcs pour la
possession de la Morée. Les embarcations vénitiennes s’étaient
jointes à la flotte des alliés. Trois ans plus tard, en 1687, Francesco
Morosini reprenait possession du Péloponnèse et entrait à Athènes.
En août, on avait chanté un Te Deum à Saint-Marc : dans la vieille
basilique, les Vénitiens tous ensemble chantaient à pleins poumons
Viva, viva, « au son des trompettes, des tambours et des cloches
sacrées qui assourdissaient le ciel lui-même75 ». À l’hospice de la
Pietà, les filles du chœur avaient exécuté l’oratorio Santa Maria
Egizziaca (Sainte Marie l’Égyptienne) : les solistes étaient
Lucretia, Prudenza, Barbara, Paolina, Lucietta et Francesca.
« Celle-ci, écrit le chroniqueur de Pallade Veneta, n’est pas
seulement douée pour le chant. Elle joue aussi à merveille du
théorbe et du luth. Lorsque la première partie de l’oratorio fut
terminée, elle réalisa sur cet instrument des improvisations pleines
de charme suscitant l’admiration de l’auditoire tout entier. Leur
chant fut extrêmement agréable, leur prononciation parfaitement
distincte ; on ne pouvait espérer mieux. Leur talent souleva
beaucoup d’enthousiasme et tout le monde attend avec impatience
le jour de la reprise. Vous voyez dans quel genre de plaisirs
musicaux se délectent ici les patriciens, mécènes de ces interprètes,
dont les écrivains chantent la gloire76. »
L’oratorio de Giacomo Spada fut repris le 16 septembre suivant. La
foule se pressait pour entrer dans la petite église de la Pietà.
Agglutinés devant les fenêtres des maisons avoisinantes, les gens
qui n’avaient pu trouver place devaient « se consoler en captant
quelques échos de ces voix paradisiaques77 ».
Puis les choses ne cessèrent de se dégrader. Morosini mourut à la
guerre en janvier 1694. En 1699, le traité de Karlowitz confirmait
la possession du Péloponnèse par les Vénitiens, mais la situation
générale n’était guère brillante et la menace turque continuait à
planer. L’Empire ottoman s’apprêtait en effet à anéantir tous les
efforts de Morosini !
Le 8 décembre 1714, le grand vizir avait convoqué le baile de
Venise : les Vénitiens avaient vingt jours pour quitter les comptoirs
dont ils disposaient dans la ville de Constantinople. Le lendemain,
le vizir promulguait le manifeste de guerre.
Les Turcs étaient beaucoup plus nombreux que les Vénitiens,
même si ceux-ci bénéficiaient d’une certaine aura due à leur passé
militaire prestigieux. En été 1715 les armées ottomanes avancèrent
à la fois par terre (Péloponnèse) et par mer. Athènes, où Francesco
Morosini était entré triomphalement en 1687, tomba en 1715.
Conscients de leur faiblesse, les gouverneurs vénitiens situés dans
les territoires de terre et de mer de la Sérénissime se rendirent sans
avoir combattu. Dans les îles de la mer Égée et de la mer Ionienne,
plus une seule garnison vénitienne n’offrait de résistance à
l’ennemi.
Le 5 juillet 1716, la flotte ottomane visait Corfou, à l’entrée du
golfe de l’Adriatique. L’île était défendue par le « capitan generale
da mar », Andrea Pisani, allié au général allemand, le feld-
maréchal comte Johann Mathias von der Schulenburg, commandant
en chef des forces de la République. En tout 1429 fantassins
allemands, 556 italiens et 1112 grecs et dalmates ; une armée légère
(18 galee, 2 galeazze, 12 galeotte, 2 brulotti) et une armée lourde
constituée de 27 vaisseaux de ligne auxquels se joignent les 4
navires des chevaliers de Malte ; du côté turc, 3 000 cavaliers et
15 000 fantassins dirigés par Kara Mustafà.
Au nord, l’armée turque fut battue par le prince Eugène. Sur mer,
Kara Mustafà abdiqua et voulut se rendre. Mais le Vénitien
Antonio Loredan, provéditeur de Corfou, n’accepta pas la
capitulation ennemie. Aussi, le lendemain, les Turcs se remirent au
combat avec 3 000 janissaires dirigés par Janun Hoggia.
À Corfou, la situation était encore suspendue. La population
vénitienne multipliait les actes de dévotion, dans toutes les églises
et les oratoires de la ville. Le 7 août, alors que l’on fêtait la victoire
des troupes impériales sur les Turcs, Giacomo Cassetti obtenait
l’approbation de l’Inquisiteur pour le livret de son oratorio La
Juditha triumphans. Quelques jours plus tard, le Sénat ordonnait
l’exposition du Saint-Sacrement, chaque mardi soir, dans toutes les
églises de la ville. On insistait pour que les filles musiciennes et
chanteuses des quatre grands ospedali de la ville intensifient leur
travail : « Le Père Recteur doit encourager les filles et les autres
personnes vivant dans les hospices, lit-on dans un décret de la ville,
afin que, tous les mardis fixés, celles-ci exercent leur dévotion et
prient tout spécialement pour apaiser la colère de Dieu causée par
nos péchés, et qu’Il bénisse les armées de notre Sérénissime
République78. »
Les 18 et 19 août, sur l’île de Corfou, le maréchal de Schulenburg
bloquait l’attaque turque au mont d’Abraham. Un gros orage
s’abattit sur Corfou ; les munitions turques prirent l’eau et
devinrent inutilisables. Les 21 et 22 août le pacha ordonnait la
levée de ses troupes. Après quarante-deux jours de siège, les Turcs
abandonnaient Corfou et s’enfuirent en direction de la Morée,
pourchassés par les Vénitiens.

Te Deum à Saint-Marc, oratorio à la Pietà

À Saint-Marc, siège du pouvoir civil et religieux, forteresse du doge, on


chante le Te Deum. Mais c’est à l’hospice de la Pietà que l’on chantera, en
novembre, l’oratorio qui avait d’abord été préparé comme une prière, une
imploration vers Dieu, tout à coup transformé en un chant de triomphe pour
la victoire offerte par le Ciel.
Géographiquement proches l’un de l’autre, l’Arsenal et l’hospice de la
Pietà appartiennent de façon indissociable à l’histoire de Venise. L’Arsenal
sert la puissance, la défense de la Sérénissime, la sécurité des Vénitiens. La
Pietà est un refuge pour tout ce que les guerres engendrent de pauvreté, de
misère, de solitude, de handicaps physiques, d’enfants laissés orphelins ou
illégitimes. Les garçons sortant de la Pietà travaillent pour l’Arsenal,
comme marins, tisserands, forgerons, menuisiers, charpentiers. La chapelle
de l’Arsenal « est assistée, réglée et gouvernée par l’hospice même79 », lit-
on dans les règlements de la Pietà, à l’époque du jeune Vivaldi. Ce sont les
maestre de la Pietà qui veillent sur les lieux ; peut-être y assurent-elles aussi
l’accompagnement musical des offices. Deux fois par an, les gouverneurs
rendent visite à la chapelle de l’Arsenal ; ils contrôlent que tout est en ordre,
puis distribuent leurs charges aux maîtresses de chœur. Lorsque l’on
entreprendra la construction de la nouvelle Pietà, en 1740, c’est encore à
l’Arsenal que l’on ira chercher le bois servant aux fondations de l’église.
La composition, la préparation et l’exécution d’un oratorio demandent un
gros travail, à la fois pour le compositeur, les copistes, les musiciennes et
les chanteuses. Il est une célébration, un moment de festivité en présence
des personnalités qui comptent à Venise, souvent aussi de visiteurs
étrangers de marque. Les après-midi où ont lieu les concerts d’oratorio, les
Vénitiens se pressent dans l’église de la Pietà. L’auditoire se place
probablement le dos à l’autel. C’est du moins le témoignage que nous laisse
le comte de Caylus, de passage à Venise en 1714-1715 : « Il y a dans Venise
quatre hôpitaux où l’on retire les vieilles gens et les enfants trouvés, écrit
Caylus dans son Voyage d’Italie. L’on fait apprendre à jouer de toutes sortes
d’instrumens aux filles et toutes les festes et les dimanches, c’est un
spectacle où l’on va écouter le concert comme à l’Opéra tournant le dos à
l’autel. » Un concert d’oratorio est un moment recherché par les voyageurs
étrangers  qui veulent assister à ces concerts féminins dont on parle dans
toute l’Europe. Ces concerts du dimanche attirent un auditoire enthousiaste,
surtout l’été quand les théâtres sont fermés. Ils suscitent des chroniques
pleines d’éloges dans le journal Pallade Veneta et les dons pleuvent sur
l’hospice de charité.

Les oratorios à Venise

On dit que de sont les Philipppins, venus de Rome, qui apportèrent la


tradition de l’oratorio à Venise. Dès 1671, ceux-ci donnèrent des oratorios
en leur église vénitienne de Santa Maria della Fava, faisant appel, pour la
composition musicale, aux maîtres de Saint-Marc, tel Giovanni Legrenzi.
Les oratorios furent d’abord chantés en italien  puis, à partir de 1690, de
façon systématique, en latin. À la Fava, pas de femmes ! Les parties aiguës
étaient exécutées par des castrats ou des voix de fausset.
À la Pietà, on ne donna pas d’oratorio avant 1683, c’est-à-dire une
dizaine d’années après les Incurabili, les Mendicanti. Après la nomination
de Francesco Gasparini, le rythme devint plus régulier avec parfois deux
oratorios nouveaux par an, sauf quand Gasparini s’absentait pour mener sa
carrière dans d’autres villes d’Italie et d’Europe. En 1714, on avait repris la
Maria Magdalena de Gasparini (1711) et, en 1714, on entendit le Moyse
Deus Pharaonis, mis en musique par Vivaldi.
À l’époque où Vivaldi aborde cette forme, l’oratorio s’était détaché de
ses origines, totalement happé au plan formel et stylistique par l’opéra et
par la cantate. Le narrateur (testo), présent chez Carissimi, n’apparaît plus.
Les récitatifs secs (où la voix est soutenue par la seule basse continue), les
récitatifs accompagnés par les cordes dans des moments de grande tension,
les arias à da capo, tantôt douces et élégiaques, tantôt brillantes et virtuoses,
alternent, tout comme à l’opéra. Toutefois, dans l’oratorio vénitien, le texte
est en latin ; les chœurs (même s’ils tendent à s’amenuiser) y jouent un plus
grand rôle qu’à l’opéra ; l’action se développe par les dialogues. Il n’y a pas
de scénographie proprement dite. Les chanteuses ne devant pas jouer leur
rôle peuvent lire leur partition. Il est probable, comme le laissent
comprendre les textes relatant l’exécution de La Vittoria navale de Vivaldi,
à Vicence, en juin  1713, que l’on employait néanmoins des costumes et
quelques éléments de décors suggestifs (emblèmes, allégories, portraits) qui
aidaient l’auditoire à comprendre le sens du texte et créaient une
atmosphère suggestive.
L’oratorio comprend le plus souvent deux parties ; la pause entre les deux
parties laisse place à un sermon, à des rafraîchissements, voire à un
intermède instrumental (sonate ou concerto). L’une des filles peut se
produire en soliste dans une pièce de virtuosité ou d’improvisation (comme,
en août 1687, Francesca joua du théorbe et du luth entre les parties de Santa
Maria Egizziaca), tout comme on le fait au théâtre. Comme à l’opéra aussi,
la sinfonia initiale peut être choisie dans le répertoire des pièces
instrumentales disponibles. Dans les ospedali de Venise, les oratorios sont
composés exclusivement pour des voix féminines (même si l’on voit figurer
dans les chœurs les appellations «  ténors  » et «  basses  »), ce qui peut
dérouter les compositeurs extérieurs à la tradition vénitienne qui, comme
Nicola Porpora, arrivent de Naples où, à l’inverse, il n’avait composé ses
pièces religieuses que pour des voix masculines (il était interdit aux femmes
de chanter à l’église).
Dans les chapelles musicales des ospedali de Venise, on privilégie les
héroïnes féminines, dans lesquelles les filles du chœur peuvent s’identifier :
les femmes de l’Ancien Testament comme Judith et Esther  ; celles du
Nouveau Testament, la pécheresse convertie Marie Madeleine  ; ou encore
les saintes, Clotilde, Ursule, Hélène…
L’histoire de la Juive Judith servait fréquemment de fondement aux
oratorios composés pour la congrégation de saint Philippe de Néri, à Rome,
en période de Carême tout particulièrement. Francesco Gasparini avait
composé pour cet oratoire une « Iudith de Holoferne Triumphans » (1689).
Alessandro Scarlatti écrivit la musique d’une Giuditta qui fit date  ; elle
avait été exécutée à Naples en 1693, sur un livret du cardinal Pamphili. À
Venise, La Giuditta d’Antonio Lotti fut chantée à l’hospice des Incurables,
sans doute en 1701. Benedetto Marcello composa une Giuditta, exécutée le
27  novembre 1709 dans le palais vénitien de la princesse Livia Spinola
Borghese, la protectrice de Francesco Gasparini, une amie intime de la
famille Marcello ; cette œuvre fut publiée chez Domenico Lovisa, à Venise,
en 1710. En 1734, à Vienne, Metastasio écrira sur le même sujet le livret de
la Bethulia liberata ; dès lors, cet oratorio connaîtra près d’une trentaine de
mises en musique, dans toute l’Europe.

Judith, une allégorie de Venise et un emblème pour les filles du


chœur

Judith est l’une des héroïnes bibliques qui a le plus inspiré les peintres de
la Renaissance et de l’âge baroque. Le thème avait été mis à la mode par
Caravage. Chez Giorgione, Judith est debout sur une terrasse, l’épée à la
main, la tête du général placé sous son pied. Chez Titien, la scène rappelle
la décapitation de Jean-Baptiste, Judith tient la tête d’Holopherne sur un
plateau. Les femmes peintres interprètent la légende biblique avec une
grande force. Dans le tableau d’Artemisia Gentileschi, Judith prend
Holopherne par les cheveux  ; les deux femmes unissent leurs forces pour
maintenir le personnage, renversé vers nous. Le contre-jour jette une
lumière tragique sur la scène. Dans le tableau de la Vénitienne Julia Lama
(v. 1730, Galerie de l’Académie à Venise), le visage barbu d’Holopherne
ressemble à celui de Jésus. Il apparaît dans une perspective renversée, un
peu comme le Christ peint par Tintoret à la Scuola di San Rocco, à Venise.
Judith est l’emblème de la beauté et de la vulnérabilité ; elle est l’allégorie
de Venise, ville née de la volonté de Dieu et protégée par Dieu, sans
murailles et pourtant jamais assaillie. Femme pieuse, elle est aussi un
emblème fort et réconfortant pour les filles de la Pietà.
Plus que dans les trois autres ospedali de Venise dont la vocation est de
soigner les malades, les femmes jouent un rôle primordial à la Pietà  ; les
«  consorelle  » (consœurs) de la Celestia, les Dame dell’Umiltà furent les
premières à recueillir les enfants. Les nobles dames bienfaitrices, les deux
prieures conservent une position de haute responsabilité dans cette
institution. Le chant des filles fait partie du symbole de Venise. Avec leurs
voix pures et candides, « angéliques », elles se font les médiatrices entre la
terre et le ciel. Dans un rappel à l’Antiquité, on dit le « chœur » (et non la
chapelle musicale)  ; on les appelle volontiers les «  vierges  », comme l’on
dirait, tout aussi bien, les vestales.
Les filles de la Pietà ne sont-elles pas, pourtant, les fruits d’amours
illégitimes, souvent aussi des enfants de prostituées ? On ne peut cacher la
nature double, ange et démon, de Judith, la part ténébreuse que cette femme
cache, l’inquiétude qu’elle suscite. Lorsqu’elle devint veuve, Judith n’était
pas retournée vivre chez son père comme le voulait la coutume juive, mais
elle vivait seule, indépendante. De son propre chef, elle avait décidé d’aller
au devant d’Holopherne, alors que le sage Ozias lui recommandait de prier,
comme il convient à une femme. Par sa liberté, Judith transgresse à la fois
sa condition de femme et celle de veuve.
On rencontre fréquemment des images de femmes guerrières dans
l’opéra. Judith cependant n’est pas casquée et revêtue d’une armure, comme
les héroïnes musulmanes du Tasse (Clorinde et Armide), et la Bradamante
de l’Arioste, mais d’une parure toute féminine qui la rend plus redoutable
encore. La séduction mène l’homme à sa mort ; la séduction et la sensualité
sont de redoutables pièges. La solidarité féminine (entre Judith et sa
servante) se transforme en coalition infernale. L’homme craint ce genre de
séductrice (Dalila coupant les cheveux de Samson, dans la Bible ; Salomé
faisant trancher la tête de Jean-Baptiste dans l’Évangile de Luc) qui,
pendant son sommeil, peut l’anéantir. Dans cette décapitation brutale, la
femme apparaît à l’homme comme une dangereuse castratrice.
Judith, belle et désirable, mais double et traîtresse. Est-elle si différente
de la Cleonilla de l’Ottone in villa et de l’Angelica de l’Orlando furioso,
ces femmes qui détournent l’homme de son devoir de guerrier ? La nature,
comme la musique, le vin, le banquet, la fête ont la même duplicité que la
femme. Lors des fastueuses réceptions dans les palais vénitiens, les dames
de la noblesse se mêlent aux courtisanes. Patricienne ou putain, la femme
est tour à tour révérée et diabolisée. Si sa beauté paraît le reflet platonicien
de la vertu, de la pureté céleste, elle peut tout aussi bien cacher des côtés
démoniaques.
Le Livre de Judith, une légende

Le texte original du Livre de Judith a disparu. On ne possède qu’une


version grecque non reconnue par les Protestants, écrite en Palestine vers le
milieu du deuxième siècle, au temps du soulèvement des Macchabées.
L’auteur a pris de nombreuses libertés avec la réalité historique et
géographique. Il est par exemple impossible de situer historiquement les
évènements racontés dans ce texte. Sans doute s’agit-il de l’une des
nombreuses révoltes qui déchirèrent l’empire perse. Un général Holopherne
a vraiment existé du temps d’Artaxerxès II (359-338). Mais aucune ville du
nom de Béthulie n’est repérable parmi les cités connues à cette époque. Si
cette légende s’appuie sur l’histoire, son sens est symbolique  : le peuple
israélite est protégé par Dieu. Le bien se confronte au mal incarné par
Holopherne, le chef des Assyriens. Nabuchodonosor « roi de toute la terre »
n’a jamais demandé que les peuples l’adorent comme un dieu. Jérusalem a
bien été envahie par le roi de Babylone (587), mais la victoire des Israélites
habitant Béthulie est une fiction.
Le roi des Assyriens Nabuchodonosor (vie s.  av. J.-C.) est en train de
soumettre les peuplades de nombreuses contrées du Moyen-Orient.
Préparant une expédition contre le roi des Mèdes, il demande l’aide des
habitants de la région. Une fois sa victoire consommée, il veut se venger
contre ceux qui ne l’ont pas assisté, entre autres les Israélites. Au général
Holopherne, il dit : « Pars, prends avec toi des gens d’une valeur au-dessus
de tout soupçon, à peu près cent vingt mille fantassins et un fort contingent
de chevaux avec douze mille cavaliers, puis marche contre toute la région
occidentale, puisque ces gens ont résisté à mon appel. »
Attendant de livrer bataille, les soldats assyriens campent dans une zone
proche de la ville, elle-même nichée dans une zone montagneuse, difficile
d’accès pour ceux qui n’en connaissent pas les routes. Leur stratégie est
donc de bloquer la source qui alimente le village en eau. Ainsi assiégés les
habitants de Béthulie vont bientôt mourir de soif et de faim. L’un des chefs
de la ville, Ozias, exhorte la population à reprendre courage et à résister.
C’est alors qu’intervient Judith (Judith en hébreu veut dire « juive »). Son
mari, Manassé, un cultivateur prospère, était mort accidentellement d’une
insolation, lui laissant de grandes richesses. Malgré cela, elle vit dans la
chasteté, la pauvreté et la prière. La situation étant grave, Judith sort de la
réserve : elle veut s’offrir pour sauver son peuple. Judith explique son plan
à Ozias et aux chefs de Béthulie : elle ira trouver Holopherne et sauvera sa
ville et les Israélites du joug auquel les expose le tyran  ! L’Écriture dit  :
«  […] ôtant le sac qui l’enveloppait et quittant ses habits de deuil, elle se
baigna, s’oignit d’un généreux parfum, peigna sa chevelure, ceignit un
turban et revêtit le costume de joie qu’elle mettait du vivant de son mari
Manassé. Elle chaussa ses sandales, mit ses colliers, ses anneaux, ses
bagues, ses pendants d’oreilles, tous ses bijoux, elle se fit aussi belle que
possible pour séduire les regards de tous les hommes qui la verraient.  »
Judith prépare des cadeaux pour le général ennemi et les confie à sa
servante : « […] une outre de vin et une cruche d’huile, remplit une besace
de galettes de farine d’orge, de gâteaux de fruits secs et de pains purs, et lui
remit toutes ces provisions empaquetées » (Bible de Jérusalem).
Les chefs de Béthulie ordonnent aux gardes d’ouvrir la porte de la ville.
Judith et sa servante descendent la montagne et traversent la vallée. Une
sentinelle du camp assyrien s’approche des deux femmes  : Je viens, dit
Judith, pour donner à Holopherne des renseignements qui lui permettront de
prendre possession de la montagne et d’envahir la ville. «  Ils détachèrent
alors cent de leurs hommes qui se joignirent à elle et à sa servante et les
conduisirent auprès de la tente d’Holopherne  » (Ju 4.17). C’est là que
commence la Juditha triumphans de Vivaldi.

La Juditha triumphans, Pietà, novembre 1716 (RV 644)

Le livret est de Giacomo Cassetti, qui avait aussi écrit le texte du Moyses
Deus Pharaonis, mis en musique par Vivaldi deux ans plus tôt. Cassetti est
un érudit de la Vénétie. Le titre exact de l’oratorio est Judith triomphant des
barbaries d’Holopherne, oratorio militaire sacré, écrit en temps de guerre,
exécuté par le chœur des Vierges dans le Temple de la Pietà80.
Dans la partition autographe conservée à Turin81, le monogramme de
Vivaldi « LDBMDA » rencontré sur la partition de l’Ottone in villa apparaît
sur le recto de la première page, dans la colonne de gauche.
La Sinfonia d’ouverture manque. Vivaldi a sans doute employé l’une de
ses Sinfonie (ou les mouvements d’un concerto) au choix, pourvu qu’elle
soit d’une tonalité semblable au chœur du début, en ré majeur.
 
1.  Les timbales résonnent seules pendant sept mesures, puis les violons
entrent, formant une fanfare luxuriante, comme on peut l’imaginer lors des
processions et des fêtes vénitiennes, par exemple lorsqu’on sortait le
Bucentaure pour le mariage du doge avec la mer. On pense aussi aux six
trompettes et aux deux timbales d’argent qui escortaient le doge, symboles
de son autorité, dans les processions, sur terre et sur mer. Le son rebondit
comme rebondissaient au xvie siècle les ensembles vocaux et instrumentaux
d’Andrea Gabrieli dispersés sous les voûtes de Saint-Marc pour fêter la
victoire de Lépante. Le chœur (accompagné par les timbales, les cordes,
deux hautbois, deux trompettes) exhorte à la destruction : « Que les armes,
les carnages, la vengeance/La fureur guerrière, la pauvreté, la terreur/Nous
précèdent, /Tournoyez, / Livrez bataille, / Ô sorts de la guerre/Attirez /
Mille plaies, / Mille morts. »

Première partie

2. Nous sommes dans la tente d’Holopherne qui est allongé « sur un lit
placé sous une draperie de pourpre et d’or, rehaussée d’émeraudes et de
pierres précieuses » (Ju 10-21).
2-3. Récitatif, puis aria d’Holopherne : « Sans valeur sont les armes, sans
valeur est la guerre  » («  Nil arma, nil bella  »), qui évoque les héros
victorieux, le plaisir de la victoire donnée par les astres. Le style de
bravoure, les vocalises, suggèrent la vaillance  ; le soldat n’a qu’une seule
mission : obéir à son devoir.
4-5.  Vagaus (dans la Bible, Bagoas), l’eunuque serviteur d’Holopherne
entre et annonce que vient d’arriver une séduisante visiteuse qui demande à
rencontrer le général. Les vocalises de l’aria «  Une matrone ennemie  »
(« Matrona innimica ») suggèrent la beauté et les parures de Judith. Vivaldi
a prévu une aria de remplacement, notée « Per la Sigre Barbara ». Le texte
de Cassetti joue la discrétion qui sied à un subordonné : « Elle te sera amie,
dit Vagaus, si seulement tu poses les yeux sur elle » (« Tibi erit amica / Si
lumina cernes »). Un frémissement sensuel traverse la musique ; il évoluera
jusqu’au moment de la préparation du repas. Dans la tente où le masculin
domine encore, la ruse fonctionne et le guerrier est prêt à faiblir. L’oratorio
n’est pas représenté mais les détails scéniques fournis par le texte
permettent d’imaginer la scène  : Judith debout à l’entrée de la tente
d’Holopherne.
Les hommes déjà forment un clan (comme l’empereur Ottone, dans
l’Ottone in villa, en formait un, avec son aide de camp, Decio), face à celui
des deux femmes : également une maîtresse et sa servante.
6.  Récitatif d’Holopherne qui accepte de recevoir la Juive en audience.
Vagaus introduit Judith dans la tente.
7. Aria de Judith : « C’est l’amour de ma Patrie qui m’amène » (« Quo
cum Patriae me ducit amore ») dans un style élégiaque. Liberté et amour de
la patrie sont des valeurs vénitiennes. L’air est langoureux  ; Judith est
portée par l’amour divin  ; ses pas «  guidés par la plus haute lueur des
cieux » (« Summo ductus a caeli fulgore »). C’est en Dieu que cette femme
trouve son courage. Elle vient à mains nues  : l’air est simple, avec les
cordes.
8-9.  Récitatif et aria d’Abra, la servante de Judith, avec le seul
accompagnement de la basse continue «  Face à ton magnifique visage  »
(« Vultus tui vago splendori ») ; un style simple qui convient à une personne
de rang inférieur. Elle encourage sa maîtresse en la flattant et en valorisant
sa beauté. La femme est faible, mais la beauté, la pureté seront plus fortes,
car les deux héroïnes sont assistées par Dieu. Venise, elle aussi, est
vulnérable, car aucune muraille ne la protège, mais elle est forte car née de
la volonté divine. Ici, ce sont les serviteurs qui instiguent les actes de leurs
maîtres et conduisent leurs bras  ; ils sont davantage que de simples
domestiques.
10.  Conversation entre Abra et Judith. Réconfortée par Abra, Judith
s’enhardit et se prépare à aller trouver Holopherne  ; elle demande aux
soldats de l’accompagner.
11.  Le chœur des soldats dialogue avec Vagaus, accompagnés par deux
hautbois (douceur féminine), qui se joignent aux cordes  ; ils louent la
beauté de Judith. Face à eux, Judith est seule  ; alternance de ritournelles
instrumentales et de passages chantés tantôt par le soliste, tantôt par le
chœur ; on ne ressent aucune trace de méfiance envers la Juive. Le monde
militaire est comme subjugué par la beauté féminine.
12-13. Récitatif et aria de Vagaus toujours en alternance avec le chœur,
« Si insensible soit-il, si violent soit son glaive » (« Quamvis ferro et ense
gravis  »), accompagné par les cordes. La rencontre se fait attendre et le
désir croît. Vagaus assure Judith que, malgré sa cruauté, le tyran la traitera
avec bonté. L’aria contient ces deux aspects : la fureur (vocalises serrées) et
les épisodes élégiaques.
14.  On assiste à la première entrevue entre Judith et Holopherne
(dialogue en récitatif). Holopherne est d’emblée ébloui par la beauté de
Judith ; la voie est libre. Les mots « lumière » et « soleil » sont répétés ; ils
s’opposeront aux ténèbres de la nuit, porteuse du crime.
15.  Aria de Judith, largo, «  Combien plus noble, /Plus glorieux est le
vainqueur  » («  Quanto magis generosa  ») très plaintive, comme une
supplication ; la voix concerte avec les instruments (viole d’amour, violons
« con piombi », avec sourdines) ; on se rappelle que Vivaldi en 1704 avait
été nommé à la Pietà maître de viola all’inglese). Le violon se fait
incantatoire, avec des passages solistes («  a solo  »). Holopherne se tait.
C’est un très long moment, une prière qui fait penser aux invocations
adressés par les filles du chœur pour la victoire de Corfou. Doublée par la
réalité historique, cette musique est réellement pathétique. Judith flatte la
bonté, la générosité d’Holopherne.
16.  Dialogue en récitatif entre Judith et Holopherne  ; Judith à nouveau
sollicite la vanité de l’ennemi (dans la Bible, la Juive propose au général de
lui expliquer comment pénétrer dans le village de Béthulie). Holopherne
séduit par la beauté de la visiteuse se met du côté du bien. Judith demande
la paix pour Béthulie. Holopherne conquis demande aux «  machines de
guerre » et à tout ce qui a trait à la guerre de se retirer : « Ô tympanus, faites
silence ! » (« O timpani, silete »).
17. Holopherne renvoie les gardes et prie Judith de s’asseoir : « Assieds-
toi ô charmante » (« Sede o cara »), aria accompagnée par les cordes, en ré
majeur, tonalité militaire. Il la convie à un repas, afin de fêter leur amitié.
Le général invoque « ses » dieux, Mars, Apollon. Judith refuse l’invitation
disant qu’elle est habituée au jeûne et à l’austérité (elle est juive et ne
mange que les aliments que sa religion lui autorise). « Je me garderai bien
d’en manger de peur que, pour moi, il n’y ait là une occasion de faute », dit-
elle dans la Bible (Ju 12-2).
Judith demeurera trois jours dans le camp, lit-on dans le Livre de Judith.
Elle sortait de nuit, s’approchait du ravin de Béthulie puis se lavait à la
source où se trouvait le poste de garde. En remontant, elle priait. Une fois
purifiée, elle se tenait dans sa tente jusqu’au moment où on lui apportait sa
nourriture. Ce n’est que le quatrième jour qu’elle accepte enfin de dîner
avec Holopherne, dans sa tente.
18-19. Récitatif puis aria de Judith : « Agitée par le souffle inconstant »
(« Agitata infido flatu ») avec cordes ; une mélodie virtuose – étrange dans
ce moment suspendu – évoque son cœur qui bat, l’imminence de l’acte
criminel. Vivaldi suggère l’oiseau en vol, le vent, la nature changeante
exprimés dans le texte.
20.  Récitatif d’Holopherne qui demande à son serviteur de préparer le
banquet ; le théorbe léger et complice suggère l’affairement pour préparer le
banquet, les bruits de la vaisselle. On sait que plusieurs filles de la Pietà
jouaient très bien du théorbe, un instrument qui, à cette époque-là,
commençait pourtant à disparaître des ensembles instrumentaux.
21. Le chœur (les soldats transformés en serviteurs) alterne avec Vagaus
et son aria « Serviteurs pressez-vous ! » (« O servi volate ») ; l’esprit de la
danse convient pour la préparation du tête-à-tête amoureux entre
Holopherne et la Juive. Le chœur commente l’action à la manière d’un
chœur antique. Il existe une alternative pour cette aria. Vivaldi note sur son
manuscrit : « Per la Sigra Barbara ».
22.  Vagaus invite Abra à participer à la fête. «  Toi aussi servante des
Hébreux » (« Tu quoque hebraica ancilla »).
23.  L’aria de Judith «  Viens, suis-moi fidèle  » («  Veni, veni me squere
fida  »)  ; accompagnée par le chalumeau (un instrument parent de la
clarinette, mais plus limité) et les cordes encore dans un style de danse, en
si bémol majeur, élégiaque. Voix et instrument dialoguent  ; un pacte est
scellé entre les deux femmes. Dans les peintures vénitiennes ayant pour
sujet les banquets bibliques (par exemple Les Noces de Cana et Le Repas
chez Levi de Véronèse), les serviteurs et les musiciens sont aussi présents.
Judith et sa servante Abra forment un couple étrange, équivoque. Judith
dit à Abra : « Je suis sans amant ; mais toi, tu es ma compagne. » Dans la
peinture, Abra est souvent représentée comme une femme laide et vieille.
Elle reste dans l’ombre. Comme Holopherne, elle est du monde de la nuit et
sa présence contraste avec l’aspect angélique de Judith.
24-25-26. Récitatif et aria d’Abra « Que resplendissent tes beaux traits »
(« Fulgeat sul frontis decorae  »)  ; la beauté de Judith semble une vision
céleste.
27. Prière des jeunes filles de Judée que l’on entend « dans le lointain ».
La ville lointaine est sans doute Venise : Vivaldi aime ces effets d’espace ;
les filles qui chantent et jouent dans les tribunes, en haut, dissimulées aux
regards de l’auditoire, sont comme les «  Vierges de Judée  ». Pendant que
Judith et Abra sont dans le camp ennemi, les femmes israélites se retournent
vers Dieu pour invoquer son soutien. Sacré et militaire se confondent. On
pense aux églises de Venise illuminées le mardi soir afin de prier Dieu pour
qu’il accorde la victoire aux Vénitiens  ; aux chœurs féminins dans les
couvents de Venise. L’espoir des gens de Béthulie se place en Judith, tout
comme la population vénitienne place son espérance dans son armée repliée
à Corfou.

Deuxième partie

28-29. Lorsque commence la seconde partie, nous sommes à Béthulie. La


nuit tombe ; le grand prêtre Ozias (dans la Bible, il s’appelle Ioakim) prie
pour le succès de Judith  ; l’aria «  Ô Astres, ô étoiles  » («  O Sydera, o
stellae  ») est composée sur un rythme à la française, qui confère une
certaine solennité au personnage.
Dans le camp ennemi, Holopherne se prépare à une soirée amoureuse  ;
Judith, quant à elle, rassemble ses forces pour le crime qu’elle est venue
accomplir.
30-31.  Holopherne dans sa tente chante pendant que l’obscurité
s’installe : « La nuit obscure et ténébreuse » (« Nox obscura tenebrosa ») ;
il est tout à fait détendu et, à la perspective de sa soirée, se laisse transporter
par la poésie. L’air est doux, la voix et les cordes concertent  ; contraste
entre la nuit ténébreuse que va bientôt éclairer Judith, comme le soleil… Il
la prie de l’excuser pour les mets qui ont été préparés par ses soldats et ne
sont pas dignes de sa beauté.
« Elle se leva, lit-on dans le Livre de Judith, se para de ses vêtements et
de tous ses atours féminins. Sa servante la précéda et étendit par terre vis-à-
vis d’Holopherne la toison que Bagoas avait donnée à Judith pour son usage
journalier afin qu’elle puisse s’y étendre pour manger » (Ju 12-15).
32.  Judith et Holopherne dialoguent en récitatifs  ; les nombreuses
pauses  évoquent les moments de séduction  ; le dialogue amoureux est
équivoque, pour nous qui connaissons la situation et les intentions de
Judith, mais aussi pour les filles de la Pietà qui doivent interpréter le texte et
la musique.
33.  L’aria de Judith «  La vie passe/Les années volent  » («  Transit
aetas/Volant anni ») n’est accompagnée que par la mandoline à la mélodie
légère et par les violons à l’unisson en pizzicato  ; la mandoline est aussi
l’instrument des sérénades amoureuses nocturnes. Judith devient
dominante  ; on passe en ré majeur, une tonalité qui n’avait été employée
que pour Holopherne, homme de guerre. La mandoline pourrait être jouée
par la célèbre violoniste Anna Maria  ; on sait qu’elle jouait de plusieurs
instruments.
34. Holopherne est pressé de jouir : « Je sens le feu de l’amour, et mes
entrailles brûler en moi… » (« Esse ignem sentio amorem, /Si nimis senti o
in me viscera ardere »). – « Tempère la chaleur de ta passion…, répond la
chaste Judith, fuis-en la flamme » (« Tanti caloris aestum/Tempera strenue
Dux, flammas evita »).
35.  Aria d’Holopherne, largo, qui exprime son désir à Judith, avec
l’accompagnement du hautbois et de l’orgue « N’éconduis pas, ô chère,… »
(«  Noli, o cara, te adorantis  »)  ; instruments très doux pour exprimer
l’engourdissement des sens dans la volupté.
36.  Judith demande d’avoir la vie sauve  ; il accepte et voit en elle une
possibilité d’être sauvé. «  En buvant, dit Holopherne, j’espère être sauvé
par toi, Et si tu m’aimes, je serai ton salut.  » («  … bibendo/A te salutem
spero, /Et si tu amabis me, tua salus ero »).
37.  Accompagné par les «  clareni  » (peut-être des clarinettes  ?) et les
cordes, le chœur encourage Holopherne.
38. Holopherne trinque à l’amour, à la paix en une sorte de communion
mystique ; les deux protagonistes boivent le nectar dans des coupes d’or. Le
héros est symboliquement couvert de myrte et de roses (emblèmes de
Vénus et de la Vierge, l’une et l’autre protectrices de Venise). La guerre est
sainte ! Maintenant l’amour se transforme en guerre, tout comme la guerre
oppose le chrétien Renaud à la musulmane Armide, Tancrède à Clorinde.
Holopherne s’endort à table : bref moment de paix et de silence pour ce
soldat dont le destin est maintenant scellé.
39.  L’aria de Judith «  Qu’il vive en paix et que la paix sincère règne  »
(« Vivat in pace, et pax regnet sincera  »), accompagnée par les cordes et
deux flûtes à bec est une sicilienne sur un ton très doux. Des trilles
évoquent les zéphyrs ; c’est une sorte de rêve d’un impossible bonheur et de
paix entre les êtres.
40.  Récitatif de Judith qui invite Abra à la prière  : «  Pendant que dort
notre ennemi/Veillons et prions Dieu » (« Dum dormit inimicus / Piecemur
vere Deum nos vigilantes »).
41. Vagaus entre dans la tente pour enlever les restes du repas. Il chante
en fa majeur «  Ombres chéries, brises adorées  » («  Umbrae carae, aurae
audaratae  ») accompagné par deux flûtes et les cordes. Métaphore de la
nature, telle que Vivaldi en a le secret : flûtes en écho évoquant les oiseaux
et la brise  ; encore des effets d’espace. Innocemment, Vagaus remet son
maître entre les mains de Judith. Celle-ci demande à Abra de monter la
garde.
« Judith fut laissée seule dans la tente, lit-on dans le Livre de Judith, avec
Holopherne effondré sur son lit, noyé dans le vin » (Ju 13-2).
42. Tout en débarrassant la table, Vagaus s’adresse à Judith, « Tu as de la
chance…  » («  Quam fortunata es…  »). Arrive Abra  ; Vagaus la félicite
d’avoir vaincu un militaire aussi puissant. J’abandonne maintenant cet
endroit à ton amour, dit-il : le texte permet d’imaginer facilement la scène et
les déplacements des personnages.
43-44.  Abra instigue sa maîtresse  : c’est le moment d’agir  ! L’aria
« L’enfant qui revient chez lui ! » (« Non ita reducem progeniem noto ») n’a
pas de grande signification textuelle, mais la musique suffit  : la voix est
déterminée, poussée par la soif de vengeance, la mélodie marquée
rythmiquement ; « Et brevis morae » : le temps est compté ! Les femmes ne
doivent pas faiblir. C’est une sorte d’air de bravoure, avec des élans
militaires, des valeurs viriles. L’élégiaque et la bravoure se combattent,
comme s’affrontent, symboliquement, la lumière et les ténèbres.
 
«  Elle s’avança alors vers la traverse du lit proche de la tête
d’Holopherne, en détacha son cimeterre, puis s’approchant de la couche elle
saisit la chevelure de l’homme et dit  : “Rends-moi forte en ce jour,
Seigneur, Dieu d’Israël !” Par deux fois, elle le frappa au cou, de toute sa
force, et détacha sa tête. Elle fit ensuite rouler le corps loin du lit et enleva
la draperie des colonnes. Peu après elle sortit et donna la tête d’Holopherne
à sa servante, qui la mit dans la besace à vivres, et toutes deux sortirent du
camp comme elles avaient l’habitude de le faire pour aller prier. Une fois le
camp traversé, elles contournèrent le ravin, gravirent la pente de Béthulie et
parvinrent aux portes » (Ju 13-6 à 10).
Nous sommes au moment est le plus dramatique de l’oratorio. Il est
entièrement traité en récitatif accompagné, comme avaient aussi été traitées
en récitatif la scène de la grotte dans Ottone  in villa et la folie d’Orlando
dans Orlando furioso. L’être humain, dominé par son destin, vacille, proche
de l’hallucination.
 
44-45. Judith prie, accompagnée par la viola all’inglese.
46.  Aria Larghetto  : «  Dans un sommeil profond  » («  In somno
profondo »). L’allure est lente et lourde, plombée ; la voix se tient dans le
grave, se lamente, distante de son accompagnement qui semble impuissant.
La solitude de la Juive est tragique. Les notes pointées sont comme un
sanglot. Le destin est en marche. Alors qu’elle invoque d’autres héroïnes de
la Bible, Jael et Deborah, le chant se dilate dans un rythme à la française,
ample et solennel. Est-il si aisé d’exercer une telle violence sur un homme
endormi ?
47-48.  Récitatif accompagné. Judith commente ses propres gestes  : elle
décroche l’épée d’Holopherne puis s’approche du lit. Deux mesures de
notes répétées évoquent les deux coups de sabre de la décapitation. Judith
appelle Abra ; elles placent la tête d’Holopherne dans la besace. La musique
se précipite ; les femmes fuient apeurées.
49. Abra chante l’aria avec cordes « Si par toi resplendit… » (« Si fulgida
per te  »), avec les violons et sur un rythme à 12/8 qui contraste avec la
tonalité mineure qui convient à cette scène de meurtre. Au nom du peuple
de Béthulie, la servante félicite Judith pour son courage.
50-53.  L’aube se lève. Ignorant tout, l’eunuque Vagaus, encore
ensommeillé, chante la beauté du ciel ; puis il aperçoit la porte ouverte et la
lumière qui filtre ; il s’avance jusqu’à la tente de son maître et constate peu
à peu l’horreur du spectacle : Holopherne décapité et le sang répandu. C’est
un grand récitatif accompagné, tragique. Puis la colère monte. L’aria en sol
mineur avec les cordes que chante Vagaus est un air de bravoure sur un
rythme presto « Armées de vos torches et de vos serpents » (« Armate, face,
et anguibus »), la barbarie, la violence, la cruauté sont, pour cet être simple
(pur, à sa manière), un scandale !

Le retour de Judith à Béthulie

Judith est de retour à Béthulie. L’horreur a pris fin. Le sacrifice du sang


est achevé. Nous avons changé de camp.
54-55. Place au grand prêtre Ozias qui accueille Judith. Récitatif et aria
emphatique, à la française, accompagné par l’orgue et les cordes. «  Sois
heureuse, fortunée Béthulie » (« Gaude felix Bethulia laetare »).
56.  Le récitatif accompagné qui suit, chanté par Ozias, se réfère
directement à Venise et à la guerre contre les Turcs  ; les filles de la
Pietà peuvent s’identifier dans les « filles de Sion ».
« Aussi par décret éternel, / Je déclare que la Ville de la Mer vénitienne,
/Sera inviolée, /Comme en Asie, contre l’impie tyran Holopherne, /La Cité
Vierge toujours défendue par la grâce de Dieu. /Elle sera une nouvelle
Judith, /Et le Pasteur priera pour son peuple. /Et le fidèle Ozias /Perpétuera
la vraie foi de sa Béthulie. /Allons Vierges de Sion, /Hâtez-vous de célébrer
avec gloire /La victoire espérée. /Et pieusement /Au son des psaltérions,
Applaudissez Judith triomphante. »
55. Le chœur final chante : « Salut, belle et invaincue Judith » (« Salve
invicta Judithas  »), accompagné, comme au début, par les timbales, les
trompettes, les hautbois et les cordes. L’allusion à Venise (Adria, ville de
l’Adriatique) est claire : « Le barbare Thrace ainsi défait, /Que la reine de la
mer triomphe, /Et, le courroux divin ainsi apaisé, /Qu’Adria vive et règne
en paix. »
 
Dans la Bible, le grand prêtre et les anciens d’Israël viennent féliciter
Judith et remercier Dieu pour ses bienfaits. On organise trois mois de
réjouissances populaires. «  Toutes les femmes d’Israël accourues pour la
voir, s’organisèrent en chœur de danse pour la fêter. Judith prit en main des
thyrses et en donna aux femmes qui l’accompagnaient. Judith et ses
compagnes se couronnèrent d’olivier. Puis elle se mit en tête du peuple et
conduisit le chœur des femmes. Tous les hommes d’Israël, en armes et
couronnés, l’accompagnèrent au chant des hymnes. Au milieu de tout
Israël, Judith entonna ce chant d’action de grâces et tout le peuple clama
l’hymne  : “Entonnez un chant à mon Dieu sur les tambourins, chantez le
Seigneur avec les cymbales /Mêlez pour lui le psaume au cantique, /Exaltez
et invoquez son nom/Car le Seigneur est un Dieu briseur de guerres…”  »
(Ju 15-12 à 16).
Judith affranchit sa servante, partagea ses biens entre la famille de son
mari et reprit sa vie chaste et pieuse d’autrefois. Elle aurait vécu jusqu’à
l’âge de cent cinq ans.

Les interprètes de la Juditha triumphans

Les noms des interprètes de la Juditha triumphans, Apollonia (contralto,


Holopherne), Barbara (soprano, Vagaus), Silvia (soprano, Abra), Caterina
(contralto, Juditha) et Giulia (contralto, Ozias) sont notés à la main sur
l’exemplaire d’un livret conservé à Rome.
Apollonia, dite aussi Polonia, était née vers 1700. Elle fut l’une des
meilleures chanteuses de la Pietà. Le flûtiste Johann Joachim Quantz qui
l’entend en 1726 témoigne que, à cette époque, elle est «  une chanteuse
d’une grande voix  ». Selon Joachim Christoph Nemeitz, Apollonia serait,
avec Geltruda, la chanteuse la plus renommée de la Pietà82 ; Carl Ludwig
Poellnitz à son tour confirme qu’elle est l’une des «  premières chanteuses
d’Italie83  ». «  Celle qui remporte le plus d’éloges est la très douce
Apollonia  », lit-on dans le pamphlet manuscrit sur les filles de la Pietà
conservé au musée Correr de Venise. «  À l’écouter chanter dans le genre
pathétique, on fond dans le miel ; elle est si vive ; quelle frénésie ! Elle y
met l’âme et le cœur. Elle a une voix claire de soprano, et elle en joue de
telle sorte que votre cœur se soulève, qu’elle tienne la note, ou qu’elle
vocalise. Elle a un peu plus de trente ans  ; son visage est ingrat, bien
qu’assez expressif ; son teint est olivâtre ; elle est maigre et efflanquée84. »
Apollonia est réputée aussi pour sa nature indisciplinée et rebelle. En 1738,
elle est mise à pied et exclue des filles privilégiées (autorisées à recevoir
des élèves externes), car elle avait attaqué une employée de l’hospice.
Quelques mois plus tard, les députés l’autorisent à réintégrer le chœur, en
raison de son « talent particulier » ; Apollonia avait chanté dans l’oratorio
Moyses de Vivaldi, le rôle secondaire d’un Hébreu. Le nom d’Apollonia
apparaît aussi sur la deuxième partie Et exultavit du Magnificat en sol
mineur (RV 611), daté de 173985, aux côtés de Maria Bolognese, Chiaretta,
Ambrosina et Albetta. Le 21  août 1739, Apollonia deviendra maestra di
coro. On a de ses nouvelles jusque dans les années 1750.
Une «  Barbara  » chante dans des oratorios de Francesco Gasparini,
en 1701 et 1703. Son nom figure dans le guide de Vincenzo Coronelli, en
1706 et en 1713. Une «  Barbara  », chanteuse, est aussi élue, en plus des
douze solistes, en 1707, car, dit-on, elle correspond au profil requis. Était-ce
déjà la même «  Barbara  » qui se produisit aux funérailles du doge
Marc’Antonio Giustiniani, en 1688 ?
«  Silvia  » apparaît également parmi les interprètes des oratorios de
Francesco Gasparini et elle est aussi citée par Vincenzo Coronelli. En 1718,
elle est admise parmi les filles privilégiées.
Les noms de « Caterina » et de « Giulia » figurent le 1er mars 1705 dans
la liste des filles privilégiées, autorisées à chanter les parties solistes. Giulia
était peut-être aussi organiste. Elle deviendra maestra en 1730  ; puis
maestra di coro. Giulia accédera au poste le plus élevé que peut offrir le
chœur à l’une de ses filles : celui de prieure ! Dans le poème satirique déjà
cité, on lit encore : « Je garderai le silence sur Giulia qui fait avec l’orgue
un bruit terrible ; elle regarde la mer mais reste sur le rivage86. » L’auteur
évoque également une certaine «  Giulietta  », «  pure soprano, douce,
humaine, tendre, une voix très agréable, bien qu’elle se plante dans les
trilles ; jeune, petite, douce dans son élocution et dans ses gestes ; un beau
teint, mignonne, une petite bouche et des yeux malicieux87 ».
L’auditoire vénitien est habitué à ce que des femmes chantent à l’opéra,
en travesti, des rôles masculins ; rien de choquant donc à ce que Apollonia
soit dans le rôle du général Holopherne ; rien de surprenant non plus à ce
que Giulia interprète le serviteur eunuque, Ozias. Le chœur est noté en
quatre parties, soprano, alto, ténor, basse  ; les filles transposaient
probablement les parties graves dans un registre plus aigu.
Exécuté à la Pietà en novembre 1716, cet oratorio est à la fois religieux et
civil. Il est le produit d’une fusion entre sacré et profane qui est le
fondement de la sensibilité et de l’art vénitien. La faiblesse féminine unie à
la ferveur de la foi triomphe ici dans la magnificence musicale.

Les couleurs instrumentales : une atmosphère biblique

Cette partition est remarquable par le grand nombre et par la variété des
instruments employés  : deux flûtes à bec, deux hautbois, un chalumeau,
deux clarinettes, deux trompettes, des timbales, une mandoline, quatre
théorbes, une viole d’amour, des violes de gambe, deux clavecins et l’orgue,
avec en plus les deux bassons et le violone, qui produisent un formidable
chatoiement sonore. Elle est la digne héritière de l’ancienne tradition
vénitienne de Saint-Marc. Les filles du chœur étaient en mesure de jouer de
plusieurs instruments, à cordes, à vent et à clavier. Elles employaient tantôt
l’un, tantôt l’autre ; telle Francesca qui, dans l’oratorio de Giacomo Spada,
Santa Maria Egizziaca, chantait aussi merveilleusement qu’elle jouait du
luth et du théorbe.
Francesco Gasparini et Antonio Vivaldi avaient travaillé ensemble
pendant dix ans à enrichir et à perfectionner l’ensemble instrumental de la
Pietà, autant sur le plan de la qualité sonore que sur celui de la diversité des
timbres. On avait acheté de nouveaux instruments de musique, réparé ceux
qui étaient défectueux, nommé d’excellents maîtres de hautbois, de flûte et
de chalumeau. Vivaldi avait enseigné le violon, mais aussi la viole à
l’anglaise que l’on entend ici à plusieurs reprises. Certains de ces
instruments, comme le théorbe et le chalumeau, sont en train de disparaître
des ensembles instrumentaux. Dans cette œuvre, il est évident que Vivaldi
cherche à exploiter ces sonorités étranges pour se référer au monde de la
Bible, de l’Antiquité et du Moyen Orient.
Pour exprimer la liesse des Vénitiens, Vivaldi emploie timbales,
trombones, et trompettes. Les mandolines et les théorbes évoquent les lyres
et les harpes de l’Antiquité. Les sonorités plus douces des chalumeaux, des
flûtes et des hautbois, les violons «  avec sourdine  », ou préparés pour
obtenir des effets de « trombe marine » suggèrent l’Orient et le monde de la
Bible.
La Giuditta de Benedetto Marcello (1710) comprend sept chanteurs
accompagnés par les cordes. Une quinzaine d’années plus tard, dans les
Psaumes de David, Marcello effectuera sa «  réforme  » et supprimera les
instruments, afin, dit-il, de « rendre sa dignité à la musique italienne » et se
montrer fidèles à une époque où, croit-il, les voix n’étaient pas couvertes
par tant d’instruments. Pourtant, dans sa version musicale de l’histoire de
Judith, Vivaldi ne serait-il pas plus près de l’esprit de la musique hébraïque
que ne le pense Marcello ?
Suzanne Haïk Vantura, qui a restitué la musique de la Bible et des
Psaumes88, pense que, dans les synagogues, on lisait sans doute les textes
sacrés en réalisant une simple «  cantilation  ». En revanche, au Temple de
Jérusalem, on jouait une musique de type festif, comme le suggère la fin du
Livre de Judith, et la musique y tenait une place importante. Sous le règne
de David, avant la construction du Temple, les psaumes étaient chantés par
près de trois cents chanteurs qui jouaient de la harpe, de la lyre et des
cymbales, soutenus dans certains textes par cent vingt trompettes. Vingt-
quatre chefs de chant enseignaient sans relâche la musique aux quelque
quatre mille aspirants chantres. Cette splendeur déclina au début de notre
ère. De la Bible, nous ne possédons que la partie chantée. Mais nous savons
que les psaumes étaient accompagnés par les instruments. Dans le Psaume
150, on trouve ces mots : «  Louez Dieu en son sanctuaire… Louez-le par
l’éclat du cor, louez-le par la harpe et la cithare, louez-le par la danse et le
tambour, louez-le par les cordes et les flûtes, louez-le par les cymbales
sonores, louez-le par les cymbales triomphantes  ! Que tout ce qui respire
loue Yahvé  ! Alleluia.  » Il existait aussi, dit Suzanne Haïk Vantura, une
danse cultuelle. Nous avons des témoignages de ces musiques luxuriantes
par exemple lors du transport de l’Arche, ou encore après la sortie de la mer
Rouge. Sous le roi David, la musique sacerdotale était riche  ; la musique
des Lévites était très festive.
Les musiques populaires orientales n’étaient pas ignorées à Venise. Dans
le ghetto vivaient des milliers de Juifs. Dans le quartier de l’Arsenal et de la
Pietà, résidaient d’importantes communautés de Grecs et d’Arméniens, qui
pratiquaient librement leur culte et leurs traditions musicales.
 
Il est probable que le violoniste Johann Georg Pisendel a assisté, en
novembre 1716, à l’exécution de la Juditha triumphans. Peut-être aussi le
prince de Saxe, Friedrich August. Pour ces invités de marque, les
gouverneurs des ospedali font construire de belles salles de musique où
ceux-ci peuvent assister aux concerts des filles, sans être mêlés à
l’auditoire. À la Pietà, les hôtes d’exception montaient au premier étage,
regardaient et écoutaient, sans être vus par l’assistance, depuis les lunettes.
Pénétrer dans un hospice restait toutefois un privilège. Quel que soit son
rang, toute personne qui prétendait assister à un concert en privé devait en
adresser la demande aux députés sur le chœur. On se rappelle par exemple,
durant le rude hiver 1708, la visite de Frédéric IV, roi de Danemark, auquel
Vivaldi dédie, dans la foulée, son recueil de sonates Opus 2. On connaît
aussi la visite du prince et de la princesse de Modène, le 14 mai 1723 ; le
21  janvier 1724, d’un groupe de «  Dames et Cavaliers milanais de Casa
Trivolcio  » ; le 3  septembre 1727, de la comtesse Grimaldi, de Gênes  ; le
15  septembre 1727, du comte Arach. En 1738, Ferdinand Maria, duc de
Bavière, frère de Karl Albrecht, assistera à la Pietà à la sérénade de Vivaldi
intitulée Il Mopso (RV 691 perdue). Le 21 mars 1740, peu avant le départ
de Vivaldi pour Vienne, la Pietà reçoit encore la visite de Friedrich
Christian, prince héritier de Saxe. Aujourd’hui, seule la Sala della Musica,
à l’Ospedaletto (hospice des Derelitti), est conservée.
Après la victoire de Corfou

La victoire de Corfou contre les Turcs était inespérée. Elle est un coup de
théâtre, un véritable miracle ! Ayant repris confiance en eux, les Vénitiens
rentreront à nouveau en possession de plusieurs îles, ainsi que des territoires
en Dalmatie qui leur avaient été enlevés. Le 1er août 1717, Alvise Mocenigo
se rend maître de la forteresse turque d’Imoschi. Le 12  juin 1717, les
Vénitiens sont encore victorieux en mer, près du mont Athos. Andrea Pisani
et sa flotte poursuivent les combats. Le 20  juillet 1718, les Vénitiens
marquent une nouvelle victoire vénitienne dans le golfe de Pagania. Puis les
combats s’arrêtent brusquement ; les différentes parties désirent en finir et
négocier. «  Le 21  juillet 1718, le traité de Passarowitz est signé, écrit
l’historien vénitien Alvise Zorzi. Venise conserve les dernières conquêtes
de l’Epire et des confins de l’Herzégovine et obtient enfin d’être traitée sur
un pied d’égalité avec les concurrents “ponantais”, en ce qui concerne les
tarifs douaniers ottomans. Mais elle dit adieu à l’éphémère royaume de
Morée, et aux dernières bases en mer Égée et en Crète. Il est vrai qu’il lui
reste les îles de Cythère et d’Anticythère, mais à quoi peuvent bien lui
servir ces deux îlots en terrasse sur la route de Candie, maintenant que
Candie est à jamais entre les mains du Turc  ? En tant que puissance
méditerranéenne, en tant que puissance coloniale, Venise a cessé d’exister.
La possession des îles Ioniennes n’est qu’un reste symbolique de l’antique
empire maritime89. »
Dans l’Adriatique croisent des navires internationaux  ; les ports
d’Ancône et de Trieste prennent de plus en plus d’importance au détriment
d’une Venise désormais contrainte à l’immobilisme.
Les Vénitiens ont fêté la victoire de Corfou. Le monstre a perdu sa tête.
Mais, en ce début du xviiie siècle, la vraie décapitée n’est-elle pas Venise ?
La porte d’entrée de l’Arsenal par terre raconte les espoirs et les luttes
épuisantes des Vénitiens contre les Turcs. Le portail monumental en forme
d’arc de triomphe, d’inspiration classique, avait été construit en 1460.
Après la victoire de Lépante, en 1571, il devint un monument
commémoratif, décoré de victoires ailées. En 1682, on construisit devant le
portail la terrasse entourée d’une grille et ornée de huit statues allégoriques.
En 1687, on ajouta les deux lions que Francesco Morosini avait envoyés
d’Athènes, comme butin de guerre après la reprise de la Morée
(Péloponnèse). On pense que le lion assis sur ses pattes postérieures servait
de fontaine dans le port du Pirée (les deux autres lions étaient déjà à
Venise).
Pour fêter la reconquête de la Morée, en 1693, on avait fixé sur la place,
devant l’entrée, le pilonne, ainsi que les grandes portes en bronze. Après la
victoire de Corfou, on ajouta le lion du milieu qui date du vie siècle avant
Jésus-Christ (la tête fut ajoutée plus tard) ; il provient de l’île de Délos où,
avec d’autres lions en marbre, il décorait la balustrade d’une terrasse. Après
la victoire de Corfou, dans la cour intérieure, on érigea le monument en
l’honneur du général comte de Schulenburg, qui avait commandé la flotte
des alliés à Corfou, ainsi que le mausolée dédié au général Königsmark qui
commanda les troupes de débarquement dirigées par Francesco Morosini en
1687 durant la conquête de la Morée. Tous deux avaient perdu la vie
pendant ces batailles.
La porte d’entrée de l’Arsenal par terre est l’un des seuls monuments
restés intacts. Elle fut conservée jusqu’à nous telle que Vivaldi la vit et telle
qu’il la vit se transformer, au fil des dernières défaites et des ultimes et
vaines victoires de la Sérénissime contre les Turcs.
12

 Johann Georg Pisendel

 De Dresde à Venise

 (1716-1717)

Les Vénitiens et leurs alliés venaient de remporter une bataille


contre l’armée ottomane. La victoire de Corfou, en août 1716,
représente un événement exceptionnel. Pendant quelques mois,
Venise va retrouver son prestige d’antan. Les théâtres d’opéra et de
comédie, les bals, les fêtes mondaines et populaires battront leur
plein et la ville « triomphante » fourmillera, plus encore que de
coutume, de visiteurs étrangers, d’illustres personnalités
descendues sur la lagune pour jouir des loisirs offerts sans
discontinuer par carnaval.
Début janvier 1717, le chroniqueur de Pallade Veneta note avec
satisfaction que les hôtes de marque ne cessent d’affluer à Venise :
un neveu du roi de Prusse, le prince de Hesse-Cassel ; Philipp de
Hesse-Darmstadt (un agent de l’Empire des Habsbourg qui, depuis
fin décembre 1714, gouverne le duché de Mantoue). Puis on
signale l’arrivée d’Antonio Ferdinando Gonzaga, duc de Guastalla
(qui épousera en 1727 Maria Teodora, la fille de Philipp de Hesse-
Darmstadt). Le frère d’Antonio Ferdinando, Giuseppe Maria
Gonzaga, avait été le dédicataire du livret du Rodomonte sdegnato,
représenté sous la direction de Vivaldi au théâtre Sant’Angelo, en
1714 ; sa sœur, Eleonora di Guastalla, sera bientôt fiancée avec
Philipp lui-même ; c’est à elle que sera dédié l’opéra Tito Manlio,
créé par Vivaldi à Mantoue, en janvier 1719. Sans quitter Venise,
cette saison-là, Antonio Vivaldi tisse un réseau de contacts
précieux avec d’éminentes personnalités politiques sur lesquelles il
s’appuiera, les années suivantes, pour développer sa carrière au
niveau international.
Le Prince Électeur de Bavière, Karl Albrecht, a quitté Venise
depuis mars 1716. Mais Friedrich August de Saxe, arrivé depuis
février 1716, est encore là jusqu’à l’été. Il n’est pas seulement un
amant de la musique, de l’art, mais aussi un amateur de voluptés
charnelles… et Venise, ville de la galanterie amoureuse, lui offre de
quoi se divertir, tant auprès des plus grandes dames de la noblesse
locale que des célèbres courtisanes de la ville. Dans plusieurs de
ses écrits, le baron Karl Ludwig von Pöllnitz étale les multiples
aventures amoureuses du prince de Saxe durant ses séjours à
l’étranger : « Venise et Rome ayant été de tout temps les villes les
plus célèbres, écrit-il, et pour la politique et pour la galanterie, ce
furent les deux villes où le prince fit le plus de séjours. Le sénat de
Venise se relâchant, pour lui faire honneur, de la sévère loi qui
interdit aux nobles de pratiquer les étrangers, leur permit de le voir.
Il nomma trois nobles pour servir le prince, et lui faire voir les
curiosités de Venise. […] Chaque noble en particulier s’empressait
de régaler le prince de Saxe. C’étaient tous les jours bals, festins,
concerts, promenades et autres plaisirs : ce qui, joint à la cérémonie
des épousailles de la mer, qui se fit peu de temps avant l’arrivée du
prince à Venise, y attirait un concours prodigieux d’étrangers.
Jamais Venise ne fut plus brillante90. »
Ces « VIP » demandent de la discrétion au gouvernement de
Venise ; ils veulent rester incognito ! Sous le couvert du masque, ils
se rencontrent, mènent de secrètes alliances politiques. Aucun
d’entre eux ne s’abstient de « jouir des plaisirs du carnaval qui a
commencé lundi matin » (lit-on dans Pallade Veneta). « La ville
grouille de gens masqués, encouragés par le beau temps91. » Les
deux théâtres d’opéra, San Giovanni Grisostomo et Sant’Angelo,
ainsi que les trois théâtres de comédie ne désemplissent pas. Tous
« suivent avec assiduité les spectacles que proposent les théâtres et
autres attractions carnavalesques, avec une satisfaction
manifeste92 ».
Quelle saison et quel public pour Vivaldi ! Entre octobre 1716 et
janvier 1717, entre théâtre et Pietà, le Prete rosso remporte, à
quelques semaines de distance, trois triomphes avec l’Arsilda, la
Juditha, puis L’Incoronazione di Dario. Succès gagnés toutefois au
prix de tensions surmontées et de péripéties auxquelles le musicien
doit faire face avec promptitude, intelligence et talent.

Arsilda, Regina di Ponto, Venise, janvier 1717 (RV 700)

Les premières complications étaient apparues en 1715, quand le livret de


l’Arsilda, Regina di Ponto (RV 700), écrit par Domenico Lalli, se trouva
refusé par la censure. Remanié contre son gré par l’auteur (qui, dès lors,
contesta la paternité du texte), l’opéra fut présenté au public à la saison
d’automne 1716. L’auditoire se montra enchanté, ce dont témoignent les
chroniques.
Le mois suivant, en novembre, peu de temps après que les filles de la
Pietà eurent exécuté La Juditha triumphans, la cantatrice vénitienne
Elisabetta Denzio (qui avait chanté dans l’Orlando furioso de Ristori, dans
l’Orlando finto pazzo de Vivaldi ainsi que dans le pastiche Nerone fatto
Cesare et qui alors se produisait au théâtre Sans Moisè) meurt brutalement,
à l’âge de vingt et un ans. Le 28  novembre exactement, à la fin de la
représentation, elle avait été saisie de convulsions ; elle mourut dans la nuit.
Elle aurait été empoisonnée par les parents de son fiancé, peu satisfaits de
voir leur fils fréquenter une chanteuse d’opéra93 !
Puis c’est l’opéra Penelope la casta de Fortunato Chelleri, représenté au
théâtre Sant’Angelo aussitôt après les fêtes de Noël, qui subit de graves
aléas. Le chanteur Pietro Ramponi s’était engagé à gérer le Sant’Angelo
pour la saison d’hiver 1716-1717, tandis que Pietro Denzio et surtout
Giovanni Orsato dirigeaient le San Moisè. Autant dire un groupe d’amis,
dont Antonio Vivaldi forme le pivot central. Le 28  décembre, alors que
l’opéra venait tout juste de commencer, un litige éclate ; Chelleri quitte le
théâtre Sant’Angelo en emportant sa partition. Ramponi le dénonce aux
juges. Le 31  décembre, un employé du Conseil des Dix se présente au
théâtre et ordonne aux chanteurs de continuer les représentations, coûte que
coûte  : toutes les rentrées du théâtre seront séquestrées au profit des
créditeurs. Comment en effet envisager de fermer un théâtre d’opéra quand
tant de visiteurs illustres sont à Venise dans l’unique but de se divertir ? Le
5  janvier, un magistrat intime à Fortunato Chelleri de remettre à Pietro
Ramponi la partition qui lui sera restituée à la fin des représentations ; car
« il est hors de question que l’opéra subisse un échec à cause de lui et que le
théâtre soit fermé94  ». Le 12  janvier, sur la demande pressante des
chanteurs et du scénographe Antonio Mauro, le Conseil des Dix confisque
la caisse du théâtre. Au pauvre Pietro Ramponi, il ne reste que l’argent
nécessaire pour financer les lumières, les ouvriers que l’on paie à la journée
et pour préparer l’opéra de Vivaldi qui va suivre, L’Incoronazione di Dario.
Au cours de cette altercation, quelqu’un tente même d’assassiner Chelleri.
La Penelope est finalement suspendue. Vivaldi n’a pas encore terminé la
partition de L’Incoronazione di Dario et les interprètes ne sont pas prêts. Il
reste une seule solution  : reprendre l’Arsilda, en effectuant rapidement
quelques adaptations !
L’affaire, qui agite la saison du carnaval 1716-1717, est relatée dans un
poème satirique manuscrit, découvert dans les archives vénitiennes par Don
Gastone Vio. «  Le Prete Rosso se prépare à mettre en scène le troisième
opéra, bien qu’il soit peu probable qu’il pourra en tirer assez d’argent pour
un seul repas. Mais c’est un grand virtuose et son archet est un
enchantement  ; en quelques heures, il est capable de subjuguer tout le
monde. Et voilà qu’on va reprendre l’opéra passé. Qui sait s’il ne
ressemblera pas à un plat réchauffé95 ? »
Autre incident qui vient troubler le cours des représentations de l’opéra
de Vivaldi dont le journal Pallade se fait l’écho : « L’un des derniers soirs
du carnaval, un homme qui sortait du théâtre Sant’Angelo fut assailli par un
individu masqué qui lui porta un coup de couteau au visage ; plus qu’une
simple balafre, ce fut un coup mortel ! Personne ne connaît le motif d’une
telle agression96. »
Le manuscrit autographe de l’opéra Arsilda Regina di Ponto, conservé
avec sa copie à Turin97, reflète, nous l’avions vu à propos de la saison
d’automne 1716, les multiples rebondissements rencontrés par cet opéra qui
n’en connut pas moins un grand succès dans le public vénitien, ainsi
qu’auprès des hôtes de prestige présents à Venise.

L’Incoronazione di Dario, Venise, janvier 1717 (RV 719)

Enfin, on annonce le nouvel opéra de Vivaldi  ! « Ce soir, au théâtre de


S. Angelo on donnera un nouveau drame intitulé la Coronation di Dario [le
couronnement de Darius] ; par toutes ces belles journées que nous avons, on
voit quantité de masques et nombre de costumes98  », lit-on dans un
document des Inquisiteurs d’État, à la date du 23 janvier. Une fois encore, il
n’est fait aucune mention du nom du compositeur !
Le livret de L’Incoronazione di Dario (RV 719)99 est dédié à Antonio
Ferdinando Gonzaga, hôte d’honneur de la Sérénissime. Le texte avait été
écrit en 1684 par Adriano Morselli, sans doute revu (comme ceux d’Arsilda
et de Penelope) par Domenico Lalli. Les trois opéras ont des chanteurs
communs  : les Vénitiens Angelo Zannoni et Antonia Pellizari, spécialisée
dans des rôles masculins ; les Bolonais (frère et sœur ?)100, Annibale Pio
Fabri et Anna Maria Fabri ; Anna Vicenza Dotti ; la Milanaise Maria Teresa
Cotte. Quant à la musique, elle est «  du célèbre compositeur de musique,
Monsieur D. Antonio Vivaldi ».
Voici le sujet  : après la mort de Cyrus, roi de Perse, trois hommes
(Darius, Oronte et Arpago) entrent en compétition pour le trône. Celui qui
sera couronné devra épouser l’une des deux filles du défunt, Statira, une
jeune femme naïve et facile à manipuler dont Darius est amoureux. La sœur
de Statira, Argene, aime Darius ; elle va mettre tout en œuvre pour écarter
sa sœur de l’homme qu’elle convoite. Une fois encore, l’opéra présente
deux caractères de femmes : l’une tendre et vulnérable, l’autre calculatrice
et prétentieuse.
Le protagoniste, Darius, est un jeune prince amoureux. L’atmosphère est
à la galanterie ; les couples se font et se défont ; les quiproquos amoureux
occupent la plupart du drame. Comme dans l’Ottone in villa, la grande
Histoire se transforme en comédie. Nous sommes à la limite de la parodie ;
rien de la grandeur et du classicisme cultivés par Pietro Metastasio !
 
Le rideau se lève sur les chambres du palais où dorment Statira et
Argene. L’ombre de Cyrus apparaît, enveloppée dans un nuage  ; le père
conseille à ses filles de terminer leur deuil et de penser au mariage : ample
récitatif accompagné par les violons formant des accords (Figlie, tergete i
lumi).
La scénographie de L’Incoronazione est, comme celle de l’Arsilda,
réalisée par «  Bernardo Canale et ses fils  ». Des éléments de décors sont
sans doute réutilisés d’un spectacle à l’autre. Arsilda évoquait la Grèce,
avec des colonnades, des bustes et des statues de dieux païens, des
appartements royaux, des jardins raffinés. Avec L’Incoronazione, nous
sommes transplantés à la cour de Perse. Les extérieurs évoquent le monde
du pouvoir ; les intérieurs suggèrent la vie intime des puissants. L’exotisme
a sa part ; par exemple la « place où les Perses se réunissent pour adorer le
soleil, avec des pavillons dispersés » (II, 6), mêlés à des éléments rocaille et
rococo propres au baroque tardif. Un goût que l’on retrouve à la même
époque dans les arts décoratifs (tentures de soie, laques, chinoiseries,
mobilier délicat, porcelaine…), ainsi que dans la peinture.
Les éléments chers à Domenico Lalli nous sont familiers : des sentiments
amoureux avoués aux partenaires par des moyens détournés, des jeux de
lettres  ; au second acte, la jeune Argene, fille de Cyrus, sœur et rivale de
Statira, qui n’ose révéler son amour à Darius, prétend qu’elle est trop émue
pour écrire et fait semblant de dicter une lettre destinée à son amant. Autre
situation que l’on retrouvera plusieurs fois dans les opéras de Vivaldi, une
jeune fille innocente, enchaînée, est offerte en proie à un monstre. Au
troisième acte, Statira est amenée par Niceno dans les bois et laissée là afin
d’être dévorée par les fauves. Darius intervient, brise les liens de l’héroïne.
Suit un duo amoureux entre les jeunes gens. Tout est bien. Darius peut
épouser Statira. Il est couronné roi des Perses sous les acclamations de son
peuple.
 
La partition autographe de L’Incoronazione di Dario, conservée à
Turin101, présente de nombreuses corrections qui révèlent à la fois
l’urgence dans laquelle se trouvait le compositeur, la bousculade, et le
travail de révision effectué par Domenico Lalli sur l’ancien livret. Quatre
arias ont été ajoutées dans la partition, qui n’existaient pas dans le livret.
Vivaldi n’emprunte que quelques éléments à ses opéras antérieurs. Deux
arias viennent d’Arsilda  : l’air de tempête «  Quale all’onte de’ venti sul
monte » (Niceno, I, 16) et « Io son quel gelsomino » (Alinda, II, 12) ; une
autre provient d’Orlando furioso, présente dans la version donnée à
Hambourg (février  1722), «  Amorosa la mia speme  » (Alinda, III,  5). Un
manuscrit de la Sinfonia d’ouverture se trouve aussi à Vienne, dans la
collection Este102  ; deux autres copies sont conservées à Dresde  : la
première, transcrite par Pisendel103.
Dans cet opéra, Vivaldi écrit plusieurs arias convenues, qui respectent en
tout point l’esthétique de l’époque. Par exemple l’air de bravoure
accompagné par les hautbois et les cordes «  Fermo scoglio in mezzo al
mare » (Argene, II, 3), qui évoque la tempête en mer et l’errance parmi les
rochers ; l’aria chantée par Statira, « Sentirò fra ramo et ramo » (III, 2) avec
le violon et le violoncelle jouant l’un et l’autre en solistes, aria typique chez
Vivaldi, suggérant la nature ; une aria ajoutée peut-être au dernier moment,
car le texte ne figure pas dans la première version du livret.
Vivaldi prend soin de composer des arias appropriées à la voix et à la
personnalité de chacun des chanteurs, compensant les faiblesses de certains
par des effets théâtraux, ou des instruments concertants qui monopolisent
l’attention de l’auditoire. Au vieux philosophe Niceno, il donne par
exemple l’aria de tempête «  Quale all’onte/De venti su’l monte  »,
empruntée à l’Arsilda, avec deux hautbois concertants, ainsi que «  Non
lusinghi il core amante » (II, 7), une belle aria avec un basson concertant.
On peut s’étonner que Flora, la confidente des deux princesses, reçoive un
air de bravoure (I, 7) – s’agit-il de caractériser une femme assez âgée ? c’est
ainsi qu’apparaît Abra, la servante de Judith, sur plusieurs tableaux… Dans
«  Affetti del cor mio  » (I,  15), Argene chante une aria dite en «  ottava
rima », écrite à la manière des maîtres du siècle précédent, employant des
fragments thématiques qui seront repris dans le premier mouvement du
concerto La Primavera (RV 269), publié dans l’Opus 8.
Le moment le plus beau de l’opéra, situé au premier acte, est entièrement
réservé à Statira. La scène se tient dans l’appartement du philosophe
Niceno, gardien des deux jeunes filles, un homme mûr et grave, entouré de
«  globes, livres, instruments de chimie, mathématiques et musique  ». Le
dialogue est pris sur le ton de la comédie  : Niceno, tombé amoureux de
Statira, offre à la jeune fille la musique d’une chanson qu’il a composée
pour elle afin de lui exprimer son affection et sa souffrance (récitatif). Il
joue (« Qui suona  ») pour l’accompagner (on entend le clavecin) pendant
qu’elle chante  ; la voix de Statira (fa majeur, allegro) est accompagnée à
l’unisson («  colla parte  ») par le violon seul, et soutenue par la basse
continue («  Godi pur de’ tuoi diletti  »)  ; puis Statira lit en chantant,
lentement, la chanson de Niceno : d’abord « chantée sur scène » (« Cantata
in scena  »), «  Ardo tacito amante  » avec la viola all’inglese  ; après une
cadence improvisée (mais non écrite) jouée par la viola («  cadenza con
Viola all’inglese »), elle poursuit (largo) « L’adorar beltà che piace », une
« aria breve », c’est-à-dire sans da capo. Un duo se forme ici entre la voix
de Statira et le son de l’instrument concertant, de registre assez grave (clé
d’ut4), qui semble exprimer les émotions qui agitent Niceno. Statira termine
cette scène par une aria «  L’occhio, il labro, il seno  » (allegro)
accompagnée par les cordes.

Soliste à l’opéra

On sait que Vivaldi jouait en soliste au théâtre. Exécutait-il seulement


l’un de ses concertos, entre un acte et l’autre, ou bien accompagnait-il aussi,
à certains moments, les chanteurs ? Dans ce long moment réservé à Statira,
a-t-il lui-même accompagné Anna Dotti, «  sur scène  »  : dans la première
partie avec le violon, puis, dans la seconde partie, avec la la viola
all’inglese (comme il aurait pu le faire aussi, à Vicence, avec son père, dans
la scène de la grotte d’Ottone in villa)  ? Nous conservons un précieux et
rare témoignage, daté d’avril 1717, c’est-à-dire trois mois seulement après
L’Incoronazione di Dario. L’Accademia Filarmonica de Bologne avait
invité le Vénitien à composer une pièce pour la fête de saint Antoine de
Padoue. Il semble qu’il n’ait jamais écrit l’œuvre commandée, mais Vivaldi
se rendit quand même à Bologne. Sur la route du retour, ayant fait escale à
Cento, une petite ville située à une vingtaine de kilomètres de Ferrare et de
Bologne, Vivaldi aurait improvisé un concert et joué de cet instrument  :
«  Ce jour-là (25  avril), écrit l’auteur du récit, nous eûmes une chance
exceptionnelle. L’un des premiers violonistes de Venise nommé D. Antonio
Vivaldi, très célèbre compositeur et virtuose, autant de violon que d’une
sorte de viola pourvue de douze cordes dite viole d’amour, était de passage.
Il avait décidé d’aller jouer aux Vêpres dans l’église dont nous avons parlé.
La foule se pressait jusqu’au milieu de la rue. Le soir, il y eut encore trois
magnifiques sinfonie jouées à l’Académie qui eut lieu dans le salon de la
Casa Cremonesi. De ma vie, je n’ai entendu de musique aussi exquise.  »
L’auteur de ces lignes signale que Vivaldi introduisit à l’hospice de la Pietà
la viole à douze cordes. On sait que la célèbre Anna Maria, ainsi que
Chiaretta en furent des interprètes expertes104.

Johann Georg Pisendel à Venise (1716-1717)

À moins que le violoniste allemand Johann Georg Pisendel, qui était à


Venise, ait pris la place du premier violon ? Johann Adam Hiller rapporte
(sans avoir été lui-même témoin de la scène) qu’un soir à Venise, pendant
un opéra, l’Électeur de Saxe avait demandé à Pisendel de jouer entre les
actes de l’opéra. Celui-ci, affirme Hiller, « exécuta une œuvre de Vivaldi en
fa majeur qui commence par un unisson des cors de chasse ». Les musiciens
du théâtre auraient mis le violoniste allemand à l’épreuve en accélérant le
tempo au moment même où Pisendel jouait un long passage soliste très
difficile techniquement. Sans se laisser impressionner, Pisendel se mit à
frapper du pied, afin de maintenir le tempo initial, tout en démontrant leur
incorrection aux musiciens du théâtre. À la fin de la prestation, « le prince
se montra ravi105 ».
On a suggéré (sans toutefois en avoir de certitude) que Pisendel aurait
joué le concerto en fa majeur RV 571 (pour violon solo, deux hautbois,
deux cors, basson, cordes et basse continue). Cela reste une supposition.
D’ailleurs, pourquoi Pisendel n’aurait-il pas joué, devant son prince qui le
lui demandait, l’un de ses propres concertos106 ?
Malgré son caractère sentimental, sa tournure comique, la partition de
L’Incoronazione di Dario n’est pas dépourvue d’épisodes militaires. Un
combat entre la milice et la population donne lieu à une « Sinfonia pour le
combat  » (I,  9), en ré majeur avec cordes et trompettes. Ces scènes de
batailles, généralement dirigées par un maître d’armes, sont très prisées par
le public. Au début du troisième acte, alors que le rideau s’ouvre sur une
« Cour avec deux escaliers qui montent au palais », on entend une Sinfonia
avec deux trompettes et les cordes. Arpago et Oronte apparaissent en scène
couronnés, découvrant avec dépit qu’ils sont tous deux fiancés à Statira ; ici
le librettiste et le compositeur jouent sur le comique produit par le contraste
entre la musique pompeuse et la situation burlesque. À la fin, lorsqu’il est
l’heure de couronner Darius, roi des Perses, le peuple s’écrie « Viva, Viva »,
accompagné par les trompettes, renouvelant les sonneries triomphales de la
Juditha triumphans, ainsi que, probablement, les acclamations des
Vénitiens, pendant les exécutions du Te Deum, à Saint-Marc, fêtant la
victoire de Corfou.
Après la première de l’opéra, toujours en omettant le nom de Vivaldi, le
chroniqueur de Pallade Veneta note  : «  Samedi dernier au théâtre de
Sant’Angelo on a commencé à représenter avec magnificence le nouvel
opéra L’Incoronazione di Dario qui reçut des applaudissements107.  »
Malgré son succès, L’Incoronazione di Dario ne connut pas de reprise.
Quelques jours plus tard, alors que le carnaval touche à sa fin, on lit encore,
dans le même journal : « Mardi soir au théâtre San Giovanni Grisostomo il
y eut une très brillante fête de bal à laquelle participèrent, outre le Prince
Électeur de Saxe, tous les autres princes étrangers et éminents cavaliers,
pour leur plus grand plaisir108. »
La présence du prince de Saxe à Venise et celle des musiciens allemands
de sa cour constituèrent un grand stimulant pour Antonio Vivaldi. On
suggère que le Prêtre roux aurait composé quelques-uns de ses premiers
concertos de chambre (pour un petit groupe de musiciens) pendant le séjour
de ces musiciens allemands, dans les années 1716-1717109. Le concerto
RV 455, pour hautbois, cordes et basse continue, dont le manuscrit porte la
mention «  p Sasa  » (per Sassonia), aurait été composé à l’intention de
Johann Christian Richter, ainsi que plusieurs autres œuvres pour hautbois,
telle la Sonata per oboe solo (RV 53)110.
Johann Georg Pisendel a vingt-neuf ans quand il effectue son premier
séjour à Venise, en avril 1716. Avec lui se trouvent le compositeur Christian
Petzold, et le hautbois Johann Christian Richter. On hésite à dire si le
compositeur et joueur de contrebasse Jan Dismas Zelenka a rejoint le
groupe pendant quelque temps ou bien si son séjour à Venise s’est effectué
à une autre date.
Depuis 1712, Pisendel était employé comme violoniste dans l’orchestre
prestigieux de la cour de Dresde. Là, il côtoie Johann David Heinichen, Jan
Dismas Zelenka dont il est l’ami, ainsi que le flûtiste Johann Joachim
Quantz. Pisendel fait en tout deux séjours à Venise. En 1716, il est avec son
patron, l’Électeur de Saxe. Puis il s’éloigne de Venise pendant quelques
mois, visite plusieurs villes d’Italie, Rome et Naples, et revient sur la lagune
en automne 1717.
Pisendel n’était pas le premier musicien allemand qui entra en contact
avec le Prêtre roux. Le compositeur Johann David Heinichen était arrivé à
Venise à la fin de 1710 et avait composé deux opéras pour le Sant’Angelo.
On sait que Heinichen avait rendu visite aux ospedali en compagnie du
théoricien et compositeur Gottfried Heinrich Stölzel. Celui-ci séjourne à
Venise et étudie avec Vivaldi dans la première moitié de l’année 1714.
Avant son voyage en Italie, Stölzel avait été maître de chapelle à Breslau.
Plus tard, il dirigera l’opéra italien à la cour de Gera et de Saxe-Gotha. On
ne sait quelles furent les relations entre Jan Dismas Zelenka et Vivaldi, mais
Zelenka est entré en possession de manuscrits musicaux du Prêtre roux,
aujourd’hui conservés à Dresde111. Parmi les élèves germaniques de
Vivaldi, il faut citer encore Daniel Gottlob Treu, de Stuttgart, que son
mécène le duc Eberhard Ludwig de Würtemberg avait envoyé à Venise en
1716 étudier avec Antonio Vivaldi et Antonio Biffi. Il italianise son nom en
Daniel Teofilo Fedele et fréquente la noblesse vénitienne. Après ce séjour
en Italie, Treu sera directeur de l’opéra italien à Breslau. Autant de
visiteurs, de musiciens amateurs et professionnels allemands qui diffuseront
en Europe centrale la gloire et les œuvres de Vivaldi.
Johann Georg Pisendel entretient avec Vivaldi une relation intense et
durable. À Venise, le violoniste allemand ne perfectionne pas seulement sa
technique violonistique avec le Prêtre roux. Une véritable amitié, fondée sur
l’estime réciproque, se noue entre les deux hommes. À Venise, Pisendel
joue les œuvres de Vivaldi, note des cadences, observe sa technique,
transcrit un grand nombre de ses sonates et de ses concertos, dont il
remporte ensuite les manuscrits à Dresde. Au contact de Pisendel, le style
de Vivaldi devient plus virtuose, plus libre, plus « extravagant », comme si
l’ornementation improvisée s’était intégrée à la ligne mélodique. Dans ses
écrits, Hiller relate une autre anecdote amusante concernant Vivaldi et
Pisendel. Alors qu’il marchait place Saint-Marc aux côtés de son ami,
«  Herr Pisendel  », Vivaldi remarqua que quatre policiers les suivaient. Il
invita Pisendel à venir se réfugier chez lui, et de ne plus bouger jusqu’à ce
qu’il connaisse la raison de cette filature. Vivaldi se présente chez les
Inquisiteurs où il se voit rétorquer qu’il s’agissait d’une simple erreur.
L’étranger avait seulement été confondu avec une autre personne
recherchée112…
À Venise, Pisendel transcrit plusieurs œuvres de Vivaldi. Par exemple la
Sinfonia de l’Arsilda aujourd’hui conservée dans le fonds de Dresde, ainsi
que celle de L’Incoronazione di Dario113. Il copie aussi trois des concertos
publiés dans l’Opus 4114.

Le fonds « Vivaldi » conservé à Dresde

Il s’agit du fonds le plus important en Europe, après celui de Turin. On


peut dire que, sans les transcriptions réalisées par Pisendel et par Johann
Joachim Quantz, ainsi que quelques autres pièces provenant de la collection
personnelle de Zelenka, un grand nombre d’œuvres instrumentales non
publiées de Vivaldi seraient aujourd’hui perdues.
Parmi les manuscrits de Vivaldi conservés à Dresde, plusieurs portent des
dédicaces à Pisendel115  : sur certains manuscrits, celui-ci a apporté des
modifications, ajoutant souvent des instruments à vent, hautbois, flûtes,
cors, bassons afin d’adapter ces œuvres à l’ensemble instrumental de
Dresde116. Les œuvres de Vivaldi dont nous conservons plusieurs
exemplaires montrent parfois des divergences entre une version et l’autre.
Par exemple, dans le concerto pour violon RV 314, conservé autographe à
Turin et sous forme de copie transcrite par Pisendel à Dresde  : dans
l’autographe117, la ligne mélodique du mouvement lent apparaît tout à fait
dépouillée, alors que dans la copie de Pisendel118, une ornementation
semble avoir été intégrée à la partie de violon. Le concerto à deux
«  chœurs  » RV 582 «  Per la Santissima Assontione di Maria Vergine  »
existe lui aussi en trois versions  : un autographe à Turin119, une copie à
Dresde de la main de Pisendel120 ; une partie de violon conservée dans le
cahier d’Anna Maria, dans le fonds «  Esposti  » au Conservatoire de
Venise121 (le manuscrit vénitien porte le titre « Concerto A Due Cori Per
la Siga Anna Maria D. Vivaldi »). Le manuscrit autographe du concerto RV
340 est aussi à Dresde et dédié à Pisendel122  ; dans le troisième
mouvement, la cadence est entièrement écrite par Vivaldi, détail rare et
précieux à une époque où les musiciens et les chanteurs d’opéra
improvisaient et exécutaient des cadences de leur propre crû. Vivaldi a noté
quatre fois les chiffrages « 7-6 » ; à cet endroit, les musiciens réalisant le
continuo devaient exécuter une progression de septièmes se résolvant sur
une sixte ; au-dessus de la portée, le compositeur a noté : « Per li Coglioni »
(pour les couillons)  : une indication injurieuse qui, bien sûr, précise-t-il,
n’est pas adressée à un musicien aussi savant que l’est Pisendel !
On suppose que Vivaldi a continué à fournir des œuvres pour l’ensemble
instrumental de la cour de Dresde, même après que le petit groupe eut quitté
Venise. On cite surtout les deux magnifiques concertos en sol mineur : RV
576 (pour violon et hautbois principal, deux autres hautbois et deux flûtes
droites), qui porte la note  : «  p(er) S(ua) A(ltezza) R(eale) Ch
Sas(soni)a  »123. Avec son instrumentation tout à fait inhabituelle, cette
œuvre aurait peut-être été destinée à une soirée turque, à Dresde124. Sur le
manuscrit autographe du concerto RV 577 (violon principal, deux hautbois,
deux flûtes et basson), il est noté « Per l’Orchestra di Dresda »125.
Dresde sera l’une des villes les plus importantes à partir de laquelle
l’œuvre instrumentale de Vivaldi sera diffusée dans les différentes régions
d’Allemagne et d’Europe centrale, et le violoniste Johann Georg Pisendel
jouera un rôle fondamental dans la propagation internationale de la
notoriété du compositeur vénitien.

Tieteberga, Venise, octobre 1717 (RV 737)

Le 16  octobre 1717, le petit théâtre de Giustiniani dirigé par Giovanni


Orsato, lance sa saison d’automne avec Tieteberga (RV 737)126. «  La
musique est du toujours célèbre Mr D.  Antonio Vivaldi  », lit-on sur le
frontispice du livret. On possède une version du livret d’Antonio Maria
Lucchini avec neuf « arias ajoutées ».
L’univers de Tieteberga n’est pas celui de la grandeur grecque et
romaine, familière au public vénitien  ; nous sommes loin aussi de
l’exotisme de la Perse. Le drame plonge le spectateur dans l’atmosphère
plus étrange et plus impénétrable du monde carolingien. Le roi Lothar
d’Austrasia (une région plus tard appelée Lotharingie) veut répudier sa
femme Tieteberga pour épouser sa maîtresse. Pour cela, il l’accuse d’inceste
avec son frère.
Les chanteurs sont engagés pour les deux saisons, d’automne et d’hiver.
Grâce à la personnalité d’Orsato, peut-être aussi à la présence de Vivaldi, la
distribution est prestigieuse  : Antonia Merighi, virtuose de Violante
Beatrice de Toscane, l’une des meilleures contraltos et actrices de son
temps  ; deux castrats, le soprano Francesco Natali de Pérouse et l’alto
Francesco Braganti  ; les sopranos Rosa Venturini, une artiste du prince
Antonio Farnese de Parme et Chiara Orlandi dite la Mantoanina  ; la
contralto romaine Costanza Macari (dans le rôle-titre) et la basse Annibale
Imperatori Anconitano.
L’opéra est apprécié  ; le chroniqueur de Pallade Veneta félicite les
auteurs : « Samedi dernier, écrit-il, les représentations de l’opéra Tieteberga
ont commencé ; les idées du poète y sont aussi remarquables que celles du
compositeur de la musique127. »
Le manuscrit de cet opéra a disparu. Nous n’en connaissons que les
quelques arias que Vivaldi transféra dans des opéras ultérieurs : Armida al
Campo d’Egitto (dans la version donnée à Mantoue au printemps 1718,
ainsi que dans la reprise de Vicence, en 1720), Teuzzone en 1719 ; dix arias
seront intégrées dans Il Giustino, à Rome, en 1724.

Artabano, re dei Parti, Venise, janvier 1718 (RV 701/RV 706)

La saison d’hiver bat maintenant son plein. Vers le 18 janvier, le théâtre


San Moisè propose la reprise de La Costanza trionfante degl’amori e
degl’odii de Vivaldi, qui avait été donné dans cette même salle en
janvier  1716. L’opéra porte un nouveau titre, Artabano, re dei Parti
(Artaban, roi des Parthes) (RV 701/706)128. Le soprano Francesco Natali
chante le rôle-titre qu’avait tenu précédemment le ténor Antonio Denzio.
Vivaldi réécrit plusieurs arias. On réimprime la dédicace au marquis
Martinengo de Brescia. « Si cet opéra a remporté un tel succès il y a deux
ans, c’est grâce au talent de Vivaldi », écrit le librettiste, Antonio Marchi.
La nouvelle version de 1718 suscitera une nouvelle prolifération d’arias,
notamment dans l’Orlando de 1727. Une reprise aura lieu encore à Vicence,
en 1719, dans le Teatro delle Grazie (RV 706-C) où avait été représenté
Ottone in villa ; en 1719 encore, à Hambourg, dans un pastiche (Die über
Hass, und Liebe siegende Beständigkeit) (RV Anh. 57), une réécriture sans
doute réalisée par Georg Caspar Schürmann  ; à Mantoue, au Teatro
Arciducale, en 1725, sous le titre L’Artabano (RV 706-D). Pietro Denzio
mettra en scène l’opéra (en le remaniant) à Prague, dans le théâtre du comte
Sporck, pour le carnaval 1726 (intitulé La Tirannia gastigata), puis en
1732, sous le titre Doriclea (RV 708). Dans une version encore modifiée,
une reprise de La Costanza aura lieu au théâtre Sant’Angelo, lors du
carnaval 1731, avec le titre L’Odio vinto dalla costanza (RV Anh. 51).

Armida, al campo d’Egitto, Venise, février 1718 (RV 699)

La première du nouvel opéra de Vivaldi, Armida al campo d’Egitto (RV


699)129, a lieu le 15 février 1718. Le livret de Giovanni Palazzi est dédié
par l’éditeur Marino Rossetti au patricien allemand, le baron Frédéric
Jérôme de Wizendorff. Le rôle-titre est tenu par la contralto Antonia
Merighi.
Le livret se fonde sur La Jérusalem délivrée du Tasse (1581), roman
épique qui évoque la première croisade guidée par Godefroy de Bouillon. Il
est probable que Pietro Ramponi et Antonio Vivaldi ont déjà prévu la
représentation de l’opéra au théâtre de la cour de Mantoue au printemps
suivant  ; leur choix s’est fixé sur un sujet approprié à la ville où avait
séjourné le grand poète de la Renaissance. Même veine épique que celle de
l’Orlando furioso inspiré de l’Arioste. Ces deux romans de la Renaissance
italienne exploitent des thèmes semblables  : un groupe de chevaliers
chrétiens partis en croisade se trouvent dans des régions du Moyen-Orient,
aux prises avec de séduisantes musulmanes  : magiciennes et sorcières,
femmes guerrières, doubles et dangereuses, qui détournent les preux soldats
du Christ de leur véritable mission en Terre sainte.
Dans l’épisode choisi par le librettiste (la première partie du
Chant  XVII), les chevaliers chrétiens sont absents. Le Tasse décrit le
paysage de Gaza, sur le rivage de la Méditerranée, à la frontière de la Judée
et du désert, où le roi d’Égypte a choisi de fixer sa résidence. Pour
combattre l’armée de Godefroy, il réunit autour de lui plusieurs armées
provenant de diverses contrées du Moyen-Orient  : Alexandrie, Tripoli,
Éthiopie… Le texte est riche en évocations de couleurs, de visions et de
parfums  : splendeur des costumes, des étoffes, des pierres précieuses  ; le
déploiement militaire y est grandiose. Le souverain est trop âgé pour
combattre  ; il remet son sceptre dans les mains du général Émiren. Paraît
Armide. Après avoir réuni femmes et guerriers, elle a quitté la Syrie pour
rejoindre le roi d’Égypte à Gaza. «  Après tous ces héros, écrit Le Tasse,
parut Armide à la tête de son escadron ; elle était assise sur un char superbe,
la robe retroussée, un arc à la main, le carquois sur l’épaule  » (33). Son
visage est à la fois doux et menaçant ; son char étincelle d’or et de rubis, ses
chevaux sont «  plus blancs que la neige  ». Le roi sembla surpris de voir
arriver une femme  ; Armide dit qu’elle était née et guerrière. Le roi lui
confia deux de ses meilleurs soldats : Adraste l’Indien et Tisapherne.
Le cadre est exotique, le sujet empli de passion et de sensualité. Les
décors représentent  : au premier acte, «  vaste campagne sous les murs de
Gaza où l’armée égyptienne s’est rassemblée pour la revue. On voit le roi
sur un trône imposant ; à ses côtés, deux Satrapes, l’un tenant le sceau de la
royauté, l’autre une épée nue  ; tout autour, des gardes  »  ; puis, un
appartement royal  ; au second acte, un hall splendide où se tiendra un
banquet ; un jardin et un clair de lune ; au troisième acte, un camp militaire
où les armées musulmanes se préparent à combattre contre l’armée des
Francs.
Rinaldo et ses compagnons sont encore loin et donc hors champ. Le
librettiste invente, pour l’opéra, des péripéties nouvelles : Armida (Antonia
Merighi) tombe amoureuse d’Émiren, qui la repousse. Au roi, Armida
prétend que le général l’a déshonorée. Le souverain prend sa défense et
décide de faire tuer Émiren. À la fin, les conflits sont apaisés et tous
s’unissent pour combattre les Francs. L’aria de Califfo «  So che combatte
ancor  » (I,  10) (évocation littéraire précieuse de Cupidon guerrier et dieu
d’amour) est traitée «  alla francese  », avec un rythme de croche
pointée/double et une entrée en imitations, qui donnent de la noblesse au
personnage. Est-ce un clin d’œil, ici fort approprié, à l’univers français  ?
L’Armide de Quinault et Lully (1686) avait été un grand succès et elle avait
été reprise à Rome, en 1690. Le troisième acte ressemble à un festival d’airs
de bravoure, prenant comme métaphores les habituels torrents déchaînés
(Tisaferne, « Quel torrente ch’alza »), les plantes malmenées par les vents
furieux (Adrasto, « Agitata de’ venti all’orte ») et les ruisseaux pressés de
rejoindre la mer (Osmira, «  Se correndo in seno al mare  », une aria
empruntée au premier acte de Scanderbeg).
 
L’Armida de Vivaldi connaîtra plusieurs reprises : à Mantoue, le 24 avril
1718, puis à Vicence, en mai 1720 sous le titre Gl’Ingannni per vendetta ;
l’opéra sera encore joué en 1738, à Venise, au théâtre Sant’Angelo. À vingt
ans de distance, Vivaldi travaillera sur le manuscrit de 1718130. De cette
partition, il ne subsiste toutefois que les actes  I et  III. La Sinfonia
d’ouverture, en trois mouvements, placée au début du volume, semblerait
avoir été écrite beaucoup plus tôt, dans les années 1710. Vivaldi la
reprendra pour son Ercole sul Termodonte, à Rome, en 1723, de même que
l’aria de bravoure chantée par Armida à la fin du premier acte, « Armata di
furore  » (I,  3). D’autres arias issues de l’Armida seront intégrées dans
d’autres opéras, tels Il Giustino, Farnace, Tamerlano et Rosmira.

Dernières prestations à la Pietà

Antonio Vivaldi arrive au terme de sa collaboration avec la Pietà. En


mars  1717, on donne deux oratorios de Francesco Gasparini, dont une
création, Anima rediviva. Le chroniqueur de Pallade Veneta écrit : « Mardi
dernier, après le repas, comme divertissement pieux, les vierges chanteuses
de la Pietà donnèrent le très charmant oratorio de l’ex maestro Gasparini,
intitulé Anima rediviva qui reçut des ovations ainsi que des louanges pour
ces voix élégantes131.  » Le mois suivant, en avril, on reprend Maria
Magdalena (qui datait de 1714). Mardi après le repas, lit-on dans le même
journal, les filles de la Pietà ont exécuté «  avec de nombreux
applaudissements et la satisfaction du vaste auditoire un oratorio de
M. Francesco Gasparini, leur ancien maître132  ». Gasparini serait-il alors
revenu à Venise ? Deux ou trois mois plus tôt, le théâtre Sant’Angelo avait
mis à l’affiche un opéra du compositeur, Il piu fedel fra i vassali… Les
lettres écrites par Gasparini à Livia Spinola Borghese ne nous renseignent
pas sur un possible retour du maître à Venise à cette période.
La date à laquelle Vivaldi a quitté Venise pour la cour de Mantoue n’est
pas précise. On la situe au début de l’année 1718, peut-être en mars. Les 20
et 24 septembre 1717, il avait reçu ses derniers salaires de la Pietà. Puis son
nom disparaît pendant six ans des minutes de l’institution. Le 26  février
1719, les députés nommeront un nouveau maître de chœur, Carlo Luigi
Pietragrua.
Le 4 mars 1718, le Prêtre roux fête ses quarante ans. Il est sur la route de
Mantoue, animé par un premier projet  : reprendre l’Armida au Teatro
Arciducale. Une possibilité nouvelle vient de s’offrir à lui pour échapper au
milieu vénitien où, désormais, il se sent confiné : se rapprocher de Philipp
de Hesse-Darmstadt, gouverneur de cette ville, représentant de l’empereur à
Mantoue, pour atteindre, peut-être un jour, à plus long terme… Vienne et la
cour des Habsbourg !
1- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 111-118 ; tableau, vol. 2, p. 728.
2- I-Tn, Foà 37, fol. 2-118. L’Ottone in villa été reproduit, livret et partition manuscrite
autographe, en fac-similé dans la collection Drammaturgia Musicale Veneta, n°  12, Ricordi,
1983, avec un essai de John Walther Hill.
3- Munich, Bayerisches Hauptstaatsarchiv, Geheimes Hausarchiv, Korrespondenzakten,
753/9 ; B. Over, 2007, p. 279.
4- Vicence, Bibliothèque Bertoliana, manuscrit G.  25.9.10  : «  Relatione dell’apparato,
illuminatione, musica, oratorio, panegiristi e processione fatto il tutto nel sollene ottavario di
S. Pio V nella chiesa di St Corona di Vicenza. L’anno 1713 a’ 18 giu.o » ; le document est daté
du 18 juin 1713 ; B. Brizzi, 1986.
5- Viola « da brazzo » ou « da braccio » ; à Venise, à partir de 1620, ce terme désigne tout
violon alto, ténor ou basse ou, plus généralement, tout instrument de la famille des violons.
6- Le terme italien «  marmate  », est peu lisible sur le manuscrit  ; on ne sait si l’auteur se
réfère à une cornemuse « d’armée » ou à une cornemuse fabriquée dans la ville de « Marne » en
France.
7- Vicence, Archivio di Stato, busta 240, Couvent de Santa Corona ; le document est reproduit
en fac-similé par M. Saccardo, 1992, p. 21.
8- I Teatri del Veneto, Venezia e il suo territorio, 1996, vol. 1, t. 2, p. 37-38.
9- Venise, bibliothèque du Musée Correr.
10- Le journal de Nicodemus Tessin fut transcrit par Per Bjuström, Reisennotizen […], Berlin,
1966, p. 14-41.
11- I Teatri del Veneto, Venezia e il suo territorio, 1996, vol. 1, t. 2, p. 37-38 ;
Cette affaire a été relatée par Johann Adam Hiller, dans Lebensbeschreibungen, 1784  ;
réédition Peters 1975.
12- Venise, Archivio di Stato, Giudici del Forestier, busta 78, à la date du 18 mars 1715 ; I
Teatri del Veneto, p. 38.
13- Terminazione di Decima (relevé d’impôts) ; I Teatri del Veneto, 1996, p. 38.
14- R. Strohm, 2008, vol. 1, pp. 127-37 et vol. 2, tableau pp. 724-25.
15- On ne lui connaît pas de relation de parenté avec Giovanni Mauro, le mari de Cecilia
Vivaldi.
16- Venise, Archivio di Stato, Notarile, Actes P. P. Bonis (ou de Boni), busta 1727 et Actes P.
A. Ciola, busta 4027 ; I Teatri del Veneto, vol. 1, t. 2, p. 38.
17- I-Tn, Giordano 37, fol. 162-250.
18- Les liens de parenté entre Francesco et Michelangelo Gasparini ne sont pas certains.
19- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 142-54 et vol. 2, tableau p. 722-723.
20- I-Tn, Giordano 38, fol. 2-175.
21- I-Tn, Giordano 37, fol. 162-250.
22- R. Strohm, vol. 1, p. 137-141.
23- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 154-159.
24- « Se lascio d’adorare » sera reprise en 1724 dans la Virtù trionfante et « Miei pensieri al
porto  », sera transposée pour voix de basse, insérée dans Teuzzone, en 1719, et la musique
placée sur un autre texte « Non temer, sei giunto in porto ».
25- R. Giazotto, 1973, p. 114 et Eberhard Preussner, Die musikalischen Reisen des Herrn von
Uffenbach (Kassel et Bâle, 1949) ; cité par M. Talbot, 1978, p. 56 ; 201-202, n. 45.
26- I-Tn, Giordano 29, fol. 233-235 et 238-244.
27- C. Fertonani, 1998, p. 384 et E. Pozzi, 2008, p. 126 et 526-528.
28- Montesquieu, éd. 1844, p. 43.
29- Munich, Bayerisches Hauptstaatsarchiv, Geheimes Hausarchiv, Korrespondenzakten,
753/9 ; B. Over, 2007, p. 279, 282.
30- I-Tn, Giordano 39 bis.
31- C. Vitali, 1995.
32- Venise, Archivio di Stato, Ospedali e Luoghi Pii – Pio Ospitale della Pietà, Notatorio
N. 9 (I), busta 689, du 6 décembre 1711 au 28 septembre 1715 ; à la date du 11 juin 1713, fol.
98 v° ; R. Giazotto, 1973, p. 367, document 35.
33- Idem ; R. Giazotto, 1973, p. 367, document 36.
34- L’Opus 7, qui paraîtra en 1720, contient les concertos pour hautbois RV 465 et RV 464 ;
l’Opus 8, imprimé en 1725, les concertos RV 454 et RV 449  ; l’Opus 11, édité vers 1729, le
n° 6, RV 460.
35- Archives citées supra, Notatorio N. 9 (I), busta 689, du 6 décembre 1711 au 28 septembre
1715 ; à la date du 8 juillet 1714 ; fol. 141 ; R. Giazotto, p. 367, document 39.
36- Idem, fol. 172 v° ; R. Giazotto, p. 368, document 41.
37- Idem, Notatorio N.  10 (L), busta 690, du 1er  octobre 1715 au 2  juin 1719, à la date du
22 mars 1716 ; fol. 15 v° ; R. Giazotto, p. 368, document 42.
38- P. Ryom, Vivaldi Werkverzeichnis, 2007.
39- M. Talbot, « The Sacred Vocal Music of Antonio Vivaldi », 1995.
40- Beatus vir (RV 795), Nisi Dominus (RV 803) et Dixit Dominus (RV 807) et peut-être aussi
le Lauda Jerusalem (RV Anh. 35a).
41- Venise, Archivio di Stato, fonds de la Pietà cité supra, busta 688, Notatorio 7 (G), fol. 195
v°  ; sur cette question, voir l’article de M.  Talbot, «  Tenors and Basses at the Venetian
Ospedali », 1994.
42- M. Talbot, 1988, p. 767-768, « ‘Early’ Period (1713-1717) ».
43- Manuscrits de messes conservés par exemple à Varsovie, RV Anh. 112, et à la Fondation
Levi de Venise, RV Anh. 113.
44- Gloria (RV 588), pour cinq solistes SSATB, un chœur à quatre parties, trompette, deux
hautbois, deux violons solistes, cordes, bc  ; Gloria (RV 589), pour deux sopranos et un alto
solistes, chœur à quatre parties  ; trompette, hautbois, violon solo ad libitum, cordes, bc. Ce
Gloria est une œuvre très connue, souvent jouée, l’une des premières à avoir été interprétées
après la redécouverte des œuvres de Vivaldi ; et Credo (RV 591), pour chœur à quatre parties,
cordes, bc.
45- CZ-Pnm, XXXV.E.42.
46- Beatus Vir (RV 598) pour trois solistes SSA, un chœur à quatre parties, cordes, bc ; deux
Laudate pueri : RV 600, pour soprano, violon solo, cordes, bc – orgue –, dont on conserve aussi
une copie à Prague, dans le fonds cité précédemment, et RV 602, pour deux chœurs, chacun
avec un soprano soliste ; le premier accompagné par les cordes, bc – orgue – ; le second avec
deux hautbois, cordes, bc – orgue – ; le Laetatus sum (RV 607), pour chœur, cordes, bc.
47- E. Selfridge-Field, 1984, p. 56.
48- P.-J. Grosley, 1770, p. 53-54.
49- Pallade Veneta, avril 1688, p. 27-33 ; E. Selfridge-Field, 1985, p. 216-218, n° 82.
50- GB-Lcm, Ms. 1077, vol. 1, III ; et GB-Lbl, Add. 31504, fol. 130 v°-133 r°.
51- I-Tn, Giordano 32, fol. 159-162 et 165-166.
52- I-Tn, Giordano 35.
53- CZ-Pnm, XXX-B-55.
54- CZ-Pak, KMK 1364 hud.
55- Ferrare, Archivio di Stato, Archivio Bentivoglio, Correspondance générale, busta 418, fol.
398-399 ; C. Vitali, 1980 et M. Talbot, 1991, p. 49, n° 13.
56- M. Talbot, 1995, p. 233.
57- Idem, p. 233-34 ; 288-290 ; 304-306.
58- Venise, Archivio di Stato, fonds de la Pietà cité supra, Notatorio N. 7 (G), busta 688, du
8  mars 1699 au 26  février 1707, à la date du 1er  mars 1705, fol. 138 v°  ; R.  Giazotto, 1973,
p. 352-53, document 5.
59- Idem, fol. 195 v° ; R. Giazotto, 1973, p. 357-358, document 15.
60- , Venise, Musée Correr, manuscrit Cicogna, codice 1178, fol. 206 r°-212 v°, strophe 43 ;
R. Giazotto, 1973, p. 389-396.
61- J. Ch. Nemeitz, 1726, p. 62.
62- R. Strohm, vol. 1, p. 160-170 et vol. 2, tableau, p. 686-687.
63- GB-BER ; cf. Tanenbaum Tiedge, Faun et Talbot, 2003, p. 54-62.
64- I-Tn, Giordano 29, fol. 236-237.
65- RV 383a (1), RV 279 (2), RV 301 (3), RV 357 (4), RV 347 (5), RV 316a (6), RV 185 (7),
RV 249 (8), RV 284 (9), RV 196 (10), RV 204 (11), RV 298 (12).
66- Francesco Alvisi, de Bologne, chronique citée par D. Blichmann, 2010, p. 43.
67- D-Mbn 2368, fol. 13, extrait de « Voyage d’Italie » ; B. Over, 2007, p. 288.
68- J.C. Nemeitz, 1726, p. 62.
69- I-Tn, Foà 35, fol. 2-172.
70- I-Tn, Foà 35, fol. 173-295.
71- I-Tn, Giordano 36, fol. 293 r°-298 v°.
72- D-Dl, 1-F-30, p. 37-70.
73- Pallade Veneta, 24-31 octobre 1716, fol. 4 ; E. Selfridge-Field, 1985, p. 296, n° 309.
74- RV 18, RV 30, RV 33, RV 35, RV 76 et RV 72.
75- Pallade veneta, août 1687, p. 75-6 ; E. Selfridge-Field, 1985, p. 183, n° 44.
76- Pallade Veneta, août 1687, p. 97-101 ; idem supra, p. 183-184, n° 45.
77- Pallade Veneta, septembre 1687, p. 56-61, idem supra, p. 188, n° 51.
78- J. L. Baldauf Berdes, 1993, p. 132 et n. 115.
79- Venise, Archivio di Stato, Ospedali e luoghi pii, Notatorio N.8 (H), busta 689, 4  mars
1708-29 novembre 1711 : « Incarichi per li Governatori sopra la Chiesa e Choro », 3-4 mars
1708 ; R. Giazotto, p. 361, document 17.
80- Juditha triumphans devicta Holofernis barbarie. Sacrum militare oratorium bisce belli
temporibus a psalentium virginum choro in Templo Pietatis canendum.
81- I-Tn, Foà 28, fol. 209-302.
82- J.C. Nemeitz, 1726, p. 61.
83- C.L. von Poellnitz, 17373, p. 113.
84- Sopra le putte della Pietà di coro, fol. 206 r°-212 v° ; strophe XIV ; R. Giazotto, p. 389-
96, document 117.
85- I-Tn, Giordano 35, fol. 89-112.
86- Sopra le putte, strophe LXII.
87- Idem, strophe XXVIII.
88- S. Haïk Vantura, 1976.
89- A. Zorzi, 1979, p. 421.
90- K. L. von Pöllnitz (1734) ; rééd. 2004, p. 42-43.
91- Pallade Veneta, 2-9 janvier 1717, fol. 3-4 ; E. Selfridge Field, 1985, p. 300, n° 321.
92- Idem, 9-16 janvier 1717, fol. 2 ; op. cit., p. 300-301, n° 324.
93- M. Jonásová, 2008, p. 74-75.
94- Venise, Archivio di Stato, Capi del Consiglio dei X-Notatori, Filza 42.
95- G. Vio, 1989.
96- Pallade Veneta, 9-16 janvier 1717, fol. 2-3 ; E. Selfridge-Field, 1985, p. 301, n° 325.
97- I-Tn, Foà 35, fol. 2-172, et fol. 173-295.
98- Cité par E. Pozzi, 2007, p. 208.
99- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 193-203 et tableau, vol. 2, p. 710-711.
100- L’épouse du ténor Annibale Pio Fabri est Anna Bombaciara Fabri, qui chantera dans La
Silvia, à Milan, en 1721.
101- I-Tn, Giordano 38, fol. 177-310.
102- A-Wn, E-M-102 b.
103- D-Dl, Mus 2389-N-2,4 Nr 1 ; il est noté : « Sinfonia dell’Opera 2da S. Angelo Del Sigr
Vivaldi ».
104- M. Talbot, « Miscellany », IeStV, XX, 1999.
105- J.A. Hiller, Lebensbeschreibungen, 1767 ; cité par D. Blichmann, p. 28.
106- Il est fort improbable, écrit Cesare Fertonani, que Pisendel ait joué le concerto RV 571
de Vivaldi, si l’on considère que c’est le flûtiste Johann Joachim Quantz qui en a réalisé la
transcription sur papier italien qui se trouve aujourd’hui conservée à Dresde (D-Dl Mus. 2389-
O-48,1 et 48,2). Ce document a été transcrit par Quantz lors de son séjour à Venise en 1726, puis
transporté à Dresde bien après le retour de Pisendel en Saxe, en 1717 (1998, p. 472).
107- Pallade Veneta, 23-30 janvier 1717, fol. 2-3 ; E. Selfridge-Field, 1985, n° 328, p. 301-
302.
108- Idem, 6-13 février 1717, fol. 3 ; op. cit., p. 302, n° 329.
109- M. Talbot, 2006, p. 166.
110- I-Tn, Foà 32, fol. 361-68, manuscrit partiellement autographe ; C. Fertonani, p. 204.
111- D-Dl, Mus. 2389-E-2 et E-1, les manuscrits des motets de Vivaldi In turbato mare (RV
627) et Sum in medio tempestatum (RV 632) qui proviennent de la collection de J.D. Zelenka.
112- J.A. Hiller, 1767, p. 285.
113- D-Dl Mus. 2389-N-2,4 et Mus 2389-N-2,4 Nr 1. À Dresde se trouve aussi un lot de 16
arias transcrites pour voix et basse continue extraites de l’Arsilda Regina di Ponte représentée
en octobre 1716 (D-Dl, 1-F-30, p. 37-70).
114- À partir de l’Opus 4 de Vivaldi, Pisendel transcrit les concertos n°  1 (RV 381), n°  10
(RV 196) et n° 12 (RV 298).
115- Les sonates RV 2, RV 6, RV 19, RV 25 et RV 29, toutes à Dresde, sauf la sonate pour
violon et bc (RV 19), conservée à la Bibliothèque nationale de France, dans les fonds du
Conservatoire (F-Pc, Rés. 2225) et les concertos RV 172, RV 205, RV 237, RV 340.
116- RV 212, RV 562, RV 568, RV 569, RV 571, RV 572 et RV 576.
117- I-Tn, Giordano 30, fol. 264-273.
118- D-Dl, Mus. 2389-0-70a.
119- I-Tn, Giordano 34, fol. 22-42.
120- D-Dl, Mus. 2389-0-67 et 67a.
121- I-Vc, Busta 55-1, fol. 62 r°-64 v°.
122- D-Dl, Mus. 2389-0-43.
123- I-Tn, Foà 32, fol. 67-86 (autographe) et D-Dl, Mus 2389-0-125, copie avec des
interventions autographes.
124- M. Talbot, 2006, p. 167.
125- I-Tn, Foà 32 fol. 239-254, autographe.
126- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 204-211 et tableau, vol. 2, p. 740-741.
127- Pallade Veneta, 16-23 octobre 1717, fol. 2 ; E. Selfridge-Field, p. 308, n° 350.
128- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 171.
129- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 211-223 ; tableau vol. 2, p. 676-677.
130- I-Tn Foà 38, fol. 2-184.
131- Pallade Veneta, 6-13 mars 1717, fol. 2 ; E. Selfridge-Field, 1985, p. 302, n° 330.
132- Pallade Veneta, 3-10 avril 1717, fol. 4 ; op. cit., p. 304, n° 332.
Deuxième partie

Voyages en Italie

 Mantoue, Florence, Milan,

 Brescia, Rome

 (1718-1724)
I

En Lombardie

 dans l’ombre des Habsbourg

 (1718-1722)

13

 La cour de Mantoue

 (1718)

Le Prêtre roux n’est pas seul à prendre la route de la Lombardie au


début du printemps 1718. Giovanni Battista passera de longs
moments à Mantoue aux côtés de son fils (à cette période, le
violoniste ne retire pas son salaire à la chapelle ducale de Saint-
Marc). Parmi les compagnons de voyage de Vivaldi se trouvent
aussi Pietro Ramponi, qui sera l’imprésario de la production
d’Armida à Mantoue, et plusieurs chanteurs de la troupe
vénitienne : la principale protagoniste, Antonia Merighi dans le
rôle d’Armida, ainsi que Rosa Venturini et Luca Antonio Mengoni.
Philipp de Hesse-Darmstadt aime l’opéra, la musique et le faste.
C’est lui qui choisit les membres de sa chapelle musicale, les
compositeurs, les artistes, les sujets des opéras représentés au
Teatro Arciducale. Avait-il assisté à l’Armida au théâtre San Moisè,
et avait-il demandé au compositeur et à l’imprésario de reprendre
cet opéra à Mantoue ? Ou bien Vivaldi et Ramponi avaient-ils
choisi à dessein ce thème fondé sur la Jérusalem délivrée du Tasse
(un sujet approprié à l’ancienne cour des Gonzague), sachant que
ce spectacle servirait aux deux villes, Venise et Mantoue ? Venise,
comme une répétition générale avant Mantoue ?

Philipp de Hesse-Darmstadt, gouverneur de Mantoue

Né à Darmstadt le 20  juillet 1671, Philipp s’était engagé dans une


carrière militaire. Il avait participé aux côtés des Anglais à plusieurs
batailles contre la France, s’était converti au catholicisme puis avait rejoint
les Habsbourg. En 1707, il se trouvait parmi les généraux qui, à la tête des
armées impériales, étaient entrés en Lombardie (alors occupée par les
Espagnols), puis à Mantoue. Le 13  mars 1707, il avait été nommé
gouverneur des troupes impériales cantonnées en Lombardie. Laissant sa
famille à Mantoue, Philipp poursuivit les combats dans le sud de la
Péninsule. En juillet  1708, il dirigea les troupes impériales qui entrèrent
dans Naples, où il séjourna pendant six ans, tandis que l’ancien duché des
Gonzague était annexé à l’empire austro-hongrois. À l’arrivée des troupes
ennemies, Ferdinando Carlo di Gonzaga-Nevers s’était enfui, abandonnant
son royaume aux soldats autrichiens  ; il décédera mystérieusement à
Padoue. Une situation triste et humiliante pour cet État prestigieux…
En septembre 1714, l’empereur Joseph Ier avait nommé Philipp de Hesse-
Darmstadt gouverneur impérial de Mantoue. Entré à Mantoue par la Porta
Mulina sous les salves d’artillerie unies aux volées de toutes les cloches de
la ville, Philipp avait pris officiellement le 29  décembre 1714 sa charge,
qu’il occupera jusqu’à son retrait à Vienne, trente ans plus tard.
En Italie, Philipp est appelé «  Prince Landgrave  », alors que ce titre
appartenait en réalité à son frère aîné, Ernst Ludwig. Quelques mois
seulement après son installation à Mantoue, Philipp avait perdu son épouse,
la princesse Maria Theresia von Croy und Havre  ; les textes de plusieurs
cantates de Vivaldi font allusion à ce veuvage. Sur son portrait, Philipp
paraît un homme austère. Il a un visage en lame de couteau, un nez fort et
des yeux rapprochés. Il se comporte en père de famille autoritaire. C’est lui
qui aurait contraint son fils aîné Joseph à prendre la tonsure, en 1728, à
Mantoue ; en 1740, Joseph deviendra évêque d’Augsbourg. La seconde fille
de Philipp, Teodora, née en 1706, épousera en 1727 Antonio Ferdinando
Gonzaga.
À Mantoue, Philipp de Hesse-Darmstadt prend la succession de
l’ancienne cour des Gonzague qui, au plan culturel, avait rayonné en
Europe pendant plusieurs siècles. Des échanges artistiques existaient déjà
entre Mantoue et Venise. Avant de prendre la direction de la chapelle
musicale des doges, à Saint-Marc, Claudio Monteverdi avait vécu dans
cette ville, au service du duc Vincenzo I.  C’est à Mantoue qu’il avait fait
représenter son Orfeo en 1607, puis l’Arianna l’année suivante. Le
compositeur d’origine vénitienne Antonio Caldara avait été engagé comme
maître de chapelle du duc Ferdinando Carlo, un prince que l’on dit dépravé,
davantage occupé à ses loisirs qu’aux affaires de l’État. Il séjournait
souvent à Venise, où il avait acheté un palais, celui où est hébergé Friedrich
August en 1716-1717, situé près de l’église Santa Sofia, sur le Grand Canal,
plus tard appelé palazzo Michiel.
Après les troubles liés à la guerre de Succession d’Espagne et l’annexion
du duché de Mantoue à l’Empire, Philipp de Hesse-Darmstadt reconstitue
rapidement la chapelle musicale de la cour. Le changement de régime se fait
en douceur et les musiciens n’ont pas trop à en souffrir. Pietro Crescimbeni,
déjà en place au temps des Gonzague, dirige la musique sacrée avec le titre
de maestro di capella de la « Cappella Palatina » Santa Barbara. C’est lui
aussi qui dirige l’ensemble instrumental de la cour. Les documents
conservés aux archives d’État de Mantoue décrivent de cette façon
l’ensemble vocal et instrumental de la cour : deux sopranos, trois contraltos,
deux ténors, une basse  ; un organiste, deux premiers et deux seconds
violons, un alto, un violoncelle, une contrebasse, deux hautbois et trois
trompettes. Pour renforcer l’ensemble existant, on engageait ponctuellement
des musiciens de la région. Le dernier duc de Gonzague avait deux maîtres
de chapelle, pour la musique sacrée et pour la musique profane, c’est-à-dire
les divertissements de la cour dont Vivaldi s’occupera à partir de 1718  :
opéras, cantates, sérénades, sonates et concertos, sans jamais empiéter sur le
territoire de Pietro Crescimbeni.

Le Teatro Arciducale
Ce théâtre, dit aussi Teatro Comico, où Vivaldi fera représenter ses
opéras avait servi, longtemps auparavant, aux spectacles de comédies. Il se
trouvait près de l’actuelle piazza Arche dite aussi Delle commedie.
Restructuré en 1688, il a aujourd’hui disparu. La salle disposait de 130
places au parterre, 5 rangs de 104 loges ; au cinquième rang, se trouvaient
en plus 17 bancs. Une loge plus grande, placée au-dessus de l’entrée qui
conduisait au parterre, accueillait les membres du gouvernement. La scène
mesurait 14 mètres de long sur 19 mètres de large. On jouait deux opéras à
carnaval, et un autre au printemps.
Les saisons d’opéra étaient organisées par les imprésarios qui
n’investissaient pas leur propre capital, comme à Venise. Une partie des
frais restaient à la charge du prince et c’est lui qui couvrait les déficits
éventuels. Les chanteurs étaient tantôt des membres de la chapelle de la
cour, tantôt des artistes engagés ponctuellement. Le personnel était payé par
la Scalcheria (chancellerie), qui tenait les comptes de la cour. À l’époque de
Vivaldi, le « surintendant » était Carlo Bertazzone (ou Bertazoni) ; c’est lui
qui paie le compositeur. Lorsqu’il occupe les fonctions d’imprésario,
Vivaldi signe aussi les fiches de paie des chanteurs, qui sont ensuite
adressées pour règlement à la même instance. Comme au temps des
Gonzague, les bénéfices tirés de la location des loges permettent en partie
de payer le compositeur. À cela s’ajoutent l’aide financière apportée par le
prince et les revenus provenant de la salle de jeux. Au début de la saison,
toute personne qui veut assister aux opéras doit payer 20 lire en échange de
quoi l’imprésario lui remet les clés de sa loge.
Quant aux décors et aux costumes, ils étaient souvent empruntés aux
institutions de la ville, en particulier à l’Accademia dei Timidi. Sans se
soucier ses sujets des opéras, on employait des costumes de cour luxueux ;
des emblèmes et des allégories du règne des Gonzague, puis de celui des
Habsbourg et des Hesse-Darmstadt étaient incrustés dans les scénographies.
Le contexte social et économique dans lequel se déroulaient les
représentations était plus proche de l’univers de la cour de Vienne que de
celui d’une ville comme Venise où les théâtres fonctionnaient sur des
principes princiers et mercenaires à la fois, et sans véritables subventions. À
Mantoue, il fallait respecter des règles protocolaires et honorer un prince.
Les livrets d’opéras, de sérénades, les textes des cantates étaient chargés
d’allusions à Philipp de Hesse-Darmstadt, à l’histoire de sa famille, à ses
enfants. Les banquets, les bals, les représentations d’opéras étaient des
exhibitions de luxe ; le pouvoir en place s’y mirait avec complaisance. Au
centre de la fête se tenait le prince, qui participait à l’action. Où était
l’actualité politique  ? Où était la fiction  ? Derrière les personnages de
l’Antiquité, du roman épique de la Renaissance, des nymphes et des bergers
de la mythologie, derrière les pseudonymes empruntés à l’univers de
l’Arcadie romaine, se cachaient les personnages de l’actualité politique, les
puissants qu’il fallait servir sans jamais les offenser.
Les sept opéras montés par Vivaldi au Teatro Arciducale de Mantoue,
entre  1718 et  1732, auront pour vocation de célébrer la gloire de ces
princes. Ils serviront de divertissements à Philipp, à ses enfants, et à leurs
amis. La famille de Hesse-Darmstadt était cultivée et aimait les traditions
littéraires. Dans leur château de Darmstadt, ces princes étaient habitués à
faire représenter des drames français, aussi bien que des pièces italiennes.
Le fils aîné de Philipp, Joseph, futur évêque d’Augsbourg, excelle en tant
qu’acteur dans ces représentations. Il joue du clavecin, accompagne sa sœur
Teodora lorsqu’elle chante les cantates et les sérénades que les
compositeurs écrivent à leur intention. Philipp possède une chapelle
musicale où gravitent plusieurs chanteurs d’opéra renommés, comme le
ténor Annibale Pio Fabri, et la soprano Giovanna Gasparini, fille du
compositeur Francesco Gasparini. Pour la première fois de sa vie, Vivaldi
devra se faire courtisan. À Mantoue, il lui faudra se maintenir dans un
carcan de conventions diplomatiques, de poncifs littéraires et musicaux, une
situation peu faite pour son caractère d’artiste génial et de Vénitien
orgueilleux, libre et insoumis. En retour, il bénéficiera d’un statut
prestigieux, confortable au plan économique  ; il pourra se flatter d’une
protection princière institutionnelle. De son titre de « maître de chapelle de
chambre du landgrave Philipp de Hesse-Darmstadt » qu’il affichera quinze
ans durant sur les livrets de ses opéras, le Prêtre roux fera en effet une pièce
maîtresse de son curriculum, lors de ses engagements à Florence, à Milan et
à Rome, et surtout lors de ses déplacements ultérieurs à Trieste, à Vienne et
en Bohême.

Armida al campo d’Egitto, Mantoue, avril 1718 (RV 699-B)


Le grand architecte Francesco Bibiena qui avait la responsabilité du
Teatro Arciducale de Mantoue se trouvait alors à Rome, occupé aux
restaurations du théâtre d’Alibert1. En conséquence, c’est le ténor et
imprésario Pietro Ramponi qui prend en main la saison de printemps.
Vivaldi sera impliqué lui aussi comme imprésario, bien que dans une
moindre mesure ; il percevra les bénéfices de plusieurs loges du théâtre.
La première de l’Armida, regina d’Egitto a lieu le 24 avril 1718. Vivaldi
a repris la version vénitienne et change quatorze arias. Le manuscrit
autographe est à Turin2  ; il y manque le second acte3. Les sept rôles
reçoivent de nouvelles arias. Certaines d’entre elles sont issues de
productions précédentes4. Trois des arias de cette représentation seront
reprises à Rome, dans Giustino, en 1724.
Comme à Venise, Antonia Merighi chante le rôle d’Armida, et Rosa
Venturini celui d’Osmira. Antonia Maria Laurenti, dite Coralli, est Adrasto.
La basse Angelo Zannoni (qui avait chanté le rôle du philosophe Niceno
dans L’Incoronazione) tient le rôle de Califfo. Le castrat Luca Antonio
Mengoni (virtuose de la cour de Modène, qui avait chanté au Sant’Angelo
sous la direction de Ramponi en 1716, et chantera encore pour Vivaldi dans
les années 1725-1726) est Tisaferno. La soprano Rosa d’Ambreville est
Erminia (elle avait chanté en 1716 dans La Costanza). Giuseppe
Raimondini prévu pour Emireno est remplacé par Annibale Pio Fabri (qui,
dans l’Arsilda, avait chanté aux côtés d’Anna Maria Fabri).
La Gazzetta di Mantova informe ses lecteurs que l’opéra de Vivaldi est
commencé depuis cinq jours  ; le spectacle remporte «  un succès général,
tant pour les chanteurs et la musique que pour l’excellent ensemble
instrumental ; il se poursuivra tout au long du mois de mai5 ».
 
Les 27 et 28  mai 1718, Vivaldi signe les feuilles de paie de deux des
chanteurs de la production  : le castrat Luca Antonio Mengoni et la basse
Angelo Zannoni ; la somme de 2 397 lire est prélevée des bénéfices qu’il
perçoit de la location des loges.
Les représentations d’Armida ne sont pas encore terminées que Vivaldi
prépare déjà un prochain départ pour Florence. Philipp de Hesse-Darmstadt
recommande le compositeur vénitien à la princesse Anna Maria Luisa de’
Medici. Fille de Cosme (Cosimo  III) de Médicis, Anna Maria Luisa avait
épousé l’Électeur palatin, Johann Wilhelm  II (lui-même fils d’Élisabeth
Amélie de Hesse-Darmstadt). Ayant résidé à Düsseldorf jusqu’à la mort de
son mari, en 1716, elle était revenue s’installer dans sa ville natale,
Florence, au palais Pitti. La lettre de Philipp de Hesse-Darmstadt, conservée
dans les archives de Mantoue, comporte plusieurs ratures  ; certains mots
sont illisibles car l’acidité de l’encre a partiellement détruit le papier :
Florence, 31 mai 1718.

Ser.ma Elettrice Palatina.

Le talent singulier dont est doté dans la Musique l’illustre Maestro, Sig.
Don Antonio Vivaldi, outre ses remarquables qualités personnelles, le
rendent digne de recevoir la protection de sa Grandeur Électorale pendant
le temps que durera son séjour [à Florence], à l’occasion de la
représentation de son opéra […]6.
Au printemps, la cour s’apprête à partir pour sa résidence d’été, la villa
della Favorità, près de Mantoue. Avant cela, il faut préparer les spectacles
qui se tiendront l’automne et l’hiver suivants. Philipp demande au duc de
Modène de pouvoir engager deux des chanteuses de sa cour : Teresa Mucci
et Anna d’Ambreville. Pour sa part, Vivaldi apprête ses bagages pour son
séjour en Toscane. Il dispose de moins de trois semaines pour écrire l’opéra
qu’on vient de lui commander.

Scanderbeg, Florence, Pergola, juin 1718 (RV 732)

Scanderbeg (RV 732), représenté le 22  juin 1718, est le premier des
quatre opéras composés par le Prêtre roux pour le théâtre de la Pergola7. Ce
n’est pas le premier contact de Vivaldi avec la cour des Médicis puisque, en
1711, il avait déjà dédié L’Estro Armonico au grand-duc Ferdinando, alors
très malade. « C’est par votre cœur que vous surmontez les désagréments de
votre condition », écrivait le compositeur en des termes emplis de respect et
d’empathie. Ferdinando est maintenant décédé.
Scanderbeg fête la réouverture du théâtre de la Pergola, événement très
important pour les Florentins. Le frère d’Anna Maria Luisa de’ Medici,
Ferdinando de’ Medici, avait épousé Violante Beatrice de Bavière (la mère
de Therese Kunigunde exilée à Venise), qui était une grande mélomane.
Après les fêtes destinées à célébrer ce mariage, le Teatro della Pergola
n’avait plus guère servi pour l’opéra et l’édifice commençait à rendre l’âme.
En 1712 on avait envisagé de redorer la salle, mais le projet était resté sans
suite. Après la mort de Ferdinando en 1713, le théâtre de cour était passé
sous la tutelle de son frère cadet, le grand-prince Gian Gastone auquel de
nombreux livrets florentins de cette période sont dédiés. En réalité, les
mécènes les plus actifs sont les femmes : Violante Beatrice, « gouverneur »
de Sienne et sa belle-sœur, Anna Maria Luisa de’ Medici, à laquelle Philipp
de Hesse-Darmstadt confie Vivaldi, le 31  mai 1718. En 1717, Cosme
(Cosimo)  III avait délié sa bourse et consenti à verser 600 écus, afin de
couvrir les dettes de l’Académie des Immobiles. Grâce à cette aide, on avait
modernisé les statuts. L’Académie, que dirigeait Luca Casimiro degli
Albizzi, s’était rendue propriétaire du théâtre de via della Pergola, qui
ouvrit enfin ses portes le 22  juin 1718. Une nouvelle vie commençait  !
Nouvelle vie car la salle ne serait plus jamais un théâtre privé, comme
autrefois, mais un théâtre «  républicain  » c’est-à-dire que les Florentins
pourraient, comme à Venise, assister au spectacle en achetant simplement
un billet.
Scanderbeg est le premier opéra de la saison. Ensuite, les représentations
seront régulières, jusqu’en 1755, date à laquelle le théâtre en bois sera
rénové, agrandi et construit en pierre. Pendant plusieurs années, le marquis
Luca Casimiro degli Albizzi restera l’imprésario de cette salle aristocratique
qui, avec Scanderbeg, reprend sa place de premier théâtre d’opéra de la
Toscane.
 
Le livret du Florentin Antonio Salvi revient sur la question brûlante de la
lutte des catholiques contre l’Empire ottoman (qui avait déjà servi de
fondement aux deux oratorios de Vivaldi, La Vittoria navale et La Juditha
triumphans). Le sujet est toujours d’actualité.
Les Turcs avaient été battus sur l’île de Corfou en été 1716. Face aux
troupes que dirige Eugène de Savoie, ceux-ci subissent de nouvelles
défaites lors des batailles de Petravaradin (5  août 1716), de Temesvar
(1er octobre 1716) et de Belgrade (18 octobre 1717). Le traité de paix entre
la Sérénissime et l’Empire ottoman est signé le 21 juillet 1718 dans la ville
serbe de Pozarevac (en allemand Passarowitz). Sont présents le délégué du
sultan Ahmed III, les représentants de l’empereur Charles VI, Carlo Ruzzini
pour Venise, ainsi que deux médiateurs pour l’Angleterre et la Hollande.
L’Empire sort victorieux de ce traité et étend ses territoires dans les
Balkans. Venise, qui se croyait protégée par les Habsbourg, sera la grande
perdante. Elle doit céder aux Turcs la Crète et la Morée (le Péloponnèse,
déjà perdu en 1715) mais conserve les îles Ioniennes. Si elle étend ses
domaines en Dalmatie et en Albanie, il ne s’agit que de quelques places
fortifiées. La Turquie a désormais pris largement pied en Grèce. Venise,
quant à elle, a perdu définitivement son statut de puissance
méditerranéenne. À partir de cette date, elle sera neutralisée et mise à
l’écart par Vienne. Au moment où l’on représente le Scanderbeg de Vivaldi
à Florence, le traité de Passarowitz met un terme définitif à la guerre entre
la Sérénissime et les Turcs, commencée en 1714. Dès lors, les ressorts
dramatiques et politiques contenus dans le livret de cet opéra perdent de
leur raison d’être et de leur efficacité émotionnelle.
 
L’action est située dans la capitale de l’Albanie, au xvie siècle, à l’époque
d’une rébellion de la population contre l’occupation ottomane. L’Albanie
est soumise aux Ottomans. Le roi doit donner en otage ses quatre fils.
L’héritier du trône est Alessandro ; le monarque turc, Amuraat II, présenté
ici comme un tyran, l’oblige à transformer son nom en Scanderbeg selon la
loi musulmane. Dans cet opéra, pour ne pas être reconnus, les princes
légitimes doivent se travestir en bergers. On passe constamment d’un
univers à l’autre.
L’opéra comprend huit personnages, divisés en deux camps : cinq Grecs
et trois Turcs. Antonio Salvi prévient son lecteur : il y aura sur scène plus
de machines, plus de décors et de scènes de bataille que d’habitude. Les
scénographies évoquent le monde de la guerre et du pouvoir (un
campement, des remparts), tout en ménageant quelques lieux d’intimité (un
pavillon royal et une chambre).
Le rôle de Scanderbeg est interprété par le castrat Giovanni Battista
Carboni, dit Battistino, qui s’était formé à la cour des Gonzague et
appartenait désormais au cercle de Philipp. Pour la saison de printemps
1719, c’est lui qui sera l’imprésario au Teatro Arciducale de Mantoue et qui
succédera, dans cette fonction, à Vivaldi. Rosa Venturini, virtuose du
«  Prince Antoine de Parme  », est la seule chanteuse de l’Armida que
Vivaldi emmène avec lui, de Mantoue à Florence. Ici, Rosa n’a qu’un rôle
secondaire, celui d’Acomat, général d’Amurat  II. Elle reprend l’aria «  Se
correndo in seno al mare  » (I,  7) qu’elle avait chantée dans l’Armida, à
Venise. La célèbre mezzo-soprano Francesca Cuzzoni, alors au service de la
«  Gran Principessa Violante  », chante le rôle de Doneca, femme de
Scanderbeg (habillée en bergère). Quelques années plus tard, elle fera un
séjour retentissant dans la troupe de Haendel à Londres. La Cuzzoni n’est
alors qu’à ses débuts. Elle chantera pour la première fois à Venise
l’automne suivant, au théâtre San Giovanni Grisostomo, aux côtés de la
jeune Vénitienne Faustina Bordoni (toutes deux se retrouveront ensuite sur
les scènes anglaises) et d’Antonio Bernacchi, castrat contralto et fondateur
d’une école de chant célèbre, à Bologne. Giovanni Pietro Sbaraglia, qui
interprète le rôle d’Ormondo, est aussi un chanteur de Violante Beatrice.
Quant à Anna Guglielmi, de Bologne, on la retrouvera à Mantoue, dans La
Candace, puis à Reggio, dans Siroe re di Persia, au printemps 1727.
On ne conserve pas, à proprement parler, de partition de Scanderbeg. Six
arias se trouvent dans un recueil de pièces diverses conservé à Turin8.
Plusieurs arias seront reprises par Vivaldi dans ses opéras ultérieurs9.
Scanderbeg connaît dix-huit représentations entre le 22 juin et le 15 août.
Dans la foulée, l’opéra sera repris en août  1718 à Sienne, la ville que
gouverne Violante Beatrice.
Après plusieurs mois d’absence, on peut imaginer que, en ce mois de
juillet, Antonio et Giovanni Battista Vivaldi ont repris le chemin de Venise,
afin d’y passer l’été aux côtés de leur famille.

14

 Philipp de Hesse-Darmstadt

 Un projet de mariage annulé

 (1719)

En automne 1718, peut-être encore accompagné par son père,


Antonio Vivaldi reprend la direction de Mantoue, qu’il avait laissée
derrière lui au début de juin pour se rendre en Toscane. Pendant les
saisons d’automne et de carnaval, le Vénitien sera le seul
imprésario du Teatro Arciducale. En tant que compositeur, il
produira deux opéras : Teuzzone, un arrangement sous forme de
pastiche ; puis une création, Tito Manlio.
Le 16 novembre, Vivaldi est sur place. Carlo Bertazzone,
surintendant de la Chancellerie (Scalcheria), procède au lancement
de la saison selon le rite annuel. Les personnes qui désirent assister
aux opéras paient une avance de 20 lire et reçoivent en retour la clé
de leur loge. Plusieurs serrures permettant l’accès aux loges ayant
été fracturées par les habituels fraudeurs, Vivaldi les fait remplacer,
puis se fait rembourser10. Pour procéder au démarrage de la saison,
il reçoit plusieurs avances, 50 louis d’or pour ses prestations (à
déduire plus tard sur les 300 louis qu’on lui devra) en tant que
compositeur, et 2 000 lire pour les décors. En tant qu’imprésario, il
signe un contrat avec le gérant de la salle de jeux située dans le
théâtre ; on y pratique surtout le biribi, un ancien jeu de hasard qui
ressemble au loto. En échange, le tenancier devra verser à Vivaldi
60 lire par soirée. Le compositeur-imprésario autorise le versement
d’un acompte aux chanteurs ; habituellement, les artistes reçoivent
le premier versement après la première de l’opéra, et le reste au fur
et à mesure de l’avancement de la saison. Outre leurs cachets, les
artistes sont hébergés (comme l’est certainement aussi Vivaldi),
soit dans des appartements qui appartiennent à la cour, soit chez
des particuliers (payés en retour), situés près du théâtre. Teresa
Mucci (ou Muzzi) habite par exemple chez un tailleur ; Margherita
Gualandi juste en face du théâtre ; Giuseppe Pederzoli dans une
pièce du palais où logent les couturiers… Ils reçoivent aussi du
linge de maison et du matériel de cuisine.

Teuzzone, Mantoue, décembre 1718 (RV 736)

La première du Teuzzone (RV 736) aura lieu le 26  décembre11. Deux


jours plus tôt, le soir de Noël, Philipp de Hesse-Darmstadt, décidé à rompre
son veuvage, avait annoncé officiellement ses fiançailles avec Eleonora
Luisa, fille de Vincenzo Gonzaga, duc de Guastalla. Elle était la sœur
d’Antonio Ferdinando di Gonzaga et la veuve de Francesco Maria de’
Medici, mort en 1711. N’ayant pas eu de fils avec son mari, elle avait laissé
la lignée des Médicis sans héritier. À sa promise, le prince allemand avait
déjà fait envoyer des cadeaux, bijoux et vêtements. Dans la salle d’audience
du palais ducal, où l’on avait suspendu le portrait de «  Lionora  » bien en
vue, Philipp reçut les vœux de bonheur de la population. Représenté deux
jours plus tard, le Teuzzone faisait en quelque sorte partie des festivités.
Dans le livret de Teuzzone, il n’est fait aucune allusion au mariage de
Philipp ; l’événement sera répercuté sur l’opéra suivant, le Tito Manlio.
La dédicace du livret de Teuzzone est signée  par «  Giovanni Antonio
Mauro  ». Antonio Mauro, le scénographe vénitien attitré du Sant’Angelo,
est-il vraiment l’auteur des décors de Mantoue, ou bien sert-il seulement de
prête-nom dans cette production ? Il n’est pas rare en effet que le peintre et
décorateur se livre à ce genre de tractation, comme on le verra vingt ans
plus tard, à Ferrare, avec Vivaldi. Mauro signe la dédicace des livrets des
deux opéras. Dans celui de Teuzzone il écrit  : «  Je mets en scène… cet
opéra.  » Plus que créer une véritable mise en scène, il s’agit plutôt de
réemployer des costumes et des fragments de décors (étoffes, torches,
miroirs, petit mobilier) qui avaient servi le 7  juin 1716 pour Il
Grand’Alessandro, un spectacle donné à la cour de Mantoue pour fêter la
naissance du premier fils de l’empereur Charles  VI, l’archiduc Leopold
(l’enfant décédera en bas âge). La salle dite « de Troie » avait été tapissée
de damas, ornée de torches soutenues par des bras d’argent. Joseph, le fils
de Philipp, tenait le rôle principal  ; dans l’orchestre jouaient d’autres
personnes de qualité. Les costumes de cour, luxueux, n’ont aucun rapport
avec le milieu chinois dans lequel se déroule Teuzzone, pas plus qu’ils n’en
auront avec l’univers romain du futur Tito Manlio.
 
Le livret du Teuzzone avait été écrit par le Vénitien Apostolo Zeno (qui, à
cette même date de 1718, est nommé poète et historien de la cour de
Vienne) et mis en musique douze ans plus tôt à Milan. Inspiré de Racine et
de Corneille, Teuzzone aurait été, lors de sa création, le premier livret
d’opéra italien comportant une mise en scène chinoise. D’emblée, le
spectacle avait remporté beaucoup de succès. Le drame de Zeno connaîtra
plusieurs mises en musique. Il avait été repris à Venise, en 1707, avec une
musique d’Antonio Lotti ; la même saison et dans le même théâtre de San
Cassiano, on jouait Taican re della Cina, un autre opéra sur un sujet chinois,
avec une musique de Francesco Gasparini. On aime à cette époque les
« chinoiseries ». Venise est un carrefour important pour la vente des laques,
des porcelaines, des soieries, des meubles… importés de Chine puis
distribués dans toute l’Europe. Apostolo Zeno n’est toutefois pas un adepte
du goût rocaille qui est à la mode. Dans son livret, il se réfère à des
traditions et des rites religieux chinois très antiques. Les décors comportent
également des scènes plus traditionnelles, comme un souterrain au
troisième acte  ; puis «  un autel sacrificiel entouré de nuages qui se
transforme en un magnifique palais ».
Dans la version de Mantoue, le livret original d’Apostolo Zeno subit de
nombreuses transformations. Les arias originelles ne sont pas toutes mises
en musique ; des rôles sont supprimés ou écourtés. Le matériel employé par
Vivaldi proviendrait peut-être d’une version donnée à Gênes, en 1712  ; la
partition avait été signée par Giuseppe Maria Orlandini (l’aria « Ritorna a
lusingarmi », II, 17, est peut-être issue de cette version). Vivaldi aurait pu
aussi s’inspirer d’un Teuzzone donné à Turin en 1717 et mis en musique par
Girolamo Casanova et Sebastiano Andrea Fioré (Anna d’Ambreville y avait
déjà chanté le rôle de Zidiana). Si Vivaldi a effectivement utilisé le livret de
Turin, il pourrait aussi avoir repris la musique de cette version composée
par Casanova et Fioré12. Douze arias du Teuzzone viennent d’autres opéras
de Vivaldi13. Encore une fois, le Prêtre roux a employé son art du
« coupé/collé ».
Cet opéra est donc un pastiche et le nom de l’auteur de la musique n’est
pas cité dans le livret. Sous le couvert de l’anonymat, Vivaldi prévient ses
éventuels détracteurs par ces mots : « Le lecteur censé comprendra que ce
n’est pas par excès de zèle que ces modifications ont été effectuées, car qui
les a faites se déclare un admirateur respectueux de l’auteur14. »
 
L’histoire est la suivante  : Teuzzone (dans ce rôle masculin, la soprano
Margherita Gualandi dite La Campioli) est le fils de Troncone empereur de
Chine (le ténor Giuseppe Pederzoli). Sa compagne, Zidiana (Anna
d’Ambreville, virtuose de Modène), est issue d’un milieu populaire, mais
très ambitieuse et secrètement amoureuse de Teuzzone. Ayant projeté
d’usurper sa couronne au fils de Troncone, elle crée un faux testament.
Finalement, elle est bannie et Teuzzone épouse la princesse tatare Zelinda
(la contralto Teresa Mucci de Modène, qui reçoit la belle aria « Con palme
ed allori  », où elle est accompagnée par les cors et les hautbois, avec les
cordes). On entend aussi le castrat soprano Gasparo Geri (Cino) et deux
autres artistes de la chapelle de Philipp  : la basse Francesco Benedetti
(Sivenio) et le castrat alto Lorenzo Beretta (Egaro). Giuseppe Pederzoli
tient le rôle du prince tatar Argonte.
Comme pour Arsilda, on conserve deux manuscrits complets du
Teuzzone. Le premier, à Turin15, est un document partiellement autographe,
avec quelques interventions de copistes, peut-être de Giovanni Battista
Vivaldi, habituellement identifié par l’étiquette  : «  Scribe 4  »  ; des
fragments ont été éliminés pour faire place à des alternatives. Une copie qui
se trouve à Berlin16 comprend deux inscriptions autographes  :
«  L.D.B.D.A.  » («  Laus Deo Beataeque Mariae Deiparae Amen  »), la
signature de Vivaldi sous forme de monogramme que nous connaissons
déjà, et la mention «  Musica del Vivaldi  ». Dans les deux manuscrits, la
Sinfonia introductive est absente  ; mais on retrouve cette pièce dans le
manuscrit de l’Arsilda où le compositeur a noté  : «  Il
Teuzzone/Sinfonia/Atto P.mo »17. La Sinfonia a donc servi aux deux opéras.
Le compositeur s’en tient à un orchestre réduit où seuls deux hautbois et
deux trompettes s’ajoutent aux cordes. Il a choisi de ne pas employer
l’ensemble du potentiel orchestral dont il disposait à Mantoue, ni la richesse
sonore que l’on pourra entendre dans le Tito Manlio, représenté quelques
semaines plus tard.
 
L’opéra est applaudi. Dans un journal de Mantoue, à la date du
30 décembre 1718, on peut lire : « Dans ce théâtre public, on a donné lundi
dernier la première du Teuzzone, dramma per musica, qui se poursuivra
jusqu’à ce que l’on mette en scène le deuxième opéra  ; les chanteurs
interprètent leurs personnages avec succès ; on espère que dans le prochain
spectacle, ils donneront encore plus de lustre à ce théâtre afin d’y attirer
beaucoup de monde venu des proches contrées18.  » Des airs du Teuzzone
seront repris plus tard dans Giustino, Griselda et Ginevra.

Les préparatifs du mariage de Philipp de Hesse-Darmstadt

Après l’annonce officielle des fiançailles de Philipp, la cour s’affaire


pour le grand événement  : «  On prépara des livrées bordées de galons
d’argent, la décoration des chambres et des lits de noce somptueux, dignes
du rang de cette princesse. Nombre de ses amis et parents avaient quitté
Florence pour se rendre à Mantoue. Le banquet était préparé à l’abbaye de
San Benedetto in Polirone, où elle était attendue d’une heure à l’autre. Mais
tout cet affairement fut inutile car l’épouse ne se présenta pas en raison d’un
litige entre les cours de Toscane et de Guastalla. Le mariage n’ayant pas été
conclu, les somptueux cadeaux que le prince de Darmstadt avait envoyés à
la mariée lui furent restitués19. »
Les chroniques locales ne donnent pas le vrai motif de cette rupture. Des
rumeurs auraient couru sur le caractère volage de la princesse  ; d’autres
bruits évoquaient la nature autoritaire des Guastalla…
Pour le livret de l’opéra suivant, il est trop tard ! Le texte du Tito Manlio
(RV 738)20 est déjà imprimé… Pour l’histoire, l’opéra restera dédié à la
« Signora Principessa Eleonora Di Guastalla, /Sposa [épouse] di S.A.S. Il
Signor Principe Filippo ». Les fiançailles ne seront rompues officiellement
que le 7 décembre 1721.
Tito Manlio, Mantoue, janvier 1719 (RV 738)

Comme pour Teuzzone, Giovanni Antonio Mauro se dit l’auteur des


décors du Tito Manlio. Ils sont dans une veine antiquisante, comme le veut
le sujet (un temple, un appartement, le camp des Latins, une prison, une
route hors de Rome avec vue sur le Tibre). Mauro écrit aussi la dédicace à
la princesse  : «  Les applaudissements qui retentissent dans l’Italie tout
entière à l’occasion du Jubilé font écho aux noces glorieuses de V.A.S. avec
un Prince d’un Rang si élevé et doté de telles qualités que le monde entier le
révère. C’est pourquoi en mon cœur je ressens le désir de vous témoigner
respectueusement et humblement ma joie infinie21. »
Pour écrire son opéra, Vivaldi est mis sous pression. Il disposait de
quelques jours seulement pour transformer un simple spectacle de carnaval
en un opéra, festif certes, mais porteur d’un événement important au plan
politique, qui devra être représenté devant des centaines d’invités illustres.
Le livret du Tito Manlio n’est pas non plus une nouveauté. Il avait été
écrit en 1696 par le librettiste vénitien Matteo Noris pour le théâtre de
Pratolino, dans les environs de Florence, où se trouve la résidence des
Médicis. Le texte servit ensuite dans une dizaine de productions. Vivaldi,
lui, se fonde sur la version originale de Florence. Faut-il voir dans ce choix,
en cette période d’alliance entre Mantoue et Florence, un hommage des
Hesse-Darmstadt et des Gonzague aux Médicis  ? Il intègre néanmoins au
drame florentin des textes d’arias puisés dans d’autres versions, et insère
dans sa partition des arias provenant de ses propres opéras.
L’histoire est inspirée d’un drame de Corneille, Heraclius empereur
d’Orient (1647). Les tribuns latins confédérés demandent l’égalité des
droits politiques d’État, mais le Sénat romain rejette leur requête. Les Latins
se rebellent et déclarent la guerre aux Romains. Le consul Tito Manlio, dit
«  Tito  » (la basse Giovanni Francesco Benedetti) envoie son fils Tito
Manlio junior, dit « Manlio » (Margherita Gualandi), pour inspecter le camp
latin. Le gouvernement de Rome décrète que les combats devront
impérativement se dérouler hors des formations militaires. Malgré cet
interdit, un affrontement a lieu entre Manlio, qui a été insulté par le noble
latin Geminio (le ténor Pederzoli). Un corps à corps s’engage. Geminio est
tué. Manlio revient à Rome fier de sa victoire. Au lieu de féliciter son fils,
Tito l’accuse de n’avoir pas respecté la décision du Sénat ; il est condamné
à la décapitation. Coup de théâtre  ! La peine capitale est annulée in
extremis. La tragédie se termine, comme il convient, de façon heureuse.
Matteo Noris avait corsé l’histoire politique par des intrigues
amoureuses. Il inventa un couple d’amants déchirés entre les deux camps,
romain et latin. Avant que le conflit n’éclate, Lucio (le castrat Gasparo
Geri), un noble latin, se serait lié amoureusement à Vitellia (la contralto
Teresa Mucci), fille de Tito. Dans la version de Mantoue, on ajoute un
personnage burlesque, Lindo, servant de Vitellia, interprété par la basse
Giovanni Battista Calvi, un chanteur déjà âgé au service de la cour de
Mantoue. Comme pour Teuzzone, on réutilise des costumes princiers ayant
servi à la représentation du Grand’Alessandro, en 1716, totalement
étrangers à l’univers romain.
La dramaturgie comporte de nombreuses références poétiques au désir
amoureux que la proximité de la mort met en péril. Les sentiments et
l’héroïsme sont tressés ensemble dans des chaînes toutes symboliques,
références à la littérature précieuse. La cour de Mantoue peut s’identifier
aisément dans les personnages aristocratiques mis en scène par Matteo
Noris. Le livret est orné d’une gravure représentant Servilia rendant visite à
Manlio endormi dans sa prison (version de 1697). Les vêtements élégants,
les gestes, les coiffures bouclées sont caractéristiques de l’aristocratie et de
la noblesse de sang. Peut-on lire dans le choix de ce scénario une autre
allusion aux inimitiés historiques ayant divisé dans le passé les familles
princières des Hesse-Darmstadt, des Médicis et des Gonzague, réactivées
par le mariage entre Philipp et la princesse de Gonzague ?
Le seul livret subsistant du Tito Manlio mis en musique par Vivaldi à
Mantoue en 1719 provient de la collection personnelle de Joseph, le fils de
Philipp. Il fut retrouvé (avec les textes d’autres pièces données au palais de
Mantoue) dans la bibliothèque du séminaire théologique de Dillingen, en
Bavière, où résidait Joseph.
 
On conserve deux partitions manuscrites du Tito Manlio de Mantoue : un
autographe22, avec des interventions extérieures. Il porte cette mention  :
«  Musica del Vivaldi fatta in 5 giorni  » (Musique de Vivaldi faite en 5
jours  !) (quelques mots qui ont fait couler beaucoup d’encre  !). Il est
possible, suggère Peter Ryom dans son catalogue, que les aménagements
qui apparaissent sur le manuscrit aient été prévus pour une représentation
beaucoup plus tardive du Tito Manlio, peut-être à Venise, en janvier 1739…
et qui n’aurait jamais eu lieu23. Il s’agit probablement d’une copie de
travail. La calligraphie de Vivaldi, d’abord assez formelle dans le premier
acte, devient précipitée et brouillonne. La copie révèle pour sa part
plusieurs interventions, dont peut-être celle de Giovanni Battista Vivaldi
(« Scribe 4 »)24.
Des airs sont repris d’opéras précédents25. Certains migreront à leur tour
dans la version du Tito Manlio, qui sera repris à Rome en 1720, ainsi que
dans des opéras ultérieurs : La Verità, Giustino, Ercole, Griselda.
 
Dans Tito Manlio, l’orchestre est beaucoup plus riche que dans Teuzzone
et présente une large panoplie de timbres  ; outre les cordes, la partition
comprend deux cors de chasse et deux trompettes (joués par les mêmes
musiciens), une viole d’amour (remplacée dans la copie Foà 37 par un
violon), un violoncelle solo, un violone solo, deux hautbois, une petite flûte,
deux grosses flûtes droites («  Flauti grossi  »), un basson, des timbales…
Ces instruments sonores, souvent employés en plein air (trompettes,
timbales), sont aussi ceux que l’on entend dans les fêtes civiles et
religieuses  ; ils confèrent un caractère princier et festif à cette partition
destinée à célébrer un événement tout à fait particulier.
 
Dès le lever du rideau, le Consul Tito Manlio impose son autorité par sa
belle voix de basse, dans un arioso ample, tandis que tous les instruments
jouent ensemble la basse (« Tutti suonano il Basso ») ; suit l’aria « Se il cor
guerriero », sur un rythme belliqueux, avec les seules cordes. « Orribile lo
scempio » (I, 8) est un très bel air de bravoure. « Legga e vegga » (II, 15),
en arioso, avec les cordes, reste dans le style héroïque, avec des aspects
propres à l’esthétique de l’opera buffa.
Le rôle du fils, Manlio, est interprété par une femme. « Perche t’amo mia
bella » (I, 3) est un air léger qui convient à un être jeune. « Sia con pace ò
Roma Augusta », dans un style héroïque adapté à une voix aiguë, conclut le
premier acte. «  Se non v’aprite al dì  » (II,  3) est un air de bravoure,
pathétique  ; la voix concerte avec les cors de chasse  : étrange association
entre la sonorité métallique des instruments et la voix aiguë du castrat.
« Vedrà Roma e vedrà il Campidoglio » (II, 11), encore sur un ton héroïque.
Lucio est décrit comme un individu au caractère faible, mais Vivaldi fait
de lui, par la musique, un personnage plutôt héroïque  : son aria «  Alla
caccia d’un bell’adorato » (I, 5) avec deux cors et deux hautbois évoque la
chasse  ; dans «  Combatta un gentil cor  » (II,  11), la trompette virtuose
concerte avec la voix ; « Fra le procelle Del mar turbatto Lo sconsolato il
porto avrà  » est un habituel air de tempête, virtuose, pour conclure le
second acte.
Deux natures de femme s’opposent : Vitellia (Teresa Mucci), personnage
équivoque et contradictoire qui passe d’un camp à l’autre : dans « Di verde
ulivo » (I, 10), elle est accompagnée par le violoncelle solo concertant et le
violone solo ; tandis que Servilia (Anna d’Ambreville), la sœur de Geminio,
est une femme vertueuse, vulnérable et plaintive  : son aria «  Liquore
ingrato » (I, 4) est assez lente, avec des notes soutenues ; « Parto ma lascio
l’alma » (I, 13), accompagnée par le violoncelle solo, présente une cassure
rythmique adagio/allegro très suggestive. Dans « Andrò fida e sconsolata »
(II, 14), elle est accompagnée par deux « flauti grossi » ; et dans « Tu dormi
in tante pene per me », au début du troisième acte, elle est accompagnée par
la viole d’amour dans la version du manuscrit autographe (avec le violon
solo, dans la copie), Les deux femmes chantent ensemble dans deux duos :
« D’improvsiso riede il riso », II, 2 (avec une – ou deux ? – flûtes, outre les
cordes) et « Dar la morte a te mia vita » (II, 9).
Pour le rôle de Lindo, Vivaldi écrit de très beaux airs bouffes (mélodie
syllabique, nombreuses pauses)  : «  L’intendo e non l’intendo  » (I,  12),
« Rabbia ch’accendasi in cor di femina » (II, 7) et « Bruta cosa è il far la
spia  », dans la partie finale. Il est un serviteur misogyne, comme était
misogyne Decio, le confident et le serviteur d’Ottone dans Ottone in villa.
 
Le troisième acte, remarquable, se concentre sur le drame des deux
amants issus de camps ennemis, déchirés dans leurs sentiments. On sort de
l’univers guerrier pour se retrouver, avec les protagonistes, dans la
pénombre d’une «  Prison horrible avec torches allumées  ». La
condamnation de Manlio est imminente.
La Latine Servilia vient rendre visite au romain Manlio dans sa prison
«  Tu dormi in tante pene  » (largo, ré mineur). La voix concerte avec le
violon solo (Peter Ryom signale que cette aria présente des divergences
entre la version autographe et la copie26). Manlio dort et rêve  ; puis il se
réveille et voit Servilia. Celle-ci chante « Parto contenta ». Manlio répond
« Ti lascerei gl’affetti miei » accompagné par deux hautbois et le basson ;
tous les instruments en sourdine ; les minutes s’égrainent, rythmées par des
coups d’archets dramatiques. Seule dans la nuit, Servilia dialogue avec la
petite flûte et le violoncelle solo (« Sempre copra notte oscura »).
Manlio est conduit au supplice, dans une atmosphère de deuil,
accompagné par une Sinfonia funèbre en si bémol majeur (deux trompettes,
deux hautbois, deux violons, un alto, des timbales et le continuo ; tous les
instruments avec sourdine) qui retentit comme une sonnerie aux morts.
Cette Sinfonia est aussi le mouvement lent du Concerto Funebre (RV
579)27, transposé en do majeur (pour violon solo, hautbois, chalumeau,
trois viole all’inglese et continuo). Brusquement, sans modifier la
disposition des instruments, Vivaldi crée une rupture de ton et la joie éclate.
Decio survient, escorté par des phalanges armées. Manlio est couronné de
lauriers. Son aria «  Doppo si rei disastri  » est accompagnée par deux
trompettes, deux hautbois, les timbales, les cordes et la basse continue.
C’est un moment de victoire, dans le style de la Juditha triumphans (le
chœur final est une réélaboration du chœur final de cet oratorio).
 
À la fin de la saison du carnaval 1718-1719 qui avait été dirigée par
Vivaldi, le Teatro Arciducale de Mantoue comptabilise trente-six
représentations.
Un bilan comptable signé par Carlo Bertazoni et daté du 20 mars 171928
fait apparaître que les frais endossés par la Scalcheria s’élèvent à 33  205
lire  ; Philipp verse 20  400 lire et paie à part l’acteur Giovanni Battista
Calvi, organiste et chanteur de la cour qui avait semble-t-il pris part à la
mise en scène. La location des loges apporte 7  475 lire. La salle de jeux
procure 2  160 lire (à raison de 60 lire par soirée). Vivaldi retire pour lui
7 475 lire de la location des loges.
Avec ses 6 528 lire, le castrat Gasparo Geri est l’interprète le mieux payé.
Giuseppe Pederzoli le moins bien (1  767 lire). Teresa Mucci et Anna
d’Ambreville perçoivent chacune 5 400 lire.
Sur cette note datée du 20 mars 1719, Vivaldi retire 5 389 lire, c’est-à-
dire 225 ducats (il avait déjà perçu au début de la saison une avance de 50
louis d’or) (un louis = 68 lire de Mantoue).
À la fin de la saison du carnaval, Antonio Vivaldi cède sa place à la tête
du Teatro Arciducale à Giovanni Battista Carboni, qui avait chanté le rôle-
titre dans Scanderbeg, à Florence, au début de l’été 1718. Choyé par la cour
de Mantoue et par Philipp de Hesse-Darmstadt lui-même (on dit que le
landgrave lui permettait de traverser la ville avec ses bœufs et son carrosse
sans payer la taxe de rigueur), il dispose aussi d’une loge gratuite dans le
théâtre. Au moment du passage de pouvoir, un litige éclate entre les deux
hommes. Sur une note datée du 15 février 1719, il apparaît que Vivaldi était
resté débiteur, vis-à-vis de la Scalcheria, de 420 lire (« Debitore il Sig. D.A.
Vivaldi £ 420 »)29. Pour s’affranchir de sa dette, il avait cru bon, avant de
quitter Mantoue, d’offrir des places gratuites aux membres de la
Chancellerie. Carboni, qui se sent lésé, car il retire une partie de ses
bénéfices de la location des loges, refuse que le compositeur mette à
exécution son stratagème, disant qu’il ne veut rien avoir affaire avec
Vivaldi. Que le Vénitien trouve donc un autre moyen pour s’acquitter de sa
dette30 !

« Maître de musique de chambre » de la cour de Mantoue

Dans le courant de l’automne 1719, Vivaldi est nommé maestro di


cappella di camera (maître de chapelle de chambre) du landgrave Philipp
de Hesse-Darmstadt. Ce titre apparaîtra pour la première fois dans le livret
de La Candace, en janvier  1720, plus d’un an après la représentation, au
printemps 1718, de l’Armida. Pour cette charge, il recevra la somme
mensuelle de dix louis (680 lire de Mantoue). Vivaldi restera libre de
s’absenter de Mantoue, de retourner à Venise et de répondre (jamais sans
l’accord du landgrave !) à d’autres sollicitations professionnelles.
Quoi qu’il en soit, Antonio Vivaldi n’est pas l’homme d’une seule
fonction. Sa notoriété internationale grandit. Ses opéras se propagent en
Italie et en Europe (souvent sans que son nom soit même cité). En
mars  1719, La Costanza (1716) est reprise à Vicence, au Teatro delle
Grazie, sous le titre : Artabano, re’ dei Parti. Le mois suivant, Armida al
campo d’Egitto est exécutée à Lodi (dans la version de Mantoue). Le
15  mai 1719, la Costanza sera représentée à Hambourg, avec un titre
allemand, Die über Hass…, peut-être dans une version arrangée par le
compositeur allemand Georg Caspar Schürmann.
Durant son séjour à Mantoue, Vivaldi ne cesse jamais d’écrire des
concertos. La forme du concerto représente pour lui un creuset, un atelier
constamment ouvert, où il mène des expériences personnelles, approfondit
son style et lui donne plus de relief. Vendre des manuscrits à d’éminents et
riches commanditaires est un moyen de se faire connaître, mais aussi de
monnayer son talent tout en restant libre de lui-même. Le 19 avril 1719, il
signe un reçu pour une somme d’argent que lui a versée l’un de ses
meilleurs clients, le comte Wenzel von Morzin31. Dans ce «  paquet de
partitions » expédiées à Prague, on suppose que se trouvent peut-être déjà
les concertos des Quatre Saisons qui seront édités à la fin de 1725 dans Il
Cimento dell’Armonia e dell’Inventione, une publication dédiée au même
comte de Morzin.
 
En Angleterre, plusieurs concertos de Vivaldi paraissent dans des
anthologies. Le célèbre concerto dit « Le Coucou » (RV 335) avait paru à
Londres chez Daniel Wright en 1717  ; il est repris (avec le concerto RV
347) dans le fascicule intitulé « Two celebrate Concertos », gravé chez John
Jones en 1720, puis encore chez Walsh & Hare.

Les concertos pour cinq instruments de l’Opus 6 (1719)

On situe à la date de 171932 la publication des concertos de l’Opus 6,


bien que ces œuvres auraient été composées dans les années 1715-1716,
c’est-à-dire à l’époque où Vivaldi travaillait en symbiose avec les filles de
la Pietà. Estienne Roger et sa fille Jeanne, à Amsterdam, ont peut-être
constitué le recueil sans même consulter Vivaldi, à partir de manuscrits
reçus de Venise (ou d’ailleurs). Associé à son gendre Michel-Charles Le
Cène, Estienne Roger réédite le même recueil l’année suivante (1720).
Vivaldi y porte le titre de « Musico di Violino e Maestro de Concerti de Pio
Ospedale della Pietà di Venetia » ; à cette date, le Prêtre roux n’aurait donc
pas encore pris sa nouvelle fonction de maître de chapelle de chambre du
landgrave Philipp de Hesse-Darmstadt.
Le recueil, qui ne porte pas de titre (autre élément qui permet de douter
que l’édition ait été réalisée sous le contrôle de l’auteur), comprend six
concertos33 intitulés simplement «  Concertos à cinq instruments, trois
violons, alto viola, et basse continue ». Quatre concertos (1, 3, 5 et 6) sont
dans une tonalité mineure. Seuls deux sont conservés sous forme
manuscrite. Le deuxième du recueil (RV 259), dans une copie de
Pisendel34 ; une autre copie de la même œuvre est à Wiesentheid, datée de
171735. Une copie du concerto n° 6 (RV 239) est à Dresde36. Aucun de ces
manuscrits n’est autographe. Le recueil est assez hétérogène ; la virtuosité
varie selon les pièces, comme si l’éditeur avait voulu offrir un choix de
pièces de niveaux différents à un large éventail de musiciens amateurs.
La forme du concerto pour violon soliste en un triptyque Vif (Allegro) –
Lent (Largo ou Andante) – Vif (Allegro), écrits ou non dans une même
tonalité, est désormais fixée. Dans les mouvements vifs, la forme dite
ritornello s’impose, avec son alternance de tutti solidement structurés entre
la tonique et la dominante, et d’épisodes plus libres réservés à l’expansion
du soliste. Ces passages solistes prennent une ampleur et une volubilité plus
ou moins grandes, selon que le violon fait de brèves interventions, ou qu’il
s’empare d’emblée du thème, contraignant alors le tutti à rester au second
plan.
 
Au début de 1719, Antonio Vivaldi quitte Mantoue pour rentrer à Venise.
Aucun engagement pour l’instant ne l’y attend. Le 26 février, les députés de
la Pietà nomment Carlo Luigi Pietragrua, un autre compositeur d’opéras,
maître de chœur. Près d’une année passera avant que le Prêtre roux ne
reprenne la route de Mantoue.

15

 Le décès de l’Impératrice douairière

 Suite du séjour à Mantoue

 (1720)

Avant de quitter Mantoue, Vivaldi avait retiré auprès de la


Chancellerie de la cour 5 389 lire (environ 225 ducats), qui
venaient s’ajouter aux 50 louis d’or qui lui avaient été versés au
début de la saison. Ces cachets n’étaient pas modestes si on les
compare aux 60 ducats annuels gagnés à la Pietà pour un travail
régulier et astreignant. Durant son dernier séjour à Mantoue, le
Prêtre roux, haussé à la dignité de « Maître de musique de chambre
du landgrave Philipp de Hesse-Darmstadt », avait ainsi trouvé la
protection aristocratique qui lui manquait. Quinze ans durant, il
arborera ce titre prestigieux sur les frontispices des livrets de ses
opéras ; c’est une reconnaissance, une sécurité ; une carte de visite
qui s’avérera utile au plan politique pour évoluer dans les milieux
du pouvoir à Milan, Florence et Rome, mais aussi lors de ses
prochains voyages à Vienne et en Bohême.
C’est à Venise sans doute que, en décembre 1719, le compositeur
reçoit de Rome une lettre de commande accompagnée d’un livret
d’opéra. Il est invité à composer le troisième acte d’un pastiche qui
sera donné au Teatro della Pace, au début du mois de janvier 1720.
C’est une participation modeste, mais sa première commande pour
un théâtre romain.
Après plus de dix ans de fermeture, les théâtres étaient maintenant
ouverts à l’opéra de façon régulière. En 1697, le pape Innocent XII
avait en effet interdit la représentation d’opéras dans les États qui
dépendaient du Vatican. C’est la même censure qui, en 1701, avait
encouragé Francesco Gasparini à venir s’établir à Venise, où il
avait bénéficié non seulement d’un poste fixe à la Pietà, mais aussi
de la présence de théâtres qui, en période de carnaval, faisaient le
plein et jouissaient d’une certaine liberté artistique. Puis, en 1711,
les représentations romaines avaient repris leur cours… d’abord
dans les palais des princes et des prélats puis, l’un après l’autre, les
trois théâtres de Rome, Capranica, D’Alibert et Della Pace avaient
retrouvé le rythme de leurs activités, avec des hauts et des bas,
fournissant de nouvelles sources d’engagements aux artistes.

Tito Manlio, troisième acte, Rome, janvier 1720 (RV 778)

Le Tito Manlio de Matteo Noris se prête excellemment à être représenté


dans la ville papale. Le livret dont Vivaldi est chargé de mettre en musique
le troisième acte pour le Teatro Della Pace, au début du mois de
janvier  1720 (RV 778)37, n’est pas repris de la version originale de
Florence (sur laquelle il s’était fondé à Mantoue) mais d’une représentation
ultérieure, donnée à Naples en 1698. L’opuscule imprimé à Rome est dédié
à la «  Noblesse romaine  ». Les noms des trois compositeurs (pour le
premier acte Gaetano Bono, pour le second Giovanni Giorgi et pour le
troisième Antonio Vivaldi) ne sont pas imprimés. La distribution est
entièrement formée de chanteurs masculins dont cinq castrats, sopranos ou
contraltos  ! Dans le diocèse du Vatican, même si les théâtres d’opéra ont
désormais retrouvé une vie normale, les femmes restent toujours prohibées
et sont remplacées par des castrats, travestis en femmes. Ainsi le rôle de
Vitellia est-il interprété par le Vénitien Felice Novelli et Servilia par
Francesco Natali, dit Il Perugino (il avait chanté dans Tieteberga, à Venise,
en octobre 1717). Il n’y a, dans cet opéra, que deux voix « masculines » :
l’excellent ténor Giovanni Paita, qui incarne le protagoniste Tito Manlio et
la basse bouffe Giovanni Battista Cavanna, pour les intermèdes comiques.
Les décors sont réalisés par le scénographe de Bologne, Domenico Maria
Vellani.
Trois recueils manuscrits (dont les papiers sont de provenance romaine)
contiennent des arias du Tito Manlio, donné à Rome en janvier  1720. Le
premier est à Paris38, les deux autres en Allemagne  : à Münster39 et à
Wiesentheid, dans la collection des comtes de Schönborn-Wiesentheid40.
Dans le troisième acte composé par Vivaldi, seules trois arias sont
reprises de la version de Mantoue41. La riche symphonie funèbre qui
accompagnait Manlio, au moment où il se préparait à mourir, disparaît au
profit d’une aria brillante, «  Meco gioite belle amorose  », où le héros est
accompagné par un hautbois (ou les deux premiers violons).
 
Il est peu probable que le compositeur se soit rendu à Rome, début
janvier. Son prochain opéra, La Candace, devait être représenté à Mantoue
quelques jours plus tard et la présence du compositeur était requise pour les
répétitions.

La Candace o siano Li Veri amici, Mantoue, janvier 1720 (RV 704)

Au Teatro Arciducale de Mantoue, on avait, comme de coutume,


inauguré la saison du carnaval avec un pastiche. En même temps, les
artistes se préparaient à créer le nouvel opéra de Vivaldi, La Candace o
siano Li Veri amici (La Candace ou Les vrais amis) (RV 704), qui devait
être donné dans les derniers jours du mois de janvier42.
Le livret de Francesco Silvani, intitulé Li Veri Amici (Les vrais amis),
avait été écrit en 1713, pour Venise. L’auteur s’était inspiré d’une tragédie
de Corneille, Heraclius, empereur d’Orient. Avant que ne s’imposent en
Europe les livrets de Pietro Metastasio, la tragédie française constituait,
pour les librettistes d’opéra italiens, un réservoir de sujets qui convenaient à
l’opéra sérieux. Elle leur offrait un modèle de rigueur formelle, des
thématiques puisées dans l’Antiquité et des héros dans lesquels
l’aristocratie pouvait s’identifier. Silvani avait transformé l’œuvre de
Corneille conçue pour le théâtre en un livret d’opéra et déplacé en Égypte le
drame originellement situé à Byzance. La Candace de Mantoue, mise en
musique par Vivaldi, est une nouvelle version encore, révisée par Domenico
Lalli ; vingt-quatre textes d’arias sont nouveaux.
 
L’intrigue peut se résumer simplement  : deux garçons (les vrais amis)
briguent le trône sans savoir qui est le juste héritier. L’action se situe à
Memphis (aujourd’hui Le Caire). Amasi, tyran d’Égypte (le ténor Antonio
Barbieri), a ordonné de tuer l’infant héritier du trône, Evergete (le castrat
Gian Antonio Archi dit Cortoncino), et de faire emprisonner sa mère
Candace (Margherita Zani), veuve du roi légitime Aprio. Protégée par sa
confidente qui cache l’enfant avec son propre fils, Candace a pu s’enfuir.
Pour épargner le petit Evergete, on tue un autre garçonnet et l’on montre le
cadavre à Amasi, ainsi convaincu de la mort de l’héritier légitime. Evergete
grandit à la cour, confondu avec Lagide (le castrat contralto Gian Battista
Muzzi, dit Speroni), le fils du tyran. Les deux enfants deviennent amis,
ignorant eux-mêmes leur identité réelle (Evergete se croit Lagide et Lagide
pense être Evergete). Amasi veut faire mourir celui qu’il prend pour le fils
de Candace, et qui est en réalité son propre fils non reconnu. La nurse se
venge et retourne la lame contre le tyran : « Devine si tu peux, et choisis si
tu l’oses… », dit-elle dans l’Heraclius de Corneille (IV, 4). Mais le tyran est
assassiné par les patriciens avant de connaître la vérité.
 
Les scénographies (Galerie royale avec bustes et statues ; Mausolée avec
la statue d’Aprio couronné  ; Chambre d’Amasis avec un trône et un
écritoire  ; Rue conduisant à la forteresse royale  ; Hall illuminé) sont
réalisées par Andrea Galluzzi, qui est aussi l’imprésario de la saison. Il
signe la dédicace du livret à Philipp de Hesse-Darmstadt. Le costumier est
Gian Antonio Spolari dit l’Amici, « inventeur des habits du Collège des très
Illustres Signori Nobili de San Francesco Saverio de Bologne ».
 
Vivaldi n’emprunte que peu d’éléments à ses œuvres précédentes. Une
aria est issue de l’Orlando furioso de 1714 («  Nel profondo, cieco
mondo  »), avec quelques modifications. En revanche, la partition de La
Candace fonctionnera comme un portefeuille où le compositeur ira
fréquemment puiser pour ses prochains opéras (La Verità  ; La Silvia,
Ercole…). Le quatuor très dramatique «  Anima del cor mio  » se
transformera en quintette, l’automne suivant, à Venise, dans La Verità in
cimento. Les plus belles arias sont données à la prima donna, Margherita
Zani, qui incarne l’héroïne, Candace. Une douzaine d’arias provenant de cet
opéra se trouvent dans un recueil mixte, conservé à Turin43, où sont réunies
des arias d’opéras composées entre 1717 et 1721.
 
Si, en janvier 1719, la rupture du projet de mariage de Philipp n’avait pas
fait annuler les représentations du Tito Manlio, cette fois c’est un
événement plus lointain qui vient interrompre brusquement les
représentations de La Candace  : le décès, survenu le 19  janvier 1720, de
l’Impératrice douairière, Eleonora Magdalena von Pfalz-Neuburg, veuve de
Leopold  Ier, mère de l’empereur Charles  VI. Le lendemain, les ornements
noirs remplacent les falbalas du carnaval et tout divertissement est annulé.
On a souvent suggéré que le sublime Concerto Funebre de Vivaldi (RV
579) (dont le premier mouvement, largo, très suggestif, est une
transposition de la Sinfonia jouée dans la scène finale du Tito Manlio,
lorsque Manlio est conduit à l’exécution) aurait été joué à Mantoue, pour
marquer le deuil de la cour44.
Le Teatro Arciducale ferme et gardera ses portes closes jusqu’au 1er  juin
1722. Désormais sans travail, Antonio Vivaldi s’apprête à quitter Mantoue
et règle ses affaires. Sur une note rédigée par le surintendant de la
Scalcheria, signée par Philipp de Hesse-Darmstadt et datée du 20  février
1720, il apparaît que la cour de Mantoue doit « 3 400 lire » à don Antonio
Vivaldi  ; à la somme due, on avait «  soustrait les dettes que celui-ci a
contractées, ainsi que l’avance qui lui avait été remise  ; reste une somme
finale de 3 400 lire […]45». Le 26 février, Vivaldi signe un premier reçu de
1 823,8 lire ; il est payé pour cinq mois de travail, à raison de dix louis par
mois  ; pour un total de 680 lire par mois (c’est-à-dire trente ducats de
Venise). Le document, écrit de la main de Vivaldi, est ainsi formulé :
Je soussigné, reçois de Mr  Carlo Bertazzone, surintendant de la
Scalcheria Arciducale  ; autres 1  823 (lire) et 12 sous, soldant les 1  400
(lire) dues, selon la volonté de S.A.S. Prince Gouverneur et Patron pour
cinq mois, en tant que salaire de Maître de Chapelle de Chambre de l’A.S.
à raison de dix louis par mois, en tout 1  823,8 lire. Je soussigné
D. Antonio Vivaldi46.
Sur un autre bilan comptable, daté du 28 février, on peut lire encore :
Sige D. Antonio Vivaldi : reliquat des loges pour ses salaires pour cinq
mois à raison de dix louis par mois de 68 lire chacun comme
convenu = 1 576,12 lire47.
Le total reçu par Antonio Vivaldi les 26 et 28 février 1720 (1 823,8 plus
1 576,12) est donc bien de 3 400 lire.
Le Prêtre roux est arrivé au terme de son premier et plus long séjour
effectué auprès de Philipp de Hesse-Darmstadt. Dix-sept ans plus tard, dans
une longue lettre autobiographique destinée à son protecteur à Ferrare, le
marquis Bentivoglio, il dira : « À Mantoue j’ai passé trois années au service
du très pieux prince de Darmstadt48. »

Cantates, sérénades et concertos de chambre

Durant son séjour à Mantoue, Vivaldi n’a pas été mis à contribution pour
n’écrire que des opéras. Son titre de «  maître de chapelle de chambre  »
pouvait l’amener à recevoir toutes sortes de commandes servant aux
divertissements et à la vie de la cour  : cantates, sérénades, concertos et
sonates.
La cantate, genre pratiqué surtout dans les palais, les salons, les cercles
académiques, sert à meubler les longues soirées d’hiver, ainsi que les
journées à la campagne, pendant la période estivale. Le (ou) les chanteurs
sont accompagnés par le clavier (clavecin ou épinette) et le violoncelle
(ensemble ou séparément), parfois aussi par un petit ensemble de chambre,
le plus souvent les cordes. L’influence de l’Arcadie est très forte. On prend
plaisir à exprimer ses sentiments, en les masquant derrière des symboles.
Les personnages sont issus le plus souvent de la mythologie. Tout est
métaphore et allégorie, les textes mais aussi la musique, les tonalités, les
accords, les modulations… sont des flatteries aux commanditaires. La
cantate a une fonction proche de celle qu’avait déjà le madrigal à la
Renaissance. Elle est conçue par les professionnels ou des amateurs, les
aristocrates et les prélats eux-mêmes. Ce sont des formes très convenues,
souvent ennuyeuses pour nous à qui ces codes restent indéchiffrables  ; à
moins qu’elles ne soient composées par Alessandro Scarlatti, Francesco
Gasparini ou même Georg Friedrich Haendel, lors de son séjour en Italie.
Le compositeur écrit les cantates et les sérénades sur commande, pour
des fêtes, des anniversaires, des réunions académiques. Comme l’opéra, ce
sont des genres éphémères, et la plupart d’entre elles restent manuscrites,
sauf quelques cas, comme les recueils publiés par Francesco Gasparini,
Benedetto et Alessandro Marcello.
Au plan formel, la cantate est écrite comme un motet : généralement en
trois (parfois quatre) épisodes (récitatif-aria-récitatif), dans une alternance
de mouvements lents et rapides. Elle est un petit morceau d’opéra  ; seul
l’accompagnement (clavecin ou violoncelle ou les deux) reste plus simple,
car ces pièces sont assez fréquemment exécutées par des amateurs.
Avant son séjour à Mantoue, Antonio Vivaldi avait été peu familiarisé
avec la cantate et la sérénade. Durant sa carrière, il compose plusieurs
cantates pour les académies de Venise. Il a par exemple fréquenté
l’académie de la chanteuse vénitienne Faustina Bordoni, l’épouse de Johann
Adolf Hasse, ainsi que le cercle du violoniste compositeur Mauro d’Alay. Il
est probable que Vivaldi a aussi composé des pièces vocales et
instrumentales pour le petit groupe de musiciens et chanteurs qui se
trouvaient auprès du prince de Saxe, Friedrich August, pendant ses séjours à
Venise. Il aurait ensuite continué à écrire et à envoyer des cantates à Dresde
qui, pense-t-on, auraient été interprétées par les chanteurs et les musiciens
de la Hofkapelle saxonne49.
On conserve une douzaine de manuscrits de cantates composées par
Vivaldi dans une période qui correspond au séjour du compositeur à
Mantoue. Les textes de ces œuvres sont chargés de flatteries, d’allégories,
d’allusions aux situations historiques vécues par Philipp, par sa famille et
par les personnes de leur entourage. Les sentiments exprimés (langueur
amoureuse, insatisfaction permanente, bonheur inaccessible vécu par les
bergers d’Arcadie) sont conventionnels ; des conventions qui régissent tous
les arts, à cette période. À Mantoue, les cantates étaient exécutées par les
membres de la famille de Philipp et par leurs amis ; ou par les musiciens et
chanteurs de la cour et du théâtre  ; ou encore par les chanteurs de la
cathédrale San Pietro et de l’église ducale San Barbara. Philipp, sa famille,
ses amis se cachent sous les noms des bergers et des nymphes d’Arcadie :
Daliso (généralement Philipp lui-même), Tirsi, Elvira. Les cantates écrites
pour Mantoue sont assez simples ; elles conviennent à des amateurs.
La plupart des manuscrits des cantates de Mantoue sont conservés dans
les recueils de Turin Foà 28 et Foà 27. Deux sont autographes (RV 685 et
RV 686), pour voix de contralto, et facilement identifiables par leurs
dédicaces50. La première, «  O mie porpore più belle  » (RV 685),
accompagnée par les cordes, fut composée en hommage à Antonio dei
Conti Guidi qui, le 15  avril 1719, devenait évêque de Mantoue  ; sur le
manuscrit, Vivaldi a noté : « En hommage à Monseigneur de Bagni, Évêque
de Mantoue  ». La seconde, «  Qual in pioggia dorata  » (RV 686),
accompagnée par deux cors, les cordes et la basse continue, porte une
dédicace à Philipp, gouverneur de Mantoue.
Les autres cantates sont écrites pour soprano, la plupart avec la seule
basse continue51. Les copies semblent être de la main de Giovanni Battista
Vivaldi, avec des annotations autographes d’Antonio. Si cette hypothèse est
exacte, cela montre que Vivaldi senior était le plus souvent aux côtés de son
fils à Mantoue.
Pour Philipp de Hesse-Darmstadt, Vivaldi a aussi écrit la sérénade à
quatre voix « Questa Eurilla gentil » (RV 692), exécutée le 31 juillet 1726,
au palais de La Favorita, résidence d’été de la cour, près de Mantoue (onze
jours après l’anniversaire de Philipp). Les interprètes sont les deux enfants
du prince  : Teodora (Eurilla) et Joseph (Elpino) et leurs amies, les
comtesses Maria Caterina Capilupi Biondi (Fillide) et Margherita
Facipecora Pavesi Furlani (Tirsi). La musique de cette sérénade est perdue.
À Mantoue, Vivaldi se fait courtisan. Comme tous les compositeurs de
son époque, il doit servir les mécènes  ; composer des œuvres qui
conviennent aux circonstances (anniversaires, bals, réunions d’amis,
évènements politiques, réceptions importantes…). Tout n’est pourtant pas
qu’ennui et platitude dans ces petites formes occasionnelles ; l’auteur peut y
mener des expériences personnelles, sur la forme, sur le langage, y risquer
des traits audacieux. C’est peut-être à Mantoue qu’Antonio Vivaldi aurait
expérimenté une forme nouvelle de concerto  : le concerto de chambre
(concerto da camera). Ce ne sont pas des œuvres destinées à la publication,
mais plutôt des pièces écrites pour des ensembles précis, comme la chapelle
musicale de Mantoue, ou les filles de la Pietà, ou encore les musiciens de la
chapelle saxonne. L’effectif instrumental est composé d’une flûte (le plus
souvent traversière), d’un hautbois, d’un violon, d’un basson et de la basse
continue. La flûte traversière est un instrument encore peu utilisé à Venise,
davantage prisé dans les milieux germaniques, comme la cour de Mantoue,
alors placée sous la tutelle des Habsbourg et dirigée par un landgrave
allemand.
Une vingtaine de concertos connus peuvent entrer dans la catégorie des
concertos de chambre. Outre la célèbre Tempesta di Mare (Tempête en mer)
(RV 98) et le concerto dit « Del Gardellino » (du chardonneret) (RV 90)52,
dont les manuscrits sont des copies, les autres concertos sont tous conservés
dans le fonds Giordano, à Turin, sous forme autographe53.
En raison du deuil vécu par la cour de Mantoue, Philipp de Hesse-
Darmstadt accorde à son « maître de chapelle de chambre » l’autorisation
de rentrer chez lui pour y vaquer à ses occupations personnelles, à condition
que celui-ci revienne à Mantoue dès que le prince le lui demandera.
Antonio Vivaldi ne laisse jamais échapper les occasions qui s’offrent à
lui. Avant de quitter Mantoue, il prie son mécène de le recommander à
l’ambassadeur impérial à Venise, ce dont Philipp de Hesse-Darmstadt
s’acquitte par une lettre rédigée de sa main à l’intention du comte Johann
Baptist Colloredo-Waldsee :
À Mr L’Ambassadeur
Résident
à Venise Comte Giovanni Battista Colloredo
Très illustre Excellence […]
le 3 mars 1720, pour servir de recommandation de Mr D. Ant° Vivaldi.
J’ai donné à D.  Antonio Vivaldi, mon maître de chapelle de chambre,
l’autorisation de se rendre à Venise sa Patrie, afin de s’y occuper d’affaires
personnelles, car ici, le deuil qui nous touche le contraindrait à rester oisif.
Durant le temps que durera son séjour, celui-ci aimerait être confié à la
générosité que Votre Excellence daigne me témoigner, afin que, porteur de
cette missive, il puisse jouir, sans en abuser, de votre très précieuse
Protection, dont le singulier talent qu’il possède le rend tout à fait digne.
Je prie donc V.  E. d’être particulièrement bienveillant à son égard. Dans
l’attente de pouvoir vous servir autant que je le voudrais, je me prosterne
très respectueusement54.

16

 Le Théâtre à la Mode

 Benedetto Marcello contre « Aldiviva »

 (1720-1721)

Vivaldi est de retour dans sa ville natale où, sans l’avoir prévu, il se
retrouve libre de lui-même. À la Pietà, il n’a plus de charge
officielle. Carlo Luigi Pietragrua, qui dirige la chapelle musicale
depuis un an, gardera ce poste jusqu’à sa mort, au printemps 1726.
Le grand violoncelliste Antonio Vandini, alors âgé de trente ans, est
nommé maître de violoncelle le 17 septembre 1720. Solution
d’attente probablement, car Vandini ne restera à Venise que
quelques mois. L’année suivante, il entrera dans l’ensemble
instrumental de la basilique Saint-Antoine, à Padoue où, cinquante
ans durant, il jouera aux côtés du violoniste Giuseppe Tartini.
Vandini et Tartini seront deux complices inséparables, parcourant
les mêmes routes, partageant les mêmes intérêts et fréquentant les
mêmes cercles académiques de la ville. Cinquante ans plus tard,
Charles Burney faisant étape à Padoue visitera la basilique du
Santo, espérant y entendre jouer le célèbre violoncelliste,
désormais âgé. Il écrit : « Je désirais beaucoup entendre le vieil
Antonio Vandini qui, à ce que disent les Italiens, joue de son
violoncelle a parlare, c’est-à-dire d’une manière à faire parler son
instrument55…» Mais l’attente du voyageur anglais ne sera pas
comblée : le jour de la visite de Burney, le vieux Vandini ne joua
pas à l’office. Antonio Vandini fut l’un des plus grands
violoncellistes de son temps. Sa présence à la Pietà, en 1720-1721,
époque où Vivaldi ne remplit aucune fonction connue dans
l’institution, permet de rêver pourtant que plusieurs des somptueux
concertos pour violoncelle du Prêtre roux furent écrits en présence
de ce maître exceptionnel, et joués par lui à la Pietà.
 
Au printemps 1720, à Vicence, sur la scène du Teatro delle Grazie,
on donne une nouvelle version de l’Armida, intitulée Gl’inganni
per vendetta. Parmi les interprètes se trouvent Francesco Benedetti
et Chiara Orlandi. Vivaldi s’est sans doute déplacé pour s’occuper
de cette production.
Passé l’été, le Prêtre roux trouve à s’employer au Sant’Angelo ;
l’imprésario du théâtre est toujours l’ami Giovanni Orsato, qui
dirige en même temps le San Moisè. D’après une chronique locale,
Vivaldi et Orsato auraient travaillé de concert, pour la saison
d’automne 1720 et le carnaval suivant. Comme compositeur,
Vivaldi produira La Verità in cimento. Puis il participera à
l’ouverture du carnaval en composant le troisième acte du pastiche
Filippo re di Macedonia.

La Verità in cimento, Venise, octobre 1720 (RV 739)

Le 26  octobre 1720, pour la saison dite d’automne, le théâtre


Sant’Angelo présente La Verità in cimento (La vérité mise à l’épreuve) (RV
739)56. Giovanni Palazzi dédie le livret à son protecteur, le comte Savva
Vladislavich, un conseiller de Pierre le Grand. En 1697, le tsar avait
soutenu l’accession de l’Électeur de Saxe, Friedrich August I dit Le Fort (le
père du prince Friedrich August, qui séjournait à Venise les années
précédentes), au trône de Pologne (avec le titre d’Augustus II). Il fut évincé
par le roi de Suède, Charles  XII, puis réinvesti en 1709 par le tsar de
Russie. Friedrich restera roi de Pologne jusqu’à sa mort en 1733. Le Saxon
est l’allié de Frédéric IV, roi du Danemark et de Norvège (un autre visiteur
de la Sérénissime). Frédéric, de son côté, tente en vain la reconquête de la
Scanie, en Suède. La Russie, la Pologne, la Saxe, la Norvège et la
Sérénissime sont d’anciens alliés contre les assauts des armées ottomanes
en Europe. Leurs souverains furent souvent les hôtes privilégiés de
Venise… en temps de carnaval ; une Venise qui ne compte plus guère aux
yeux des puissances étrangères qui cherchent ces années-là à se partager
l’Europe.
Comme La Candace composée par Vivaldi pour Mantoue, La Verità in
cimento est inspirée, et librement adaptée, de la pièce de Corneille,
Heraclius, empereur d’Orient. Domenico Lalli a peut-être collaboré avec
Palazzi à la rédaction du livret. Le Napolitain est maintenant un imprésario
qui compte dans le milieu de l’opéra. En tant que dramaturge, il aime
projeter les sujets de ses livrets en Orient. Il façonne avec plaisir les
situations équivoques, enchevêtrées, les disparitions de personnages, les
identités usurpées, les femmes séductrices, dangereuses et à double face.
Le drame raconte l’histoire d’une mère dont le fils a été remplacé par un
autre, afin de lui éviter la mort. En plusieurs points, les deux opéras sont
jumeaux, comme sortis d’un même moule. Voici la trame du livret  :
Mamud, grand sultan du royaume de Cambaja (le ténor Antonio Barbieri
qui avait chanté le rôle du tyran à Mantoue), est sur le point d’épouser sa
favorite, Damira (la contralto Antonia Merighi, au service de Violante
Beatrice de Toscane ; elle avait chanté dans Tieteberga, et créé à Venise, en
janvier  1718, le rôle d’Armida, repris au printemps suivant à Mantoue),
quand il se trouve contraint, pour des raisons politiques, à épouser Rustena
(Chiara Orlandi). Une rivalité naît entre les deux femmes, qui mettent au
monde un fils le même jour, Rustena donne le jour à Zelim (le castrat
soprano Girolamo Albertini) et Damira à Melindo (la contralto Antonia
Laurenti). Damira met à l’écart les deux nouveau-nés afin de faire régner
son fils Melindo (interprété par une femme). Les deux enfants grandissent
et se trouvent en concurrence. Pour apaiser les conflits, Zelim partage son
royaume avec Melindo. Il épouse Rosane (Anna Maria Strada) et
abandonne le royaume de Joghe (dont celle-ci est l’héritière), ne gardant
pour lui que le royaume de Cambaja qu’il hérite de son père, Mamud.
«  Que le trône de Joghe et Rosane me reviennent, car ton héritage me
suffit », dit-il à son père. Les deux pays retrouvent ainsi la paix. « Tout est
vrai sauf les noms des personnages et des pays, et les épisodes concernant
Rosane. »
 
Bernardo Canale et son fils Giovanni Antonio Canale, dit Canaletto, les
scénographes attitrés du Sant’Angelo, étant employés à Rome, au Teatro
Capranica, Vivaldi et Orsato avaient engagé pour la saison deux
scénographes romains, les frères Giuseppe et Domenico Valeriani qui, à
Venise, fréquentent l’atelier du célèbre peintre Marco Ricci. Le sujet fournit
de l’exotisme à foison dans les costumes et les décors (appartements
luxueux, colonnades, atrium, salle du trône, un jardin planté de cèdres,
temple ouvert où se passe le troisième acte et les reconnaissances…) –
pouvoir terrestre et céleste sont constamment associés ; on ne quitte pas la
politique ni les conflits pour le pouvoir !
 
La partition autographe57 présente de nombreux remaniements,
corrections, pages coupées, collettes. Plusieurs arias sont suivies de
solutions alternatives qui, parfois, n’ont plus rien en commun avec la
première version. Le nouveau texte est (ou non) imprimé dans la seconde
version du livret. La première version est écrite d’une main soignée  ; la
seconde de façon beaucoup plus hâtive. Il semble que la partition ait été
remaniée jusqu’à quatre fois, avant d’aboutir à la version qui fut exécutée
au Sant’Angelo. Les raisons de ces modifications ne sont pas toujours
apparentes  : exigences des chanteurs, ou bien, au moment des répétitions,
approfondissement du caractère des personnages… La Bayerische
Staatsbibliothek, à Munich58, conserve un ensemble d’arias, transcrites
pour la voix et la simple basse continue, qui semblent correspondre aux airs
effectivement chantés à Venise, en 1720. Dans cet opéra, Vivaldi reprend
plusieurs arias extraites d’œuvres précédentes, Scanderbeg, Tito Manlio et
surtout La Candace écrite six mois plus tôt pour Mantoue. Plusieurs seront
transférées dans des œuvres ultérieures  : La Silvia en 1721, Ercole su’l
Termodonte et Giustino en 1723-1724, Farnace en 1727, ainsi que dans la
sérénade La Senna festeggiante.
L’orchestre ressemble (sans les timbales) à celui du Tito Manlio. Les
vents (petite flûte et grosses flûtes, trompettes, hautbois) sont employés
comme instruments concertants, dialoguant avec la voix, et non pour grossir
le volume sonore de l’orchestre. Il n’y a pas de chœur (sinon à la fin ; un
chœur qui ne figure pas dans le manuscrit) mais deux beaux ensembles
vocaux : le trio entre Rosane, Zelim et Melindo « Aure placide, e serene  »
(I,  10)  : trois voix aiguës chantant ensemble, dans une atmosphère très
douce qui peut faire songer au chœur formé par les filles de la Pietà, à
l’église… Ici, deux femmes et un castrat. Le texte et la musique évoquent la
nature paisible et consolatrice (brises douces et sereines, eaux gazouillantes,
échos, effets d’espace, lent et lyrique). Trois personnages jeunes,
instrumentalisés par leurs aînés au pouvoir, dialoguent dans un moment
extatique (qui rappelle la scène de la grotte au second acte d’Ottone in
villa). Le deuxième acte se conclut par le quintette « Anima mia, mio ben »
repris du quatuor vocal de La Candace, « Anima del cor mio » (II, 9). C’est
un moment particulièrement réussi  : grave et pathétique dans un premier
temps, lorsque les mères (Antonia Merighi et Chiara Orlandi) reconnaissent
leur propre fils « Tu es mon fils ! » ; puis, après un changement brusque de
tempo, les personnages s’accusent les uns les autres : « Tu es un impie !…
Femme indigne !… Cœur ingrat ! »
 
La distribution est formée par deux chanteurs masculins et cinq
cantatrices. Le ténor Antonio Barbieri (Mamud) avait chanté dans La
Candace le rôle du tyran Amasi. On l’entendra encore dans Il Giustino, à
Rome, en 1724, puis dans une reprise du Farnace, à Pavie, en 1731. Vivaldi
écrit pour lui de très belles arias, virtuoses et pathétiques, comme « Quando
serve alla ragione » (III, 3), accompagnée par le violoncelle et les cordes :
une grande sympathie s’instaure entre la voix du ténor et le violoncelle. On
se plaît à imaginer que le violoncelliste Antonio Vandini, présent à ce
moment-là à Venise, ait interprété ces parties, accompagnant Barbieri, un
interprète aux grandes capacités expressives et dramatiques. Le castrat
Girolamo Albertini (Zelim) est un artiste de la chapelle musicale du
landgrave de Hesse-Cassel. Il reçoit des airs légers et virtuoses qui
conviennent à une voix de castrat et à son personnage. Dans l’aria très
touchante « Tu m’offendi  », en sol mineur, il énonce, telle une devise, les
mots « Tu m’offendi » (adagio) ; après une rupture, il répète le début, puis
poursuit l’aria dans un mouvement plus allant (andante). Dans l’air de
bravoure «  Lo splendor ch’à sperare m’invita  » (III,  1), la musique
transpose les images évoquées par le texte  : un nuage gonflé d’éclairs
annonçant la tempête.
 
Deux personnages féminins, deux mères s’opposent dans cet opéra par le
caractère et l’origine sociale. La première, manipulatrice, calculatrice,
vénale, qui incite le souverain à révéler les aspects les plus noirs et les plus
malhonnêtes de son caractère ; la seconde, plus vulnérable, de type aulique.
Antonia Merighi joue le rôle de la concubine rusée. Vivaldi écrit pour cette
tragédienne de talent des arias virtuoses, souvent pathétiques. La soprano
Chiara Orlandi chante à plusieurs reprises aux côtés d’Antonia Merighi  :
dans Tieteberga en 1717 puis, l’année suivante, dans l’Artabano et dans
l’Armida. Elle est une artiste du duc de Massa-Carrara, qui sera aussi le
mécène de la jeune Anna Girò. Ici, elle incarne l’épouse légitime
(Rustena)  ; elle est une dame de la cour, candide, raffinée. Ses arias
évoquent un type de féminité vulnérable.
Les deux femmes sont constamment mises en contraste. Par exemple, à
l’acte I, deux arias se suivent, pour Damira, puis pour Rustena, formant une
sorte de diptyque : l’air de Damira « Se l’acquisto di quel soglio » (I, 8) est
très brillant  ; l’héroïne exprime sa colère quand elle voit que le trône lui
échappe. En revanche, dans l’aria élégiaque «  Fragil fior, ch’appena
nasce  » (Comme une fleur fragile qui vient de naître – I,  9), Rustena
dialogue avec deux grosses flûtes, sans clavecin. Dans les scènes 4 et 5 du
troisième acte, on assiste au même processus : Damira chante « Lagrimette
alle pupille » (rythmes déterminés, phrases brèves, exclamations), puis, à la
scène suivante, Rustena interprète « Cara sorte di chi nata » (Qu’elle a de
la chance celle qui est née dans l’innocence des forêts), une aria lyrique où
elle exprime son impuissance  ; elle est accompagnée par le «  flautino  »
(petite flûte) solo et le violoncelle solo. Ce jeu de miroirs met en relief la
différence sociale, les caractères opposés de ces deux femmes.
Anna Maria Strada, jeune soprano, vient de faire ses débuts à Milan. Elle
appartient à la chapelle musicale du comte Hieronymus Colloredo,
gouverneur de cette ville (où Vivaldi mettra en scène son prochain opéra).
Plus tard, elle deviendra une prima donna très prisée sur les scènes
londoniennes. Elle reçoit ici des airs légers, doux, tourbillonnants, dans le
style de l’opéra bouffe napolitain. L’aria «  Amato bene tu sei la mia
speranza  » (I,  12) emploie le même matériel thématique que le concerto
pour violon RV 761 en do mineur  ; sur le manuscrit de cette pièce
instrumentale conservé à Manchester59 il est noté «  Amato bene  »  ; un
thème qui sera employé à plusieurs reprises par Vivaldi dans ses opéras60.
La contralto Antonia Laurenti, dite Coralli, est une virtuose de l’Électeur
de Saxe et roi de Pologne, Auguste  II. Elle chante entre autres une aria
héroïque, «  Crudele se brami  », en ré majeur, accompagnée par deux
trompettes et deux hautbois, qui concertent avec sa voix. Elle conclut le
premier acte un par une aria de bravoure, presque athlétique, avec les
cordes « Mi vuoi tradir, lo so ».
Le premier soir, l’opéra de Vivaldi est représenté accompagné d’un
intermède comique, L’Avaro, interprété par les deux chanteurs bouffes Rosa
Ungarelli (Ongarelli) et Antonio Ristorini, deux artistes de la chapelle
musicale de Philipp de Hesse-Darmstadt. C’est une catastrophe  ! Dès la
seconde représentation, l’intermède est supprimé. Au théâtre San Moisè, en
revanche, l’intermède composé par Giuseppe Maria Buini, interprété par
Francesco Belisani de Ferrare et Maria Maddalena Zanucchi de Brescia,
connaît un énorme succès avec une trentaine de reprises. Belisani exulte  :
« Mes intermèdes ont enfoncé ceux de Ristorini. Après la soirée inaugurale,
on a refusé de les écouter ; il a même fallu les remplacer, alors que, après
trente-deux représentations, on n’est toujours pas fatigués d’entendre les
miens61 ! »

Benedetto Marcello et « Le Théâtre à la Mode »

Alors que les représentations de La Verità in cimento suivaient leur cours,


sans difficultés particulières, paraît à Venise un virulent pamphlet qui
attaque le milieu des théâtres d’opéra. Le fascicule est intitulé : Le Théâtre
à la Mode ou Méthode certaine et facile pour bien composer et bien
exécuter les opéras italiens en musique à l’usage moderne. L’auteur garde
l’anonymat… mais personne n’ignore qu’il s’agit de Benedetto Marcello !
On est habitué, à Venise, aux scandales, aux faillites, aux détournements
de fonds qui sont la marque de fabrique du milieu de l’opéra. Quant aux
pamphlets et autres satires anonymes, ils sont souvent des exercices de
style, presque un genre en soi, pratiqué dans les cercles académiques et les
palais. Ils sont un moyen commode pour exprimer publiquement ce que
l’on considère comme une vérité, pour attaquer ceux que l’on n’aime pas.
On se souvient du pamphlet sur les filles de la Pietà (que l’on a parfois
attribué à Benedetto Marcello…), du ton narquois et peu bienveillant avec
lequel l’auteur évoque les filles musiciennes et chanteuses de l’hospice !
Le compositeur et patricien vénitien avait présenté son opuscule aux
censeurs en automne 1720. En novembre l’imprimeur avait reçu la licence
d’éditer ; on situe donc la parution de ce texte en décembre, au début de la
saison d’hiver.
Sur le frontispice du fascicule est gravée l’image d’une barque. À la
poupe, se tient une petite silhouette avec un chapeau de curé sur la tête et
deux ailes dans le dos (référence au théâtre Sant’Angelo =  Saint-Ange)  ;
c’est Antonio Vivaldi, appelé dans le texte «  Aldiviva  ». Les inscriptions
portées sur la page fonctionnent comme des énigmes que le public de
l’époque peut déchiffrer aisément. L’ours portant perruque, placé à l’avant
de l’embarcation, qui tient un fanion, serait Giovanni Orsato (jeu de mot sur
« Orsato » – orso, l’ours) ; l’adresse de l’éditeur est « All’Insegna dell’Orso
in peata » (à l’enseigne de l’ours en péotte). Vivaldi et Orsato sont associés
pour la saison  ; le compositeur aurait engagé dans l’entreprise sa propre
composition, plus quelques centaines de ducats, hélas perdus. Marcello fait
aussi référence aux chanteuses «  Strada  » (Anna Maria Strada) et
«  Corallo  » (Antonia Maria Laurenti, dite Corallo)  ; au compositeur
Giovanni « Porta » ; au librettiste Giovanni Palazzi (Palazzo) ; « Orlando »
pourrait être Giuseppe Maria Orlandini  ; à moins qu’il ne s’agisse de la
jeune soprano Chiara Orlandi. « Modotto », le rameur, qui se tient debout
dans la barque et utilise les rames croisées à la vénitienne, serait l’un des
imprésarios du Sant’Angelo, qui était aussi commerçant de barques62. Et
ne croirait-on pas reconnaître Giovanni Battista, le père de Vivaldi, dans
cette phrase : « Il est préférable que le violoniste ait été d’abord barbier. Il
devra premièrement savoir raser correctement la barbe, couper les cors,
peigner les perruques et composer de la musique.  » N’est-ce pas du style
musical de Vivaldi qu’il est question dans celle-ci  : «  Celui-ci [le
compositeur] attirera les gens avec de brèves arias accompagnées par des
instruments en pizzicati, trombes marines et sourdines… » ?
Le libelle vise surtout les spectacles joués pendant la saison d’automne,
dans les deux théâtres les plus libres de la ville, le San Moisè et le
Sant’Angelo  ; ceux où travaillent justement Antonio Vivaldi et Giovanni
Orsato  ! Marcello fustige aussi bien le librettiste que le compositeur, les
musiciens, les chanteurs, l’imprésario, le scénographe, le costumier… C’est
toute la machine théâtrale qu’il pulvérise, démontant les ressorts d’un
spectacle destiné, d’après lui, à flatter les émotions les plus basses du
public, et rapporter – si possible – beaucoup d’argent aux gestionnaires des
théâtres. Marcello ne lâchera pas si facilement prise  ; sur le frontispice, il
fait inscrire  : «  Et on réimprimera chaque année avec de nouveaux
commentaires. »
Benedetto Marcello, né en 1686, est plus jeune que Vivaldi de sept ans et
il a dix-sept ans de moins que son frère Alessandro, lui aussi compositeur,
et probablement l’ami de Vivaldi. Benedetto est lié à Francesco Gasparini
qu’il a eu comme maître. On sait aussi que la famille Marcello est
partiellement propriétaire du fonds où avait été érigé, au xviie  siècle, le
théâtre Sant’Angelo, une salle qui avait été impliquée les années
précédentes dans plusieurs procès. Ces tracas ne sont peut-être pas étrangers
aux prises de parti de Benedetto contre le Prêtre roux et les autres leaders
du milieu théâtral vénitien, tout particulièrement au San Moisè et au
Sant’Angelo.
Les satires anonymes attribuées (à tort ou à raison) à Benedetto Marcello,
souvent de simples opuscules anonymes restés manuscrits, sont multiples.
Par exemple, une série de cantates et de madrigaux conservés à Bologne63,
où l’auteur ridiculise une fois encore le style vocal de l’opéra seria : notes
brèves, chromatismes, basses composées sous forme de pédale, chants et
accompagnements écrits dans des tonalités différentes. Il se moque des
castrats, de leurs notes suraiguës, de leurs « belles manières » vocales et de
leur ignorance des règles du contrepoint64. Dans une autre composition
satirique, toujours anonyme, écrite vers 1718 sous forme de lettre,
« Carissima figlia » (Ma chère fille)65, il tourne en dérision le chant de la
contralto florentine Vittoria Tesi, qui s’était produite à Venise pour la
première fois en 1718, justement au Sant’Angelo. Elle avait alors dix-huit
ans. Par la suite, la Tesi se produira à Dresde, puis elle s’envolera pour une
brillante carrière internationale. Après de longs séjours à Vienne, elle se
retirera définitivement dans cette ville, où elle fondera une école de chant
très recherchée. Dans un autre texte (Lettera familiare), daté de 1705,
l’auteur (Marcello ou quelque autre pamphlétaire) s’était livré à une critique
acerbe du recueil de duos, trios et madrigaux qu’Antonio Lotti venait de
faire graver à Venise. Il y dressait la liste de toutes les modulations «  ni
expressives, ni naturelles » relevées dans les pièces du volume, soulignant
chaque erreur et maladresse échappant à «  ce style, ou bon goût, qui
s’acquiert plus par disposition naturelle que par l’étude  ». Sur l’invitation
du prince de Saxe, Antonio Lotti était parti pour Dresde en été 1717,
accompagné par un chanteur et un musicien de la chapelle de Saint-Marc.
Est-ce à cause de ces attaques malveillantes que, après son retour à Venise,
le maître organiste de la chapelle ducale cessera définitivement de
composer des opéras, et qu’il se consacrera dès lors à la seule musique
sacrée ?

Antonio Vivaldi et Benedetto Marcello : histoire d’une rivalité

En 1709, Benedetto Marcello avait composé son premier oratorio, sur le


personnage de Judith. Éditée chez Domenico Lovisa, la partition s’intitule
La Giuditta. Oratorio A sette Voci. Poesia e Musica Del Signore Benedetto
Marcello (B 691)66. Il y avait donné une large place au récitatif qui dépasse
en proportion ce qu’il était convenu de faire à cette époque.
C’est par la gravité, la majesté, le dépouillement instrumental et vocal
que la musique de Marcello est différente de celle de Vivaldi. Il ne veut pas
de violons qui, dit-il, couvrent la voix des chanteurs, pas de virtuosité
vocale qui empêche de comprendre le sens des mots. Marcello n’est pas
seulement musicien, mais aussi poète (c’est lui qui écrit le texte de sa
Giuditta). La musique selon lui doit obéir au texte ; la sienne est syllabique
et ne s’autorise que quelques mélismes. Le contrepoint charpente chaque
pièce : la basse continue sert de fondement aux autres parties ; elle assure la
stabilité de l’harmonie, au lieu de laisser la mélodie s’envoler vers les aigus.
Les modulations sont pensées afin d’exalter le sens des mots  ; elles
cherchent la plus grande efficacité possible. En somme, une sorte
d’Antiquité retrouvée ; d’Antiquité, revue par la Renaissance et adaptée à la
sensibilité du Settecento !
Les Marcello appartiennent à l’une des familles patriciennes les plus en
vue de Venise. S’ils sont musiciens, c’est par passion. Antonio Vivaldi et
son père sont tout au contraire des musiciens professionnels, issus de la
classe populaire des barbiers, savetiers et marchands de vin de la ville ; un
petit monde qui s’arrange comme il peut  ! Sous l’ironie, ce ne sont pas
seulement des griefs contre la musique moderne qu’expose Marcello. Entre
les lignes, transparaît le désarroi d’une classe sociale détrônée, qui tente de
résister aux modes nouvelles venues d’ailleurs. Nostalgie d’un temps où la
Sérénissime était la protagoniste d’un goût qui dominait l’Europe et où
l’aristocratie était maîtresse de loisirs raffinés et savants. Ce ne sont pas
seulement des griefs artistiques que nourrit Marcello contre le milieu
musical vénitien, mais aussi des attaques sociales et politiques, mûries dans
les cercles d’une Venise conservatrice, qui se trouvait ces années-là
percutée par l’ascension de la classe moyenne et par les changements de
goût que celle-ci imprimait dans la musique, comme dans tous les autres
arts.
La famille Marcello est amie avec les Borghese, qui possèdent un palais à
Venise. C’est dans ce palais que Benedetto Marcello donne sa sérénade à
trois voix, La Morte d’Adone (A 499). Est-ce encore par simple esprit de
rivalité avec Vivaldi que Marcello rend hommage au landgrave Philipp de
Hesse-Darmstadt, à l’occasion de son mariage  ? Par l’intermédiaire du
castrat Giovanni Battista Carboni qui chante alors à Venise, il fait parvenir à
Philipp le manuscrit de Le nozze di Giove e Giunone (Les Noces de Jupiter
et de Junon), une cantate qu’il dit avoir « écrite à l’occasion des noces d’un
couple royal  »67. Le 23  juillet, le secrétaire du landgrave remercie
Marcello : « Le cadeau de la sérénade que l’E.V. a daigné offrir a S.A.S. le
Seigneur Prince Gouverneur, saisissant l’occasion que lui offrait le retour
du musico de cette chapelle Arciducale Giovanni Battista Carboni, lui a été
extrêmement agréable68. » Philipp envoie à Marcello un autre présent : une
cantate composée par Haendel, Aci, Galatea e Polifemo. C’est encore le
chanteur Giovanni Battista Carboni (ce chanteur courtisé et gâté par Philipp
de Hesse-Darmstadt, avec lequel Vivaldi connaît des tensions, au printemps
1719) qui sert de messager entre le landgrave et Marcello. Benedetto
remercie le landgrave (dans une lettre datée du 27  juillet)  ; il se déclare
disponible pour composer, si on le lui demande, «  des textes de cantates,
d’oratorios et de sérénades69 » (au moment même où Vivaldi est investi du
titre de « maître de musique de chambre du landgrave » !).
Benedetto Marcello dédie à Charles  VI une sérénade à six voix, Nasce
per viver sempre (A504a), qui sera exécutée au palais impérial de Vienne le
1er  octobre 1725, pour l’anniversaire de l’empereur. La même année,
Antonio Vivaldi prépare deux recueils de concertos, tous deux intitulés La
Cetra, et tous deux dédiés à l’empereur.
Pourtant, contre toute attente, c’est le frère aîné de Benedetto, Alessandro
Marcello, qui recommandera le Prêtre roux à la princesse Maria Livia
Spinola Borghese, lorsque celui-ci partira pour Rome.

Filippo, re di Macedonia, troisième acte, Venise, décembre 1720 (RV


715)

Revenons au théâtre Sant’Angelo. La saison du carnaval ouvre le


27  décembre, avec un pastiche, Filippo re di Macedonia (Philippe, roi de
Macédoine) (RV 715)70. Le livret est signé par Domenico Lalli, qui
emprunte plusieurs textes d’arias à des livrets précédents.
Sur une trame historique inspirée de la Grèce ancienne, il s’agit encore
d’un problème de trône usurpé par une femme. Euridice (Antonia Merighi),
la veuve du Roi Aminta de Macédoine, règne au nom de son fils Filippo
(Girolamo Albertini), encore mineur. Lorsque le fils atteint la majorité,
celle-ci tente de séquestrer le trône. Elle imagine un stratagème  : comme
Filippo s’apprête à épouser Olimpiade (Chiara Orlandi), la fille du roi des
Molosses, elle édicte une nouvelle loi qui interdit à tout prince ayant épousé
une étrangère de devenir souverain. L’action se situe dans la ville de Pella
(Pelia), capitale de la Macédoine, le jour où Filippo rentre d’une campagne
militaire et où l’édit est prononcé. Le rôle d’Antigono est tenu par Antonio
Barbieri  ; le général Demetrio par Antonia Laurenti  ; la princesse Orinda
amie d’Euridice et amoureuse infortunée d’Antigono, par Anna Maria
Strada. On joue un intermède (sans doute à nouveau L’Avaro, ou Melinda e
Tiburzio), exécuté toujours par les deux acteurs du landgrave Philipp : Rosa
Ongarelli et Antonio Ristorini.
Cet opéra pastiche est assez court. Les deux premiers actes sont
composés par Giuseppe Boniventi, Vénitien, maître de chapelle du prince
de Baden. Seul le troisième acte (sept arias et deux chœurs) est écrit par
«  Don Antonio Vivaldi Maestro di Capella, e di Camera di Filippo
Langravio d’Hassia Darmestat ». Filippo réconforte Olimpiade découragée.
Resté seul, il laisse libre cours à sa colère. On attend le duel public.
Demetrio l’emporte sur Antigono, qui éprouve de la pitié pour Euridice.
Celle-ci perd tout espoir pour son avenir. Filippo monte sur le trône acclamé
par le peuple (chœur). Antigono est incarcéré. Euridice révèle la
conspiration. Tout le monde avoue. On persuade Filippo de laisser la vie
sauve à Antigono. Mère et fils se réconcilient. Filippo est libre d’épouser
Olimpiade.
La musique est perdue. L’aria « Scherza di fronda in fronda », composée
par Vivaldi sur le même texte que l’une de ses cantates (soprano et basse
continue) conservées à Dresde (RV 663)71, semble la version qui fut
chantée à Venise, dans Filippo. L’aria « Rea non ti posso vedere » (III,  5)
sera parodiée dans l’opéra La Silvia, donné à Milan l’été suivant.
Les décors (Salle du trône, Colonnes, Temple de Jupiter…) sont réalisés
par les frères Giuseppe et Domenico Valeriani, de Rome. Nous sommes
encore dans le monde du pouvoir, où règnent la tromperie et les intrigues,
les dissimulations. La femme (Euridice/Antonia Merighi) y joue à nouveau
la part du diable.
 
Toujours sous la direction de Vivaldi et d’Orsato associés, deux opéras
succéderont à ce pastiche  : Il Pastor Fido, une tragicommedia pastorale
inspirée de Giambattista Guarini et mise en musique par Carlo Luigi
Pietragrua (qui venait d’être nommé maître de chapelle à la Pietà)  ; puis
Antigona de Giuseppe Maria Orlandini. L’un et l’autre sur des livrets de
Benedetto Pasqualigo et avec les mêmes interprètes qui avaient chanté dans
les opéras de Vivaldi. L’ami Antonio Denzio se joint à eux dans l’Antigona.
Les deux chanteurs bouffes Rosa Ongarelli et Antonio Ristorini jouent à
nouveau L’Avaro en intermède.
Les concertos pour violon de l’Opus 7 (1720) : des œuvres douteuses

Après l’Opus 6 publié en 1719, paraît, sans doute en 1720, et dans les
mêmes conditions que le recueil précédent, l’Opus 7 chez « Jeanne Roger ».
On pense que celle-ci a probablement confectionné elle-même ce recueil à
partir de concertos provenant de sources différentes. Certaines pièces sont
douteuses. Qui sait si Vivaldi a même connu l’existence de cette
publication ?
À la différence du recueil Opus 6 qui contenait six concertos, l’Opus 7 en
comprend douze, distribués en deux livres, chacun numéroté de 1 à 672. Ce
sont des concertos pour violon, sauf le premier de chaque volume (RV 465
et RV 464) qui est pour hautbois. Ce sont les premiers concertos pour
hautbois (et aussi les premiers concertos pour un instrument à vent) de
Vivaldi. Le premier recueil de concertos pour hautbois avait été publié à
Venise par Tomaso Albinoni (Opus 7, 1715). La vogue du concerto pour
hautbois avait été lancée en Europe par Georg Philipp Telemann. La
chapelle musicale de la Pietà disposait d’excellents maîtres de hautbois  :
Ignazio Rion, Ludwig Erdmann, Ignaz Sieber, Onofrio Penati. Vivaldi avait
peut-être composé plusieurs pièces pour hautbois (entre autres la Sonata per
oboe RV 53 et peut-être le concerto RV 455) lors du passage à Venise, en
1717, de Johann Christian Richter73. Toutefois, on hésite à affirmer que ces
deux concertos pour hautbois publiés en Hollande sont bien de Vivaldi. Il
n’existe pas de manuscrits correspondants à l’édition hollandaise. La partie
soliste est assez simple et ne correspond pas vraiment au style de Vivaldi.
Ils sont moins virtuoses et moins élaborés que les concertos pour hautbois
que le compositeur publiera quelques années plus tard, dans l’Opus 8 (n° 9,
RV 454 et n°  12, RV 449). Le concerto RV 354 (n°  4 du volume  I) n’est
probablement pas de Vivaldi non plus  ; sur un manuscrit conservé à
Manchester74, on lit cette note  : «  Cattivo, non è di Vivaldi  » (Mauvais,
n’est pas de Vivaldi).
Plusieurs manuscrits correspondant à certains concertos publiés dans
l’Opus 7 sont conservés à Dresde  ; la plupart d’entre eux transcrits par J.
G. Pisendel : le RV 28575, le RV 29976 : ainsi que le concerto RV 37377
dont le troisième mouvement est une fugue « Allabreve  », qui semble elle
aussi douteuse. Le RV 299 (n°  2 du volume  II) fut transcrit par J.S.  Bach
pour clavecin (BWV 973).
Le concerto RV 294a (n°  4 du volume  II) est intitulé «  Il Ritiro  » (Le
retrait). Il fut peut-être composé pour une jeune fille entrant au couvent. On
le date approximativement de 1716. Il existe plusieurs transcriptions
manuscrites de cette œuvre, dont une à Dresde, réalisée par Pisendel, qui a
peut-être ajouté sur ce manuscrit les deux parties de hautbois78. Un autre
manuscrit (RV 294), un peu plus tardif, est à Manchester79  ; le second
mouvement « Grave » est différent de la version éditée.
Le «  Grosso Mogul  » (n°  5 du volume  II) (RV 208a) est considéré
comme l’un des concertos les plus anciens parmi les œuvres publiées dans
cet opus. On en connaît une autre version, avec un second mouvement
différent (RV 208). De cette version, un manuscrit autographe est à
Turin80 ; il ne porte ni titre, ni cadence écrite. En revanche, dans une copie
conservée à Schwerin81 les cadences des deux mouvements rapides sont
entièrement écrites. Le « Grosso Mogul » (RV 208) a été transcrit par Bach
pour orgue (BWV 594). Le concerto RV 214 (n° 6 du volume II) possède
lui aussi un manuscrit correspondant à Schwerin82.
 
Antonio Vivaldi a-t-il été perturbé par les attaques de son compatriote,
Benedetto Marcello  ? Après la saison du carnaval 1721, le Prêtre roux
disparaîtra à nouveau des scènes vénitiennes pendant quatre ans. Venise
n’est plus comme autrefois la base presque unique de ses activités. Le
monde change et lui a pris ses distances… Il appartient à la cour de
Mantoue et compose des cantates, des sérénades, des concertos pour ses
différents commanditaires. Son nouveau titre de «  maître de chapelle de
chambre », du gouverneur de Mantoue lui est cher. S’il se fait courtisan, il
veut rester libre ; libre compositeur, et libre entrepreneur.

17

 L’anniversaire d’Élisabeth Christine,

 impératrice et reine d’Espagne

 Milan

 (1721-1722)

Le décès de l’impératrice douairière, en janvier 1720, devait


paralyser les divertissements de la cour de Mantoue pendant
plusieurs mois. En mars, Vivaldi était rentré à Venise puis il avait
repris de l’emploi au théâtre Sant’Angelo. L’événement le plus
important pour sa carrière, à cette période-là, est son engagement
au Teatro Regio Ducal de Milan. Avant l’été 1721, le Prêtre roux
est en effet sollicité pour composer l’opéra qui, comme chaque
année à la fin du mois d’août, fête l’anniversaire de l’impératrice,
Élisabeth Christine de Brunswick-Wolfenbüttel.
Depuis 1706 (et jusqu’en 1796, lors de l’arrivée des troupes de
Bonaparte), Milan et la Lombardie font partie des territoires
appartenant à l’Empire. Comme Mantoue, elles sont placées sous la
tutelle de gouverneurs impériaux, issus de maisons nobles italo-
allemandes. Entre 1719 et 1725, le gouverneur de Milan est
Girolamo (Hieronymus) Colloredo. Il est probable que c’est le
comte Johann Baptist Colloredo-Waldsee, ambassadeur impérial à
Venise, auquel Philipp de Hesse-Darmstadt avait recommandé
Vivaldi, qui avait suggéré l’idée de faire appel au Prêtre roux pour
composer, cette année-là, l’opéra. Ce qui signifie que le réseau
aristocratique pro-autrichien, dans lequel Vivaldi a réussi à
s’insérer à Mantoue, fonctionne et lui procure des engagements
prestigieux !
Les fêtes données en grande pompe, le 28 août, jour anniversaire de
l’impératrice, étaient de règle non seulement à Vienne mais aussi
dans les territoires italiens annexés par les Habsbourg. En 1721, la
jeune femme fête ses vingt-cinq ans. Sur le frontispice du livret de
La Silvia, elle porte encore le titre de « Reine des Espagnes » ; elle
avait en effet épousé Charles à l’époque où, avant de devenir
empereur, celui-ci régnait encore sur l’Espagne, avec le titre de
Charles III.

La Silvia, Milan, août 1721 (RV 734)

Le Teatro Regio Ducal était le théâtre d’opéra le plus important de Milan.


La salle présentait une forme de fer à cheval avec cinq rangs de loges, où
les Milanais fortunés passaient une bonne partie de leur temps, dès que les
théâtres étaient ouverts. Le théâtre où Vivaldi créa son opéra La Silvia (RV
734)83, le 26  août 1721, a disparu. En 1776, il fut détruit par le feu, puis
remplacé par le Nuovo Regio Ducal Teatro, que l’on connaît aujourd’hui
sous le nom de Teatro alla Scala.
La cour de Milan aime les drames pastoraux, les spectacles dont les
textes sont fondés sur des sujets mythologiques ou légendaires. Cette fois,
le livret se réfère à l’histoire mythique de la fondation de Rome et à la
dynastie des Alba Longa, deux thèmes qui conviennent au style des opéras
représentés dans les États italiens passés sous la domination des Habsbourg.
Le personnage de Rhea Silvia, ici transformée en Vestale, constitue une
excellente allégorie pour Élisabeth Christine, l’épouse de l’empereur, lequel
peut, à son tour, s’identifier dans Mars, le dieu de la guerre !
Le livret de l’opéra mis en musique par Vivaldi avait été écrit par le
comte Enrico Bissari, un noble de Vicence, pour une représentation au
Teatro Nuovo di Piazza. On ne sait qui a composé la partition, mais il est
peu probable qu’il s’agisse de Vivaldi. Le texte dont se sert Vivaldi à Milan
dérive de la version originale de Vicence, datée de 1710. Le librettiste s’est
fondé sur la légende de la fondation de Rome par Romulus et Remus, fils de
Silvia et de Mars. L’histoire raconte que Rhea Silvia (rôle interprété à Milan
par la soprano Margherita Gualandi, virtuose de la cour de Mantoue), fille
de Numitore, roi d’Alba Longa, aurait été découverte par Mars endormie
dans une forêt. Il l’aurait fécondée et elle aurait mis au monde les jumeaux
Romulus et Remus. Afin d’éliminer l’héritier légitime du trône, on avait tué
le fils de Numitore, Egisto (le ténor Annibale Pio Fabri, désormais un
chanteur habitué de Vivaldi) ; Anna Bambaciara, son épouse, interprète le
rôle du berger Elpino. En réalité, le garçon avait pu échapper à ce sort
cruel ; il avait survécu et grandi dans l’anonymat, sous le nom d’emprunt de
Niso. Silvia, quant à elle, avait été contrainte de se faire Vierge et Vestale.
Travesti en berger, Mars se serait approché d’elle, sous le nom de Tirsi (le
castrat alto Giovanni Battista Minelli, qui avait chanté le rôle de Ruggiero,
dans l’Orlando furioso de Giovanni Alberto Ristori, à Venise, en 1713).
Silvia était tombée amoureuse du pasteur  ; amour impossible car, en tant
que vestale, elle était consacrée au Temple et devait rester pure. Désespérée
et décidée à mourir, elle avait absorbé des herbes mortelles. Elle fut sauvée
par Niso, qu’elle ne reconnut pas comme son frère. La nymphe Nerina
(Anna Maria Strada, virtuose du comte Colloredo, qui venait de chanter à
Venise), fiancée de Niso, ignorante du subterfuge, en avait été
profondément jalouse. Mais les choses vont se clarifier et les personnages
retrouvent leur véritable identité. L’opéra se termine sur une double union.
Les décors créent un univers pastoral : une place près d’un lac entouré de
collines ; au loin on discerne la ville d’Alba ; un village au bord d’une baie
entourée de collines. Au troisième acte, un bois et le Temple de Mars. Vers
la fin de l’opéra, une magnifique machine exalte l’aspect festif de cette
représentation – anniversaire  : le bois s’illumine, un nuage brille et se
transforme en un beau carrosse  ; le bois étincelle d’or et de lumières.
Autour des arbres s’élèvent de petits nuages dans lesquels on aperçoit des
génies brandissant des écussons transparents où sont inscrites les futures
actions glorieuses des Romains.
Il n’existe pas, à proprement parler, de partition de La Silvia  ; mais
plusieurs airs se trouvent dans un répertoire de fragments mélangés
conservé à Turin84. Certains d’entre eux proviennent d’opéras précédents
(Arsilda, Tito Manlio, La Candace, La Verità)  ; quelques-uns avaient déjà
été interprétés par Margherita Gualandi et Annibale Pio Fabri. Des airs de
La Silvia seront repris dans les deux opéras, Ercole su’l Termodonte et Il
Giustino, représentés à Rome en 1723 et  1724, ainsi que dans la sérénade
Gloria e Imeneo (RV 687), composée pour l’ambassade de France à Venise,
en 1725.

L’Adoration des trois rois mages, Milan, oratoire de San Fedele,


épiphanie 1722 (RV 645)
Quelques mois après la représentation de La Silvia, le 9 janvier 1722, fête
de l’Épiphanie, Vivaldi compose pour la Casa Professa di S.  Fedele, des
Pères de la Compagnie de Jésus (Congrégation de l’Immaculée
Conception), à Milan, un oratorio, L’Adorazione delli tre maggi al bambino
Gesù nella capanna di Betleme (L’adoration des trois mages à l’Enfant
Jésus dans la cabane de Bethléem). La partition est perdue. Seul le livret de
cet oratorio milanais est parvenu jusqu’à nous. On y lit les noms des quatre
interprètes  ; quatre hommes, comme il se doit dans un lieu de culte  : le
castrat alto Giovanni Battista Minelli (qui avait interprété le rôle de Mars
dans La Silvia) chante la partie du Roi arabe  ; Giovanni Reyna est
« l’Ange » ; le Roi de Saba est interprété par Gaetano Leone ; Alessandro
Besozzi est le Roi éthiopien  ; aux solistes se joint un chœur de bergers.
Nous n’avons pas quitté l’univers pastoral…

Une sérénade à Brescia, chez les Martinengo

Brescia est la ville originaire des Vivaldi. Giovanni Battista y est né et


reste attaché aux milieux aristocratiques et religieux. Le dernier passage des
Vivaldi père et fils à Brescia datait de 1711, date à laquelle ils avaient joué
dans la Chiesa della Pace, l’oratoire des Pères Philippins. Au carnaval 1716,
on avait peut-être aussi donné, au Teatro Accademico, une reprise du
pastiche Nerone fatto Cesare, représenté l’année précédente à Venise ; une
version amputée d’une grande partie des airs qui avaient été chantés alors.
On se rappelle que c’est à Pietro Emanuele Martinengo Colleone,
membre de l’une des familles les plus opulentes de Brescia, qu’avait été
dédié, en 1716, à Venise, le livret de l’opéra La Costanza trionfante, puis sa
reprise sous le titre d’Artabano, en 1719. Le marquis Martinengo fait cette
fois appel à Vivaldi et à des musiciens vénitiens pour un banquet festif qu’il
a organisé, en mars  1722, dans l’une de ses demeures, près de Brescia  ;
c’est du moins de cette façon que les chroniques de l’époque rapportent
l’événement.
La jeune comtesse Palatine Christine Luise de Sulzbach s’était rendue à
Vercelli pour épouser Charles-Emmanuel de Savoie, prince de Piémont.
Elle fit étape à Cavernago, un petit village à l’ouest de Brescia, où les
Martinengo possédaient un château. Martinengo organisa pour la recevoir
un banquet festif en musique. C’est donc en hommage à cette princesse que
Martinengo fit exécuter dans sa demeure « une très belle sérénade et deux
concertos avec violons et hautbois de Monsignor Antonio Vivaldi85 ».
En avril  1722, le Mercure de France fait écho à ces festivités en ces
termes :
Il faut observer que cette Princesse a été accompagnée par quarante
Nobles Vénitiens durant son séjour dans les États de la République de
Venise,  &  que M.  le Marquis de Martinengo l’a reçue magnifiquement
dans deux ou trois de ses maisons dans le Bressan… il avoit joint à ces
spectacles brillans, les charmes de l’harmonie,  &  donné des concerts
composé des meilleurs voix, qu’il avoit fait venir exprès de Venise. On
avoit aussi fait représenter devant la Princesse un opéra pastoral. Dès
qu’elle fut arrivée à Cavernago, elle fut complimentée par M.  le Comte
Baldiani de Belgioso, au nom de M. le Comte de Colleredo Gouverneur,
qui lui fit en même-temps offrir un Bucentaure pour faire par eau le
voyage depuis Vaprio jusque auprès de Milan  ; elle accepta l’offre et
s’embarqua sur le Bucentaure, où on lui servit un dîner magnifique ; elle
partit ensuite avec sa Cour, précédée d’un bateau couvert rempli
d’excellens musiciens, qui abrégèrent le chemin par l’agrément de leurs
concerts86.
La jeune princesse Christine Luise de Sulzbach décédera l’année
suivante, le 12 mars 1723, à l’âge de dix-neuf ans, en donnant naissance à
son fils.

Une notoriété accrue

Ces années 1721-1722 représentent une sorte de parenthèse dans la


carrière de Vivaldi. Il reçoit plusieurs commandes pour Milan et Brescia :
un opéra, un oratorio et peut-être une sérénade dont il ne reste aucune
partition complète, seulement les quelques lignes notées par les
chroniqueurs de l’époque.
En cette même année 1721, ses sonates Opus 2, publiées à Venise en
1709 puis reprises par Estienne Roger en 1712, sont rééditées par l’éditeur
anglais J.  Walsh  &  Hare. En février  1722, on reprend à Brunswick, à
l’Hagenmarkt-Theater, l’Orlando furioso, dans un pastiche arrangé
probablement par Georg Caspar Schürmann, maître de chapelle de la cour
de cette ville. La partition comprend certainement des arias de Vivaldi, mais
son nom n’est pas cité dans le livret. En 1723, le jeune prodige irlandais
John Clegg, âgé de neuf ans, joue l’un de ses concertos pour violon à
Londres, sur la scène du théâtre Haymarket.
D’autres indices montrent que la notoriété d’Antonio Vivaldi se répand
en Europe. Dans son ouvrage Das Forschende Orchestre publié en 1721, le
compositeur et théoricien de Hambourg Johann Mattheson cite Vivaldi
parmi les compositeurs d’Europe les plus célèbres et les plus «  galants  »,
aux côtés de Francesco Gasparini, Alessandro Scarlatti, Benedetto Marcello
et Antonio Lotti. Plus tard, en 1739, dans Der volkommene Kapellmeister,
Mattheson exprimera encore cette opinion flatteuse  : «  […] même s’il
n’était pas chanteur, Vivaldi a eu le bon sens d’exclure de façon radicale de
ses compositions vocales les intervalles propres à l’écriture du violon, si
bien que ses arias sont devenues une épine dans le flanc de nombreux
experts de la musique vocale87. »
 
Au début de l’automne 1722, la famille Vivaldi déménage du campo des
Santi Filippo e Giacomo et va s’installer non loin de là, toujours dans le
quartier de Castello, sur la fondamenta del Dose (paroisse de San Marino)
près de l’église Santa Maria Formosa, au pied du ponte del Paradiso, pour
un loyer annuel de 70 ducats. On ne connaît pas le numéro exact de la
maison  ; il s’agit peut-être du numéro actuel 5879, suggère don Gastone
Vio, car, à côté, au n° 5880, au rez-de-chaussée, on discerne l’emplacement
de la boutique d’un barbier88.
Francesco, le cinquième frère cadet d’Antonio (le père de Carlo Vivaldi,
copiste de musique), barbier et fabricant de perruques, est à cette époque-là
condamné à l’exil, pour avoir gravement offensé le patricien vénitien,
Antonio Soranzo.
Antonio, pour sa part, ne pense qu’à sa carrière et à recueillir les fruits
que son talent mérite.
Le 15 octobre 1722, Alessandro Marcello écrit de sa propre main à son
amie, la princesse Maria Livia Spinola Borghese, pour l’informer
qu’Antonio Vivaldi, le « célèbre professeur de violon » qu’elle connaît déjà
très bien, se prépare à partir pour Rome où il fera représenter son nouvel
opéra, à l’occasion du prochain carnaval.
1- P. Cerani, 2010.
2- I-Tn, Foà 38, fol. 2-184.
3- R. Strohm, 2008, p. 223-224 et tableau p. 675.
4- Orlando finto pazzo, Tieteberga, L’Incoronazione, La Costanza, Arsilda.
5- Gazzetta di Mantova, n° 17, 29 avril 1718.
6- Mantoue, Archivio di Stato, « Gonzaga », busta 2347 ; C. Gallico, 1980, p. 79.
7- R. Strohm, p. 228-228, tableau p. 730. Les autres opéras de Vivaldi représentés à la Pergola
sont : Ipermestra en 1727, L’Atenaide, en 1729 et Ginevra principessa di Scozzia, en 1736.
8- I-Tn, Foà 28, dans fol. 41-176 ; cf. P. Ryom, 2007, Sammlung VI, p. 485-486 ; 587-588.
9- Teuzzone et Tito Manlio à Mantoue, au carnaval de 1719, la Verità in cimento, en 1720, et
Ercole, à Rome, en 1723.
10- P. Cirani, 2010.
11- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 239-260 ; tableau, vol. 2, p. 738-739.
12- Cf. Strohm, 2008, p. 246-247.
13- Ottone, Orlando finto pazzo, Nerone, Costanza, Arsilda, Tieteberga.
14- Cité par L. Cataldi 1985, p. 95.
15- I-Tn, Foà 33, fol. 2-142.
16- D-Bsb, N-Mus ms. 125.
17- I-Tn, Giordano 36, fol. 293 r°-298 v°.
18- Cité par L. Cataldi, 1985, p. 94.
19- F. Amadei, 1957, IV, p. 351 ; cité par L. Cataldi, 1988, p. 137.
20- R. Strohm, 2008, vol. 1, pp. 261-73 ; tableau, vol. 2, p. 742-743.
21- Tito Manlio, Mantoue, Pazzoni, 1719, p. 3 ; d’après le seul livret existant conservé à la
Dillingen/Donau, Kreis- und Studienbibliothek ; L. Cataldi, 1988, p. 137.
22- I-Tn, Giordano 39, fol 172-365.
23- P. Ryom, 2007, p. 508.
24- I-Tn, Foà 37, fol. 120-306.
25- Orlando finto pazzo, Orlando furioso, Scanderbeg, L’Incoronazione, Ottone et Arsilda.
26- P. Ryom, 2007, p. 506.
27- I-Tn, Foà 32, fol 349-60, ms. autographe.
28- Mantoue, Archivio di Stato, Scalcheria, mis. 17 ; L. Cataldi, 1985, p. 94 et p. 102-103 et
p. 94.
29- Mantoue, Archivio di Stato, Scalcheria, busta 45 ; P. Cerani, 2010, p. 56, document 1.
30- Idem, busta 35 ; Paola Cerani, p. 49.
31- M. Talbot, The Mantovan cantatas, dans The chamber cantatas, 2006, p. 90.
32- R. Rash, 1996, p. 100-101.
33- RV 324, RV 259, RV 318, RV 216, RV 280 et RV 239.
34- D-Dl, Mus. 2389-0-111.
35- D-WS, 777.
36- D-Dl, Mus. 2389-0-68.
37- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 244-277 ; tableau p. 741-745.
38- F-Pc D. 1226.
39- D-MÜs, Hs 2827.
40- D-WD, Ms 893.
41- « La fatal sentenza al figlio » et « Ti lascerei gli affetti miei » (Tito) ; « Parto contenta »
(Servilia).
42- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 272-285 ; tableau, vol. 2, p. 683-684.
43- I-Tn Foà 28, fol. 41 à 176 ; « Sammlung VI » dans P. Ryom, 2007, p. 587-588.
44- Le Concerto funebre (RV 579), en do majeur, est écrit pour violon solo, hautbois,
chalumeau, trois viole all’inglese et continuo  ; le premier mouvement lent emploie le même
matériel thématique que la Sinfonia (III, 12) du Tito Manlio, composée, elle, en si bémol majeur,
pour deux trompettes, deux hautbois, deux violons, un alto, des timbales et la basse continue
(«  tous les instruments avec sourdine  »). On ne sait laquelle de ces deux œuvres fut écrite la
première. En raison de son instrumentation typique de la Pietà, Cesare Fertonani pense que ce
concerto aurait été composé pour les filles du chœur, sur la demande d’un bienfaiteur de
l’hospice ; C. Fertonani, 1998, p. 493-494.
45- Mantoue, Archivio di stato, Scalcheria, busta 33 ; P. Cerani, 2010, p. 56, n. 2.
46- Idem, busta 38 ; P. Cirani, p. 56, n° 3.
47- L. Cataldi, 1987, p. 19.
48- A. Cavicchi, 1967 ; cette lettre sera reprise intégralement dans la suite des chapitres.
49- M. Talbot, «  The Chamber Cantatas of Antonio Vivaldi  », 2006  ; «  The Mantuan
Cantatas », p. 89-119 ; et « Vivaldi’s serenatas… », 1982.
50- I-Tn, Foà 27, fol. 27-32 (RV 685) et Foà 27, fol. 41-52 (RV 686).
51- Les manuscrits autographes sont signalés par une *  ; seule la cantate RV 799 n’est pas
conservée à Turin  : * RV 649, «  All’ombra d’un bel faggio  »  ; RV 652, «  Aure voi più non
siete » ; RV 653, « Del suo natio rigore » ; RV 654, « Elvira, Elvira, anima mia » ; RV 658, « Il
povero mio cor » ; RV 659, « Indarno cerca la tortorella » ; * RV 661, « Nel partir da te mio
caro » ; RV 665, « Si levi dal pensier » ; RV 680 (S, vl solo, bc), « Lungi dal vago volto » ; RV
799, « Tremori al braccio » (A-Wgm).
52- I-Tn, Giordano 31, fol. 332-339 ; ce manuscrit, daté approximativement des années 1720-
24 ou des années suivantes, est une copie, peut-être de Giovanni Battista Vivaldi.
53- RV 95, dit La Pastorella (la bergère), RV 88, RV 91, RV 100, RV 106 et RV 107  ;
C. Fertonani, 1998, p. 223-265.
54- Mantoue, Archivio di Stato, Gonzaga, mis. 2348 ; C. Gallico, 1980, p. 80.
55- Ch. Burney, The Present State…, traduction 1992, p. 116-118.
56- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 292-307 ; tableau, vol. 2, p. 646-647.
57- I-Tn, Foà 33, fol.142-316.
58- D-Mbs-Mus., Ms 1120.
59- GB-Mp, Ms 580 Ct 51.
60- C. Fertonani, 1998, p. 136.
61- Lettre du chanteur Francesco Belisani, qui se produit dans l’intermède Gli Inganni
fortunati de G.M. Buini, datée du 4 décembre 1720 ; F. Piperno, 1982, vol. 2, p. 487, n. 17.
62- Ces éléments d’explication sont fournis par Li diavoli in maschera (1726) ; E. Selfridge-
Field, 1982, p. 543, n. 18. Sur ces énigmes, voir aussi G.F. Malipiero, 1930.
63- I-Bl, GG 144, « Cantate a voce sola col solo basso continuo e due Madrigali a quattro ».
64- Dans la même bibliothèque de Bologne (I-Bl), se trouvent les deux madrigaux « No che
lassù ne’ cori  » (A 489) et «  Si che laggiù nell’Erebo profondo  » (A 499). J’emploie les
numéros du catalogue thématique de l’œuvre d’Alessandro et Benedetto Marcello établi par
E. Selfridge-Field, 1990.
65- La lettre « Carissima figlia » (Lettera scritta per Venezia) (A 51) figure aux pages 51-58
du recueil des cantates de Marcello cité (GG 144), ainsi que dans un autre exemplaire détaché
comportant six pages manuscrites (GG 146).
66- E. Selfridge-Field, 1990.
67- «  Cantata fatta all’occasione dello sposalizio di una coppia regale  »  ; A-Wgm Hs
13 709 ; E. Selfridge-Field, 1990, A 500a).
68- Mantoue, Archivio di Stato, « Gonzaga », busta 2348, lettre datée du 23 juillet ; P. Cirani,
2010, p. 51 et p. 57, n° 4.
69- Idem, busta 2358, lettre du 27 juillet 1719 ; P. Cirani, 2010, p. 57, document n° 5.
70- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 307-320.
71- D-Dl, Mus. 1-J-7, p. 57-63. Une copie de la musique se trouve à Paris (F-Pc, Vm7 7694,
vol. II, p. 9-11), attribuée à Giuseppe Maria Orlandini.
72- Livre I : RV 465, RV 188, RV 326, RV 354, RV 285a, RV 374 ; Livre II : RV 464, RV
299, RV 373, RV 294a, RV 208a, RV 214.
73- C. Fertonani, 1998, p. 204.
74- GB-Mp, MS 580 Ct 51.
75- D-Dl, Mus. 2389-0-103.
76- D-Dl, Mus. 2389-0-56.
77- D-Dl, Mus. 2389-0-154.
78- D-Dl, Mus. 2389-0-156.
79- GB-Mp MS 580 Ct 51.
80- I-Tn, Giordano 29, fol. 167-181.
81- D-SWl, Mus. 5565 ; et I-CF.
82- D-SWl, Mus 5572.
83- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 310-320 ; tableau p. 732-733.
84- I-Tn, Foà 28, fol. 41-176 ; « Sammlung VI », P. Ryom, 2007, p. 287-288.
85- R. Giazotto, 1973, p. 173.
86- Mercure de France, avril 1722, p. 153, 178 ; E. Selfridge-Field, 1981, p. 47.
87- Mattheson, Johann, Der Volkommene Capellmesiter, 1739 ; fac-similé, Kassel, 1954.
88- G. Vio, 1984, p. 97.
II

Saisons romaines

Le Théâtre Capranica et les grands mécènes

 Borghese, Orsini, Ottoboni

 (1723-1724)

18

 Premier séjour romain

 (1723)

En août 1721, Antonio Vivaldi se trouvait à Milan où il faisait


représenter son opéra La Silvia, qui fêtait l’anniversaire de
l’Impératrice. En janvier de l’année suivante, dans la même ville, il
créait son quatrième oratorio. En mars 1722, le Prêtre roux avait été
invité, avec plusieurs autres musiciens de Venise, dans une
bourgade des environs de Brescia, pour donner une sérénade et
deux concertos offerts par la famille Martinengo à une jeune
princesse allemande, Christine Luise de Sulzbach, qui célébrait
alors ses noces avec le prince du Piémont. Ces occasions festives,
aristocratiques ou religieuses, signalées par quelques rares
chroniques de l’époque, découvertes dans des archives locales,
nous aident à reconstituer les déplacements du Prêtre roux en Italie.
Peu à peu, le cadre historique devient plus précis.
Plusieurs personnages, artistes, mécènes, aristocrates se dessinent,
au premier ou au second plan de ce tableau vivant dont Antonio
Vivaldi forme le centre. Des têtes couronnées (et leurs
représentants) assurent un lien constant entre leur pays, la
Sérénissime et, par ricochet, Antonio Vivaldi : Friedrich August I,
Électeur de Saxe et roi de Pologne, ainsi que son fils, le prince
Friedrich August II ; Therese Kunigunde, l’épouse de Maximilien
Emmanuel de Bavière, exilée à Venise, et son fils, Karl Albrecht ;
Philipp de Hesse-Darmstadt, gouverneur de Mantoue ; les
Colloredo : le premier, Johann Baptist Colloredo-Waldsee,
ambassadeur « cesareo » (impérial) à Venise ; le second,
Hieronymus Colloredo, gouverneur de Milan. Ces mécènes
disposent de chapelles musicales ; nombre de leurs protégés sont
engagés en période de carnaval dans les théâtres de Venise : Maria
Giusti, Antonia Laurenti et Gaetano Berenstadt sont des artistes de
la cour de Pologne ; Anna Maria Strada est une virtuose protégée
par Hieronymus Colloredo ; Faustina Bordoni, Bartolomeo Bartoli,
Benedetto Baldassari et le célèbre castrat Antonio Bernacchi sont
attachés à la cour de Bavière ; Domenico Tollini est un artiste de
l’empereur Charles VI ; la contralto florentine Vittoria Tesi et Rosa
Venturini appartiennent à la chapelle du prince Antonio Farnese, de
Parme. Plusieurs de ces musiciens et chanteurs vivent dans
l’entourage de Philipp de Hesse-Darmstadt, tels Antonio Vivaldi et
le castrat Giovanni Battista Carboni qui achemine entre Venise et
Mantoue les courriers et les partitions manuscrites que s’échangent
Benedetto Marcello et le landgrave Philipp.

Les princes Marco Antonio et Maria Livia Borghese, de Rome à


Venise

Le castrat Giovanni Ossi, qui chante à Venise en 1722 puis en 1723 à


Rome dans l’opéra de Vivaldi, est un virtuose du prince Marco Antonio
Borghese, le mari de Maria Livia Spinola. Des litiges avaient opposé les
Spinola aux Borghese  ; Maria Livia avait été partiellement déshéritée par
son père. Elle était une mécène très aimée des artistes. Dans les années
1721-1722, Marco Antonio occupe la haute fonction de vice-roi de Naples,
au service des Habsbourg. Les Borghese, princes de Rossano, vivaient à
Rome. Mais ils étaient de grands habitués de Venise où ils avaient leur
palais. Ils y faisaient de longs séjours, surtout à l’époque du carnaval, car ils
aimaient assister aux opéras, en particulier à l’époque où les théâtres de
Rome étaient fermés.
Les lettres de Francesco Gasparini, de Benedetto Marcello, et d’autres
encore en provenance de Venise conservées dans les archives de la famille
Borghese, au Vatican, montrent que Maria Livia et son époux étaient en
relation constante avec Venise et se tenaient informés de ce qui se passait
dans les théâtres, et tout particulièrement des succès remportés, tant au San
Cassiano qu’à la Pietà, par leur protégé, Francesco Gasparini.

L’amitié des Marcello et des Borghese

Les patriciens vénitiens Benedetto et Alessandro Marcello, compositeurs,


sont des personnalités à part dans le milieu musical. La musique est pour
eux une passion et non un moyen de subsistance. On les appelle des
«  dilettantes  ». Grâce à leurs moyens financiers, ils peuvent faire éditer
leurs œuvres en de luxueux recueils et les diffuser dans toute l’Europe. À
l’âge de quinze ans, Benedetto Marcello avait été l’élève de Francesco
Gasparini  ; les deux hommes étaient restés liés par des communautés
d’intérêts. Ces personnalités appartiennent aux mêmes cercles, et défendent
les mêmes intérêts, politiques et esthétiques. Des liens d’amitié, et même de
parenté, unissent les Marcello de Venise et la famille Borghese de Rome.
Par leur mère (Capello), les Marcello étaient aussi co-propriétaires du fonds
où avait été construit le Sant’Angelo. Plusieurs livrets d’opéras représentés
dans ce théâtre sont dédiés à Marco Antonio, à Maria Livia et à leur fille
Flaminia. Dans leur palais vénitien, on avait exécuté en 1709 La Giuditta de
Benedetto Marcello, et sans doute aussi, l’année suivante, la sérénade La
Morte d’Adone.
Sous son nom de berger de l’Arcadie, Eterio Stinfalico, Alessandro
Marcello avait publié à Venise, chez Antonio Bortoli, un recueil de douze
cantates. La première, Neptune, est intitulée «  Il Nettuno. Cantata per la
Signora Principessa Borghese  » et dédiée à Maria Livia. Le premier
récitatif est ainsi formulé :
Quel est ce soleil qui apparaît à nouveau sur les rives de la Vénétie /
portée par un somptueux vaisseau / dont les rames fouettent les ondes ? /
Oui  : je le reconnais c’est la grande LIVIA  ; / elle est le rameau le plus
noble que la terre ligurienne ait nourri en son sein : / Issue de la souche
des Spinola, germe glorieux, / Que le Tibre honore, elle greffa sa propre
grandeur sur celle du héros Borghese. / C’est bien elle qui, dotée de
qualités surhumaines et rares, vient se promener sur la Mer Adriatique1.
Jusqu’où va le pouvoir des Borghese à Venise  ? Ont-ils, par exemple,
contribué à faire nommer, en 1701 (alors que la vie musicale romaine
tournait au ralenti), Francesco Gasparini au poste de maître de chœur à la
Pietà  ? Auront-ils influencé les gouverneurs de l’hospice lorsque ceux-ci
décideront, le 2 juillet 1723, de réintégrer Vivaldi dans la chapelle musicale,
après plusieurs années d’absence ?
C’est Alessandro Marcello qui, le 15 octobre 1722, prend la plume pour
recommander chaudement Vivaldi à la princesse, une protection qui devrait
garantir au compositeur vénitien un bon accueil dans le public romain : « Je
considère qu’il est de mon devoir, écrit Alessandro, de vous présenter une
personne que vous connaissez déjà très bien, “il Sig. D. Antonio Vivaldi”,
célèbre Professeur de Violon, qui part pour Rome où il doit composer
l’opéra du Carnaval, afin que, tout en agréant mes humbles hommages,
vous acceptiez de lui faire la grâce de l’accueillir dans l’ombre de votre
éminente protection2. »

Les milieux romains

Au début du mois de janvier 1720, Vivaldi avait participé au Tito Manlio,


un pastiche représenté au Teatro della Pace. On doute qu’il se soit rendu à
Rome pour ce spectacle dont il n’avait eu à composer que le troisième acte,
alors que, à la même époque, il était à Mantoue en train de préparer sa
Candace. Les deux saisons qu’il passera à Rome, en 1723 et 1724, seront sa
première immersion dans le milieu romain, un univers complexe au plan
social et politique, et qui lui est encore inconnu.
Dans la cité papale, les deux théâtres les plus importants sont le
D’Alibert et le Capranica. On y joue des opéras de compositeurs issus de
toute l’Italie. C’est dans le second que va se produire Antonio Vivaldi pour
ses trois opéras composés en  1723 et  1724, Ercole su’l Termodonte, La
Virtù trionfante et Giustino. Le propriétaire de la salle, Federico Capranica,
bénéficie du soutien de plusieurs mécènes, dont les Borghese, le cardinal
Pietro Ottoboni et la famille Ruspoli, qui interviennent au premier rang
dans le choix des librettistes, des compositeurs, des chanteurs et des sujets
des opéras représentés.
Hors de chez lui, Antonio Vivaldi est surtout connu et admiré comme un
prodigieux virtuose du violon et un compositeur de concertos à succès, dont
les partitions publiées en Hollande circulent au-delà des frontières. Mais,
pour le public des théâtres d’opéra romains, il est un encore un étranger. De
son côté, il doit s’adapter à une situation nouvelle, être à l’écoute des
volontés de la haute aristocratie locale, travailler avec des chanteurs qu’il
n’a pas choisis, se plier à des coutumes qu’il connaît mal. Par exemple,
dans le diocèse du Vatican (on l’a vu à l’occasion du Tito Manlio), aucune
femme ne chante sur scène. Tous les rôles sont incarnés par des interprètes
masculins – castrés ou non. Il en résulte une pléthore de voix aiguës
(sopranos et contraltos) et très peu de ténors pour assurer l’équilibre. Un
«  evirato  » (c’est le nom que l’on donne en Italie aux chanteurs castrés)
comme Giacinto Fontana de Pérouse dit Il Farfallino (le petit papillon !) est
spécialisé dans les rôles féminins, de prima donna. Parmi les chanteurs qui
seront les interprètes de ses opéras, Vivaldi connaît déjà le castrat alto
Giovanni Battista Minelli, qui avait chanté à Milan dans La Silvia (le rôle
de Mars travesti en berger Tirsi), ainsi que le ténor Antonio Barbieri,
comme lui virtuose de Philipp de Hesse-Darmstadt, qui tiendra le rôle de
Mitridate en 1724 dans La Virtù trionfante. Le ténor Giambattista Pinacci
appartient lui aussi à la chapelle de Mantoue. Le castrat Giovanni Ossi, qui
n’a alors qu’une vingtaine d’années et qui est au service des Borghese, sera
Antiope, la reine des Amazones dans Ercole su’l Termodonte. Le castrat
soprano Girolamo Bartoluzzi dit Il Regiano, virtuose du duc de
Guadagnolo, est un élève de Francesco Gasparini et un habitué des rôles
féminins.
Les artistes doivent user de souplesse pour s’adapter aux différentes
tendances de l’époque. Durant les années où les théâtres romains restèrent
inactifs, compositeurs, instrumentistes et chanteurs s’étaient éparpillés à
Florence, à Naples, à Bologne, à Venise, et à l’étranger. Lorsque Vivaldi
arrive à Rome, la vie musicale a désormais repris avec régularité. Mais
deux mondes sont en train de s’affronter. Celui d’une génération finissante
(représentée par Alessandro Scarlatti et Francesco Gasparini), qui tiennent à
leurs privilèges et cherchent à maintenir un style musical et vocal désormais
considéré par les plus jeunes comme «  ancien  »  ; et une vague de
compositeurs plus jeunes dans laquelle s’inscrivent par exemple les deux
Bolonais Luca Antonio Predieri et Giuseppe Maria Orlandini, et surtout les
nombreux compositeurs issus des célèbres conservatoires napolitains, tels
Leonardo Leo et Leonardo Vinci. Ainsi, en 1724, les deux castrats Fontana
et Bartoluzzi paraissent aux côtés du jeune prodige Carlo Broschi dit
Farinelli, âgé de dix-neuf ans, dans La Tigrena, une fable pastorale de
Francesco Gasparini exécutée au palais de l’ambassade du Portugal. Il ne
s’agit pas seulement de heurts dus à deux générations qui se croisent à cette
époque-là, mais aussi de styles différents et de l’apparition de genres
nouveaux, comme l’opera buffa et les intermèdes comiques, souvent en
dialecte napolitain, qui sont en train de s’imposer partout comme des genres
européens. Passant d’une ville à l’autre, le diapason lui-même est différent
(à Rome, il est une tierce au-dessous de celui du nord de l’Italie). Les
compositeurs s’observent et s’influencent réciproquement. La même saison
que le Giustino de Vivaldi, on joue au théâtre D’Alibert le Farnace de
Leonardo Vinci, sur un livret d’Antonio Maria Lucchini, un drame que
Vivaldi reprendra à son tour en 1727. Quant à Leonardo Vinci, il paraphrase
dans son Farnace l’une des arias de l’Ercole sul Termodonte de Vivaldi
(I, 13 « Lascia di sospirar »).
Vivaldi vient d’un univers politiquement très différent de celui de Rome.
Dans la République Sérénissime, le civil et le religieux sont réunis sous une
même autorité, celle du doge. Rome, en revanche, est constituée d’une
mosaïque de pouvoirs, prélats, familles aristocratiques… Dix ans durant,
pendant la guerre de Succession d’Espagne (conclue en 1714), ces
personnalités se sont déchirées entre les partisans des Habsbourg et ceux
des Bourbons, qui désormais règnent à Madrid, en la personne de
Philippe  V, petit-fils de Louis  XIV, tandis que l’Empire a annexé Naples,
Mantoue et la Lombardie. Les artistes ont dû apprendre à naviguer parmi
ces personnalités puissantes et de camps opposés.
Le Prêtre roux séjourne à Rome en tant que «  maître de chapelle de
Philipp de Hesse-Darmstadt » (c’est ainsi qu’il est nommé sur les livrets de
ses opéras romains), gouverneur de Mantoue, représentant des Habsbourg.
Alessandro Marcello l’a remis entre les mains de la princesse Spinola
Borghese, dont le mari vient d’être nommé vice-roi de Naples, représentant
de l’Empire. Prêtre de formation, il bénéficie certainement d’autres appuis
dans les milieux du Vatican… Dans la cité papale, Antonio Vivaldi retrouve
par exemple son compatriote, le cardinal Pietro Ottoboni, protecteur des
affaires françaises (le clan opposé de celui des Habsbourg  !), exilé de sa
ville natale pour des raisons politiques. Prêtre et musicien, Vivaldi se trouve
confronté à Rome à des milieux de prestige, des personnalités redoutables :
autant de difficultés à surmonter, mais aussi, pour lui, autant de sources
nouvelles pour d’éventuelles commandes et protections ! Cette situation lui
convient. S’il est un artiste libre, conscient de son génie, il sait aussi, auprès
des grands de ce monde, se faire courtisan !

Ercole sul Termodonte, Rome, janvier 1723 (RV 710)

Le premier opéra mis en musique par Antonio Vivaldi à Rome baigne en


pleine mythologie grecque.
Le texte du drame provient d’une fusion entre un vieux livret vénitien de
1678, Ercole sul Termodonte (Hercule sur le Thermodon)3, et d’un second
livret plus récent, Le Amazone vinte da Ercole (Les Amazones vaincues par
Hercule) d’Antonio Salvi (1718). L’histoire d’Hercule qui attaque puis
massacre les Amazones est fondée sur plusieurs sources qui diffèrent les
unes des autres. Le livret de l’opéra mis en musique par Vivaldi diverge du
scénario le plus connu. Il est inspiré d’un récit de l’historien Justin. Le roi
de Mycènes, Euristeo, avait autrefois doté Hercule de douze talents. Jaloux
de la gloire dont ce demi-dieu est désormais auréolé, Euristeo demande à
celui-ci (en échange des talents qu’il lui avait généreusement offerts) de lui
rapporter les armes d’Antiope, la reine des Amazones – sûr que cette
mission serait vouée à l’échec. Hercule et ses compagnons partent avec
neuf navires en direction du Thermodon, le fleuve au bord duquel vivent les
Amazones (dans la Cappadoce actuelle, au nord de la Turquie). Les Grecs
surprennent les Amazones, capturent Ippolita et Menalippe, les deux sœurs
de la reine Antiope. Ippolita tombe amoureuse de Teseo (plus tard, ils se
marieront et de leur union naîtra Ippolito). Antiope échange sa sœur
Menalippe contre ses propres armes que, dans un geste d’amour, elle remet
à Hercule. Il pourra ainsi satisfaire la demande que lui avait faite le roi de
Mycènes. S’il y a guerre, c’est surtout celle que provoque l’amour qui, à la
fin, se conclut par la paix entre les femmes et les hommes. L’arme
employée par les Grecs est la séduction  ; les héroïnes ont la faiblesse de
tomber amoureuses de leurs ennemis. Le librettiste prétend que la seule
mission réservée aux femmes est de cultiver l’amour – et non de pratiquer
les armes comme le font les Amazones –, tandis que les hommes, eux,
peuvent se livrer à la fois à l’amour et à la guerre…
Les personnages sont divisés en deux clans. Dans celui des femmes, le
masculin fait irruption, au premier acte  Hercule arrive sur scène,
accompagné par la sonorité guerrière des trompettes. Puis les deux camps
s’affrontent. D’une part, les quatre Amazones, interprétées par des castrats :
Giovanni Ossi (soprano) est Antiope, la reine des Amazones, à la tête de
son armée de femmes  ; Giacinto Fontana (soprano) incarne Ippolita, sa
sœur  ; Giovanni Dreyer (alto), chanteur florentin, est Orizia  ; Girolamo
Bartoluzzi (soprano) incarne la Menalippe de la légende qui, ici, pour des
raisons d’euphonie, s’appelle Martesia – elle est dite la fille et non la sœur
d’Antiope. Dans le clan adverse, les quatre Grecs sont guidés par Hercule,
le demi-dieu, interprété par le ténor Giovanni Battista Pinacci, la seule voix
« masculine » de l’opéra, contre une armée de castrats ! Le rôle de Teseo,
prince d’Athènes, est tenu par Giovanni Battista Minelli (alto)  ; celui
d’Alceste, roi de Sparte, par le célèbre Giovanni Carestini (dit Il Cusanino),
virtuose du cardinal Cusani ; Carestini est encore débutant, aussi il reçoit un
rôle secondaire, mais il sera bientôt un artiste d’envergure internationale ; la
partie de Telamone, roi d’Ithaque, est chantée par Domenico Giuseppe
Galletti, de Cortone (alto).
 
L’action se déroule tantôt sur le vaisseau des Grecs, sur le fleuve
Thermodon, tantôt dans le village où vivent les Amazones. L’opéra
comporte plusieurs scènes très spectaculaires  : une chasse, des combats
entre hommes et femmes (ici tous des hommes !), l’intervention de Diane
(in macchina) sur le globe lunaire, pour clôturer le tout. Au premier acte, un
paysage sert de cadre à l’expédition des Grecs ; puis le rideau s’ouvre sur
un cabinet avec une galerie d’armes ; un paysage encore : dans le lointain
on aperçoit le port et les bateaux des Grecs ; puis une loggia d’où l’on voit
le parc royal ; on assiste à la chasse des Amazones, accompagnée par des
chants et des sonneries de cors. Le premier acte se termine par l’incendie
des vaisseaux grecs sur les rives du Thermodon et par un combat sur scène.
Des rites anciens, comme la préparation du sacrifice de Teseo finalement
sauvé par l’intervention d’Ippolita, apportent leur note d’exotisme. À
l’acte II, une place devant le Palais royal ; Orizia entre en scène sur un char
triomphal ; ensuite, vue sur le Temple de Diane où l’on prépare le sacrifice
de Teseo. Lorsque commence le troisième acte, le décor représente l’armée
des Grecs et des machines de guerre détruites ; puis un hall royal laisse voir
la statue de Diane, des jardins et le Temple. Diane apparaît parmi les
sphères ; elle reproche à Antiope sa résistance et bénit les deux couples.

La musique

L’opéra comprend en tout une trentaine d’arias, deux duos, des chœurs ;
ceux-ci accompagnaient certainement les déplacements de personnages,
peut-être aussi des danses. Au premier acte, on entend une fanfare
militaire : « Combats sur le pont du navire, au son des trompettes, timbales
et tambours ».
Il s’agit d’un pastiche élaboré par Vivaldi à partir de ses œuvres
antérieures. Le compositeur a certainement participé sur place, à Rome, au
remaniement du texte. Des arias sont extraites d’une dizaine d’œuvres4 ; on
entend aussi la musique de «  Nox Obscura tenebrosa  », puisée dans la
seconde partie de la Juditha triumphans  ; elle a été réinsufflée dans l’aria
d’Antiope « Pur ch’appaghi un giusto sdegno » (II, 3). Quant à l’aria « Ti
sento, si ti sento » (III, 7)5, elle est à peu près semblable à l’aria chantée par
Zelinda dans Teuzzone (I, 13) ; les ornements ont sans doute été ajoutés par
Minelli lui-même. Deux airs de l’Ercole seront intégrés au Farnace, en
1727.
Il n’existe pas de manuscrit de cet opéra. On peut seulement en
reconstituer partiellement la physionomie à partir des fragments se trouvant
dans d’autres opéras  : la Sinfonia d’ouverture est une variante de celle
d’Armida al campo d’Egitto (RV 699) et se trouve à Paris6 ; des airs sont
conservés dans plusieurs fonds européens ; un recueil d’arias est conservé à
Munich7.
Dans l’aria que chante Ippolita au début du second acte, « Onde chiare
che susurrate  » (Ondes claires qui murmurez), deux violons jouent sur
scène et dialoguent avec la chanteuse. Vivaldi utilisera le même matériel
thématique au début du Giustino, lorsque le chœur chante «  Viva Augusto
eterno impero ». On entendra encore ce thème dans le célèbre concerto du
Printemps (RV 269), qui sera publié dans l’Opus 8, en 1725.
 
L’air interprété par Hercule « Non fia della vittoria » (III,  3), avant que
les Grecs lancent l’assaut contre les Amazones, est très beau, pathétique et
virtuose à la fois. Un peu plus loin, à la scène  7, Ippolita chante « Amato
ben Tu sei la mia speranza  » (Mon bien aimé, tu es mon espérance), une
aria élégiaque, à la ligne sinueuse  ; la mélodie est agrémentée de petites
cellules, comme si l’ornementation improvisée avait été intégrée à la ligne
écrite  : une esthétique typique du baroque tardif. On dit que ce style
gracieux aurait été imposé par la mezzo-soprano vénitienne Faustina
Bordoni. Cette cantatrice avait en effet une voix très souple et une grande
précision d’exécution qui lui permettait de broder de tels détails. Ensuite, ce
style vocal fut repris par d’autres chanteurs, comme Farinelli. La voix et les
violons solistes exécutent la même mélodie, s’épousent ou se font écho,
rivalisant de finesse et de légèreté. Cette aria avait été entendue la première
fois dans La Verità in cimento (I,  12)  (Venise, 1720), chantée par Anna
Maria Strada, dans le rôle de Rosane. Le même matériel thématique
apparaît dans le concerto pour violon RV 761, « dit Amato bene », dont le
manuscrit est aujourd’hui conservé à Manchester, dans le fonds provenant
de la collection du cardinal Pietro Ottoboni8.
Après avoir entendu l’Ercole sul Termodonte, un certain Fernando
Manno (peut-être le secrétaire du palais de la famille Pamphili), parle de
Vivaldi comme d’un « excellent auteur d’arias et d’un charmant inventeur
de mélodies pour la voix  ». Manno fournit encore cette intéressante
information sur les activités du Prêtre roux à Rome ; il écrit : « Monsieur
Vivaldi, vénitien, a composé les arias sur le texte de S. E. Mons. Barbieri,
qui lui a donné cent écus  ; elles furent chantées dans la maison du prince
Colonna où s’est rendu également l’ambassadeur de l’Empereur9. »

Vivaldi, caricaturé par Pier Leone Ghezzi

C’est au cours de cette saison 1723, peut-être pendant les répétitions de


l’Ercole sul Termodonte au Capranica, que Pier Leone Ghezzi dessina d’un
trait nerveux le visage du Prêtre roux en plein travail, offrant à la postérité
la seule image authentique que nous conservions du compositeur.
Pier Leone Ghezzi (1674-1755) était un peintre officiel de la Chambre
apostolique. Il a orné de fresques la villa Falconieri à Frascati, et peint de
nombreux tableaux religieux. Mais il aimait aussi la musique et jouait lui-
même en amateur du violoncelle et du clavecin. Dans sa maison de la via
Giulia, à Rome, il organisait des réunions amicales où se côtoyaient érudits,
artistes, musiciens, prêtres, prélats, diplomates… Autant d’occasions pour
croquer sur le vif et à leur insu les visages et les silhouettes de tous ces
personnages. Ghezzi fréquentait aussi les théâtres de Rome : il a réalisé de
nombreuses caricatures des musiciens et des chanteurs ; celle de Francesco
Gasparini, par exemple, où le compositeur est représenté, comme Vivaldi,
de profil. Il porte une perruque. Il s’agit d’un homme mûr, au visage fort,
autoritaire ; on devine des sourcils noirs, épais ; un menton lourd et un long
nez fin10. Ghezzi a fait aussi la caricature du castrat Giacinto Fontana,
pendant qu’il chante dans l’Ercole. Le dessin porte cette inscription  :
«  Farfallino, excellent soprano qui chanta au Théâtre D’Alibert11 dans
l’opéra du Prêtre roux en 1723, fait par moi, Cav. Ghezzi, le 20 janvier de la
même année12  ». Il s’agit d’un homme de très petite taille, portant
perruque, cape, chaussures à boucles ; une épée dépasse de son manteau ;
son visage est assez ingrat.
En 1747, Ghezzi réunit ses caricatures dans une série de sept volumes
contenant chacune de 150 à 200 dessins. Il les offrit au pape, puis les
volumes furent intégrés à la collection Ottoboni où ils sont aujourd’hui
conservés13. Ces caricatures constituent aujourd’hui de précieux
témoignages sur la vie et les personnages gravitant dans les milieux
musicaux de l’époque.
Sur la planche où figure le profil de Vivaldi, se trouvent deux autres
visages14. À droite, Monsignore Casoni, neveu du cardinal Casoni ; dans la
partie inférieure de la feuille, «  Monsigr Farsetti  » (Maffei Farsetti), un
ecclésiastique mélomane, qui peut-être accompagnait Vivaldi à Rome.
À côté du visage de Vivaldi, Ghezzi a noté  : «  Le Prêtre Roux
Compositeur de musique qui écrivit l’opéra de 1723 au Capranica.  » Le
compositeur est vu lui aussi de profil, du côté droit. Il ne porte pas de
perruque : ses cheveux, fins et ondulés, sont coupés au-dessous du menton.
Son visage est anguleux. Il a un fort nez busqué, un menton légèrement en
galoche, de lourdes paupières. Les premiers boutons de son habit sont
décrochés  ; on pourrait penser à une soutane de prêtre. Grâce à une autre
version plus aboutie du même dessin de Ghezzi, découvert à Moscou
(Musée d’État des beaux-arts Pouchkine), on discerne qu’il s’agit plutôt
d’une chemise à jabot, donc d’un vêtement bourgeois, sans aucune
connotation ecclésiastique15.
Cette caricature reste la seule vision qui nous permette d’imaginer la
physionomie de Vivaldi ; elle ne nous dit rien de son visage vu de face, ni
de sa silhouette, ni de sa stature16.

Une lettre adressée à la princesse Borghese, 20 mars 1723

Vivaldi revient à Venise au début du printemps 1723. Dès son retour, il


envoie cette missive à la princesse Maria Livia Spinola Borghese :
Excellence,

Je présente aux pieds de V.  E.  mon très profond respect, et vous fais
part de mon arrivée en bonnes conditions à Venise, où rien ne m’afflige
plus que la distance qui m’empêche de servir Votre Excellence.
Si V.  E.  voulait me rendre pleinement heureux, il suffirait qu’elle
comble les désagréments que lui cause (mon) éloignement en me faisant
l’hommage de l’une de ses très révérées et estimées commandes. Ma
médiocrité est, je le sais très bien, le plus grand de mes défauts, mais je
prie quand même votre très grande générosité de surmonter cette difficulté
et de m’en faire l’honneur.
Bientôt, je fournirai aussi à Madame Laura17 plusieurs musiques
vénitiennes. Je prie V.  E. de présenter mes respects à toute votre
Excellente Maison et me prosterne avec respect.
Je reste votre très Humble Serviteur
Venise 20 Mars 1723
Antonio Vivaldi18.

En termes plus simples, Vivaldi suggère à la princesse de lui passer


commande de nouvelles œuvres. Il n’y a plus qu’à attendre… l’année
suivante  ! Au carnaval 1724, le Vénitien sera en effet de retour à Rome
pour deux nouveaux opéras au théâtre Capranica.

Nouvel engagement à la Pietà, 2 juillet 1723

Trois mois plus tard, Vivaldi est toujours à Venise. A-t-il lui-même
demandé à réintégrer la Pietà  ? Le 2  juillet, les gouverneurs acceptent de
reprendre le Prêtre roux à leur service. Sa dernière nomination datait du
24 mai 1716. Pour la première fois, il avait été nommé maestro de’ concerti
(maître des concerts), une charge chèrement acquise qui lui permettait de
composer des œuvres pour les filles du chœur, tout en gardant la liberté
d’écrire pour les théâtres et de voyager. En novembre de la même année,
avait eu lieu à la Pietà, dans la jubilation générale, l’exécution de la Juditha
triumphans. Le dernier salaire versé au Prêtre roux par la Pietà datait du
mois de septembre 1717. Ensuite, Vivaldi partait pour Mantoue.
Jour symbolique donc et jour festif aussi  : le 2  juillet, comme chaque
année, on célèbre la Visitation de la Vierge. Les gouverneurs réunis votent
(neuf voix « oui » et une abstention) la nomination de Vivaldi. Ils rédigent
un nouveau contrat, conservé dans les Notatori (minutes) de la Pietà19.
Ils soulignent d’abord qu’il faut continuer à faire progresser la qualité de
la musique, afin de louer Dieu, d’assurer l’affluence des fidèles et de
susciter dans la population et parmi les visiteurs des gestes de charité. Ils
admettent ensuite que la chapelle musicale manque de concertos et qu’il est
devenu urgent de compléter le répertoire du chœur. Les députés chargent
donc « Don Antonio Vivaldi, dont les activités sont notoires » de fournir à
l’hospice deux concertos par mois, «  tout comme il vient d’en composer
deux à l’occasion de la fête de notre église ». Il faudra aussi établir avec le
même Vivaldi un accord «  pour les périodes où celui-ci séjournera dans
cette ville, ainsi que, s’il l’accepte, pour les périodes où il sera absent, grâce
à des missions  ». Sans renoncer à ses autres engagements, Vivaldi pourra
ainsi composer pour la Pietà, comme convenu, les deux concertos mensuels.
Chaque concerto lui sera rétribué un sequin, somme pour laquelle il devra
aussi, lorsqu’il résidera à Venise, se rendre en personne à la Pietà au moins
trois ou quatre fois par œuvre, afin d’enseigner aux filles la manière de bien
les interpréter. Les maîtresses de chœur, quant à elles, «  devront être
présentes chaque fois que le Révérend Vivaldi viendra faire répéter les
filles, comme elles le sont habituellement avec les autres maîtres, et veiller
à ce que les Filles observent la discipline de rigueur, et à ce qu’elles tirent
profit, sans se distraire, de l’occasion qui leur est offerte ».
À la fin de l’année 1723, Vivaldi sera payé pour huit concertos  ; puis
pour soixante-douze autres, entre 1725 et 172920.
 
Le réengagement du Prêtre roux à la Pietà, à des conditions tout à fait
exceptionnelles, n’est pas la seule mesure adoptée les gouverneurs afin de
faire face aux difficultés croissantes que rencontre l’institution. Il est
devenu impératif d’agrandir et d’aménager les locaux, qui ont toujours
souffert d’étroitesse. Conséquences des guerres, des difficultés
économiques, des épidémies, la Pietà reçoit de plus en plus de nouveau-nés
déposés anonymement par leur mère dans la scaffetta. En 1718, on avait
déjà fait agrandir la maison du côté du rio de San Lorenzo, et obtenu le
droit de modifier à volonté les parties nouvelles afin de les rendre plus
adaptées au logement et au travail des enfants. La même année, les
gouverneurs avaient signé un accord avec la Camera del Purgo afin qu’une
centaine de jeunes puissent travailler à filer la laine, au service des
marchands qui fournissaient la Hollande et l’Angleterre. À cet effet, on
avait aménagé un petit bâtiment dans la cour de l’hospice, du côté de la riva
degli Schiavoni. L’année suivante, pour agrandir encore les locaux, on avait
annexé le palais des nobles Capello. L’espace dont disposait l’hospice
restera, malgré ces dispositions, toujours insuffisant, tant du côté des
dortoirs, que de l’infirmerie où il restait difficile de séparer les malades des
enfants sains. À cette même période, les députés se rendent compte qu’il est
devenu indispensable de repenser l’édifice et de transformer l’église de la
Pietà en un lieu de prestige où la musique trouvera sa pleine expression.
Après de longues tergiversations, ce n’est qu’en 1736 que sera lancé un
concours destiné à sélectionner un architecte qui engagera concrètement le
projet de la nouvelle Pietà !
En 1723, les réaménagements touchent aussi la petite église. Le 4  juin,
c’est-à-dire un mois seulement avant qu’ils n’expriment officiellement leur
volonté de réengager Vivaldi, les gouverneurs reconnaissent « que le chœur
est vraiment trop étroit21  »  ; on se décide à construire deux «  choretti  »
(petits chœurs latéraux), de chaque côté de la tribune centrale. L’objectif est
d’y placer les filles sur deux rangs, afin qu’elles « puissent mieux remplir
leurs tâches22 ». On nomme un nouvel entrepreneur, Bortolo Franceschini.
Le 27 janvier 1724, les maçons travaillent « à agrandir le vieux chœur23 ».
On commande un deuxième orgue qui devra être placé dans un chœur
latéral. Le 8  mars 1726, les gouverneurs décideront de placer devant les
« choretti », une grille en fer doré, remplaçant les anciens volets en bois de
façon à ce que les filles placées sur les côtés puissent voir la maîtresse de
chœur battant la mesure dans le chœur central24.
L’objectif des députés est l’amélioration constante de la qualité du chœur,
afin d’attirer les fidèles et de susciter les dons envers l’institution. Il faut
veiller constamment à la discipline, regarnir constamment le chœur en
nouvelles instrumentistes et de chanteuses et, pour cela, intégrer des élèves
payantes. Le 30 avril 1723, les gouverneurs décident que les « fie a spese »
ne pourront prendre des leçons de musique à la Pietà que si elles sont issues
de la noblesse25. Le 27  janvier 1724, on décide d’intégrer annuellement
deux filles pour le chant et deux pour l’instrument, choisies parmi celles
qui, par leurs activités et par leur sérieux, se seront méritées l’assentiment
du maître de chœur26. Voulant faire preuve de reconnaissance envers le roi
de Pologne qui s’était souvent montré si généreux envers la Pietà, le
22  septembre 1724, les gouverneurs acceptent que puissent prendre des
leçons de musique «  deux fillettes de très bonnes mœurs… destinées au
service de Sa Majesté [le roi de Pologne] de la Maison Royale  ». On
demande que celles-ci n’aient pas plus de douze ans  ; il leur sera interdit
plus tard de chanter au théâtre27. Six ans plus tard, le 17  mars 1730, la
Pietà confie au chambellan du roi de Pologne deux jeunes filles, Maria Rosa
et Anna Bolognese (Rosa et Anna Negri), qui avaient été éduquées, la
première par «  Maddalena dal Soprano  », et la seconde par «  Meneghina
dalla Viola ». Il s’agit sans doute des deux fillettes qui avaient été intégrées
en septembre 172428.
Les visites régulières de personnalités de marque sont aussi un sujet de
fierté et une source de revenus pour la Pietà ; ainsi que pour les filles qui
participent aux bénéfices réalisés sur la location des chaises dans l’église.
Pas question cependant de laisser qui que ce soit pénétrer dans l’enceinte de
l’hospice sans une autorisation des gouverneurs (la réputation de Venise,
ville de toutes les licences, ne s’applique pas à cette institution  !). Le
30  avril 1723, les députés rappellent que toute personne qui souhaite
entendre les filles en concert doit d’abord en faire la demande auprès des
gouverneurs, qui voteront l’autorisation29 (en 1725, on définira à nouveau
les conditions selon lesquelles les personnalités importantes peuvent venir
écouter les filles du chœur30). Au mois de mai  1723, on permet ainsi au
prince de Modène de venir écouter « un divertissement virtuose donné par
nos filles  »  ; celui-ci sera accompagné par la princesse son épouse et par
d’autres gentilshommes  ; avec eux se trouveront aussi «  plusieurs jeunes
virtuoses, chanteuses et musiciennes, qui désirent écouter les filles du
chœur, afin d’en tirer profit31 ». Et, le 3 septembre 1723 (alors que Vivaldi
vient tout juste de reprendre son service), on attend à la Pietà la visite des
princes Borghese  : Camillo (le fils aîné de Marco Antonio et de Maria
Livia), accompagné de son épouse, Anna Colonna32.

19

 Au théâtre Capranica

 (carnaval 1724)

Lors de sa nomination à la Pietà, le 5 juin 1701, Francesco


Gasparini avait reçu des gouverneurs de l’hospice une petite
somme d’argent qui s’ajoutait à son salaire et était destinée à
couvrir « ses frais de voyage », un voyage qui, disent-ils, entre
Rome et Venise, devrait durer « sept jours ». À son tour, dans les
années 1723-1724, Vivaldi fait la route de Rome, et à plusieurs
reprises. Il est peu probable qu’il voyage seul. Plus tard, il écrira au
marquis Guido Bentivoglio que, pour des raisons de santé, il est
toujours assisté dans ses déplacements par plusieurs personnes.
Giovanni Battista peut-être l’accompagne encore.
Malgré son nouvel engagement à la Pietà, Antonio Vivaldi restera à
Rome toute la période du carnaval 1724, peut-être même
davantage.
Le directeur du théâtre Capranica, Federico Capranica, dédie les
deux opéras de la saison à « Madame Faustina Mattei Conti,
duchesse de Guadagnolo », épouse de Marco Antonio Conti, le
neveu de Michelangelo dei Conti, plus connu sous le nom de pape
Innocent XIII (1721-1724).

La Virtù trionfante dell’amore e dell’odio overo Il Tigrane, Rome,


janvier 1724 (RV 740)

La Virtù trionfante dell’amore e dell’odio, overo Il Tigrane (La vertu


triomphant de l’amour et de la haine, ou Tigrane) fait donc l’ouverture du
carnaval au théâtre Capranica. C’est un pastiche dont Vivaldi ne compose
que le second acte33.
 
Le livret de Pietro Andrea Bernardoni avait été créé à Vienne en 1710,
sous le titre de Tigrane re d’Armenia. Ensuite, le drame avait connu
plusieurs mises en musique. Les décors (Port avec des navires illuminés par
des torches et portant des bannières ; Place avec des arcs de triomphe, des
statues et des trophées ; Appartements royaux dans le palais) sont réalisés
par «  Alessandro Mauro, Vénitien  ». Vivaldi a-t-il influencé Federico
Capranica lors de l’engagement de ce scénographe  ? Alessandro est-il le
frère ou un parent de Giovanni Antonio Mauro, peintre et décorateur de
théâtre, attaché au Sant’Angelo, qui avait aussi été engagé à Mantoue pour
les scénographies du Teuzzone et de Tito Manlio ? Pour la mise en scène de
La Verità in cimento, au Sant’Angelo, en automne 1720, on avait fait venir
de Rome les frères Giuseppe et Domenico Valeriani, car Bernardo Canal et
son fils Canaletto étaient eux-mêmes, dans les années 1719-1721, employés
au théâtre Capranica… Ainsi les artistes peintres voyagent, d’un théâtre à
l’autre, comme se déplacent les musiciens, les chanteurs et les
compositeurs.
Benedetto Micheli, qui compose l’acte  I et les intermèdes comiques, et
Nicola Romaldi, qui compose l’acte III, sont des compositeurs « romains »
peu connus. Le second acte est écrit par Antonio Vivaldi, dit seulement, sur
le livret, « Veneziano » (Vénitien).
 
L’action se passe à Sinope, ville du Pont. Tigrane, roi d’Arménie, se fait
passer pour Farnace. Sous cette identité d’emprunt, il se met au service de
son ennemi Mitridate, roi du Pont, afin de se rapprocher de la femme qu’il
aime secrètement, Cleopatra, la propre fille de Mitridate, qui l’aime en
retour. Mitridate, pour sa part, aime Apamia, qui lui préfère Farnace. Le
frère d’Apamia, Oronte, prince de Sinope espère épouser Cleopatra, et lui
succéder sur le trône. Après les tensions d’amour et de haine entre les
royaumes d’Arménie et du Pont, la vertu de Tigrane et la constance de
Cléopâtre sortent victorieuses de ce chassé-croisé fort compliqué. Deux
autres personnages se mêlent à l’action  ; Clearte, prince des Messagètes,
allié de Mitridate et ami de Tigrane et Arbante, gardien de Cleopatra (la
basse Pietro Mozzi qui chante aussi dans les intermèdes).
 
Le second acte est le plus intéressant. Le manuscrit autographe est
conservé à Turin34. La partition fut probablement assemblée par Vivaldi à
Rome avant les représentations, en grande partie avec des arias extraites
d’opéras précédents qu’il lui fallut adapter à la voix des chanteurs de cette
production. Par exemple, «  Scolca il mare e nel periglio  », repris de La
Candace, était écrit originellement pour un rôle de tyran et une voix de
basse ; Vivaldi dut le transposer pour Paolo Mariani, castrat alto.
Le décor représente un « Jardin avec des fleurs et des pergolas ; puis des
pièces dans le palais où Tigrane est retenu prisonnier ; ensuite un lieu avec
des tentes militaires  ; enfin les murs d’une forteresse qui sont abattus par
des machines de guerre ». L’ensemble instrumental se limite aux cordes et à
la basse continue. Dans son «  agréable jardin  », un lieu symboliquement
féminin, Cleopatra (le castrat Giacinto Fontana) est allongée et dort. Dans
son sommeil, elle croit parler à Farnace (le castrat Paolo Mariani). Elle
chante l’aria « Qui mentre mormorando corron l’onde » accompagnée par
des arpèges, aux seconds violons et aux altos. Tigrane la réveille et lui
révèle son identité. Cleopatra chante « Squarciami pure il seno », sur un ton
dramatique ; c’est une aria parlante, aux mélismes réduits, qui fait alterner
des saccades en contretemps (vite, lent, ralentis) avec des arrêts ; la mélodie
vocale est souvent suivie par les cordes à l’unisson. Tigrane est surpris par
Apamia (le castrat Girolamo Bartoluzzi) et par Oronte (le castrat Giovanni
Ossi) qui font brusquement irruption dans le jardin. Tigrane chante «  Mi
vedrai con lieta fronte ». Ici, Vivaldi a juxtaposé des phrases semblables en
majeur/mineur, une influence du style romain (habituellement, il préfère des
éléments contrastés)35. Oronte chante sur un rythme de sicilienne «  Se
lascio d’adorare  », aria puisée dans le Nerone fatto Cesare (1715).
Mitridate (le ténor Antonio Barbieri) intervient à son tour. Tigrane est
arrêté. Apamia se propose de monter la garde devant le prisonnier.
Cleopatra rend visite à Tigrane dans sa prison et le persuade de s’enfuir ; ils
chantent un duo douloureux «  Ahi partenza ahi doglia amara  ». La
principale aria cantabile de Cleopatra est la douce et triste «  Lascierà
l’amata salma  » (sc.11). Cette aria se trouve à Paris en deux versions
manuscrites36  ; une autre copie, réduite pour voix et basse continue, est
conservée à Rome37  ; ce qui montre son succès. Le garde, qui apporte le
poison destiné au prisonnier, voit que celui-ci a disparu. Mitridate est
furieux contre sa fille. L’armée, guidée par Clearte (le castrat Carlo Pera) et
Tigrane, attaque la ville. Oronte relance l’action avec une aria énergique
«  Farà la mia spada  » (II,  12). Le mur de la forteresse s’écroule  ; à cet
endroit, Vivaldi a noté (fol. 53 r°) : « Ici la bataille commence » ; aucune
musique n’est notée pour accompagner ce combat réalisé par le maître
d’armes Filippo Benaglia. Pour ce genre de scène standard, les musiciens
pouvaient intégrer une brève symphonie de bataille interchangeable. La
forteresse est maintenant conquise. Tigrane demande à ses troupes de se
replier, laissant Mitridate reprendre le dessus. Le jeune homme n’a en
réalité qu’un seul souci  : Cleopatra, inconsciente, dans la tente. L’acte se
conclut avec l’aria de tempête chantée par Tigrane «  Scolca il mar  e nel
periglio ».
À la fin de le l’opéra, on assistera à l’union de Tigrane et de Cleopatra.
L’année suivante à Venise, deux arias de La Virtù trionfante seront
intégrées à la sérénade Gloria e Imeneo (RV 687), composée par Vivaldi à
la demande de l’ambassadeur de France pour fêter le mariage de Louis XV.

Il Giustino, Rome, janvier ou février 1724 (RV 717)

Il Giustino était le second opéra du carnaval38. On situe les


représentations vers fin janvier, ou en février 1724. Comme dans La Virtù
trionfante, le livret ne fait pas figurer le titre de Vivaldi, maître de chapelle
de Philipp de Hesse-Darmstadt ; on lit seulement : « La musique est de M.
D.  Antonio Vivaldi  ». Tous les partis et toutes les familles princières,
mécènes des théâtres (tels le cardinal Pietro Ottoboni, à Rome, les Médicis
à Florence…), ne sont pas favorables aux Habsbourg qui, depuis la fin de la
guerre de Succession d’Espagne, occupent Naples et plusieurs États de la
Péninsule. Cela peut expliquer, selon les lieux où les opéras sont
représentés, le voile jeté sur l’identité du mécène de Vivaldi ; ou à l’inverse,
l’ostentation avec laquelle le compositeur expose le nom de son patron.
Le censeur porte un jugement très sévère sur ce texte, qui serait destiné,
selon lui, à «  des gens corrompus possédés par la faute et le paganisme
aveugle », et où l’auteur ferait preuve de son « mépris pour la foi »39.
Une fois encore, Vivaldi travaille sur un ancien livret qui plonge ses
racines dans la culture vénitienne. Il avait été écrit par le noble Nicolò
Beregani en 1683, l’année du siège de Vienne par les Turcs, et mis en
musique avec beaucoup de succès par Giovanni Legrenzi. Cet opéra resta
longtemps populaire. Vivaldi ne travaille pas sur la version originale du
livret vénitien mais sur une reprise de ce texte, arrangé par Pietro Pariati et
mis en musique par Tomaso Albinoni à Bologne, en 1711. On pense que
c’est probablement Antonio Maria Lucchini qui a préparé le livret pour le
spectacle de Rome. Il avait été l’auteur du Tieteberga (RV 737), en 1717, un
drame qui fournit plusieurs arias au Giustino.
L’action est imaginée à Byzance et dans ses environs vers 518 avant J.-
C.  L’histoire met en scène l’empereur byzantin Justin  Ier le Grand (né en
450-452 av. J.-C.), qui, originellement, était un paysan illyrien de la région
de Macédoine. Il monta à Byzance avec quelques camarades, envahit le
palais, devint le chef des gardes, puis il succéda à l’empereur Anastasius.
Historiquement, Justin  Ier eut un règne assez terne. Son acte le plus
important fut, en 519, de réconcilier Rome et Constantinople. Avant de
mourir, en 517, il avait confié la succession à son fils adoptif.
Le manuscrit autographe du Giustino40 laisse deviner que Vivaldi a
rassemblé les arias dans les semaines précédant la représentation, se fondant
en partie sur ses opéras précédents. Une vingtaine de numéros viennent
d’opéras antérieurs  ; neuf d’entre eux sont issus du Tieteberga. D’autres
fragments semblent avoir été puisés directement dans le portefeuille
personnel d’arias, aujourd’hui conservé à Turin41.
 
L’orchestre est formé de deux flûtes, deux hautbois, deux cors, un
psaltérion, des « tamburri » (joués par les timbales), les cordes et la basse
continue.
 
Après la Sinfonia jouée par les seules cordes, le rideau se lève sur « Un
lieu montagneux préparé pour le couronnement solennel d’Anastasio
empereur (Giovanni Ossi), et pour ses noces avec l’impératrice Arianna.
Anastasio et Arianna siègent sur le trône impérial, entourés de princes, de
cavaliers, de gardes et du peuple  ». Pour ce moment de triomphe, les
trompettes et les timbales sont placés «  sur la scène  ». Arianna (Giacinto
Fontana) chante «  Viva Augusto eterno  », un récitatif interrompu par des
intermèdes instrumentaux, accompagnés par les sonneries de trompettes  ;
l’atmosphère est solennelle et festive.
Le mariage d’Arianna et de l’Empereur Anastasio est interrompu par
Vitaliano, tyran d’Asie mineure (Antonio Barbieri), qui demande la jeune
femme en mariage. En cas de refus, Vitaliano déclarera la guerre  ;
Anastasio préfère la guerre.
«  Campagne avec des arbres fruitiers  »  : le paysan Giustino (Paolo
Mariani) est en train de labourer son champ. Il s’endort et chante un air de
sommeil «  Bel riposo de’ mortali  », accompagné par deux flûtes à bec à
l’unisson, deux hautbois et les cordes ; la basse continue est réalisée par le
violoncelle sans clavecin. Cette aria est conçue dans le style de la
pastorale : dans les parties aiguës, les flûtes à bec et les hautbois évoquent
le piffaro (fifre) et le chalumeau, la zampogna (cornemuse)  ; dans les
parties graves, le bourdon est réalisé par le violoncelle seul. À Rome, à la
période de l’Avent, les bergers descendaient des Abruzzes et jouaient du
piffaro et de la zampogna devant la crèche. Dans cette scène pastorale est
intégrée une strophe en Ottava rima (strophe de huit vers hendécasyllabes,
à la façon de l’Arioste et du Tasse), « Misero è ben colui », où Giustino se
plaint de son humble origine. À cet endroit, Vivaldi n’a pas noté de
musique  ; il est possible que ces vers aient été récités, dans le style de la
Renaissance42.
Sous les yeux de Giustino, le décor se transforme comme par magie  :
« Au son d’une symphonie joyeuse, la scène s’illumine ; la Fortune descend
sur une magnifique machine ; elle est assise sur la roue qui tourne, entourée
de ses génies qui portent des sceptres, des couronnes et des trésors.  » La
«  symphonie joyeuse  » qui accompagne la descente de l’allégorie de la
Fortune est la même que celle bien connue du premier concerto des Quatre
Saisons, la Primavera (Le Printemps, RV 269/I), première pièce de l’Opus
8 qui paraîtra à Amsterdam l’année suivante. Ce thème, plein d’énergie
lumineuse, deviendra dès lors pour Vivaldi un emblème  ; on l’entendra à
nouveau, chanté par les nymphes, au début de Dorilla in Tempe (Venise,
1726). La Fortune promet à Giustino la gloire et le pouvoir.
La Fortune et sa machine disparaissent. Leocasta, la sœur de l’empereur
Anastasio (Girolamo Bartoluzzi), fait irruption sur la scène, poursuivie par
un ours sauvage. Giustino tue l’ours et lui sauve la vie. Encore un cas de
jeune fille en péril sauvée in extremis par l’homme qu’elle épousera  ! On
avait eu une situation similaire dans L’Incoronazione di Dario  : Statira
enlevée, emmenée dans la forêt pour être dévorée par les fauves, puis
délivrée par son héros… Reconnaissante, Leocasta invite Giustino à la cour
impériale.
Le décor représente une pièce dans le « Palais ». Revêtue d’une armure,
Arianna se prépare à suivre Anastasio. « Champ de bataille » : Arianna a été
capturée par Vitaliano. Pour rester proche de Leocasta, la femme qu’il aime,
Andronico, le frère de Vitaliano (Francesco Antonio Giovenale), travesti en
femme, s’est introduit dans le palais. Il se fait appeler Flavia et se dit sa
nouvelle servante. Anastasio rapporte qu’Arianna a été capturée par
l’ennemi. L’aria d’Amantio, « La gloria del mio sangue », est accompagnée
par deux hautbois.
«  Vaste plaine au pied de Constantinople où est installé le campement
militaire de Vitaliano  ». Vivaldi offre maintenant un très beau moment
musical et scénique au ténor et acteur Antonio Barbieri. Arianna captive est
emmenée au camp de Vitaliano, qui cherche à la séduire  ; comme elle
résiste, il la menace de mort. « L’aria breve » (sans da capo) chantée par
Vitaliano «  All’armi… o guerrieri  », en ré majeur, est un morceau de
bravoure accompagné par deux trompettes, deux hautbois, les cordes, une
timbale et la basse continue. Puis Vitaliano chante une aria de style
parlante, « Vanne sì superba và ». Arianna, quant à elle, exprime un adieu
plaintif à Anastasio, son époux bien-aimé. L’aria cantabile «  Mio dolce
amato sposo  », interprétée par le castrat Giacinto Fontana, termine le
premier acte dans un doux enchantement.
 
L’acte  II commence avec un décor de «  Bois ouvert sur une vaste mer
agitée par la tempête et hérissée de rochers et d’écueils ; un navire brisé est
échoué sur le rivage ; en sortent Anastasio et Giustino, qui se réfugient dans
une cabane  ». Anastasio chante une aria particulièrement suggestive,
«  Sento in seno ch’in pioggia di lagrime  », qui figure dans le manuscrit
musical, mais est absente du livret. Pour imiter les gouttes de la pluie, les
deux violons se divisent  : l’un en pizzicato, l’autre joué avec l’archet  ; le
clavecin est supprimé de la basse continue ; tous les instruments jouent en
pizzicato. Giustino est alerté par les cris d’effroi que pousse Arianna, cris
démultipliés par l’écho. La jeune fille a été attachée à un rocher par
Polidarte, le capitaine de Vitaliano (Francesco Pampani), où elle va être
dévorée par le monstre marin. Arianna est terrifiée  ; bref récitatif «  Numi
che il ciel  »  : le violoncelle est entendu seul, doucement, tandis que les
clavecins jouent des arpèges qui suggèrent les mouvements de l’animal en
train de grimper sur le rocher où est liée Arianna (« Violoncello solo piano e
Cembali Arpeggio  »). Puis Arianna chante en arioso «  Per me dunque il
ciel non ha ». Ici, Vivaldi réalise des effets d’échos comme il les aime alors.
Giustino tue le monstre et libère la prisonnière. Suit un duetto entre Arianna
et Anastasio, « Mio bel tesoro », accompagné par les cordes.
Nous revenons au palais. Leocasta et Flavia (Andronico travesti) se sont
habillées en soldats pour rejoindre Giustino sur le champ de bataille  ; la
première est jalouse des faveurs qu’Arianna accorde à Giustino. Pendant ce
temps-là, Amanzio, général des armées impériales (Carlo Pera), essaie de
convaincre Anastasio de la trahison de Giustino, qu’il accuse de comploter
contre l’empereur  ; ses calomnies n’épargnent pas Arianna. Les soupçons
d’Anastasio augmentent quand son épouse intercède auprès de lui en faveur
de Giustino  ; elle suggère à son mari de donner plus de témoignages de
gratitude à Giustino.
«  Jardin  »  : Arianna chante une belle aria, «  Per noi soave e bella  »,
légère, avec des accents d’opéra buffa. Dans l’aria de Vitaliano (Barbieri),
«  Quel torrente che s’inalza », les cordes suggèrent les eaux d’un torrent.
Leocasta et la fausse Flavia se dirigent vers le champ de bataille. « Augelleti
garuletti  » que chante Arianna est une aria breve, pleine d’échos et de
chants d’oiseaux (effets que l’on réalisait peut-être à l’aide d’instruments
mécaniques). Une Sinfonia, avec deux trompettes et des hautbois, change
l’atmosphère : le décor représente une « salle » du palais où Anastasio est
couronné de lauriers. Giustino paraît avec Vitaliano, enchaîné entre les
gardes.
Andronico emmène Leocasta dans une forêt sauvage, et lui révèle son
identité  : même travesti en femme, il reste un homme  ! Et il tente de la
violenter. L’air que chante Leocasta, « Sventurata navicella  », provient de
l’Orlando finto pazzo ; sur le manuscrit, Vivaldi avait noté : « Si celle-ci ne
plaît pas, je ne veux plus écrire de musique43  !  » Giustino intervient et
arrête Andronico. Leocasta et Giustino se confessent leur amour mutuel. Le
second acte se conclut avec la célèbre aria du soldat, « Ho nel petto un cor
sì forte », accompagnée par les cordes jouées en pizzicato, ainsi que par le
psaltérion (salterio), un instrument rare, à la sonorité fragile, métallique et
insolite. Il était alors en vogue à Rome, en particulier chez les immigrants
venus d’Allemagne. Une jeune fille pauvre allemande en jouait dans les
rues de la ville44. Cet instrument existait aussi dans le chœur de la Pietà.
Peut-être y avait-il un très bon joueur de psaltérion à Rome, car on note
aussi la présence de cet instrument dans un opéra de Leonardo Vinci donné
à la même période au théâtre D’Alibert45.
 
L’acte III s’ouvre sur un « Bois proche de la ville avec une tour. Vitaliano
qui était emprisonné a réussi à fuir avec ses compagnons », en se glissant le
long du mur de la tour. Antonio Barbieri (Vitaliano) chante la très belle aria
«  Il piacer della vendetta  ». Arianna présente à son mari la couronne de
joyaux afin qu’il l’offre à Giustino, comme manifestation de sa
reconnaissance. Ce geste attise la jalousie de Vitaliano. Giustino avertit
l’empereur que ce sentiment est dangereux  ; l’aria de Giustino «  Il mio
cor  » est accompagnée par les cordes avec sourdines. Amanzio révèle
l’infidélité (prétendue) d’Arianna à l’Empereur qui, furieux, condamne
Giustino à la mort et exile Arianna. Giustino dit adieu à Leocasta (duo) puis
se réfugie dans une forêt épaisse, où il s’endort. Une chasse passe (on
entend les trompettes et les tambours). Vitaliano et Andronico surgissent,
voient Giustino endormi et s’apprêtent à le tuer. À ce moment-là, de façon
mystérieuse, ils entendent la voix de leur père comme sortant de la tombe,
qui se trouve dans le voisinage. La voix fantomatique apprend aux deux
garçons que Giustino est le frère qu’ils croyaient disparu. On revient au
palais  : Leocasta et Arianna arrivent trop tard pour prévenir Anastasio.
Amanzio a pris le pouvoir et se couronne empereur : deux cors introduisent
l’aria, « Or che cinto il crin d’alloro », soulignant la solennité de la scène.
Amanzio condamne Ariana et Anastasio à mort. Giustino, ses deux frères et
les soldats font irruption dans le palais, l’épée à la main. Ils sauvent
Anastasio et arrêtent Amanzio. Arianna et Anastasio sont réconciliés  ; ils
chantent un duo élégiaque et heureux, « In braccio à te la calma ».
Une « Magnifique machine représentant le Temple de la Gloire, préparé
pour le couronnement de Giustino  », paraît sur scène. Tout le monde est
présent, sauf Amanzio. Anastasio élit Giustino co-empereur et le marie à
Leocasta. Le chœur final, « Doppo i nembi e le procelle », est emprunté à
La Verità in cimento  ; les voix de Giustino et Leocasta, d’Anastasio et
Arianna forment une magnifique chaconne, presque mystique, « sans doute
le plus beau chœur composé par Vivaldi pour un opéra46 ».
L’opéra a été représenté avec des intermèdes, dont Vivaldi n’a sûrement
pas composé la musique, interprétés par la basse Pietro Mozzi (B) et le
castrat Biagio Erminii.
Vivaldi n’a jamais redonné son Giustino, mais des arias seront reprises
dans plusieurs des œuvres ultérieures47. La Sinfonia d’ouverture et
plusieurs arias seront transcrites par d’autres musiciens à Rome, en
Allemagne et même à Londres, en 1732, par Haendel, dans son Catone. Il
semble que Haendel ait été influencé par Vivaldi dans son propre Giustino,
fondé sur le livret de la version romaine, créé à Londres, au théâtre de
Covent Garden, en mai 1737.

Le « goût lombard »

En juillet 1724, le flûtiste allemand Johann Joachim Quantz est à Rome.


Il rapporte dans ses mémoires que, dans la cité vaticane, il aurait entendu
dire, de la bouche même de Francesco Gasparini, que c’est Antonio Vivaldi
qui aurait introduit dans les théâtres de la ville ce « stile  » (ou « gusto  »)
« lombardo » qui plaît tant aux Romains. Il écrit : « La dernière nouveauté
dont j’ai entendu parler fut ce qu’on appelle le goût lombard, qui m’était
totalement inconnu et qui aurait été introduit à Rome par Vivaldi dans l’un
de ses opéras  ; cela plaisait tellement aux gens que ceux-ci refusaient
d’entendre tout ce qui ne ressemblait pas à ce goût48. » Dans son célèbre
traité sur l’art de jouer de la flûte traversière, publié une dizaine d’années
après la mort de Vivaldi, Quantz revient sur cette question du style
«  lombard  » et modère l’importance de Vivaldi  : «  Ce goût, dit-il, naquit
vers l’année 1722. Mais, par certains aspects, ce style ne paraît pas très
différent de la musique écossaise. Certains compositeurs allemands l’ont
diffusé en abondance, ici et là, au moins vingt ans avant qu’il ne soit connu
en Italie ; ce qui permet de dire que les Italiens l’ont seulement imité49. »
Actuellement, on explique la remarque de Quantz de cette façon : l’aria
«  Mio ben, s’io ti credessi  » chantée par Nerina dans La Silvia (I,  14), à
Milan (donc en Lombardie), comporte ce rythme particulier qui donne une
impression de mouvement saccadé (dit Scotch snap, claquement écossais,
ou « alla zoppa  » – à la boiteuse). Puis ce rythme fut repris par Vivaldi à
Rome dans La Virtù trionfante (Cleopatra « Lascierà l’amata salma », II, 9)
et dans Il Giustino (Arianna «  Dalle gioie del core II,  12). Cette figure
rythmique était connue des chanteurs ; on la trouve en effet dès 1718 dans
plusieurs œuvres d’Alessandro Scarlatti50. Il est vrai qu’Antonio Vivaldi
emploie souvent cette figure rythmique, tant dans ses œuvres vocales
qu’instrumentales. Par exemple, dans le mouvement central du Printemps,
lorsqu’il suggère le tournoiement des feuilles mortes dans le vent, ainsi que
dans l’Eja Mater du Stabat Mater (RV 621), pour évoquer la flagellation de
Jésus. Les débuts de phrase en anapeste (pied composé de deux brèves et
une longue  ; musicalement, deux croches et une noire ou deux doubles
croches et deux croches) est une caractéristique du style de Vivaldi : deux
notes sur le temps fort de la mesure, suivies par une note faible. Ce trait
proviendrait des cultures musicales slaves, géographiquement très proches
de Venise. En réalité, le rythme dit «  lombard  » n’est que l’inversion du
groupe pointé (une double croche/une croche pointée), ou sa variante (deux
triples croches/une croche pointée)51.

Autre conflit entre « anciens » et « modernes »

Le témoignage fourni par Quantz se confirme à la lecture d’une lettre


rédigée par Francesco Gasparini. Le compositeur vient tout juste de
recevoir l’ouvrage de son ami Pier Francesco Tosi, Opinioni de’ cantori
antichi e moderni, fraîchement publié à Bologne (1723), Le 11 mars 1724,
Gasparini écrit au célèbre chanteur pour le remercier. Il dit approuver les
idées exprimées par Tosi sur le goût « ancien » et affirme qu’il résistera de
toutes ses forces au «  prétendu goût moderne  »  : «  Je m’efforcerai, écrit
Gasparini, de ne pas laisser mes élèves tomber dans ces excès, surtout ces
passetti dont le Nez se fait le héros52… »
La phrase de Gasparini, peu claire, a fait couler beaucoup d’encre. Dans
cette expression « Il Naso » (le nez), Gasparini fait-il allusion à Vivaldi ? La
caricature que fait de lui P.  L.  Ghezzi montre en effet que le Prêtre roux
avait un nez assez fort et aquilin. Pourtant, on ne connaît pas ce sobriquet
donné à Vivaldi… Ou bien l’expression « le nez » ferait-elle référence au
défaut technique de certains chanteurs, qui placent leur voix dans le nez53 ?
Antonio Vivaldi à Rome se trouvait-il en rivalité avec Francesco
Gasparini  ? Il est difficile de l’affirmer. Les deux personnages se croisent
sans cesse  : à la Pietà, dans les années 1703-1713  ; à Milan ensuite, en
1722  ; peut-être à Venise, à nouveau, en automne 1723, date à laquelle
Gasparini compose un opéra pour le San Giovanni Grisostomo (Gl’equivoci
d’amore e d’innocenza). Nous les retrouvons, proches l’un de l’autre, à
Rome, où Vivaldi doit travailler avec deux chanteurs, Giovanni Ossi et
Girolamo Bartoluzzi, qui ont été les élèves de Gasparini. L’un et l’autre
gravitent dans l’entourage des mêmes mécènes, à Rome, à Milan, à
Florence, à Venise…
Ces conflits entre anciens et modernes rappellent une fois encore les
griefs lancés par Benedetto Marcello contre « Aldiviva » dans Il Teatro alla
moda. Gasparini est un ami de longue date de Benedetto Marcello.
Ensemble ils fréquentent la prestigieuse Académie philharmonique de
Bologne. Dans ces cercles d’élite artistique, intellectuelle, sociale, les
musiciens se côtoient  : rivalités, jalousies, différences d’âges, d’opinions,
artistiques et politiques, naissent forcément de ces rencontres.

Dans les appartements du pape

Le 16  novembre 1737, Antonio Vivaldi écrira une longue lettre


autobiographique au marquis Guido Bentivoglio d’Aragona, son futur
protecteur à Ferrare. Évoquant ses séjours romains, le compositeur déclare :
« J’ai fait représenter des opéras à Rome, trois carnavals durant, sans pour
autant célébrer la messe, et V. E. le sait  ; j’ai aussi joué au théâtre  ; il est
notoire que Sa Sainteté a aussi voulu m’entendre jouer et m’a fait bien des
compliments54.  » Vivaldi revient sur cette question, dans une autre lettre
datée du 23 novembre : « J’ai joué par deux fois à Rome devant l’éminent
Pontife, dans ses appartements privés… »
Quand Vivaldi dit avoir passé trois saisons dans la cité papale, il se réfère
sans doute aux années 1720, 1723 et 1724. Il ne s’est sûrement pas rendu à
Rome au début de l’année 1720 pour le pastiche Tito Manlio ; à cette date,
il était engagé à Mantoue et sa contribution à la représentation était trop
mineure pour effectuer un tel déplacement. Au carnaval 1723, il avait donné
Ercole sul Termodonte  ; au carnaval 1724, il compose le second acte du
pastiche La Virtù trionfante, puis il présente son Giustino. Il affirme aussi
que, outre ses prestations au théâtre Capranica, il a eu des contacts avec les
milieux ecclésiastiques les plus élevés. «  Sa Sainteté  » se réfère
probablement à Pier Francesco Orsini, qui a été élu pape (Benoît  XIII) le
29 mai 1724 – puisque Innocent XIII décède le 7 mars 1724. Si Vivaldi a
effectivement joué pour le pape Benoît  XIII, cela signifierait donc qu’au
printemps 1724, il était encore à Rome…

20

 La collection musicale

 du cardinal Pietro Ottoboni conservée à Manchester.

 Le fil d’une enquête

La famille Ottoboni était vénitienne. Antonio Ottoboni, le père du


cardinal, était le caissier de la Procuratie de Saint-Marc ; c’est lui
par exemple qui signait les feuilles de paie de Giovanni Battista
Vivaldi. On sait aussi que la mère du cardinal, Anna Maria
Ottoboni, avait engagé à son service, comme page, le jeune frère de
Tomaso Albinoni (les sonates en trio Opus 1 d’Albinoni lui sont
dédiées)55.
Pietro Ottoboni avait reçu les ordres mineurs en 1689 puis il s’était
engagé dans une brillante carrière ecclésiastique. Comme de
nombreux prélats issus de grandes et riches familles aristocratiques,
son pouvoir ne s’arrêtait pas au domaine ecclésiastique : il était
aussi immergé dans le monde politique et les affaires
internationales. Pendant les années que dura la guerre de
Succession d’Espagne, il lui fallut choisir entre le parti des
Habsbourg et celui des Bourbons, qui allaient finalement monter
sur le trône d’Espagne (en la personne de Philippe V, petit-fils de
Louis XIV). Ottoboni, francophile convaincu, était un agent
diplomatique du Vatican auprès de la cour de France. En tant que
Vénitien, il fut jugé doublement coupable ; coupable d’abord
d’avoir accepté la charge de Protecteur des Affaires de France au
Vatican, violant ainsi la loi qui interdit à tout noble Vénitien de
servir une puissance étrangère ; coupable aussi de s’être fait le
défenseur du parti français, la Sérénissime ayant toujours été fidèle
aux Habsbourg, ses alliés contre les prétentions ottomanes. Par un
décret gouvernemental du 11 juin 1712, Ottoboni se retrouva banni
de sa patrie.

Pietro Ottoboni, protecteur des Affaires de France au Saint-Siège

Exilé de Venise, Pietro Ottoboni poursuit sa carrière ecclésiastique à


Rome. Il installe son appartement et sa cour dans le palazzo della
Cancelleria (palais de la Chancellerie). Sur son portrait peint par Francesco
Trevisani (Durham, The Bowes Museum), il semble un homme de faible
taille, menu, très brun. Montesquieu rapporte qu’il avait de nombreuses
maîtresses dont les portraits tapissaient sa chambre… et, de ces maîtresses,
des dizaines d’enfants  ! Charles de Brosses, pour sa part, note ce
commentaire cinglant  : «  Doyen, neveu d’Alexandre  VIII, Vénitien,
protecteur de France, fait cardinal à dix-sept ou dix-huit ans ; sans mœurs,
sans crédit, débauché, ruiné, amateur des arts, grand musicien56 ». Il reste
que, pour les artistes qui se placent sous sa protection (Corelli, Scarlatti,
Caldara, le jeune Haendel qui effectue son tour d’Italie…), Ottoboni est un
esthète et un grand bienfaiteur. Rien de plus naturel donc à ce qu’Antonio
Vivaldi cherche, à son tour, à entrer dans l’entourage du cardinal.
Aucun témoignage (correspondance, chronique d’époque, facture pour
l’achat de partitions, ouvrage dédicacé…) ne permet de prouver que le
Prêtre roux ait eu, pendant son séjour à Rome, des contacts avec son
compatriote. Pourtant, plusieurs éléments, qui ont jailli des archives dans
les années soixante-dix, permettent d’affirmer que le prélat portait une
attention toute particulière au talent du Prêtre roux.
La première piste concerne une série de manuscrits, des sonates et des
concertos de Vivaldi aujourd’hui conservés à Manchester, qui proviennent
de la collection musicale du cardinal Pietro Ottoboni. La seconde piste nous
porte vers une autre série de manuscrits, des œuvres vocales sacrées qui se
trouvent cette fois à Turin, des autographes le plus souvent, certains copiés
sur des papiers d’origine romaine. Il s’agit des pièces attachées à la liturgie
de saint Laurent, que Vivaldi aurait pu écrire pour San Lorenzo in Damaso,
l’église attenante au palais de la Chancellerie.

Charles Jennens et la collection musicale de Pietro Ottoboni

En 1973, le jeune musicologue anglais Michael Talbot, qui venait tout


juste de publier une biographie sur Vivaldi, aujourd’hui un éminent
spécialiste du Prêtre roux, découvrait, à la lecture d’un catalogue de vente
de Sotheby’s, la mise aux enchères qui avait eu lieu quelques années plus
tôt d’un lot important de manuscrits italiens et d’œuvres de Haendel. Dans
le nombre, se trouvaient plus de trente pièces instrumentales d’Antonio
Vivaldi. Le lot fut acheté par la Central Public Library de Manchester et
déposé à la Henry Watson Music Library. En tout 95 œuvres ; parmi celles-
ci, un recueil soigneusement relié de 12 sonates de Vivaldi et 14 volumes
comportant 24 concertos du compositeur57  ; un quatorzième volume se
trouve à la British Library, à Londres58.
Reprenons le fil de cette aventure, en partant de la personne qui, la
première, se procura ces manuscrits à Rome, puis les rapporta en
Angleterre : Charles Jennens.
Charles Jennens, ami et protecteur de Haendel, a écrit pour lui plusieurs
livrets d’oratorios et le texte du Messiah. Amateur de musique et grand
collectionneur de partitions, imprimées et manuscrites, il chargeait son ami
Edward Holdsworth, à chacun de ses voyages en Italie, de repérer pour lui
des affaires intéressantes, partitions et instruments de musique. Par courrier,
Holdsworth tenait Jennens constamment informé des découvertes faites sur
le marché et de ses acquisitions.
Le 13  février 1733, Holdsworth est à Venise où il vient de rencontrer
Vivaldi. Il écrit à Jennens  : «  Aujourd’hui, j’ai eu une conversation avec
votre ami Vivaldi qui m’a confié qu’il avait décidé de ne plus publier de
concertos ; il prétend en effet que cela l’empêche de vendre ses manuscrits
qui, pense-t-il, lui rapportent davantage d’argent ; ce qui sera en effet le cas
s’il trouve un bon marché ; lui en escompte une guinée par morceau. Vous
pourriez probablement négocier avec lui si vous étiez ici pour faire votre
choix selon vos goûts, mais il me semble qu’il n’est pas de mon ressort de
me risquer à décider à votre place, vu le prix (demandé). On m’avait
prévenu auparavant de la décision de Vivaldi. Je suppose que vous savez
déjà qu’il a aussi publié dix-sept concertos59. »
De multiples témoignages attestent que, très tôt, Vivaldi diffusa par
correspondance (lui-même ou par des intermédiaires) ses manuscrits dans
toute l’Europe  ; dans les pays de langue allemande et en Europe centrale
essentiellement, mais aussi en direction des collectionneurs anglais. Joseph
Smith, le célèbre marchand d’art anglais résidant à Venise, écrit par
exemple à William Capel, en Angleterre, le 22  août 1722  : «  J’ai envoyé
aussitôt la lettre à Vivaldi et il m’a renvoyé ce paquet pour votre Lord60. »
En vrai collectionneur passionné, Jennens veut s’assurer qu’il a bien
acheté tous les ouvrages de Vivaldi publiés en Hollande. En été 1733,
Holdsworth est à Anvers ; le 16 juillet, il écrit à son ami Jennens : « Monsr
Le Cene qui a publié les œuvres de Vivaldi et d’Albinoni m’a assuré que si
vous avez 12 opus de Vivaldi et 9 d’Albinoni, vous avez tout. Laissez
Vivaldi faire ses calculs à sa façon  ! Il n’en a pas publié plus de 12. Il
compte certainement plusieurs d’entre eux en double pour atteindre le
nombre de 17, avec cette vanité qui correspond bien à son caractère61. »
Si Vivaldi a compté dix-sept opus, remarque Michael Talbot qui réunit et
transcrit ces témoignages anglais, c’est qu’il a certainement compté
séparément les deux volumes contenus dans les Opus 3, 4, 7, 8 et 9. On
constatera par la suite, notamment à la lecture des lettres envoyées par le
Prêtre roux au marquis Bentivoglio, qu’il n’a pas de scrupule à gonfler
(voire à déformer) la vérité !
Dans une lettre plus tardive, datée du 4  mai 1742, Holdsworth écrira à
Jennens, encore de Venise, qu’il vient d’acquérir, à Rome, un très gros lot
de manuscrits musicaux contenant toutes sortes d’œuvres, opéras, cantates,
oratorios… «  […] Tout ce que je peux dire, dit-il, c’est que tout cela
constitue une partie de la collection du cardinal Ottoboni. Il s’agit pour la
plupart de compositeurs célèbres tels que Scarlatti, Pollarolo, Mancini,
Bencini et Marcello. Le tout pour une somme peu élevée qui n’a pas
dépassé 40 shillings, en plus des frais pour vous les expédier chez
vous62… »
Après la mort de Charles Jennens, son riche fonds musical entra en
possession de Heneage Finch, troisième comte d’Aylesford. Les partitions
restèrent dans cette famille jusqu’au 13  mai 1918, date à laquelle elles
furent achetées par Sir Newman Flower, journaliste, collectionneur et
biographe de Haendel. Enfin, en 1965, la collection de Newman Flower fut
vendue aux enchères et acquise en partie par la Central Public Library de
Manchester. Si les conservateurs s’intéressaient surtout aux pièces de
Haendel, le lot contenait aussi des manuscrits italiens, non seulement les
concertos et les sonates de Vivaldi (désormais appelés communément « de
Manchester  »), mais aussi, entre autres, trente-deux cantates solistes de
Benedetto Marcello (un proche de la famille Ottoboni).

Les douze sonates de Manchester63

Les douze sonates d’Antonio Vivaldi conservées à Manchester sont


réunies dans un beau volume relié64, même s’il n’est pas aussi luxueux que
plusieurs autres recueils provenant de la collection Ottoboni dont certains
portent, sur la couverture, les armes du cardinal. Le titre est écrit de la main
de Vivaldi dans une graphie très stylisée :
 
Suonate/a Violino solo, e Basso per il Cembalo /
Del Sigr D. Antonio Vivaldi /
Maestro di Cappella da Camera /
di S. A. S. /
Il Sigr P.npe Filippo Langravio / d’Hassia Darmstath.
 
Ces sonates sont copiées « au propre », sur du papier vénitien, peut-être
par Giovanni Battista Vivaldi, en la présence de son fils. Comment ce
recueil, s’il fut constitué à Venise, est-il parvenu à Rome, jusque dans la
collection du cardinal Ottoboni ? Le volume peut avoir été préparé à Venise
et transporté à Rome par Vivaldi, ou envoyé à Rome, ou encore remis en
main propre à Ottoboni par Vivaldi lui-même, lors de la visite du cardinal à
Venise, en 1726. Le recueil fut peut-être commandé à Vivaldi par
l’ambassadeur de France, pour l’offrir au cardinal lors de sa visite à Venise.
Peut-être aussi fut-il préparé pour une édition ultérieure65. On se demande
également si Vivaldi n’aurait pas joué ces sonates dans le palais de Pietro
Ottoboni, à Rome ?
Ce sont des sonates de chambre pour violon et basse continue,
commençant par un Preludio plutôt lent (comme dans une sonate d’église),
suivi de mouvements de danse  ; le dernier mouvement, rapide, est une
courante, une allemande ou une gigue. Avec les Opus 2 et 5, ce recueil
constitue le troisième volume de sonates pour violon et basse continue de
Vivaldi que nous connaissons. Les pièces sont organisées en un tout
cohérent. Parmi les douze sonates contenues dans ce recueil, certaines sont
uniques ; leur découverte fut d’autant plus réjouissante66 ! Les sonates RV
3 et RV 12 furent transcrites par Johann Georg Pisendel à Venise et la
sonate RV 6 est un autographe dédié par Vivaldi au violoniste allemand. Le
recueil de Manchester est donc constitué de sonates datant de 1716-1717,
révisées par le compositeur (mélodie plus fluide et moins stéréotypée), et de
pièces dont la date de composition est évaluée à environ 1726.

Les vingt-quatre concertos de Manchester

Les concertos de Vivaldi provenant de la collection musicale de Pietro


Ottoboni et conservés à la Central Public Library de Manchester sont, en
revanche, des parties séparées, donc du matériel destiné à l’exécution  ;
certains d’entre eux ont peut-être été transcrits par les musiciens de la cour
d’Ottoboni. On ne peut les exécuter sans le quatorzième volume conservé à
la British Library, à Londres67.

Les concertos sur papier romain

Parmi les vingt-quatre concertos conservés à Manchester, six sont


transcrits sur du papier romain68. Le concerto RV 761 est très intéressant
car il contient une référence discrète à Pietro Ottoboni. Il porte l’annotation
suivante «  Concerto à 4 del Sig. D./Antonio Vivaldi/Veneto/detto Amato
Bene  »  ; cette mention renvoie à l’aria «  Amato bene tu sei la mia
speranza  » qui est chantée dans deux opéras de Vivaldi  : La Verità in
cimento (Venise, Sant’Angelo, 1720  ; I, 12, Rosane), puis dans Ercole sul
Termodonte (Rome, Capranica, 1723 ; III, 7, Ippolita). Le concerto emploie
le même matériel thématique que l’aria. On retrouvera une autre allusion à
cette aria dans la sérénade Andromeda Liberata, peut-être exécutée à
Venise, en 1726, en présence d’Ottoboni.
Ces six œuvres existent ailleurs copiées par des Vénitiens, on peut donc
se demander si Vivaldi aurait apporté les manuscrits vénitiens avec lui, à
Rome, puis si ceux-ci furent recopiés sur place.

Les concertos sur papier vénitien

Seize concertos sont écrits sur du papier vénitien. Parmi ceux-ci, se


trouvent les quatre concertos dits des Quatre Saisons, qui présentent
quelques variantes avec ceux qui seront publiés dans l’Opus 8, en 172569.
Il s’agit de versions qui précèdent celles publiées en Hollande. Le papier du
concerto RV 314 est de provenance bolonaise ; celui de RV 189 vient de la
région de Milan (ce concerto figure aussi dans le recueil manuscrit de La
Cetra, qui sera offert en 1728 par Vivaldi à l’empereur Charles VI).
Douze des seize concertos sont partiellement autographes ou comportent
des annotations autographes. Au moins six (sauf les manuscrits des Quatre
Saisons copiés à Venise) dérivent directement d’autographes conservés à
Turin, qui ont sûrement servi de base pour les parties copiées pour le
cardinal Ottoboni. Ces douze concertos portent presque tous des titres, peut-
être pour plaire aux goûts d’Ottoboni, qui aimait ce genre d’évocations
littéraires70. Trois d’entre eux sont des concertos avec des instruments à
vent, flûtes traversières, hautbois, basson71.
Les neuf autres sont de classiques concertos pour violon72. Trois d’entre
eux se trouvent aussi à Venise, dans le fonds Esposti, au Conservatoire
B. Marcello, dans le Cahier d’Anna Maria73.
Une dizaine des douze concertos furent transcrits dans un délai assez bref
qui peut se situer autour de 1724 (ou peu de temps après). En règle
générale, l’édition de plusieurs de ces concertos dans les Opus 7 (1720), 8
(1725) et 9 (1727) permet, par comparaison, de dater approximativement
les manuscrits74.
D’après les recherches attentives menées par le musicologue Paul Everett
sur les manuscrits conservés à Manchester, il apparaît que plusieurs
concertos ont été transcrits d’après les partitions autographes conservées à
Turin. On peut donc supposer que d’autres manuscrits autographes de
Vivaldi, qui seraient aujourd’hui perdus, ont servi de base à des
transcriptions destinées au cardinal Ottoboni75.

Autres œuvres romaines

Les manuscrits conservés à Manchester ne représentent qu’une partie de


la collection musicale qui appartenait au cardinal Pietro Ottoboni. De
nombreuses œuvres ont été perdues.
Dans le fonds de Turin, sont conservés d’autres manuscrits copiés sur du
papier romain : par exemple, les deux opéras représentés à Rome La Virtù
trionfante et Il Giustino  ; les deux concertos pour violon  : RV 263 et RV
369, ainsi que le concerto pour basson RV 48876.
Un autre élément intéressant surgit à l’étude des manuscrits musicaux de
Vivaldi associés à la période romaine : l’écriture de Giovanni Battista que
l’on croit identifier sur les manuscrits transcrits sur papier romain. À cette
période en effet, Giovanni Battista demande fréquemment à la Procuratia de
San Marco des autorisations pour s’absenter. Giovanni Battista Vivaldi
était-il une fois encore aux côtés de son fils, durant ses séjours à Rome, bien
que le père d’Antonio ait, à cette époque-là, près de soixante-dix ans ?
Concernant toujours les séjours effectués par Vivaldi à Rome dans les
années 1723-1724, on peut soulever une autre hypothèse : Vivaldi aurait-il
écrit de la musique religieuse pour Rome et en particulier pour l’église San
Lorenzo in Damaso, attenante au palais de la Chancellerie où habitait
Ottoboni ?

Trois concertos pour la fête de saint Laurent

Trois des concertos de Vivaldi sont attachés à la liturgie de saint Laurent


et pourraient avoir été composés par Vivaldi à l’occasion de la fête du saint,
le 10 août, pour l’église San Lorenzo in Damaso.
Le manuscrit du concerto RV 556, « Per la Solennità di S. Lorenzo », est
un autographe77. Son instrumentation, son écriture, la distribution des
parties sont typiquement romaines. L’instrumentation est constituée de cette
façon  : deux violons solistes, deux flûtes, deux hautbois, deux «  Claren  »
(probablement deux clarinettes), basson, cordes et basse continue. Les
violons sont divisés en deux groupes  : deux violini di concertino, deux
violini di ripieno ; le basson se joint aux basses. À part le concerto RV 507
(dans la copie de J.G.  Pisendel conservée à Dresde où l’on trouve la
mention « di concertino78 »), il n’existe pas d’autre concerto qui présente
cette division en deux chœurs. Elle serait, d’après Michael Talbot,
typiquement romaine  ; notamment les deux clarinettistes qui se trouvaient
dans l’orchestre de la cour d’Ottoboni. Dans le mouvement lent, un luth,
sans doute un archiluth, apparaît parmi les instruments jouant la basse. Le
concerto RV 556 pourrait donc avoir été écrit pour la fête de saint Laurent
martyr, à destination de l’église San Lorenzo in Damaso dont le cardinal
Ottoboni était le protecteur.
Le concerto RV 286 dont le manuscrit se trouve dans le fonds de
Manchester est écrit pour violon et cordes  ; il est lui aussi dit «  Per la
Solennità di S.  Lorenzo  ». On croit y reconnaître l’écriture de Giovanni
Battista Vivaldi. Le manuscrit porte ces lettres «  P C  », qui peuvent
signifier « Primo Coro » (premier chœur) ; il fut donc peut-être exécuté par
deux chœurs. L’autographe est à Turin79. Un autre exemplaire se trouve au
Conservatoire de Venise, dans le fonds Esposti, qui présente cette mention
« Concerto Per Sigra Anna Maria » : ce concerto aurait-il donc été joué par
Anna Maria, à la Pietà, le jour de la fête de saint Laurent ? Ou peut-être au
moment du séjour de Pietro Ottoboni à Venise en 1726, par exemple le jour
où le cardinal visita la Pietà, le 13 novembre ?
Il reste le concerto RV 562 pour violon soliste, deux hautbois, deux cors,
cordes et basse continue, dont un fragment autographe est à Turin et une
copie de J.G.  Pisendel, elle aussi incomplète, à Dresde  ; le troisième
mouvement contient une cadence avec cette note «  Per la Solennità di
S. Lorenzo »80.
En conclusion : le concerto RV 556 pourrait avoir été composé pour une
fête de saint Laurent martyr, à Rome  ; le concerto RV 562 et sans doute
aussi le RV 286 pour la même fête à Venise, peut-être au couvent de San
Lorenzo où, le jour de la fête patronale, le 10 août, journée où l’on invitait
des musiciens extérieurs pour des fêtes musicales très remarquées par les
chroniqueurs de l’époque. Pour quelles autres églises ou quelles autres
circonstances Vivaldi aurait-il pu composer des œuvres sacrées destinées à
fêter saint Laurent, alors que la Pietà elle-même ne semble pas avoir célébré
particulièrement ce saint ?

Œuvres vocales sacrées pour l’église de San Lorenzo in Damaso ?

Michael Talbot part de l’hypothèse que le « Concerto p(er) la Solennità


di S.  Lor(en)zo  » (RV 556), dont le manuscrit autographe est conservé à
Turin, pourrait avoir été écrit pour l’église de San Lorenzo in Damaso dont
Pietro Ottoboni est le protecteur. Dans ce cas, pourquoi ne pas imaginer que
Vivaldi ait pu composer d’autres œuvres sacrées pour Rome, pour cette
église-là, ou pour d’autres  ? Le musicologue identifie un autre groupe
d’œuvres sacrées, conservées à Turin, qui pourraient convenir à cette
liturgie, et qui présentent aussi des caractéristiques musicales typiques du
style romain81.
Une fois sélectionnés les manuscrits des œuvres sacrées qui pourraient
avoir été composées pour Rome, il apparaît que les fascicules ne sont pas
tous semblables. Pour établir une méthode d’analyse, on peut comparer les
manuscrits du groupe entre eux, puis les confronter avec d’autres
n’appartenant pas à ce groupe. On peut aussi étudier le tracé des portées ;
certaines caractéristiques de l’écriture de Vivaldi vers 1723 (par exemple, la
manière de signaler les rythmes à trois temps), différentes de celles
observées sur les manuscrits des pièces composées pour la Pietà, dans les
années précédentes. Tous les manuscrits portent un titre plus ou moins
stylisé (et pas une simple mention griffonnée). Il n’y a pas de monogramme
« LDBMDA » (comme dans la « première période »). Dans la plupart des
manuscrits, à la fin de chaque mouvement, le compositeur a noté le nombre
de mesures contenues dans le fragment, mention destinée peut-être aux
copistes devant préparer le matériel en son absence  ; ce détail n’apparaît
dans aucun autre manuscrit de musique sacrée. D’autres éléments sont de
nature textuelle. Par exemple, dans le motet « Cur sagittas » (RV 637), les
paroles en latin se réfèrent au martyre de saint Laurent  ; dans le motet
« Longe mala » (RV 640), il est noté entre les lignes de la portée « In hac
die Beati Laurenti  », afin de préciser la destination liturgique82. Au plan
stylistique, on note dans plusieurs de ces pièces83 une division en deux
chœurs d’une certaine ampleur. Au plan de l’instrumentation, RV 601 et RV
602a (deux Laudate pueri) et RV 616 (Salve Regina) sont écrits avec une
partie pour flûte traversière obligée. Dans ces trois œuvres, on note aussi
que les flûtes droites et les flûtes traversières sont associées d’une manière
particulière qui n’est pas dans les usages de la Pietà et correspond en
revanche à l’orchestre romain d’Ottoboni. La plupart de ces œuvres
possèdent des hautbois, qui sont habituellement présents à la Pietà, mais ici,
au lieu d’être concertants, ils renforcent simplement les violons (« strumenti
di rinforzo »).
Dans certaines pièces (RV 594, Dixit Dominus, et RV 597, Beatus vir),
des voix de basse exécutent des parties solistes, ce qui les rend
inappropriées pour les filles de la Pietà  ; même si, dans les chœurs, les
parties de ténor et de basse pouvaient être exécutées, selon la tradition des
quatre ospedali, par des filles plus âgées. En confrontant l’écriture des
autres pièces écrites à la même époque par d’autres compositeurs et pour les
autres hospices féminins de Venise, on voit que la ligne de basse
instrumentale servait à soutenir les voix, permettant aux filles de chanter
une octave plus haut, sans risquer de créer des relations inversées à l’effet
désagréable.
Parmi les œuvres pour lesquelles Vivaldi avait reçu un cachet extra en
juin  1715 pendant l’absence de Gasparini, se trouve un Magnificat, qui
existe en quatre versions. La première d’entre elles (RV 610b) pourrait être
datée de la première période, et composée pour les filles de la Pietà, pour un
seul chœur en quatre parties. Vivaldi reprend en main son manuscrit et
l’organise cette fois en deux chœurs à quatre parties (RV 610 a) ; il introduit
deux hautbois qui s’ajoutent aux cordes et signale que ceux-ci doivent
renforcer les violons. Dans le verset «  Sicut locutus est  » (7) de cette
nouvelle version, les hautbois remplacent les violons de la partie obligée ;
les violons quant à eux reçoivent un nouveau matériel. Lorsqu’il révisera à
nouveau ce Magnificat pour la Pietà, en 1739, Vivaldi supprimera les vents
et ne gardera qu’un seul chœur et deux parties solistes (RV 611).
Dans cette production « romaine », remarque encore Michael Talbot, on
trouve plusieurs cas où Vivaldi, selon son habitude, reprend des œuvres, ou
simplement du matériel thématique, puisés dans son propre corpus84.
Ainsi, le rythme saccadé du thème introductif du Beatus vir (RV 597)
ressemble à celui du premier mouvement, Largo, du concerto (RV 556)
pour San Lorenzo, l’un et l’autre en do majeur. Le Magnificat (RV 610a) et
le Kyrie (RV 587) s’ouvrent avec la même suite d’accords chromatiques en
sol mineur. Autre phénomène troublant  : le mouvement final du Dixit
Dominus (RV 594), « Sicut erat in principio », est une fugue basée sur un
cantus firmus dont le thème est semblable à celui du chœur qui conclut
l’opéra Il Giustino. C’est la texture polyphonique la plus complexe écrite
par Vivaldi ; elle est typique du style romain.
Plusieurs œuvres sacrées de Vivaldi qui pourraient se rapporter à la
période romaine révèlent des traits propres au stile antico (style ancien)
typique du monde conservateur de l’église, encore en usage à Rome et déjà
abandonnés à Venise (à l’exception de Saint-Marc)85.
Enfin, on peut résumer ainsi les traits stylistiques qui pourraient
permettre de rattacher plusieurs manuscrits musicaux de Vivaldi à la
chapelle musicale de Pietro Ottoboni à Rome  : l’emploi des flûtes
traversières et des flûtes droites très appréciées à la cour du cardinal, parfois
associées les unes aux autres ; la division des violons en « concertino » et
«  ripieno  », une division typiquement baroque, encore couramment
pratiquée à Rome, à une époque où, sauf à Saint-Marc, cette écriture était, à
Venise, tombée en désuétude  ; un style polyphonique élaboré  ;
éventuellement la substitution de l’alto par une autre partie de violon.
Que Vivaldi ait composé des œuvres sacrées pour San Lorenzo in
Damaso à Rome n’est qu’une hypothèse, insiste le musicologue anglais. La
supposition est d’autant plus fragile que l’église d’Ottoboni avait un maître
de chapelle attitré  : de 1692 à 1726 Giuseppe Ottavio Pitoni, qui sera
remplacé à la fin de 1726 par Francesco Amati ; en janvier 1727, on nomme
Pietro Paolo Bencini, qui sera présent jusqu’en 1731. Il n’était pas aisé pour
un maître extérieur de proposer des œuvres. Par ailleurs, dans les archives
des Ottoboni conservées à la Bibliothèque Vaticane, on n’a retrouvé aucune
note de paiement au nom de Vivaldi, alors que le cardinal possédait des
sonates et des concertos de Vivaldi – ceux qui sont conservés aujourd’hui à
Manchester86.
Par ailleurs, pour définir un style typiquement «  romain  », à cette
époque-là, il faudrait étudier soigneusement les œuvres composées dans
cette ville, à la même période, par d’autres compositeurs.
Que ces œuvres sacrées aient été ou non composées pour Rome, et pour
Ottoboni en particulier, il reste que ces manuscrits datés des années 1723-
1726, maintenant isolés, nous permettent de fixer dans la production
musicale sacrée du Prêtre roux une « période intermédiaire », qui fait suite à
la «  première période  » (lorsque le compositeur travaillait pour la Pietà),
entre 1713 et 1719 ; la troisième et dernière période se situera en 1739, pour
un petit groupe d’œuvres fournies par Vivaldi à la Pietà, avant son départ
pour Vienne.

Trois motets pour un castrat romain

Il reste à ajouter aux œuvres citées précédemment trois motets pour voix
de soprano, écrits sur du papier romain, sans doute composées pour un
castrat87.
Ce sont des motets de forme classique (première aria allegro – récitatif –
seconde aria largo – Alleluja). Leur style vocal est fleuri et exige de
l’interprète une certaine puissance ; davantage que dans les motets écrits par
Vivaldi pour les filles de la Pietà. En particulier «  In furore giustissimae
irae » (RV 626) exprime la peur de la colère de Dieu après la faute ; il est
surtout remarquable par l’énergie imprimée aux instruments et à la voix dès
la première aria  ; ensuite, après un largo pathétique, l’Alleluja reprend
l’élan du début. Le second motet, « Canta in prato » (RV 623), est chargé
de références bucoliques précieuses  ; la seconde aria évoque des
instruments rustiques  : flûtes agrestes, tambours, pipeaux. Dans «  O Qui
coeli terraeque serenitas » (RV 631), la paix domine ; le flux musical se fait
plus modéré.

Vivaldi et le cardinal Pietro Ottoboni

Les manuscrits de Vivaldi conservés à Manchester ne représentent


probablement qu’une partie de la collection musicale formée par Pietro
Ottoboni à Rome. Il n’en reste pas moins l’un des fonds de manuscrits
musicaux de Vivaldi les plus riches que nous conservions, après Turin et
Dresde.
Antonio Vivaldi dira plus tard, en 1737, dans sa longue lettre à Guido
Bentivoglio, avoir passé trois saisons à Rome. Même s’il manque encore de
nombreux éléments biographiques, il apparaît déjà clairement que, dans la
cité vaticane, le Vénitien (prêtre de surcroît) n’a pas fait que travailler pour
le théâtre, écrivant des opéras ou participant à des pastiches. Il a fréquenté
les «  salons  », les appartements et les oratoires des princes, des
ambassadeurs et des prélats pour lesquels il a sans doute composé des
œuvres instrumentales et vocales, ainsi que des pièces religieuses. Ces
questions ne sont pas seulement d’ordre artistique et musical, elles
concernent aussi la vie politique. Quelles furent en particulier les relations
entretenues par Antonio Vivaldi avec Pietro Ottoboni ? La seule caricature
de Vivaldi croquée à Rome par Pier Leone Ghezzi, un artiste qui vivait dans
le cercle du cardinal, témoigne à elle seule que le compositeur était intégré
au cercle d’amis qui entouraient son prestigieux compatriote, banni de
Venise en raison de son attachement à la France, et exilé à Rome.
En 1725, le nouveau pape Benoît XIII décide le Jubilé. En conséquence,
tous les théâtres romains sont fermés. À cette date, forcément, Vivaldi,
retourne à Venise. En juillet  1726, le cardinal Pietro Ottoboni reviendra
passer quelques mois dans sa ville natale. Il sera accueilli triomphalement :
opéras, sérénades, concertos, oratorios lui seront dédiés. L’ambassadeur de
France, le comte de Gergy, sera mis à contribution pour l’organisation de
réceptions en musique. Vivaldi ne pourra manquer ces nouvelles occasions
de montrer sa fidélité au cardinal, ainsi qu’au parti français.
1- F. Della Seta, 1982, p. 146.
2- Rome, Archives secrètes du Vatican, fonds «  Borghese  », Pacchi, 3, groupe 12, non
numéroté ; F. Della Seta, 1982, vol. 2, p. 522 et 525.
3- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 320-333 ; tableau, vol. 2, p. 694-695.
4- Arsilda, La Costanza, Orlando finto, Ottone, La Verità, La Silvia, Scanderbeg, Tito dans
les versions de 1719 et 1720.
5- F-Pn, Vm7 7206.
6- F-Pc, D. 12 741.
7- D-MÜs, Hs. 174 ; les arias de ce recueil sont réduites à la partie de chant, accompagnée par
un instrument non précisé et la basse continue.
8- GB-Mp, MS 580 Ct 51.
9- R. Giazotto, 1973, p. 212-213.
10- Rome, Biblioteca Apostolica Vaticana, codex Ottoboniano Latino 3113, planche 8, n° 2 ;
sur la caricature de Ghezzi, voir les deux articles de P.L. Petrobelli, 1978 et 1982.
11- Il ne peut s’agir que d’une erreur de Ghezzi, car l’opéra de Vivaldi fut représenté au
Teatro Capranica.
12- Rome, idem supra, Latino 3114, planche 113.
13- Rome, idem supra, Latino 3112-3119  ; les volumes ont été publiés par Giancarlo
Rostirolla, 2001.
14- Rome, idem supra, Latino 3114, planche 26.
15- F.M. Sardelli, 2002, p. 107-113 et E. Pozzi, 2007, p. 468-4-75. Les deux versions de la
caricature ont été publiées par G.C. Rostirolla, 2001, n° 68 et n° 331.
16- F. Farges, 1992.
17- Laura Predieri, une virtuose au service de la princesse Borghese.
18- Rome, Archives secrètes du Vatican, Fonds Borghese, Pacchi, 10, groupe 13, non
numéroté ; F. Della Seta, 1982, p. 523-526.
19- Venise, Archivio di Stato, fonds Ospitali e Luoghi Pii – Pio Ospitale della Pietà-
Notatori, Notatorio N.  12 (N. primo), busta 691 (1721 à 1724), fol. 179, 2  juillet 1723  ;
R. Giazotto, 1973, p. 374, document 68.
20- Idem, Registro 1005, Quaderni cassa 1726-1728, facciate 547 et 678, busta 700, Scontro
5, facciata 44 et Scontro 6, facciata 5 ; M. Talbot, 1991, p. 38.
21- Idem, Notatorio N.10 (L), busta 690, fol. 177  ; Notatorio N.  12 (N  primo), busta 691
(1723 à 1724) ; R. Giazotto, p. 374, document 67.
22- Idem, Notatorio N. 2 (1724-1725), fol. 4.
23- Idem, fol. 216, 27 janvier 1724 ; R. Giazotto, p. 375, document 70.
24- Idem, Notatorio N. 13 (O), busta 691 (1726-1728), fol. 2 ; R. Giazotto, p. 376, document
77.
25- Idem, Notatorio N. primo, busta 690, fol. 169 ; G. Vio, 1980b, p. 118.
26- Idem, Notatorio N. 12 (N primo), busta 691 (1721 à 1724), fol. 217 ; R. Giazotto, p. 375,
document 71.
27- Idem, Notatorio N secondo, busta 691, fol. 38 ; G. Vio, 1980b, p. 119.
28- Idem, Notatorio N. secondo, busta 658, « filza parti », Registro 1005, fol. 551 ; G. Vio,
1980b, p. 119.
29- Notatorio N.  10 (L), busta 690 (1715 à 1719), fol. 169  ; R.  Giazotto, 1973, p.  373,
document 65.
30- Idem, fol. 101 v° ; op. cit., p. 375, document 76.
31- Idem, fol. 172 ; op. cit., p. 373, document 66.
32- Idem, fol. 208 ; op. cit., p. 374, document 69.
33- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 334-340 ; tableau, vol. 2, p. 748.
34- I-Tn, Giordano 37, fol. 2-56.
35- M. Talbot, 1988.
36- F-Pc, D.  14259, n°  3  ; le ms. le titre «  Del Vivaldi Prima di Capranica 1724 Nel
Tigrane » ; et F-Pn, Vm7 7694, p. 233-235.
37- I-Rc, Ms. 2222, fol. 21 r.-22 v°.
38- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 340-346 ; tableau, vol. 2, p. 705-707 ; et l’édition critique du
Giustino, 1991.
39- R. Giazotto, 1973, p. 211.
40- I-Tn, Foà 23, fol. 2-184.
41- I-Tn, Foà 28, fol. 41-176  ; voir «  Sammlung VI  », P.  Ryom, 2007, p.  587-588, pour le
détail de ce recueil constitué d’arias des opéras créés par Vivaldi entre 1717 et 1721.
42- M. Talbot, 1988, p. 29 et R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 344.
43- « Se questa non piace, non voglio più scrivere musica ».
44- Filippo Bonami, Gabinetto armonico, Rome, 1722 ; cité par M. Talbot, 1988, p. 29, n. 4.
45- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 345.
46- M. Talbot ; le thème de ce chœur devient le cantus firmus d’une fugue dans le mouvement
final du Dixit Dominus (RV 594), « Sicut era in principio », peut-être composé pour Rome.
47- On retrouvera des arias du Giustino dans les deux sérénades Gloria e Imeneo et La Senna
festeggiante, ainsi que dans Dorilla in Tempe, L’Atenaide, Semiramide, Catone et Tamerlano.
48- J. J. Quantz, Lebenslauf publié par Marpurg, p. 225.
49- J. J. Quantz, 1752, p. 309.
50- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 325.
51- M. Talbot, Antonio Vivaldi, trad. italienne, 1978, p. 96 ; et R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 339,
Ex. 21, les ornements dits « lombards » dans l’aria « Lascierà l’amata salma » (la Virtù, II, 11) ;
les cellules rythmiques de la mélodie vocale sont formées de deux triples croches et une croche
pointée.
52- La lettre de F. Gasparini à P. F. Tosi, conservée au Civico Museo Musicale Bibliografico
de Bologne, est transcrite par F. Della Seta, 1982, p. 528-529.
53- F. Piperno, Francesco Gasparini, le sue abitazioni… ; cité par F. Della Seta, 1982, p. 530.
54- Les lettres de Vivaldi au marquis Guido Bentivoglio seront données dans leur intégralité
dans les chapitres suivants.
55- M. Talbot, Vivaldi and Rome, 1988.
56- Ch. de Brosses, Lettres historiques et critiques sur l’Italie, t. iii (Paris, 1798), p. 289, cité
par M. Talbot, 1980, p. 73.
57- GB-Mp, MS 580 Ct 51.
58- GB-Lbl, R.M. 22.c. 28.
59- Cité par M. Talbot, 1980, p. 71.
60- GB-Lbm, Add. Ms. 27732, fol. 219 ; M. Talbot, 1980, p. 72.
61- M. Talbot, 1980, p. 71.
62- M. Talbot, 1980, p. 73.
63- M. Talbot, Vivaldi’s ‘Manchester’ sonatas, 1977-78 ; dans la réédition de 1999, Addenda
(V), p. 3-4 ; C. Fertonani, 1998, p. 193-198.
64- GB-Mp, MS 624.1 Vw 81.
65- En 1726, le violoniste Giovanni Battista Somis dédia lui aussi au cardinal Ottoboni un
recueil de Sonate da camera a violino solo (Opus 4) ; M. Talbot, 1977-1978, p. 27, et dans la
réédition de 1999, Addenda (V).
66- Les 12 sonates du recueil de Manchester sont : RV 3, RV 12, RV 757, RV 755, RV 759,
RV 758, RV 6, RV 22, RV 17a, RV 760, RV 756, RV 754 ; cf. P. Ryom, « Sammlung 1 », p. 586.
Les sonates uniques sont : RV 755, RV 759, RV 760, RV 756 et RV 754. Trois de ces sonates
(RV 3, RV 6 et RV 12) sont conservées à Dresde avec des variantes.
67- M. Talbot, « Vivaldi’s ‘Manchester’ Sonatas  », 1977-78 (1999, V), p.  27-28  ; «  Vivaldi
and Rome : Observations and Hypotheses », 1988 (1999, IX) ; M. Talbot se fonde en partie sur
les travaux de Paul Everett, qui a étudié soigneusement ces concertos, 1984-1986 (I-III).
68- Les 24 concertos de Manchester sont : RV 90, RV 95, RV 189, RV 234, RV 253, RV 269,
RV 270, RV 286, RV 293, RV 294, RV 297, RV 302, RV 314, RV 315, RV 334, RV 348
(incomplet), RV 349, RV 354, RV 391, RV 572, RV 761, RV 762, RV 763, RV 764. Cinq de ces
concertos sont transcrits par la même personne ; s’il n’est pas du même copiste, le concerto RV
302 vient cependant de la même équipe. Un exemplaire du concerto RV 302 se trouve aussi à
Dresde (D-Dl, Mus. 2389-0-95), dans une transcription faite par J.G.  Pisendel pendant son
séjour à Venise en 1716-1717. Les concertos RV 334 et RV 348 sont édités dans l’Opus 9, dit La
Cetra (n° 3 et 6) ; RV 354, dans l’opus 7 (n° 4) ; sur la page de titre de la partie de basse, il est
écrit « Cattivo è non di Vivaldi » (« Mauvais, n’est pas de Vivaldi »). Le concerto RV 764 est le
seul concerto pour deux violons.
69- Les concertos de Manchester sur papier vénitien sont : RV 90, RV 95, RV 234, RV 253,
RV 269, RV 270, RV 286, RV 293, RV 294, RV 297, RV 315, RV 349, RV 391, RV 572, RV
762, RV 763.
70- P. Everett, 1984-1986.
71- Dans les concertos RV 90a (Del Gardellino) et RV 95 (La Pastorella), les vents pouvant
être remplacés par les violons et le violoncelle. Un manuscrit du concerto RV 90a dit Del
Gardellino se trouve aussi à Turin, peut-être copié par Giovanni Battista Vivaldi (I-Tn,
Giordano 31, fol. 332-39), une version plus ancienne que le manuscrit de Manchester  ; le
manuscrit de Turin comporte une flûte traversière  ; en revanche dans le manuscrit de
Manchester, il porte l’indication  : «  Flauto ò Violo Pmo, Hautbois [en français] ò Violo
[secondo], Violo 3zo, Violoncello ò Fagotto, Basso Cont. ». La mention « Flauto » signifie que
Vivaldi voulait peut-être qu’à Rome il soit exécuté avec des flûtes droites. Le troisième concerto
de Manchester avec des instruments à vent est le RV 572 (Il Proteo ò il Mondo al Rovvescio) ;
Vivaldi a ajouté deux hautbois, deux flûtes traversières et un clavecin concertant, qui se joignent
aux cordes et à la basse continue. Il est une adaptation de RV 544, dont l’instrumentation ne
possédait pas d’instruments à vent.
72- RV 234 (L’Inquietudine)  ; RV 253 (La Tempesta di mare), copié semble-t-il d’après
l’édition (Opus 8, n° 5) ; RV 286 (Per la Solennità di S.  Lorenzo)  ; RV294 (Il Ritiro), publié
dans l’Opus 7, Livre  II, n°  4 (=  10) (RV 294a)  ; RV 391, manuscrit peut-être transcrit par
Giovanni Battista (publié dans l’Opus 9 n° 12) ; RV 762 peut-être copié par Giovanni Battista.
73- RV 270 (Il Riposo – Per il S. Natale) ; RV 349 et RV 763 (L’Ottavina ; ou Ottavino) ; à
côté du titre, on lit cette note  : «  Tutti li Soli di questo Conto devono essere suonai/dal Viono
Principale sempre/all’ottava alto ».
74- P. Everett, 1983-1984, p. 67-68 ; et 1986, III ; cité par M. Talbot, 1988, p. 33, n. 17.
75- P. Everett, 1984-1986.
76- M. Talbot, 1988, p. 33.
77- I-Tn, Giordano 34, fol. 2-21.
78- M. Talbot, 1988, p. 35.
79- I-Tn, Foà 30, fol. 12-23.
80- I-Tn, Foà 30, fol. 231 r°. Dans le manuscrit copié par J.G. Pisendel durant son séjour à
Venise, en 1716-1717, conservé à Dresde (D-Dl Mus. 2389-0-94), est inséré un double feuillet,
où est transcrite la cadence pour le troisième mouvement ; cette cadence appartient peut-être à
un autre concerto (RV 208) ; cf. P. Ryom, 2007, p. 245.
81- a) pour la messe : Kyrie (RV 587) ; deux motets introductifs au Gloria « Cur sagittas cur
tela » (RV 637) et « Longe mala umbrae terrores » (RV 640) ; b) pour les Vêpres : le Répons
« Domine ad adiuvandum me » (RV 593) ; les psaumes Dixit Dominus (RV 594), Confitebor tibi
Domine (RV 596), Beatus vir (RV 597) ; deux Laudate pueri (RV 601 et RV 602a), « Credidi a
5 a capella » (RV 605) ; l’Introduction au Dixit « Canta in prato » (RV 636) ; les deux antiennes
votives à la Vierge, Salve Regina (RV 616 et RV 618) ; l’hymne « Deus tuorum militum » (RV
612) ; le cantique Magnificat (dans la version RV 610a).
82- M. Talbot, 1995, p. 303.
83- RV 587, RV 593, RV 594, RV 597, RV 602a, RV 602, RV 616 et RV 618.
84- Sur la musique sacrée éventuellement composée par Vivaldi pour les églises romaines,
voir l’ouvrage de Michael Talbot, The Sacred Vocal Music, 1995, p.  166-170, et l’article
« Vivaldi and Rome », 1989 (19992).
85- Le premier verset du Kyrie (RV 587) ; le « In memoria aeterna » (9) du Beatus vir (RV
597), ainsi que le psaume « Credidi propter quod » (RV 605 devenu RV Anh 35b).
86- Dans l’Addenda ajouté en 1999 (Venetian Music…, p.  6-8) à l’article Vivaldi and Rome
(1988), Michael Talbot souligne que cette hypothèse est effectivement sans preuve, tenant
compte de nouvelles recherches menées par Stefano La Via ; in A. Dunning, 1995, p. 319-526.
87- Les trois motets sont conservés dans le même registre Giordano 32, aux folios  140-49
(RV 623), 189-97 (RV 626, partiellement autographe) et 199-208 (RV 630).
III

Retour à Venise

 (1725-1729)

21

 Le théâtre de la nature

 (1725)

En partant pour Mantoue, au début de l’année 1718, Antonio


Vivaldi avait effectué une rupture avec Venise, puis son absence
n’avait cessé de se prolonger. Après un bref retour dans sa patrie en
1720, il avait séjourné à Milan et à Brescia et avait ensuite été
engagé à Rome. La fermeture des théâtres pour cause de jubilé
ramène chez eux Vivaldi père et fils : Antonio à la Pietà et
Giovanni Battista à son poste de violoniste, dans la chapelle
musicale de San Marco.
Depuis octobre 1722, Antonio, ses parents, Giovanni Battista et
Camilla, et plusieurs de ses frères et sœurs, vivent ensemble près
du campo Santa Maria Formosa, fondamenta del Dose, aux pieds
du ponte del Paradiso.
En janvier-février 1725, pour la saison du carnaval, le Prêtre roux
est peut-être à Mantoue. Sur la scène du Teatro Arciducale (dont
l’imprésario est, cette saison-là, le Vénitien Santo Burigotti), on
présente en effet deux opéras dits de Vivaldi. Il ne s’agit cependant
que de deux reprises : l’Orlando furioso – révisé à partir de la
représentation de 1713 – et l’Artabano, un arrangement de La
Costanza trionfante (Venise, 1716) ; deux spectacles placés sous la
direction d’Orazio Pollarolo, un compositeur résident à la cour de
Philipp de Hesse-Darmstadt. Vivaldi a-t-il fait la route qui sépare
Venise de Mantoue pour cette simple contribution à deux opéras où
il n’avait qu’un rôle secondaire ?
 
Le 12 septembre 1725, le comte de Gergy, ambassadeur de France,
fête le mariage de Louis XV avec Maria Leszczynska et commande
une sérénade à Vivaldi, Gloria e Himeneo. Cinq jours plus tard, le
17 septembre, Vivaldi est convoqué devant le tribunal (« Consoli
dei Mercanti »). Un facteur de clavecins l’accuse en effet d’avoir
acheté un instrument à l’intention de la chanteuse Anna Girò et de
n’avoir payé que la moitié des 60 sequins que coûte l’objet ; les 30
sequins restants auraient été, selon le plaignant, dépensés à d’autres
achats. Nous ne connaissons pas les détails de cette affaire. C’est
en tout cas la première fois que nous entendons parler d’Anna Girò
qui sera, des années durant, la chanteuse préférée de Vivaldi. À
cette époque-là, Anna est encore une très jeune fille. Mais elle fera
sa première apparition dans un opéra de Vivaldi l’année suivante,
dans la Dorilla in Tempe (d’où sans doute la nécessité de ce
clavecin… à moitié payé !)1.
 
Durant les quatre à cinq années situées entre son retour de Rome et
un prochain voyage à l’étranger, le Prêtre roux se stabilise à Venise.
À la Pietà, il travaille avec la plus excellente violoniste de
l’institution, l’une des rares femmes musiciennes célébrées en
Europe, Anna Maria2. Il reçoit aussi plusieurs commandes
officielles de l’ambassade de France à Venise3. Au théâtre
Sant’Angelo, dont il prend peut-être partiellement la direction, il
donnera, entre le mois de décembre 1725 et le mois de
janvier 1728, huit séries de représentations et plusieurs opéras
exceptionnels, tels la Dorilla in Tempe, Farnace et l’Orlando (dans
sa nouvelle version), avec Anna Girò comme protagoniste, qui
incarnera dans ces spectacles ses premiers grands rôles. Le
compositeur s’apprête à connaître ses années les meilleures. À la
fin de l’année 1725, paraît son Opus 8 ; les quatre premiers
concertos du recueil sont les célèbres Quatre Saisons, qui feront sa
notoriété mondiale.

L’Opus 8, une publication retardée

Le 14  décembre 1725 paraît dans la Gazette d’Amsterdam un avis


annonçant la parution d’un nouveau recueil de concertos pour violon
d’Antonio Vivaldi intitulé Il Cimento dell’Armonia e dell’Inventione.
Depuis la parution de l’Opus 7, en 1720, et la publication de ce nouvel
Opus 8, cinq années se sont écoulées. C’est un long silence que seules
peuvent expliquer les difficultés financières connues ces années-là par
l’éditeur hollandais qui, depuis près de quinze ans, grave les œuvres
instrumentales du Prêtre roux. Estienne Roger qui, en 1696, avait fondé la
maison d’édition musicale à Amsterdam, était tombé malade et, en 1720, il
avait dû céder l’activité à sa fille Jeanne. Sans détenir la compétence de son
père, celle-ci avait néanmoins tenté de maintenir l’activité, associée à
l’employé de la maison, Gerrit Drinkman. Estienne Roger décéda en 1722.
Quelque temps plus tard, Jeanne le rejoignit dans la tombe. La firme passa
alors à la seconde fille d’Estienne, Françoise, l’épouse de Michel-Charles
Le Cène. Elle tomba malade et mourut en 1723 ; puis ce fut l’associé, Gerrit
Drinkman, qui emboîta le pas à la famille Roger  ! En juin  1723, dans un
avis passé dans la Gazette d’Amsterdam, Le Cène annonce qu’il va
reprendre l’activité du défunt monsieur Estienne Roger, son beau-père.
Vivaldi connaissait sans doute tous ces aléas. Peut-être s’était-il hâté
d’envoyer son manuscrit, car le recueil semble avoir été constitué vers
1720, ou même un peu avant. Mais la publication ne voyait pas le jour  !
Désespéré, le compositeur s’était mis à chercher des financements pour,
disait-il, « publier 24 de ses concertos ». Le 11 novembre 1724, il écrivait
au comte Carlo Giacinto Roero di Guarene, son protecteur dans le Piémont,
le priant de bien vouloir l’aider à trouver six souscripteurs qui pourraient
participer aux frais de son édition. Il est probable que le compositeur n’a
jamais reçu ce financement puisque l’édition ne se fera qu’en 1725 et aux
frais de l’éditeur, comme l’indique le frontispice («  Aux frais de Michel-
Charles le Cène »). Le recueil est dédié au comte Wenzel von Morzin, mais
ses armes n’apparaissent pas dans le volume (comme c’est le cas lorsqu’un
mécène finance la publication)  ; il n’a peut-être financé que partiellement
l’édition, et Vivaldi pourrait avoir participé aux dépenses… Quoi qu’il en
soit, Michel-Charles Le Cène croit en Vivaldi et s’engage à être le principal
financeur du nouvel Opus.
 
L’Opus 8 comprend douze concertos, distribués en deux livres de six
concertos chacun, imprimés, comme cela est l’usage à cette époque, en
parties séparées (Violino principale, Violino 1 et Violino 2, alto viola et
deux parties pour la basse : violoncello et clavier), chacune avec son propre
frontispice4. La partie de violino principale du premier livre contient le
frontispice général de l’Opus 85. Vivaldi y apparaît comme «  maître des
concerts  » à la Pietà et «  maître de chapelle de chambre  » de Philipp de
Hesse-Darmstadt.
Dans le recueil est inséré un portrait gravé (imaginaire) de Vivaldi réalisé
par François Morellon Lacave. Le compositeur est assis à sa table, la plume
à la main, et tient une feuille de papier à musique. Il porte une chemise
blanche et un large manteau de satin  ; dans le bandeau inférieur il est
inscrit  : «  effigies antonii vivaldi  ». L’œuvre est assez maladroite et n’a
sans doute aucun rapport avec la physionomie du Prêtre roux, même si l’on
a parfois suggéré que Vivaldi ce serait rendu à Amsterdam pour la
réalisation de cette édition.
La lettre de dédicace au comte Wenzel von Morzin est signée par
Vivaldi :
Très illustre Seigneur. Lorsque je réalisai que, depuis de longues années
déjà, je jouissais de l’insigne honneur de servir V.  ILL. S. en qualité de
Maître de Musique en Italie, j’ai rougi de ne vous avoir encore jamais
donné de témoignage de la profonde vénération que je vous dois. J’ai donc
décidé de faire imprimer le présent volume et de l’offrir humblement à
V. ILL. S. Ne soyez pas surpris, je vous prie, si, parmi ces quelques faibles
concertos, V.  ILL. S.  retrouvera les Quatre Saisons qu’elle a accueillies
autrefois avec une très généreuse bonté. J’ai estimé qu’il convenait de les
publier en y ajoutant, outre les Sonnets, un commentaire très précis sur
tout ce qui y est exprimé. De cette façon, je suis certain qu’ils vont vous
paraître nouveaux. […] La très grande connaissance que V. ILL. S. détient
dans la musique ainsi que la valeur de votre très brillant orchestre
m’assurent que, une fois entre vos mains très estimées, mes pauvres
œuvres gagneront un panache qu’elles ne méritent pas. Il ne me reste qu’à
supplier V.ILL. S. de me conserver sa très généreuse protection et de
m’autoriser à me prosterner à nouveau, restant, de V.  ILL.  S., le très
humble, très dévoué et très obligé serviteur.
Don Antonio Vivaldi.

L’Opus 8 comporte en effet un accompagnement littéraire  : des sonnets


qui correspondent à chacune des quatre saisons (constituant les quatre
premiers concertos)  ; et, dans la marge de gauche, des lettres majuscules
renvoyant aux vers de ces sonnets (comme dans les parties séparées
manuscrites conservées à Manchester). De plus, entre les portées, sont
inscrits de brefs commentaires expliquant les scènes que le compositeur a
cherché à illustrer par la musique, peut-être à l’intention des musiciens qui
joueront ces concertos dans les salons du comte von Morzin, en Italie ou à
Prague.

Le comte Wenzel von Morzin, dédicataire de l’Opus 8

Originaire de Bohême, prince héréditaire de Hohenelbe, Wenzel von


Morzin (1676-1737) était chambellan de Charles VI. Très tôt il s’intéressa
aux œuvres d’Antonio Vivaldi et commanda des concertos directement au
compositeur. À l’époque de sa résidence à Mantoue, le 19  avril 1719,
Vivaldi avait signé un reçu pour un paquet de partitions envoyées à ce
même personnage, à Prague. On suppose que s’y trouvaient déjà les Quatre
Saisons. Ce qui situerait la date de composition des célèbres concertos bien
avant 1725. Le paiement assez élevé est effectué par plusieurs banquiers de
Prague sur ordre de Morzin pour près d’une trentaine de concertos du Prêtre
roux. Dans une lettre ultérieure, datée du 13 octobre 1723, Morzin dit avoir
transmis à Vienne six concertos (manuscrits) de Vivaldi, à l’intention du
prince Anton Ulrich, plus tard duc de Saxe-Meiningen (le même Anton
Ulrich que Vivaldi tentera en vain de rencontrer à Vienne, en février 1741,
quelques mois avant sa mort). Dans les archives de la famille Morzin se
trouvent plusieurs preuves de paiements effectués à Vivaldi entre  1724
et 1728. À cette même période, le compositeur dédie au comte le concerto
pour basson RV 496. L’autographe de cette œuvre est conservé à Turin6 ; le
manuscrit porte cette note  : «  Ma[rchese]  : dè Marzin  ». Morzin était-il
donc un bassoniste amateur7 ? Dans les années 1750, l’un des membres de
la famille Morzin figure parmi les protecteurs de Joseph Haydn.

Il Cimento dell’Armonia e dell’Inventione

Comme les Opus 3 et 4, l’Opus 8 porte un titre : Il Cimento dell’Armonia


e dell’Inventione. Cette formule peut être traduite de différentes façons  :
« l’harmonie et l’invention mises à l’épreuve » ; ou « le défi de l’harmonie
et de l’invention  »  ; ou encore «  l’harmonie mise à l’épreuve de
l’invention ». À cette époque, le terme « Harmonie » signifiait : fixation de
la tonalité, élaboration de l’édifice harmonique par-dessus la basse
continue… Un sujet qui taraude certains compositeurs de l’époque, tels
Jean-Sébastien Bach, Giuseppe Tartini et Jean-Philippe Rameau. Conflit de
la raison avec « l’invention », dite aussi, en termes vivaldiens… l’estro (la
fantaisie) et la stravangaza (l’exubérance). À l’image de l’architecte, le
compositeur construit son édifice, sans entraver le flux mélodique qui jaillit
de son être intérieur, la poésie qui transcende l’être humain,
l’expérimentation permanente. Les uns, comme Benedetto Marcello, se
sentent plus proches d’Apollon, le dieu classique du Parnasse ; d’autres, tel
Vivaldi, prodigieusement doués et inspirés, se font les dignes progénitures
de Dionysos.
L’Opus 8 comprend dix concertos pour violon et orchestre à cordes. Dans
les concertos n° 9 (RV 236) et n° 12 (RV 178), il est noté : « On peut jouer
aussi ce concerto avec le hautbois » (« Questo concerto si può fare anco cor
[sic] l’Hautbois  »)8. Si l’on considère que les concertos pour hautbois
publiés en 1720 dans l’Opus 7 ne sont peut-être pas de Vivaldi, on peut
donc avancer qu’il s’agit des deux premiers concertos pour hautbois publiés
par le compositeur vénitien. Le hautbois était entré à Venise après 1700. Le
premier maître de hautbois avait été nommé à la Pietà en 1704. Des
concertos pour hautbois de Telemann et de Haendel circulaient à Venise
dans les quinze premières années du xviiie  siècle. Vivaldi avait aussi
rencontré le hautboïste de Dresde, Johann Christian Richter, lorsque celui-ci
séjourna sur la lagune, dans la suite du prince Friedrich August de Saxe, en
1716-1717  ; il avait composé pour Richter plusieurs œuvres, comme la
Sonata per oboe solo (RV 53)9. Au carnaval 1717 (c’est-à-dire à la même
période), dans L’Incoronazione di Dario, il avait aussi composé de belles
arias avec un (ou deux) hautbois concertant(s)  ; l’une clôturant le premier
acte, pour le philosophe Niceno, «  Qual’è à l’onte dè venti sul monte  »  ;
l’autre, pour Argène, « Fermo scoglio in mezzo al mare » (II, 3), une aria de
tempête. Les parties écrites par Vivaldi pour les hautbois dans les deux
concertos RV 454 et RV 449 de l’Opus 8 ne sont guère différentes de celles
destinées aux violons : dans les tutti, les hautbois redoublent les violons ; en
revanche dans les épisodes solistes, ils deviennent protagonistes, au même
titre que les violons solistes ; le hautbois peut donc se substituer au violon.
Dans les parties centrales lentes et douces, Vivaldi se plaît à exploiter le
timbre profond, élégiaque et légèrement mélancolique de cet instrument.

Les concertos « avec titre »

Les six concertos publiés dans le premier volume de l’Opus 8 portent un


titre : 1. La Primavera (RV 269) ; 2. L’Estate (RV 315) ; 3. L’Autunno (RV
293)  ; 4. L’Inverno (RV 297)  ; 5. La Tempesta di mare (RV 253)  ; 6. Il
Piacere (RV 180). En revanche, dans le recueil suivant, seule La Caccia (la
chasse) (n° 10) (RV 362) est pourvue d’une étiquette10.
Dans la période située entre 1716 et 1725, plusieurs concertos de Vivaldi
portent des titres, qui sont soit des évocations de la nature, soit l’expression
de sentiments. On dirait que ces œuvres ont échappé à des cycles entiers et
cohérents de concertos ainsi pourvus de titres et dont une partie aurait
disparu11. Au total, nous conservons près de trente concertos de Vivaldi
ainsi accompagnés d’étiquettes.
Ces titres ont différentes fonctions. Il peut s’agir de désigner une musique
descriptive, à la française : par exemple, parmi les œuvres publiées  : dans
l’Opus 10, La Notte (RV 439) et Il Cardellino (RV 428) ; dans l’opus 11, Il
Favorito (RV 277) ; parmi les concertos manuscrits : Il Corneto da posta –
la trompe du postillon (RV 363) ; Grosso Mogul (RV 208) ; L’Inquietudine
(RV 234) ; Il Sospetto (RV 199), dont un autographe est à Turin12, et une
copie à Dresde réalisée par J.J.  Quantz, avec des interventions de
J.G. Pisendel13.
Le titre de La Tempesta di mare (RV 253) n’a pas été donné qu’au seul
concerto n° 5 de l’Opus 8. Deux autres concertos s’appellent « La tempête
en mer  »  : le RV 98 (ou RV 570)14 et le n°  1 de l’Opus 10, pour flûte
traversière (RV 433), dont on ne connaît pas de manuscrit correspondant.
Le titre peut aussi signaler l’emploi d’une technique musicale
particulière. Par exemple, dans L’Ottavina (RV 763), toutes les parties
solistes du violon principal doivent être exécutées une octave plus haut ; Il
Proteo o sia il mondo al rovescio (Protée ou le monde à la renverse) (RV
544) présente des renversements : le violon principal peut jouer les parties
du violoncelle, et le violoncelle « al rovescio » (à l’inverse) peut jouer des
épisodes solistes du violon.
Un titre peut encore correspondre à une destination religieuse, comme
dans le Concerto Funebre (RV 579)  ; le concerto Per la Santissima
Assontione di Maria Vergine (RV 581-582)  ; Per la Solennità della
S. Lingua di S. Antonio di Padova (RV 212) ; « Per il S(anto) Natale » dit
aussi « Il Riposo » (le repos) (RV 270), pour violon solo, cordes (« con tutti
gl’Istmti sempre sordini  »)15  ; une copie de ce concerto qui présente des
interventions autographes est conservée à Manchester16, une partie de
violon se trouve à Venise, dans le Cahier d’Anna Maria (RV 270a)17. Dans
cette catégorie figure encore Il Ritiro (le retrait) (RV 256/RV 294), qui peut
avoir été composé pour une jeune fille qui «  se retire  » au couvent, une
situation fréquente à Venise, qu’illustre le tableau de Gabriele Bella,
représentant une cérémonie religieuse en l’église de San Lorenzo à
l’occasion de la prise d’habit d’une jeune fille noble18.
Le titre peut aussi renvoyer à un destinataire particulier (Per l’orchestra
di Dresda, RV 577). Parfois aussi, c’est l’éditeur qui, pour des raisons
commerciales, ajoute un titre à l’œuvre du compositeur  ; par exemple, le
concerto RV 335 est appelé The Cuckow (le coucou), probablement par
l’éditeur anglais, Daniel Wright, dans l’édition anglaise intitulée The
Favourite Concerto (1717).
Dans ce même esprit, quatre des recueils de concertos de Vivaldi
imprimés à Amsterdam ont été publiés avec des titres  : l’Opus 3, L’Estro
Armonico (la fantaisie harmonique)  ; l’Opus 4, La Stravaganza
(l’Extravagance)  ; l’Opus 8, Il Cimento dell’Armonia e dell’Inventione, et
l’Opus 9, La Cetra (la lyre), qui paraîtra en 1727.
Parmi les multiples concertos « avec titre », on peut dire que seules les
Quatre Saisons sont de vrais concertos « à programme » illustrant une série
d’événements et cherchant à exprimer par la musique une narration
littéraire (les sonnets anonymes). Les autres concertos ne sont qu’émaillés
de brèves illustrations musicales évoquant tantôt des chants d’oiseaux,
tantôt la tempête, la chasse, un bal champêtre, le murmure d’un ruisseau ou
la brise dans les feuillages. Cela ne constitue en rien cette petite machine
théâtrale, œuvre tout à fait originale et à part, que constitue la célèbre œuvre
de Vivaldi19.
Il reste cette question : pourquoi Vivaldi a-t-il réuni, dans le premier livre
de l’Opus 8, six concertos portant des titres, tandis que, dans le second
volume, hétérogène, un seul concerto en comporte  ? On suggère cette
hypothèse : les deux volumes auraient été constitués par Vivaldi vers 1720
(donc bien avant l’édition), voire même un peu plus tôt. Jusqu’au dernier
moment, le compositeur aurait apporté des retouches sur des manuscrits
datant de quelques années déjà. Au moment d’envoyer ses concertos chez
l’éditeur, il n’aurait pas eu sous la main d’autres concertos «  avec titre  »
prêts à la publication. Il aurait donc décidé de faire paraître, dans le second
volume, des concertos récents.

Les manuscrits et leur datation

À l’exception des concertos n° 6 (RV 180) et n° 12 (RV 178/449), tous
les concertos publiés dans l’Opus 8 possèdent des manuscrits
correspondants. Ces manuscrits permettent de dater plus précisément les
œuvres publiées dans l’opus 820.
À Turin, dans le fonds «  Giordano  », se trouvent les manuscrits
autographes des concertos RV 332 et RV 210, ainsi qu’un manuscrit
autographe que l’on date environ de 1718-1720 du concerto RV 362 dit La
Caccia, avec de nombreuses variantes par rapport à l’édition (une copie
d’origine allemande en parties séparées se trouve aussi à Dresde). Dans le
fonds «  Foà  », est conservé un autographe du concerto RV 454, pour
hautbois. À la Sächsische Landesbibliothek de Dresde se trouve un
manuscrit de La Tempesta di mare (RV 253), partiellement autographe, avec
une intervention probable de Johann Georg Pisendel21. Il s’agit d’un
manuscrit d’origine vénitienne sur lequel ont été ajoutées (probablement par
Pisendel) deux parties de hautbois ; cette œuvre date sans doute des années
1716-1717, période à laquelle Pisendel se trouvait à Venise. Dans le même
fonds se trouve le premier mouvement autographe du concerto RV 242 ; il
porte une dédicace à Pisendel ; on le date aussi de 1716-1717, et l’on pense
que Vivaldi l’aurait remis en main propre à son ami allemand22.
En résumé, on peut dire que les manuscrits de La Tempesta di mare (n° 5)
et du concerto n° 7 (dédié à Pisendel) conservés à Dresde sont datables des
années 1716-1717  ; les concertos RV 332, RV 362 et RV 210 des années
1718-1720 ; le n° 9 (RV 236/RV 454) aurait été composé vers 1720 ; ce qui
signifie que les œuvres imprimées dans l’Opus  8 furent composées par
Vivaldi plusieurs années avant leur publication.
On ne conserve pas hélas de manuscrits autographes des Quatre Saisons.
Les manuscrits connus les plus authentiques sont les copies de Manchester
provenant de la collection musicale de Pietro Ottoboni23. On ne s’accorde
pas sur leur datation : certains musicologues pensent que ces copies auraient
été transcrites vers 1726, peut-être à partir des autographes aujourd’hui
disparus  ; d’autres, plus tardivement, à partir des partitions imprimées en
Hollande.

Les Quatre Saisons : le programme littéraire

Les différences entre l’édition de 1725 et les parties séparées manuscrites


conservées à Manchester sont minimes et concernent essentiellement les
signalements littéraires. Dans les manuscrits de Manchester, on ne trouve
que les renvois aux vers des sonnets : de grandes lettres majuscules inscrites
dans la marge à gauche  ; en revanche, dans l’édition, outre les lettres
majuscules, se trouvent des commentaires très précis notés sous les phrases
musicales. Ces indications fournissent parfois des détails qui ne figurent pas
dans les sonnets : par exemple « Il cane che grida » (le chien qui aboie), au
début du mouvement lent du Printemps, pour la partie d’alto ; « Mosche e
mossoni  » (mouches et insectes), au niveau des deux violons, dans le
second mouvement du même concerto.
On suppose que les sonnets joints par Vivaldi à l’édition étaient connus
avant leur publication. Ils sont anonymes et leur écriture assez maladroite ;
peut-être même sont-ils de la plume de Vivaldi lui-même, ou de l’un de ses
proches (certains mots, comme mossoni, giaccio, sont en dialecte vénitien),
qui aurait copié sous la dictée du compositeur, en même temps que celui-ci
expérimentait les phrases musicales sur son violon.
Voici un essai de traduction ; à gauche, les lettres majuscules qui, dans la
partition imprimée, renvoient aux vers des sonnets :
 
La Primavera (le printemps) (RV 269)
 
I Allegro
A Le Printemps est revenu ; tout enjoués
B Les oiseaux le saluent d’un chant allègre
C Tandis que les sources, au souffle des zéphyrs,
Courent en émettant un doux murmure.

Mais le ciel se couvre de nuages noirs


D Suivis d’éclairs et de coups de tonnerre ;
E Lorsqu’ils se sont tus, enfin, les oiseaux
Emplissent à nouveau l’air de leurs chants.

II Largo
F Maintenant, sur le charmant pré fleuri,
Au doux murmure que forment les feuillages et les plantes
Le chevrier s’endort, son chien fidèle à ses côtés.

III Allegro
G Au son joyeux de la musette rustique
Le berger amoureux danse avec les nymphes,
Leurs visages rayonnent
Dans la lumière du printemps nouveau.

L’Estate (l’été) (RV 315)


 
I Allegro non molto
A Par la dure saison qu’attise le soleil ardent
L’homme est harassé, ainsi que le troupeau, et le pin se consume ;
B Le coucou retrouve sa voix et joint son chant à
C Celui de la tourterelle, puis du chardonneret.
D Zéphyr passe doucement ;
Mais Borée qui arrive le bouscule.
E Inquiet, le berger pleure
Car il craint la rude bourrasque et ses effets.

II Adagio
F Les éclairs, les coups de tonnerre
Le vrombissement furieux des mouches et des insectes
L’empêchent de se reposer et de soulager ses membres las.

III Presto
G Ah comme ses craintes sont réelles !
Il tonne ; la foudre gronde dans le ciel et la grêle
Couche au sol les blés, et tous les autres grains.

L’Autunno (l’automne) (RV 293)


 
I Allegro
A Dansant et chantant
Le paysan fête sa belle récolte.
B Enivrés par la liqueur de Bacchus
C Nombre d’entre eux sombrent dans le sommeil
Où leurs plaisirs trouvent fin.

II Adagio molto
D Tous ont délaissé les danses et les chants ;
L’air doux enchante
Car cette saison invite tout un chacun
À jouir du très doux sommeil.

III Allegro
E Dès l’aube, les chasseurs partent pour la chasse
Avec leurs cors, leurs fusils et leurs chiens.
F La bête sauvage s’enfuit, et ils suivent sa trace.
G Étourdie et exténuée par le fracas
Des fusils et des chiens, blessée, elle tente
H De s’échapper, mais meurt tapie contre terre.

L’Inverno (l’hiver) (RV 297)


 
I Allegro non molto
A Dans les neiges argentées, tremblants et gelés
B Par le souffle tranchant du vent glacé,
C On court et l’on frappe ses pieds contre le sol
D En claquant des dents, à cause du gel.

II Largo
E Enfin on s’assoit, paisibles et heureux, devant le feu
Tandis que, dehors, la pluie tombe à verse.
F On marche à pas lents sur la glace
G De peur de tomber

III Allegro
H Car en allant trop vite, on perd l’équilibre, et l’on tombe à terre
I On se remet sur ses pieds et, sur la glace, l’on court vite
L Avant que celle-ci ne se brise, et fonde.
M Derrière les portes closes on entend
Sirocco et Borée, et tous les vents se faire la guerre
N C’est cela l’hiver, mais qui apporte aussi ses joies.

La nature, métaphore des sentiments humains


Dans les Quattro stagioni, Vivaldi fait connaître son «  vocabulaire  »  :
tonalités, figures rythmiques, recherches de timbres, d’atmosphères,
extérieures et intérieures, émotions. Il peint avec tendresse la nature délicate
et douce et, non sans angoisse les tempêtes  et les rudesses du climat. Il
évoque tour à tour le sommeil, l’ivresse, la peur du naufrage, des
intempéries, la joie que procurent l’amour, l’intimité du foyer, les plaisirs
simples dans la nature.
De façon diffuse, ces renvois à la nature parcourent l’œuvre entière de
Vivaldi, opéras, cantates, sérénades, motets, oratorios et œuvres vocales
sacrées. Ils passent aisément d’une œuvre à l’autre, d’un genre à l’autre.
Le thème du Printemps est récurrent  : il avait été entendu en 1724, à
Rome, dans le Giustino, au moment où, devant le jeune paysan endormi,
l’allégorie de la fortune apparaissait sur sa roue, dans la pleine lumière (La
Fortuna in macchina). On retrouvera encore ce thème, transposé en do
majeur, dans la Sinfonia et le premier chœur de la Dorilla in tempe (RV
709) (1726).
Le sommeil est évoqué deux fois dans les Saisons : dans le mouvement
central lent du Printemps (sommeil du petit paysan) puis, durant
L’Automne, lorsque le vin engourdit les membres des vignerons. On trouve
une autre évocation du sommeil dans le mouvement, Largo, du concerto La
Notte (pour flûte traversière, deux violons, basson et bc) (RV 104), publié
aussi comme n°  2 de l’Opus 10 (RV 439). Dans les opéras, on trouvera à
plusieurs reprises des scènes de sommeil  : par exemple dans le troisième
acte de Tito Manlio, lorsque Manlio chante « Sono, se pur sei sonno e non
orrore » (Sommeil, si tu es vraiment le sommeil, et non l’horreur).
Le thème de la chasse (la caccia) revient fréquemment dans les opéras.
On peut citer la somptueuse chasse mise en scène au deuxième acte de
Arsilda Regina di Ponto (représenté justement à la saison d’automne,
époque de la chasse, à Venise, en 1716), ainsi que dans la Dorilla in Tempe ;
on trouve une évocation de la chasse dans la cantate pour contralto
accompagnée par deux cors de chasse « Qual in pioggia dorata i dolci rai »
(RV 686), composée à Mantoue, en hommage à Philipp de Hesse-
Darmstadt. S’agit-il d’une référence aux occupations des seigneurs en
automne ? La chasse se fait aussi métaphore ; par exemple quand un héros
(le plus souvent une héroïne) est poursuivi par un animal sauvage, qui
symbolise la cruauté du destin. Dans le Tito Manlio donné à Mantoue
(1719), le personnage de Lucio chante l’aria «  Alla caccia d’un cuore
spietato » (À la chasse d’un cœur sans pitié) (I, 5), accompagnée par deux
cors et deux hautbois (dans la version du manuscrit autographe de Turin) :
les figures rythmiques évoquent la course des chiens derrière la proie
essoufflée, tandis que les sonorités particulières obtenues par les doubles
cordes au violon imitent les sonneries des cors. Plusieurs concertos de
Vivaldi comportant dans leur instrumentation des cors de chasse et d’autres
instruments à vent, offrent des allusions à la vénerie24.
Dans l’œuvre entière de Vivaldi, on pourrait ainsi établir tout un
dictionnaire des références à la nature.
Dans les mouvements rapides (Allegro) des Quatre Saisons les ritornelli
des tutti tendent à peindre le paysage, l’atmosphère, le décor. Sur cette toile
de fond, les épisodes solistes sont le lieu d’expansion des chants d’oiseaux,
des vrombissements d’insectes, des aboiements des chiens (du berger, des
chasseurs), des bruits formés par les vents (Sirocco et Borée). Le
mouvement lent, central, est statique  : un seul tableau  ; ce qui n’empêche
pas une multiplicité d’évènements. Par exemple, dans le Largo du
Printemps, le violino principale imite le sommeil du chevrier, tandis que les
deux violons forment le « Mormorio di frondi e piante » (le murmure des
feuillages et des plantes), et l’alto, lui, reproduit «  il cane che grida  » (le
chien qui aboie) ; « si deve suonare sempre molto forte e strappato » (il faut
jouer très fort et arraché), précise Vivaldi. Dans ce théâtre d’opéra naturel,
les solistes ne sont plus les héros de l’Antiquité, mais des êtres simples (les
animaux, les plantes, les bergers, les vignerons), les éléments naturels (les
rafales de vent, les coups de tonnerre, la foudre, la glace) ; lieux oniriques
non dépourvus de créatures mythologiques, tels Borée, Bacchus et les
nymphes.

Les saisons à la mode

Au xviie et au xviiie siècle le thème des Saisons est présent dans tous les
arts, des plus nobles aux plus décoratifs (papiers peints, vignettes, gravures,
calendriers, étoffes, porcelaines…), ainsi que dans la poésie et la littérature.
En France, Nicolas Poussin avait peint en 1660 les Quatre Saisons
(Louvre). Lully avait créé le ballet des Saisons, à Fontainebleau, en 1661.
On parle souvent d’une influence sur Vivaldi de la poésie anglaise et du
cycle poétique de John Milton L’Allegro et Il Penseroso publié en 1631-
1632  ; la même œuvre qui inspirera à Haendel, en 1740, l’ode pastorale
L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato (c’est Charles Jennens, le
collectionneur de partitions vivaldiennes, qui avait ajouté Il Moderato au
texte de Milton). Les poésies de Milton traduites en italien circulèrent sans
doute en Italie, et à Venise plus particulièrement25. On cite aussi les
célèbres poèmes de James Thomson, The Seasons, The Months and other
divisions of time, qui paraissent en 1726. Depuis longtemps, les
compositeurs essayaient d’imiter les bruits  ; on en trouve de nombreux
exemples au Moyen Âge et à la Renaissance. Des effets de «  stile
concitato » (fracas des armes, piétinements des chevaux, accélérations des
rythmes) figurent aussi chez Monteverdi, dans le Combat de Tancrède et
Clorinde. En France, les clavecinistes, tels D’Anglebert, Couperin et
Rameau, aimaient placer des titres sur leurs œuvres instrumentales et
imaginer des situations particulières comme la chasse. Cette mode se
poursuivra encore pendant plusieurs décennies, si l’on pense à la cantate
profane de Telemann (Die Tageszeiten, 1759), à la trilogie symphonique Le
Matin, Le Midi et Le Soir de Haydn (1761), ainsi qu’à son oratorio des
Saisons (1800)  ; si l’on se rappelle aussi la Symphonie pastorale de
Beethoven (1808) et la Symphonie fantastique de Berlioz (1830)26. On
s’accorde à affirmer que le concerto « à programme », tel qu’il est traité par
Vivaldi dans ses Quatre Saisons, représente véritablement, à son époque,
une nouveauté.

Les Vénitiens à la campagne

Au début du Settecento, les Vénitiens entretiennent avec la nature une


relation plus forte et en même temps différente de celle qu’ils avaient eue
dans le passé, par exemple à la Renaissance. L’Ottone in villa, créé par
Vivaldi à Vicence au printemps 1713, était déjà une expression de l’intérêt
nouveau porté par les Vénitiens à la nature, à leur villa de campagne, ainsi
qu’à son embellissement. Quatre cents nouvelles villas sont construites
autour de Venise. L’imposante demeure qui avait été imaginée par Palladio
au xvie  siècle pour la villégiature des patriciens vénitiens (alors gens de la
mer), se transforme en propriété agricole. Les périodes passées à la
campagne par les familles sont de plus en plus longues. C’est encore sous
l’influence de la mode anglaise que l’on donne plus d’attention aux jardins,
qui sont agrandis et agrémentés de nombreuses statues, de labyrinthes, de
bosquets et de fabriques. À l’intérieur de la villa, les pièces sont ornées de
fresques inspirées de l’Antiquité et de la mythologie  ; animées de
personnages issus des romans épiques de l’Arioste et du Tasse  : Roland,
Renaud, Armide… peints par Giambattista Tiepolo et ses épigones (tout
comme ces mêmes héros sont incarnés par les chanteurs sur les scènes des
théâtres). Les peintres se détournent de la peinture officielle pour privilégier
les petits formats, et représenter de gracieux paysages («  capricci  » et
« vedute » de Marco Ricci et de Francesco Zuccarelli). Un peintre comme
Canaletto et un architecte de jardins tel Girolamo Frigimelica Roberti sont
aussi décorateurs d’opéra. Les villas sont pourvues de salons de musique,
de salles de bal. À l’intérieur de la maison ou dans les jardins, on joue du
clavecin, de la flûte, du hautbois, du violon  ; on chante et on récite la
comédie. La villégiature, qui a inspiré à Carlo Goldoni une pièce
savoureuse, est devenue un moment très attendu des Vénitiens.
La vie à la campagne est forcément simple ; elle a aussi d’autres rythmes.
Les milieux sociaux se côtoient, se mélangent. On observe la vie des gens
du lieu, leurs travaux difficiles, leurs peines, leurs rythmes et leurs moments
de détente, lorsque les récoltes sont faites : chants et danses dans les cours
des auberges, dans les tavernes… Et le vin coule à flots  ! Les artistes
expriment dans leurs œuvres une nouvelle manière de voir les choses. Gian
Domenico Tiepolo (le fils de Giovanni Battista) aime représenter les
paysans dans leur vie quotidienne. Les tableaux de Pietro Longhi évoquent
les activités des petits paysans, artisans, ouvriers vivant dans les villages ;
on les voit danser la « furlana » (forlane), parés de leurs vêtements de fête,
dans la cour d’une ferme  ; dans le cycle dit «  de la chasse  », le peintre
représente les chasseurs lorsqu’ils se placent à l’affût de la proie, dans un
tonneau. La chasse au harle, en barques, est très prisée par les Vénitiens ;
cet oiseau a la réputation de savoir prendre la fuite, nager sous l’eau, se
faire poursuivre longtemps par les chasseurs, même blessé. Longhi peint
encore la préparation des fusils, celle des munitions, le tirage au sort des
chasseurs pour le choix des affûts, le départ pour la chasse, le comptage du
gibier, la chasse au lièvre. D’autres scènes représentent des « Paysans dans
une auberge  », «  La visite du seigneur  », le patricien devant lequel les
employés (et les artistes !) s’agenouillent et auquel ils baisent humblement
le manteau.
Venise a perdu ses rêves de grandeur. Les artistes ne sont plus tenus de
magnifier la geste des riches familles, ni celle des valeureux « capitaines de
mer », héros de la République. Les peintres reproduisent les événements de
la vie quotidienne, observant non sans mélancolie les moindres détails des
costumes, des habitations, comme s’ils avaient pressenti que cet univers
allait bientôt disparaître, à tout jamais. Le peintre vénitien Gabriele Bella
peint la lagune gelée, occasion de joies multiples pour la population
vénitienne car, sur la glace, on peut organiser des jeux, des pyramides
humaines, patiner, se promener costumés. On se rappelle le fameux hiver de
l’année 1709, lorsque Frédéric IV, roi du Danemark et de la Norvège, allait
d’une fête à l’autre, par un froid polaire…
Au cours de ses nombreux voyages, accompagné par son père,
probablement aussi des chanteurs, des artistes de théâtres (scénographes,
costumiers, maîtres d’armes…), des imprésarios, Antonio Vivaldi faisait
forcément, en diligence, de nombreuses haltes à la campagne. Souvent aussi
il jouait dans les résidences estivales des aristocrates avec lesquels il était
en contact (comme les Martinengo près de Brescia). Le compositeur avait
donc de multiples occasions de se trouver confronté à l’univers rustique
d’ouvriers agricoles, de bergers, de chasseurs, de vendangeurs et de
vignerons.
À l’époque de Vivaldi, l’opéra est un genre dominant. Rien n’égale le
prestige d’un castrat comme Farinelli, rien ne subjugue davantage
l’auditoire qu’une voix souple comme celle de la Vénitienne Faustina
Bordoni Hasse. La musique instrumentale vit un peu au second rang. Elle se
cherche et, à l’image de l’opéra, puise ses sources d’inspiration dans la
littérature, la poésie. Près de quarante ans plus tard, Giuseppe Tartini, à
Padoue, guidera encore son inspiration en se servant de vers du Tasse et
d’extraits des livrets d’opéra de Metastasio. Pour les garder secrets, le
compositeur notait ces vers en utilisant une écriture codée.
Si l’on compare minutieusement la musique des Quatre Saisons au
«  programme  » contenu dans les sonnets, on constatera cependant que le
compositeur s’écarte souvent du scénario poétique. Car, si elle n’ose encore
se l’avouer, la musique instrumentale, au fond, se veut libre et indépendante
de tout discours littéraire. Et d’ailleurs, dans ses Quatre Saisons, Vivaldi
imite-t-il vraiment la nature ? Est-il resté dans les limites du « naturel » ?
Tente-t-il, par exemple, dans une sorte de prémonition romantique, de
retourner, comme le fera Tartini, aux sources des musiques populaires pour
y retrouver l’être humain  ? Cherche-t-il à rester dans les limites
«  naturelles  » de la voix, comme le voudraient les illuministes italiens,
comme le dit Antonio Conti dans ses Lettres à la comtesse de Caylus, et
comme le réalise Benedetto Marcello dans ses œuvres dites réformatrices ?
Les concertos de l’Opus 8 intitulés les Quatre Saisons, La Notte, La
Tempesta di mare, feront le succès de Vivaldi en Europe. Le Printemps en
particulier est joué en son temps par les plus brillants violonistes européens.
Entre  1728 et  1763, ce concerto sera entendu sans relâche à Paris, au
Concert spirituel. Il sera aussi transcrit et arrangé par plusieurs
compositeurs français, Nicolas Chédeville, Michel Corrette et… Jean-
Jacques Rousseau !
Vingt ans après la disparition du Prêtre roux, parlant de Vivaldi, Carlo
Goldoni écrit ce commentaire significatif  : «  Ce très célèbre joueur de
violon, cet homme célèbre pour ses sonates, surtout pour celles qui sont
intitulés les Quatre Saisons, composait aussi des opéras  ; et même si les
bons connaisseurs disaient qu’il était faible dans le contrepoint, qu’il
n’écrivait pas la basse comme il fallait, il faisait chanter bien les parties et le
plus souvent ses opéras eurent du succès27. »
Trop entendues, trop connues, les Quatre Saisons continuent pourtant à
receler de nombreux mystères. Les manuscrits originaux ont disparu. Les
retrouvera-t-on jamais  ? Les sonnets qui les accompagnent sont restés
anonymes. Ont-ils été écrits par Vivaldi afin de faire mieux comprendre ses
intentions et plaire à son dédicataire, le comte de Morzin  ? Les Quatre
Saisons ont-elles été inventées pour les divertissements de la famille de
Philipp de Hesse-Darmstadt, par exemple dans la résidence d’été de La
Favorita, près de Mantoue ? Faut-il plutôt associer ces œuvres au cardinal
Pietro Ottoboni et au milieu français  gravitant à Venise et à Rome  ? Ou
bien, Vivaldi a-t-il répondu aux sollicitations de son éditeur hollandais qui
cherchait à s’adapter aux goûts de sa clientèle internationale ?
Les tentatives faites par Vivaldi pour s’orienter vers la musique
descriptive correspondent à une période particulière de sa vie. Vers 1730, le
Prêtre roux abandonnera l’habitude de placer des titres sur ses concertos et
de se donner des programmes contraignants pour sa fantaisie et qui brident
aussi sa volonté d’explorer en permanence de nouveaux horizons. Les
concertos composés pour la Pietà, ceux qu’Anna Maria recopie dans son
Cahier, s’engagent déjà vers des recherches plus libres, et aussi plus
abstraites.

22

 « L’Anna Maria dal Violino »

 Un amour secret du Prêtre roux ?

Le 2 juillet 1723, fête de la Visitation de la Vierge (un jour tout à


fait spécial pour les filles du chœur de la Pietà), le nom d’Antonio
Vivaldi avait réapparu dans les minutes de l’institution. La même
année, les gouverneurs de l’hospice avaient engagé dans les locaux
des travaux de restructuration et fait aménager dans la petite église
qui regarde la riva degli Schiavoni deux tribunes latérales afin d’y
partager les filles en deux « chœurs ». Depuis 1719, la chapelle
musicale dispose d’un directeur : Carlo Luigi Pietragrua, qui
décédera au début de l’année 1726, après sept années de services. Il
sera remplacé par Giovanni Porta, un compositeur originaire de
Venise, qui vient de mener ses activités professionnelles à Rome et
qui est aussi un fécond compositeur d’opéras.
Au plan administratif, le chœur de la Pietà est mené avec énergie et
rigueur par le groupe des gouverneurs qui veulent que la musique
soit l’un des principaux moyens de survie pour les enfants
recueillis dans l’institut de charité : réception d’invités de marque,
mesures disciplinaires, engagements de « filles à paiement » pour
subvenir au manque d’instrumentistes et de chanteuses, nomination
d’excellents maîtres d’instruments qui, parfois, comme le
violoncelliste Antonio Vandini, ne restent pas plus de quelques
mois dans l’institution.
Vivaldi n’a pas la charge de composer la musique sacrée. Il n’en
écrit pas moins, à cette période-là (dite intermédiaire), des pièces
religieuses (comme on l’a envisagé lors de son séjour à Rome),
pour toutes sortes d’églises, de congrégations religieuses,
d’occasions particulières. Certaines œuvres sont hélas perdues ; par
exemple l’oratorio L’Adoratione delli tre re maggi (RV 645),
exécuté à Milan le 9 janvier 1722, ainsi que le Te Deum (RV 622)
qui sera chanté à Venise en octobre 1727, composé sur la demande
de l’ambassadeur de France à Venise28. Datant de cette époque, on
peut citer par exemple deux motets pour soprano et cordes, « In
turbato mare » (RV 627) et « Sum in medio tempestatum (RV
632) », dont les manuscrits se trouvent à Dresde29 et proviennent
de la collection personnelle du compositeur Jan Dismas Zelenka30.
Voulant rester libre, Vivaldi avait exigé des gouverneurs de la Pietà
un contrat tout à fait particulier. Quand il se trouvait à Venise, sa
tâche était essentiellement de composer des concertos, à raison de
deux par mois, avec l’engagement toutefois de se rendre deux à
trois fois à la Pietà pour préparer les filles à les exécuter.
Les reçus qui émergent des archives de la Pietà prouvent que
Vivaldi fournit en effet régulièrement des concertos pour le chœur
de la Pietà. Vers la fin de 1723, il est payé pour 8 concertos et,
entre 1726 et 1729, pour 72 autres31. Le 28 février 1726, le Prêtre
roux et d’autres membres du personnel de l’institution perçoivent
les bénéfices (120 ducats) d’un placement financier. Le 26 avril
suivant, il est payé (63 ducats et 21 grossi = 18 sequins) pour les 18
concertos composés à partir du mois août 1725. Le 24 octobre
1726, c’est-à-dire à l’époque où le cardinal Pietro Ottoboni visite
Venise, il reçoit un paiement pour une période de six mois (42
ducats et 14 grossi = 12 sequins). Le 1  avril 1728, on lui remet 56
er

ducats et 19 grossi (= 16 sequins), pour huit mois d’activités. Le


21 août 1729, son cachet est de 92 ducats et 6 grossi (= 26 sequins)
pour treize mois de travail32. Il s’agit de la dernière somme reçue
par Vivaldi avant son départ pour la Bohême.
Il n’est pas facile d’identifier les pièces instrumentales de Vivaldi,
imprimées et manuscrites, qui furent jouées à la Pietà, voire même
écrites tout spécialement pour les filles du chœur. De nombreuses
œuvres ont disparu ; un cinquième seulement des concertos de
Vivaldi furent publiés de son vivant : 84 (y compris ceux
d’attribution douteuse de l’Opus 7) édités dans les 12 recueils
imprimés ; une dizaine publiés séparément, ou dans des anthologies
non autorisées33.
Une partie de ces concertos composés pour le chœur de la Pietà à
l’époque où il est payé comme « maître des concerts », c’est-à-dire
entre 1723 et 1729, peuvent avoir été envoyés à Amsterdam et
imprimés dans les quatre recueils publiés chez Michel-Charles Le
Cène entre 1727 et 1729 (Opus 9 à 12). Les concertos pour violon
de l’Opus 9, La Cetra (1727), dédiés à l’empereur, comme ceux de
l’Opus 12 (1729) peuvent aussi bien avoir été joués par Anna
Maria, avant leur publication.
En maintenant une marge de doute, on associe à la Pietà des
œuvres qui, par leur effectif instrumental ou par leur écriture
expérimentale, ne conviendraient pas à une diffusion commerciale.
Par exemple les concertos « con molti strumenti » (avec de
nombreux instruments), destinés peut-être à l’orchestre de Dresde,
riche en instruments à vent, ou bien au chœur de la Pietà, qui
disposait également d’une panoplie très large d’instruments (ainsi
que de filles capables de les jouer), un potentiel qu’illustre bien la
Juditha triumphans. On associe encore à la Pietà les « concertos
pour orchestre » (qui ressemblent à la sinfonia), certains dits
« concerti ripieni », à l’écriture contrapuntique rigoureuse et sans
instruments solistes34. On situe encore dans la sphère de la Pietà
trois concertos « in due chori » (à deux chœurs), où le violon solo
est accompagné par deux orchestres à cordes : RV 581 et RV 582
(tous deux composés pour la fête de l’Assomption de la Vierge, le
15 août), et le RV 583 où le violon solo est écrit avec une
scordatura (changement d’accord ; une ou deux cordes étant
haussées d’un ton). Les concertos pour flûte traversière et orchestre
publiés dans l’Opus 10 peuvent avoir été inspirés à Vivaldi par la
présence à la Pietà du musicien germanique Ignaz Sieber. Plusieurs
des concertos pour hautbois (par exemple les RV 449, RV 454 et
RV 460 publiés dans les Opus 8 et 11) ont peut-être été joués à la
Pietà35 ; entre 1716 et 1722, le maître de hautbois est Onofrio
Penati. On pourrait encore associer à la Pietà le concerto pour trois
violons (RV 551), dont le manuscrit autographe est conservé dans
le fonds « Giordano », à Turin (et une copie réalisée partiellement
par Pisendel, à Dresde)36. Certains concertos pour violoncelle37
ont peut-être été joués par le grand Antonio Vandini, puis par son
successeur à la Pietà, Bernardo Aliprandi. Parmi les concertos peut-
être destinés aux filles du chœur de la Pietà, on cite volontiers les
concertos avec viole d’amour et avec mandoline, liés cette fois à la
personnalité d’Anna Maria, une violoniste hors pair, qui était aussi
capable de jouer parfaitement de plusieurs instruments38.

Que savons-nous sur « Anna Maria dal Violino » ?

Étrange attachement que celui d’Antonio Vivaldi pour la petite violoniste


de la Pietà Anna Maria, considérée par les visiteurs étrangers comme l’une
des plus grandes virtuoses du violon en Europe. Comme tous les enfants
déposés dans cette institution par des mères en difficulté, elle était un être
sans nom, ignorant tout de ses origines. Son prénom d’Anna Maria lui fut
sans doute attribué au moment de son baptême. Elle donna sa vie entière à
la Pietà. Quelle admiration, quelle affection liait la petite Anna Maria à son
maître, don Antonio Vivaldi  ? Quel amour paternel attachait Vivaldi à la
petite Anna Maria, brillante virtuose, son alter ego  ? La présence d’Anna
Maria n’était-elle pas, pour le Prêtre roux, une raison suffisante pour ne
jamais quitter totalement l’institution de charité, et revenir constamment
travailler entre les murs de cette maison où il avait fait ses débuts ?
Anna Maria naît en 1696. Elle est encore une enfant quand Vivaldi est
nommé, en 1703, maître de violon, puis de viola all’inglese à la Pietà. Son
nom apparaît dans les registres de la Pietà le 22  septembre 1712, date à
laquelle, sur la demande de la patricienne Marieta Corner, on autorise trois
filles du chœur, « Maria della Viola », « Anna Maria » et « Dianora », à se
rendre «  avec leurs instruments de musique à la Vigne [l’église San
Francesco della Vigna] pour assister à une séance de Discussion sur la
Doctrine chrétienne, chez les Tertiaires Franciscaines39 ».
Le 26 avril 1720, les députés décident d’acquérir pour Anna Maria « fille
de cet hospice, un violon afin que celle-ci puisse pratiquer dans le chœur
avec la virtuosité notoire qu’on lui connaît et le succès qu’elle remporte » ;
on achètera l’instrument qui lui avait été prêté par « Signor Solves, Maître
d’Instruments », un violon exceptionnel et de grand prix dont « on dit qu’il
convient parfaitement au talent de cette Fille  ; ce même violon devra
toutefois rester dans le Lieu Pieux, et inscrit avec les autres instruments
dans l’inventaire du chœur40 ». En 1732, l’institut paiera le célèbre luthier
Cristoforo Selles « qui a apporté un théorbe, consigné à la Fille Anna Maria
dal Violin41 ».
Le nom d’Anna Maria apparaît encore dans les archives de la Pietà le
14  février 1721  ; elle est parmi les douze «  filles privilégiées  » qui sont
autorisées à enseigner à des filles extérieures à paiement42. Parmi les
élèves d’Anna Maria, on a retrouvé les noms d’élèves plus jeunes,
pensionnaires de l’hospice (Anna Maria  II, Bernardina, Fortunata et
Santina), et ceux de plusieurs externes, issues de familles nobles, telles
Chiara Barbarigo et Lodovica Emo43. Le 13 mars 1722, on avait autorisé
Anna Maria dal Violino à prendre comme élève Elena David, une fille âgée
de douze ans44.
Les témoignages d’époque

Anna Maria était une violoniste et une musicienne hors pair. En témoigne
le pamphlet manuscrit et anonyme sur les filles de la Pietà conservé au
Musée Correr de Venise (déjà évoqué à propos des chanteuses, Geltruda et
Apollonia). Habituellement moqueur, peu flatteur, et ne laissant rien
échapper des défauts des musiciennes et chanteuses de l’hospice, par trop
encensées par les visiteurs étrangers, cette fois l’auteur se répand en éloges.
Il ne dédie pas moins de dix strophes à Anna Maria, vantant non seulement
son talent et sa virtuosité, mais aussi sa séduction et sa grâce :
Voici venir maintenant, en tête,
Comme un chef de bande,
Le phénomène : Anna Maria,
Véritable incarnation de la bonté et de la beauté.
Elle joue du violon avec tant de ferveur
Que tous ceux qui l’entendent en sont transportés au paradis,
S’il est vrai que là-haut
Les anges jouent aussi bien.
Le bras qui tient l’archet et sa main sur les cordes
Sont d’une même agilité.
Personne ne l’égale
Dans tout l’État de San Marco.
Dans le monde entier, à vrai dire,
Aucune femme, aucun homme n’arrive à sa hauteur.
Je n’exagère pas, je dis la vérité,
Et donne ma parole d’honneur.
Quel musicien professionnel
Joue comme elle du clavecin, du violon,
Du violoncelle, de la viole d’amour,
Du luth, du théorbe et de la mandoline ?
En vérité, ce sont des vertus
Qui immortalisent celui qui les possède ;
Mais elle en a plus encore
Et je puis en témoigner.
Elle a un cœur d’or et d’une honnêteté sans faille,
Fidèle, reconnaissant et aimant :
Elle est très belle, mais sa beauté
Ne lui monte pas à la tête.
Elle a les cheveux blonds, les joues roses,
Des seins blancs comme neige,
Des yeux pétillants
Et des traits nobles ; elle a un caractère vif,
Dans les moments sérieux comme lorsqu’elle rit.
Mais je n’en dirai pas plus, car vous croirez peut-être
Que je suis amoureux d’elle.
Vous ne seriez sans doute
Pas très loin de la vérité.
Oubliez ce que je viens de dire
Et revenons à notre sujet.
Vient ensuite… vient… enfer et damnation !
Qui avons-nous donc ensuite ?
Je suis troublé45 !
Les visiteurs étrangers, pour leur part, n’expriment qu’admiration et
étonnement après avoir entendu, dans une simple institution de charité, une
musicienne de si haut niveau, capable de rivaliser avec les musiciens
professionnels masculins qui se produisent sur les scènes et dans les cours
les plus prestigieuses.
Ce sont surtout les musiciens, théoriciens et visiteurs des pays
germaniques qui propagent la notoriété d’Anna Maria. Dans une relation de
Joachim Christoph Nemeitz publiée en 1726, on trouve ces lignes
concernant les ospedali de Venise : « Chacun de ces hôpitaux possède son
propre directeur musical, qui tire son salaire de la République [une
information erronée  !]  ; et le célèbre Vivaldi ne pensait pas moins bien la
servir, il y a quelques années, qu’en se prétendant directeur musical de la
Pietà46. » Ensuite, Nemeitz ajoute : « Rares sont les représentants de notre
sexe qui égalent Anna Maria en tant qu’interprète de cet instrument [le
violon] si difficile et délicat. » L’auteur raconte ensuite que, grâce à l’une
des chanteuses avec laquelle il avait lié connaissance (comme le fera
Rousseau, vingt ans plus tard !), il a eu ce privilège insigne de pénétrer dans
le lieu si mystérieux et convoité. Après la messe, il fut régalé d’un concert
magnifique, exécuté par les jeunes filles de la Pietà, accompagnées par
l’orgue, vingt violons, le violoncelle et les théorbes. La qualité de
l’interprétation fut incomparable, affirme-t-il. Dans une partie de violon
concertant magnifiquement exécuté, Anna Maria montra qu’elle possédait
non seulement la délicatesse, mais aussi la virtuosité de Faust47 !
Le compositeur et théoricien Johann Gottfried Walther, auteur d’un
dictionnaire de musique, parle quelques années plus tard d’Anna Maria
comme de la musicienne la plus versatile et la plus accomplie des
instrumentistes de la Pietà48.
Reste l’enthousiasme du truculent Bourguignon, Charles de Brosses, qui
laisse ce précieux témoignage  : «  La Chiaretta serait sûrement le premier
violon de l’Italie, si l’Anna Maria des hospitalettes [=  la Pietà] ne la
surpassait encore. J’ai été assez heureux pour entendre cette dernière qui est
si fantasque qu’à peine joue-t-elle une fois par an  » (lettre  XVIII à M.  de
Blancey, 29 août 1739).

Le fonds musical de la Pietà

Les députés qui gèrent la chapelle musicale des quatre ospedali de Venise
ont toujours eu à guerroyer pour rassembler et conserver, dans les armoires
de leurs hospices, un corpus d’œuvres vocales et instrumentales dans lequel
les filles pourraient toujours trouver de quoi s’exercer et jouer pendant les
offices. À la fin de leur service, les maîtres de chapelle quittaient souvent
l’institution en emportant leurs œuvres avec eux. Dans le règlement du
4  mars 1708, il est souligné que les filles n’ont le droit de jouer que la
musique qui a été approuvée par les gouverneurs. On rappelle aussi que les
noms des filles doivent être méthodiquement notés sur les parties de celles
qui seront chargées de les exécuter49. Dans le règlement du 6 juillet 1710,
il est stipulé à l’article 4 que le maître de chœur «  devra confier ses
partitions à la maestra di choro qui se chargera de les faire transcrire, afin
que le maître en question ne souffre aucun préjudice50 ». En 1736, lorsque
le maître de chapelle de la Pietà, Giovanni Porta, annonce son départ pour
la cour de Bavière, les députés chargent les deux filles organistes, Bianca
Maria et Antonia, de recopier les partitions du maître (sous le contrôle de
Meneghina, responsable des copistes)51. L’année suivante, au moment du
départ de Porta, on s’assure encore que Bianca Maria et Antonia ont porté
leur tâche à bon terme, lesquelles par ailleurs «  ne demandent en retour
aucune rétribution »52.
Ce qui reste des partitions musicales ayant appartenu à la Pietà est
conservé à la bibliothèque du Conservatoire Benedetto Marcello de Venise,
dans le fonds dit des Esposti (enfants trouvés)53. Il s’agit d’un ensemble
hétérogène constitué de fascicules fragmentaires, pièces instrumentales,
rassemblées principalement à partir de 1726, et œuvres vocales religieuses
plus tardives, datant d’environ 1739. On peut citer, par exemple, pour la
musique vocale sacrée, un In exitu Israel (RV 604), avec le nom de Lorenza
sur la partie de contralto  ; une version du Magnificat datée de 1739 (RV
611, partie de contralto) ; un Confitebor tibi Domine (RV 789, avec le nom
de « Crestina  » (Cristina Maria)  ; un Beatus vir (RV 795) qui ne contient
que la partie chorale de contralto54.
En ce qui concerne la musique instrumentale, on trouve le nom de
«  Teresa  » sur les parties manuscrites d’alto de deux concertos pour
violoncelle (RV 787 et RV 78855), où il est noté  : «  Concerto Per
Violoncello Per Teresa. D [on]. V. [ivaldi]  ». On trouve encore dans ce
fonds, des concertos pour « Chiara », dite aussi « Chiaretta » (« Il y a aussi
Chiaretta, elle aussi jeune fille et petit pinçon », écrit l’auteur du pamphlet
anonyme sur les filles de la Pietà56)  : RV 222 («  Concerto per Sigra
Chiara57  ») et RV 372a «  Concerto per Sigra Chiaretta. D[on].
V[ivaldi]58 »). On peut citer encore la partie d’alto du concerto pour violon
solo et violoncelle solo RV Anh 87 qui porte cette note  : «  Lorenza
Concerto A Violino Chiaretta E Violoncello Terse (ta) D. V.59 ». Le nom de
Chiaretta apparaît encore sur le Psaume Lauda Jerusalem (RV 609) à deux
chœurs dont le manuscrit autographe, daté de 1739, est conservé à Turin60 ;
sur les parties solistes, figurent les noms de  : «  Marga (Margherita  II) e
Julietta (Giulia II) » « Fortunata (I) e Chiaretta (Chiara II) ».
Les filles copistes de la Pietà transcrivaient la musique en prenant pour
modèle «  l’original  » du maître. La confrontation de ce matériel avec les
manuscrits autographes qui proviennent de la collection personnelle de
Vivaldi, conservés par exemple à Turin, révèle les nombreuses petites
erreurs commises par les copistes, inexpérimentées ou qui ne comprenaient
pas toujours les annotations et les signes abrégés de leur maître.

Le « Cahier » d’Anna Maria

Le document le plus intéressant conservé dans le fonds Esposti est le


Cahier d’Anna Maria. Il s’agit d’un beau volume, bien conservé, de format
oblong à l’italienne. La couverture cartonnée brune est entourée d’une frise
dorée, un vase de fleurs renversé placé dans chaque coin  ; le nom
« ANNA/MARIA » est gravé au centre de la couverture en lettres dorées.
Le recueil contient la partie de premier violon extraite de 31 concertos,
dont seuls 25 sont de Vivaldi61. L’en-tête porté sur chacun : « Concerto per
la sig.a Anna Maria » ne signifie pas que Vivaldi composa cette œuvre pour
Anna Maria. Seul le concerto pour violon dit «  Per la Solennità di
S. Lorenzo » (RV 286) lui fut réellement dédié. Les autres concertos furent
transcrits par Anna Maria elle-même ou, plus probablement (vu le caractère
inexpérimenté de l’écriture), par une fille copiste. On situe le Cahier
d’Anna Maria aux années 1726-1727. Plusieurs fascicules qui furent joués
par Anna Maria portent aussi le nom de son élève, Anna Maria II. « Il y a
aussi une autre Anna Maria, élève de la première, qui peut-être un jour sera
elle aussi digne d’estime62 », écrit, à la strophe 58 de son poème satirique
sur les filles de la Pietà, l’auteur anonyme… Souvent, en effet, les élèves de
la Pietà prenaient le nom de leur maestra  ; comme les castrats, à Naples,
formaient leur pseudonyme en empruntant le nom de leur professeur.
La plupart des concertos conservés de façon fragmentaire dans le fonds
Esposti existent en versions complètes, autographes ou copies, à Turin,
Dresde, Manchester, ou ailleurs. Les concertos RV 207 et RV 308 furent
publiés dans l’Opus 11. En revanche, cinq concertos sont uniques (RV 775,
RV 771, RV 773, RV 774 et RV 775). Le concerto RV 772 présente des
points communs avec d’autres concertos  ; quatre autres concertos (RV
270a  ; RV 267a  ; RV 213a et RV 179a) sont des variantes d’œuvres
connues. Ces divergences confirment que, comme il le faisait avec les airs
d’opéra et les œuvres religieuses, Vivaldi retouchait sans cesse ses
concertos et les adaptait, tantôt aux interprètes, tantôt aux circonstances.
Les deux concertos RV 581 et RV 582 furent composés pour
l’Assomption et portent le même titre, «  Per la Santissima Assontione di
Maria Vergine  »63. Ils sont datés des années 1720-172464. Ce sont des
concertos pour deux chœurs, dont on conserve aussi une version autographe
dans le fonds « Giordano », à Turin.
Il est reconnu que seul le concerto RV 286 composé pour la fête de San
Lorenzo (déjà envisagé dans le chapitre précédent, car peut-être exécuté à
Rome) est explicitement dédié à Anna Maria. Ce concerto est conservé dans
trois autres fonds anciens : l’autographe qui est à Turin65 ; dans le recueil
manuscrit intitulé La Cetra, dédié à Charles VI66 ; enfin dans le fonds de
Manchester provenant du cardinal Ottoboni, peut-être transcrit par Giovanni
Battista Vivaldi67. Dans le Cahier d’Anna Maria, le concerto RV 286 porte
la mention autographe «  Con(cer)to del Vivaldi p(er) la S(ignor)a Anna
Maria68  ». Le manuscrit autographe de Turin est considéré comme la
version la plus ancienne ; la partie de violon qui fut transcrite dans le Cahier
d’Anna Maria date néanmoins à peu près de la même période  que
l’autographe. La transcription de Manchester (avec des annotations
autographes) n’est pas exactement identique. Les hypothèses sont
multiples : ce concerto pourrait avoir été écrit originellement pour la fête de
saint Laurent, le 10 août ; Vivaldi l’aurait dédié à Anna Maria dans le but de
conférer un certain prestige à son élève, et fournir une attraction de plus
pour l’auditoire de la Pietà. Anna Maria pourrait avoir joué ce concerto la
première fois le jour de la fête de saint Laurent ; peut-être à l’occasion du
séjour de Pietro Ottoboni à Venise, et précisément le jour de la visite du
cardinal à la Pietà, le 13 novembre 1726, une élégante référence à celui qui
était le patron de l’église San Lorenzo in Damaso, à Rome…
Une musicienne versatile : mandoline et viole d’amour

Violoniste célèbre, Anna Maria jouait (comme les autres filles du chœur)
de plusieurs instruments. Mais elle en jouait en soliste, et à un niveau
d’excellence. « Quel musicien professionnel Joue comme elle du clavecin,
du violon, Du violoncelle, de la viole d’amour, Du luth, du théorbe et de la
mandoline ? », demande le pamphlétaire anonyme…

Mandoline

Au xviiie  siècle, la mandoline est un instrument très pratiqué par les


amateurs. Dans une lettre datée du 26 décembre 1736, Vivaldi demande au
marquis Guido Bentivoglio « s’il se divertit encore avec la mandoline69  ».
Cet instrument au son grêle convient très bien pour exprimer la fragilité de
l’existence humaine, la vulnérabilité des choses. Vivaldi employait sans
doute une mandoline à six chœurs (accordés sol2-si2-mi3-la3-ré4-sol4) qu’il
traite le plus souvent comme un violon joué en pizzicato70.
La mandoline est présente dans trois concertos : RV 425, RV 532 et RV
558. Dans le concerto RV 425 (pour mandoline, cordes et basse continue),
et dans le double concerto RV 532, avec deux mandolines (les manuscrits
autographes de ces œuvres sont conservés à Turin), elle est protagoniste. Il
est important de ne pas écraser le son faible de l’instrument. Aussi, dans les
épisodes solistes des mouvements rapides, elle n’est accompagnée que par
la basse continue ou le violoncelle seul ; dans le Largo central, les arpèges
en rythme pointé du soliste sont soutenus par des accords de l’orchestre,
placés sur le premier et le troisième temps de la mesure. Vivaldi note sur
son manuscrit : « Si può anco fare con tutti li violini pizzicati » (« On peut
aussi jouer avec tous les violons en pizzicato »), offrant ainsi une alternative
aux musiciens. L’auditeur se trouve alors convié à un carillon merveilleux
exécuté par la mandoline et les violons, humbles serviteurs de la gracieuse
demoiselle.
Dans le concerto RV 558, qui sera joué à la Pietà en 1740, lors de la
visite de Friedrich Christian Leopold de Saxe, deux mandolines se joindront
à un complexe instrumental somptueux (deux violons « in tromba marina »,
deux flûtes, deux salmoe, deux théorbes, un violoncelle, les cordes et la
basse continue) : une autre fête sonore inventée par le Prêtre roux pour les
filles du chœur, à destination d’un auditoire enchanté ! Dans l’aria « Transit
aetas  » de la Juditha triumphans, Judith chante, de façon profonde et
méditative, accompagnée seulement par la mandoline et les violons en
pizzicato ; moment très suggestif où Vivaldi évoque l’aspect éphémère de la
vie et la vanité du pouvoir71 ; il est possible que ce soit Anna Maria qui ait
joué les parties de viole d’amour et de théorbe lors de l’exécution de cet
oratorio, à la Pietà, en novembre 171672.

Viole d’amour

La viole d’amour était originellement fabriquée en Allemagne et en


Autriche. Cet instrument a rencontré un grand succès à Venise, surtout à la
Pietà. L’instrument à archet comporte six cordes principales et d’autres
cordes qui vibrent par résonance ; en 1735, on ajoutera une septième corde
principale. Les six cordes sont généralement accordées en ré mineur (ré2-
la2-ré3-fa3-la3-ré4)  ; c’est en effet dans cette tonalité que Vivaldi a écrit le
plus souvent pour cet instrument ; par exemple dans les concertos RV 393,
RV 394 et RV 395  ; sinon, l’instrumentiste doit changer son accord
(scordatura), comme on le voit dans le concerto RV 397, composé en la
mineur73.
En dehors du milieu clos de la Pietà, au théâtre, on connaît quelques
interventions très particulières de la viola d’amore, peut-être jouée en
soliste par Vivaldi lui-même. Par exemple, l’aria de Servilia « Tu dormi in
tante pene » (III, 1), dans Tito Manlio (Mantoue, 1719) ; l’accompagnement
de la chanteuse avec la viole d’amour ne paraît que dans le manuscrit
autographe conservé dans le fonds «  Giordano  » à Turin, et non dans la
copie qui se trouve dans le fonds « Foà », où l’aria est écrite avec un violon
solo74.
Vivaldi a écrit sept concertos qui demandent la participation de la viole
d’amour  ; l’un (RV 97) est un concerto de chambre avec, outre la viole
d’amour, deux cors, deux hautbois et un basson. On peut citer encore le
concerto RV 540 pour le luth et la viole d’amour. Les six concertos pour
viole d’amour signalés par Peter Ryom (RV 392 à RV 397) furent, pense-t-
on, composés après 1720 et joués à la Pietà. Le manuscrit du concerto RV
392 est conservé à Dresde ; fut-il envoyé en Saxe à l’intention d’un joueur
de viola d’amore se trouvant à la cour75  ? Il est l’unique exemplaire
connu  ; on croit reconnaître dans cette copie des interventions de
Pisendel76.
La viole d’amour apparaît encore à la fin du Nisi Dominus (RV 608),
dont le manuscrit autographe se trouve à Turin77 : le Gloria Patri y est en
effet chanté par la contralto, accompagnée par la viole d’amour, les cordes
et l’orgue, dans un mouvement Larghetto, qui apporte un soudain
changement d’atmosphère78.
Comme son maître, Anna Maria jouait donc très bien de la viola
d’amore, et probablement aussi de la viola all’inglese.

Deux acrostiches pour Anna Maria

Les deux concertos RV 393 et RV 397 avec viola d’amore (dont les
manuscrits autographes se trouvent dans le recueil « Foà 29 », à Turin) se
réfèrent directement à Anna Maria79. Dans le titre, «  Con.to con Viola
d’AMor » Vivaldi écrit le mot « AMor », en mettant en évidence (par des
majuscules) les lettres A et M qui sont les initiales d’Anna Maria)80. Le
concerto RV 39381, en ré mineur, est une variante du concerto RV 769,
pour violon, que le compositeur a transposé pour la viola d’amore peut-être
à l’intention d’Anna Maria82. Du concerto RV 397, en la mineur, nous
connaissons un manuscrit autographe (incomplet) et une copie à Dresde
(avec l’intervention de Pisendel)83.
Vivaldi traite souvent la viole d’amour comme un violon. En revanche,
dans les mouvements rapides du concerto RV 392, ainsi que dans le premier
mouvement de RV 397, il tire davantage parti du potentiel sonore de cet
instrument  : les doubles notes et les accords produisent des résonances
grâce aux cordes vibrant par sympathie, que possède cet instrument84.

Anna Maria et Maddalena Lombardini

La septième pièce copiée dans le Cahier d’Anna Maria (fol. 22 v°-25 v°)
est un concerto de Giuseppe Tartini qui fut publié par le compositeur chez
Le Cène, à Amsterdam, en 1728, dans le recueil de ses Sei Concerti a
cinque.
Avant de se fixer définitivement à Padoue, comme violoniste soliste au
Santo, le jeune Giuseppe Tartini avait passé plusieurs années à Venise. On
sait qu’il avait entendu jouer Francesco Maria Veracini au palais Mocenigo,
en présence de Friedrich August de Saxe et qu’il en avait été bouleversé au
point de changer radicalement sa façon de jouer. Dans les années 1720,
Tartini vivait en donnant des cours de violon dans diverses familles
patriciennes de Venise  ; celle du patricien Girolamo Ascanio Giustiniani,
traducteur des Psaumes de David mis en musique par Benedetto Marcello.
Il fut aussi le maître d’Alessandro Marcello. À partir de 1727, il fonde à
Padoue une célèbre école de violon, où confluent des violonistes venus de
l’Europe entière.
Anna Maria fut-elle en contact avec le célèbre violoniste, compositeur et
pédagogue ? Tartini a-t-il donné des cours à la Pietà et en particulier à Anna
Maria  ? Par exemple entre  1717 et  1723, à l’époque où Vivaldi semble
absent et où Tartini enseigne à Venise… Comment Anna Maria était-elle en
possession de cette pièce de Tartini avant sa publication, alors qu’il était
interdit aux filles du chœur de jouer d’autres œuvres que celles des maîtres
de la Pietà ?
 
Quels rapports existèrent (s’ils existèrent) entre Antonio Vivaldi et
Giuseppe Tartini ? Entre Vivaldi et Padoue ? On se rappelle que, en 1712,
Vivaldi avait composé et joué avec son père à la basilique du Santo. Il a
aussi composé plusieurs œuvres pour la fête de saint Antoine. Après avoir
enseigné à la Pietà dans les années 1720-1721, Antonio Vandini,
violoncelliste d’envergure, était entré dans la chapelle musicale de la
basilique, aux côtés de Tartini, dont il restera toute sa vie un ami intime.
Si Antonio Vivaldi a entretenu une relation privilégiée avec son élève
Anna Maria, Giuseppe Tartini a, lui aussi, attaché son nom à une élève
favorite, Vénitienne également, formée elle aussi dans les ospedali, et
exceptionnellement douée pour le violon : Maddalena Lombardini.
Elle naît à Venise en 1735. C’est en tant qu’élève payante qu’elle apprend
le violon à l’hospice des Mendicanti  ; ensuite, elle se perfectionne en
prenant des cours avec Giuseppe Tartini. Elle se produit dans plusieurs
villes italiennes, puis épouse le violoniste et compositeur Ludovico Sirmen.
Ensemble ils partent pour Paris et jouent au Concert spirituel, pendant l’été
1768. Maria s’embarque ensuite pour Londres, sans doute seule, et
remporte un triomphe au théâtre Haymarket. Plus tard, elle cherchera à se
produire comme chanteuse mais connaîtra un échec. Lorsqu’elle cherchera
à relancer sa carrière de violoniste, elle sera désormais considérée comme
une musicienne d’un goût dépassé. Elle a composé et publié, à Londres et à
Paris, plusieurs recueils de sonates et de concertos pour le violon.
L’Anna Maria de la Pietà et Maddalena Lombardini sont sans doute les
deux plus grandes violonistes italiennes du xviiie  siècle. Toutes deux
femmes, toutes deux Vénitiennes. Quarante années les séparent. On ne peut
s’empêcher de rapprocher leurs destinées : la première, une fille cloîtrée ; la
seconde, une pionnière, une femme libre et engagée, menant une carrière
internationale. L’une et l’autre furent profondément liées à leur maître,
Anna Maria à Antonio Vivaldi, et Maddalena à Giuseppe Tartini.
Aujourd’hui encore, les filles de la Pietà, chanteuses et musiciennes,
continuent à solliciter l’imagination des écrivains, qui transforment ces
créatures mystérieuses et désormais lointaines en héroïnes de roman,
partant de la Consuelo de George Sand, passant par le Concerto baroque
d’Alejo Carpentier, la Lavinia fuggita (Lavinia disparue) d’Anna Banti  ;
jusqu’aux plus récentes Vivaldi’s Virgins de l’écrivaine américaine Barbara
Quick, et au Stabat Mater du Vénitien Tiziano Scarpa.
 
Anna Maria a 41  ans lorsque, le 30  août 1737, elle accède au statut de
maestra di violino. Quelque temps plus tard, elle passera maestra di coro.
Le règlement de la Pietà permettait en effet aux filles de devenir sotto
maestra à 24 ans et maestra à 30 ans. À 40 ans elles avaient le choix entre
rester dans le chœur pour enseigner aux plus jeunes comme maestre, se
marier ou entrer au couvent. Trois ans plus tard, en 1740, Vivaldi quittera
Venise pour Vienne. À cette date, si Anna Maria n’est pas habilitée à
composer, comme le faisait Vivaldi, elle est néanmoins en mesure de
remplacer son maître auprès de ses camarades. Elle est apte à enseigner et à
diriger le chœur pendant les répétitions et les offices, du haut de la tribune ;
là où depuis tant d’années elle joue comme soliste… derrière les grilles.

23

 Vivaldi et la France

Antonio Vivaldi sait se faire courtisan. On l’avait vu déjà


fréquenter les milieux des ambassades, où la vie musicale,
officielle et plus intime, constitue pour tous les musiciens italiens
une appréciable source d’engagements, les ambassadeurs ayant
rarement les moyens de disposer d’une chapelle musicale
particulière. En 1705, alors qu’il était encore un jeune violoniste
peu connu et tout juste sorti de la prêtrise, Vivaldi aurait, dit-on,
participé à un concert organisé par l’ambassadeur de France – à
cette époque l’abbé Henri-Charles Arnauld de Pomponne ; il
s’agissait d’une manifestation de bienfaisance organisée en faveur
du monastère de San Girolamo qui venait d’être détruit par les
flammes85. Au début du mois de mars 1720, Antonio avait quitté
Mantoue muni d’une lettre de recommandation signée par Philipp
de Hesse-Darmstadt à destination du comte Johann Baptist von
Colloredo-Waldsee, ambassadeur impérial à Venise.
Dans les années qui précèdent son voyage vers les pays
germaniques, Vivaldi établit une collaboration suivie avec
l’ambassade de France à Venise. Une amitié s’était-elle nouée entre
le Prêtre roux et le comte de Gergy, ambassadeur du royaume de
France dans la Sérénissime ?

L’ambassade de France à Venise


Pour la représentation de son État auprès de la Sérénissime, une
ambassade jouissait du droit d’asile et du droit de franchise pour tout ce qui
lui était nécessaire (nourriture, mobilier, livres…). On appelait alors
« lista » le palais de l’ambassade et les maisons adjacentes.
Les Vénitiens se méfiaient des puissances étrangères. Pietro Ottoboni
n’avait-il pas payé par l’exil son attachement à la cause française ? Il était
d’ailleurs interdit aux nobles de fréquenter sans contrôle les personnalités
politiques étrangères. Les ambassades étaient situées loin de Saint-Marc,
centre du pouvoir. L’ambassade de France changea plusieurs fois de siège,
mais elle a toujours été située dans le quartier de Canareggio, au nord de
Venise. À l’époque de Vivaldi, l’ambassade de France était hébergée dans le
palais de la famille Della Vecchia (nobles de Bergame). Cette demeure était
pourvue d’un magnifique jardin qui regardait la lagune, en direction de
Murano (le palais sera abattu à la fin du xixe siècle). En 1743, l’ambassade
de France s’installa au palazzo Surian (aujourd’hui palazzo Roma Querini,
968 fondamenta delle Penitenti), où Jean-Jacques Rousseau fut employé
quelques mois, en tant que secrétaire de l’ambassadeur Montaigu. Ce palais
existe encore, mais il a perdu son jardin et tout ce qui faisait son luxe.
L’ambassadeur Gergy employait un personnel nombreux  : «  un secrétaire
d’ambassade à ses gages, un écuyer, deux autres gentilshommes, deux
pages, un maître d’hôtel, un officier, un aide, deux valets de chambre, un
cuisinier, un aide, deux servantes de cuisine, un suisse, six valets de pied,
quatre gondoliers, un “frotteur”, autrement dit un terrassier, un jardinier,
trois femmes de chambre pour madame l’ambassadrice, une gouvernante et
une femme de chambre pour mademoiselle, un médecin, un chirurgien, un
apothicaire de plus, deux autres valets, six valets de pied et six gondoliers
pour les cérémonies publiques86  »… «  […] et c’est un monde que les
quatre offices, fait remarquer le cardinal de Bernis, ambassadeur de France
à Venise entre  1758 et  1760, la lingerie, la salle à manger, des valets de
pied, ou chacun a son armoire fermée à clef pour serrer son pain  ; la
boulangerie, la cuisine, le garde-manger, les caves à glace et à tonneaux, les
chambres de toute cette famiglia87 ». Dans une Venise en crise ces marques
de luxe déployées par les ambassadeurs étrangers pouvaient choquer la
population locale, car le gaspillage était désormais sévèrement contrôlé par
les Inquisiteurs.
Écartés du pouvoir par les Vénitiens, empêchés de fréquenter la noblesse
locale, les ambassadeurs menaient somme toute une vie assez lascive. Ce
phénomène n’échappe pas à Montesquieu, qui séjourne brièvement à Venise
en 1728 : « Rien de si inutile qu’un ambassadeur de France à Venise, écrit-
il ; il est comme un marchand dans un lazaret88 ! » Jean-Jacques Rousseau,
pour sa part, vit à Venise entre le 10 juillet 1743 et le 6 août 1744. Plus tard,
au Livre VII de ses Confessions, il avouera que sa tâche comme secrétaire
d’ambassade était de chiffrer les dépêches envoyées à la cour de France et
aux autres ambassadeurs89, ce qui lui laissait beaucoup de temps libre pour
aller au concert, à l’opéra, former son goût à la musique italienne, et
aussi… tenter des approches avec les célèbres courtisanes de la ville. C’est
encore Bernis qui témoigne  : «  On regarde communément l’ambassade à
Venise comme une commission peu importante. »
L’ambassadeur de France, vêtu d’un habit noir, brodé ou garni de
dentelles de grande valeur, portait l’épée au côté, et des bijoux aux armes de
son pays90. Outre l’ambassadeur, se trouvait aussi à Venise le consul de
France. Celui-ci ne faisait pas partie du personnel de l’ambassade, mais
dépendait du ministère de la Marine. Son rôle était de protéger, et peut-être
aussi de contrôler l’ambassadeur. Le consul pouvait aussi exercer les
fonctions de secrétaire d’ambassade et, à ce titre, il avait le droit d’assurer
l’intérim entre un ambassadeur et l’autre.
L’«  Entrée d’un ambassadeur  » et sa première audience au palais ducal
étaient l’occasion de fêtes magnifiques réglées par un cérémonial précis, qui
resta immuable pendant des siècles. L’ambassadeur était d’abord accueilli à
Lizza Fusina (là où finit la terre-ferme pour devenir lagune) par un groupe
de nobles et de sénateurs. Ceux-ci accompagnaient le diplomate sur une île
de la lagune, très souvent le couvent de Santo Spirito, qui, ce jour-là, était
déclaré zone neutre. Dans ce monastère, il recevait un appartement luxueux,
où il passait sa première nuit. Le lendemain, le même groupe de nobles et
de sénateurs venaient chercher le nouvel ambassadeur pour le conduire au
siège de son ambassade. Le matin suivant, un cortège de gondoles suivait
l’embarcation du nouvel ambassadeur le long du Grand Canal, jusqu’à la
piazzetta, où celui-ci entrait au palais ducal par l’escalier des Géants. Le
nouveau venu était reçu par le doge et par la Signoria auxquels il présentait
les lettres de créance du roi de France. Puis il prononçait un discours. Nous
conservons des descriptions magnifiques d’«  Entrées  » à Venise de
plusieurs ambassadeurs de France  ; par exemple, celle d’Amelot de
Gournay, le 23 septembre 1682 : « Douze violons se faisoient entendre dans
le portique d’en haut, des concertos dans les chambres particulières, et les
trompettes et les fifres aux fenêtres du second estage91.  » Le soir, une
grande réception était organisée au siège de l’ambassade, avec
illuminations, concerts, bals, mascarades, réceptions de magistrats, aux frais
de l’ambassadeur. C’était peut-être la seule fois où il était permis aux nobles
de pénétrer dans la maison de ce diplomate étranger. Les festivités se
poursuivaient trois jours durant  ; elles étaient si lourdes à organiser et si
dispendieuses que de nombreux ambassadeurs préféraient arriver en privé,
et attendaient ensuite plusieurs mois avant de faire leur « entrée » officielle
dans la ville92.

Le comte de Gergy, ambassadeur de France à Venise

Jacques-Vincent Languet, comte de Gergy, fit son entrée solennelle au


palais ducal le 4  novembre 1726. Le déploiement des gondoles de parade
dans le bassin de Saint-Marc et l’arrivée sur la piazzetta de l’important
cortège de personnalités somptueusement costumées inspirèrent à Canaletto
un magnifique tableau, aujourd’hui conservé au musée de l’Ermitage, à
Saint-Pétersbourg. Gergy avait été officiellement nommé à ce poste le
4  novembre 1721 et avait pris ses fonctions en 1723, à l’âge respectable
pour l’époque de 56 ans.
Né en 1667, il était gentilhomme de la Maison du Roi Louis  XIV. En
1697, il avait été, à Stuttgart, Envoyé Extraordinaire auprès du duc de
Wurtemberg. Ses missions se déroulèrent surtout en Italie. Il occupa les
mêmes fonctions d’Envoyé extraordinaire successivement auprès de
Ferdinando Carlo de Gonzague-Nevers, dernier duc de Mantoue (1702),
puis auprès du duc de Parme et de Plaisance, Francesco Farnese (1709),
ensuite auprès du grand-duc de Toscane, Cosimo  III de Médicis (1709).
Enfin, nous le retrouvons ambassadeur à Venise, son dernier poste
diplomatique. En 1731, pour raison de santé, le roi lui permettra de rentrer
en France. N’ayant pas réussi à se rétablir, il sera délivré de sa mission
vénitienne le 31 janvier 1733. Le comte de Gergy décédera le 17 novembre
173493.

Des sérénades pour la France

On connaît huit sérénades composées par Vivaldi pour des occasions


particulières (cataloguées par Peter Ryom de RV 687 à RV 694), dont
quatre ont un lien avec la France. La plus ancienne est « Mio povero cor  »
(RV 690), dédiée à un certain « marquis de Tourreil ». Deux autres sont des
commandes du comte de Gergy : Gloria e Imeneo (RV 687) pour le mariage
du Roi, en 1725, et L’Unione della Pace e di Marte (RV 694), pour la
naissance des jumelles royales, en 1727. Quant à La Sena festeggiante (RV
693), nous ne savons toujours pas à quelle circonstance la rattacher.
La sérénade était une forme musicale très courante entre 1680 et  1740.
Elle était souvent exécutée en plein air. Cette forme peut varier beaucoup,
en effectif vocal et instrumental, ainsi qu’en longueur, suivant les moyens
mis à disposition. Elle ressemble tantôt à un petit opéra, tantôt à une longue
cantate. Toutefois, étant commandée par des aristocrates pour des occasions
spéciales (anniversaire, mariage, naissance…), la sérénade s’apparente
plutôt, au plan esthétique et au contenu, à la cantate. Elle est souvent écrite
en deux parties, avec une interruption centrale permettant la distribution de
rafraîchissements. Les textes (publiés ou non) sont souvent rédigés dans des
langages ampoulés, chargés d’allégories, de références arcadiennes et de
compliments.

Gloria e Imeneo (RV 687), 12 septembre 1725

Le 5 septembre 1725, Louis XV, alors âgé de 15 ans, épouse la princesse


Maria Leszczynska, la fille du roi de Pologne détrôné.
Lorsque de grands événements marquent la vie de la cour de France, un
protocole rigoureux et très précis se met en place afin de régler les
mouvements des hautes personnalités françaises et étrangères venant rendre
hommage au Roi, ainsi que les festivités données à Paris, dans toutes les
villes de France puis au siège des ambassades françaises dispersées dans le
monde. Ces réjouissances sont, au fur et à mesure, relatées avec minutie et
emphase dans les pages du Mercure de France.
Nous conservons deux comptes rendus des fêtes organisées par Gergy à
Venise, le 12  septembre 1725, pour fêter le mariage de Louis  XV. Le
premier est la lettre que l’ambassadeur envoie à la cour, le 15  septembre,
par courrier diplomatique. Il y fait un long récit des réjouissances qui
viennent de se tenir à l’ambassade94  : «  La fête commença à vingt-deux
heures, dit-il ; on la lança avec un magnifique et très long tir de mortiers,
qui se fit entendre plusieurs fois dans cette nuit splendide, qui se termina le
lendemain de la même façon.  » Puis il décrit le splendide jardin de
l’ambassade, avec ses allées, ses fleurs, les nombreuses illuminations
déployées ; au fond du jardin, sur une loggia regardant la lagune, on donna
une sérénade musicale, tandis que les symboles et allégories des souverains
français étaient illuminés par une profusion de torches, de chandelles en
cire blanche et de lampions  : «  La sérénade, composition musicale
essentiellement destinée à rendre hommage et à adresser des vœux à S.M.
Très Chrétienne à l’occasion de ses noces, écrit Gergy, fut exécutée dans la
loge située au fond du jardin. Elle avait été composée par Mr  Vivaldi et
interprétée par d’excellents musiciens et chanteurs, semblables à de
nouveaux Orphée, dont la voix douce attira une foule de gondoles qui
recouvraient la mer et en masquaient la vue à tous ceux qui étaient
présents. »
Après le concert, tous les invités étaient revenus au palais de
l’ambassade, où une pièce avait été transformée en galerie de tableaux.
Dans le grand salon, était suspendu le portrait du roi enchâssé dans un
splendide cadre doré. On avait donné un très beau bal  ; sur une estrade
étaient assis de nombreux musiciens, choisis parmi les meilleurs  ; «  par
leurs sonates harmonieuses, ils touchaient les cœurs et animaient les pieds
de ceux qui dansaient et de ceux qui écoutaient95  ». Les valets avaient
offert à la noblesse vénitienne et aux autres invités de marque des
rafraîchissements, des liqueurs, du café et du chocolat. Par les fenêtres on
distribua « avec une générosité peu habituelle » et pendant toute la nuit du
pain, de l’argent, et, dans plusieurs endroits de la ville, du vin.
Les lecteurs du Mercure trouvent, le mois suivant, dans les pages de leur
journal, la relation des fêtes données par Gergy à Venise : « Il y eut, écrit le
chroniqueur, à la suite du bal une sérénade, dont les paroles convenables au
sujet, furent fort applaudies. La Musique étoit du sieur Vivaldi, le plus
habile compositeur qui soit à Venise. Les ordres qu’on avoit donnez pour
cette Fête ont été si bien executez qu’il n’y a pas eu le moindre embarras, ni
le moindre désordre, de sorte que tout le monde en sortit également rempli
d’admiration & de satisfaction96. »
 
Le manuscrit autographe de la sérénade composée par Vivaldi en 1725
pour le mariage de Louis XV est conservé à Turin97. Le document semble
avoir perdu son frontispice et sa sinfonia introductive. On n’en connaît donc
pas le titre exact  ; elle est appelée tantôt du nom des deux personnages,
Gloria e Imeneo (la Gloire et Hyménée), tantôt par les mots commençant le
premier récitatif «  Dall’eccelsa mia reggia  ». La partition comprend une
partie de soprano (Himeneo), une partie d’alto (Gloria) accompagnées par
les cordes et la basse continue. Aucun livret n’a été retrouvé. Elle n’a pas
d’entracte. L’ensemble instrumental ne comporte que des cordes. En tout,
quatre arias pour le soprano, quatre pour l’alto et deux duos. Les deux
personnages promettent le meilleur au couple royal. Dans la première
strophe, Gloria chante un compliment à leur hôte (sous-entendu le comte de
Gergy) qui offre ces fêtes98. À son habitude, Vivaldi a repris dans cette
œuvre des arias puisées dans ses opéras  : La Virtù trionfante, Ercole su’l
Termodonte et La Silvia, ainsi que dans une autre sérénade « française », La
Senna festeggiante. « J’y ai fait tout de mon mieux, écrit Gergy au comte de
Merville, le 15 septembre 1725, quand les festivités sont terminées. C’est-à-
dire qu’il y a eu de tout ce qui peut contribuer à un certain air de
magnificence, fantaisie de vin, argent et pain jeté au peuple, feu d’artifice,
illumination d’un goust qui n’avoit jamais été pratiqué en ce pays,
rafraîchissements continuels donnés tout le monde, musique partout et enfin
une cantate de trois heures composée exprès et dont j’ose vous dire que la
composition a été trouvée des plus belles qui ait jamais été entendue.
J’espère Monsieur que ces réjouissances publiques auxquelles toute
l’Europe prit la part qu’elle doit serviront de promesse à la Naissance que je
feray alors99. »
Le retour de Pietro Ottoboni à Venise, juillet-décembre 1726

Après un exil de quatorze années, Pietro Ottoboni est réhabilité  ; il


revient à Venise et y passe plusieurs mois, logé au palais San Severo. On
fixe les dates de son séjour entre le 21 juillet et le 4 décembre 1726. Retour
triomphal qui suscite plusieurs fêtes en musique rapportées dans une
chronique locale, par un certain Antonio Benigna100.
Le soir du 18  août, on joue dans le palais où demeure le cardinal un
oratorio à cinq voix et une grande sinfonia. Le 25 août, le comte de Gergy
donne à son tour une fête au palais de l’ambassade de France, avec des
concerts et une sérénade. Le 2 septembre, un groupe de musiciens ont pris
place dans une barque face au palais et exécutent une pastorale à trois voix.
Le 13 septembre, les filles du chœur de la Pietà interprètent en son honneur
un «  divertissement en musique  »  ; puis, le 10  octobre, un oratorio.
Quelques autres informations échappent aux archives locales. Le
13 novembre 1726, Ottoboni aurait été reçu à la Pietà101. C’est peut-être à
cette occasion que la violoniste Anna Maria aurait joué le concerto RV 286,
dit « Pour la solennité de saint Laurent »… un hommage discret au cardinal
et à l’église romaine dont il est le protecteur. Dans un autre document, on
lit : « Vincenzo Casoni [Cassani] donna un divertissement scénique à cinq
voix chanté à l’Académie des Nobles dans le quartier des Santi Apostoli
pour le divertissement du cardinal Ottoboni102. »
Les nombreuses questions restent souvent sans réponses. Quelles sont les
œuvres musicales exécutées à Venise en la présence du cardinal Ottoboni et
quels en étaient les auteurs  ? Quelle musique fut jouée à l’ambassade de
France  ? Dans quelle mesure Vivaldi, dont le nom n’est jamais cité, a-t-il
participé à ces festivités ?
On pense que l’opéra de gala représenté à Venise pour fêter le cardinal
Pietro Ottoboni serait l’Imeneo in Atene ; un « componimento dramatico »,
donné au théâtre San Samuele. Nicola Porpora avait été nommé la même
année 1726 maître de chapelle de l’ospedale des Incurabili  ; il était donc
fraîchement arrivé de Naples sur la lagune. Pietro Ottoboni est encore à
Venise lorsque Vivaldi crée son « melodramma eroico pastorale » en trois
actes Dorilla in Tempe (RV 1709), représenté au Sant’Angelo le
9  novembre 1726. Le livret est signé par le Vénitien Antonio Maria
Lucchini, qui avait probablement déjà révisé le drame du Giustino, à Rome,
en 1724. L’atmosphère est celle de la pastorale et les relations dramatiques
avec le Giustino sont évidentes.
Trois autres sérénades pourraient avoir une liaison avec la France et avec
le cardinal Ottoboni  : La Sena festeggiante, le pastiche de l’Andromeda
liberata et « Mio povero cor ».

La Sena festeggiante, sérénade (RV 693)

On ne connaît ni la date de composition, ni l’événement, ni le lieu où La


Sena festeggiante (la Seine en fête), grandiose sérénade de Vivaldi, fut
exécutée. Le texte est de Domenico Lalli ; aucun livret n’a été retrouvé. La
partition est conservée dans le fonds « Foà », à Turin103.
La Seine, personnage principal de cette composition, accueille sur ses
rives la Vertu et l’Âge d’or qui viennent fêter le retour de la royauté. La
sinfonia introductive, en trois mouvements, est jouée par les flûtes et les
hautbois (deux ou plus par partie), les cordes et la basse continue. Elle est
écrite en deux parties. La sérénade s’ouvre par un chœur à trois parties
(SAB) : les nymphes sortent de l’onde, accompagnées par les flûtes et les
hautbois. Elles chantent la paix qui règne à nouveau sur les rives de la
Seine. L’aria «  Se qui pace  » célèbre la France comme un lieu de paix.
L’Âge d’or a erré longtemps avant de revenir à Paris (se réfère-t-on à la
Régence de Philippe d’Orléans, décédé en 1723, qui correspondrait à une
période d’errance ?). La Vertu chante « In queste onde » avec deux flûtes ;
outre la paix c’est aussi la vertu qui est revenue sur les rives de la Seine.
Les flûtes et les hautbois créent par leur sonorité un univers bucolique, plein
de charme et de douceur, qui convient au goût de cette période.
Majestueuse, la Seine souhaite la bienvenue à l’Âge d’or et à la Vertu  :
« Qui nel profondo », véritable aria de bravoure, propre à mettre en valeur
une belle voix de basse (allegro più ch’è possibile). L’Âge d’or et la Vertu
chantent un duo  : «  Godrem fra noi la pace  ». Dans l’ensemble, toute la
sérénade se développe dans un mouvement rapide, ne laissant pas de place à
l’ennui. La Seine rend hommage à « l’astre majeur qui est la lumière de la
Gaule ». Dans la seconde partie de la sérénade, l’aria chantée par la basse,
«  Pietà dolcezza fanno il tuo volto  », est écrite comme une ouverture
solennelle (largo), dans le style français. Par le rythme du ritornello initial
et par certaines harmonies particulières (tierces augmentées), l’aria de la
Vertu  : «  Stelle con vostra pace  », présente elle aussi des traits français.
Ainsi, ce n’est pas seulement par le texte, mais aussi par la musique que
cette sérénade rend hommage à la culture française.
Plusieurs éléments portés sur le manuscrit font penser que cette œuvre fut
peut-être conçue par Vivaldi pour une exécution sans sa présence : certains
termes sont écrits en français (pour des musiciens français ?) : (« Ouvertur »
« hautbois ») ; l’indication : « 2 hautbois o più se piace » portée au début du
premier chœur semble vouloir dire qu’il faut redoubler les flûtes, une
habitude française plus que vénitienne  ; dans la chaconne (reprise du
Giustino) une note précise que la partie de ténor est facultative : « Sarebbe
molto bene far cantare questo Tenore però non è necessario » (« ce serait
très bien de faire chanter ceci par le ténor mais ce n’est pas
indispensable ») : Vivaldi ne connaissait-il donc pas l’effectif instrumental
et vocal à disposition lors de l’exécution de cette pièce104 ? Cette sérénade
était-elle destinée à des musiciens et à un auditoire français ? Aurait-elle été
prévue pour Versailles ou pour Paris ?
Michael Talbot a suggéré que cette sérénade à trois voix aurait pu être
donnée les 4-5  novembre 1726, jour de l’entrée solennelle du comte de
Gergy au palais ducal105. La musicologue américaine Eleanor Selfridge-
Field a émis une autre hypothèse  : les ambassadeurs vénitiens Tiepolo et
Foscarini étaient arrivés à Paris le 4 juin 1722 pour participer aux festivités
du couronnement de Louis XV, qui devait avoir lieu à Reims le 25 octobre
1722. Ils firent leur entrée publique à Paris le 20  septembre, puis à
Versailles le 7 octobre. Cette sérénade aurait pu être exécutée en plein air, à
Paris, en septembre  ; par exemple, près de la Seine. Tiepolo et Foscarini
furent relevés par le nouvel ambassadeur Barbon Morosini, présenté au roi
le 9 décembre. Le duc d’Orléans décéda quelques jours plus tard, le 30 du
même mois106. Actuellement, aucun élément nouveau ne permet de
confirmer ces diverses propositions.

L’aria « Sovvente il sole », dans l’Andromeda liberata, sérénade pastiche


(RV Anh 117)
La bibliothèque du Conservatoire Benedetto Marcello à Venise conserve
le manuscrit d’une sérénade, Andromeda liberata, qui pourrait avoir été
exécutée en la présence du cardinal Ottoboni, lors de son séjour à Venise, en
1726107. Le document ne porte qu’une seule indication : « 18 7bre 1726 ».
La musique de la sérénade est transcrite sur le même papier que les quatre
concertos des Saisons, conservés à Manchester. Le texte (dont l’auteur est
inconnu) interprète librement la mythologie grecque racontant l’histoire du
mariage d’Andromède et de Persée. Le scénario se déroule dans une
atmosphère pastorale. La légende relate que, par châtiment des dieux, la
jeune Andromède fut attachée sur un rocher surplombant la mer, où elle
sera bientôt dévorée par un monstre marin. Mais Perseo intervient à temps
pour la délivrer ; il tombe amoureux de la jeune fille et veut l’épouser. C’est
à ce moment-là que le livret de la sérénade commence. Andromeda
repousse Perseo car elle est amoureuse du jeune Daliso. Toute l’intrigue se
fonde sur le chagrin de Perseo, déçu par ce refus de la bien-aimée à laquelle
il vient de sauver la vie. Enfin, Andromeda reconnaît l’héroïsme et la
constance de Perseo et l’épouse. Le chœur final glorifie la constance et la
sincérité qui mènent au bonheur.
La partition comporte cinq personnages  : Andromeda (S), Perseo (A),
Cassiope (S), Melise (A), et Daliso (T)  ; un chœur à quatre parties et, au
plan instrumental, un violon solo, un violoncelle solo, deux hautbois, deux
trompettes (deux cors ?), les cordes et la basse continue. Dans la Sinfonia,
des éléments du style français peuvent faire allusion au rapport entretenu
par Pietro Ottoboni avec la France, alors que le contrepoint rappelle le style
romain.
L’un des airs, «  Sovvente il sole  » (air de Perseo, seconde partie), est
identique à un manuscrit autographe de Vivaldi qui est conservé dans le
même fonds108. Il s’agit d’une aria très douce ; un dialogue entre la voix et
un long solo de violon. Andromeda qui est liée sur un rocher rappelle
beaucoup le même sort connu par Arianna dans Giustino (acte  II). Une
autre allusion aux goûts d’Ottoboni apparaît dans l’aria « Non ha tranquillo
il cor  », le vers « Se poi l’amato ben si fa incostante  » semble un discret
renvoi à l’aria «  Amato ben  » chantée à Rome dans l’Ercole su’l
Termodonte (III, 7) ; le même vers avait été inscrit, comme un « moto », sur
le concerto RV 761, dont un manuscrit est conservé à Manchester, dans la
collection musicale du cardinal Ottoboni.
Cette sérénade pastiche, qui contient des arias de Giovanni Porta (maître
de chapelle à la Pietà), de Tomaso Albinoni (un autre ami d’Ottoboni et de
Gergy), ainsi que l’aria de Vivaldi «  Sovvente il sole  », correspond-elle à
l’une des sérénades données à Venise pendant le séjour d’Ottoboni comme,
par exemple, la soirée à l’Académie des Nobles qui aurait eu lieu le 18 août
1726 (et cela malgré la date du 18  septembre portée sur le manuscrit)  ?
N’est-elle pas plutôt l’œuvre festive donnée à la Pietà ? L’instrumentation
assez fournie pourrait en effet le faire croire, car la Pietà disposait d’un
riche complexe instrumental, dont la Juditha triumphans, dix ans plus tôt,
avait donné témoignage.

« Mio povero cor », sérénade dédiée au marquis de Tourreil (RV 690)

« Mio povero cor » constitue pour les spécialistes de l’œuvre de Vivaldi


un autre point d’interrogation. Le manuscrit autographe de cette sérénade,
conservé à Turin109, porte une dédicace à «  Monsieur le Mar  : (Abbé
Amable) du Tou[r]reil ».
Le frontispice est ainsi formulé  : «  Serenata à 3/2 Canti, e Tenore/con
Istrom(en)ti, Corni dà Caccia, et Oboè/e Fagotto (ligne insérée)/Del
Vivaldi/Pour Monsieur le Mar (quis) du Toureil/Personaggi Eurilla, Nice,
et Alcino, pastori ».
L’œuvre est écrite pour trois voix (deux sopranos et un ténor),
accompagnées par deux hautbois, deux cors, un violon solo, les cordes et la
basse continue. Elle comprend deux parties qui se terminent par un chœur
vindicatif des trois solistes avec les cors, les hautbois et le reste de
l’ensemble instrumental : « Si punisca, si sbrani, s’uccide… ! » (Que l’on
punisse, que l’on mette en pièces, que l’on tue… !).
L’abbé du Tourreil avait fondé deux chaires de théologie à Toulouse.
Janséniste actif, il fut arrêté par l’Inquisition, emprisonné entre  1713
et 1716 au château Saint Ange, à Rome, puis peut-être à nouveau en 1719.
Il mourut à Rome d’une hydropisie de poitrine, deux mois seulement après
sa sortie de prison. Cette sérénade fut donc composée par Vivaldi
probablement vers 1719 110.
Le texte pourrait faire allusion aux vicissitudes connues par le Français
échoué dans les prisons romaines. Le berger Alcindo (ténor) serait une
allégorie de Tourreil  ; Eurilla la bergère et Nice sa confidente (deux
sopranos) pourraient être les allégories, l’une de l’Église et l’autre de
l’Inquisition. Le terme de « liberté » signifierait liberté de pensée. Entre les
lignes, on comprend que, malgré les apparences, les Jansénistes ne se
pliaient pas à l’autorité du pape. Dans l’aria « Se all’estivo ardor cocente »,
Eurilla fait allusion à une période difficile de Tourreil dans son pays natal.

« Questa Eurilla gentil » (RV 692), sérénade pour l’anniversaire de


Philipp de Hesse-Darmstadt

Le 31  juillet 1726, dix jours après que Pietro Ottoboni a fait son retour
triomphal à Venise, une sérénade à quatre voix de Vivaldi est exécutée dans
la résidence d’été de Philipp de Hesse-Darmstadt, La Favorita, située dans
les environs de Mantoue.
À cette époque de l’année, Philipp et sa famille sont en villégiature et le
gouverneur de Mantoue célèbre son anniversaire. S’il est loin de Mantoue,
peut-être même pas présent pour les deux opéras représentés en janvier et
février  1725 au Teatro Arciducale, Vivaldi n’en conserve pas moins son
titre de « maître de chapelle de chambre » du gouverneur. Il peut être à tout
moment sollicité pour la composition de pièces instrumentales, de cantates
et de sérénades destinées à fêter tel ou tel événement de la cour.
« Questa Eurilla gentil  » (Cette gentille Eurilla) (RV 692) est dédiée à
Philipp par ses enfants. Hélas, la musique en est perdue  ; on ne conserve
que le livret, sur lequel il est écrit  : «  La Musica è del Sig. D.  Antonio
Vivaldi… ».
Le style du texte, peut-être écrit par Vittore Vettori, un poète au service
de la cour, reste dans le goût de celui des cantates mises en musique par
Vivaldi pour Mantoue. La sérénade est organisée en deux parties et dix
numéros. Le personnage principal est Eurilla, fille d’Irène, arrivée sur un
radeau. Elle avait été élevée dans les bois, parmi les nymphes et les bergers.
L’œuvre baigne dans un univers arcadien, une nature allégorique où les
personnages réels se mêlent aux êtres qui vivent en plein air. Les interprètes
sont les membres de la famille Hesse-Darmstadt et leurs amis. Le rôle
d’Eurilla est interprété par la fille de Philipp, Teodora ; Elpino par Joseph,
le fils, prêtre malgré lui et futur évêque ; la comtesse Margherita Facipecora
Pavesi Furlani est Tirsi  ; la comtesse Maria Caterina Capilupi Biondi est
Fillide. Sous ces noms d’emprunt, se cachent peut-être diverses
personnalités de Mantoue qui se réunissent dans l’importante Accademia
dei Timidi (l’académie des Timides), peut-être aussi des allusions à la
guerre de Succession d’Espagne. Les personnes de la cour savent se
reconnaître. À la fin de la sérénade, tous ouvrent la fête : « Allons, et que
les premières notes festives que je lance vers ces rivages soient des accents
d’hommage à ce héros qui est applaudi par la généreuse et aimable
Arcadie.  » Enfin, Eurilla et Elpino chantent en duo la gloire du «  parent
aimé » (Al diletto genitor).

Un Te Deum (RV 622) et une sérénade, L’Unione della Pace e di Marte,


(RV 694) pour la naissance des jumelles royales, 1727

Ce ne fut pas un garçon qui naquit en août  1727, mais deux petites
princesses, deux jumelles  : Marie-Louise-Élisabeth et Anne-Henriette. Le
Vénitien Antonio Conti cherche à consoler son amie française, madame de
Caylus  : «  Les Dauphins succéderont aux Dauphines, écrit-il, il faut
l’espérer. En attendant je vous félicite de l’heureux accouchement de la
Reyne, mais il me semble que les gageures ont été bien éloignées du vray
terme. Je me souviens pas si Louis 13 a eu des filles. Je me souviens
seulement d’Henriette Reine d’Angleterre et d’une Duchesse de Savoye
fille d’Henri 4. Mais ni Louis 14 ni le Dauphin, ny le Duc de Bourgogne,
c’est-à-dire trois âges n’ont pas donnés de filles à la Maison de France. Je
ne sçais [pas] si vous les marirez à quelques fils du Nouvel Empereur, ou du
Prince [d’] des Asturies. Je vous ayderay dans le cas, car il nous est toujours
permis de nous promener en long et en large dans la piramide de Monsr
Leibnitz pour nous divertir. Les choses vont toujours leur train111. »
Le comte de Gergy ne cache pas sa déception. « Quoyque les désirs de Sa
Majté et les vœux de tout le Royaume ne soient pas aussi parfaitement
accompli qu’ils eussent été par la naissance d’un dauphin112 », écrit-il à la
cour, il n’en organisera pas moins une fête qui rendra dignement hommage
aux souverains français.
Lorsqu’une naissance se produit à la cour, l’ambassadeur en est informé
par une dépêche, qui arrive avec beaucoup de retard, plusieurs semaines, et
même plusieurs mois quand il s’agit d’un pays lointain. Celui-ci doit
aussitôt répercuter la nouvelle auprès du pays d’accueil, puis aviser les
autres diplomates étrangers séjournant sur le territoire. Puis il attend
l’autorisation et les ordres de la cour de France pour commencer à préparer
les festivités.
À Venise, les Français ont l’habitude de célébrer religieusement les
événements de la cour à l’église de la Madonna dell’Orto, dans le quartier
de Cannaregio (vaste édifice dont la façade gothique donne sur le campo du
même nom, proche de l’ambassade de France).
Les fêtes organisées par Gergy ont lieu le 19  septembre 1727 (gageons
que l’abbé Conti ne peut les avoir manquées  !)  : un Te Deum (RV 622)
chanté à la Madonna dell’Orto, et une nouvelle sérénade commandée à
Vivaldi, L’Unione della Pace e di Marte (RV 694) (L’union de la Paix et de
Mars).
En octobre  1727, les Français peuvent, comme d’habitude, lire le récit
dans le Mercure de France  : «  Le 19 [septembre] Le Comte de Gergi
Ambassadeur du Roi T[rès] Ch[étien] à Venise, fit chanter le Te Deum dans
l’église paroissiale de N.D. del Horto, qui étoit très magnifiquement ornée
et très ingénieusement illuminée, à l’occasion de la naissance des
Mesdames de France. Au milieu de l’église s’élevoit sur une charpente une
Tribune qui contenoit quatre-vingts Musiciens… Le Comte de Gergi arriva
à l’église au bruit d’une décharge de boëtes… Il fut salué par une seconde
décharge de boëtes en sortant de l’église pour retourner à son palais, à
l’entrée duquel deux fontaines de vin coulèrent pendant toute la fête. »
Vers vingt heures, les façades du palais de l’ambassade furent
illuminées  ; au fond du jardin, sur l’eau, on avait installé une tribune
flottante, soutenue par des barques réunies. Elle représentait, sous forme
d’amphithéâtre, le palais du soleil, selon la description qu’en fait Ovide. Au
centre du palais, sur douze colonnes de Corinthe, on voyait la statue
d’Apollon avec sa lyre et les armes de la France, posées sur la corniche. Au
sommet d’une pyramide, avaient été suspendus un soleil resplendissant,
ainsi que les signes du zodiaque avec, au centre, les jumelles royales. Enfin,
lit-on encore dans le Mercure, tous les invités purent entendre « un très beau
concert d’Instrumens qui dura près de deux heures, dont la musique ainsi
que celle du Te Deum étoit du fameux Vivaldi ».
La musique du Te Deum, si elle fut vraiment composée par Vivaldi,
comme l’indique le journal français, est perdue. De la sérénade, L’Unione
della Pace e di Marte, on ne conserve que le livret d’Antonio Grossatesta,
sur lequel il est noté : « La Musica è del Signor D. Antonio Vivaldi Maestro
di Cappella di Sua Altezza Serenissima il Signor Prencipe Filippo
Langravio d’Armstat  ». L’œuvre comprend trois personnages, Apollo,
Marte et Lucina  ; elle est en deux parties dont chacune se termine par un
chœur. Une aria sera reprise dans l’opéra Farnace (dans la version de
Venise, 1727), « Mi sento nel petto » (II, 2).
 
Lorsque la reine de France mettra enfin au monde le si attendu Dauphin,
deux ans plus tard, l’abbé Conti ne pourra partager sa joie avec son amie, la
comtesse de Caylus, décédée quelques mois plus tôt. Quant à Vivaldi, à
cette date, il a pris la route de la Bohême et ne pourra non plus fêter ce
grand évènement113. C’est à Tomaso Albinoni (un autre compositeur
proche de la famille Ottoboni, à Venise) que Gergy fera appel pour la
composition de la sérénade Il Concilio de’ Pianeti, Serenata a tre voci, qui
sera exécutée dans les jardins de l’ambassade de France, le 16  octobre
1729114.
Étrangement, le Mercure de France ne fournit aucune relation sur les
fêtes organisées à Venise par le comte Gergy en octobre  1729. Si nous
connaissons les détails des festivités données par l’ambassadeur de France,
c’est surtout par les divers courriers envoyés à la cour de France par
Rishofe, le secrétaire de l’ambassade, conservés dans les archives du
ministère des Affaires étrangères115.
Les festivités organisées à Rome pour la naissance du Dauphin par le
cardinal Pietro Ottoboni, protecteur des affaires de France auprès du Saint-
Siège et par le cardinal Melchior de Polignac, ministre du roi auprès du
pape Benoît  XIII, furent somptueuses. Le Mercure de France en rend
compte en décembre 1729116. Le pape « a fait dire au Cardinal Melchior de
Polignac qu’il y aura Chapelle Pontificale dans l’Église Nationale des
François le jour que ce Cardinal fera chanter le Te Deum pour commencer la
Fête qu’il doit donner à l’occasion de la Naissance du Dauphin  ». Le
13  novembre au soir, «  le Cardinal Ottoboni fit faire sur le Théâtre de la
Chancellerie une Répétition générale de l’Opéra qu’il a fait préparer pour
célébrer la naissance du Dauphin  ; S.  E. a fait inviter tous les
Cardinaux & toutes les autres personnes de considération qui sont à Rome à
la première représentation de cet Opéra  ». Ces fêtes furent immortalisées
par plusieurs tableaux dont la «  Préparation du feu d’artifice et de la
décoration de la place Navone, à Rome, le 30 novembre 1729, à l’occasion
de la naissance du Dauphin » qui fut commandé à Giovanni Paolo Pannini
par le cardinal de Polignac.
La présence du cardinal Pietro Ottoboni, entre Venise, Rome et Paris est
constante. Il fut une personnalité de poids pour la transmission de la culture
française à Rome et à Venise et, par ricochet, de la culture vénitienne à
Paris. Charles de Brosses, qui séjourne à Rome à la fin de 1739 et au début
de l’année 1740 (Pietro Ottoboni décédera le 29 février 1741), nous laisse
un autre témoignage de ce phénomène. Il écrit à M.  de Maleteste  : «  Les
Français ne peuvent pas mieux savoir ce que peut produire Artaxerxès au
théâtre que les Italiens sentir l’effet d’Armide. J’ai ouï chanter à Rome,
chez le cardinal Ottoboni, le second et le dernier acte de cet opéra français :
c’était ce qu’on pouvait choisir de mieux dans tout Lulli  : les nationaux
baillaient et nous levions les épaules. »

Les manuscrits de Vivaldi conservés à Paris

Quelles étaient les relations de Vivaldi avec les amateurs et les


collectionneurs de musique italienne en France ? Le Prêtre roux avait-il, en
France, des commanditaires, comme il en avait à Dresde et à Prague qui,
tantôt sur place, à Venise ou par des intermédiaires, lui achetaient des
concertos ou des sonates  ? Il existe plusieurs témoignages que des
manuscrits vénitiens furent importés sur le sol français : Charles de Brosses,
qui séjourne à Venise en été 1739, rencontre Vivaldi et lui achète des
concertos manuscrits pour qu’ils soient joués à Dijon. Antonio Conti envoie
souvent, par le moyen des courriers diplomatiques, à madame de Caylus à
Paris des airs extraits des opéras représentés à Venise, ainsi que des
cantates, pour que ces partitions soient chantées dans le salon de Pierre
Crozat. Où sont ces documents aujourd’hui ? En mars 1757, le Mercure de
France annonce la vente d’un «  cabinet de Musique Italienne  »  ; la liste
comprend plusieurs pièces de Vivaldi ; mais qui est cet amateur français de
musique italienne ?
Les quelques manuscrits de Vivaldi qui se trouvent à la Bibliothèque
nationale de France n’apportent que des preuves minces d’un intérêt
possible des Français du xviiie siècle envers l’œuvre du Prêtre roux. Le plus
souvent en effet, on ne connaît ni la date d’entrée de ces documents dans les
bibliothèques françaises, ni les noms des anciens possesseurs.
Est-ce à l’occasion de la visite d’Ottoboni à Venise que le comte de
Gergy aurait commandé à Vivaldi (pour l’offrir au cardinal) le recueil des
douze sonates qui se trouve à Manchester, transcrit peut-être de la main de
Giovanni Battista  ? Gergy aurait-il commandé aussi les douze concertos
pour cordes et basse continue conservés aujourd’hui au département de la
Musique de la Bibliothèque nationale de France, dans l’ancien fonds du
Conservatoire117  ? Ils sont transcrits sur un papier vénitien par le même
copiste que les sonates de Manchester… donc peut-être encore par
Giovanni Battista (ce qui montre les démembrements dont ces collections
furent victimes). Dix de ces Concertos ont des manuscrits correspondants
autographes à Turin118. En revanche, les Concertos RV 133 et RV 144 sont
des unica.
Le même mystère enveloppe les arias du troisième acte du Tito Manlio,
pastiche représenté à Rome, en 1720 (RV 739)119, ainsi que deux arias du
Giustino (RV 717) « No bel labbro men sdegnoso » (I, 11) et « La Cervetta
timidetta » (III, 7)120.
Le manuscrit des six sonates pour violoncelle de Vivaldi conservé à la
Bibliothèque nationale de France a déjà suscité des interrogations
multiples121. Le papier est d’origine vénitienne, contemporain ou antérieur
à l’édition parisienne de ces sonates, réalisée en 1740 par Le Clerc. On
suppose (sans preuve) que l’éditeur a utilisé ce manuscrit pour élaborer son
recueil imprimé à une période où cette forme commençait à devenir très en
vogue. En 1741, Michel Corrette publie une Méthode de violoncelle dans
laquelle il cite Vivaldi. Ce sont des sonates en quatre mouvements. D’après
leur style, on date ces sonates, des années  1720-1730, donc la période où
Vivaldi est en relation avec le comte de Gergy. On peut imaginer que
Vivaldi a écrit ces sonates pour un commanditaire privé, peut-être français.
En effet, bien que brillantes, ces pièces n’exigent pas de l’interprète une
grande technicité et peuvent plaire à un amateur.
La sonate pour violon de Vivaldi (RV 19) conservée à Paris est
autographe122 ; elle est dédiée à Pisendel. Elle semble appartenir au lot des
douze sonates pour violon se trouvant à Dresde. Sept d’entre elles furent
transcrites par Pisendel sur papier vénitien123  ; quatre autres sont des
manuscrits autographes de Vivaldi portant une dédicace à Pisendel124. La
sonate RV 19 qui, par les hasards de l’histoire, se trouve aujourd’hui à
Paris, date probablement des années 1716-1717125. Comment a-t-elle
échappé au groupe des quatre sonates autographes qui portent la même
dédicace à Pisendel et se trouvent à Dresde ?

Une influence française

Une autre question se pose concernant les relations de Vivaldi avec la


France  : le compositeur a-t-il, dans certaines œuvres, adopté des traits
stylistiques français pour plaire à ses commanditaires et s’adapter à un
auditoire francophone (ou francophile) ? Des traits français se lisent ici et
là, au plan musical, dans l’œuvre du Prêtre roux. Par exemple, dans
plusieurs opéras, des entrées solennelles de souverains, en rythmes pointés,
sur un rythme ternaire, «  à la française  »  ; dans l’Armida regina d’Egitto
(RV 699), représentée en 1718 à Venise, l’entrée de Califfo, voix de basse,
dans l’aria « So che combatte ancora » (I, 10), accompagnée par les cordes
et la basse continue. Dans les Concertos «  avec titre  » privilégiés par
Vivaldi dans les années 1720-1730 (puis abandonnés)  ; les titres qui
évoquent des sentiments comme Il Sospetto (RV 199), L’Inquietudine (RV
234), Il Riposo (RV 270), L’amoroso (RV 27) pourraient être considérés
comme des proches parents des quatre Livres de pièces pour clavecin
publiés par François Couperin entre 1713 et  1730126. Ces pièces auraient
pu être composées par Vivaldi pour plaire au très francophile cardinal Pietro
Ottoboni… Les quatre sonates pour deux violons avec basse ad libitum, ou
sans basse, conservées autographes à Turin, qui semblent avoir échappé à
une série organisée (certaines portent des numéros)127, sans doute écrites
vers 1730, sont dites par Vivaldi « da camera » (de chambre), relèvent d’un
genre commun en France. Il existe des compositions pour deux flûtes
traversières sans basse chez Joseph Bodin de Boismortier (1724-1725) et
chez Michel Corrette (1727)  ; des sonates pour deux violons sans basse
chez Jean-Marie Leclair (Opus 3, 1730), dont les parties de violon,
exigeantes, sont destinées à des professionnels plus qu’à des amateurs. Ces
sonates auraient-elles pu être composées par Vivaldi sur la demande d’un
client français  ? Ces pièces auraient-elles été écrites par Vivaldi pour être
jouées avec son père durant son voyage en Bohême, en 1729-1730128 ? Les
«  concerti da camera  » (concertos de chambre) pourraient eux aussi
démontrer une influence française sur Vivaldi, surtout par leur organisation
instrumentale. Cette forme, rare en Italie, était en revanche commune en
France, une fois encore chez Joseph Bodin de Bosmortier, dans des œuvres
publiées entre 1727 et 1730, tels les concertos pour cinq flûtes traversières
ou autres instruments.

Le Printemps en France : la genèse d’un succès

Les œuvres instrumentales de Vivaldi ont commencé à être jouées en


France dans les concerts privés, probablement à partir de 1710 environ. Les
concerts les plus connus à Paris, ceux où l’on entend de la musique
italienne, n’ont laissé aucun programme ou document retraçant leurs
activités : les concerts italiens de l’abbé Mathieu, curé de Saint-André-des-
Arts, où l’on joue pour la première fois les sonates en trio de Corelli, les
soirées musicales organisées par Pierre Crozat, que fréquentent les
Vénitiens, Rosalba Carriera et Antonio Conti  ; puis, dans la foulée, les
soirées musicales organisées par madame de Prie. Les inventaires après
décès et les catalogues de vente des bibliothèques de ces personnalités font
souvent mention de musique, mais sans liste détaillée. La vie musicale de
province est plus obscure encore ; mais certains programmes ou catalogues
de bibliothèques dans des villes comme Lyon et Lille font apparaître la
mention de Vivaldi à partir de 1710-1715.
Dans ses lettres envoyées en France à la comtesse de Caylus, l’érudit
vénitien Antonio Conti évoque, à plusieurs reprises, les activités d’Antonio
Vivaldi à Venise et ses déplacements (notamment son voyage à Trieste, en
septembre  1728)  ; il semble un nom connu de la comtesse129. Nous
sommes entre 1727 et 1729 ; ce sont précisément les années où le comte de
Gergy passe des commandes à Vivaldi.

Les violonistes de la cour de Turin au Concert spirituel

Le Concert spirituel, fondé par Anne Danican Philidor en 1725, a lieu au


palais des Tuileries, dans la salle dite des Cent-Suisses, quand les spectacles
officiels (Opéra, Comédie-Française, Comédie-Italienne) sont fermés lors
des fêtes religieuses, et en particulier pendant la période qui entoure Pâques.
Voué en principe à la musique vocale sur paroles latines, il s’ouvre assez
vite à la musique instrumentale, et devient un important moyen de diffusion
de la musique italienne en France.
 
Jean-Pierre Guignon (un élève de Giovanni Battista Somis) est l’un des
premiers violonistes à jouer l’œuvre de Vivaldi en France. Le Mercure de
France fournit des commentaires sur ces concerts où Guignon exécute le
concerto du Printemps, les 4 et 5 avril 1728, le 21 février 1729, en 1736 et
en 1749. C’est encore le chroniqueur du Mercure de France qui relate, à la
date du 30 novembre 1730, que, cinq jours plus tôt, le roi avait demandé au
violoniste Jean-Pierre Guignon de lui interpréter le Printemps de Vivaldi
lors d’un concert au salon de musique de Versailles  : «  Les Musiciens du
Roi ne se (trouvant) pas ordinairement à ce Concert, précise-t-il, le Prince
de Dombes, le Comte d’Eu,  &  plusieurs autres Seigneurs de la Cour
voulurent bien accompagner le Sieur Guignon, pour ne pas priver S.M.
d’entendre cette belle piece de simphonie qui fut parfaitement bien
exécutée. »
Les violonistes de l’école italienne (et surtout piémontaise) jouent un rôle
important pour la diffusion des concertos de Vivaldi en France. Après
Guignon, Joseph Canavas joue le Printemps, en 1753 et 1759. On lit dans le
Mercure que Canavas a joué le Printemps avec «  toute la
délicatesse  &  l’impression dont ce morceau de Peinture est susceptible  ».
Œuvre de prédilection aussi pour les élèves frais émoulus de l’école de
violon de Padoue fondée par Giuseppe Tartini  : André-Noël Pagin (1749,
1750) et Domenico Ferrare (1754). Désormais, le Printemps fait partie du
répertoire des violonistes de l’école française, Pierre Gaviniès joue cette
œuvre en 1741 à l’âge de treize ans, Pierre Vachon en 1758. Puis entre en
scène, tout en concluant cette série prestigieuse, la génération des élèves de
Gaviniès, Nicolas Capron (1762) et Simon Leduc (1763).

Charles-Nicolas Le Clerc, dit le Cadet, éditeur de musique

La diffusion éditoriale de Vivaldi en France est tardive par rapport à la


Hollande. À partir de 1736, le violoniste et éditeur Charles-Nicolas Le
Clerc mène une action importante pour la promotion de la musique
instrumentale italienne, saisissant le vent d’une mode qui soufflait déjà
depuis plusieurs années parmi les professionnels et les amateurs qui
devaient se procurer leurs partitions en Hollande ou les recopier à la main.
Probablement sans autorisation aucune, Le Clerc fait graver successivement
les Opus 3, 8 et 1 de Vivaldi entre  1736 et  1740, avec des rééditions
successives dans les années  1740 et  1750. En 1740, Le Clerc publie, le
premier semble-t-il, le recueil des six sonates pour violoncelle et basse, sans
doute à partir du manuscrit conservé à Paris, et non sans quelques
manipulations130. Entre 1742 et 1751, paraît L’Élite des concertos italiens
[…], chez Me Boivin et Me Le Clerc. La première pièce de cet ouvrage
collectif est le concerto pour violon, cordes et basse continue RV 364a. Le
seul manuscrit connu de cette pièce est conservé à Dresde131  ; ce qui
montre que des manuscrits musicaux de Vivaldi circulaient en France, et
qu’ils ont aujourd’hui disparu.

Nicolas Chédeville : Il Pastor fido et Les Saisons amusantes

La France est le pays qui réalise sans doute le plus de manipulations et


d’éditions frauduleuses des œuvres instrumentales de Vivaldi. L’un des
principaux imposteurs, auquel le compositeur aurait sûrement fait procès
s’il avait été informé des plagiats dont il était l’objet, a pour nom Nicolas
Chédeville. Joueur de musette, hautboïste, luthier et compositeur, membre
d’une famille de musiciens protagonistes de la musette, il publie en 1737 un
recueil de sonates pour la musette, la vielle à roue, la flûte et le hautbois de
sa composition qu’il fait passer pour un prétendu « Opus 13 » de Vivaldi et
intitule Il Pastor fido (le berger fidèle) et où figurent des fragments de
concertos de Vivaldi : le second mouvement des Opus 7 (n° 2, RV 188) et
Opus 6 (n° 2, RV 259) et le quatrième mouvement de l’Opus 4 (n° 6, RV
316a)132.
La même année, il confectionne un nouveau pastiche, arrangeant,
toujours pour la musette, les sonates de l’Opus 4 du compositeur de Vérone
Evaristo Felice Dall’Abaco.
Deux ans plus tard, le 7 août 1739, Chédeville demande un privilège pour
l’édition et la publication de plusieurs ouvrages « intitulés le Printemps de
Vivaldy, Concerto et autres concerto et sonates choisies de tous les autres
auteurs italiens  » qu’il arrange lui-même «  sur la Musette, Vièle ou flutte
avec accompagnement de violons et de basse  ». Paraissent dans la foulée,
dans un non moins savant amalgame, les célèbres Saisons extraites de
l’Opus 8 de Vivaldi, sous ce titre séduisant, à la française  : «  Le
Printems/ou/les saisons/amusantes concertos/Dantonio Vivaldy/Mis pour
les Musettes et Vielles/avec accompagnement de Violon/Fluste et Basse
continue/Par Mr Chedeville le Cadet/Hautbois De la Chambre du Roy/et
Musette ordinaire De l’Académie Royalle/De Musique/Opera Ottava/… À
Paris/Chez… Chédeville… Madame Boivin… Le Sr Le Clerc…  ».
«  Lorsque j’ay entrepris d’adapter les grandes compositions d’Antonio
Vivaldi au ton champêtre (de la musette), écrit Chédeville dans sa préface,
j’étois sûr de l’estime du Public pour les excellens materiaux que j’ay mis
en œuvre  », ce qui montre bien que Vivaldi était un nom connu, un
compositeur estimé.
Dans « Le Printems ou les saisons amusantes », seuls La Primavera et Il
Piacere gardent la structure originale. Les autres pièces résultent d’un
savant découpage et collage. Chédeville élimine ce qui n’a pas un ton
vraiment champêtre et s’adapte mal à la musette : les mouvements extrêmes
de l’Hiver, le mouvement lent de l’Automne133. Même s’il y a des
éléments italiens (bariolages, notes rebattues, noms italiens des
mouvements, insertions de fragments plus ou moins longs de Vivaldi), le
recueil revêt dans l’ensemble surtout une couleur française (forme du
rondeau, ornementation française, notes inégales…)134.
Le 17 septembre 1749, Jean-Noël Marchand, un musicien de l’Académie
royale de musique, dénonce la supercherie  : lorsque, le 21  mars 1737, il
avait obtenu un privilège pour publier plusieurs pièces de musique italienne
et les soi-disant Opus 13 et 14 de Vivaldi, il n’avait fait que servir de prête-
nom à son cousin, Nicolas Chédeville, qui cherchait sans doute à donner ses
lettres de noblesse à son instrument, la musette, en plaçant ces œuvres sous
le nom de Vivaldi. Dès lors, il devenait évident que l’Opus 13 de Vivaldi
n’avait jamais existé. Les sonates cataloguées par Peter Ryom de RV 54 à
RV 59 pouvaient être chassées du corpus des œuvres connues de Vivaldi et
être reléguées dans les «  Anhang  » (RV Anh 95, 1-6), avec les autres
œuvres abusivement attribuées au Prêtre roux.
Nicolas Chédeville eut sans doute peu de succès dans son entreprise,
aussi il abandonna son projet de publier « l’Opus 14 » de Vivaldi, ainsi que
les autres pièces de Valentini et d’Albinoni pour lesquelles le privilège avait
été demandé.
À la lecture des diverses chroniques et commentaires de l’époque, on se
rend compte que la musique de Vivaldi, et la musique italienne en général,
paraît difficile à exécuter par les Français. À l’exception de quelques-unes
de ses pièces descriptives qui plaisent particulièrement au goût du pays (le
Printemps, la Notte et la Tempesta di mare), ce genre de musique, en raison
même de sa difficulté, paraît peu expressive et ne plaît guère135. Cela ne
nous rappelle-t-il pas l’étonnement et la consternation éprouvés par
l’Allemand Johann Friedrich von Uffenbach lorsqu’il entendit jouer Vivaldi
à Venise, au théâtre Sant’Angelo, lors du carnaval 1715 ?

Autres adaptations françaises

Lorsque, la veille de Noël 1763, le violoniste Nicolas Capron reprit le


Printemps, le chroniqueur du Mercure de France remarqua que l’exécution
remporta beaucoup de succès et fut agréable  ; «  ce qui devroit être une
leçon pour tous les grands Talens en instrumens, qui manquent presque
toujours l’avantage d’être agréable aux Auditeurs, à force de vouloir
étonner un très petit nombre en état de tenir compte de difficultés dont tous
les autres ne sentent pas le mérite. » C’était la dernière année où le public
du Concert spirituel put entendre le célèbre Printemps…
Et, comme en France on ne connaît rien de la musique sacrée de Vivaldi,
en 1765, Michel Corrette, organiste, théoricien et compositeur, remédie à
cette lacune en transcrivant le Printemps pour motet à grand chœur sur les
paroles du psaume 148, Laudate Dominum de coelis, imaginant ainsi ce que
pourrait être une œuvre sacrée conçue par le compositeur vénitien.
Lorsque, en 1779, paraît la transcription du Printemps réalisée par Jean-
Jacques Rousseau pour la seule flûte traversière, Vivaldi est déjà un
compositeur oublié et le philosophe est décédé depuis le 2  juin 1778. Un
critique musical fait cette observation : « Peu de Pièces en musique eurent
autant de succès que celle-ci, lorsque, dégoûtés du style simple et sévère de
Corelli, les Symphonistes cherchèrent plus à étonner qu’à émouvoir.
Aujourd’hui ce Printemps paraîtra dénué de fleurs, un beau génie a tenté en
vain de ranimer l’éclat de celles que le tems n’a pas encoure tout à fait
flétries. » En 1782, Michel Corrette extraira encore quelques fragments des
Saisons de Vivaldi qu’il présente comme modèles et comme exercices aux
musiciens dans son traité L’Art de se perfectionner dans le violon.
À l’extrême fin du xviiie  siècle, le violoniste avignonnais Jean-Baptiste
Cartier publie dans sa méthode intitulée L’Art du Violon (1798) la sonate
RV 72 (Opus 5, n°  18), originellement écrite pour deux violons et basse
continue, ici transcrite pour un violon et la basse. À cette date, une longue
nuit a déjà commencé à s’installer sur l’œuvre du Prêtre roux136.

24

 Une saison de carnaval et de nouveaux opéras

 (1725-1726)

La première quinzaine de décembre 1725, Vivaldi fait son retour


sur la scène du Sant’Angelo. Il y effectuera un long parcours : trois
saisons de carnaval, huit séries de représentations, dans lesquelles il
sera impliqué, comme compositeur et comme imprésario, à des
niveaux plus ou moins importants.
En février 1726, alors que le carnaval n’est pas encore terminé,
arrive à Venise Johann Joachim Quantz. Le célèbre flûtiste et
théoricien allemand appartient à la chapelle musicale de Dresde, où
il est un ami et un confrère du violoniste Johann Georg Pisendel.
Au début de l’été, c’est le cardinal Pietro Ottoboni qui fait son
retour triomphal dans la Sérénissime. Puis, en décembre, la jeune
Anna Girò apparaît pour la première fois sur la scène du
Sant’Angelo. Elle n’interprète d’abord qu’un personnage
secondaire, une nymphe sans épaisseur. Mais, dès les
représentations suivantes, Anna polarise l’attention de l’auditoire.
De cette jeune femme fluette, peu jolie et à la voix faible,
dépendront tous les opéras futurs du maître, le choix des livrets, des
héroïnes, ses relations avec les imprésarios et les directeurs de
théâtres, ses engagements dans les villes de la péninsule, ainsi qu’à
l’étranger. Dès lors, Antonio Vivaldi n’ira plus sans Anna Girò, et
l’opéra deviendra sa presque unique obsession.
D’abord, il s’agit d’un retour prudent dans le petit théâtre vénitien
dont la façade regarde le Grand Canal. Durant la saison d’hiver
1725-1726, le Prêtre roux participe à trois opéras qui sont en réalité
des pastiches, où il est peu impliqué ; il n’en reste presque rien au
plan musical137.

L’innganno trionfante in amore, Venise, décembre 1725 (RV 721)

L’action de L’Inganno trionfante in amore (La tromperie triomphant en


amour) (RV 721)138 se situe au troisième siècle avant l’ère chrétienne. Le
personnage principal est inspiré d’Antiochus II, qui avait répudié sa femme
et s’était marié avec la princesse égyptienne Berenice. Furieuse d’avoir été
évincée, l’épouse légitime avait assassiné Antiochus et Berenice et placé
son fils sur le trône. La dédicace, signée par Antonio Biscione (peut-être
l’imprésario de la saison), est adressée à Stefano Pallavicino, librettiste, fils
du compositeur Carlo Pallavicino  ; Stefano avait été poète à la cour de
Düsseldorf, puis à Dresde. Les catalogues vénitiens attribuent cet opéra à
Vivaldi, toutefois son nom ne figure pas sur le livret. Il est dit aussi que
l’ancien livret de Matteo Noris datant de 1695 avait été modifié. D’après le
texte imprimé, pas un seul air ne provient d’un opéra précédent de Vivaldi,
ce qui est pour le moins inhabituel, si la partition est vraiment de lui. Une
poignée d’arias migreront néanmoins dans deux représentations données à
Prague, au théâtre Sporck, l’Alvilda regina de’ Goti (1731), puis la Doriclea
(1732). Cet opéra pastiche ne connut que quelques représentations, juste
avant la période de l’Avent, où tous les théâtres doivent garder leurs portes
fermées jusqu’à l’ouverture de la saison hivernale, le 26 décembre.
Les deux drames représentés en janvier et février 1726 avaient été l’un et
l’autre mis en musique quelque vingt ans plus tôt par Francesco Gasparini
pour le théâtre San Cassiano. Les livrets sont donc connus du public.

La Cunegonda, pastiche, Venise, janvier 1726 (RV 707)139

Le livret de la Cunegonda est une révision de La Principessa fedele (La


princesse fidèle) d’Agostino Piovene. Lors de sa création, ce drame se
référait probablement à Therese Kunigunde, l’épouse de l’Électeur de
Bavière, qui vivait exilée à Venise. Le scénario raconte que Ridolfo, le
fiancé de Cunegonda, princesse héréditaire de Bohême, avait entrepris un
voyage en Terre sainte où il avait été fait prisonnier et réduit en esclavage
par le sultan d’Égypte. Afin de délivrer son mari, Cunegonda s’était
embarquée pour l’Afrique accompagnée d’une petite suite. Le navire fut
surpris par la tempête, et fit naufrage. Cunegonda à son tour fut séquestrée
puis transformée en esclave. Amenée devant le sultan, elle le séduit par la
musique et par son chant. Finalement elle réussit à fuir avec son bien-aimé.
Cette histoire romanesque plonge ses racines dans le Bajazet de Racine et le
Teuzzone d’Apostolo Zeno. L’évasion du harem fait aussi penser à la future
comédie mêlée d’ariettes La Rencontre imprévue de Gluck, ainsi qu’au plus
connu Enlèvement au Sérail de Mozart.
Aucun nom de compositeur (ni de scénographe) n’est signalé ; il est dit
seulement que certains textes d’arias ont été intégrés au livret afin de
satisfaire les demandes des chanteurs. On peut dire qu’il s’agit d’un collage
d’arias d’Albinoni, d’Antonio Pollarolo, de Leonardo Vinci, de Nicola
Porpora et de Johann Adolf Hasse. Une poignée d’arias seulement sont de
Vivaldi  ; certaines seront reprises dans des œuvres ultérieures (Dorilla,
Ginevra, Griselda, Catone…).
La critique est enthousiaste : « Mardi dernier en soirée, lit-on à la date du
26 février dans un journal local, on a représenté au théâtre Sant’Angelo le
troisième drame intitulé Cunegonda qui a remporté un succès
extraordinaire140. »

La Fede tradita e vendicata, Venise, février 1726 (RV 712)141

Le spectacle est représenté à la fin du carnaval, après le 16  février. Le


livret de La Fede tradita e vendicata (La foi trahie et vengée) est dédié par
Antonio Biscione au Feld-Maréchal comte Jean Mathias von der
Schulenburg, un conseiller de l’empereur, qui avait conduit la flotte de la
Sérénissime à la victoire de Corfou. Depuis lors, Schulenburg, personnage
haut en couleurs, vivait à Venise, s’adonnant aux arts et aux plaisirs de la
vie. Cette fois, Vivaldi est cité comme compositeur de l’opéra et apparaît
avec son titre de maître de chapelle de la cour de Mantoue. Cependant, il
s’agit encore d’une œuvre pastiche où il n’a qu’une participation réduite.
Le drame se situe en Norvège où Ricimero conquiert la capitale, puis
incendie le palais. L’héroïne Ernelinda tente de défendre en même temps
son père et son bien-aimé. De Vivaldi, on ne connaît qu’une seule aria,
« Sin nel placido soggiorno », conservée au sein d’un recueil manuscrit142.
Ernelinda y confesse que sa pensée suivra l’âme de son bien-aimé aux
Champs-Élysées. Elle est accompagnée par deux flûtes à bec, les violons,
les altos, et le violoncelle solo, créant l’atmosphère d’outre-tombe évoquée
dans le texte. Le livret de Francesco Silvani avait remporté un grand succès
lorsqu’il fut représenté la première fois au San Cassiano en 1704 avec la
musique de Francesco Gasparini. Vingt-deux ans plus tard, le public est
toujours aussi enthousiaste, comme le relate un chroniqueur : « Samedi soir
de la (semaine) passée, on a représenté au théâtre Sant’Angelo le quatrième
drame en musique intitulé La Fede Tradita, e Vendicata, qui remporta un
succès universel143. »
Johann Joachim Quantz à Venise, février-mai 1726

Le flûtiste Johann Joachim Quantz arrive en février à Venise ; il passera


trois mois sur la lagune. Dans son autobiographie publiée posthume en
1755, moins enthousiaste que le public local, il exprime un jugement assez
sévère sur les opéras vus au Sant’Angelo et dont (sans doute par erreur), il
attribue la composition à Antonio Vivaldi : « Vivaldi a mis en musique les
opéras du théâtre Sant’Angelo et lui-même dirigeait l’orchestre. Les acteurs
étaient médiocres… En ce qui concerne les instrumentistes, à part Vivaldi et
Madonis comme violonistes, et San Martino de Milan comme hautboïste, je
n’ai rien trouvé d’extraordinaire à Venise ».
Le violoniste et compositeur Luigi Madonis dont parle ici Quantz, né à
Venise, était peut-être un élève de Vivaldi. Il jouait dans l’orchestre de
Saint-Marc et dans celui du théâtre Sant’Angelo. En  1729 et  1730 on
l’entendra à Paris, au Concert spirituel. À Paris, il travaillera au service de
l’ambassadeur vénitien et publiera un recueil de douze sonates pour violon.
Après un retour à Venise et un séjour à Breslau, dans la troupe d’Antonio
Peruzzi, Madonis prend la route de la Russie. Quant au hautboïste «  San
Martino  » qui jouait au Sant’Angelo cette saison-là, il ne peut s’agir que
d’un membre de la famille des Sammartini, célèbres hautboïstes, l’un des
fils peut-être du Français Alexis Saint-Martin ; un frère de Giuseppe et de
Giovanni Battista Sammartini.
Quantz paraît plus satisfait lorsqu’il se souvient des filles du chœur de la
Pietà  : «  On peut entendre la meilleure musique sacrée dans les ospedali,
note-t-il, et parmi eux le meilleur était alors la Pietà  ; en faisaient partie
Apollonia, une chanteuse d’une grande voix et une autre qui jouait très bien
du violon… »
On ne sait si, à l’occasion de ce séjour à Venise, Quantz a rencontré
Vivaldi  ; il n’y fait aucune référence. Mais il est sûr qu’il connaissait ses
œuvres depuis une dizaine d’années ; aux côtés de Pisendel, de Zelenka et
de Heinchen, il avait transcrit plusieurs pièces instrumentales pour
l’orchestre de Dresde. On reconnaît son écriture dans près d’une vingtaine
de manuscrits de Vivaldi conservés à la Sächsische Landesbilbiothek, tel le
concerto RV 571, dont on a suggéré qu’il aurait été joué par Pisendel, à
Venise, au théâtre Sant’Angelo, en présence du prince de Saxe144.
Reprises et commandes

Au carnaval de 1726, à Ravenne, au Teatro dell’Industria, on reprend


l’Armida al campo d’Egitto à partir de la version qui avait été donnée à
Mantoue (avril 1718). La musique est attribuée à « Sig. D. Antonio Vivaldi,
avec des ajouts de Sig. Antonio Monteventi bolonais145 ».
Pendant ces années 1725-1729 qui précèdent son départ en Bohême,
Vivaldi est essentiellement fixé à Venise et, comme autrefois, il travaille sur
un double front : au Sant’Angelo et à la Pietà, où il est tenu par contrat de
composer deux concertos par mois et de faire répéter les filles du chœur. Il
n’en continue pas moins à fournir des concertos à ses clients étrangers. Tout
juste après la parution de l’Opus 8, en février  1726, le comte Wenzel von
Morzin envoie à Vivaldi la somme de 333  florins et 48 Kreuzer, pour
plusieurs œuvres146.
Au début du mois de juillet, parvient encore à l’adresse de Vivaldi une
lettre de commande adressée cette fois par le marquis Luca Casimiro degli
Albizzi, imprésario du théâtre la Pergola. Pendant l’été, parallèlement à ses
obligations vénitiennes, le compositeur commence à jeter les ponts pour la,
représentation d’un prochain opéra, l’Ipermestra, qui sera donné à Florence
l’hiver suivant.

« Directeur des opéras » au théâtre Sant’Angelo

Malgré la commande que vient de lui passer l’imprésario du théâtre de la


Pergola pour la prochaine saison du carnaval 1727, Vivaldi s’impliquera
presque totalement dans l’organisation artistique et financière du
Sant’Angelo147, même s’il partage certaines responsabilités avec
«  l’imprésario  » Antonio Balletti dont on trouve la signature aux côtés de
celle de Vivaldi au bas des contrats. Situation pour lui idéale : il peut choisir
ses collaborateurs et s’oriente vers les librettistes qu’il connaît déjà  :
Giovanni Palazzi (auteur de l’Armida en 1718, de La Verità en 1720) et le
Vénitien Antonio Maria Lucchini (auteur du Tieteberga, donné au San
Moisè, en 1717)  ; c’est Lucchini qui, en 1724, avait probablement
retravaillé le livret vénitien du Giustino pour l’adapter au goût romain. En
tant que directeur musical de la saison, Vivaldi peut aussi former la
compagnie de chanteurs qui lui convient. C’est l’occasion pour lui de
recruter pour la première fois la très jeune Anna Girò. Il engage aussi la
contralto Maria Maddalena Pieri, une virtuose du duc de Modène,
spécialisée dans les rôles masculins. La Pieri est la maîtresse du marquis
Luca Casimiro Albizzi. Pendant des années, elle servira de monnaie entre
Albizzi et Vivaldi, entre Florence et Venise  : Vivaldi engage la Pieri à
condition qu’Albizzi prenne Anna Girò à Florence148 !
Dans les Archives de Venise, se trouve l’un des rares contrats qui
témoignent des activités de Vivaldi en tant qu’imprésario. Daté du
13  octobre 1726, signé par Vivaldi, il concerne l’engagement de la
cantatrice Lucrezi Baldini pour le prochain opéra, Farnace :
Ce 13 octobre 1726 à Venise

Par ce document privé qui vaut obligation au même titre que s’il avait
été présenté devant le notaire public de cette ville, il est convenu par il
Sig. Don Antonio Vivaldi, directeur des opéras, qui seront représentés au
théâtre Sant’Angelo, de commun accord avec La Sig.a Lucrezia Baldini
qui devra interpréter un personnage féminin dans le troisième et dernier
opéra qui sera donné au carnaval de l’année 1727 ; comme reconnaissance
et honoraire de la susnommée Sig.ra Lucrezia, on promet de façon ferme de
lui octroyer deux cents ducats, de 6,4 lire par ducat, avec l’obligation de
lui remettre un tiers de la somme convenue avant qu’elle n’entre en scène
pour sa première représentation  ; le second tiers au milieu des
représentations, et le reste le Jeudi Gras. En contrepartie, la dite Sig.ra
Lucrezia Baldini s’engage à être présente à toutes les répétitions, et à tout
ce qui concernera la représentation de cet opéra. Pour servir de caution
aux deux parties, il lui sera remis une copie de ce document, qui devra être
signé par les deux parties.
Sur ma foi, je soussigné Antonio Vivaldi certifie ce qui précède149.

Dorilla in Tempe, Venise, novembre 1726 (RV 709)

La première représentation de la Dorilla in Tempe est donnée en


automne, le 9  novembre 1726150. Ce sera la première apparition connue
d’Anna Girò dans un opéra de Vivaldi. Pietro Ottoboni étant présent à
Venise, il peut avoir assisté à ce spectacle. Plusieurs éléments semblent
même faire allusion au séjour récent de Vivaldi à Rome.
Le livret d’Antonio Maria Lucchini est dédié au comte San Bonifacio
(sur une feuille volante, qui ne figure pas dans tous les exemplaires
connus). Le drame « héroïco-pastoral » est situé à Tempe, en Thessalie. Les
décors sont d’Antonio Mauro, un scénographe (et une famille de
décorateurs de théâtre) familier au compositeur : Mauro avait travaillé pour
l’Orlando furioso en 1713 et il réalisera les scénographies du Farnace. Les
décors jouent un rôle important dans cet opéra qui se déroule dans un
univers de fiction habité par les nymphes, les bergers et les demi-dieux, où
la nature omniprésente se métamorphose par le jeu des illuminations et où
la magie et la féerie s’associent aux chants et aux danses de bergers et de
nymphes. Les ballets sont de Giovanni Gallo, dit aussi Galletto (gallo
signifie coq, et galletto, petit coq).
 
Le rideau se lève sur la vallée de Tempe, où nymphes et bergers célèbrent
l’arrivée du printemps. La scénographie représente une « Vue agréable sur
des collines et une campagne florissante  ». L’occasion est trop belle pour
Vivaldi ! Après la Sinfonia d’ouverture exécutée par les cordes, l’orchestre
joue le thème du «  Printemps  », tout comme dans le Giustino romain
(lorsque le berger Giustino s’endort sur le labour et voit apparaître la
Fortune sur sa roue)  ; c’est un chœur à quatre voix avec des insertions
solistes («  Dell’aura al sussurar  »). Puis deux nymphes chantent à
l’unisson accompagnées par les cordes « Senti quel usignuolo  ». Après le
retour du chœur («  E in noi di Primavera d’amor lieta  ») qui chante
l’arrivée du printemps  ; deux bergers interviennent accompagnés par les
flûtes  : «  Ride il colle e ride il Prato  ». Le chœur conclut cette séance
introductive  : «  Quest’è la bella stagion  ». Les concertos des Quatre
Saisons, qui ont paru en Hollande quelques mois plus tôt, sont présents à
l’esprit de tous. Vivaldi désormais en fait sa marque de fabrique. C’est une
ouverture festive, où l’aspect visuel (décors, danses, costumes) a une part
importante. Nous sommes dans le monde galant et mondain des sérénades
sur fond mythologique et arcadien conçues pour l’ambassade de France et
la cour de Mantoue ; des œuvres de commande qui valent davantage pour la
décoration que la musique apporte à une soirée mondaine que par une trame
dramatique sur laquelle personne n’aurait envie de se concentrer.
Place maintenant aux personnages historiques  ! Dorilla (Angela
Capuano, romaine, contralto), la fille du roi de Thessalie Admeto (Lorenzo
Moretti, ténor), est amoureuse du berger Elmiro (Maria Maddalena Pieri,
contralto). Le roi annonce que le dragon Python approche et va tuer tout le
monde.
«  Un endroit réservé à l’Oracle de Tempe  ». L’autel est entouré de
statues, d’arbustes et de lauriers (plante symbole d’Apollon, couronnant les
poètes et les vainqueurs). Le roi interroge l’oracle, accompagné par des
chœurs et des prières. Dès qu’Admeto allume la flamme, les arbres se
transforment en cyprès (plantes au feuillage toujours vert symbolisant
l’éternité) et les feuilles deviennent rouge sang. Des lettres transparentes
apparaissent dans les branchages informant que la condamnation ne sera
pas mise à exécution, à la condition que Dorilla soit sacrifiée au dragon. Le
roi décide le sacrifice. Les feuilles se transforment en or et les flammes
deviennent claires.
Le décor a changé. Nous nous trouvons sur une «  Plage au bord de la
mer ». Les ministres du temple ont amené Dorilla sur le rivage et l’attachent
à un rocher : elle chante un récitatif avec les « clavecins seuls arpégeant »,
« Numi ch’il Ciel reggete » (I, 10). Le Python approche ; Nomio (Apollon
travesti) tue le monstre, sauvant ainsi la vie de Dorilla. Le chœur chante
« Lieta o Tempe » pendant que les bergers coupent la tête du monstre, puis
la promènent au bout d’une lance. Nomio pense qu’il lui sera maintenant
facile d’épouser la jeune fille qui, en revanche, se montre indifférente à son
égard. On fête la libération de la jeune fille par des danses ; le chœur chante
« Quel Teschio orribile in alto penda », accompagné par les cordes.
 
Le deuxième acte s’ouvre sur une « Grotte avec cascades environnée de
montagnes boisées ». Elmiro et Dorilla se rencontrent secrètement. Admeto
demande à sa fille d’épouser Nomio qui lui a sauvé la vie. Les bergers et les
nymphes préparent un banquet en l’honneur de Nomio. Au moment où le
repas commence, des inscriptions apparaissent à nouveau dans les branches.
Les bûcherons arrivent et abattent des arbres afin de dégager l’espace
nécessaire aux danseurs. Des chasseurs entrent en scène et s’associent à la
danse  ; le chœur à quatre voix accompagnées par les cors, les ballets
instrumentaux (bipartites), et les parties solistes (récitatifs et arias)
alternent, toujours avec les cors qui évoquent l’univers de la chasse et de la
nature. C’était déjà le climat du concerto « l’Automne » (RV 293), surtout
celui du troisième mouvement, quand les chasseurs sont de retour, se
réunissent dans les tavernes dansent, boivent puis s’endorment. Le chœur
exprime sa joie (« Que l’on boive, que l’on danse, que l’on chante ! »).
 
Le début du troisième acte représente «  Une cour  ». Des bergers armés
ont amené Elmiro. Admeto le condamne à mort et ordonne à Dorilla
d’épouser Nomio. La scène représente maintenant «  Un bois avec une
rivière » : la nymphe Eudamia veut sauver Elmiro dont elle est amoureuse ;
mais celui-ci la repousse. Elmiro est lié à un arbre : six soldats s’apprêtent à
le transpercer de flèches. Dorilla accuse son père et fuit. Admeto commande
l’assassinat. Eudamia réapparaît entre les soldats. Le bois se transforme en
un jardin plaisant  : Nomio a sauvé Dorilla. Apollon se démasque. Il
reconnaît avoir été touché par l’Amour. Il marie les deux couples : Elmiro
et Dorilla ; Eudamia et le berger Filindo (le castrat alto Domenico Giuseppe
Galletti). La constance et l’amour triomphent. Le chœur agrée, «  Ceda il
duolo in riso in giubilo  », accompagné de façon triomphale par les
trompettes et les cordes.
 
Pour reconstituer cette représentation, il faut s’aider du livret, car la
partition de la création vénitienne a disparu. Vivaldi a puisé des arias dans
son Armida et dans Il Giustino ; plusieurs migreront dans Farnace et dans
d’autres opéras. Il y aura plusieurs reprises de cet opéra : peut-être en 1728,
à Venise au petit théâtre de campo Santa Margherita dirigé par l’imprésario
Fabrizio Brugnolo ; et à Prague au printemps 1732. Le manuscrit conservé à
Turin est une copie, mais avec des notes autographes  ; il est daté de
« 1734 », date à laquelle l’opéra sera donné au Sant’Angelo, sous forme de
pastiche. Vivaldi participera sans doute à cette reprise en réemployant une
bonne partie du matériel de 1726, cousu avec des arias provenant d’opéras
de Johann Adolf Hasse, de Geminiano Giacomelli et de Leonardo Leo151.
Un univers bucolique, tout en allégories

Certains types de personnages sont récurrents dans les opéras mis en


musique par Vivaldi. Par exemple les êtres faibles (ici le berger Elmiro),
souvent des femmes, amenées au bord du gouffre ou au fond d’une forêt
épaisse, puis sauvées au dernier moment par celui qui devient le héros du
drame. Des thèmes reviennent de façon répétitive : la résistance désespérée
du faible contre le fort ; du bien contre le mal… Comment ne pas penser au
destin des filles de la Pietà, parmi lesquelles Vivaldi travaille constamment
et dont il partage la détresse, les difficultés, ainsi que les secrets ?
Plusieurs détails semblent des clins d’œil envoyés par Vivaldi à Pietro
Ottoboni. On entend le thème du «  Printemps  », comme dans Giustino.
D’autres éléments du scénario rappellent aussi Giustino (Rome, 1724), par
exemple lorsque Ariana est liée au rocher afin d’y être dévorée par le
monstre marin (accompagnée par un clavecin arpeggiando), et délivrée in
extremis par celui qu’elle devra épouser. Une scène semblable apparaît dans
la sérénade Andromeda liberata dont on pense qu’elle fut donnée en 1726,
en présence d’Ottoboni.
Cet univers pastoral convient au style de Vivaldi, au panthéisme diffus
que toute son œuvre exprime. Il plaît aussi aux mécènes, on l’avait
rencontré dans La Silvia à Milan en août  1721 (un opéra donné pour
l’anniversaire de l’impératrice) et dans la sérénade «  Questa Eurilla
gentil  », exécutée quelques mois plus tôt, en juillet  1726, pour fêter
l’anniversaire de Philipp de Hesse-Darmstadt. On retrouvera ces
atmosphères à Vérone, en janvier  1732, dans La Fida Ninfa, un drame
pastoral qui fera l’ouverture du Teatro Filarmonico, commandité par les
milieux académiques de la ville. Comme dans les fables, la nature est un
lieu d’enchantements, qui sert de métaphore aux sentiments, mais aussi de
subtile allégorie à des situations politiques souvent enchevêtrées et moins
candides qu’il n’y paraît.

L’apparition d’Anna Girò

Anna Girò152 interprète ici son premier rôle pour Vivaldi. Elle est une
nymphe, un personnage secondaire (elle n’intervient qu’au troisième acte),
et peu flatteur (elle est repoussée par l’homme qu’elle aime). Lorsque la
Dorilla sera reprise dans le même théâtre, en 1734, Anna n’incarnera plus
cette créature effacée. Elle chantera l’aria écrite pour Dorilla, «  Il povero
mio core » (III, 4) (probablement pas de Vivaldi car non autographe dans le
manuscrit de 1734)153, qui deviendra dès lors l’un de ses airs favoris ; elle
reprendra aussi la lamentation d’Elmiro « Arsa da rai cocenti  » (II,  8 non
autographe mais attribuée à Vivaldi), qu’elle chantera aussi lors de la
reprise du Farnace, à Pavie, en 1731.
Anna naît probablement vers 1710. Son nom de famille est Teseire
(italianisé en Tessieri). « Girò » (ou « Giraud ») est un surnom que son père
(un barbier et perruquier d’origine française) portait déjà, d’après son acte
de décès. Dès ses débuts, elle est appelée « Anna Girò Mantovana », c’est-
à-dire de Mantoue. On imagine que Vivaldi aurait pu connaître Anna et sa
sœur aînée Paolina à Mantoue, bien que, à l’époque du séjour de Vivaldi
dans cette ville (1718-1720), Anna n’était qu’une petite fille de huit ou dix
ans. Dans son acte de mariage avec le comte Antonio Maria Zanardi Landi,
en 1748, elle apparaîtra avec son vrai nom : « Anna Madalena Tessieri dite
Girò de la ville de Mantoue ». On dit – sans preuve – qu’elle était l’élève de
Vivaldi. Si ce n’est lui qui lui donna des cours de chant, du moins l’a-t-il
formée à la scène d’opéra. Au début de sa carrière, Anna est (comme la
soprano Chiara Orlandi, elle aussi appelée « La Mantoanina  ») une artiste
protégée par le duc de Massa-Carrara. Il est possible aussi que Vivaldi ait
rencontré Anna par l’intermédiaire de Chiara Orlandi et du castrat vénitien
Felice Novelli, deux artistes qui chantent au théâtre San Moisè, lorsque
Anna se produisit pour la première fois à Venise, en automne 1724, dans la
Laodice de Tomaso Albinoni. Les deux théâtres de San Moisè et de
Sant’Angelo, s’ils ne sont jumelés, travaillent avec les mêmes imprésarios,
décorateurs, chanteurs et compositeurs. Elle n’a alors guère plus de
quatorze ou quinze ans.
Le 17  septembre 1725, Antonio Vivaldi avait été accusé devant les
tribunaux pour ne pas avoir acquitté sa dette pour l’achat d’un clavecin
destiné justement à Anna Girò. Le compositeur aurait dû payer 60 sequins
pour cet instrument et il n’avait versé que la moitié de la somme, puis il
aurait « dilapidé les trente restants dans d’autres choses154 ». C’est une des
premières mentions du nom de Vivaldi associé à celui d’Anna Girò. Ce
document montre bien que Vivaldi était en train de préparer, avec Anna, ses
prochaines prestations sur la scène du Sant’Angelo.
Beaucoup plus tard, en novembre  1737, Vivaldi devra abandonner tout
projet théâtral à Ferrare, car le cardinal Tommaso Ruffo l’accusera de ne
plus célébrer la messe comme le voudrait son titre de prêtre et d’entretenir
une amitié par trop rapprochée avec la chanteuse d’opéra Anna Girò, peut-
être même d’habiter avec elle…
Les deux sœurs, Anna et Paolina (et pendant une certaine période aussi
leur mère), n’habitaient pas avec Vivaldi qui, par ailleurs, a toujours vécu
avec sa famille. Elles logeaient tout près du théâtre Sant’Angelo,
«  campiello del Teatro  », entre le Grand Canal et le palais Corner-
Spinelli155. Vivaldi disposait lui aussi, pour son travail au théâtre, d’un
petit local attenant à la salle. Dans un document d’archives provenant du
service des taxes, il est écrit que le n°  122 de la «  Casa del teatro  » est
« occupé par Monsieur Antonio Vivaldi, comme stipulé dans le contrat avec
le théâtre ».

« L’Annina del Prete Rosso »

On dit qu’Anna Girò n’était pas très belle et qu’elle n’avait pas non plus
une grande voix. Pourtant le public l’aimait pour ses qualités d’expression,
un charme certain. Carlo Goldoni se souviendra dans ses Mémoires, publiés
à Paris cinquante ans plus tard  : «  Cet ecclésiastique [Vivaldi], excellent
joueur de violon et compositeur médiocre, avait élevé et formé pour le
chant Mademoiselle Giraud, jeune chanteuse née à Venise, mais fille d’un
perruquier français. Elle n’était pas jolie, mais elle avait des grâces, une
taille mignonne, de beaux yeux, de beaux cheveux, une bouche charmante,
peu de voix, mais beaucoup de jeu156. »
On l’appelait «  L’Annina del Prete Rosso  » (la petite Anne du Prêtre
roux) ; mais aussi « L’Annina della Pietà » (la petite Anne de la Pietà)157.
Aurait-elle été éduquée à la Pietà ? L’hypothèse a été soulevée, mais elle est
peu vraisemblable, car les «  filles payantes  » devaient provenir de la
bourgeoisie et de préférence de l’aristocratie  ; des jeunes filles pauvres
(comme la Consuelo imaginée par George Sand) ne pouvaient pas être
éduquées dans les ospedali en tant que filles « a spese ». Ne règne-t-il pas
sur ce sujet une certaine confusion entre les deux Anna  ? La première,
violoniste, « l’Anna Maria dal Violin », qui passera toute sa vie à la Pietà, et
la seconde, la contralto Anna Girò, qui rencontre Antonio Vivaldi dans le
milieu des théâtres  ; quoi qu’il en soit, deux petites «  Anne  » qui étaient
l’une et l’autre des « créatures » de Vivaldi.
Anna Girò n’est pas la seule interprète avec laquelle Vivaldi a entretenu
une relation privilégiée. Il a déjà démontré, dans le passé, une certaine
fidélité à d’autres chanteurs, souvent des personnalités fortes, capables de
s’incarner totalement dans leur rôle  ; par exemple la contralto bolonaise
Antonia Merighi, créatrice du rôle d’Armida, la basse Anton Francesco
Carli, qui incarna Orlando, tantôt « furieux », tantôt « faussement fou », le
ténor Annibale Pio Fabri qui fut le Dario de L’Incoronazione… La relation
d’Antonio Vivaldi avec Anna Girò restera toutefois différente : par la durée,
le nombre d’opéras auxquels elle participera, la façon dont le Prêtre roux
l’imposera aux directeurs et imprésarios. Anna et sa sœur Paolina
accompagneront le compositeur dans ses voyages, rendant ses déplacements
plus légers et prévenant les difficultés qu’il pourrait rencontrer. On sait qu’il
doit supporter des problèmes respiratoires et une santé fragile. Anna Girò
était pourtant une jeune femme fluette, petite, peu jolie, et à la voix faible :
péché d’un homme d’âge mûr pour une très jeune fille  ? Tendresse
paternelle ? Ou véritable attachement d’un artiste pour sa muse ?
Anna Girò se révélera une excellente tragédienne, bouleversante,
déterminée et vulnérable à la fois. Toutefois, on ne peut oublier qu’à cette
époque-là le Vénitien trouve désormais devant lui, dans sa propre ville, une
rude concurrence et des goûts qui évoluent rapidement. En 1726, l’année
même de la Dorilla in Tempe, le Napolitain Nicola Porpora, un
extraordinaire pédagogue de la voix, est nommé maître de chapelle à
l’ospedale des Incurabili. En quelques années, il attirera à lui (à Venise
d’abord, puis à Londres) d’autres Napolitains  : ses élèves surtout, des
castrats prodigieusement doués, comme Farinelli et Caffariello. À Venise
s’installe aussi le Saxon Johann Adolf Hasse, qui épouse la mezzo-soprano
vénitienne Faustina Bordoni  : il est doté d’un prestige international
considérable, elle est l’une des meilleures cantatrices de son temps (« je ne
crois pas en vérité que les anges chantent mieux »… elle a « toute l’Italie
pour elle  », écrit Antonio Conti158)  ; jouissant d’une estime sans faille
auprès du public, des imprésarios et des directeurs de théâtres, ils sont des
points de référence  ! Mais Antonio Vivaldi croit en son talent et en celui
d’Anna Girò. Il a foi dans ses projets et il s’est constitué un bon réseau de
relations. Pour imposer Anna Girò, il jettera des ponts vers d’autres villes,
Florence, Ferrare, Vérone où il cherchera à obtenir le contrôle sur la gestion
des théâtres, afin de pouvoir choisir à l’aise ses livrets, ses héroïnes et ses
interprètes.
Après son apparition dans la Dorilla in Tempe, les collaborations d’Anna
Girò avec Vivaldi seront régulières  : près de vingt prestations connues au
Sant’Angelo, à Venise, mais aussi à Florence, à Vérone, Ferrare, Mantoue,
Pavie, Graz… Elle ne chantera pas exclusivement pour Vivaldi, car elle
dispose de ses propres protecteurs et relations personnelles, mais elle ne
cessera plus de chanter et d’interpréter pour lui des rôles de femmes fortes
et tragiques, jusque dans les mois qui précèdent le départ du compositeur
pour Vienne, et peut-être aussi dans la capitale de l’Empire, lorsque le
Prêtre roux vivra ses derniers instants.

25

 Florence, Reggio, Venise

 (1727)

« Vivaldi a fait trois opéras en moins de cinq mois, deux pour


Venise, et le troisième pour Florence », écrit l’abbé Conti, le
23 février 1727, à la sortie du théâtre Sant’Angelo où il vient
d’assister au Farnace. « Ce dernier a rétabli le théâtre de cette ville
et a fait gagner beaucoup d’argent à l’entrepreneur159. »
En réalité, ce ne sont pas « trois opéras » que compose Vivaldi en
cette année 1727, comme l’affirme l’abbé Conti, mais (si l’on
prend en compte la Dorilla in Tempe de novembre 1726), un total
de cinq spectacles, représentés dans les villes de Venise et
Florence.
Le Prêtre roux était déjà engagé dans la direction artistique du
théâtre Sant’Angelo pour la saison du carnaval 1727 lorsqu’il reçut,
en été 1726, de Luca Casimiro degli Albizzi, la proposition de
composer un opéra pour le théâtre de la Pergola. C’était un surplus
de travail, mais comment refuser une collaboration avec un théâtre
aussi prestigieux ? La Dorilla terminée, le Vénitien était donc parti
aussitôt pour Florence ; juste le temps nécessaire pour mettre en
scène son Ipermestra ! Anna Girò, engagée au Sant’Angelo pour
toute la saison du carnaval, ne fait pas partie du voyage en Toscane.

Ipermestra, Florence, 25 janvier 1727 (RV 722)

Vivaldi avait écrit son premier opéra pour la Pergola le 22 juin 1718. À
cette époque, il était engagé à Mantoue, et c’est Philipp de Hesse-Darmstadt
qui, le 31 mai 1718, avait confié le Prêtre roux à la princesse Anna Maria
Luisa de’ Medici, soulignant dans sa lettre «  le talent singulier  » de ce
compositeur et virtuose, ainsi que «  ses remarquables qualités
personnelles ». Scanderbeg avait fait la réouverture du célèbre théâtre, qui
était resté longtemps fermé ; c’est sans doute à cet événement que se réfère
Antonio Conti dans sa lettre du 23 février 1727.
Plusieurs lettres conservées parmi la correspondance du marquis Albizzi
permettent de reconstituer la préparation de l’Ipermestra. Les archives
concernant Luca Casimiro degli Albizzi et son père se trouvent
actuellement dans le palais de la famille Guicciardini (via Guicciardini), à
Florence. Elles contiennent 3  500 documents concernant les activités
d’imprésario du marquis ; 109 lettres contiennent des références à Vivaldi ;
52 d’entre elles lui sont adressées mais hélas, aucune lettre de Vivaldi n’y
est conservée. Les documents provenant de l’Accademia degli Immobili qui
gérait le théâtre de la Pergola se trouvent quant à eux avec les archives de
ce théâtre160.
Lors du carnaval 1724, Luca Casimiro degli Albizzi était à Venise et
avait vu une version de l’Ipermestra au théâtre San Giovanni Grisostomo.
Geminiano Giacomelli était l’auteur de la musique ; parmi les interprètes se
trouvaient des artistes de premier plan, comme la jeune soprano vénitienne
Faustina Bordoni et le célèbre castrat de Bologne, Antonio Bernacchi161.
Dès le 1er  juin 1726, Albizzi avait écrit à Venise afin de se procurer un
exemplaire du livret. Le 6  juillet, l’imprésario florentin s’adressait à
Antonio Vivaldi à Venise pour lui demander s’il accepterait de composer un
opéra pour la saison suivante  ; le 12  juillet, il envoyait la même lettre à
Nicola Porpora. Le Napolitain, qui venait de s’installer à Venise, avait pris
la tête de l’ospedale des Incurabili et produit déjà plusieurs opéras pour le
théâtre des Grimani. La tâche lui suffisait  : il refusa. Albizzi s’était donc
retourné vers Vivaldi  ; le 20  juillet, il lui communiquait que quarante
doublons (ceux que demandaient Vivaldi dans une lettre qui nous manque),
c’était trop pour son théâtre. Le 17 août, Albizzi renouvelait son offre avec
trente doublons, et Vivaldi accepta. Le 31  août 1726, Albizzi confirma le
contrat à Vivaldi et lui présenta la liste des chanteurs ; il lui ferait parvenir
au plus vite le livret révisé, afin qu’il puisse se mettre au travail. Puis il
ajouta : « Puis-je vous demander de m’envoyer à votre tour les noms de vos
virtuosi  ? En vous souhaitant de tout cœur un très grand succès162… »
Dans ces courriers, le titre de l’Ipermestra n’est jamais cité.
Le 5 octobre 1726, Albizzi qui est en train de préparer son spectacle, écrit
à Venise, à Michele Grimani, propriétaire du San Giovanni Grisostomo ; il
aimerait, dit-il, reprendre des éléments de décors du spectacle donné en
1724 qui lui ont beaucoup plu  : «  Dans le drame de l’Ipermestra qui fut
représenté dans le théâtre de Votre Excellence, explique-t-il, j’ai remarqué
un décor au clair de lune et un autre au soleil. Si ceux-ci ne vous servent
plus et s’ils sont transportables, je vous prierais de me dire combien cela
coûterait. Comment les illuminations étaient-elles produites et avec quel
type de matériel les faisait-on apparaître ? Devant donner le même opéra au
théâtre de via della Pergola, même si le livret est d’un autre poète, je
pourrais reprendre les mêmes décors qui devraient forcément plaire au
public. Peut-être que, désormais, votre Excellence n’en a plus besoin. Je
vous prie de m’excuser pour ce dérangement, je suis… &c.163 »
Albizzi a-t-il obtenu les décors vénitiens, comme il le souhaitait  ?
L’histoire ne le dit pas. Mais, au premier acte de la production florentine, on
voit en effet : un « Temple illuminé de nuit pour la cérémonie du mariage »,
une chambre, un camp militaire près d’Argos, avec une vue sur la ville,
dans le lointain et un « lever de soleil », enfin, une prison.
 
Le livret de l’Ipermestra avait été écrit par Antonio Salvi, poète de la
cour des Médicis (qui était aussi l’auteur du Scanderbeg, en 1718)164.
L’histoire est fondée sur la légende des Danaïdes, qui avaient tué les
cinquante fils d’Aegyptos (dit aussi Egisto). Autrefois, cette légende avait
inspiré le livret de l’Egisto au dramaturge vénitien Marco Faustini. L’opéra
avait été mis en musique par Francesco Cavalli et représenté en 1643.
L’histoire d’Ipermestra est celle-ci : le fils du roi d’Égypte, Danao, avait fui
à Argos, où il tua le roi afin de s’emparer du pouvoir. Un oracle lui prédit
qu’il sera assassiné à son tour par l’un des fils de son frère, Egisto. Tentant
d’échapper à son destin, Danao demanda à ses cinquante filles d’épouser les
cinquante fils de son frère, puis de tuer leurs maris pendant la nuit de noces.
Seule Ipermestra refusa d’obéir à son père, car elle aimait trop son époux,
Linceo. Pour éviter toute violence sur scène, le librettiste suppose que
Danao est finalement pardonné. Les conflits personnels, les déploiements
militaires, l’assaut donné à la forteresse du tyran, les prises d’otage
constituent le menu de cet opéra.
Le livret d’Antonio Salvi connaîtra de nombreuses autres mises en
musique, surtout en Allemagne. Pour la représentation florentine, le
dramaturge modifie le livret qu’il avait conçu trois ans plus tôt pour le San
Giovanni Grisostomo, apportant parfois une nouvelle couleur aux situations
dramatiques. Ces remaniements permettent aussi à Vivaldi d’intégrer,
comme il en a l’habitude, des arias provenant de ses opéras précédents.
On ne connaît que trois arias qui proviennent directement de l’Ipermestra
de Florence, conservées au sein d’un recueil à Berkeley165. D’après le
livret, il semble que trois arias aient été reprises de la Dorilla in Tempe  ;
deux autres seront réentendues, le mois suivant, à Venise, dans Farnace.
 
Parmi les interprètes de l’Ipermestra, se trouve le ténor Annibale Pio
Fabri, qui incarne le tyran Danao. Fabri est l’un des chanteurs les plus
fidèles à Vivaldi. Il avait chanté dans l’Arsilda Regina di Ponto, en automne
1716 au Sant’Angelo ; il avait été Dario dans L’Incoronazione, au carnaval
1716 ; les Milanais l’avaient applaudi dans La Silvia, en automne 1721 ; il
se produira encore à Florence, dans L’Atenaide de Vivaldi, fin
décembre  1728. Pour ce ténor, Vivaldi écrit des arias très expressives. La
contralto Lucia Lancetti « detta la Grechetta » (« dite la petite Grecque »),
une virtuose au service de la princesse Violante Beatrice de Toscane,
interprète, quant à elle, le rôle du primo uomo, Linceo, mari d’Ipermestra.
On retrouvera la Lancetti à Venise, dans deux rôles masculins d’envergure :
Farnace, puis Orlando.
 
Quinze jours seulement séparent l’Ipermestra à Florence de la création
du Farnace à Venise  : pour Vivaldi, moins de concessions en perspective
puisqu’il sera à Venise chez lui, dans son théâtre préféré, où il assurera
aussi, cette saison-là, la fonction d’imprésario. Anna Girò y incarnera son
premier personnage fort et l’un des premiers grands rôles de sa carrière.

Il Farnace, Venise, février 1727 (RV 711)

Il y aura deux séries de représentations du Farnace au théâtre


Sant’Angelo  : la création, qui a lieu en février  1727 (RV 711-A)  ; et une
reprise du même opéra, à l’automne suivant (RV 711-B). Dans les deux
productions, Anna Girò chante le rôle de Tamiri166. Dans les deux
productions, le rôle-titre masculin de Farnace est tenu par une femme
contralto habillée en homme : au carnaval par Maria Maddalena Pieri et en
automne par Lucia Lancetti, qui venait d’interpréter un autre rôle masculin,
Linceo, dans l’Ipermestra, à Florence.

L’histoire d’un livret, entre Rome, Florence et Venise

Le dramaturge vénitien Antonio Maria Lucchini, auteur de la Dorilla in


Tempe, avait écrit le livret du Farnace pour le compositeur napolitain
Leonardo Vinci qui, alors, s’apprêtait à prendre le poste de vice-maître de la
chapelle royale napolitaine, remplaçant dans cet emploi le défunt
Alessandro Scarlatti. Le Farnace de Vinci avait été représenté au théâtre
D’Alibert à Rome, lors du carnaval 1724, précisément à l’époque où
Vivaldi présentait son Giustino au Capranica. Vivaldi a-t-il entendu l’opéra
de Vinci  ? Aurait-il demandé le livret à Lucchini  ? Après la création
romaine, il y avait eu une autre représentation de la même œuvre à
Florence, au théâtre de la Pergola, le 26 décembre 1725 ; il ne s’agissait que
d’un pastiche, mais qui comportait des airs de Vivaldi. On y aurait aussi
entendu le jeune compositeur vénitien Baldassare Galuppi jouer du
clavecin167. C’est la contralto Maria Maddalena Pieri qui est peut-être le
point de jonction entre les représentations de Florence et de Venise car elle
chante dans les deux productions  ; il semble même qu’il y ait eu des
échanges d’arias entre les deux spectacles168.

Les personnages

Le héros mis en scène par Antonio Maria Lucchini est inspiré de


Pharnace II, roi du Bosphore (64-47 av J.C). Le nom de Tamiri, quant à lui,
vient de Thomiris, dernière reine des Amazones ; elle était reine de Scythie,
une région située entre la mer Caspienne et le Pont-Euxin. Elle resta
tristement célèbre pour avoir décapité son fils Cyrus le Grand, puis avoir
plongé sa tête dans son sang. Dans le livret de Lucchini mis en musique par
Vivaldi, Farnace est le fils et le successeur de Mithridate, roi du Pont, qui
avait été victorieux contre le mari de la reine de Cappadoce, Berenice.
Farnace avait assassiné le fils de Berenice et lui avait fait subir de telles
offenses que celle-ci refusa de lui donner en mariage sa fille, Tamiri. Mais
Farnace avait quand même épousé Tamiri. Pour se venger, Berenice s’était
alliée aux Romains, devenant par le fait l’ennemie de sa propre fille Tamiri
qui, elle, essaie surtout de protéger son enfant contre les deux camps,
désormais coalisés, celui des Romains, et celui de la reine de Cappadoce.
Le drame mis en musique par Vivaldi commence à ce moment-là.

Les sources musicales

Le livret d’Antonio Maria Lucchini avait connu un grand succès et une


cinquantaine de versions musicales différentes. Comme l’Orlando furioso,
l’opéra de Vivaldi connaîtra une large diffusion, en Italie et dans les pays
d’Europe centrale, ce qui augmente nos perplexités quant à l’identification
des sources musicales. Le fonds «  Giordano  », à Turin, conserve en effet
deux manuscrits du Farnace  ; ni l’un ni l’autre ne correspondant à la
création vénitienne de février  1727 (RV 771-A). Le premier169,
partiellement autographe, est une partition complète, avec la Sinfonia
introductive. Si les récitatifs et le texte sont de la main de Vivaldi, en
revanche les arias ont été préparées par des copistes. Ce document n’étant
pas daté, on ne sait s’il faut rattacher cette partition à la représentation qui a
eu lieu à Pavie en 1731 ou, éventuellement, à Livourne, en 1729, sous le
titre Berenice170 Le second manuscrit correspondrait, lui, à la version
préparée pour le carnaval 1739 à Ferrare et jamais représenté (RV 711-
G)171. Il s’agit d’un document autographe auquel il manque le troisième
acte. Cette partition est assez semblable à la première, à l’exception de
quelques petites notes ajoutées par Vivaldi, par exemple des nuances
dynamiques et expressives.

La création du Farnace

La troupe est la même que celle qui avait donné Dorilla in Tempe, au
début du mois de novembre précédent. Il y a sept personnages et un enfant
(muet). Cette présence innocente accentue la vulnérabilité de la mère (Anna
Girò) et rend sa solitude face aux déploiements militaires plus
bouleversante encore, tout particulièrement lorsque celle-ci tente de sauver
son fils en le cachant dans la tombe de ses aïeux. On retrouve les
collaborateurs du spectacle de la Dorilla  : Antonio Mauro pour les décors
(certains éléments comme la forêt, l’entrée des bûcherons taillant la forêt,
seront repris dans Farnace)  ; Giovanni Gallo (ou Galletto) qui dirige les
ballets, lors de l’arrivée des militaires, asiatiques puis romains,
accompagnés par les chœurs, les cors ou les trompettes. Voilà de quoi
donner à ce spectacle un caractère festif, une certaine majesté, voire même
un aspect « tragédie antique » que l’on avait déjà relevé dans la Dorilla.
Que conservons-nous de cette création ? Le seul livret ! On y remarque
que le compositeur a de nouveau puisé plusieurs arias dans ses opéras
précédents (La Verità, Ercole, Armida, Ipermestra)172. Même si l’on ne
possède pas les versions vénitiennes, on imagine que les deux manuscrits
musicaux (Giordano 36 et Giordano 37), bien que plus tardifs, sont assez
fidèles aux versions originales de 1727 aujourd’hui disparues. Dans les
versions de Pavie (1731) et de Ferrare (1738), Anna Girò reprendra le rôle
de Tamiri. Les parties écrites par Vivaldi pour ce rôle lors de la création ne
changeront probablement pas dans les versions ultérieures, comme le grand
récitatif si touchant du premier acte : « O figlio, o troppo tardi ».
 
La Sinfonia, en trois mouvements, est accompagnée par les cordes. Le
rideau se lève sur le rivage de la mer Noire ; un bois dense occupe toute la
scène ; la mer est à distance. Des bûcherons entrent et élaguent la forêt, la
transformant en clairière. Sur la ligne d’horizon, on aperçoit plusieurs
navires qui approchent de la rive : c’est la flotte de Berenice.
 
Farnace (la contralto Maria Maddalena Pieri), roi du Pont, a fui Héraklée,
la capitale de son royaume assiégé par l’armée romaine victorieuse. Il paraît
sur scène, l’épée à la main : il refuse de se rendre. Il remet un poignard à sa
femme Tamiri et lui demande de tuer leur enfant puis de se donner la mort ;
il chante l’aria « Ricordati che sei », avec les cordes. La scène suivante est
entièrement dédiée à Tamiri, prise entre le marteau (son mari qui ne veut
pas se rendre) et l’enclume (sa mère qui s’est alliée aux Romains)  : un
récitatif est suivi d’une aria parlante, « Combattono quet’alma » (I, 2), telle
que le castrat Nicolino savait encore les interpréter, à cette époque-là, au
San Giovanni Grisostomo. Dans les pauses, Anna Girò peut s’exprimer
avec le regard, les gestes ; elle peut s’avancer sur le devant de la scène, là
où les flammes des bougies éclairent son visage, et prendre le public à
partie. Pendant que les violons pulsent l’angoisse par des figures
mélodiques répétées, Tamiri exprime sa terreur par des mots lourds de sens,
énoncés distinctement  : l’époux, le fils, la gloire, l’espérance  ; Lucchini
joue sur la concision de ces termes forts qui suscitent dans l’auditoire un
tumulte de sentiments contraires.
Les navires approchent  ; les soldats jettent les passerelles. Berenice (la
contralto romaine Angela Capuano) et son général Gilade (le castrat
soprano Filippo Finazzi) mettent pied à terre. Le chœur chante
«  Dell’Eusino con aura seconda  » (I,  3), accompagné par les trompettes.
Les bûcherons continuent à couper les arbres  : le bois se transforme en
clairière, laissant voir une vaste campagne, la ville d’Héraklée en arrière-
plan, un pont conduisant à la ville, un mausolée placé au centre d’une
grande pyramide : c’est la tombe des rois du Pont. Vivaldi écrit : « Tamiri
col Fanciullo  » (Tamiri avec l’enfant) : Tamiri a décidé de désobéir à son
mari. Elle tente de persuader l’enfant d’entrer dans la pyramide : d’abord en
récitatif, « Mon fils, il n’y a plus de fuite » (« Figlio non v’è più scampo »),
qui se prolonge sur un récitatif accompagné lent et doux andante e piano
molto « Ô mon fils, c’est trop tard » (« O figlio, o troppo tardi »)… « je te
donne une vie que ton père condamne » (« Io ti do una vita, che il genitor
condanna  »)  : encore une fois, peu de mots, mais chargés de sens  : pitié
(pietà), pardonne (perdona), chaîne (catena). L’enfant ayant disparu, elle
s’apprête à se tuer avec le poignard laissé par Farnace. Berenice survient.
Elle n’a pas vu l’enfant. Elle essaie d’empêcher sa fille de se tuer, par une
aria tendre et maternelle «  Da quel ferro che ha svenato  ». Les Romains
débarquent à leur tour  : chœur à quatre voix, accompagné par deux
trompettes et les cordes, «  Sù Campioni, sù guerrieri  » (I,  3), avec des
danses, probablement. Tamiri chante « Leon feroce », une aria évoquant le
destin cruel, avec les cordes. En automne 1727 et à Pavie, en 1731, Vivaldi
conclura le premier acte avec l’aria de bravoure «  Sorge l’irato nembo »,
provenant d’Orlando (II, 4) que chante le général romain, Pompeo.
 
Le début de l’acte II nous transporte « Dans le palais », où l’on voit une
« puissante architecture ». Selinda, la sœur de Farnace, entre en scène. Le
rôle est interprété par la contralto Lucrezia Baldini que Vivaldi, imprésario
de la saison, avait engagée le 13 octobre 1726. Pour détourner l’attention et
créer de la zizanie parmi les militaires romains, la jeune femme se laisse
courtiser par Gilade, prince de sang royal, capitaine de Berenice, et par
Aquilio, préfet des légions romaines (le castrat alto Domenico Giuseppe
Galletti). Berenice fait rechercher Farnace, ainsi que l’enfant. Farnace de
son côté tente de se suicider ; Berenice l’en empêche. « Mausolée avec la
pyramide comme précédemment ; puis chambre royale ». Tamiri est face à
son mari ; elle lui fait croire qu’elle a exécuté sa demande et qu’elle a tué
l’enfant. Farnace ordonne la destruction du mausolée : Tamiri est obligée de
confesser que l’enfant y est caché. Suit un dialogue en récitatif sec : Tamiri
se fait réprimander par Farnace, qui n’éprouve que colère et mépris pour la
faiblesse démontrée par sa femme (II, 9). À la suite de ce dialogue, Vivaldi
écrit  : «  Qui bisogna fermarsi un poco senza suonare  » («  Ici il faut
s’arrêter un peu sans jouer ») ; puis : « Segue subito » (« Suit aussitôt »). La
pause augmente le suspens et renforce le récitatif accompagné de Tamiri qui
suit. À cet endroit, les violons sont tenus de jouer Pianissimo e staccato
(très doucement et détaché). Tamiri chante « Dites, dites-moi ô Ciel, qu’ai-
je fait  ». Son désespoir et sa solitude rendent la scène poignante  :
« Seulement parce que je sauve un pauvre innocent de la colère cruelle de
son destin, dit-elle ; déjà ma mère me niait mon titre de fille, et maintenant
mon époux me retire mon nom de compagne ; dans mon cœur, il ne reste
plus que ma peine immense d’épouse et de fille » ; le mouvement est tantôt
bref et incisif, tantôt arioso. Suit une aria : « Dividete, o giusti dei », dans
un mouvement andante, sempre piano (mi bémol majeur, senza cembali –
sans clavecins). Sur des harmonies chromatiques, les violons exécutent des
traits liés  ; la partie vocale est gracieuse, souple, avec peu de mélismes,
mais elle demande de la précision dans la diction. On ne sait si la musique
qui se trouve dans le manuscrit « Giordano 37 » (noté comme « 1738 ») fut
celle chantée à Venise, en 1727, par Anna. Mais cette scène sera en tout cas
chantée dans plusieurs reprises du Farnace. Au plan musical et dramatique,
il s’agit du moment le plus tendu de l’opéra. Maintenant Berenice prend
l’enfant par la main. Selinda intervient : elle profite de la séduction qu’elle
exerce sur les deux Romains Gilade et Aquilio et les incite à avoir pitié de
l’enfant. Pompée demande qu’il soit confié au Sénat romain, en la personne
d’Aquilio.
 
Le troisième acte commence sur une «  Place d’Héraklée avec des
trophées et d’autres allégories du triomphe  ». Les deux armées (asiatique
dirigée par Gilade et romaine conduites par Pompée), fêtent leur victoire.
«  Chambre et jardin contigu  »  : Berenice est en compagnie de Gilade,
Aquilio et Pompée. Elle est déçue de n’avoir pu obtenir la mort de Farnace.
Aussi, elle demande à Pompée de mettre à mort l’enfant et lui offre en
échange la moitié de son royaume. Tamiri fait à Pompée la même
proposition, par l’aria élégiaque «  Forse, o caro in questi accenti  »
accompagnée à l’unisson par les cordes (colla parte), sans clavecin (senza
cembali). Elle est au bout de ses forces. Selinda, de son côté, fait en sorte
que Gilade n’obéisse pas à Berenice et persuade Aquilio de tuer Gilade.
Désormais Farnace et Aquilio sont liés contre Pompée qu’ils cherchent,
mais en vain, à éliminer. Vivaldi compose ici un très beau quatuor vocal,
profond et contenu, avec une entrée contrapuntique des différentes voix
(Berenice, Tamiri, Farnace, Pompeo) « Io crudel ? Giusto rigore » (III, 6),
qui restera dans les versions successives de l’opéra. Farnace tente
d’échapper à la vengeance de Berenice en cachant son identité. Celle-ci
découvre sa ruse. Farnace est enchaîné. Sa sœur, Selinda, intervient auprès
de ses amis romains. Farnace est délivré par Gilade et par Aquilio. Pompée
finalement est sauf  ; il pardonne et conseille à Berenice de faire preuve
d’indulgence. Celle-ci baisse les armes et souhaite au couple de Farnace et
Tamiri et à leur enfant un règne heureux. Le chœur final chante dans une
atmosphère de candeur virginale  : «  Coronata di giglie e di rose  »
(couronnée de lys et de roses), accompagné par les violons.
 
L’abbé Antonio Conti a aimé le côté tragique de cet opéra, les moments
de galanterie amoureuse entre Selinda et Gilade, qui font diversion au
drame ambiant, ainsi que le jeu d’actrice de la jeune Anna Girò, bien que
peu dotée au plan vocal. « Mon opéra est le nouveau de Sant’Angelo, écrit-
il le 23  février à madame de Caylus. Le livre est passable si vous en
exceptez les fautes d’un épisode contraire à toute vraisemblance. La
musique est de Vivaldi. Elle est très variée dans le sublime, et dans le
tendre. Son élève y fait des merveilles quoyque sa voix ne soit pas des plus
belles173. »
Siroe, re di Persia, Reggio, avril et mai 1727 (RV 735)

La ville de Reggio, en Émilie Romagne, située au nord de Bologne, en


direction de Milan, faisait alors partie du duché de Modène. Le Teatro
Pubblico de la ville appartenait au duc de Modène, Rinaldo Ier d’Este, mais
il était géré par un imprésario. Comme dans d’autres petites villes, Vicence
et Trévise par exemple, les opéras y étaient joués en dehors de la saison de
carnaval, souvent au printemps, lorsque avaient lieu les Foires qui attiraient
beaucoup de monde en ville. On évitait ainsi la concurrence des grands
théâtres avoisinants.
Le Siroe, re di Persia, composé par Vivaldi sur un livret de Metatasio, est
donné au printemps 1727. La dédicace au duc de Modène est signée le
29  avril 1727. Vivaldi ne porte aucun titre. Il est dit seulement que la
musique est de « M. D. Antonio Vivaldi Vénitien », tout comme sur le livret
de l’Ipermestra à Florence. Conflit politique entre le duché de Modène et
les États assujettis aux Habsbourg  ? On remarque une certaine présence
« vénitienne » dans cette production : le ténor Pellegrino Tomii, originaire
de Vicence, est un « virtuoso della serenissima Repubblica di Venezia » ; le
costumier, Natale Canziani, est lui aussi vénitien, au service du duc de
Parme174. Les ballets, de Francesco Massimiliano Pagnini, comportent huit
danseurs. Les décors (Grand temple du Roi Soleil, appartements royaux,
agréables jardins contigus au palais, prison, magnifique salle pour le
couronnement…) sont réalisés par Pellegrino Spaggiari, lui aussi au service
du duc.
Le drame de Metastasio avait été créé peu de temps auparavant à Venise,
pour le carnaval 1726, avec une musique de Leonardo Vinci, dans une
production du théâtre San Giovanni Grisostomo. Le livret avait ensuite été
produit à Rome et à Naples. Après la représentation de Reggio, il sera repris
à Londres, au théâtre Haymarket en février  1728, mis en musique par
Haendel.
C’est la première fois que Vivaldi met en musique un livret de Pietro
Metastasio. Le Siroe, re di Persia est le troisième livret de ce dramaturge et
poète romain qui, en 1729, partira pour Vienne où il prendra la succession
d’Apostolo Zeno, au poste de Poeta Cesareo de l’empereur. Dès lors, il
écrira la plupart de ses livrets d’opéras, d’oratorios, de fêtes théâtrales pour
la cour des Habsbourg. À partir de cette ville, les drames seront ensuite
repris et adaptés à l’infini dans toute l’Europe, avec des musiques
différentes, et pendant des décennies. Fréquemment fondés sur l’Antiquité
grecque et romaine, parfois sur la mythologie, les livrets de Metastasio
deviennent des standards incontournables. Sa Didone abbandonata venait
d’être donnée à Venise, avec une musique de Tomaso Albinoni ; la fameuse
Marianna Benti Bulgarelli, amie de Metastasio, chantait le rôle titre, le
vieux castrat Nicola Grimaldi dit Nicolino tenait le rôle d’Enea. On pouvait
y entendre encore le grand castrat napolitain Domenico Gizzi et Lucia
Lancetti dans le rôle de Jarba.
Le drame du Siroe avait été conçu par Metastasio pour Venise, dans un
esprit vénitien, c’est-à-dire avec de nombreuses intrigues enchevêtrées. Le
livret est aussitôt diffusé à Florence, Milan, Rome, Naples… L’imprésario
du théâtre de Reggio désirait sans doute reprendre ce livret qui était en train
de connaître un grand succès, mais avec une musique entièrement nouvelle.
À moins que ce ne soit Vivaldi qui ait soufflé l’idée à l’imprésario…
 
À Reggio, Vivaldi reprend presque intégralement le livret mis en
musique par Leonardo Vinci à Venise. Seules deux arias sont modifiées (I, 9
et II,  13) et imprimées sur un feuillet à part, sans doute pour plaire aux
chanteurs175. Lors de la création vénitienne, Giovanni Carestini chantait le
rôle de Medarse. Il s’était aussi produit dans un Siroe donné à Florence où il
tenait le rôle-titre de Siroe, roi des Perses. C’est ce même rôle qu’il chante à
Reggio dans la partition de Vivaldi. Encore à ses débuts, le jeune castrat
avait déjà chanté pour Vivaldi, à Rome, dans l’Ercole su’l Termodonte. Le
rôle de Cosroe est interprété par Pellegrino Tomii qui, à Venise, dans la
partition de Vinci, avait chanté la partie d’Arasse. La soprano Anna
Guglielmi de Bologne incarne Emira, qu’avait jouée à Venise Marianna
Benti Bulgarelli (elle avait déjà chanté pour Vivaldi dans Scandeberg en
1718, à Florence, et dans La Candace, à Mantoue, en 1720).
On ne conserve pas de partition du Siroe, re di Persia. Mais Vivaldi
réutilisera une bonne vingtaine d’arias dans d’autres opéras (Olimpiade,
Griselda, Adelaide, Ginevra, Motezuma), qui permettent de reconstituer en
partie ce spectacle. Deux arias seront reprises dans les mois qui suivent,
dans l’Orlando, au théâtre Sant’Angelo  : «  Benché s’asconda la serpe
antica » et « Cresce un torrente », qui deviendra « Torrente cresciuto », une
aria confiée au rôle de Bradamante (II,  10). Le compositeur écrit pour cet
opéra une magnifique aria  : «  Gelido in ogni vena  » (Gelé en toutes mes
veines) chantée par Pellegrino Tomii (III,  5). Les premières mesures sont
reprises du début de « L’Hiver » (concerto RV 297), dans la même tonalité
de fa mineur. Reinhard Strohm l’appelle une «  ombra aria  », c’est-à-dire
une aria fantasme où le protagoniste s’adresse aux esprits. Une série de
staccatos dissonants suggère le sang qui se fige dans les veines du
personnage. La musique ressemble à s’y méprendre à celle de l’air mis en
musique par Leonardo Vinci à Venise en 1726. Vivaldi la fera entendre à
nouveau dans la reprise du Farnace qui sera donnée en 1731, à Pavie,
lorsque Farnace apprend que Tamiri a caché leur fils dans la tombe. Il
intégrera encore cette magnifique aria dans les deux reprises du Siroe,
toutes deux avec Anna Girò dans le rôle d’Emira  : à Ancône, au Teatro
della Fenice, en 1738 (RV 735-B)  ; puis à Ferrare au carnaval 1739, au
Teatro Bonacossi (RV 735-C). Deux reprises dans un goût « vénitien » qui
défigureront d’une certaine manière le style dramatique propre à
Metastasio176.

Venise, printemps-été 1727

Après les représentations de son Siroe, re di Persia à Reggio, comment


imaginer les activités menées par Antonio Vivaldi pendant le printemps et
l’été ? Il est sans doute occupé par la préparation de la saison d’automne au
Sant’Angelo où il présentera deux reprises  : Farnace et Orlando, l’un et
l’autre avec Anna Girò. Ensuite, aura lieu une création  : Rosilena ed
Oronta, un opéra donné le 17 janvier 1728, avec la même troupe. Que fait
Antonio Vivaldi pendant ces mois chauds, outre que de composer des
concertos pour le chœur de la Pietà ? Comment envisage-t-il son avenir ?
Dans une lettre datée du 23 février 1727, Antonio Conti transmet à son
amie parisienne, la comtesse de Caylus, une information étonnante et rare ;
parlant de l’imprésario de Florence, des bénéfices que celui-ci aurait
réalisés grâce à Vivaldi (sous-entendu, grâce à la représentation de
Scanderbeg en 1718), Conti ajoute  cette phrase mystérieuse  : «  Vivaldi
aspire à l’être [l’imprésario] de l’opéra de San Gian Crisostomo. Je le
souhaite pour l’honneur de ce théâtre177. »
Nous ne disposons d’aucun autre élément qui pourrait éclairer ce
commentaire. Vivaldi avait-il vraiment le projet de prendre la direction
artistique du plus important théâtre de Venise ? Les deux frères Grimani qui
géraient leurs deux théâtres de San Giovanni Grisostomo et de San Samuele
s’étaient éteints l’un après l’autre en  1710 et  1714. Les deux fils de
Giovanni Carlo, Vincenzo et Michiel, avaient repris la succession, sans
gérer ces deux salles de façon continue. Vers 1716, ce sont les metteurs en
scène et scénographes Alessandro et Giuseppe Mauro (de la famille du
scénographe Antonio Mauro, collaborateur de Vivaldi) qui en assurent la
direction. Entre 1721 et 1725 le théâtre est géré par un groupe de patriciens.
Puis en 1728 c’est le librettiste, dramaturge et organisateur théâtral
Sebastiano Biancardi dit Domenico Lalli (l’auteur d’Ottone in villa) qui en
devient finalement l’imprésario178. De ce désir intime de Vivaldi, l’histoire
n’a gardé aucune autre trace que celle rapportée par Conti dans sa lettre
envoyée à son amie française. On peut penser que Vivaldi cherche de
nouveaux débouchés dans le milieu théâtral vénitien, et donc qu’il envisage
de se stabiliser à Venise, si toutefois les Grimani lui avaient confié la
direction de leur théâtre. Hélas pour le Prêtre roux, c’est un « étranger », le
Napolitain Domenico Lalli, qui remporte la mise.
Quelques autres menus détails échappent aux archives. Par exemple une
lettre datée du 28 mars, où Luca Casimiro degli Albizzi promet d’acheter à
Florence, sur la demande de Vivaldi, plusieurs châles en soie qui lui seront
consignés et payés chez un intermédiaire vénitien179. En mai, c’est le
comte Wenzel von Morzin qui envoie à Vivaldi une nouvelle somme
d’argent  : 133  florins et 42 Kreuzer, pour plusieurs œuvres. Dans ses
moments libres, le Prêtre roux continue à écrire des concertos et des sonates
pour ses clients fidèles ainsi que pour les filles du chœur de la Pietà, comme
il l’a promis dans son contrat de 1723180.

Automne 1727
C’est le 19 septembre 1727 que sont données les œuvres commandées à
Vivaldi par le comte de Gergy, ambassadeur de France (Te Deum et
sérénade)181.
Le 28 novembre, la Gazette d’Amsterdam annonce la sortie d’un nouveau
recueil de concertos de Vivaldi intitulé La Cetra (la lyre) (Opus 9)  ; le
volume est dédié à l’empereur Charles VI. Le compositeur est-il déjà, dans
le secret de son âme, en train de préparer un voyage à Vienne182 ?
En cette même saison le théâtre San Giovanni Grisostomo met à son
affiche Arianna e Teseo, opéra de Nicola Porpora. Parmi les chanteurs se
trouvent Annibale Pio Fabri, l’un des fidèles de Vivaldi, dans le rôle de
Minosse, et le castrat napolitain Nicola Grimaldi qui incarne le (jeune)
héros grec Teseo. Nicolino, alors à la fin de sa carrière, n’a plus guère de
voix mais il est très aimé du public de Venise, une ville où il a chanté
pendant de longues années. C’est un chanteur à l’ancienne, spécialiste du
style d’Alessandro Scarlatti, et aussi très bon acteur. Antonio Conti qui
l’entend dans l’opéra de Porpora écrit à madame de Caylus : « Le Chevalier
Nicolini à l’âge de 75 ans est monté sur le théâtre de San Grisostomo. Il se
soutient par son action. En effet c’est le plus grand acteur de nos théâtres.
Mais il parle plus qu’il ne chante néanmoins il est fort applaudi, car il
exprime avec vivacité toutes les passions. Je n’aime pas son combat avec le
Minotaure183. » Né en 1673, Nicolino n’avait pas 75 ans (comme le croit
l’abbé Conti) mais 54  ! Quant au Napolitain Nicola Porpora, il vient
d’arriver à Venise où il avait déjà donné, l’année précédente, trois opéras.
Dans les livrets son nom est accompagné du titre de «  Maître du Pieux
Ospedale des Incurabili  ». Il est le premier compositeur originaire du sud
de la Péninsule à occuper un poste de maître de chapelle dans un ospedale
de Venise.

Orlando, Venise, novembre 1727 (RV 728)184

La nouvelle version de l’Orlando furioso, intitulée simplement Orlando,


est acceptée par la censure le 5 novembre 1727. Le livret, on s’en souvient,
avait été écrit par Grazio Braccioli en 1713, puis révisé en 1714. Des
reprises de cet opéra (avec une participation assez minime de Vivaldi)
avaient eu lieu à Brunswick en 1722, dans la ville thermale de Kuks et à
Prague, en été et automne 1724, par la nouvelle troupe que venait de
constituer Antonio Denzio, en partie avec l’aide de Vivaldi. À Mantoue, en
1725, l’opéra avait été révisé par un certain Orazio Pollarolo ; la musique
de Vivaldi avait pratiquement disparu. Serait-ce pour «  remettre les
pendules à l’heure  » que Vivaldi aurait préparé cette nouvelle version de
son Orlando, dans une production que cette fois il contrôlait totalement,
tout en bénéficiant de la présence d’Anna Girò ?
Le livret ne comporte pas de dédicace. On ne sait qui a fait les décors,
mais on suppose qu’il s’agit encore d’Antonio Mauro qui avait commencé
la saison avec Dorilla et Farnace. Les scénographies, essentiellement
fondées sur la nature (jardin d’Alcina, monts escarpés, caverne, vallée
charmante, bosquets…) sont à peu près semblables à celles que le même
Antonio Mauro avait réalisées en 1714. L’Orlando est représenté avec un
intermède (un usage nouveau pour Venise, mais devenu inévitable), Il
Marito giocatore, interprété par Rosa Ungarelli et Antonio Ristorini, avec
une musique de Giuseppe Maria Orlandini.
Anna Girò interprète le rôle d’Alcina, la magicienne amoureuse de
Ruggiero. Après son succès dans le rôle de Tamiri, le public attend
beaucoup d’elle. Le rôle-titre, dans lequel le ténor Anton Francesco Carli
s’était autrefois identifié, est maintenant interprété par une femme  : la
Vénitienne Lucia Lancetti, habituée à incarner des héros masculins, et que
Vivaldi connaît bien  ; Benedetta Serosina est Angelica  ; Maria Caterina
Negri, Bradamante  ; Casimiro Pignotti, Medoro  ; Giovanni Andrea Tassi,
Ruggiero et Gaetano Pinetti, Astolfo.
La trame dramatique reste à peu près la même que dans l’Orlando
furioso de 1714. Plusieurs récitatifs et de nombreuses arias sont néanmoins
réécrits185. Le livret de 1727 contient plus d’émotions nostalgiques  ; des
modifications étrangères au style de Braccioli. Le chef-d’œuvre de l’Arioste
est traité avec respect  ; on intègre même au livret des citations exactes
issues de l’original (par exemple III, 5, un extrait du chant XXXI).

Des sources musicales mêlées


Trois manuscrits se trouvent à Turin dans le fonds «  Giordano  »  : le
premier correspond à la version de l’Orlando finto pazzo186 (où l’on croit
reconnaître l’écriture de Giovanni Battista Vivaldi), donné comme un opéra
de Vivaldi au Sant’Angelo, en automne 1714. Mais un doute s’installe sur
l’attribution des deux autres manuscrits : le second contient de nombreuses
corrections, et semble correspondre à l’Orlando furioso de 1713 mis en
musique par Giovanni Alberto Ristori, une partition à laquelle Vivaldi
aurait ajouté ses propres arias187. Toutefois, ce manuscrit ne correspond
exactement ni au livret de 1713 ni à celui de 1714  ; par ailleurs, il ne
contient que les deux premiers actes. Le troisième manuscrit est
généralement attribué à la version de 1727, même si certains points restent
obscurs188. Les avis des musicologues qui ont examiné les manuscrits
divergent, et il reste difficile de différencier les représentations de l’Orlando
furioso de 1714 et de l’Orlando de 1727.

La folie d’Orlando

La folie est un thème fréquemment exploité dans l’opéra vénitien, partant


de La Finta pazza Licori de Monteverdi en 1627. Sauf quelques rares
exceptions comme La finta Pazzia di Ulisse (La fausse folie d’Ulysse) de
Matteo Noris et Marc’Antonio Ziani, créé à Venise en 1696, c’est de la folie
féminine qu’on parle. Le personnage d’Orlando et le thème de la folie
furieuse sont plus familiers à la comédie, la chanson populaire et les
intermèdes qu’à l’opéra. Grazio Braccioli avait exprimé les difficultés
auxquelles il avait dû s’affronter, en 1713, lorsqu’il adapta le long roman
épique de l’Arioste, chargé d’événements qui ne respectent pas l’unité de
lieu, de temps et d’action nécessaires dans une œuvre scénique. J’ai
cherché, avait-il dit, à resserrer le drame sur un lieu unique (l’île de la
magicienne) et une seule situation : la folie d’Orlando : « L’île d’Alcina où
se tient son palais est le seul lieu où le drame se déroule – explique
Braccioli dans la préface du livret de 1713 ; même si, dans le long Poème,
les multiples actions se déroulent pour ainsi dire dans la moitié du monde ;
j’ai restreint le drame à une seule [intrigue], sa naissance, son évolution et
sa fin, ce sont : l’Amour, la Folie et la guérison d’Orlando. À cette action,
les autres servent de cortège et de chemin pour la conduire à son terme : les
amours de Bradamante, de Ruggiero, d’Angelica et de Medoro  ; les
différents sentiments d’Alcina et la passion d’Astolfo189. »
Dans l’Orlando finto pazzo, que Vivaldi avait mis en musique en 1714, la
folie d’Orlando était seulement feinte. Ni le drame, ni la musique de Vivaldi
ne présentaient aucune concentration sur la folie du protagoniste qui, par
ailleurs, n’avait à chanter que quelques arias d’une valeur dramatique
médiocre. On se rappelle que le drame ainsi modifié n’avait pas plu au
public du Sant’Angelo.
En 1727, Vivaldi est maître de la situation. Dans sa partition, la folie
d’Orlando devient centrale, et correspond pleinement au vœu formulé,
quatorze ans plus tôt, par le jeune dramaturge.
Nous nous trouvons dans le jardin d’Alcina, proche de son palais, où elle
a fait prisonniers plusieurs chevaliers chrétiens. Angelica confesse à la
magicienne son amour pour Medoro. Survient Orlando qui est à la
recherche d’Angelica. Le chevalier français explique qu’il a été chargé par
le dieu Ebro de reprendre les cendres de Merlin. C’est alors qu’échoue sur
le rivage un petit bateau portant Medoro blessé à mort. Angelica le reçoit à
bras ouverts et s’alarme. Orlando entre en scène et trouve sa bien-aimée en
compagnie de Medoro. La jalousie le gagne. Alcina rassure Orlando par un
mensonge  : il n’a aucun souci à se faire, car Medoro est le frère et non
l’amant d’Angelica  ! Et, pour écarter les soupçons du paladin, Angelica
feint d’être séduite par Orlando, suscitant cette fois la jalousie de Medoro.
Non sans cruauté, pour s’en amuser et se libérer de l’intrus, Angelica
demande à Orlando de lui fournir une preuve de son amour  : il doit aller
chercher un vase d’eau éternelle enfermé dans une caverne gardée par un
monstre. Orlando s’exécute sans prendre garde au piège  : la caverne se
referme sur lui ! Après de durs efforts, Orlando finit par sortir de la grotte.
Parvenu à la lumière du jour, il voit devant ses yeux Angelica et Medoro qui
s’éloignent, enlacés (II, 13) ; puis il lit ces mots, que les deux amoureux ont
gravés sur l’écorce d’un arbre ; des mots terribles : « Que vivent toujours
amoureux Angelica et Medoro, Amants et Époux… Ici, Angelica fut
l’épouse de Medoro. » Orlando comprend qu’Angelica et Medoro viennent
de se marier et que les deux femmes (Angelica et Alcina) se sont moquées
de lui. Ici commence la folie d’Orlando.
 
À la fin du second acte, Orlando lance des injures en direction
d’Angelica (récitatif) puis il éclate en larmes («  Jaillissez ô larmes/En
fontaines, en ruisseaux »), en arioso. Éprouvant une sensation de mort de
tout son être, il crie vengeance ; un élan de violence s’empare de lui, contre
lui-même (en récitatif accompagné). Des batteries de doubles croches
illustrent ses gestes, communiquant une puissante énergie rythmique à la
scène. «  Heaume et haubert, Plaques et mailles je vous jette au sol  » (sur
cette phrase prononcée en notes détachées, la voix et la basse continue sont
à l’unisson, en ré majeur). Puis, dans une aria syllabique, où chaque mot
compte, Orlando se sent devenir un monstrueux volatile : « Mon dos a cent
ailes, dit-il ; Mon front deux cents yeux, Et la fureur qui remplit mon sein
Pourrait irriter au moins Mille cœurs Avec ces ailes je m’élève, Je vole de la
plaine aux monts, Ses pupilles, je les vois, Avec tous mes cœurs. Je soupire
Yeux, ailes, fureur, cœurs, ô martyrs  ! Amants et époux, Angelica et
Medoro…  » Les phrases sont d’abord énoncées par la voix solitaire,
l’orchestre n’intervenant que pendant les silences d’Orlando, en groupes de
triples croches. Puis, les mouvements allegro/adagio/sospeso alternent,
traduisant les interrogations, l’agitation, l’effarement né de la colère  ; les
traits ascendants au violon suggérant plutôt le vol maladroit de l’étrange
animal.
 
Au troisième acte (scène  4), Orlando raconte sa folie à Brandimarte,
Origille et Alcina. Son récit se fait mise en scène hallucinatoire : l’Amour a
invité pour le bal la Cruauté, qui refuse et va danser avec la rigueur190.
Orlando se met à danser sur un rythme de « folia ». Les courtes phrases en
langue française, que l’on retrouvera à la scène suivante lorsque Orlando
s’adresse à Angelica («  Vous voudrez bien me pardonner Madame la
Cruauté  ?… Ventrebleu la railleuse…  ») et qui figurent dans les livrets
d’Orlando furioso (en 1713 et  1714) comme références à la langue parlée
par le chevalier Roland, sont supprimées en 1727. Puis, sans sortir du
monde des allégories mythologiques, toujours débordant de sarcasmes et de
ressentiment à l’encontre d’Angelica, Orlando halluciné, cynique et amer,
voit Apollon s’envoler sur un cheval portant en croupe l’Amour («  Vola
vola vola vola : Che vola ? Amor che fugge… »), et qui aurait oublié… « au
bordel son chaste laurier » !

L’explosion de la folie hallucinatoire

Plus loin (scène  9), nous assistons à un duo amoureux entre les
bienheureux Angelica et Medoro. Survient Orlando, tout entier possédé par
la douleur qui le rend fou. Il imagine Angelica sous forme de fantasme sorti
de l’Achéron. Il n’a que haine contre cette femme qui l’a dupé. Le voici
maintenant face à la statue de Merlin (le véritable objet de sa présence dans
le palais d’Alcina) qu’il confond avec Angelica. Il lutte contre Aronte, le
gardien de la statue, casse la chaîne qui tient la massue liée à son bras, la lui
arrache des mains et reprend le combat, développant (tout comme le Roland
de l’Arioste) une force physique surhumaine, produite par sa démence. Il dit
qu’Aronte est fou furieux, puis le tue. Alors, sa colère s’apaise. Orlando
soulève la statue qu’il continue à confondre avec Angelica, l’embrasse et
veut la protéger. Les murs de la grotte se mettent à trembler et la caverne
infernale disparaît. Le récitatif sec devient récitatif accompagné, avec des
traits ascendants, des arpèges en triples croches, tandis que l’on change de
décors  : «  Quel fracas  ! Qu’est-ce, les murs tremblent jusque dans leurs
fondements ? Les toits volent ! /Le sol tremble ! Peut-être est-ce le monde
qui s’écroule ? » Enfin, Orlando épuisé s’endort, en chuchotant : « Je suis si
fatigué ; si las ! »

De la folie feinte à la folie furieuse

Dans l’Orlando finto pazzo de 1714, pour arriver à leurs fins, presque
tous les protagonistes utilisaient la ruse et le travestissement vestimentaire.
Les personnages n’étaient pas ceux qu’ils disaient être et chacun se
retrouvait trompé dans ses sentiments par ces jeux de mensonges, suscitant
la jalousie, le dépit, la colère et la fureur. Le vrai personnage furieux dans le
Finto pazzo, ce n’était pas le héros, mais la magicienne Ersilla, lorsqu’elle
prit conscience qu’elle avait été doublement trompée : Brandimarte n’était
pas Orlando, il n’était pas amoureux d’elle et Orlando n’était pas fou.
Aucun amour n’était partagé. Et si Orlando agissait par amour pour
Angelica, celle-ci restait invisible. Les personnages n’étaient réconciliés
qu’à la fin, afin de respecter la règle de la « lieto fine » (fin heureuse).
Dans le livret de l’Orlando furioso, le maléfice de la magicienne compte
peu. C’est un autre couple qui en est affecté, celui de Bradamante et de
Ruggiero. On met en évidence le bonheur lumineux d’Angelica et Medoro,
leur mariage dans une nature idyllique, le couple établi de Ruggiero et de
Bradamante, la douleur d’Orlando, dans la caverne ténébreuse de son âme.
La version de 1727 est plus lyrique, entièrement basée sur la folie
d’Orlando déçu dans son amour pour Angelica. Les chœurs qui, dans le
Finto pazzo revêtaient une fonction antique, incantatoire et étaient un
médiateur entre Ersilla et les enfers, se transforment, dans le Furioso, en un
intermédiaire avec le ciel, dans un moment de bonheur (lors du mariage
d’Angelica et Medoro).
Dans ce nouvel Orlando, un monde de mutations est mis en scène, un jeu
de miroirs et d’illusions continuelles. La scénographie elle-même subit des
« transformations » importantes : la nuit dans la grotte ; le jour et la lumière
sur l’île, les paysages arcadiens, trompeurs eux aussi comme le jardin
d’Alcina qui recèle la caverne infernale. Des accessoires aident à créer ce
monde d’illusions. C’est un rameau d’or qui déjoue l’enchantement de la
magicienne dans la version de 1714  ; un anneau dans le Furioso. Dans le
Furioso, Astolfo n’est pas transformé en myrte  ; il est seulement furieux
contre Alcina, et Ruggiero n’entre pas en scène sur un cheval ailé. Dans le
Finto pazzo, la magicienne avait créé une vision idéale mais fausse (le
palais de cristal enfermant Angelica), alors que dans le Furioso, Orlando
génère lui-même ses hallucinations ; par exemple, il voit Angelica dans la
statue de Merlin et danse avec elle. Le personnage d’Orlando mis en scène
par Vivaldi en 1727 est un personnage héroïque. Partagée entre les actes II
et III, la scène de la folie furieuse est tout entière traitée en récitatifs secs et
en récitatifs accompagnés, d’une grande expressivité. La folie est, pour
Vivaldi, un cri de désespoir et de douleur poignante, inconciliable avec la
mélodie du chant cantabile, avec le style de bravoure et la codification de
l’aria « à da capo ». La folie inhibe le flux de la mélodie, les arias volubiles,
le plaisir du chant et de la musique.
La femme et la nature traîtresses

Dans Orlando, les femmes sont des êtres dangereux, qui mentent dans
leurs apparences, leurs gestes, leurs paroles et leurs sentiments. Angelica
elle-même est d’une douceur fausse. Le compositeur suggère cette douceur
trompeuse par des arias cantabile, comme il l’avait fait avec la frivole
Cleonilla, dans Ottone in villa. Les seules femmes bonnes sont Bradamante
et la fée Melissa, qui n’est pas visible. Les femmes laides sont toutes des
furies, dit Orlando, dans sa folie. Angelica est belle, et pourtant elle est, elle
aussi, une furie… Angelica est à l’image de la nature, douce et
accueillante ; comme la nature, elle est capable de trahisons. Tout comme
dans les concertos des Saisons, le printemps se transforme en un été torride.
C’est elle qui envoie Orlando dans la grotte diabolique où il retrouve…. une
autre femme, Alcina, autre être double, complice des ténèbres qui attire les
hommes dans son jardin délectable, où coulent les deux fontaines, celle qui
allume et celle qui éteint l’amour.
 
Dans l’Orlando de 1727, l’enchanteresse est incarnée par Anna Girò.
C’est elle qui ouvre l’opéra par un récitatif « Bella Regina ». Elle s’adresse
à Angelica, sa complice féminine. C’est Alcina qui sauve Medoro, lorsqu’il
arrive sur le rivage à l’agonie. Dans l’aria virtuose « Alza in quegl’occhi »
(I,  2), allegro, avec les cordes, Alcina évoque l’amour de façon guerrière,
comme un combat. En 1727, c’est Alcina qui conclut le premier acte avec
l’aria «  Amorose à i rai del sole  », métaphore d’une nature douce et
pourtant, sans soumission ; voix et tutti alternent, comme dans un concerto.
Alcina revient sur scène pour ouvrir le second acte  ; elle chante l’aria
« Vorresti amor da me », répondant de façon froide et presque méprisante à
son prisonnier Astolfo qui lui déclare son amour. C’est une aria parlante,
dans le style ancien, qui permet à Anna Girò de faire preuve de ses qualités
d’actrice. L’aria suivante « Cosi potessi anch’io » est presque douloureuse :
Angelica et Medoro s’aiment et sa propre passion pour Ruggiero est sans
espoir. Au lieu de féliciter le couple comme l’avait fait la magicienne en
1714, cette fois, elle projette sur eux son malheur. Les arias des deux
premiers actes ont été nouvellement composées spécialement pour Anna
Girò.
Au troisième acte, Orlando est prisonnier d’Alcina. Le désespoir du
paladin déçu dans son amour pour Angelica trouve son écho en la folie
destructrice d’Alcina, enfermée dans son univers de ténèbres, où elle
dialogue avec les êtres diaboliques. L’un et l’autre se répondent comme en
un jeu de miroirs. Elle chante l’« aria breve » (sans da capo) « L’arco vuò
frangerti  » (III,  2) reprise de 1713  ; puis se lance dans ses manipulations
diaboliques en proférant des invocations terrifiantes. Le mur d’acier
s’ouvre. Orlando perd la tête. Alcina à son tour voit sa raison s’égarer  :
« Malheureuse, où fuir ? Où me cacher ? Je suis vaincue et outragée. Cieux
injustes ! » dit-elle, en sortant un poignard. Mais contre qui ? Son pouvoir
sur l’amour vrai est inexistant… Sur ce terrain, elle est impuissante. Dans
l’aria « Anderò/Chiamerò », air de fureur où les mots sont débités à toute
allure, la magicienne exprime sa colère et son dépit  : les chevaliers
chrétiens sont en train de sortir du palais où elle les tenait enfermés et de lui
échapper. Vivaldi a ici retravaillé l’aria du Finto pazzo de 1714, « Anderò,
volerò, griderò », écrit pour le rôle d’Origille (III, 12).

L’homme et le devoir de la guerre

Dans Farnace, les femmes sont des manipulatrices : Berenice se met du


côté des Romains par calcul, Selinda courtise les deux Romains pour mieux
les détruire, Tamiri incarne la femme victime, qui résiste du mieux qu’elle
peut au monde du pouvoir. La leçon donnée par ces opéras pourrait être
celle-ci : les hommes courtisent en vain des femmes coquettes et futiles qui
s’entourent d’amants pour se prouver à elles-mêmes qu’elles sont belles.
Les hommes ne sont pas récompensés dans leur amour. Ils sont trompés,
dupés, humiliés et donc furieux. La femme et la nature, deux dangereuses
séductrices, détournent l’homme de son devoir, du service qu’il doit à sa
patrie, de la guerre (comme Otton gaspille son temps avec une femme
fausse et légère au lieu de s’occuper de son peuple). À la fin de l’opéra, les
soldats Ruggiero et Astolfo viennent rechercher Orlando dans la grotte.
Ayant enfin retrouvé la raison et ouvert les yeux, Orlando peut rejoindre
l’armée de Charlemagne qui s’apprête à livrer bataille contre les Sarrasins.
L’homme veut échapper au dur monde de la guerre et cherche refuge dans
les plaisirs immédiats que sa sensualité lui fait désirer. N’est-ce pas fuir la
réalité pour un univers d’illusions, où sa raison est en péril ? Fuir la guerre
et rêver de paix et de douceur…. Lorsque Grazio Braccioli écrit le livret de
l’Orlando furioso, en 1713, Venise vacille et perd son orgueilleuse
assurance ; l’espoir de vaincre les Ottomans vit encore, mais entre une paix
fragile et une nouvelle guerre imminente.
 
La partition de l’Orlando furioso, dans les versions de 1713 et de 1714,
avait déjà servi de portefeuille d’arias pour d’autres représentations ; tantôt
dans les opéras de Vivaldi191, tantôt dans des pastiches élaborés par
d’autres compositeurs ou par les imprésarios  ; par exemple  à Londres en
1714, dans le pastiche l’Arminio ; à Prague en 1724 ; à Brno en 1735. Les
livrets de Prague et de Brno sont des mélanges des versions vénitiennes
de  1713 et  1714. Les Orlando représentés entre  1738 et  1746 dans les
théâtres de Bergame, Vicence, Este, Bassano et Venise (au théâtre San
Moisè) se fondent aussi sur les versions de  1713 et  1714, même si l’on
retrouve dans ces livrets d’autres arias provenant d’opéras plus récents de
Vivaldi192.

Farnace, Venise, automne (décembre ?) 1727

La première reprise connue du Farnace de Vivaldi, créé au Sant’Angelo


en février 1727, a lieu quelques mois plus tard, sur les mêmes scènes, à la
saison d’automne (RV 711-B). La date n’étant pas précisée, on ne sait dans
quel ordre Farnace et Orlando ont été représentés. Les interprètes (engagés
pour toute la saison du carnaval 1727-1728) sont les mêmes que dans
Orlando, mais différents de ceux du carnaval précédent. La contralto Lucia
Lancetti (qui avait chanté comme primo uomo dans l’Ipermestra, à
Florence) interprète le rôle masculin de Farnace (comme elle incarne aussi
Orlando) ; Benedetta Serosina, virtuose de l’Électeur Palatin, est Berenice ;
la contralto Maria Caterina Negri, Selinda  ; la basse Gaetano Pinetti,
Pompeo ; le castrat alto Casimiro Pignotti, virtuose de l’Électeur de Saxe et
Roi de Pologne, interprète Gilade  ; le castrat alto Giovanni Andrea Tassi,
Aquilio. Seule Anna Girò conserve son rôle chanté en février. Si l’on se fie
au livret, Anna aurait chanté les mêmes arias qu’au carnaval ; sauf à la fin
du premier acte où l’aria «  Non trova mai riposo  » remplace une aria de
Pompeo («  Se si nasconde tra verdi fronde  »). Dans cette distribution,
aucune voix de soprano  ! Cet aspect devrait réjouir le chagrin Benedetto
Marcello, qui n’aime pas la profusion de voix aiguës envahissant les
théâtres d’opéra à son époque.

Le succès international du Farnace

Après les deux séries de représentations vénitiennes, au carnaval et en


automne 1727, le Farnace sera donné à Prague, au théâtre Sporck, par la
troupe d’Antonio Denzio, au printemps 1730 (RV 711-C), avec Denzio dans
le rôle-titre. Il sera ensuite donné, en mai  1731, dans la ville de Pavie,
proche de Milan, annexée par les Habsbourg (RV 711-D). Dans cette ville,
Anna Girò reprendra le rôle de Tamiri, mais avec des modifications et des
arias de caractère plus héroïque193. C’est à cette représentation de Pavie
qu’on attribue généralement (mais sans certitude) le manuscrit partiellement
autographe conservé à Turin (Giordano 36). Pour le carnaval 1732, le
26  janvier, on reprendra Farnace au Teatro Arciducale de Mantoue (RV
711-E). Le rôle de Farnace sera interprété par Maria Maddalena Pieri et
celui de Tamiri par Anna Girò. Il s’agit d’une version mélangeant les livrets
de  1727 et  1731. Le spectacle est dédié au prince Philipp de Hesse-
Darmstadt  ; le livret ne fait pas figurer le nom de Vivaldi. On situe aussi
une représentation à Florence, au Teatro della Pergola, pour le carnaval
1733 ; il s’agit sans doute d’un pastiche. Une représentation du Farnace de
Vivaldi aura lieu au carnaval 1737 à Trévise, au Teatro Dolfin (RV 711-F),
donnée par une compagnie presque entièrement féminine  ! Une autre
production sera prévue cette fois par Vivaldi lui-même pour Ferrare, au
carnaval 1739 (RV 711-G). Après un litige avec le cardinal Tommaso
Ruffo, le spectacle sera annulé. Toutefois, le manuscrit de Turin (Giordano
37), daté «  1738  » de la main de Vivaldi, correspondrait à ce projet non
réalisé. Il faut compter aussi une représentation du Farnace à Madrid. Le
spectacle sera donné le 4  novembre 1739, à l’occasion des noces de
Philippe de Bourbon avec Élisabeth, l’une des filles de Louis  XV. Cette
version espagnole est élaborée par le Franco-Italien François Courcelle
(dont le nom est italianisé en Francesco Corselli). Né à Plaisance en 1705
d’un père maître de ballet français à la cour des ducs de Parme, Corselli
était arrivé à Madrid en 1733. D’abord maître de musique de l’Infant, il fut
ensuite nommé maître de la Chapelle royale.
 
Le Farnace est (comme l’Orlando furioso) un opéra emblématique, qui
couronne la célébrité acquise par Vivaldi en Europe, non seulement comme
virtuose du violon et comme auteur de concertos et de sonates, mais aussi
comme compositeur d’opéras. Il peut paraître significatif que les livrets
désormais portent tous cette mention : « La musique est du toujours célèbre
D.  Antonio Vivaldi.  » Le rôle de Tamiri est symbolique aussi pour Anna
Girò, qui s’incarne totalement dans cette héroïne tragique de l’Antiquité,
comme Antonio Francesco Carli s’était identifié en Orlando, comme
Antonia Merighi était devenue «  l’Armide  » de Vivaldi, et comme la
Marianna Benti Bulgarelli dite la Romanina avait fait corps avec le
personnage de Didon, dans la Didone abbandonata de Pietro Metastasio.
Tamiri est pourtant un personnage difficile à interpréter pour une jeune
femme d’une vingtaine d’années ! Encore à ses débuts, Anna n’en parvient
pas moins à toucher le cœur du public vénitien, à séduire la sensibilité et
l’intelligence d’un homme aussi exigeant et cultivé que l’était Antonio
Conti, un amoureux convaincu du théâtre classique et de la tragédie
française. Anna Girò portera à bout de bras le succès du Farnace dans son
parcours européen.

26

 Le voyage à Trieste

 (1728)

À la fin de l’année 1727, le compositeur vénitien avait présenté


deux opéras au théâtre Sant’Angelo, Farnace et Orlando. Il
s’agissait de deux reprises ; l’une et l’autre avec la jeune cantatrice
Anna Girò. Le carnaval se poursuit en janvier et février, d’abord
avec une nouvelle partition de Vivaldi dont la première est le
17 janvier 1728, Rosilena ed Oronta. Ensuite, le Prêtre roux
dirigera la production d’un opéra composé à quatre mains par deux
jeunes compositeurs vénitiens, Baldassare Galuppi et Giovanni
Battista Pescetti.

Rosilena ed Oronta, Venise, janvier 1728 (RV 730)194

Le livret de Rosilena ed Oronta est attribué à Giovanni Palazzi, l’auteur


de l’Armida al campo d’Egitto. Palazzi se fonde sur un texte d’Antonio
Maria Lucchini écrit dix ans plus tôt pour Dresde. La dédicace est signée
par « L’impresario » (peut-être Antonio Balletti) et dédiée à « Leopold, du
Saint Empire Romain, Comte de Paar […] Chevalier de la Clé d’Or de Sa
Majesté Royale Catholique l’Empereur  ». «  […] le présent est petit, il est
vrai, et je devrais en rougir, écrit l’imprésario anonyme, mais votre insigne
générosité qui vous permet d’apprécier les petits cadeaux autant que les
grands m’en fournit le courage195. »
L’action se passe à Artassata, capitale d’Arménie. Après plusieurs
batailles sanglantes, Artabano roi de Perse perdit la vie, et son royaume
revint à Arsace roi des Parthes (Maria Caterina Negri). Celui-ci étendit ses
conquêtes jusqu’au royaume ennemi, et captura Rosilena, la fille unique du
roi défunt (Benedetta Soronina, virtuose de l’Électeur Palatin), dont il
tomba amoureux. Mais la princesse le haïssait et tenta plusieurs fois de
s’enfuir. Elle se réfugia auprès d’Ormondo, jeune roi d’Arménie (Casimiro
Pignotti, virtuose du roi de Pologne et Électeur de Bavière), qui vivait
encore auprès de sa mère, Oronta, reine d’Arménie (Anna Girò). Oronta
était en réalité la veuve d’Artabeno, qui avait été assassiné par Arsace  ;
Rosilena fut donc accueillie à bras ouverts par Oronta. Rosilena et
Ormondo tombent amoureux l’un de l’autre, à la joie d’Oronta. Arsace
dépêcha des ambassadeurs auprès de Rosilena espérant la faire revenir vers
lui  : la réponse fut négative. Alors, le roi des Parthes envoya son armée
contre l’Arménie et fut vainqueur. C’est là que commence le drame196.
 
Anna Girò, âgée de dix-huit ans environ, joue le rôle d’Oronta, la reine
douairière d’Arménie ; une mère dominante et vieillissante, et un caractère
fort. Comment ne pas penser à Caterina Cornaro, celle que, à Venise, et
dans la bourgade d’Asolo, qui domine Trévise, on appelle aujourd’hui
encore «  la Reine de Chypre  ». Issue d’une riche famille vénitienne
propriétaire de comptoirs marchands sur l’île de Chypre, elle avait épousé à
quatorze ans le jeune roi de l’île, Giacomo II dei Lusignano, membre d’une
dynastie de croisés français qui étaient liés par alliance à plusieurs familles
princières arméniennes. Celui-ci était non seulement l’héritier du trône de
Chypre, mais aussi celui de Jérusalem et de l’Arménie. Huit mois après le
mariage effectif, Caterina perdit son fils, qui n’avait pas encore un an. La
Sérénissime pensait entrer naturellement en possession des territoires qui
venaient d’échoir à Caterina Cornaro. Mais celle-ci en décida autrement  !
Elle voulut rester à Chypre et jouir personnellement de ses biens. Ce n’est
qu’en 1489 que, sur les pressions de sa famille vénitienne, elle abdiqua. On
organisa de grandes fêtes lors de son retour à Venise. Elle vécut dès lors à
Asolo, entourée d’une cour raffinée, de poètes et de musiciens.
Par ailleurs, la communauté des Arméniens est implantée à Venise depuis
le xiie  siècle  ; elle y jouit d’un prestige culturel important. Fuyant les
persécutions ottomanes, le moine Mechitar était arrivé à Venise en 1715
avec un petit groupe de moines  ; avant de s’installer sur l’île de San
Lazzaro, ceux-ci habitèrent quelque temps tout près de la calle dei Forni et
de l’église San Martino où Giovanni Battista se réunissait avec sa
corporation de musiciens : un milieu oriental, riche de traditions culturelles
et musicales, que la famille Vivaldi côtoie en permanence dans le quartier
de Castello.
 
La musique de Rosilena ed Oronta est perdue. Quatre arias provenant de
cet opéra seront reprises dans des pastiches197.
D’après le livret, on peut imaginer ainsi le déroulement de l’opéra  : le
premier acte s’ouvre sur un « Hall et un atrium royal ». Assise sur le trône,
la reine Oronta (Anna Girò) reçoit le vainqueur, Arsace, roi des Parthes.
Elle chante la première aria « Se non hai tanto di sdegno  », demandant à
avoir une mort digne. Arsace annonce qu’il désire épouser Rosilena
princesse de Perse, qu’il avait précédemment faite prisonnière. Celle-ci
refuse. Oronta apprend que son fils, Ormondo, aurait été tué dans une
rébellion de paysans. Rosilena, éplorée, veut se venger. Le jeune homme
n’est pas mort  ; il réapparaît déguisé en berger appelé Corillo. L’acte se
termine par une aria de bravoure chantée par Anna Girò (Oronta)  :
« Furibonda a me dinante ».
Au début du second acte, on voit « Les appartements de Rosilena ; puis
une cour  ». Rosilena et Ormondo se rencontrent en secret. Ils décident de
dissimuler la vérité, même à Oronta. Puis, quand Rosilena essaie de révéler
à la reine la vérité, cette dernière ne la croit pas. Rosilena reste seule, très
agitée. Ormondo/Corillo est capturé et confronté à Oronta qui reconnaît son
fils. Tous les deux sont emprisonnés. Rosilena, pour sa part, se lamente et
rêve au bonheur des bergers. Anna Girò chante l’aria «  Vil timore, ignoto
affetto ».
Lorsque commence le troisième acte, nous revoyons le décor du début
« Hall royal avec trône » ; puis une « Magnifique place avec des loggias ;
une volée d’escaliers qui porte à de riches appartements ». Oronta et son fils
Ormondo repoussent l’offre de paix qui leur a été faite. Arsace menace de
tuer Ormondo. Anna Girò chante à la scène 6 l’aria « Debole infida », puis
à la scène suivante «  Un raggio ancor di speme  ». À cet endroit-là, on
imagine pour elle un long monologue tragique, tendu et désespéré. Oronta
et Ormondo arrivent au palais avec les Arméniens révoltés. Rosilena
intervient, disant qu’elle a tué Arsace ; elle a en réalité assassiné le traître
Ergisto (général et conseiller d’Arsace), sauvant ainsi sans le vouloir la vie
d’Arsace. Celui-ci, ému, permet à Ormondo d’épouser Rosilena et restaure
le royaume arménien.
Dans cet opéra, les personnages qui devraient se liguer pour résister au
tyran s’entre-déchirent au contraire dans des conflits d’amour et d’intérêts
qui engendrent des coalitions, des rébellions internes, des clans, perses et
arméniens, en lutte les uns contre les autres.

Printemps-été 1728

Après Rosilena ed Oronta, le Sant’Angelo met à son affiche, le 4 février,


Gli odi delusi dal sangue, dernier opéra du carnaval, œuvre composée par
Giovanni Battista Pescetti et Baldassare Galuppi, tous deux clavecinistes.
Ils sont alors deux jeunes compositeurs ; ils prendront bientôt le relais de la
génération des Pollarolo, Lotti, Porta, Albinoni et Vivaldi, maintenant ainsi,
surtout dans la veine comique, le prestige de l’école musicale vénitienne.
Galuppi venait tout juste de travailler à Florence, dans l’orchestre du théâtre
de via della Pergola où on l’avait entendu dans l’Ipermestra. Est-ce Vivaldi
qui aura commandé l’opéra à ces jeunes musiciens de talent ? L’un et l’autre
feront en effet des carrières internationales, à Londres et, pour Galuppi, à
Saint-Pétersbourg également. Le carnaval terminé, Vivaldi prendra à
nouveau congé du Sant’Angelo, où il ne donnera plus d’opéra jusqu’en
1733, date de la création de Motezuma.
Lorsque les théâtres de Venise ferment leurs portes, à la fin de l’hiver,
Antonio Vivaldi peut se consacrer à la composition de concertos et
satisfaire sa clientèle  : les mécènes étrangers (il reçoit des paiements en
février et en mai  1728 du comte Wenzel von Morzin) et la Pietà, pour
laquelle il continue à fournir des concertos et à préparer les filles du chœur
à les exécuter. Le 1er avril 1728, les gouverneurs de l’hospice lui octroient
seize sequins pour huit mois de travail, à raison de deux concertos par mois.
C’est aussi à cette date que ses concertos commencent à être joués à Paris,
au Concert spirituel  : les 4 et 5  avril, le violoniste turinois Jean-Pierre
Guignon interprète Le Printemps et L’Été.

Le décès de Camilla, 6 mai 1728

Le printemps 1728 est marqué, pour la famille Vivaldi, par la mort de


Camilla Calicchio. La nouvelle occupe deux lignes dans un registre
nécrologique de la paroisse de Santa Marina : le 6 mai « Madame Camilla,
épouse de monsieur Giovanni Battista Vivaldi, âgée d’environ 73  ans, est
décédée d’une crise apoplectique compliquée de fièvre. Elle était malade
depuis deux ans environ198… Était-ce donc à cause de l’état de santé de sa
mère qu’Antonio cherchait à rester à Venise ? En prenant, par exemple, si la
Fortune l’avait favorisé, la direction du théâtre San Giovanni Grisostomo…
Camilla désormais n’est plus. Le Prêtre roux ne pense qu’à sa musique, sa
carrière internationale. Il s’achemine vers une autre direction  : Vienne  !
L’Empire et sa prestigieuse chapelle musicale. Mais, pour atteindre cet
objectif, il lui faudra « courtiser » encore… les grands de ce monde.
Le voyage de l’empereur à Trieste

Depuis le printemps 1728, les chroniques et les journaux ne cessaient de


parler du projet de voyage à Trieste de l’empereur. Charles VI était attaché
au développement économique de l’Empire. Un port devenait indispensable
pour faire transiter les marchandises qui arrivaient par bateaux d’Orient
puis devaient être acheminées par terre jusqu’à Vienne. En 1719, Trieste et
Fiume avaient été décrétées « ports francs », et l’on avait fait élargir la route
entre Trieste et Vienne. Le but était maintenant d’installer à Trieste un
grand arsenal. Au préalable, l’empereur, la cour et les experts devaient
examiner la situation géographique et consulter les autorités locales. Le
projet de voyage de Charles  VI fut d’abord abandonné, à cause d’une
épidémie de peste qui s’était déclarée sur l’île de Zante, en mer Ionienne.
On se demandait si cette peste n’était pas un simple prétexte visant à
détourner Charles  VI (un souverain «  extrêmement craint et extrêmement
haï » des Vénitiens, si l’on en croit les propos de Montesquieu199) de son
objectif….
Les lettres écrites de Venise à cette période par l’abbé Antonio Conti et
adressées à la comtesse de Caylus à Paris font de multiples références au
voyage de l’empereur à Trieste, entre fin août et début septembre 1728, et
montrent toutes les hésitations que ce projet a connues200. «  On dit que
l’Impératrice a une fièvre lente, écrit par exemple Conti, dès le 13  mars
1728. L’Empereur a décidé de la conduire à Gratz pour changer d’air. Il
passera de Gratz à Trieste pour visiter ce port et mettre ordre aux forces
maritimes et au commerce. » Le 2 avril suivant : « On dit qu’un Hollandais,
homme de beaucoup d’expérience, va gouverner la marine de l’Empereur.
On quitte Trieste pour établir un port à Boucary. L’Empereur le doit visiter.
Mr Emo sera peut-être un de nos ambassadeurs pour complimenter
l’Empereur qui sera peut-être escorté par nos galères. Je serois tenté d’y
accompagner M. Emo, mais je crains la mer et mon asthme » ; le 15 mai :
«  Tout se prépare à Trieste pour recevoir l’Empereur. Tous les feudataires
de la Carinthie et des autres provinces voisines iront lui rendre hommage.
L’Impératrice est mieux et sa santé se rétablit tous les jours » ; le 19 mai :
«  L’Empereur ne doit plus aller à Trieste, mais il fera quelque séjour à
Gratz. Peut-être ne fera-t-il pas non plus ce voyage, car il lui suffit de tirer
les 300 mils florins des feudataires. On dit que l’avarice de ce prince est
extrême. Il ne pense qu’à amasser de l’argent et il vend tout » ; le 28 mai :
«  La peste de Zante est apaisée en partie. On avait imaginé qu’on l’avoit
supposée pour empêcher le voyage de l’Empereur, mais le fait est contraire
à cette idée ridicule. On auroit pris d’autres mesures » ; le 4 juillet : « La
peste est à Zante. On a défendu toute communication avec ce païs là… ». Et
le 12  juillet  : «  L’Empereur est à Gratz. On ne sçait pas encore s’il ira à
Trieste…  ». Enfin, le 21  août, Conti informe sa correspondante  : «  Nos
ambassadeurs vont partir incessamment pour Trieste. »
Charles  VI et sa suite, partis de Klagenfurt le 20  août201, s’étaient
arrêtés à Lubiana, puis à Gorizia le 2  septembre («  L’Empereur a fait son
entrée à Gorice, rapporte Conti le 19 septembre, habillé à l’Espagnole, mais
il étoit monté sur un cheval si ardent que la Sacrée Majesté Impériale
catholique a couru risque d’être renversée  »). Arrivé à Trieste le
10  septembre, il loge au palais épiscopal où il tiendra aussi ses audiences
pendant les trois jours que dure son séjour avant de repartir vers Fiume et
arriver à Graz le 20 septembre.
Deux patriciens vénitiens qui s’étaient engagés à entreprendre ce voyage
vers Trieste, Andrea Cornaro et Pietro Capello, furent rejoints par de
nombreuses personnalités tout au long du trajet qui sépare Venise de
Trieste. Ainsi, plus de deux cents personnes et deux cents chevaux
arrivèrent à Trieste le 9 septembre pour accueillir l’empereur le lendemain.
Montesquieu avait fait le voyage vers Venise à peu près à la même
période, partant lui aussi de Gratz le 12 août. Ses notes de voyage sont un
autre témoignage sur la rencontre des délégués vénitiens avec l’empereur
Charles VI à Trieste. « On a accusé ces gens-ci d’avoir fait courir le bruit de
la peste de Zante pour empêcher l’Empereur d’aller à Trieste, écrit-il.
L’Empereur seul (sic) a fait dire qu’allant à Trieste il comptoit qu’on lui
rendroit les mêmes honneurs qu’a ses prédécesseurs, et qu’on enverroit des
ambassadeurs, quoique ce ne fût le cas… d’abord, ils avoient dit que les
ambassadeurs iroient par mer jusqu’à Trieste  ; mais ils eurent, ensuite,
difficulté sur ce qu’il faudroit que leurs galères saluassent les premières le
château et ville de Trieste  : la mer saluant toujours la terre. Mais ils ont
craint que cela ne préjudiciât à la seigneurie du golfe ; de façon qu’ils ont
résolu que les ambassadeurs iroient par terre202. »
L’empereur passa trois jours à Trieste  ; trois jours d’audiences dans le
même palais ducal où il logeait, trois jours aussi de déambulations dans la
ville afin de visiter ses monuments, le port, l’arsenal. Séjour non dépourvu
de musique  : messe le matin, vêpres le soir, banquets, et le 12  septembre
(dernier soir), un bal magnifique dans le grand salon du palais ducal, avec
de « doux concerts d’instruments ».
La délégation vénitienne sera de retour sur la lagune le 18 septembre. Le
lendemain, Conti écrit à sa chère comtesse : l’empereur a abandonné l’idée
de faire son port à Trieste, car le site est trop « exposé aux vents furieux de
l’Adriatique  ». Montesquieu le dit en ces termes  : «  L’Empereur veut un
port : Trieste ne vaut rien ; Fiume non plus203. »

Une rencontre avec l’empereur ?

Le séjour de Charles  VI à Trieste est relaté avec précision dans les


mémoires et les chroniques locales, imprimées et manuscrites. Rien
toutefois ne peut nous laisser imaginer qu’Antonio Vivaldi soit parti pour
Trieste avec la délégation vénitienne afin d’y rencontrer Charles  VI en
personne… Ce sont encore deux commentaires de l’abbé Conti, dans ses
lettres à madame de Caylus, parmi de nombreuses autres considérations sur
l’actualité de l’époque, qui fournissent ce précieux témoignage204. Dans la
lettre du 19 septembre 1728 déjà citée, écrite par l’abbé après le retour des
ambassadeurs vénitiens sur la lagune, on trouve ces lignes  : «  Faites mes
compliments à Mr le Comte votre fils ; dites-lui que [mons. a été à Trieste
avec nos ambassadeurs]. L’Empereur a donné beaucoup d’argent à Vivaldi
avec une chaîne et une médaille d’or et qu’il l’a fait chevalier, Schiavo
Signor Cavalliere ». Le 23 septembre : « L’Empereur a entretenu longtemps
Vivaldi sur la musique. On dit qu’il lui a plus parlé à lui seul en quinze
jours qu’il ne parle à ses ministres en deux ans. Son goût pour la musique
est très vif. »
Plusieurs éléments restent indéchiffrables : qui est ce « mons. » cité par
Conti le 19  septembre  ? Pourquoi parler de «  deux semaines  », quand le
séjour de Charles VI à Trieste n’a duré que trois jours (si ce n’est un effet
de style…). Quant à l’argent et aux cadeaux remis à Vivaldi… Les
chroniques de l’époque font seulement mention de cadeaux remis par
l’empereur aux deux ambassadeurs vénitiens. Il est par ailleurs peu
probable que Vivaldi ait été fait «  chevalier  », sans que celui-ci, ensuite,
n’utilise avec fierté ce titre dans les livrets d’opéra et les partitions
imprimées à Amsterdam…

Le recueil manuscrit de La Cetra (1728)

L’une des questions les plus intéressantes concernant une rencontre


possible entre Vivaldi et Charles  VI à Trieste est l’existence du recueil
manuscrit autographe conservé aujourd’hui à Vienne, à la Österreichische
Nationalbibliothek, dédié à Charles VI, daté de 1728205 et portant ce titre :
«  La Cetra/Concerti/Consacrati/Alla Sacra Cesarea Cattolica Real
Maestà/di/Carlo  VI/Imperatore/da’/D. Antonio Vivaldi/Maestro di Capella
di S.A.S. Il Sig. Principe/Filippo Langravio d’Hassia Darmistath/Violino
Secondo l’Anno 1728 ».
Le recueil comprend douze concertos : dix pour violon solo et deux pour
deux violons. Il s’agit de parties séparées (donc de matériel destiné aux
musiciens), élément étonnant pour un volume offert en hommage à un
souverain. La présentation aussi est inhabituelle  : au lieu des trois parties
«  Violino principale  », «  Violino primo  », et «  Violino secondo  », on a
« Violino primo », « Violino secondo » et « Violino terzo ».
Il est dommage qu’à ce matériel, il manque la partie de premier violon
car cinq des concertos insérés par Vivaldi dans ce recueil sont uniques206
et restent donc incomplets. Trois sont publiés207 et trois d’entre eux portent
des titres : le concerto pour la Solennità di San Lorenzo (RV 286), que l’on
retrouve dans le Cahier d’Anna Maria, ainsi que dans le fonds de
Manchester, provenant du cardinal Ottoboni  ; les deux autres sont
L’Amoroso (RV 271) et Il Favorito (RV 277).
 
Le voyage de l’empereur à Trieste avait été longtemps retardé, voire
même annulé. Puis, tout à coup, en août  1728, Charles  VI et sa suite
nombreuse avaient pris la route. C’est alors que Vivaldi aurait décidé (si
l’on en croit les lettres d’Antonio Conti) de s’embarquer avec la délégation
vénitienne et de constituer rapidement, pour rendre hommage à l’empereur,
un recueil employant les concertos qu’il avait à disposition  ; la lyre (La
Cetra) est un symbole de l’Empire  ; elle flatte aussi Charles  VI, présenté
comme une sorte d’Apollon, amant des arts et de la musique… C’est du
moins ainsi que l’on peut écrire ce scénario, en attendant qu’une nouvelle
découverte puisse un jour confirmer notre fiction ou, au contraire, la
transformer totalement…
D’autres suppositions ont été émises. Si le Prêtre roux s’est en effet
trouvé à Trieste parmi ces centaines de personnalités attachées à l’empereur
(les chroniques disent que presque toute la cour s’était déplacée), il aura
peut-être rencontré d’autres personnages  : par exemple le compositeur
Johann Joseph Fux (au service de la cour impériale depuis 1698) qui a
composé un motet, exécuté à Trieste à cette même occasion208 ; on a même
suggéré que le même Fux aurait pu faire obstacle aux visées de Vivaldi à
Vienne… Est-ce à Trieste que Vivaldi a rencontré Johann Joseph Adam,
prince de Liechtenstein et Franz Stephan, duc de Lorraine, futur époux de la
fille de Charles VI, et futur empereur lui-même ? Les documents d’archives
révèlent que ces deux princes font partie de l’escorte de l’empereur et
assistent, le 10  septembre 1728, à l’entrée des ambassadeurs vénitiens, au
palais ducal209. Or, quelques années plus tard, le prince de Lichtenstein et
surtout Franz Stephan (François Étienne) font l’un et l’autre partie des
protecteurs de Vivaldi…

Automne 1728

Revenons à Venise ! En automne 1728, aurait eu lieu, dans le petit théâtre


que gère Fabrizio Brugnolo, sur le campo San Margherita ai Carmini, une
reprise de la Dorilla in Tempe210. Le 9  novembre commence le procès
contre Iseppo (Giuseppe), le plus jeune frère d’Antonio Vivaldi, qui avait
été compromis dans une rixe. Il sera condamné le 18 mai 1729 à trois ans
d’exil. Pour l’ouverture du carnaval, le 29  décembre 1728, Vivaldi est à
Florence, où l’on donne son Atenaide, avec « Anna Girò di Venezia ». Pour
la première fois, le compositeur a pu imposer sa chanteuse dans une autre
ville que Venise, et sur l’une des scènes les plus prestigieuses d’Europe.
L’Atenaide, Florence, décembre 1728 (RV 702)211

Presque deux ans sont passés depuis la représentation de l’Ipermestra au


théâtre de la via della Pergola, en janvier 1727. L’Atenaide de Vivaldi ouvre
la saison du carnaval ; il est donc le moins important. Le Catone in Utica de
Leonardo Vinci prendra la suite. Une fois encore les routes de Vivaldi et de
Vinci se croisent. Il s’agit de la première apparition d’Anna Girò sur les
scènes de la Pergola. Son engagement vaut pour les deux opéras, celui de
Vivaldi et celui de Leonardo Vinci. Le livret est dédié à «  Gio(vanni)
Gastone  I, Grand Duca di Toscana  » qui reste le protecteur de l’ancien
théâtre des Médicis.
 
L’histoire met en scène Athénais, fille d’un philosophe d’Athènes nommé
Léontin. Celui-ci avait trois enfants, deux garçons et cette fille, à qui il avait
transmis sa grande érudition. Mais quand il mourut, ses deux fils se
partagèrent son héritage et écartèrent leur sœur. Ces personnages vivaient
sous le règne de Théodose  II (401-450) empereur romain d’Orient, connu
pour sa faiblesse. Devenu empereur encore enfant, il régna en partie sous la
régence de sa sœur aînée Pulchérie (de 441 à 421), une femme très dévote
qui avait transformé la cour en un quasi-monastère, puis c’est sa femme
Eudoxie/Athénais qui domina. De nombreux conflits éclatèrent entre les
deux femmes. On fit croire à l’empereur que sa femme le trompait ; elle fut
exilée à Jérusalem et Pulchérie revint au pouvoir… Théodose alors était
sous l’emprise de l’eunuque Chrysaphius.
L’«  Argomento  » inséré dans le livret mis en musique par Vivaldi
présente ainsi le scénario de l’opéra  : Eudossa (Giustina Turcotti de
Florence, soprano) fille de Leonzio (dit aussi Leontino), philosophe
athénien (le ténor Annibale Pio Fabri), avait trouvé refuge à Constantinople
afin de se soustraire à l’amour de Varane, prince de Perse (Elisabetta Moro
de Venise, contralto). Ce fiancé importun était le fils du roi Isdegarde, celui-
là même que le père de Teodosio le Jeune en mourant avait nommé tuteur
de ses enfants. Eudossa était en réalité Atenaide (ou Athénais) qui, au
moment de son baptême par le patriarche de Constantinople avait changé de
nom. L’empereur Teodosio  II (le castrat soprano Gaetano Valletta de
Milan), touché par sa beauté physique et par l’excellence de son esprit,
tomba amoureux d’elle et l’épousa, avec le consentement de Pulcheria
(Anna Girò), la sœur de l’Empereur. «  Cette histoire est relatée par les
historiens Zonara, Théophane et autres. »
Pour les besoins du drame, Apostolo Zeno, l’auteur du livret, avait fait
quelques entorses à la grande Histoire  : il imagine que Varane se rendit à
Constantinople, afin d’y suivre Atenaide, avec l’intention de l’épouser, sans
tenir compte du fait que celle-ci était déjà destinée à Teodosio. Ce dernier,
en revanche, avait l’intention de lui donner sa sœur Pulcheria qui, elle, était
aimée de Marziano, un général de l’Empire (Anna Maria Faini de Florence,
contralto). Zeno avait inventé la correspondance secrète entre Pulcheria et
Marziano, les amours de Probo, préfet de la garde du Prétoire (Gaetano
Baroni, ténor) pour cette dernière, ses jalousies et sa trahison. À l’exception
de Varane et de Probo, les autres personnages sont historiques.
Le drame se situe dans le royaume de Byzance. Le scénographe n’est pas
nommé. Les décors jouent sur les architectures néo-classiques telles qu’on
les trouve dans les livrets de Metastasio et qu’on les aime à la cour des
Habsbourg  : Loggia attenante au palais impérial  ; Cour impériale (acte  I).
Magnifique salon  ; Cabinet impérial (acte  II). Cour attenante au jardin  ;
Galerie  ; hippodrome (acte  III). Le nom du compositeur est cité
simplement, sans titre  : «  La musique est de M.  D.  Antonio Vivaldi  ».
Existait-il des conflits entre le grand-duc de Toscane et Philipp de Hesse-
Darmstadt ?
 
Le livret d’Apostolo Zeno datait de 1709. À cette date, le célèbre
historien et dramaturge, chef de la colonie vénitienne des Arcades,
l’Accademia degli Animosi, n’était pas encore le Poeta Cesareo (historien
de l’empereur), qu’il deviendra en 1718, jusqu’en 1729. Le livret avait été
écrit spécialement pour fêter le mariage, à Barcelone, de Charles VI (encore
roi d’Espagne avec le titre de Karl  III) avec Élisabeth Christine von
Braunschweig-Wolfenbüttel. Dans le drame, Teodosio et Eudossa seraient
des allégories du couple royal. Le livret fut ensuite repris à la cour de
Vienne le 19  novembre 1714, sous forme de pastiche, pour la fête de
l’impératrice Élisabeth. C’est ce livret viennois qui sert de base à l’opéra de
Vivaldi. Avant d’arriver à Florence, l’opéra avait encore été donné à
Wolfenbüttel en 1716 et en 1721 (parfois avec d’autres titres), ainsi qu’à
Hambourg, en 1718212.
Les chanteurs sont les mêmes dans L’Atenaide et dans le Catone de
Leonardo Vinci. Vivaldi n’eut certainement qu’une influence relative sur la
production, l’imprésario étant Casimiro degli Albizzi et le maître de
chapelle de la cour, Giuseppe Maria Orlandini, ayant toujours son mot à
dire. Il est probable que Vivaldi avait posé la condition de l’engagement
d’Anna Girò avant de signer son contrat  ; peut-être avait-il aussi exigé la
présence de deux autres chanteurs, le ténor de Bologne Annibale Pio Fabri,
et la contralto vénitienne Elisabetta Moro, spécialiste des rôles masculins,
que l’on retrouvera plus tard aux côtés d’Anna Girò, en 1737, à Florence.
La prima donna était la Florentine Giustina Turcotti, une bonne soprano
mais connue pour être, selon les mots mêmes d’Albizzi, comme
« monstrueusement grasse ». Le primo uomo Gaetano Valletta était lui aussi
un virtuose du milieu florentin ; il n’avait jamais chanté pour Vivaldi.
 
Il existe une seule partition de cet opéra, conservée à Turin213. Il s’agit
d’une copie, où l’on croit reconnaître l’écriture de Giovanni Battista
Vivaldi. Il manque la Sinfonia introductive  ; on plaçait souvent en début
d’opéra une pièce instrumentale interchangeable, pourvu qu’elle soit dans la
tonalité adéquate. L’ensemble instrumental comprend essentiellement les
cordes  ; deux flûtes à bec sont employées pour accompagner une aria de
Marziano, « Bel piacer di fido core » (II, 8).
Ce manuscrit présente de nombreuses différences avec le livret de
Florence. La musique correspond-elle effectivement à la représentation de
la Pergola, ou bien est-elle la partition d’un autre spectacle non identifié ?
Reinhard Strohm qui fait une comparaison soigneuse entre le livret viennois
de 1714, celui de Florence mis en musique par Vivaldi en 1729 et la
partition de Turin montre que certaines arias ont été modifiées trois ou
quatre fois. Les récitatifs sont les mêmes entre livret et partition, mais la
numérotation des scènes change. Globalement, Vivaldi reste assez proche
de la version de 1714, comme si Albizzi avait demandé au compositeur de
changer le moins possible le livret de Vienne. À son habitude, Vivaldi a
probablement utilisé des musiques préexistantes qu’il a adaptées au texte de
Zeno et que l’on ne peut plus reconnaître que par la musique. C’est le cas
par exemple de l’aria chantée par Anna Girò dans le rôle de Pulcheria, « Te
solo penso ed amo » (III, 14), une aria parodique typique : la musique a été
reprise de l’aria « Forse o caro in questi accenti », chantée par Anna dans le
rôle de Tamiri dans Farnace, à Venise, au carnaval 1727 (III, 3). Vivaldi a
simplement adapté la musique à d’autres mots, puisque la métrique des vers
convenait au texte de Zeno, ainsi que les sentiments exprimés  ; une aria
sentimentale, en sol mineur, de type cantabile. Anna Girò chantera
plusieurs fois au cours de sa carrière cette même aria qui lui valut
certainement du succès. Ainsi les chanteurs véhiculaient-ils leurs airs
favoris dans toute l’Europe, à la plus grande satisfaction du public.
Neuf arias viennent de l’Orlando, trois du Siroe et deux de la Dorilla in
Tempe. Quatre arias ne sont pas sur des textes d’Apostolo Zeno  ; elles
peuvent avoir été ajoutées par Vivaldi sur la demande des chanteurs. À leur
tour, des airs de L’Atenaide seront repris dans plusieurs opéras : la Dorilla
donnée en 1734, la Griselda en 1735, ainsi que dans une reprise du
Farnace, en 1738.
Concernant le manuscrit conservé à Turin, une autre question surgit.
Lorsque des différences importantes apparaissent entre un livret et sa
partition autographe, cette partition est généralement un document de
travail au caractère provisoire, une sorte de brouillon. Or, pour cet opéra, le
manuscrit est une copie propre qui semble correspondre à une
représentation précise. S’agit-il donc d’un manuscrit ayant servi à une autre
représentation que celle de Florence (même si les tessitures des voix
correspondent exactement à la distribution de 1729)214  ? Peter Ryom
distingue dans son catalogue la version de Florence (RV 702-A) dont on ne
connaît pas la partition et une représentation ultérieure (RV 702-B), à
laquelle correspondrait le manuscrit musical conservé à Turin, mais auquel
on est incapable d’attacher une production précise215.
Prévoyant (ou espérant) un futur voyage à Vienne, Vivaldi aurait pu
préparer cette partition pour une représentation dans cette ville, suggère
Reinhard Strohm  ; un opéra devant l’empereur et devant son compatriote
Apostolo Zeno, désormais poète attitré de la cour de Vienne. On peut
émettre une autre hypothèse  : sur la demande d’Albizzi, Vivaldi aurait
travaillé à Venise avec le livret de Zeno, datant de 1714. Des changements
auraient été autorisés à Florence : deux arias supprimées et sept remplacées
par d’autres (version du manuscrit de Turin). Puis ces changements
n’auraient pas convenu  ; on aurait alors repris la première formule, mais
dans la partition autographe qui est perdue. Vivaldi aurait demandé au
copiste de reproduire la première et non la seconde version. Autre
suggestion : la copie propre conservée à Turin aurait pu aussi servir à une
autre production, ou vendue à un imprésario.
Il existe aussi un groupe de six arias, extraites de cet opéra, partiellement
autographes, conservées à Dresde, dans un recueil mixte216. Dans chaque
aria, le texte et les annotations sont autographes. Que font ces arias
détachées à Dresde  ? Vivaldi copiait-il lui-même ses arias en prévision
d’autres représentations ? Un imprésario lui avait-il demandé plusieurs arias
afin de les intégrer dans un pastiche représenté à Dresde ?

Luca Casimiro degli Albizzi récrimine

La correspondance de Luca Casimiro degli Albizzi ne fournit pas


d’éléments sur les conditions selon lesquelles Vivaldi fut engagé pour
composer L’Atenaide. En revanche, plusieurs lettres échangées par
l’imprésario florentin avec différents personnages nous renseignent sur la
réception du spectacle dans le public et semblent dire que l’opéra de Vivaldi
ne connut pas un grand succès217.
Fra Camillo Pola qui, à Venise, joue le rôle de médiateur avec le théâtre
de Florence, écrit à Albizzi le 22 janvier 1729 ; il espère que l’opéra suivant
(celui de Leonardo Vinci), qui sera donné à la Pergola après L’Atenaide,
aura plus de succès : « Je souhaite que le Catone, que vous allez mettre en
scène, vous remettra des dommages subis avec le premier opéra, écrit-il à
Albizzi, et s’il réussit aussi bien que chez les Grimani, vous pourrez
sûrement vous en féliciter218.  » Le 5  février, c’est un certain Ferdinando
Bartolommei qui écrit de Vienne : « … d’ailleurs, comme vous le dites très
bien, notre pays n’est plus très porté vers ce genre de divertissements, ou
parce qu’ils ont perdu leur sens ou parce qu’ils sont trop limités219. »
Le Catone in Utica de Metastasio venait d’être représenté au théâtre San
Giovanni Grisostomo sous le « drapeau » napolitain, avec une musique de
Leonardo Leo interprétée par une belle brochette de castrats  : le jeune et
déjà grand Carlo Broschi dit Farinelli, Domenico Gizzi dit Egizziello, le
vieux Nicolino, toujours aimé du public vénitien (bien que, désormais, il
joue plus qu’il ne chante… selon l’abbé Conti)  ; bien sûr, dit Pola, la
présence de Farinelli, qui est «  parmi les chanteurs vivants les plus
importants220 »), a contribué grandement au succès du spectacle.
Le Catone in Utica mis en musique par Leonardo Vinci (avec Anna
Girò), donné pour la première fois le 7 février 1729, aura en effet plus de
chance que l’opéra de Vivaldi. Le 18  février 1729, Pola écrit à Albizzi  :
« Vous serez bientôt au terme de vos efforts ; je suis heureux que le Catone
que vous avez mis en scène ait du succès et que vous puissiez aussi vous
remettre des dommages soufferts dans L’Atenaide221. »
Les lamentations de Luca Casimiro degli Albizzi n’étaient-elles pas un
peu hypocrites  ? Une lettre écrite le 19  mars 1726 (donc avant ces
représentations) par un noble lettré de Pesaro modère en effet ce bilan.
Celui-ci conseille à l’imprésario de créer un fonds de placement permanent,
qui servirait uniquement à la création des opéras, plutôt qu’un financement
réalisé au «  coup par coup ». Puis il ajoute, avec malice… « Avec tout le
succès que votre théâtre a connu, écrit ce correspondant, vous vous
lamentez quand même et vous voudriez faire croire que vous y avez perdu.
Mais pour ce qui est du métier, n’essayez pas de faire croire que cela ne
marche pas222. »
On ne sait si l’échec de l’Atenaide est dû à la musique de Vivaldi ou aux
interprètes. Lorsque, en 1735, il voudra négocier l’opéra suivant de Vivaldi
(la Ginevra), Albizzi saura rappeler que la Girò n’avait pas eu beaucoup de
succès, lors de son dernier passage à Florence223. Il est possible aussi que
ce soit le livret de Zeno et non la musique de Vivaldi qui n’ait pas plu aux
Florentins, en raison de son ton moralisateur et de la glorification des
Habsbourg qui y est faite. Vivaldi est cité dans le livret sans son titre de
maître de chapelle de Philipp de Hesse-Darmstadt. Cet opéra ne peut pas
être considéré comme un simple collage d’arias  ; il était une réponse à la
nécessité devant laquelle Vivaldi se trouvait de moderniser un livret conçu
précédemment dans le contexte viennois224.
Montesquieu, qui se trouve à Florence au moment où l’on représente
l’Atenaide de Vivaldi, laisse ce témoignage  : «  Il y avait un opéra à
Florence. La Turcotta y chantoit. C’est, dit-on, la seconde actrice d’Italie ;
la Faustina est la première. J’ai bien pris goût à ces opéras italiens. Il en
coûte très peu à Florence pour l’opéra. Ce sont des gentilshommes du pays
qui s’associent pour en faire un. Comme ils ont de l’argent, qu’ils payent
bien, ils ont tout à meilleur marché que ces misérables entrepreneurs. On
s’abonnoit pour un louis, pour tout le carnaval225. »
Anna Girò a-t-elle été appréciée par le public  ? Albizzi s’est-il montré
dur et exigeant  ? Pendant que la jeune cantatrice était en scène, un
admirateur lui lança ce poème, que les archives ont miraculeusement
préservé :
Le charmant concert que forme ta voix élève vers le ciel deux étoiles
matinales que ton regard, ce doux tourment des cœurs, tel le rayon du
soleil, orne et embellit.
Ni le vent soufflant dans les ramures
Ni le rossignol exprimant son amour
Ne touchent l’âme comme le font tes doux accents
Avec leurs mille enchantements et leur charmant cortège.
L’éclat de tes beaux yeux et ton chant suscitent l’amour  ; en eux
Cupidon puise une double force et blesse les cœurs.
Au fond de ton regard, sur ce Rivage Toscan, les amours battent des
ailes ; dans ta grâce et ton talent, ils désirent faire leur nid226.
Lorsque la saison hivernale est terminée, le marquis est pacifié et serein.
En toute occasion (l’avenir nous le prouvera à plusieurs reprises), Casimiro
degli Albizzi sait rester un homme du monde, galant et généreux. Alors
qu’Anna Girò est repartie vers Venise, il aimerait savoir si la jeune femme
est satisfaite du traitement reçu à Florence, si elle est heureuse des cadeaux
qui lui ont été remis. Il s’en enquiert auprès de Camillo Pola, qui lui répond
le 5  mars 1729  : «  Quand la Girò sera de retour, je l’interrogerai comme
vous me le demandez, bien que je ne doute pas de la voir réapparaître
totalement satisfaite de Florence227.  » Le 23  avril, Pola écrit encore à
Albizzi : « La Girò n’est jamais venue chez moi comme elle l’avait promis,
mais un intermédiaire m’a dit qu’elle paraît très contente du traitement et
des cadeaux reçus là-bas  ; elle affirme que tout le monde l’a reçue
chaleureusement. Si elle daigne se montrer, je tenterai adroitement d’en
tirer des informations plus personnelles, comme vous le souhaitez228. »

La Cetra, Opus 9, Amsterdam, 1727

Il est étrange que Vivaldi ait conçu, en  1727 et  1728, deux recueils
intitulés l’un et l’autre «  La Cetra  », tous deux dédiés à Charles  VI  : un
manuscrit, autographe (1728) et un recueil imprimé qui, à l’exception du
concerto RV 391, contient des œuvres différentes de celles renfermées dans
le manuscrit.
La parution de l’Opus 9 avait été annoncée dans la Gazette d’Amsterdam
le 31  janvier 1727. «  La Cetra  » (la lyre), l’instrument de musique qui
symbolise la famille des Habsbourg, est l’allégorie d’Apollon et
d’Orphée229. Charles VI, passionné par la musique, est un protecteur de la
vie musicale viennoise, ainsi que des musiciens italiens engagés à sa cour.
Dans sa dédicace, Vivaldi se montre extrêmement formel et révérencieux ;
il vénère le souverain dans son rôle de «  très doux, très généreux et très
bienfaisant protecteur et promoteur des Beaux Arts ».
Faut-il relier la publication de l’Opus 9 (qui suit de peu l’édition de
l’Opus 8) à la lettre écrite en novembre  1724 au comte Carlo Giacinto
Roero di Guarene par Antonio Vivaldi qui se disait en quête de soutiens
financiers pour, avait-il dit dans cette lettre, faire imprimer «  vingt-quatre
concertos » (les douze de l’Opus 8 et les douze de l’Opus 9 ?) ?
Il s’agit de onze concertos pour violon et d’un concerto pour deux
violons230. Chaque livre se clôt par un concerto qui comporte une
« scordatura » (changement d’accord) du violino solo (RV 348 et RV 391),
une influence qui vient de l’Allemagne du sud et de l’Autriche ; cela peut
être pour plaire à l’empereur. Les cordes du violon sont normalement
accordées par quintes justes (sol-ré-la-mi) ; on hausse d’un ton une ou deux
cordes. Cette technique, explique Cesare Fertonani, est employée par les
compositeurs de l’Europe centrale, tels Johann Heinrich Schmelzer,
Nicolaus Adam Strungk et surtout Heinrich Ignaz Franz von Biber, ainsi
que par des Italiens comme Carl’Ambrogio Lonati, Antonio Lolli et plus
occasionnellement par Giuseppe Tartini. La sonorité inhabituelle,
surprenante, devient plus brillante. La « scordatura » permet aussi, dans les
arpèges et dans les traits polyphoniques, de jouer sur les cordes à vide231.
Sauf pour les concertos 7, 8, 9 et 10, on dispose de manuscrits
correspondants, dans les fonds de Turin, de Dresde ou de Manchester.
Après avoir confronté ces manuscrits avec les plaques de cuivre utilisées
par l’éditeur pour l’impression, on déduit que ces recueils ont été constitués
vers 1723-1725. Certains concertos ont emprunté des mouvements à
d’autres œuvres  : par exemple le premier concerto RV 181a a puisé son
premier et son second mouvement dans le concerto RV 181, et son
troisième dans le concerto RV 183, deux concertos dont les manuscrits
autographes sont conservés à Turin.
Deux ans plus tard, le 2  septembre 1729, la Gazette d’Amsterdam
annonce la parution prochaine des Opus 11 et 12, contenant six concertos
chacun. La parution de l’Opus 10 pour la flûte traversière est légèrement
retardée par rapport aux deux autres recueils.

Les Opus 10, 11 et 12, Amsterdam, 1729

Ces trois Opus ne portent ni titre ni dédicace. Leur frontispice est presque
identique  : «  Sei/Concerti/a Violino Principale, Violino Primo e
Secondo/Alto Viola, Organo e Violoncello di Antonio Vivaldi…  » Vivaldi
s’y présente comme violoniste «  maître du Pieux Ospedale de la ville de
Venise », et maître de chapelle de chambre de Philipp de Hesse-Darmstadt.
L’éditeur signale aussi que ces recueils sont imprimés «  Aux frais de
Michel-Charles Le Cène ».
L’Opus 11 contient cinq concertos pour violon, cordes et basse continue
et un concerto final (RV 460) pour le hautbois232. Deux concertos (RV 207
et RV 308) ont été recopiés dans le Cahier d’Anna Maria.
L’Opus 12 contient cinq concertos pour violon et un concerto sans
instrument soliste (RV 124) ; il est l’unique « concerto ripieno  », publié à
l’époque de Vivaldi233. Le concerto RV 244, second du recueil, avait déjà
été publié comme second dans l’Opus 11. Deux de ces concertos, RV 124 et
RV 379, ont des correspondances manuscrites autographes à Turin. On en
déduit que les quatre autres, pour lesquels on ne connaît pas d’autres
exemplaires, ont peut-être été composés spécialement par Vivaldi en vue de
cette édition.
L’Opus 10 est une exception puisqu’il comprend six concertos pour flûte
traversière, cordes et basse continue234. Il serait le premier recueil
constitué dédié à cet instrument. Trois de ces concertos sont en réalité des
adaptations réalisées par Vivaldi à partir de concertos à programme
existants : La Tempesta di mare (RV 433) (repris de RV 98) ; La Notte (RV
439) (repris de RV 104) et Il Gardellino (RV 428) (repris de RV 90). Les
concertos n° 5 (RV 434) et n° 6 (RV 437) sont, quant à eux, des adaptations
de concertos qui avaient déjà été écrits pour la flûte droite et d’autres
instruments (RV 442 et RV 101) ; en outre, Vivaldi réemploie du matériel
thématique issu d’arias et d’autres concertos235. On peut dire que dans cet
Opus, seul le n° 4 (RV 435), qui ne possède aucun manuscrit correspondant,
serait une composition récente, écrite spécialement pour ce recueil. Faut-il
attribuer cette publication à la présence à la Pietà de l’hautboïste et flûtiste
allemand Ignaz Sieber, un musicien de la chapelle musicale de Saint-Marc,
réengagé en décembre  1728 dans le chœur comme professeur de flûte
traversière  ? Il semble que c’est l’éditeur, Michel-Charles Le Cène, qui
aurait pris la décision de mêler des œuvres anciennes et nouvelles dans ce
volume dédié à la flûte, un instrument nouvellement prisé par les musiciens.
 

La plupart des concertos imprimés dans ces cinq recueils (Opus 8 à 12) à
Amsterdam entre 1725 et 1729 sont des concertos pour violon, une forme
typiquement italienne fortement demandée par les amateurs et les
professionnels, dans toute l’Europe. Les progrès réalisés par les grands
luthiers italiens renforcent ce goût propre à l’âge galant. On pense en
particulier à la seconde génération des prestigieuses familles Guarneri
(Giuseppe Guarneri – dit Giuseppe del Gesù – qui travaille avec son père à
Crémone et Pietro Guarneri qui fonde sa propre marque à Venise vers
1730), et Stradivari (Francesco et Omobono).
À cette même période, qui précède son départ pour la Bohême, Vivaldi
travaille de façon continue pour la Pietà, fournit régulièrement des
concertos pour les filles du chœur, et travaille en symbiose avec la très
virtuose Anna Maria, désormais maestra dans son art, qui est peut-être la
principale inspiratrice de ces œuvres du Prêtre roux, presque entièrement
dédiées au violon.
1- Voir chapitre 24.
2- Voir chapitre 22.
3- Voir chapitre 23.
4- Sur l’Opus 8, voir, entre autres, les études de Paul Everett, 1996 et de Cesare Fertonani,
1998, p. 319-356.
5- « Il Cimento dell’Armonia/e dell’Inventione/concerti/a 4 e 5/Consacrati/all’ illustrissimo
signore/Il Signor Venceslao Conte di Marzin, Signore Ereditario di Hohenelbe […] Cameriere
Attuale, e Consigliere di/S.M.C.C. /Da D.  Antonio Vivaldi/Maestro in Italia dell’Illustris.mo
Signor Conte Sudetto, /Maestro de’ Concerti del Pio Ospitale della Pietà in Venetia, /e Maestro
di Capella dà Camera di S.A.S. il Signor/Principe Filippo Langravio d’Hassia Darmistath.
/Opera Ottava. /Libro Primo. /A Amsterdam. /Spesa di Michele Carlo Le Cene./Libraro. »
6- I-Tn, Foà 32, fol. 103-110.
7- Sur Wenzel von Morzin, voir Michael Talbot, Vivaldi and the empire, 1987, p. 36, et Paul
Everett (1996), traduction de 1999, p. 26-27.
8- Ainsi transposés pour hautbois, les concertos RV 236 et RV 178, portent respectivement les
numéros de catalogue RV 454 et RV 449 (P. Ryom, 2009).
9- C. Fertonani, 1998, p. 204.
10- Les concertos du deuxième livre sont : 7. RV 242 ; 8. RV 332. 9. RV 236 (réécrit pour
hautbois : RV 454) ; 10. La Caccia (RV 362) ; 11. RV 210 ; 12. RV 178 (réécrit pour hautbois :
RV 449).
11- C. Fertonani, 1998, p. 138-139.
12- I-Tn, Giordano 34, fol. 141-150.
13- D-Dl, Mus. 2389-0-78.
14- I-Tn, Giordano 31, fol. 353-56, copie peut-être de Giovanni Battista Vivaldi, avec des
interventions autographes.
15- I-Tn, Giordano 34, fol 88-95, manuscrit autographe.
16- GB-Mp, MS 580 Ct 51.
17- I-Vc, fonds Esposti, busta 55.1, fol. 14v°-15v°.
18- C. Fertonani, 1998, p. 136 ; le tableau de G. Bella, Vestiario di una nobil dama veneta a
San Lorenzo se trouve à Venise, Galleria Querini Stampalia.
19- E. Selfridge-Field, 1975 ; traduction italienne, 1980, p. 227-228.
20- Pour une datation minutieuse des manuscrits, voir P. Everett, 1999, p. 38-44.
21- D-Dl, Mus. 2389-0-62.
22- D-Dl, Mus. 2389-0-44.
23- GB-Mp, MS 580 Ct 51.
24- RV 97, RV 538, RV 539, RV 568, RV 569, RV 571 et RV 574 – avec des « trombon da
caccia » (trombone de chasse) ; C. Fertonani, 1998, p. 344.
25- P. Everett, 1999, « Il Nesso inglese », p. 104-108.
26- M. Talbot, Vivaldi, traduction italienne, 1973, p. 148-149.
27- C. Goldoni, Commedia, vol. XIII, 1761, p. 11.
28- Voir chapitre 23.
29- D-Dl, Mus. 2389-E-2 et mus ; 2389-E-1.
30- Sur la datation des œuvres sacrées de Vivaldi, voir M.  Talbot, «  Vivaldi’s Sacred Vocal
Music : The Three Periods » (1988), réédité en 1999 et l’ouvrage très complet, The sacred vocal
music of Antonio Vivaldi (1995). Michael Talbot situe la «  période  intermédiaire  » entre  1720
et 1735.
31- M. Talbot, 1991, p. 38.
32- K. Heller, 1991, p. 43-49, aux dates correspondantes.
33- C. Fertonani, 1998, p. 514-515.
34- Fertonani, p. 514-515.
35- C. Fertonani, 1998, p. 424-425.
36- I-Tn, Giordano 28, fol. 45-55 ; D-Dl, Mus. 2389-O-119.
37- RV 399, RV 403, RV 406, RV 412, RV 414 et RV 424.
38- C. Fertonani, p. 399-412.
39- Venise, Archivio di Stato, Ospitali e Luoghi Pii, Pio ospitale della Pietà, Notatori  ;
Notatorio N. 9 (I), busta 689 (1711-1715), fol. 51, à la date du 22 septembre 1712 ; R. Giazotto,
1973, p. 366, document 30.
40- Idem, Notatorio N.  11 (M), busta 690 (juin  1719-février  1721), fol. 51, à la date du
26 avril 1720 ; R. Giazotto, p. 370, document 51.
41- Idem, Registre 1005, Quaderno cassa, entrée 678 ; M. Talbot, 1995, p. 112, n. 62.
42- Notatorio M, busta 690, fol. 79.
43- Documents cités par M. Talbot, 1995, p. 112.
44- Notatorio N.  12 (N primo), busta 691 (1721-1723 m.v.), fol. 74, à la date du 13  mars
1722 ; R. Giazotto, p. 372, document 57.
45- «  Sopra le putte della Pietà di coro  », fol. 206 r°-212 v°, strophes  XLVI à LV  ;
R. Giazotto, 1973, p. 389-396.
46- J. Ch. Nemeitz, 1726, p. 62 ; M. Talbot, 1995, p. 2 et p. 525.
47- M. Talbot, 1995, p. 97 ; le texte allemand original aux p. 531-532.
48- Johann Gottfried Walther, 1732 ; cité par M. Talbot, 1995, p. 111.
49- Venise, Archivio di Stato, fonds cité supra, Notatorio N. 8 (H), busta 689, (1708-1711),
4 mars 1708 ; R. Giazotto, p. 358-362, document 17.
50- Idem, fol. 136, 6 juillet 1710 ; R. Giazotto, 1973, p. 364, document 23.
51- Idem, Notatorio N. 15 (Q), busta 692 (6 mars 1733-30 août 1737), fol. 158 v°, à la date
du 12 août 1736 ; R. Giazotto, p. 379, document 99.
52- Idem, Notatorio N.  16 (R), busta 692 (27  septembre 1737-21  février 1743), fol. 4, à la
date du 27 septembre 1737 ; op. cit., p. 380, doc. 102.
53- I-Vc Fonds Esposti e Provenienze Diverse. Sur ce fonds provenant de la Pietà et
aujourd’hui conservé au Conservatoire B.  Marcello à Venise, voir les travaux de M.  Talbot,
1982, de F.S. Tanenbaum, 1987 et 1988 et de Ch. Pancino, 2010.
54- M. Talbot, 1995, p. 198-199.
55- I-Vc, busta 77.2, fol. 47v°-48 r° (RV 787) et fol. 44 v°-46 r° (RV 788).
56- R. Giazotto, 1973, p. 394.
57- I-Vc, busta 90.5, fol. 19r°-21 v°.
58- I-Vc, busta 58.1 fol. 10 v°-12 v°. 
59- I-Vc, busta 77.2, fol. 42 r°-43 v°.
60- I-Tn, Foà 40, fol 127-144.
61- Les parties de premier violon figurent dans le Cahier d’Anna Maria dans cet ordre : RV
366 ; RV 772 ; RV 229 ; RV 207 ; RV 775 ; RV 270a ; RV 771 ; RV 343 ; RV 363 ; RV 267a ;
RV 248 ; RV 213a ; RV Anh 74 ; RV 260 ; RV 387 ; RV 261 ; RV Anh 72 ; RV 349 ; RV 308 ;
RV 179a ; RV 582 ; RV 773 ; RV 774 ; RV 581 ; RV 286.
62- R. Giazotto, 1973, p. 394.
63- I-Tn, Giordano 34 (fol. 43-64) (RV 581) et fol. 22-42 (RV 582).
64- P. Ryom, 2007, p. 255.
65- I-Tn, Foà 30, fol. 12-23.
66- A-Wn, Cod. 15.996.
67- GP-Mp, Ms 580 Ct 51.
68- I-Vc, busta 55.1, fol. 77 v°.
69- Cité par C. Fertonani, p. 411.
70- Idem, p. 410-412.
71- M. Talbot, 1995, p. 432.
72- Idem, p. 277 et 427.
73- C. Fertonani, 1998, p. 399-412.
74- P. Ryom, 2007, p. 506.
75- M. Talbot, Vivaldi, 1978, p. 145
76- D-Dl, Mus. 2389-O-84.
77- I-Tn, Foà 40, fol. 251-297.
78- M. Talbot, 1995, p. 276-277. P. Ryom, 2007, p. 283-284.
79- M. Talbot, Vivaldi, p. 145 ; M. Talbot, 1995, p. 112, 277 ; C. Fertonani, p. 77.
80- I-Tn, Foà 29, fol. 293-300.
81- I-Tn, Foà 29, fol. 319-323.
82- P. Ryom, 2007, p. 106.
83- D-Dl, Mus. 2389-0-82.
84- C. Fertonani, p. 399-412.
85- A. Kendall, 1978, p. 233.
86- Extrait de « Ambasciatori di Francia a Venezia. Ambassadeurs de France à Venise. xvie-
xviiie siècles »,
1987.
87- Cardinal de Bernis, Mémoires et Lettres, 1715-1758 ; réédition, 1878, t. I, p. 167.
88- Voyages de Montesquieu [1728], 1844, p. 45.
89- J.-J. Rousseau, Confessions, Livre VII, 1959, I, p. 322.
90- Son costume est reproduit par Giovanni Grevembroch, dans l’ouvrage célèbre Gli habiti
de Veneziani di quasi ogni età.
91- Mémoires de l’entrée et de l’audience publiques de M.  Amelot de Gournay, Manuscrit
conservé à la bibliothèque de Troyes, cité dans Ambasciatori di Francia, 1987, p. 12.
92- Ambasciatori di Francia a Venezia, p. 10-12.
93- Louis-Pierre Hozier, Armorial Général de la France, 1992, vol. 2, p. 675-676.
94- M. Talbot, 1981, II, 31-41 ; 34-35 ; le texte de cette lettre est en italien.
95- Idem.
96- Mercure de France, p. 1417-1418 : « Feste donnée à Venise, au sujet du Mariage du Roi,
par le comte de Gergi, Ambassadeur de France le 12 septembre 1725 ».
97- I-Tn, Foà 27, fol 62-94 (RV 687). Pour une description précise du manuscrit, voir
M.  Talbot, Vivaldi’s Serenatas, 1982, réédité en 1999 (IV), p.  82-83  ; au sujet des deux
sérénades composées par Vivaldi pour l’ambassade de France, voir aussi P. Everett et M. Talbot
Michael, Homage to a French King, 1995.
98- M. Talbot, Vivaldi’s Serenatas, p. 83-84.
99- Paris, ministère des Affaires étrangères (archives), Correspondances politiques, Venise,
1725, vol. 179, lettre du 15 septembre 1725 au comte de Merville, fol. 279 r°-279 v°.
100- Antonio Benigna ; cité par M. Talbot, 1977-1978, réédité 1999 (V), p. 29 n. 39.
101- Venise, Archivio di Stato, Ospitali e Luoghi Pii, busta 691  ; Notatorio O/13 fol. 49  ;
M. Talbot, 1977-1978, p. 29.
102- Venise, bibliothèque du Musée Correr, manuscrit Cicogna 3255/II/57 document signalé
par M. Talbot, 1984, article réédité en 1999 (I), p. 52, n. 74.
103- I-Tn, Foà 27, fol. 146-253. Il s’agit d’une copie, peut-être de la main de Giovanni
Battista Vivaldi, mais avec des insertions et des substitutions de son fils Antonio (fol. 218-220 et
233-235) ; M. Talbot, 1981, p. 37-38 et 1982, p. 92-94.
104- M. Talbot, Vivaldi, traduction italienne, p. 70 ; et 1982, p. 93-94.
105- M. Talbot, 1982, réédition 1999, Addenda.
106- E. Selfridge-Field, Vivaldi’s Te Deum, 1981, p. 46-47.
107- I-Vc, fonds Correr (Carminati), busta 6 n° 9.
108- « Sovvente il sole », RV 749-27, autographe à I-Vc, busta 127.55 ; P. Ryom 2007, p. 529.
109- I-Tn, Foà 27, fol. 95-145.
110- M. Talbot, 1982 ; édition 1999 (IV), p. 87-90.
111- Lettre de l’abbé Antonio Conti à la comtesse de Caylus, datée de Venise, 29 août 1727 ;
S. Mamy, 2003, lettre 23, p. 157-159.
112- Paris, ministère des Affaires étrangères (archives), Correspondances politiques, Venise,
1727, volume 181, lettre du 19 août 1727, fol. 232.
113- Eleanor Selfridge-Field a suggéré que l’exécution de ce même Te Deum aurait pu avoir
lieu à Paris en septembre  1729  ; dans le Mercure de France on lit qu’il a été donné, dans
«  l’Eglise Paroissiale du Temple  », un Te Deum à grand chœur «  du sieur Antonio ci-devant
Violon de feue S(on) A(ltesse) R(oyale) qui fut fort applaudi » ; 1981, p. 45. L’automne 1729 est
la période à laquelle Antonio Vivaldi et son père quittent Venise pour un pays germanique
indéterminé
114- Je retrouvai, en 1996, dans le fonds anonyme du département de la Musique de la BnF,
le manuscrit autographe de la sérénade d’Albinoni, sous la cote « Ms 1108 » ; S. Mamy, « Le
Congrès des Planètes, une sérénade de Tomaso Albinoni exécutée à l’ambassade de France à
Venise le 16 octobre 1729 », 1998.
115- Paris, ministère des Affaires étrangères, Archives, Correspondances politiques, Venise,
1729, volume 183, fol. 273 r°-273 v° « Compliment que Mr le Cte de Gergy fit le 26 7bre 1729 au
Collège sur la Naissance de Mgr le Dauphin  »  ; voir aussi fol. 302 r°-303 v°  ; lettre du 19 
novembre 1729, fol. 319 r°-319 v°  ; et 1730, vol. 184, lettre du 4  février 1730 au Garde des
Sceaux ».
116- Mercure de France, décembre 1729, p. 2930-2939 ; 3125-43 : « Réjouissances faites à
Rome par le Cardinal de Polignac Ministre du Roi auprès de N.S.P. le Pape Benoît XIII ».
117- F-Pc, Ac e4 346  ; A-D.  Il s’agit des concertos RV 157, RV 133, RV 119, RV 136, RV
154, RV 114, RV 160, RV 127, RV 164, RV 121, RV 150, RV 159  ; P.  Ryom, 2007,
« Sammlung III », p. 586.
118- Registres Giordano 29-30, Foà 30.
119- F-Pc, D. 1226.
120- F-PC, D. 12 740.
121- RV 47, RV 41, RV 43, RV 45, RV 40, RV 46  ; F-Pc, Vm7 6310 24  ; P.  Ryom, 2007,
« Sammlung II », p. 586 ; sur ces sonates, voir P. Everett, 1990, p. 54, 66 ; C. Fertonani, 1998,
p.  199-202 et E.  Selfridge-Field, 1992, p.  127-148. La sonate RV 47 se trouve sous forme de
copie avec des interventions autographes à Naples I-Nc Ms 111 88, S.  Pietro a Majella et la
sonate RV 46 à Wiesentheid (D-WD, 782).
122- F-Pn, Rés. ms. 2225.
123- RV 3, RV 5, RV 10, RV 12, RV 15, RV 26, RV 34.
124- RV 2, RV 26, RV 25 et RV 20.
125- C. Fertonani, 1998, p. 181-182.
126- C. Fertonani, p. 351.
127- RV 68, RV 70, RV 71 et RV 77 dans le volume (I-Tn, Giordano 28) ; cf. C. Fertonani,
1998, p. 164-165.
128- M. Talbot, Vivaldi, Londres 1979, p. 66 ; cité par C. Fertonani, 1998, p. 165.
129- S. Mamy, 2003.
130- E. Selfridge-Field, 1992, p. 127-148.
131- D-Dl, Mus. 2389-0-160.
132- C. Fertonani, 1998, tableau, p. 210.
133- C. Fertonani, 1998, p. 209-212 ; 329-330.
134- Ph. Lescat, 1990 et 1992.
135- S. Mamy, 1992.
136- S. Mamy, 1992.
137- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 347-348.
138- Idem, p. 349-353 ; tableau, p. 712-713.
139- Idem, p. 354-358 ; tableau p. 688-689.
140- E. Selgridge-Field,1984, p. 54, 63.
141- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 358-363 ; tableau p. 700-701.
142- D-Dl, Mus. 2389-J-1 ; voir P. Ryom, 2007, « Sammlung VII », p. 589, n° 3.
143- E. Selfridge-Field, 1984, p. 60.
144- Parmi les œuvres instrumentales conservées à Dresde, à la Sächsische Landesbibliothek
(D-Dl), on croit reconnaître l’écriture de Johann Joachim Quantz, dans les Concertos RV 111a,
RV 192, RV 219, RV 228, RV 343, RV 229, RV 262, RV 314a, RV 329, RV 341, RV 364a, RV
422, RV 521, RV 568 ; parfois avec une double intervention, de Quantz et de Pisendel, comme
dans les concertos RV 184 et RV 199. Sur la question du concerto RV 571, voir Cesare
Fertonani (1998, p.  472)  ; Fertonani doute que le concerto 571 ait été joué par Pisendel à
Venise : le manuscrit, sur papier italien, conservé à Dresde (Mus. 2389-0-48.1 et 48.2) aurait été
transcrit par Quantz à Venise en 1726, donc dix ans après les deux séjours de Pisendel à Venise.
Sur la datation des manuscrits, voir aussi P. Everett, 1990, p. 34 et 52.
145- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 226.
146- K. Heller, 1991, p. 42.
147- I Teatri del Veneto. Venezia e il suo territorio, 1996, vol. 2, p. 8.
148- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 36-37 et vol. 2, p. 364-365.
149- Venise, Archivio di Stato, Avogaria di Comun Civil, busta 352/13 et Notarile, Atti Pietro
Zuccoli, busta 14319, fol. 56 ; le texte italien est publié dans I Teatri del Veneto, Venise, 1996,
vol. 2, p. 42 et par R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 364.
150- R. Strohm, 2008, p. 364-378, tableau p. 690-691 ; et P. Ryom, 2007, p. 390-397.
151- I-Tn, Foà 39, fol. 142-295  ; le manuscrit porte ce titre  : «  La Dorilla / ati tre, con
sinfonia, e cori cantano, e ballano / musica di D.  Antonio Vivaldi/cantata nel Teatro di
S. Angelo in inverno 1734 » ; F. Tammaro, 1988. Sur la représentation vénitienne de 1734, voir
R. Strohm, 2008, p. 381-384 et tableau p. 692-693.
152- Sur la personnalité et la carrière d’Anna Girò, voir G. Vio, 1988 et J.W Hill, 1978.
153- Voir l’exemple musical transcrit par R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 375.
154- K. Heller, 1991, p. 41. Voir chapitre 21.
155- A. Bova, 1995, n° 230 et S. Mamy, 2006, p. 120.
156- C. Goldoni, Mémoires, chapitre XXXVI, 1787.
157- M. Talbot, 1978, p. 65.
158- Antonio Conti à madame de Caylus, lettre du 26 janvier 1729 ; S. Mamy, 2003, lettre 81,
p. 233.
159- S. Mamy, 2003 ; lettre d’Antonio Conti n° 5, p. 124-126.
160- Les archives de Luca Casimiro degli Albizzi ont été étudiées par Gino Corti qui a aussi
transcrit les cinq lettres adressées par Albizzi à Vivaldi en  1726 et  1727  ; 1980, p.  182-188  ;
ainsi que par Walter C.  Holmes, 1982 et 1993  ; voir les signalements précis dans M.  Talbot,
Fonti, 1991, sous la cote I-Fag (Florence, Archivio Guicciardini) le copie lettres du marquis est
sous la cote « Albizzi 769 », où se trouve la correspondance envoyée par le marquis entre 1721
et 1731.
161- W.C. Holmes, 1993, p. 119-121.
162- G. Corti, 1980, p. 187, n. 6 et R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 385.
163- Lettre à Michele Grimani, citée par W.C. Holmes, 1982, p. 121.
164- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 384-393 ; tableau p. 714.
165- US-BEM, Ms. 13  : «  Vaghe luci, luci belle  », pour Linceo (I,  1) (fol. 26 r°-28 r°)  ;
« Priva del suo compagno  », pour Ipermestra (I,  2) (fol. 30 v°-31 v°) et «  Sazierò col morir
mio », pour Danao (II, 5) (fol. 24 r°-26 r°).
166- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 393-421, sur les reprises du Farnace, p. 421-435 ; tableaux
p. 696-699.
167- R. Wiesend, 1983, p. 397, n. 541.
168- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 396.
169- I-Tn, Giordano 36, fol. 2-139.
170- R. Strohm, 2008, vol. 2 et Liva Pancino, 1999, p. 28-29 ; E. Pozzi, 2008, p. 270-272.
171- I-Tn, Giordano 37, fol. 58-160.
172- R. Strohm, 2008, vol. 2, tableau, p. 696-697.
173- S. Mamy, 2003, lettre d’Antonio Conti n° 5, p. 124-126.
174- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 436-446 et tableau, p. 734-735.
175- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 439 ; tableau p. 734-735.
176- R. Strohm, vol. 2, p. 443-446 et Olivier Rouvière, 1998.
177- S. Mamy, 2003, lettre n° 5, p. 125.
178- S. Mamy, 1994, p. 52 et suivantes.
179- Florence, Archivio Guicciardini, Albizzi 769 ; lettre transcrite par G. Corti, 1980.
180- K. Heller, 1991, p. 45.
181- Voir chapitre 23.
182- Voir chapitre 26.
183- S. Mamy, 2003, lettre 32, 29 novembre 1729, p. 169.
184- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 446-459 ; tableau « Orlando 27 », p. 720-721.
185- Pour une comparaison entre les versions de 1714 et de 1727, voir R. Strohm, p. 447-448.
186- I-Tn, Giordano 38, fol. 2-175.
187- I-Tn, Giordano 37, fol. 162-250.
188- I-Tn, Giordano 39 bis, fol. 2-153.
189- Grazio Braccioli, Orlando Furioso, Venise, Marino Rossetti, 1713, «  Argomento Al
Lettore », p. 8.
190- « All’invito gentil, ch’amor le fé/Madam la Cruauté/Con guardo torvo, e minaccioso,
aspetto/Dise ‘petit fripon ; je ne veux pas’ così si fà !, /Ed il rigor presa beltà per mano/Lasciò
con passo grave, e ciera brutta/Il mio povero amore a bocca asciutta/Deh appaghi ella il mio
amor meco danzando/Danziam Signora la follia d’Orlando. Suonate, Suonate che fatte ? La, la,
la ra la… »
191- Ercole, Teuzzone, Tito Manlio, Farnace, L’Atenaide, Fida ninfa.
192- Ginevra, principessa di Scozia, Adelaide, Griselda, Catone in Utica… Pour une liste
détaillée des livrets mis en musique par Vivaldi, voir Anna Laura Bellina, Bruno Brizi et Maria
Pensa, 1982.
193- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 426-429.
194- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 459-463.
195- Rosilena ed Oronta, Drama per musica […] Venezia, A. Bortoli, 1728, p. 3-4.
196- Idem, p. 5-6.
197- Dans RV Anh. 127a  : «  Leggo in quel torvo aspetto  » (II,  8, Ergisto) (n°  30) dans
Penelope la Casta, à Prague, en 1730 ;  « Furibonda a me dinante », l’aria de bravoure d’Anna
Girò qui conclut l’acte I, se retrouvera dans La Pravità Castigata à Prague, en 1730 (n°  33)  ;
«  O placa il tuo furor  » (II,  5)  (n°  31) dans «  Il più fedel fra vassali  », à Prague, en 1733
(n° 31) ; « L’Occhio nero, il ciglio arciero » (III, 9) dans Ezio à Milan en 1730, et dans « Amor,
Odio e Pentimento » à Graz, en 1740 (n° 13 et n° 2) ; P. Ryom, 2007, p. 582-583.
198- K. Heller, 1991, p. 47.
199- A. de Montesquieu, 1894-1896, vol. I, p. 45.
200- S. Mamy, 2003, passim.
201- Sur le voyage de Vivaldi à Trieste voir L. Cataldi, 2010.
202- A. de Montesquieu, 1894-1896, vol. 1, p. 50.
203- Idem, vol. I, p. 27.
204- S. Mamy, 2003, passim.
205- A-Wn, Cod. 15.996. Le recueil manuscrit comprend les concertos suivants : 1. RV 360 ;
2. RV 189 ; 3. RV 202 ; 4. RV 286 ; 5. RV 391 ; 6. RV 526 (pour deux violons) ; 7. RV 183 ; 8.
RV 322 ; 9. RV 203 ; 10. RV 271 ; 11 RV 277 ; 12 RV 520 (pour deux violons) ; P. Ryom, 2007,
« Sammlung IV », p. 586.
206- RV 360, RV 526, RV 322, RV 203 et RV 520.
207- RV 391 (Opus 9, n° 12), RV 277 et RV 202 dans l’Opus 11, n° 2 et n° 5.
208- À Vienne, à la Österreichische Nationalbibliothek se trouve en effet le manuscrit d’un
motet de Johann Joseph Fux « Ave mundi spes Maria » (K 171) (Ms 17390) sur lequel il est noté
« 12 Septemb. 1728 à Triest » ; Michael Talbot cite une information transmise par Rudolf Rasch
qui a découvert ce document, art. 1987, réédité en 1999, III, Addenda and Corrigenda, p. 2-3.
209- Luigi Cataldi, 2010, p. 175, reprend le récit de Casimiro Donadoni, 1866, p. 30.
210- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 378.
211- R. Strohm, p. 463-473 ; tableau p. 681-682.
212- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 464.
213- I-Tn, Giordano 39, fol. 2-169.
214- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 463-473 ; tableau, p. 681-682.
215- P. Ryom, 2007, p. 375.
216- P. Ryom, « Sammlung VII », p. 589 ; D-Dl, Mus. 2389-J-1 ; n° 6, 10, 11, 14, 17 « Può
essere cantata da un Basso » (peut être chantée par une basse) ; et 19.
217- William C. Holmes, 1982, p. 121-123.
218- Lettre de Camillo Pola du 22 janvier 1729, idem, p. 122.
219- Lettre de Ferdinando Bartolommei, datée du 5 février 1729 ; idem supra.
220- Idem.
221- Lettre de Camillo Pola du 18 février 1729, idem supra, p. 123.
222- Lettre du 19  mars 1726 de Mons. Alamanno Salviati à Pesaro  ; W.C.  Holmes, 1993,
p. 34-35, 185-186.
223- Idem, p. 124. Voir p. 631.
224- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 466-467.
225- A. de Montesquieu, vol. 1, p. 186.
226- Poème publié par Theophil Antoniceck, 1997 ; E. Pozzi, 2008, p. 282.
227- Lettre de Camillo Pola du 5 mars 1729 ; Holmes, 1982, p. 121.
228- Idem, lettre datée du 23 avril 1729 ; idem, p. 122.
229- M. Talbot, 1987 ; réédition de 1999 (III), p. 37.
230- 1. RV 181a ; 2. RV 345 ; 3. RV 334 ; 4. RV 263a ; 5. RV 358 ; 6. RV 348 ; 7. RV 359 ; 8.
RV 238 ; 9. RV 530 (pour deux violons) ; 10. RV 300 ; 11. RV 198a ; 12. RV 391.
231- C. Fertonani, 1998, p. 365.
232- 1. RV 207 ; 2. RV 244 (aussi n° 2 de l’Opus 12) ; 3. RV 336 ; 4. RV 308 ; 5. RV 202 ; 6.
RV 460 (pour hautbois).
233- 1. RV 317 ; 2. RV 244 ; 3. RV 124 ; 4. RV 173 ; 5. RV 379 ; 6. RV 361.
234- RV 433, RV 439, RV 428, RV 435, RV 434 et RV 437.
235- F. Sardellli, 2001, p. 93-95.
Troisième partie

L’Europe et l’Italie

 Nouveaux déplacements
27

 Une colonie vénitienne à Prague


 Le théâtre de Franz Anton von Sporck

 (1729-1731)

15 janvier 1729. Le prince Carl Ludwig Friedrich von


Mecklenburg-Strelitz est en vacances à Venise, d’où il écrit à son
frère : « Je viens de commencer la musique avec le célèbre
Vivaldi1. »
Carl Ludwig était le fils d’Adolf Friedrich II, fondateur du duché
de Mecklenburg-Strelitz. Il avait passé son enfance au château de
Mirow, capitale du duché, sur la mer Baltique, dans l’actuelle
Poméranie occidentale puis avait poursuivi ses études à Genève. Le
7 août 1726, à l’âge de 22 ans, il quitta la demeure familiale pour
un voyage de trois anznées en Europe, accompagné de sept
personnes : un majordome, un page, un camérier et plusieurs
laquais. Les lettres que le jeune prince envoya à son frère à Strelitz
permettent de reconstituer son itinéraire, ainsi que son séjour dans
la Sérénissime.
Carl Ludwig arriva à Venise le 24 décembre 1728. Une fois
installé, il se mit en quête d’un maître de musique ; il ne trouva pas
de meilleur pédagogue que… le Prêtre roux. Trois brèves missives,
écrites de la main de Vivaldi et adressées au jeune prince de
Mecklenburg-Strelitz, découvertes dans les archives de la ville de
Schwerin, en Allemagne, nous renseignent sur la relation établie
entre le compositeur et cet élève prestigieux2. Le premier billet de
Vivaldi est ainsi formulé :
Altesse Sérénissime,
J’ai l’honneur de renouveler à V.A.S. mon très profond respect, et de
vous faire parvenir la musique, comme convenu. En même temps,
j’informe V.A.S. qu’elle pourra envoyer chez moi à 24 (heures) son page,
avec les deux secondes flûtes des concertos à 3 ; demain matin, je serai en
mesure de les jouer avec V.A.S. Dans cette attente, en vous renouvelant
mon vif désir d’obéir à vos vénérables ordres, avec mes hommages […]
Antonio Vivaldi.

Ainsi, Vivaldi ne se contentait pas d’enseigner au prince ; il jouait


avec lui et, avec les deux flûtistes (le prince et son page), ils
formaient un petit ensemble. Dans un second billet, le Prêtre roux
écrit :
Altesse Sérénissime,

Ce soir on répète au San Cassiano, donc c’est à V.A.S. de décider. Moi


je viendrai à 24 (heures) chercher V.A.S. à la maison  ; j’aurai ainsi
l’honneur de vous servir pour répéter. Mais si V.A.S. vient chez moi ce
soir, je resterai à la maison. Dans cette attente [….]
Antonio Vivaldi.

La troisième missive vient corriger l’information donnée dans la


précédente ; le lieu de la répétition a changé :
Altesse Sérénissime,

Faisant suite au premier, j’ajoute un second billet pour informer V.A.S.


que ce soir on répétera chez la Signora Faustina, donc à 24  (heures). Je
viendrai chercher V.A. J’espère que vous me ferez la grâce de venir. Dans
cette attente, avec mon profond respect […].
Antonio Vivaldi.

Ces trois courriers ne portent ni date, ni lieu, ni le nom du


destinataire. De toute évidence, ils furent écrits par Vivaldi à la
période où le prince allemand séjournait à Venise, entre fin
décembre 1728 et janvier 1729. Par divers recoupements, on réussit
à identifier dans ce correspondant le prince de Mirow, Carl
Ludwig. On suggère aussi que l’une des deux œuvres de Vivaldi
qui auraient été jouées par Carl Ludwig à Venise en compagnie de
son page et de Vivaldi serait le Trio pour deux flûtes traversières et
basse continue RV 800, dont une copie est conservée dans les
archives de Marburg3. Quant à « la Signora Faustina », chez
laquelle Vivaldi va répéter, s’agit-il de Faustina Bordoni ? Rien de
plus vraisemblable ! La cantatrice vénitienne chantait en effet
pendant le carnaval 1729 au théâtre San Cassiano dans l’Adelaide
de Giuseppe Maria Orlandini, aux côtés du grand castrat Francesco
Bernardi, dit Senesino. Dans le théâtre concurrent de San Giovanni
Grisostomo, se produisait pour la première fois à Venise le jeune
prodige Carlo Broschi dit Farinelli. Fin novembre 1728, parlant de
l’opéra qui se préparait au San Cassiano, Antonio Conti écrivait à
madame de Caylus : « Les entrepreneurs de cet opéra sont Faustine
et le peintre Ricci. Faustine a déjà déposé 5 000 Ducats et le peintre
autant. Si l’opéra ne réussit pas, elle aura chanté pour rien. N’est-ce
pas là une fille bien avisée4 ? »
Si Vivaldi répète le soir chez Faustina Bordoni, cela signifie-t-il
qu’il joue comme violoniste dans les théâtres de Venise, sans
participer à la production en tant que compositeur ? Ou bien prête-
t-il simplement main forte aux musiciens, les aidant par exemple à
préparer le spectacle ? En ce début d’année 1729, période du
carnaval, Vivaldi semble libre en tout cas d’engagements
importants avec les théâtres. À la Pietà, en tant que « maître des
concerts », il continue à fournir deux concertos par mois et à faire
répéter les filles du chœur : le 21 août 1729, il est payé 92 ducats et
6 « grossi » (= 26 sequins), pour une période de treize mois5.

Préparatifs de départ
C’est en automne 1729 que l’on situe le départ de Vivaldi et de son père
dans les pays germaniques. Le document le plus fiable qui permet de situer
la date à laquelle les Vivaldi ont quitté Venise provient de la chapelle
musicale de Saint-Marc. En septembre, Giovanni Battista avise les
procurateurs qu’il désire prendre un congé d’un an afin, dit-il,
d’accompagner l’un de ses fils « en Allemagne » (« in Germania ») – une
expression qui, à cette époque, signifie dans les pays de langue allemande.
Le texte de la requête est repris le 30  septembre par les autorités
ecclésiastiques de la chapelle ducale :
Giovanni Battista Vivaldi, violoniste, demande l’aimable autorisation
de pouvoir s’éloigner de la chapelle ducale pour se rendre en Germanie
accompagner l’un de ses fils. Il sera remplacé par Francesco Negri […].
Passé le délai d’un an, s’il ne se représente pas, celui-ci sera rayé du Livre
des Paies. Pendant son absence, il devra toutefois se faire remplacer par le
dit Francesco Negri, à la condition que le maître de chapelle reconnaisse
que celui-ci en est capable6.
Quelques jours plus tard, toujours en octobre, le Teatro Dolfin, à Trévise,
présente une reprise de l’Ottone in villa (RV 729-B). Vivaldi avait-il
commencé à retravailler la vieille partition de 1713 en vue d’une
représentation au théâtre Sant’Angelo, que son départ pour l’étranger
l’aurait obligé à annuler  ? L’Ottone aurait-il alors été joué à Trévise  ? Il
s’agit de la seule reprise connue de cet opéra. Le livret, qui ne signale pas le
nom du compositeur, a été beaucoup remanié7.
En octobre, lorsque le comte de Gergy organise une fête afin de célébrer
la naissance tant attendue du dauphin, Vivaldi est absent.
Exceptionnellement, c’est Tomaso Albinoni qui compose la sérénade
destinée à être jouée le soir, dans les jardins de l’ambassade de France à
Venise. Il paraît donc évident qu’à cette date, Vivaldi a déjà quitté Venise.

Les Vivaldi sont-ils allés à Vienne ?

Les Vivaldi, père et fils, se sont absentés longuement et peut-être à


plusieurs reprises pour une destination inconnue. Où sont-ils allés ? Vivaldi
lui-même nous fournit un indice, dans la lettre autobiographique qu’il
adressera le 16  novembre 1737 au marquis Bentivoglio. Sans donner plus
de précisions à son correspondant, le Prêtre roux écrit : « J’ai été convoqué
à Vienne.  » Mais à quelle date le compositeur effectua-t-il ce séjour  ? Et
qu’a fait Vivaldi à Vienne ? Qui a-t-il rencontré ?
En parcourant aujourd’hui les éléments connus de la vie du compositeur,
il semble que, depuis la date de son engagement à la cour de Mantoue, il
n’ait cessé de chercher à se rapprocher de l’empereur, peut-être même de
convoiter un poste dans la capitale de l’Empire. Lentement et
inexorablement, le Prêtre roux marchait vers le triste rendez-vous qu’il
s’était inconsciemment fixé là-bas, en Autriche, une dizaine d’années plus
tard…
 
Pendant les deux ans (1718-1719) que Vivaldi passa à Mantoue auprès de
Philipp de Hesse-Darmstadt, il vécut dans les milieux de « l’occupant », en
contact étroit avec la culture germanique, s’employant à exalter
musicalement les symboles des Habsbourg. Sauf dans des villes comme
Florence et Reggio (sans doute pour des raisons politiques), le compositeur
ne cessa d’employer son titre de maître de chapelle de Philipp de Hesse-
Darmstadt, carte de visite utile pour côtoyer les milieux qui sympathisaient
avec les Habsbourg. Pour sa part, Philipp n’hésitait pas, comme nous
l’avons vu, à recommander personnellement son maître de musique de
chambre (le 31 mai 1718 auprès d’Anna Maria Luisa de’Medici et le 3 mars
1720 à l’ambassadeur impérial à Venise, Johann Baptist von Colloredo-
Waldsee).
Une sérénade intitulée Le Gare della Giustizia, e della Pace8 (Les
rivalités de la Justice et de la Paix) (RV 689) aurait été exécutée à
l’ambassade de Vienne à Venise à l’occasion de la fête de l’empereur
Charles. Colloredo donnait une réception chaque année, le 4 novembre, jour
de la Saint-Charles, ainsi que pour l’anniversaire de l’impératrice le
28  août. Sachant que Colloredo fut ambassadeur à Venise entre  1715
et  1726, cela permet de situer la date de composition de cette sérénade
entre 1720 et 1725. Le texte avait été écrit par Giovanni Battista Catena, un
membre de l’Arcadie, secrétaire de l’ambassadeur. Toutefois, de cette pièce,
ni livret, ni partition, ni aucune autre trace n’est parvenue jusqu’à nous, à
part un signalement dans un catalogue d’œuvres musicales composées sous
le règne de l’empereur Charles VI, conservé à la Bibliothèque nationale de
Vienne9.
À son tour, l’ambassadeur impérial à Venise aurait présenté Vivaldi au
gouverneur de Milan, Hieronymus Colloredo. Le 26  août 1721, Vivaldi
donnait dans cette ville La Silvia, un opéra destiné à fêter l’anniversaire de
l’impératrice Christine de Brunswick-Wolfenbüttel.
Ce sont les quelques repères dont nous disposons pour imaginer les
relations possibles engagées par Vivaldi avec Vienne et l’Empire, jusqu’à la
fameuse rencontre qui aurait eu lieu avec Charles VI, à Trieste, entre les 10
et 12  septembre 1728. Que se sont dit Vivaldi et l’empereur au cours de
cette longue conversation dont parle Antonio Conti dans sa lettre à madame
de Caylus ? Est-ce bien à cette occasion que le compositeur aurait offert à
Charles  VI «  La Cetra  », le recueil de concertos, autographe, conservé
aujourd’hui à Vienne et daté de «  1728  »  ? Un recueil qui fait suite à un
autre volume, l’Opus 9, imprimé l’année précédente à Amsterdam, lui aussi
dédié à l’empereur, et lui aussi intitulé, de façon symbolique, La Cetra ?
Une autre hypothèse se présente. Vivaldi aurait-il envisagé de faire
représenter l’Atenaide à Vienne  ? Le livret d’Apostolo Zeno, écrit pour
l’empereur (alors roi d’Espagne), était chargé de connotations impériales.
Mais le projet ne se réalisa pas et l’Atenaide mise en musique par Vivaldi
fut finalement donnée au théâtre de la Pergola. Le spectacle ne plut pas au
public florentin, peut-être en raison de ses références aux Habsbourg,
considérés dans la péninsule comme des colonisateurs. Un échec qui avait
laissé l’imprésario Luca Casimiro degli Albizzi dans le désarroi financier.
On suggère encore que ce serait pendant cet éventuel séjour à Vienne que
Vivaldi aurait rencontré deux de ses futurs mécènes : Franz I Stephan von
Lothringen (François-Étienne, duc de Lorraine) et Joseph Adam, prince de
Liechtenstein, conseiller privé de Charles VI entre 1721 et 173210. À moins
que le compositeur n’ait fait la connaissance de ces deux personnalités à
Trieste, puisque ces princes participaient au voyage de Charles  VI, entre
août et septembre 172811. Dès 1731, Vivaldi se place officiellement sous la
protection de ces nouveaux mécènes, tous deux proches des Habsbourg12.
Tout cela reste à l’état d’hypothèses car, de cet éventuel séjour d’Antonio
Vivaldi à Vienne, entre  1729 et  1730, nous ne possédons actuellement
aucune preuve.
 
Si les Vivaldi, père et fils, se sont en effet rendus à Vienne, en automne
1729, ils auraient pu aussi poursuivre leur voyage vers Prague, où Antonio
Denzio et sa troupe vénitienne s’apprêtaient à faire représenter plusieurs
opéras du Prêtre roux. Giovanni Battista n’avait-il pas demandé à la
chapelle de Saint-Marc un congé pour un an ? Ce qui signifie que Vivaldi
senior prévoyait une longue absence, et peut-être plusieurs déplacements en
Europe centrale….

Le comte Franz Anton von Sporck

À la mort de son père, en 1679, Franz Anton hérita une partie du


patrimoine familial, dont plusieurs districts appartenant à la Bohême. En
1680, à l’âge de dix-huit ans, il avait entrepris un voyage en Europe Il visita
toute l’Italie, Rome surtout, mais aussi Turin, le sud de la France. Il resta
allez longtemps à Paris où il se passionna pour la chasse (et apprit à jouer
du cor). Avant de rentrer à Prague, il se rendit encore en Espagne, en
Hollande, dans les Flandres… Il se maria en 1687 et vécut, dit-on, quarante
années de vie matrimoniale heureuse. En 1691 il était entré dans
l’organisme d’État, auprès de l’empereur Leopold Ier.
Dans l’héritage de Franz Anton se trouvait la résidence de Kukus-Bad,
située à l’est de Prague, dans l’actuelle Tchéquie. Il transforma la cité
thermale un peu vieillotte en un lieu d’art, de spiritualité et de mondanité.
Pour cela, il avait engagé deux Italiens  : l’architecte Giovanni Battista
Aliprandi et le maître d’œuvre Giovanni Pietro della Torre. Une partie du
site fut réservée aux loisirs, une autre à la spiritualité. Cela reste aujourd’hui
un ensemble baroque magnifique, entouré de jardins et de forêts. Sporck fit
installer un premier théâtre, dans la résidence d’été de Kuks, puis une
seconde salle dans l’un des palais appartenant à sa famille, à Prague.
Sporck fait partie d’une noblesse nouvelle et il préfère avoir peu de
contacts avec la culture et l’aristocratie locales attachées aux traditions
anciennes de la Bohême. Aussi, pour rester proche des Habsbourg, le comte
porte son choix sur l’opéra italien, à l’honneur à la cour de Vienne  ; les
livrets d’opéra seront traduits de l’italien vers l’allemand, et non vers le
tchèque.

Antonio Peruzzi et Antonio Denzio, imprésarios à Prague

L’initiative de monter une troupe italienne à Prague, placée sous la


protection du comte Franz Anton von Sporck, était partie de Giovanni
Maria Peruzzi et surtout de son fils Antonio, une famille originaire de
Venise13. C’est ce dernier qui aurait fait venir de Venise le ténor Antonio
Denzio, probablement son neveu.
Le Vénitien Antonio Denzio était le fils de la cantatrice Teresa Peruzzi,
dite la Denzia, et de l’imprésario Pietro Denzio qui, entre  1715 et  1718,
gérait le Sant’Angelo et le San Moisè, associé à Giovanni Orsato. À partir
de 1716, Denzio s’était produit comme ténor dans plusieurs opéras de
Vivaldi. Sa sœur, Elisabetta Denzio, avait chanté le rôle de Bradamante
dans l’Orlando furioso de 1713. Elle décéda tragiquement, en
novembre  1716, à 21  ans, sans doute d’un empoisonnement. En 1718,
Antonio Denzio avait épousé Giovanna Miola. Leurs quatre premiers
enfants naquirent à Venise. Les témoins du mariage et des baptêmes des
enfants du couple sont tous des membres de familles patriciennes de Venise.
C’est à Venise principalement que les Peruzzi et Antonio Denzio
recrutent les artistes destinés à former la troupe italienne qui partira pour
Prague  : le très jeune compositeur vénitien, Antonio Bioni  ; Anna Maria
Giusti, dite la Romanina, qui avait chanté le rôle de la frivole Cleonilla dans
l’Ottone in villa, en 1713, à Vicence  ; puis celui de la candide Angelica
dans l’Orlando furioso, à Venise. Les malles des Peruzzi et de Denzio
étaient arrivées en Bohême emplies de partitions manuscrites, opéras et
arias détachées, ainsi que de livrets vénitiens qu’ils ne cesseront, des
décennies durant, de couper, d’assembler et d’accommoder à leur goût et à
celui du public de Prague.
La troupe italienne de Peruzzi se forme à Prague, au début de l’été 1724.
Le théâtre d’opéra est installé dans l’un des trois palais du compte Sporck,
dans l’actuelle rue Hybernska (aujourd’hui, un palais datant de la fin du
xviiie  siècle). Au moment où l’on doit mettre en scène le premier opéra,
l’ancien théâtre en bois, jadis utilisé pour les comédies, n’est pas prêt.
Aussi, pour le premier spectacle, donné à la fin de l’été, la troupe s’installe
dans le petit théâtre de Kuks. Le premier opéra, Orlando furioso, est adapté
du livret de Grazio Braccioli, traduit en allemand par le poète et érudit
Gottfried Benjamin Hancke  ; il est ensuite repris à Prague, le 23  octobre.
Dans une lettre à Tobias Seeman, directeur de l’orchestre de Prague,
Hancke se montre critique. Le livret lui paraît mauvais et, parmi les
chanteurs, seul Antonio Denzio, dans le rôle d’Orlando, est à peu près
décent. D’après lui, le reste est désastreux. Aussi, il encourage le comte
Sporck à se tourner vers l’opéra allemand et à recruter des chanteurs
autochtones. En outre, dès les premières représentations, un conflit éclate
entre Antonio Denzio et les Peruzzi. Ceux-ci décident de quitter Prague et
de fonder une autre compagnie italienne dans la ville de Breslau. Les
représentations de l’Orlando furioso se poursuivent jusqu’en décembre.
Après la trêve de Noël, on donne un nouveau spectacle, L’Innocenza
giustificata, dont le livret est dédicacé au burgrave Johann Joseph von
Wrtby (Vrtba en tchèque), l’un des abonnés du théâtre Sporck. Suit Lucio
Vero, une partition constituée principalement d’arias composées par un
autre Vénitien, Tomaso Albinoni. Sur l’un des exemplaires du livret ayant
appartenu au comte Wrtby, on lit cette note écrite à la main : « N’a pas eu
de succès14. »
Dans les années  1724 et  1726, des échanges constants de chanteurs ont
lieu entre Venise et Prague, entre le théâtre Sant’Angelo et le théâtre du
comte Sporck. Le ténor Lorenzo Moretti chante à Prague entre l’automne
1724 et le printemps 1726, puis il est à Venise, en automne 1726, où on
l’entend dans la Dorilla in Tempe. À l’inverse, la contralto romaine Angela
Capuano apparaît d’abord dans Dorilla et dans Farnace au Sant’Angelo,
puis on la retrouve à Prague. La contralto Maria Caterina Negri se produit
dans trois opéras de Vivaldi au Sant’Angelo (Farnace et Orlando en
automne 1727, Rosilena ed Oronta, en 1728), aussitôt après avoir chanté à
Prague. C’est pourquoi l’on pense que Vivaldi participait depuis Venise au
choix des chanteurs susceptibles de se rendre à Prague et d’entrer dans la
troupe d’Antonio Denzio.
L’initiative de Peruzzi, ensuite relayée par Denzio, est importante pour la
propagation de la notoriété de Vivaldi et de la diffusion de ses œuvres dans
les régions d’Europe centrale. En 1725, deux arias de Vivaldi sont intégrées
dans le pastiche L’Innocenza giustificata. Vers le 20  février 1726, La
Tirania gastigata est formée essentiellement d’arias extraites d’opéras de
Vivaldi ; les récitatifs, quant à eux, sont écrits par « M. Giovanni Antonio
Guerra, de Rome15  ». Johann Joseph von Wrtby note  : «  L’opéra a
beaucoup plu aux spectateurs16. »

La troupe se fixe, 1730-1732

Antonio Denzio assure plusieurs fonctions à l’intérieur de la compagnie :


il dirige la troupe, il remanie les œuvres, il écrit parfois les livrets et il
chante dans les productions. On peut dire que le théâtre Sporck devient le
foyer d’une véritable colonie vénitienne. Pas une seule œuvre n’y est
représentée d’un compositeur de Bohême. Entre  1724 et  1735, Antonio
Denzio produira près de soixante opéras pour le théâtre privé de Franz
Anton von Sporck, à raison de cinq par an  : un en automne, deux au
carnaval et deux au printemps.
Les opéras donnés au théâtre de Franz Anton von Sporck ne sont jamais
des commandes, mais des pastiches arrangés par Denzio, ou par le maître
de chapelle à partir de partitions qu’il avait sans doute apportées, ou qui
pouvaient lui être envoyées, par exemple par Vivaldi, depuis Venise. À
Prague, écrit Reinhard Strohm, le public n’a presque jamais entendu aucun
opéra italien, et ne se rend pas compte que ces opéras anciens de Tomaso
Albinoni, Giovanni Porta, Francesco Gasparini, auraient paru démodés au
public italien qui recherchait désormais la musique des Napolitains, de
Leonardo Vinci, de Nicola Porpora, puis de Johann Adolf Hasse.
Antonio Denzio doit se plier à de nombreuses contingences  : plaire au
mécène et aux autres personnages qui soutiennent les activités du théâtre
(comme le comte Wrtby), adapter les partitions à de nouveaux chanteurs,
les décors à de nouvelles conditions scéniques, ajouter des scènes et des
personnages comiques, des éléments exotiques rendant les décors et les
costumes plus attrayants. Denzio est doué pour ces manipulations. Du ténor
qu’il avait été à Venise, simple interprète dans les opéras, il devient un
véritable chef de troupe. Tout ne va pas toujours sans aléas car l’imprésario
engage lui-même l’argent de la production et se rembourse ensuite avec les
revenus provenant de la location des loges. Il arrive que de nombreux
employés ne soient pas payés, comme le prouvent des lettres conservées
dans les archives de Prague. Endetté, Denzio passera même quelque temps
en prison.
C’est dans les années 1730-1732 qu’Antonio Denzio présente à Prague la
plus grande concentration d’opéras « de Vivaldi ». C’est aussi la période à
laquelle on situe le (ou les) séjours d’Antonio et de Giovanni Battista
Vivaldi en Bohême.

Farnace, Prague, théâtre Sporck, printemps 1730 (RV 711-C)

Farnace, représenté au printemps 1730 sur la scène du théâtre de Franz


Anton von Sporck, est le premier des cinq opéras de Vivaldi montés dans
les années 1730-1732 par Antonio Denzio et sa troupe vénitienne17.
Le Farnace avait été créé au Sant’Angelo au carnaval 1727, puis repris
en automne de la même année. Anna Girò y avait remporté un vif succès
dans le rôle de Tamiri, une mère résistant courageusement au pouvoir de
l’envahisseur romain. Anna Girò ne peut pas avoir participé à ce voyage
entrepris par les Vivaldi père et fils en automne 1729, car elle chante à
Milan au carnaval 1730 et à Turin, l’année suivante, dans des opéras qui ne
sont pas de Vivaldi. Son nom n’est d’ailleurs jamais cité dans la distribution
de ces spectacles. C’est la contralto Girolama Valsecchi Madonis, la
première femme du violoniste Luigi Madonis, que Johann Joachim Quantz
avait entendue à Venise, en 1726, qui incarne Tamiri, le rôle fétiche créé par
Anna. À Prague, la partition de Vivaldi est remaniée (il faut s’adapter aux
chanteurs) par le maître de chapelle, Matteo Lucchini (qui chante le rôle de
Pompeo), sur la base de la création vénitienne. Denzio chante le rôle de
Farnace ; seules deux arias sont nouvelles. On ajoute des scènes comiques
pour une voix basse. D’après une note portée à la main dans son propre
livret par le comte Wrtby, l’opéra aurait été couronné de succès18.
Il n’est pas certain que la présence de Vivaldi ait été vraiment nécessaire
pour monter cette production. Les chanteurs pouvaient s’adapter d’eux-
mêmes à la nouvelle partition. Vivaldi aurait pu vouloir superviser la
version finale. La partition, comme la plupart du matériel musical employé
par Antonio Denzio, ayant disparu, tout n’est que supposition.

Argippo, Prague, automne 1730 (RV 697)19

Après Farnace en automne 1730, Antonio Denzio présente Argippo, un


drame plein d’exotisme, tout comme l’était Teuzzone, qui avait été donné à
Mantoue. L’histoire se passe à Agra, la ville capitale du Grand Mogol, à
l’est de l’Inde. Au premier acte, on voit le «  Cabinet du Grand Mogol de
style indien » ; puis la « Cour du palais royal avec vue sur les rives de la
rivière Gemini où est ancré un pittoresque vaisseau royal » ; au second acte,
des «  Loges royales  » et la «  Chambre du grand Mogol  »  ; à l’acte  III  :
« Petit jardin dans l’appartement d’Osira » ; puis, « La nuit, au fond d’un
bois, autel avec le dieu Kam illuminé, en préparation d’un sacrifice ».
Le livret de l’Argippo avait été écrit par Domenico Lalli pour une
création à Naples, en décembre  1713, sous le titre de Il Gran Mogol. Le
drame avait été ensuite mis en musique par plusieurs compositeurs, à
Venise, à Milan, à Florence… Le public connaissait ce livret. On lit sur
l’opuscule que la musique est «  du toujours célèbre Sig. D.  Antonio
Vivaldi ».
Le livret de Prague est dédié au comte de Sporck. L’allemand (une
traduction assez médiocre) et l’italien sont imprimés en face à face. L’opéra
est représenté avec l’intermède «  L’Alfier fanfarone  », qui avait déjà été
joué entre les actes de l’Arsilda Regina di Ponto de Vivaldi, à Venise en
1716.
Nous ne disposons pas de la partition, mais le livret suffit à voir qu’il
s’agit d’une version où l’on a mélangé des drames antérieurs. L’Argippo de
Prague est un pur pastiche. Il comprend des arias du Catone et du Siroe de
Leonardo Vinci, et surtout des arias extraites d’opéras de Vivaldi  :
L’Incoronazione, Siroe, Giustino, Tieterbega, Orlando finto, Arsilda…
Le drame est une fois encore fondé sur une question de succession au
trône à laquelle se mêlent les sentiments. Le Grand Mogol Tisifaro
(Antonio Denzio) avait une fille, Zanaida (Anna Cosimi) qu’il aimait
beaucoup. Celle-ci était courtisée par deux princes, le cousin du Mogol et le
roi de Cingone, appelé Argippo (le castrat alto Giovanni Dreyer). Le drame
se tisse sur cette rivalité et les actions tournent à la comédie. Parmi les
interprètes, se trouve Giustina Eberhard, virtuose de la princesse Violante
Beatrice de Toscane, qui chantait dans l’Ipermestra, à Florence.

La dernière habitation à Venise

Si Antonio et Giovanni Battista ont effectué un voyage, à Vienne ou à


Prague, entre l’automne 1729 et le début de l’année 1730, il est sûr qu’au
printemps ils sont de retour à Venise. En effet, le 4  mai 1730, les Vivaldi
quittent la maison qu’ils occupaient depuis septembre 1722 dans la paroisse
de Santa Marina, près du campo Santa Maria Formosa, et se transfèrent près
du pont du Rialto, dans un logement proche du palazzo Bembo (aujourd’hui
calle Bembo 4644), qui appartient au patricien Alvise Foscarini. Une
mention, découverte par Gastone Vio, apparaît dans un registre de taxes
provenant de la paroisse de San Salvador, Gastone Vio  : «  Maison  :
Révérend don Antonio Vivaldi, 4  mai 1730, au Nobil Homo Alvise
Foscarini (fils de) Michiel, Procurateur, 136 ducats ».
La maison, qui existe toujours, tout près de l’embarcadère du Rialto,
regarde le Grand Canal. À l’époque de Vivaldi, le second étage n’existait
pas, ni le restaurant au rez-de-chaussée. Celui-ci était occupé par la cave
servant à entreposer le bois, les marchandises. Le loyer annuel était, comme
l’indique le document d’archives, de 136 ducats par an. Antonio vivait
encore avec son père (Camilla étant décédée en 1728), sans doute aussi
avec son frère Francesco, sa femme et leur enfant, ainsi qu’avec ses sœurs
Margherita et Zanetta, qui sont encore dans la maison lorsque Vivaldi
décédera, à Vienne. C’est la dernière maison habitée par Vivaldi à Venise.
C’est là aussi que s’éteindra Giovanni Battista, quelques années plus tard20.
Dans les jours qui suivent ce déménagement, Antonio Vivaldi écrit de
nouveau à Carl Ludwig Friedrich von Mecklenburg-Strelitz, à une adresse
inconnue. C’est la quatrième lettre conservée aux archives d’État de
Schwerin ; à la différence des trois précédentes, ce courrier est daté :
Altesse Sérénissime.
Cela fut un songe trop bref l’honneur que V.A.S. s’est daigné de
m’accorder par sa Très Honorable présence ; aussi, il ne me reste qu’à en
chercher un autre, en vous écrivant, afin de me consoler. Grâce à Dieu, je
suis arrivé en bonne santé à Venise où, à l’avenir, je séjournerai de façon
fixe. […] J’aimerais savoir si vous continuez à jouer de la flûte, et si votre
page se porte bien. Je prie la bonté innée de S.A.S de me faire la grâce de
transmettre mes salutations à S. E. votre Majordome.
Dans cette attente, avec la plus profonde vénération […].
Venise, 10 Juin 1730 […]
Antonio Vivaldi21. 

Le compositeur fait clairement allusion à un voyage assez long qu’il


vient d’effectuer, ainsi qu’à une (brève) rencontre avec Carl Ludwig. Dans
quelle ville les deux hommes se sont-ils rencontrés  ? Après son séjour à
Venise en janvier  1729, Carl avait poursuivi son voyage et était arrivé à
Vienne en décembre 1729. Il rentra chez lui, à Mirow, entre fin janvier et
début février  1730. C’est donc à Vienne, ou même à Prague, que le
musicien vénitien aurait pu croiser le prince allemand.

Venise sans Vivaldi, carnaval 1731

Le 15  janvier 1731, Francesco Vivaldi, le jeune frère d’Antonio, reçoit


l’autorisation d’exercer l’activité d’imprimeur. Il habite lui aussi la paroisse
de San Salvador, on ne sait à quelle adresse  ; peut-être loge-t-il dans la
même maison qu’Antonio et Giovanni Battista. Il est marié avec une
certaine Elisabetta. Le 26  décembre 1731 naîtra Carlo Stefano, baptisé le
30 décembre dans la même paroisse. Carlo Vivaldi deviendra un copiste de
musique renommé22.
Au début de l’année 1731, Vivaldi semble être absent de Venise. En effet,
le théâtre Sant’Angelo met à son affiche L’Odio vinto dalla costanza (RV
Anh 51), un opéra fondé sur La Costanza trionfante ; moins sur la création
vénitienne de 1716 (RV 701) que sur la reprise de cet opéra qui avait eu lieu
au San Moisè (1718), sous le titre Artabano, re dei Parti. Le nom de
Vivaldi ne figure pas dans le livret, révisé par Bartolomeo Vitturi. La
partition aurait été remaniée par Antonio Galeazzi, qui dirige la saison.
Antonio Marchi signe une dédicace peu protocolaire à Maria Ciran Labia.
Offensée, celle-ci demande que cette dédicace soit supprimée. Le livret est
imprimé une deuxième fois23. Les personnages sont réduits, ainsi que le
nombre d’arias. Il est probable que la partition originale de Vivaldi n’ait
servi que très fragmentairement. Si Vivaldi avait été à Venise, il n’aurait
sûrement pas permis une reprise aussi bâtarde de son opéra ; ce qui laisse
supposer qu’à ce moment-là, il est à nouveau absent24.
Antonio était-il reparti pour un second séjour en Bohême ? Au printemps
1731, Antonio Denzio met en effet à son affiche Alvilda, Regina de’ Goti,
dont la musique serait toute entière «  de Vivaldi  », à l’exception des
récitatifs et des airs comiques.

Alvilda, Regina de’ Goti, Prague, printemps 1731 (RV Anh 88)

Le drame d’Alvilda, reine des Goths se passe à Uppsala, l’ancienne


résidence des rois du Danemark25. L’action est située au Moyen Âge, une
époque où la Suède appartenait encore au royaume du Danemark. Les
Goths sont les habitants de Gotland, une île de la Baltique. Le thème n’est
ni héroïque ni aventureux mais presque satyrique. Les décors transportent le
spectateur dans un monde ancien qui le dépayse. Au premier acte : « Port de
la ville royale d’Uppsala avec des bateaux approchants. Une école où l’on
enseigne des sciences diverses, avec une vaste librairie en perspective. Cour
dans le palais  »  ; à l’acte  II  : «  Chambre de Gilde, ornée de nombreux
miroirs. Entrée de la prison. Cour de la maison d’Ernando. Pièce couverte
d’une étoffe sombre qui se métamorphose en une pièce de palais très
illuminée  ». Au troisième acte  : «  Chambres royales. Vaste et agréable
jardin » – la résidence du comte Sporck, à Kuks et le palais du comte Wrtby
à Prague, possédaient eux aussi de très beaux jardins. «  Loges royales et
hall magnifiquement décorés, avec un trône  ». On retrouve dans la
distribution des chanteurs connus : Giovanni Dreyer, Antonio Denzio, Anna
Cosimi, Giustina Eberhard et Girolama Madonis.
Le livret d’Alvilda, reine des Goths est dédié, comme il se doit, au comte
Sporck. Le drame plonge ses racines dans la tradition vénitienne : il avait
été écrit par Giulio Cesare Corradi et mis en musique, dans un lointain
1686, par Carlo Pallavicino pour le théâtre des Grimani, aux SS. Giovanni e
Paolo. Il avait connu plusieurs mises en musique. Sur le livret de Prague, il
est dit très clairement que « la musique est tout entière de Vivaldi, sauf les
récitatifs et les airs comiques  ». On pense que c’est le castrat Giovanni
Dreyer qui en a composé les récitatifs et les airs comiques26. Dreyer restera
avec la compagnie de Denzio jusqu’à la fin du printemps 1731, puis partira
pour Moscou, avec la troupe de théâtre dirigée par Tomaso Ristori27. Plus
tard il sera accusé de familiarités avec un haut personnage et écarté de la
cour de Moscou. Dreyer terminera sa carrière à Florence, mi-moine, mi-
chanteur, le destin de nombreux autres castrats.
L’opéra est joué avec des intermèdes comiques, L’Alfier fanfaronne,
intercalés entre les actes et exécutés par Cecilia Monti et Bartolomeo Cajo.
La musique est perdue. Le livret à lui seul révèle une forte influence de la
Dorilla in Tempe. Ainsi, le texte de la scène d’ouverture fêtant le
débarquement d’Alfo est une parodie de la scène d’ouverture de Dorilla où
l’on entend la musique du « Printemps », qui rend aussitôt l’opéra et le style
de Vivaldi impossibles à confondre. La Sinfonia d’ouverture peut aussi
avoir été empruntée à Dorilla28. Cet opéra « de Vivaldi » résulte en réalité
d’un collage de quelques arias empruntées à plusieurs compositeurs, et
d’arias puisées dans des opéras de Vivaldi  : dans la Dorilla surtout, mais
aussi dans l’Inganno trionfante, Rosilena ed Oronta et dans Tito Manlio.
Dans une quinzaine d’arias, la musique de Vivaldi a été placée sur de
nouveaux textes (arias parodiques)29.
Une poignée d’arias seulement semblent avoir été nouvellement
composées par Vivaldi pour cette représentation à Prague. La présence de
Vivaldi n’était vraiment pas nécessaire. Il suffisait que le compositeur
envoie la partition, puis que quelqu’un à Prague adapte la nouvelle musique
au livret. Denzio et Dreyer l’auraient amalgamée à un matériel déjà à
disposition. Au bout du compte, Peter Ryom renonce à considérer Alvilda
comme un opéra de Vivaldi. Aussi il soustrait l’opéra, qui figurait d’abord
dans le catalogue à l’entrée RV 696, et le place dans les Anhang (Anh. 88),
où sont reléguées les œuvres douteuses.

Prague, hiver 1731-printemps 1732


Antonio Denzio présentera sur la scène du théâtre Sporck encore deux
opéras, toujours fondés sur des partitions de Vivaldi, mais auxquelles il fait
subir à nouveau de nombreux changements. À cette date, nous sommes
certains que Vivaldi ne peut être à Prague  : il est employé à Vérone et à
Mantoue.
Le 26 décembre 1731, Denzio donne la Doriclea (RV 706-E) inspirée de
La Costanza trionfante (Venise, 1716). Après La Tirannia gastigata,
donnée en 1726, c’est la seconde fois que l’imprésario puise dans cette
partition de Vivaldi. La musique est à nouveau attribuée au «  toujours
célèbre D.  Antonio Vivaldi  ». Imprimé avec une traduction allemande en
vis-à-vis, le livret présente de nombreuses divergences dramaturgiques avec
l’original30. Les ballets, présents à Venise, sont remplacés par des
intermèdes composés par Antonio Costantini. Un temple d’Apollon se
substitue au jardin. Plusieurs arias semblent avoir été extraites de partitions
de Johann Adolf Hasse. Antonio Denzio chante le rôle d’Elmiro ; la plupart
des autres chanteurs sont nouveaux.
Au printemps 1732, Denzio présente une nouvelle version de Dorilla in
Tempe (RV 709-B). On peut lire dans le livret que « la musique de l’opéra
est de Mr D. Antonio Vivaldi ». Dans la préface, Antonio Denzio explique
la raison des modifications, et vante les qualités de la musique de Vivaldi,
«  harmonieuse et gaie  », qui a déjà été admirée dans plusieurs théâtres
d’Italie. Il s’excuse qu’il n’y ait pas, comme d’habitude, de traduction
allemande mais, dit-il, après la représentation de cinquante opéras italiens
dans ce théâtre, le public s’en est fait une habitude et, de toute façon, cette
langue est « familière aux personnes de bonne naissance31 ».

Les opéras « de Vivaldi » représentés à Prague

Lors de ces spectacles bâtards, les manipulations réalisées sur les livrets
et les partitions originales étaient multiples. Aussi est-on en droit de se
demander ce qu’on appelle un opéra «  de Vivaldi  » donné par la troupe
d’Antonio Denzio sur la scène du théâtre de Franz Anton von Sporck, à
Prague. Plusieurs cas de figure peuvent se présenter, explique Reinhard
Strohm. Il peut s’agir d’un opéra nouvellement composé, comme Argippo.
Cela peut être un opéra créé en Italie, à Venise en particulier, et adapté à
Prague par un autre compositeur  ; c’est sans doute le cas de Farnace, de
Dorilla in Tempe et de Doriclea. Il peut s’agir aussi d’un opéra que Vivaldi
reprend de l’une de ses partitions précédentes, mais qu’il arrange pour un
nouveau livret  ; c’est peut-être le cas d’Alvilda. Cela peut être aussi un
opéra pour lequel Vivaldi n’écrit que les arias principales, laissant une autre
personne composer les récitatifs et ajouter d’autres arias ; cela pourrait être
aussi le cas d’Alvilda, dans sa genèse. Il peut s’agir encore d’un opéra que
quelqu’un a produit comme étant « de Vivaldi », mais dont Vivaldi ne sait
rien  ; c’est probablement le cas de La Tirannia gastigata, représentée en
1726 à partir de la partition de La Costanza trionfante32.
Des arias extraites des opéras de Vivaldi sont disséminées dans des
pastiches portant des titres divers  ; l’œuvre originale n’est pas toujours
reconnaissable de prime abord. Après ses recherches approfondies dans les
archives de Prague, le musicologue américain Daniel Freeman retrouve de
nombreuses arias de Vivaldi dans les pastiches dirigés par Antonio Denzio.
L’imprésario puisait dans ses partitions (à peu près toujours les mêmes
suivant les époques) qu’il utilisait comme des portefeuilles d’arias. Il
disposait de partitions complètes et d’arias détachées. Il est probable que les
chanteurs apportaient aussi avec eux leurs arias préférées, qui étaient
intégrées à ces pastiches. Daniel Freeman montre encore, par l’exemple,
comment on peut modifier une aria pour l’adapter à un autre texte, à un
autre chanteur, à un autre opéra, à une autre situation  ; seul l’incipit est
identique à l’original et, malgré les modifications, l’aria et le style «  de
Vivaldi  » restent néanmoins reconnaissables33. Une telle dissémination
d’arias de Vivaldi intégrées dans des pastiches portant des titres divers
(voire aussi d’arias parodiques) se produit au xviiie  siècle en Angleterre,
ainsi que dans toute l’Europe centrale et les pays dits « allemands »34.

Les comtes Wenzel von Morzin et Johann Joseph von Wrtby

Entre 1724 et 1735, le nom de Vivaldi est très connu en Bohême. Outre


les activités théâtrales associées à la troupe de Denzio, les Vivaldi, père et
fils, disposaient, à Prague et dans d’autres villes de Germanie d’un réseau
prestigieux de clients fidèles, comme le comte Wenzel von Morzin, auquel
le compositeur vendait régulièrement des concertos et qu’il aurait pu tout
aussi bien rencontrer sur place, s’il est vraiment allé à Prague35. Le comte
Johann Joseph von Wrtby fait partie de ceux-là. Il vivait à Prague où il était
Oberstburggraf – suprême burgrave –, gouverneur royal, président de la
Cour d’Appel et trésorier héréditaire. Il maintenait un petit ensemble
instrumental, jouait du luth, composait, et était l’un des plus fidèles
spectateurs du théâtre de Sporck. Dans les documents de la famille Wrtby,
on ne trouve aucune référence à Vivaldi. Mais le comte possédait une
collection de livrets (actuellement conservés au Musée national de Prague) ;
sur certains exemplaires se trouvent, nous l’avons vu, des appréciations
personnelles  : par exemple, pour La Tirannia gastigata, «  Elle a été très
applaudie » ; pour le Farnace : « Nombreux applaudissements » ; et pour
l’Argippo  : «  Très grandes ovations  »36. En Johann Joseph von Wrtby,
Vivaldi avait trouvé non seulement un admirateur, mais aussi un mécène.
Au moins trois œuvres avec luth ont été composées à l’intention de Wrtby.
Les manuscrits autographes sont conservés à Turin et portent une dédicace
à « S. E. Il Conte Wrtbÿ ». Il s’agit de deux trios pour violon, luth et basse
continue (RV 82 et RV 85), ainsi que du concerto RV 93, pour luth, deux
violons et basse continue37. Les manuscrits des deux trios portent des
numéros (2 et 5). Cela permet d’imaginer, suggère Michael Talbot, qu’il y
avait à l’origine six trios et que seuls ces deux-ci, ainsi numérotés, ont
survécu. Par ailleurs, ces trois œuvres dédiées au comte Wrtby sont écrites
de la main de Vivaldi sur un papier inhabituel, que l’on identifie comme
provenant d’Europe centrale. Vivaldi aurait donc composé ces œuvres
pendant son éventuel séjour en Bohême, en 1730-1731, élément qui fournit
un nouvel indice d’un séjour possible du compositeur dans ce pays, à cette
période-là.
Parmi les manuscrits de Turin, d’autres œuvres instrumentales sont
transcrites sur un papier originaire de l’Europe centrale et remontent peut-
être elles aussi au séjour de Vivaldi en Bohême38. Par exemple, le concerto
pour cordes et basse continue baptisé par Vivaldi «  Conca  » (coquillage,
conque marine) (RV 163)39. Les harmonies claironnantes, les figures
rythmiques simples et répétées permettent de suggérer sur le violon cet
instrument de musique si particulier, formé d’une coquille marine sur
laquelle est fixée une embouchure d’étain. Telle qu’elle est représentée sur
plusieurs lithographies d’époque, cette «  conca  » rappelle la
Wettertrompete, un instrument rustique employé dans les villages de
Bohême et de Moravie ; les paysans croyaient que la sonorité nasillarde de
cet instrument avait le pouvoir de conjurer les intempéries40.

La fin du théâtre de Franz Anton von Sporck

Au printemps 1735, Antonio Denzio monte l’un de ses derniers


spectacles sur la scène du théâtre du comte von Sporck. On sait que
l’imprésario vénitien réside encore à Prague l’année suivante car, en
juillet 1736, son dixième enfant est baptisé dans cette ville. La belle histoire
vécue par la troupe vénitienne en Bohême touche néanmoins à sa fin, de
même que se termine le brillant mécénat de Franz Anton von Sporck. En
1733, il est accusé d’hérésie car sa riche bibliothèque de trente mille
volumes contient des ouvrages sur la théologie et surtout le jansénisme, des
sujets alors interdits, mais pour lesquels le comte est passionné. Sporck est
arrêté et incarcéré. Sa bibliothèque est brûlée. Il décédera en 1738, à l’âge
de 76 ans.
Après la chute du théâtre de Sporck, Antonio Denzio chantera encore en
Italie, à Venise et à Bergame, dans les années 1737-1738. L’imprésario
approche alors de la cinquantaine… Il serait décédé à Saint-Pétersbourg, en
1766, ou en 1768, à un âge avancé41.

28

 Pavie, Mantoue et Vérone

 L’inauguration du Teatro Filarmonico

 (mai 1731-janvier 1732)

Le 30 septembre 1729, Giovanni Battista Vivaldi avait sollicité un


congé d’un an. Il voulait, disait-il, « accompagner l’un de ses fils
en Germanie ». Vivaldi senior ne reprendra jamais son emploi de
violoniste dans la chapelle musicale de Saint-Marc. Raisons de
santé ? Le père d’Antonio a maintenant plus de 75 ans. Peut-il
encore remplir son rôle de premier violon dans l’orchestre de la
chapelle du doge ? Est-il encore en état de suivre son fils sur les
routes de Pavie, de Mantoue, de Vérone et de Florence ? Peut-il
encore aider, comme autrefois, son fils, génial et surchargé de
travail, à préparer le matériel musical, peut-être même à remplir
certaines tâches de composition ? Quant à Antonio, il approche de
ses 54 ans. Pas de retour à Venise prévu dans l’immédiat ! En ce
printemps 1731, il doit se rendre à Pavie, où l’on va jouer son
Farnace, l’opéra qui avait connu un triomphe, à Venise, au
carnaval puis à l’automne 1727, et lancé la notoriété de la jeune
Anna Girò.

Farnace, Pavie, mai 1731 (RV 711-D)

Lors de sa création vénitienne, au carnaval 1727, le rôle masculin de


Farnace avait été interprété par la contralto Maria Maddalena Pieri ; il avait
été repris, en automne 1727, par une autre contralto, Lucia Lancetti. Cette
fois, le roi du Pont sera, comme à Prague, incarné par un ténor, l’un des
meilleurs qui soit, tant pour ses qualités techniques que pour son expression
et son jeu scénique : Antonio Barbieri, originaire de Bologne, un virtuose
de Philipp de Hesse-Darmstadt. Barbieri est l’un des interprètes les plus
fidèles à Vivaldi. On dit même qu’il aurait été «  découvert  » par Vivaldi,
bien qu’il se produise aussi à Venise dans les théâtres des Grimani. La
femme de Barbieri, Livia Bassi, chante aussi dans ce spectacle, où elle tient
le rôle de Berenice. Pietro Mauro, sans doute le neveu d’Antonio Vivaldi, le
fils de sa sœur cadette Cecilia, bien qu’encore très jeune (il n’a que seize
ans !), incarne un rôle secondaire, Aquilio, membre du Sénat romain. Anna
Girò, quant à elle, reprend le personnage de Tamiri qu’elle a créé à Venise.
Cette représentation du Farnace en Lombardie, région annexée à l’Empire,
est encore mise sous la bannière viennoise : le livret est dédié à Delfina del
Carretto Visconti, dont on exalte la relation avec les Habsbourg42. Et le
compositeur y affiche désormais la tutelle de trois personnalités proches de
l’empereur : celle de Philipp de Hesse-Darmstadt, gouverneur de Mantoue,
Franz Stephan, duc de Lorraine et Joseph Johann Adam de Liechtenstein
(qui décédera peu de temps plus tard, le 17 décembre 1732).
C’est à cette représentation de Pavie que l’on attribue généralement le
manuscrit du Farnace conservé à Turin, un document partiellement
autographe et incomplet43.
En novembre de cette même année 1731, Antonio Vivaldi reçoit une
commande très importante pour Vérone. L’engagement à Mantoue était déjà
programmé : impossible de reculer ! Il s’agira, comme d’habitude, de faire
vite  : couper, coller, ajuster, composer des raccords et, pendant une
quinzaine de jours, supporter les trajets en calèche sur les routes pierreuses
qui relient les deux villes. Pour le Prêtre roux, travailler dans l’urgence est
devenu une seconde nature !

Deuxième séjour à Mantoue : le carnaval 1731-1732

Cela faisait plus de dix ans maintenant que Vivaldi avait quitté Mantoue !
Le dernier opéra créé au Teatro Arciducale était La Candace, en
janvier  1720, si l’on fait exception des deux opéras pastiches (Orlando
furioso et Artabano) représentés au début de l’année 1725 (et pour lesquels
il n’est pas certain que le Vénitien se soit déplacé). Pourtant le compositeur
n’a jamais cessé d’employer son titre de « maître de chapelle de chambre »
de Philipp de Hesse-Darmstadt et le prince l’avait prié de se tenir à sa
disposition. Vivaldi a peut-être continué à composer pour Mantoue des
sonates, des concertos, des cantates et des sérénades…  ? En cette fin
d’année 1731, il fait son grand retour sur la scène du Teatro Arciducale, et
cette fois avec sa chanteuse favorite, Anna Girò.

Semiramide, Mantoue, fin décembre 1731 (RV 733)44

Le compositeur n’a que quelques jours pour faire travailler les artistes.
D’après les documents conservés dans les archives de Mantoue, les
répétitions pour la Semiramide auraient commencé le 21  décembre.
Musiciens, chanteurs, danseurs, costumiers, décorateurs…, tout le monde se
tient dans la galerie de l’ancien palais des Gonzague, à côté des salons où
réside le gouverneur, Philipp de Hesse-Darmstadt. Celui-ci veut contrôler
personnellement les répétitions, donner son avis, comme le faisaient
autrefois les ducs. Vivaldi reçoit les clés des loges disponibles, qu’il rendra
à la fin des représentations ; la « Liste de la disposition des loges au Teatro
Comico [dit aussi Arciducale] pendant les représentations des deux opéras
au carnaval de l’année 1732  » est signée de sa main. Le document
d’archives porte cette note  : «  La clé a été remise à M. D.  Vivaldi,
imprésario de l’opéra45  »  ; cette saison-là, le Vénitien est donc aussi
l’imprésario du théâtre.
Les scénographies de la Semiramide sont réalisées par « plusieurs ». On
utilise certainement des éléments de décors récupérés ici et là, comme on a
l’habitude de le faire à Mantoue, Andrea Galluzzi, élève de Francesco
Bibiena, l’un des scénographes attitrés de la cour, étant alors absent. Les
costumes sont de Pietro Nazzari, couturier personnel de Teodora, la fille de
Philipp. Les musiciens de la cour étant en nombre insuffisant, on leur
adjoint des professionnels, appelés de l’extérieur. En tant qu’imprésario,
Vivaldi peut choisir les chanteurs. On n’est donc pas étonné de voir figurer
dans la distribution ses deux égéries : Anna Girò, qui interprète le rôle-titre,
et Maria Maddalena Pieri46 !
Le frontispice du livret porte une dédicace à « Joseph landgrave d’Hesse-
Darmstadt  ». Il s’agit du fils de Philipp, lui-même claveciniste et grand
amateur de musique, qui prenait de plus en plus d’importance à la cour,
remplaçant dans plusieurs de ses fonctions son père désormais vieillissant.
Sur la même page est imprimé un aigle, qui tient dans ses serres une
branche de laurier. La lettre de dédicace est signée le 26 décembre 1731 par
« l’impresario ». S’il s’agit bien de Vivaldi, il reste anonyme. Toujours prêt
à flatter ses mécènes, il commence par ces mots : « Étant donné que, par le
passé, j’ai eu l’honneur de me prosterner devant le Mérite Sublime de Son
Altesse Sérénissime47  ». Entre les actes de l’opéra, on ajoutera des
intermèdes, « La vendetta di Despina », joués, comme c’est l’usage, par un
couple de chanteurs comiques.
Le livret de la Semiramide avait été écrit par Francesco Silvani en 1713
et mis en musique à Venise par Carlo Francesco Pollarolo. Le drame est
fondé sur les textes de deux historiens d’origine grecque : Diodore de Sicile
et Ctésias de Cnide. L’histoire de Sémiramis, reine d’Assyrie, est une semi-
légende. Elle est un personnage fabuleux, inspiré peut-être par la princesse
babylonienne Sammouramat, épouse du roi d’Assyrie Shamshi-Adad  V
(-823/-810) qui, pour se substituer à son mari, serait montée sur le trône, un
phénomène rare en Orient où les épouses et les concubines vivaient à l’écart
du pouvoir, dans le cercle privé du harem. Le personnage de Sémiramis est
à l’honneur dans le théâtre français du xviiie siècle. Crébillon père, en 1715,
en avait fait une tragédie ; plus tard, en 1748, Voltaire écrira, sur le même
sujet, une œuvre théâtrale importante, dite réformatrice. Metastasio, pour sa
part, avait signé le livret de sa Semiramide riconosciuta, quelque temps plus
tôt, à Rome, en 1729 ; il fut mis en musique par Leonardo Vinci puis, dans
la foulée, repris à Venise, au théâtre San Giovanni Grisostomo, avec une
partition de Nicola Porpora.
L’axe central du drame est donc l’accession au pouvoir d’une femme,
mais pour un jour seulement. Ce sujet puisé dans l’histoire antique sert une
fois encore de prétexte pour suggérer des questions politiques d’actualité.
Quand Vivaldi met en musique le livret de l’abbé Silvani, l’accession de
l’archiduchesse Marie-Thérèse de Habsbourg, fille de Charles  VI, paraît
inévitable, et redoutée par une partie de l’Europe… Comme il paraît
inévitable que celle-ci se fiance, en 1735, avec Franz Stephan von
Lothringen, un favori de l’empereur – et l’un des protecteurs de Vivaldi –,
futur empereur lui-même. Le mariage de Franz Stephan et de Marie-
Thérèse aura lieu à Vienne, le 12 février 1736.
Dans cet opéra, Anna Girò interprète à nouveau un rôle de femme forte et
dominante : celui de la souveraine Semiramide, aux prises avec son mari, le
roi d’Assyrie (Nino), incarné par Maria Maddalena Pieri. Un face-à-face
dramatique où, comme dans Farnace, les deux femmes s’affrontent dans
une situation tendue et conflictuelle.
Les représentations de la Semiramide commencèrent le lendemain de
Noël. Les décors somptueux («  … une pompe nécessitée par l’Idée d’un
faste magnifique48 ») décrits dans le livret glorifient l’Empire. Ils sont dans
le pur style de l’opéra seria qui plaît à Vienne et flatte, à Mantoue, la famille
des Hesse-Darmstadt : à l’acte I, « Place magnifique avec trône d’un côté et
une arche pour la procession triomphale de Semiramide au centre. Chambre
avec trône et sièges  »  ; à l’acte  II, «  Temple du Soleil illuminé par ses
rayons. Autel avec piédestal ; au centre la coupe du mariage et un vase d’or.
Campagne avec les armées d’Assyrie et de Médie (pays des Mèdes)  »  ; à
l’acte III, « Chambre avec table et chaise. Hall préparé pour des funérailles
après l’exécution de Nino. Amphithéâtre royal ».
De ce spectacle, nous n’avons qu’une vague idée. La partition de Vivaldi
est perdue ; il n’en reste que des arias isolées. Six d’entre elles proviennent
d’opéras précédents (Ipermestra, Orlando, Atenaide, Giustino), ainsi que de
la sérénade La Sena festeggiante  ; trois de ces arias furent chantées par
Anna Girò dans le rôle de Semiramide49. Six autres sont conservées dans
un recueil mixte, à Dresde, à la Sächsische Landesbibliothek, avec d’autres
extraits d’opéras de Vivaldi, parmi une série d’œuvres, peut-être envoyées
par Vivaldi en Saxe dans l’espoir d’obtenir un poste dans la chapelle
musicale saxonne50.
 
La Semiramide terminée, Vivaldi ne dispose que de quelques jours pour
préparer l’opéra de Vérone, La Fida Ninfa (la nymphe fidèle), qui fera
l’ouverture du Teatro Filarmonico. L’initiative d’édifier un nouveau théâtre,
destiné à l’opéra, était née au sein de l’Accademia Filarmonica. Le projet
avait surtout germé dans l’esprit de Scipione Maffei, non seulement le chef
de cette prestigieuse académie de Vérone, mais aussi l’une des plus
éminentes personnalités intellectuelles et artistiques du xviiie siècle italien.

Scipione Maffei et la restauration du théâtre antique

Scipione Maffei est issu d’une famille opulente de Vérone  ; la belle


façade baroque du palais Maffei regarde aujourd’hui encore la piazza delle
Erbe. Comme de nombreux érudits de l’Europe des Lumières, Maffei est
passionné par l’Histoire et par l’Antiquité, par tout ce qui touche aux Grecs,
aux Étrusques et aux Romains. La seconde passion de Maffei, qui rejoint la
première, est le théâtre. Le théâtre des Anciens, la forme des édifices, la
dramaturgie, la manière de réciter la tragédie forment les sujets de ses
ouvrages publiés à Vérone. Pendant plusieurs années, il s’investit aussi en
tant qu’imprésario, au théâtre de l’Arena (la célèbre arène romaine de
Vérone, toujours utilisée pour l’opéra). Associé au dramaturge Luigi
Riccoboni dit Lelio, Maffei tente de relancer le répertoire classique. À
l’Arena, Maffei et Riccoboni font représenter des drames antiques et des
tragédies modernes écrites sur le modèle antique comme l’Ifigenia in
Tauride de Pier Jacopo Martello et la propre Merope de Maffei. Pendant
plusieurs années, Maffei dirigea une compagnie théâtrale formée
exclusivement de «  Dames parmi les plus nobles de Vérone, qui se
distrayaient en jouant des tragédies ». Lorsque Riccoboni partit s’installer à
Paris, appelé par le Régent, Maffei abandonna le théâtre de l’Arena. Puis,
en 1725, il relança ses activités théâtrales avec un autre capo comico,
Pompilio Miti.
Dans plusieurs de ses écrits, Scipione Maffei accuse l’opéra de
corrompre les scènes italiennes. Ses opinions rejoignent celles de Benedetto
Marcello  : ce sont les chanteurs, les compositeurs, les librettistes, les
imprésarios… les principaux fautifs du déclin de la tragédie. Question
discutable toutefois, si l’on pense qu’en 1729, Pietro Trapassi dit
Mestastasio est nommé Poeta Cesareo à la cour de Vienne où, trente ans
durant, il réussira à hisser le livret du « drama per musica » au niveau des
genres théâtraux les plus nobles, tout en propageant la langue (et la culture)
italiennes dans l’Europe entière  ! Maffei et ses amis ne désirent pas
seulement revaloriser l’Antiquité. Leur souhait est aussi de purifier le
théâtre, lui rendre sa moralité, sa dignité passée. Ce sont des thèmes
lancinants dans les lettres d’Antonio Conti à madame de Caylus et dans
tous les écrits de ces amateurs et curieux passionnés, représentants d’une
classe aristocratique et conservatrice, amoureuse de l’Histoire. Réussiront-
ils à faire valoir leurs idéaux face aux modes qui déferlent sur l’Europe, des
modes auxquelles adhèrent le plus grand nombre  ? L’expérience de Luigi
Riccoboni en Italie restera un échec, comme le souligne sans détours, le
15  mai 1727, Antonio Conti au cours d’une lettre adressée à son amie
parisienne  : «  Lelio, écrit Conti, avait même commencé à introduire des
pièces sérieuses sur le théâtre, et il auroit peut-être ramené le bon goût,
malgré les bruits et l’ignorance de la plus vile populace51. »
Montesquieu passe par Vérone en septembre  1728, c’est-à-dire quatre
ans avant l’inauguration du nouveau Teatro Filarmonico. La ville lui semble
pauvre. Il décrit les rues pleines de petits artisans miséreux, de mendiants
prêts à soutirer leur bourse aux étrangers. Le voyageur français s’intéresse
aux monuments et aux curiosités du lieu. « Il y a, note-t-il dans son carnet
de voyages, à l’Académie de Vérone, un assemblage de choses assez
singulier  : c’est un bâtiment assez commode. Là, il y a une académie de
belles-lettres  ; une pour monter à cheval  ; un théâtre où l’on représente
l’opéra ; une salle, où les dames font les conversations ; une autre où l’on
répète la philosophie ; enfin, cette maison est un vrai salmigondis52. » Les
propos assez ironiques et réalistes du voyageur français se réfèrent sans
doute à l’Accademia Vecchia qui disposait elle aussi d’un théâtre, destiné à
la comédie. À partir de 1717, les académiciens avaient quitté leur siège, Via
Nova, et avaient été accueillis par les Filarmonici, dirigés par Maffei, dans
leur palais. Cette académie organisait toutes sortes de spectacles, comédies,
marionnettes, tournois, manifestations officielles53.
Scipione Maffei est un patricien érudit, conservateur, attaché à des
valeurs aristocratiques et aux traditions. Pourra-t-il s’entendre avec un
« moderne » comme Vivaldi qui sera chargé de mettre en musique le livret
de La Fida Ninfa  ? Il paraît peu probable que ce soit Maffei qui ait fait
appel à Antonio Vivaldi pour composer l’opéra qui fera l’inauguration du
théâtre des Filarmonici… Par qui le compositeur fut-il imposé ? Par Philipp
de Hesse-Darmstadt, de la proche ville de Mantoue  ? Ou plutôt par le
patricien vénitien Vincenzo Gradenigo, podestat de Vérone, ainsi que par
son épouse, Daria Soranzo, auquel le livret de La Fida Ninfa est dédié ?

La construction du Teatro Filarmonico par Francesco Bibiena54

Scipione Maffei avait rêvé de doter l’Accademia d’un théâtre à l’antique,


c’est-à-dire en forme de demi-cercle, avec des gradins, comme le Teatro
Olimpico construit à Vicence sur les dessins de Palladio. Mais on se fixa sur
un théâtre à loges, comme cela était l’usage à l’époque. Après dix-sept
années de réflexions, le projet fut enfin confié au grand architecte et
décorateur de théâtre Francesco Bibiena, qui avait alors 70 ans et un passé
prestigieux. Il avait longtemps vécu à Vienne où, en 1704, il avait construit,
pour l’empereur Leopold, le théâtre de cour (Hoftheater), magnifiant le goût
baroque des Habsbourg.
Le théâtre où Vivaldi fit représenter sa Fida Ninfa n’existe plus. Un
incendie le détruisit en janvier  1749  ; la salle, la scène, le magasin où
étaient entreposés les décors partirent en fumée. Dès le 27 janvier suivant,
on décida la construction d’un nouveau théâtre, le Nuovo Teatro
Filarmonico, celui que l’on voit aujourd’hui encore, au centre de la ville.
Pour imaginer l’ancien théâtre, il faut s’inspirer des plans, des gravures,
des notes préparatoires et des commentaires d’époque. L’édifice était situé
piazza Bra, entre via del Teatro et l’actuelle via Roma. Bibiena avait reçu
trois cents sequins pour ses frais de voyages. Trois ans furent nécessaires,
entre 1712 et 1715, pour construire l’édifice dessiné par le grand architecte
et son élève français venu de Nancy, Joseph Chamant. Plusieurs autres
années furent employées à la décoration. Finalement, en 1729, le bâtiment
était prêt. Il était mitoyen de l’Accademia et l’on pouvait y accéder en
traversant les salons où se réunissaient les Filarmonici.
Une magnifique gravure représentant l’intérieur de la salle est conservée
au château de Windsor, à la Royal Library. La scène est vue de côté,
pendant une représentation de La Fida Ninfa. Il s’agit en réalité d’un
spectacle idéal, conçu en 1730, c’est-à-dire deux ans avant l’inauguration
effective du théâtre. Sur la scène, on aperçoit un décor de jardin
(Deliziosa)  ; les acteurs sont en costumes. Plusieurs autres dessins
préparatoires se trouvent à New York (Cooper Ewitt Museum) : le premier
représente le plan du théâtre ; le second, une coupe de la salle et de l’avant-
scène, ainsi que la moitié du plafond. Cette feuille contient des notes
portées par les architectes concernant l’acoustique de la salle. Le plafond
avait été conçu en bois de sapin et sur deux niveaux ; on lit que « l’avant
scène et toute la partie de l’auditorium doivent être réalisés avec des
planches minces et bien sèches  ; l’autre partie qui est bouchée doit être
réalisée avec de grosses planches, afin que tout l’auditorium fonctionne
comme un instrument de musique55 ». « La voix y joue très bien, souligne
pour sa part Maffei, aidée sans doute par le fait que l’architecte a voulu
deux plafonds de planches fines et percées, distantes de deux bras l’une de
l’autre afin que l’on puisse s’y tenir debout, ressemblant ainsi à la caisse
d’un instrument de musique56.  » Dans quatre des caissons formant le
plafond du théâtre, Bibiena prévoit des ouvertures où sont disposés les
éclairages. Avant le spectacle, on ouvre les caissons et l’on descend les
lustres, que l’on remonte au lever du rideau  ; si les appareils sont très
chauds, il est possible de laisser les vantaux ouverts57.
Comme il l’avait fait à Vienne et à Nancy, Bibiena réalisa à Vérone une
salle qui avait une forme inhabituelle de cloche ; elle contenait 5 rangs de
28 loges chacun  ; 600 loges au parterre  ; en tout 1  300 places. La scène
disposait probablement de trois ouvertures, ce qui permettait de faire glisser
plusieurs décors, ainsi que des machines, comme dans la scène finale de La
Fida Ninfa. Pour le spectacle d’inauguration, Francesco Bibiena avait
fourni quatre décors  : «  Montagne boisée  ; Port de mer  ; Jardin fleuri  ;
Montage effrayante  ». Ils sont perdus mais il est facile de les imaginer à
partir d’autres dessins de Bibiena  ; ces scènes stéréotypées étaient
interchangeables et employées d’un spectacle à l’autre58. Ce sont des
architectures très élancées, décoratives, où la lumière joue un rôle
important. On est plus proche des « caprices », des paysages de fantaisie de
Marco et de Sebastiano Ricci, des vues d’Antonio Canaletto, que des
puissantes architectures de Piranèse. Cet univers doux, raffiné, irréel
convient très bien à la musique de Vivaldi.

La première Fida ninfa de Scipione Maffei (1694)

Le Teatro Filarmonico dit aussi Teatro Nuovo étant terminé,


l’inauguration avait été fixée pour mai 1730. On avait opté pour un drame
pastoral qui serait moins coûteux qu’un opéra héroïque. Scipione Maffei
avait sorti de ses cartons un manuscrit ancien, écrit en 1694, à l’âge de dix-
neuf ans, intitulé à l’origine Sciro fuor di Sciro (Scyros hors de Scyros). Le
texte était influencé par l’Arcadie romaine, dans la veine de la favola
pastorale et du Pastor fido de Guarini ; y étaient associés des thèmes issus
du classicisme littéraire propre à la Renaissance ; par exemple la libération
d’un esclave, la séparation de deux frères, la piraterie en Méditerranée59.
Scipione Maffei avait révisé une première fois son texte pour une
représentation théâtrale donnée à Vérone en 1714. La même année, il avait
envoyé le manuscrit à Vienne, avec une dédicace « À sa Majesté Catholique
Charles  VI empereur  », nourrissant sans doute l’espoir que sa pièce soit
représentée à la cour des Habsbourg. Maffei avait autrefois servi en
Bavière, en tant qu’officier, du côté des troupes impériales60 ; sa sympathie
pour l’Empire avait de quoi irriter les Vénitiens, Antonio Vivaldi en
première ligne !
En 1730, c’est-à-dire l’année même où il se prépare à lancer
l’inauguration du théâtre, Maffei publie un ouvrage dans lequel il a réuni
trois de ses œuvres réformatrices. Chacune illustre un genre théâtral
particulier : La Fida Ninfa – dans une version revue et corrigée en vue du
spectacle d’inauguration –, le drame pastoral ; Le Cerimonie, la comédie  ;
et la Merope, la tragédie. Publié sous le titre Teatro del sig. Marchese
Scipione Maffei, l’ouvrage est enrichi d’une préface de Giulio Cesare
Becelli, qui relate la genèse de La Fida Ninfa, et fournit une série de
consignes très précises au compositeur chargé de mettre en musique la
pièce.

Aléas financiers et politiques

La commande de l’opéra est d’abord confiée au compositeur florentin


Giuseppe Maria Orlandini, un musicien qui vit dans les milieux de Toscane,
proches des Médicis. Ses opéras, et surtout ses intermèdes comiques, sont
appréciés dans toute l’Italie, y compris à Venise (il est certainement
l’« Orlando » visé par Benedetto Marcello sur le frontispice de son Il Teatro
alla moda, ouvrage qui «  Se vend rue du Corallo, à la porte du palais
d’Orlando » !).
Avant le spectacle, Scipione Maffei désire réviser le texte de sa Fida
Ninfa qui a désormais plus de trente ans et qui n’était pas prévu pour une
mise en musique. Il préfère effectuer cette opération «  sous les yeux du
Maître de Musique  »  ; aussi Orlandini décide de venir loger dans le beau
palais de Maffei afin, dit-il à l’auteur, de « supprimer, modifier les arias et
les adapter selon son désir ». On dit que le compositeur « aima beaucoup les
arias, qu’il trouva toutes à son goût61 ». Maffei et Orlandini sont donc au
travail et le spectacle d’inauguration est prévu pour le mois de mai  1730.
Un devis de 19 000 ducats est remis au podestat. Coup de théâtre ! Après
avoir pris connaissance du budget, Vincenzo Gradenigo interdit la
représentation, sur ordre, dit-il, des Inquisiteurs d’État de Venise qui
trouvent la note un peu trop élevée.
Il semble que la vraie raison de cette décision était politique. La ville de
Vérone devait être traversée à la même période par les troupes impériales.
Les Vénitiens ne voulaient pas que les militaires de l’Empire constatent
l’indigence du contingent armé local, qui se réduisait à «  une poignée de
paysans62  ». Maffei réagit vivement à cette décision, qui contrariait ses
plans ; de nombreuses personnalités et des artistes étaient impliqués dans ce
projet. Aussi il écrit au podestat, disant qu’il a déjà engagé des frais et établi
des contacts avec les chanteurs. Rien n’y fit. Les Vénitiens furent les plus
forts. Il fallut attendre le 10  novembre 1731 pour que l’interdit soit enfin
levé. À cette date, Giuseppe Maria Orlandini et les chanteurs n’étaient plus
disponibles. Ainsi, à l’improviste, la commande tomba sur la table
d’Antonio Vivaldi. À cette date, le Prêtre roux s’apprêtait à partir pour
Mantoue, en compagnie d’Anna Girò, afin d’y représenter Semiramide.
Mais comment refuser de composer l’opéra qui fera l’inauguration d’un
théâtre si prestigieux ? Et comment renoncer à mettre en musique un drame
signé par une plume aussi distinguée que celle de Scipione Maffei  ? Une
fois de plus, le Prêtre roux affronterait en même temps plusieurs
commandes, et dans des villes différentes…

Le livret

L’emblème des Filarmonici orne le frontispice du livret publié à Vérone


en 1732  ; il représente une sirène portant dans sa main droite l’astrolabe
maritime. L’opéra est dédié à l’épouse du podestat, Daria Soranzo. Sur un
ton doux-amer, la lettre de dédicace (signée de façon anonyme par «  Li
Compartecipi », c’est-à-dire les personnalités qui ont soutenu le projet) loue
les familles vénitiennes Gradenigo et Soranzo  : «  Vos dons prisés, votre
intelligence vive, votre réserve que tout le monde admire, ainsi que votre
extrême générosité font de vous la digne épouse d’une personnalité dont on
envie les grands exemples et dont les seules actions pourraient suffire à
sanctifier une Province  »  ; des termes non dépourvus d’ironie si l’on se
rappelle des ennuis subis par Scipione Maffei, deux ans plus tôt, au moment
de l’inauguration du théâtre. Le texte se poursuit ainsi : « Nous vous prions
donc de bien vouloir honorer par votre gracieuse protection notre entreprise,
ardue et peu légère ; celle-ci nous assurera la réussite et la gloire ; animés
par cet espoir nous vous dédions, avec notre profond respect63. »
La page  V fournit les noms des interprètes  ; trois d’entre eux sont
protégés par des princes « allemands » : les deux « nymphes de Scyros » :
Licori et Elpina, les deux sopranos, Giovanna Gasperini (Gasparini),
virtuose de Philipp de Hesse-Darmstadt (la fille du compositeur Francesco
Gasparini) et Girolama Madonis (l’épouse du violoniste Luigi Madonis, que
l’on avait entendue à Prague dans Alvilda), virtuose de l’archiduchesse
Marie Élisabeth d’Autriche ; le corsaire Oralto, seigneur de Naxos, île de la
mer Égée, le ténor Francesco Venturini, virtuose de l’Électeur de Bavière.
Ensuite sont donnés les noms des autres protagonistes du spectacle  :
Francesco Bibiena, Bolonais, créateur des décors  ; le «  célèbre Sig.
D.  Antonio Vivaldi  » auteur de la musique, Andrea Catani, danseur et
chorégraphe au service du roi de Pologne. Il est précisé aussi que, «  dans
l’orchestre, se trouvent des Professeurs issus de diverses régions  ». Pas
d’« Argomento », comme on en trouve habituellement au début des livrets.
Le nom de Scipione Maffei ne figure nulle part. Sur la page suivante, on
trouve la liste des décors  : «  Montagne boisée avec vue d’un côté sur le
palais d’Oralto  ; Port de mer  ; Jardin fleuri  ; Horrible montagne avec
l’entrée d’une caverne, royaume d’Éole. Machine avec Junon, et les
Brises ». Ensuite, les figurants : Corsaires avec Oralto ; vents dans la suite
d’Éole Enfin, les ballets : de bergers et de nymphes ; de marins ; de vents et
de brises.

L’histoire

Nous sommes sur l’île de Naxos où vivent le corsaire Oralto, le seigneur


de l’île, et ses deux esclaves, Morasto et Osmino, deux jeunes garçons qui
sont arrivés sur l’île à des époques différentes, et qui – sans en avoir
connaissance – sont tous deux originaires de l’île de Scyros et sont en
réalité frères. Le premier avait été acheté en Thrace ; il s’appelait à l’origine
Osmino, mais il avait été rebaptisé Morasto (castrat soprano). Le second,
Tirsi de son vrai nom, fut rebaptisé Osmino. Lorsque le rideau se lève,
Oralto est en train d’affranchir Morasto et le nomme son lieutenant.
Arrivent sur l’île trois autres personnages, capturés par Oralto ; ils viennent
de l’île de Scyros  : un berger, Narete, et ses deux filles, Licori et Elpina.
Osmino rencontre les trois nouveaux esclaves  : en Licori, il reconnaît la
jeune fille qu’il avait aimée autrefois. Celle-ci, en revanche, est séduite par
le deuxième jeune homme, car il porte le nom d’Osmino et, en lui, elle croit
avoir retrouvé le garçon aimé autrefois. Narete, sans le vouloir, brouille les
pistes  ; il annonce à ses deux filles qu’il vient de découvrir, gravés sur
plusieurs arbres de l’île de Naxos, les noms  : «  Scyros  » et «  Osmino et
Lycoris  » (comme dans l’Orlando furioso, Angelica et Medoro gravaient
leurs noms sur l’écorce d’un arbre). À partir de là, l’intrigue devient de plus
en plus enchevêtrée, et les quiproquos se multiplient. D’autant plus que le
méchant de l’histoire, Oralto, est séduit par la gracieuse Licori et propose à
la jeune fille de l’épouser ; en échange de la liberté, pour elle et sa famille.
Furieux d’être repoussé, Oralto menace le berger Narete et ses deux filles
de les livrer comme esclaves au sultan d’Égypte. Narete essaie en vain de
négocier sa liberté. Pour échapper à son triste destin, Licori fuit vers une
caverne. Sa sœur, Elpina, part à sa poursuite et revient quelques instants
plus tard disant que Licori a glissé d’un rocher, est tombée dans la mer et
s’est noyée. Preuve à l’appui : le foulard trempé d’eau qu’elle présente sous
les yeux des hommes, tous trois amoureux de la pauvre Licori. Sur les
entrefaites, Oralto reçoit un appel à l’aide de son allié, le tyran de l’île de
Patmos. Il doit partir ! Licori (dont la noyade était un subterfuge) profite de
l’aubaine et réapparaît. Commence le jeu des dévoilements dirigé par
Narete : « C’est celui-ci et non celui-là ton berger ô Licori, il ne fut point
enlevé par des pirates, à Scyros, mais à Lemnos, et par des Thraces, trois
ans auparavant », dit-il à Licori ; puis se tournant vers Morasto (qui est le
vrai Osmino)  : «  Tes parents, après t’avoir perdu, encore dans les langes,
changèrent ton nom de Tirsi et t’appelèrent Osmin  ». Osmino et Morsato
sont frères et s’appellent tous deux Osmino  ! Profitant de l’absence
d’Oralto, le groupe s’empresse de fuir Naxos. Ils se dirigent vers le rivage
où un navire les attend pour les emmener sur l’île de Scyros.

Un final à grand spectacle

La fin du troisième acte est toute en effets spectaculaires. Elle n’existait


pas dans la première version du texte ; cette scène fut ajoutée spécialement
pour l’inauguration du théâtre. Les personnages mythologiques, les
mouvements de décors, la machine de Junon, les ballets mêlés d’arias et de
chœurs, confèrent à l’opéra une conclusion festive qui convient à l’occasion
et évoque les drames musicaux joués dans les cours princières, à la
Renaissance.
Alors que le petit groupe se dirige vers le rivage, de gros nuages
s’amoncellent dans le ciel. Ils prient Junon pour qu’elle les protège pendant
la traversée  : «  Nous t’invoquons, ô Junon  » («  Te invochiamo, o
Giunone ») ; c’est un chœur assez énergique (allegro ma poco), plutôt une
entrée festive qu’une invocation solennelle. On entend une brève Sinfonia,
une Tempesta di mare, écrit Vivaldi, avec les cors et les cordes  ; dans un
mouvement allegro molto puis presto, tandis que « la scène se transforme
en une montagne sombre et d’aspect effrayant, dont un flanc est occupé par
une immense grotte fermée par une porte ». Il est probable que le premier
décor représentant une montagne revient vers l’avant de la scène, par un
mécanisme qui nous est inconnu64. Junon apparaît d’un côté de la scène,
assise sur un nuage, suivie par un cortège de Brises ; la musique douce et
caressante ressemble à celle du «  Printemps  ». Junon chante l’aria breve
«  Des faibles mortels  » («  Da gl’egri mortali  »), puis elle poursuit en
récitatif, s’adressant à Éole : « Je viens ici au devant d’Éole… » (« Però ad
Eolo nè vengo  »). «  Ici le portail de la grotte tombe et le palais d’Éole
apparaît, au plus profond des entrailles de la montagne, paré des riches
ornements de la nature et de l’art. On l’aperçoit entouré d’une foule de
Vents, certains d’un aspect effroyable, les autres d’une laideur
repoussante.  » On entend une pièce instrumentale légère pendant laquelle
Éole s’avance, escorté par les vents. Junon et Éole dialoguent en récitatif :
je suis la maîtresse du ciel et des étoiles, dit-elle, donc impuissante à aider
ces mortels ; mais toi qui gouvernes les mers, les airs, et la terre, tu peux
conduire leur navire à bon port. Éole chante une autre aria breve, « Esprits
indomptables  » («  Spirti indomabili  »), accompagné par des batteries de
croches, nous faisant penser à Charon dans l’Orfeo de Monteverdi
emmenant les âmes dans le domaine des morts. Éole fait rentrer les vents
hostiles dans deux grandes cavernes et demande aux Brises de sortir. Un
«  menuet  » accompagne l’apparition des Brises. Trois autres Vents
s’avancent, montent sur les nuages, chacun d’eux donne la main à une
Brise ; puis, les ayant menées à terre, ils forment ensemble un ballet. Junon
chante en récitatif puis l’aria d’Éole : « Ne crains rien car le soleil brillera »
(« Non temer, che splenderà  »). Toute peur disparaît. On revient au style
festif de l’opéra et du divertissement. Le chœur à quatre voix reprend « Non
temer, che splenderà  », accompagné par les trompettes, les timbales, les
cordes et la basse continue. Giunone chante « Ma giovar questo non può »,
le chœur reprend : « Celui qui est un serviteur indigne de l’amour ne peut
jouir de ses bienfaits.  » L’opéra se conclut par une pantomime des vents
gentils. La Brise les suit avec une danse.

La Fida Ninfa et les préceptes de Giulio Cesare Becelli

La partition autographe de La Fida Ninfa est conservée à Turin65. Il n’y


a pas de Sinfonia d’ouverture. Neuf autres arias sont conservées dans le
recueil de Dresde, où se trouvent aussi plusieurs arias de la Semiramide de
Mantoue66.
Vivaldi a-t-il respecté les conseils formulés par Giulio Cesare Becelli  ?
Celui-ci avait par exemple préconisé (dans la préface au livre publié par
Scipione Maffei en 1730) d’employer un instrument à la sonorité
particulière au début du troisième acte : « Au commencement de l’acte III,
écrit-il, notre intention était de laisser place à quelque instrument rare, et
une cantate ad libitum67. » Ce conseil n’est pas suivi par Vivaldi68, peut-
être pour ne pas interrompre le sentiment de détresse exprimé par Narete et
sa fille qui sont en train de regretter leur île. Il a pourtant déjà composé des
arias où la voix est accompagnée par un instrument de musique un peu
particulier  : par exemple, dans la Juditha triumphans, l’aria de Juditha
«  Transit aetas  », accompagnée par la mandoline  ; ou encore dans le
Giustino, l’aria de Giustino qui conclut l’acte  II, «  Hò nel petto un cor sì
forte  », accompagnée par le psaltérion. Peut-être n’y avait-il pas de bon
soliste à disposition  ; et les temps de préparation avaient été
particulièrement courts…
Pourtant, de façon générale, Vivaldi s’efforce d’observer à la lettre les
conseils prodigués par Becelli. Celui-ci demandait que le compositeur ne
place pas d’arias à «  da capo  » en milieu de scène, car le résultat serait
contraire à la vraisemblance dramatique (qui demande que le chanteur sorte
en coulisses après avoir chanté). En revanche, écrit Becelli, à l’intérieur
d’une scène, il vaut mieux placer une aria simple, sans retour au début (aria
breve). D’ailleurs, ajoute celui-ci, Maffei a prévu dans son texte
suffisamment d’arias à « da capo » en fin de scène, pour que les chanteurs
soient satisfaits69. Vivaldi a en effet composé huit arias sans da capo (dites
« arie brevi ») que les personnages exécutent sans sortir de scène70.
Chaque acte se termine par un ensemble vocal. Les réformateurs peuvent
retrouver ainsi ce qu’ils pensent être l’esthétique des drames antiques  ; le
premier acte se conclut par un trio magistral du père et des deux filles
« S’egli è ver che la sua rota » (S’il est vrai que la Fortune ne cesse de faire
tourner sa roue). Becelli donne encore cette consigne : quand il trouve des
ensembles vocaux qui ont quelque chose d’un peu comique (« c’hanno del
Comico »), un bon maître comprend, à la seule lecture du livret, qu’il peut y
placer une fugue (« caccia »). Dans ce trio vocal de fin d’acte, les voix de
Licori, d’Elpina et de Narete entrent effectivement en fugue, tandis que les
deux violons et l’alto marquent, par des accords brefs, interrompus de
pauses, le battement du temps. C’est le même thème que Vivaldi emploie
dans le verset «  Et in saecula  » du psaume Confitebor tibi Domine (RV
596), peut-être pour suggérer l’idée de l’éternité71. Dans l’opéra Il
Giustino, à Rome, la Fortune apparaissait sur sa roue, mais accompagnée
par une Sinfonia, où le thème du Printemps suggérait la lumière et
communiquait au jeune paysan l’énergie de l’espoir (I,  5). L’effet créé ici
par le contrepoint est différent  ; il suggère le mouvement de la roue, qui
entraîne avec elle la destinée, bonne ou mauvaise, des êtres humains. Enfin,
le second acte se clôt par un quatuor vocal des jeunes gens « Così così sù
gl’occhi miei  » qui, dans leur détresse, reconnaissent que leur jalousie
première était une perte de temps inutile.

Des îles grecques comme allégories du paradis et de l’enfer

La Fida Ninfa transporte le spectateur dans l’univers des îles de la mer


Égée que les Vénitiens ont longtemps fréquentées. La mer n’est
qu’évoquée. C’est le voyage (ou plutôt son évocation) qui compte ici, d’une
île à l’autre, du bonheur à l’infortune, comme la vie des êtres humais sur la
terre. Grâce à la fable pastorale, nous ne quittons pas la nature, le plein air,
un univers qui plaît à Vivaldi et dont il joue tel un peintre avec ses couleurs.
Scyros, l’île verte et douce, l’île aimée et désirée, apparaît comme un
Eden, une Cythère devenue inaccessible ; elle offre une vision du bonheur,
du paradis perdu. Licori chante  : «  Selve annose, erme foreste  » (Forêts
anciennes, bois solitaires) (I,  4), une aria breve extatique, majestueuse,
comme une prière. Les deux premiers violons jouent à la tierce, une
dixième montante, puis une quinzième descendante, des sauts d’intervalles
répétés dans une alternance forte/piano, comme le jeu de la lumière entre
les feuillages72. Au début du troisième acte, elle dit encore, en récitatif,
«  De nos collines verdoyantes, et le clair ruisseau qui dévale leur flanc  »
(« I nostri verdi colli/e il chiaro ruscelleto »). Elpina reçoit aussi une aria
très douce et légère, « Cento donzelle » (III, 11), évoquant les nymphes qui
accueilleront Osmino à Scyros, s’il accepte de les suivre  ; la voix est
accompagnée par deux flûtes et les violons avec sourdines («  con sordini
tutti »), autre fantasme d’un lieu paradisiaque, habité d’êtres surnaturels ; et
Licori chante une nouvelle aria, pleine de candeur « Par la joie et l’amour,
mon cœur suffoque presque  » («  Dalla gioia e dall’amore/il mio seno è
quasi oppresso », III, 11), qui ressemble déjà à un retour vers Scyros.
Le berger Narete reçoit les plus beaux vers italiens et les plus puissantes
invocations à la nature « O dell’eccelso annoso, intatto bosco… » (« De cet
auguste bois, antique et inviolé » II, 12), et la prière à Pan, « Pan, ch’ognun
venera » (III, 8).
L’île de Naxos, en revanche, est rocheuse, tourmentée. «  Dans ce lieu
horrible, même une jolie fleur paraît un objet funeste et qui n’inspire que de
l’horreur », dit Licori, au début de l’acte III. Dans l’aria rapide de Morasto
«  Parmi les rochers inhospitaliers  » (allegro molto più che si può) (« Fra
inospite rupi  »), le flux heurté de la mélodie communique à l’auditoire le
malaise qui s’empare des cinq personnages emprisonnés sur l’île.
Dans ces îles, deux univers s’opposent ; le premier, doux et civilisé : la
civilisation grecque  ; le second, primitif et hostile, où les usages barbares
ressemblent à s’y méprendre à ceux… du monde ottoman !

Les métaphores de la nature

Dans La Fida Ninfa, à part Junon qui, comme Alcina, dialogue avec le
maître des ténèbres, il n’y a pas de rôle de femme dominante. Nous sommes
face à deux jeunes filles accompagnées par leur père  ; des êtres doux, à
l’image de l’île regrettée et du bonheur brisé. Les habituelles comparaisons
avec la nature, tantôt accueillante et pacifique, tantôt déchaînée et hostile,
permettent aux chanteurs de faire montre des différentes facettes de leur
talent : l’orage qui secoue les cimes des arbres ; la biche qui gambade sur la
colline. Au-delà des clichés, l’opéra recèle plusieurs trouvailles musicales
judicieuses  : par exemple, le serpent qui s’enroule autour de l’arbre pour
évoquer les chaînes de l’amour (Osmino, « Qual serpe tortuosa  » ; II,  9).
En somme, une esthétique propre à la première moitié du xviiie  siècle,
émaillée de moments étranges, hors du temps, où l’on se sent déjà proche
de Haydn, de Mozart et du classicisme viennois  ; par exemple l’aria
d’Osmino « Ah ch’io non posso, no, lasciar d’amare » (Ah je ne puis, non,
renoncer à aimer) (II, 2), chantée par le castrat alto Stefano Pasi, avec ses
frottements et ses dissonances particulièrement émouvantes ; et encore celle
de Narete « Deh ti piega, deh consenti  » (Allons je t’en supplie, accepte)
(II,  3), interprétée par le ténor Ottavio Sinco, lorsque le berger de Scyros
prie Oralto de lui rendre la liberté…

Critiques et retombées

Un chroniqueur de Vérone, Francesco Lando, loue la beauté du théâtre et


des décors  ; la «  grâce et la magnificence du théâtre  ». «  La largeur au
centre est majestueuse », écrit-il ; il admire aussi « la profonde loge de face,
lorsque celle-ci apparaît, constituée de plusieurs scènes, belles séparément,
et magnifiques toutes ensemble73.  » Les appréciations sur les chanteurs
sont mitigées. «  Tous les chanteurs ne se sont pas montrés à la hauteur,
témoigne le même Francesco Lando, car ils ont reçu leur contrat trop
tardivement74. » Sur la musique de Vivaldi, en revanche, le chroniqueur ne
dit rien.
Le spectacle d’inauguration du Teatro Filarmonico coûta certainement
beaucoup plus que les 19  000 ducats qui, dans la première proposition,
avaient paru excessifs aux Inquisiteurs vénitiens. Maffei dut éponger les
dettes. « Je me suis ruiné », avait-il dit quelques années plus tôt, dans une
circonstance semblable, « mais avec goût et pour quelque chose qui restera
dans les annales de notre histoire75  !  » Plus tard, il rappellera l’emphase
avec laquelle s’était faite l’inauguration du théâtre et la note que cela lui
avait coûté. Certes, l’esthétique ampoulée et rocaille de ce spectacle ne
correspondait guère à ses aspirations de dépouillement et de rigueur. Le
théâtre lui-même, avec ses loges, ne ressemblait en rien à son projet initial
qui était de faire ériger à Vérone un théâtre antique, à gradins. En 1754
(Vivaldi est alors décédé depuis plus de dix ans), à l’occasion d’une
réédition de son ouvrage De’ teatri antichi e moderni, Maffei écrira sur un
ton de remords qu’il était encore un très jeune homme lorsqu’il écrivit le
texte de La Fida Ninfa «  qui, après quelques remaniements, fut mis en
musique longtemps après… ». L’érudit reconnaît que l’opéra n’avait pas été
surchargé d’intrigues amoureuses, ni d’expressions galvaudées comme
« idolo mio, cara t’adoro [mon idole, chérie je t’adore] »…, toutefois, dit-il,
insatisfait, « je le reniai et je l’abandonnai76 ».

Le dernier séjour à Mantoue : Farnace, janvier 1732 (RV 711-E)

Fin janvier  1732, Vivaldi laisse Vérone derrière lui et revient sur
Mantoue où doit avoir lieu, le 26  janvier, la reprise du Farnace77. Maria
Maddalena Pieri et Anna Girò y reprennent les rôles qu’elles avaient créés à
Venise, cinq ans plus tôt. Le livret résulte d’une fusion entre la création
vénitienne (carnaval 1727) et la reprise de Pavie (1731). Les chroniques
affirment que, lors des représentations, la salle du Teatro Arciducale fut
toujours comble  ; remplie par les familles patriciennes de Mantoue et des
environs, par Philipp et par sa famille, confortablement installés dans leurs
loges, somptueusement ornées.
Charles de Brosses visitera le palais de Mantoue en 1739, quatre ans
après le départ de Philipp de Hesse-Darmstadt. L’ancienne demeure des
Gonzague lui paraît vide, dépouillée de son riche mobilier, de ses biens les
plus précieux. « Le palais du duc de Mantoue est si peu de choses quant au
bâtiment, écrit le Bourguignon, qu’on ne voudroit pas le prendre pour une
maison de marchand  ; mais les logements sont fort vastes. Celui de la
duchesse est tout démeublé, et non celui du duc, qui sert au gouverneur de
l’empereur, quand il y en a un. Au reste, on n’a, à vrai dire, laissé là que ce
que l’on n’a pas pu emporter. Toutes les curiosités dont les cabinets étaient
remplis ont été enlevées mais il reste dans l’appartement d’excellentes
peintures…  » (lettre  XI à M.  de Blancey. Route de Milan à Vérone.
Mantoue).
 
Farnace terminé, Antonio Vivaldi et Anna Girò quittent Mantoue et
reprennent la route de Venise. Un nouveau théâtre, le Regio Ducale Teatro
Nuovo, sera inauguré le 27 décembre 173278. Cet édifice avait été projeté
plus de trente ans plus tôt par le duc de Gonzague, Ferdinando Carlo. On a
parfois suggéré que Vivaldi aurait été, même partiellement, l’imprésario du
nouveau théâtre, l’hiver suivant (1732-1733)79. Rien n’est sûr pourtant, car
les documents d’archives sont peu clairs et aucun opéra de Vivaldi ne sera
représenté cette saison-là.
Le Prêtre roux ne reviendra probablement plus jamais à Mantoue, mais il
n’en continuera pas moins à employer, plusieurs années encore, son titre de
« maître de chapelle de chambre » de Philipp de Hesse-Darmstadt.

29

 Du Mexique à l’ancienne Grèce

 (1732-1734)

Pendant le mois de janvier  1732, Vivaldi avait fait la navette entre


Vérone et Mantoue. Il est probable qu’au début du mois de février, il est de
nouveau fixé à Venise. Toutefois, il n’y aura pas de nouvel opéra avant la
production de Motezuma, au théâtre Sant’Angelo, en novembre 1733.
Le 4  mars 1732, Antonio fêtera ses 54  ans. Giovanni Battista compte
désormais 77 ans. Il s’éteindra quatre ans plus tard d’une longue maladie.
On peut imaginer qu’à cette date il est déjà affaibli et ne peut plus suivre
son fils, comme il le faisait autrefois, d’une ville à l’autre. On pense que
vivent avec eux les deux sœurs cadettes d’Antonio : Margherita, qui a alors
52 ans, et Zanetta, âgée de 45 ans ; peut-être aussi Francesco, qui compte à
cette époque-là 42 ans. Le 26 décembre 1731, de son union avec Elisabetta,
était né Carlo, qui deviendra copiste de musique, comme ses deux cousins,
Pietro et Daniele Mauro, les fils de Cecilia et de Giovanni Antonio Mauro.
Suivront sept autres enfants, dont quatre mourront en bas âge.
L’année 1732 n’est marquée par aucun grand événement musical dans la
biographie d’Antonio Vivaldi. À Prague, Denzio avait donné la Doriclea, le
26  décembre 1731  ; puis, au printemps 1732, une reprise de la Dorilla in
Tempe. Rien ne permet de penser que Vivaldi se soit trouvé en Bohême à
cette époque-là.
Les dernières publications à Amsterdam (les Opus 10, 11 et 12) dataient
de 1729. En 1730, les éditions anglaises Walsh  &  Hare avaient publié un
recueil de douze concertos pour violon, intitulé «  Select Harmony  », un
assemblage de pièces puisées dans les Opus 6, 7, 8 et 9 intégrant aussi une
pièce (RV Anh 65) dont l’attribution à Vivaldi reste douteuse.
Désormais, Vivaldi n’envoie plus de concertos en Hollande pour la
publication. Il préfère vendre par lui-même ses œuvres instrumentales, tant
à la clientèle de passage à Venise, qu’à travers son large réseau européen de
connaissances, ce qui lui rapporte un profit majeur et lui permet d’éviter les
plagiats de toutes sortes. On se souvient que, le 13 février 1733, l’Anglais
Edward Holdsworth écrit de Venise à son ami Charles Jennens qu’il a le
jour même rencontré le Prêtre roux : « J’ai eu aujourd’hui une conversation
avec votre ami Vivaldi, écrit Holdsworth, qui m’a confié qu’il avait décidé
de ne plus publier de concertos ; il prétend en effet que cela l’empêche de
vendre ses manuscrits qui, pense-t-il, lui rapportent davantage d’argent ; ce
qui sera en effet le cas s’il trouve un bon marché  ; lui en escompte une
guinée par morceau80. »
Qu’est devenue la relation d’Antonio Vivaldi avec la Pietà ? Les archives
de l’institution ne conservent plus aucun document depuis le dernier salaire
qui avait été versé au compositeur le 21  août 1729  ; c’est-à-dire le mois
précédant la demande de congé que Giovanni Battista avait présentée aux
procurateurs de Saint-Marc. Le nom de Vivaldi ne réapparaîtra dans les
registres que le 5  août 1735. En réalité, il manque dans les archives
provenant de la Pietà les registres correspondant à la période « février 1729
à février  1733 »81. On sait seulement qu’en janvier  1733, les députés qui
gèrent la chapelle musicale, toujours actifs, cherchent à renforcer
l’ensemble instrumental, à multiplier les timbres, car cette richesse sonore
plaît aux bienfaiteurs de l’institution82.
Il n’est pas exclu qu’à cette période Vivaldi ait reçu, de toutes sortes de
communautés religieuses, des commandes de pièces sacrées. On a
récemment découvert à Dresde83 une œuvre qui pourrait dater de cette
période : le psaume 109, Dixit Dominus (RV 807). Le manuscrit avait été
omis du corpus de l’œuvre connue de Vivaldi car faussement identifié sous
le nom du Vénitien Baldassare Galuppi84. Après une étude attentive du
document, ce Dixit Dominus s’est révélé être de Vivaldi. Il s’agit d’une
œuvre assez ample, composée pour cinq solistes (deux sopranos, un
contralto, deux ténors), avec, outre les cordes et la basse continue, des
trompettes et des hautbois. Le manuscrit sort de la boutique du copiste
vénitien Iseppo (Giuseppe) Baldan, où l’on aurait falsifié le document en
inscrivant sur la partition le nom de «  Galuppi  » qui peut-être était alors
plus connu et donc plus facile à commercialiser.
Un autre témoignage est fourni par une lettre de Pier Caterino Zeno, frère
du célèbre historien et librettiste vénitien Apostolo Zeno, décrivant une
cérémonie qui vient d’avoir lieu à Venise, le 7 mars 1733, à l’occasion du
dépôt des reliques du doge Pietro Orselo (928-987) au Trésor de Saint-
Marc. Celles-ci, d’abord déposées au monastère bénédictin de Saint-
Georges Majeur, puis transportées de San Giorgio Maggiore à San Marco,
venaient d’être rachetées par la République. «  Sur la rive, écrit Zeno, les
clercs de Saint-Marc attendaient avec les torches allumées, accompagnés
par les musiciens qui chantaient un Laudate Dominum très solennel, œuvre
de l’abbé Vivaldi de la Pietà […]85. »
Ce bilan fait, il est facile d’imaginer que les théâtres d’opéra, la vente de
ses concertos manuscrits à sa clientèle internationale et les leçons données à
ses élèves privés restent les principaux moyens de subsistance du Prêtre
roux.

Le décès de Friedrich August, Électeur de Saxe et roi de Pologne,


1733

En cette période assez floue où, après ses différents voyages, il ne semble
plus vraiment attaché à Venise, ni à Mantoue, où Philipp de Hesse-
Darmstadt vieillissant est proche de son retrait, Vivaldi aurait-il tenté sa
chance pour un poste de maître de chapelle à Dresde ?
Johann David Heinichen, maître de chapelle à la cour de Saxe, était
décédé le 16  juillet 1729. Il fut remplacé par Johann Adolf Hasse, à une
date que l’on situe entre le carnaval et l’Ascension 1730. Cette nomination
suscita la déception du compositeur tchèque Jan Dismas Zelenka qui s’était
mis en piste pour succéder à Heinichen mais qui dut se contenter d’un poste
de compositeur d’église. Occupé par la représentation de ses opéras à
Venise, Hasse ne se présentera pas à Dresde avant le début du mois de
juillet 1731.
Le 1er février 1733 s’éteint l’Électeur de Saxe et roi de Pologne Friedrich
August  Ier dit Auguste le Fort. Un deuil de cinq mois est prononcé. Le
Kurprinz Friedrich August  II, qui s’apprête à succéder à son père, veut
nommer de nouveaux artistes. Jean Sébastien Bach lui envoie le Kyrie et le
Gloria de sa Missa en si mineur (BWV 232), avec une note le priant pour
un « titre de Votre Très Haute Chapelle de Cour » ; ce n’est pourtant qu’en
1736 que Bach deviendra Hofkomponist du nouvel Électeur de Saxe.
Les relations musicales et artistiques entre Dresde et Venise sont
constantes ; relations des princes de Saxe avec les patriciens vénitiens, mais
aussi avec la Pietà. On sait par exemple qu’en 1724, le comte Ämilius
Villio, ambassadeur de Saxe à Venise, avait demandé à ce que trois jeunes
filles et quatre jeunes garçons apprennent à la musique à Venise, puis soient
renvoyés à Dresde. Ces élèves vivaient dans la maison de l’ambassadeur.
Une petite soprano fut ainsi éduquée par Pietro Scarpari, maître de chant à
la Pietà. En septembre de la même année 1724, on confiait à la Pietà « deux
petites filles de bonnes mœurs, afin qu’elles soient éduquées dans la
musique et destinées au service de Sa Majesté (le roi de Pologne) et de la
Maison Royale86  ». Les gouverneurs de la Pietà désirent prouver leur
reconnaissance à l’Électeur pour toutes les actions généreuses que le
souverain avait eues à plusieurs occasions envers l’institution, mais posent
plusieurs conditions pour accepter la proposition : que ces fillettes « n’aient
pas plus de douze ans, qu’elles aient de bonnes manières, qu’elles soient
destinées à la Maison Royale et que, à l’avenir, elles ne chantent pas dans
les théâtres de la ville et de l’État ». Six ans plus tard, le 17 mars 1730, les
deux sœurs Anna et Rosa Negri sortaient de la Pietà et étaient confiées au
chambellan du Roi de Pologne87.
Une candidature pour un poste dans la chapelle musicale de Dresde ?

Le Prêtre roux se serait-il lui aussi présenté pour un poste de maître de


chapelle à Dresde ? Le prince avait séjourné très jeune à Venise, à plusieurs
reprises et assez longuement, en 1716-1717, quand son père, pour des
raisons religieuses, l’avait éloigné des influences luthériennes de la cour de
Saxe. Il était accompagné de plusieurs musiciens attachés à Dresde, tels le
violoniste Johann Georg Pisendel et le hautboïste Johann Christian Richter.
Vivaldi avait probablement composé, à ce moment-là, des œuvres destinées
à être jouées par le petit groupe de musiciens, tels les concertos de chambre,
sans instruments solistes88. Vivaldi avait gardé de bons contacts avec
Dresde, où Pisendel faisait jouer ses œuvres instrumentales, les adaptant
même pour l’orchestre de la cour saxonne. Vivaldi a aussi composé pour
l’orchestre de Dresde deux magnifiques concertos, les RV 576 et RV 577.
La bibliothèque de Dresde conserve un vaste corpus de musique
instrumentale de Vivaldi (15 sonates, 12 Sinfonie détachées, 91 concertos).
Il s’y trouve aussi seize arias, transcrites pour la voix et la basse continue
extraites de l’Arsilda regina di Ponto89 ; la Sinfonia d’ouverture du même
opéra90, ainsi que celle de L’Incoronazione di Dario, transcrite par
Pisendel, à la même période91  ; les deux opéras de Vivaldi joués au
Sant’Angelo pendant le séjour à Venise du jeune prince de Saxe et celui de
Pisendel.
L’attention des musicologues fut attirée par un ensemble bien particulier
conservé à Dresde, formé de 37 pièces vocales de Vivaldi (airs d’opéras,
cantates, motets), toutes pour soprano ou contralto.
Ce portefeuille comporte
a) un recueil avec 24 arias et un trio vocal92  ; il s’agit d’extraits
autographes, ou partiellement autographes, parfois des copies93. Ce recueil
comprend assez d’arias pour constituer un pasticcio. Si l’on exclut cette
hypothèse, à qui auraient pu servir ces arias détachées  ? À Prague, la
compagnie de Denzio était déjà en crise. À Mantoue, Pavie et Vérone, ces
arias avaient déjà été entendues. Vivaldi aurait-il prévu d’envoyer
l’ensemble à Antonio Denzio puis, en raison des difficultés vécues par le
théâtre, aurait-il envoyé ces partitions à Dresde ?
b) neuf cantates de chambre94, dont la plupart sont autographes ou
partiellement autographes. Quatre de ces cantates, pour alto, sont des pièces
uniques95 ;
c) cinq cantates, pour soprano, ont des manuscrits correspondants
autographes à Turin96. Toutes ces cantates sont avec un accompagnement
de basse continue sauf RV 678, avec flûte et basse continue ; on y reconnaît
l’écriture de Giovanni Battista ;
d) deux motets pour soprano et cordes (RV 627 et RV 632), qui viennent
de la collection de personnelle de J.D. Zelenka97 ;
e) le psaume 112 Laudate pueri (RV 601) (dont un manuscrit autographe
est conservé à Turin) pour soprano soliste et accompagnement de flûtes
traversières, hautbois, cordes et basse continue98.
D’après l’origine des papiers, ce recueil semble avoir été constitué par le
compositeur avec l’intention de l’envoyer à Dresde, en automne 173399.
Vivaldi a-t-il espéré occuper un poste à la cour saxonne, et s’est-il mis en
avant, tout comme l’avait fait Jean-Sébastien Bach ?
Si, l’âge venant, Vivaldi forma le rêve d’occuper lui aussi (comme bon
nombre d’autres compositeurs, musiciens, chanteurs, voire même poètes et
érudits italiens) un poste de prestige, stable et bien rémunéré, dans une
grande cour européenne, cet objectif n’aboutit pas. Comme par le passé, il
continua à composer des opéras, tantôt ici, tantôt là, devant compter avec le
bon vouloir des imprésarios, la concurrence des Napolitains, et le
vedettariat grandissant des castrats et des cantatrices.

Retour au Sant’Angelo, novembre 1733-février 1734

En cette fin d’année 1733, le Prêtre roux effectue un retour en force sur la
scène de son théâtre favori, le Sant’Angelo, où il présente trois opéras, dont
deux créations à « grand spectacle » : Motezuma, pour la saison d’automne ;
puis, à la fin du carnaval, en février de l’année suivante, L’Olimpiade, sur
l’un des plus célèbres livrets de Pietro Metastasio.
On ne sait si Antonio Vivaldi était l’imprésario de ces deux saisons. En
tout cas, sa personnalité transparaît dans les choix des spectacles, ainsi que
dans l’engagement de ses collaborateurs  : Antonio Mauro, le scénographe
vénitien qui réalise probablement les décors des deux saisons ; le maître de
ballet Giovanni Gallo dit Galletto, qui dirige les danseurs100.
Quatre des interprètes sont engagés pour l’automne et l’hiver : les deux
castrats soprano  : Francesco Bilanzoni, virtuose du prince napolitain
Caracciolo della Torella. On sait par une lettre du comte Rambaldo
Rambaldi datée du 12  novembre 1731 que les imprésarios de Vérone
avaient cherché à engager le castrat pour la création de La Fida Ninfa, à
Vérone… en échange, on promettait au soprano cent sequins, une réception
princière, ainsi qu’un écrin précieux. Bilanzoni ne put pas (ou ne voulut
pas) répondre à cette proposition, car son nom ne figure pas dans la
distribution de l’opéra de Vérone en janvier 1732101. On le retrouve avec
Vivaldi à Venise, en automne 1733. Bilanzoni est déjà connu à Venise, où il
chante depuis deux ans. Le second castrat engagé au Sant’Angelo pour cette
saison est Marianino Nicolini, virtuose de Philipp de Hesse-Darmstadt  ; il
avait chanté six mois plus tôt à Mantoue, dans le Farnace de Vivaldi  ; la
basse allemande Massimiliano Miller sera le créateur du rôle du Mexicain
Motezuma. La mezzo soprano Angiola Zanucchi est elle aussi attachée à la
cour de Philipp de Hesse-Darmstadt  ; elle interprète des rôles masculins.
Deux des interprètes féminines partiront dès que les représentations du
Motezuma seront terminées  : Giuseppa Pircher, dite la «  Tedesca  »
(l’Allemande), une chanteuse originaire de Graz, troisième artiste de la
compagnie à faire partie de la chapelle de Philipp de Hesse-Darmstadt. Son
vrai nom était Josepha Susanna Gayereck  ; elle fut la première épouse de
Franz Joseph Carl Pircker, concert-master de la compagnie Mingotti (elle
décédera vers 1735)102  ; enfin Anna Girò, qui quittera elle aussi Venise
après Motezuma pour se produire au Teatro Filarmonico de Vérone… Elles
seront remplacées par Marta Arrigoni, une contralto de Vénétie, et par la
Romaine, Anna Caterina della Parte.

Motezuma, Venise, 14 novembre 1733 (RV 723)

Les catalogues vénitiens attribuent le texte du Motezuma (ou Montezuma)


à un certain Girolamo Giusti103. Son nom n’est pas imprimé mais
seulement noté à la main dans certains exemplaires du livret. Originaire de
Padoue, Giusti était légiste et poète. En 1734, il partira pour Milan où il
occupera un poste dans l’administration dirigée par les Habsbourg. La
musique est dite «  del Vivaldi  ». Les décors, les costumes, mexicains et
espagnols, les batailles (duels à l’épée, prise d’assaut d’une tour) apportent
des notes pleines d’exotisme à ce spectacle présenté au théâtre Sant’Angelo
au mois de novembre 1732, saison d’automne, la période où les patriciens
vénitiens viennent de rentrer de leur villégiature annuelle en terre ferme.
«  L’histoire de la conquête du Mexique par le très valeureux Fernando
Cortes (Hernán Cortés) est connue, écrit le librettiste dans sa préface […].
Pour plus de concision, je me suis concentré sur le moment où Cortés et ses
soldats sont accueillis dans la capitale par Motezuma, empereur du
Mexique. J’invente une amitié préalable entre les deux nations ; ainsi que la
raison pour laquelle la paix aurait été rompue. Dans ce drame, je mets en
scène la dernière et désastreuse journée, lorsque le souverain mexicain fut
vaincu et la monarchie abolie. Pour m’adapter aux scènes, j’ai dû éliminer
certains éléments historiques, et en ajouter d’autres, vraisemblables, afin
que ce Motezuma paraisse le moins imparfait possible. »
Une partition manuscrite du Motezuma se trouve à Berlin, à la Sing-
Akademie104. Il s’agit d’un document vénitien datant des années 1730,
transcrit par l’un des copistes travaillant en partie pour le théâtre San
Giovanni Grisostomo. Ce manuscrit est très fragmentaire. Le second acte
est presque complet mais il manque de nombreuses parties dans les actes I
et  III. Le manuscrit a peut-être appartenu à la margravine Wilhelmine de
Brandenburg-Bayreuth qui séjourne à Venise en 1738 ; il pourrait aussi être
arrivé à Postdam par le castrat Giacomo Zaghini105. La Sinfonia et les
quatre premières scènes manquent. Le manuscrit commence à la scène 5 du
premier acte. Il porte une mention manuscrite (« La poésie de cet opéra est
de l’Ill. Giusti, la musique de D.  Ant. Vivaldi  »), qui pourrait avoir été
ajoutée ultérieurement106.
 
Le premier acte se déroule d’abord à l’extérieur (« Vue sur la lagune de
la ville de Mexico, qui sépare le palais Impérial du campement espagnol ;
un pont magnifique les relie ») ; puis dans le palais de Motezuma (« Salle
avec une porte ouvrant sur les appartements du rez-de-chaussée »).
Les Espagnols sont à deux pas (un pont les sépare) du palais impérial
mexicain. Motezuma, empereur du Mexique (la basse Massimiliano Miller),
apparaît sur scène l’épée à la main. Il demande à sa femme, Mitrena (Anna
Girò), de tuer leur fille, Teutile (la soprano Giuseppa Pircher), puis de se
suicider, dès que les Espagnols arriveront au palais. Un élément complique
tout  : Teutile est mariée avec l’Espagnol Ramiro (la soprano Angiola
Zanucchi), le jeune frère de Cortés. Mitrena exhorte son mari à reprendre
courage et à se battre, tandis que Teutile suggère à son père de se cacher.
Fernando et les Espagnols sont en train de traverser le pont. Les scènes 8 à
14 forment un long récitatif  : les personnages s’affrontent sur le ton de la
tragédie. Montezuma décoche une flèche et blesse Fernando (Francesco
Bilanzoni), qui veut se venger. Ramiro craint pour son frère. Teutile essaie
de tranquilliser son mari qui, lui, fait valoir son honneur. Le manuscrit
musical commence ici  ; sur la fin de l’aria de Ramiro «  Tace il labbro  »
(I, 7). Motezuma s’est travesti en Espagnol ; il veut passer incognito et tuer
son ennemi. Lorsqu’il découvre que Motezuma, au lieu de résister avec
loyauté, cherche à employer la ruse, Fernando demande à ses soldats
d’enchaîner le roi et de lui faire subir une punition publique. Dans un long
récitatif plein d’interrogations, Anna Girò (Mitrena), désespérée, cherche
comment sauver son mari. Pacifié, Fernando affirme qu’il a toujours
respecté les lois de la chevalerie. Motezuma est honteux, confus de son
comportement  ; son récitatif accompagné, «  Confesso, non discerno  »,
plaintif et plein de colère, est suivi par une très belle aria pathétique «  Se
prescritta in questo giorno  », avec une alternance de forte/piano sur des
rythmes pointés. Le souverain dit qu’il accepte de mourir, mais il se
vengera des impies dans l’au-delà. Suit une grande scène monologue
réservée à Anna Girò (Mitrena) qui parle au nom du Mexique assiégé,
humilié, écrasé : le récitatif accompagné se termine avec l’aria de bravoure
« S’impugni la spada » (Saisissons l’épée), accompagnée par deux cors. La
ligne vocale est formée de grands intervalles et d’arpèges  ; elle exige du
souffle, de la coloratura, une voix souple, une articulation rapide (il
manque la fin). L’acte  I se termine par une scène monologue du général
Mexicain Asprano (le castrat Marianino Nicolini), qui se dit prêt à lutter
pour son pays et à protéger la famille royale (la musique manque).
 
Lorsque commence le deuxième acte, nous nous trouvons dans le quartier
des Espagnols, dans une salle d’audience publique où sont placés deux
sièges. La Mexicaine Teutile se trouve dans le camp ennemi avec son mari ;
elle craint pour son père. Puis le décor se transforme en un « Large espace
sur le rivage d’un golfe près du campement de l’armée ». Dans une sorte de
flash back cinématographique, Mitrena rappelle à Fernando les massacres
auxquels il s’est livré : « Je préfère oublier le fléau que tu as causé sur les
naïfs autochtones, après avoir débarqué » ; elle l’accuse d’avoir abusé des
Mexicains qui l’avaient reçu avec sincérité et tente de le persuader de
reconnaître ses erreurs et de quitter le territoire emmenant avec lui ce qu’il
reste de soldats  ; sinon cela finira par un carnage. Mitrena se rassied.
Fernando parle  : c’est Motezuma qui s’est montré belliqueux  ; lui devait
défendre les siens. Motezuma apparaît, enchaîné, conduit par les soldats. Il
provoque Fernando en duel. Mitrena essaie de s’interposer ; trio vocal : « A
battaglia, a battaglia  !  » (au combat  !)  : les voix entrent en fugue puis
s’enlacent. Asprano pense que Motezuma et Fernando vont s’affronter  ; il
chante l’aria de bravoure « D’ira e furor armato  »  : un solo de trompette
rivalise avec la partie vocale, de longues vocalises, dans lesquelles la voix
se fait instrument, son à l’état pur – une joute entre l’instrumentiste et le
chanteur qui rappelle celle à laquelle s’était livré Farinelli à Rome en 1722,
d’après le récit qu’en fit cinquante ans plus tard l’historiographe anglais
Charles Burney. Fernando et Motezuma se battent à l’épée  ; le choc des
armes se mêle à la « Sinfonia pour le combat » (la musique n’est pas dans le
manuscrit). Ils quittent la scène en croisant le fer. Les soldats mexicains
cernent Fernando. «  Les Espagnols accourent et se jettent dans la mêlée  ;
quand le combat a cessé et que tous se sont retirés, Ramiro intervient et
arrête une partie des Espagnols qui étaient en train de s’enfuir.  » Teutile
invective Ramiro et lui montre les désastres provoqués par les combats : les
pertes sont des deux côtés, dit-elle. Ramiro répond par une très belle aria de
tempête « In mezzo alla procella », avec une chaîne de triolets. On oublie le
drame pour se laisser aller au seul plaisir de la voix et de la musique : c’est
de l’opéra ! Asprano entre en scène et apporte cette information : un oracle
a demandé la vie de Teutile et celle d’un Espagnol pour rétablir la paix et
sauver le Mexique. Désespérée, Teutile chante l’aria touchante «  Un
guardo, oh Dio », s’adressant à sa mère107. La scène finale est toute pour
Anna Girò (Mitrena) qui parlemente avec le général Asprano : ils décident
de mettre le feu à la forteresse où Fernando est replié. Dans l’aria «  La
figlia lo sposo », la reine exprime l’angoisse que lui cause le sacrifice de sa
fille.
De l’acte  III, il ne reste que deux arias, l’une pour Teutile «  L’agonie
dell’amore  » (scène  2) et l’autre pour Motezuma  : «  Dov’è la figlia  ?  »
(scène  6). Le décor représente «  Un lieu isolé dans la ville avec une tour.
Devant la porte quelques Mexicains ». Comme dans les jeux de jardin de la
Renaissance, les spectateurs sont régalés par la prise d’assaut de la tour où
est replié Fernando. Mitrane ordonne que l’on mette le feu à la tour. Coup
de théâtre  ! Tandis que la tour brûle comme une torche, on aperçoit au
sommet, non pas Fernando comme on s’y attendait, mais Motezuma.
Nouveau décor  : «  Un temple dont on voit au fond la porte principale
fermée ; sur le côté la statue d’Uccilibos et l’autel préparé pour le sacrifice.
Des prêtres vêtus de blanc à la mexicaine conduisent Teutile vers l’autel ».
Alors que Teutile est conduite au sacrifice, Mitrane apprend que son mari
est mort dans l’incendie. Mitrena sombre dans le désespoir (récitatif
accompagné « Dunque è un errore »). « La porte du temple est jetée à terre
et Ramiro entre, parlemente avec Mitrane puis part avec Teutile. Les
Espagnols détruisent les statues du temple et s’en vont. » Face au sacrilège,
Mitrena veut mourir. (récitatif accompagné «  Ed ho cor di soffrire  »).
Motezuma, qui s’était enfui de la tour en feu par une sortie secrète,
réapparaît sur la scène ; il se montre penaud et avili : « Voici un monarque
qui se vantait d’avoir seul autant de puissance que vos dieux et qui est
devenu le jouet de la plèbe  », dit-il. Puis il chante l’aria de bravoure
« Dov’è la figlia ? Dov’è il mio trono ? » Motezuma et Mitrane sont prêts à
mourir plutôt que de se soumettre aux Espagnols. Dernier décor : « Dans la
ville de Mexico, grande place décorée pour le triomphe  ; des esclaves
mexicains et des drapeaux en berne d’un côté, de l’autre, les troupes
victorieuses des Espagnols ». Le chœur chante « Al gran genio guerriero »,
afin d’acclamer le nouveau roi. Cortés est assis sur le trône  : «  Peuple
vaincu, voici un nouveau roi à aimer, de nouveaux dieux, des coutumes plus
dignes ». Il descend du trône. Motezuma et Mitrena font semblant de venir
se prosterner devant Fernando, puis se jettent sur lui. Mais ils sont
maîtrisés, le premier par Asprano, et la seconde par Teutile. Fernando prend
la parole  : «  Jurez allégeance à mon souverain et je vous laisse en gage
Ramiro uni par un digne mariage.  » Ramiro annonce que la volonté de
l’oracle est accomplie. Après une hésitation, les souverains mexicains
acceptent le compromis. « On trouve dans vos dieux de grandes vérités, dit
Motezuma ; le Mexique tombe, il est vrai, mais il est ressuscité ». Le chœur
conclut « Imeneo, che sei d’amori ».
 
Plusieurs arias sont issues des opéras donnés en 1732, Semiramide et
Farnace (dans la version de Mantoue)  ; certaines seront à leur tour
intégrées dans des opéras ultérieurs108.
 
Le sujet est situé en Amérique du Sud et évoque la colonisation du
Mexique par Cortés. On connaît quelques précédents  : The Indian Queen
(1695) de Henry et Daniel Purcell dont l’intrigue était fondée sur des
conflits imaginaires entre Aztèques et Incas  ; Il Colombo, ovvero l’India
scoperta donné à Rome en 1690, dont le livret était du cardinal Pietro
Ottoboni. Peu de temps après la création de l’opéra de Vivaldi, Voltaire
écrira l’une de ses meilleures tragédies, Alzire ou les Américains,
représentée au Théâtre-Français le 27  janvier 1736, un drame situé au
Pérou, sur un arrière-plan politique. En 1755, on représentera un autre
Motezuma, à l’Opéra de Berlin, sur un texte écrit partiellement par
Frédéric II, avec une musique de Karl Heinrich Graun. Plus tard, Gaspare
Spontini composera l’opéra Fernand Cortez ou la conquête du Mexique, qui
sera représenté à l’Opéra de Paris le 28 novembre 1809109.
Certains commentateurs ont voulu voir dans cet opéra une critique
politique contre les aspirations colonisatrices de Frédéric  II de Prusse…
Mais comment ne pas penser, à la lecture de ce livret, à la façon dont
Ferdinando Carlo di Gonzaga-Nevers avait été chassé de Mantoue par
l’envahisseur impérial, en 1707, et comment il avait fui en secret, emportant
avec lui ses biens les plus précieux ? En été 1739, Charles de Brosses avait
trouvé l’ancien palais des Gonzague à demi dévasté. Le site évoqué dans la
didascalie du livret (une ville sur l’eau, un pont séparant le palais mexicain
du campement des Espagnols) rappelle aussi la situation géographique de
Mantoue qui, entourée de lacs, semble une île surgie en pleine campagne et
à laquelle on accédait par des ponts. Le dernier duc de Gonzague mourut
mystérieusement, à Padoue, en 1708. Dans l’opéra, l’alliance entre la
Mexicaine Teutile, fille de Motezuma, et l’Espagnol Ramiro, frère de
Cortés, peut aussi suggérer les noces entre les deux camps des Hesse-
Darmstadt, occupants germaniques et des Gonzague, qui avaient fondé le
duché. Philipp de Hesse-Darmstadt n’avait-il pas projeté d’épouser la
princesse Eleonora Luisa de la branche des Gonzague Guastalla ? Et la fille
de Philipp, Teodora, ne s’était-elle pas, elle aussi, mariée avec Antonio
Ferdinando de Gonzague ? L’année suivante, à Vérone, dans la préface du
livret de L’Adelaide, Antonio Vivaldi patriote prononcera des mots lourds
de ressentiment et de colère : « La pauvre Italie est retombée sous le joug
étranger, pour ne plus s’en libérer jamais ! »

Dorilla in Tempe, pastiche, Venise, février 1734 (RV 709-C)110

La création de la Dorilla in Tempe avait eu lieu au théâtre Sant’Angelo


en 1726, avec Anna Girò, qui avait reçu, lors de sa première apparition dans
un opéra de Vivaldi, un rôle très secondaire : celui de la nymphe Eudamia.
Il s’agissait d’un opéra festif où les décors, les effets surnaturels avaient
peut-être servi à fêter le retour du cardinal Pietro Ottoboni à Venise.
Quatre des chanteurs qui ont interprété Motezuma chantent dans ce
pastiche. C’est une reprise, arrangée, entre les deux créations, de
Montezuma et de L’Olimpiade. Anna Girò et Giuseppa Pircher ayant quitté
Venise, elles sont remplacées par la Vénitienne Marta Arrigon (Eudamia) et
la contralto romaine Anna Caterina della Parte (Dorilla). Le livret
d’Antonio Maria Lucchini aurait été (d’après le catalogue manuscrit
d’Antonio Groppo, daté de 1741) révisé par Bartolomeo Vitturi, « afin de
satisfaire les exigences des imprésarios ». Ni le scénographe, ni le maître de
ballet ne sont cités ; on suppose qu’il s’agit des mêmes Antonio Mauro et
Giovanni Gallo qui avaient fait la création de 1726 et participé au
Motezuma. Le nom du compositeur n’apparaît pas. Il s’agit surtout d’un
pastiche truffé de musique napolitaine, d’arias de Geminiano Giacomelli et
de Johann Adolf Hasse.
La partition de la Dorilla in Tempe conservée à Turin111 a été identifiée
comme étant celle de la version de 1734  ; une mention précise «  Hiver
1734  » («  Inverno 1734  »). Il s’agit d’un assemblage de fascicules
d’origines différentes, certains autographes, d’autres émanant de plusieurs
copistes. Le document montre des convergences avec la création de 1726,
mais aussi des points communs avec Farnace et d’autres opéras de Vivaldi.
Quatre arias de cette partition diffèrent du livret de 1734 et une aria du
livret manque dans le manuscrit musical. Certains récitatifs ont aussi été
modifiés. Des doutes subsistent donc sur l’attribution de cette partition à la
représentation vénitienne de 1734, bien que les tessitures des chanteurs
correspondent parfaitement à ceux indiqués dans le livret112.
Presque tous les numéros solos ont été remplacés ou retravaillés. On
pense que Vivaldi se serait servi de la partition de 1726 et aurait lui-même
inséré de nouvelles arias écrites par d’autres compositeurs, essentiellement
dans l’objectif de satisfaire les chanteurs. On peut dire que ce spectacle
offre un panorama de tout ce qu’il est possible de faire dans un pastiche113.
La « cuisine » est ici réalisée par le compositeur lui-même et non, comme
c’est le cas à Prague, dans les pastiches réalisés par Antonio Denzio, par
une tierce personne.
Voici quelques exemples : l’aria « Mi lusinga il dolce affetto » (I, 1) est
extraite du Catone in Utica mis en musique par Johann Adolf Hasse (Turin,
1732)  ; elle fut probablement apportée par le castrat Francesco Bilanzoni,
qui avait chanté dans cet opéra de Hasse, bien qu’il n’ait pas interprété cette
aria dans l’opéra114. Une autre aria chantée par Bilanzoni, «  Non è ver,
ch’il nostro core  » (I,  7), provient aussi d’un opéra de Hasse, l’Issipile,
donné à Naples en 1732. Le texte original de l’aria de Hasse « Saprò ben
con petto forte », a été rayé dans la partition, car il ne correspond pas à la
situation dramatique de la Dorilla ; on ne sait pas si cette aria est issue de la
représentation napolitaine à laquelle Bilanzoni avait participé  ; l’aria était
déjà une aria parodique (c’est-à-dire une musique existante adaptée sur un
nouveau texte). L’aria héroïque chantée par Bilanzoni et concluant l’opéra
« Non ha più pace il core amante », avait été composée en 1732 par Johann
Adolf Hasse dans Caio Fabrizio pour une « diva » du monde des théâtres :
le castrat Gaetano Majorano, dit Caffarelli (ou Gaffareillo)  ; cette aria de
«  valise  » commençait déjà à faire le tour de l’Europe  ; Vivaldi l’adapte
légèrement pour la voix du castrat. L’aria d’Eudamia « Al mio amore il tuo
risponda » (I, 8) avait été chantée par Anna Girò lors de la création ; depuis,
elle est devenue l’une de ses arias favorites, sans doute très attendue par le
public  ! L’aria chantée par Massimiliano Miller (Admeto) «  Se ostinata a
me resisti » (II, 5) vient de l’opéra Valdemaro de Domenico Sarro (1726) ;
Vivaldi a inséré lui-même le texte, qu’il a arrangé afin de le faire
correspondre à la Dorilla de 1726. L’aria de Filindo «  Non vo’ ch’un
infidele » (II, 9) provient de l’Alessandro Severo de Geminiano Giacomelli
(1732) ; elle avait été composée pour Marianino Nicolini, qui la reprend ici
sans aucune altération ; Vivaldi a seulement replacé les mots oubliés par le
copiste. « Col piacer del tuo comando » (III, 1), autre aria composée pour le
rôle de Filindo, avait été écrite par Vivaldi lors de la création pour le castrat
alto Filippo Galletti. Le compositeur la transpose d’une quarte supérieure
pour Nicolini qui est soprano, et il replace lui-même le texte manquant.

Un projet sans suite : Lucio Vero pour le Teatro Filarmonico de


Vérone, carnaval 1734

Vivaldi avait peut-être espéré faire la seconde partie du carnaval 1734 à


Vérone. Si ce projet s’était concrétisé, il aurait mis en musique le livret du
Lucio Vero d’Apostolo Zeno, et peut-être aussi donné une reprise de sa
Dorilla in Tempe, avec Anna Girò. Mais rien de tout cela ne se réalisa. Le
compositeur se serait alors replié au Sant’Angelo. Déjà engagée, Anna Girò
garde son contrat pour Vérone, où elle chante, en ce carnaval, dans deux
opéras : le Lucio Papirio Dittatore de Geminiano Giacomelli et l’Arsace de
Giuseppe Maria Orlandini. Et Vivaldi, qui ne perd jamais rien, transfère la
partition commencée du Lucio Vero dans L’Olimpiade. Du moins est-ce de
cette façon que l’on a tenté de reconstruire l’histoire de cet opéra, à partir
des éléments, décousus, actuellement à notre disposition115.

L’Olimpiade, Venise, 17 février 1734 (RV 725)

La création de L’Olimpiade au théâtre Sant’Angelo suit de quelques jours


seulement le pastiche de la Dorilla in Tempe. Le livret de Pietro Metastasio
avait été créé l’année précédente, le 28  août 1733, dans les jardins de la
Favorita impériale à Vienne, à l’occasion de l’anniversaire de l’impératrice
Élisabeth Christine. La musique avait été composée par le Vénitien Antonio
Caldara qui, depuis 1716, réside à la cour de Vienne et écrit les opéras
servant à célébrer les fêtes et les anniversaires de l’empereur et de son
épouse116.
 
L’histoire, explique Metastasio, se situe en Grèce, dans le pays d’Élide, à
côté de la ville d’Olympie sur les rives du fleuve. Le drame se fonde sur les
récits d’Hérodote et de Pausanias. Un oracle avait prédit à Clistene, le roi de
Sicione (le ténor Marc’Antonio Mareschi), qu’il courait le danger d’être
assassiné par son propre fils. Aussi, après la naissance de ses deux enfants
jumeaux, un fils et une fille, le roi avait remis le garçon à son serviteur,
Alcandro (la basse Massimiliano Miller), le chargeant de jeter le bébé à la
mer et de ne garder que sa sœur, la petite Aristea. Devenue grande, Aristea
(Anna Caterina della Parte) tomba amoureuse du jeune Megacle (Francesco
Bilanzoni), un champion des Jeux Olympiques. Son père, qui n’aimait pas
les Athéniens, s’opposa à ce mariage. Désespéré, Megacle quitta le pays et
se réfugia en Crète. Là, sa route croisa celle de Licida, le fils prétendu du
roi de Crète (Angela Zanucchi en vêtements masculins) ; le garçon lui avait
porté secours, alors qu’une bande de brigands s’apprêtait à le tuer. Les deux
jeunes gens restèrent amis.
Ici commence l’histoire de Licida. Le garçon était tombé amoureux
d’Argene, une jeune femme de Crète (la Vénitienne Marta Arrigoni)  ; son
père s’était, lui aussi, opposé à ce mariage. Pour fuir la persécution du roi,
la jeune femme s’était réfugiée à Élide et, travestie en bergère, elle se faisait
appeler Licori. Inconsolable de l’avoir perdue, Licida avait décidé d’aller
l’y retrouver et, pour cela, d’assister aux Jeux Olympiques. Arrivé sur
place, il apprit que le roi Clistene offrait la main de sa fille Aristea au
vainqueur. Lorsqu’il vit Aristea, Licida – qui avait perdu tout espoir de
retrouver un jour Argene –, en tomba amoureux. Il se savait toutefois
incapable de gagner les Jeux, condition indispensable pour épouser la jeune
fille, aussi il demanda à son ami Megacle de concourir à sa place. Il ne
savait pas, bien sûr, que Megacle avait lui aussi des vues sur Aristea. Naît
alors une série de quiproquos entre les deux couples : Megacle et Aristea ;
Licida et Argene. Argene découvre avec tristesse que le garçon qu’elle aime
est en train de combattre pour se gagner la main d’Aristea. Megacle gagne
les jeux et, par amitié, perd Aristea. Dans son désespoir, il tente à deux
reprises, mais en vain, de se suicider. Clistene, le père d’Aristea, se rend
compte qu’il a été dupé, et décide de sacrifier Licida (il était de coutume de
terminer les Jeux Olympiques par un sacrifice offert à Jupiter) sans se
douter que ce jeune homme est en réalité son propre fils, Filinto, qui avait
survécu et avait été élevé en Crète par le roi de l’île. La cérémonie du
sacrifice est commencée, et on se prépare à passer Licida par le fil de
l’épée, Argene apparaît devant Clistene et déclare qu’elle est prête à mourir
à la place du jeune homme. À ce moment-là, Clistene voit que la jeune
femme qui lui fait face porte autour du cou le collier de perles qui
appartenait à son enfant, avant qu’il ne soit noyé. Argene confesse que ce
collier lui a été offert par Licida. L’identité du garçon est maintenant
dévoilée. Le père vient de retrouver son fils. Malgré sa joie, le roi ne peut
pardonner le jeune homme d’avoir fraudé aux Jeux et d’avoir demandé à
Megacle de combattre à sa place. Il lui faut quand même sacrifier son
propre fils  ! Toutefois, comme il n’avait été roi d’Olympie que pour le
temps des Jeux Olympiques  ; ceux-ci étant terminés, il n’a plus aucun
pouvoir de décision. Le sort de Licida est désormais entre les mains des
prêtres et du peuple. Le chœur pardonne. Puisque Licida et Aristea sont
frère et sœur jumeaux, les couples peuvent donc se reformer tels qu’ils
étaient au début du drame : Aristea avec Megacle ; Argene avec Licida.
 
Les scénographies du spectacle vénitien sont réalisées par Antonio
Mauro, les ballets par Giovanni Gallo. La musique est « del Vivaldi » : une
petite équipe que nous connaissons bien. Le texte de Metastasio est adapté
par Bartolomeo Vitturi. Les récitatifs qui ne sont pas mis en musique par
Vivaldi ne sont pas supprimés du texte, mais signalés par des astérisques.
Dans cette révision, il ne s’agissait pas seulement de couper pour faire plus
court, mais aussi d’éliminer de multiples références à la Grèce mythique, de
gommer les aspects grandioses des rites grecs exaltés par Metastasio. Cette
rhétorique grandiloquente convenait à la cour de Vienne, où les opéras
servaient à magnifier le couple impérial et le pouvoir, mais non à une ville
comme Venise où l’opéra est un élément du carnaval, un moment de folie et
de liberté. Les sentiments des protagonistes, jeunes, impulsifs, tendres et
passionnés, passent au premier plan. Angoissés par le sort contraire qui les
persécute, ils connaissent de longs moments de désarroi émotif117. Comme
dans Motezuma, les décors, les atmosphères, les protocoles anciens gardent
un rôle important pour transporter le spectateur vénitien dans un monde
onirique, loin du réel et du quotidien. À Vienne L’Olimpiade avait été
représentée la première fois dans un décor naturel de jardin. Ici, il fallait
remplacer ce cadre par des scénographies. Au premier acte, « Une plaine à
côté du palais, traversée par une petite rivière. Charmante campagne avec
des collines  ». Dans le texte de Metastasio, il est précisé  : une vallée
sombre, encaissée, totalement emprisonnée par de grands arbres qui
forment une voûte. Les décors ne sont pas précisés pour le second acte. Au
troisième acte, la scène est divisée en deux parties par des ruines anciennes
(celles d’un hippodrome), recouvertes d’herbes, de lierre et de plantes
épineuses qui suggèrent l’aspect éphémère de toute vie et la fragilité des
sentiments humains. Dans les dernières scènes, nous nous trouvons devant
le temple de Jupiter où aura lieu le sacrifice de Licida, à la fin des Jeux
Olympiques. Sur un autel, brûle un feu sacré. Tout autour, un bocage avec
des oliviers sacrés  ; des prêtres coupent des branchages et forment des
couronnes pour en orner la tête des athlètes qui seront vainqueurs  ; on
entend le chœur des prêtres ; les ministres du temple portent des bassines en
or, où sont déposés les instruments du sacrifice.
Dans cette histoire, il n’y a, écrit Metastasio, qu’un seul drame : un père a
obéi à l’oracle et a demandé le sacrifice de son fils, afin de survivre lui-
même. Ensuite il le regrette. Les querelles, les jalousies, les dissimulations
des deux couples de jeunes gens forment l’arrière-plan. Ces intrigues
secondaires servent à mener le drame à son dénouement. C’est au sage
Aminta qu’est confiée la partie moralisante du drame. C’est à lui
qu’Alcandro confie l’enfant ; c’est lui qui le remet au roi de Crète et qui, à
la fin, participe au dévoilement de Licida. Aminta observe la folie des
hommes avec une certaine distance. Ses phrases ressemblent souvent à des
devises  : «  Un coup imprévu confond parfois le lâche avec le fort, et le
courage n’a pas toujours sa récompense…  »  ; ou encore  : «  l’espoir est
trompeur et source de danger » ; « Il est toujours meilleur de reconquérir un
amant que d’écraser un ennemi » ; « l’amour est une folie, une mer en furie
pleine d’écueils ». C’est encore Aminta qui chante à l’acte II la célèbre aria
de bravoure  : «  Nous sommes des navires livrés aux ondes glacées  »
(« Siam navi all’onde algenti »).
Les deux jeunes femmes, Aristea et Argene, se plaignent d’être soumises
aux hommes (pères, fiancés et maris). « De l’hyménée pour nous le joug est
pesant, dit Aristea. Et même sans lui, nous avons beaucoup à souffrir de
notre malheureux destin d’esclaves » ; ce à quoi son père répond : « Vous
êtes esclaves, mais vous régnez dans votre servitude  ». La solidarité qui
s’instaure entre les deux femmes contre les deux garçons dont elles
constatent l’infidélité nous fait penser aux deux couples de Cosi fan tutte.
«  Apprenez, apprenez donc, inexpertes donzelles  », chante Argene…
« Voilà la manière des amants trompeurs ! » (I, 7).
L’Olimpiade est une comédie de mœurs implantée dans un décor néo-
classique. Vivaldi garde une certaine mesure avec le côté antique du drame ;
le chœur intervient peu, et de façon brève. Le bonheur que vit Argene,
parmi les bergers, dans une nature idyllique, refuge contre le pouvoir des
pères et des rois, est un thème récurrent de l’Académie des Arcades
qu’avait fréquentée le jeune Metastasio à Rome. Vivaldi traduit cette pensée
dans sa propre langue musicale, un panthéisme modéré qui nous est
désormais familier.
 
On conserve à Turin la partition autographe (l’«  originale  », comme
l’écrit le compositeur de sa main sur son manuscrit) de L’Olimpiade118. Le
document a subi de nombreuses révisions du texte, et de la musique.
Rédigée de la main de Vivaldi, la page de titre, assez soignée, est tout à fait
inhabituelle. Le compositeur cite le nom du poète Metastasio, ainsi que les
personnages du drame. Sur la même page, il a inscrit son monogramme
« LDBMDA » (Laus Deo Beataeque Mariae Deiparae Amen)119.
Non seulement plusieurs arias proviennent du livret d’Apostolo Zeno,
Lucio Vero, dont on pense qu’il a été prévu initialement pour Vérone, mais
aussi, au début de certaines parties, Vivaldi a inscrit, de façon abrégée, les
noms de personnages qui appartiennent au Lucio Vero et non à
L’Olimpiade ; par exemple « Ani » pour Aniceto ; « L.V. » pour Lucio Vero,
«  Cl.  » pour Claudio  ; «  Luci.  » pour Lucilla… 120. Plusieurs arias sont
issues d’opéras précédents, comme le Siroe re di Persia donné à Reggio en
1727, et La Fida Ninfa, à Vérone, en 1732.
Le premier mouvement de la Sinfonia, composée dans un style de
« tempête en mer », est commun avec le premier mouvement du concerto
pour violon RV 177. Dans le déroulement de l’opéra, Vivaldi cherche un
camaïeu d’arias, évitant de créer de trop grandes différences entre les
chanteurs de niveaux différents et sans laisser non plus une liberté excessive
aux deux castrats qui avaient déjà reçu des arias de leur choix dans la
Dorilla in Tempe. Au début de l’opéra, l’aria « Superbo di me stesso » (I, 2)
pour Magacle/Francesco Bilanzoni (lorsque celui-ci s’engage à concourir
aux Jeux Olympiques sous l’identité de son ami) est un chant énergique,
avec de larges intervalles, une ample tessiture, mais sans acrobaties vocales
excessives.
L’opéra n’est pas exempt d’arias métaphoriques, moments convenus et
attendus par le public. Ainsi, l’aria de Licida « Quel destier che all’albergo
vicino » (I, 3) évoque la course du cheval qui arrive à l’auberge. Dans « Sta
piangendo la tortorella  » (II,  3), accompagnée par les cordes et les cors,
Aristea s’identifie à la tourterelle en pleurs, puis consolée. Vivaldi joue sur
la spontanéité des sentiments, des émotions. Dans l’aria de sommeil très
douce «  Mentre dormi  » (Pendant que tu dors), que chante Licida devant
Megacle (I,  8), en pensant à l’amour et au désir, les cordes en legato et à
l’unisson évoquent la brise, les oiseaux, le murmure du ruisseau. Deux
scènes plus avant, concluant le premier acte, le duo entre Megacle et
Aristea « Ne’ giorni tuoi felici » (À l’époque des jours heureux) suggère le
bonheur simple de la jeunesse. L’opéra comporte aussi de beaux moments
pathétiques : le grand récitatif de Megacle à l’acte II (scène 9), « Misero me,
che veggo », chanté devant Aristea, allongée, évanouie, sur un rocher. Cet
épisode forme le centre du drame  ; les questionnements, les arrêts, les
moments de désespoir exigent que l’interprète soit aussi un bon acteur  ;
Megacle semble dialoguer avec l’orchestre puis, à la fin du récitatif, il se
retourne brusquement vers la scène et fait face à son destin. Pour la dernière
scène du second acte, c’est au tour de Licida d’être seul devant le public.
Aminta vient de lui annoncer que Megacle s’est suicidé en se jetant dans la
mer. Dans l’aria « Gemo in un punto e fremo » (II, 15), celui-ci sombre dans
un abandon bouleversant  ; cette belle aria sera reprise dans l’Adelaide,
l’année suivante, à Vérone, ainsi que dans le Farnace, prévu pour Ferrare,
en 1738.
La partie finale de l’opéra est très tendue. Devant le temple de Jupiter, les
prêtres préparent le sacrifice de Licida. Il est vêtu d’une robe blanche et
porte une couronne de fleurs sur la tête. Sans avoir reconnu son fils, mais
plein de compassion pour le garçon, le roi exprime son émotion par un
récitatif puis une aria douloureuse et tourmentée «  Non so donde viene  »
(scène  6). Licida dit adieu à son ami Megacle. Le chœur intervient
brièvement pour invoquer la clémence du roi. Licida s’agenouille aux pieds
de l’autel, près du prêtre. Le roi prend l’épée qui lui est présentée par l’un
des ministres du temple ; Clistene la remet au prêtre et chante, accompagné
par une sinfonia. Argene intervient. Clistene reconnaît le collier que porte la
jeune femme et dévoile l’identité de Licida  : «  C’est Philinte. C’est mon
fils  !  » Puis en s’adressant au jeune homme  : «  Tu es le frère jumeau
d’Aristea. L’oracle m’imposa d’abandonner l’enfant en mer pour échapper
au parricide dont j’étais menacé. » Licida reste coupable, car il a demandé à
Megacle de participer aux Jeux à sa place ; il doit donc être sacrifié. « Hola
prêtres, ravivez sur l’autel le feu sacré. Va mon fils, meurs, je mourrai moi
aussi bientôt ! », dit Clistene. Mais celui-ci est roi à Sicione et, seulement
pour un jour, à Olympie  ; maintenant son mandat a pris fin. Désormais,
« c’est le peuple qui doit décider ! », dit Megacle. On entend alors le chœur
formé par les prêtres et le peuple : « Que vive le fils coupable ! »
 
Les chroniques vénitiennes rapportent que l’opéra de Vivaldi fut
vivement applaudi. Au début du mois de janvier  1735, le jeune Pergolèse
donnera sa propre version de cet opéra, à Rome, au théâtre Tordinona  ; il
soulèvera l’enthousiasme du public. L’Olimpiade est l’un des livrets de
Metastasio qui connaîtra le plus de succès en Europe, avec une cinquantaine
de partitions différentes.
L’Olimpiade de Vivaldi ne connaîtra pas vraiment de reprise, même si la
musique sera sans doute réentendue dans d’autres opéras du compositeur,
de façon fragmentaire. Une Olimpiade sera programmée pour une
représentation à Ferrare, au carnaval 1737, puis annulée par les
gestionnaires du théâtre. Dans une lettre écrite de Venise au marquis
Bentivoglio, datée du 29  décembre, 1736, Vivaldi dira  : «  J’ai arrangé ou
plutôt abîmé mon original pour l’adapter […], et voilà une décision
nouvelle : on ne veut plus L’Olimpiade mais l’Alessandro nelle Indie ! » Ce
n’est là que l’une des nombreuses tribulations que le Prêtre roux devra
subir, quelques années plus tard, à Ferrare.

30

 Une saison à Vérone

 sur fond de tensions politiques

 (carnaval 1735)

Vivaldi avait quitté Vérone en janvier 1732, après l’inauguration du


Teatro Filarmonico et les représentations de La Fida Ninfa. Il
n’avait toutefois pas interrompu ses relations avec les académiciens
qui géraient le Teatro Filarmonico. C’est du moins ce que l’on peut
déduire de l’observation du manuscrit autographe de
L’Olimpiade121, où le compositeur a reversé le matériel musical
préparatoire d’un Lucio Vero, qui aurait dû être donné à Vérone,
puis qui fut annulé, pour des raisons que nous ignorons.
La vaste correspondance du comte Sicinio Pepoli, conservée dans
les Archives d’État de la ville de Bologne, recèle plusieurs
courriers échangés en automne 1734 par Sicinio avec Antonio
Vivaldi et Rambaldo Rambaldi. Ces lettres contiennent des
éléments précieux concernant les négociations entreprises par le
Prêtre roux avec les responsables artistiques du théâtre de
Vérone122.
Sicinio Ignazio Pepoli et son frère Alessandro habitaient à Bologne
le fastueux palais Pepoli. Sicinio aimait la musique, et connaissait
personnellement de nombreux compositeurs, chanteurs, musiciens,
dramaturges et scénographes. Il fut l’ami intime de personnalités
célèbres, surtout parmi ceux qui vivaient et travaillaient dans la
sphère de Bologne, tel Carlo Broschi Farinelli. La découverte qui
fit le musicologue italien Carlo Vitali, dans les années 1990, des
lettres écrites par le grand castrat à Sicinio Pepoli alimentèrent la
formidable renaissance que ce chanteur connut dans le public, à la
même époque. Quant à Rambaldo Rambaldi, il vivait à Vérone et
s’occupait du Teatro Filarmonico.

Une correspondance entre Rambaldo Rambaldi, Antonio Vivaldi et


Sicinio Pepoli

En septembre  1734, les quatre fabbriccieri (gestionnaires) du Teatro


Filarmonico, à Vérone, s’étaient licenciés. Rambaldo Rambaldi, peut-être
un parent par alliance de Scipione Maffei, membre de l’Accademia
filarmonica, avait pris sa succession. Aristocrate aisé et érudit, il occupe un
haut poste dans la magistrature de Vérone et, parallèlement à ses tâches
administratives et politiques, gère le Teatro Filarmonico. C’est à ce titre
que, en 1731, Rambaldi avait déjà écrit à Sicinio Pepoli, le priant de bien
vouloir jouer de son influence pour tenter de persuader le castrat Francesco
Bilanzoni de chanter dans La Fida Ninfa de Vivaldi, en janvier 1732 ; cette
tentative resta sans succès.
Le 7 octobre 1734, Rambaldi envoie quelques lignes à Sicinio Pepoli, lui
parle des affaires théâtrales, et dit  : «  … J’ai invité M. Pietro Morigi à
chanter dans notre Théâtre pour M.  Vivaldi Imprésario…  » Il explique
ensuite qu’il a proposé au soprano un contrat en blanc. Profitant de
l’aubaine, celui-ci avait demandé un cachet très élevé… trop élevé  !
Rambaldi demande à nouveau à Sicinio s’il peut faire pression sur le
chanteur et renégocier avec lui le contrat : entre 600 ducats et 800 ducats, si
possible. «  Je vous prie de lui faire signer le contrat, écrit-il, et de m’en
envoyer une copie signée à mon nom à Venise où je dois me rendre demain.
Pardonnez-moi pour ce dérangement123.  » À la missive de Rambaldi est
attaché un feuillet rédigé de la main d’Antonio Vivaldi, qui accepte
l’engagement du chanteur :
Je soussigné D. Anto Vivaldi, par la présente, en mon nom et en celui
des personnes du théâtre de Vérone concernées, j’accepte que M.  Pietro
Morighi (sic) chante dans tous les opéras qui seront représentés pour le
prochain Carnaval dans le théâtre cité, à condition que celui-ci se présente
à toutes les répétitions et représentations…
Vivaldi rappelle le montant du cachet, 700 ducats, pour les deux opéras,
puis ajoute :
Restent à la charge du même M. Morighi (sic) les frais de voyage, de
nourriture et de logement pour tout le temps que celui-ci séjournera à
Vérone124.
Au bas du contrat, Rambaldi atteste que le chanteur «  sera payé
ponctuellement ».
Le 16  octobre suivant, Vivaldi écrit à Sicinio Pepoli et l’avise que,
contrairement à ce qui avait été convenu, le comte Rambaldi n’a pu se
rendre à Venise. Il avait été retenu à Vérone par une « affaire importante ».
«  J’ai reçu, écrit Vivaldi, du même cavalier, l’ordre de lui envoyer toute
lettre qui arrivera de Bologne à son nom… ». Le compositeur insiste pour
que Sicinio engage Morigi, d’autant plus que celui-ci se trouve libre de
toute obligation car il venait de tenter en vain d’obtenir un contrat à Venise ;
il écrit :
Je sollicite également votre bienveillance, vous priant de patienter et de
bien vouloir retenir ce chanteur, ceci d’autant plus que le théâtre de
S. Angelo avec lequel il était en négociation la semaine passée, a engagé
Castor Castorino125.
Six jours plus tard, le 21 octobre, c’est Rambaldi cette fois qui s’adresse
à Sicinio, lui expliquant qu’il a en effet été retenu à Vérone par une
convocation du comte Lothar Joseph Dominik von Königsegg und
Rothenfels. Il transmet à Pepoli deux copies du contrat : l’une à faire signer
par Morigi et à renvoyer à Vivaldi, l’autre à conserver, comme caution,
selon l’usage : « Je vous adresse ci-joint les deux contrats, l’un pour Morigi
et l’autre, que V. E. aura la bonté de faire signer à Morigi, puis d’envoyer
signée à M.  l’Abbé Vivaldi à Venise  ; il ne chantera que dans deux petits
opéras et recevra pour cela le cadeau de 700 ducats126. »
Le 30 octobre, Vivaldi confirme à Sicinio qu’il a bien reçu le contrat de
Pietro Morigi…
Excellence.
Votre bienveillance m’a à nouveau gratifié en ayant la bonté de me faire
parvenir le contrat de M.  Morighi (sic). J’avais humblement souhaité
recevoir le grand honneur de quelque rétribution très Révérée de V.  E  ;
afin de pouvoir vous présenter avec plus de courage mes hommages les
plus respectueux […] Quand il vous plaira de m’en croire digne, soyez
assuré que c’est avec ma plus profonde vénération que je chercherai par
tous les moyens de m’humilier…
De V. E.…
Venise, ce 30 octobre 1734.
Antonio Vivaldi127

Vivaldi imprésario au Teatro Filarmonico

Deux opéras de Vivaldi seront représentés à Vérone, au carnaval 1735 : Il


Bajazet (intitulé aussi Il Tamerlano) et l’Adelaide. Adelaide est le plus
somptueux (pas moins de dix scénographies différentes, avec des scènes de
batailles), il fut sans doute représenté, selon la coutume, le second. Les
deux spectacles furent conçus ensemble, et de façon cohérente, avec les
mêmes artistes. Les décors sont créés par les mêmes scénographes qui
avaient travaillé pour La Fida Ninfa, une équipe dirigée par Francesco
Bibiena et ses deux assistants, Giannantonio Paglia et Michel Angelo
Spada. Les costumes sont dessinés par le Vénitien Natale Canziani, et la
compagnie de ballet dirigée par Petrillo Gugliantini.
En tant qu’imprésario de la saison, Vivaldi a pu former la compagnie
comme il le voulait et s’assurer la présence d’Anna Girò comme prima
donna. Anna avait chanté à Vérone, au carnaval 1734, dans les opéras de
Giacomelli et d’Orlandini  ; elle était donc déjà connue du public. La
contralto Maria Maddalena Pieri avait fait sa première apparition dans un
opéra de Vivaldi dans la Dorilla in Tempe, en 1726. Elle est une spécialiste
des rôles masculins. En l’engageant pour les deux opéras du carnaval, il est
probable que Vivaldi fait une faveur à l’imprésario de Florence, Luca
Casimiro degli Albizzi, protecteur de la chanteuse  ; et il en attendra
quelques retours. Le ténor Marc’Antonio Mareschi s’était quant à lui
produit dans L’Olimpiade, à Venise, où il incarnait le roi Clistene. Ici, il
tiendra le rôle pathétique et héroïque de Bajazet. Le castrat Pietro Morigi,
qui avait choqué Rambaldi par ses exigences, appartient, comme Vivaldi, à
la chapelle musicale de Philipp de Hesse-Darmstadt. Le public de Vérone
entendra encore deux jeunes sopranos, brillants l’un et l’autre : une femme,
la Vénitienne Margherita Giacomazzi, et le castrat florentin Giovanni
Manzuoli.

Il Bajazet (ou Il Tamerlano), Vérone, carnaval 1735 (RV 703)128

En tant qu’imprésario, Antonio Vivaldi signe la lettre de dédicace du


livret à la patricienne vénitienne, Isabella Pisani Correr. C’était, dit-il,
«  l’un de mes désirs de mettre en scène dans le célèbre théâtre de cette
illustre ville, pour le divertissement de cette belle noblesse, un drame
musical qui, outre que d’être déjà en soi très louable, gagnera plus de valeur
encore grâce aux Virtuoses qui l’interpréteront129 ».

La genèse

Les formidables conquêtes du souverain des Tatars, Tamur-Lenk


(Tamerlano), et la défaite de Bajazid II, en 1402, lors la bataille d’Ankara,
les humiliations imposées par le vainqueur au sultan turc, la mort de
Bajazid (ou son suicide) en prison ont, des décennies durant, fasciné les
imaginations, tant en Orient qu’en Occident, et suscité de multiples récits
historiques, des pièces de théâtre, ainsi que des livrets d’opéras ; en France,
par exemple, l’Historia Byzantina […] de Michel Ducas (1649), le Bajazet
de Racine (1672), ainsi que le Tamerlan ou la mort de Bajazet, de Jacques
Pradon (1676). Le premier livret d’opéra qui s’inspira du personnage de
Tamerlano, ainsi que de la défaite et de la mort de Bajazet, fut créé à
Venise, en 1689 et intitulé Il gran Tamerlano, un drame long, riche en
événements, qui avait été écrit par Giulio Cesare Corradi et mis en musique
par Marc’Antonio Cesti. L’opéra correspondait à l’actualité vécue par la
Sérénissime à cette époque-là. Le grand prince de Toscane, Ferdinando de’
Medici, s’était lui aussi intéressé à l’histoire de Tamerlano. Sur sa demande,
Antonio Salvi, le poète de la cour florentine, avait écrit un nouveau livret, Il
gran Tamerlano, qui fut mis en musique par Alessandro Scarlatti et
représenté dans le théâtre des Médicis, à Pratolino, en 1706. Quatre ans plus
tard, se fondant sur l’histoire de Michel Ducas et sur la pièce de Jacques
Pradon, Agostino Piovene à Venise écrivait encore un drame sur ce sujet,
avec une partition de Francesco Gasparini. De multiples autres livrets
d’opéras continuèrent à être mis en circulation, avec des titres divers (Il
gran Tamerlano  ; Il Tamerlano  ; Il Trace in catena, Il Bajazet)130. Pour
préparer le spectacle de Vérone, Vivaldi a compulsé trois ou quatre versions
et puisé dans chacune d’elles ce qui l’intéressait, ses sources principales
restant le livret vénitien d’Agostino Piovene, ainsi qu’un Tamerlano
représenté à Milan le 28 août 1727, avec une musique de Giovanni Antonio
Giay, un compositeur de la cour de Turin.

L’histoire

Bien qu’issu d’une population nomade, Tamerlano était devenu un grand


stratège et un conquérant redoutable. Au nom du Prophète, il propagea la
religion islamique en Orient, se portant jusqu’en Inde et aux portes de la
Chine. Au cours de ses campagnes militaires, il se heurta à l’empereur turc
Bãyazid dit Yildetun Khan (Foudre) qui, lui, cherchait à conquérir Byzance,
et avançait en Serbie et en Hongrie, représentant une menace sérieuse pour
les chrétiens. Afin de contrecarrer le Sultan, Tamerlano eut l’idée de
chercher main forte auprès des ambassadeurs chrétiens en Europe, à Gênes
et à Venise en particulier. Tamerlano n’eut plus qu’à assister à
l’affrontement que se livrèrent, à Ankara, le 28  juillet 1402, les armées
turques et chrétiennes. Malgré l’héroïque résistance de ses janissaires,
Bajazet fut vaincu. Tamerlano lui proposa des arrangements que Bajazet,
par orgueil, refusa. Il fut fait prisonnier, humilié de différentes façons, et
mis en cage, obligé à suivre ainsi le cortège triomphal de son adversaire.
Bajazet aurait vécu jusqu’en 1403 et serait mort de douleur, ou par suicide.

Le livret

Dans le livret mis en musique par Vivaldi, «  l’action se situe à Bursa,


capitale de Bithynie, la première ville occupée par les Tatars après la
conquête de Constantinople  ». Au premier acte, Bajazet (le ténor
Marc’Antonio Mareschi) a décidé de se suicider. Il prie le prince grec
Andronico (Pietro Morigi), allié de Tamerlano, de veiller sur sa fille Asteria
(Anna Girò). Tamerlano (Maria Maddalena Pieri), qui ne sait rien des
sentiments amoureux qui lient Asteria à Andronico, demande à Andronico
de lui servir d’intermédiaire et de faire savoir à Bajazet qu’il a l’intention
d’épouser sa fille  ; en échange de cette médiation, Andronico recevra le
trône de Grèce et la main d’Irene, princesse de Trebizonde (Margherita
Giacomazzi), qui avait déjà été promise à Tamerlano. Celle-ci en est
offensée et devient jalouse d’Asteria qui, pour sa part, est convaincue d’être
délaissée par Andronico. Nous sommes au second acte. Bajazet croit que sa
fille a accepté l’offre de Tamerlano et l’accable de son mépris. Asteria sort
le poignard qu’elle avait préparé pour tuer le tyran le soir de ses noces.
Bajazet et Asteria sont jetés dans un cachot. Au troisième acte, nous nous
trouvons dans la prison : Bajazet et sa fille projettent de se suicider par le
poison. Andronico, de son côté, révèle son amour pour Asteria. Offensé et
furieux, Tamerlano décide de tuer Bajazet, et de réduire Asteria à l’état de
domestique ; il humilie la jeune femme en lui demandant de servir à table.
Pour se venger, Asteria décide de verser du poison dans le plat du tyran,
mais elle est dénoncée par Irene. Tamerlano veut reléguer Asteria parmi les
femmes du sérail, où elle sera la proie des esclaves. Puis il se résigne à
épouser Irene, qui éclate de joie. Coup de théâtre : on apprend que Bajazet
s’est donné la mort. Asteria vient supplier Tamerlano de la tuer elle aussi.
Touché par le suicide de Bajazet, le tyran pardonne Asteria et Andronico.
Les décors évoquent un univers aristocratique, où l’armée est
constamment présente  : le palais impérial de Bajazet à Bursa, et son
agréable jardin  ; un salon préparé pour le dîner de Tamerlano  ; un
campement militaire avec des tentes, puis le champ de bataille ; un trône sur
lequel sont assis Tamerlano et Asteria, qui dominent toute l’armée  ; des
jardins sur les rives de l’Euphrate, pour le troisième acte.

Un pastiche imaginaire pour Farinelli et Vittoria Tesi

La partition autographe de l’opéra est conservée à Turin131. La Sinfonia


introductive a été reliée au reste du manuscrit après la mort de Vivaldi ; elle
peut donc n’avoir pas été jouée avec cet opéra et avoir été insérée par la
suite. Sur le folio 147, Vivaldi rédige un titre, soigneusement présenté, tout
comme il l’avait fait dans L’Olimpiade, qu’il accompagne de son
monogramme « L.D.B.M.D.A. »132.
Dans cet opéra, les personnages, ou plutôt leurs interprètes, sont scindés
en deux groupes, écrit le musicologue allemand Reinhard Strohm. Dans le
premier, Marc’Antonio Mareschi (Bajazet), Anna Girò (Asteria) et
Giovanni Manzuoli (Idaspe) ne chantent que des arias composées par
Vivaldi. Une partie d’entre elles sont extraites d’opéras précédents133  ;
d’autres sont nouvelles. Anna Girò chante : « Stringi le mie catene » (II, 3),
une aria très tendue qui vient de Teuzzone ; « La cervetta timidetta » (II, 6)
est un air langoureux et virtuose repris du Giustino. En revanche l’aria
«  Svena, uccidi  », où alternent pathétisme et colère, placée à la fin de
l’opéra, fut écrite spécialement pour Tamerlano. Au jeune castrat Giovanni
Manzoli, Vivaldi confie des arias extraites de ses opéras précédents sur
lesquelles il n’apporte aucune modification, telle l’aria de tempête « Anch’
il mar par che sommerga », reprise de Semiramide, qui avait été créée pour
Marianino Nicolini. L’aria «  Questa cara a voi confido  » avait été
composée pour le baryton-basse Francesco Venturini qui avait certainement
été prévu à l’origine pour le rôle de Bajazet (la clé de basse est notée sur le
manuscrit)  ; puis elle fut remplacée par une aria pour ténor, «  Del destin
lagnarsi », probablement au moment où Mareschi reçut le rôle, à la place de
Venturini. Le quatuor vocal « Si’ crudel questo è l’amore » qui termine le
second acte vient du Farnace dans la version du carnaval 1727. Le chœur
qui conclut l’opéra «  Coronata di gigli e di rose  », provient aussi du
Farnace, mais dans la version de Pavie (1731).
En revanche, pour trois des chanteurs qui se trouvent dans le second
groupe, Pietro Morigi (Andronico), Margherita Giacomazzi (Irene) et Maria
Maddalena Pieri (Tamerlano), Vivaldi puise dans les opéras d’autres
compositeurs134. Ces œuvres avaient été jouées récemment à Venise, il fut
donc facile pour Vivaldi de les entendre. La plupart des arias avaient été
chantées par Farinelli et par la célèbre contralto Vittoria Tesi. Margherita
Giacomazzi interprète par exemple « Qual guerriero in campo armato » qui
vient de l’Idaspe de Riccardo Broschi et la très belle aria «  Sposa son
disprezzata » (II, 7), reprise de la Merope de Giacomelli, l’une et l’autre des
arias créées par Farinelli. Maria Maddalena Pieri reçoit trois arias créées
pour la célèbre Vittoria Tesi, originaire comme elle, de Florence. La Tesi
avait fait ses débuts à Parme en 1716. Elle avait chanté en 1718-1719 à
Venise. Elle était partie à Dresde en 1719, chanter pour le mariage du Prince
Électeur. On l’entendit dans tous les grands théâtres d’Italie et d’Europe,
jusqu’à ce qu’elle fixe sa résidence définitive à Vienne, ville où se trouvait
déjà une importante colonie de musiciens et de chanteurs italiens.
Ces greffes demandèrent à Vivaldi un important travail d’adaptation et de
nombreuses manipulations, tant sur le texte des arias importées que sur les
raccords nécessaires entre les récitatifs qui précèdent et les arias
insérées135.
Tamerlano est donc un opéra étrange, bicéphale. La partition se soutient
surtout par les deux rôles tragiques  : le père et la fille, Bajazet et Aristea
Marc Antonio Mareschi et Anna Girò. Trois des chanteurs de Vivaldi sont
opposés au clan adversaire de Tamerlano représenté par les deux
« Farinelli » et la « Vittoria Tesi », qui chantent des arias à la mode ! S’agit-
il ici du combat entre Bajazet et Tamerlano  ou plutôt de la lutte entre le
binôme Vivaldi-Girò contre… la vague napolitaine qui envahit et submerge
Venise et l’Europe en cette première moitié du xviiie siècle ?

L’Adelaide, Vérone, carnaval 1735 (RV 695)136

L’histoire

En 1669, on avait représenté à la cour de Munich un opéra inspiré de


l’histoire d’Adélaïde de Bourgogne. Alors, il se voulait un hommage à
l’Électrice de Bavière, Henriette Adélaïde de Savoie. Le drame avait été
ensuite diffusé en Italie sous plusieurs versions. Antonio Salvi écrivit un
nouveau livret pour un opéra donné à la cour de Munich en 1722, à
l’occasion du mariage du prince Électeur de Bavière, Karl Albrecht (le fils
de Therese Kunigunde, qui vivait exilée à Venise). En 1729, on avait joué
au théâtre San Cassiano l’Adelaide de Giuseppe Maria Orlandini ; Faustina
Bordoni, qui s’apprêtait alors à épouser le Saxon Johann Adolf Hasse et
qui, la même année, se disait «  virtuose de l’Électeur palatin  » (le même
Karl Albrecht), y tenait le rôle de la prima donna. Vivaldi avait sûrement vu
cet opéra, et avait été touché par cette héroïne … un rôle idéal pour Anna
Girò ! Peut-être, avait-il alors rêvé d’en créer une nouvelle version, avec sa
chanteuse préférée dans le rôle principal, dès qu’une occasion se
présenterait… Eh bien, ce moment-là était arrivé !

Le livret

Antonio Salvi présente son drame au lecteur  : grâce à sa beauté et à sa


vertu, Adelaide, fille de Rodolphe II, comte de Bourgogne et roi d’Italie, fut
la princesse la plus renommée de son temps. Elle avait épousé Lothaire
(Lothaire II de Lotharingie), fils d’Hugues de Provence comte d’Arles (roi
d’Italie de 926 à 947), qui régnait sur ses sujets en père plus qu’en
souverain. En dépit de cela, soutenue par Bérenger (Bérenger  II, roi des
Lombards et marquis d’Ivrée), la population se rebella contre son roi. Afin
d’éviter la guerre, Lothaire accepta de diviser son royaume : il donna Milan
à Bérenger (qui fut roi d’Italie en 950-951) et garda Pavie pour lui-même.
Mais Bérenger voulut s’approprier l’ensemble du royaume  ; il aurait fait
empoisonner Lothaire, puis il pressa sa fille Adelaide d’épouser son propre
fils Idelberto (Aubert Ier d’Italie), de façon à concentrer le pouvoir dans ses
mains. Celle-ci ayant refusé ce mariage, Bérenger assiégea la forteresse de
Pavie. Conscient du danger, Atto, marquis de Toscane et oncle d’Adelaide
(nommé ici Everardo), appela à son aide le roi de Germanie Othon  Ier le
Grand, dont on vantait le génie militaire. Le 25 décembre 951, Adelaide de
Bourgogne épousa Othon et l’Italie passa ainsi de la suzeraineté
carolingienne française à la suzeraineté germanique. Bérenger fut obligé de
se soumettre et de se contenter du titre de vice-roi d’Italie. L’action
commence au moment du siège et de la capitulation de la ville de Pavie.

Un pastiche

L’opéra se déroule sur une série de dix décors différents qui représentent
«  la ville de Pavie puis, le palais d’Adelaide et ses environs  ; un jardin à
l’extérieur de la ville de Pavie  ; une salle du trône avec des statues dans
l’appartement d’Adelaide  ; la ville de Pavie (acte I)  ; une vaste campagne
entourée par un bois, surplombant la rivière Ticino, avec au loin, la ville de
Pavie ; une prison avec, en arrière-plan, les murs entourant la ville, un pont-
levis et des tours, plus loin encore le camp d’Otton (acte II) ; la chambre de
Bérenger dans le palais d’Adelaide, avec trois sièges  ; le campement
d’Otton au pied des murs de la ville, à côté du Ticino ; un agréable jardin
avec une fontaine dont l’eau provient du Ticino ; un vaste salon royal ».
La partition de L’Adelaide est perdue, mais le texte du livret suffit à lui
seul à montrer qu’il s’agit encore d’un pastiche. Cette fois, Vivaldi ne mêla
pas ses propres arias à celles empruntées à d’autres compositeurs, comme il
l’avait fait dans Tamerlano, mais, selon son habitude, il avait extrait de
nombreuses arias de ses opéras les plus récents (Semiramide, Motezuma et
Olimpiade) et y avait ajouté de nouvelles arias composées pour la
circonstance et appropriées aux chanteurs. De nombreuses modifications
ont été effectuées sur le livret original de Munich. Des textes ont été
prélevés dans d’autres versions du livret de l’opéra, plus particulièrement
dans une représentation qui avait été donnée à Rome, en 1723, avec une
partition de Nicola Porpora, ainsi que dans la version de Venise (1729).
Sept arias avaient été entendues lors d’une reprise de l’opéra de Porpora à
Pavie, en 1732.
À l’exception de «  Sei troppo, troppo facile  » (I,  6), qui provient de
Motezuma, Anna Girò, dans le rôle-titre d’Adelaide, reçoit des arias
nouvelles. Pietro Morigi (Idelberto) chante aussi une aria puisée dans
Motezuma, «  L’aquila generosa  » (III,  13)  ; ses deux autres arias sont
probablement nouvelles ; « Vede orgogliosa l’onda » (I, 5) sera reprise par
Lorenzo Saletti dans la Griselda, à Venise, quatre mois plus tard. Giovanni
Manzuoli (Glodomiro, capitaine de Berengario) ne reçoit que des arias
importées : deux de Motezuma et « Langue misero quel valore » (I, 9), qui
vient du Farnace de 1727. Marc’Antonio Mareschi (Everard) reçoit un rôle
plus limité que dans Tamerlano ; parmi ses trois arias, « Quel torrente che
s’inalza  » (II,  17) vient du Giustino (Rome, 1724). La contralto Maria
Maddalena Pieri (Ottone) chante deux arias de L’Olimpiade  : «  Quel
destrier che all’albergo  » (I,  5), assez virtuose, qui évoque la course du
cheval ; l’autre plus pathétique, « Gemo in un punto e fremo » ; deux arias
nouvelles se sont perdues… avec la partition  ! Margherita Giacomazzi
(Matilde, épouse de Berengario) qui, dans Tamerlano, avait interprété des
arias pleines d’acrobaties composées pour le divo Farinelli, chante à
nouveau des arias brillantes, telle «  Agitata da due venti  » (I,  17) qui
conclut le premier acte de façon triomphale, et qui est probablement
nouvelle. Francesco Venturini (Berengario) avait été employé par la cour de
Bavière  ; désormais assez âgé, il était surtout fixé à Venise. Il avait été
Oralto dans La Fida Ninfa. Il avait sans doute été prévu pour le rôle de
Bajazet dans Tamerlano, puis remplacé par le ténor Marc’Antonio Mareschi
(des clés de fa, indiquant une tessiture de basse, subsistent sur le manuscrit,
en face des parties, puis elles furent corrigées pour être adaptées au
ténor137). Son aria, qui ouvre l’opéra, « O tu tremar non dei », (I, 3) vient
de L’Olimpiade  ; une autre «  Vincerà  la mia costanza  », à l’atmosphère
saisissante, avait été écrite pour Maria Maddalena Pieri, dans Semiramide.

Quand la Maison d’Autriche rêve du « Royaume d’Italie »

Motezuma, représenté à Venise en novembre 1733, fondé sur le thème de


la conquête du Mexique par les Espagnols, suggérait déjà, en arrière-plan,
la façon dont les Habsbourg avaient, en 1707, confisqué les territoires du
dernier duc de Gonzague. D’autres États de la péninsule étaient en même
temps annexés à la Maison d’Autriche, et devenaient « fiefs d’Empire ».
Dans la partie finale de L’Adelaide, on applaudit le roi Ottone qui, parti
des rives du Danube et poussé par ses aspirations conquérantes, était arrivé
jusqu’à Pavie. Cette conclusion n’est-elle pas une façon déguisée de
glorifier l’Empire des Habsbourg qui est alors en train de gagner de plus en
plus de terrain dans la péninsule italienne ? En 1733, la mort de l’Électeur
de Saxe Friedrich August I et roi de Pologne (Augustus II) avait fait éclater
la guerre de Succession polonaise. Lorsque Vivaldi produit ses deux opéras
à Vérone, au carnaval 1735, les puissances engagées dans cette guerre,
commencent les préliminaires de la paix, qui sera signée à Vienne  :
l’Autriche perdra Naples et la Sicile et conservera Parme et Plaisance. La
même année, l’archiduchesse Marie-Thérèse, fille de l’empereur, se fiance
avec Franz Stephan, duc de Lorraine, qu’elle épousera l’année suivante. En
1737, celui-ci deviendra grand-duc de Toscane. En 1745, Marie-Thérèse
fera monter sur le trône son mari qui prendra le titre d’« empereur romain
germanique »  ; tout comme Othon  Ier, en 962, s’était fait élire par le pape
Jean XII « empereur des Romains »…
Vérone traître à Venise ?

On se rappelle que Rambaldo Rambaldi n’avait pu, comme cela avait été
convenu, se rendre à Venise pour rencontrer Vivaldi, car il avait été retenu à
Vérone par un rendez-vous avec le comte Lothar Joseph Dominik von
Königsegg und Rothenfels, commandant de l’armée impériale, qui se
trouvait alors en Italie du Nord, durant la guerre de Succession polonaise.
Lors de cet entretien, Königsegg voulait sans doute négocier avec Rambaldi
la garnison hivernale de ses troupes dans la région, suggère Carlo Vitali qui
étudie ces documents ; un projet que la Sérénissime, qui cherchait à rester
neutre, voyait d’un mauvais œil138. On se souvient aussi que, lors de
l’ouverture du Teatro Filarmonico, par ordre du Sénat vénitien, Scipione
Maffei avait dû attendre dix-huit mois avant de pouvoir fêter l’inauguration
du nouveau théâtre, peut-être en raison des conspirations proautrichiennes
qui agitaient Vérone. Il est clair qu’une partie de l’élite aristocratique et
intellectuelle de Vérone, dont fait partie Scipione Maffei, cherche à se
rapprocher de l’empereur… Parmi ceux-ci, on peut aussi ranger Sicinio
Pepoli, puissant aristocrate de Bologne. En mars  1740, il sera nommé par
Charles VI… conseiller intime d’État !

Vivaldi patriote militant

À titre d’imprésario, c’est Vivaldi qui signe la dédicace de L’Adelaide. Il


y émet une critique violente contre les « Italiens » qui courtisent l’empereur
et tournent le dos à la Sérénissime. Après avoir loué les mérites de
Giambattista Grimani (un homme, dit-il, dont personne à Vérone n’a oublié
« la magnificence, la justice, la courtoisie et d’autres vertus avec lesquelles
il s’est gagné le cœur de la population »), le compositeur s’adresse au fils,
Antonio Grimani, podestat de Vérone, auquel l’opéra est dédié :
De nombreux éloges ont déjà été exprimés sur la façon dont vous-
même, avec votre régiment, avez rapidement démontré de ne vouloir en
rien être inférieur (à votre père) et comment vous vous êtes au contraire
placé dans son sillage, entretenant ainsi dans cette ville la mémoire
méritée de votre très noble Maison. Il était donc tout à fait normal que ce
drame soit dédié à un patricien vénitien  ; comme il devrait être aussi
normal que l’Histoire sur laquelle ce drame est fondé, déplaise à un bon
Italien, à moins que celui-ci ne soit, comme c’est souvent le cas
aujourd’hui, un ennemi de sa nation. En effet, il nous fait nous souvenir de
la manière dont les derniers rois italiens ont été évincés, et comment la
pauvre Italie est retombée sous le joug étranger, pour ne plus s’en libérer.
En échange de quelques misérables compensations, la glorieuse
République Vénète a ainsi sombré dans une situation désastreuse, elle qui,
depuis sa naissance et jusqu’à aujourd’hui, a su préserver sa liberté, et
Dieu veuille qu’elle la préserve encore jusqu’à la fin des siècles139.

Vivaldi serviteur de deux maîtres

Ces lignes révèlent une facette peu connue de la personnalité du


compositeur  ; un Vivaldi patriote militant, orgueilleux de son origine
vénitienne et de la liberté dont jouit la République Sérénissime face aux
autres puissances européennes. Toutefois, par ces déclarations, ne porte-t-il
pas en même temps une estocade à ses propres patrons ? Dans le livret de
L’Adelaide, n’est-il pas cité avec son double titre  : maître de chapelle du
duc de Lorraine (Franz Stephan) et du gouverneur de Mantoue… même si,
à cette époque-là, Philipp de Hesse-Darmstadt était arrivé au terme de son
mandat et avait perdu tout crédit aux yeux de l’empereur ? Et ne courtise-t-
il pas, lui aussi l’empereur Charles  VI, en allant par exemple lui rendre
visite jusqu’à Trieste, jusqu’à Vienne peut-être, et en lui dédiant des recueils
de concertos  ? Ne se place-t-il pas aussi en porte-à-faux avec les milieux
politiques de Vérone et avec les gestionnaires du Teatro Filarmonico  ?
Toutefois, cette dédicace s’adresse au podestat de la ville, Antonio
Grimani ; un Vénitien, comme il se doit, puisque Venise gouverne Vérone.
Or, les Grimani sont aussi les propriétaires des deux plus beaux théâtres de
Venise. Et bientôt, en mai, le Prêtre roux sera justement, pour la première
fois de sa carrière, au théâtre Grimani de San Samuele, pour y présenter sa
Griselda, avec Anna Girò, dans le rôle principal. Dans ces faits, faut-il voir
une simple coïncidence, ou bien une stratégie de Vivaldi, courtisan, qui,
depuis longtemps déjà, convoite un poste d’imprésario dans l’un des
prestigieux théâtres Grimani ?
31

 Au théâtre San Samuele

 Avec Carlo Goldoni et Anna Girò

 (Ascension 1735)

Étrange destin et étonnant personnage que celui de Griselda, jeune


femme fidèle et aimante, qui n’en fut pas moins humiliée et cruellement
mortifiée par son seigneur et mari, un homme riche et tyrannique. Inventée
par Boccace, dans la dixième nouvelle de son Decameron (1349-1353),
l’histoire raconte que le marquis de Saluzzo avait épousé la fille d’un
paysan dont il exigeait obéissance et soumission totales. Avec elle, il eut
deux enfants  qu’il écarta de leur mère avant de faire croire à leur mort.
Ensuite, il répudia son épouse et la rabaissa au point de la transformer en
domestique de la jeune femme qui allait devenir la nouvelle femme du
marquis. L’héroïsme et l’attachement démontrés tout au long de ces
épreuves par la dite Griselda finirent par toucher le mari qui décida de la
reprendre pour épouse  ; dès lors, il lui donna tout ce qu’elle désirait. Le
personnage de Griselda fut réinterprété par plusieurs auteurs, jusqu’à ce que
le librettiste vénitien, Apostolo Zeno, transforme le récit en un livret
d’opéra qui fut mis en musique par Antonio Pollarolo et représenté à Venise
en 1701, au théâtre San Cassiano. Le livret fut donné en Italie une trentaine
de fois tout au long du xviiie  siècle, avec de nouvelles musiques et de
multiples manipulations littéraires et dramatiques. À Venise, après la
création de 1701, une nouvelle Griselda fut représentée en 1720 au théâtre
San Samuele, avec une partition de Giuseppe Maria Orlandini. Huit ans
plus tard, le public fut régalé d’une Griselda, mise en musique cette fois par
Tomaso Albinoni.
Sept années se sont écoulées depuis la Griselda d’Albinoni, lorsque
Michele Grimani, propriétaire du théâtre San Samuele, décide, pour la fête
de l’Ascension 1735, de remettre à l’affiche la Griselda d’Apostolo Zeno,
avec une mise en musique qui serait cette fois signée par Antonio Vivaldi.
Le Prêtre roux vient de fêter ses 57  ans. Cette commande représente sa
première collaboration connue avec l’un des prestigieux théâtres Grimani,
le San Samuele, généralement destiné aux comédies.
Le théâtre San Samuele

Le Teatro Grimani, dit aussi Teatro San Samuele, aujourd’hui disparu,


était situé entre le rio del Duca et le ramo Corte del Teatro, près de l’église
San Samuele140. On pouvait y arriver facilement par voie d’eau, depuis le
Grand Canal. La salle, en forme de fer à cheval, était dotée d’un large
parterre, de 5 rangées de loges ; 34 au pepiano et 35 dans les autres rangs.
Ce théâtre avait été fondé en 1655 par Giovanni Grimani – que tout le
monde à Venise appelait «  Zuan Spago  » (dit ficelle  !) –, et destiné à la
représentation de comédies. Les Grimani étaient la seule famille de Venise à
posséder deux théâtres : le San Giovanni Grisostomo pour l’opéra, et le San
Samuele pour la comédie. Après la mort de Giovanni Grimani, le théâtre fut
géré par des imprésarios. Entre 1703 et 1710, il accueillit par exemple Luigi
Riccoboni qui, avec sa troupe, tentait, mais en vain, une réforme de la
tragédie. Lorsque Lelio s’en alla, on commença à y faire représenter des
opéras, en alternance avec les comédies, mais seulement pendant la courte
saison de l’Ascension, qui était, à Venise, une fête sacrée et patriotique. On
célébrait, sur le Bucentaure, le mariage du doge avec la mer. Un marché
était installé sur la place Saint-Marc, où on exposait toutes sortes d’objets à
la mode, des tableaux, des choses curieuses, des animaux exotiques (singes,
rhinocéros, ours…), des personnages étranges, voire monstrueux  ; les
saltimbanques y dressaient leurs tréteaux. Les étrangers affluaient pour jouir
de ce « petit carnaval », se promener masqués et, pendant quelques jours,
aller au théâtre. Les autres saisons (automne et carnaval), le Teatro Grimani
ne donnait que des comédies, des ballets, des Intermezzi (intermèdes)  ; la
musique y avait sa part, mais elle passait au second plan. Après la mort des
propriétaires et gestionnaires, les frères Vincenzo (abbé puis cardinal, et
enfin vice-roi de Naples) et Giovanni Carlo Grimani, en  1710 et  1714, le
théâtre ferma ses portes, jusqu’en 1720. Puis ce furent les cinq fils de
Giovanni Carlo Grimani, surtout Michele, qui assurèrent la direction du
théâtre, associé à des directeurs artistiques comme Domenico Lalli,
désormais âgé et fatigué, qui se contentait souvent d’encaisser quelques
pourcentages sur les représentations. Les archives de Venise conservent le
bilan financier de la fête de l’Ascension 1730 au théâtre San Samuele qui,
cette saison-là, présentait la Dalisa du jeune compositeur saxon, Johann
Adolf Hasse141. La feuille comptable laisse apparaître un déficit de 2000
ducats  : pour un budget total de 25  000 ducats, Faustina Bordoni avait
remporté la modeste somme 5 625 ducats (10 000 ducats pour la saison ; un
chiffre fabuleux si on le compare au salaire de Vivaldi à la Pietà !) et Anna
Girò, 1  320 ducats142  ! Quelques semaines plus tard, Hasse épousait sa
Dalisa – Faustina Bordoni – et le couple préparait son départ pour Dresde,
Hasse venant d’être nommé premier maître de chapelle du Prince Électeur
de Saxe et roi de Pologne, Friedrich August.

Carlo Goldoni rencontre Antonio Vivaldi

C’est ici que Carlo Goldoni entre en scène. Après le succès triomphal de
sa première pièce, Il Belisario, le jeune dramaturge vénitien (il n’a guère
plus de vingt-sept ans) est chargé par Michele Grimani de réviser un vieux
livret d’opéra, la Griselda, qui serait représenté pour l’Ascension. Cette
tâche aurait dû revenir à l’imprésario en titre, Domenico Lalli  ; mais
Goldoni s’était arrangé avec le Napolitain  : Lalli signerait la dédicace du
livret, et Goldoni dirigerait la production. Quant à la musique, elle serait
composée par Don Antonio Vivaldi, que tout le monde à Venise appelle Il
Prete rosso (le Prêtre roux).
Laissons Carlo Goldoni nous raconter (dans la Préface du tome XIII de
ses Commedie) sa rencontre avec Antonio Vivaldi, une rencontre que l’on
peut imaginer dans la maison du Rialto que le compositeur occupait alors,
avec son père, et peut-être aussi ses deux sœurs :
Son Excellence Grimani voulait faire représenter pour la Fête de
l’Ascension, dans le même théâtre, un opera seria per musica.
Habituellement, on reprenait de vieux drames  ; et il fallait toujours, soit
les raccourcir pour les adapter à la belle saison, soit les modifier, afin de
satisfaire les demandes du compositeur de la musique, ou les exigences
des chanteurs. C’est pourquoi, tant pour la direction que pour les
instructions servant aux interprètes, on avait besoin d’un poète qui sache
écrire des arias nouvelles et ait quelque connaissance du théâtre. Cette
année-là, pour l’opéra de l’Ascension, le compositeur de la musique était
l’abbé Antonio Vivaldi, dit il Prête Rosso [le Prêtre roux], en raison de la
couleur de ses cheveux, et appelé à tort par certains Rossi [Roux], croyant
que c’était son nom de famille. Ce très célèbre joueur de violon, cet
homme célèbre pour ses Sonates, surtout pour celles intitulées les Quattro
stagioni [Quatre Saisons], composait aussi des opéras  ; et malgré ce que
disaient les bons connaisseurs – qu’il était faible dans le contrepoint et
n’écrivait pas bien les basses –, il faisait chanter très bien les parties, et le
plus souvent ses opéras eurent du succès. Cette même année, celle qui
devait tenir le rôle de la prima donna était la Sig. Annina Girò ou Giraud,
fille d’un perruquier d’origine française ; celle-ci étant l’élève de Vivaldi,
on l’appelait couramment l’Annina del Prete Rosso [la petite Anne du
Prêtre Roux]. Elle n’avait pas une belle voix, elle n’était pas une grande
virtuose musicale, mais elle était belle et gracieuse  ; elle était bonne
comédienne (chose rare par les temps qui courent) et elle avait des
protecteurs ; il n’en faut pas plus pour mériter la position de prima donna.
Il était très important pour Vivaldi que le poète soit en mesure de réviser et
d’impasticciare le drame à son goût, afin d’y intégrer, tant bien que mal,
les arias que son élève avait chantées précédemment. Étant chargé de cela,
je me présentai donc au compositeur à la demande du Chevalier mon
patron. Celui-ci me reçut assez froidement. Il me prenait pour un débutant,
et il ne se trompait pas. Comme il ne me trouvait pas très compétent en la
science d’estropier les drames, il avait, cela se voyait, très envie de me
renvoyer. Il était informé toutefois du succès qu’avait connu mon
Bellisario  ; il n’ignorait pas non plus les applaudissements que mes
intermèdes avaient remportés  ; mais impasticciare un drame était une
chose qu’il considérait comme difficile, et qui méritait un talent
particulier. Je me rappelai alors ces Regole [règles] qui m’avaient fait
perdre la tête à Milan, quand je lus mon Amalassunta ; moi aussi, je fus
alors pris du désir de m’en aller. Mais ma situation, ainsi que la gêne de
devoir me présenter face à Son Excellence Grimani, sans parler de mon
espoir d’obtenir la direction du grandiose théâtre San Giovanni
Grisostomo me firent faire bonne figure et je priai presque le Prêtre roux
de me mettre à l’épreuve. Il me regarda avec un sourire compatissant, prit
en main un livret  : «  Voici, dit-il, voici le drame qu’il faut réviser  : la
Griselda d’Apostolo Zeno ! L’opéra, ajouta-t-il, est très beau ; le rôle de la
prima donna ne pourrait être meilleur, mais il nécessite quelques
modifications… Si vous connaissiez les Regole… Bref ! vous ne pouvez
pas les connaître. Ici, par exemple, après la scène de tendresse, il y a une
aria cantabile  ; mais comme madame Annina ne.. ne… n’aime pas ce
genre d’aria (c’est-à-dire ne savait pas les chanter) ici, il faudrait plutôt
une aria d’action… qui exprime la passion, sans être pathétique, ni
cantabile…
–  J’ai compris, répondis-je  ; je ferai en sorte de vous servir  ; confiez-
moi le livret.
–  Mais moi, répliqua Vivaldi, j’en ai besoin, je n’ai pas fini les
récitatifs. Quand me le rendrez-vous ?
–  Tout de suite, répondis-je  ; donnez-moi un morceau de papier et un
encrier !…
–  Quoi  ? Vous pensez qu’une aria d’opéra, c’est comme dans les
Intermèdes… !
Je ressentis un peu de colère et lui dis avec vivacité  : «  Donnez-moi
l’encrier  !  »  ; et je tirai de ma poche une lettre, dont je déchirai un
morceau de papier blanc.
–  Ne vous mettez pas en colère, dit-il avec calme. S’il vous plaît,
asseyez-vous à cette table ; voici le papier, l’encrier et le livret ; faites à
votre aise ! »
Il retourna à sa table, et se mit à réciter le bréviaire. Je lus alors
attentivement la scène  ; je me concentrai sur le sentiment contenu dans
l’aria cantabile, et en fis une d’action, de passion et de mouvement. Je lui
apportai et lui fis voir. Il tenait son bréviaire de la main droite et, de la
gauche, ma feuille ; il lut lentement. Lorsqu’il eut fini de lire, il jeta son
bréviaire, se leva, m’embrassa, courut à la porte, appela Madame Annina.
Madame Annina arriva, ainsi que sa sœur, Madame Paolina. Il leur lut
l’arietta et s’écria avec force : « Il l’a faite ici, il l’a faite ici, il l’a faite
ici !  »  ; et, de nouveau, il m’embrassa et me dit bravo ! Je suis dès lors
devenu son Cher, son Poète, son Confident, et il ne m’a plus lâché.
Ensuite, j’ai assassiné le drame de Zeno autant, et comme il l’a demandé.
L’opéra a été mis en scène. Il a eu du succès. En ce qui me concerne, finie
la Fête de l’Ascension, je me suis rendu à Padoue où se trouvaient Imer et
sa Compagnie, où je passai modestement la saison de Printemps143.
Griselda, Venise, mai 1735 (RV 718)

La Griselda est représentée le 18  mai 1735. Le livret, publié à Venise


chez Marino Rossetti, est dédié «  A’ sua eccelenza Il Sig. D.  Federigo
Valignani, Marchese di Cepagatti ». Domenico Lalli qui, selon les accords
pris avec Goldoni, signe la dédicace, fait les éloges de l’ancienne famille
Valignani. Il félicite le marquis de son goût pour les lettres et d’appartenir à
l’Arcadie romaine, sous le pseudonyme de Nivalgo Aliarteo. La musique
est «  del Signor D.  Antonio Vivaldi, Maestro di capella di S.R. Duca di
Lorena, e di S.A. Filippo Langravio d’Hassia Darmistath  »  ; les ballets
inventés et dirigés par Francesco Aquilante ; les costumes (« Il Vestiario »)
réalisés par le Vénitien «  Nadal Canciani  » et les décors par Tomaso
Cassani Bugoni144.

Le livret

Dans l’« Argomento », on prévient d’abord le lecteur que le marquis de


Saluces (Saluzzo, une bourgade de la région de Turin) prend le nom de
Gualtiero, et qu’il est roi de Thessalie, cela «  afin de donner plus de
noblesse à la scène  » (le ténor Gregorio Balbi, virtuose du grand-duc de
Toscane, Gian Gastone de’ Medici). Dans le passé, celui-ci avait été séduit
par Griselda, une simple bergère (Anna Girò) qu’il avait rencontrée au
cours d’une chasse et qu’il avait épousée. Un mariage aussi inégal faisait
jaser le peuple. La naissance du premier enfant, une fille, avait provoqué
des soulèvements. Aussi le roi avait confié l’enfant à l’un de ses amis, un
prince d’Athènes, et fait croire à tous (y compris à son épouse) qu’il avait
sacrifié le bébé. La petite Costanza était arrivée à l’âge de quinze ans (la
soprano Margherita Giacomazzi). Le prince grec qui l’avait adoptée avait
lui-même deux fils, Roberto (le castrat soprano Gaetano Valletta, un artiste
lui aussi protégé par le grand-duc de Toscane) et Corrado (la soprano
Elisabetta Gasparini). Une affection grandissait entre Costanza et Roberto.
Entre-temps, Griselda et Gualtiero avaient eu un second enfant, un garçon
appelé Everardo. Étant arrivé au terme de son existence, le prince grec avait
confié à son fils cadet, Corrado, le secret de l’origine de Costanza. Comme
il y avait une nouvelle manifestation dans la population (principalement
instiguée par Ottone, un noble de Thessalie qui aimait Griselda et la
convoitait pour lui-même) (le castrat soprano Lorenzo Saletti, virtuose de
Eleonora Gonzaga de Toscane, la princesse que Philipp de Hesse-Darmstadt
devait autrefois épouser et à laquelle Vivaldi avait dédié son Tito Manlio, à
Mantoue, en janvier 1719), Gualtiero imagina un scénario particulièrement
dur et humiliant pour Griselda  : pour satisfaire le peuple, il annonça
publiquement qu’il répudiait son épouse, la renvoyait dans ses forêts et
qu’il épouserait une jeune princesse grecque, Costanza… qui était en réalité
sa propre fille. Malgré les épreuves qu’elle dut endurer, Griselda démontra
un attachement sans failles à son époux et un courage « plus que féminin ».
«  La feinte cruauté de Gualtiero, les harcèlements d’Ottone, constituent
l’intrigue de la Favola… » L’action se situe à Larmirio, ville de Thessalie.

La musique

On conserve à Turin le manuscrit autographe de la Griselda145. Cette


partition montre en plusieurs endroits les remaniements dont elle fut l’objet,
tant de la main du jeune Carlo Goldoni que de celle du plus âgé Antonio
Vivaldi  : coupures dans les récitatifs, greffes d’arias extraites d’opéras
précédents146, repentirs. Le serviteur, Elpino, a été supprimé. Au final, une
seule aria a été conservée, parmi les vingt-cinq arias et les trois trios vocaux
que contenait le livret primitif d’Apostolo Zeno.
Le rideau s’ouvre sur une salle magnifique destinée aux audiences
publiques, dans le palais royal. Comme chaque année, Gualtiero a convoqué
le peuple, afin de le consulter. Son union avec Griselda irrite ses sujets car
celle-ci, par son humble origine, souille la descendance royale. En présence
de tout le monde, par un jeu de questions, Gualtiero fait raconter à Griselda
l’histoire de leur liaison, la naissance de leur fille, qui fut sacrifiée. Comme
le peuple continue à manifester son mécontentement, Gualtiero annonce
qu’il répudie sa femme et il demande à celle-ci de laisser leur fils au palais.
Malgré son émotion, Griselda se montre obéissante, compréhensive, mais
non dénuée de révolte. Dans «  Brami le mie catene/e mi rinfacci  ?  » (Tu
désires me lier, et tu me fais outrage), une aria qu’Anna Girò avait déjà
chantée dans Tamerlano (et qui venait du Teuzzone), elle se montre
véhémente et sûre de ses sentiments (larges intervalles, mots appuyés,
alternances forte/piano). Ottone (le castrat Lorenzo Saletti, originaire de la
cathédrale de Pistoia), qui aime Griselda, profite de l’aubaine et se met en
avant, espérant reprendre Griselda pour lui  ; il chante l’aria «  Vede
orgogliosa l’onda » ; sur le manuscrit, un autre texte a été noté : « Veggo fra
notte oscura », qui provient probablement d’une version plus ancienne147.
Le projecteur éclaire maintenant un autre couple  : Costanza, la princesse
promise à Gualtiero (celle-ci ignore que Gualtiero est son père), qui vient
d’arriver au palais accompagnée de son fiancé, Roberto. Les deux jeunes
gens qui s’aiment sincèrement sont déchirés. La soprano Margherita
Giacomazzi avait chanté à Vérone des arias très brillantes, certaines
composées pour Farinelli. Dans la Griselda, elle incarne la jeune première,
Costanza. Sa première aria, « Ritorna a lusingarmi » (reprise de Teuzzone,
mais qui était déjà probablement empruntée à Giuseppe Maria Orlandini),
est acrobatique ; la voix est placée dans l’aigu. Cette aria sera intégrée dans
Didone, un opéra pastiche de Haendel donné à Londres en 1737148. Plus
loin, à la scène  9, Corrado persuade Griselda de quitter le palais. Celle-ci
demande à voir son fils. Dans le manuscrit (folios  157 v°-158  r°), une
coupure apparaît nettement ; Vivaldi fait un raccord pour finir le récitatif :
après cette intervention, Griselda reste seule en scène et ne dit plus que trois
lignes, alors que dans le livret original de Zeno, cette scène se terminait par
une aria. Puis, à la scène 10 (folio 158 v°), Corrado apparaît avec l’enfant
(Everardo) afin que sa mère puisse lui dire adieu ; Corrado se substitue au
servant Elpino, dans l’original de Zeno. À la fin de la scène 10, Ottone, qui
avait jusque-là assisté à la scène de la séparation dissimulé en coulisse,
surgit à l’improviste  ; furieux d’avoir été repoussé par Griselda, il saisit
l’enfant et l’emmène avec lui. À la scène 12, Griselda se retrouve seule en
scène  ; elle est désespérée de quitter son mari et son fils. Elle conclut le
premier acte avec un court récitatif, «  Infelice Griselda  ! Che più temer
poss’io ?… » (Malheureuse Griselda ! Que puis-je craindre encore ?), suivi
par une aria parlante, qui a sans doute été prélevée d’une scène précédente
et reportée en fin d’acte où elle acquiert plus de force, «  Hò il cor già
lacero/Da mille affanni  » (Mon cœur est déjà lacéré par mille tourments).
Dans l’original de Zeno, on assistait ici à un dialogue tendu entre Griselda
et Ottone, puis Ottone finissait le premier acte, seul. Cette aria réécrite par
Goldoni emprunte sa seconde strophe au Demofoonte de Metastasio (1733).
Ce sont de très beaux vers : « Dans ce coup atroce/J’en (deviens) stupide/Je
n’ai plus de larmes, /je n’ai plus de voix, /je ne peux plus pleurer, /Je ne sais
plus parler149  », mais c’est un véritable plagiat. Toute la force de l’aria
réside dans «  Hò il cor già lacero  » qui vient de Metastasio, avec une
alternance de vers sdrucciolo – deux dernières syllabes brèves – et piano –
accent sur l’avant-dernière syllabe  ; ceux-ci permettent le jeu scénique de
Griselda/Anna Girò. «  Goldoni connaissait le milieu des intellectuels
vénitiens, écrit Reinhard Strohm, et il se fait pardonner son emprunt en
précisant que l’aria avait deux quatrains (l’aria standard chez
Metastasio) » : « … en moins d’un quart d’heure je couchai sur le papier un
air de huit vers partagé en deux parties », dira Goldoni dans ses Mémoires.
«  En fait, aucune des arias chantées par Griselda n’est faite de deux
quatrains, remarque encore Reinhard Strohm. Dans tout l’opéra, seules cinq
arias présentent cette forme. La plupart des arias de l’opéra insérées par
Goldoni ont tout au plus huit lignes, et pas plus de quatre lignes dans la
section da capo150. »
 
Au début du deuxième acte, nous retrouvons les appartements du palais
de Gualtiero. Costanza et Roberto continuent à se disputer. La jeune femme
est prête à renoncer au trône pour rester avec l’homme qu’elle aime  ;
Roberto pense donner une preuve d’amour à sa fiancée en ne lui demandant
pas de sacrifier son destin royal. Margherita Giacomazzi qui interprète le
rôle de Costanza reprend ici l’aria «  Agitata da due venti  » chantée à
Vérone dans L’Adelaide, quatre mois plus tôt. Le fragment a été
matériellement exporté de la partition perdue et transplanté dans ce
manuscrit  ; sur le folio  175 r°, Vivaldi a noté en abrégé «  Ma  » pour
«  Mathilde  », en face de la partie de soprano, le rôle qu’elle interprétait
dans l’Adelaide. C’est une aria héroïque, très virtuose, qui transforme la
femme douce et vulnérable campée par Zeno en une héroïne volontaire,
maîtresse de son destin. Composée dans le style vocal mis à la mode par
Farinelli, elle est sûrement l’aria pour soprano la plus virtuose écrite par
Vivaldi. À la scène 4, le décor change ; on voit une « Campagne avec vue
sur une hutte d’un côté. Griselda vêtue en bergère tient à la main un dard ».
Les scènes 5 et 6 sont toutes dédiées à Griselda : face à Ottone, qui revient
la harceler, elle se montre irritée et outragée que son enfant lui ait été
arraché. Anna Girò chante ici un long récitatif tourmenté, plein
d’exclamations et d’interrogations  : «  Ah Ottone  ! Ah figlio  !  » Puis un
garde arrive avec l’enfant. Anna Girò chante un récitatif accompagné, « Oh
d’un seno infelice  ». Son aria «  No, non tanta crudeltà  » (scène  5), est
reprise d’Adelaide  : elle accuse les trois hommes, Gualtiero, Ottone et
Corrado, de se comporter comme des tyrans et des barbares. À la scène 7,
Griselda est assoupie ; à ses côtés, Ottone médite sur sa cruauté : récitatif,
auquel succède l’aria « Scocca dardi l’altero tuo ciglio », écrite sur le même
thème que le premier mouvement du concerto pour basson RV 471 (ainsi
que du concerto pour hautbois RV 450 qui dérive du premier). La très large
tessiture du soprano, les grands intervalles et les longues phrases en
coloratura ne sont pas là seulement pour permettre au castrat d’exhiber ses
qualités vocales, mais aussi pour souligner des mots importants comme
« non fugge » (ne fuis pas) et « piagar » (blesser)151. Roberto et Costanza
arrivent près de la cabane, où Griselda est endormie. Roberto chante « Che
legge tiranna, che sorte spietata », autre aria parlante. Goldoni s’est inspiré
pour ce texte de deux arias de Metastasio : « Che legge tiranna, che legge
spietata  » du Catone in Utica (1728) (un livret que Vivaldi mettra en
musique à Vérone en 1737) et de « Tradita, sprezzata », de la Semiramide
riconosciuta (1729) ; dans la première partie de l’aria, on retrouve le style
d’une aria de Leonardo Vinci dans la Semiramide ; une ligne de coloratura
formée d’arpèges en doubles croches et de grands intervalles est ajoutée à la
version de Leonardo Vinci152. Griselda parle dans un demi-sommeil ; elle
s’étonne elle-même de réussir à dormir dans un moment aussi tragique  :
«  Ce n’est pas du sommeil, dit-elle, car quand le cœur est douloureux, il
n’est pas habituel de se reposer  » (Puis on réentend ces mots connus  :
« Sonno se pur sei sonno… », qui viennent du Tito Manlio ; il ne s’agit que
de deux vers, chantés en arioso, ici très suggestifs : « Sommeil, si tu es bien
le sommeil et non pas l’horreur, apporte quelque remède à ma douleur » :
une douleur si forte qu’elle provoque l’anéantissement physique et
psychique. Griselda ouvre les yeux et voit Costanza à ses pieds ; d’instinct,
elle reconnaît sa fille. Mais lorsque Costanza dit qu’elle est promise à
Gualtiero, Griselda ne voit plus qu’une rivale en cette jeune fille. Intervient
Gualtiero  ; il feint d’aimer Costanza et repousse Griselda de façon
méprisante. Apparaît Ottone avec des soldats  ; il s’apprête à emmener
Griselda de force (il n’a pas vu Gualtiero). Gualtiero surgit et le fait arrêter.
Griselda voudrait mourir. La réponse de Gualtiero «  Tu voudrais avec tes
pleurs » (« Tu vorresti col tuo pianto ») (II, 11) (largo ma poco), paraphrase
le texte original de Zeno «  Vorresti col pianto  », mais s’adapte
métriquement à la musique de Vivaldi. Il s’agit de la seule aria d’Apostolo
Zeno conservée (avec ses modifications) par Carlo Goldoni. Ottone sort
accompagné par les gardes. Il ne reste plus en scène que Gualtiero, sa
femme Griselda et (leur fille non reconnue) Costanza. Griselda ouvre le trio
vocal « Non plus reine, mais bergère » (« Non più regina, ma pastorella ») ;
elle réaffirme sa fidélité et son obéissance à son époux, tandis que Costanza
essaie de faire fléchir Gualtiero.
Pour le troisième acte, nous revenons au palais royal, et sommes dans les
appartements de Costanza. Roberto se décide à quitter la jeune femme ; ils
se disent adieu  ; Costanza ne peut dissimuler ses sentiments. Devenue la
servante de sa fille non reconnue, Griselda assiste à la scène, choquée. Anna
Girò chante un long récitatif, «  Con si soave affetto  », brièvement
interrompu par Costanza et Roberto  ; Gualtiero entre en scène et, à la
surprise de tous, dit que le couple peut continuer à s’aimer. Remise à sa
place, Griselda chante  : «  Son infelice tanto  » (Je suis si malheureuse). Il
s’agit, écrit Reinhard Strohm, d’« une pièce sentimentale ‘alla Napolitana’,
avec des soupirs et des arrêts permettant à Anna Girò une certaine gestuelle.
Elle a tous les caractères charmants, rythmiques et mélodiques, et les
répétitions symétriques que l’on peut entendre dans les opéras héroïques ou
comiques de l’époque, chez Leonardo Vinci, Leonardo Leo et surtout
Pergolèse. Vivaldi adopte même des maniérismes propres à Alessandro
Scarlatti en ajoutant des monosyllabes à la fin des lignes, complétant l’effet
de rebondissement créé par les brusques interruptions. La ligne de basse
reste constamment mouvante  ; elle est typiquement vivaldienne (à la
différence des modèles napolitains)153  ». Roberto, quant à lui, reprend
espoir (aria «  Moribonda quest’alma dolente  »), tandis que Costanza,
désemparée, s’abandonne à une sorte de délire  : d’abord dans le récitatif
(Puis-je aimer Roberto ? « Posso Roberto amar ? »), suivi par « Fantasmes
vains, spectres iniques  » («  Ombre vane, ingiusti orrori  »), une très belle
aria, longue, planante, chargée d’émotion contenue, où l’héroïne s’adresse
aux spectres (une aria d’ombra). Avec ses notes pointées scandées avec
insistance, la ritournelle introductive grince et semble une musique sortie
des sépulcres. Cette figure mélodico-rythmique, écrit Cesare Fertonani dans
son étude sur la musique instrumentale de Vivaldi, évoque la nuit, le monde
infernal, la peur. On en trouve d’autres exemples dans les opéras de
Vivaldi : dans l’arioso « Lo stridor, l’orror d’Averno » de l’Orlando finto
pazzo (III, 6) ; dans « Nel profondo cieco mondo » de l’Orlando furioso de
1727 (I, 5) ; on l’entendra encore dans l’aria « Degl’Elisi, dal soggoriono »,
du Catone in Utica (II, 5) qui sera représenté en mai de l’année suivante, à
Vérone154. Les deux premiers vers sont d’abord énoncés par l’interprète
sous forme de sentence (dite aussi « moto » ou devise), avec un arrêt (point
d’orgue, sans doute ornementé sur la syllabe « va » de « vane ») ; puis la
soprano répète « Ombre vane » et poursuit l’aria ; la partie B est très courte.
Costanza frôle l’exaspération («  Je sens oh mon Dieu, Je ne peux plus le
supporter  »). Une nouvelle épreuve attend Griselda  : Gualtiero annonce
qu’il va l’unir à Ottone ; tout est prêt pour le mariage. Ottone est arrivé à
ses fins et se réjouit  ; l’aria de tempête «  Dopo un’orrida procella  »,
chantée par le castrat Lorenzo Saletti, est accompagnée par les cors  ; la
mélodie est composée de larges intervalles et de notes poussées vers l’aigu.
Le décor change  ; il représente un «  Atrium splendide dans le palais orné
pour les noces ». Griselda entre, précédée des gardes. Gualtiero révèle que
Costanza ne pourrait être son épouse car elle est en réalité sa propre fille qui
n’avait pas été tuée mais confiée à l’éducation d’une famille grecque  ; il
annonce en même temps qu’il reprend sa mère, Griselda, comme épouse.
Le chœur final, «  Imeneo che se’ d’amore  », est accompagné par les
trompettes  ; «  Tous chantent le soprano à l’unisson  ». Ce chœur final est
repris de Motezuma.

Faire du neuf avec du vieux

Le livret d’Apostolo Zeno était certainement trop long par rapport aux
besoins du San Samuele, et trop long aussi pour un spectacle donné à
l’Ascension, où l’on privilégiait des œuvres propres à divertir le public. De
nombreuses coupures avaient donc été pratiquées dans le texte original. Six
des dix-neuf arias réécrites pour cette version sont des arias métaphoriques :
quatre arias de tempête ; une cinquième aria sur la fidélité amoureuse des
oiseaux  ; une sixième évoque la chasse et la peur des animaux sauvages.
Ces situations plaisent au public  ; créant des atmosphères certes
conventionnelles, mais que l’auditoire attend, elles sont incontournables
pour un compositeur. Lorsque la vague napolitaine déferle sur les scènes
des théâtres d’opéras, les librettistes et les compositeurs privilégient des
vers riches en voyelles exigeant des chanteurs une parfaite maîtrise du
souffle afin d’émettre avec force des notes longuement tenues, de larges
sauts, de longues chaînes de vocalises, des passages acrobatiques. Pour
Vivaldi aussi, les temps ont changé. il n’est plus question d’écrire des notes
évoquant les chants d’oiseaux, le murmure des sources, la brise dans les
feuillages  ; ni de faire circuler les thèmes d’un instrument à l’autre, des
instruments vers la voix en produisant des effets d’échos, comme il les
inventait à ses débuts, avec Francesco Gasparini, dans la petite église de la
Pietà, ou sur la scène du théâtre de Vicence, dans l’Ottone in villa. Le son
part désormais d’un seul point : la poitrine du chanteur puis, de là, envahit
la salle. La leçon des Napolitains venait de briser les effets d’échos chers
aux Vénitiens…
Carlo Goldoni coupe dans les récitatifs de Zeno. Il enlève les arias et en
place d’autres qui ne présentent pas toujours de cohérence dramatique avec
le texte original, mais qui fonctionnent musicalement. Le jeune dramaturge
écrit sur-le-champ de nouveaux vers, empruntant par-ci, par-là, à
Metastasio, des mots que tout le monde est en train de fredonner… Il
change la métrique du vers d’Apostolo Zeno pour l’adapter à la musique de
Vivaldi, aux chanteurs, aux qualités d’actrice et à la gestuelle d’Annina.
Antonio Vivaldi, pour sa part, parodie les airs de ses confrères napolitains…
Quelque temps auparavant, Bartolomeo Vitturi avait supprimé du livret de
L’Olimpiade de Metastasio les passages qui avaient été conçus pour la cour
viennoise, mais qui n’étaient pas appropriés à l’esprit libre du théâtre
vénitien. Le rôle de Domenico Lalli n’était-il pas, déjà, de travailler au
ciseau dans les textes des vieux livrets, de réécrire les textes des récitatifs et
ceux des arias  ? S’il n’avait pas eu le talent et l’ambition de devenir un
véritable auteur de théâtre, le jeune Carlo Goldoni aurait pu prendre, à
Venise, la succession du Napolitain et il aurait passé sa vie à remanier de
vieux livrets écrits par ses prédécesseurs, dans d’autres temps ou dans
d’autres sphères.
Dans le sillage de Benedetto Marcello, les hommes de lettres italiens
Ludovico Muratori, Pier Jacopo Martello et Scipione Maffei s’élèvent
contre ces pratiques communes dans les milieux des théâtres d’opéra qui
réduisent la tragédie à un simple torchon servant aux besoins des scènes et
des divas. À plusieurs reprises, le grand Metastasio se plaint des
modifications qui sont apportées à ses drames. Dans une lettre écrite de
Vienne le 7  décembre 1748, et adressée à Madrid, à son «  Gemello
adorabile » (adorable jumeau), Carlo Broschi dit Farinelli, il écrit, à propos
de l’Armida placata :
Vous y trouverez beaucoup moins de défauts que ceux que vous auriez
pu trouver, si ce pleurnicheur de Migliavacca, alors que j’avais accepté de
corriger moi-même toute mon œuvre, n’avait pas pris l’initiative en la
recopiant de changer, d’ajouter et d’enlever en divers endroits, n’en
faisant qu’à sa tête, ce qui m’a fait bondir, quand il me l’a dit155…
Et encore, dans une missive envoyée à Turin, à un certain Filipponi, à la
date du 6 décembre 1751 :
Vous n’auriez pas pu mesurer avec plus de bonheur la durée du Re
Pastore. Sachez que si mes erreurs m’ont parfois coûté le châtiment
d’écrire des opéras, celui-ci en constituera toujours le modèle.
J’empêcherai ainsi que mes œuvres soient offertes au couteau hardi de
bouchers inexperts, et j’occuperai au théâtre ce peu d’espace que les
ritournelles, les vocalises, les dialogues, les pauses, le trilles, les cadences
des musiciens et la sempiternelle fatigue des danseurs veulent bien laisser
encore aujourd’hui, par charité, à la poésie156.

Griselda, une héroïne pour Anna Girò

Les neuf arias écrites par Apostolo Zeno pour le rôle de Griselda étaient
parfaitement cohérentes avec le drame. Néanmoins, Carlo Goldoni et
Antonio Vivaldi les suppriment et introduisent pour ce rôle quatre arias
nouvelles ; deux d’entre elles sont reprises d’opéras précédents : « Brami le
mie catene  » et «  No non tanta crudeltà  »  ; seules sont composées pour
l’occasion  : «  Ho il cor già lacero  » et «  Son infelice tanto  », deux arias
pathétiques qui pourraient convenir à toutes sortes de situations. On pense
qu’Antonio Vivaldi voulait transformer la femme soumise et tragique
campée par Apostolo Zeno en l’une de ces femmes fortes et combatives,
comme les aime Anna Girò ; une mère et une épouse à la hauteur de Tamiri
dans Farnace (la présence de l’enfant aide la cantatrice à rejouer devant le
public le rôle où elle avait connu tant de succès). Plus tragédienne que
chanteuse à voix, Anna incarne ce type d’héroïne (Mitrena dans Motezuma,
Astoria dans Tamerlano…) dans la vingtaine de rôles interprétés entre 1731
et 1740157. Tout au long du drame, Griselda reste au premier plan. Sans se
rendre, elle affronte avec dignité toutes les situations tragiques et
humiliantes que lui fait subir son mari. Griselda et Costanza constituent les
deux pôles du drame  ; mère et fille se retrouvent, sans se reconnaître
vraiment, au fond d’un bois ; Griselda est à demi endormie ; Costanza est
subjuguée par cette apparition. La relation entre la mère et la fille, victimes
de la barbarie masculine, est l’un des aspects les plus originaux et novateurs
de cet opéra.

Antonio Vivaldi, compositeur de drami giocosi ?

On a longtemps tergiversé… Puis, finalement, on a renoncé à attribuer à


Vivaldi la musique de l’Aristide, un dramma eroicomico représenté en
automne 1735 au théâtre San Samuele  : ainsi l’œuvre qui était cataloguée
par Peter Ryom en RV 698, passa dans les œuvres douteuses en Anhang
89 ! Les noms des auteurs de ce spectacle sont imprimés dans le livret sous
forme d’anagrammes  : Calindo Grolo (pour Carlo Goldoni)  ; Linceo
Melladio Pastore (pour Domenico Lalli, qui signe la dédicace). L’auteur de
la musique serait un certain «  Lotario Vandini  ». On a voulu voir dans ce
« Vandini », le nom de Vivaldi ; toutefois, si c’est un anagramme, toutes les
lettres n’y sont pas.
La musique de cette œuvre est perdue. Les catalogues d’époque
l’attribuent à Giacomo Maccari, un auteur de « drami giocosi » alors actif à
Venise. Aucun air du livret de l’Aristide ne coïncide avec ceux des autres
opéras de Vivaldi (contrairement à l’habitude du compositeur  ; à moins
qu’il y ait placé des arias parodiques). Les interprètes de ce spectacle étaient
les acteurs de la troupe de Giuseppe Imer, dont Imer lui-même. Il s’agissait
donc de comédiens, qui n’étaient pas formés à chanter la musique de
Vivaldi. Le contenu du texte ridiculise en les exagérant les caractères de
l’opéra sérieux. Ce spectacle pourrait même être considéré comme une
parodie de la Griselda. Le même soir, on joue  : Il filosofo, un intermède
dont Vivaldi pourrait tout aussi bien avoir écrit la musique, si effectivement
il avait composé la musique de l’Aristide… On suggère que la musique des
autres intermèdes écrits par Carlo Goldoni ces années-là pour le théâtre San
Samuele et représentés par la Compagnie de Giuseppe Imer (Monsieur
Petiton, La Bottega da caffé et L’Amante cabale) pourrait aussi avoir été
composée par Vivaldi158.
En automne 1735, Carlo Goldoni donne au théâtre San Samuele une
autre Griselda. Il s’agit d’une tragicomédie écrite sur la demande de Cecilia
Rutti Colucci dite la Romaine, une comédienne de la compagnie de
Giuseppe Imer. Le texte est plus long que le livret qui avait été mis en
musique par Vivaldi. Goldoni ajoute un personnage, le père de Griselda,
sorte de philosophe de campagne, se rapprochant ainsi de la version
originale de Boccace. Jusqu’en 1744, Carlo Goldoni restera attaché au
Teatro Grimani a San Samuele. Giacomo Casanova raconte qu’en 1746, il
avait joué du violon dans cette salle (où sa mère, la comédienne Zanetta
Farussi Casanova, avait fait ses débuts, vingt ans plus tôt) et qu’il en retirait
un écu par jour. En 1747 le théâtre San Samuele sera détruit par un
incendie. Il sera reconstruit, plus élégant, mieux équipé. On dispose d’une
gravure d’Antonio Codognato et d’un tableau du peintre vénitien Gabriele
Bella représentant le magnifique décor de cristaux transparents,
mécanismes et peinture argentée et d’illuminations que l’on pouvait admirer
dans ce théâtre pour la fête de l’Ascension 1753, lorsque fut représenté Il
Mondo alla roversa, ossia le donne che comandano (le monde à l’envers ou
les femmes qui commandent) de Carlo Goldoni, mis en musique par
Baldassare Galuppi. La configuration de la salle, après sa reconstruction, y
apparaît très bien.

Carlo Goldoni publie ses Mémoires à Paris

En avril 1761, accompagné de sa femme et de son neveu, Goldoni quitte


Venise pour Paris. Ce séjour se voulait court… en réalité, le Vénitien
passera en France les trente-deux dernières années de sa vie. Il a déjà 77 ans
quand il commence à rédiger en français ses Mémoires, et y consacre trois
années. Il obtient le privilège pour l’édition le 13  avril 1787  ; en août les
Mémoires paraissent en trois tomes à Paris, chez la Veuve Duchesne, rue
Saint-Jacques, avec une dédicace à Louis XVI.
 
Au début de ces Mémoires, Goldoni raconte dans quelles circonstances il
avait rencontré à Vérone Giuseppe Imer, célèbre acteur et chef de troupe ;
puis comment, de retour à Venise, Imer l’avait présenté à Michele Grimani,
propriétaire du théâtre San Samuele  : «  M.  Grimani était l’homme du
monde le plus poli ; il n’avait pas cette hauteur incommode qui fait du tort
aux grands pendant qu’elle humilie les petits. Illustre par sa naissance,
estimé par ses talens, il n’avait besoin que d’être aimé, et sa douceur
captivait tous les cœurs. Il me reçut avec bonté, il m’engagea à travailler
pour la troupe qu’il entretenait  ; et, pour m’encourager davantage me fit
espérer qu’étant propriétaire aussi de la salle de Saint-Jean Chrysostome, et
entrepreneur du Grand Opéra, il tâcherait de m’employer, et de m’attacher à
ce spectacle (chapitre XXXV)159. »
Au chapitre suivant, le dramaturge vénitien relate comment sa première
pièce, Il Bellisario, représentée le 24  novembre 1734 au théâtre San
Samuele, fut écoutée par le public avec un silence extraordinaire
(phénomène tout à fait inhabituel dans les théâtres italiens !). « C’était mon
début, dit-il, et il ne pouvait être ni plus brillant ni plus satisfaisant  ». Il
s’était ainsi gagné la confiance du patricien Grimani qui l’avait aussitôt
engagé pour la révision du livret de la Griselda. Voici la façon dont Goldoni
se souvient de sa rencontre avec Antonio Vivaldi et comment il réécrit,
beaucoup plus tard et en français cette fois, le récit qui avait déjà été publié
dans le tome XIII de ses Commedie :
À Venise, on ne r’ouvre les salles de spectacles qu’au commencement
du mois d’octobre. Le noble Grimani, propriétaire du théâtre de Saint-
Samuel faisait représenter dans cette saison un opéra pour son compte et
comme il m’avait promis de m’attacher à ce spectacle, il me tint parole.
Ce n’était pas un nouveau drame qu’on devait donner cette année-là, mais
on avoit choisi la Griselda, opéra d’Apostolo Zeno et de Pariati, qui
travaillaient ensemble avant que Zeno partît pour Vienne au service de
l’empereur, et le compositeur qui devait le mettre en musique était l’abbé
Vivaldi, qu’on appelait, à cause de sa chevelure il prete rosso (le prêtre
roux). Il était plus connu par ce sobriquet que par son nom de famille. Cet
ecclésiastique, compositeur médiocre, avait élevé et formé pour le chant
mademoiselle Giraud, jeune chanteuse née à Venise ; elle n’était pas jolie,
mais elle avait des grâces. M.  Grimani m’envoya chez le musicien pour
faire dans cet opéra les changemens nécessaires, soit pour raccourcir le
drame, soit pour changer la position et le caractère des airs au gré des
acteurs et du compositeur. J’allai donc chez l’abbé Vivaldi  ; je me fis
annoncer de la part de son excellence Grimani  ; je le trouvai entouré de
musique et son bréviaire à la main. Il se lève, il fait le signe de la croix en
long et en large, met son bréviaire de côté, et me fait le compliment
ordinaire. – Quel est le motif qui me procure le plaisir de vous voir,
monsieur  ? – Son excellence Grimani m’a chargé des changements que
vous croyez nécessaires dans l’opéra de la prochaine foire. Je viens voir,
monsieur, quelles sont vos intentions. – Ah, ah, vous êtes chargé,
monsieur, des changemens dans l’opéra de Griselda ? M. Lalli n’est donc
plus attaché aux spectacles de M. Grimani ? – M. Lalli, qui est fort âgé,
jouira toujours des profits, des épîtres dédicatoires et de la vente des livres
dont je ne me soucie pas. J’aurai le plaisir de m’occuper dans un exercice
qui doit m’amuser et j’aurai l’honneur de commencer sous les ordres de
M. Vivaldi. L’abbé reprend son bréviaire, fait encore un signe de croix et
ne répond pas. – Monsieur, lui dis-je, je ne voudrais pas vous distraire de
votre occupation religieuse, je reviendrai dans un autre moment. – Je sais
bien, mon cher Monsieur, que vous avez du talent pour la poésie ; j’ai vu
votre Bélisaire qui m’a fait beaucoup de plaisir, mais c’est bien différent :
on peut faire une tragédie, un poème épique, si vous voulez, et ne pas
savoir faire un quatrain musical. Faites-moi le plaisir de me faire voir
votre drame. – Oui, oui, je le veux bien ; où est donc fourrée Griselda  ?
Elle était ici… Deus in adjutorium meum intende. Domine… Domine…
Domine… Elle était ici tout à l’heure. Domine ad adjuvandum.… Ah ! la
voici, voyez, Monsieur, cette scène entre Gualtiere et Griselda ; c’est une
scène intéressante, touchante. L’auteur y a placé à la fin un air pathétique,
mais mademoiselle Giraud n’aime pas le chant langoureux, elle voudrait
un morceau d’expression, d’agitation, un air qui exprime la passion par
des moyens différents, par des mots, par exemple, entrecoupés par des
soupirs élancés, avec de l’action, du mouvement. Je ne sais pas si vous me
comprenez. _ Oui, monsieur, je comprends très bien  ; d’ailleurs j’ai eu
l’honneur d’entendre mademoiselle Giraud, je sais que sa voix n’est pas
assez forte… – Comment, Monsieur, vous insultez mon écolière ? Elle est
bonne à tout, elle chante tout. – Oui, Monsieur, vous avez raison ; donnez-
moi le livre, laissez-moi faire. – Non, monsieur, je ne puis pas m’en
défaire, j’en ai besoin, et je suis pressé. – Eh bien ! monsieur, si vous êtes
pressé, prêtez-le-moi un instant, et sur-le-champ je vais vous satisfaire. –
Sur-le-champ ? – Oui, monsieur, sur-le-champ ! L’abbé, en se moquant de
moi, me présente le drame, me donne du papier et une écritoire, reprend
son bréviaire et récite ses psaumes et ses hymnes en se promenant. Je relis
la scène que je connaissais déjà  ; je fais la récapitulation de ce que le
musicien désirait, et en moins d’un quart d’heure je couche sur le papier
un air de huit vers partagé en deux parties. J’appelle mon ecclésiastique, et
je lui fais voir mon ouvrage. Vivaldi lit, il déride son front, il relit, il fait
des cris de joie, il jette son office par terre, il appelle mademoiselle
Giraud. Elle vient : « Ah ! lui dit-il, voilà un homme rare, voilà un poète
excellent  ; lisez cet air, c’est Monsieur qui l’a fait ici, sans bouger, en
moins d’un quart d’heure ! » Et en revenant à moi : « Ah ! Monsieur, je
vous demande pardon.  » Et il m’embrasse, et il proteste qu’il n’aura
jamais d’autre poète que moi. Il me confia le drame, il m’ordonna d’autres
changements, toujours content de moi, et l’opéra réussit à merveille160.
L’appréciation que Carlo Goldoni donne sur Vivaldi a été souvent
discutée  ; comme on a discuté les divergences entre les deux récits, et la
façon dont le dramaturge a caricaturé Vivaldi, lisant son bréviaire et
cherchant à favoriser à toute force sa protégée. Lorsque le jeune dramaturge
vénitien fit ses débuts dans les milieux des théâtres, il est probable que
Vivaldi, alors âgé, connaissait un certain déclin  ; Charles de Brosses le
confirme lors de son séjour à Venise en été 1739. En 1761 (lorsque Goldoni
écrit la préface au tome  XIII de ses Commedie) et à plus forte raison en
France, à une date aussi tardive que 1787, date à laquelle il publie ses
Mémoires, le nom de Vivaldi est sans doute presque totalement oublié du
public  ; ou connu par ses seules Quatre Saisons. C’est en tout cas une
explication plausible, tant pour le commentaire exprimé sur Vivaldi,
compositeur, que pour la caricature du personnage représenté en prêtre
maniaque. Mais Goldoni n’est-il pas homme de théâtre ? Et forcer le trait
est son métier, s’il veut s’attacher son lecteur…
Domenico Lalli décédera à Venise le 9 octobre 1741, c’est-à-dire moins
de trois mois après la mort d’Antonio Vivaldi, à Vienne. Carlo Goldoni,
quant à lui, s’éteindra à Paris, le 6 février 1793, à 86 ans. Quelques années
plus tôt, il avait terminé ses Mémoires par ces lignes  : «  Je suis né
pacifique ; j’ai toujours conservé mon sang-froid ; à mon âge, je lis peu, et
je ne lis que des livres amusants. »

32

 Luca Casimiro degli Albizzi imprésario

 du Teatro della Pergola à Florence

Au printemps 1735, alors qu’il est en train de préparer la Griselda pour le


théâtre San Samuele, Vivaldi reçoit une lettre de Casimiro degli Albizzi qui,
à 70 ans passés, continue à gérer le théâtre de la Pergola. Le marquis désire
commander au Prêtre roux un nouvel opéra, pour le carnaval 1736.
Plus de six années ont passé depuis le carnaval 1729 où il avait présenté
son Atenaide à Florence. Le livret contenait des références aux Habsbourg
qui avaient suscité des réactions négatives dans les milieux de Florence,
hostiles à l’Empire, et Anna Girò, qui faisait sa première apparition dans ce
théâtre, n’avait guère plu au public florentin. C’est un contentieux qui va
peser dans les négociations entre l’imprésario florentin et Vivaldi pour le
nouveau spectacle.
Luca Casimiro degli Albizzi avait des obligations envers Vivaldi… À
Florence, personne n’ignorait que le marquis servait de protecteur à la
contralto Maria Maddalena Pieri et qu’il gérait son argent. En témoigne par
exemple ce commentaire extrait d’un journal manuscrit florentin, à la date
du 1er mars 1729 :
Mardi, dernier jour du carnaval… Après souper, tout le monde se porta
à la grande fête de bal… organisée par les imprésarios de l’opéra dans le
théâtre de via della Pergola… Le principal promoteur de ces
divertissements était le marquis et prieur Luca Casimiro degli Albizzi,
lequel, bien qu’âgé de presque 70  ans, et même s’il avait été, à une
certaine période, l’un des gentilshommes des plus considérés et estimés de
la cour des Princes de Toscane, ne s’était pas moins transformé en
imprésario d’opéra en musique afin de protéger plus efficacement une
femme chanteuse connue sous le nom de Maria Maddalena Pieri, dont il
était éperdument amoureux161.
Vivaldi avait engagé la Pieri, à plusieurs reprises, dans ses propres
opéras, lorsqu’il était imprésario : la première fois à Venise, dans la Dorilla
in Tempe, en automne 1726. Celle-ci avait ensuite créé le rôle-titre dans
Farnace, le 10  janvier 1727. La Pieri avait encore interprété le roi Nino
dans la Semiramide à Mantoue, au carnaval 1732 et, plus récemment, le rôle
de Tamerlano, à Vérone, au carnaval 1735. Simple renvoi d’ascenseur  :
Albizzi se devait d’engager Anna Girò à Florence !
Nous avons vu que, si les archives privées de la famille Guicciardini
conservervent les copies des lettres écrites par Luca Casimiro degli Albizzi
et, parmi elles, celles adressées à Vivaldi, il ne s’y trouve aucune lettre du
Prêtre roux. Pour reconstituer le dialogue entre les deux hommes, on ne
peut se fonder que sur les seules missives envoyées par l’imprésario
florentin162.
 
Le 16 avril 1735 ; Albizzi négocie avec Vivaldi le cachet de la Girò, sans
omettre de rappeler l’insatisfaction manifestée par le public florentin lors de
la prestation d’Anna, sept ans plus tôt :
V.[ostra] S.[ignoria]163 se trompe beaucoup, lorsqu’elle croit que c’est
de moi exclusivement que dépend le choix des artistes pour le théâtre de
via della Pergola. Ce n’est qu’hier que les cavaliers ont arrêté leur
décision quant aux opéras qui devront être représentés au prochain
carnaval. J’ai aussitôt proposé madame Annina comme prima donna…
Oh, combien de résistances n’ai-je pas rencontrées  ! Ils ont répondu
qu’elle n’est pas au niveau de celles qui sont habituellement engagées et
que, la dernière fois qu’elle a chanté, elle n’a pas eu de succès. J’ai
répliqué qu’elle avait changé et que je la proposais justement parce que
j’étais sûr qu’elle accepterait le cachet que ces messieurs ont fixé. Je vous
confie tout cela avec la plus grande sincérité. Dites-moi si cent sequins,
plus le logement et un petit vestiaire, lui conviennent, afin que je puisse
communiquer la réponse à ces messieurs. Quant à V.  S., dites-moi
ouvertement ce que vous désirez comme honoraire pour composer un
opéra. [Les académiciens] sont très attachés à Orlandini. Lorsqu’il s’agit
de donner un nouvel opéra écrit par un autre compositeur, celui-ci reste à
la tête de l’orchestre, et on ne soustrait rien à ce qui lui est versé
annuellement, car sa tâche est aussi d’arranger tous les opéras représentés
ici. V.S. comprendra donc qu’il me sera difficile d’imposer une double
dépense164.
Le cachet de cent sequins proposé pour Anna Girò a sans doute paru
insuffisant à Vivaldi ; le 30 avril suivant, Albizzi s’adresse au compositeur
en ces termes :
Quand je dois engager les artistes pour notre théâtre, je ne consulte que
mon budget. V.S. est contrarié des cent sequins que je vous ai offerts.
Rappelez-vous qu’elle [Anna Girò] n’a pas reçu davantage la dernière fois
qu’elle est venue chanter ici comme seconda donna. Mais je lui offre cette
fois le premier rôle et, pour montrer à ce pays que j’ai de l’estime pour
elle, je me suis même opposé aux autres cavaliers intéressés. Mais
abrégeons ! Si vous voulez 10 sequins en plus, je vous les offre, avec le
logement et un petit vestiaire pour les deux opéras de 60 paoli. En ce qui
vous concerne, je propose, vu que vous divisez votre bourse avec celles-ci
[Anna et Paolina Girò ?], 50 ducats de X giuli pour la composition entière
d’un opéra, sachant que je dois aussi payer le claveciniste. Si cela vous
convient ainsi, dites-le moi par retour de courrier afin que je vous envoie
les contrats, car je dois m’en aller incessamment. Et si ces conditions ne
plaisent pas à Madame Girò, j’engagerai quelqu’un d’autre, et bon
vent165 !
Finalement, grâce à l’insistance du marquis, la protégée de Vivaldi avait
pu être engagée comme prima donna pour les deux opéras programmés à la
Pergola au carnaval 1735-1736. Le salaire offert à Anna était modeste : cent
sequins, qui devinrent cent dix (= 2 420 lire), plus le logement, les costumes
et autres accessoires. Pour la composition, Albizzi n’offrit à Vivaldi que
cinquante ducats (=  350 lire), car Giuseppe Maria Orlandini, maître de
chapelle de la cour florentine et directeur de l’orchestre du Teatro della
Pergola, percevait lui aussi un cachet, même si, cette fois-ci, il n’aurait pas
à effectuer l’arrangement de la partition, dont Vivaldi se chargerait.
Dans une nouvelle lettre écrite à Vivaldi le 4  juin, Albizzi prétend être
fortement critiqué à Florence pour avoir engagé Anna. Tous les Florentins
qui sont allés à Venise et l’ont entendue dans la Griselda disent que sa voix
est très faible. L’imprésario affirme qu’il ne manque pas d’artistes de
talent  ; il est même harcelé de demandes. Finalement, c’est Maria
Maddalena Pieri qui plaide la cause de Vivaldi auprès du marquis et
demande que le compositeur reçoive dix ducats de plus pour son opéra :
Dès mon arrivée, hier, écrit l’imprésario, je fus pris d’assaut par
madame Maria Maddalena, qui me demande d’envoyer le contrat à V.S.
ainsi qu’à madame Annina Girò  ; elle m’a en outre arraché dix autres
ducats en votre faveur. Il vous faut maintenant me donner satisfaction avec
une œuvre gaie et vivante, d’autant plus que j’ai eu tout le pays contre moi
à cause de cette décision. Lorsque je me suis arrêté à Bologne, j’ai été
assiégé par une foule de chanteuses, et pas des moindres, qui voulaient
que je les engage ; je n’ai écouté personne afin de laisser place à madame
Annina, bien que tous ceux qui reviennent de Venise disent qu’au San
Samuele on ne l’entendait pas du tout. Si cela est vrai, ce sera un désastre
pour notre théâtre166 !
Le 18  juin, Albizzi confirme l’engagement d’Anna qu’il a fortement
soutenue contre tout le monde et réitère sa bonne opinion personnelle  ; il
fixe le cachet final de soixante ducats à Vivaldi pour la composition :
Désormais madame Anna Girò est engagée pour chanter au prochain
carnaval via della Pergola  ; et V.S. pour composer un opéra qui sera
certainement en seconde position, et non en première, comme V.S. le
craignait167. Je crois que la Ginevra du dottor Salvi est un très beau livret
qui vous fera honneur. Désormais, il ne convient plus de polémiquer sur le
talent de la jeune femme, que j’ai soutenue fortement, en dépit de ce qu’on
a écrit contre elle168.
Pourtant, le 1er  juillet, alors qu’il est en villégiature dans sa villa, à
Remole, Albizzi revient sur ses doutes concernant la voix d’Anna :
Je regrette… de vous informer sincèrement de ce qui est dit ou écrit sur
madame Girò… Nombre de Florentins qui étaient à Venise pour
l’Ascension, princesses, dames, cavaliers et commerçants avec lesquels
j’ai parlé de madame Girò, m’ont affirmé, sans s’être consultés, qu’elle est
une bonne comédienne mais qu’on n’entend pas sa voix. Finissons-en là !
Il me faut la soutenir puisque je l’ai engagée pour le carnaval, et qu’on
n’en parle plus169 !
Albizzi doit aussi s’occuper de l’engagement des autres chanteurs qui
font partie de la distribution, et ses difficultés ne sont pas moindres. Par
exemple, les démaches et les révérences qu’il doit faire auprès du castrat
Mariano Nicolini auquel il écrit, à Rome, le 28 juin 1735.
Cher Monsieur Mariano,

Je constate que vous êtes seul à vous occuper de vos affaires et je vous
plains. Le proverbe est bien connu. Vous ne pouvez mettre ainsi vos pieds
à tous les étriers. Si vos contrats avec Milan et Rome sont antérieurs au
mien, vous ne pouvez plus vous engager avec moi. Et moi je ne peux pas
forcer les autres sopranos à attendre les ordres de Votre Majesté et leur
dire : « Monsr Niccolini vous communiquera ma décision finale ! ». Si les
autres contrats sont plus avantageux, pourquoi ne pas me dire dès
maintenant que vous ne pouvez pas me servir, au lieu de me laisser en
permanence dans le doute, pour me répondre ensuite, dans quinze jours,
que le contrat offert par un autre imprésario est beaucoup plus avantageux
que le mien. D’ici à huit jours j’attends votre décision170.
Au début de l’été, les « cavaliers » florentins ont enfin fixé leur choix sur
les deux opéras qui seront représentés au prochain carnaval  : le Giulio
Cesare in Egitto de Geminiano Giacomelli, où Anna Girò interprétera le
personnage de Cornelia, un rôle qui avait été créé à Milan par la grande
contralto Vittoria Tesi, et qu’elle avait repris à Venise, au théâtre San
Giovanni Grisostomo, en automne 1735. Il y a de très belles arias, écrit
Albizzi ; toutefois, il faudra que Vivaldi les retouche afin de les adapter à la
voix d’Anna. Le reste de la partition sera arrangé par Giuseppe Maria
Orlandini. Pour le second opéra, celui que Vivaldi devra mettre en musique,
le choix s’est fixé sur la Ginevra, principessa di Scozia, dont le livret avait
été écrit en 1708 par Antonio Salvi pour une représentation au théâtre privé
des Médicis, à Pratolino. Le texte avait déjà été repris plusieurs fois en
Italie, sous le titre d’Ariodante ; un Ariodante avait par exemple été donné à
Venise en 1716, mis en musique par Carlo Francesco Pollarolo, avec deux
grandes vedettes féminines  : Marianna Benti Bulgarelli, la Romaine, et
Faustina Bordoni, la Vénitienne. Il avait été repris en 1718, encore avec
Faustina et une autre diva, la soprano de Parme, Francesca Cuzzoni, dans le
rôle de Dalinda. Haendel venait pour sa part de faire représenter son
Ariodante à Londres, au théâtre de Covent Garden, le 8  janvier 1735. Le
succès remporté par ce spectacle avait peut-être suggéré à Albizzi l’idée de
reprendre le drame à Florence, la ville où cet opéra avait été créé.
Début juillet, Albizzi informe Vivaldi que le poète de la Pergola,
Domenico Marchi, n’a pas encore terminé la révision du livret. Puis une
nouvelle difficulté se présente à l’imprésario : Antonio Vivaldi vient de lui
écrire que Ginevra n’est pas un personnage qui convient à Anna Girò. Le
Prêtre roux a suggéré une autre idée : monter la Merope d’Apostolo Zeno !
L’opéra venait d’être donné à Venise, au théâtre San Giovanni Grisostomo,
avec une musique de Geminiano Giacomelli. On avait pu y entendre les
deux grands castrats napolitains, Farinelli et Caffariello. La Vénitienne
Lucia Facchinelli chantait le rôle de Merope  ; Maria Teresa Pieri (sans
doute la sœur de Maria Maddalena) faisait aussi partie de la distribution.
Quel rôle idéal que celui de Merope pour une bonne comédienne comme
Anna Girò ! Merope, veuve et mère, une femme au caractère bien trempé,
tandis que Ginevra est une jeune princesse souffrante, un peu fade et
passive. Albizzi refuse d’emblée la proposition, prétendant que la Merope
avait déjà été entendue plusieurs fois à Florence.
 
Le 9 juillet, l’imprésario d’adresse à Vivaldi en ces termes
V.S. me dit dans sa lettre du 2 que, au lieu de la Ginevra, je devrais
donner la Merope qui conviendrait mieux à madame Girò. Mais cet opéra
a été joué et rejoué à Florence, et il n’y a pas un commis qui ne s’en
souvienne. Alors que la Ginevra de Pratolino n’a plus jamais été
représentée ; et il faut que je diversifie mes livrets autant que possible, les
gens de ce théâtre étant impossibles à satisfaire171 !
Vivaldi insiste ; Albizzi résiste. Fin juillet on tombe enfin d’accord sur la
Ginevra, principessa di Scozia.
Le 6  août, Luca Casimiro degli Albizzi envoie à Vivaldi le livret de la
Ginevra dont Damiano Marchi a fait la révision. Il fournit à Vivaldi
quelques informations sur les chanteurs devant interpréter les différents
rôles, puis conclut :
Que V.S. compose tranquillement et prenne son temps car,
habituellement, le dernier opéra est celui auquel les gens accordent le plus
d’intérêt172.
Le 13 août, le marquis envoie une nouvelle missive à Vivaldi car il veut
s’assurer que le livret est arrivé à bon port. En même temps, il conseille au
compositeur de ne pas lui envoyer la partition tant qu’elle ne sera pas
terminée. Trois jours plus tard, Vivaldi répond à Albizzi, une lettre dont
nous ignorons le contenu. En revanche, nous avons la réaction de
l’imprésario, datée du 20 août :
Je lis le premier paragraphe de la lettre de V.S., du 16 août ; vous dites
être très déprimé de devoir composer cet opéra en raison de la médiocrité
des musiciens qui font partie de ma compagnie. Vraiment, si vous êtes si
peu enthousiaste, je vous libère sans autres obligations de votre
engagement. Renvoyez-moi le livret afin que je le fasse mettre en musique
par quelqu’un d’autre173 !
Vivaldi n’en poursuit pas moins la composition de sa partition et
conseille même l’imprésario de la Pergola sur le choix des danseurs,
qu’Albizzi généralement recrute à Turin. Le marquis s’était toujours fié à
Michele Grimani, le propriétaire du théâtre San Samuele, habitué à engager
des troupes de danseurs pour ses spectacles de ballets. Mais, pour la saison
du carnaval 1735-1736, c’est Antonio Vivaldi que Luca Casimiro degli
Albizzi consulte à plusieurs reprises174. Le 3  septembre, par exemple, il
s’adresse au compositeur en ces termes :
Je suis très obligé à V.S. qui porte tant d’attention au choix des danseurs
pour mon théâtre175.
Afin de superviser le rôle de Cornelia que devra chanter Anna à Florence,
Vivaldi cherche aussi à s’introduire dans la production du Cesare in Egitto.
Albizzi réagit une nouvelle fois et assez vivement aux méthodes de Vivaldi.
Le 17 septembre, il écrit :
Il est impossible de toucher au livret du Cesare in Egitto dont on a déjà
transcrit les parties que je ferai bientôt parvenir à madame Annina. Que,
dans la Ginevra, vous changiez les paroles de l’aria de 1708, je vous
l’accorde, mais pour celles qui ont été écrites et qui vous ont été envoyées
par notre poète, M. le docteur Marchi, je refuse qu’on lui fasse cet affront.
Je vous rappelle que les Toscans sont connus pour ne faire de compromis
avec personne quand il s’agit de poésie. Je vous assure que la Ginevra ne
sombrera pas car elle est très attendue à Florence. Désormais, les dés en
sont jetés ; ne touchez pas au contenu du livret ni à la division des actes
car je les veux ainsi. Je sais que tout ce que vous dites c’est pour mon
bien, mais à Florence, moi je sais ce qu’il faut176.
Luca Casimiro degli Albizzi se méfie des procédés de Vivaldi, qui ne
cesse de reprendre, même en les modernisant et en les adaptant aux
chanteurs, des arias déjà entendues, car le public de la Pergola pourrait s’en
apercevoir. Le 23 septembre, il écrit :
Quand vous en aurez terminé avec l’opéra de la Ginevra et que vous
l’aurez consignée à monsieur Cottini, je vous ferai parvenir ce que j’ai
promis  ; sans tenir compte du nombre d’arias anciennes que vous avez
employées, car cela dépend de votre jugement. Mais si, ensuite, au théâtre,
on les reconnaît, vous savez vous-même que cela ne vous portera pas
crédit et peut-être aussi que ceux qui les chanteront seront contraints de les
changer, ce qui portera préjudice à mes finances177.
Albizzi poursuit l’organisation de sa production, l’engagement des
chanteurs, et la préparation des rôles. Le 20 octobre, il écrit au ténor Pietro
Baratta qui chantera dans la Ginevra aux côtés de sa fille débutante, Teresa
Baratta :
Je ne désapprouve pas ce que me propose V.S. dans sa missive du 16,
c’est-à-dire de modifier l’aria (dans Cesare in Egitto) destinée à madame
votre fille, ainsi que pour votre propre rôle ; je peux l’accepter, car il s’agit
d’une musique qui n’est pas nouvelle. Mais en ce qui concerne Vivaldi, il
faudra chanter tout ce qu’il envoie178.
En automne, Albizzi reçoit la partition de Vivaldi, terminée. Déception !
Le compositeur a effectué plusieurs remaniements dans le livret, malgré les
consignes que l’imprésario lui avaient données.
J’ai reçu la partition de la Ginevra, très bien emballée…, écrit Albizzi le
12 novembre. J’ai lu votre feuille avec les remarques que je respecterai ; je
les transmettrai plus particulièrement à M. Tanfani, premier violon. En ce
qui concerne les quelques paroles modifiées dans les récitatifs, je n’y vois
pas de problèmes  ; en ce qui concerne les arias, il me semble que vous
avez pris beaucoup de liberté ; j’en compte douze, et je n’aime pas du tout
celles de comparaison qui affaiblissent la scène, alors qu’elles devraient
être de reproche et d’exhortation, ou de prière. Finissons-en là ! Je ferai en
sorte que tout cela soit exécuté dans le respect vos intentions, et je m’en
justifierai avec le copiste. Dites-moi les frais que vous avez eus pour
l’expédition de leurs parties aux virtuoses et pour la copie de celles-ci, et
tout ce que je vous dois pour le papier et la reliure, qui vous seront aussi
remboursés179.
Albizzi fournit à Vivaldi d’autres instructions pour le paiement de son
cachet  : «  Vous pourrez allez chez monsieur Annibale della Caia, qui a
l’ordre de vous payer les 60 ducats prévus par nos accords180. »
Cette missive du 12  novembre est la dernière lettre envoyée par Luca
Casimiro delgi Albizzi à Antonio Vivaldi, à propos de la préparation de la
Ginevra, principezza di Scozia.

Ginevra, principessa di Scozia, Florence, janvier 1736 (RV 716)

La première de la Genièvre, princesse d’Écosse a lieu à Florence le


17 janvier 1736181. Le frontispice du livret, imprimé à Lucques, est orné
du blason de l’Académie des Immobiles, qui représente un moulin,
accompagné de la devise « In sua movenza è fermo » (dans son mouvement,
il est immobile). Il est dédié au grand-duc Giovanni Gastone. Les ballets
sont dirigés par Francesco Alessandro Mion, maître de ballet à l’Académie
royale de Paris, auprès du roi de Sardaigne et de la princesse royale, ainsi
qu’à l’Académie royale de Turin. Les costumes sont réalisés par Ermanno
Compstoff. La musique, lit-on dans les premières pages du livret, est de
« D. Antonio Vivaldi de Venise » : désormais, Vivaldi n’utilise plus le titre
de maître de chapelle de Mantoue. Dans l’«  Argomento  », le dramaturge
explique que son texte est fondé sur le Chant  V du Roland furieux
d’Arioste :
Cher Lecteur Le Cinquième Chant de notre Homère toscan, le génial
Arioste, m’a inspiré le sujet, le lieu et l’action de ce drame, ainsi que les
personnages principaux et leur personnalité. J’ai pensé qu’il était superflu
de rappeler le sujet, car tu peux, avec davantage de plaisir, le lire dans ce
merveilleux Poème. Je me suis permis de modifier le caractère de Dalinde,
pour en faire un personnage qui a plus de dignité ; à notre époque en effet,
elle ne pourrait paraître en scène sans susciter la critique. J’ai également
aggravé la scélératesse de Polinesse, duc d’Albanie, le faisant agir par
intérêt et par ambition, plus que par amour. Ainsi l’auditoire éprouvera
moins d’horreur face à sa mort et la vertu des autres personnages y
prendra plus de relief. J’ai imaginé que Genièvre était fille unique du roi
d’Écosse, même si Arioste dit qu’elle est la sœur de Zerbin, afin de donner
plus de force aux passions des personnages, comme la tendresse du père,
l’ambition de Polinesse, l’amour d’Ariodant. Dans le dénouement du
drame, j’ai supprimé le personnage de Renaud, car il n’est pas présent
dans le reste de l’action.
Ce qui me paraît le plus important, c’est que tu éprouves pour les
aspects néfastes du personnage de Polinesse l’horreur que ceux – ci
doivent susciter dans tout cœur catholique, et que tu considères les mots
Idole, Destin et Dieux comme des attributs de la Poésie, et non comme les
sentiments du Poète qui, au lieu de faire appel à ta bienveillance, comme
on le fait habituellement, te souhaite tout le bien du Ciel.
À l’exception d’Anna Girò qu’il a imposé comme prima donna, Vivaldi
ne connaît pas les chanteurs qui doivent interpréter sa partition. En dépit des
affirmations de Luca Casimiro degli Albizzi, ces artistes ne semblent pas de
très haut niveau. Natalizia Bisagi (qui chante le rôle masculin de Lurcanio,
frère d’Ariodante, amoureux de Dalinda) n’avait été que tolérée pendant un
seul mois comme chanteuse d’intermède, à Naples. Le ténor Pietro Baratta
(roi d’Écosse, père de Ginevra) était au service du duc de Massa-Carrara, et
se produisait à Venise depuis 1724  ; sa fille, la contralto Teresa Baratta
(Dalinda, dame noble d’ Écosse, amoureuse de Polinesso) commence sa
carrière. Dans les années qui suivent, on les retrouvera tous les deux à
Venise, au théâtre San Cassiano, dans la Zoe d’Antonio Predieri, puis dans
le Demetrio de Hasse. Le castrat Francesco Grisi, qui tient le rôle du prince
vassal Ariodante, dépendait de la cour de Mantoue. Le ténor Settimio
Canini (Polinesso, duc d’Albanie) jouit d’une certaine estime ; plus tard, il
se produira dans la compagnie d’Angelo Mingotti182.
On ne connaît pas l’auteur des décors : au premier acte, un cabinet avec
une table et un siège, puis un jardin royal ; à l’acte II, des ruines antiques
avec vue sur la porte secrète du jardin qui conduit aux appartements de
Ginevra, puis la salle du conseil du parlement écossais, avec des sièges et le
trône royal, ensuite les appartements de Ginevra et une cour  ; enfin, au
troisième acte, une galerie, puis un bois, ensuite un agréable jardin dans le
palais royal  ; la place principale d’Edinburgh avec le trône et des sièges
pour les parlementaires  ; enfin les appartements où Ginevra est tenue
prisonnière.
Les ressorts qui sous-tendent la dramaturgie nous sont désormais
familiers. Au second acte, Odoardo (un conseiller du roi ?) relate à la cour
royale qu’Ariodante s’est suicidé en se jetant à la mer depuis un rocher
(comme Megacle dans L’Olimpiade de Metastasio). Il réapparaît vers la fin,
incognito, dissimulé sous une armure. Lorsqu’il abaisse la visière de son
casque, tout le monde reconnaît Ariodante. Travestissement encore  : pour
surprendre son amant qui peut-être la trompe, Dalinda se travestit en
Ginevra. D’autres éléments que nous connaissons : la rivalité entre les deux
protagonistes (au début de l’opéra, Dalinda qui aime Polinesso pense que
Ginevra est une rivale) ; les rencontres amoureuses dans des lieux retirés (le
rendez-vous entre Ariodante et Ginevra, la nuit, dans le jardin du palais) ;
des emprisonnements (à l’acte  III, Odoardo apporte à Ginevra les chaînes
symbolisant son arrestation  ; elle demande à voir son père avant son
exécution) ; on retrouve aussi dans la Ginevra une jeune femme en danger
et sauvée in extremis par l’homme qu’elle aime (dans un bois, Dalinda est
attaquée par deux serviteurs de Polinesso mais elle est secourue par
Ariodante). Enfin, après bien des péripéties, on révèle la vérité, l’identité
des personnages, leur innocence ou leur culpabilité. Le drame se conclut par
un ou plusieurs mariages.
Des arias du livret original de 1708 ont été reprises dans treize scènes,
tandis que les versions vénitiennes de l’Ariodante de  1716 et  1718 ont
presque été ignorées. De légères modifications textuelles sont parfois
effectuées par Vivaldi (ou son poète de service) avant de composer la
musique. Par exemple, dans l’aria chantée par Odoardo « Più contento e più
felice » (II, 6), la musique a été reprise de l’Ipermestra de 1727, et le texte
originel « Più contento dal suo monte » (I, 12 Danao) corrigé et raccourci
afin de s’intégrer à la Ginevra. Plusieurs arias ont été reprises d’opéras
précédents et font de la Ginevra un nouvel opéra pastiche plutôt qu’une
véritable création183. Deux des arias chantées par Anna Girò viennent de la
Griselda : « Brami le mie catene » (I, 2) et « Ho il cor già lacero » (II, 2).
Pour Anna, Vivaldi compose aussi plusieurs arias nouvelles  : «  Che gran
contento/che bel piacere  » (I,  6), que l’on retrouvera dans les opéras
ultérieurs  ; «  Il mio crudel martoro  » (II,  11)  ; et «  Quella man che mi
condanna » (III, 1), qui ressemble à l’aria de Gualtiero « Tu vorresti col tuo
pianto » (II, 11) dans la Griselda ; toutes deux présentent en effet la même
scansion poétique et ont la même signification dramatique: un monarque
condamne une femme innocente qui demande pitié (dans la Griselda, cette
aria était chantée par le monarque, alors que dans la Ginevra, elle est placée
dans la bouche d’une femme)184.
 
La Ginevra a-t-elle plu au public de la Pergola ? On n’en a aucune idée.
Il est probable qu’Antonio Vivaldi n’était pas présent pour les
représentations, sachant que c’est Giuseppe Maria Orlandini qui a dirigé
l’orchestre (et qu’Albizzi paie séparément un claveciniste et un premier
violon).
Le marquis Luca Casimiro degli Albizzi reste un homme du monde,
courtois et généreux. Après les représentations de l’Atenaide, il avait offert
à Anna, outre son cachet, plusieurs cadeaux. Cette fois encore, il a prévu
quelques petites faveurs à l’intention d’Anna et de Paolina Girò. Le
25 février 1736, alors que les jeunes femmes s’apprêtent à quitter Florence,
Albizzi écrit à Vivaldi :
Quand les sœurs Girò partiront, je leur consignerai la partition de la
Ginevra et leur donnerai un lot de vêtements dont elles pourront profiter
en mémoire de moi185.
La Ginevra ne connaîtra pas de reprise. On sait qu’Antonio Vivaldi
proposera l’opéra pour le théâtre de Lucques. Le 2  mai 1736, le
compositeur obtiendra en effet une licence qui l’autorisera à gérer, en tant
qu’imprésario, à l’automne suivant, le Teatro Pubblico de cette ville. Mais
aucun opéra de Vivaldi n’est représenté à Lucques à cette période186. Plus
tard, le compositeur proposera encore sa Ginevra pour une représentation
au Teatro Bonacossi de Ferrare, au carnaval 1737. L’idée sera repoussée en
faveur du Demetrio de Johann Adolf Hasse. Quelques arias de la Ginevra
seront réentendues, tant dans le Demetrio que dans le Catone in Utica
donné à Vérone, en 1737.
 
Antonio Vivaldi ne retournera pas à Florence et les relations avec Luca
Casimiro degli Albizzi se gâteront. Le Prêtre roux aurait en effet promis à
Albizzi d’engager Maria Maddalena Pieri comme prima donna dans
plusieurs villes (Vérone, Ferrare, Modène…) où le Prêtre roux avait des
contacts. Mais il n’en sera rien. Croyant en ces promesses, Albizzi aurait
conseillé à la Pieri de refuser les autres propositions qui lui avaient été
faites afin de rester à la disposition de Vivaldi. Dans une lettre datée du
19  novembre 1736, Albizzi laisse une fois encore éclater sa colère contre
Vivaldi :
Je sais très bien, d’après ce que V.S. explique dans sa missive du 12,
jusqu’à quel point vous vous êtes efforcé de faire représenter l’opéra à
Modène où, grâce à la présence d’officiers français, on avait engagé des
chanteurs renommés comme Ballino [Annibale Pio Fabri], [Antonia]
Merighi, [Margherita] Stagi, [Antonio] Bernacchi, [Elena] Riva, ainsi
qu’un soprano dont je ne me rappelle plus le nom. À cause de vos
méthodes, je me retrouve maintenant avec Mme Maria Maddalena [Pieri]
à la maison et sans contrat. Et moi qui me suis fié à vos promesses, j’ai
accepté de prendre madame Girò comme prima donna et de vous faire
composer l’opéra. Essayez de comprendre mon indignation : je peux être
trompé une fois, mais pas deux187 !
Le marquis Luca Casimiro degli Albizzi décédera le 8  février 1745.
Parmi les Florentins, les bavardages vont bon train… «  En ville, on
murmure qu’il a laissé 60 mille écus de dette, lit-on dans une chronique
locale  ; car il était très généreux et il dépensait son argent pour maintenir
des chanteuses, en particulier les deux qui s’appelaient les Pieri, dites les
Polpette188, auxquelles il donnait tout ce dont celles-ci pouvaient avoir
besoin189. »
 
En 1735 une page se tourne. L’aventure menée par Antonio Denzio à
Prague est arrivée à son terme. Grâce à Denzio, pendant dix ans, de 1724 à
1735, la notoriété de Vivaldi, compositeur non seulement de concertos,
mais aussi d’opéras, s’est affirmée en Bohême. Un relais sera peut-être
assuré par le janvier 1732, celui-ci s’était installé avec sa troupe italienne à
Brno, en Moravie. En 1735, il donne dans cette ville, au théâtre Tavern
(Teatro Novissimo della Taverna), un Orlando furioso, dont «  la musique
est de Mr Antonio Vivaldi, à l’exception de quelques arias »  ; on suppose
que cette production se fonde sur la partition d’Antonio Bioni qui avait été
jouée à Prague par la troupe Peruzzi-Denzio, en été et en automne 1724190.
 
Depuis plusieurs années, Vivaldi n’envoie plus de concertos chez
l’éditeur hollandais Michel-Charles Le Cène. Pourtant, cette même année
1735, paraissent chez Gerhard Frederik Witvogel, fixé lui aussi à
Amsterdam, dans un recueil collectif de « 6 Concerti a Cinque Stromenti »,
deux concertos pour violon du Prêtre roux : le RV 189 (qui se trouve aussi
dans le recueil manuscrit conservé à Vienne intitulé La Cetra) et le RV 341.
L’année suivante, dans un autre recueil de concertos pour cinq instruments,
Witvogel publie le concerto RV 179 pour violon et le RV 513 pour deux
violons. Vivaldi a-t-il lui-même fait parvenir ces pièces en Hollande, afin
qu’elles soient intégrées dans ces recueils, mêlées avec des œuvres d’autres
compositeurs  ? Ou bien l’éditeur a-t-il eu en main quelques copies
manuscrites et ces éditions ont-elles, une fois encore, été réalisées à l’insu
du compositeur  ? De son côté, le Prêtre roux continue à vendre ses
manuscrits à des particuliers  : le 5  septembre 1735, Girolamo Ascanio
Giustiniani (le patricien poète qui avait transposé les textes hébreux des
«  Psaumes de David » pour L’Estro Armonico de Benedetto Marcello) lui
paie 44 lire pour un lot de sonates en musique191.
Le 4  mars 1735 (le jour où Vivaldi fête ses 57  ans), une autre aventure
prend fin. Philipp de Hesse-Darmstadt termine sa mission à Mantoue et
repart pour Vienne où l’a rappelé Charles  VI. Le prince décédera l’année
suivante. Désormais, Vivaldi ne pourra plus compter sur ce soutien, ni sur
les relations dans les milieux impériaux que son mécène lui avaient
procurées depuis près de vingt ans.
Est-ce la raison qui a encouragé Vivaldi, le 4  juillet 1735, c’est-à-dire
deux jours après la fête de la Pietà, à proposer à nouveau ses services à
l’institution de charité où il avait fait ses débuts  ? Le 5  août 1735, les
patriciens vénitiens, Giovanni Francesco Labia et Barbon Morosini,
gouverneurs de la Pietà et députés chargés du chœur, répondent
favorablement à la proposition du Prêtre roux. Nous nommons, écrivent-ils,
pour Maître des Concerts de notre chœur le révérend D.  Antonio
Vivaldi professeur qui présente toutes les qualités pour cette tâche. Il
devra, s’il accepte le contrat, fournir à nos filles les concertos et les
compositions destinés à toutes les catégories d’instruments  ; il devra
enseigner avec régularité aux filles  ; celles-ci devront s’appliquer afin
d’être en mesure de les interpréter correctement. Il devra également
former nos filles dans la manière de bien pratiquer les instruments dont
celles-ci jouent, selon les besoins. Comme salaire, ce Maître recevra cent
ducats par an, comme il est stipulé dans la présente disposition192…
Le nouvel engagement de Vivaldi est approuvé par l’assemblée des
députés avec huit voix en sa faveur, deux oppositions, et trois abstentions.

33

 Une correspondance avec Guido Bentivoglio

 d’Aragona à Ferrare
 (carnaval 1737)

Depuis son retour de Vérone, au début de l’année 1735, Antonio


Vivaldi n’avait plus quitté Venise où il vivait aux côtés de son père
Giovanni Battista, âgé et malade. Le compositeur ne s’est sûrement
pas rendu à Florence, pour assister à la première représentation de
la Ginevra, avec Anna Girò dans le rôle de la princesse écossaise,
donnée en janvier 1736, sur la scène du théâtre de la Pergola. Le
Prêtre roux ne dirigeait pas les opéras depuis le clavecin, comme le
faisaient de nombreux compositeurs (« Je dois aussi payer le
claveciniste », avait écrit l’imprésario, Luca Casimiro degli
Albizzi). Il ne joua pas non plus personnellement du violon,
comme il l’avait fait si souvent dans le passé, au théâtre
Sant’Angelo (le 12 novembre, après avoir reçu la partition, Albizzi
dit qu’il allait la transmettre aussitôt au premier violon). Et puis, les
nobles académiciens de Ferrare avaient l’habitude de s’en remettre
en tout et pour tout à Giuseppe Maria Orlandini, un compositeur
d’opéras très en vue, attaché à la cour de Florence et directeur de
l’orchestre du théâtre la Pergola. Toutes les tractations entre Albizzi
et Vivaldi s’étaient effectuées par courrier, et le compositeur avait
lui-même fait répéter les chanteurs, à Venise, avant que ceux-ci
n’aillent se produire en Toscane.
Depuis le 5 août 1735, le Prêtre roux a repris le chemin familier qui
le mène à l’hospice de la Pietà, sur la riva degli Schiavoni,
rejoignant le quartier où il était né et où sa famille s’était implantée
à la fin du siècle précédent, tout près de l’Arsenal. Sa tâche, en tant
que « maître des concerts », est de fournir toutes les pièces
instrumentales nécessaires à la chapelle musicale et « d’enseigner
aux filles régulièrement », pour un salaire de cent ducats annuels.
Là, il retrouve Anna Maria, la violoniste bien aimée, désormais
maestra ; et puis aussi les élèves et disciples d’Anna Maria :
Bernardina, Santinetta, Chiaretta… ; les organistes Tonina et
Giulia ; les chanteuses, Apollonia et Geltruda, désormais âgées et
avec lesquelles il travaille depuis plus de vingt ans ; il y a encore
Agata, Maria la Bolognese, Giulietta, Ambrosina, Marianna,
Bianca Maria, Michelina193… Au printemps 1736, il est confirmé
dans sa tâche de compositeur et d’enseignant, ainsi qu’en 1737, et
encore en 1738. Ses émoluments lui sont versés tous les trois ou six
mois, par tranches de 25 ou de 50 ducats.
En tant que compositeur d’opéra, Vivaldi se trouve maintenant sans
emploi. Le 2 mai 1736, il avait obtenu un engagement au théâtre de
Lucques comme gestionnaire de la saison d’automne suivante.
Peut-être avait-il eu l’intention d’y reprendre sa Ginevra… Mais ce
projet se brisa brusquement.

Le décès de Giovanni Battista Vivaldi, 14 mai 1736

Le 14  mai, Giovanni Battista, le père, le tuteur, le compagnon de


toujours, s’éteint, après une longue maladie. Dans le registre des décès de la
paroisse de San Salvador, une église située tout près du pont du Rialto, deux
lignes apparaissent  : «  Monsieur Giovanni Battista Vivaldi de 81  ans,
malade et alité depuis très longtemps, est mort aujourd’hui vers 5  heures.
Depuis deux jours, il souffrait de cathare. Médecin  : l’excellent Santorini.
Ses enfants l’ont fait ensevelir religieusement194. »
 
On a suggéré qu’en automne 1736, le Prêtre roux aurait participé, avec
Carlo Goldoni, à plusieurs spectacles bouffes donnés au théâtre San
Samuele ; il aurait par exemple composé la musique de l’intermezzo intitulé
La Bottega del caffè (La boutique de café) (RV Anh 43). Cette rumeur n’est
pas confirmée  ; il est d’ailleurs peu probable que Vivaldi ait jamais
composé de la musique « comique », pour des intermèdes.
En partie désœuvré, Vivaldi cherche de l’emploi dans le monde des
théâtres d’opéra. Il aura bientôt la soixantaine. Il a envisagé de proposer aux
directeurs de théâtres d’organiser des pastiches, coupant et collant dans ses
propres œuvres, dans celles des autres aussi, choisissant les chanteurs et les
danseurs, les faisant répéter, souvent dans sa propre maison… C’est ce type
de prestation qu’il semble avoir proposé à Ferrare, une ville avec laquelle il
n’avait encore jamais travaillé. Au mois d’octobre 1736, il s’était donc mis
en contact avec l’une de ses relations, le marquis Guido Bentivoglio
d’Aragona, imprésario du Teatro Bonacossi, pour lui offrir ses services.

Le marquis Guido Bentivoglio d’Aragona


Le marquis Guido Bentivoglio d’Aragona, né à Venise en 1705195, avait
étudié à Rome et, dans la même ville, avait commencé sa carrière
ecclésiastique, une vocation à laquelle il avait dû renoncer car son frère
aîné, Ippolito, était décédé prématurément, sans enfants. Pour poursuivre la
descendance, Guido se maria et fonda une famille. Il aimait le théâtre et la
musique, jouait lui-même de la mandoline et se produisait en tant qu’acteur.
Comme ses aïeux qui, les deux siècles précédents, avaient géré les
spectacles représentés à la cour de Ferrare, Guido avait pris la tête du
groupe de nobles qui dirigeaient les deux théâtres de la ville, celui des
comtes Scroffa pour les comédies et celui des comtes Bonacossi, pour les
opéras. Ces deux salles recevaient aussi les contributions de légats et vice-
légats papaux  ; ainsi le Demetrio, le premier opéra auquel collaborera
Vivaldi au Bonacossi, sera dédié au cardinal Agapito Mosca, légat de
Ferrare.
La route d’Antonio Vivaldi avait croisé plusieurs fois celle de Guido. Son
père, le marquis Luigi Bentivoglio d’Aragona, était un habitué de Venise.
On se souvient qu’il avait pris sous sa protection une fille de la Pietà, sans
doute Geltruda. Le 25 mai 1715, Antonio Vivaldi avait écrit au même Luigi
Bentivoglio en lui demandant une avance de14 lire, peut-être pour la
composition d’un motet destiné à cette jeune fille  ; c’est le frère cadet
d’Antonio, Francesco Vivaldi, qui avait encaissé la somme à Ferrare, et
signé le reçu.
Une autre piste est le séjour effectué par Vivaldi à Rome, en 1723-1724.
Dans la cité papale, le compositeur a sans doute rencontré Guido
Bentivoglio, et profité peut-être de son éminent soutien auprès de la curie
romaine… Dans l’une des premières lettres au marquis, datée du
3 novembre, Vivaldi se permet de rappeler à Guido son engagement passé :
«  les très précieuses promesses faites à Rome de m’assurer toujours votre
inestimable patronage… », dit-il.
Un autre lien possible entre Vivaldi et la ville de Ferrare est son
protecteur, Franz Stephan von Lothringen (François-Étienne, duc de
Lorraine). Après de longues fiançailles, le 12  février 1736, le duc de
Lorraine avait épousé la fille de Charles VI, l’archiduchesse Maria Teresa.
À cette occasion, dans les jardins de la maison du résident impérial à
Ferrare, on avait donné une magnifique sérénade, avec soixante exécutants
et quatre solistes, et de somptueux décors. La musique serait (d’après le
livret) composée par plusieurs auteurs ; en tant que compositeur protégé par
Franz Stephan, Vivaldi aurait pu apporter sa contribution à cette fête
musicale. À cette sérénade avaient aussi participé des chanteurs de son
entourage  : Maria Giovanna Gasparini que l’on avait entendue à Vérone,
puis dans la Griselda à Venise  ; Lucia Lanzetti (ou Lancetti), l’une des
interprètes principales de la saison d’automne 1727 au Sant’Angelo (la
contralto avait chanté le rôle-titre dans Farnace puis dans Orlando), une
parente de Daniele Lanzetti, un agent théâtral actif à Venise qui fera
l’intermédiaire entre Vivaldi et Bentivoglio lors du carnaval 1737.

La correspondance entre Guido Bentivoglio et Antonio Vivaldi

La collaboration de Vivaldi avec le Teatro Bonacossi durera trois années


et donnera lieu à une correspondance abondante, souvent houleuse, avec le
marquis Guido Bentivoglio d’Aragona. La plus grande partie de ces lettres
sont aujourd’hui conservées à Ferrare, aux Archives d’État, avec les autres
documents provenant de la famille Bentivoglio. Les missives datent des
années 1736-1739 ; elles concernent quatre opéras : Demetrio et Alessandro
nelle Indie (janvier-février 1737) ; Siroe re di Persia (janvier  1739) et une
reprise du Farnace, un opéra prévu pour le 7  novembre 1739, qui ne sera
pas représenté. Les lettres envoyées par Vivaldi à Bentivoglio sont
conservées dans le «  Codex des lettres de plusieurs envoyées au marquis
Guido Bentivoglio d’Aragona196  »  ; les lettres écrites par Guido
Bentivoglio aux collaborateurs du théâtre (parmi lesquels figure le nom de
Vivaldi) ont été transcrites dans un copie-lettres : « Registre des lettres du
marquis Guido Bentivoglio d’Aragona197 ».

L’Olimpiade et la Ginevra, deux reprises avortées

Antonio Vivaldi avait écrit à Guido Bentivoglio le 20  octobre 1736. La


lettre est perdue, mais la réponse rédigée par le marquis permet d’imaginer
le contenu de la missive provenant de Venise. Bentivoglio informe Vivaldi
que l’abbé Giuseppe Maria Bollani, auquel les nobles de Ferrare venaient
de confier la gestion de la saison du carnaval 1737 au Teatro Bonacossi,
allait se présenter bientôt à Venise, afin de négocier les conditions du
contrat :
Monsieur l’Abbé Bolani, en sa qualité d’imprésario de l’Opéra qui va
être représenté ici, s’est rendu à Venise spécialement pour pouvoir en
discuter et négocier à ce sujet. Vous pourrez donc le rencontrer aisément et
vous mettre d’accord avec lui, sachant qu’il se présentera aussi chez
Madame Girò. Vous aurez ainsi tout le loisir de vous voir et de vous
entendre concernant les questions pressantes évoquées dans votre lettre du
20 courant, car c’est à l’imprésario qu’il revient de décider sur ce sujet
Ferrare, le 28 octobre 1736198.
Vivaldi écrit le 3 novembre :
Excellence,

Votre très grande bienveillance me conforte dans la pensée que vous


avez gardé en mémoire les très précieuses promesses faites à Rome de
m’assurer toujours votre inestimable patronage. Je vous confesse que la
venue de M. l’Abbé Bolani m’a surpris et réjoui à la fois. Je n’ose même
pas vous remercier afin de ne pas amoindrir la peine que vous avez prise ;
d’ailleurs, ma pauvre plume ne saurait exprimer toute la gratitude que je
vous dois. J’espère vivement que vous pourrez constater, par
l’intermédiaire de M.  l’abbé, que je n’ai eu de cesse de vous témoigner
mon humble obéissance en mettant sur pied un opéra excellent. J’avoue
que nous avons réussi à réunir une compagnie de haut niveau ; depuis bien
des années, on n’en a pas vu d’aussi bonne sur les scènes de Ferrare, en
période de carnaval. La plupart des chanteurs se sont déjà produits à
plusieurs reprises dans les meilleurs théâtres, et chacun d’entre eux est
doté de ses propres qualités. Sur ma parole d’honneur, je peux vous
assurer que vous serez très bien servi et pleinement satisfait avant même
d’avoir entendu la troupe. Après avoir refusé de mettre en scène le
troisième opéra au San Cassiano pour la somme de 90 sequins, on m’a
finalement accordé mon cachet habituel de 100 sequins, afin de s’assurer
ma collaboration. Ferrare aura donc deux opéras dont on croira qu’ils ont
été composés spécialement pour cette circonstance, même si je les ai
adaptés et remaniés pour la modeste somme de six sequins par opéra, ce
qui est la rémunération d’un copiste. Je n’ai accepté ce sacrifice que par
égard pour votre très bienveillante médiation.
Je regrette de ne pouvoir venir personnellement. J’en suis empêché par
l’opéra du San Cassiano. Quoi qu’il en soit, si cela est possible, à la fin du
carnaval, je serai aux pieds de V. E.
Madame Anna Girò vous transmet ses très humbles respects  ; et
puisqu’elle à l’honneur de venir à Ferrare, elle vous supplie de lui
accorder votre très efficace protection.
En ce qui me concerne, déjà comblé par toutes vos faveurs, il ne me
reste qu’à imaginer comment exaucer la plus petite et la plus précieuse de
vos requêtes […].
Venise, le 3 novembre 1736.
Antonio Vivaldi199.

Vivaldi fait référence à une proposition que lui aurait faite le théâtre San
Cassiano à Venise. Le compositeur cherche-t-il à démontrer à Guido qu’il
est déjà très occupé, et cherchait-il à lui communiquer, de façon indirecte, le
cachet reçu habituellement pour la composition d’un opéra  ? Nous ne
connaissons aucune collaboration de Vivaldi avec ce théâtre. Depuis près de
quarante ans, le San Cassiano était géré par l’héritier de la famille Tron,
Francesco  II200. Il avait été un théâtre prestigieux, mais l’édifice était
désormais très vieux ; il connaissait des hauts et des bas. Au carnaval 1737,
on y donne toutefois le Demetrio de Hasse avec Lucia Lancetti, Pietro et
Teresa Baratta, le père et la fille (Teresa avait, on s’en souvient, chanté dans
la Ginevra, à Ferrare, et son père avait négocié son contrat avec Albizzi).
Le second opéra au San Cassiano était le Lucio Papirio de Nicola Porpora.
Tron aurait-il, comme le laisse croire Vivaldi, fait appel au Prêtre roux pour
le troisième opéra ? Dans une prochaine missive, datée du 29 décembre, on
comprendra que Vivaldi avait proposé de faire représenter à Ferrare deux de
ses opéras, L’Olimpiade de 1734 et la Ginevra principessa di Scozia de
Ferrare  ; deux reprises pour lesquelles il acceptait, dit-il, un cachet fort
léger  puisqu’il ne s’agissait que d’adapter les partitions précédentes à la
nouvelle troupe. C’était aussi l’occasion d’y présenter Anna Girò. Mais les
événements vont tourner autrement…
La préparation du Demetrio de Johann Adolf Hasse201

Dans la lettre suivante, il apparaît que Vivaldi n’est pas en train de


préparer sa Ginevra mais une autre partition, le Demetrio, et qu’il fait lui-
même répéter les chanteurs, avant leur départ pour Ferrare. Le Demetrio de
Metastasio, mis en musique par Johann Adolf Hasse, avait été représenté à
Venise, au carnaval 1732. Faustina Bordoni avait chanté le rôle de Cleonice,
qu’Anna Girò reprendra à Ferrare. Le célèbre castrat alto et pédagogue de
Bologne, Antonio Bernacchi, y était Alceste – à Ferrare, il sera chanté par
la soprano Rosa Cardini dite la Dolfinetta. La soprano florentine Rosa
Mancini, virtuose de la duchesse de Parme, doit, pour sa part, reprendre le
rôle de Barsene, tenu à Venise par la contralto Barbara Stabili. Le rôle de
Fenicio, chanté à Venise par le ténor Antonio Barbieri (l’un des interprètes
les plus fidèles de Vivaldi), sera interprété cette fois par Giovanni Pupilli ;
la contralto Elisabetta Moro doit, quant à elle, reprendre le personnage
d’Olinto incarné à Venise par le castrat alto Giuseppe Appiani. Et la
soprano Diamante Gualandi interprétera le rôle de Mitrane, chanté à Venise
par la contralto Anna Caterina Della Parte. Ce qui signifie pour Vivaldi une
série d’adaptations fastidieuses, sur une partition dont il n’est pas le
compositeur. Le projet initial a donc changé ; désormais, cette collaboration
avec Ferrare n’est plus qu’une source de mécontentements que les formules
de politesse envers le marquis Bentivoglio ont bien du mal à masquer…
Pour la première fois, on entend parler de Daniele Lanzetti, l’agent théâtral
qui fait l’intermédiaire entre Vivaldi et l’imprésario de Ferrare, l’abbé
Bollani.
 
Le 24 novembre 1736, Vivaldi écrit :
Excellence

L’honneur que j’éprouve à exécuter votre commande très estimée m’a


encouragé à me consacrer totalement à l’opéra de Ferrare. J’ai appris par
M.  Lanzetti que monsieur l’imprésario s’est trompé en pensant que le
contrat devait être signé dans les seize jours  ; il a oublié que le contrat
avec [Rosa] Mancini devait être signé à Venise, et non pas à Ferrare, avant
de m’être remis. Je peux vous rassurer que la Mancini est une virtuose qui
confère du panache à la compagnie  ; en revanche, la Moscovita [Lucia
Panichi] et Natalizia [Bisagi] sont des débutantes et ne conviennent que
pour des rôles secondaires. M. Lanzetti va lui envoyer aujourd’hui même
sa partie pour le premier acte afin qu’elle puisse préparer son rôle ; tout le
monde regretterait en effet que celle-ci affaiblisse cette bonne compagnie.
Tous les rôles du Demetrio ayant été chamboulés, l’ensemble est devenu
incohérent. J’ai donc décidé de réécrire tous les récitatifs et de donner
plusieurs de mes arias aux chanteurs. Le premier acte est déjà prêt et tous
les musiciens auront en main leur partition avant de quitter Venise.
Je souhaiterais disposer de plus d’éléments  ; ainsi je me ferai un
honneur encore plus grand de vous donner satisfaction. Soyez assuré que
la plus grande gloire sera, pour moi ainsi que pour Madame Girò, de
pouvoir vous servir, avec le plus profond respect.
Antonio Vivaldi

Venise, le 24 novembre 1736202.


Il Demetrio est représenté au Teatro Bonacossi de Ferrare le jour de la
Saint-Stéphane, c’est-à-dire le lendemain de Noël 1736 (RV Anh. 44). C’est
un pastiche formé d’arias de Johann Adolf Hasse et d’Antonio Vivaldi.
Anna Girò y chante à nouveau l’aria pathétique «  Ho il cor già lacero  »,
qu’elle avait interprétée la première fois à Venise dans la Griselda, puis
repris à Ferrare dans la Ginevra.

L’Alessandro nelle Indie de Johann Adolf Hasse

Antonio Vivaldi s’attelle maintenant à la préparation du second opéra,


qui sera représenté en janvier. Une fois encore, il s’agit d’une partition de
Johann Adolf Hasse sur un livret de Metastasio, l’Alessandro nelle Indie,
qui venait d’être représenté à Venise, au théâtre San Giovanni Grisostomo,
lors du carnaval 1736203. Vittoria Tesi y interprétait le rôle de Cleofide,
que s’apprête à reprendre Anna Girò. Cette fois, tous les chanteurs sont sur
place, à Ferrare : donc pas question de les faire répéter à Venise !
Antonio Vivaldi écrit à Bentivoglio le 26  décembre, c’est-à-dire le jour
où a lieu la première du Demetrio. En cette fin d’année, il commence par
présenter ses vœux à Guido, puis il évoque ses difficultés :
Excellence

Je ne m’adresse pas à vous seulement pour respecter le vieil usage de


ceux qui n’envoient des vœux de bonheur qu’une fois l’an, mais pour vous
exprimer humblement mon affection, en souhaitant que Dieu emplisse
éternellement votre très honorable Maison de ses Bénédictions. J’imagine
que l’opéra [Demetrio] a été mis en scène et qu’il a eu du succès, ce que
j’espère de tout cœur. J’envoie aujourd’hui le premier acte [d’Alessandro
nelle Indie] qui est terminé et prêt à être copié. Pour l’améliorer, je dois y
apporter un léger changement de quelques vers ; aussi, je prends la liberté
de vous l’indiquer ci-joint, afin que vous puissiez, en votre qualité
d’éminent connaisseur, l’examiner vous-même. Si je l’envoyais à
l’imprésario, il se mettrait en colère. Il semble que cette année sera celle
des imprésarios incompétents. C’est le cas de ceux du San Cassiano, de
ceux du Sant’Angelo, ainsi que de ceux de Brescia  ; quant à celui de
Ferrare, je préfère ne pas en parler…
Je ne trouve pas les mots pour exprimer l’ardent désir que j’éprouve de
me rendre à Ferrare, ne serait-ce que pour rendre hommage à V. E.
Auriez-vous l’amabilité de me dire si vous prenez toujours du plaisir à
jouer de la mandoline  ? Je prie la bonté innée de V.  E. de continuer à
m’assurer son bienveillant patronage afin que je puisse encore lui
exprimer toute ma vénération.
Antonio Vivaldi

Venise, le 26 décembre 1736204.

Trois jours plus tard, le 29  décembre, une nouvelle lettre arrive chez
Guido Bentivoglio. Antonio Vivaldi est excédé. Ses conflits avec
l’imprésario de Ferrare, Giuseppe Maria Bollani, et avec l’agent théâtral
Daniele Lanzetti ont dépassé les bornes. Le Prêtre roux raconte comment il
a dû aller chercher la partition de l’Alessandro nelle Indie de Hasse chez
Michele Grimani, le propriétaire du théâtre San Giovanni Grisostomo, les
revirements incessants de Bollani, les frais de copie qu’il a dû supporter, la
peine qu’il éprouve à se faire rembourser…
Excellence
Les sentiments très distingués que V.  E. exprime dans sa missive
révérée me montrent que vous ne m’avez pas oublié. Ce n’est qu’une
manifestation de votre bienveillance et un signe de votre générosité. Je
n’exprimerai pas plus longuement mon plaisir afin de ne pas vous
déranger davantage. Je vous prierai seulement de bien vouloir considérer
un petit problème qui m’arrive et que j’ai tenté le plus longtemps possible
de résoudre par moi-même.
Le révérend abbé Bollani s’est présenté chez moi à l’improviste et m’a
fait promettre de travailler à deux opéras, la Genevra (sic) et l’Olimpiade,
en réécrivant les récitatifs pour sa troupe, en échange de la modeste
somme de 6 sequins par opéra. De retour à Ferrare, celui-ci m’a harcelé
afin que je termine immédiatement la Genevra. J’ai adapté aussitôt
l’original et fait transcrire les partitions que j’envoie à V.  E., comme
preuves  ; celles d’[Elisabetta] Moro et du ténor sont encore en leurs
mains. Je n’avais pas encore terminé cette tâche que voilà un contre-
ordre : on me dit que les Cavaliers [de Ferrare] ne veulent plus la Genevra
mais le Demetrio. Je suis allé chercher la partition à Cà Grimani afin de la
faire copier et découvre que, parmi les six rôles, cinq devaient être
modifiés, car aucun des récitatifs ne convenait. Malgré tout (vous
remarquerez ma bonne volonté), je commence à réécrire tous les récitatifs.
Après avoir arrangé à la perfection le Demetrio, je fais copier les parties
des chanteurs et des instruments, j’ordonne à tous de les apprendre par
cœur, j’organise trois répétitions et conclus le tout comme il se doit. Il ne
pourrait être question de refaire un tel cadeau pour le deuxième opéra ! Je
dois vous informer que, outre les 6 sequins, je me suis entendu avec
Monsieur l’imprésario, pour qu’il finance toutes les copies des parties
vocales et instrumentales. Après tout cela, je l’informe que j’ai dépensé 50
lire pour les copies des partitions vocales et instrumentales de Genevra et
Demetrio, alors que l’imprésario avait calculé un coût de 30 lire pour un
seul opéra. Entre-temps, bien que j’aie envoyé une dizaine de rappels à
Bollani pour qu’il ordonne à ce Lanzetti de me verser les 20 lire restantes,
ce dernier a fait la sourde oreille. À la place, il m’a adressé plusieurs
lettres pour que je lui fasse parvenir l’Olimpiade. De mon côté, j’arrange,
ou plutôt j’abîme mon original en lui apportant des corrections. Je fais
copier, sous mes yeux, plusieurs rôles sans que celui-ci me l’ait demandé,
jugeant qu’il y a allait de son intérêt, vu la qualité de ces copistes [par
rapport à ceux de Lanzetti], et voilà un nouveau contre-ordre : il ne veut
plus l’Olimpiade, mais plutôt l’Alessandro nell’Indie. De plus, il a eu
l’idée ridicule de demander à S. E. Michele Grimani d’envoyer la partition
originale [de Hasse] à Ferrare afin que celle-ci y soit recopiée, chose
qu’un imprésario normal ne ferait jamais. S’agissant d’un original
précieux, je vous assure que, pour l’obtenir, il a fallu toute la pression dont
est capable M. Pietro Pasqualigo ; et à la seule condition que celle-ci soit
transcrite immédiatement par le copiste choisi par l’imprésario pour le
prix de trois sequins. L’original a donc été retranscrit et payé. Tous les
récitatifs ont été adaptés et sont prêts pour la copie. Mercredi, je n’avais
envoyé de Venise que les lettres. Puis j’ai décidé de me faire violence et
d’envoyer au moins le premier acte, qui m’a coûté quatre lire. Je l’ai fait
parvenir aussi à Madame Girò par l’intermédiaire de M.  Bertelli, afin
d’épargner le coût de l’envoi. Je vous ai aussi expédié le second acte, puis,
mercredi, le troisième. M. l’imprésario voulait le faire arranger [à Ferrare]
pour épargner trois sequins sur la copie, ce que je n’ai pas permis. Par
conséquent M. l’imprésario me doit 6 sequins et 20 lire. Que V. E. juge si
j’ai démérité, après avoir arrangé quatre opéras au lieu de deux, réécrit
tous les récitatifs et avoir exécuté tout ce que demandait cet imprésario, en
en supportant les frais. Ce monsieur ne connaît pas son métier
d’imprésario et ne sait ni quand il faut dépenser, ni quand on peut
épargner. S’il avait réuni toute la troupe dans ma maison, d’abord il
n’aurait pas eu ce ténor [Giovanni Pupilla], ensuite, il aurait épargné 150
écus. Mais il a voulu rester fidèle à Lanzetti, qui n’a d’autre objectif que
de contenter la Becchera. Il a fait erreur, car Isola e Compagno ne
méritaient pas cet argent. Après Pâques, je serai en ce qui me concerne
engagé dans une entreprise importante, et à juste titre. Pardonnez-moi
pour ce long dérangement. Je demeure votre humble serviteur.
Antonio Vivaldi

Venise, le 29 décembre 1736205.

Guido Bentivoglio répond :


Je vous remercie pour vos vœux que je vous retourne en vous
souhaitant le même bonheur. J’ai vu et étudié les remaniements que vous
avez apportés à l’Alessandro ; il me semble que cela fonctionne bien, et je
ne peux donc que les approuver. Je crois moi aussi que c’est l’année des
imprésarios incompétents. En tout cas, cela semble le cas pour notre
imprésario. Mon plaisir de jouer de la mandoline se résume à une fois par
an, et parfois même l’année s’écoule sans que j’en joue. Je serai ravi de
vous revoir, comme vous me le laisser espérer.
Ferrare, le 30 décembre 1736206.
Le 2  janvier 1737, Antonio Vivaldi envoie le troisième acte de
l’Alessandro nelle Indie. Le temps presse car l’opéra doit être représenté
dans les jours qui suivent :
Excellence,

Comme convenu, j’envoie à M. Bertelli le troisième acte [d’Alessandro]


pour qu’il vous le remette personnellement. J’imagine que vous avez déjà
reçu le deuxième, expédié samedi dernier. Je sollicite votre bienveillance
afin que vous usiez de votre autorité pour que M.  l’imprésario verse au
plus vite et en mains propres les 6 sequins que l’on doit à Madame Girò
ainsi que les 20 lire que j’ai avancées aux copistes et qui me sont dues. On
dit que l’opéra [Demetrio] est trop long. Il était prévisible qu’un opéra de
quatre heures ne convenait pas à Ferrare. Au moment de composer les
récitatifs, j’avais proposé de les abréger, mais ce Lanzetti m’en a
empêché, suite à un ordre de l’imprésario.
V.  E. aura constaté que j’avais raison concernant [Rosa] Mancini, et
vous conviendrez que la Moscovita n’est que l’ombre de la première. Nos
théâtres vont toujours mal. Je suis sollicité pour la composition d’un opéra
au San Cassiano, pour lequel on m’offre le cadeau de 100 sequins ; mes
patrons et moi-même avons refusé car ce théâtre est mal géré, le prix du
billet d’entrée est élevé et on ne peut se fier aux propriétaires sans mettre
en péril sa réputation.
Je supplie V. E. de poursuivre son patronage vénéré […]
Antonio Vivaldi
Venise, le 2 janvier 1737207.

Quelques jours plus tard, Guido Bentivoglio reçoit une lettre, datée du
9  janvier, de l’agent théâtral à Venise Daniele Lanzetti qui dit soutenir
Vivaldi dans sa démarche et affirme que le compositeur a en effet endossé
des frais supplémentaires. Toutefois, le 12 janvier… coup de théâtre ! Dans
une autre lettre à Bentivoglio, Lanzetti affirme que c’est sous la menace que
Vivaldi l’aurait contraint à écrire la missive précédente. Il retire donc tout
ce qu’il a écrit à Bentivoglio trois jours plus tôt208.
 
L’Alessandro nelle Indie n’en est pas moins représenté au Teatro
Bonacossi de Ferrare en janvier  1737. Le livret est dédié à l’épouse de
Guido Bentivoglio, Dona Licinia Martinengo Bentivoglio d’Aragona. La
musique est dite «  De M.  Johann Adolf Hasse dit le Saxon et d’autres
auteurs célèbres  ». Comme pour le Demetrio, on ne conserve aucune
partition de cette représentation de Ferrare. Le livret ne comporte pas plus
de cinq arias de Vivaldi. Ont été intégrées à la partition originale de Hasse
plusieurs arias des Napolitains Domenico Sarro et Pergolèse. On y retrouve
par exemple l’aria de Sarro «  L’onda che mormora  », qui fut adaptée au
texte de l’aria «  Non è dell’anima  »209. Bien peu gratifiante, la tâche de
Vivaldi fut surtout d’adapter la partition vénitienne à la troupe engagée à
Ferrare  : Anna Girò, qui reprend le rôle de Cleofide chanté à Venise par
Vittoria Tesi, ne reçoit que quatre arias  ; Rosa Mancini, qui plaît tant à
Vivaldi, chante le rôle interprété à Venise par Margherita Giacomazzi
(Erissena), une artiste aux grandes capacités techniques qui, à Vérone, avait
repris des arias de Farinelli et qui avait aussi chanté dans la Griselda. Il
fallut aussi adapter le rôle masculin de Poro, qui avait été chanté à Venise
par le castrat Antonio Castori, pour Rosa Cardini  ; la contralto Elisabetta
Moro reprit le rôle d’Alessandro conçu initialement pour le ténor Angelo
Amorevoli  ; le ténor Giovanni Pupilli incarna quant à lui Gandarte (une
partie destinée au castrat soprano Lorenzo Saletti)  ; la soprano Diamante
Gualandi reprit le rôle de Timagene, écrit par Hasse pour la contralto Anna
Caterina Della Parte.
Il Farnace, Trévise, 1737 (RV 711-F)

En ce même début d’année 1737, on présente à Trévise, au Teatro Dolfin,


le Farnace d’Antonio Vivaldi210. Cette reprise est une production toute
féminine ! Margherita Franchi, demande leur soutien aux « nobles dames »
de Trévise, auxquelles elle dédie ce poème :
Afin de vous faire terminer cette saison agréablement et toute en
harmonie, gentilles Dames du Sile [rivière de Trévise], nous vous
présentons ce nouveau Drame, ce Livret. Si vous appréciez notre cadeau,
avec ce noble cœur qui vous fait cultiver la grâce et la courtoisie,
soutenez, nous vous en prions, notre compagnie, qui vous présente ses
humbles respects. Quand nous atteindrons la mer Adriatique, nous
chanterons votre nom sur chacun de ses rivages, puisque vous nous aurez
soutenues avec tant de générosité. D’une voix forte et chaleureuse nous
dirons  : «  Allez au bord du Sile  ! Notre exemple prouve que là-bas on
connaît le véritable honneur. »
La troupe est dirigée par Marherita Franchi (une soprano, qui chante le
rôle de Tamiri), ainsi que par le neveu de Vivaldi, Pietro Mauro, «  dit le
Vivaldi  », qui dirigera aussi une reprise de l’Orlando furioso, à Este, en
1740, ainsi que dans la petite ville de Bassano, en 1741, avec la même
Margarita Franchi211. Plus tard, il sera copiste de musique, comme son
frère cadet Daniele.
Cette reprise donnée à Trévise est une version abrégée du Farnace de
1727, auquel Vivaldi lui-même aurait intégré des arias de Hasse et de
Giacomelli. La musique n’a pas survécu.
 
Cette première collaboration avec Ferrare se solde donc, pour Vivaldi,
par une série de déceptions ; il n’a fait que servir la gloire de son confrère
germanique, Johann Adolf Hasse, dont le pouvoir va grandissant, tant à
Venise que dans toute l’Italie. La notoriété d’Antonio Vivaldi s’est pourtant
étendue à l’Europe entière, comme nous l’avons vu  : en France, où
plusieurs de ses concertos les plus célèbres sont joués chaque année au
Concert spirituel et où l’éditeur Charles-Nicolas Le Clerc a gravé ses Opus
3, 8 et 1 et où le joueur de musette Nicolas Chédeville le plagie, ce qui
montre bien que le nom de Vivaldi est attaché à une garantie de qualité et de
succès commercial. À Vienne, au théâtre du Kärntnertor, on commence à
jouer ses opéras : La Fida Ninfa (sous le titre Il Giorno felice) au carnaval
1738, puis, l’année suivante, La Candace. En Angleterre, où des amateurs
lui achètent des manuscrits.
 
Revenons à Ferrare, où le marquis Guido Bentivoglio d’Aragona semble,
pour sa part, las des querelles que se livrent Antonio Vivaldi, Giuseppe
Maria Bollani et Daniele Lanzetti ; fatigué aussi des questions matérielles et
financières évoquées continuellement dans ses courriers par le compositeur
vénitien. Dans une lettre polie, mais brève et formelle, le marquis écrit au
Prêtre roux :
Je n’ai presque rien fait à l’intention de Mesdames Girò. J’ai eu
pourtant, et ai encore le vif désir de faire quelque chose, afin de leur
exprimer l’estime que j’ai pour leurs qualités. Ne me remerciez pas pour
la très faible attention que j’ai eue cette fois-ci à leur égard. En ce qui
concerne votre venue dans les parages, je serai ravi de vous revoir, mais
ne prenez pas la peine de vous déranger spécialement […].
Ferrare, le 17 mars 1737212.
Ce courrier clôt la première période de la correspondance entre Antonio
Vivaldi et le marquis Guido Bentivoglio d’Aragona.

34

 Le dernier séjour à Vérone

 (printemps 1737)

« Après Pâques, je serai pour ce qui me concerne engagé dans une


entreprise importante, et à juste titre ! », avait-il glissé, entre deux
lignes, à Guido Bentivoglio d’Aragona et sans donner de précisions
sur cette « entreprise importante » dans laquelle il venait de
s’impliquer. Exprimée sur un ton légèrement fanfaron et
revanchard, vu les difficultés vécues à Ferrare, cette phrase faisait
sans doute allusion au prochain opéra que le compositeur allait
présenter à Vérone, Il catone in Utica.
 
Avec La Fida Ninfa, Vivaldi avait participé, en 1732, à
l’inauguration du prestigieux Teatro Filarmonico. En janvier 1734,
il y avait eu un projet resté sans suite d’un Lucio Vero. Au cours du
carnaval 1735 ; il avait assuré une double fonction, d’imprésario et
de compositeur, pour deux créations : Tamerlano (ou Bajazet) et
Adelaide, un opéra dans lequel il s’était exprimé en farouche
patriote vénitien. Sans mâcher ses mots, il avait accusé une partie
de la population de Vérone de se tourner du côté de l’Empire,
trahissant la fidélité due à la République Sérénissime. Le prochain
opéra que Vivaldi s’apprête à donner à Vérone, Catone in Utica,
par son sujet (le suicide du Républicain Caton face à la dictature de
César), ne sera pas non plus exempt de références à l’actualité
politique… Catone in Utica est le quatrième opéra composé par
Vivaldi pour Vérone. Il s’agit du troisième et dernier séjour
effectué par le Prêtre roux dans cette ville.

Catone in Utica, Vérone, printemps 1737 (RV 705)

Plusieurs sources prétendent que l’opéra aurait été représenté le 26 mars.


Toutefois, dans la lettre au marquis Bentivoglio datée du 3  mai, Vivaldi
parle de «  six représentations  »  ; la première du Catone in Utica pourrait
donc avoir eu lieu fin avril, puis les représentations se seraient poursuivies
au début du mois de mai. Sur le frontispice du livret, on lit : « Pour la Fête
de Mai 1737 »213.
Le texte du drame est imprimé à Venise. Signée par l’imprésario
Girolamo Moro, la dédicace est adressée au patricien vénitien Almorò
Barbaro, gouverneur et podestat de Vérone. Plusieurs artistes qui participent
à cette production sont issus du milieu vénitien  : Gaetano Testagrossa qui
dirige les ballets, et Natale Canziani, qui réalise les costumes. Vivaldi y
paraît avec son double titre  : maître de chapelle de chambre du duc de
Lorraine, et attaché à la Pietà. Les scénographies sont attribuées à
Francesco Bibiena. Ce sont probablement des éléments de décors puisés
dans le magasin des Académiciens, qui avaient déjà servis dans
L’Adelaide : au premier acte, une « Vue à l’intérieur des murs d’Utique et
sur une partie de la ville, fermée par un pont-levis, qui est ensuite abaissé ;
puis un jardin à côté des appartements de Catone  »  ; à l’acte  II  :
«  Magnifique atrium. Retraite de Catone  ». Dans le livret original de
Metastasio, on avait  : «  Logements militaires sur les rives de la rivière
Bagrada avec plusieurs îles reliées entre elles par des ponts ». À l’acte III,
un « Bois avec des arbres entourant la source d’Isis. Hall ». Dans le livret
de Metastasio, la végétation est plus foisonnante et les architectures décrites
dans les didascalies font penser aux Capricci de la peinture vénitienne de
cette époque, ainsi qu’à Piranese : dans la première version, à la scène 5 :
«  Aqueducs antiques transformés en routes souterraines qui conduisent
depuis la ville à la mer, avec une porte fermée d’un côté du décor » ; puis,
dans la révision  : «  Lieu ombragé entouré d’arbres avec la source d’Isis
d’un côté, de l’autre, entrée ouverte conduisant aux aqueducs romains ». À
la scène 11 : « Grande place d’armes à l’intérieur des murs d’Utique » ; la
forteresse d’enceinte partiellement brisée suggère la fragilité de la
résistance offerte par Caton contre l’armée de César. Ensuite  :
« Campement de César et de ses soldats hors de la ville, avec pavillons et
tentes militaires » ; ce décor sert de toile de fond à la prise d’assaut, puis à
la victoire de César et de ses soldats contre Catone.
 
Il est possible que Vivaldi, imprésario de la saison, ait formé lui-même la
compagnie des chanteurs214  : Anna Girò est Marzia, fille de Catone,
secrètement amoureuse de Cesare  ; le confident Fulvio, envoyé du Sénat
romain auprès de Catone, du clan de Cesare, amoureux d’Emilia  : la
contralto Elisabetta Moro, spécialisée dans les rôles masculins. Comme
Anna, elle venait de chanter à Ferrare dans le Demetrio. La soprano Maria
Giovanna Gasparini, qui avait chanté dans La Fida Ninfa en 1732,
interprète le rôle d’Emilia, veuve de Pompeo ; le jeune ténor Cesare Grandi
(engagé également au théâtre Sant’Angelo en 1736-1737) chante le rôle de
Catone  ; le castrat Lorenzo Girardi celui de Cesare  ; le castrat Giacomo
Zaghini est Arbace, prince royal de Numidie, ami de Catone et amoureux
de Marzia (à cette date, il est cité comme un artiste de la margravine de
Brandebourg-Bayreuth Friederike Sophie Wilhelmine).
 
Voici le sujet du Catone in Utica, tel qu’il est relaté par Metastasio dans
le livret original, et repris dans l’Argomento du livret de Vérone. « Après la
mort de Pompée, son adversaire, Jules César, s’était imposé comme
dictateur. Il était vénéré non seulement par le Sénat romain, mais aussi par
le reste du monde, sauf par le sénateur Caton le Jeune – qui, plus tard, sera
appelé Caton d’Utique, de la ville où il décéda. Il était très estimé, et
considéré comme un Père de la Patrie, tant pour ses mœurs sobres et
austères que pour sa valeur. Il avait été un grand ami de Pompée, et un
farouche défenseur de la liberté romaine. Avec l’aide de Juba, roi de
Numidie, ami très fidèle de la République, il regroupa à Utique (ville
d’Afrique fortifiée où les derniers Républicains, sous le commandement de
Caton, résistèrent au dictateur) ce qui restait de l’armée de Pompée, et il
chercha à s’opposer à tout prix à la réussite du vainqueur.
César se prépara à l’assaut avec une armée importante. Les forces étant
très inégales, il était sûr d’écraser Caton et les républicains. Mais, comme il
respectait le noble caractère de son rival, au lieu de le menacer, César tenta
de négocier l’amitié de Caton, qui repoussa avec fermeté tout compromis.
Quand il vit que la défense de Rome était sans espoir, Caton voulut mourir
libre et décida de se suicider. À l’annonce de la mort de Caton, César
manifesta une profonde douleur. La postérité hésita à dire s’il fallait admirer
davantage la générosité de César qui porta si haut le respect de ses ennemis,
ou bien la constance de Caton, qui ne voulut pas survivre à sa patrie réduite
en esclavage.
«  Tous ces faits sont historiques (lit-on dans le livret)  ; les autres sont
vraisemblables. Pour les commodités de la musique, nous changerons le
nom de Cornelia, la veuve de Pompée, en Emilie, et celui du jeune Juba, fils
de l’autre Juba roi de Numidie, en Arbace. »
 
On conserve à Turin la partition autographe du Catone in Utica à laquelle
il manque le premier acte215. Le manuscrit est transcrit par Vivaldi de
façon soignée, avec très peu de corrections ; plusieurs changements de mots
ont été effectués de sa plume  ; par exemple dans l’aria «  Se mai
senti spirarti » (II, 4 Cesare), issue de La Clemenza di Tito de Metastasio.
 
Le livret du Catone in Utica avait été écrit à Rome par Metastasio, et mis
en musique par Leonardo Vinci pour le Teatro Delle dame, au carnaval
1728. Il avait été repris à Venise l’année suivante, au San Giovanni
Grisostomo, avec la musique de Leonardo Leo (et un magnifique bouquet
de castrats napolitains, Farinelli, Domenico Gizzi et Nicola Grimaldi). Le
drame figurait aussi dans l’édition des œuvres de Metastasio réalisée par
Bentinelli, à Venise, en 1733.
 
Metastasio s’était fondé sur le Bajazet du comte Agostino Piovene, un
livret que Vivaldi avait déjà mis en musique dans la même ville de Vérone,
deux ans plus tôt. Bajazet fut vaincu par Tamerlano. Après avoir refusé les
compromis politiques que lui proposait Tamerlano, Bajazet fut emprisonné,
mis dans une cage, exposé en public. Les versions divergent : ou Bajazet se
suicide en scène, ou bien hors de la vue des spectateurs, en coulisses. La
problématique est ici la même. Jules César propose à Caton un compromis
politique que Caton, par amour de la République, de la liberté et de sa
patrie, repousse ; il se poignarde.

Deux versions du livret…

Dans la première version de Metastasio, le drame se termine ainsi  : à


l’acte III (scène 10), nous sommes dans le palais de Catone ; Arbace, roi de
Numidie, ami et allié de Catone paraît en scène, l’épée à la main. Il voit la
cause perdue. Catone entre et veut se suicider (« Tout est perdu, il ne reste
pas d’autre espoir que de finir notre vie l’épée à la main »). À la scène 12,
Catone blessé accuse sa fille, qui se jette à ses pieds pour se faire pardonner.
Les démélés entre les deux clans sont particulièrement tendus et agités. À la
fin, Catone entre en scène, mourant, soutenu par sa fille Marzia et par
Arbace. Le souffle entrecoupé, il dit à César  : «  Tu ne verras pas, tyran,
dans ma mort prochaine s’éteindre avec moi la liberté latine  ». Cesare ne
désirait pas cette mort. Il considère le suicide de Catone comme un sombre
présage. Cesare termine le drame par ces mots  : «  Ah  ! si les jours de
Catone doivent me coûter la couronne et le trône, Reprenez ô Dieux la
couronne et le trône » (et il jette le laurier à terre).
Metastasio écrit une seconde version qu’il fait précéder de cet avis  :
«  L’auteur reconnaît qu’il est périlleux de faire entrer en scène le
personnage de Catone blessé, tant en raison de l’esprit délicat du théâtre
moderne peu tolérant sur ce genre d’horreur qui était prisée par les Anciens,
que pour la difficulté de trouver un acteur apte à représenter cela
dignement ; aussi, j’ai changé en grande partie l’acte III de cette tragédie de
la manière suivante216… »
À la scène 5, Emilia, la veuve de Pompée, entre en scène avec des gens
armés. Arrive Cesare. Emilia l’accuse. Puis entre Catone qui se dispute
âprement avec Cesare. Il dit qu’il résistera, qu’il n’acceptera aucun
compromis, et conseille à Cesare de partir. On voit le campement militaire
au bord du fleuve, devant Utique fortifiée ; les soldats de Cesare escaladent
le mur d’enceinte de la ville et partent à l’assaut des militaires dirigés par
Catone. L’armée de Cesare, beaucoup plus forte, l’emporte. Catone apparaît
sur scène tenant son épée cassée. Il prononce un monologue plein de
tourments sur le sort de la liberté et de la patrie ; puis il fait le geste de se
tuer. Marzia, en compagnie de son ami Arbace, entre en scène, désemparée
et en larmes. À la scène 13, on assiste à l’entrée triomphale de Cesare sur
un char, entouré par ses soldats. Marzia annonce la mort de son père ; « Qui
l’a tué ? » demande Cesare ; Marzia répond : « C’est volontairement qu’il
est mort. Catone est battu, cela est vrai, mais Catone il reste. » Comme dans
la première version, Cesare conclut le drame par la phrase  : «  Ah  ! si les
jours de Caton doivent me coûter…  », et il jette la couronne de laurier à
terre.
Qu’il meure en scène ou en coulisses, dans les deux versions le
républicain Catone refuse tout compromis et se donne la mort. Peut-être par
respect pour son futur mécène, Metastasio n’en présente pas moins Cesare
(un personnage emblématique pour Charles  VI) comme un chef humain,
noble et généreux. Dans la deuxième partie de l’aria «  Se in campo
armato » (II, 9), il dit par exemple à Marzia : « De tes larmes, de ta honte,
accuse ton père barbare : le cœur de Cesare est exempt de faute217 ». Plus
loin, encore (III, 13, de la nouvelle version) : « Épargnez la vie de tous les
ennemis ; et avec soin conservez en Catone l’exemple des héros. À moi, la
patrie, à vous l’univers. »

… et une troisième adaptation

Amants et défenseurs des idéaux de la République, les Vénitiens


n’avaient pas aimé le Catone de Metastasio. Le Conseil des X avait même
fait interrompre la récitation du drame dans une maison privée, à
Venise218. À Vérone, on va plus loin encore dans la trahison de la liberté
républicaine puisque Catone ne se suicide pas ; comme Motezuma devant
les Espagnols, il accepte de devenir le vassal d’un dictateur !
« Afin de rendre le Drame plus bref et plus agréable en cette saison de
printemps on omet la mort de Catone », lit-on dans les premières pages du
livret. Pour la fête de printemps, on avait en effet l’habitude de représenter
un spectacle assez court, et plutôt sur le ton de la comédie et du
divertissement. Dans l’opéra de Vivaldi, il ne s’agit pourtant pas de rendre
seulement le drame plus bref et plus léger ; les changements opérés dans la
dramaturgie transforment totalement l’idée de Metastasio et changent le
sens de l’Histoire. Au troisième acte (scène 13), Cesare prononce ces mots :
« Non, Marzia, ne crains rien. Catone vivra, et vivra libre. Ami fidèle, je lui
serai plus que jamais. Je jure d’y renoncer, si tu tiens au laurier. » Et Marzia
répond  : «  Je reviens à la vie219  », une phrase qui n’existe pas chez
Metastasio.
Au final, la version de Metastasio mise en musique par Vivaldi à Vérone
est profondément modifiée. Du livret original, il ne reste plus qu’une
poignée d’arias. Les textes de onze numéros et le chœur final sont étrangers
au livret de Metastasio. À son habitude, Vivaldi a extrait des arias de ses
opéras précédents : la Dorilla in Tempe, la Griselda et surtout de la récente
Ginevra, composée pour Florence.
 
Le succès remporté par Catone in Utica est documenté par Karl Albrecht,
prince électeur de Bavière (futur empereur, avec le titre de Karl  VII) qui,
accompagné de son frère Ferdinand Maria Innocenz, avait assisté à une
représentation de l’opéra. Dans un français incertain, il avait noté quelques
impressions dans son Journal de voyage, à la date du 26 mai :
Étant retourné à nôtre auberge, nous Soupames en Compagnie de
plusieurs Cavaillers [sic], et Dames  ; de la [sic] nous nous masquames
pour aller à L’Opera qui reussit assez bien, un Certin (sic) jeun-homme
[sic] nommée [sic] Lorenzo Girardi fut celui qui se distingua le mieux, le
reste de la troupe étoit mediocre, la Composition de la musique est de
Vivaldi, le livre avoit le nom de Caton, composé anciennement par le
fameux Poëte Metastano [sic], et tout ne laissa pas que de plaire220.
Vivaldi, pour sa part, exulte. Porté par l’enthousiasme, avant même de
quitter Vérone, il reprend contact avec Guido Bentivoglio et lui propose de
monter, à Ferrare, un autre opéra, du même genre, mais sous forme de
pastiche  ; il suggère même de supporter la production au titre
d’imprésario… Voici en quels termes il s’adresse au marquis :
Excellence

Je viens vous renouveler ma très humble et fidèle obéissance. Bien


qu’ici, à Vérone, je n’en conserve pas moins votre très tendre souvenir.
Dieu soit loué, mon opéra est porté aux nues et l’ensemble plaît beaucoup,
tant les musiciens que les danseurs, chacun selon ses mérites. Dans ce
pays on n’aime pas les intermèdes, c’est pourquoi, plusieurs soirs durant,
on ne les a pas joués. Je regrette que V.  E., qui se prépare sans doute à
partir pour Bologne, n’ait pas pu assister à mon opéra. J’aurais aimé qu’il
vous paraisse magnifique. Nous n’avons donné que six représentations et,
tout compte fait, il me semble n’avoir rien perdu, bien au contraire. Grâce
à Dieu, au final, on aura sûrement du bénéfice, et pas mal. Un opéra de ce
genre, mais composé par plusieurs auteurs, pourrait avoir beaucoup de
succès à Ferrare. Mais pas pour carnaval car, pour les seuls ballets, je
pourrais pendant l’été en demander n’importe quel prix, alors que, pendant
le carnaval, ils me coûteraient à moi-même 700 louis. Je suis un libre
entrepreneur, et dans ce genre de circonstance, je paie de ma poche, et n’ai
pas recours aux prêts. Il suffit que V. E. me le demande ou en exprime un
quelconque désir et ce sera un honneur pour moi, l’automne prochain, de
me rendre disponible. Dans l’attente d’un signe précieux de V. E. […]
Vérone, le 3 mai 1737
Antonio Vivaldi221.

Guido Bentivoglio répond deux jours plus tard une missive brève et
sèche, comme pour éteindre en Vivaldi tout espoir d’une nouvelle
collaboration :
Je me réjouis pour vous que votre opéra ait remporté un tel succès. Je
n’ai pas eu le plaisir d’y assister, étant occupé par celui de Bologne.
Sincèrement je ne vous encouragerai pas à mettre en scène cet opéra ici à
l’automne prochain  ; les pronostics ne sont pas bons. En outre, je pense
que, l’automne prochain, je ne serai pas dans mon pays.
Pour l’autre requête, je ferai le nécessaire, autant qu’il m’est possible.
Je reste à votre disposition pour d’autres questions éventuelles.
Veuillez croire en toute mon attention.
PS. Je vous prie de transmettre mes salutations à Mesdames Paolina et
Nina Girò
Ferrare, le 5 mai 1737222.
Il n’y eut pas de reprise de cet opéra. Le Catone in Utica qui sera
représenté par la troupe de Pietro Mingotti à Graz, au théâtre du
Tummelplatz, au carnaval 1740, n’a rien à voir avec Vivaldi, même si Anna
Girò, qui chante cette saison-là à Graz, y interprète le rôle de Marzia223.
 
Catone in Utica est le dernier opéra créé par Antonio Vivaldi pour
Vérone. Il est aussi sa dernière collaboration avec l’Accademia
Filarmonica.
 
Le parlementaire bourguignon Charles de Brosses arrive à Vérone le
25 juillet 1739, c’est-à-dire seulement deux ans après cette représentation. Il
nous laisse un témoignage amusé sur le milieu des Académiciens, sur le
théâtre de Francesco Bibiena…
Cette ville, dit-il, a un amour décidé pour les antiques, et en contient un
assez bon nombre [….] Il faut visiter près de l’Adige les ruines d’une
ancienne naumachie ; mais ce qu’il y a de mieux en ce genre est le recueil
que vient de faire le marquis Scipion Maffei, au devant du théâtre
moderne. […. ] Le théâtre […] est un grand bâtiment qui se présente par
un beau péristyle d’ordre ionique, il n’y a que cela de bon. Au-dessus on a
élevé le buste du marquis Maffei, quoique vivant. […] L’intérieur du
théâtre est composé d’une quantité de salles peu jolies, où l’on tient tous
les jours la conversation, les académies des beaux-esprits, etc. Cette
académie s’assemble fort rarement  : on la nomme des Philarmoniques.
Son institution avait pour but de renouveler la musique ancienne. Les
académiciens devaient savoir jouer du barbitus [sic], de la cithare et du
sistre ; mais, comme beaucoup d’autres académiciens, ils ne font rien de
ce qu’ils devraient faire  ; de sorte que je fus frustré de l’espérance que
j’avais conçue de voir exécuter une cantate dont les paroles seraient de
Pindare et la musique de Timothée… (lettre XII à M. de Blancey).
Plus loin, Brosses ajoute «  On trouve aussi dans le même palais de
l’académie le théâtre effectif de l’Opéra, qui ne vaut pas celui de Mantoue,
mais plus beau cependant qu’aucun qui soit en France224. »

35

 L’interdit du cardinal Tommaso Ruffo.

 Ferrare, automne 1737

Il n’avait pas suffi à Antonio Vivaldi de n’avoir pu faire représenter


ses deux opéras, comme cela avait été convenu, et d’avoir dû, à la
place, arranger deux partitions de son confrère Johann Adolf
Hasse ; il ne lui avait pas suffi non plus d’avoir avancé l’argent aux
copistes et de devoir ensuite quêter les remboursements ; il n’en
avait pas eu assez d’avoir affaire à des agents et à des imprésarios
incompétents… Porté par le succès que venait de connaître, à
Vérone, son Catone in Utica, sans même attendre de rentrer à
Venise, le Prêtre roux s’était précipité sur sa plume et son papier
pour écrire à Guido Bentivoglio d’Aragona, et lui proposer de
prendre en charge personnellement la saison d’automne, au Teatro
Bonacossi de Ferrare.
Lorsque nous reprenons le fil de la correspondance entre Vivaldi et
Guido Bentivoglio, le compositeur est déjà en train d’organiser la
saison de Ferrare (non pas d’automne, comme il l’avait proposé
dans sa lettre du 3 mai 1737, mais du carnaval) et de demander à
Guido d’intervenir auprès de la procuratessa Foscarini, à Venise,
pour l’engagement d’une danseuse.

La procuratessa Elisabetta Cornaro Foscarini

Lors de la préparation du Demetrio, Guido Bentivoglio avait déjà fait


appel à la Procuratessa Foscarini, à Venise, afin que celle-ci «  use de son
autorité » pour faire engager à Ferrare une chanteuse « buffa » déjà retenue
par un imprésario de Mantoue225. Antonio Vivaldi explique à Bentivoglio
pourquoi, cette fois-ci encore, il faudrait faire recours à Elisabetta Cornaro,
l’épouse du procurateur Foscarini :
Excellence

Puisque vous avez eu l’obligeance de me laisser espérer votre


protection pour ma saison à Ferrare, je vous soumets, avec tout mon
respect, une très humble requête. J’ai établi un contrat avec la Coluzzi,
dûment signé par elle, selon lequel celle-ci doit se tenir disponible pour
participer à toutes les répétitions et aux représentations. Je lui ai avancé la
somme exceptionnelle de 100 louis. V.  E. est sans doute informée que
celle-ci s’est enfuie chez son père. Or, elle veut épouser Pompeati, danseur
lui aussi, qui doit se produire au prochain carnaval, à Turin. Il s’agit d’un
individu nocif, naturellement capable de méfaits et de frasques.
Actuellement, on dit ici que la Coluzzi voudrait danser à Venise cet
automne, ce qui me paraît impossible pour diverses raisons  : la
composition des ballets requiert au minimum de 16 à 18 jours ; un ballet
comme celui-ci ne peut être représenté à Venise, car tous les danseurs sont
éparpillés ici et là. Pour les ballets, je me suis déjà adressé à Catenella, un
chorégraphe reconnu, qui a déjà travaillé plusieurs fois avec Madame
Saint-George. Si la Coluzzi danse ici cet automne, les ballets devraient
être répétés en cinq ou six jours, ce qui est impossible. Je sais que S. E. la
Procuratessa Foscarini vous estime beaucoup  ; c’est pourquoi je me
permets de vous demander humblement de me faire la grâce d’adresser à
cette dame une lettre ferme, priant celle-ci de rencontrer la Coluzzi et de
lui imposer de se rendre à Ferrare pour le 2 décembre. J’aimerais surtout
que vous insistiez non seulement sur l’urgence, mais aussi sur le fait que
vous vous portez garant de ma saison. Je prie donc V. E. de bien vouloir
me rendre ce service. Je partirai vers le 15. Avec le plus profond respect
[…]
Antonio Vivaldi

Venise, le 6 novembre 1737226

En été 1739, Charles de Brosses est à Venise ; à plusieurs reprises, il est


invité chez la Procuratessa Foscarini. Dans des lignes ironiques, il nous
montre l’avarice (ou l’indigence) des patriciens vénitiens, à cette époque-
là…
Les Vénitiens avec tout leur faste et leurs palais, ne savent ce que c’est
que de donner un poulet à personne, écrit-il  ; j’ai été quelquefois à la
conversation chez la procuratesse Foscarini, maison d’une richesse
immense, et femme très gracieuse d’ailleurs ; pour tout régal, sur les trois
heures, c’est-à-dire à onze heures du soir de France, vingt valets apportent
dans un plat d’argent démesuré une grosse citrouille coupée en quartiers,
que l’on qualifie du nom de melon d’eau, mets détestable s’il en fut
jamais. Une pile d’assiettes d’argent l’accompagnent ; chacun se jette sur
un quartier, prend par-dessus une petite tasse de café, et s’en retourne à
minuit souper chez soi, la tête libre et le ventre creux (lettre XV à M. de
Neuilly).
Comme le lui avait demandé Vivaldi, Guido Bentivoglio écrit donc à la
très gracieuse Procuratessa, afin d’assurer l’engagement de la Coluzzi à
Ferrare pour la première de l’opéra de Vivaldi : « […] Je tiens à ce que tout
se passe bien, écrit Bentivoglio, car la saison est entièrement sous la
responsabilité de monsieur Vivaldi  ; c’est lui en effet qui vient présenter
l’opéra. Dès le début je lui ai promis mon aide et je ne voudrais en aucune
sorte y manquer […]227. »
Dans la foulée, le marquis avise Vivaldi de sa démarche :
Pour vous porter secours, j’ai adressé une lettre très ferme à
l’Excellentissime Madame la Procuratessa Foscarini ; je l’ai priée de bien
vouloir convoquer la Coluzzi et de lui ordonner de se présenter à Ferrare
au plus tard le 2  décembre prochain. Je souhaite que la lettre produise
l’effet attendu. Je n’ai pas hésité à montrer mon engagement à l’égard de
votre saison et ai souligné que je tenais à ce que tout se déroule pour le
mieux. J’ai transmis à ma sœur, la marquise Lucrezia, vos hommages,
ainsi que ceux de Madame Girò. Elle vous en sait gré. Pour ma part, je
vous assure de mon plaisir à coopérer à votre réussite.
Ferrare, le 10 novembre 1737228.
Trois jours plus tard, le 13  novembre, Elisabetta Cornaro Foscarini
répond à Guido Bentivoglio. Elle a appris que la ballerine en question avait
été engagée par Michele Grimani, propriétaire du théâtre San Giovanni
Grisostomo pour la saison d’automne  : «  Si j’avais été informée de cette
affaire avant que n’ait été fixé le contrat de l’automne, dit-elle, j’aurais pu
sans aucun doute intervenir dans le délai demandé par monsieur Don
Antonio Vivaldi  ; j’userai néanmoins de tout mon pouvoir pour vous
prouver les obligations que j’ai envers vous229. »
Entre-temps, Vivaldi a lui aussi rencontré Michele Grimani. Ce même
13 novembre, alors qu’il est à deux jours de son départ pour Ferrare, il en
informe Guido Bentivoglio :
Excellence

Vous ne cessez de me manifester votre bonté. Je pense qu’à cette heure,


S. E. Madame la Procuratessa a été informée de votre requête urgente. Je
dois cependant vous apprendre que, ces jours derniers, on m’a vivement
invité à laisser la Coluzzi danser au San Giovanni Grisostomo. Les
Grimani se sont déjà entendus avec mon maître de ballets afin qu’il répète
sans la Coluzzi, vu que celle-ci peut se préparer en deux jours. Toutefois,
considérant que V.  E. a bien voulu prendre cette affaire à cœur, j’ai
suggéré à S. E. Michele Grimani de s’adresser directement à vous puisque,
en ce qui me concerne, je m’en remets entièrement à vos vénérées
instructions. Vous pouvez faire comme vous l’entendez, puisque,
indépendamment de la participation de la Coluzzi, j’ai maintenant
l’assurance de pouvoir donner quoi qu’il en soit ma première le jour de
saint Stéphane [26 décembre], une chose que rien au monde ne me ferait
abandonner. Lundi, si Dieu le veut, je me rendrai à Ferrare. Dans cette
attente, veuillez agréer […].
Antonio Vivaldi

Venise, 13 novembre 1737230.

Le 16  novembre, Elisabetta Cornaro Foscarini écrit à nouveau à Guido


Bentivoglio : « Le soir même de mercredi dernier où je vous avais envoyé
la missive précédente, j’ai rencontré monsieur Michele Grimani pour
m’entendre avec lui, comme convenu, au sujet de la danseuse Coluzzi. Il
s’avère que celui-ci avait rencontré le jour même Don Antonio Vivaldi qui
s’est montré tout à fait rassuré, et satisfait de ce que lui dit ce Cavalier.
[…]. » Grimani a fait savoir « qu’il attend de Vienne une danseuse engagée
pour le carnaval  ; si celle-ci arrive avant que les représentations ne soient
terminées, comme il l’espère, elle remplacera la Coluzzi, libérerant ainsi
cette dernière. Vivaldi s’est donc montré tranquillisé par la promesse de Cà
Grimani  ; il l’a sans doute déjà écrit lui-même à V.  E., comme il s’est
engagé à le faire, en comptant sur une issue favorable231 ».
Le 19, le marquis répond à la dame, se référant à la lettre de Vivaldi datée
du 13 novembre :
Je vous suis très reconnaissant de votre démarche auprès du Très
Excellent monsieur Michele Grimani au sujet des inquiétudes de Don
Antonio Vivaldi. Don Antonio vient de m’écrire qu’il accepte de laisser
danser la Coluzzi au San Giovanni Grisostomo, vu que que celle-ci est en
mesure d’apprendre les ballets en deux jours. Puisque Vivaldi peut différer
sa demande, et que la Coluzzi retardera encore un peu sa venue à Ferrare,
l’opéra pourra donc être mis en scène ici au moment convenu ; V. E. peut
donc disposer librement d’elle-même232 ?
L’échec du projet de Ferrare

Vivaldi a enfin obtenu satisfaction à ses demandes. Il aura la Coluzzi


pour la première à Ferrare, le 26 décembre, fête de la Saint-Étienne, jour où
l’on inaugure la saison d’hiver. Ses valises sont bouclées. Il est prêt à partir
pour Ferrare, quand arrive l’imprévisible  : le cardinal Tommaso Ruffo,
archevêque de Ferrare, a fait convoquer le compositeur chez le nonce du
pape, à Venise. On lui a annoncé que sa venue à Ferrare n’était pas désirée.
Désespéré, Vivaldi écrit à Bentivoglio le 16 novembre 1737 ; cette missive
bouleversante est le document autobiographique le plus important que nous
conservions sur le Prêtre roux :
Excellence

Après tant de tergiversations et de tracasseries, voilà que l’opéra à


Ferrare est tombé à l’eau ! Aujourd’hui, Monsieur le Nonce Apostolique
m’a convoqué et m’a ordonné, au nom de Son Éminence Ruffo, de
renoncer à faire représenter mon opéra à Ferrare, pour le simple fait que je
suis un prêtre qui ne célèbre pas la messe et cultive une amitié avec la
Girò. Après un tel choc, V. E. peut imaginer mon état ! J’ai sur les épaules
une somme de six mille ducats de contrats signés pour cet opéra et, à cette
heure, j’ai déjà déboursé plus de cent sequins. Il ne m’est pas possible de
donner l’opéra sans la Girò, car on ne trouve pas sur le marché une telle
prima donna. Exécuter l’opéra sans ma participation n’est pas
envisageable, car je ne veux pas confier à d’autres un tel enjeu. Je suis lié
par ces contrats  ; d’où une mer de problèmes. Ce qui m’attriste le plus,
c’est que Son Éminence Ruffo entache la réputation de ces pauvres dames
[Anna et Paolina Girò], ce que personne n’a jamais fait.
Depuis quatorze ans, nous parcourons l’Europe de ville en ville, et
partout on a apprécié leur honnêteté, y compris à Ferrare. Tous les huit
jours, elles font leurs dévotions  ; ce sur quoi on peut recueillir de
nombreux témoignages dignes de foi. Je ne célèbre plus la messe depuis
vingt-cinq ans et ne la célébrerai pas davantage à l’avenir ; et cela non pas
suite à un ordre ou à une interdiction – Son Éminence peut s’en informer –
mais par choix personnel, en raison du mal dont je souffre depuis ma
naissance, et qui m’opprime.
Après avoir été ordonné prêtre, j’ai célébré la messe un peu plus d’un
an, et puis j’ai dû m’en abstenir  ; en effet, à trois reprises, il m’a fallu
abandonner l’autel sans terminer la messe à cause de mon mal. C’est la
raison pour laquelle je suis presque toujours reclus à la maison et ne sors
qu’en gondole ou en carrosse, car je ne peux pas marcher, étant chétif et
malade des poumons. Aucune personne de qualité ne m’invite chez elle,
pas même notre Prince233, car tout le monde est au courant de mon
malheur. En temps normal, aussitôt après avoir mangé, je sors, mais
jamais à pied. Voici la raison pour laquelle je ne célèbre pas la messe. J’ai
fait représenter des opéras à Rome, trois carnavals durant, sans pour autant
célébrer la messe, et V. E. le sait ; j’ai aussi joué au théâtre ; il est notoire
que Sa Sainteté a aussi voulu m’entendre jouer et m’a fait bien des
compliments. On m’a invité à Vienne ; je n’y ai pas non plus célébré. J’ai
séjourné pendant trois ans à Mantoue avec ces dames, au service du très
pieux prince de Darmstadt, et S.A.S les a toujours considérées avec une
extrême bienveillance ; là-bas non plus je n’ai pas célébré la messe. Mes
voyages ont toujours été très coûteux, car j’ai dû chaque fois me faire
assister par quatre ou cinq personnes.
Tout ce que je peux faire de bien, je le fais à la maison, à ma table.
C’est pourquoi j’ai le loisir de correspondre avec neuf grands Princes, et
mes lettres circulent dans toute l’Europe. C’est la même raison qui m’a
fait écrire à M. Mazzucchi234 pour le prier de mettre à ma disposition sa
maison, sinon je ne pourrais pas me rendre à Ferrare. Bref, tout est la faute
de ma maladie  ; ces dames m’offrent une aide précieuse, car elles
connaissent mes difficultés.
Presque toute l’Europe sait tout cela. Dès lors, je fais appel à votre
bienveillance afin de vous prier de bien vouloir informer Son Éminence
Ruffo ; il doit savoir que cette interdiction me met au bord du gouffre.
Je répète à V.  E. que, sans ma participation, l’opéra à Ferrare ne peut
pas être mis en scène et vous en connaissez les raisons. Si l’opéra est
annulé, je dois le transférer dans un autre pays, ce qui pour le moment
n’est pas prévu, ou bien rembourser tous les contrats  ; par conséquent,
dans le cas où Son Éminence ne voudrait pas changer d’avis, je prierais
V. E. d’obtenir au moins de Son Éminence le Légat de faire suspendre la
saison ; ainsi, je ne serai pas obligé de financer la rupture des contrats.
J’envoie également à V.  E. les lettres de Son Éminence Albani que
j’aurais dû présenter moi-même. Depuis trente ans, j’occupe la fonction de
Maître à la Pietà sans y avoir jamais suscité de scandales.
Je m’en remets à votre très bienveillante protection et humblement […]
Antonio Vivaldi

Venise, le 16 novembre 1737235.

Tommaso Ruffo, archevêque de Ferrare

Personnalité très estimée auprès du Saint-Siège, le cardinal Tommaso


Ruffo avait réussi à donner un archevêché au diocèse de Ferrare. Grâce à
lui, on restaura la cathédrale et on construisit plusieurs édifices (dont
l’archevêché), ainsi qu’un nouveau séminaire. Dans son palais, il constitua
une collection importante de tableaux d’artistes italiens et étrangers. Son
portrait est conservé dans un recueil de gravures d’Andrea Bolzoni, déposé
à la Bibliothèque communale de Ferrare. Vêtu de l’habit de cardinal, il
paraît une cinquantaine d’années et arbore un visage sévère236. Si
Benedetto Marcello à Venise voulait rendre à la musique sa dignité, Ruffo,
lui, désirait relever le niveau du milieu ecclésiastique, fortement dégradé, il
est vrai, au xviiie  siècle. En période de carnaval, les prêtres doivent
«  s’abstenir de se masquer, de stationner auprès des saltimbanques et
charlatans de toutes sortes, de converser et de se montrer à l’extérieur et
dans la rue de façon indécente, d’éviter tout comportement scandaleux,
ainsi que les bals, fêtes et banquets de toutes sortes, sous peine d’une
amende de cinquante ducats…  », lit-on par exemple dans un édit que le
cardinal Ruffo fait publier à Ferrare en août  1738 (probablement la
réédition d’un texte précédent)237.

L’intervention de Guido Bentivoglio

Après avoir lu la longue lettre que vient de lui adresser le compositeur


vénitien, Bentoviglio se rend aussitôt auprès du cardinal Tommaso Ruffo…
Il écrit à Vivaldi :
Malgré mon insistance auprès du Très Éminent Ruffo, je n’ai pas réussi
à le détourner de sa détermination de vous rejeter comme imprésario pour
l’opéra de Ferrare, voire même d’interdire votre présence à Ferrare en
période de carnaval. Il m’a affirmé qu’il ne modifierait pas sa résolution,
même si le Pape en personne le lui demandait  ; il préférerait perdre son
Archevêché plutôt que de changer d’avis ; il pense qu’il est de son devoir
d’agir ainsi. Dès lors, n’espérez pas, par un quelconque moyen que ce soit,
obtenir une suite favorable à votre requête. Quant à l’idée de faire
suspendre l’opéra par le Très Éminent Légat, je ne vois aucune possibilité,
car il n’y a pas de raison suffisamment forte pour qu’il interdise ce qu’il a
déjà approuvé. Pour ma part, je pense que vous pourriez mettre l’affaire
dans les mains de M.  Picchi et lui confier la tâche d’imprésario  ; il a la
réputation d’un homme honnête et serait incapable de vous porter
préjudice. En outre, je me ferai un devoir de l’assister personnellement et
de lui apporter tout l’appui nécessaire. Sincèrement, je pense également
que d’avoir envoyé ici l’abbé Bollani238 a pu faire une mauvaise
impression auprès de Son Éminence, car cet Éminentissime déteste voir
les prêtres se mêler de certaines choses. Voilà ce que je peux vous dire. Il
vous appartient de voir en quoi je peux vous être utile ultérieurement.
Dans cette attente […]
Ferrare, le 20 novembre 1737.
Bentivoglio ajoute ce post-scriptum  : «  Il n’y a pas moyen d’interdire
l’opéra car il faudrait aussi interdire les comédies ; d’une part, il n’y a plus
le temps pour l’interdiction du premier qui est déjà fixé, d’autre part, il n’y
a pas lieu d’interdire les autres sans motif de le faire. Prenez courage et
laissez Picchi en prendre la responsabilité, il sera bien assisté et je ferai tout
pour que vous soyez bien servi et ne subissiez pas de préjudice durant votre
absence239. »

Francesco Picchi, nouvel imprésario à Ferrare ?

La solution proposée par Guido Bentivoglio de confier la saison à


Francesco Picchi ne convient qu’à moitié à Vivaldi, qui répond à
Bentivoglio en ces termes :
Excellence

C’est la volonté de Dieu et je ne peux rien ajouter à vos propos. Le jour


où il m’est passé par la tête de faire représenter des opéras à Ferrare – je
vous le garantis sur ma parole d’honneur –, c’était pour vous plaire, car je
vous ai toujours considéré comme mon très précieux protecteur.
Sans tenir compte du fait que j’ai joué deux fois à Rome devant
l’éminent Pontife, dans ses appartements privés, Son Éminence Ruffo a
fait obstacle au projet. Je dois désormais m’en faire une raison. Pour ne
pas vous déranger outre mesure avec mes longs discours, j’écris à
M. Picchij, et lui fais part de tout cela. Cependant Son Éminence Ruffo a
été très mal informé, car j’exerce mes activités d’imprésario avec peut-être
même une honnêteté excessive. Je n’ai pas l’habitude d’attendre devant
une porte fermée, car j’en aurais honte. Je ne savais pas qu’à Ferrare
Picchij est actif dans le milieu du théâtre. Je ne joue jamais dans
l’orchestre, sauf le premier soir, car je ne me contente pas du métier
d’instrumentiste. Je ne m’entretiens jamais à la maison avec les [sœurs]
Girò. Les mauvaises langues peuvent dire ce qu’elles veulent, mais V. E.
sait qu’à Venise j’habite dans ma maison qui coûte 200 ducats, et les Girò
dans une autre, très éloignée de la mienne. J’arrête là ma lettre, afin de me
rendre chez S. E. Monsieur le marquis Rondinelli240, et très humblement
j’exprime mes respects […].
Antonio Vivaldi

Venise, le 23 novembre 1737241.

Vivaldi réaffirme sa décision de ne pas autoriser la représentaiton de son


opéra sans sa participation. Il a proposé à Picchi une autre solution. La
réponse de Guido Bentivoglio date du 27 novembre :
Ayant appris par votre lettre du 23 courant que vous avez écrit
longuement à M. Picchi au sujet de l’opéra, je prendrai contact avec lui.
Mais je regrette que vous veuilliez vous désengager. Il me semblait que
vous auriez pu utilement déléguer la fonction d’imprésario au
susmentionné Picchi, étant entendu que je lui aurais apporté mon appui et
que j’aurais pris soin de vos intérêts. J’entendrai donc de la bouche de ce
Picchi ce que vous lui avez écrit, et entre-temps […]242.
La décision finale prise par Vivaldi de ne pas collaborer avec ce
Francesco Picchi n’était pas née de rien. Un nouveau problème était apparu
entre les deux hommes. Vivaldi avait proposé de vendre à l’imprésario son
opéra complet (ou probablement les deux opéras qu’il avait préparés) pour
la somme de 15  000 lire. Ou parce qu’il ne voulait pas prendre de tels
risques, ou parce qu’il cherchait à faire baisser les coûts, Picchi avait
sûrement cherché à négocier l’affaire à un prix qui ne convenait pas au
Vénitien, qui en informe Guido Bentivoglio :
Excellence

Je pense que V.  E. a déjà été informée de tout par M.  Picchij. Ses
propositions sont ridicules. S’il avait été possible d’engager des musiciens
et des danseurs à un prix moindre, croyez-moi, je les aurais déjà engagés
moi-même. Je peux vous assurer que si ces compagnies avaient été
formées par d’autres que par moi-même, elles auraient couté 24 mille lire
au lieu de 15.
J’ai réfléchi jusqu’à maintenant avant de prendre une décision, mais
j’estime que, même si le temps a cherché à me prendre à la gorge, je ne
peux non plus trahir les autres, car j’ai des musiciens jusqu’à Rome. La
raison principale de ma requête auprès de vous était de me mettre à votre
service. Ainsi je supplie V.  E. de ne pas m’en tenir rigueur et de croire
que, en tous temps et lieux, je ferai de mon mieux pour vous exprimer
mon obéissance et ma vénération.
PS – Je n’ai pas le temps de répondre. Après avoir écrit toutes les
lettres, j’ai pensé faire appel à un coursier pour un coût de 9 sequins, car je
voulais attendre les décisions de Ferrare jusqu’à mercredi matin. Picchij se
trompe grandement concernant les dépenses ; je prie donc V. E. de se faire
lire ma lettre et de pardonner mon audace.
Antonio Vivaldi

Venise, le 30 novembre 1737243.


Bentivoglio, de son côté, écrit au comte Sicinio Pepoli, à Bologne  ; il
évoque une autre proposition qui vient de lui être faite, et qu’il a refusée :
Hier, un imprésario est venu chez moi  ; il avait l’intention de faire
représenter ici un opéra très mauvais. Je lui ai parlé clairement et lui ai dit
que nous disposions déjà d’une bonne compagnie pour les comédies, en
conséquence, nous ne prendrions pas un mauvais opéra. Par ailleurs, la
plus gande partie de la noblesse ici a décidé de ne pas louer de loges. Si
bien qu’il est reparti tout à fait convaincu de ne rien me proposer d’autre.
Le théâtre de comédies sera donc notre seul divertissement244.
Antonio Vivaldi avait ainsi décidé de n’établir aucun accord avec
Francesco Picchi… Le dossier « Vivaldi-Ruffo » se referma, et aucun opéra
ne fut représenté à Ferrare en ce carnaval 1738.
Quelques mois plus tard, septuagénaire, le cardinal Ruffo se retirera avec
une pension annuelle de 4  000 ducats. Une aubaine pour Antonio Vivaldi
qui, inlassable, reprendra contact avec le marquis Guido Bentivoglio,
l’esprit animé par un nouveau projet destiné au Teatro Bonacossi, une
entreprise tout aussi prometteuse de vicissitudes que les précédentes…
Mais, pour l’instant, il lui faut rester sur le pied de guerre car on vient de
lui offrir, à Venise, la gestion du théâtre Sant’Angelo pour le prochain
carnaval. Une véritable opportunité, car le Prêtre roux se retrouvait avec,
« sur les épaules », des artistes déjà engagés pour Ferrare, et qu’il fallait à
tout prix employer !
1- R. Heller, 1989, p. 17.
2- Le fonds « Mecklenburg-Strelizschen Briefsammlung » à Schwerin contient environ 16 000
lettres et documents provenant de la famille von Mecklenburg-Strelitz (dans le dossier
n°  2011)  ; les quatre lettres de Vivaldi au prince furent découvertes, publiées en fac-similé et
transcrites par Rudolf Heller, 1989.
3- D-MGs, Schweinsberg Musikalien, Nr 16.
4- S. Mamy, 2003, lettres d’Antonio Conti, n° 74, p. 223.
5- K. Heller, 1991, p. 49.
6- Venise, Archivio di Stato, 1729, Procuratori di San Marco de Supra, registre 153, fol. 117
v°, document transcrit et publié par W. Kolneder, 1979, p. 56.
7- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 118-122.
8- «  Le Gare della Giustizia, e/della Pace, /Per il Gloriosissimo Nome della/Sacra Cesa e
Catta Maestà/di Carlo  VI. /Cantato in Venezia/Poesia di Giovanni Battaa: Catena,/Musica,
d’Antonio Vivaldi ».
9- A-Wn, SM 2452  : «  Catalogo delle compositioni musicali. Continente, oratori sacri,
componimenti da camera, serenate, et opere. Composte, e rappresentate, sotto il gloriosissimo
governo della Sacra Cesarea e Real Cattolica Maestà di Carlo  VI  », fol. 58 v°  ; sur cette
sérénade, voir M.  Talbot dans les articles, 1987, III, p.  35-36 et 1982, p.  80  ; l’un et l’autre
réédités en 1999 (III et IV).
10- C. Vitali, 1995, pp. 67-70, et M. Talbot, 1987, réédité en 1999, III, p. 42-43.
11- L. Cataldi, 2010, pp. 174-75, d’après le récit de C. Donadoni, 1866, p. 30.
12- Dans les livrets des opéras donnés en Italie en 1731, le titre de Vivaldi est ainsi formulé :
« Maestro di Cappella di S.A.R. Il Serenissimo Duca di Lorena, di S.A.S. Il Sig. Principe Filippo
Langravio d’Hassia Darmstath, di S.A.S. Il Sig. Principe Joseppe Gio. Adamo Principe
Regnante di Liechtenestein [sic] ».
13- Sur le théâtre Sporck, voir les travaux de Daniel E.  Freeman, 1992 et 1993, et sur la
famille Denzio, à Venise et à Prague, l’article de Milada Jonasova, 2008.
14- D. Freeman, 1992, p. 42, n. 88.
15- K. Heller, 1991, p. 43.
16- K. Heller, 1991, p. 42-43.
17- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 423-424.
18- D. Freeman, 1992, p. 135, 260.
19- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 473-478, tableau p. 674-675 et D. Freeman, 1992, p. 138-139.
Le chef d’orchestre Ondrej Macek aurait retrouvé une parte des arias de l’Argippo dans les
archives privées de la maison princière Thurn und Taxis, en Bavière. Grâce à cette découverte,
l’opéra fut enregistré le 23  octobre 2008, à Venise, au théâtre Goldoni, et gravé par la firme
Dynamic (CD S626 /1-2).
20- G. Vio, 1980, p. 44 et 1984, p. 96-98.
21- Lettre conservée à Schwerin, dossier n° 1019, transcrite avec le fac-similé de l’original ;
cf. R. Eller, 1989, p. 12-14.
22- G. Vio, 1980, p. 45 et 1983, p. 83.
23- P. Ryom, 1982, p. 27, et M. Talbot, 2002, p. 56.
24- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 174-175.
25- Idem, vol. 2, p. 479-482.
26- D. Freeman, 1992, p. 278.
27- Idem, p. 311-313.
28- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 479-482.
29- D. Freeman, 1992, p. 168-169 ; R. Strohm, 2008, vol. 2, tableau p. 673.
30- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 174-175.
31- R. Strohm, vol. 2, p. 378-379 et D. Freeman, 1992, p. 174-178 et p. 53-54.
32- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 474-475.
33- D.E. Freeman, 1992.
34- Voir R. Strohm, 2008, vol. 2, les deux tableaux : « 3a Pasticcio operas : title list » ; et
« 3b. Pasticcio operas : Vivaldi’s arias », p. 661-668.
35- M. Talbot, 1987 (1999, III), p. 36-37.
36- M. Talbot, 1978, pp.  73-74  ; 1987 (1999, III), p.  42 et  1991, p.  39-40  ; ainsi que les
travaux de Daniel Freeman.
37- Ces trois œuvres sont conservées à Turin sous les cotes : Foà 40, fol. 6-9 (RV 82) et fol.
2-5 (RV 85) et Giordano 35, fol. 297-302 (RV 93).
38- M. Talbot, 1991, p. 39-40.
39- I-Tn, Giordano 35, fol. 251-54 ; le manuscrit est autographe.
40- M. Talbot, 1984, réédité en 1999 (VI) ; et C. Fertonani, 1998, p. 535.
41- Milada Jonasova, 2008.
42- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 424-426 ; tableau, p. 698-699.
43- I-Tn, Giordano 36, fol. 2-139.
44- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 505-511.
45- P. Cirani, 2010, p. 53, n. 161.
46- P. Cirani, 2010, p. 53-55 et n. 162.
47- Cité par R. Strohm, 2008, p. 507, n. 715.
48- Cité par R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 507.
49- Idem, tableau p. 731.
50- Voir le chapitre 29.
51- S. Mamy, 2003, lettre d’Antonio Conti n° 15, p. 142.
52- A. de Montesquieu, 1844, p. 88.
53- I Teatri del Veneto, Verona, Verona, Vicenza, Belluno e il loro territorio, vol. 2, p. 62-65.
54- I Teatri del Veneto, op. cit., p. 66-84.
55- Cité dans I Teatri del Veneto, p. 77-78.
56- Sc. Maffei, Verona illustrata, 1732, p. 182 ; cité dans I Teatri, p. 77-78.
57- Une table, avec quatre gravures représentant l’intérieur et l’extérieur du théâtre est
publiée en 1731, à Venise, dans Novelle della Repubblica delle Lettere. Deux autres dessins
aquarellés, datant d’environ 1740, réalisés lors d’un voyage à Vérone par Gabriel Pierre Martin
Dumont se trouvent à la bibliothèque de l’Opéra à Paris  ; pour un historique détaillé sur le
théâtre et la reproduction des gravures voir M.T.  Muraro, E.  Povoledo…, I teatri del Veneto,
Verona, Vicenza, Belluno e il loro territorio, vol. 2, p. 66-84.
58- Plusieurs décors de Bibiena sont représentés dans l’article de Maria Teresa Muraro et
Elena Povoledo : « Le scene della fida ninfa… », 1980, p. 235-252.
59- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 491.
60- Sur cette question, voir l’article de G.F. Folena, « Prima le parole … », 1980.
61- G.C. Becelli, cité par G.F. Folena, 1980, p. 213-214.
62- G.F. Folena, 1980, p. 207-208.
63- La fida ninfa, Verona, J. Vallarsi, 1732.
64- M. Th. Muraro et E. Povoledo, 1980, p. 243.
65- I-Tn, Giordano 39 bis, fol. 155-298.
66- D-Dl, 2389-J-1 ; cf. P. Ryom, 2007 : « Sammlung VII », p. 589.
67- G.C. Becelli cité par G.F. Folena, 1980, p. 215.
68- G.F. Folena, p. 214-216.
69- G.C. Becelli, cité par G.F. Folena, p. 215.
70- Licori « Selve annose » (I, 4) ; Morasto « Dimmi amore » (I, 11) ; Elpina « Egli è vano »
(II, 2) ; Oralto « Ben talor meco m’adiro » (III, 2) ; Licori « Dalla gioia e dall’amore » (III, 11) ;
dans le final, l’aria de Giunone « Dagli egri mortali », puis celle d’Eolo « Spirti indomabili ».
71- M. Talbot, 2009, p. 141-142 et la transcription de l’aria « S’egli è ver che la sua rota »,
mesures 11-21.
72- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 494-496, transcription de l’aria « Selve annose ».
73- F. Lando, Cronaca manoscritta delle cose e fatti di Verona (1731-1734), dans « Archivio
storico veronese », I, 1879, p. 39 ; cité dans I Teatri del Veneto, p. 79.
74- Cité par C. Vitali, 1989, p. 27.
75- Lettre de Maffei au naturaliste Antonio Vallisnieri, à Padoue, en novembre 1716 cité par
G.F. Folena, p. 206.
76- Sc. Maffei cité par G.F. Folena, 1980, p. 219.
77- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 427-428.
78- Claudio Gallico, 1980, p. 86-87.
79- K. Heller 1991, p. 53.
80- M. Talbot, « Charles Jennens and Antonio Vivaldi », 1980, p. 71 ; cf. chapitre 20.
81- Venise, Archivio di Stato, fonds Ospitali e Luoghi Pii, Pietà, Notatorio N.  14 (P), busta
692 ; R. Giazotto, 1973, p. 377.
82- M. Talbot, 2001, p. 167.
83- D-Dl, Mus. 2389-E-6.
84- «  Dixit a 4o/Con Strumenti/Del Sigr Baldassar Galuppi, detto Buranello/Fatto per
l’Ospedale delli Medicanti//1745 ».
85- La lettre de Pier Caterino Zeno à Daniele Florio d’Udine aurait été retrouvée, parmi la
correspondance conservée dans la bibliothèque privée de la famille Florio d’Udine, par Remo
Giazotto (Vivaldi, 1973, p.  246). Michael Talbot, qui commente cette information, pense qu’il
convient de considérer avec prudence la véracité de ce document, tant que la lettre évoquée par
R. Giazotto n’aura pas été retrouvée, car les musiciens de Saint-Marc chantaient habituellement
des pièces écrites par les maîtres employés dans la chapelle ducale (dans The sacred vocal
music…, 1995, p. 175-176).
86- Venise, Archivio di Stato, Ospedali, busta 691, Notatorio, N secondo, fol.  38  ; cité par
G. Vio, 1980b, p. 118-119.
87- G. Vio, idem supra.
88- M. Talbot, 2006, chapitre VI, p. 167.
89- D-Dl, 1-F-30, p. 37-70.
90- D-Dl, Mus. 2389-N-2,4. Nr 2.
91- D-Dl, Mus. 2389-N-2,4 Nr 1.
92- D-Dl, Mus. 2389-J-1, p. 8-159. P. Ryom, Sammlung VII, p. 589-590.
93- Ces fragments proviennent de cinq opéras : La Fede tradita e vendicata (Venise, 1726),
L’Atenaide (Florence, 1729), Farnace (Pavie, 1731), La Fida Ninfa (Vérone, 1732) et
Semiramide (Mantoue, 1733).
94- D-Dl, Mus. I-J-7, p. 64-95 ; 102-136.
95- RV 674, RV 676, RV 677 et RV 678.
96- RV 655, RV 656, RV 657, RV 662 et RV 667.
97- D-Dl, Mus 2389 E-2 et E-1.
98- D-Dl, Mus. 2389-E-3 ; l’autographe à I-Tn, Giordano 33, fol. 96-114.
99- Sur cette question, voir M. Talbot, 2006, p. 166-170.
100- Peter Ryom, 2007, p. 391-397.
101- Carlo Vitali, 1989, p. 26-27, 40.
102- Les éléments biographiques sur Giuseppa Pircher sont cités par R.  Strohm et
proviennent des recherches de Metoda Kokole ; R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 512.
103- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 512-529 ; tableau p. 715.
104- D-Bsa, SA 1214 ; S. Voss, 2004.
105- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 520, n. 741.
106- Le chef d’orchestre américain Alan Curtis a réalisé une patiente reconstitution de cet
opéra, réécrivant les récitatifs manquants, plaçant sur les vers du livret la musique d’arias
extraites d’autres opéras de Vivaldi, complétant les parties manquantes des arias ébauchées en se
fondant sur le fragment existant. L’opéra fut enregistré en 2006 par A.  Curtis à la tête d’Il
Complesso Barocco, Archiv Produktion/Deutsche Grammophon GmbH, Hambourg.
107- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 525-526, transcription de l’aria « Un guardo, oh Dio ».
108- Adelaide et Tamerlano, en 1735  ; Griselda et Ginevra, en 1736  ; Siroe en 1738 et
Feraspe, en 1739.
109- Le sujet de la colonisation de l’Amérique du Sud par les Espagnols a aussi servi, plus
récemment, de toile de fond à plusieurs romans ; entre autres, la nouvelle de l’écrivain mexicain
Carlos Fuentes, « Les deux rives » (publiée dans le recueil L’Oranger). On ne peut oublier non
plus le truculent Concerto baroque (1974) du célèbre musicologue et écrivain cubain Alejo
Carpentier, fiction située à Venise à l’époque de Vivaldi, dont l’un des protagonistes est
justement Motezuma !
110- R Strohm 2008, vol. 2, p. 380-384 ; tableau p. 692-693.
111- I-Tn, Foà 39, fol. 142-295.
112- Reinhard Strohm (2008, p.  581, n.  510) fait remarquer que, parmi les différents
musicologues qui se sont penchés sur le manuscrit de la Dorilla in Tempe, seul Ferruccio
Tàmmaro (1986, p. 147-184) a pensé que ce manuscrit pouvait correspondre à la reprise de la
Dorilla donnée à Venise en 1734. Dans son catalogue (2007), Peter Ryom cite cette partition
comme étant une représentation inconnue (« Unbekannte Aufführung ») (RV 709-D, p. 392).
113- R. Strohm, p. 382-384.
114- F. Tàmmaro, 1986, p. 171-172.
115- R. Strohm, 2008, p. 543.
116- R. Strohm, 2008, p. 529-545 ; tableau p. 718-719.
117- F. Degrada, 1980.
118- I-Tn, Foà 39, fol. 1-139.
119- Une reproduction de la page de titre du manuscrit autographe de L’Olimpiade est publiée
dans l’ouvrage de R. Strohm, 2008, vol. 1, planche 11.
120- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 543-545 et P. Ryom, 2007, RV 725, p. 457.
121- I-Tn, Foà 39, fol. 1-140.
122- C. Vitali, Vivaldi e il conte bolognese Sicinio Pepoli, 1989.
123- Bologne, Archivio di Stato, Archives Pepoli, busta V, mazzo A, fol. 1 ; lettre transcrite
par C. Vitali, publiée avec le fac-similé, 1989, p. 41.
124- Idem, contrat signé par Vivaldi ; C. Vitali, 1989, p. 42-43.
125- Idem, busta I, mazzo C ; lettre transcrite par C. Vitali et publiée avec le fac-similé, 1989,
p. 44-48.
126- Idem ; C. Vitali, 1989, p. 50-53.
127- Idem, ibidem, p. 54.
128- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 548-556 ; tableau p. 736-737.
129- Dédicace transcrite en italien par Elvira Garbero, 1978, p. 142.
130- Une étude très détaillée des sources a été publiée par A.L.  Bellina, B.  Brizi et
M.G. Pensa, Il pasticcio Bajazet, 1988, p. 185-272.
131- I-Tn, Giordano 36, fol. 147-291.
132- «  L.D.B.M.D.A. /Il Bajazet/Bajazet Imperatore de’ Turchi, Prigion(ie)ro di/Tamerlano
Imperatore de Tatari/Asteria Figlia di Bajazet amante di/Andronico P(ri)n(ci)pe Greco
confederato di Tamerlano/Irene P(ri)n(ci)p(ess)a di Trabisonda promessa Sposa à
Tamerlano/Idaspe confidente di Andronico/Musica di Autori diversi ».
133- Olimpiade, Motezuma, Giustino, Semiramide, Teuzzone et Farnace.
134- Geminiano Giacomelli  : Alessandro Severo, 1732, Adriano in Siria, 1733 et Merope,
1734 ; de Johann Adolf Hasse, Siroe, re di Persia, 1733 ; de Riccardo Broschi, Idaspe, 1730 et
Merope, 1732 ; de N. Porpora, Annibale, 1731.
135- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 551-556 ; tableau, p. 736-737.
136- Idem, p. 556-562 ; tableau p. 671.
137- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 547-548.
138- C. Vitali, 1989, p. 29-30.
139- L’Adelaide, Dramma per musica… Verona, Jacopo Vallarsi, p. 2.
140- I Teatri del Veneto. Venezia, vol. 1, p. 379-421.
141- «  Bilancio della spesa ed entrata del Teatro di San Samuel per le recite della Fiera
dell’Ascensione dell’anno 1730 ».
142- I Teatri del Veneto, Venezia, t. I, p. 395-398.
143- C. Goldoni, Delle Commedie, 1761-1778, préface au t. XIII ; cette citation est traduite de
l’italien.
144- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 563-585 ; tableau p. 708-709.
145- I-Tn, Foà 36, fol. 128-247.
146- Dans la Griselda, on retrouve des arias extraites de Teuzzone (1719), de L’Atenaide
(1729), ainsi que des plus récents Motezuma (1733), Tamerlano (1735) et Adelaide (1735).
147- P. Ryom, 2007, RV 718, p. 434, 437.
148- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 583.
149- «  Divenni stupida/nel colpo atroce/non ho più lagrime/non ho più voce  ;/non posso
piangere, /non so parlar. »
150- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 569-571.
151- Idem, p. 583-584.
152- R. Strohm, 2008, p. 580-583 et n. 847.
153- R. Strohm, 2008, vol. 2, p.  580-583, et l’exemple 40, transcription de l’aria «  Son
infelice tanto ».
154- C. Fertonani, 1998, p. 257.
155- Opere di Pietro Metastasio, 1857, lettre LXX p. 924.
156- Idem, lettre CXVII, p. 951.
157- J.W. Hill, 1978, p. 53-82 et F. Fido, 1982.
158- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 586-589. Sur cette œuvre et les doutes qu’elle soulève, voir
F. Fido, 1982, p. 346-348 et P. Weiss, 1973.
159- C. Goldoni, Mémoires, dans l’édition de 1822, t. 1, p. 154.
160- Édition citée (Ponthieu), chapitre XXXVI, p. 154-158.
161- Francesco Settimani, cité par W.C.  Holmes, 1993, p.  190-191, n.  29 et 1988, p.  129,
n. 24 et 25.
162- Voir note p. 454. Les documents concernant cette période se trouvent sous la cote Albizzi
770  ; cf. William C.  Holmes, «  Vivaldi e il Teatro della Pergola a Firenze », 1988, et Opera
observed, 1993.
163- Les initiales « V.S » signifient « Vostra Signoria » (votre Seigneurie), ancienne formule
de politesse, à la troisième personne.
164- W.C. Holmes, 1993, p. 187-188, note 14.
165- Idem, p. 188, n. 15.
166- W.C. Holmes, 1993, p. 188, n. 16.
167- L’opéra donné en seconde position était le plus important ; pour ouvrir le carnaval, on se
contentait souvent d’un pastiche.
168- W.C. Holmes, 1988, p. 125.
169- W.C. Holmes, 1993, p. 189, n. 20.
170- Idem, p. 187, n. 10.
171- W.C. Holmes, 1988, p. 126.
172- Idem.
173- Idem.
174- W.C. Holmes, 1993, p. 43.
175- Idem, p. 190, n. 27 et 28.
176- W.C. Holmes, 1988, p. 126-127.
177- Idem, p. 127.
178- Holmes, 1988, p. 127.
179- Idem, p. 127-128.
180- Idem, p. 125, n. 21.
181- R. Strohm, 2008, p. 590-596 ; tableau p. 703.
182- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 595-596.
183- Teuzzone (1719), Ipermestra (1727) et les plus récents Motezuma, Olimpiade, Tamerlano
et Adelaide.
184- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 595.
185- W.C. Holmes, 1988 p. 128.
186- Ce contrat est conservé aux archives d’État de Lucques (Offizio sopra l’entrata n. 99,
p. 80-81) ; cité par M. Talbot, dans Vivaldi, Fonti e Letteratura critica, 1991, p. 41 et 57.
187- W.C. Holmes, 1993, p. 191, n. 31.
188- Selon W.C. Holmes, le surnom de « Polpette » (boulettes) avaient été donné aux sœurs
Maria Maddalena et Maria Teresa Pieri quand elles étaient petites, car elles travaillaient avec
leur père à nettoyer dans les rues les déjections des chevaux et d’autres animaux.
189- W.C. Holmes, 1993, p. 191, n. 29.
190- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 140-141.
191- K. Heller, 1991, p. 57.
192- Venise, Archivio di Stato, Ospitali e Luoghi Pii, Pietà, Notatorio N. 15 (Q), busta 692 ;
du 6 mars 1733 au 30 août 1737, fol. 113 r° ; R. Giazotto, p. 378-379, document 96.
193- Ce sont les filles citées dans le pamphlet manuscrit sur les filles du chœur de la Pietà
conservé au Musée Correr de Venise, Sopra le putte della Pietà di coro  ; R.  Giazotto, 1973,
pp. 389-96.
194- Venise, Archivio Parrocchiale S. Salvador, Morti, Registre 16 (1726-1759), p. 58 ; cité
par Gastone Vio, 1980, p. 45.
195- Sur Guido Bentivoglio, voir A. Cavicchi, 1967, p. 45-49, l’introduction aux lettres.
196- « Codice di Lettere di diversi al Marchese Guido Bentivoglio d’Aragona », 1736 à 1739,
tomes 3 et 4 ; M. Talbot, 1991, p. 48, n° 8-12.
197- « Registro di lettere del Marchese Guido Bentivoglio d’Aragona », 1736 à 1739, tomes 1
à 4 ; M. Talbot, 1991, p. 49-50, n° 14-22.
Les lettres échangées entre Antonio Vivaldi et le marquis Guido Bentivoglio, à Ferrare, ont
été éditées, souvent de façon fragmentaire, dans des publications anciennes (Six lettres
autographes de Vivaldi à Bentivoglio… publiées par l’érudit vénitien Federigo Stefani, 1871 ; la
lettre du 13 novembre 1737 a été corrigée et republiée par Francesco Degrada, 1984, p. 83-89)
ou plus récentes. Je reprendrai essentiellement les transcriptions italiennes faites par Adriano
Cavicchi en  1967 et  1969 et, plus récemment, par Egidio Pozzi (Antonio Vivaldi, 2007  ; La
produzione operistica e l’epistolario ferrarese, p.  365-406). Certaines furent traduites en
anglais, rarement et de façon très partielle en français.
198- Registre des lettres…, 1736, t.  3, fol. 544v°-545r°  ; A.  Cavicchi, p.  49. Les lettres de
Bentivoglio étant recopiées, elles ne portent donc pas de signature.
199- Lettre transcrite par F. Stefani, 1871, reprise par A. Cavicchi, 1967, p. 50.
200- I Teatri del Veneto, Venezia, T. 1, p. 104-105.
201- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 596-605 ; tableau p. 689.
202- Codex des lettres… 1736, t. 3, fol. 528 r°, 528 v°, 529 r° ; A. Cavicchi, 1967, p. 51-52.
203- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 607-611 ; tableau p. 672-673.
204- A. Cavicchi, 1967, p. 52-53.
205- Cette lettre a été publiée par Marc Pincherle dans Antonio Vivaldi et la musique
instrumentale, I-II, Paris, Floury, 1948  ; reprise par A.  Cavicchi, 1967, p.  54-55  ; traduite de
l’italien par moi-même.
206- Registre des lettres…, 1736, t. 2, fol. 362 r° ; A. Cavicchi, 1967, p. 53.
207- F. Stefani, 1871, repris par A. Cavicchi, 1967, p. 55-56.
208- Codex…, 1737, t. 2, fol. 585 r°-585 v° et fol. 587 r°-587 v°, A. Cavicchi, 1967, p. 56-57.
209- L’aria est transcrite par R. Strohm, 2008, p. 606-607, exemple musical 41.
210- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 428-429 ; tableau, p. 698-699.
211- Idem, vol. 1, p. 141.
212- Registre des lettres… 1737,t. 2, cité par A. Cavicchi, 1967, p. 58.
213- R. Strohm, 2008, p. 611-624 ; tableau p. 685.
214- Sur la composition de l’orchestre, voir Paolo Rigoli, 1993, p. 99-109.
215- I-Tn, Foà 38, fol. 110-184.
216- Dans Opere di Pietro Metastasio, 1857, p. 105.
217- Reinhard Strohm transcrit l’aria dans The Operas… 2008, vol. 2, p.  620-622, exemple
musical n° 42.
218- E. Pozzi, 2007, p. 383, n. 39.
219- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 617.
220- Reinhard Strohm (2008, vol. 2, p. 613, n. 892) reprend une information communiquée
par Berthold Over  ; le journal manuscrit est conservé à Dresde (D-Mbs, Cod. Gall. 937)  :
Journal / De mon voyage d’Italie de l’année/1737, p.  25-26, au 26  mai  ; voir aussi C.  Vitali,
1995, p. 70.
221- F. Stefani, 1871, repris par A. Cavicchi, 1967, p. 60 ; F. Degrada, 1984, p. 96, n° VI.
222- Ferrare, Archivio di Stato, Archives Bentivoglio, Registre des lettres…, année 1737, t. 1,
fol. 29 ; A. Cavicchi, 1967, p. 61.
223- Après avoir examiné les sources littéraires et musicales, Reinhard Strohm déduit que la
version de Graz n’a que trois arias communes avec le livret mis en musique par Vivaldi à
Vérone en 1737. Le spectacle de Graz s’inspire des partitions de Leonardo Vinci (1728) et de
Leonardo Leo (1729). Par ailleurs, le texte de ce Catone n’est pas de Metastasio, et pas une
seule aria n’appartient au corpus vivaldien connu (2008, vol. 2, p. 624, n. 912).
224- Le Président de Brosses en Italie 1858, p. 140-142.
225- Ferrare, Archivio di Stato, Archives Bentivoglio, Registre des lettres du marquis Guido
Bentivoglio d’Aragona  ; année 1736  ; t.  1, lettre du 28  novembre 1736, fol.  506 r°-506 v°  ;
A. Cavicchi, 1967, p. 51.
226- Lettre transcrite par F.  Stefani, 1871  ; ce document figurait dans le catalogue de la
collection Maggs Bros à Londres (1929) sous le numéro 512 ; A. Cavicchi, 1967, p. 61-62.
227- Registre des lettres… 1737, t. 2, fol. 228 r°, 228 v° ; A. Cavicchi, 1967, p. 62-63.
228- Idem, fol. 229 r° ; A. Cavicchi, 1967, p. 63.
229- Ferrare, Archivio di Stato, Codex des lettres de plusieurs au marquis Guido Bentivoglio
d’Aragona ; 1737, t. 2, fol. 246 r° ; A. Cavicchi, 1967, p. 63-64.°
230- F. Stefani, 1871 et A. Cavicchi, 1967, p. 64.
231- Codex des lettres…, 1737, t. 2, fol. 464 r°, A. Cavicchi, p. 64-65.
232- Registre des lettres… 1737, t. 2, fol. 247 r° ; A. Cavicchi, p. 65.
233- « Notre prince », peut-être le doge.
234- Angelo Mazzucchi, agent et administrateur des biens fonciers de Guido Bentivoglio à
Castelguelfo, d’après A. Cavicchi, p. 66, n. 44.
235- Lettre transcrite par F.  Stefani, 1871  ; elle appartenait à la Collection Arrigoni,
Organografia… ; corrigée par A. Cavicchi, 1967, p. 66-67 ; et par F. Degrada, 1984.
236- Le portrait de T.  Ruffo est reproduit dans l’article d’Andrea Cavicchi, 1967, entre les
p. 64 et 65.
237- Ferrare, Biblioteca Comunale Ariostea, M. 240.10 ; texte transcrit par A. Cavicchi, 1967
p. 68.
238- Après les disputes qui avaient eu lieu entre Vivaldi et Giuseppe Maria Bollani lors de la
préparation du Demetrio, le compositeur et l’imprésario de Ferrare s’étaient réconciliés. Vivaldi
avait chargé le même Bollani de s’occuper en son nom de la saison du carnaval 1737-1738 à
Ferrare ; d’après A. Cavicchi, p. 69, n. 48.
239- Registre des lettres…, 1737, t. 2, fol. 259 r°-259 v° ; A. Cavicchi, 1967, p. 69.
240- D’après A. Cavicchi, Rondinelli était le beau-frère de Guido Bentivoglio.
241- Codex des lettres… 1737, t. 4, fol. 478 r°-478 v° ; A. Cavicchi, 1967, p. 70.
242- Registre des lettres…, 1737, t. 2, fol. 284 r°-285 v° ; A. Cavicchi, 1967, p. 70-71.
243- Codex des lettres…, 1737, t. 4, fol. 478 r°-478 v° ; A. Cavicchi, p. 71.
244- Registre des lettres…, 1737, t.  2, fol. 368 v°-369 r°  ; lettre du 20  décembre 1737  ;
A. Cavicchi, p. 71, 74.
Quatrième partie

Apothéose et déclin
36

 Trois opéras pour Anna Girò

 (Carnaval 1738)

Ferrare venait de l’offenser et l’avait refoulé ! Pour éviter une catastrophe


financière, Vivaldi doit maintenant changer son fusil d’épaule et réengager
rapidement les artistes qui avaient déjà signé leur contrat pour le Teatro
Bonacossi dans une nouvelle production. Une occasion se présente  : à
Venise, dans son théâtre de toujours, le Sant’Angelo. Cesare Garganti, un
imprésario qui avait pris la direction de la salle deux ans plus tôt, vient de
subir une déroute financière et se trouve en séquestre judiciaire1. La
Fortune, cette fois-ci, vient au secours du Prêtre roux qui, après avoir fait
appel à un prête-nom (un certain Giuseppe Tonini), prend la tête du théâtre
et, en l’espace de sept semaines, met sur pied et gère, artistiquement et
financièrement, trois spectacles  : L’Oracolo in Messenia, Rosmira et
Armida al campo d’Egitto. Trois opéras, qui offrent trois grands rôles
féminins à Anna : Merope, Rosmira et Armida. Les chanteurs sont engagés
pour la saison entière. Tout se fera dans la hâte, pour lui, pour les
interprètes, les musiciens, les danseurs et les décorateurs. Vivaldi devra
emprunter des arias à d’autres compositeurs, imiter le style de Geminiano
Giacomelli, Johann Adolf Hasse, parodier une fois de plus les Napolitains à
la mode, Leonardo Leo, et Leonardo Vinci. Pour séduire son auditoire, il lui
faudra marcher dans les pas des grands castrats, Farinelli et Caffarelli qui,
les années précédentes, avaient bouleversé les Vénitiens par leur
pyrotechnie vocale. La présence dans la troupe de la très brillante soprano
Margherita Giacomazzi, qui s’était fait applaudir à Vérone, excellente
partenaire pour Anna Girò, capable de reproduire les airs et le style de
Farinelli, est un atout majeur pour cette saison. Le castrat Giacomo Zaghini
avait déjà chanté dans le Catone in Utica à Vérone, au printemps 1737. Les
autres interprètes sont inconnus : les Rossi (Giuseppe et Caterina), Dorotea
Lolli, et le castrat Pasqualino Negri. Cette saison-là, le Sant’Angelo n’a
qu’un seul concurrent  : le San Giovanni Grisostomo. Le théâtre des
Grimani a mis à son affiche L’Olimpiade de Pergolèse (Vivaldi avait été le
premier en Italie à mettre en musique le livret de Metastasio  ; mais la
version de Pergolèse est en train de connaître un succès exceptionnel), un
Demofoonte, mis en musique par Gaetano Latilla, Gianguir de Antonio Giai
et l’Alessandro nelle Indie de Hasse, un opéra qui avait déjà été représenté
en 1735 et dont Vivaldi avait lui-même adapté la partition pour Ferrare.
En ce carnaval 1738, le Prêtre roux est donc le seul compositeur vénitien
à présenter des opéras dans sa propre ville… mais un Vénitien désormais
soumis au chant des rossignols napolitains ! Fatigue, vieillesse, déceptions,
il est peu probable qu’il ait nourri, à cette époque-là, une véritable ambition
de compositeur. Il n’en démontre pas moins virtuosité et promptitude pour
arranger, parodier, adapter la musique aux chanteurs. Par plaisir ou par
force, il organise et dirige le théâtre, malgré « la mer de difficultés » dans
laquelle ce genre de situation peut le plonger.
Cette même saison, Venise reçoit deux visiteurs de prestige : le margrave
Friedrich de Brandenburg-Bayreuth, auquel le livret de la Rosmira sera
dédié, et son épouse, Friederike Sophie Wilhelmine ; puis arrive le duc de
Bavière, Ferdinand Maria, auquel les filles de la Pietà offriront une
sérénade, vocale et instrumentale.

L’Oracolo in Messenia, Venise, 28 décembre 1738 (RV 726)2

Le titre de l’opéra L’Oracle de Messénie est un travestissement car le


livret est en réalité celui de la Merope d’Apostolo Zeno, qui avait été
donnée à Venise en 1712, avec une musique de Francesco Gasparini.
L’année suivante, Scipione Maffei écrivait pour le théâtre sa propre Merope,
représentée par la troupe de Luigi Riccoboni. Dans l’histoire du théâtre
italien, la Merope de Maffei représente l’emblème de la réforme de la
tragédie ; elle n’est pas une œuvre insignifiante !
Antonio Vivaldi avait sans doute vu la Merope de Gasparini, en 1712  ;
puis, plus récemment, au carnaval 1734, celle de Geminiano Giacomelli, où
s’étaient produits deux des plus grands castrats napolitains, Carlo Broschi
Farinelli et Gaetano Majorano Caffarelli (ou Gaffariello) ; Lucia Facchinelli
y incarnait Merope. Dès lors, le Prêtre roux voulut coûte que coûte donner
ce rôle fort à Anna Girò. Il avait proposé l’idée à Luca Casimiro degli
Albizzi : « Vous me dites dans votre lettre du 2 que, au lieu de la Ginevra,
je devrais donner la Merope qui conviendrait mieux à madame Girò – avait
répondu l’imprésario, peu convaincu. Mais cet opéra a été donné et redonné
à Florence. » Ainsi, le beau projet était resté lettre morte. Pour Vivaldi, le
moment était venu de concrétiser ce songe  ! Enfin, Anna allait revêtir la
toge de Merope, veuve douloureuse, mère souffrante et vindicative.

Le livret et la musique

L’histoire, expliquait Zeno lors de la création de son drame, est fondée


sur un commentaire puisé dans la Poétique d’Aristote. Selon l’auteur grec,
l’un des sujets théâtraux les plus tragiques est «  lorsqu’une personne ne
connaît l’atrocité de l’acte qu’elle va commettre qu’après l’avoir commis
[…]  ; Euripide en a donné un modèle dans sa tragédie du Cresfonte  ; il
imagine que la reine Merope, veuve de Cresfonte, reconnaît son fils au
moment même où elle s’apprête à le tuer  ». La tragédie d’Euripide est
perdue. Mais on peut s’en faire une idée à travers Plutarque. D’autres
éléments proviennent de Pausanias, ainsi que de la Biblioteca
d’Apollodorus. Zeno résume le sujet de Cresfonte  : Cresfonte, roi de
Messénie, descendant de la lignée des Héraclides, sur la demande du tyran
Polifonte, fut, lui ainsi que ses deux enfants en bas âge, tué par Anassandro,
confident et serviteur de Merope. Le troisième fils, Epito (ici appelé
Epitide) fut enlevé et placé chez le roi d’Étolie. Merope ayant été
soupçonnée (à tort) de ce meurtre, Polifonte fut déclaré roi, mais à la
condition qu’il cède le trône à Epitide, si celui-ci rentrait dans son pays.
Lorsque le jeune Epitide revint à la cour, sous le nom de Cleone, il ne fut
pas reconnu par sa mère, Merope, qui s’apprêtait à tuer son propre fils,
croyant éliminer l’usurpateur.
 
La musique est dite « del Sig. D. Antonio Vivaldi  ». La partition de cet
opéra est hélas perdue. On ne connaît que les quelques arias qui avaient été
reprises par Vivaldi d’autres opéras. Deux arias sont par exemple
empruntées au rôle de Cesare dans le Catone in Utica  : «  S’in campo
armato/vuoi cimentarmi », donné au rôle de Trasimede et « Sarebbe un bel
diletto », à celui d’Epitide. L’aria nouvellement composée par Vivaldi pour
Merope/Anna Girò, « Barbaro traditor » (I, 11), est perdue, elle aussi.
Margherita Giacomazzi, dans le rôle masculin d’Epitide, chante la
célèbre aria créée par Farinelli : « Quell’usignuolo/che innamorato » II, 4).
Une copie de l’aria composée par Vivaldi est miraculeusement conservée à
Rostock3 ; la musique est bien dans le style de celle chantée par Farinelli à
Venise dans la partition de Giacomelli. Farinelli en avait lui-même réalisé
une ornementation dont une copie a été conservée, à Vienne4. Elle est aussi
l’une des arias favorites que le grand castrat chanta inlassablement, à
Madrid, au chevet du roi Philippe  V, souffrant de mélancolie. Margherita
Giacomazzi chante une autre aria de Farinelli devenue célèbre  : au
troisième acte, lorsque Epitide, sous le visage de l’étranger Cleone, non
reconnu par les siens, se tourne vers sa fiancée, Argia (interprétée à Venise
par Maria Teresa Pieri) et demande : « Sposa non mi conosci ? » (Épouse,
ne me connais-tu pas ?) ; puis vers sa mère Merope : « Madre… tu non m’
ascolti  » (Mère, tu ne m’écoutes pas). Dans le Tamerlano, à Vérone,
Margherita Giacomazzi, avait déjà chanté une parodie de cette aria de
Farinelli  : «  Sposa son disprezzata  » (II,  7)  ; pièce pathétique celle-ci,
poignante quand elle est bien chantée, et non plus de haute virtuosité
comme «  Quell’usignuolo….  », qui s’enivre de son propre chant. Il est
possible qu’à Venise, en 1738, cette aria qui avait fait fureur quatre ans plus
tôt quand elle fut interprétée par le divo Farinelli, ait été importée de la
partition de Giacomelli, et non composée par Vivaldi.
 
Anna Girò fut, on ne peut en douter, une Merope bouleversante  ; et
Giacomazzi, habillée en jeune garçon, une interprète époustouflante, à la
hauteur de Farinelli ! Le projet, difficile et risqué, dans lequel s’était engagé
le Prêtre roux souleva l’enthousiasme de ses compatriotes. On lit, dans un
avis paru dans une chronique locale : « Samedi soir au théâtre Sant’Angelo
on a représenté le second drame musical intitulé L’Oracolo in Messenia qui
eut beaucoup de succès5.  » Une reprise de cet opéra aura lieu, de façon
posthume, en 1742, à Vienne, au théâtre du Kärntnertor.
Un concert à Amterdam (janvier 1738) ?

On a parfois imaginé que, à cette même période, Vivaldi se serait rendu à


Amsterdam et aurait joué personnellement lors d’un concert donné le
7 janvier 1738, pour la célébration du centenaire du Théâtre municipal de la
ville, le Shouwburg. Parmi d’autres œuvres, est en effet inscrit au
programme le concerto grosso en ré majeur (RV 562a) de Vivaldi (violon
solo, deux hautbois, deux cors de chasse, timbale, cordes et basse). Ce
déplacement est désormais considéré comme improbable. Vivaldi avait à
Venise la responsabilité de la saison entière, trois opéras à diriger dans un
temps bref et, comme il l’explique lui-même longuement à Guido
Bentivoglio, dans sa lettre datée du 16  novembre 1737, il se déplace
difficilement, car âgé, malade, jamais seul, presque toujours avec plusieurs
personnes, dont les deux sœurs Girò.

Rosmira, Venise, janvier 1738 (RV 731)6

C’est Vivaldi lui-même qui signe la dédicace imprimée dans le livret de


la Rosmira au margrave Friedrich de Brandeburg-Bayreuth. La lettre est
gonflée de formules de politesse. « Je n’ai pas, affirme-t-il, choisi le livret
bien connu de Silvio Stampiglia dans le but de vous présenter des héros qui
seraient pour vous des modèles, car  vous n’avez nul besoin de chercher
chez les autres des exemples, quand vous en avez de si nombreux et de si
illustres dans votre grande famille… »
 
Le titre de Rosmira cache lui aussi un livret bien connu  : celui de la
Partenope de Silvio Stampiglia. La Partenope était un texte fortement
emblématique, écrit dans un élan nationaliste, à l’époque où Naples se
trouvait déchirée entre les prétentions des Espagnols et les convoitises des
Autrichiens. Les Vénitiens avaient vu une première fois la Partenope lors
du carnaval de 1708, avec une musique d’Antonio Caldara. Ils en avaient
découvert une autre version, en 1725, mise en musique par Leonardo Vinci,
et servie par deux grandes vedettes féminines  : la Vénitienne Faustina
Bordoni, encore à ses débuts (Rosmira) et la contralto Antonia Merighi
(Partenope), qui avait été l’Armida de Vivaldi. Celui-ci se fonde sur la
partition de Leonardo Vinci. Anna Girò interprète Rosmira, princesse de
Corinthe, déguisée en Arménienne, sous le nom d’Eurimene  ; Margherita
Giacomazzi, une fois encore habillée en garçon, incarne Arsace, prince de
Corinthe ; et le castrat Giacomo Zaghini, Armindo, prince de Rhodes.
 
La partition conservée à Turin7 montre que Vivaldi s’est livré à un
étrange pastiche. Il écrit lui-même tous les récitatifs et porte des indications
en fins de scène permettant d’introduire les personnages qui vont chanter
(« Aria di Rosmira », « Aria di Arsace »…). À la suite, il insère des arias
d’origines diverses, qui correspondaient plus ou moins à la situation
dramatique. Ces arias étrangères doivent être adaptées à la voix des
chanteurs et au nouveau texte, que souvent il écrit lui-même. L’une de ces
arias vient par exemple de l’opéra Ezio de Haendel (1732)  ; une autre de
L’Olimpiade de Pergolèse, donnée la même saison au théâtre San Giovanni
Grisostomo. Des scènes sont transportées d’un endroit à l’autre du drame ;
les actes changent de proportion (le premier plus long et le troisième très
court)  ; Vivaldi ajoute le personnage d’Ersilla (Caterina Bassi), qui
n’existait pas dans le livret de Stampiglia. Cité dans le livret comme
l’unique compositeur de l’opéra, Vivaldi y va de sa plume, écrivant les
récitatifs, le chœur, trois arias et un trio.
Le chœur d’ouverture « Viva, viva, Partenope, viva » est répété à la fin de
l’opéra, ce qui est assez inhabituel. Le trio vocal «  Un core infedele  »
démontre une grande assurance. «  Pensa che di tacer  » est une très belle
aria pour Anna Girò, aria parlante ou aria d’azione, avec de nombreux
arrêts permettant la gestuelle, et des contrastes forte/piano, propres à mettre
en valeur les qualités d’actrice d’Anna. Composée pour Margherita
Giacomazzi «  La rondinella/ ch’a noi sen riede  » est l’une de ces arias
«  d’oiseaux  », sans mélodie précise  ; de rapides figurations répétées avec
des articulations staccato évoquent le chant de l’oiseau et son déplacement
dans l’air. L’aria « Vorrei dirti il mio dolore » pour Caterina Bassi n’est pas
inintéressante  ; la musique est caractéristique d’une marche, avec une
certaine énergie instrumentale et une large tessiture vocale8.
 
La Rosmira avait sans doute été prévue pour Ferrare, puis transportée
dans l’urgence à Venise. Le chorégraphe Francesco Catenella, qui dirige les
ballets au Sant’Angelo, avait par exemple été initialement retenu pour le
Teatro Bonacossi : « J’ai engagé pour ces ballets Catenella, un bon créateur,
avait écrit Vivaldi à Guido Bentivoglio, le 6  novembre 1737, alors qu’il
croyait encore partir pour Ferrare.
On a évoqué une reprise de la Rosmira de Vivaldi en Autriche, à
Klagenfurt, en février  1738, puis à Graz en automne 1739, par la troupe
nomade que dirigent Pietro et Angelo Mingotti, dans laquelle chante Anna
Girò. Les spectacles donnés par la troupe des Mingotti, ainsi que par les
autres compagnies nomades, étaient, on l’a vu à propos de la troupe dirigée
par Antonio Denzio à Prague, des pastiches constitués d’airs puisés ici et là
dans les partitions de compositeurs conus. La seule présence d’Anna Girò
ne peut permettre d’affirmer que ces « Rosmira » furent des reprises de la
partition de Vivaldi.

Armida al campo d’Egitto, Venise, février 1738 (RV 699-D)

Le troisième opéra, qui vient clore la saison du carnaval 1738, est


l’Armida al campo d’Egitto, une œuvre que Vivaldi avait créée au théâtre
San Moisè en 1718 (vingt ans plus tôt) ; une période où, en pleine maturité
et encore assisté par son père, il était en train de gagner la faveur du
gouverneur de Mantoue. À cette époque-là, Anna Girò était encore une
petite fille. Armida avait été incarnée par l’excellente contralto Antonia
Merighi. L’Armida fut le premier opéra représenté à la cour de Philipp de
Hesse-Darmstadt. La partition avait ensuite été reprise dans plusieurs
villes  : à Lodi (1719)  ; à Vicence (dans une version révisée intitulée Gli
inganni per vendetta, mai 1720) ; à Ravenne, au carnaval 1726 ; à Venise,
au Teatro S. Margherita, pour le carnaval 1731, une période où Vivaldi était
probablement absent.
 
La première a lieu le 12  février, en fin de carnaval, Anna Girò est la
nouvelle Armide  ; Margherita Giacomazzi interprète encore un rôle
masculin (Emireno) et le castrat Giacomo Zaghini qui, cette même saison,
entre au service de la Margravine, est Tisaferno.
 
Vivaldi reprend en main son manuscrit de 17189. Il fait des coupures  :
récitatifs abrégés et moins d’arias. Certaines arias de la première version
(pourtant devenues démodées) sont conservées, à côté d’arias plus
modernes puisées chez Leonardo Vinci et Johann Adolf Hasse, adaptées
aux chanteurs. Margherita Giacomazzi reprend des arias qu’elle avait
chantées dans le Farnace de Leonardo Leo, à Naples, en 173610. Le
manuscrit révèle la précipitation  : le compositeur introduit de nouveaux
morceaux, sans éliminer les anciens ; il recopie à la hâte des pièces dont il
n’est pas l’auteur  ; il prélève la musique chez d’autres compositeurs et
l’adapte au texte du livret ; il signale les coupures dans les récitatifs par de
simples signes (qui ressemblent à de grands dièses).

Affaires administratives et poursuites judiciaires

Le 19  février 1738 est le mercredi des Cendres. Les théâtres ont fermé
leurs portes. Comme ils s’étaient masqués, la veille, pour se rendre à
l’opéra, les Vénitiens se couvrent de cendres et font pénitence, avec le
même fanatisme (écrit l’abbé Antonio Conti dans l’une de ses lettres à
madame de Caylus).
Antonio Vivaldi pour sa part règle ses affaires. Il signe une procuration
en faveur de Giuseppe Tonini, qui lui a servi de prête-nom pour la gestion
du théâtre, autorisant celui-ci à relever le loyer des loges  ; le document
(partiellement illisible) est signé dans la maison de Tonini, «  dans le
quartier de S. Angelo » :
Le Révérend D. Antonio Vivaldi (fils de Giovanni Battista) qui a dirigé
le Théâtre S. Angelo, dans cette ville, au carnaval passé, spontanément et
de la meilleure façon […] a convenu avec son Procurateur et commis,
monsieur Giuseppe Tonini (fils de Giuliano), ici présent, accepte et donne
pouvoir au dit monsieur, de relever  et d’exiger de tout loueur de loges
dans le dit Théâtre les loyers, selon la location […] et cession faite par les
Nobles copropriétaires du susdit théâtre dont M. le Lieutenant Cesare
Garganti avait été l’ imprésario l’automne passé […]11.
Ce même 19  février, Vivaldi engage une poursuite contre l’un des
danseurs, Pietro Sodi (ce chorégraphe se produira à Londres et à Paris ; en
1757 il apparaît avec le titre de «  premier danseur et maître de danse des
petits appartements du Roi de France  »). Avec une certaine légèreté, ce
même Sodi s’était absenté à plusieurs reprises durant les représentations de
l’Armida. Voici comment Vivaldi explique l’affaire :
Il avait été convenu entre vous, Pietro Sodi, et moi-même, Antonio
Vivaldi, imprésario du Théâtre S.  Angelo, que vous deviez danser dans
tous les opéras qui seraient représentés dans le dit théâtre au prochain
Carnaval, avec l’obligation contractuelle d’être préent à toutes les
répétitions et représentations. Dimanche passé, le 16 courant, toute la
journée, vous vous êtes promené, et même au pas de course, dans les rues
et sur les places. Le soir, vous vous êtes présenté au théâtre  ; fini le
premier ballet, à l’improviste, vous avez quitté le susdit théâtre en
prétendant que vous vous étiez blessé à une jambe et que vous alliez
rentrer chez vous (où vous étiez supposé vous mettre au lit). Il s’est avéré
qu’au contraire vous étiez gaiement en bonne compagnie ; vous êtes allé
au théâtre San Giovanni Grisostomo, et n’êtes rentré chez vous qu’à la fin
de l’opéra, tout cela pour votre bon plaisir, et sans aucune forme de
douleur. Le soir suivant, c’est-à-dire le lundi, vous êtes venu danser avec
les autres, mais vous êtes reparti au pas de deux, qui est le ballet le plus
important de l’opéra, suscitant l’émotion générale et le scandale. Tout cela
sous les yeux de nombreux témoins. Aussi, en raison de ces absences
multipliées, sans raison valable ni justification, par la présente poursuite,
écrite, (je demande) le dédommagement des pertes subies pour ces deux
soirées et plus spécialement le lundi, cela en fonction de la liquidation qui
devait se faire, sans aucun préjudice, mais au contraire avec une expresse
réserve pour chacune de mes démarches, et à bon droit12.

Printemps 1738 à la Pietà

Ces tracasseries réglées, Antonio Vivaldi peut se consacrer aux filles du


chœur de la Pietà et retourner avec régularité à l’hospice où, depuis sa
nomination du 5 aoùt 1735, son travail n’a jamais cessé. Le 9 février 1738,
il perçoit 50 ducats, correspondant à six mois de travail.
À cette période, les bâtiments sont en pleine transformation. En 1723,
déjà, les gouverneurs avaient fait agrandir le chœur principal et demandé la
création de deux tribunes latérales, afin que les filles puissent s’y disposer
aisément en deux chœurs. Quatre ans plus tard, ils avaient décidé
l’acquisition d’immeubles mitoyens afin d’agrandir les locaux, trop exigus.
Puis ils avaient dû se rendre à l’évidence  : une restructuration globale du
bâtiment était nécessaire. On envisagea alors la construction de la « Nuova
fabbrica ». Le gouvernement vénitien organisa une loterie afin de réunir des
fonds permettant la construction d’un nouvel hospice, tandis que les
gouverneurs lançaient un concours auprès des architectes. En 1736, ils
examinaient les premiers projets  ; en particulier ceux de Giorgio Massari,
qui sera l’architecte retenu pour la construction de la nouvelle église13.

La visite de Ferdinand Maria, duc de Bavière, à Venise

Quant au maître de chœur, Giovanni Porta, cela faisait maintenant plus de


dix ans qu’il était à la Pietà, tout en composant, parallèlement, de nombreux
opéras. Il avait atteint la cinquantaine et il visait une charge plus
prestigieuse, plus rétributive aussi. En 1736, il avait concouru en vain pour
accéder à la position de maître de chapelle à San Marco : l’opportunité lui
échappa et le poste revint à Antonio Lotti. L’année suivante, il avait obtenu
un autre poste enviable, celui de Kapellmeister à la cour de Munich. Le
28  septembre 1737, Porta avait reçu, des gouverneurs de la Pietà, la
permission de quitter l’institution de charité vénitienne pour se rendre en
Bavière. Simple coïncidence ? Ferdinand Maria Inocenz, prince Électeur de
Bavière, se trouve justement de passage à Venise, au début de l’année 1738.
Il est le frère du prince Électeur de Bavière, Karl Albrecht. Nous les avions
rencontrés, peu de temps auparavant, en avril 1737, à Vérone, assistant au
Catone in Utica de Vivaldi. Ils étaient les fils de Therese Kunigunde, dont
on se souvient qu’elle avait vécu de longues années d’exil à Venise, où elle
était décédée en 1730. Sur la lagune, ils étaient des habitués. Le 5  mars
1716, Karl Albrecht était venu assister à la messe à la Pietà, où il avait été
« régalé d’une belle musique14 ».
Pour rendre hommage à Ferdinand Maria, les filles du chœur exécutent
une sérénade, Il Mopso, composée (en l’absence du maître de chœur) par
Antonio Vivaldi.

Il Mopso, Egloga pescatoria, sérénade, Pietà, printemps 1738 (RV


691)

Sérénade toute bucolique et dans la veine de l’Arcadie que ce Mopso,


appelé, à l’antique, «  églogue maritime  ». L’auteur du livret est Giovanni
Cendoni dit, en pays d’Arcadie, Egidio Nonnanuci. Cendoni avait déjà
écrit, en 1714, le texte du Moyse Deus Pharaonis, le premier oratorio
composé par Vivaldi pour la Pietà (dont la musique est perdue). L’existence
de cette sérénade à cinq voix est connue par une seule référence parue dans
un catalogue de l’époque, avec cette précision : « … chantée par les Vierges
du Pieux Hôpital de la Pietà de Venise en présence du Ser. Ferdinand Maria,
Prince Électoral de Bavière… Musique de D.  Antonio Vivaldi,
Vénitien15 ».
 
De ce Mopso composé par Vivaldi au début de l’année 1738, exécuté par
les filles du chœur de la Pietà, nous n’avons hélas retrouvé ni livret, ni
partition.
 
C’est à regret que les députés avaient vu partir pour la Bavière Giovanni
Porta, dont ils étaient pleinement satisfaits. Lors du vote annuel de
printemps, le 28  mars 1738, Vivaldi obtient sept voix pour, et quatre
contre  : il n’est pas réélu. Son nom ne réapparaîtra plus jamais parmi les
maîtres de musique de l’hospice de charité où il avait fait ses débuts. Le
maître de chant, Pietro Scarpari, tant apprécié, ne figure pas non plus dans
la liste des maîtres de musique16. L’institution connaît-elle des difficultés
budgétaires  ? Veut-on concentrer les moyens financiers sur la
restructuration des bâtiments ? Le nouveau maître de chœur, le Napolitain
Gennaro d’Alessandro, ne sera élu que le 21 août 1739. Les filles du chœur
de la Pietà resteront donc presque deux années sans directeur musical. Les
députés se sont mis d’accord : dans l’attente d’un nouveau maître de chœur,
ils passeront des commandes ponctuelles «  de musiques de Psaumes,
Antiennes et Motets auprès de professeurs fiables et compétents, tant dans
cette Dominante qu’à l’extérieur, des maîtres aptes à faire valoir le talent de
nos filles, et qui apporteront de plus en plus de succès à notre chœur17  ».
Parmi les compositeurs extérieurs auxquels la Pietà achètera des pièces
sacrées, dans cette période d’interrègne, se trouve aussi le nom… d’Antonio
Vivaldi !

37

 L’échec de Ferrare

 Suite et fin

 (1738-1739)

Siroe re di Persia, Ancône, été 1738 (RV 735-B)

Été 1738. Vivaldi travaille à une nouvelle production destinée au Teatro


della Fenice à Ancône, une ville de la région des Marches. Il ne s’agit pas
d’une création mais d’une partition remaniée, à partir du Siroe, re di Persia
qui avait été donné au printemps 1727, à Reggio, dans le duché de Modène.
C’était alors le premier livret de Metastasio mis en musique par Vivaldi  ;
cet opéra n’avait plus jamais été joué18.
 
Le livret est dédié à un certain Niccolò Serra, «  patricien génois  ». La
dédicace est signée par «  Les imprésarios  ». Vivaldi y figure comme
«  Maître de chapelle de chambre de S.A.R le Grand Duc régnant de
Toscane et maître des concerts dans le Pieux Hospice de la Pietà à Venise ».
Dernier grand-duc de Toscane issu de la prestigieuse dynastie des Médicis,
Gian Gastone était décédé le 9  juillet 1737 et Franz Stephan de Lorraine
avait pris sa succession. Quant au poste à la Pietà, on sait qu’à cette date
Vivaldi n’exerce plus de fonction régulière dans le chœur de l’hospice.
Parmi les interprètes de la production d’Ancône, se trouvent le ténor
Lorenzo Moretti (l’Admeto de la Dorilla in Tempe), qui incarne Cosroe ; sa
femme, Margherita Gualandi Campioli, tient le rôle de Siroe. Anna Girò est
Emira, princesse travestie en jeune homme, qui se fait appeler Idaspe.
 
Alors qu’il est en train de préparer son Siroe pour la représentation de
l’été 1738, Vivaldi apprend que le cardinal Tommaso Ruffo vient de
prendre sa retraite. Le champ est donc libre… Le compositeur s’empresse
de reprendre contact avec Guido Bentivoglio pour de nouveaux projets.

Le castrat Geremia Dalsette, virtuose de l’ambassadeur d’Espagne

Plusieurs lettres nous manquent pour comprendre comment les deux


hommes ont relancé leurs négociations. Lorsque nous reprenons le fil de la
correspondance, le 5  novembre 1738, Guido Bentivoglio est en train de
demander à Vivaldi s’il veut bien auditionner un jeune soprano qui se
trouve à Venise, au service de l’ambassadeur d’Espagne :
Monsieur le prince de Campoflorido, ambassadeur d’Espagne, me
recommande un certain monsieur Geremia del Sette [Dalsette], soprano. Il
aimerait beaucoup que celui-ci puisse chanter le second rôle dans l’opéra
qui sera représenté au prochain carnaval. J’ai donc répondu à S. E. qu’il
devait s’adresser à vous pour tout accord, puisque vous êtes le promoteur
de l’opéra. Je vous prierai d’employer un maximum d’égards envers les
requêtes de ce Cavalier. Lorsque vous aurez vérifié que la personne
proposée vous convient, veuillez avoir l’obligeance de tenir compte de ses
besoins, car j’aimerais que celui-ci soit satisfait. Il me reste à vous
exprimer […].
Ferrare, le 5 novembre 173819.
Dans la foulée, Vivaldi rencontre le chanteur. Deux jours plus tard, Le
7 novembre, il en fait part à Guido Bentivoglio :
Excellence

Ce fut un honneur pour moi d’obéir à votre très précieuse demande,


aussi je m’y suis empressé. S. E. l’Ambassadeur m’a très aimablement fait
savoir qu’il vous avait écrit. Il m’a fait rencontrer et entendre le soprano,
un jeune homme de belle prestance, avec une belle voix, bien placée. J’en
ai donc informé le régisseur, en soulignant l’infini respect que je dois à
votre nom très révéré, ainsi que mon souci de mettre tout en œuvre pour
vous donner satisfaction. J’ai fait engager le musicien par l’imprésario. Je
sollicite votre bienveillance de me rendre digne de nouvelles sollicitations,
qui m’encourageront à vous servir et à vous exprimer, avec mesdames
Girò, mes très humbles respects.
Venise, le 7 novembre 1738
Antonio Vivaldi20.

Bentivoglio et Vivaldi on programmé deux opéras pour le carnaval à


Ferrare ; deux opéras qui seront, une fois encore, les reprises de partitions
précédentes : le Siroe re di Persia (qui venait d’être représenté à Ancône) et
Il Farnace. Pour le Prêtre roux, il s’agit d’une œuvre mythique et pour
Anna Girò, d’un cheval de bataille.

Il Siroe re di Persia, Ferrare, 26 décembre 1738 (RV 735-C)21

Le livret est dédié au cardinal Agapito Mosca. Les décors sont réalisés
par «  Il Sig. Antonio Mauri  » (qui est aussi, sous forme de prête-nom,
l’imprésario de la saison) et par d’autres «  peintres célèbres  »  ; les
costumes, par Pietro Nazzari, de Mantoue. Cette fois, Vivaldi ne porte plus
son titre de maître des concerts à la Pietà ; sur le livret, il est cité seulement
en tant que maître de chapelle du (nouveau) grand-duc de Toscane.
De la compagnie de chanteurs qui avaient représenté Il Siroe à Ancône,
l’été précédent, il ne reste qu’Anna Girò, dans le rôle travesti
d’Idaspe/Emira. Siroe est incarné par le castrat Geremia Dalsette « Virtuose
de S.  E. l’Ambassadeur d’Espagne à Venise  », que Vivaldi avait
auditionné  ; Cosroe par Domenico Negri  ; Anna Cosimi est Laodice  ;
Arasse, le ténor de Ferrare Michele Caselli qui, au clavecin, fait répéter les
chanteurs à Venise.
Plus qu’une reprise, cette version du Siroe re di Persia est plutôt un
pastiche ; des éléments ne sont pas de Vivaldi. Anna reprend certainement
quelques arias chantées dans des opéras précédents ; mais on ne réussit pas
à les retrouver dans les œuvres passées de Vivaldi. Par exemple « Va tra le
selve ircane  » (acte  III)  : le texte provient de l’Artaserse de Metastasio,
tandis que la musique est peut-être extraite de la partition de Leonardo
Vinci, ou de celle de Johann AdolfAdolf Hasse. Le style de Metastasio est-
il toujours respecté par Vivaldi  ? se demande Reinhard Strohm. Seuls les
récitatifs gardent leur intégrité, mais les arias intégrées ne correspondent
guère au style du poète, pourtant si soucieux de la transmission de ses
drames22.

L’échec du Siroe et l’annulation du Farnace

Le Siroe re di Persia fut reçu avec froideur dans le public de Ferrare. Le


2  janvier 1739, Antonio Vivaldi envoie une lettre désespérée à Guido
Bentivoglio. D’après lui, l’échec est entièrement la faute du claveciniste,
Pietro Antonio Berretta (un artiste qui venait d’être nommé maître de
chapelle de la cathédrale de Ferrare). Voici en quels termes Vivaldi
s’adresse à Guido Bentivoglio, en le priant de voler à son secours :
Excellence,

Les malchanceux qui ne sont pas soutenus par des mécènes de qualité
ne peuvent que sombrer dans le désespoir. C’est dans cet état pitoyable
que je me trouverais, en effet, si je n’étais assuré de votre aide, vous, mon
généreux et ancien protecteur. L’estime dont je jouissais à Ferrare est
tombée si bas qu’on me refuse désormais de mettre en scène comme
second opéra Il Farnace, qui, selon mon contrat avec Mauro, fut
entièrement révisé pour cette compagnie. Mon crime le plus grand,
d’après eux, serait que mes récitatifs sont abjects. Étant donné ma
notoriété et ma réputation, répandues dans toute l’Europe, et après avoir
composé 94 opéras, je ne peux souffrir un tel outrage. Tout ce que j’ai
l’honneur de vous confier ici sont des vérités absolues.
Vu les relations que j’avais eues avec lui dans le passé, je savais que
Beretta n’était pas en mesure de tenir le premier clavecin  ; mais
M.  Acciaiol [chanteur de Ferrare] m’avait assuré qu’il était un excellent
virtuose et un homme correct. Par la suite, j’ai constaté qu’il était un
incapable vaniteux. Dès les premières répétitions, je me suis rendu compte
qu’il n’avait pas les qualités pour accompagner les récitatifs. Ensuite, il a
eu l’audace et la malice de modifier mes récitatifs pour les adapter à ses
capacités  ; outre le fait qu’il ne savait pas les jouer, il les a lui-même
corrigés  ; ceux-ci sont donc devenus mauvais. Pourtant, ces mêmes
récitatifs avaient déjà été joués à Ancône, avec les mêmes notes, et vous
savez qu’ils y ont reçu un accueil chaleureux, et que ce sont les scènes qui
contenaient justement ces récitatifs qui ont été les plus applaudies.
Joués à Venise lors des répétitions par Michielino [Michele Caselli],
deuxième ténor de Ferrare, ceux-ci convenaient à merveille. Et si on
prenait la peine de les écouter en privé, joués par Michielino, on verrait
s’ils sont bons ou mauvais. Il faut dire que mon « original » ne supporte
pas qu’on change une seule note, ni par un trait de plume, ni par un
grattage au couteau, car tout ce qui est écrit fut réalisé par cet habile
virtuose.
Excellence, je suis désespéré et ne peux admettre qu’un tel ignorant
fonde sa gloire sur la destruction de mon pauvre nom. Je vous supplie de
ne pas m’abandonner, car, je vous en fais serment, sans protection, je peux
être capable du pire pour défendre ma réputation  ; qui offense mon
honneur porte atteinte à ma vie.
La seule consolation qui me reste dans cette situation est votre
inestimable patronage. En vous exprimant mes hommages, avec les larmes
aux yeux, je vous prie […].
[P. S.] Tout ceci est dû au fait que je ne sois pas personnellement
présent à Ferrare et que Monseigneur le Commissaire ait voulu
absolument croire en cet imprésario.
Antonio Vivaldi

Venise, le 2 janvier 173923.

Guido Bentivoglio, une nouvelle fois embarrassé, répond à Vivaldi :


Dieu seul sait combien je vous plains pour tout ce qui vous arrive au
sujet de l’opéra qui est actuellement au programme. J’exprime toute ma
compassion pour vos récriminations et j’aimerais vous apporter le
soulagement que vous désirez. Mais vous devez vous persuader qu’il ne
me convient pas de me mêler de cette affaire dont s’occupe ce Monsieur,
le Commissaire, ainsi que d’autres personnes avec lesquelles je
n’entretiens aucune relation. Aussi, dans la situation actuelle, je ne peux
rien faire, et vous ne devez pas compter sur une assistance que je ne suis
pas en mesure de vous offrir.
Avec mes meilleurs vœux.
Ferrare, le 7 janvier 173924.

La partition du Farnace (RV 711-G)

Il Farnace, annoncé comme le second opéra du carnaval 1739, à Ferrare


(RV 711-G), ne fut donc pas représenté. Toutefois, on conserve à Turin le
manuscrit autographe préparé par Vivaldi pour cette représentation  ; il ne
contient que les deux premiers actes25. Les chanteurs prévus étaient les
mêmes que pour le Siroe. Anna reprenait son rôle fétiche de Tamiri  ; le
castrat de l’ambassadeur d’Espagne, Geremia Dalsette, chantait Farnace et
le ténor Michele Caselli, Aquilio… Vivaldi n’avait pas menti : il avait bien
retravaillé pour Ferrare sa partition de 1727. Au moins six arias sont
nouvelles. Ne pouvant être présent, il avait noté sur son manuscrit des
détails très précis destinés aux musiciens pour l’exécution  : unissons,
omissions des basses ; l’aria « Ricordati che sei  » (I,  1) porte l’indication
«  Rapide mais pas trop, avec l’archet attaché aux cordes  » (« Allegro non
molto, con l’arco attaccato alle corde ») ; au plan rythmique, l’aria « Lascia
di sospirar » (II, 1) peut être exécutée « selon le plaisir de celui qui chante »
(« a piacere di chi canta »). Pour Anna Girò (Tamiri), Vivaldi crée un grand
moment tragique (II,  8-9) quand Farnace la répudie et lui dit  : «  Tu n’es
plus ma femme » (« … non mi sei moglie ») ; on a un arrêt brusque ; Tamiri
paraît titubante ; Vivaldi indique : « Ici, il faut s’arrêter un peu sans jouer,
puis suit aussitôt  » («  Qui bisogna fermarsi un poco senza suonare, poi
segue subito  »)… Les violons entrent «  très doucement et détachés  »
(«  pianissimo e spiccato  »), puis, avec une attitude pathétique, Tamiri se
tourne vers le Ciel et chante, oppressée, « Dites, dites-moi, que vous ai-je
fait, dites-le, ô ciels ? » (« Dite, dite, che v’ho fatt’io, ditelo, o cieli ? »)26.
 
L’annulation de la représentation du Farnace devait entraîner des
conséquences redoutables pour Vivaldi. Comme l’année précédente, lorsque
les opéras avaient été supprimés par ordre du cardinal Ruffo, les chanteurs,
les musiciens, les divers collaborateurs déjà engagés allaient se retourner
contre lui, pour être payés ou, tout au plus, dédommagés  ; contre lui, ou
contre celui qui lui avait servi de prête-nom dans cette entreprise : le peintre
et scénographe Antonio Mauro.

Le scénographe vénitien Antonio Mauro, prête-nom à Ferrare

Pour ne pas créer de scandale ou de tension diplomatique, l’archevêque


qui avait succédé à Tommaso Ruffo avait demandé que Vivaldi ne soit pas
présent à Ferrare pendant les représentations des deux opéras du carnaval
1739. Guido Bentivoglio avait probablement conseillé au compositeur de
prendre un prête-nom. Après différentes hésitations, le choix s’était porté
sur le décorateur de scène Antonio Mauro. Les deux Vénitiens, Vivaldi et
Mauro, se connaissaient bien et travaillaient l’un et l’autre pour le théâtre
Sant’Angelo depuis le début du siècle. Dans un goût « rocaille » typique du
baroque tardif, Mauro avait créé les décors pour l’Orlando furioso,
L’Inganno trionfante, Dorilla in Tempe et Farnace, plus récemment
Motezuma et L’Olimpiade. Né en 1669 mort en 1751, il appartenait à une
famille célèbre de peintres et de décorateurs vénitiens. Il s’était marié deux
fois et avait eu plusieurs enfants. Veuf de sa seconde femme, il vivait avec
sa sœur. À partir de 1710 et jusqu’à sa mort il habita corte dell’Albero, tout
près du théâtre Sant’Angelo, et proche aussi de la maison où logeaient les
sœurs Anna et Paolina Girò, à quelques centaines de mètres de la riva del
Carbon où habitait Vivaldi. Le 15  avril 1750, près de dix ans après la
disparition de Vivaldi, le curé de l’église Sant’Angelo note dans le registre
de la paroisse : « Antonio Mauro, avec sa sœur ; il exerçait comme peintre,
désormais impotent et pauvre, il paie 3 ducats » (de loyer annuel)27.

Le litige Antonio Mauro-Antonio Vivaldi (mars 1739)

Après l’annulation du Farnace pour lequel il s’était engagé à servir de


prête-nom, Antonio Mauro s’inquiète des retombées que cette annulation
peut avoir et des préjudices qu’il risque de subir. À plusieurs reprises, il
demande à Vivaldi de le dégager de toute responsabilité dans cette affaire.
En réponse, le compositeur fait la sourde oreille. Le 4 mars 1739, Antonio
Mauro décide de lui adresser un acte extrajudiciaire (document privé fait
devant notaire, mais non en justice) : triste cadeau d’anniversaire, le jour où
le Prêtre roux fête ses 61  ans  ! Le document se trouve aux archives de
Venise28. Mauro prétend qu’il fut pratiquement contraint par Vivaldi à
partir pour Ferrare et à accepter l’affaire, une affaire dans laquelle il n’était
ni le seul imprésario, ni le seul scénographe. Si Vivaldi ne réagit pas à cette
injonction, Mauro dit qu’il le conduira devant les tribunaux.
Antonio Vivaldi répond à Antonio Mauro le 12  mars, par un autre acte
extrajudiciaire. Il affirme que ces accusations ne sont que des calomnies. Il
accuse à son tour Mauro de déformer les faits et l’assure que ces
insinuations malveillantes ne suffiront pas à le dispenser de l’obligation de
payer les musiciens, les danseurs et lui-même, en tant que compositeur. Le
document autographe est conservé lui aussi aux archives de Venise, dans les
actes du notaire Giovanni Domenico Redolfi29.
Je soussigné, Antonio Vivaldi, ayant été amené, en raison des multiples
demandes réitérées tout au long du mois (ce qui peut être confirmé par les
témoins), par vous-même, Antonio Mauro, à évincer de l’entreprise de
Ferrare, pour vous satisfaire et presque de force, Girolamo Lech, qui était
l’imprésario déjà fixé et arrêté, qui se trouvait à la tête du théâtre (comme
cela apparaît dans les lettres), afin de vous y mettre à sa place ; je ne vous
aurais jamais cru capable d’introduire une cause destinée à m’accuser, en
cherchant à vous libérer de votre propre culpabilité par un écrit indigne,
alors que je j’ai pas voulu autre chose que vous aider en vous allégeant de
vos misères, que je connais  ; preuve en est (vous le savez bien) que,
quelques mois auparavant, dans ma maison, on vous a prêté une
andrienne30, pour que vous puissiez la mettre en gage, et vous aider.
Vous croyez sans doute qu’ils sont morts tous ceux qui ont joué et dansé
à Ferrare  ? Que j’ai brûlé toutes les lettres que vous m’avez écrites, et
détruit les engagements et les contrats signés de votre main  ? Quel est
l’esprit dérangé qui vous a si mal conseillé de me présenter une lettre ausi
absurde ? Il aurait été préférable que, avec votre habituel cou tordu et les
larmes que vous versez quand bon vous semble, que vous fassiez comme à
Ferrare, demandiez pitié et vous vous prétendiez innocent. Peut-être
qu’alors vos créditeurs vous auraient donné les 300 écus que vous vous
êtes appropriés sur le dos de l’entreprise citée, et avec lesquels vous avez
pris la fuite.
En ce qui me concerne, vous savez quel bon cœur j’ai toujours
démontré a votre égard, je n’aurais sûrement pas été insensible à vos
larmes hypocrites ; vous savez, et tout Venise sait combien de milliers de
ducats je vous ai payés durant toutes ces années où vous avez travaillé
pour moi dans les théâtres. Croyez-vous que j’ai perdu les lettres dans
lesquelles vous m’écriviez que Francesco Picchi de Ferrare voulait à tout
prix que vous lui cédiez l’affaire, mais que vous n’aviez pas envie de le
faire car le gain y était important et assuré  ? Rappelez-vous que j’ai en
main la réponse à votre lette que je vous ai écrite, où je vous persuadais et
pressais de renoncer à cette entreprise, où vous pouviez gagner par scène,
avec l’illumination et votre assistance plus de 150 écus garantis, et vous
disais que si vous n’y renonciez pas, vous ne seriez plus mon ami, et ne
mériteriez pas que Dieu vous assiste. Rappelez-vous que je garde sous la
main vos prétentions injustes et exorbitantes auxquelles vous ne vouliez
pas renoncer.
Mais vous, que tout le monde connaît bien, vous avez laissé tous vos
scrupules à Venise, et vous avez insisté, dans l’intention de vous servir de
cette affaire pour réaliser des travaux dans votre maison. Vous avez estimé
qu’il était préférable de vous associer au susnommé régisseur Picchi et de
vous partager le gâteau, à votre convenance, laissant sur le pavé les
pauvres musiciens, danseurs et interprètes. Vous êtes reparti en piteux état,
diminué au point de devoir mettre en gage le collier qui aurait appartenu,
selon vous, à votre seconde femme. Après être revenu de Ferrare et après
vous être refait, vous et vos petits-enfants, vous avez racheté le collier et
avez dépensé 25 ducats pour fabriquer l’escalier qui est dans votre maison,
vous avez acheté des meubles coûteux, vous vous êtes approvisionné en
vin et en farine : et tout cela se sait, et tout cela peut être vérifié.
Essayez donc de bien réfléchir à ce qu’est votre devoir, et rappelez-vous
que vos calomnies et vos sombres manigances ne suffiront pas pour vous
exempter de payer les musiciens, les danseurs, ainsi que moi-même.
Rappelez-vous que le péché de l’ingratitude est l’un des plus horribles.
Les faux-fuyants ne sont que des stratagèmes diaboliques qui servent à
masquer la vérité.
Et finalement rappelez-vous que Dieu voit, Dieu sait et Dieu juge, et
qu’outre la très Sainte Justice de cette Serenissima Dominante, vous
devrez rendre compte devant Dieu précisément de toute chose31…
Antonio Mauro réplique trois jours plus tard, dans un autre long
document daté du 16 mars, où il affirme que le texte rédigé par Vivaldi est
un tissu de mensonges32. Mauro prétend qu’il ne voulait pas aller à
Ferrare ; il avait suggéré deux autres personnes : Antonio Abati et Antonio
Denzio (le ténor imprésario qui avait dirigé le théâtre Sporck, à Prague).
Mais aucun des deux ne voulait plus travailler avec le « prete rosso » (prêtre
roux). Même à Ferrare, dit Mauro, «  toute personne qui se montrait
intéressée à endosser l’affaire, une fois informée de qui était le contractant
[Antonio Vivaldi], s’éloignait et prenait la fuite comme le diable devant
l’eau bénite ». En ce qui concerne l’andrienne, Mauro confirme avoir eu ce
vêtement en prêt, des mains de Paolina Girò, une dame «  que vous
connaissez très bien  », souligne-t-il avec une certaine malice. Mais cela
avait eu lieu trois ans auparavant (et non quelques mois). Il en avait tiré
seize filippi, utilisés pour faire le voyage jusqu’à Pesaro, et les avait
restitués quelques jours plus tard. Aussi, ajoute Mauro, «  cet argument ne
vous sert pas de défense dans ce litige  ». Quant aux objets qu’il aurait
prétendument achetés pour sa maison, il avait en effet apporté à Ferrare un
collier en or qui appartenait à sa femme et qu’il a engagé pour 20 ducats ;
de retour à Venise, il avait dû faire un autre emprunt. Vivaldi prétend encore
qu’il lui aurait fait gagner beaucoup d’argent en l’engageant comme
scénographe dans plusieurs opéras  ; en réalité, le même Vivaldi lui doit
encore des sommes importantes que, dit Mauro, «  je n’ai pas tenté de
récupérer, afin de ne pas ouvrir de litiges avec le révérend Vivaldi ».
Dans ce dernier document, Antonio Mauro ne fait plus allusion à
l’imprésario Francesco Picchi avec lequel l’affaire ne s’est sans doute pas
concrétisée. Si bien que, après l’échec du Siroe, et la non-représentation du
Farnace, Mauro se trouvait en effet exposé, seul, aux réclamations des
artistes33. Derrière toutes ces accusations, il est clair que couve un lourd
contentieux non réglé, entre deux Vénitiens qui avaient travaillé ensemble
plus de vingt-cinq ans dans les milieux des théâtres d’opéras…
 
À l’époque où il forme ces projets pour le théâtre de Ferrare, en 1737,
1738 et 1739, Antonio Vivaldi est désormais un homme âgé et, au plan
artistique, sur une pente déclinante. Ces échecs soldent, dans la biographie
du Prêtre roux, trois années de tourments, d’amertumes répétées,
d’humiliations de toutes sortes, de combats épuisants, où son talent se
trouva bafoué, anéanti, et sa notoriété européenne totalement ignorée des
siens.

38

 L’adieu à Venise

 (mai 1739-mai 1740)

Dernières œuvres religieuses pour la Pietà

Antonio Vivaldi ne quitte plus guère sa ville natale. Pourtant, rien ne l’y
retient : pas de nouvelle création pour le théâtre Sant’Angelo ; Anna Girò,
quant à elle, est partie pour Graz, où elle chante dans la troupe de Pietro
Mingotti. En ce qui concerne la Pietà, il n’y sera pas réélu en 1738, et pas
plus l’année suivante. Giovanni Porta, le maître de chœur, avait quitté
Venise pour un poste plus intéressant à la cour de Munich. Sans directeur,
les députés s’étaient décidés à acheter ponctuellement des œuvres à des
compositeurs extérieurs. Dans le Quaderno cassa (livre comptable) de
l’institution de charité, apparaissent ces années-là plusieurs paiements à des
compositeurs. Il apparaît que la Pietà rétribue aussi deux maestre di coro
(maîtresses de chœur) pour des œuvres musicales, sans fournir plus de
précisions34… Les filles du chœur étaient-elles donc en mesure de
composer  ? On sait qu’il était autrefois strictement interdit aux filles des
ospedali d’écrire de la musique. Il semble cependant qu’au moins sept filles
de la Pietà (Vicenta da Ponte, Agata, Geltruda, Giulia, Michielina, Sanza,
Teresa Orsini et Maria Verger, une jeune fille payante venue de Dresde), ont
été compositrices35. Le cas de Lavinia, appelée Lavinia della Pietà (notée
dans les registres de la Pietà comme Figlia della Casa, Scaffetta n° 3134),
est bien documenté, même si un peu exceptionnel. Avant d’être accueillie à
la Pietà, Lavinia avait vécu pendant sept ans à l’hospice des Mendicanti où
elle avait été l’élève de Giovanni Legrenzi. En raison de sa mauvaise santé,
la jeune fille fut prise en charge par la famille du patricien Christoforo
Minotto, qui lui offrit la possibilité de développer son art, grâce à des
professeurs privés. Lavinia étudia ainsi le théorbe, l’orgue, l’ornementation
et la composition. Musicienne et compositrice accomplie, elle revint à la
Pietà, comme enseignante, tout en continuant à habiter dans la famille
Minotto. La jeune fille cessa ses activités musicales le jour de son mariage ;
elle aurait reçu une dot digne d’une patricienne. Anna Banti publia en 1951
un joli roman, Lavinia fuggita (Lavinia disparue), inspiré du personnage
historique. En cachette, la Lavinia d’Anna Banti compose plusieurs œuvres
musicales sur le modèle de son maître Antonio Vivaldi, musique qu’elle
glisse subrepticement parmi les partitions du Prêtre roux, et qu’elle fait
exécuter par ses compagnes, avec la peur d’être durement punie…
Parmi les maîtres payés ponctuellement pour des œuvres sacrées,
apparaît, à la date du 14 avril 1739, le nom d’un certain « D° Ant° Viviani »,
qui reçoit 72 lire et 12 soldi (=  21 sequins), pour «  Six psaumes avec
antiennes et six motets  ». Le nom de Viviani correspond certainement à
Vivaldi ; l’orthographe des noms étant souvent écorchée dans les registres
de la Pietà. Le mois suivant, le 27 mai, figure un autre versement à : «  D°
Ant°  » (certainement Dominio Antonio Vivaldi), qui reçoit 50 lire (=  14
sequins) pour 5 motets et 9 « Concertos et sonates »36. À défaut d’un poste
fixe, Antonio Vivaldi vend donc de la musique vocale sacrée à la Pietà, au
même titre qu’un musicien extérieur…
 
Michael Talbot a dessiné trois périodes dans le corpus de la musique
religieuse composée durant sa vie par Vivaldi, pour les filles de la Pietà,
ainsi que pour toutes sortes d’églises et circonstances37. La première
période se situe après le départ de Francesco Gasparini (1713-1717)  ; la
seconde, approximativement dans les années 1720-1735  ; la troisième et
dernière période correspond à l’année 1739, date à laquelle Vivaldi n’a plus
de charge fixe, mais vend ponctuellement des lots de partitions à
l’institution de charité.
Quatre manuscrits musicaux sont actuellement datés de cette période
finale : trois psaumes pour les Vêpres : Beatus vir (RV 795) ; In exitu Israel
(RV 604), Confitebor tibi Domine (RV 789), et le cantique, Magnificat (RV
611)38.
 
Le Beatus vir (psaume 111) (RV 795) est une variante de RV 597.
L’effectif est de quatre solistes (SAAT – ou A  ?), un chœur (SSATB),
cordes et bc. On a longtemps cru que cette œuvre n’était conservée que sous
forme fragmentaire, dans le fonds «  Esposti  », au Conservatoire
B.  Marcello, à Venise. Puis Peter Ryom identifia un autre exemplaire,
complet celui-là, conservé à la Sächsische Landesbibliothek de Dresde ; le
manuscrit, qui provient de l’atelier du copiste Iseppo Baldan, avait été
catalogué sous le nom de Baldassare Galuppi39.
In exitu Israel (psaume 113) (RV 604), pour chœur (SATB), cordes et bc,
dont le manuscrit autographe est conservé à Turin40  ; d’autres fragments
sont dans le fonds « Esposti ».
On conserve un fragment du Confitebor tibi Domine (psaume 110) (RV
789) dans le fonds «  Esposti  »  ; une partie de viola porte le nom de
« Crestina ».
Le Magnificat (RV 611), dont le manuscrit autographe est à Turin41, est
écrit pour deux solistes (SA), un chœur (SATB), cordes et bc. Plusieurs
versets sont communs avec le Magnificat (RV 610) qui se trouve dans le
même volume (« Giordano 35 ») ; on y lit les noms des filles : « Apollonia,
Bolognese ; Chiaretta, Ambrosina, Albetta » ; quelques fragments sont dans
le fonds « Esposti  »  ; Vivaldi a retravaillé sur le manuscrit du Magnificat
composé dans les années 1720-1735 (catalogué comme RV 610) et ajouté
cinq nouvelles arias pour les filles dont il connaissait très bien la voix, mais
dans un style qui correspond au goût des scènes d’opéra de cette période-là.
À l’occasion de cette révision, Apollonia reçoit un « Et exultavit » brillant ;
Maria Bolognese un «  Quia respexit  » pathétique  ; Chiaretta un «  Quia
fecit  », plein de douceur  ; Ambrosina, un «  Esurientes  » vif et agité, et
Albetta un « Sicut locutus est » andante et gracieux42.
Le Napolitain Gennaro d’Alessandro, maître de chœur

Un nouveau maître de chœur, « Gennaro d’Alessandro, Napolitano », est


nommé le 21 août 1739. Musicien peu connu, à la production limitée, son
passage à la Pietà sera de courte durée. Le 13  mai 1740, il donnera sa
démission43. Un an plus tard, les gouverneurs de la Pietà décrètent qu’il n’a
pas rendu service « avec la diligence nécessaire », ni rempli « les devoirs
qui lui incombaient  »44. On se met donc à la recherche d’un nouveau
maître de chœur. Le 26 janvier 1742, à l’unanimité, les députés nommeront
à la tête de la chapelle musicale de la Pietà un autre Napolitain, Nicola
Porpora, compositeur doué, et surtout pédagogue hors pair. Porpora avait
été maître de chapelle aux Incurabili entre 1726 et 1733, avant son séjour à
Londres où il dirigera la troupe italienne, rivale de celle conduite par
Haendel, au théâtre Haymarket. Ce compositeur est connu dans toute
l’Europe et apprécié « tant pour son talent et sa notoriété que pour sa valeur
éprouvée  »45. Au moment du départ de Gennaro d’Alessandro, les
gouverneurs révisent entièrement les statuts du chœur et rédigent un
nouveau règlement composé de 99 articles46. La Pietà est alors en pleine
restructuration ; on a nommé pour cela Giorgio Massari, l’un des meilleurs
architectes sur la place.
 
Pourquoi les gouverneurs de la Pietà n’ont-ils pas nommé Antonio
Vivaldi, un Vénitien pure souche, qui travaillait pour la Pietà depuis plus de
trente ans, «  maître de chœur  »  ? Ni même évoqué cette possibilité… Le
compositeur refusait-il cette position, afin de rester libre  ? Libre comme
artiste, alors que tous les musiciens cherchaient la sécurité d’une chapelle
musicale, dans une église ou chez un prince ? Alors que, bien souvent, les
difficultés financières l’obligeaient à se compromettre dans toutes sortes de
situations humiliantes. Le prestige international dont jouissait le vieux
Prêtre roux était-il, dans sa propre ville, aussi terni par les incessants litiges
auxquels il était mêlé, dans le milieu corrompu des théâtres d’opéra  ?
Charles de Brosses, qui entend les filles de la Pietà en août  1739 et
rencontre le compositeur, émet à ce sujet d’intéressants commentaires…
Le Président de Brosses rencontre Vivaldi (août 1739)

Charles de Brosses, comte de Tournay, conseiller au Parlement de Dijon,


quitte sa Bourgogne natale, au début de l’été 1739, pour un long périple
dans la péninsule italienne, guidé surtout par son intérêt pour la peinture et
pour les monuments anciens. Sur son passage, il décrit tout ce qui l’amuse,
ce qui lui paraît curieux et si différent du train-train de sa ville de province
française : les villes, les paysages, les costumes, les usages, les moyens de
transport, ses rencontres avec des personnalités connues. Plein de vivacité
et d’humour, son récit se fait par lettres (un genre désormais à la mode), des
missives adressées à quelques-uns de ses amis français47. Après avoir
quitté Dijon, Brosses passe par Avignon, traverse Gênes, Milan, Vicence,
Vérone (où nous l’avions croisé, le 25 juillet 1739) et Mantoue. Fin juillet,
il quitte Padoue en bateau et, suivant le cours de la Brenta, il entre dans la
ville par le grand canal.
La première lettre écrite à Venise est datée du 14  août. C’est à M.  de
Blancey, dans sa lettre  XVIII datée du 29  août, qu’il confie ses premières
impressions sur la vie musicale : « Ce n’est pas que je manque de musique,
écrit-il  ; il n’y a presque point de soirée qu’il n’y ait académie quelque
part  ; le peuple court sur le Canal l’entendre avec autant d’ardeur que si
c’était pour la première fois. L’affolement de la nation pour cet art est
inconcevable. » En été, les théâtres d’opéra sont fermés. Il lui reste donc à
aller écouter les offices dans les quatre hospices musiciens de la ville. Il se
montre étonné par ces chapelles musicales féminines et note l’excellence de
la musique qu’il y entend  : «  La musique transcendante ici est celle des
hôpitaux. Il y en a quatre, tous composés de filles bâtardes ou orphelines, et
de celles que leurs parents ne sont pas en état d’élever. Elles sont élevées
aux dépens de l’État, et on les exerce uniquement à exceller dans la
musique. Aussi chantent-elles comme des anges, et jouent du violon, de la
flûte, de l’orgue, du hautbois, du violoncelle, du basson  ; bref, il n’y a si
gros instrument qui puisse leur faire peur. Elles sont cloîtrées en façon de
religieuses. Ce sont elles seules qui exécutent, et chaque concert est
composé d’une quarantaine de filles. Je vous jure qu’il n’y a rien de si
plaisant que de voir une jeune et jolie religieuse, en habit blanc, avec un
bouquet de grenades sur l’oreille, conduire l’orchestre et battre la mesure
avec toute la grâce et la précision imaginables. Leurs voix sont adorables
pour la tournure et la légèreté ; car on ne sait ici ce que c’est que rondeur et
sons filés à la française. »
L’hospice qui a sa préférence est la Pietà, où nous l’avions déjà croisé
dans un chapitre précédent  ; il y avait admiré le talent d’Anna Maria48  :
« Celui des quatre hôpitaux où je vais le plus souvent, et où je m’amuse le
mieux c’est l’hôpital de la Piété ; c’est aussi le premier pour la perfection
des symphonies. Quelle roideur d’exécution  ! C’est là seulement qu’on
entend ce premier coup d’archet, si faussement vanté à l’Opéra de Paris.
[…]. »
Enfin, Charles de Brosses rencontre Antonio Vivaldi. À cette période, le
nom du Prêtre roux est très connu en France. Les concertos des Quatre
Saisons et la Tempête en mer sont joués régulièrement au Concert spirituel,
par les plus grands violonistes. L’éditeur Le Clerc est en train de rééditer les
recueils de pièces instrumentales imprimées auparavant à Venise, puis à
Amsterdam. En 1737 était paru Il Pastor Fido (faux Opus 13), un faux,
mais sous le nom de Vivaldi. Cette même année 1739, sont réédités les
concertos de l’Opus 8 (Il Cimento dell’Armonia e dell’Inventione) et les
sonates en trio de l’Opus 1. Charles de Brosses s’attend donc à rencontrer
un virtuose au mieux de sa forme, loué et encensé par les siens… Voici ce
qu’il dit :
Vivaldi s’est fait de mes amis intimes pour me vendre des concertos
bien chers. Il y a en partie réussi, et moi, à ce que je désirais, qui était de
l’entendre et d’avoir souvent de bonnes récréations musicales. C’est un
vecchio [vieux], qui a une furie de composition prodigieuse. Je l’ai ouï se
faire fort de composer un concerto, avec toutes ses parties plus
promptement qu’un copiste ne le pouvait copier. J’ai trouvé à mon grand
étonnement, qu’il n’est pas aussi estimé qu’il le mérite en ce pays-ci, où
tout est de mode, où l’on entend ses ouvrages depuis longtemps, et où la
musique de l’année précédente n’est plus de recette.
Ce n’est pas Vivaldi qui, à Venise, est le musicien à la mode et qui jouit
de la plus grande estime, mais Johann Adolf Hasse, celui que tous, à Venise,
appellent Il caro Sassone (le cher Saxon). Le compositeur est un habitué de
Venise. Depuis quelques années, il vit à Dresde, où il est maître de chapelle,
mais, lui, son épouse (la cantatrice vénitienne Faustina Bordoni, alors âgée
de 39  ans) et leurs filles reviennent régulièrement sur la lagune où ils
disposent d’une petite maison49  : «  Le fameux Saxon est aujourd’hui
l’homme fêté – souligne de Brosses. Je l’ai ouï chez lui aussi bien que la
célèbre Faustina Bordoni, sa femme, qui chante d’un grand goût et d’une
légèreté charmante ; mais ce n’est plus une voix neuve. »
Le voyageur n’en oublie pas moins son projet initial  : acheter de la
musique afin de la faire exécuter dans les salons et les jardins des
Dijonnais  : «  Ils ont ici une espèce de musique que nous ne connaissons
point en France, et qui me paraît plus propre que nulle autre pour le jardin
de Bourbonne. Ce sont de grands concertos où il n’y a point de violino
principale. Quintin peut demander à Bourbonne s’il veut que je lui en
apporte une provision. »
Vivaldi a composé plusieurs de ces concertos pour cordes, auxquels fait
allusion Charles de Brosses  ; ce sont des concertos sans instruments
solistes, classés dans la catégorie des « concerti ripieni ». Ce type de pièce
n’était pas commercialisé. Vivaldi les destinait à la Pietà, ou bien à des
commanditaires. On conserve par exemple à Paris les parties séparées de
douze «  concerti ripieni  » de Vivaldi, copiés sous son contrôle, peut-être
par Giovanni Battista ; peut-être destinés au comte de Gergy, ambassadeur
de France à Venise50.
Quelques mois plus tard, lors de son séjour à Rome, dans sa longue
« lettre à M. de Maleteste », Charles de Brosses se réfère à une conversation
qu’il avait eue à Padoue avec Giuseppe Tartini. Le célèbre violoniste de
Padoue avait affirmé qu’il est impossible pour un compositeur de bien
écrire la fois de la musique vocale et de la musique violonistique car… « un
gosier n’est pas un manche de violon » ! Et Tartini aurait ajouté : « Vivaldi,
qui a voulu s’exercer dans les deux genres, s’est toujours fait siffler dans
l’un, tandis qu’il réussirait fort bien dans l’autre. »
 
Les Lettres familières écrites d’Italie par Charles de Brosses contiennent
l’un des derniers témoignages connus sur le Vivaldi de la fin  ; sur le
Vivaldi, âgé et amer, qui s’apprête à quitter Venise pour prendre la route de
Vienne. Les livres du Bourguignon ont aussi contribué à alimenter, en
France, de vieilles légendes qui courent depuis deux siècles sur Venise…
Légendes sur la liberté politique et sexuelle qui règne dans cette ville,
amalgamant les courtisanes, les religieuses des couvents, les musiciennes et
les chanteuses recluses dans les quatre hospices de la ville. Combien de
déceptions ne suscitera-t-il pas, à sa suite, parmi les voyageurs crédules qui
se fieront aveuglément au récit de ce gentil menteur ! Le jeune Jean-Jacques
Rousseau, par exemple, qui arrive à Venise trois ans plus tard et séjourne
dans la ville entre le 4  septembre 1743 et le 6  août 1744, travaillant (fort
peu, en réalité) comme secrétaire de l’ambassadeur Montaigu. L’apprenti
libertin retombera durement sur terre lorsqu’il réussira enfin à rencontrer
l’une des célèbres courtisanes vénitiennes, et quand, après bien des
démarches, il pourra enfin voir de près les mystérieuses pensionnaires de
l’hospice des Mendicanti…  : «  Venez Sophie… Elle était horrible. Venez
Cattina… Elle était borgne. Venez Bettina… La petite vérole l’avait
défigurée » (Confessions, livre VII, 1769).

Feraspe, le dernier opéra pour Venise, novembre 1739 (RV 713)51

Le 7  novembre, Feraspe, dernier opéra créé par Antonio Vivaldi à


Venise, ouvre la saison d’automne 1739 au Sant’ Angelo. L’imprésario est
Felice Doni. Vivaldi est cité dans le livret avec son titre de maître de
chapelle de Franz Stephan, duc de Lorraine et grand-duc de Toscane.
Le chorégraphe est Angelo Pompeati, mari de la danseuse Margherita
Coluzzi, qui avait été prévu pour la saison de 1738 à Ferrare. Les costumes
sont du Vénitien Natale Canziani, un vieux collaborateur de Vivaldi  ; les
scénographies, assez conventionnelles, sont de Federico Zanoja : « Port de
mer avec vue sur la ville. Chambre. Salle du trône pour les audiences
publiques. Cour. Place dans la ville avec l’entrée d’un immeuble. Cabinet
avec des portes. Salle magnifique dans un palais. »
 
Aucune grande vedette à l’affiche  ! Après l’annulation du Farnace à
Ferrare, libre d’elle-même, Anna Girò avait été engagée pour deux ans par
la troupe des frères Pietro et Angelo Mingotti, à Graz, en Autriche. Le ténor
romain Andrea Masuò (qui sera l’imprésario du théâtre, l’année suivante) ;
Caterina Fumagalli dite «  la Romanina  », avait tenu le rôle de Laodice à
Ancône, en 1738, dans le Siroe, et le castrat Giacomo Zaghini avait été
primo uomo, les deux années précédentes.
 
Le livret du Feraspe n’est pas neuf. Il est une révision faite par
Bartolomeo Vitturi de L’Innocenza giustificata, un drame de Francesco
Silvani, qui avait été créée à Venise au carnaval 1699. Il faut donc le
moderniser. L’ospuscule est augmenté de trois «  cartesini volanti  »
(feuillets volants), dix pages non numérotées où sont signalées les multiples
modifications, récitatifs, arias, ensembles vocaux, noms et nombre de
personnages. Le sujet du drame, imprimé au début du livret, est ainsi
formulé :
« Darius dit le juste, roi de Perse, eut deux épouses ; il vécut longuement
avec la première dont il eut un fils, nommé Feraspe. Lorsque la mère de
Feraspe décéda, Darius, bien que déjà âgé, tomba amoureux de Statira,
veuve du roi de Media, et l’épousa. Il eut avec elle un second enfant que
Statira voulut appeler Darius, pour l’amour qu’elle portait à son mari. Il
mourut avant que Statira n’ait mis au monde leur enfant, mais non sans
avoir pris soin de diviser son royaume en deux parties, la première attribuée
à Feraspe, son premier fils, et la seconde (dont la capitale est Persépolis),
destinée au fils de Statira. Celle-ci devint régente et gouverna le pays
pendant la minorité de l’enfant Feraspe, qui souffrait de la division du
royaume, voulut récupérer la partie assignée à son demi-frère et organisa,
avec l’aide d’Artabano, un complot… comme on le verra en lisant le
drame. »
 
On ne conserve aucune partition du Feraspe. Le livret montre que
Vivaldi a repris plusieurs arias de ses opéras précédents  ; il emprunta
probablement aussi quelques musiques à Leonardo Vinci et à Johann Adolf
Hasse52. Cela laissait la place néanmoins à de nombreuses parties
nouvellement composées. Contrairement à toute attente, Vivaldi aurait donc
trouvé un regain d’enthousiasme et l’énergie pour écrire une partition
presque entière, pris par cette « fureur de composer » dont parle Charles de
Brosses  ? Ou peut-être, encouragé par l’espoir d’un prochain départ à
l’étranger, là où il aurait employé cette partition pour une nouvelle
représentation ?
 
Feraspe plut au public vénitien : « Samedi soir de la (semaine) dernière,
lit-on dans Pallade Veneta, pour le divertissement virtuose et agréable de
notre noblesse qui vient de rentrer en ville, on a ouvert le théâtre
Sant’Angelo et on a commencé la représentation d’un drame musical
intitulé Feraspe  ; il y eut beaucoup de public et des applaudissements
mérités pour les interprètes qui l’ont représenté, ainsi que pour tout ce qui a
rendu ce drame plus vraisemblable53. »

Un nouveau projet pour le Sant’Angelo ?

Les 14 et 28 novembre 1739, pendant (ou peu après) les représentations


de Feraspe, le marquis Casimiro degli Albizzi (qui avait désormais 75 ans
et vivait retiré depuis deux ans), écrit de Florence à Vivaldi. Il lui
recommande plusieurs ballerini (danseurs) pour la saison du prochain
carnaval au Sant’Angelo54. S’il cherchait des artistes, Vivaldi avait-il donc
l’intention de gérer la saison de 1740  ? Le 27  janvier 1739 (selon le
calendrier vénitien «  more veneto  », pour lequel l’année nouvelle
commence en mars), en effet, la commission de censure de Padoue
accordait son autorisation pour l’impression d’un livret intitulé Tito Manlio,
sans préciser le nom du compositeur ; l’opéra homonyme que Vivaldi avait
donné à Rome à la fin de 1719. Il n’est resté toutefois aucune trace d’un
Tito Manlio qui aurait été donné à Venise en 1739-174055 ; par ailleurs, la
saison du carnaval 1740 est dirigée au Sant’Angelo non pas par Vivaldi
mais par le chanteur Andrea Masuò  ; le Prêtre roux ne semble en aucune
manière impliqué dans les opéras présentés cette saison-là dans ce théâtre.
 
En cette fin d’année 1739, un autre événement important, une nouvelle
visite prestigieuse, vient insuffler de la vigueur à Venise tout entière,
mettant sur le pied de guerre les sénateurs, les patriciens, les artistes et…
Antonio Vivaldi lui-même. Le 9 décembre, un agent diplomatique polonais
s’était en effet présenté au palais ducal et avait annoncé l’arrivée imminente
dans la Sérénissime du prince Friedrich Christian56.

Le séjour de Friedrich Christian, prince de Saxe, à Venise (1740)

À la fin du mois de décembre 1739, le journal Pallade Veneta donne à ses


lecteurs cette information  : «  Lundi, est arrivé dans cette Dominante le
Prince Royal de Pologne  ; il est logé dans un palais, à San Pantalon,
aménagé et décoré de façon véritablement princière57. » Fils de l’Électeur
Friedrich August  II de Saxe et roi de Pologne (Augustus  III), Friedrich
Christian séjournera plus de cinq mois sur la lagune ; pour lui, il s’agit en
réalité d’une seconde visite…
Reprenons le déroulement chronologique des faits. En été 1738, la sœur
cadette de Friedrich, Maria Amalia, s’apprêtait à épouser l’Infant d’Espagne
don Carlos, roi de Naples et de Sicile, fils de Philippe  V d’Espagne. La
jeune fille (une adolescente de 14 ans), accompagnée de sa suite et de son
frère aîné, Friedrich Christian, avait quitté Dresde, afin d’aller rencontrer
son futur époux à Naples, le 19  juin 1738. Les festivités auront lieu le
3 juillet 1738. Au cours de son voyage en direction de Naples, la princesse
de Saxe avait voulu traverser (et traverser seulement  !) Venise, un détour
qui n’était pas prévu au programme. La petite flotte allemande, escortée par
plusieurs embarcations vénitiennes, avait ainsi parcouru le Grand Canal.
Pour Friedrich, c’était une sorte de baptême, qui avait allumé en lui le désir
d’un long retour !
Après avoir séjourné un an à Naples, le jeune homme avait repris la route
du nord, avec le projet de faire étape à Venise. Depuis le début du mois de
décembre, les sénateurs se mettaient en quatre pour préparer les festivités.
Venise est désormais un État neutre  ; elle ne participe plus aux guerres,
mais la Saxe est un pays important  ; en cas de décès de l’empereur, c’est
l’Électeur qui est chargé d’assurer l’interim à Vienne. Le doge Alvise Pisani
avait nommé quatre hauts sénateurs, qui s’occupèrent de l’organisation des
fêtes, des déplacements, et des diverses réceptions auxquelles le prince
serait convié. Le jeune homme désirait séjourner à Venise incognito  ; il
demanda qu’on l’appelle simplement «  comte de Lusazia  », le même titre
qu’avait utilisé son père, quelque vingt ans plus tôt.
Friedrich fut hébergé dans le somptueux palazzo Foscarini, qui regarde le
Grand Canal, près de l’église San Stae. Le jeune homme n’avait pas d’autre
objectif que de se divertir, rencontrer les personnalités les plus éminentes de
la ville  ; par exemple la pastelliste Rosalba Carriera, une artiste aimée de
son père, et peut-être aussi le Prêtre roux, l’un des musiciens italiens les
plus joués à la cour de Dresde, ami de Johann Georg Pisendel. Comme
toujours en ces circonstances, les patriciens veulent montrer la meilleure
image de la Sérénissime et régaler le jeune prince allemand de tout ce que
Venise peut offrir de meilleur en banquets, bals, cérémonies civiles et
religieuses, visite du célèbre Arsenal et d’autres curiosités locales. En cette
période hivernale, le carnaval offrira son habituel déploiement de fêtes,
populaires et princières. Et, bien sûr, il va à l’opéra  ! Les Grimani lui
dédient l’Ottone, mis en musique par Gennaro d’Alessandro, un spectacle
qui, d’après Pallade Veneta, lui « plut beaucoup 58. « On fit l’opéra au San
Giovanni Grisostomo à une heure de la nuit, lit-on dans les pages d’un
journal manuscrit, avec un souper royal qui fut suivi par une grande fête de
bal avec illumination, et cela jusqu’à l’aube59. »
Un autre document manuscrit signale qu’en février 1740, l’ambassadeur
d’Espagne organisa, en l’honneur du mariage de l’Infant, une réception à
laquelle on avait convié Antonio Vivaldi  ; on se souvient qu’en
novembre  1738, le compositeur était allé auditionner le castrat Geremia
Dalsette, en vue d’un engagement à Ferrare. Le Prêtre roux aurait joué et
dirigé du clavecin un concert, auquel participaient Anna Girò (tout juste
rentrée de Graz) et d’autres musiciens60. Friedrich Christian était sans
doute présent à cette fête organisée en hommage à sa jeune sœur.
Le séjour de Friedrich Christian de Saxe à Venise, les festivités, les
visites auxquelles il participe, sont relatées dans plusieurs chroniques
locales, la plupart manuscrites. L’Adria Festosa est l’une des plus
complètes. On y décrit d’abord le passage à Venise de Maria Amalia à
l’occasion de son voyage en direction de Naples, puis le séjour à Venise de
son frère Friedrich Christian61. Le long récit contient plusieurs références
sur le concert donné à la Pietà, pour le prince de Saxe.

Friedrich Christian invité à la Pietà, 21 mars 1740


Parmi les réjouissances habituellement offertes par la République aux
princes étrangers, la visite aux hospices musiciens est incontournable. Un
chroniqueur écrit  : «  Son Altesse Royale, Friedrich Christian, prince
électoral de Saxe, fils de Friedrich August III, roi de Pologne, fut diverti par
les filles des Ospedali des Mendicanti, Incurabili et Pietà avec des
académies appropriées d’une musique choisie exécutée à l’intérieur de leurs
couvents, et entouré des dames les plus distinguées invitées à cette occasion
par les quatre patriciens, afin de le servir62. »
C’est à la Pietà d’ouvrir le feu. Dès le 3  mars, les gouverneurs avaient
fait préparer une salle au rez-de-chaussée de l’hospice «  en raison des
difficultés éprouvées par l’Altesse Royale à monter les escaliers ». Le lieu
est orné d’étoffes précieuses (des brocards d’or)  ; «  des lustres de cristal
descendent du plafond  »  ; une tribune est installée afin que les filles du
chœur puissent y prendre place. La rive qui regarde la lagune sera
« illuminée par des torches ». Les députés demandent que tout soit mis en
œuvre afin d’assister le jeune prince, et font en sorte que le concert «  se
déroule sans risque de désordre ni de confusion »63.

Il Coro delle Muse, sérénade de Carlo Goldoni et Gennaro


d’Alessandro

La sérénade offerte à Frédéric est intitulée Il Coro delle Muse (le chœur
des muses)64. Le texte, tout en allégories charmantes et conventionnelles,
est signé par Carlo Goldoni qui, à cette époque-là, dirige les théâtres
Grimani. Le procurateur Pietro Foscarini, l’un des gouverneurs de la Pietà,
avait conseillé au dramaturge vénitien de simplement réunir trois cantates
déjà écrites. Personne en effet ne se rendit compte du stratagème, pas même
Gennaro d’Alessandro ; « et moi – écrit non sans humour Goldoni – j’eus
une fois de plus la confirmation que l’homme fait tout ce qu’il veut, grâce à
son imagination et à sa patience65 ».
Il n’existe pas de livret de cette sérénade, mais le texte est reproduit dans
l’opuscule L’Adria festosa, qui fournit aussi les noms des muses
chanteuses  : Clio (Apollonia), Euterpe (Maria la Bolognese), Talia
(Giulietta), Melpomena (Ambrosina), Terpsichore (Fortunata), Erato
(Chiaretta), Polinnia (Margherita), Urania (Teresa) et Calliope (Albetta),
plusieurs des filles dont les noms figurent dans le manuscrit du Magnificat
(RV 611), datant de 173966.
 
La musique de la sérénade, Il Coro delle Muse, composée comme il se
doit par le nouveau maître de chœur, Gennaro d’Alessandro, étant perdue,
on ne sait ce qu’elle valait. Son plus grand prix fut sans doute d’être
accompagnée par un festival de pièces instrumentales composées par le
vieil Antonio Vivaldi qui, une fois de plus, et comme il l’avait toujours fait
(par exemple lors du rude hiver 1708, lors de la visite de Frédéric IV, roi du
Danemark, et, plus récemment, pour Ferdinand Maria de Bavière), y était
allé de son talent de compositeur de concertos, et peut-être aussi de
violoniste (mais l’histoire ne le dit pas) pour divertir le jeune prince et sa
suite et donner de sa ville une impression encore brillante et fastueuse.
 
Dans son journal de bord, aujourd’hui conservé dans les archives de
Dresde, Friedrich note, dans un français maladroit :
[…] Le soir je fus à S. Polo, comme le jour précédent, et après que je
m’eus entretenu avec le R.P. et que nous ayons commencée une nouvelle
matière de notre philosophie, savoir celle des quatre premières qualités, je
me rendis à l’Opital de la Pietà où j’entendis une Cantate faite
expressément pour l’amour de moi. Il est vrai qu’elle réussit très bien,
mais ce qui rend cet Opital fameux ce sont les instruments de musique qui
sont vraiment excellents et d’autant plus rares qu’ils sont tous joués par
des filles, sans aucun homme. Le dernier concert des deux violons a été
fort joli67.

Un recueil de pièces instrumentales offert par Vivaldi à Friedrich


Christian

Il existe, conservé à la Sächsische Landesbibliothek de Dresde, un recueil


manuscrit, partiellement autographe, dédié par Vivaldi à Friedrich
Christian, contenant les quatre pièces jouées lors la visite de ce prince à la
Pietà, le 21  mars 1740. Le volume est précédé d’un élégant frontispice  :
«  CONCERTI/con molti Istromenti/Suonati dalle Figlie del Pio Ospitale
della Pietà/avanti/Sua Altezza Reale/Il Serenissimo FEDERICO
CRISTIANO Prencipe Reale di Polonia, et Elettorale di Sassonia.
/Musica/di D.  Antonio Vivaldi/Maestro de Concerti all’Ospitale
suddetto./In Venezia nell’Anno 174068. »
 
Même si la musique de la sérénade est perdue, nous pouvons, grâce à ce
recueil, reconstituer exactement le concert auquel fut convié Friedrich
Christian de Saxe, en ce mois de mars 1740, par Vivaldi et par les filles du
chœur.

Une fête instrumentale, en forme d’adieu aux filles du chœur

La Sinfonia pour cordes (RV 149), jouée avant la sérénade, en forme


d’ouverture, crée un climat éthéré et doux, qui convient à l’occasion  ; le
concerto RV 540, exécuté après la première partie de la sérénade, est écrit
pour deux instruments solistes  : la viole d’amour et le luth, accompagnés
par tous les autres instruments, avec sourdines. Le « luth » est en réalité un
archiluth à 13 ou 14 cordes accordé en sol, comme ceux employés en Italie
à la période de Vivaldi, et non un luth baroque français à 11 ou 13 cordes
accordées en ré mineur69. Dans le concerto RV 552, le violon principal et
les deux violons solistes se répondent en écho « in lontano » (à distance) ;
on peut imaginer que, dans la petite église de la Pietà, les violons étaient
placés sur les deux tribunes latérales qui avaient été construites en 1723. À
la fin, pour clore le concert, les filles jouèrent sans doute le somptueux
concerto RV 558 pour onze instruments solistes : deux flûtes droites, deux
théorbes, deux mandolines, deux chalumeaux, deux violons accordés «  en
trombe marine », et un violoncelle ; les sonorités rauques et rustiques étant
ainsi associées à celles douces et délicates des cordes pincées. Quelques
fragments de ce concerto sont conservés dans le fonds «  Esposti  », à la
bibliothèque du Conservatoire de Venise, avec une partie supplémentaire de
cors, des instruments dont la Pietà ne fera l’acquisition qu’en 1747 ; ce qui
laisse supposer qu’il y aura, à la Pietà, une exécution posthume de cette
œuvre de Vivaldi70.
En ce mois de mars  1740, Antonio Vivaldi offre au prince de Saxe des
pièces splendides, où se répondent l’une l’autre – on peut le supposer – la
virtuose Anna Maria, alors « maestra », et les meilleures solistes du chœur ;
les mêmes musiciennes qu’avait entendues avec admiration Charles de
Brosses, quelques mois plus tôt. Cette somptueuse combinaison de timbres,
ces instruments rares excellemment joués par les «  filles du chœur  »
constitue un concert d’exception donné à la Pietà «  pour l’amour  » de
Friedrich Christian – ou «  pour l’amour  » de Vivaldi envers les filles du
chœur ? Cette célébration fut, pour le jeune prince de dix-huit ans, une sorte
d’initiation, semblable à celle que son père, encore jeune homme, avait
connue en ce lieu, en 1716-1717. Moment symbolique aussi pour les filles
de la Pietà ; pour Anna Maria surtout, qui avait préparé ce concert avec ses
compagnes, afin de rendre hommage au maître auquel elles devaient tout.
Un élan de nostalgie peut-être pour le Prêtre roux qui, avant de quitter
Venise et les filles de la Pietà, s’offrait ce luxe suprême de revenir aux
temps glorieux de sa jeunesse et de la Juditha triumphans  : feu d’artifice,
banquet sonore, effets d’échos surprenants et, en même temps, pleins de
douceur  ; palette aux couleurs flamboyantes  ! Après tant de déboires et
d’humiliations, tant d’imitations serviles des rossignols napolitains, Vivaldi
redressait la tête et, empli d’orgueil face au jeune prince saxon, il retrouvait
sa dignité et saluait une dernière fois sa Venise triomphante !
 
Le 9  mai suivant, Antonio Vivaldi recevra du comptable de la Pietà la
somme de 15 ducats et 23 grossi «  pour avoir consigné trois concertos et
une sinfonia pour l’usage du chœur71 ». On suppose qu’il s’agit des quatre
pièces instrumentales exécutées le 21 mars, en présence du prince allemand.

Vivaldi vend ses concertos à la Pietà

En ce printemps 1740, Vivaldi vient de fêter ses 62  ans. Il prépare son
départ vers l’Autriche. Dans cette perspective, il propose aux députés de la
Pietà un lot de partitions. Le 29 avril, ceux-ci délibèrent en ces termes :
Nous avons constaté que notre chœur a besoin de concertos, pour
l’orgue et pour d’autres instruments, afin de maintenir le chœur dans
l’estime dont il jouit. Il se trouve que le Rev. Vivaldi s’apprête à quitter
cette Dominante et qu’il dispose d’un certain nombre de concertos dont
nous pourrions faire l’acquisition. On convient donc que Messieurs les
Gouverneurs chargés de l’Église et du Chœur se consultent, afin de
décider s’il faut ou non en faire l’acquisition, pour une dépense
correspondant à un sequin par partition, (payés) par notre caisse, selon
l’usage72.
La proposition de Vivaldi est rejetée (4 «  oui  », 3 «  non  » et 3
abstentions). Toutefois, le 12  mai Vivaldi reçoit de la Pietà (outre le
paiement des pièces jouées le 21  mars déjà réglé trois jours plus tôt), la
somme de 70 ducats et 23 grossi (= 440 lire ou 20 sequins) pour la vente de
vingt concertos.
Le reçu de ce paiement constitue le dernier élément connu qui, dans les
livres comptables de la Pietà, concerne Antonio Vivaldi73.

L’huissier constate l’absence de Vivaldi, mai-juin 1740

Fin mai et début juin 1740, un huissier se rend à plusieurs reprises chez


Vivaldi afin de lui faire signer un document  ; mais au domicile du Prêtre
roux, personne ne répond.
Pour comprendre la chronologie des faits, il faut revenir quelques instants
au théâtre Sant’Angelo… même si, en ce printemps 1740, les portes sont
closes.
Feraspe, présenté à la saison d’automne 1739, avait été favorablement
accueilli par le public. Pourtant, début janvier, lorsque commence la saison
du carnaval 1740, Felice Doni, l’imprésario, se retrouve plongé dans les
difficultés74. Le 5 janvier, deux des artistes de la troupe avaient fait appel
aux Giudici dell’Esaminador (une magistrature qui s’occupe, entre autres,
des litiges entre les imprésarios et les chanteurs)  ; le 19  février, les autres
chanteurs et artistes s’étaient joints à eux. Le 22  février, un magistrat
demandait la séquestration des bénéfices de la caisse et ordonnait aux
plaignants de continuer les représentations. Au début du mois de mai, les
dettes du théâtre étaient purgées et le séquestre pouvait être levé. Les deux
censeurs étaient disposés à clore le litige, à la condition que les personnes
qui avaient déposé une plainte signent une décharge. Dans cet objectif, un
huissier se rendit trois fois chez Antonio Vivaldi, à son habitation de Rialto,
les 24, 25 et 27 mai, pour lui remettre le document du magistrat ; mais en
vain car la porte resta close  ; les voisins dirent simplement que le Prêtre
roux n’était pas à Venise. Le 9 juin, l’absence du compositeur fut constatée
une dernière fois, puis les magistrats fixèrent la date du 10  juin comme
dernière alternative. Les chanteurs ayant désormais tous signé, le censeur
leva le litige le 4  juillet, et distribua le résidu des sommes dues aux
différents collaborateurs de la saison75.
De ce litige judiciaire, et de l’absence constatée du compositeur à son
domicile, on déduisit qu’Antonio Vivaldi avait quitté Venise entre le 12 et le
24 mai 1740.

Une fête devant un trône vide

À cette date, Friedrich Christian de Saxe préparait lui aussi son départ.
Le Sénat vénitien venait d’ordonner au provéditeur général de Palmanova76
de faire en sorte que le passage du prince à la frontière entre la Vénétie et
l’Autriche soit aisé et rapide77.
Le soir du 9  juin 1740, l’Académie Albrizzi (Accademia Albriziana)
avait exceptionnellement réouvert son casino, situé sur les Fondamente
Nuove, pour une fête magnifique donnée en hommage au prince de Saxe.
Les académiciens avaient organisé un concours de musique et de poésie, et
réalisé une mise en scène, toute à la gloire de Friedrich Christian. Là où la
gondole du prince devait accoster, on avait construit un arc de triomphe et
placé, de chaque côté, les statues de César et de Cicéron. Un escalier mobile
permettait de monter au premier étage, et de se rendre dans le hall de
l’Académie où l’on avait placé un trône sous un baldaquin. Le salon était
tout décoré d’allégories, d’emblèmes, de bustes de philosophes, de poètes et
de personnalités de l’Antiquité, qui côtoyaient les portraits et les médaillons
représentant des Vénitiens illustres. La maison entière était illuminée par
des torches et des objets en verres colorés. Toute la nuit durant, on fit de la
musique et l’on récita des vers… Mais cela fut fait en vain car, le matin
même du 9  juin, après les cinq mois passés à Venise, le prince et sa suite
avaient pris la route de Padoue. Ainsi, écrit Massimo Gemin, «  sur les
Fondamente Nuove, tandis que la nuit tombait, et que le vent des
montagnes – 1740 fut l’année d’un froid polaire – plissait les ondes de la
lagune, et s’engouffrait dans les calli sombres du front nord de la ville, un
lieu oublié même par les cartographes, derrière les vitres tremblantes de
l’Académie Albrizzi, la fête se fit quand même, mais face à un trône
desert78  ». C’est ce même froid glacial qui emporta peut-être avec lui
Antonio Vivaldi… à moins que le Kurprinz qui, en ce début juin 1740, avait
repris la direction de Vienne, ait emmené, dans l’un des carosses qui
formaient son escorte, le génial Prêtre roux, comme autrefois les
ambassadeurs vénitiens avaient transporté avec eux le compositeur,
lorsqu’ils allèrent rencontrer l’empereur, à Trieste.

39

 L’ultime résidence

 Vienne

 (février-juillet 1741)

À la date du 8 février 1741 Anton Ulrich de Saxe-Meiningen note cette


phrase dans son journal : « … après quoi j’ai parlé rapidement avec le vieux
Vivaldi ou Prete rosso qui s’était fait annoncer le huitième matin, alors que
j’étais en train de dicter mon journal  ; on l’a renvoyé à une date
ultérieure  »  ; en marge du cahier, on lit quelques mots, une phrase,
inachevée : « Puis le compositeur Vivaldi s’est79… »
Trois jours plus tard, le 11 février, le duc de Saxe écrit encore : « … le
compositeur Vivaldi est venu pour la seconde fois, mais à nouveau il n’a pu
obtenir d’audience. »
Ces phrases mystérieuses sont les premières références connues qui
témoignent de la présence d’Antonio Vivaldi à Vienne. S’il avait quitté
Venise à la fin du mois de mai  1740, qu’avait donc fait le compositeur
jusqu’à ce mois de février 1741 ?
On a souvent suggéré que, après avoir quitté Venise, Vivaldi se serait
d’abord rendu à Graz où, après l’échec de Ferrare, Anna Girò avait été
engagée, en  1739 et  1740, pour cinq opéras, donnés au théâtre du
Tummelplatz80. Les spectacles représentés par la troupe de Pietro Mingotti
étaient généralement des pastiches (comme ceux que donnait Pietro Denzio
à Prague et comme ceux que diffusaient dans l’Europe entière les
compagnies italiennes itinérantes), pastiches façonnés sur des livrets
maintes et maintes fois réutilisés. Il s’agissait de collages d’arias puisées
dans les partitions d’auteurs à la mode, adaptées aux chanteurs et aux
besoins des scènes de passage. Les chanteurs apportaient eux aussi leurs
airs favoris qu’ils colportaient d’une ville à l’autre et qu’ils intégraient à ces
spectacles composites. C’est ce que fit Anna Girò dans les pastiches
auxquels elle participa ces deux saisons-là à Graz. Ainsi, la Rosmira qui fut
jouée dans cette ville en automne 1739 n’est pas l’opéra que Vivaldi venait
de créer au théâtre Sant’Angelo. La partition a disparu, mais le livret suffit à
montrer que la version de Graz dépend en grande partie de celle qui avait
été représentée précédemment, par la même troupe, dans la ville
autrichienne de Klagenfurt  ; version qui elle-même était fondée sur un
opéra donné à Venise en 1725, avec une musique de Leonardo Vinci. L’aria
de Vivaldi qui figure dans ce drame, « Pensa che dei tacer », fut apportée
par Anna Girò, qui l’avait chantée à Venise, en 173881.
L’éventualité d’un séjour à Graz d’Antonio Vivaldi à la fin de l’année
1740 est peu probable. Rien ne justifice ce détour. Par ailleurs, en
février  1740, Anna était déjà rentrée à Venise puisqu’un témoin rapporte
qu’il l’a entendue chanter, aux côtés de Vivaldi et d’autres musiciens à
l’ambassade d’Espagne, lors de la fête organisée pour le mariage de
l’Infant82. Il n’y avait donc aucune raison de retourner à Graz…
Nous ne savons pas quand Antonio Vivaldi est parvenu à Vienne, après
avoir quitté Venise ; nous fixons approximativement son installation dans la
capitale de l’Empire vers la fin mai 1740. Un fait est certain : le décès de
l’empereur, survenu le 20 octobre 1740, à l’âge de 55 ans ; un événement
qui ne peut qu’avoir perturbé le projet du Vénitien. Cette mort imprévue
plonge l’Empire dans le désarroi. Charles VI ne voulait pas que règne à sa
suite l’un des maris de ses deux nièces (les filles de son frère Joseph
décédé) : le premier, l’Électeur de Saxe et roi de Pologne Augustus III avait
épousé Marie-Amélie ; le second, l’Électeur de Bavière, Karl Albrecht (le
fils de Therese Kunigunde), avait épousé Marie-Josèphe (l’un et l’autre des
habitués de Venise !). L’Empereur avait exprimé le désir que ce soit sa fille
Marie-Thérèse qui assure sa succession. Mais les puissances européennes
n’avaient pas coutume qu’une femme règne sur un État aussi vaste. Aussi
plusieurs pays, dont la France, se coalisent et se soulèvent contre cette
succession féminine. En décembre  1740, le litige déclenche la guerre dite
de « Succession d’Autriche ». L’Électeur de Saxe assure la régence à partir
de novembre 1740 ; et, contrairement à la volonté de Charles VI, c’est Karl
Albrecht qui devient empereur (Karl  VII), de 1742 à sa mort, en 1745.
Après le décès de son cousin, Marie-Thérèse réussira à faire monter son
mari, Franz Stephan, sur le trône ; elle deviendra enfin impératrice, comme
son père l’avait souhaité.
Habituellement malchanceux, Antonio Vivaldi arrive à Vienne dans une
période de deuil et de troubles politiques graves. Les spectacles sont
interrompus. Il est peu probable que, dans de telles circonstances, son titre
de «  maître de chapelle  » de Franz Stephan ait pu lui être d’une grande
utilité !
Autre question : quel pouvait être l’objet de ce rendez-vous si pressant,
en février 1741, auprès du duc de Saxe-Meiningen, qui avait quitté la Saxe
pour faire partie, à Vienne, du gouvernement de régence ?

Anton Ulrich de Saxe-Meiningen : deux rendez-vous manqués

À la mort de son père, en 1706, Anton Ulrich avait hérité du duché de


Meiningen qu’il partageait avec ses deux demi-frères aînés83. Le duc
connaissait Vivaldi depuis longtemps, du moins par l’intermédiaire de l’un
de ses amis, le comte Wenzel von Morzin, auquel Vivaldi avait dédié ses
concertos de l’Opus 8. Dix-sept ans plus tôt, le 13  octobre 1723, Anton
Ulrich notait déjà dans son journal  : «  … Le comte Marcin [Morzin] m’a
envoyé 6 concertos de Vivaldi, 1 de Laurenzo et 3 ouvertures de Fasch84. »
Anton Ulrich était un collectionneur de livrets d’opéras. Dans le
catalogue de sa bibliothèque, détruite pendant la Seconde Guerre mondiale,
figuraient de nombreux livrets de spectacles qui avaient été représentés au
théâtre du Kärntnertor  ; et, parmi ces livrets, se trouvait L’Oracolo in
Messenia de Vivaldi, donné dans ce même théâtre pour le carnaval 1742.
Le Theater am Kärntnertor

Le théâtre du Kärntnertor (théâtre de la Porte de Carinthie), dit aussi


« Théâtre privilégié de Sa Majesté », avait été fondé en 1709. À l’époque de
Vivaldi, les deux directeurs étaient Joseph Carl Selliers et Francesco
Borosini, un ténor que l’on avait entendu à Venise, en 1708, dans Il Vincitor
generoso d’Antonio Lotti. Le théâtre du Kärntnertor n’a pas l’autorisation
de monter de vrais opéras sérieux, réservés au théâtre de la cour ; aussi son
répertoire est essentiellement formé de pastiches, de farces, de pièces
parlées. Souvent il s’agit de reprises de spectacles présentés auparavant au
théâtre San Samuele de Venise. Les livrets sont publiés en versions
bilingues, italien et allemand, sans les noms des artistes85.
Il ne serait donc pas exact de dire que certains opéras de Vivaldi auraient
été représentés dans ce théâtre, même si les titres des spectacles pourraient
le laisser croire (Ginevra, Tito Manlio, Teuzzone, Bajazet…). Les partitions
ont disparu, mais les livrets révèlent que des airs ou des ensembles vocaux
de Vivaldi avaient effectivement été intégrés à ces pastiches. Le premier
opéra qui fasse penser à Vivaldi avait été entendu dans cette salle le
5  janvier 1737. C’était une reprise de La Fida Ninfa, sur le livret de
Scipione Maffei, le spectacle qui avait fait l’inauguration du Teatro
Filarmonico, à Vérone, cinq ans plus tôt. Le livret de cette nouvelle Fida
Ninfa s’intitule Il giorno felice/Der glückselige Tag (Le jour heureux)86.
Par son contexte tendre et pastoral, le texte de Scipione Maffei convenait
très bien pour fêter la naissance (le 5  février 1737) de la première fille,
Maria Anna, de Franz Stephan de Lorraine et de Marie-Thérèse de
Habsbourg. Par ailleurs, Maffei avait toujours entretenu de bonnes relations
avec l’empereur auquel il avait, en 1714, envoyé le manuscrit de son texte.
Sur le frontispice du livret est imprimé un médaillon ; on y voit le couple
princier face à un temple ancien, entouré de divinités avec leurs attributs ;
une nurse apporte le bébé. Dans l’« Argomento », il est dit qu’on a tenté de
respecter le texte original. À la fin du drame, afin de célébrer la gloire de la
maison impériale des Habsbourg et la naissance de la petite princesse, les
aspects mythologiques sont plus développés. Parmi les 25 numéros, 7 sont
les mêmes que dans la version de 1732.
 
Il giorno felice est le premier des trois opéras de Vivaldi représentés à
Vienne, au théâtre du Kärntnertor. Le second spectacle vivaldien est donné
en juillet 1738 : il s’agit d’une reprise de La Candace, o’siano li veri amici,
qui avait été créée à Mantoue à la fin janvier  1720. Plusieurs détails
montrent qu’il s’agit d’une reprise de la version de 1720. Par exemple
« Anima del cor mio » qui, dans de nombreuses versions de cet opéra, est
traitée comme une aria, devient ici un quatuor vocal, comme à Mantoue.
Dans ce même opéra apparaissent plusieurs autres arias puisées dans les
opéras de Vivaldi  : «  Superbo di me stesso  » (de L’Olimpiade de 1734)  ;
«  Quell’usignolo che innamorato  » (de L’Oracolo in Messenia, dans la
version de Venise, 1738) et « Chi mai d’iniqua stella » (de la Rosmira de
1738)87.
 
On peut donc imaginer qu’Antonio Vivaldi est arrivé à Vienne, au début
de l’été 1740, ses malles emplies de partitions : musique à vendre ou à faire
représenter au théâtre du Kärntnertor. Parmi celles-ci, il y avait sans doute
L’Oracolo in Messenia, peut-être aussi Feraspe ; il aurait pu convaincre les
directeurs du théâtre d’une reprise, pour 1741… Cette hypothèse
expliquerait que les manuscrits de ces opéras aient disparu. En raison du
deuil national, les projets de spectacles furent forcément remis à plus tard
(cette «  date ultérieure  » évoquée par Anton Ulrich…). Entre-temps, le
compositeur vénitien avait cru bon de s’installer dans un logement, si
possible le plus près possible du théâtre, en raison de ses problèmes de
santé. Enfin arrivé à Vienne, une ville où vivait déjà une importante colonie
italienne, Vivaldi était en droit de nourrir des espoirs plus grands encore…

Antonio Vivaldi et l’empereur Charles VI

Grâce à son poste à la cour de Mantoue, Vivaldi avait évolué pendant


vingt ans dans le milieu des représentants de l’empereur en Italie. Lorsque,
en raison de la mort de l’Impératrice douairière, la cour de Mantoue avait
décrété le deuil national, Vivaldi était rentré à Venise avec, en poche, une
lettre de recommandation, signée par Philipp de Hesse-Darmstadt et
destinée à l’ambassadeur de Vienne à Venise, Johann Baptist Colloredo.
L’année suivante, il créait La Silvia, opéra destiné à fêter l’anniversaire
d’Élisabeth Christine de Brunswick-Wolfenbüttel, à Milan, la capitale de la
Lombardie dont le gouverneur était Hieronymus Colloredo. En
septembre  1728, Vivaldi avait profité du voyage des deux ambassadeurs
vénitiens pour aller rencontrer l’empereur à Trieste qui, avec toute sa suite,
devait passer quelques jours dans cette ville. Passionné de musique, jouant
lui-même du clavecin, Charles VI avait, affirme l’abbé Antonio Conti, parlé
davantage avec Vivaldi qu’il ne l’aurait fait, pendant deux ans, avec ses
ministres. À la même période, Vivaldi avait dédié deux recueils, de douze
concertos chacun, à Charles : le premier, un manuscrit autographe, conservé
à Vienne, et l’autre, l’Opus 9, publié à Amsterdam, avec une dédicace à
Charles VI. Tous deux portent le même titre, « La Cetra » (la lyre), symbole
de la musique qu’aime Charles et symbole des Habsbourg. Est-ce à Trieste,
à cette occasion-là, que Vivaldi avait rencontré ses deux nouveaux
mécènes : le prince de Liechtenstein, un conseiller privé de l’empereur, et
Franz Stephan, duc de Lorraine, futur époux de Marie-Thérèse ? Leurs deux
noms figurent en effet dans la liste des personnalités qui se trouvent auprès
de l’empereur, lors de l’audience que celui-ci accorde aux ambassadeurs
vénitiens à Trieste, le 10 septembre 1728…
Jusqu’en 1735, date à laquelle Philipp de Hesse-Darmstadt quitta son
poste de gouverneur, Vivaldi employa constamment son titre de « maître de
chapelle de chambre  » du représentant impérial à Mantoue. Son
attachement à l’Empire avait parfois placé le Vénitien dans une situation
politiquement équivoque. Il fréquentait par exemple le milieu français à
Venise, ainsi que le cardinal Pietro Ottoboni (qui avait été exilé à Rome
pour son soutien trop marqué à la cause française). Or, les Français sont les
ennemis héréditaires des Habsbourg, qui sont, par ailleurs, des alliés de la
République Sérénissime, surtout lors des nombreuses guerres contre les
Turcs. Autre contradiction  : à Vérone, lors de la représentation de
L’Adelaide, Vivaldi s’était exprimé assez durement contre certains membres
appartenant à l’élite de la ville, qui démontraient une sympathie trop
marquée envers l’empereur  ; dans la préface du livret, il rafraîchit les
consciences en rappelant comment «  les derniers rois italiens avaient été
évincés, et comment la pauvre Italie était retombée sous le joug étranger ».
 
Autre point obscur dans la biographie de Vivaldi  : le (ou les) voyages
dans les pays allemands, qu’Antonio effectue avec son père, Giovanni
Battista, à une période que l’on situe entre l’automne  1729 et  1731. Plus
tard, le 16 novembre 1737, dans sa longue lettre autobiographique à Guido
Bentivoglio, Vivaldi lui-même affirme  : «  J’ai été convoqué à Vienne.  »
Mais à quelle date aurait-il effectué ce premier séjour  ? Et qu’a-t-il fait à
Vienne, s’il y est vraiment allé  ? A-t-il rencontré personnellement
Charles VI, pour lui remettre par exemple les concertos de La Cetra ?
 
Le Vénitien Antonio Caldara, Vice-Kapellmeister de la chapelle musicale
de la cour des Habsbourg, arrivé à Vienne vingt ans plus tôt (tout juste après
le décès d’un autre Vénitien, Marc’Antonio Ziani), s’était éteint le
28  décembre 1736. Le maître de chapelle, Johann Joseph Fux, disparaît à
son tour, le 13 février 1741, quelques jours seulement après que Vivaldi a
cherché à joindre Anton Ulrich de Saxe-Meiningen. Profitant de l’estime
que lui portait Charles  VI et de son titre de maître de chapelle de Franz
Stephan, le compositeur espérait-il un poste dans la prestigieuse chapelle
musicale des Habsbourg ? Un espoir nourri depuis longtemps, suffisamment
fondé pour quitter Venise, à l’âge de soixante deux ans, malgré une santé
précaire, et prendre un logement près du théâtre du Kärntnertor, en
attendant ?

La maison de Vivaldi à Vienne

La maison où habitait Vivaldi à Vienne était située au numéro 1038 de la


Sattlergasse  ; elle formait un angle avec la Kämtnerstrasse. On l’appelait
«  das Sattlerische Haus  »  ; c’est-à-dire «  la maison du sellier  ». Elle
appartenait à Maria Agathe Wahlerin (Wahler, ou Wallerin), la veuve du
maître sellier, Augustin Wahler. Cette maison fut rasée au début du
xixe  siècle. Sur une gravure ancienne, on voit que l’édifice où logeait le
compositeur était presque accolé à l’entrée du théâtre88.
Antonio Vivaldi avait donc plusieurs bonnes raisons d’être pressé de
rencontrer Anton Ulrich  : lui vendre des concertos, parler de nouveaux
projets d’opéras pour le Kärntnertor, peut-etre aussi lui faire part d’autres
objectifs, plus importants, des projets qu’il avait prévu de confier à
l’empereur en personne…

Le comte de Collalto, un Vénitien en Moravie

La seconde trace tangible de la présence de Vivaldi à Vienne date du 28


juin 1741. Le compositeur vend un lot de partitions au comte Vinciguerra
Tommaso Collalto  ; au sécrétaire du comte, il remet ce reçu, signé de sa
main :
Ce 28 juin 1741. Vienne.

Je soussigné avoir reçu douze Hongrois de l’Hon. Secrétaire de S.  E.


S. Ant.° Vig.a Comte de Collalto, pour le compte et sur l’ordre du Sr sus
nommé, pour l’achat de beaucoup de musique vendue par moi-même. Val.
: Ung. 12.
Moi, Antonio Vivaldi j’atteste ci-dessus de ma main 89

Le comte de Collalto était le fils aîné d’Antonio Rambaldo Collalto, un


amateur de musique bien connu. Les Collalto de Moravie étaient issus
d’une famille de riches marchands vénitiens. Antonio Rambaldo avait
hérité, en 1707, de territoires situés dans cette région de l’actuelle Tchéquie,
dont le château de Brtnice (Pirnitz). Dès leur arrivée, ils firent prospérer la
petite ville et apportèrent à la vieille demeure un décor baroque.
On a supposé que les partitions vendues par Vivaldi au comte de Collalto
sont peut-être celles qui furent signalées dans l’inventaire musical du
château de Brtnice et actuellement conservées au Moraskvé Muzeum de
Brno : la Sinfonia d’ouverture de l’opéra Bajazet et quinze concertos pour
violon. Six d’entre eux sont perdus  : ils étaient des pièces uniques90. Le
manuscrit du Salve Regina (RV 617, pour soprano, violon solo, cordes et
bc), se trouve dans la même bibliothèque.
Pour ces œuvres, Vivaldi reçoit 12 ducats « hongrois » (correspondant à
192 lire vénitiennes, c’est-à-dire 12 lire par pièce). À Venise, avant son
départ, les députés de la Pietà auraient payé le compositeur un sequin (= 22
lire) par concerto ; un touriste anglais aurait donné une guinée (= 48 lire),
c’est-à-dire plus du double91.
Depuis Venise, on sait que Vivaldi cherchait à vendre assez cher (Charles
de Brosses en a témoigné !) ses manuscrits, soit à des voyageurs de passage,
soit à des commanditaires fortunés avec lesquels il était en relation
épistolaire : « J’ai le loisir de correspondre avec neuf grands Princes, et mes
lettres circulent dans toute l’Europe  », avait-il lui-même écrit, le
16 novembre 1737, à Guido Bentivoglio…
Ce reçu signé le 28 juin 1741 de la main de Vivaldi est la dernière trace
que nous conservions du compositeur.

Le décès, les funérailles

Antonio Vivaldi décède dans la nuit du 27 au 28 juillet 1741, ou à l’aube


du 28 juillet. Il est le premier à être visité par les inspecteurs de police, le
matin du 28, et il est le premier cité, ce jour-là, sur le registre des morts de
la paroisse de Saint Stéphane.
Dans le «  Protocole des décès  », on lit cette simple phrase  : «  Le
Venerando Signor Antonio Vivaldi, prêtre séculier, dans la maison Satler
près de Kärntnertor  ; inflammation interne [Inneren Brand], âge  : 60  ans
[Vivaldi en avait en réalité 63], dans le cimetière de l’hôpital92 ».
Sur le Registre des funérailles de la commune, apparaît cette note de frais
pour les funérailles du compositeur :
Cloches (petit son) : 2.36 ;
M. le Curé : 3. ;
Ornements funèbres : 2.15 ;
Image de la paroisse : – 30 ;
Emplacement : 2. ;
Fossoyeur et sacristain : 1.15 ;
Servant : – 30 ;
6 porteurs pour le cercueil avec manteau : 4.30 ;
6 torches : 2. ;
6 enfants de chœur : – 54 ;
cercueil : – 15.
 
Total : 19.4593. (19 Gulden (= florins) et 45 Kreuzer)
Il s’agit d’un enterrement modeste, comparé au coût des funérailles pour
un riche citadin de la ville, qui figure sur la même page : 102 Florins et 35
Kreutzer. «  Pour Mozart, écrit le musicologue américain H.C. Robbins
Landon, spécialiste de Haydn et de Mozart, le 10  décembre 1791, on
dépensera douze Florins et neuf Kreutzer… Parmi les six enfants de chœur
de Saint-Stephan, se trouvait le jeune Joseph Haydn qui, dans cette triste
circonstance, était probablement le seul à être conscient de la valeur de ce
compositeur, désormais pauvre et déjà oublié, et qui, comme Mozart un
demi-siècle plus tard, ne reçut qu’un emplacement dans une fosse ignoble et
anonyme, quelque part dans la grande ville, capitale de la monarchie
autrichienne94. »
Le cimetière où Vivaldi fut enterré était appelé « cimetière de l’hôpital »
(« Spitaller Gottesaker »). Il était situé légèrement hors de ville, près de la
magnifique église baroque de Saint-Charles Borromée qui avait été
commandée par Charles  VI après la peste de 1713, et qui venait d’être
terminée. On l’appelait communément le «  cimetière des pauvres
pécheurs  », car on y enterrait souvent des criminels, punis de la peine de
mort. Ce cimetière n’existe plus ; il fut abandonné vers 178395. Entre 1815
et 1818, sur ce lieu, fut construite la « Technische Universität » de Vienne.
Une plaque commémorative rappelle le souvenir du compositeur
vénitien : « À cet endroit se trouvait jusqu’en 1789 le cimetière des pauvres
pécheurs/Antonio Vivaldi né le 4  mars 1678 à Venise fut enseveli ici le
28 juillet 174196. »
 
De Vivaldi à Vienne, il ne reste donc aucune trace : ni maison, ni théâtre,
ni cimetière, ni même les partitions des opéras joués dans la ville. Ce séjour
à Vienne ne fut qu’une série de projets manqués. Pour le Prêtre roux, un
seul rendez-vous se concrétisa  : celui que le musicien avait fixé, dans la
capitale autrichienne, avec son destin…
Le 2  août, le journal Wiener Diarium imprima dans sa rubrique
nécrologique cette brève annonce  : «  28  juillet. Dans notre ville, le très
Révérend Monsieur Antonius Vivaldi, prêtre séculier, dans la maison,
Walleris, près de la porte de Carinthie, à l’âge de 60 ans97. »
Six mois après le décès du compositeur, pour le carnaval 1742, on
représente au théâtre du Kärntnertor son opéra L’Oracolo in Messenia. Tout
laisse penser qu’Anna Girò est à Vienne, et participe à cette production…

L’Oracolo in Messenia, Vienne, carnaval 1742, avec Anna Girò dans


le rôle de Merope

Lors de sa représentation à Venise, au carnaval 1737-1738, L’Oracolo in


Messenia (RV 726) avait connu un grand succès. Dans le rôle de la reine
Merope, Anna y avait été vivement applaudie.
Le livret de la représentation viennoise ne fut longtemps connu que par
un simple signalement dans un catalogue de la Österreichische
Nationalbibliothek de Vienne. Celle-ci avait reçu le fascicule en prêt de la
bibliothèque musicale d’Anton Ulrich de Saxe-Meiningen, avant que celle-
ci ne soit détruite, lors de la Seconde Guerre mondiale. Plus tard, une copie
du microfilm de ce livret viennois fut retrouvée par Michael Talbot, à la
Library of Congress à Washington, ainsi que, séparément, sa traduction
allemande. Habituellement, dans les livrets des pastiches représentés au
théâtre du Kärntnertor, les noms des compositeurs ne paraissent pas. Or,
cette fois-ci, Vivaldi est cité expressément, et de façon posthume  : «  La
musique est du défunt D. Antonio Vivaldi » ; ce qui montre l’estime dont le
compositeur vénitien jouissait à Vienne, à cette époque. Cet Oracolo était
encore un pastiche, mais en grande partie constitué de musique de Vivaldi.
Le texte du livret est fidèle à la création vénitienne de 1738. Trois ballets
ont été ajoutés, dont on fournit la description  ; sept arias sont nouvelles  ;
quatre numéros ont été supprimés et le nom du personnage «  Argia  » est
christianisé en «  Elmira  »98. Le livret ne fournit pas les noms des
chanteurs. Impossible donc d’être certains qu’Anna Girò faisait partie de la
troupe. Il est très troublant toutefois de retrouver, inséré dans le livret de
1742, « Non, non tanta crudeltà », une très belle aria parlante, plaintive et
pleine d’interrogations, qui fut créée par Anna à Vérone, dans L’Adelaide,
puis reprise dans la foulée à Venise dans la Griselda. Anna Girò était donc
là, très probablement. Il n’y a qu’elle qui pouvait ajouter ici cette aria,
composée à son intention par Vivaldi. En chantant ce « Non, non pas tant de
cruauté », elle rendait hommage à son maître, tout en exprimant le chagrin
que lui causait sa disparition99.

Venise, après la mort de Vivaldi

La nouvelle de la mort de leur frère aîné parvient vers le 26 août 1741 à


Margherita et à Zanetta Vivaldi, qui habitent encore dans le logement situé
près du pont du Rialto, qui regarde le Grand Canal, où elles avaient
emménagé le 4 mai 1730, et où leur père Giovanni Battista était décédé, le
14  mai 1736. La maison appartient au patricien Alvise Foscarini. Le
28 septembre 1740, à une date où nous supposons que Vivaldi a déjà quitté
Venise, Foscarini déclare aux impôts le même loyer de 136 ducats annuels
payés en 1730 : «  Dans le quartier de S.  Salvador, sur la riva del Vin une
maison à don Antonio Vivaldi, pour 136 ducats annuels100. »
 
Le 3  septembre 1741, les sœurs «  Margarita et Zanetta sœurs Vivaldi  »
font intervenir les autorités judiciaires afin que soient posés les scellés sur
le logement, et que l’on effectue un inventaire des biens ; elles demandent
« que personne ne soit autorisé à déplacer les meubles jusqu’à nouvel ordre
de la justice101 ».
L’unique inventaire retrouvé dans les archives de Venise par Gastone Vio
date du 15  septembre 1741. Y figurent des meubles et des objets divers
placés dans les différentes pièces de la maison  : chaises, tables, tiroirs,
tableaux, deux «  longues armoires en bois peint à la chinoise, vides  » (ce
mot a été rajouté avec une plume et une encre différentes), des tasses,
verres, lits, matelas, draps et housses, assiettes, seaux, chandeliers et autres
accessoires  ; mais aucun instrument de musique, partitions, papier à
musique, tableau, portrait… ne sont cités. Plusieurs pièces de la maison
n’ont pas été visitées  : les locaux sur la mezzanine et la pièce située à
l’étage supérieur qui étaient peut-être occupées par les deux sœurs et, en
raison de cela, exclues de l’inventaire.
La dernière habitation vénitienne d’Antonio Vivaldi est toujours là, telle
qu’on la voit lorsqu’on descend au débarcadère du vaporetto, station
« Rialto ». Gastone Vio écrit que la maison avait à peu près le même aspect
qu’aujourd’hui. Certes, au rez-de-chaussée, il n’y avait pas les commerces
actuels. Les Vénitiens y entreposaient habituellement du bois, du vin, des
marchandises diverses ; il y avait peut-être une buanderie. Dans l’entresol
(aujourd’hui pourvu de fenêtres au cadre métallique), le malchanceux frère
cadet, Francesco, avait peut-être installé son logement. Vu de l’extérieur, le
premier étage paraît spacieux. C’est là sans doute que Carlo Goldoni
rencontra le compositeur, lors de la préparation de la Griselda. Au même
étage, se trouvaient peut-être les deux chambres à coucher des Vivaldi, père
et fils. Les pièces au second étage ont dû être ajoutées au xixe siècle102. Les
Vivaldi entraient par la calle San Antonio, aujourd’hui calle Bembo, au
n° 4644. Dans la proche, et très courte, calle del Lovo (del lupo en italien,
c’est-à-dire «  du loup  »), qui conduit aujourd’hui au théâtre Goldoni, se
trouvait en 1750 la boutique des frères Pietro et Daniele Mauro, fils de
Cecilia Maria Vivaldi et de Giovanni Antonio Mauro103.
Le décès d’Antonio Vivaldi n’est annoncé à Venise que par une mention
discrète, dans une chronique manuscrite de la ville (une de ces phrases
excessives qui plaisent aux Vénitiens) : « 173… l’Abbé D. Antonio Vivaldi,
incomparable virtuose du violon, dit le Prêtre roux, compositeur de
concertos, gagna en son temps 50  000 ducats, mais en raison de sa
prodigalité démesurée, il mourut dans la pauvreté, à Vienne104. »
 
À l’époque du décès de Vivaldi, Anna Girò habite toujours près du
théâtre Sant’Angelo, corte dell’Albero, une cour où se trouve aussi le
scénographe Antonio Mauro qui, avant le désastreux litige de
mars 1739105, créa de nombreux décors pour les opéras de Vivaldi, tels ses
«  Orlando  », tantôt «  faussement fou  », tantôt «  furieux  ». À la même
période, en 1714, Vivaldi disposait lui aussi d’un local dans une annexe du
théâtre (« Casa del Teatro », au numéro 122)106. La maison où vivait Anna,
avec sa sœur Paolina et, semble-t-il, aussi leur mère, appartenait à la famille
Marcello. Gastone Vio, aujourd’hui décédé, avait tenté de localiser la
maison d’après un ancien cadastre  ; il s’agit peut-être de l’actuel n°  345,
écrit-il, un bâtiment adossé au palais Corner-Spinelli. Entre la fin de 1739 et
le début de 1740, dans un registre d’impôts, on trouve cette ligne  :
« Maison : Madame Anna Girò se trouve à Graz ; elle paie au Nobil Homo
Zuan Vettor Marcello 90 ducats  ». La même année, à l’occasion d’un
recensement exigé par la magistrature des « Provveditori alle Pompe », afin
que les habitants paient un impôt sur l’éclairage de la ville proportionnel
aux loyers payés, Anna Girò est taxée quatre ducats ; sur le document, il est
précisé que celle-ci est absente. Le 17 février 1742, le magistrat charge un
huissier de relever la taxe en question  ; il est noté  cette fois que celle-ci  :
« … est partie pour Vienne » (« […] andò a Vienna »), une information qui
confirme la présence d’Anna en Autriche, et donc sa participation possible
à l’opéra L’Oracolo in Messenia, pour le carnaval 1742, au théâtre du
Kärntnertor.
Les registres des taxes fournissent d’autres indications qui témoignent
encore de la présence d’Anna Girò dans cette maison. À la date du premier
juillet  1745  : «  Madame Anna Girò, virtuose de musique, âgée de 29  ans
[indication erronée ; Anna, à cette date, étant plus proche des 39 !], avec sa
sœur et sa mère, et elle paye 80 ducats. » Le 6 juin 1748, Anna est toujours
signalée avec sa sœur mais la mère n’apparaît plus  ; elle est sans doute
décédée. Dans le registre des décès de la paroisse de Sant’ Angelo, figure
cette information  : «  7  novembre 1747  : Madame Maddalena Aubert, qui
était la veuve de Simon Bongiraud ; âgée de 82 ans, morte après sept jours
de fièvre aiguë, par la foi du médecin Scaliera, a fini de vivre hier soir à
quatre heures. Sa fille la fera ensevelir religieusement107.  » Cette
Maddalena Aubert semble bien être la mère des sœurs Anna et Paolina Girò
qui, le 24  novembre 1715, avait épousé en secondes noces le perruquier
français nommé Bongiraud. À la date du 17 juillet 1748, apparaît cette autre
information : « Madame Paolina Girò, virtuose, paie 70 ducats de loyer au
noble Vettor Marcello » : Anna n’habite donc plus dans l’appartement de la
corte dell’Albero.
 
Anna Girò chante une dernière fois à Venise, au théâtre San Samuele,
pour l’Ascension 1747, dans un rôle masculin. L’année suivante, elle se
prépare à épouser le comte Antonio Maria Zanardi Landi, un homme
originaire de Plaisance, déjà âgé, qui avait un fils. Incapable de présenter
des témoins pouvant justifier de son célibat, Anna est tenue de déposer cette
requête auprès du Patriarche de Venise :
Très Saint Père,

Anna Maddalena Tessieri dite Girò, de la ville de Mantoue, s’adresse


très humblement, et avec tout son respect, à Votre Sainteté et déclare avoir
quitté à l’âge de 12 ans cette ville qui est sa patrie pour se rendre à Venise
où elle a commencé à s’exercer dans sa profession de virtuose de musique.
Ensuite, comme le demandait sa profession, elle a dû voyager dans
différentes villes, Milan, Turin, Pavie, Bologne, Florence, Graz, Vienne,
Plaisance, Ferrare, Ancône, ainsi que dans presque toutes les principales
villes de l’État Vénitien. Dans certaines, elle a séjourné trois ans, dans
d’autres, deux ; dans quelques-unes, elle est restée six mois, dans d’autres
cinq, et dans d’autres trois, toujours accompagnée par sa sœur. Désirant
actuellement contracter un mariage dans la dite ville de Venise et ne
pouvant fournir la preuve d’être restée libre pendant les périodes
correspondant à ces voyages, elle supplie Votre Sainteté de bien vouloir
intervenir auprès de Monseigneur le Patriarche de Venise, afin qu’on
veuille bien lui permettre de prononcer ce serment, malgré l’absence de
témoins pouvant confirmer sa situation de célibataire, et de bien vouloir
accepter le témoignage de sa sœur108.
À la date du 15  avril 1750, il n’y a plus trace de Anna et de Paolina
Giraud dans la maison de la corte dell’Albero109.
 
Zanetta, la sœur d’Antonio Vivaldi, décédera le 2  février 1762, «  âgée
d’environ 74  ans  ». À cette date, elle habite dans la paroisse des Santi
Apostoli.
Le 2  juin 1750, Francesco Vivaldi, le frère cadet d’Antonio, père du
célèbre copiste de musique Carlo Vivaldi, habite lui aussi dans le quartier
des Santi Apostoli, sur le «  campo Grande  ». Un registre de la paroisse
mentionne  : «  Francesco Vivaldi, avec une femme et six enfants vit de
charité. » Francesco Vivaldi paie 10 ducats par an pour une sous-location
dans une maison habitée par un prêtre110. Il décédera le 26  septembre
1752 ; sa disparition est signalée dans un registre des décès de la paroisse :
« Monsieur Francesco, né de Giovanni Battista Vivaldi, de 55 ans, exerçait
comme barbier, de fièvre maligne, avec un abcès interne, en 11 jours111. »
 
Aujourd’hui, si des personnes portant le nom de «  Vivaldi  » sont
répandues dans toute l’Italie, depuis longtemps toutefois il ne reste plus à
Venise aucun Vivaldi de la lignée dont était issu Antonio Lucio ; un enfant à
la santé fragile, né sur le campo della Bragora d’un père originaire de
Brescia, que tout le monde appelait « Rossi » (roux, rouquin), à cause de sa
chevelure de feu, qui était barbier et violoniste de profession.
 
La nouvelle église construite par l’architecte Giorgio Massari et
consacrée à Santa Maria della Visitazione, plus connue sous le nom de
« Pietà », fut consacrée le 20 septembre 1760. Dans la Gazetta Veneta on lit
que « la plus grande réussite de ce Temple est que la musique s’y entend de
façon claire et harmonieuse ».
 
La jeune virtuose sans nom, élève de Vivaldi, connue dans toute l’Europe
comme « l’Anna Maria dal Violino », ne quitta jamais la Pietà. Elle décéda
à l’âge de 86  ans, de fièvre et de phtisie nerveuse. Dans les registres de
l’hospice, on a découvert récemment un document daté du 10 août 1782 où
sa signature apparaît une dernière fois, d’une main tremblée.
1- I Teatri del Veneto, Venezia, t. II, p. 39 ; et L. Moretti, Dopo l’insuccesso di Ferrara, 1980,
p. 89-99.
2- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 627-634.
3- D-ROu, Mus. Saec XVIII. 6110.
4- A-Wn, M.  19  111. L’aria de Giacomelli ornementée par Farinelli est reproduite dans  :
S.  Mamy, Il Teatro alla Moda dei rosignoli. 1984, publication en fac-similé du manuscrit de
l’opéra Merope de G. Giacomelli et du livret d’Apostolo Zeno.
5- E. Selfridge-Field, 1984, V, p. 62.
6- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 634-642 ; tableau p. 729.
7- I-Tn, Foà 36, fol 2-126.
8- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 638-642.
9- I-Tn, Foà 38, fol. 2-108.
10- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 227-228 ; vol. 2, tableau, p. 676-677.
11- I Teatri del Veneto, Venezia, t. II, p. 43.
12- Venise, Archivio di Stato, Avogaria di Comun Civil, busta 352/13 ; et Notarile, Atti Pietro
Zuccoli, busta 14319, fol. 56 et busta 14287 n. 155 ; à la fin du document il est noté : « Cet acte
sera enregistré dans les Actes de Mr Pietro Zucoli, Notaire Public, ce 19 février 1737 » (« more
veneto » = 1738) ; document publié dans : I Teatri del Veneto, Venezia, t. II, p. 42-43, et n. 47.
13- B. Aikema et D. Meijers, 1989, p. 200.
14- B. Over, 2007, p. 288.
15- Leone Allacci, Drammaturgia, Venise, 1755.
16- Venise, Archivio di Stato, Notatorio N.  16 (R), busta 692, du 27  septembre 1737 au
21  février 1743  ; à la date du 28  mars 1738, fol. 16  ; R.  Giazotto, p.  381, document 104
(« Conferma de Ministri e Sallariati »).
17- Idem, à la date du 28 septembre 1737, fol. 6 ; R. Giazotto, 1973, p. 380-381, document
103.
18- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 444-446 ; tableau, p. 734-735.
19- Ferrare, Archivio di Stato, Archives Bentivoglio  ; Registre des lettres… 1738, t.  3, fol.
648 r° ; A. Cavicchi, 1967, p. 75.
20- Ferrare, Archivio di Stato, Archives Bentivoglio ; Codex des lettres… 1738, t. 4, fol. 645
r° ; A. Cavicchi, p. 75.
21- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 445-446.
22- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 444-446, sur les deux reprises du Siroe, re di Persia, à Ancône
en été 1738 et à Ferrare, en janvier 1739 ; tableau, p. 734-735.
23- Codex des lettres… 1739, t. 4, fol. 738 v°-739 r° ; A. Cavicchi, p. 76-77.
24- Registre des lettres… 1739, t. 1, fol. 18 r° ; A. Cavicchi, p. 78-79.
25- I-Tn, Giordano 37, fol. 58-160.
26- Sur ce manuscrit, voir F. Tammaro, 1986, et R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 430-36 ; tableau,
p.  698-99  ; R.  Strohm transcrit l’aria «  Dite, che v’ho fatt’io  » (II,  9), p.  434-436, exemple
musical 29.
27- L. Moretti, 1980, p. 91 et n. 5.
28- Venise, Archivio di Stato, Sezione notarile, busta 9559, notaire Giuseppe Mozzon, année
1739, n.  1  ; le document est transcrit par Lino Moretti, Dopo l’insuccesso di Ferrara, 1980,
p. 91-92.
29- Venise, Archivio di Stato, Sezione notarile. Atti, busta 11857, notaire Giovanni Domenico
Redolfi, année 1739, n. 4 ; document transcrit par Lino Moretti, p. 93-94 ; la lettre autographe
de Vivaldi est reproduite entre les pages  93 et  94 de l’article, ainsi que dans l’ouvrage d’E.
Pozzi, 2007, p. 402-404.
30- Robe assez ample portée par les femmes aux xviie et xviiie siècles.
31- L. Moretti, 1980, p. 93-94.
32- Venise, Archivio di Stato, Sezione notarile, Atti, busta 9559, notaire Giuseppe Mozzon,
année 1739, n. 8, Le document est transcrit par L. Moretti, 1980, p. 95-97.
33- L. Moretti, 1980, p. 97-99.
34- M. Talbot, 1995, p. 176-177 ; note du 19 avril 1739.
35- Jane L. Baldauf-Berdes (1993, p. 236-238), repère les noms de ces femmes musiciennes
dans The New Grove Dictionary of Women Composers.
36- M. Talbot, 1995, p. 177, 180.
37- Voir M.  Talbot, «  Vivaldi’s Sacred Vocal Music  : The Three Periods  » (1988), article
réédité en1999 (X), ainsi que l’ouvrage The sacred vocal music…, 1995, passim.
38- Le Lauda Jerusalem (RV 609) (I-Tn, Foà 40, fol. 127-144) fut d’abord placé par
M. Talbot dans la 3e période, puis ramené à la 2e (voir Addenda et Corrigenda, p. 8-9, dans la
réédition de l’article « The Three Periods » (1999). Sur les parties solistes il est écrit « Marga
(Margherita II) e Julietta » (Giulia II) et « Fortunata e Chiaretta » (Chiara II).
39- D-Dl, Mus. 2389-E-4 ; P. Ryom, 2007, p. 273.
40- I-Tn, Giordano 33, fol. 220-229.
41- I-Tn, Giordano 35, fol. 89-112.
42- M. Talbot, 1995, p.  234  ; voir aussi l’exemple musical 13, p.  236 où  Michael Talbot
compare le style vocal du « Quia fecit mihi magna », Allegro de la première version (RV 610)
avec celui, Andante, de la révision datée de 1739 (RV 611).
43- M. Talbot, 1995, p. 178.
44- Venise, Archivio di Stato, Ospitali e Luoghi Pii, Pietà ; Notatorio N. 16 (R), busta 692 ;
du 27 septembre 1737 au 21 février 1743 ; fol. 106 r°, à la date du 21 avril 1741 ; R. Giazotto,
p. 383, document 112.
45- Idem, fol. 126 v°, à la date du 26 janvier 1742 ; R. Giazotto, 1973, p. 383, document 114.
46- Idem, Provveditori sopra Ospedali, busta 48, v. 1740 (s.d.)  ; R.  Giazotto, 1973, p. 383-
388, document 115.
47- Le président de Brosses en Italie. Lettres familières écrites d’Italie en  1739 et  1740,
2e édition authentique, Paris, Didier, 1858, 2 vol. Le séjour à Venise est dans le volume 1 ; le
séjour à Rome dans le volume 2.
48- Voir le chapitre 22.
49- Le couple Johann Adolf Hasse et Faustina Bordoni reviendront vivre définitivement à
Venise en 1773, après avoir longuement séjourné à Dresde puis à Vienne. Ils seront ensevelis en
l’église de San Marcuola, Faustina en 1781 et Johann Adolf, deux ans plus tard (A. Bova, 1995,
n° 57 et S. Mamy, 2006, p. 105).
50- P. Ryom, 2007, « Sammlung III », p. 586. Le recueil, déjà cité (voir chapitre 23) se trouve
à Paris, à la BnF, dans l’ancien fonds du Conservatoire (F-Pc, Ac e4 346) ; d’après C. Fertonani,
1998, p. 56-57 ; p. 515 et suivantes.
51- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 644-648 ; tableau p. 701.
52- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 649-651.
53- Pallade Veneta, 7-14 novembre 1739, fol. 3-4 ; E. Selfridge-Field 1985, p. 310, 354.
54- W.C. Holmes, 1988, p. 130.
55- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 273-274 ; R. Giazotto (1973, p. 310) a donné cette information
sans citer la référence du document ; elle n’a donc pu être vérifiée.
56- Dit Frédéric Christian, en français, et Federico Cristiano, en italien.
57- Pallade Veneta, 19 au 26  décembre 1739, fol. 4  ; E.  Selfridge-Field, 1985, p.  312,
numéro 362.
58- Dans Pallade Veneta, du 26 décembre 1739 au 2 janvier 1740, fol. 4 ; E. Selfridge-Field,
1985, p. 312, n° 363.
59- Dans le journal de Benigna, 1er mars 1740, fol. 60 v° ; E. Selfridge-Field, 1985, p. 312,
note 2.
60- K. Heller, Cronologia, p. 70.
61- Venise, Bibliothèque du Musée Correr, Op. Cicogna, 46.4  ; l’opuscule est intitulé
« L’Adria festosa. Notizie storiche dell’arrivo, e Passaggio della Regina […] ; E del soggiorno
di S.A.R. ed Elettorale Federico Cristiano figlio della real maestà di Federico Augusto III Re di
Polonia, ed Elettor di Sassonia, e fratello della Regina. Ove si spiegano tutte le Funzioni
Pubbliche e Private fatte a divertimento di S.A.R. l’Anno 1740. Come pure li 3 Componimenti in
Musica delle Figlie dei 3 Pii Luoghi Pietà, Mendicanti, e Incurabili », Venise, 1740 ; voir sur ce
sujet l’article détaillé de Massimo Gemin, « L’Adria festosa, per Federico Cristiano. La lunga
visita », 1982.
62- Extrait du Commemoriali Gradenigo ; R. Giazotto, 1973, p. 306-307.
63- Venise, Archivio di Stato, Ospitali …, Pietà, Notatorio N.  16 ( R ), busta 692, fol. 72 ;
R. Giazotto, p. 381-382, document 108.
64- Le titre complet est  : «  Il coro delle Muse, serenata da cantarsi a S.A.R. ed Elettorale
Federico Cristiano figlio del regnante Augusto di Polonia, ed Elettor di Sassonia. Dalle Figlie
di coro del pio Ospitale della Pietà di Venezia. La poesia è del sig. Dottor Carlo Goldoni
veneto. La musica è del sig. Gennaro d’Alessandro Maestro di Cappella dello stesso pio
Ospitale », Venise, 1740 ; M. Gemin, 1982, p. 202, n. 32.
65- Cité par Piero Weiss, 1973.
66- I-Tn, Giordano 35, fol. 89-112 ; P. Ryom, 2007, p. 291.
67- Dresde, Staatsarchiv, Geh. Kabinett, Loc. 355, Tome 2, Journal der Reise des Kurprinzen
Friedrich Christian von Rom nach Wien  ; cf. M.  Gemin, 1982  ; dans cet article sont aussi
reproduites trois pages du journal, p. 205-211.
68- P. Ryom, 2007, « Sammlung V », p. 586-587. D-Dl, Mus. 2389-0-4 (« Concertos avec de
nombreux instruments joués par les filles du Pieux Hospice de la Pietà, devant son Altesse
Royale le Serenissimo Frédéric Christian prince royal de Pologne et Électeur de Saxe, Musique
de D. Antonio Vivaldi maître des concerts dans cet hospice. À Venise, en l’année 1740 ») ; le
volume contient les pièces suivantes  : RV 558, RV 552, RV 540 et RV 149, qui ne sont pas
placées dans le volume, dans l’ordre où elles furent exécutées à Venise.
69- C. Fertonani, 1998, p. 454.
70- M. Talbot, Fonti, 1991 p. 43, renvoie à Faun S. Tanenbaum, 1988.
71- K. Heller, 1991, p. 71.
72- Venise, Archivio di Stato, Ospitali…, Pietà, Notatorio N.  16 (R), busta 692, fol. 78 v°,
27 septembre 1737-21 février 1743 ; R. Giazotto, p. 382, document 110. M. Talbot qui reprend
cette citation, écrit que la date du 29 août proposée par plusieurs auteurs est erronée ; il s’agit du
29 avril (Vivaldi, traduction italienne, 1978, p. 84).
73- K. Heller, 1991, p. 71.
74- I Teatri del Veneto. Venezia, t. II, p. 39-40.
75- G. Vio, « Alla ricerca della data dell’ultimo addio di Vivaldi a Venezia », 1990, p. 95-96.
76- Ville de la province d’Udine, dans le Frioul-Vénétie Julienne, entre Venise et Trieste.
77- Venise, Archivio di Stato, Senato, Corti, registre 117  ; document cité par M.  Gemin,
« L’Adria Festosa… », 1982, p. 204, n. 49.
78- M. Gemin, 1982, p. 200.
79- K. Heller, 1991, p. 71.
80- J.W. Hill, 1978.
81- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 642-644.
82- K. Heller, 1991, p. 70.
83- M. Talbot, 1987  ; rééd. 1999 (III), p.  44, sur ce personnage, M.  Talbot renvoie à
H. Oesterheld, « Autographe, ja oder nein ? », dans Wertvolle Objekte und Sammlungen in den
Museen des Bezirkes Suhl, Staatliche Museen, Meiningen, 1974, p. 91-107 ; 94.
84- K. Heller, 1991, p. 39.
85- R. Haas, 1925.
86- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 504-505.
87- R. Strohm, 2008, vol. 1, p. 285-286.
88- Document iconographique conservé à Vienne (Historisches Museum), reproduit par Carl
F. Panagl, 1985, p. 111-127.
89- Ce document est conservé à Brno ; il a été reproduit en 1969 dans « Un reçu autographe
de Vivaldi daté de Vienne le 28 juin 1741 », dans Vivaldiana, vol. 1, p. 142, CIDAV, Bruxelles,
(1969), p. 142 (la source première était un article de Th. Strakowa, Casopsis Moravskeho Musea
(1966, LI, p. 199). Il a aussi été reproduit en fac-similé par E. Pozzi, 2007, p. 429.
90- Les concertos de Vivaldi conservés au Moravské Muzeum de Brno (CZ-Bm), provenant
de la collection musicale des Collalto, sont  : RV 371 (RV Anh 8), qui avait été attribué par
erreur à Anton Giranek  ; et le concerto RV Anh 13, dont on conserve une copie à Paris, à la
Bibliothèque nationale de France, attribuée d’abord à Giovanni Battista Somis. Deux de ces
concertos (RV 189 et RV 286) se trouvent aussi à Vienne, dans le recueil manuscrit de La Cetra,
dédié par Vivaldi à Charles  VI. Le concerto RV 259 fut publié dans l’Opus 6 en 1719. Pour
quatre de ces concertos (RV 367, RV 390, RV 273 et RV 286), on conserve un manuscrit
autographe à Turin. Les six concertos provenant de la collection Collalto et perdus sont  : RV
337, RV 200, RV 255, RV 290, RV 304 et RV 309.
91- M. Talbot, 1987 ; rééd. 1999 (III), p. 45.
92- Vienne, Dom- und Metropolitanpfarramt St Stephan (A-Wd), Totenbuch, vol. 23, fol. 63 ;
le document fut publié la première fois par Rodolfo Gallo dans Ateneo Veneto, fasc.  xii
(décembre  1938), ainsi que dans «  L’atto di morte di Antonio Vivaldi  », dans La scuola
veneziana, Sienne, 1941. Les documents concernant le décès et l’enterrement de Vivaldi ont été
reproduits par Carl F. Panagl, 1985 (M. Talbot, Fonti, 1991, p. 55, n° 56).
93- Vienne, Dom- und Metropolitanpfarramt St Stephan (A-Wd), Totengebührenbuch, 1741,
fol. 177v°-78 r°, document reproduit par C.F. Panagl, 1985 ; M. Tabot, 1991, p. 55, n° 57. Un
rapport médical post mortem daté du 21  juillet 1741 se trouve à Vienne, Stadt- und
Landesarchiv, Gerichtarchiv der Stadt Wien) (A-Wsa), Totenprotokoll, du 1er  juin 1740 au
31 octobre 1741, feuillet 395 (M. Talbot, Fonti, 1991, p. 56, n° 59).
94- H.C. Robbins Landon, 1996, p. 166, 199.
95- Il existe une gravue de S. Kleiner, datée de 1737, reproduite par C.F. Panagl, 1985.
96- Plaque reproduite par C.F. Panagl, 1985.
97- W. Kolneder, 1979, p. 71.
98- R. Strohm, 2008, vol. 2, p. 633-634 et E. Pozzi, 2007, p. 428.
99- R. Strohm, 2008, p. 577-580 ; exemple musical 39.
100- G. Vio, 1980, p. 44.
101- G. Vio, 1990, p. 92.
102- G. Vio, 1983, p. 89, note 7.
103- G. Vio, 1984, note 25, d’après une information de M. Talbot.
104- Venise, Bibliothèque du Musée Correr, Commemoriali Gradenigo, vol. 2, fol. 36 r° ; cet
avis est souvent cité ; par exemple par M. Talbot, Vivaldi, traduction italienne, p. 85.
105- Les informations sur la maison habitée par Anna Girò sont extraites de l’article de
Gastone Vio, 1980, p. 45-52.
106- I Teatri del Veneto, Venezia, t. II, p. 38.
107- G. Vio, 1980, p. 48, note 53.
108- G. Vio, 1988, p. 34.
109- G. Vio, 1980, p. 45.
110- G. Vio, 1980, p. 55-56, n. 46.
111- Venise, archives de la paroisse des Santi Apostoli, Morti, Registre D (1749-1762), p. 68.
L’héritage

La collection personnelle du compositeur, à Turin

La Biblioteca Nazionale Universitaria de Turin (I-Tn) conserve la


collection la plus riche au monde de manuscrits autographes de Vivaldi. Le
fonds contient 27 volumes : 14 dans le fonds « Foà » (volumes 27 à 40) et
13 dans le fonds « Giordano » (volumes 28-39 bis) ; environ 450 œuvres,
sans compter les fragments, ni les arias détachées1. Ces manuscrits, qui
proviennent de la collection personnelle du compositeur, sont réapparus à la
lumière dans les années 1926-1930, de façon presque miraculeuse. Ils ont
acquis ainsi une auréole mythique : on dit simplement « les manuscrits de
Turin » 2.
L’inventaire après décès effectué dans la maison où habitait Vivaldi, à
Rialto, à la date du 15  septembre 1741, ne faisait référence à aucune
partition ; aucune trace d’une vie musicale quelconque ! C’était souvent le
cas, car les manuscrits musicaux étaient considérés comme des objets sans
valeur, que l’on ne prenait pas soin de mentionner dans les inventaires après
décès. On pense que les manuscrits de Vivaldi auraient pu avoir été
recueillis par Francesco Vivaldi, qui était assez proche de son frère Antonio,
et vivait peut-être même dans la même maison. Le compositeur avait aussi
plusieurs neveux copistes de musique, Carlo, le fils de Francesco, ainsi que
Pietro et Daniele Mauro, qui travaillaient avec Iseppo (Giuseppe) Baldan.
D’une façon ou d’une autre, ces manuscrits furent acquis par le sénateur
bibliophile et collectionneur vénitien Jacopo Soranzo. En 1745, les 27
volumes figurent en effet dans le catalogue de sa riche bibliothèque, qui
contenait 28  000 volumes imprimés et manuscrits. Après 1764, les
manuscrits de Vivaldi qui étaient en possession de Soranzo furent acquis
par le comte Giacomo Durazzo (1717-1794), un personnage bien connu des
spécialistes de l’opéra. Issu d’une noble famille génoise, il fut envoyé en
1740 par la République de Gênes comme diplomate à Vienne. En 1752, il
devint dans cette ville directeur artistique du théâtre de cour ; puis, de 1754
à 1764, directeur des spectacles. Le comte Durazzo introduisit à Vienne
l’opéra comique, accueillit les initiatives du chorégraphe Gasparo Angiolini
et soutint activement la réforme de l’opéra italien guidée par Christoph
Willibald Gluck et Ranieri de’ Calzabigi. En raison de ses idées trop
innovatrices, il fut contraint de se démettre. Il obtint alors la charge
d’ambassadeur de l’Empire à Venise. Entre 1764 et 1784, Durazzo habita le
palazzo Loredan, dit «  de l’ambassadeur  », un ancien palais gothique,
détruit par un incendie, restauré à la fin du xixe siècle. À Venise, il continua
à servir la musique, établissant des liens entre Vienne et Venise ; en hiver
1771, il organisa par exemple le séjour du jeune Mozart et de son père à
Venise. Durazzo fut enseveli dans l’église San Moisè.
Les manuscrits de Vivaldi furent hérités par le neveu de Giacomo
Durazzo, Girolamo (1739-1809) (dernier doge de Gênes), qui les transporta
dans son palais de la via Balbi, à Gênes. Puis les manuscrits passèrent à son
neveu, Marcello Durazzo, qui les légua à son tour à son fils Giuseppe Maria
Durazzo (1805-1893). Jusqu’à cette date, les manuscrits furent parfaitement
conservés. Tout se gâta en 1893 quand la collection fut partagée entre les
deux fils de Giuseppe Maria : Marcello et Flavio. En 1922, Marcello légua
sa collection à la congrégation religieuse des Salésiens de San Carlo di
Borgo San Martino, dans le Monferrato (Piémont). La marquise Rosetta
Pizzardi Marana raconte dans quelles conditions désastreuses furent
transportés et conservés les manuscrits de Vivaldi que son oncle avait
gardés avec soin, classés et ordonnés lui-même. En 1926, le directeur de la
congrégation, Mgr Emanuel, qui désirait faire des travaux et se libérer des
encombrants documents, se mit en contact avec le directeur de la
Bibliothèque nationale universitaire de Turin, Luigi Torri. À son tour, celui-
ci fit appel pour une expertise à Alberto Gentili, professeur d’histoire de la
musique à l’université de Turin, qui eut ainsi la surprise de découvrir les 14
volumes manuscrits de Vivaldi, qui provenaient du legs de Marcello
Durazzo. La bibliothèque de Turin n’étant pas assez riche pour donner aux
Salésiens la somme demandée, Gentili eut l’idée de faire appel à un
mécène, l’agent de change Roberto Foà, qui offrit la somme de cent mille
lires pour leur acquisition. Les volumes furent déposés à la bibliothèque de
Turin, et le don mis sous le nom de «  Mauro Foà  », le fils de Roberto,
décédé encore enfant.
En étudiant ces documents, Alberto Gentili se rendit compte (par la
numérotation des volumes et des pages) qu’une partie du fonds manquait. Il
mena diverses investigations sur les membres de la famille Durazzo, et
découvrit qu’un autre Durazzo, Giuseppe Maria Durazzo, détenait en effet
les 13 volumes manquants qu’il avait hérités, en 1925, de son père, Flavio.
Après de multiples démarches, Gentili réussit à le convaincre de vendre ces
manuscrits. Il fallut aussi trouver un autre mécène  : l’industriel Filippo
Giordano, qui intitula lui aussi le legs du nom de son fils décédé en bas âge,
Renzo Giordano ; la donation se fit les 30 avril et 30 septembre 1930.
Alberto Gentili fut l’un des premiers musicologues à étudier les deux
fonds, « Foà » et « Giordano », enfin réunis dans la même bibliothèque, à
Turin. Dans les années 1935-1936, la violoniste américaine Olga Rudge,
alors secrétaire de l’Accademia Musicale Chigiana (Sienne), réalisa des
transcriptions manuelles, établit un catalogue, et organisa des concerts,
privés et publics, en particulier à Sienne, à l’occasion de la Settimana
vivaldiana, du 16 au 21  septembre 1939. Marc Pincherle, premier
musicologue étranger à se rendre à Turin pour étudier les manuscrits de
Vivaldi, eut un rôle pionnier et fondamental pour la reconnaissance du
génie de ce compositeur et de l’importance historique de son œuvre.

2. Le fonds musical de la Pietà3

En 1939-1940, un lot important de manuscrits musicaux qui provenaient


de la Pietà, et étaient conservés au Civico Museo Correr de Venise, dans le
fonds dit des «  Esposti  » (abandonnés), fut transféré au Conservatoire
Benedetto Marcello (I-Vc). Il s’agissait de matériel, en parties séparées,
fragmentaires, en grand désordre. Les œuvres de Vivaldi ne constituaient
qu’une partie du fonds. Ce matériel permet de reconstituer le répertoire des
filles de la Pietà, surtout à la période (1726-1737) où Giovanni Porta fut
maître de chapelle. Le volume qui porte le nom d’Anna Maria contient la
partie de violon de 31 œuvres dont 25 concertos de Vivaldi  ; il remonte
environ aux années 1726-1727. Le fonds contient, entre autres, les
fragments de trois concertos inconnus et une sinfonia qui provient
probablement de la dernière période où Vivaldi fut maître des concerts
(1735-1738), ainsi que quatre compositions vocales (dont le Magnificat RV
611, retravaillé à partir d’une version plus ancienne) que la Pietà avait
achetées à Vivaldi en 1739. Ce fonds a été étudié par plusieurs
musicologues et chercheurs, tels Michael Talbot, Faun Tanenbaum et plus
récemment par Chiara Pancino. Il s’agit du seul fonds musical conservé à
Venise qui a un rapport avec Vivaldi.

Les manuscrits de Vivaldi conservés en Europe4

Ces fonds reflètent les liens que Vivaldi entretenait avec ses mécènes, ses
commanditaires, ainsi qu’avec les musiciens qui furent ses amis et ses
élèves.
Dresde, la Sächsische Landesbibliothek
Après Turin, la Sächsische Landesbibliothek, à Dresde (D-Dl) conserve,
sous la cote «  Mus. 2389  » la collection la plus importante de manuscrits
musicaux de Vivaldi. Le fonds se distingue aussi par la variété des œuvres
qu’il contient. Les manuscrits ont des origines diverses ; la majeure partie
d’entre eux proviennent de l’orchestre de la cour saxonne et de la chapelle
catholique de la cour (Katholische Hofkapelle). Les collections particulières
de Johann Georg Pisendel (1687-1755) et de Jan Dismas Zelenka (1679-
1745), instrumentale pour la première, vocale pour la seconde, furent
intégrées dans la bibliothèque musicale de la cour après la mort des deux
musiciens. Il s’y trouve des œuvres copiées par Pisendel à Venise en 1716-
1717 (parmi les œuvres les plus anciennes de Vivaldi qui nous sont
parvenues), mais aussi des copies datant des années 1730. Afin d’adapter
les compositions à l’orchestre de la cour de Dresde, Pisendel a souvent
ajouté des parties d’instruments à vent sur les manuscrits de Vivaldi, ce qui
rend l’authenticité de ces documents parfois problématique. Vivaldi lui-
même a envoyé des œuvres à Dresde, dont les manuscrits autographes sont
conservés à Turin. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux
manuscrits furent abîmés par une inondation, et sont devenus presque
illisibles.
Manchester, Henry Watson Music Library
La Henry Watson Music Library, département de la Central Public
Library, à Manchester (GB-Mp), conserve un recueil de douze sonates pour
violon de Vivaldi (MS 624.1 Vw 81), ainsi que vingt-quatre concertos en
treize livres, eux-mêmes formés de parties séparées (MS 580 Ct. 51)  ; le
quatorzième volume est à Londres, à la Royal Music Library (British
Library). Elle est la troisième collection par ordre d’importance. Ce fonds
est très intéressant car il provient d’un seul collectionneur, le cardinal Pietro
Ottoboni.
Wiesentheid, Musiksammlung der Grafen von Schönborn-Wiesentheid
La collection musicale des comtes de Schönborn-Wiesentheid (D-Wd)
contient une quinzaine de pièces instrumentales attribuées à Vivaldi  ; une
partie d’entre elles sont des pièces uniques  ; quelques-unes sont
d’attribution douteuse comme le concerto pour violoncelle RV 415. Rudolf
Franz Erwein von Schönborn (1677-1754) était un passionné de musique et
il jouait du violoncelle. Il possédait un grand nombre de sonates et
concertos pour cet instrument. Dans sa collection, se trouvent huit concertos
pour violoncelle et un concerto pour violon et violoncelle. Les œuvres de
Vivaldi sont souvent des pièces assez précoces (on sait qu’il y avait des
œuvres de Vivaldi dans la bibliothèque des comtes de Schönborn avant
1710). Certaines furent envoyées par Vivaldi au comte  ; d’autres furent
transcrites par le musicien Franz Horneck lors de son séjour à Venise en
1708-1709.
Vienne, la Österreichische Nationalbibliothek
La Österreichische Nationalbibliothek à Vienne (A-Wn) conserve le
précieux recueil autographe de douze concertos intitulé «  La Cetra  », qui
fut dédié par Vivaldi à l’empereur Charles VI, en 1728 (Ms 15.966). Ce
sont des parties séparées auxquelles il manque le violino principale. Dans la
collection Este, se trouve le concerto RV 382, inséré dans une anthologie
(E.M. 149). Le manuscrit porte une inscription, « del Sige.A.V. » (del Signor
Don Antonio Vivaldi), comme celles qui apparaissent sur les manuscrits
provenant de la Pietà.
Paris, Bibliothèque nationale de France (département de la Musique)
Dans l’ancien fonds du Conservatoire (F-Pc) se trouvent douze concertos
sans soliste, en parties séparées, copiés sans doute dans les années 1720
sous le contrôle du compositeur (Ac  e4 346). Ces pièces furent peut-être
écrites pour un commanditaire français (on a pensé au comte de Gergy,
ambassadeur de France à Venise) car ils rendent hommage au style français.
Dans le fonds général (F-Pn), sont conservés un manuscrit de sonates pour
violoncelle (Vm7 6310), peut-être celui qui a servi à Le Clerc pour la
publication de son recueil vers 1740, ainsi que l’une des cinq sonates
autographes dédiées à Pisendel (RV 19) (Rés ms. 225), étrangement
détachée de la série conservée à Dresde, à la Sächsische Landesbibliothek.
Des extraits des opéras représentés à Rome, en 1723-1724, l’Ercole su’l
Termodonte et Il Giustino, sont conservés au sein de plusieurs recueils, dans
le fonds du Conservatoire (D.12 740 et D. 12 741) et dans le fonds général
(Vm7 7206 et Vm7 7694)  ; des extraits de Tito Manlio dans le recueil
D.1226.
Prague, Národní Muzeum
Après la guerre, les collections qui venaient de différents monastères,
châteaux, églises de Bohême ont été transférées au Musée national de
Prague (CZ-Pnm). Les manuscrits de Vivaldi proviennent du monastère
cistercien de Osek, de la cathédrale San Vito, ainsi que de l’église de l’Ordo
Crucigerorum (Kreuzherren) de Prague. Le fonds est petit car il a subi de
nombreuses pertes, mais il est intéressant car il contient des œuvres sacrées
vocales qui datent des années 1713-1717, l’époque où Vivaldi avait
remplacé Gasparini. Ces manuscrits avaient été acquis par Balthasar Knapp,
secrétaire du comte Stephan Kinsky, qui vécut longtemps en Italie. En
1717, il vendit de nombreux manuscrits à Johann Christoph Gayer, maître
de chœur à la cathédrale San Vito  ; à la mort de Gayer, ses manuscrits
allèrent à l’église de l’ordre des Kreuzherren. Les archives des Kreuzherren
contiennent aussi un Dixit Dominus (RV 595) et un Laudate pueri (RV
600). Il est difficile de déterminer la provenance du manuscrit du
Magnificat (RV 610b), qui se trouvait originellement au monastère d’Osek
(Ossegg-Archiv).
Lund, Universitetsbiblioteket
La Universitetsbiblioteket de Lund, en Suède(S-L), possède plusieurs
manuscrits dits de Vivaldi dont l’attribution est souvent douteuse. La sonate
pour deux violons et basse continue (RV 74) et celle pour deux hautbois et
basse continue (RV 81) semblent authentiques.
 
D’autres manuscrits de Vivaldi se trouvent dispersés dans diverses
bibliothèques de Schwerin, Varsovie, Stockholm, Berlin, Naples …

Les catalogues

Lorsqu’il élabora son catalogue publié à Rome en 1945, Mario Rinaldi se


fonda surtout sur le catalogue manuscrit réalisé dans les années  1935
et 1936 par Olga Rudge et sur d’autres travaux. Il fut rapidement abandonné
et n’a plus aujourd’hui qu’une valeur historique. Marc Pincherle s’est
intéressé surtout à la musique instrumentale. Il a publié un catalogue
thématique comme second volume de son étude qui a paru en 1948. En
même temps qu’il fondait l’Institut italien Antonio Vivaldi et lançait la
publication des œuvres instrumentales chez Ricordi, Antonio Fanna publiait
en 1968 chez Ricordi, à Milan, un catalogue thématique des œuvres
instrumentales. Une seconde édition, revue et élargie, a paru en 1986. Le
catalogue d’Antonio Fanna est établi en relation étroite avec l’édition des
œuvres instrumentales, chez Ricordi. Le catalogue établi par le musicologue
danois Peter Ryom est désormais le plus utilisé au plan international. La
première édition, intitulée Kleine Ausgabe. Verzeichnis der Werke Antonio
Vivaldis (Leipzig, Deutscher Verlag für Musik), avait paru en 1974.
L’ouvrage fut réédité en 1979, chez le même éditeur. Il fut récemment revu,
amélioré grâce aux recherches les plus récentes et réédité, en 2007, chez
Breitkopf & Härtel (Wiesbaden-Leipzig-Paris). Le titre est devenu : Vivaldi.
Werkverzeichnis. Il comprend 809 entrées, et 134 dans les « Anhang ». Les
œuvres de Vivaldi sont classées par genre, et par effectif instrumental.
Originellement, les initiales « RV » signifient « Répertoire-Vivaldi » ; on a
toutefois tendance à dire : le « Ryom-Verzeichnis » (catalogue Ryom). C’est
ce catalogue qui est employé dans ce livre.

Un guide à l’intention des interprètes et des chercheurs

En 1988, Michael Talbot a publié une description complète du matériel à


disposition des chercheurs dans Antonio Vivaldi, A Guide to Research (New
York & London, Garland Publishing). L’ouvrage fut traduit de l’anglais en
italien par Luca Zoppelli, Vivaldi Fonti et Letteratura critica (Studi di
Musica Veneta, Quaderni Vivaldiani 5) Fondazione Giorgio Cini, Istituto
Italiano Antonio Vivaldi), Florence, L.S. Olschki editore, 1991, la version
qui est citée dans cet ouvrage. La recherche progressant à grands pas, tout
ouvrage, catalogue ou outil de recherche, doit être constamment revu,
corrigé, et enrichi.
1- M. Talbot, Fonti, 1991, p. 11-25 ; 150-151.
2- Alberto Basso, introduction à Antonio Vivaldi 1678-1978. Exposition des manuscrits des
fonds «  Foà  » et «  Giordano  », Turin, 17  août-8  octobre 1978, Turin, Biblioteca Nazionale
Universitaria, 1978. Dans son récent ouvrage sur Vivaldi, Egidio Pozzi a retracé avec précision
l’histoire des manuscrits de Turin (2007, p. 583-593).
3- M. Talbot, op. cit., p. 155-156.
4- Idem, p. 151-156.
Abréviations
A alto
Anh. Anhang (catalogue Ryom)
autogr autographe
B basse
b busta (enveloppe)
bc basse continue
bs basson (fag fagotto)
CA contralto
chal chalumeau
Cod. Codice (Codex ; classement des manuscrits)
Fasc. Fascicolo
Filza liasse (archives)
fl dr flûte droite
fl trav flûte traversière
fol. folio (feuillet)
hb hautbois (ob oboe)
L lent
m.v. more veneto (calendrier vénitien selon lequel l’année commençait le
1er mars
misc miscella (recueil de fascicules)
mq manque
MS mezzo soprano
mvt (s) mouvement(s)
org orgue
Ps psaume
r° recto
repr. reprise
S soprano
S. San, Santo, Sant’
s.d. sans date
T ténor
tr trompette (tr tromba)
V vif
V. E. Vostra Eminenza
v. vers
V.S. Vostra Signoria
v° verso
vl violon
vla alto viola
vlc violoncelle
vx voix

Bibliothèques

A-Wn Wien, Österreichische Nationalbibliothek


A-Wgm Wien, Gesellschaft der Musikfreunde
 
CZ-Bm, Brno, Moraskvé Muzeum
CZ-Pnm, Prague, Národnií Muzeum,
CZ-Pak, Prague, Archív Metropolitní Kapituly
 
D-Dl, Dresde, Sächsiche Landesbibliothek
D-MGs, Marburg, Staatsarchiv une Archivschule
D-Bsa, Berlin, Sing-Akademie (aujourd’hui à D-Bds)
D-Bds, Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin
D-ROu, Rostock, Universitätsbibliothek
D-Mbs, Munich, Bayerische Staatsbibliothek
D-SWl, Schwerin, Mecklenburgische Landesbibliothek
D-WD, Wiesentheid, Musiksammlung des Grafen von Schönborn-
Wiesentheid
 
F-Pc Paris, Bibliothèque nationale de France, département de la Musique
(fonds du Conservatoire)
F-Pn Paris, Bibliothèque nationale de France, département de la Musique
(fonds général)
 
GB-Mp, Manchester, Central Public Library, Henry Watson Music
Library
GB-Lcm, London, Royal College of Music
GB-Lbl, London, British Library
 
I-Bl, Bologne, bibliothèque du Liceo Musicale
I-CF, Cividale del Friuli, Archivio Capitolare
I-Rc, Rome, Biblioteca Casanatense
I-Tn, Turin, Biblioteca Nazionale
 
US-BEM, Berkeley, University of California, Music Library

Revues

IsStV Informazioni e Studi Vivaldiani


QV Quaderni Vivaldiani
NSV Nuovi Studi Vivaldiani
SV Studi Vivaldiani
Catalogue

Première partie : musique instrumentale

I Recueils imprimés

II Sonates, concertos, sinfonie

A/ Sonates pour un instrument et basse continue


B/ Sonates pour plusieurs instruments et basse continue
C/ Concertos de chambre (concerti da camera)
D/ Concertos et Sinfonie pour cordes, et basse continue
E/ Concertos avec un instrument soliste, cordes et basse continue
F/ Concertos pour deux instruments solistes, cordes et basse continue
H/ Concertos pour un ou plusieurs instruments solistes, deux orchestres à
cordes et basse continue

Deuxième partie : musique vocale

I Musique vocale sacrée

A/ Messes, fragments de messes, psaumes et compositions pour les


Vêpres
B/ Motets, introduzioni, arias sacrées, oratorios

II Musique vocale profane

A/ Cantates et sérénades
B/ Chronologie des opéras
 

Ce catalogue a été établi à l’aide de : P. Ryom, Vivaldi Werkverzeichnis


(2007)  ; M.  Talbot, Fonti e letteratura critica (1991)  ; R.  Strohm, The
Operas of Antonio Vivaldi, vol. II (2008) et E.  Pozzi, Antonio Vivaldi
(2007). En cas de divergences, nous nous sommes fondés sur les données
les plus couramment citées. L’expression « cordes » signifie généralement
un ensemble formé de deux violons et un alto (viola).
 

Première partie : musique instrumentale

Recueils imprimés

Opus 1

Titre : Suonate da camera a tre


Pièces : Douze sonates pour deux violons et basse (violone ou cembalo)
Éditeur, date : Venise, Sala [1705]
Dédicace : Annibale Gambara
Contenu : (RV) 73, 67, 61, 66, 69, 62, 65, 64, 75, 78, 79, 63

Opus 2

Titre : Sonate a violino e basso per il cembalo


Pièces : Douze sonates pour violon seul et basse
Éditeur, date : Venise, Bortoli, [1709]
Dédicace : Federico IV di Danimarca e Norvegia
Contenu : (RV) 27, 31, 14, 20, 36, 1, 8, 23, 16, 21, 9, 32

Opus 3

Titre : L’estro armonico. Concerti


Pièces : Douze concertos pour un (n° 3, 6, 9, 12), deux (n° 2, 5, 8, 11) et
quatre violons (n° 1, 4, 7, 10), cordes et continuo
Éditeur, date : Amsterdam, E. Roger, [1711]
Dédicace : Ferdinando III, principe di Toscana
Contenu : (RV) Libro I 549, 578, 310, 550, 519, 356 ; Libro II 567, 522,
230, 580, 565, 265

Opus 4

Titre : La Stravaganza. Concerti


Pièces : Douze concertos pour violino principale, cordes et continuo
Éditeur, date : Amsterdam, E. Roger, [1716]
Dédicace : Vettor Dolfin
Contenu : (RV) Libro I 383a, 279, 301, 357, 347, 316a ; Libro II 185,
249, 284, 196, 204, 298

Opus 5

Titre  : VI sonate, quatro a violino solo e basso e due a due violini e


basso continuo
Pièces : Quatre sonates solistes (n° 13-16), à deux et à trois (n° 17-18) ;
publié comme deuxième partie de l’Opus 2
Éditeur, date : Amsterdam, J. Roger, [1716]
Contenu : (RV) 18, 30, 33, 35, 76, 72
Opus 6

Titre : VI concerti à cinque stromenti


Pièces : Six concertos pour violino principale, cordes et continuo
Éditeur, date : Amsterdam, J. Roger, [1719]
Contenu : (RV) 324, 259, 318, 216, 280, 239

Opus 7

Titre : Concerti à cinque stromenti


Pièces : Dix concertos pour violino principale, cordes et continuo ; deux
concertos (livre 1, n°1  ; livre 2, n°  1) pour hautbois soliste, cordes et
continuo ; chaque livre numéroté de 1 à 6
Éditeur, date : Amsterdam, J. Roger, [1720]
Contenu  : (RV) Libro I 465, 188, 326, 354, 285a, 374  ; Libro II 464,
299, 373, 294a, 208a, 214

Opus 8

Titre : Il cimento dell’armonia e dell’inventione. Concerti a 4 e 5


Pièces  : Douze concertos pour violino principale, cordes et continuo.
Dans les n°s 9 et 12, le violon peut être remplacé ad libitum par un hautbois
Éditeur, date : Amsterdam, Le Cène, [1725]
Dédicace : Wenzel von Morzin
Contenu : (RV) Libro I 269, 315, 293, 297, 253, 180 ; Libro II 242, 332,
236/454, 362, 210, 178/449

Opus 9

Titre : La Cetra
Pièces : Onze concertos pour violino principale, cordes et continuo ; un
concerto (n° 9) pour deux violons obligés, cordes et continuo
Éditeur, date : Amsterdam, Le Cène, [1727]
Dédicace : Carlo VI
Contenu : (RV) Libro I 181a, 345, 334, 263a, 358, 348  ; Libro II 359,
238, 530, 300, 198a, 391

Opus 10

Titre : VI Concerti a flauto traverso


Pièces : Six concertos pour flûte soliste, cordes et continuo
Éditeur, date : Amsterdam, Le Cène, [1729]
Contenu : (RV) 433, 439, 428, 435, 434, 437

Opus 11

Titre : Sei concerti a violino principale, violino primo e secondo, alto


viola, organo e violoncello
Pièces : Cinq concertos pour violino principale, cordes et continuo ; un
pour hautbois, cordes et continuo.
Éditeur, date : Amsterdam, Le Cène, [1729]
Contenu : (RV) 207, 277, 336, 308, 202, 460

Opus 12

Titre : Sei concerti a violino principale


Pièces : Cinq concertos pour violino principale, cordes et continuo ; le 3e
pour cordes et continuo, sans soliste
Éditeur, date : Amsterdam, Le Cène, [1729]
Contenu : (RV) 317, 244, 124, 173, 379, 361
[Opus 13 ?]

Titre  : Il Pastor fido, sonates pour la musette, vièle, flûte, hautbois,


violon avec la basse continue
Éditeur, date : Paris, Boivin, [1737]1
Contenu : (RV) 54, 56, 57, 59, 55, 58

[Opus 14 ?]

Titre : VI Sonates, violoncelle solo col basso


Pièces : Six sonates pour violoncelle et basso
Éditeur, date : Paris, Le Clerc le cadet – Le Clerc – Boivin, [v. 1740]
Contenu : (RV) 47, 41, 43, 45, 40, 46

II

Sonates, concertos, sinfonie

A/ Sonates pour un instrument et basse continue

Sonates pour violon

RV 1 Do majeur ; Opus 2, n° 6


RV 2 Do majeur ; 2e et 4e mvt = RV 4
RV 3 Do majeur ; ms Manchester n° 1
RV 4 Do majeur ; 2e et 4e mvts = RV 2
RV 5 Do mineur
RV 6 Do mineur ; ms Manchester n° 7
RV 7 Do mineur
RV 7a Do mineur ; 3e mvt différent de RV 7
RV 8 Do mineur ; Opus 2, n° 7
RV 9 Ré majeur ; Opus 2, n° 11
RV 10 Ré majeur
RV 11 Ré majeur ; incomplet
RV 12 Ré mineur ; 1er mvt = RV 582 ; ms Manchester n° 2
RV 13/ RV Anh. 97 Ré mineur  ; vl, bc  ; attribution douteuse (Johan
Helmich Roman ?)
RV 14 Ré mineur ; Opus 2, n° 3
RV 15 Ré mineur
RV 16 Mi mineur ; Opus 2, n° 9
RV 17 Mi mineur ; incomplet
RV 17a Mi mineur ; 3e mvt différent de RV 17 ; ms Manchester n° 9
RV 18 Fa majeur ; Opus 5, n° 1
RV 19 Fa majeur
RV 20 Fa majeur ; Opus 2, n° 4
RV 21 Fa mineur ; Opus 2, n° 10
RV 22 Sol majeur ; 1er mvt = RV 294 ; 3e mvt = RV 212a ; ms Manchester
n° 8
RV 23 Sol majeur ; Opus 2, n° 8
RV 24 Sol majeur ; attribution douteuse
RV 25 Sol majeur
RV 26 Sol mineur
RV 27 Sol mineur ; Opus 2, n° 1
RV 28 Sol mineur ; vl ou hb, bc
RV 29 La majeur
RV 30 La majeur ; Opus 5, n° 2
RV 31 La majeur ; Opus 2, n° 2
RV 32 La mineur ; Opus 2, n° 12
RV 33 Sib ; Opus 5, n° 3
RV 34 Sib ; vl ou hb, bc ;
RV 35 Si mineur ; Opus 5, n° 4
RV 36 Si mineur ; Opus 2, n° 5
RV 37 Si mineur ; incomplet
RV 754 Do majeur ; ms Manchester n° 12
RV 755 Ré majeur ; 3e et 4e mvts = RV 229 ; ms Manchester n° 4
RV 756 Mib ; ms Manchester n° 11
RV 757 Sol mineur ; ms Manchester n° 3
RV 758 La majeur ; 1er et 3e mvts = RV 746 ; ms Manchester n° 6
RV 759 Sib ; ms Manchester n° 5
RV 760 Si mineur ; ms Manchester n° 10
RV 776 / Anh. 98 Sol majeur ; sans doute pastiche avec RV 22
RV 785 / RV Anh 134 Ré majeur ; incomplet (d’Andrea Ziani)
RV 791 Sib ; attribution douteuse ; fragment d’une sonate pour vl ( ?)
RV 798 Ré majeur

Sonates pour violoncelle

RV 38 Ré mineur ; perdu
RV 39 Mib
RV 40 Mi mineur ; Opus 14, n° 5
RV 41 Fa majeur ; Opus 14, n° 2
RV 42 Sol mineur
RV 43 La mineur ; Opus 14, n° 3
RV 44 La mineur
RV 45 Sib ; Opus 14, n° 4
RV 46 Sib ; Opus 14, n° 6
RV 47 Sib ; adapté de RV 17a ; Opus 14, n° 1

Sonates pour un instrument à vent


RV 48 Do majeur ; fl trav, bc
RV 49/ Anh. 99 Ré mineur ; fl trav, bc ; attribution douteuse
RV 50 . Anh. 100 Mi mineur ; fl trav, bc ; attribution douteuse
RV 51 Sol mineur ; fl trav, bc ; adapté de RV 27
RV 809 Do majeur ; fl, bc
RV 52 Fa majeur ; fl ?, bc
RV 806 Sol majeur ; fl, bc
RV 53 Do mineur ; hb, bc

B/ Sonates pour plusieurs instruments et basse continue

RV 54/ Anh. 95 Do majeur  ; musette, vielle, fl, hb, vl, bc  ; Opus 13,
n° 1 ; attribution douteuse
RV 55/ Anh. 95 Do majeur  ; musette, vielle, fl, hb, vl, bc  ; Opus 13,
n° 5 ; attribution douteuse
RV 56/ Anh. 95 Do majeur  ; musette, vielle, fl, hb, vl, bc  ; Opus 13,
n° 2 ; attribution douteuse
RV 57/ Anh. 95 Sol majeur  ; musette, vielle, fl, hb, vl, bc  ; Opus 13,
n° 3 ; attribution douteuse
RV 58/ Anh. 95 Sol mineur  ; musette, vielle, fl, hb, vl, bc  ; Opus 13,
n° 6 ; attribution douteuse
RV 59/ Anh. 95 La majeur  ; musette, vielle, fl, hb, vl, bc  ; Opus 13,
n° 4 ; attribution douteuse

Sonates pour deux violons

RV 60 Do majeur ; 2 vl, bc
RV 61 Do majeur ; 2 vl, bc ; Opus 1, n° 3
RV 62 Ré majeur ; 2 vl, bc ; Opus 1, n° 6
RV 63 Ré mineur ; 2 vl, bc ; Opus 1, n° 12 ; La Follia
RV 64 Ré mineur, 2 vl, bc ; Opus 1, n° 8
RV 65 Mi bémol majeur ; 2 vl, bc ; Opus 1, n° 7
RV 66 Mi majeur ; 2 vl, bc ; Opus 1, n° 4
RV 67 Mi mineur, 2 vl, bc ; Opus 1, n° 2
RV 68 Fa majeur, 2 vl, bc (peut se jouer sans bc)
RV 69 Fa majeur, 2 vl ; bc ; Opus 1, n° 5
RV 70 Fa majeur ; 2 vl, bc (peut se jouer sans bc)
RV 71 Sol majeur ; 2 vl, bc (peut se jouer sans bc)
RV 72 Sol mineur, 2 vl, bc ; Opus 5, n° 6
RV 73 Sol mineur, 2 vl, bc ; Opus 1, n° 1
RV 74 Sol mineur, 2 vl, bc
RV 75 La majeur ; 2 vl, bc ; Opus 1, n° 9
RV 76 Si bémol majeur ; 2 vl, bc ; Opus 5, n° 5
RV 77 Si bémol majeur ; 2 vl, bc (peut se jouer sans bc)
RV 78 Si bémol majeur ; 2 vl, bc ; Opus 1, n° 10
RV 79 Si mineur, 2 vl, bc ; Opus 1, n° 11

Sonates pour deux instruments à vent et basse continue

RV 80 / Anh. 101 Sol majeur ; 2 fl trav, bc ; attribution douteuse


RV 800 La majeur ; 2 fl trav, bc (trio) (Marburg, Hessiches Staatsarchiv)
RV 81 Sol mineur ; 2 hb, bc (trio)

Sonates pour deux instruments différents et basse continue

RV 82, Do majeur ; vl, luth, bc (trio) ; dédicace au « conte Wrtby »


RV 83 Do mineur ; vl, vlc, bc
RV 84 Ré majeur ; fl trav, vl, bc
RV 85 Sol mineur ; fl, luth, bc (trio) ; dédicace au « conte Wrtby »
RV 86 La mineur ; fl dr, bs, bc

C/ Concertos de chambre (concerti da camera)


RV 87 Do majeur ; fl dr, hb, 2 vl, bc
RV 88 Do majeur ; fl trav, hb, vl, bs, bc
RV 779 Do majeur ; vl, hb, org, bc et chalumeau (si l’on veut) ; Suonata
à violino, Oboè et Organo, et anco se piace il Salmoè, S.D.A.V. [Del Signor
Don Antonio Vivaldi]
RV 801 (Anh. 66) Do majeur ; fl trav/ hb/ vl, hb/vl, vlc/bs, bc ; Sonata a
4
RV 89 / Anh. 102 Ré majeur ; fl trav, 2 vl, bc ; attribution douteuse
RV 90 Ré majeur  ; fl trav/fl dr/vl, hb/vl, vl, bs/vlc, bc  ; Il gardellino  ;
sans doute révision de RV 428
RV 91 Ré majeur ; fl trav, bs, bc
RV 92 Ré majeur ; fl dr, vl, bs/vlc, bc
RV 93 Ré majeur ; luth, 2 vl, bc ; dédié au « conte Wrtby »
RV 94 Ré majeur ; fl dr, hb, vl, bs, bc
RV 95 Ré majeur ; fl dr/vl, hb/vl, vl, bs/vlc ; La pastorella
RV 751 Ré majeur ; 2 fl trav, 2 vl, 2 bs, bc ; perdu
RV 96 Ré mineur ; fl trav, vl, bs, bc
RV 97 Fa majeur ; viole d’amour ; 2 cor, 2 hb, bs, bc
RV 98 Fa majeur ; fl trav, hb, vl, bs, bc ; Tempesta di mare ; voir RV 433
et RV 570
RV 99 Fa majeur ; fl trav ; hb, vl, bs, bc ; voir RV 571
RV 100 Sol majeur ; fl trav, vl, bs, bc, attribution douteuse
RV 101 Sol majeur ; fl dr, hb, vl, bs, bc ; 2e mvt = RV 242 ; voir RV 437
RV 102 / Anh. 103 Sol majeur ; fl trav, 2 vl, bc, attribution douteuse
RV 103 Sol mineur ; fl dr, hb, bs, bc
RV 104 Sol mineur ; fl trav/vl, 2 vl, bs, bc ; La notte ; voir RV 439
RV 105 Sol mineur ; fl dr, hb, vl, bs, bc
RV 106 Sol mineur ; fl trav/vl, vl, bs/vlc, bc, deux versions différentes
RV 107 Sol mineur ; fl trav, hb, vl, bs, bc
RV 108 La mineur ; fl dr, 2 vl, bc
D/ Concertos et Sinfonie pour cordes (violons 1 et 2, alto et basse continue

RV 109 Do majeur ; Concerto


RV 110 Do majeur ; Concerto ; 2e mvt = RV 537
RV 111 Do majeur ; Concerto
RV 111a Do majeur Sinfonia ; = RV 717 sauf 2e mvt
RV 112 Do majeur ; Sinfonia
RV 113 Do majeur ; Concerto
RV 114 Do majeur ; Concerto
RV 115 Do majeur ; Concerto ripieno
RV 116 Do majeur ; Sinfonia
RV 117 Do majeur ; Concerto
RV 802 Do majeur  ; Sinfonia en deux mvts  ; Improvisata del Sig[n]or
Vivaldi ; mq la partie d’alto
RV 118 Do mineur ; Concerto
RV 119 Do mineur ; Concerto
RV 120 Do mineur ; Concerto
RV 121 Ré majeur ; Concerto
RV 122 Ré majeur ; Concerto
RV 123 Ré majeur ; Concerto
RV 124 Ré majeur ; Concerto ; Opus 12, n° 3
RV 125 Ré majeur ; Sinfonia ; incomplet
RV 126 Ré majeur ; Concerto ; 2e mvt = RV 153
RV 786 Ré majeur ; Sinfonia ; incomplet
RV 127 Ré mineur ; Concerto
RV 128 Ré mineur ; Concerto
RV 129 Ré mineur ; Concerto Madrigalesco
RV 130 Mi bémol majeur ; 2 vl, vla, bc ; Suonata a 4 al Santo Sepolcro
RV 131 Mi majeur ; Sinfonia
RV 132 / Anh. 96 Mi majeur ; Sinfonia ; attribution douteuse (de Johann
Gottlieb Janitsch)
RV 133 Mi mineur ; Concerto
RV 134 Mi mineur ; Sinfonia / Concerto
RV 135 Fa majeur ; Sinfonia
RV 136 Fa majeur ; Concerto
RV 137 Fa majeur ; Sinfonia
RV 138 Fa majeur ; Concerto
RV 139 Fa majeur ; Concerto ; voir RV 543
RV 140 Fa majeur ; Sinfonia / Concerto
RV 141 Fa majeur ; Concerto
RV 142 Fa majeur ; Concerto
RV 143 Fa mineur ; Concerto
RV 144 / Anh. 70 Sol majeur ; Introdutione ; attribution douteuse (peut-
être de Giuseppe Tartini)
RV 145 Sol majeur
RV 146 Sol majeur ; Sinfonia/Concerto ; deux versions différentes pour
le même ensemble
RV 147 Sol majeur ; Sinfonia
RV 148 / Anh.68 Sol majeur ; Sinfonia ; attribution douteuse
RV 149 Sol majeur ; Sinfonia
RV 150 Sol majeur ; Concerto
RV 151 Sol majeur ; Concerto alla rustica ; avec ajout de 2 hb dans le 3e
mvt
RV 152 Sol mineur ; Concerto ripieno
RV 153 Sol mineur ; Concerto ; 2e mvt = RV 126
RV 154 Sol mineur ; Concerto
RV 155 Sol mineur ; Concerto ; avec l’ajout d’un vl solo dans les 3e et 4e
mvts
RV 156 Sol mineur ; Concerto
RV 157 Sol mineur ; Concerto
RV 158 La majeur ; Concerto ripieno
RV 159 La majeur ; Concerto ; 2 vl et vlc soli dans le 3e mvt
RV 160 La majeur ; Concerto
RV 161 La mineur ; Concerto
RV 162 Si bémol majeur ; Sinfonia (une version à Dresde avec 2 fl, 2 hb,
bs, cordes, bc ; publiée chez Ricordi)
RV 163 Si bémol majeur ; Concerto ; Conca
RV 164 Si bémol majeur ; Concerto
RV 165 Si bémol majeur ; Concerto
RV 166 Si bémol majeur ; Concerto
RV 167 Si bémol majeur ; Concerto
RV 168 Si mineur ; Sinfonia
RV 169 Si mineur ; 2 vl, vla, bc ; Sinfonia al Santo Sepolcro

E/ Concertos pour un instrument soliste, cordes et basse continue

Concertos pour violon

RV 170 Do majeur
RV 171 Do majeur
RV 172 Do majeur ; dédicace : Con.to facto p Mr Pisende[l]
RV 172a Do majeur ; 1er et 2e mvts = RV 172 ; 3e mvt d’un concerto de
C. Tessarini ; incomplet
RV 173 Do majeur ; Opus 12, n° 4
RV 174 Do majeur ; perdu
RV 175 / Anh. 104 Do majeur
RV 176 Do majeur
RV 177 Do majeur
RV 178 Do majeur  ; l’original probablement écrit pour hb (voir RV
449) ; Opus 8, n° 12
RV 179 Do majeur  : imprimé dans VI Concerti a 5 stromenti, n°  3
(Amsterdam 1736) (voir RV 581).
RV 179a Do majeur ; incomplet ; 3e mvt différent de RV 179 ; Concerto
Per S.ra Anna Maria (I-Vc)
RV 180 Do majeur ; Opus 8, n° 6 ; Il Piacere
RV 181 Do majeur
RV 181a Do majeur ; 3e mvt = RV 183 ; Opus 9, n° 1
RV 182 Do majeur
RV 183 Do majeur ; 3e mvt = RV 181a
RV 184 Do majeur ; hb ( ?), cordes, bc
RV 185 Do majeur ; 4e mvt pour cordes, 2 vl, vlc soli
RV 186 Do majeur
RV 187 Do majeur
RV 188 Do majeur ; Opus 7, vol. 1, n° 2
RV 189 Do majeur ; imprimé dans VI Concerti a cinque stromenti n°  1
(Amsterdam 1735)
RV 190 Do majeur
RV 191 Do majeur
RV 192 Do majeur ; Sinfonia, 2 vl soli dans le 1er mvt
RV 192a Do majeur ; Sinfonia, 2 vl soli dans le 1er mvt ; 3e mvt différent
de RV 192
RV 193 Do majeur ; perdu
RV 194 Do majeur
RV 195 Do majeur ; imprimé dans VI Concerts à 5 & 6 instrumens n° 6
(Amsterdam 1716)
RV 196 Do mineur ; Opus 4, n° 10
RV 197 Do mineur
RV 198 Do mineur
RV 198a Do mineur ; Opus 9, n° 11 ; 2e mvt différent de RV 198
RV 199 Do mineur ; Il sospetto
RV 200 Do mineur ; perdu
RV 201 Do mineur
RV 202 Do mineur ; Opus 11, n° 5
RV 203 Ré majeur ; incomplet
RV 204 Ré majeur ; Opus 4, n° 11 ; 2 vl soli dans le 1er mvt
RV 205 Ré majeur ; 2e mvt = 212 ; dédicace Concerto facto p Mo.r P
RV 206 Ré majeur
RV 207 Ré majeur
RV 208 Ré majeur  ; Grosso Mogul  ; cadence publiée par M.  Grattoni
(Udine, éditions Pizzicato)
RV 208a Ré majeur ; Opus 7, livre 2, n° 5 ; 2e mvt différent de RV 208 ;
1er et 3e mvts sans cadence ; transcription Bach BWV 594.
RV 209 Ré majeur
RV 210 Ré majeur ; Opus 8, n° 11
RV 211 Ré majeur
RV 212 Ré majeur ; v, (2 hb), cordes, bc ; Concerto fatto per la Solennità
della S. Lingua di S. Antonio in Padova 1712 ; incomplet
RV 213 Ré majeur
RV 213a Ré majeur ; 3e mvt différent de RV 213 ; Concerto Per la Sig.ra
Anna Maria (I-Vc)
RV 214 Ré majeur  ; Opus 7, livre 2, n°  6  ; originellement attribué à
D. Gallo
RV 215 Ré majeur
RV 216 Ré majeur ; Opus 6, n° 4
RV 217 Ré majeur
RV 218 Ré majeur
RV 219 Ré majeur
RV 220 Ré majeur ; imprimé dans Concerti a cinque, n° 6 (Amsterdam
1717)
RV 221 Ré majeur ; violino in tromba [marina], cordes, bc
RV 222 Ré majeur
RV 223 voir RV 762
RV 224 Ré majeur
RV 224a ; 2e mvt différent de RV 224 ; voir RV 772
RV 225 Ré majeur
RV 226 Ré majeur
RV 227 Ré majeur
RV 228 Ré majeur
RV 229 Ré majeur ; voir RV 755
RV 230 Ré majeur ; Opus 3, n° 9, transcription Bach BWW 972
RV 231 Ré majeur
RV 232 Ré majeur
RV 233 Ré majeur
RV 234 Ré majeur ; L’inquietudine Con.to
RV 235 Ré mineur
RV 236 Ré mineur ; pour hb = RV 454 ; Opus 8, n° 9
RV 237 Ré mineur
RV 238 Ré mineur ; Opus 9 n° 8
RV 239 Ré mineur ; Opus 6, n° 6
RV 240 Ré mineur
RV 241 Ré mineur
RV 242 Ré mineur ; Opus 8, n° 7 ; 2e mvt = RV 101 ; dédicace : Con.to
del Vivaldi facto p M : Pisend[e]l
RV 243 Ré mineur ; Con.to con Violino senza Cantin
RV 244 Ré mineur ; Opus 12, n° 2
RV 245 Ré mineur  ; Concerto Originale del quale non vi è altra copia
(D-Dl)
RV 246 Ré mineur
RV 247 Ré mineur
RV 248 Ré mineur
RV 249 Ré mineur ; Opus 4, n° 8
RV 250 Mi bémol majeur
RV 251 Mi bémol majeur
RV 252 Mi bémol majeur
RV 253 Mi bémol majeur ; Opus 8, n° 5 ; La Tempesta di Mare
RV 254 Mi bémol majeur
RV 255 Mi bémol majeur ; Brno, catalogue Moraskvé Muzeum ; perdu
RV 256 Mi bémol majeur ; Il Ritiro
RV 257 Mi bémol majeur
RV 258 Mi bémol majeur
RV 259 Mi bémol majeur  ; Opus 6, n°  2  ; Brno, catalogue Moraskvé
Muzeum
RV 260 Mi bémol majeur
RV 261 Mi bémol majeur ; 2 vl soli dans le 1er mvt
RV 262 Mi bémol majeur
RV 263 Mi majeur
RV 263a Mi majeur ; Opus 9, n° 4 ; 3e mvt différent de RV 263 (voir RV
762)
RV 264 Mi majeur
RV 265 Mi majeur ; Opus 3, n° 2 ; transcription Bach BWV 976
RV 266 Mi majeur
RV 267 Mi majeur
RV 267a Mi majeur ; 2e mvt différent de RV 267 ; Concerto Per Sig.ra
Anna Maria (I-Vc) ; incomplet
RV 268 Mi majeur
RV 269 Mi majeur ; Opus 8, n° 1 ; La primavera
RV 270 Mi majeur ; Il riposo Per il S. Natale
RV 271 Mi majeur ; L’amoroso
RV 272 / Anh. 64 et 64a Mi mineur ; attribué à J.A. Hasse
RV 273 Mi mineur ; Brno, catalogue Moraskvé Muzeum
RV 274/Anh. 106 Mi mineur ; attribution douteuse
RV 275 Mi mineur ; imprimé das Concerti a cinque, n° 12 (Amsterdam
1717)
RV 275a Mi mineur ; 2e mvt différent de RV 275 ; pour fl trav = RV 430 ;
attribution douteuse
RV 276 Mi mineur ; imprimé dans Concerti à 5, 6 & 7 instrumens, n° 1
(Amsterdam 1714)
RV 277 Mi mineur ; Opus 11, n° 2 ; Il favorito
RV 278 Mi mineur
RV 279 Mi mineur ; Opus 4, n° 2
RV 280 Mi mineur ; Opus 6, n° 5
RV 281 Mi mineur
RV 282 Fa majeur
RV 283 Fa majeur
RV 284 Fa majeur ; Opus 4, n° 9 ; 1er mvt = RV 285
RV 285 Fa majeur ; 1er mvt = RV 775 et 284
RV 285a Fa majeur ; Opus 7, livre 1, n° 5 ; 1er mvt différent de RV 285
RV 286 Fa majeur ; Conc.to p la Solennità di S. Lorenzo ; dédié à Anna
Maria (I-Vc) (copie avec interventions autogr. à GB-Mp)
RV 287 Fa majeur
RV 288 Fa majeur
RV 289 Fa majeur
RV 290 Fa majeur ; Brno, catalogue Moraskvé Muzeum ; perdu
RV 291 Fa majeur, Opus 4, n° 6 ; 2 mvt = RV 357
RV 292 Fa majeur (attribué à F. Chelleri « Giuseppe Cheleri »)
RV 293 Fa majeur ; Opus 8, n° 3 ; L’autunno
RV 294 Fa majeur ; 2e mvt = RV 22 ; Il ritiro
RV 294a Fa majeur ; Opus 7, livre 2, n° 4 ; 2e mvt différent de RV 294 ;
Il ritiro
RV 295 Fa majeur
RV 296 Fa majeur
RV 297 Fa mineur ; Opus 8, n° 4 ; L’inverno
RV 298 Sol majeur ; Opus 4, n° 12
RV 299 Sol majeur ; Opus 7, livre 2, n° 2 ; transcription Bach BWV 973
RV 300 Sol majeur ; Opus 9, n° 10
RV 301 Sol majeur ; Opus 4, n° 3
RV 302 Sol majeur ; attribué à G.B. Somis
RV 303 Sol majeur
RV 304 Sol majeur ; Brno, catalogue Moraskvé Muzeum ; perdu
RV 305 Sol majeur ; perdu
RV 306 Sol majeur
RV 307 Sol majeur
RV 308 Sol majeur ; Opus 11, n° 4 ; Concerto Per Sig.ra Anna Maria (I-
Vc)
RV 309 Sol majeur  ; Il mare tempestoso  ; Brno, catalogue Moraskvé
Muzeum, perdu
RV 310 Sol majeur ; transcription de Bach BWV 978 ; Opus 3, n° 3
RV 311 Sol majeur ; avec l’indication : violino in tomba [marina]
RV 312 Sol majeur
RV 313 Sol majeur ; avec l’indication : violino in tomba [marina]
RV 314 Sol majeur ; 2e mvt = RV 17a ; dédié à Pisendel
RV 314a Sol majeur ; 2e mvt différent de RV314
RV 315 Sol mineur ; Opus 8, n° 2 ; L’estate
RV 316 Sol mineur ; perdu
RV 316a Sol mineur ; Opus 4, n° 6
RV 317 Sol mineur ; Opus 12, n° 1
RV 318 Sol mineur ; Opus 6, n° 3
RV 319 Sol mineur
RV 320 Sol mineur ; incomplet
RV 321 Sol mineur
RV 322 Sol mineur ; incomplet
RV 323 Sol mineur
RV 324 Sol mineur ; Opus 6, n° 1
RV 325 Sol mineur
RV 326 Sol mineur ; Opus 7, livre 1, n° 3 ; 2e mvt = RV 370
RV 327 Sol mineur
RV 328 Sol mineur
RV 329 Sol mineur
RV 330 Sol mineur
RV 331 Sol mineur
RV 332 Sol mineur ; Opus 8, n° 8
RV 333 Sol mineur
RV 334 Sol mineur ; Opus 9, n° 3 ; voir RV 460
RV 335 La majeur ; en plusieurs versions ; The Cuckow ; voir aussi RV
518
RV 335a La majeur ; 2e mvt différent de RV 335 ; Il Rosignuolo
RV 336 La majeur ; Opus 11, n° 3
RV 337 La majeur ; Brno, catalogue Moraskvé Muzeum, perdu
RV 338 / Anh. 65 La majeur  ; attribution douteuse (attribué à Joseph
Meck)
RV 339 La majeur
RV 340 La majeur
RV 341 La majeur ; imprimé dans VI Concerti a cinque stromenti, n° 4
(Amsterdam 1735)
RV 342 La majeur
RV 343 La majeur ; Concerto con Violini d’accordatura diversa
RV 344 La majeur
RV 345 La majeur ; Opus 9, n° 2
RV 346 La majeur
RV 347 La majeur ; Opus 4, n° 5
RV 348 La majeur ; Opus 9, n° 6
RV 349 La majeur
RV 350 La majeur
RV 351 La majeur
RV 352 La majeur
RV 353 La majeur
RV 354 La mineur, Opus 7, livre 1, n° 4
RV 355 / Anh. 107 (a) La mineur ; attribution douteuse
RV 356 La mineur ; Opus 3, n° 6
RV 357 La mineur ; Opus 4, n° 4 ; 2e mvt = RV 291
RV 358 La mineur ; Opus 9, n° 5 ; attribué à Piantanida
RV 359 Si bémol majeur ; Opus 9, n° 7
RV 360 Si bémol majeur ; incomplet
RV 361 Si bémol majeur ; Opus 12, n° 6
RV 362 Si bémol majeur ; Opus 8, n° 10, La caccia
RV 363 Si bémol majeur ; Il Corneto da Posta
RV 364 Si bémol majeur  ; imprimé dans Concerti a cinque, n°  8
(Amsterdam 1717)
RV 364a Si bémol majeur ; imprimé dans L’Élite des Concerto Italiens,
n° 1 (Paris 1742-51) ; 2e mvt différent de RV 364
RV 365 Si bémol majeur
RV 366 Si bémol majeur ; Il Carbonelli
RV 367 Si bémol majeur ; Brno, catalogue Moraskvé Muzeum
RV 368 Si bémol majeur
RV 369 Si bémol majeur ; ajout d’un vl solo dans le 1er mvt et de 2 vl soli
dans le 2e mvt
RV 370 Si bémol majeur
RV 371 Si bémol majeur ; Brno, catalogue Moraskvé Muzeum
RV 372 Si bémol majeur
RV 372a Si bémol majeur  ; 2e mvt différent de RV 372 ; Concerto Per
Sigra Chiaretta D.V. (I-Vc) ; incomplet ; classé comme RV 790
RV 373 Si bémol majeur ; Opus 7, livre 2, n° 3 ; attribution douteuse
RV 374 Si bémol majeur ; Opus 7, livre 1, n° 6
RV 375 Si bémol majeur
RV 376 Si bémol majeur
RV 377 Si bémol majeur
RV 378 Si bémol majeur ; incomplet
RV 379 Si bémol majeur ; Opus 12, n° 5 ; ajout d’un vl solo dans le 3e
mvt
RV 380 Si bémol majeur
RV 381 Si bémol majeur  ; voir aussi RV 528  ; transcription de Bach
BWV 980
RV 382 Si bémol majeur  ; del Sige D.A.V. [del Signor Don Antonio
Vivaldi]
RV 383 Si bémol majeur ; ajout d’un vl solo dans le 1er mvt
RV 383a Si bémol majeur ; Opus 4, n° 1 ; 1er mvt = RV381 ; transcription
de Bach BWV 980
RV 384 Si mineur
RV 385/Anh.108 Si mineur
RV 386 Si mineur
RV 387 Si mineur ; Concerto Per Sigra Anna Maria (I-Vc)
RV 388 Si mineur
RV 389 Si mineur
RV 390 Si mineur ; Brno, catalogue Moraskvé Muzeum
RV 391 Si mineur ; Opus 9, n° 12 ; ajout d’un vl solo dans le 1er mvt
RV 745 Si bémol majeur ; 3e mvt seul
RV 752 Ré majeur ; perdu
RV 761 Do mineur ; cordes (2 vl ; vl/alto), bc ; Amato bene
RV 762 Mi majeur  ; identifié comme RV 223  ; 3e mvt = RV 263a  : la
mineur, p Sa Anna Ma alla Pietà
RV 763 La majeur ; L’ottavina
RV 768 La majeur ; nouvelle version de RV 396 ; d’abord classé RV 744
RV 769 Ré mineur ; révision de RV 393
RV 770 Ré mineur ; révision de RV 395 ; identifié comme RV 395a
RV 771 Do mineur ; Concerto Per Sig.ra Anna Maria ; incomplet
RV 772 Ré majeur ; 2e mvt= RV 224a ; incomplet
RV 773 Fa majeur ; concerto Per Sig.ra Anna Maria ; incomplet
RV 792 La majeur ; incomplet
RV 794 Fa majeur ; incomplet

Concertos pour viole d’amour

RV 392 Ré majeur
RV 393 Ré mineur  ; allusion à Anna Maria dans le mot «  AMore  »  ;
transcrit sans doute de RV 769 (pour violon)
RV 394 Ré mineur
RV 395 Ré mineur
RV 395a Ré mineur ; transcrit sans doute de RV 770 (pour violon)
RV 396 La majeur ; transcrit sans doute de RV 768 (pour violon)
RV 397 La mineur ; ajout de 2 vl et une vla soli dans le 2e mvt ; allusion
à Anna Maria dans le mot « AMor »

Concertos pour violoncelle

RV 398 Do majeur
RV 399 Do majeur
RV 400 Do majeur
RV 401 Do mineur
RV 402 Do mineur
RV 403 Ré majeur
RV 404 Ré majeur
RV 405 Ré mineur
RV 406 Ré mineur ; 1er mvt = concerto pour basson RV 481
RV 407 Ré mineur
RV 408 Mi bémol majeur
RV 409 Mi mineur
RV 410 Fa majeur
RV 411 Fa majeur
RV 412 Fa majeur
RV 413 Sol majeur
RV 414 Sol majeur ; voir aussi version pour fl trav RV 438
RV 415 Sol majeur ; attribution douteuse
RV 416 Sol mineur
RV 417 Sol mineur
RV 418 La mineur
RV 419 La mineur
RV 420 La mineur
RV 421 La mineur
RV 422 La mineur
RV 423 Si bémol majeur
RV 424 Si mineur
RV 787 Mi mineur  ; Concerto Per violoncello Per Teresa D.V. (I-Vc)  ;
incomplet
RV 788 Si bémol majeur  ; Concerto Per violoncello Per Teresa D.V.  ;
incomplet

Concerto pour mandoline

RV 425 Do majeur

Concertos pour flûte traversière

RV 426 Ré majeur ; attribution douteuse (Anh.109)


RV 427 Ré majeur ; fl trav, cordes, bc
RV 428 Ré majeur  ; Opus 10, n°  3  ; Il Gardellino  ; voir Concerti da
camera RV 90
RV 429 Ré majeur ; ajout d’un vl solo dans le 2e mvt
RV 430 Mi mineur ; version pour vl, voir RV 275
RV 431 Mi mineur ; incomplet
RV 432 Mi mineur ; incomplet
RV 433 Fa majeur ; La tempesta di mare ; voir aussi RV 98 et RV 570 ;
Opus 10, n° 1
RV 434 Fa majeur ; Opus 10, n° 5 ; nouvelle version de RV 442 avec 2e
mvt en sol mineur
RV 435 Sol majeur ; Opus 10, n° 4
RV 436 Sol majeur
RV 437 Sol majeur ; voir aussi RV 101 ; Opus 10, n° 6
RV 438 Sol majeur ; voir aussi RV 414
RV 439 Sol mineur ; Opus 10, n° 2 ; La notte ; voir aussi RV 104
RV 440 La mineur
RV 783 Ré majeur
RV 784 Sol majeur ; perdu
RV 805 Sol majeur ; perdu

Concertos pour flûte droite

RV 441 Do mineur, fl dr, cordes, bc


RV 442 Fa majeur, fl dr, bc ; 2e mvt en Fa mineur, repris dans RV 434

Concertos pour flautino (flûte droite soprano ou sopranino)

RV 443 Do majeur, flautino, cordes, bc


RV 444 Do majeur, flautino, cordes, bc
RV 445 La mineur, flautino, cordes, bc

Concertos pour hautbois, cordes et basse continue

RV 446 Do majeur ; attribution douteuse ?


RV 447 Do majeur ; autres versions RV 470 et 448
RV 448 Do majeur  ; Conto P Fag accomodato P Hautbois  ; autres
versions RV 447 et 470
RV 449 Do majeur ; Opus 8, n° 12 ; version pour vl = RV 178
RV 450 Do majeur ; P Fag : ridotto P Haut ; révision de RV 471
RV 451 Do majeur
RV 452 Do majeur
RV 453 Ré majeur
RV 454 Ré mineur ; Opus 8, n° 9 ; version pour vl = RV 236
RV 455 Fa majeur
RV 456 / Anh. 110 Fa majeur ; imprimé dans Harmonia mundi. The 2nd
collection, n° 5 (London 1728) ; attribution douteuse
RV 457 Fa majeur ; P Fag : ridotto P Haut ; révision de RV 485
RV 458 Fa majeur ; attribution douteuse
RV 459 / Anh. 111 Sol mineur ; attribution douteuse ; incomplet
RV 460 Sol mineur ; version pour vl = RV 334 ; Opus 11, n° 6
RV 461 La mineur
RV 462 La mineur
RV 463 La mineur ; Conto P Fag : ridotto P Haut ; révision de RV 500
RV 464 Si bémol majeur ; Opus 7, livre 2, n° 1 ; attribution douteuse
RV 465 Si bémol majeur ; Opus 7, livre 1, n° 1 ; attribution douteuse

Concertos pour basson

RV 466 Do majeur
RV 467 Do majeur
RV 468 Do majeur
RV 469 Do majeur
RV 470 Do majeur  ; éléments communs avec RV 447  ; autre version
pour hb = RV 448
RV 471 Do majeur ; autre version pour hb = RV 450
RV 472 Do majeur
RV 473 Do majeur
RV 474 Do majeur
RV 475 Do majeur
RV 476 Do majeur
RV 477 Do majeur
RV 478 Do majeur
RV 479 Do majeur
RV 480 Do mineur
RV 481 Ré mineur ; le 1er mvt = RV 406
RV 482 Ré mineur ; incomplet
RV 483 Mi bémol majeur
RV 484 Mi mineur
RV 485 Fa majeur ; version pour hb = RV 457
RV 486 Fa majeur
RV 487 Fa majeur
RV 488 Fa majeur ; ajout de 2 vl soli dans le 1er mvt
RV 489 Fa majeur
RV 490 Fa majeur
RV 491 Fa majeur ; accord débutant le 2nd mvt dans RV 129, 587, 610 et
611
RV 492 Sol majeur
RV 493 Sol majeur
RV 494 Sol majeur
RV 495 Sol mineur
RV 496 Sol mineur ; dédicace : Ma : dè Morzin
RV 497 La mineur
RV 498 La mineur
RV 499 La mineur
RV 500 La mineur ; version pour hb = RV 463
RV 501 Si bémol majeur ; La notte
RV 502 Si bémol majeur
RV 503 Si bémol majeur
RV 504 Si bémol majeur

Concerto pour clavecin

RV 780 La majeur ; peut-être révision de RV 546

F/ Concertos pour deux instruments solistes, cordes et basse continue

Concertos pour deux violons

RV 505 Do majeur
RV 506 Do majeur
RV 507 Do majeur
RV 508 Do majeur
RV 509 Do mineur
RV 510 Do mineur
RV 511 Ré majeur
RV 512 Ré majeur
RV 513 Ré majeur  ; imprimé dans VI Concerti a 5 stromenti n°  6
(Amsterdam, 1736)
RV 514 Ré mineur
RV 515 Mi bémol majeur
RV 516 Sol majeur ; 2e mvt = RV 71
RV 517 Sol mineur
RV 518 La majeur ; voir RV 335 ; attribution douteuse
RV 519 La majeur ; Opus 3, n° 5
RV 520 La majeur ; incomplet
RV 521 La majeur
RV 522 La mineur ; Opus 3, n° 8
RV 523 La mineur
RV 524 Si bémol majeur
RV 525 Si bémol majeur
RV 526 Si bémol majeur ; incomplet
RV 527 Si bémol majeur
RV 528 Si bémol majeur ; peut-être révision de RV 381
RV 529 Si bémol majeur
RV 530 Si bémol majeur ; Opus 9, n° 9
RV 764 Si bémol majeur
RV 765 Fa majeur

Concertos pour deux instruments semblables, cordes et basse continue


RV 531 Sol mineur ; 2 vlc, cordes, bc
RV 532 Sol majeur ; 2 mandolines, cordes, bc
RV 533 Do majeur ; 2 fl trav, cordes, bc
RV 534 Do majeur ; 2 hb, cordes, bc
RV 535 Ré mineur ; 2 hb, cordes, bc
RV 536 La mineur ; 2 hb, cordes, bc
RV 537 Do majeur ; 2 trompettes, cordes, bc ; 2e mvt = RV 110
RV 538 Fa majeur ; 2 cors, cordes, bc ; vlc solo et bc dans le 2e mvt
RV 539 Fa majeur ; 2 cors, cordes, bc

Concertos pour deux instruments différents, cordes et basse continue

RV 774 Do majeur, vl, orgue, cordes, bc ; Concerto Per Sigra Anna Maria
con organo obligato D.V. (I-Vc) ; incomplet
RV 808 Do majeur, vl, org, cordes, bc ; incomplets ; classé comme Anh.
76 ; éléments communs avec d’autres concertos, surtout RV 114
RV 766 Do mineur ; vl, orgue, cordes, bc ; version pour 2 vl = RV 510
RV 540 Ré mineur ; viole d’amour, luth, cordes, bc
RV 541 Ré mineur ; vl, orgue, cordes, bc
RV 542 Fa majeur ; vl, orgue, cordes, bc
RV 543 Fa majeur  ; vl, hb, cordes, bc  ; des éléments thématiques
communs avec RV 139
RV 544 Fa majeur  ; vl, vlc, cordes, bc  ; Il Proteo ò sia il mondo al
rovescio ; autre version en RV 572 avec instruments différents
RV 767 Fa majeur ; vl, org, cordes, bc ; version avec 2 vl = RV 510
RV 775 Fa majeur ; vl, orgue, cordes, bc ; 1er mvt = RV 285 ; incomplet
RV 545 Sol majeur ; hb, bs, cordes, bc
RV 546 La majeur ; vl, vlc, cordes, bc ; repris en RV 780
RV 547 Si bémol majeur ; vl, vlc, cordes, bc
RV 548 Si bémol majeur ; vl, hb, cordes, bc ; version avec 2 vl = RV 764
RV 781 Ré majeur ; 2 trompettes (hb ?), cordes, bc ; vl, cordes, bc dans
le 2nd mvt ; classé aussi comme RV 563

G/ Concertos pour plus de deux instruments solistes, cordes et basse


continue

Concertos pour trois ou quatre violons

RV 549 Ré majeur  ; 4 vl, cordes, bc, solo vlc dans le 1er mvt ; Opus 3,
n° 1
RV 550 Mi mineur ; 4 vl, cordes, bc ; Opus 3, n° 4
RV 551 Fa majeur ; 3vl, cordes, bc
RV 552 La majeur  ; vl, 3 vl en «  écho  », cordes et bc  ; Concerto Con
violino Principale et altro Violino per eco in lontano
RV 553 Si bémol majeur ; 4 vl, cordes, bc

Concertos pour plusieurs instruments solistes

RV 554 Do majeur ; vl, orgue/vl, hb, cordes, bc


RV 554a Do majeur ; vl ; orgue/vl, vlc, cordes, bc ; 2e mvt instruments
différents de RV 554
RV 555 Do majeur  ; 3 vl soli, hb, 2 fl dr, 2 «  viole all’inglese  », 2
chalumeaux, 2 vlc, 2 clavecins, cordes, bc ; ajout de 2 trompettes (ou vl « in
tromba marina ») dans le 3e mvt
RV 556 Do majeur  ; 2 hb, 2 «  Claren  » (clarinettes  ?), 2 fl dr, 2 vl, bs
(luth dans le 2nd mvt) ; Conto per la Solennità di S. Lorzo
RV 557 Do majeur ; 2 vl, 2 hb ; (2 fl dr ; bs dans le 2nd mvt), cordes, bc
RV 558 Do majeur  ; 2 vl «  in tromba marina  »  ; 2 fl dr (2  tr  ?), 2
mandolines, 2 chalumeaux, 2 théorbes, vlc, cordes, bc
RV 559 Do majeur  ; 2 hb, 2 clarinettes, cordes, bc  ; Conto con due
Clarinet 2 Hautbois e Istromenti
RV 560 Do majeur ; 2 hb, 2 clarinettes, cordes, bc
RV 561 Do majeur ; vl, 2 vlc, cordes, bc
RV 562 Ré majeur ; vl, 2 hb, 2 cor, cordes, bc ; Concerto Del Sigr Vivaldi
per la Solennità di S. Lorenzo
RV 562a Ré majeur ; vl, 2hb, 2 cors, timbale, cordes, bc ; Concerto Del
Sigr Vivaldi per la Solennità di S. Lorenzo ; 2e mvt différent de RV 562
RV 563 Ré majeur ; voir RV 781
RV 564 Ré majeur ; 2 vl, 2 vlc, cordes, bc
RV 564a Ré majeur ; 2 vl, 2 hb, bs, cordes, bc ; peut-être révision de RV
564 avec modifications et autres instruments
RV 565 Ré mineur  ; 2 vl, vlc, cordes, bc ; transcription de Bach BWV
596
RV 566 Ré mineur ; 2 vl, 2 fl dr, 2 hb, bs, cordes, bc
RV 567 Fa majeur ; 4 vl, vlc, cordes, bc
RV 568 Fa majeur ; vl, 2 hb, 2 cors, bs, cordes, bc
RV 569 Fa majeur ; vl, 2 hb, 2 cors, bs, (vlc solo dans le 3e mvt), cordes,
bc
RV 570 Fa majeur ; fl trav, hb, bs (vl solo dans le 1er mvt), cordes, bc ;
voir RV 98 et RV 433 ; La Tempesta di Mare
RV 571 Fa majeur ; vl, vlc, 2 hb, 2 cors, bs, cordes, bc
RV 572 Fa majeur ; vl, vlc, 2 fl trav, 2 hb, cordes, bc ; Il Proteo o sia il
mondo al rovescio ; version différente de RV 544 (autres instruments)
RV 573 Fa majeur ; perdu
RV 574 Fa majeur ; vl, 2 « trombon da caccia » (2 cors ?), 2 hb, bs (vlc
solo dans le 3e mvt)  ; dédicace  : Conto p SASISPGMDGSMB (Giuseppe
Maria Gonzaga, prince de Guastalla ?) (d’après E. Pozzi, 2007, p. 658)
RV 575 Sol majeur, 2 vl, 2 vlc, cordes, bc
RV 576 Sol mineur, vl, hb, 2 fl dr, bs, cordes, bc
RV 577 Sol mineur  ; vl, 2 hb, 2 fl dr, bs, cordes, bc  ; dédicace  : p
l’Orchestra di Dresda
RV 578 Sol mineur, 2 vl, vlc, cordes, bc ; Opus 3, n° 2
RV 579 Si bémol majeur  ; vl, hb, chalumeau, 3 «  viole all’inglese  »,
cordes, bc ; Contto funebre
RV 580 Si mineur ; 4 vl, vlc, cordes, bc ; Opus 3, n° 10 ; transcription de
Bach BWV 1065

H/ Concertos pour un ou plusieurs instruments solistes, deux orchestres à


cordes et basse continue

Concertos pour violon

RV 581 Do majeur  ; Conto in due Cori P l S.  Sma Assontione di M.V.  ;


dédicace à Anna Maria (I-Vc) ; autres versions, voir RV 179 et 179a
RV 582 Ré majeur ; Concto in due Cori P la S. S.ma Assontione di M.V. ;
dédicace à Anna Maria (I-Vc) ; 2e mvt = RV 12
RV 583 Si bémol majeur ; Conto in due Cori con Violo scordato

Concertos pour plusieurs instruments solistes

RV 793 Do majeur ; 2 orgues, 2 orchestres à cordes, bc ; incomplet


RV 584 Fa majeur ; 2 vl et 2 orgues, 2 orchestres à cordes, bc ; incomplet
RV 585 La majeur ; Coro 1 : 2 vl soli, vlc (dans mvt 4), 2 fl dr, cordes, bc
(théorbe ou orgue)  ; Coro 2 : 2 vl soli, vlc (dans mvt 4), 2 fl dr, orgue,
cordes, bc (orgue) ; Conto in Due Cori con Flauti Obligati
 

Deuxième partie : musique vocale

Musique vocale sacrée

A/ Messes, fragments de messes, psaumes et compositions pour les Vêpres


RV 586 / Anh. 112 Do majeur ; Sacrum (messe) ; Soli : SATB  ; chœur
SATB, 2 « Clarini », 2 vl, 2 vlc, bc (orgue) ; attribution douteuse
RV 587 Sol mineur  ; Kyrie, à deux chœurs  ; coro 1  : Soli SA  ; chœur
SATB, cordes, bc ; coro 2 : Soli : SA ; choeur : SATB, cordes, bc (orgue)
RV 588 Ré majeur ; Gloria ; Soli : SSATB, Chœur : SATB, tr ; 2hb, 2 vl
soli, cordes, bc (orgue) ; peut-être des éléments provenant de G.M. Ruggieri
RV 589 Ré majeur ; Gloria ; Soli : SSA, Chœur : SATB ; tr, hb, vl solo
(ad libitum), cordes, bc
RV 590 Ré majeur ; Gloria ; perdu
RV 591 Mi mineur ; Credo ; chœur : SATB, cordes, bc
RV 592 Sol majeur ; Credo ; Soli : SA ; Chœur : SATB, hb, cordes avec
« Tenor Viola », bc (orgue) ; attribution douteuse
RV 797 Sol majeur  ; Credo ; figure dans un inventaire sous le nom de
Vivaldi ; perdu
RV 593 Sol majeur ; Domine ad adiuvandum me festina ; ps. 69 ; pour 2
chœurs ; Coro 1 : Solo : S ; Chœur : SATB ; 2 hb, cordes, bc (orgue) ; Coro
2 : chœur : SATB ; cordes, bc (orgue)
RV 594 Ré majeur  ; Dixit Dominus  ; ps. 109  ; coro 1  : Soli  : SATB  ;
chœur SATB, 2 tr, 2 hb, cordes, bc (orgue)  ; coro 2  : Solo  : S, chœur  :
SATB, tr, cordes, bc (orgue)
RV 595 Ré majeur  ; Dixit Dominus  ; ps. 109. Soli  : SSATB  ; chœur
SSATB, tr, 2 hb, 2 vlc soli, cordes, bc  ; trois mvts sont élaborés à partir
d’autres compositeurs
RV 807 Ré majeur  ; Dixit Dominus  ; ps. 109  ; Soli  : SSATT  ; chœur
SATB, tr, 2 hb, cordes, bc
RV 596 Do majeur ; Confitebor tibi Domine ; ps. 110 ; Soli : ATB ; 2 hb,
cordes, bc (orgue)
RV 789 Si bémol majeur ; Confitebor tibi Domine ; ps. 110 ; incomplet
RV 597 Do majeur ; Beatus vir ; ps. 111 ; coro 1  : Soli : SATB, chœur
SATB, 2 hb, cordes, bc (orgue) ; coro 2 : solo : S, chœur : SATB, cordes, bc
(orgue)
RV 795 Do majeur  ; Beatus vir  ; ps. 111  ; Soli  : SAAT (ou CA  ?),
Choeur : SSATB, cordes, bc ; d’abord classé RV 597a
RV 598 Si bémol majeur ; Beatus vir, ps.111 ; Soli : SSA, chœur : SATB,
cordes, bc
RV 599 Beatus (vir) ; perdu
RV 600 Do mineur  ; Laudate pueri Dominum  ; ps. 112  ; S, vl solo,
cordes,bc (orgue)
RV 601 Sol majeur ; Laudate pueri Dominum ; ps. 112 ; S, fl trav, 2 hb
ad libitum, cordes, bc
RV 602 La majeur ; Laudate pueri Dominum ; ps. 112 ; coro 1 : solo : S,
chœur SATB, cordes, bc (orgue) ; coro 2 : solo : S, 2 hb, cordes, bc (orgue)
RV 602a La majeur ; Laudate pueri Dominum, ps. 112 ; coro 1 : solo :
S  ; chœur  : SATB, fl trav, cordes, bc (orgue)  ; coro 2  : solo  : S, (chœur
SATB ?), cordes, bc (orgue)
RV 603 La majeur ; Laudate pueri Dominum ; ps. 112 ; coro 1 : solo : S,
chœur : SATB, cordes, bc (orgue) ; coro 2 : (chœur SATB ?), hb, cordes, bc
(orgue)
RV 604 Do majeur, In exitu Israel ; ps. 613 ; chœur SATB, cordes, bc
RV 605 / Anh. 35b Do majeur ; Credidi propter quod locutus sum ; ps.
115 pour chœur à 5 vx, cordes, bc ; adapté de RV Anh. 35
RV 606 Ré mineur ; Laudate Dominum ; ps. 116 ; chœur : SATB, cordes,
bc
RV 607 Fa majeur ; Laetatus sum ; ps. 121 ; chœur : SATB, vl unisson,
alto, bc
RV 608 Sol mineur ; Nisi Dominus ; ps. 126 ; solo : CA, viole d’amour,
cordes, bc (orgue)
RV 803 La majeur  ; Nisi Dominus  ; ps. 126  ; Soli  : SAT (seulement
soli ?), viole d’amour, chalumeau ténor, vl « in tromba marina », vlc solo,
orgue obligé, cordes, bc
RV 609 Mi mineur  ; Lauda Jerusalem  ; ps. 147, coro 1  : soli  : SS,
chœur : SATB, cordes, bc ; coro 2 : soli : SS, chœur : SATB, cordes, bc
RV 610 Sol mineur ; Magnificat ; cantique ; Soli : SSAT ; chœur SATB,
2 hb, cordes, bc
RV 610a Sol mineur ; Magnificat ; cantique ; coro 1 : soli ST ; chœur :
SATB, 2 hb, cordes, bc ; coro 2 : soli SSA, chœur : SATB, cordes, bc
RV 610b Sol mineur  ; Magnificat ; cantique  ; Soli  : SSATB  ; chœur  :
SATB, cordes, bc (orgue)
RV 611 Sol mineur ; Magnificat ; cantique ; Soli : SA ; chœur  ; SATB,
cordes, bc ; version provenant de RV 610
RV 612 Do majeur  ; Deus tuorum militum  ; hymne  ; soli AT, 2 hb,
cordes, bc (orgue)
RV 613 Si bémol majeur ; Gaude Mater Ecclesia ; Solo : S, cordes, bc
RV 614/ Anh. 114 Fa majeur  ; Laudate Dominum omnes gentes  ;
Offertoire ; Soli : SA, chœur : SATB, 2 cors, 2 vl, bc ; attribution douteuse
RV 615 Regina coeli  ; antienne mariale  ; solo  : T  ; 2 vl «  in tromba
marina » (ou 2 tr ?) cordes, bc (orgue) ; incomplet
RV 616 Si bémol majeur ; Salve Regina, antienne mariale ; coro 1 : solo :
A, 2 fl, fl trav, cordes, bc ; coro 2 : cordes, bc
RV 804 Salve Regina ; perdu
RV 617 Fa majeur ; Salve Regina, antienne mariale  ; solo  : S, vl solo,
cordes, bc (orgue)
RV 618 Sol mineur ; Salve Regina, antienne mariale ; coro 1 : solo : CA ;
2 hb, cordes, bc ; coro 2 : cordes, bc
RV 619 Salve Regina ; perdu
RV 620 Sanctorum meritis ; hymne ; solo : S, cordes, bc (orgue)
RV 621 Fa mineur ; Stabat Mater ; hymne ; solo : CA ; cordes, bc
RV 622 Te Deum (pour l’ambassade de France à Venise, octobre 1727) ;
perdu

B/ Motets, introduzioni, arias sacrées, oratorios


Les motets sont accompagnés par les cordes (2 vl et alto) et la basse
continue ; seule la voix (S ou CA) est précisée.

Motets

RV 623 La majeur ; Canta in prato, ride in monte ; S


RV 624 Sol majeur ; Carae rose respirate ; S ; incomplet
RV 625 Fa majeur ; Clarae stelle scintillate ; A
RV 626 Do mineur ; In furore justissimae irae ; S
RV 627 Sol majeur ; In turbato mare irato ; S
RV 628 Sol majeur ; Invicti bellate ; CA
RV 629 Sol mineur  ; Longe mala, umbrae, terrores  ; S  ; élément
thématiques communs avec RV 640
RV 630 Mi majeur ; Nulla in mundo pax sincera ; S
RV 631 Mi bémol majeur ; O qui coeli terraeque serenitas ; S
RV 632 Fa majeur ; Sum in medio tempestatum ; S
RV 633 Fa majeur ; Vestro principi divino ; CA
RV 634 La majeur ; Vos aurae per montes ; S

Introduzioni

Sauf indication précise, l’accompagnement instrumental est : cordes


 
RV 635 La majeur ; Ascende Laeta ; Introduzione au Dixit Dominus ; S
RV 636 Sol majeur ; Canta in prato, ride in fonte ; Introduzione au Dixit
Dominus ; S
RV 637 Si bémol majeur ; Cur sagittas, cur tela, cur faces ; Introduzione
au Gloria ; CA
RV 638 Do mineur  ; Filiae maestae Jerusalem  ; Introduzione au
Miserere ; CA
RV 639 Ré majeur  ; Jubilate, o amoeni chori  ; Introduzione au Gloria
(RV 588) ; Soli : SATB ; chœur : SATB, tr, 2 hb, cordes, bc (orgue)
RV 639a Ré majeur ; Jubilate, o amoeni chori ; Introduzione au Gloria
(RV 588)  ; Soli  : SATB  ; chœur  : SATB, tr, 2 hb, cordes, bc (orgue)  ;
révision de RV 639
RV 640 Sol mineur  ; Longe mala, umbrae terrores  ; Introduzione au
Gloria ; CA ; éléments communs avec RV 629
RV 641 Fa majeur  ; Non in pratis aut in hortis  ; Introduzione au
Miserere ; CA
RV 642 Ré majeur ; Ostro picta armata spina ; Introduzione au Gloria ;
S

Arias sacrées

RV 646, 647, 648 /Anh. 59 : arias extraites d’opéras de Vivaldi (Vedrai
nel volto di quella infelice de RV 700 ; Benché nasconda la serpe in seno
de RV 728 ; Son come farfalletta de RV 728) placées sur des textes latins
(arias parodiques) par un auteur non identifié, conservées à la Bibliothèque
universitaire de Varsovie.

Oratorios

RV 643 Moyses Deus Pharaonis, Venise, Ospedale della Pietà, 1714  ;


musique perdue
RV 644 Juditha triumphans devicta Holofernes barbarie. Sacrum
militare oratorium,
Solistes  : 2 S, 3 A  ; chœur  : SATB  ; 2 fl, 2 hb, 2 tr, 2 «  Clarini  », 4
théorbes, orgue, mandoline, viole d’amour, «  viole all’inglese  », timbale,
cordes, bc (clavecin et orgue)
RV 645 L’Adorazione delli tre re magi al Bambino Gesù, Milan,
Congregazione dell’Immacolata Concezione nella casa di S.  Fedele,
9 janvier 1722
RV 782 La Vittoria navale, Vicence, Chiesa di Santa Corona, 18  juin
1713 ; musique perdue.

II
Musique vocale profane

A/ Cantates et sérénades

Cantates

RV 649 All’ombra d’un bel faggio ; S, bc


RV 650 Allor che lo sguardo ; S, bc
RV 651 Amor hai vinto ; S, bc (le texte est semblable à RV 683)
RV 652 Aure, voi più non siete ; S, bc
RV 653 Del suo natio rigore ; S, bc
RV 654 Elvira, anima mia ; S, bc
RV 655 Era la notte quando i suoi splendori ; S, bc
RV 656 Fonti del pianto ; S, bc
RV 657 Geme l’onda che parte dal fonte ; S, bc
RV 658 Il povero mio cor ; S, bc
RV 659 Indarno cerca la tortorella ; S, bc
RV 660 La farfalletta s’aggira al lume ; S, bc
RV 661 Nel partir da te mio caro ; S, bc
RV 662 Par che tardo oltre il costume ; S, bc
RV 663 Scherza di fronda in fronda ; S, bc
RV 664 Se ben vivono senz’alma ; S, bc
RV 665 Se levi dal pensier ; S, bc
RV 666 Si, si luce adorate ; S, bc
RV 667 Sorge vermiglia in ciel la bella Aurora ; S, bc
RV 668 T’intendo si mio cor ; S, bc
RV 669 Tra l’erbe i zeffiri ; S, bc
RV 670 Alla caccia dell’alme e de’ cori ; CA, bc
RV 671 Care selve, amici prati ; CA, bc
RV 672 Filli di gioia vuoi farmi morir ; CA, bc ; attribution douteuse
RV 673 Ingrata, Lidia, hai vinto il tuo rigore  ; CA, bc  ; attribution
douteuse
RV 674 Perfidissimo cor ! Iniquo fato ! CA, bc
RV 675 Piango, gemo, sospiro e peno ; CA, bc ; attribution douteuse
RV 676 Pianti sospiri e dimandar mercede ; CA, bc
RV 677 Qual per ignoto calle ; CA, bc
RV 678 All’ombra di sospetto ; S, fl trav, bc
RV 679 Che giova il sospirar, povero core, S, cordes, bc
RV 680 Lungi dal vago volto ; S, vl, bc
RV 681 Perche son molli ; S, 2 vl, bc
RV 682 Vengo a voi, luci adorate ; S, cordes, bc
RV 683 Amor, hai vinto ; A, cordes, bc ; le texte est semblable à RV 651
RV 684 Cessare, omai cessate ; CA, bc
RV 684a Cessate, omai cessate ; CA, cordes, bc ; la 1re aria est différente
de RV 684 ; incomplet
RV 685 O mie porpore piu belle ; A, cordes, bc ; avril 1719
RV 686 Qual in pioggia dorata i dolci rai ; CA, 2 cors de chasse, cordes,
bc
RV 753 Prendea con man di latte ; S, bc ; attribution douteuse
RV 796, Usignoletto bello ; S, bc
RV 799 Tremori al braccio e lacrime sul ciglio ; S, bc

Sérénades

RV 687 La Gloria, Imeneo (Dall’eccelsa mia regia) ; sérénade à 2 vx (S,


CA), cordes, bc ; Venise, 12 septembre 1725
RV 688 Le gare del dovere  ; sérénade pour 5 vx, Rovigo, printemps
1708 ; musique perdue
RV 690 Mio cor, povero cor ; sérénade à 3 vx (S, S, T), 2 cors, hb, bs,
cordes, bc
RV 691 Il Mopso. Egloga pescatoria (E. Nonnanuci) ; perdu
RV 692 Questa Eurilla gentil (V. Vettori)  ; sérénade à 4 vx, bc  ;
Mantoue, 31 juillet 1726 ; musique perdue
RV 693 La Senna festeggiante (D. Lalli) ; sérénade à 3 vx (S, MS, B), 2
fl, 2 hb, cordes, bc
RV 694 L’unione della Pace e di Marte (A. Grossatesta) ; sérénade à 3
vx, bc ; Venise, 19 septembre 1727 ; musique perdue

B/ Chronologie des opéras

Les éléments fournis ici concernent les premières représentations des


opéras ; les reprises ne sont signalées qu’exceptionnellement
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Index des noms
Abati, Antonio 1
Agata 1 2
Ahmed III 1
Alay, Mauro d’ 1
Albertini, Girolamo 1 2 3
Albetta 1 2 3 4
Albinoni, Tomaso 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
22
Albizzi, Luca Casimiro degli 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41
42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65
66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81
Alessandro, Gennaro d’ 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Alexandre VIII 1
Aliprandi, Bernardo 1
Aliprandi, Giovanni Battista 1
Amati, Francesco 1
Ambreville, Anna d’ 1 2 3 4 5
Ambreville, Rosa d’ 1
Ambrosina 1 2 3 4 5
Amorevoli, Angelo 1
Anastasia 1
Anconitano, Annibale Imperatori 1
Anglebert, Jean Henri d' 1
Anna 1
Anna Maria II 1 2
Anna Maria dal Violino 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31
Anne-Henriette de France 1
Ansermet, Eugène 1
Anton Ulrich 1
Antonia 1
Apollonia 1 2 3 4 5 6 7 8
Appiani, Giuseppe 1
Arach, comte 1
Archi, Gian Antonio 1
Arioste, l’ 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
Aristote 1 2
Arrigoni, Marta 1 2
Aubert, Maddalena 1 2
Auguste II, voir Saxe, Friedrich August I 1
Augustus III, voir Saxe, Friedrich August II 1 2
Bach, Jean-Sébastien 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
Baldan, Iseppo (Giuseppe) 1
Baldassari, Benedetto 1
Balletti, Antonio 1 2
Bambaciara, Anna 1
Banti, Anna 1 2 3
Baratta, Pietro 1 2 3
Baratta, Teresa 1 2 3
Barbara 1 2 3
Barbarigo, Chiara 1
Barbaro, Almorò 1
Barbieri, Antonio 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Barbieri, Mons. 1
Baroni, Gaetano 1
Bartoli, Bartolomeo 1 2 3 4
Bartolommei, Ferdinando 1
Bartoluzzi, Girolamo 1 2 3 4 5 6
Bassi, Caterina 1 2
Bassi, Livia 1
Bavière, Ferdinand Maria, duc de 1 2 3 4 5 6 7 8
Bavière, Karl Albrecht de 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
Bavière, Maximilien Emmanuel de 1 2 3 4
Bavière, Violante Beatrice de 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Becelli, Giulio Cesare 1 2 3
Beethoven, Ludwig van 1 2
Belisani, Francesco 1 2
Bella, Gabriele 1 2 3
Bellotto, Bernardo 1
Benaglia, Filippo 1
Bencini, Pietro Paolo 1 2
Benedetti, Francesco 1 2 3
Benoît XIII 1 2 3 4
Benti Bulgarelli, Marianna 1 2 3 4
Bentinelli, éditeur 1
Bentivoglio d’Aragona, Guido, marquis 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38
39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62
63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74
Bentivoglio, Luigi 1 2 3 4 5 6 7
Beregani, Nicolò 1
Berenstadt, Gaetano 1
Beretta, Lorenzo 1
Berlioz, Hector 1
Bernabei, Giuseppe Antonio 1
Bernacchi, Antonio 1 2 3 4
Bernardi, Francesco, voir Senesino 1
Bernardina 1 2
Bernardoni, Pietro Andrea 1
Bernis, cardinal de 1
Berretta, Pietro Antonio 1
Bertazzone, Carlo 1 2 3
Besozzi, Alessandro 1
Bianca Maria 1 2
Biber, Heinrich Ignaz Franz von 1
Bibiena, Francesco 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Biffi, Antonio 1
Bilanzoni, Francesco 1 2 3 4 5 6
Bioni, Antonio 1 2
Bisagi, Natalizia 1
Biscione, Antonio 1 2
Bissari, Enrico 1
Boccace 1 2
Bodin de Boismortier, Joseph 1
Boiardo, Matteo Maria 1 2 3 4
Boivin, éditeur 1
Bollani, Giuseppe Maria, abbé 1 2 3 4 5 6
Bolzoni, Andrea 1
Boniventi, Giuseppe 1
Bono, Gaetano 1
Bordoni, Faustina 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
Borghese, Camillo 1
Borghese, Flaminia 1
Borghese, Marco Antonio 1 2
Borosini, Francesco 1
Bortoli, Antonio 1 2 3 4 5
Bourbon, Philippe de 1
Braccioli, Grazio 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
Braganti, Francesco 1
Brandenburg-Bayreuth, Friederike Sophie Wilhelmine de 1
Broschi, Carlo, voir Farinelli 1 2 3 4 5 6
Broschi, Riccardo 1
Brosses, Charles de 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
21 22
Brugnolo, Fabrizio 1 2
Brunswick-Wolfenbüttel, Christine de 1
Buini, Giuseppe Maria 1
Burigotti, Santo 1
Burney, Charles 1 2 3
Caffarelli, Gaetano Majorano, dit 1 2 3 4 5
Cajo, Bartolomeo 1
Caldara, Antonio 1 2 3 4 5 6 7 8
Calicchio, Camilla voir Vivaldi, Camilla 1
Calvi, Giovanni Battista 1 2
Canale, Bernardo 1 2 3 4 5 6
Canaletto 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Canavas, Joseph 1
Canciani, Nadal 1
Candida 1 2 3
Canini, Settimio 1
Canziani, Natale 1 2 3 4
Capeci, Carlo Sigismondo 1
Capel, William 1
Capello, Pietro 1
Capilupi Biondi, Maria Caterina 1 2
Capranica, Federico 1 2 3
Capron, Nicolas 1 2
Capuano, Angela 1 2 3
Caravage 1
Carboni, Giovanni Battista 1 2 3 4 5 6
Cardini, Rosa 1 2
Carestini, Giovanni 1 2
Carignan, prince de 1
Carissimi, Giacomo 1
Carlevaris, Luca 1
Carli, Anton Francesco 1 2 3 4 5 6 7 8
Carli, Antonio Francesco 1
Carlos, infant d’Espagne 1
Carpentier, Alejo 1 2
Carriera, Rosalba 1 2 3 4 5 6 7
Cartier, Jean-Baptiste 1
Casanova, Giacomo 1 2 3 4 5 6 7
Casella, Alfredo 1
Caselli, Michele 1 2 3
Cassani Bugoni, Tomaso 1
Cassani, Vincenzo 1
Cassetti, Giacomo 1 2
Castori, Antonio 1
Catani, Andrea 1
Catena, Giovanni Battista 1
Catenella, Francesco 1
Caterina 1 2
Cavalli, Francesco 1 2 3
Cavanna, Giovanni Battista 1
Caylus, comte de 1
Caylus, comtesse de 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Cendoni, Giovanni 1
Cesti, Marc’Antonio 1
Chamant, Joseph 1
Charles XII 1 2
Charles VI 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40
Charles de Habsbourg 1
Chédeville, Nicolas 1 2 3 4 5 6
Chelleri, Fortunato 1 2
Chiara 1
Chiaretta 1 2 3 4 5 6 7
Christine de Suède 1
Cima da Conegliano 1
Ciran Labia, Maria 1
Clegg, John 1
Codognato, Antonio 1
Collalto, Antonio Rambaldo 1
Collalto, Vinciguerra Tommaso 1
Colloredo-Waldsee, comte Johann Baptist von 1 2 3 4 5 6 7 8
Colloredo, Hieronymus 1 2 3 4 5 6
Colonna, Anna 1
Colonna, prince 1
Coluzzi, danseuse 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
Coluzzi, Margherita 1
Compstoff, Ermanno 1
Conti Guidi, Antonio dei 1
Conti, Antonio, abbé 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32
Conti, Marco Antonio 1
Coralli [Corallo], voir Laurenti, Antonia Maria 1 2 3
Corelli, Arcangelo 1 2 3 4 5 6 7 8
Cornaro Foscarini, Elisabetta 1 2 3
Cornaro, Andrea 1
Cornaro, Caterina 1 2
Corneille, Pierre 1 2 3 4 5 6
Corner, Marieta 1
Coronelli, Vincenzo 1 2
Corradi, Giulio Cesare 1 2
Corrette, Michel 1 2 3 4 5
Cosimi, Anna 1 2 3
Costantini, Antonio 1
Cotte, Maria Teresa 1
Couperin, François 1 2
Courcelle, François 1
Crébillon père 1
Crescimbeni, Pietro 1 2
Cristina Maria 1
Cristini, Carlo 1
Croy und Havre, Maria Theresia von 1
Crozat, Pierre 1 2 3
Curtis, Alan 1
Cusani, cardinal 1
Cuzzoni, Francesca 1 2
Da Ponte, Lorenzo 1 2
Dall’Abaco, Evaristo Felice 1
Dall’Oglio, Pietro 1 2
Dalsette, Geremia 1 2 3 4
David, Elena 1
Del Carretto Visconti, Delfina 1
Delfino, Vettor 1
Della Caia, Annibale 1
Della Parte, Anna Caterina 1 2 3 4 5
Della Torella, Caracciolo 1
Della Torre, Giovanni Pietro 1
Della Vecchia, famille 1
Denzio, Antonio 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38
Denzio, Elisabetta 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Denzio, Pietro 1 2 3 4 5 6 7 8
Dianora 1
Doni, Felice 1 2
Dorotea Lolli 1
Dotti, Anna Vicenza 1 2
Dotti, Bartolomeo 1
Dreyer, Giovanni 1 2 3 4
Drinkman, Gerrit 1 2
Ducas, Michel 1 2
Durazzo, Flavio 1 2
Durazzo, Giacomo 1 2
Durazzo, Girolamo 1
Durazzo, Giuseppe Maria 1 2
Durazzo, Marcello 1 2 3
Eberhard, Giustina 1 2
Egizziello, voir Gizzi, Domenico 1
Eleonora Luisa 1 2
Élisabeth Christine, impératrice 1 2 3 4 5 6 7
Emo, Lodovica 1
Ephrikian, Angelo 1 2
Erdmann, Ludwig 1
Erminii, Biagio 1
Euripide 1
Everett, Paul 1 2 3 4
Fabri, Anna Maria 1 2 3 4 5 6
Fabri, Annibale Pio 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
Facchinelli, Lucia 1 2
Faccioli, Margherita 1 2 3 4 5
Faggia, Gabriel 1
Faini, Anna Maria 1
Fanna, Antonio 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Farinelli 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24
25
Farnese, Antonio 1 2
Farnese, Francesco 1
Farsetti, Maffei 1
Farussi Casanova, Zanetta 1
Fasch 1
Ferrare, Domenico 1
Finazzi, Filippo 1
Finch, Heneage, comte d'Aylesford 1
Fioré, Sebastiano Andrea 1
Flower, Newman 1 2
Foà, Roberto 1
Fontana, Giacinto 1 2 3 4 5 6 7
Forkel, Johann Nikolaus 1
Fortunata 1 2
Foscarini, Alvise 1 2 3 4
Foscarini, Pietro 1
Foscarini, Procuratessa 1 2 3 4
Fragonard 1
Franceschini, Bortolo 1
Franchi, Margherita 1
Franz Stephan, duc de Lorraine 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
18 19 20 21
Frédéric II 1 2
Frédéric IV 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Fuentes, Carlos 1
Fumagalli, Caterina 1
Fux, Johann Joseph 1 2
Gabrieli, Andrea 1 2
Galletti, Domenico Giuseppe 1 2 3
Galletti, Filippo 1
Gallo, Giovanni 1 2 3 4 5 6
Galluzzi, Andrea 1 2
Galuppi, Baldassare 1 2 3 4 5 6 7 8
Gambara, comte Annibale 1
Gardiner, John Eliot 1
Gasparini, Elisabetta 1
Gasparini, Francesco 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44
45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68
69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92
93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111
112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128
129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139
Gasparini, Maria Giovanna 1 2
Gasparini, Maria Rosa 1 2
Gasparini, Michelangelo 1 2 3
Gaviniès, Pierre 1
Gayer, Johann Christoph 1 2
Geltruda 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Gentileschi, Artemisia 1
Gentili, Alberto 1 2 3 4 5
Gergy, comte de 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23 24 25 26 27 28 29
Geri, Gasparo 1 2 3
Ghezzi, Pier Leone 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Giacomazzi, Margherita 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
Giacomelli, Geminiano 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
Giay, Giovanni Antonio 1
Giordano, Filippo 1
Giorgi, Giovanni 1
Giorgione 1
Giranek, Anton 1
Girardi, Lorenzo 1 2
Girò, Anna 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47
48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71
72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95
96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113
114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130
131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147
148 149 150 151 152 153 154 155 156 157
Girò, Paolina 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
Giulia 1 2 3 4
Giulietta 1 2
Giusti, Anna Maria 1 2 3 4 5 6 7
Giusti, Girolamo 1
Giusti, Maria 1
Giustiniani, Almorò 1
Giustiniani, Girolamo Ascanio 1 2 3
Giustiniani, Marc’Antonio 1 2
Gizzi, Domenico 1 2 3
Gluck, Christoph Willibald 1
Goldoni, Carlo 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46
47 48
Gonzaga-Nevers, Ferdinando Carlo 1 2 3
Gonzaga, Antonio Ferdinando 1 2 3 4 5
Gonzaga, Eleonora 1
Gonzaga, Giuseppe Maria 1 2
Gonzaga, Vincenzo 1
Gournay, Amelot de 1 2
Gozzi, Gasparo 1
Gradenigo, Vincenzo 1 2
Grandi, Cesare 1
Graun, Karl Heinrich 1
Grimaldi, comtesse 1
Grimaldi, Nicola, voir Nicolino 1 2 3
Grimani, Antonio 1 2
Grimani, famille 1 2
Grimani, Giambattista 1
Grimani, Giovanni Carlo 1 2 3 4 5
Grimani, Michele 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
Grimani, Vincenzo 1
Grisi, Francesco 1
Gritti, Tomaso 1 2
Groppo, Antonio 1 2
Grosley, Pierre Jean 1
Guadagni, Gaetano 1
Gualandi Campioli, Margherita 1
Gualandi, Diamante 1 2
Gualandi, Margherita 1 2 3 4 5 6 7 8
Guarini, Giovanni Battista 1 2
Guarneri, Giuseppe 1
Guarneri, Pietro 1
Guastalla, Eleonora di 1
Guerra, Giovanni Antonio 1
Gugliantini, Petrillo 1
Guglielmi, Anna 1 2
Guignon, Jean-Pierre 1 2 3
Haendel, Georg Friedrich 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
Haïk Vantura, Suzanne 1 2
Hancke, Gottfried Benjamin 1
Harnoncourt, Nikolaus 1
Hasse, Johann Adolf 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42
Hasse, Johann Adolph 1
Haydn, Joseph 1 2 3
Haym, Nicola Francesco 1
Heinichen, Johann David 1 2 3 4 5 6 7 8
Hesse-Cassel, landgrave de 1
Hesse-Darmstadt, Élisabeth Amélie de 1
Hesse-Darmstadt, Ernst Ludwig de 1
Hesse-Darmstadt, Joseph de 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Hesse-Darmstadt, Maria Teodora de 1 2 3 4 5 6 7
Hesse-Darmstadt, Philipp de 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18
19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42
43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66
67 68 69
Hiller, Johann Adam 1 2
Hoggia, Janun 1 2
Hogwood, Christopher 1
Holdsworth, Edward 1 2
Horace 1
Horne, Marilyn 1
Horneck, Franz 1
Imer, Giuseppe 1 2 3 4
Innocent XII 1
Innocent XIII 1 2
Jennens, Charles 1 2 3 4 5 6
Johann Wilhelm II 1
Joseph Ier 1
Justin Ier le Grand 1
Kinsky, Stephan 1
Knapp, Balthasar 1
Königsegg und Rothenfels, Lothar Joseph Dominik von 1 2
Königsmark, général 1
Labia, Giovanni Francesco 1
Lalli, Domenico 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37
Lama, Julia 1
Lancetti, Lucia 1 2 3 4 5 6 7 8
Landi, Agata 1
Lando, Francesco 1 2
Landon, H.C. Robbins 1 2 3
Lanzetti, Daniele 1 2 3 4 5
Lanzetti, Lucia, voir Lancetti, Lucia 1
Laurenti, Antonia Maria 1 2 3 4 5 6
Laurenzo 1
Lavinia della Pietà 1
Le Cène, Michel-Charles 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Le Clerc, Charles-Nicolas 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Lech, Girolamo 1
Leduc, Simon 1
Legrenzi, Giovanni 1 2 3 4
Leo, Leonardo 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Leone, Gaetano 1
Leopold Ier 1 2
Leszczynska, Maria 1 2
Liechtenstein, Johann Joseph Adam, prince de 1 2 3 4
Lolli, Antonio 1
Lombardini, Maddalena 1 2 3
Lonati, Carl’Ambrogio 1
Longhi, Pietro 1
Loredan, Antonio 1
Lorenza 1
Los Angeles, Victoria de 1
Lotti, Antonio 1 2 3 4 5 6 7 8
Louis XIV 1 2 3 4
Louis XV 1 2 3 4 5 6 7
Louis XVI 1
Lovisa, Domenico 1 2
Lucchini, Antonio Maria 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Lucchini, Matteo 1
Luciani, Sebastiano 1
Lucieta 1 2
Lully, Jean-Baptiste 1 2 3
Macari, Costanza 1
Maddalena Rossa 1
Madonis, Girolama, voir Valsecchi Madonis, Girolama 1
Madonis, Luigi 1 2 3
Maffei, Scipione 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
22
Majorano, Gaetano, voir Caffarelli 1
Malipiero, Gianfrancesco 1
Mancini, Francesco 1
Mancini, Rosa 1 2
Manno, Fernando 1
Manzuoli, Giovanni 1 2 3 4
Marcello, Alessandro 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Marcello, Benedetto 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44
Marchand, Jean-Noël 1
Marchi, Antonio 1 2 3
Marchi, Domenico 1
Marcolina 1
Mareschi, Marc’Antonio 1 2 3 4 5 6
Margherita 1
Maria Bolognese 1 2 3 4
Maria Casimira, reine de Pologne 1 2 3 4 5 6
Maria della Viola 1
Mariani, Paolo 1 2 3
Marianna 1
Marie-Louise-Élisabeth de France 1
Marie-Thérèse, impératrice 1 2 3 4
Martello, Pier Jacopo 1 2
Martinengo Colleone, Pietro Emanuele, marquis 1 2 3 4
Massa-Carrara, duc de 1 2 3
Massari, Giorgio 1 2 3
Masuò, Andrea 1 2
Mattei Conti, Faustina 1
Mattheson, Johann 1
Mauri, Antonio 1
Mauro, Alessandro 1 2
Mauro, Antonio 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23 24 25 26
Mauro, Daniele 1 2 3 4 5
Mauro, Giovanni Antonio 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Mauro, Giuseppe 1
Mauro, Pietro 1 2 3 4 5 6 7
Mazzucchi, Angelo 1
Mecklenburg-Strelitz, Carl Ludwig Friedrich von 1 2
Medici, Anna Maria Luisa de’ 1 2 3 4
Medici, Cosimo III de’ 1 2 3
Medici, Ferdinando de’ 1 2 3 4
Medici, Francesco Maria de’ 1
Medici, Giovanni Gastone de’ 1 2
Meneghina 1 2
Mengoni, Luca Antonio 1 2 3
Merighi, Antonia 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Metastasio 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44
Micheli, Benedetto 1
Michelina 1
Michielina 1 2
Miller, Massimiliano 1 2 3 4
Milton, John 1
Minelli, Giovanni Battista 1 2 3 4 5 6
Mingotti, Angelo 1 2 3
Mingotti, Pietro 1 2 3 4 5
Minotti, Elena 1
Minotto, Christoforo 1
Miola, Giovanna 1
Mion, Francesco Alessandro 1
Misson, Maximilien 1 2 3
Mocenigo, Alvise 1
Modène, prince de 1
Modène, prince et princesse de 1
Montesquieu 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Monteverdi, Claudio 1 2 3 4 5 6 7
Monti, Cecilia 1
Moretti, Lorenzo 1 2 3
Morigi, Pietro 1 2 3 4 5 6
Moro, Elisabetta 1 2 3 4 5
Moro, Girolamo 1
Morosini, Barbon 1 2
Morosini, Francesco 1 2 3 4 5 6 7
Morselli, Adriano 1
Morzin, Wenzel von 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
21
Mosca, Agapito 1 2
Mossi [Mozi], Gaetano 1 2 3
Mozart, Wolfgang Amadeus 1 2 3 4 5 6 7 8
Mozi, Gaetano, voir Mossi, Gaetano 1
Mozzi, Pietro 1 2
Mucci, Teresa 1 2 3 4 5 6
Mustafà, Kara 1 2
Muzzi, Gian Battista 1
Nacchini, Pietro 1
Natali, Francesco 1 2 3 4
Nazzari, Pietro 1 2
Negri, Anna 1 2
Negri, Domenico 1
Negri, Maria Caterina 1 2 3 4
Negri, Pasqualino 1
Negri, Rosa 1 2
Nemeitz, Joachim Christoph 1 2 3 4
Nicolini, Marianino 1 2 3 4 5 6 7
Nicolino, Nicola Grimaldi, dit 1 2 3 4 5
Noris, Matteo 1 2 3 4 5 6 7
Novelli, Felice 1 2
Novohradskij, Carl Joseph 1
Orlandi, Chiara (la Mantoanina) 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Orlandini, Giuseppe Maria 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18
19
Orléans, Philippe, duc d’ 1
Ormesson, Jean d' 1
Orsato, Giovanni 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
Orselo, Pietro 1
Orsini, Teresa 1
Ossi, Giovanni 1 2 3 4 5 6
Ottoboni, Anna Maria 1
Ottoboni, Antonio 1
Ottoboni, Pietro, cardinal 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43
44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59
Paar, Leopold, comte de 1
Pacini, Andrea 1 2 3 4
Pagin, André-Noël 1
Paglia, Giannantonio 1
Pagnini, Francesco Massimiliano 1
Paita, Giovanni 1
Palazzi, Giovanni 1 2 3 4 5
Palladio, Andrea 1 2 3 4 5 6 7
Pallavicino, Carlo 1 2 3
Pallavicino, Stefano 1
Pampani, Francesco 1
Pamphili, cardinal 1 2 3
Pancino, Chiara 1
Pariati, Pietro 1
Parme, prince Antoine de 1
Pasi, Stefano 1
Pasqualigo, Benedetto 1
Pavesi Furlani, Margherita Facipecora 1 2
Pederzoli, Giuseppe 1 2 3 4 5
Pelegrina 1 2
Pellizari, Antonia 1
Pembroke, comte de 1 2
Penati, Onofrio 1 2
Pepoli, Sicinio 1 2 3 4 5 6 7 8
Pergolèse, Jean-Baptiste 1 2 3 4 5 6
Perti, Giacomo Antonio 1 2 3
Peruzzi, Antonio 1 2
Peruzzi, Giovanni Maria 1
Peruzzi, Teresa 1
Pescetti, Giovanni Battista 1 2
Petzold, Christian 1 2
Pfalz-Neuburg, Eleonora Magdalena von 1
Philippe V 1 2 3 4 5
Picchi, Francesco 1 2 3 4 5 6
Pie V 1 2 3
Pieri, Maria Maddalena 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
20 21
Pieri, Maria Teresa 1 2 3
Pierre le Grand 1
Pietragrua, Carlo Luigi 1 2 3 4 5
Pignotti, Casimiro 1 2 3
Pinacci, Giovanni Battista 1 2
Pincherle, Marc 1 2
Pinetti, Gaetano 1 2
Pinnock, Trevor 1
Piovene, Agostino 1 2 3 4
Pircher, Giuseppa 1 2 3
Pircker, Franz Joseph Carl 1
Pisani Correr, Isabella 1
Pisani, Alvise 1
Pisani, Andrea 1 2 3
Pisendel, Johann Georg 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43
44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67
68 69 70 71 72
Pitoni, Giuseppe Ottavio 1
Poellnitz, Carl Ludwig 1 2
Pola, Camillo 1 2 3
Polani, Girolamo 1 2 3 4 5
Polignac, Melchior de 1 2
Pollarolo, Antonio 1 2 3
Pollarolo, Carlo Francesco 1 2 3 4 5
Pollarolo, Orazio 1 2
Pöllnitz, Karl Ludwig von 1 2
Pompeati, Angelo 1
Pomponne, Henri-Charles Arnauld de 1 2
Porpora, Nicola 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Porta, Giovanni 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Pound, Ezra 1
Poussin, Nicolas 1
Pradon, Jacques 1 2
Predieri, Luca Antonio 1 2 3 4 5
Prie, madame de 1
Prudenza 1 2 3
Pupilli, Giovanni 1 2
Purcell, Daniel 1
Purcell, Henry 1
Quadri, Antonio 1 2
Quantz, Johann Joachim 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
20 21 22 23 24
Querini, Francesco 1 2
Quick, Barbara 1
Quinault, Philippe 1
Racine, Jean 1 2 3
Raimondini, Giuseppe 1
Rambaldi, Rambaldo 1 2 3 4 5 6
Rameau, Jean-Philippe 1 2
Ramponi, Pietro 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Ramponi, Pietro Giacomo 1
Redolfi, Giovanni Domenico 1 2
Reyna, Giovanni 1
Ricci, Marco 1 2 3 4
Ricci, Sebastiano 1 2
Riccoboni, Luigi 1 2 3 4
Richter, Johann Christian 1 2 3 4 5 6
Rinaldi, Mario 1 2
Rinaldo Ier d’Este 1
Rinuccini, Ottavio 1
Rion, Ignazio 1
Ristori, Giovanni Alberto 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Ristori, Tomaso 1 2
Ristorini, Antonio 1 2 3 4
Roberti, Girolamo Frigimelica 1 2
Roero di Guarene, Carlo Giacinto 1 2
Roger, Estienne 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
Roger, Françoise 1
Roger, Jeanne 1 2
Romaldi, Nicola 1
Rossetti, Marino 1 2
Rossi, Caterina 1
Rossi, Giuseppe 1
Rousseau, Jean-Jacques 1 2 3 4 5
Rudge, Olga 1 2 3 4
Ruffo, Tommaso 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
Ruspoli, Francesco Maria 1
Rutti Colucci, Cecilia 1
Ryom, Peter 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Saint-Martin, Alexis 1
Sala, Giuseppe 1 2
Saletti, Lorenzo 1 2 3 4 5
Salvi, Antonio 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Sammartini, Giovanni Battista 1
Sammartini, Giuseppe 1
San Bonifacio, comte 1
Sand, George 1 2 3
Sandrinelli, Bernardo 1
Santina 1
Santinetta 1
Santurini, Francesco 1 2
Sanza 1
Sarro, Domenico 1 2
Savoie, Charles-Emmanuel de 1
Savoie, Eugène de 1 2 3
Saxe-Meiningen, Anton Ulrich de 1 2 3 4
Saxe, Friedrich August II, prince Électeur de 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
13
Saxe, Friedrich August I dit Le Fort, prince Électeur de 1 2 3 4 5
Saxe, Friedrich Christian de 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
Saxe, Friedrich Christian Leopold de 1
Saxe, Maria Amalia de 1 2
Sbaraglia, Giovanni Pietro 1
Scamozzi, Vincenzo 1
Scarlatti, Alessandro 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Scarlatti, Domenico 1 2 3 4
Scarpa, Tiziano 1
Scarpari, voir Dall'Oglio, Pietro 1 2 3 4 5
Schmelzer, Johann Heinrich 1
Schönborn-Wiesentheid, comte de 1
Schönborn-Wiesentheid, comtes de 1 2
Schönborn, Johann Philipp Franz 1
Schönborn, Rudolf Franz Erwein von 1 2
Schulenburg, maréchal von 1 2 3 4 5 6
Schürmann, Georg Caspar 1 2 3 4 5
Scimone, Claudio 1
Seeman, Tobias 1
Selfridge-Field, Eleanor 1 2
Selles, Cristoforo 1
Selles, Mattio 1
Selliers, Joseph Carl 1
Senesino 1
Serosina, Benedetta 1 2
Serra, Niccolò 1
Sieber, Ignaz 1 2 3 4 5
Silvani, Francesco 1 2 3 4
Silvia 1 2
Sinco, Ottavio 1
Sirmen, Ludovico 1
Sobieska, Therese Kunigunde 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Sobieski, Alexander 1
Sodi, Pietro 1 2
Sollers, Philippe 1
Solves, Signor 1
Somis, Giovanni Battista 1 2 3 4
Soprana 1
Soranzo, Antonio 1
Soranzo, Daria 1 2
Soranzo, Jacopo 1
Soronina, Benedetta 1
Spada, Bonaventura 1
Spada, Giacomo 1 2 3 4
Spaggiari, Pellegrino 1
Spinola Borghese, Maria Livia 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Spolari, Gian Antonio 1
Spontini, Gaspare 1
Sporck, comte 1 2 3 4 5 6 7
Sporck, Franz Anton von 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Stabili, Barbara 1
Stampiglia, Silvio 1 2
Stölzel, Gottfried Heinrich 1 2
Strada, Anna Maria 1 2 3 4 5 6 7
Stradella, Alessandro 1
Stradivari, Francesco 1
Stradivari, Omobono 1
Strohm, Reinhard 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
Strungk, Nicolaus Adam 1
Sulzbach, Christine Luise de 1 2 3
Susanna 1
Talbot, Michael 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Tàmmaro, Ferruccio 1
Tanenbaum, Faun 1
Tartini, Giuseppe 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Tasse, Le 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Tassi, Giovanni Andrea 1 2
Telemann, Georg Philipp 1 2 3
Teresa 1
Tesi, Vittoria 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Tessin, Nicodemus 1 2
Testagrossa, Gaetano 1
Thomson, James 1
Tiepolo, Giambattista 1 2 3 4
Tiepolo, Gian Domenico 1
Tiepolo, Lorenzo 1 2
Tintoret 1
Titien 1
Tollini, Domenico 1
Tomii, Pellegrino 1 2 3
Tonina 1
Tonini, Giuseppe 1 2 3
Torelli, Giacomo 1
Torri, Luigi 1
Torri, Pietro 1
Tosi, Pier Francesco 1
Treu, Daniel Gottlob 1 2
Trevisan Memmo, Lucrezia 1 2
Trevisani, Francesco 1
Tron, Francesco II 1
Turcotti, Giustina 1 2
Uffenbach, Johann Friedrich Armand von 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
Ungarelli [Ongarelli], Rosa 1 2 3 4 5
Valcata, Carlo 1
Valentini, Giuseppe 1
Valeriani, Domenico 1 2 3
Valeriani, Giuseppe 1 2 3
Valletta, Gaetano 1 2 3
Valsecchi Madonis, Girolama 1 2 3 4 5 6
Vandini, Antonio 1 2 3 4 5 6 7 8
Vellani, Domenico Maria 1
Venturini, Francesco 1 2 3
Venturini, Rosa 1 2 3 4 5
Veracini, Francesco Maria 1 2
Verger, Maria 1
Vettori, Vittore 1
Vicenta da Ponte 1
Vico, Diana 1 2 3
Villio, Ämilius 1
Vinci, Leonardo 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23 24 25 26 27 28 29
Vio, Gastone 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Visentini, Bruno 1
Vitali, Carlo 1 2 3 4
Vitturi, Bartolomeo 1 2 3 4 5
Vivaldi, Bonaventura Tommaso 1
Vivaldi, Camilla 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Vivaldi, Carlo 1 2 3 4 5 6
Vivaldi, Cecilia Maria 1 2 3 4 5 6
Vivaldi, Daniele 1
Vivaldi, Francesco Gaetano 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Vivaldi, Gierolima Michiella 1
Vivaldi, Giovanni Battista 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18
19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42
43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66
67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90
91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110
111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127
128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144
145 146 147 148 149
Vivaldi, Iseppo (Giuseppe) Santo 1
Vivaldi, Margherita (grand-mère) 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Vivaldi, Margherita Gabriella 1 2 3 4 5
Vivaldi, Zanetta Anna 1 2 3 4 5 6
Vladislavich, Savva 1
Voltaire 1 2
Walsh & Hare 1 2 3 4 5
Walther, Johann Gottfried 1 2
Watteau 1
Willaert, Adrian 1
Witvogel, Gerhard Frederik 1
Wizendorff, Frédéric Jérôme de 1
Wright, Daniel 1 2
Wrtby [Vrtba], Johann Joseph von 1 2 3 4
Würtemberg, Eberhard Ludwig de 1
Zaghini, Giacomo 1 2 3 4 5 6
Zanardi Landi, Antonio Maria 1 2
Zanetta 1
Zani, Margherita 1 2
Zannoni, Angelo 1 2 3
Zanoja, Federico 1
Zanucchi, Angiola 1 2
Zanucchi, Maria Maddalena 1
Zelenka, Jan Dismas 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Zeno, Apostolo 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23 24 25 26
Zeno, Pier Caterino 1
Ziani, Marc’Antonio 1 2
Zuccarelli, Francesco 1
Index des compositions
« Canta in prato » 1
« In furore giustissimae irae » 1
« In turbato mare » 1
« O Qui coeli terraeque serenitas » 1
« Sum in medio tempestatum » 1
Adelaide, L' 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
24 25 26 27 28 29 30 31 32
« All’ombra d’un bel faggio » 1
Alvilda, Regina de' Goti 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Andromeda liberata 1 2 3 4
Argippo 1 2 3 4 5 6 7 8
Aristide 1 2 3
Armida al campo d'Egitto 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34
Arsilda Regina di Ponto 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34
Artabano 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
« Ascende laeta montes » 1
Atenaide, L' 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
« Aure voi più non siete » 1
Bajazet, Il 1 2 3 4 5 6
Beatus vir 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Candace, La 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
24
« Canta in prato » 1
Cantate RV 663 1
Cantate RV 678 1
Carae rosae respirate 1
Catone in Utica 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46
47 48 49 50 51 52 53 54 55 56
Cetra, La, voir Concertos Opus 9 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Cimento dell’Armonia e dell’Inventione, Il, voir Concertos Opus 8 1
Clarae stellae scintillate 1 2
Concerti ripieni 1
Concerto grosso en ré majeur (RV 562a) 1
Concerto RV 27 1 2
Concerto RV 90 1 2
Concerto RV 91 1
Concerto RV 93 1
Concerto RV 95 1 2
Concerto RV 97 1
Concerto RV 98 1 2
Concerto RV 286 1
Concerto RV 100 1
Concerto RV 106 1
Concerto RV 107 1
Concerto RV 111a 1
Concerto RV 114 1
Concerto RV 119 1
Concerto RV 121 1
Concerto RV 127 1
Concerto RV 133 1 2
Concerto RV 136 1
Concerto RV 144 1
Concerto RV 150 1
Concerto RV 154 1
Concerto RV 157 1
Concerto RV 159 1
Concerto RV 160 1
Concerto RV 163 1
Concerto RV 164 1
Concerto RV 172 1
Concerto RV 178 1
Concerto RV 179 1
Concerto RV 179a 1 2
Concerto RV 184 1
Concerto RV 185 1
Concerto RV 188 1
Concerto RV 189 1 2 3
Concerto RV 192 1
Concerto RV 196 1
Concerto RV 199 1 2 3
Concerto RV 200 1
Concerto RV 205 1
Concerto RV 207 1 2
Concerto RV 208 1
Concerto RV 212 1 2
Concerto RV 213a 1 2
Concerto RV 219 1
Concerto RV 222 1
Concerto RV 228 1
Concerto RV 229 1 2
Concerto RV 234 1 2 3
Concerto RV 236 1
Concerto RV 237 1
Concerto RV 248 1
Concerto RV 253 1
Concerto RV 255 1
Concerto RV 256/RV 294 1
Concerto RV 260 1
Concerto RV 261 1
Concerto RV 262 1
Concerto RV 263 1
Concerto RV 267a 1 2
Concerto RV 269 1
Concerto RV 270 1 2 3 4
Concerto RV 270a 1 2
Concerto RV 273 1
Concerto RV 286 1 2 3 4 5 6 7 8
Concerto RV 290 1
Concerto RV 293 1
Concerto RV 294 1
Concerto RV 297 1
Concerto RV 298 1
Concerto RV 302 1
Concerto RV 304 1
Concerto RV 308 1 2
Concerto RV 309 1
Concerto RV 314 1
Concerto RV 314a 1
Concerto RV 315 1
Concerto RV 329 1
Concerto RV 334 1
Concerto RV 335 1
Concerto RV 337 1
Concerto RV 340 1
Concerto RV 341 1 2
Concerto RV 343 1 2
Concerto RV 347 1
Concerto RV 348 1
Concerto RV 349 1 2 3
Concerto RV 354 1
Concerto RV 363 1 2
Concerto RV 364a 1 2
Concerto RV 366 1
Concerto RV 367 1
Concerto RV 369 1
Concerto RV 370 1
Concerto RV 371 1
Concerto RV 372a 1
Concerto RV 381 1
Concerto RV 387 1
Concerto RV 390 1
Concerto RV 391 1
Concerto RV 392 1
Concerto RV 393 1 2
Concerto RV 394 1
Concerto RV 395 1
Concerto RV 397 1 2 3
Concerto RV 422 1
Concerto RV 425 1
Concerto RV 447 1
Concerto RV 449 1
Concerto RV 450 1
Concerto RV 454 1
Concerto RV 471 1
Concerto RV 488 1
Concerto RV 496 1
Concerto RV 507 1
Concerto RV 513 1
Concerto RV 521 1
Concerto RV 532 1
Concerto RV 538 1
Concerto RV 539 1
Concerto RV 540 1 2
Concerto RV 544 1
Concerto RV 551 1
Concerto RV 552 1
Concerto RV 556 1
Concerto RV 558 1 2
Concerto RV 562 1 2
Concerto RV 562a 1
Concerto RV 568 1 2 3
Concerto RV 569 1 2
Concerto RV 571 1 2 3 4
Concerto RV 572 1 2
Concerto RV 574 1
Concerto RV 576 1 2
Concerto RV 577 1 2
Concerto RV 579 1 2
Concerto RV 581 1 2 3
Concerto RV 581-582 1
Concerto RV 582 1 2 3
Concerto RV 583 1
Concerto RV 585 1
Concerto RV 761 1 2 3
Concerto RV 762 1
Concerto RV 763 1 2 3
Concerto RV 764 1
Concerto RV 771 1 2
Concerto RV 772 1
Concerto RV 773 1 2
Concerto RV 774 1 2
Concerto RV 775 1 2 3
Concerto RV 779 1
Concerto RV 787 1
Concerto RV 788 1
Concerto RV Anh 72 1
Concerto RV Anh 74 1
Concerto RV Anh 87 1
Concertos Opus 3, L'Estro Armonico 1 2 3 4 5 6 7 8
Concertos Opus 4, La Stravaganza 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Concertos Opus 6 1 2 3 4 5 6 7
Concertos Opus 7 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
Concertos Opus 8, Il Cimento dell'Armonia e dell'Inventione 1 2 3 4 5 6
7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31
32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43
Concertos Opus 9, La Cetra 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
Concertos Opus 10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Concertos Opus 11 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Concertos Opus 12 1 2 3 4 5 6 7 8
Confitebor tibi Domine 1 2 3 4 5
Costanza trionfante, La 1 2 3 4 5 6 7 8 9
« Credidi a 5 a capella » 1
Credo (RV 591) 1
Cunegonda 1 2 3 4 5 6
« Cur sagittas cur tela » 1
« Del suo natio rigore » 1
« Deus tuorum militum » 1
Dixit Dominus 1 2 3 4 5 6 7 8
« Domine ad adiuvandum me » 1
Doriclea 1 2 3 4 5 6
Dorilla in Tempe 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45
46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60
« Elvira, Elvira, anima mia » 1
Ercole su'l Termodonte 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
20 21 22 23 24
Ernelinda 1 2 3
Estro Armonico, L' 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
Farnace 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24
25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48
49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72
73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96
97 98 99 100 101 102 103 104 105
Farnace, Il 1 2 3
Feraspe 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Fida Ninfa, La 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23 24
« Filiae mestae Jerusalem » 1
Filippo re di Macedonia 1 2
Gaude Mater Ecclesia 1
Ginevra, principessa di Scozia 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41
42 43 44 45 46 47 48
Giustino, Il 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47
48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71
72 73
Gloria 1
Gloria (RV 588) 1
Gloria (RV 589) 1
Gloria e Himeneo 1 2 3 4 5 6 7
Griselda 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24
25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48
49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72
73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83
Il giorno felice 1
« Il povero mio cor » 1
In exitu Israel 1 2 3
Incoronazione di Dario, L' 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
« Indarno cerca la tortorella » 1
Inganno trionfante in amore, L’ 1
Inganno trionfante, L' 1
Introduzioni 1 2 3 4
Introduzioni au Gloria 1
Introduzioni au Miserere 1 2
Invicti bellate 1
Ipermestra 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
24 25 26
« Jubilate ò amaeni chori » 1
Juditha triumphans 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
22 23
Kyrie (RV 587) 1
L’Adoratione delli tre re maggi 1
La Fede tradita e vendicata 1 2 3
Laetatus sum 1
Lauda Jerusalem 1
Laudate pueri 1 2 3 4 5
« Longe mala umbrae terrores » 1
« Lungi dal vago volto » 1
Magnificat 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18
« Mio povero cor » 1 2 3 4
Mopso, Il 1 2 3 4
Motet RV 627 1
Motet RV 632 1
Motezuma 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45
Moyse Deus Pharaonis 1 2
Moyses 1 2 3 4
« Nel partir da te mio caro » 1
Nerone fatto Cesare 1 2 3 4 5 6 7 8
Nisi Dominus 1 2
« Non in pratis » 1
Nulla in mundo pax 1
« O mie porpore più belle » 1
Olimpiade, L' 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35
Opus 2 1
Oracolo in Messenia, L’ 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Orlando finto pazzo 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18
Orlando furioso 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46
47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65
« Ostro picta armata spina » 1
Ottone in villa 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41
« Qual in piaggia dorata » 1 2
Quatre Saisons, Les, voir Il Cimento dell'Armonia e dell'Inventione 1 2 3
4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
« Questa Eurilla gentil » 1 2 3 4
Rosilena ed Oronta 1 2 3 4 5 6 7 8
Rosmira 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
Salve Regina 1 2 3
Scanderbeg 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
Semiramide 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
Sena festeggiante, La 1 2 3 4 5
« Si levi dal pensier » 1
Silvia, La 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24
25 26
Sinfonia pour cordes (RV 149) 1
Siroe re di Persia 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
22 23 24 25 26
Sonate RV 3 1
Sonate RV 5 1
Sonate RV 19 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Sonates en trio Opus 1 1 2 3 4 5
Sonates Opus 2 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Sonates Opus 5 1 2 3
Sonates RV 2 1
Sonates RV 3 1 2
Sonates RV 6 1 2 3
Sonates RV 12 1 2
Sonates RV 17a 1
Sonates RV 19 1
Sonates RV 22 1
Sonates RV 25 1
Sonates RV 29 1
Sonates RV 314 1
Sonates RV 340 1
Sonates RV 582 1
Sonates RV 754 1 2
Sonates RV 755 1 2
Sonates RV 756 1 2
Sonates RV 757 1
Sonates RV 758 1
Sonates RV 759 1 2
Sonates RV 760 1 2
Stabat Mater 1 2 3 4
Stravaganza, La, voir Concertos Opus 4 1 2 3 4 5
Tamerlano, Il, voir Bajazet 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18
19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42
43 44 45 46 47
Te Deum 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
Teuzzone 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24
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Tieteberga 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
Tigrane, Il, voir La virtù trionfante… 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
16 17 18 19 20
Tirannia gastigata, La 1 2 3 4
Tito Manlio 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
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« Tremori al braccio » 1
Trio RV 82 1
Trio RV 85 1
Trio RV 800 1
Unione della Pace e di Marte, L' 1 2 3 4
Verità in cimento, La 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Vestro principi divino 1 2
Virtù trionfante..., La 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Vittoria navale, La 1 2 3 4 5

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