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direction
Semplice
ou passeggiato
Diminution et ornementation
dans l’exécution
de la musique de Palestrina
et du stile antico
Droz
HEM – Haute école de musique de Genève
Semplice
ou passeggiato
Diminution et ornementation
dans l’exécution de la musique
de Palestrina et du stile antico
Droz
Haute École de Musique de Genève
© 2014 Haute école de musique de Genève
collection « Musique & Recherche » dirigée par Rémy Campos
ISBN : 978-2-600-01868-5
William Dongois
direction
Semplice
ou passeggiato
Diminution et ornementation
dans l’exécution
de la musique de Palestrina
et du stile antico
Droz
Haute École de Musique de Genève
2014
Semplice ou passeggiato
Diminution et ornementation dans l’exécution
de la musique de Palestrina et du stile antico
Introduction générale…………………………………………………………………………………………………………………………………… 11
William Dongois
Semplice ou passeggiato
Diminution et ornementation dans l’exécution de la musique
de Palestrina et du stile antico………………………………………………………………………………………………………………… 23
William Dongois
Introduction………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 25
Chapitre 1 : Diminutions et contextes d’exécution…………………………………………………………………………… 29
Chapitre 2 : Quand et comment diminuer ?………………………………………………………………………………………… 35
Chapitre 3 : Différents aspects de la diminution………………………………………………………………………………… 53
Chapitre 4 : Le chanteur et la diminution…………………………………………………………………………………………… 63
Chapitre 5 : Le travail de la diminution………………………………………………………………………………………………… 73
Chapitre 6 : Les formes musicales et les usages………………………………………………………………………………… 83
Chapitre 7 : La diminution transalpine………………………………………………………………………………………………… 91
Chapitre 8 : La fin d’un art………………………………………………………………………………………………………………………… 97
7
11. Riccardo Rognoni, Passaggi per potersi essercitare nel diminuire,
Venise, Giacomo Vincenti, 1592…………………………………………………………………………………………………………… 215
12. Giovanni Luca Conforti, Breve et facile maniera, Rome, [s. n.], 1593…………………………………………… 219
13. Girolamo Diruta, Il Transilvano. Dialogo sopra il vero modo di sonar organi,
et istromenti da penna, Venise, Giacomo Vincenti, 1593 et 1609………………………………………………… 225
14. Giovanni Battista Bovicelli, Regole, passaggi di musica,
madrigali et motetti passeggiati, Venise, Giacomo Vincenti, 1594………………………………………………… 237
15. Aurelio Virgiliano, Il Dolcimelo, manuscrit inachevé, I-Bc Ms [c. 33], env. 1600……………………… 249
16. Luigi Zenobi, Raccolta di lettere varie, I-Rv ms [r. 45], ff. 199r-204v,
manuscrit non daté, env. 1600……………………………………………………………………………………………………………… 253
17. Adriano Banchieri, Cartella musicale, Venise, Giacomo Vincenti, 1614……………………………………… 261
18. Francesco Rognoni, Selva de varii passaggi, Milan, Filippo Lomazzo, 1620……………………………… 273
19. Vincenzo Giustiniani, Discorso sopra la musica,
I-Las Fondo Orsucci ms. [48] (olim o.49), [1628]……………………………………………………………………………… 283
Annexe : Élaborations ornées et adaptations d’œuvres de Palestrina………………………………………… 288
Glossaire…………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 291
Index des notions abordées dans les sources traduites…………………………………………………………………305
8
Introduction
11
À la suite des exposés extrêmement riches d’Andrew Parrott (venu faire une classe
de maître à Genève), la nécessité d’aller plus loin en croisant nos essais musicaux avec
les traductions de différents ouvrages relatifs aux pratiques vocales et instrumentales
est apparue encore plus nécessaire. Christian Pointet proposa alors de traduire en
français un panorama assez vaste de documents qui nous semblait indispensable pour
cerner les usages de la diminution. Ce travail a abouti non à des certitudes définitives
mais à une meilleure vision d’ensemble de la question.
Dernier volet du projet IMPROPAL, ce livre souhaite donner accès au public
francophone à des textes qui, dans leur ensemble, sont peu connus ou peu accessibles.
Il semblait important de les regrouper pour permettre au lecteur de les confronter
facilement, de prendre conscience des concordances et/ou des contradictions entre les
différentes sources qui ne prennent souvent leur sens que grâce à la comparaison.
À la lecture des nombreux documents présentés ici, il semble, comme nous le pres-
sentions au début de notre travail, que la pratique contemporaine des répertoires de la
Renaissance soit en décalage pour de nombreux points avec l’exécution historique de la
musique polyphonique telle qu’on peut la connaître à partir des descriptions d’époque.
L’ouvrage qu’on va lire entend aller à l’encontre d’une vision souvent simpliste de la
relation entre partition et exécution : l’exécution d’une polyphonie, d’un motet ou d’un
madrigal ne veut pas dire qu’elle a obligatoirement été polyphonique ni même vocale.
En effet, la réalisation sonore peut prendre la forme d’un solo vocal ou instrumental
accompagné au luth ou à l’orgue, ou d’une exécution instrumentale pure, ou encore
d’un groupe mêlant voix et instruments.
Comme l’écrit Lodovico Zacconi (en introduction de sa description de l’art du
chant et de la diminution), « le compositeur n’a d’autre soucis que d’écrire selon les
règles de la composition. » Le domaine de la pratique est d’un autre ordre. Silvestro
Ganassi affirme que « la diminution n’est autre qu’un ornement du contrepoint. » Nous
avons donc bien affaire à des plans séparés. De nos jours, la diminution est souvent
considérée comme une solution musicale s’appliquant à des situations particulières. Il
semble plutôt qu’elle fut, à des degrés divers, omniprésente dans l’exécution de toute
musique.
Autre préjugé courant que ce livre voudrait contribuer à faire disparaître : l’orne-
mentation serait une « invention » baroque (la cause en étant les nombreuses et précises
descriptions d’ornements publiées après 1700, notamment en France). Qui plus est,
chaque catégorie d’ornementation connue est cloisonnée dans ce qu’on appelle des
« styles ». Or, les témoignages anciens poussent à nuancer fortement ce classement.
Marin Mersenne n’écrit-il pas en 1636 au sujet des différentes manières d’exécuter
la musique en France et en Italie : « Quand à leur trillo [celui des Italiens] il n’est pas
différent de nos diminutions… » ?
Autre question essentielle : la diminution et l’ornementation sont des gestes musi-
caux qui prennent des formes ou des fonctions différentes selon les époques. À la
simple lecture des textes de Castiglione, Ganassi, Rognoni ou Bovicelli, on comprend
que les mots désignant les ornements sont souvent restés les mêmes sur plus d’un siècle
alors qu’ils désignaient des réalités qui avaient évoluées. À nous de comprendre ce qui
se cache derrière les mots.
De même, les pratiques vocales et instrumentales intègrent et mélangent en per-
manence l’ornementation (les « grâces » selon Ortiz, « l’élégance » selon Ganassi) et
la diminution. La différence entre ces deux termes n’est pas aisée à définir. Lorsque
12
j’enseigne, je dis toujours pour être simple et compris que l’ornement concerne la note
et la diminution le rapport des notes entre elles. Il est évident que cette formulation
masque le fait que la diminution brève orne et que l’ornement riche et répété peut
devenir diminution. Ce que chacun découvre d’ailleurs par la pratique. L’ouvrage
clarifie évidemment cette question à laquelle il en articule étroitement plusieurs non
moins capitales : celle de la place de la diminution, de la qualité du geste musical et de
la quantité des figures.
Cet ouvrage est un outil. Il est un complément indispensable à la réflexion et à la
pratique. Jusqu’à aujourd’hui, en matière d’ornementation et de diminution, de nom-
breuses expériences n’ont encore pas été faites par les praticiens (je m’y inclus), faute
d’avoir pris le temps de se plonger dans la question. À décharge, la familiarisation avec
l’improvisation et la diminution entre souvent en conflit avec le fait de devoir investir
des répertoires musicaux courant sur plusieurs siècles. La nécessité de réaliser à court
terme les projets artistiques (concerts ou disques) n’aide pas, non plus, à prendre le
recul nécessaire. Or, le geste musical ne peut se transformer qu’à la condition d’un tra-
vail quotidien, seul capable de produire un geste à la fois libre et « automatique » afin de
retrouver la sprezzatura tant vantée par de nombreux auteurs à la suite de Castiglione.
Les auteurs espèrent que ce livre permettra de jeter les bases d’une autre esthé-
tique de l’exécution de la musique de Palestrina et de ses contemporains, en particu-
lier en rompant avec l’idée répandue que la diminution, pratiquée essentiellement par
des instrumentistes, ne serait qu’une démonstration de virtuosité. Nous pensons, au
contraire, que la diminution et l’ornementation sont un mode de production du son et
une manière incontournable de rendre la musique du xvie siècle vivante.
Pendant des années, j’ai souhaité l’existence d’un tel livre, n’imaginant pas en
devenir un jour l’auteur partiel ! Le travail de compilation et de traduction de sources
fait par Christian Pointet a comblé une de mes vieilles frustrations. Pratiquant la
diminution tous les jours, j’étais conscient de ne pas avoir accès à de nombreux docu-
ments qui auraient pu éclairer ma pratique. Un long travail de mise en forme l’a fait
considérablement évoluer et il est devenu un ouvrage dont nous espérons qu’il intéres-
sera praticiens, musicologues, amoureux et curieux de tout ce qui touche à la musique
de la Renaissance.
Paradoxalement, au moment de conclure le projet IMPROPAL, je mets à dispo-
sition du lecteur plus de matériel que je n’en ai eu moi-même au début de l’expérience.
C’est peu dire que signaler que cette recherche a fait évoluer ma pratique. Espérons
que le lecteur aura à cœur de prolonger ce travail en se posant à son tour (peut-être
depuis sa propre pratique) les questions qui avaient été à l’origine de notre entreprise.
13
Sources historiques et publications musicologiques : de la difficulté d’une lecture pertinente
Sources historiques
et publications musicologiques :
de la difficulté d’une lecture pertinente
1 Graham Dixon, « The Performance of Palestrina. Some Questions, but Fewer Answers », Early Music,
vol. 22, no 4, 1994, p. 666-675.
2 Noel O’Regan, « The Performance of Palestrina. Some Further Observations », Early Music, vol. 24, no 1,
1996, p. 145-154.
15
Avant de se pencher sur les études récentes, envisageons les sources historiques
et, parmi elles, deux catégories : les traités de diminution d’une part, et les comptes
rendus et chroniques d’époque, de l’autre.
En 1535 paraît à Venise la Fontegara, méthode de diminution extrêmement appro-
fondie de Silvestro Ganassi. On ne peut que s’accorder sur le caractère précurseur de ce
traité puisque l’immense majorité des traités de diminution italiens a été publiée une
cinquantaine d’années plus tard. Toutefois, si le frontispice de la Fontegara ne pèche
pas par excès de prétention3, dans bon nombre de traités ultérieurs, c’est à qui affirmera
le plus sa compétence et donc sa légitimité, à commencer par Girolamo Dalla Casa 4,
qui, dès 1584, entend révéler il vero modo, « la vraie manière » de diminuer – suggérant
par là qu’il en aurait été propagé de fausses. En 1592, Riccardo Rognoni reprend sans
vergogne exactement les mêmes termes dans le titre de la seconde partie de son traité5,
détrônant ainsi ses prédécesseurs. Girolamo Diruta n’est pas en reste. Lorsqu’il publie
un an plus tard son vero modo6, il fait à son tour usage de ce qui est devenu une expres-
sion consacrée. En 1602, c’est la manière de faire de la musique vocale en général que
Giulio Caccini remet en cause dans la préface de ses Nuove Musiche7 où il déplore que
« les pratiques en usage naguère n’[ont] pu, que je le sache, atteindre à cette plénitude
de la grâce que je sens résonner en mon âme8 ». La liste serait encore longue. Citons
pour finir Francesco Rognoni qui, tâchant d’éclipser tous les auteurs cités (dont son
oncle) revendique à son tour la vérité, près d’un siècle après Ganassi, en publiant en
1620, toujours à Venise : i veri principii per cantar polito, et bene (les « vrais principes
pour chanter élégamment et bien »9).
L’affirmation par un individu de sa supériorité sur les autres n’est propre ni à un
milieu, ni à une époque. Or, un simple titre d’ouvrage, si présomptueux qu’il soit,
demeure un gage de prééminence bien fragile. Ainsi, la nature des pièces musicales
présentées dans les traités doit être envisagée avec prudence. Il est fort peu probable
que les exemples de pièces diminuées que l’on trouve dans les traités, chez Dalla Casa
ou les deux Rognoni, soient tous des témoignages d’ornementation improvisée notée
sur le vif. Sans mettre en doute le fait que l’art de la diminution était probablement
pratiqué par ces auteurs avec une maîtrise étonnante, on peut raisonnablement esti-
mer que ceux-ci ont mis un soin particulier à composer certaines des pièces publiées
dans leurs traités. De même, Francesco Rognoni a dédié sa diminution « difficile » sur
Vestiva i colli pour la viole à un musicien virtuose, qu’il estimait probablement être le
seul capable de l’exécuter. Et il est très vraisemblable qu’il ait cherché, ce faisant, à
passer lui-même pour le seul capable de la composer.
Dans les traités, la plupart des exemples de diminutions sur des pièces polypho-
niques sont destinés à être joués ou chantés par un instrument ou une voix soliste,
supposément accompagné(e) par un instrument polyphonique qui joue les autres par-
ties de la pièce. Certaines de ces diminutions exigent parfois, comme nous l’avons vu,
3 Silvestro Ganassi, Opera intitulata Fontegara, Venise, per Sylvestro di Ganassi dal Fontego, 1535.
4 Girolamo Dalla Casa, Il vero modo di diminuir, Venise, Angelo Gardano, 1584, 2 vol.
5 Riccardo Rognoni, Passaggi per potersi essercitare nel diminuire, Venise, Giacomo Vincenti, 1592.
La seconde partie est intitulée : Il vero modo di diminuire.
6 Girolamo Diruta, Il Transilvano. Dialogo sopra il vero modo di sonar organi et istromenti da penna, Venise,
Giacomo Vincenti, 1593 et 1609.
7 Giulio Caccini, Le Nuove musiche, Florence, Marescotti, 1601 [i. e. 1602].
8 « Non essendosi nei moderni tempi passati costumate (ch’io sappia) musiche di quella intera grazia ch’io
sento nel mio animo risonare », Giulio Caccini, Le nuove musiche, op. cit., p. 4.
9 Francesco Rognoni, Selva di varii passaggi secondo l’uso moderno, Milan, Filippo Lomazzo, 1620.
16
Sources historiques et publications musicologiques : de la difficulté d’une lecture pertinente
une très grande virtuosité, avec une notation rythmique allant jusqu’à la triple croche.
Ce goût pour la virtuosité atteint son paroxysme avec les diminutions pour viole « alla
bastarda » qui ne conservent ni les silences, ni les tessitures, ni les césures du texte
original.
Il est évident qu’une telle virtuosité ne saurait être de mise simultanément dans
toutes les parties lors d’une exécution polyphonique : la pièce en deviendrait inau-
dible. Tout au plus peut-on s’inspirer de la Canzon di Cipriano tutte le quattro parte di-
minuite de Dalla Casa, dont toutes les parties sont ornées. Relativement aux exemples
décrits ci-dessus, les diminutions de chaque partie sont donc plutôt sobres. Dans cette
dernière pièce, la fréquence des ornements proposés rejoint d’ailleurs les conseils de
Giovanni Camillo Maffei10 qui recommande de n’orner que quatre à cinq cadences
par motet et par partie lors d’une exécution polyphonique. S’il est ainsi plutôt hasar-
deux d’avancer des théories concernant l’ornementation dans la pratique polyphonique
vocale à l’aune de traités à vocation plutôt solistique, il convient de surcroît de consi-
dérer que certains exemples de pièces ornées sont de facture très exceptionnelle. Dès
lors, comment, et surtout dans quelle mesure, se fier à ces sources sans se méprendre ?
Une autre source d’information historique est constituée par les comptes rendus
ou chroniques d’événements de toutes sortes : célébrations liturgiques, concerts privés,
réunions des membres de camerate et autres. Ces documents semblent pouvoir mieux
nous instruire quant aux pratiques d’exécution.
Cependant, un parallèle avec les descriptions de concert à notre époque pousse à
la circonspection. Le critique a toujours tendance à rapporter ce qui est exceptionnel,
à souligner la qualité hors norme d’une voix ou au contraire sa médiocrité, à distinguer
l’intelligence d’un musicien à faire comprendre le texte ou à multiplier les intentions
expressives. Bref, à pointer les événements musicaux sortant de l’ordinaire. Il est ten-
tant d’imaginer qu’il en était de même il y a quatre siècles. Et effectivement, la lecture
des descriptions de concerts ou de cérémonies dont nous disposons pour les périodes
anciennes consignent rarement les événements anodins. Ce qui amène à soulever la
question suivante : comment généraliser les règles de la pratique à partir de quelques
événements exceptionnels ?
Pour donner un exemple, la description de Luigi del Cornetto [Zenobi] faite par
Vincenzo Giustiniani et citée par Thimothy Collins11 montre Zenobi jouant dans sa
chambre avec tant de retenue et de contrôle qu’il ne couvrait pas le son du clavecin
fermé, l’instrument étant donc déjà à peine audible. Un lecteur pourrait en déduire
que de tels concerts « intimistes » étaient monnaie courante. Collins attire justement
l'attention sur ce point en précisant plus loin dans son article que, si des concerts privés
ont bien pu être donnés avec des violes, des flûtes, des voix ou des petits instruments
à clavier, il semble que les cuivres (cornets et sacqueboutes) étaient sollicités au sein
d’effectifs et d’espaces bien plus considérables et que leur participation à la musique de
chambre était excessivement rare.
10 Giovanni Camillo Maffei, Delle lettere del Signor Giovanni Camillo Maffei da Solofra libri due, Naples,
Raymundo Amato, 1562.
11 Timothy A. Collins, « Musica Secreta Strumentali. The Aesthetics and Practice of Private Solo Instru-
mental Performance in the Age of Monody (ca. 1580 – ca. 1610) », International Review of the Aesthetics and
Sociology of Music, vol. 35, no 1, 2004, p. 47-62.
17
De même, Collins cite la description élogieuse des chanteurs Francesco Rasi et
Francesco Campagnolo figurant dans Il rapimento di Proserpina de Giulio Cesare
Monteverdi (1611) qui salue leur façon de faire les accenti, passagi, groppi, tremoli, trilli,
et autres ornements de goût12. La question se pose de savoir si le fait même que l’auteur
ait relevé ces éléments ne trahit pas le caractère exceptionnel de la performance men-
tionnée ou de sa qualité.
Enfin, s’il est important de ne pas inférer la règle de l’exception, il faut, suivant la
même logique, savoir garder à l’esprit que ce qui est tu n’est pas forcément inexistant
mais peut-être tellement évident qu’il était inutile d’en faire cas.
12 Timothy A. Collins, « Reactions Against the Virtuoso. Instrumental Ornamentation Practice and the
Stile Moderno », International Review of the Aesthetics and Sociology of Music, vol. 32, no 2, 2001, p. 137-152.
13 Cf. la bibliographie à la fin de ce livre.
14 Povl Hamburger, « The Ornamentations in the Works of Palestrina », Acta Musicologica, vol. 22, nos 3-4,
1950, p. 128-147.
15 Imogene Horsley, « Improvised Embellishment in the Performance of Renaissance Polyphonic Music »,
Journal of the American Musicological Society, vol. 4, no 1, 1951, p. 3-19.
16 Nanie Bridgman, « Giovanni Camillo Maffei et sa lettre sur le chant », Revue de Musicologie, t. xxxviii,
no 113, 1956, p. 3-34.
17 Voir, par exemple, l’étonnant article de Denis Stevens : « Sound Without Fury », The Musical Times,
vol. 136, no 1827, 1995, p. 220-224 ; et la réponse d’Andrew Parrott : « Signifying Nothing », The Musical
Times, vol. 136, no 1828, 1995, p. 267.
18
Sources historiques et publications musicologiques : de la difficulté d’une lecture pertinente
Il faut toutefois reconnaître que la tâche n’est pas aisée. La difficulté d’accès aux
sources (archives, bulles papales ou motu proprio, reçus de salaires, inventaires, etc.,
documents rédigés en latin le plus souvent) rend ardue toute entreprise d’exploration
des anciennes pratiques de diminution. Le lecteur ou musicien non averti qui voudrait
se faire une idée par lui-même, n’aura guère d’autre option que de s’en remettre aux
publications et aux traductions existantes. Il sera alors confronté à la diversité mani-
feste des pratiques et mesurera à quel point la « vérité historique » est difficile à établir.
À titre d’exemple, considérons pour finir deux extraits des chroniques de la chapelle
Sixtine et l’interprétation qu’en propose Noel O’Reagan.
Dans les Libri dei puntatori (journal de la chapelle Sixtine où sont consignées les
absences ou négligences des chanteurs, avec de précieux témoignages sur la pratique
musicale) de la Chapelle pontificale en 1560, on lit que :
« […] il fut demandé au Maître de Chapelle, lors de messes pontificales, d’être dans
le chœur avec chanteurs, afin de faire respecter l’ordre de rester silencieux et [l’ordre] de
chanter les duos, trios et autres18. »
« Il fut décrété qu’au cours des messes et vêpres pontificales, certains chanteurs ne
devraient pas chanter seuls les duos ou trios, à moins qu’il ne soient nommés ou réquisi-
tionnés pour le faire, et à cet effet, quatre chanteurs parmi les plus anciens furent choisis,
un homme pour chaque registre19. »
Dans ce cas, selon nous, le problème semble être plutôt celui de la compétence des
musiciens. L’extrait ne laisse guère de place au doute et signale qu’il fallut choisir des
chanteurs capables d’assurer les exécutions à faible effectif. Cette idée est largement
corroborée par l’article de Richard Sherr sur la compétence à la chapelle papale20.
18 « Comisit magistro capelle ut in missa papalibus et in choro cum cantoribus, ut servaretur ordo silentii
et cantandi duo et tria et alia » (cité dans : Noel O’Reagan, « The Performance of Palestrina... », op.cit.,
p. 145-146) – les traductions sont les nôtres.
19 « Fuit decretum, in missis et vesperis papalibus, non debeant aliqui cantores singulariter decantare
duos vel tertios, nisi fuerint nominatus vel requisitus, et ad efectum huiusmodi elegerunt quatuor anti-
quiores cantores unum vz. ex qualibet pretense voce » (cité dans : Noel O’Reagan, « The Performance of
Palestrina... », op.cit., p. 145) – les traductions sont les nôtres.
20 Richard Sherr, « Competence and Incompetence in the Papal Choir in the Age of Palestrina », Early
Music, vol. 22, no 4, 1994, p. 607-629.
19
O’Reagan ne s’interroge pas sur l’incohérence de « l’ordre de rester silencieux et de
chanter les duos, trios, etc ». Par cette formule, il pense que sont désignées des sections
spécifiques, écrites à deux, trois ou quatre parties (certaines sections de l’ordinaire de
la messe, hymnes et magnificat des vêpres), par opposition au propre et au reste de
l’ordinaire de la messe qui étaient écrits et exécutés, à cinq ou six parties en général.
Toujours selon O’Reagan, la seconde citation est une preuve que « le système [proposé
en 1560] ne fonctionnait manifestement pas » mais celui-ci n’explique pas précisément
quel était ce système, ni dans quelle mesure il était inadapté. L’auteur ne livre pas
non plus au lecteur le raisonnement qui lui permet d’affirmer que le second extrait est
la description d’un système venant « corriger » le premier. Pour lui, in fine, la source
s’interprète ainsi : puisqu’il est précisé que c’est au cours des duos, trios, etc., que les
chanteurs doivent rester silencieux, il faut en déduire que seules ces pièces sont concer-
nées par une exécution soliste.
La thèse n’est pas saugrenue, elle est même extrêmement crédible si l’on considère,
comme O’Reagan le propose, le style de composition des différentes pièces (celui plu-
tôt conservateur de la prima prattica pour les pièces à cinq et six parties, et une écriture
plus moderne, ornée et virtuose, pour les pièces à deux ou trois parties). Cependant,
contrairement à ce que le chercheur prétend, les citations ne nous donnent aucune
information sur le nombre d’exécutants par partie (le propre d’un duo, exécution
soliste ou non, étant d’exclure toutes les parties sauf les deux concernées). En tout état
de choses, O’Reagan aboutit ici à une prétendue déduction, pourtant dénuée de toute
logique, en partant d’une citation elle-même ambigüe. Cette démarche confuse per-
met donc avec une facilité relative de « faire dire ce qu’on veut » à un témoignage
historique.
De tous les articles consultés, un seul nous a paru apporter des réponses claires et
utilisables à quelques-unes des questions qui se posent à tout interprète, et en parti-
culier celle portant sur les effectifs. Il s’agit d’une étude de Richard Sherr (1987)21 qui
aboutit aux conclusions suivantes.
Premièrement, la connaissance du nombre de chanteurs ou du nombre de chan-
teurs par partie recensés à la chapelle papale ne nous donne aucune indication fiable
sur le nombre d’exécutants chantant ensemble à un moment donné.
Deuxièmement, le terme « coro » n’implique pas forcément une exécution à plu-
sieurs par partie mais simplement que plusieurs personnes chantent en même temps ;
par exemple, quatre solistes dans une polyphonie à quatre voix forment un « coro ».
Troisièmement, il est presque sûr que les sections de duos, trios et quatuors des
messes étaient chantées par des solistes.
Quatrièmement, les sources concernant l’effectif par partie dans les autres sections
de la messe et dans les motets sont ambiguës ; cependant, elles suggèrent que tout
l’effectif ne chantait que rarement, sinon jamais, ensemble. L’exécution à un par partie
restait donc une solution acceptable en toutes circonstances.
Cinquièmement, à la chapelle Sixtine entre le xvie et le xviiie siècle (et proba-
blement aussi au xve siècle), la polyphonie commençait toujours par une intonation
soliste, même si certaines pièces ont peut-être été exécutées à plusieurs par partie.
21 Richard Sherr, « Performance Practice in the Papal Chapel during the 16th Century », Early Music,
vol. 15, no 4, 1987, p. 453-462.
20
Sources historiques et publications musicologiques : de la difficulté d’une lecture pertinente
Le chant soliste a par conséquent été une constante pour l’« oreille d’époque » lors des
cérémonies papales à la Renaissance.
Le fait peut paraître trivial mais des conclusions aussi claires sont très rares en
regard du grand nombre d’articles dont les auteurs restent évasifs. Parvenir à des
déductions fiables par des raisonnements explicites dans un domaine où tout n’est
qu’interrogations, relève en effet du tour de force, de la témérité et parfois de l’impos-
ture. Dans tous les cas, le lecteur devra garder à l’esprit que les sources qui nous sont
parvenues ne sont pas nécessairement le témoignage d’une pratique courante (même
si les pratiques exceptionnelles sont également dignes d’intérêt). Par ailleurs, il aura
pu constater que ce qui est publié dans une revue musicologique n’est pas toujours
irréfutable, d’autant que de nouveaux documents, découverts au fur et à mesure des
recherches, viennent quelquefois modifier en cours de route l’idée que l’on s’était faite
de telle ou telle pratique. La lecture de la littérature musicologique est de toute façon
profitable si on l’envisage dans l’optique habilement suggérée par Graham Dixon22 d’en
tirer « some questions, but fewer answers » – davantage de questions que de réponses.
21
Introduction
Semplice
ou passeggiato
Diminution et ornementation
dans l’exécution de la musique
de Palestrina et du stile antico
William Dongois
(Haute école de musique de Genève)
page 25 Introduction
Chapitre 1
Chapitre 2
page 35
Quand et comment diminuer ?
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Semplice ou passeggiato 23
Diminutions et contextes d’exécution
Introduction
Semplice ou passeggiato 25
domaine, les aspects traités concernent principalement la question des effectifs, celle
du diapason et celle de la transposition3. Rarement la place accordée aux instruments
est mentionnée ou en tout cas discutée en profondeur. Cela est probablement dû au fait
que Giovanni Pierluigi da Palestrina et son œuvre sont associés (aux yeux du grand
public et de nombreux musiciens) à la chapelle Sixtine4 dont l’effectif fut, il est vrai,
exclusivement vocal. Pourtant, les partitions de Palestrina sont omniprésentes dans les
traités de diminution les plus importants. C’est la raison pour laquelle elles ont servi
de point de départ à cette étude, outre le fait qu’elles ont connu une diffusion immense
dans toute l’Europe, bien après la disparition du compositeur et l’apparition du stile
moderno5.
Dans les études existantes, la technique vocale (autrement dit « l’instrument uti-
lisé6 ») et les manières de chanter ne sont guère abordées. Les musicologues étudiant
les sources de la musique polyphonique et ceux analysant et travaillant sur les sources
consacrées à la diminution travaillent trop souvent de façon parallèle7. De façon géné-
rale, l’ornementation, la diminution, le type de voix idéal ou les modes d’imitation de
3 Patrizio Barbieri, « “Chiavette” and modal transposition in Italian practice (c. 1500-1830) », Recercare,
vol. 3, 1991, p. 5-80 ; Cavicchi, Adriano, « Appunti sulla prassi esecutiva della musica sacra nella seconda
metà del xvi secolo con riferimenti alla musica del Palestrina », Franceso Luisi, éd., Atti del convegno di
studi palestriniani, Rome, Fondazione Giovanni Pierluigi da Palestrina, 1977, p. 295-311 ; Graham Dixon,
« The Performance of Palestrina. Some Questions, but Fewer Answers », Early Music, vol. 22, no 4, 1994,
p. 666-675 ; Jeffrey Kurtzman, « Tones, Modes, Clefs and Pitch in Roman Cyclic Magnificats of the
16th Century », Early Music, vol. 22, 1994, p. 641-665 ; Noel O’Regan, « The Performance of Palestrina.
Some Further Observations », Early Music, vol. 24, 1996, p. 145-154.
4 D’une part, Palestrina n’a travaillé que brièvement à la Sixtine et d’autre part, il a également écrit de la
musique profane. Zacconi lui reproche par ailleurs la mise en musique du texte licencieux du Cantiques des
Cantiques (Lodovico Zacconi, Prattica di musica seconda parte, Venise, Alessandro Vincenti, 1622, p. 53-24
– fac simile : Bologne, Forni, 1967).
5 Helmut Hucke, « Palestrina als Autorität und Vorbild im 17. Jahrhundert », Raffaele Monterosso, éd.,
Atti del convegno Claudio Monteverdi e il suo tempo, Vérone, Valdonega, 1969, p. 253-261 ; Jean Lionnet,
« Palestrina e la cappella pontificia », Bianchi, Lino et Rostirolla, Giancarlo, éd., Palestrina e la sua
presenza nella musica e nella cultura europea. Atti del ii Convegno internazionale di Studi palestriniani, Palestrina,
Fondazione Pierluigi da Palestrina, 1991, p. 123-137 ; Graham Dixon, « Tradition and Progress in Roman
Mass Settings after Palestrina », Lino Bianchi et Giancarlo Rostirolla, éd., Palestrina e la sua presenza
nella musica e nella cultura europea dal suo tempo ad oggi…, op. cit., p. 309-324 ; Stephen Miller, « On
Gommon Ground. Palestrina, “Musica Comune” and Seventeenth-Century Roman Sacred Music »,
Giancarlo Rostirolla, Stefania Soldati et Elena Zomparelli, éd., Palestrina e l’Europa. Atti del
iii Convegno Internazionale di Studi, Palestrina, Fondazione Giovanni Pierluigi da Palestrina, 2006,
p. 1037-1060.
6 Par « instrument utilisé », nous entendons le corps du chanteur et sa technique vocale considérés comme
un seul et même outil musical.
7 Signe des temps, directeurs artistiques, instrumentistes et chanteurs parent le plus souvent au plus pressé
et vendent aux organisateurs de concerts plus des concepts que le fruit musical de leurs recherches. L’idée
d’effectuer un travail de recherche menant à l’adoption d’une autre esthétique, sans souci de provoquer et/
ou de « faire effet », semble relever de l’exception.
26
Introduction
la voix par l’instrument8 sont des champs encore peu étudiés9 et qui semblent n’avoir
suscité l’intérêt que de praticiens : flûtistes à bec, cornettistes essentiellement et trop
rarement chanteurs10.
Derrière la question de la fonction de la diminution et de l’ornementation se pose
celle du statut de la notation musicale : qu’est-ce qu’une partition pour le musicien mais
aussi pour le musicologue aujourd’hui ? quels liens ont pu unir le geste et le signe ?
qu’est-ce qu’un compositeur veut fixer à l’époque qui nous intéresse ? La notion même
de compositeur doit d’ailleurs être remise en question, la plupart de ceux que nous
désignerions par ce nom étant des praticiens, des chanteurs et/ou des instrumentistes.
Le but ici n’est pas de prendre position par rapport aux différents travaux ayant
porté sur l’improvisation historique ou sur son apprentissage11, ni de produire une
synthèse définitive. Il s’agit de partir de l’expérience, nourrie et éclairée par des infor-
mations tirées des documents anciens, pour tenter de donner une image des différents
« vêtements »12 que la musique polyphonique a pu revêtir. C’est la raison pour laquelle
notre recherche s’est concentrée sur les sources et leur traduction.
Ajoutons que la diminution est actuellement traitée par les praticiens soit comme
simple technique, soit – à tort – comme genre musical et qu’elle est considérée, à ce
titre, comme une pratique à part, ce que les sources semblent contredire. La présente
étude propose de dépasser cette dichotomie et de montrer à travers un survol de mul-
tiples sources que, d’une part, le terme diminution recouvre un champ de pratiques
assez large et que, d’autre part, les pratiques habituelles de la polyphonie n’excluaient
ni l’ornementation (comme partie constituante du son vocal ou instrumental) ni la
diminution. Les seules questions auxquelles le musicien doit répondre aujourd’hui
sont donc celles de la quantité et de la qualité des diminutions et des ornementations
qu’il faut intégrer lors de la restitution des pièces polyphoniques.
K K K
8 Ganassi définit sans équivoque l’imitation de la voix humaine : l’instrumentiste doit donner l’impression
de « dire un texte » avec son instrument et non d’imiter le son de la voix humaine ; voir : Silvestro Ganassi,
Opera intitulata Fontegara, Venise, per Sylvestro di Ganassi dal Fontego, 1535 (fac simile : Bologne, Forni,
2002 ; traduction française : Œuvres complètes, vol. 1. La Fontegara, Christine Vossart, éd., Jean-Philippe
Navarre, trad., Sprimont, Mardaga, 2002).
9 Mauro Uberti, « Vocal technique in Italy in the second half of the 16th Century », op. cit. ; Howard
Mayer Brown et Rebecca Stewart, « Voice Types in Josquin’s Music », Tijdschrift van de Vereniging voor
Nederlandse Muziekgeschiedenis, vol. 35, nos 1-2, 1985, p. 97-193.
10 Andrew Parrott semble avoir été l’un des premiers à enregistrer de la polyphonie ornée (Andrew
Parrott, dir., Musique à la Chapelle Sixtine, Virgin Classics, 0724348998224). Signalons aussi l’étude
suivante qui fait une synthèse intéressante d’une partie des sources : Romain Bockler, L’Ornementation
dans la polyphonie vocale de la Renaissance, mémoire de master, CNSM de Lyon, 2013.
11 Cf. la bibliographie en fin d’ouvrage.
12 L’image de l’ornement et de la diminution comme « vêtement » de la musique est issue de la rhétorique
classique que l’on qualifiait elle-même d’habillage ou de fard appliqué sur le corps des mots.
Semplice ou passeggiato 27
Écrit par un praticien, ce livre aborde les questions de restitution dans l’ordre dans
lequel elles se sont posées à un groupe d’étudiants avec lequel j’ai travaillé pendant 18
mois dans le cadre du projet de recherche IMPROPAL à la Haute école de musique de
Genève. Au cours de cette aventure, les étudiants, tant instrumentistes que chanteurs,
ont confronté le répertoire polyphonique des motets de Palestrina à des exemples de
diminutions puisées entre autres dans les traités de Giovanni Bassano, de Francesco
Rognoni et dans les sources secondaires comme les textes de Luigi Zenobi et de
Giovanni Camillo Maffei13. L’aller et retour entre expérience, exercices, réflexion et
consultation de sources a permis une lecture et une pratique à chaque fois renouvelées,
tout en élargissant le champ des possibilités grâce à la pratique des exercices anciens.
Peu à peu, se sont dévoilés des éléments invisibles à première vue, mécanisme
admirablement décrit par une formule que Jean-François Billeter traduit du chinois
dans l’un de ses ouvrages : « La main trouve, l’esprit répond »14. En effet, l’expérience
montre que certaines idées musicales ne sont pas pensables et encore moins réalisables
tant que le corps n’est pas capable de les produire. Ce processus dynamique tient égale-
ment compte d’un autre élément décisif : la place de l’instrument dans le geste musical.
Un instrument à réponse rapide aide le musicien à réaliser la musique deman-
dant une grande vélocité ; un instrument à réponse plus lente aura, par contre, une
palette dynamique plus large. C’est le cas de presque tous les instruments à vents,
cornets, sacqueboutes, flûtes diverses, trompettes mais aussi orgues, clavecins et ins-
truments à cordes. Par ailleurs, la facture qualifiée d’historique porte immanquable-
ment la marque de préjugés appliqués à la définition du son. Cette marque de notre
modernité apparaît particulièrement dans la dernière phase de travail que les facteurs
et instrumentistes appellent harmonisation, par exemple les diverses opérations de
réglage des tuyaux de l’orgue ou de la tête de la flûte. Le balancement entre la rigueur
de la démarche dans la réalisation de copies, la recherche sur les modes d’exécution et
l’exercice journalier est un processus dynamique, parallèle à celui décrit par Billeter.
L’expérience finit donc par modifier indéniablement la capacité de comprendre
les traités et les partitions musicales. Au-delà de la relation existant entre l’outil (ins-
trument et technique vocale) et l’idée, le développement de l’aptitude à improviser
change le regard porté sur la musique en général et sur chaque partition en particulier.
La pratique de l’improvisation, la capacité acquise d’ajouter des diminutions sur une
ligne mélodique connue ou inconnue, les libertés prises face à la composition ont ainsi
considérablement modifié ma conception artistique et mon approche des textes notés15.
La nécessité de concevoir ce livre a découlé de la lenteur de l’évolution des pra-
tiques de restitution de la musique de la Renaissance malgré les nombreux témoignages
historiques disponibles. Étant entendu qu’il est difficile pour le praticien d’avoir une
connaissance globale des nombreuses sources conservées, cet ouvrage lui permettra
de circuler facilement de l’une à l’autre. Quant au musicologue, il pourra lire les com-
mentaires contenus dans ce livre comme le résultat de la familiarité acquise après de
nombreuses années par des musiciens dans l’exercice de la diminution.
13 Giovanni Bassano, Ricercate passaggi et cadentie, op. cit. ; Francesco Rognoni, Selva de varii passaggi,
op. cit. ; Luigi Zenobi, Raccolta di lettere varie, op. cit. ; Giovanni Camillo Maffei, Delle lettere del Signor
Giovanni Camillo Maffei da Solofra libri due, Naples, Raymundo Amato, 1562. Tous ces textes sont
partiellement traduits dans la seconde partie de l’ouvrage.
14 Jean-François billeter, Trois leçons sur Tchouang T’seu, Paris, Allia, 2002.
15 Pour un ouvrage didactique d’apprentissage de la diminution : William Dongois, Apprendre à improviser
avec la musique ancienne. Méthodologie d’improvisation, Gennevilliers, Color & Talea, 2008.
28
Diminutions et contextes d’exécution
Chapitre 1
Diminutions
et contextes d’exécution
1 Sur le cas vénitien : Francesco Caffi, Storia della musica sacra nella già cappella ducale di San Marco in Venezia
dal 1318 al 1797, Venise, Antonelli 1854-1855 (fac simile : Hildesheim, Olms, 1982) ; Eleanor Selfridge-
Field, « Bassano and the Orchestra of St. Mark’s », op. cit. ; Franco Colussi, David Bryant et Elena
Quaranta, éd, Girolamo Dalla Casa detto da Udene e l’ambiente musicale veneziano, Udine, Spocietà
filologica friulana, 2000, p. 41-43 ; James Harold Moore, Vespers at St. Mark’s. Music of Alessandro Grandi,
Giovanni Rovetta and Francesco Cavalli. Ann Arbor, UMI, 1981 ; pour le cas romain : Noel O’Regan, « The
Performance of Palestrina... », op. cit. ; Jean Lionnet, « Performance Practice in the Papal Chapel... », op.
cit. ; O’Regan ; Richard Sherr, « Performance Practice in the Papal Chapel... », op. cit. ; Richard Sherr,
« Competence and Incompetence in the Papal Choir... », op. cit.
2 Eleanor Selfridge-Field, Eleanor, « Bassano and the Orchestra... », op. cit., p. 155 ; Francesco Caffi,
Storia della musica sacra, op. cit.
Semplice ou passeggiato 29
la polyphonie avec le nombre nécessaire de chanteurs3. Le répertoire de Giovanni
Gabrieli propose pour l’exécution des grands motets un effectif comprenant un chan-
teur par chœur, les autres voix étant exécutées par des instruments. Il se peut que cette
manière d’écrire la musique corresponde à un usage plus ancien et encore courant. En
ce qui concerne la musique instrumentale du xvie siècle, on constate qu’à l’exception
de la musique de danse, des ricercares et des fantaisies, le répertoire est exclusivement
formé d’arrangements de musique vocale.
Enfin, il faut ternir compte du fait que les premiers traités de diminutions sont
souvent écrits par des instrumentistes au xvie siècle. Les chanteurs n’en publient qu’à
partir de la toute fin du siècle4. La diminution instrumentale est toujours basée sur
des modèles vocaux, à l’exception notable du traité de Diego Ortiz qui puise dans la
musique pour basse obstinée5. Les instrumentistes mentionnent toujours dans leurs
traités que les diminutions sont aussi per la semplice voce. Silvestro Ganassi est le pre-
mier à mentionner clairement que l’instrument doit imiter la voix humaine et suggérer
la présence d’un texte, plutôt que d’imiter le timbre de la voix humaine, comme beau-
coup le comprennent souvent6.
Toutes ces données définissent un cadre assez large ouvrant la porte à de nom-
breuses possibilités de pratique de la diminution et de l’ornementation, qui iront donc
de la pratique soliste jusqu’à une pratique collective avec redoublement de voix.
Diminuer et orner
3 Lodovico Viadana, Cento concerti ecclesiastici, op. 12, Venise, Giacomo Vincenti, 1602 (édition moderne
partielle : Claudio Gallico, éd., Mantoue et Kassel, Istituto Carlo d’Arco et Bärenreiter, 1964), cf.
Glossaire, rubrique « Cappella ».
4 Giovanni Bassano, Ricercate passaggi et cadentie, op. cit. ; Girolamo Dalla Casa, Il vero modo di diminuir,
op. cit. ; Riccardo Rognoni, Passaggi per potersi essercitare, op. cit. ; Luigi Zenobi, Raccolta di lettere varie,
op. cit.
5 Diego Ortiz, Trattado de glosas, Rome, Dorico, 1553 (édition moderne : Annette Otterstedt, éd., Hans
Reinsers, trad., Kassel, Bärenreiter, 2003). Ce traité est l’un des plus simples et des plus abordables puisqu’il
était destiné aux joueurs de violes, instruments également joués par de nobles amateurs.
6 Silvestro Ganassi, Opera intitolata Fontegara, op. cit.
7 Cf. Glossaire, rubrique « Définition de la diminution ».
8 Le terme anglais est « divisions » et le terme espagnol « glosas ». Marin Mersenne ne distingue pas
clairement les termes « passages », « diminutions » et « fredons ». Ce dernier semble évoquer le mouvement
du larynx lors de l’exécution des passages, cf. Marin Mersenne, Harmonie Universelle, Paris, Sébastien
Cramoisy, 1636 (édition moderne : François Lesure, éd., Paris, CNRS, 1986), livre vi, De l’art de bien
chanter, p. 356-358.
30
Diminutions et contextes d’exécution
Le tempo
9 Francesco Rognoni, Selva di varii passaggi, op. cit. ; Giovanni Battista Bovicelli, Regole, passaggi di
musica, op. cit. ; Girolamo Dalla Casa, Il vero modo di diminuir, op. cit.
10 Du reste, le mot français « cadence » serait plus approprié que le terme « tempo » mais on utilisera ici le
terme moderne de « tempo » qui désigne la vitesse de la pulsation. Jusqu’au début du xviie siècle, on utilise
le mot tactus et le système mensuraliste qui exclut la possibilité de varier la pulsation.
11 Francesco Rognoni dirait facile.
12 Il y existe naturellement quelques exemples (rares) de diminutions en croches.
Semplice ou passeggiato 31
conserver toujours la place pour jouer/chanter huit si ce n’est seize notes13. La question
du tempo se pose aussi dans l’exécution sans diminutions mais avec ornements, ces
derniers ayant besoin d’un espace propre d’expression et de développement14.
Hormis quelques exercices didactiques en début de traité, il n’y a que peu
d’exemples de musique diminuée qui n’utilisent que quatre notes par pulsation de
blanche15. Même les diminutions « facile per la viola bastarda » de Riccardo Rognoni16
utilisent les doubles-croches (dans les cadences). Ainsi, le tempo qui accorde assez de
place ou d’espace aux figures de diminution présentes dans les traités et les rend exé-
cutables est nécessairement d’environ 50/60 minimes à la minute. Il peut aller jusqu’à
72/76 battements dans le cas de diminutions assez simples. Les chiffres que nous don-
nons forment une fourchette de possibilités admises, selon le type de diminutions
écrites auquel le musicien est confronté ou qu’il veut improviser.
La question se pose ensuite de la relation que ce tempo « nécessaire » entretient
avec la pratique non-diminuée, appelée souvent normale. L’exécutant, jouant avec ce
tempo nécessaire, acquiert avec l’expérience le sentiment que celui-ci est assez naturel,
ni trop lent, ni trop rapide. Dans le cadre de l’atelier du projet IMPROPAL, les étu-
diants instrumentistes ou les chanteurs n’avaient été gênés ni par le rapport note sup-
port/tempo, ni par le rapport mots/tempo. Après un certain temps, il leur semblait
même difficile de revenir au tempo plus rapide dans lequel ils travaillaient auparavant.
La perception du tempo est extrêmement subjective puisqu’elle dépend des habitudes
de lecture, de l’idée que chacun se fait du résultat sonore, ou bien des manières de
décrypter les partitions et de produire le son par rapport à la pulsation17.
Lors des ateliers à Genève et au cours de nombreux stages de diminution, nous
avons observé qu’à la surprise des pratiquants, le retour à une version non diminuée dans
un tempo « lent » (adopté pour les exercices de diminutions) est non seulement possible
mais semble toujours évidente. Ces expériences ont montré aussi qu’un « tempo juste »,
perçu comme tel, se situe dans une fourchette de possibilités permettant à un bon
exécutant de réaliser les différents degrés de diminutions et d’ornementations décrits
dans les sources – avec la double-croche comme norme de la diminution « ordinaire »18.
À l’inverse, nous pouvons affirmer, après expériences, que le tempo de 50/60
minimes à la minute ne peut guère s’élever au-delà de 72/76 même si l’on ne sou-
haite faire que des ornements élégants sans agitation. Parmi les diminutions issues des
traités importants, seules celles de Giovanni Bassano, qui ne vont jamais au-delà de la
13 Soit 32 notes par semibrève. La formulation est employée par Correa de Arauxo pour décrire ses tientos très
virtuoses. Chez Ganassi (1535), la double-croche est la valeur la plus rapide mais elle s’applique néanmoins
à une musique dont les valeurs sont souvent plus lentes que dans les pièces plus tardives. D’autre part, sa
regola terza (sept notes pour une semibrève) implique quand même 28 doubles-croches par semibrève,
c’est-à-dire un nombre proche des 32 notes en usage à partir de 1580.
14 Cf. Glossaire, rubrique « Semplice ».
15 L’usage des auteurs anciens est de considérer la division de la semibrève. Aujourd’hui, il est plus usuel de
se baser sur la division de la minime.
16 Riccardo Rognoni, Passaggi per potersi essercitare, op. cit. Le madrigal Ancor che col partir et la chanson Un
gay bergier sont accompagnés de la mention facile per la viola bastarda.
17 Ce dernier point mériterait un traitement à part : il a beaucoup à voir avec une certaine conception de la
« phrase musicale » et de la ligne mélodique. En envisageant le rapport son/tempo comme produit d’un
mouvement, celui du corps qui danse ou de la scansion de la parole, la manière de produire et de tenir le
son est très différente. La pratique de l’improvisation est aussi souvent le déclencheur d’un changement
allant dans ce sens.
18 Chez Riccardo Rognoni, une diminution « facile per la viola bastarda » ne comporte que des croches, sauf
dans quelques cadences qui utilisent des doubles croches.
32
Diminutions et contextes d’exécution
double-croche19, peuvent être exécutées avec une cadence de minime allant jusque 72 à
la minute. Au-delà, il est difficile de restituer le caractère serein des motets, la gravité
de la musique d’église ou les nombreux affects exprimés par les textes des madrigaux.
Un des seuls passages mentionnant explicitement le tempo dans un traité de dimi-
nution se rencontre sous la plume de Bovicelli (1594) :
« Car en chantant, non pas a cappella, mais da concerto, où la battue doit être lente,
si l’on désire faire des croches qui ne procèdent pas par degrés conjoints, cela ressemble
presque être l’étude faite durant une leçon. On pourra y remédier en pointant une croche
et l’autre non. En variant de sorte le tempo, on obtiendra un effet varié dans l’un et dans
l’autre. Puis les doubles croches, outre la disposition de la voix, doivent être bien détachées
et il ne faut pas trop en utiliser, comme nous l’avons mentionné pour les croches si elles
ne procèdent pas par degrés conjoints. On obtiendra un effet magnifique, toujours avec
les doubles croches lorsque dans un long passage de notes conjointes, on soutiendra la
première plus que les autres20. »
19 Giovanni Bassano, Mottetti, madrigali et canzoni francese, Venise, Giacomo Vincenti, 1591, volume perdu,
copie manuscrite de Karl Franz Friedrich Chrysander, D-Hs [mb/2488]. Les ricercate du premier ouvrage
de Bassano comportent, en revanche, de nombreux traits en triple–croches (Giovanni Bassano, Ricercate,
passaggi et cadentie, op. cit.).
20 « Perché cantando non da cappella, ma da concerto, dove la battuta deve esser grave, i[l] volere far crome,
che non vadino per grado, pare che sia quasi lo studiare una lettione. Vi si potrà nondimeno rimediare,
facendo i ponti ad una croma sì, e l’altra no ; perche da quel variar di tempo ne segue vario effetto nell’uno,
e nell’altro. Le biscrome poi, oltre la dispositione della voce devono esser spiccate bene, né si devono usar
molto anch’esse, se non vanno, come detto habbiamo delle crome per grado. Nelle quali biscrome anco
ne segue bellissimo effetto, quando che in una tirata di molte note per grado si tiene la prima più delle
seguenti » (Giovanni Battista Bovicelli, Regole, passaggi di musica..., op. cit., p. 14).
21 Cf. Glossaire, rubriques « Cappella » et « Compania et concerto ».
22 Il y aurait beaucoup à dire sur l’importance que la vélocité tient dans une culture musicale : celle-ci est de
nos jours plutôt mal considérée et perçue comme « non expressive ».
Semplice ou passeggiato 33
Quand et comment diminuer ?
Chapitre 2
Quand
et comment diminuer ?
Les expériences conduites lors des ateliers du projet IMPROPAL confirment les
mentions de certaines sources faisant du dessus (le soprano) le « lieu » privilégié de
la diminution1. Si les parties d’alto(s) et surtout celles de ténor(s) s’y prêtent du point
de vue de leur morphologie, la diminution y est alors moins audible. La partie de
basse peut subir le même traitement à condition d’employer des figures spécifiques2.
Il semble toutefois qu’on se lasse plus facilement de la répétition ou de l’insistance
d’une diminution de basse que de celle d’un dessus. L’exemple du répertoire d’orgue
en général et des tientos pour registre de bajon de Francisco Correa de Arauxo en par-
ticulier est éloquent à cet égard3. Dans l’un des plus virtuoses (no 60), Tiento de Medio
Registro de Baxon de treinta y dos Numeros al compas, la partie de main droite est dotée
de nombreux ornements alors que dans les tientos de dessus (pour le registre de la cor-
netta coupé au do#), la main gauche n’a jamais de diminutions [1].
1 « Le soprano a l’obligation et le champ libre de diminuer, de rendre plaisant et [...] d’embellir un corps
musical » (Luigi Zenobi, The Perfect Musician, op. cit., p. 30).
2 Ces figures spécifiques sont notamment utilisées pour les cadences ; voir les exemples d’exercices pour
basse de Francesco Rognoni (Selva de varii passaggi, op. cit., p. 33).
3 Francisco Correa de Arauxo, Libro de tientos y discursos de música practica y theorica de organo, Alcalá,
Antonio Arnao, 1628 (fac simile : Genève, Minkoff, 1981). Ce répertoire de pièces d’orgue est cité ici car
cette musique est essentiellement polyphonique : les quatre ou cinq voix y sont traitées avec une grande
rigueur dans le style ancien, comme Palestrina ou Victoria le font dans leur œuvre vocale. La part accordée
à la diminution de main gauche dans une grande partie du répertoire pour clavier donne une idée de
l’équilibre entre virtuosité du dessus et de la basse.
Semplice ou passeggiato 35
[1] Francisco Correa de Arauxo, « Tiento no 60 de Medio Registro de Baxon », Libro de tientos y discursos
de música practica y theorica de organo, Alcalá, Antonio Arnao, 1628.
Pour certains motets, Bassano a proposé une diminution de basse et une diminu-
tion de dessus : les deux se superposent sans aucun problème et l’on imagine qu’elles
peuvent être improvisées par de bons joueurs, maîtrisant la vélocité et le contrepoint,
tant autrefois qu’aujourd’hui. L’existence de cette superposition incite à penser que
tous les participants aux motets peuvent diminuer. En se contentant de diminuer en
plus les quelques cadences présentes dans les parties de ténor et d’alto, voire quelques
passages, on obtient une improvisation collective assez riche sans jamais remettre en
cause la clarté de l’original [2].
36
Quand et comment diminuer ?
[2] Deux diminutions sur le motet Tota pulchra es de Palestrina (Giovanni Bassano, Motetti, madrigali et
canzoni francese, Venise, Giacomo Vincenti, 1591, volume perdu, ici d’après une copie manuscrite de
Karl Franz Friedrich Chrysander, D-Hs [mb/2488]).
Semplice ou passeggiato 37
38
Quand et comment diminuer ?
Semplice ou passeggiato 39
La diminution de groupe
4 Giovanni Camillo Maffei, Delle lettere del Signor Giovanni Camillo Maffei », op. cit. (transcription de la
lettre sur le chant dans : Nanie Bridgman, « Giovanni Camillo Maffei et sa lettre sur le chant », Revue de
musicologie, t. xxxviii, no 113, 1956, p. 3-34). Cf. Glossaire, rubrique « Règles et conseils ».
40
Quand et comment diminuer ?
Fr. Rognoni donne l’exemple de deux procédés : pour l’un, dans la Canzon del
Mortara passegiata, il propose une diminution qui ne s’écarte quasiment jamais de
l’original qu’il désigne par l’expression : con regola naturale al canto. Dans ce cas, la
diminution virtuose (et celle-ci l’est extrêmement) permet une exécution polypho-
nique d’ensemble. Dans l’autre cas, il appelle non regolate al canto une diminution pour
le violon, quasiment alla bastarda, sur le madrigal Vestiva i colli de Palestrina. Dans
ce deuxième cas, l’exécution est implicitement confiée à un soliste accompagné d’un
instrument polyphonique. Ortiz parle de première et de deuxième manières5. Comme le
montre les exemples ci-dessous, la dernière note de la diminution est la même que la
note support, et l’intervalle diminué est alors parfaitement respecté (première manière).
[4] Exemple de formules de seconde manière construites selon la description de Diego Ortiz.
[5] Exemple de formules de seconde manière construites selon la description de Diego Ortiz.
Les expériences que j’ai tentées m’ont amené à penser que ces diminutions simples,
jouées avec légèreté et élégance, exécutées avec aisance et bien réparties, pouvaient
avoir un effet très fort. De fait, même dans le cadre des exercices de maîtrise de ces
figures dans toutes les parties, l’accumulation de figures simples anime la musique
à condition que les musiciens s’y livrent avec aisance – la sprezzatura 6 (désinvolture
ou nonchalance) n’est-elle pas le signe du musicien accomplit ? Elle qui consiste à ne
jamais montrer ni l’effort fait ni le travail effectué en amont.
5 Diego Ortiz, Trattado de glosas, op. cit. Déjà mentionnées chez Ganassi, les première et seconde manières
sont identiques chez Ortiz.
6 La notion de sprezzatura est introduite en 1528 dans Il Libro del cortegiano de Baldassare Castiglione
(édition moderne : Giulio Carnazzi, éd., Milan, BUR, 2006 ; traduction française : Le Livre du courtisan,
Alain Pons, trad., Paris, Flammarion, 1991). Elle a connu un succès immense pendant deux siècles et
est toujours difficile à traduire : « Una certa sprezzatura, che nasconda l’altre e dimostri ciò che si fa e
dice venir fatto senza fatica e quasi senza pensarvi » (ibid., p. 81, trad. p. 54). Giulio Caccini, quelques
80 années plus tard, considère la sprezzatura comme étant la base de l’attitude du musicien et du chanteur
(Giulio Caccini, « Alcuni avvertimenti », Nuove musiche e nuova maniera di scriverle, Florence, Zanobi
Pignoni, 1614 ; traduction française : Nuove musiche e nuova maniera di scriverle, Jean-Philippe Navarre,
trad., Paris, Éd. du Cerf, 1997). Zenobi y fait également allusion. Cf. Glossaire, rubriques « Accento » et
« Affectation et Grâce ».
Semplice ou passeggiato 41
Il n’y a pas non plus besoin de rechercher l’originalité à tout prix : l’analyse des
motets et des madrigaux diminués par Bassano confirme qu’il n’est pas nécessaire de
recourir à un vocabulaire de diminution très varié. On constate quelque chose d’ana-
logue dans le madrigal de Dalla Casa où toutes les voix sont diminuées : les formules
sont très simples et placées à des endroits logiques : cadences et secondes ascendantes
ou descendantes.
Ces quelques lignes appellent quelques commentaires. Tout d’abord, le fait de
répéter une figure simple, de manière systématique, partout où elle trouve sa place est
une pratique musicale qui va au-delà du moment de l’apprentissage d’un savoir-faire
et de réflexes. Ganassi explique ainsi qu’une bonne diminution est un mélange de
répétition et de variation. C’est la répétition d’une figure qui lui donne son poids et
son impact. Un bon orateur va toujours, ou prendre du temps, ou répéter de la même
manière une figure de style, ou redire la même chose en la variant un peu. D’autre part,
pour revenir au répertoire, il est relativement facile, dans les exemples donnés pour des
madrigaux entiers de faire un catalogue du vocabulaire de formules de certains maîtres
comme Bassano, Dalla Casa et Bovicelli. C’est plus difficile avec les deux Rognoni
chez qui les effets de répétitions et de systématisme sont incorporés à un discours très
volubile et complexe et qui à ce titre, apparaît extrêmement varié. La consultation
d’autres sources7 concernant le plain-chant ou les tablatures de claviers permet de
constater que chaque auteur propose une manière de faire, une sorte de langage, dont
le vocabulaire n’est pas très étendu. On suppose alors que c’est le geste musical qui
différencie les figures et donne sa variété au discours musical.
Dans la pratique de l’improvisation, de la diminution et de l’ornementation, la
recherche de l’originalité et de la personnalisation est souvent le premier obstacle aux
progrès des étudiants : il est difficile d’accepter que simple et beau puissent rimer plutôt
que compliqué et incompréhensible, voire infaisable…
On peut remarquer que le vocabulaire des diminutions de Bassano n’est ni com-
plexe ni très varié [6a]. Du point de vue de la variété, de la complexité et de la virtuo-
sité, il est même en deçà des exemples proposés par Bassano dans son opus de 1585 :
Recercate e passagii [6b].
7 Cf. Antonio Brunelli, Varii, esercitii, op. 11, Florence, Zanobi Pignon, 1614 (édition moderne : Richard
Erig, éd., Zurich, Pelikan, 1977) ; Francesco Severi, Salmi passeggiati (Rome, 1615) (Murray C. Bradshaw,
éd., Madison, A-R, 1981) ; Jakob Paix, Ein schön Nutz unnd Gebreüchlich Orgel Tablaturbuch, Laugingen,
Georg Willers, Leonhart Reinmichel, 1583 (fac simile : Stuttgart, Cornetto Verlag, 2001) ; Johann Woltz,
Nova musices organicae tabulatura, Bâle, Johann Jacob Genath, 1617.
42
Quand et comment diminuer ?
[6a] Figures de diminutions employées par Giovanni Bassano (Giovanni Bassano, « Ave Maria », Motetti,
madrigali et canzoni francese, Venise, 1591).
Semplice ou passeggiato 43
[6b] Figures de diminutions employées par Giovanni Bassano (Giovanni Bassano, « Ave Maria », Motetti,
madrigali et canzoni francese, Venise, 1591).
44
Quand et comment diminuer ?
Les diminutions simples qui suivent à la lettre la ligne mélodique originale (regolate
al canto selon la définition de Fr. Rognoni ou première manière selon Ortiz8) dispensent
de la connaissance du contrepoint. Cette question des connaissances contrapuntiques
est traitée dans presque tous les traités de diminution9. Elle est au cœur des pratiques à
cette époque, tant solistes que collectives. Bien que Bartolomeo Barbarino mentionne
les compétences en contrepoint, il semble que les exemples de diminutions qu’il donne
ne les exigent pas, ses diminutions suivant assez fidèlement la ligne du motet simple :
« Puisque de nombreuses personnes m’ont fait comprendre, que dans mon premier
livre de motets à voix seule, déjà donné à l’impression, quelques-uns d’entre eux réussissent
difficilement s’ils ne sont chantés par qui n’a pas la disposition pour diminuer. Pour cela,
j’ai voulu dans ce second livre faire la partie vocale en deux manières, simple et diminuée.
La simple pour ceux qui n’ont pas la disposition, ainsi que pour ceux qui ont contrepoint
et disposition, pouvant ainsi par eux-mêmes former les diminutions et les autres circons-
tances requises par la bonne manière de chanter. La [version] diminuée ensuite pour ceux
qui, ayant la disposition, n’ont pas le contrepoint [nécessaire] pour former la diminution
comme il se doit selon les règles. Vivez heureux 10. »
Même si la musique de Barbarino (1614) semble hors de notre sujet (ce sont des
compositions dans le style moderne de la seconda pratica et non de la polyphonie de
la prima pratica), l’apport de cette source est précieux. Dans sa préface, Barbarino ne
mentionne aucune différence de tempo entre la version diminuée et la version dotée
d’ornements11 [7]. Il est aussi peu probable que la pratique fut différente pour chanter
la musique de ce dernier ou les motets et madrigaux de Palestrina. De plus son style de
diminution est, à quelques exceptions près, très proche de celui de Bassano.
Semplice ou passeggiato 45
[7a] Forme simple (Bartolomeo Barbarino, « Alma Redemptoris Mater », Secondo libro delli motetti, Venise,
Bartolomeo Magni, 1614).
46
Quand et comment diminuer ?
[7c] Bartolomeo Barbarino, « Alma Redemptoris Mater », Secondo libro delli motetti, Venise, Barto-
lomeo Magni, 1614.
Chez Barbarino, les valeurs rythmiques du motet support sont à peine plus rapides
en moyenne que celles d’un motet de Palestrina. Les syllabes sont supportées quelques
fois par des noires, là où chez Palestrina cette valeur rythmique a un rôle ornemental.
Les diminutions (en tant que telles) proposées par Barbarino sont en fait proches
de celles de Bassano12. De plus, les ornements et diminutions ne sont pas toujours
les mêmes dans la partitura. C’est une indication qu’il n’y a pas lieu d’exécuter cette
musique à la note près. L’ornement et la diminution sont une manière de faire qui n’a
ici pas de fonction rhétorique13.
Les exemples de Fr. Rognoni (le madrigal Io son ferito14, son contrafactum ou les
madrigaux in stile moderno) indiquent clairement que ce sont les mêmes chanteurs et
instrumentistes qui exécutaient toutes ces musiques, profanes ou liturgiques.
12 Du reste, ces deux musiciens sont quasiment contemporains même si l’un semble appartenir au monde
ancien et l’autre à la nouvelle musique.
13 Voir plus loin le chapitre consacré à l’éventuelle dimension rhétorique ou expressive des exemples de
motets diminués que l’on trouve dans les traités.
14 Francesco Rognoni, Selva di varii passaggi, op. cit., 2e partie, p. 55.
Semplice ou passeggiato 47
Les diminutions simples réalisées à partir d’un vocabulaire peu étendu sont « suf-
fisantes », bien que ce fait semble être infirmé partiellement par les exemples de Bovi-
celli ou des deux Rognoni, voire par ceux de Dalla Casa15. Cependant, ces derniers,
en général, relèvent probablement d’une pratique soliste. En effet, dans ces exemples,
la virtuosité et l’inventivité sont poussées très loin et paraissent exclure une pratique
de groupe.
Bassano, par contre, ne précise pas si ses diminutions sont destinées à des solistes
ou à un groupe de musiciens. Le style de diminution pour soprano ou basse qu’il
propose sur les mêmes motets permet d’exécuter ensemble les deux diminutions sans
le moindre problème. Contrairement aux autres auteurs de traités de diminution, Bas-
sano publie une anthologie de motets diminués qui forme une collection de pièces
indépendante de son ouvrage et qui sont aujourd’hui données au concert.
L’exemple tiré ci-dessous du traité de Dalla Casa [8] confirme l’idée qu’il y eut
deux manières de concevoir la diminution. Ses exemples, nombreux et très virtuoses,
sont sûrement destinés à un soliste. Par contre, ses diminutions vocales sont plus sages,
la contrainte du texte ayant peut-être incité à la retenue. De plus, Dalla Casa est aussi
le seul auteur qui donne des exemples où toutes les parties sont diminuées. Cet unique
exemple est vocal, il s’agit d’un madrigal de Cipriano De Rore en quatre parties (et à
quatre voix). Les diminutions, simples et similaires à celles de Bassano16, y forment
une sorte de dialogue entre les voix. C’est ce genre de diminution de groupe qu’il est
aujourd’hui facile de réaliser pour un motet si chacun diminue aux meilleurs endroits
de sa partie avec des figures simples et en suivant strictement sa ligne.
Comme nous l’avons déjà évoqué, nos expériences de diminutions et d’improvi-
sation de groupe confirment les conseils de modération de Maffei qui suggère de ne
diminuer que les cadences dans chaque voix et de ne pas adopter plus de quatre ou cinq
diminutions par voix et par composition17, ce qui du reste s’avère presque redondant.
Selon le sens que l’on donne au mot cadence, on trouve souvent dans chaque voix
d’un motet de Palestrina quatre à six cadences18. Il semble très facile, grâce à un peu
d’habitude et à une écoute soutenue, de faire de plus en plus de diminutions que celles
mentionnées ci-dessus et de trouver une « juste mesure » pour ne pas trop en faire,
notion qui reste évidemment très subjective. Mais quand cette « juste mesure » est
atteinte (comme dans l’exemple de Dalla Casa à quatre parties diminuées), il devient
alors difficile de réduire leur nombre. La question de la diminution est une fois de plus,
tant pour le joueur que l’auditeur, une question d’habitude.
Au cours des ateliers, nous n’avons jamais réussi à faire « trop de diminutions »,
d’après la formule de Bottrigari19. Par contre, il a été fréquemment constaté que peu de
diminutions mal réalisées détruisent effectivement la composition ! Le problème réside
au moins autant dans la « qualité » de la diminution, c’est-à-dire la manière dont elle
est réalisée et la relation qu’elle entretien avec le texte (sacré ou profane), que dans sa
48
Quand et comment diminuer ?
[8] Diminutions de Girolamo Dalla Casa sur le madrigal A la dolce ombra de Cipriano di Rore
(Girolamo Dalla Casa, Il vero modo di diminuir, Venise, Angelo Gardano, 1584, p. 38).
quantité. Un autre auteur évoque exactement le problème posé à la fois par la quantité
de diminutions et son rapport à « l’original » ainsi que par l’importance de la diminu-
tion dans sa fonction d’animer la musique :
« Je vais vous raconter une autre facétie sauvage. M. Giovanni Iacopo Buzzino jouait
le soprano sur sa viole, comme il le fait miraculeusement, lorsque quelqu’un qui voulait
donner son opinion dit au beau milieu du morceau : « Oh Monsieur, bougez les doigts plus
tranquillement, car c’est laid de voir bouger autant les doigts sur le manche ! » Celui-là
supportant son insolence commença à jouer sans diminuer. Le balourd entendant l’har-
monie manquer, et ayant honte de lui dire de bouger à nouveau les doigts, ou plutôt ne
sachant pas qu’ils étaient [la raison du] son, [dit] présomptueusement : « jouez un peu tous
pour danser20 ! »
20 « Et vi vo dire un’altra facetia salvatica. M. Giovan Iacopo Buzzino sonando di violone il soprano, come
egli fa miracolosamente, un che pareva da qualcosa gli dice nel bel mezzo del sonare : ”Ò Signore menate le
dita più adagio, che fa brutto vedere menare tanto le dita sopra il manico.” Et egli sopportando la insolentia
sua cominciò a sonare senza diminuire, perché il goffo sentendo mancare l’armonia, vergognandosi a
dirgli che menasse pur le dita, o più tosto non sapendo, che si fusse suono, disse presontuosamente :
”Sonate un poco tutti, da ballare” » (Antonfrancesco Doni, Dialogo della musica, Venise, Girolamo Scotto,
1544, p. 6v – édition moderne : Gian Francesco Malipiero, éd., Vienne, Universal Edition, 1965).
Semplice ou passeggiato 49
Précisions enfin que la pratique de la diminution telle que la décrivent les sources
de la fin du xvie siècle concerne une période en pleine mutation. Dans ce contexte, il
faut reconsidérer ce que nous appelons prima et seconda pratica21. Les deux expressions
désignent d’abord la manière d’écrire et de concevoir la musique22. Les musiciens des
années 1600 ont-ils joué (de la même manière ?) ces deux formes de musiques23 ? Pour
une part, probablement oui car on ne change pas si facilement un geste musical pra-
tiqué durant de longues années24.
Les sources attestent que la pratique usuelle à la chapelle papale était d’employer
un chanteur par voix26. Mais dans certaines circonstances (les grandes fêtes religieuses)
il est évident que les parties étaient doublées par plusieurs chanteurs ou par un ins-
trumentiste. Dans le cas de la pratique du motet où les voix supérieures sont confiées
à des enfants, ceux-ci étaient au moins trois par parties, voire six. Il est peu probable,
dans ce cas, que ces derniers aient exécuté des diminutions et faits des ornements. La
question de la pertinence de la diminution dans un tel contexte n’a malheureusement
pas été expérimentée lors de nos ateliers, faute d’effectif.
Ce genre d’expérience est constamment pratiqué et toléré, dans certaines limites,
dans la vie professionnelle contemporaine mais jamais avec des tempi qui autorisent
les diminutions présentes dans les traités. Les possibilités sont alors réduites. Malgré
tout, il est toujours possible de « ruiner la composition » par des diminutions non
appropriées. Une autre chose est rarement pratiquée : la séparation des chanteurs et
des instrumentistes jouant la même voix, comme cela est relaté dans de nombreuses
chroniques qui mentionnent parfois jusqu’à douze chœurs, doublés ou triplés et dis-
tribués dans l’espace27. La dissociation des exécutants produit plus de clarté en créant
21 Ce sujet mériterait à lui seul d’être traité à part afin d’évaluer ce que représentent, à cette époque, ces deux
notions du point de vue des praticiens.
22 Le mot pratica renvoie à l’écriture contrapuntique, autrement dit à la pratique de la musique appliquée et
vue du point de vue compositionnel.
23 La nouvelle musique n’est pas seulement celle issue de la réforme voulue par les humanistes florentins.
C’est un changement de goût général qui est cependant, en ce qui concerne les attitudes esthétiques et
les pratiques d’exécution, ancré dans la Renaissance tardive. Le texte de Giustiniani permet de jeter un
autre éclairage sur la distinction souvent trop simple faite entre prima et seconda pratica, stile moderno et
stile antico. Giustiniani mentionne aussi que le nouveau goût et les nouvelles manières de faire, d’orner et
de diminuer remontent aux années 1575. Cf. Glossaire, rubrique « Solo ».
24 Luigi Zenobi, The Perfect Musician, op. cit. ; Cf. Glossaire, rubrique « Règles et conseils ».
25 Cf. Glossaire, rubrique « Doublure et Colla parte ».
26 Jean Lionnet, « Performance practice in the Papal Chapel during the 17 th century », op. cit. ; Richard
Sherr, « Performance practice in the Papal chapel during the 16th century », op. cit.
27 La musique polychorale est régulièrement en usage à la Cappella Giulia de Saint-Pierre de Rome (dont
Palestrina était maître de chapelle) pour les fêtes solenelles des vêpres de Saint-Pierre et Saint-Paul
(29 juin) et pour celle de la dédication de la basilique (18 novembre) dès les années 1570 – voir : Arnaldo
Morelli, « Musica nobile e copiosa di voci et istromenti. Spazio architettonico, cantorie et palchi in
relazione ai mutamenti di stile e prassi nella musica da chiesa fra Sei e Settecento », Markus Engelhardt,
éd., Musik in Rom im 17. und 18. Jahrhundert. Kirche und Fest, Laaber, Laaber-Verlag, 2004, p. 293-334 ;
Aleksandra Patalas, Marina Toffetti et Antonio Lovato, éd., La Musica policorale in Italia e nell’Europa
centro orientale fra Cinque e Seicento, Venise, Levi, 2012 ; Jean Lionnet, « Les musiques polychorales
romaines. Problèmes d’interprétation », Danilo Curti et aliud, éd., La Scuola policorale romana del
Sei-Settecento. Atti del convegno internazionale in memoria di Laurence Feininger, Trente, Provincia
Autonoma di Trento, 1997, p. 103-118 ; Anthony F. Carver, Cori spezzati. The Development of Sacred
Polychoral Music to the Time of Schütz, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, 2 vol.
50
Quand et comment diminuer ?
In compagnia28
Cela amène à poser la question de l’entourage du soliste et du lieu où se développe
la diminution. Les diminutions très virtuoses, alla bastarda, pour un soprano vocal ou
instrumental (par exemple chez Bovicelli et Fr. Rognoni) semblent être réservées à
une pratique soliste où les autres voix de la polyphonie peuvent être exécutées par un
clavier ou un luth réalisant une tablature29. Les supports d’inspiration de ces diminu-
tions ne sont jamais présents dans les traités. Les joueurs de claviers et les luthistes les
jouaient-ils par cœur ? Les musiciens connaissaient-ils tous ce répertoire de mémoire
au point de pouvoir improviser à partir de lui30 ? Une diminution simple (telle que
l’écrit Bassano) semble s’accommoder d’un entourage plus important (mélange voix/
instruments ou groupe de chanteurs mais toujours un par voix). Restera à chacun de
« concerter » malgré tout avec le soliste, en faisant un minimum d’ornements et de
diminutions, avec un son flexible qui permet au discours musical de demeurer lim-
pide pour l’auditeur… pourvu qu’il ait été compris par les exécutants. Ne « rien faire »
semble exclu, ou en tout cas ne signifie peut-être pas la même chose qu’aujourd’hui :
« [Le soprano] doit savoir chanter simplement, c’est-à-dire sans aucune diminution, mais seule-
ment avec grâce, trillo, tremolo, ondeggiamento et esclamatione31 . »
Semplice ou passeggiato 51
Da cantar in compagnia, & anco con il liuto solo33
[9] Diminutions de Girolamo Dalla Casa sur le madrigal Beato me direi de Cipriano de Rore
(Girolamo Dalla Casa, Il Vero modo di diminuir, Venise, Angelo Gardano, 1584).
52
Différents aspects de la diminution
Chapitre 3
Différents aspects
de la diminution
Alla bastarda est le terme employé pour désigner un style de jeu soliste et virtuose
pratiqué avec un type de viole spécifique en Italie entre 1570 et 16302. L’expression est
employée par extension pour définir un style de diminutions qui s’applique également
à l’orgue, au luth, à la harpe et à d’autres instruments similaires3. Dans tous les cas,
les voix de la polyphonie sont réduites pour être jouées par un seul instrument et les
diminutions passent d’une voix à l’autre de la polyphonie.
Par analogie, Fr. Rognoni appelle aussi alla bastarda une diminution pour une
voix ou un instrument qui, tout en suivant une des lignes de la polyphonie primitive,
touchera de temps à autre les points d’appui mélodiques des autres voix. Fr. Rognoni
emploie également l’expression non regolate al canto dans des cas similaires, visiblement
selon le degré de liberté pris par rapport à la ligne initiale. Signalons enfin que les
diminutions alla bastarda se déploient généralement dans un ambitus très large [10] :
Les quelques soucis rencontrés aujourd’hui pour faire coïncider une diminution de
Bovicelli (Io son ferito de Palestrina) ou de Fr. Rognoni (Vestiva i colli de Palestrina tou-
jours) et les madrigaux originaux sont le signe que ces auteurs, comme leurs collègues,
se préoccupaient peu de l’exacte concordance des deux textes. Le même phénomène
s’observe aussi dans la sonate a canto e basso de Selma y Salaverde4 sur ce même Vestiva
i colli est dotée d’une simple voix de continuo et oblige à une sorte de simplification
harmonique, bien que les deux voix solistes donnent l’impression de suivre chacune
une voix du madrigal.
Semplice ou passeggiato 53
Le style alla bastarda est plus spécifiquement instrumental mais une diminution
pour ténor sur le Pulchra es de Palestrina a été écrite par Fr. Rognoni qui s’applique
aux parties de basse et de ténor du motet. Elle semble liée à la mode (mentionnée par
Zenobi et Giustiniani) des chanteurs basses appelés basso alla bastarda capables de
couvrir une tessiture de 22 notes en passant de la voix de poitrine à celle de falsetto5,
ce qui revient à pouvoir chanter tout autant dans la tessiture de basse que dans celle de
ténor. Une fois encore, la musique polyphonique de Palestrina a été le support d’une
pratique qui est très loin des usages et des conceptions contemporaines.
Nous avons vu plus haut que les diminutions proposées par Bartolomeo Barbarino
sont la manifestation d’un geste musical et d’un savoir-faire dans lesquels l’éloquence
intrinsèque des figures écrites ne joue pas un rôle capital. De manière générale, les
diminutions ne comportent pas de figures adhérant systématiquement au discours poé-
tique. Il arrive parfois qu’une figure semble illustrer le texte ; par exemple, la montée de
la diminution de violon sur les mots Io moro de Fr. Rognoni dans Io son ferito exprime
(peut-être) l’ascension de l’âme au ciel. Mais les sources les plus anciennes n’établissent
pas de rapport explicite entre les figures musicales et le texte ; ainsi il est très difficile
de trouver une dimension « signifiante » aux figures écrites dans les exemples de Dalla
Casa ou de Bassano, ce qui ne veut évidemment pas dire que ces joueurs n’avaient pas
le texte en tête en réalisant leur diminution sur l’instrument.
Les traités mentionnent tous que les formules de diminutions doivent être adap-
tées aux circonstances et au sens du texte sans donner plus de détails. Toutefois, l’exis-
tence de contrafactum (un madrigal sur lequel on place des paroles sacrées) laisse penser
que la diminution est un embellissement dynamique plutôt que rhétorique qui peut
donc se dispenser d'une relation étroite au texte. On constate même que certains édi-
teurs n’éprouvent pas toujours le besoin de le fournir sous la musique. Ainsi, dans les
collections de chansons françaises arrangées pour instruments en Italie6, le texte n’a
jamais été édité en Italie pour certaines pièces (Frais et Gaillard).
Entre 1600 et 1630, d’innombrables concerti ecclesiastici sont composés, qui sont soit
des collections d’auteurs, soit des anthologies. À quelques exceptions près (motets de
Monteverdi, de Fr. et D. Rognoni ou d’Antonio Brunelli), ces motets ne font l’objet
d’aucune diminution digne de ce nom, c’est-à-dire comportant des doubles-croches,
la croche étant devenue un mélisme usuel qui s’écrit à partir de cette époque. En
revanche, chez les musiciens qui recourent à la diminution (Monteverdi, Rognoni,
Brunelli, etc.), les figures sont particulièrement soignées et signifiantes.
5 Luigi Zenobi, The Perfect Musician, op. cit. ; Vincenzo Giustiniani, « Discorso sopra la musica », op. cit. ;
Richard Wistreich, « ”La voce è grata assai, ma...” Monteverdi on Singing », Early Music, vol. 22, 1994,
p. 7-19 ; Richard Wistreich, Warrior, Courtier, Singer. Giulio Cesare Brancaccio and the Performance of
Identity in the Late Renaissance, Aldershot, Ashgate, 2007, p. 193-217.
6 Musica de diversi autori. La Bataglia francese et Canzon delli ucelli insieme alcune canzoni francese, partite in
caselle per sonar d’instromento perfetto, Venise, Antonio Gardano, 1577 ; Canzon di diversi per sonare con ogni
sorte di stromenti a quatro, cinque e sei voci. Libro primo, Venise, Giacomo Vincenti, 1588.
54
Différents aspects de la diminution
D’un autre côté, dans la préface de ses Concerti ecclesiastici7, Giovanni Paolo Cima
recommande de ne pas diminuer et de n’utiliser que les trilli et accenti. Par contre, les
formules virtuoses, qui sont écrites à partir du début du xviie siècle de façon idio-
matique et sont destinées à un instrument précis, sont de plus en plus intégrées à la
composition, écrites en toutes notes alors qu’elles étaient auparavant ajoutées par le
musicien à partir de conventions d’improvisation orales. Les intentions rhétoriques
tendent, elles aussi, à être fixées par l’écriture, que ce soit dans les pièces profanes
virtuoses – citons entre autres les madrigaux d’Annibale Gregori8 (xvie siècle-1633),
Antonio Cifra9 (1584-1629), Francesco Dognazzi10 (1603-1643) ou les sonates de Biagio
Marini11 ou Giovanni Battista Fontana12.
L’exemple le plus frappant de l’ambiguïté du rôle de la diminution autour de 1600
est sans aucun doute le « Possente spirto » au début du troisième acte de l’Orfeo de Mon-
teverdi [11]. Le compositeur donne dans l’édition originale la partie simple et la partie
ornée de cette incantation produite par Orfeo lorsqu’il veut entrer aux enfers en ten-
tant de séduire Caronte par la grâce de son chant. Quelle est la volonté de Monteverdi
quand il décide de publier à la fois la ligne simple et sa diminution virtuose ? Sou-
haite-t-il donner un exemple du type d’ornementation et de diminution que cet air
doit recevoir en laissant au chanteur la possibilité de concevoir par ailleurs la sienne
propre ? Ou bien désire-t-il indiquer au chanteur qu’il doit faire « exactement » cette
diminution/ornementation telle qu’elle est notée (ce qui lui donne au passage des clés
pour comprendre la construction de l’air) ?
7 Giovanni Paolo Cima, Concerti ecclesiastici, a una, due, tre, quattro voci con doi a cinque, et uno a otto, Milan,
eredi di Simone Tini e Filippo Lomazzo, 1610.
8 Voir, entre autres : Annibale Gregori, Ariosi concenti cioè Ciaccona, Ruggieri, Romanesca, più arie a una et
a 2 voci da cantarsi nel gravicembalo o tiorba, op. 9, Venise, Bartolomeo Magni, 1635.
9 Antonio Cifra, Li diversi scherzi, a una, a due et tre voci, libro primo, op. 12, Rome, Giovanni Battista
Robletti, 1613 ; Li diversi scherzi a una, due et tre voci, libro secondo, op. 14, Rome, Giovanni Battista Robletti,
1613 ; Li diversi scherzi a due, a tre et quattro voci, libro quinto, op. 23, Rome, Giovanni Battista Robletti, 1617.
10 Francesco Dognazzi, Il Primo libro de varii concenti a una et a due voci, per cantar nel chitarrone o altri simili
istrumenti, Venise, Stampa del Gardano aere Bartholomaei Magni, 1614.
11 Biagio Marini, Sonate, symphonie, canzoni, passemezzi, baletti, corenti, gagliarde e retornelli per ogni sorte
d’instrumenti, op. 8, Venise, Bartolomeo Magni, 1626 (fac simile : Florence, SPES, 1984).
12 Giovanni Battista Fontana, Sonate a 1, 2, 3 per il violino o cornetto, fagotto, chitarrone, violoncino o simile
altri strumenti, Venise, Magni, 1641.
Semplice ou passeggiato 55
[11] Claudio Monteverdi, « Possente spirto », L’Orfeo. Favola in musica, acte iii, scène unique
(Venise, Riccardo Amadino, 1609).
56
Différents aspects de la diminution
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58
Différents aspects de la diminution
Semplice ou passeggiato 59
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Différents aspects de la diminution
13 « Et i passaggi loro non sono di quei cosi tritellati, et cosi furosi, et continouati, che guastino, et che
distruggano l’aere principale, che si è sforzato ingegnosamente di dare quel valente componitore alla sua
cantilena, che vien sonata: ma sono à tempo, et luogo con si leggiadra vivacità tirati, che à quella rendono
ornamento, et Spirito grandissimo » (Ercole Bottrigari, Il Desiderio, op. cit., p. 49) ; voir également
l’éloge par Bottrigari des diminutions réalisées par les nonnes de Ferrare (Ercole Bottrigari, Il Melone,
discorso armonico et Il Melone secondo, Ferrare, Vittorio Baldini, 1602 – fac simile : Bologne, Forni, 1969).
14 « Ma ora veggendo andare attorno molto di esse lacere, e guaste, e in ostre malamente adoperarsi quei
lunghi giri di voci semplici, e doppi, cioè raddopiate intrecciate l’una nell’altra ritrovate da me per isfuggire
quella antica maniera di passaggi che gia si costumarono, piu propria per gli strumenti di fiato, e di corde,
che per le voci, … » (Giulio Caccini, Le Nuove musiche, Florence, Marescotti, 1601 [i. e. 1602, traduction
française : Joël Heuillon et Francis Saura, « Cahiers GKC », La Musique éloquente, vol. 2, 1993).
15 « ...ma perche di sopra io ho detto essere malamente adoperati quei lunghi giri di voce, è d’avvertire, che
i passagi non sono stati ritrovati per che siano necessarii alla buona maniera di cantare, ma credo io più
tosto per une certa titillatione à gli orecchi di quelli, che meno intendono, che cosa sia cantare con affetto,
che se ciò sapessero indubitamente i passaggi sarebbono abboriti, non essendo cosa piu contraria di loro
all’affetto, onde per ciò ho detto malamente adoperarsi que lunghi giri di voce, però che da me sono stati
introdotti così per servirsene in quelle musiche meno affettose, e sopra sillabe lunghe, e non brevi, et in
cadenze finali, non facendo di mestieri nel resto » (ibid.).
Semplice ou passeggiato 61
rhétoriques dans l’éloquence aux ”passaggi”, ”trilli” et autres semblables ornements
que ça et là, à bon escient, l’on peut introduire pour l’expression des passions16. »
De nos jours, la question se pose des procédés à utiliser pour retrouver la dimen-
sion oratoire vivante des répertoires du tournant des xvie et xviie siècles. Pour nombre
de musiciens spécialisés dans la musique ancienne, cela revient à produire « une inter-
prétation romantique17 », expression éminemment péjorative dans leur bouche, bien
entendu. Il ne vient pourtant à l’idée de personne de qualifier les interprètes des tra-
ditions indiennes, tziganes ou encore du jazz de « romantiques » sous prétexte qu’ils
cultivent l’expressivité quels que soient d’ailleurs les procédés techniques dont ils se
servent.
Il nous reste donc à trouver, derrière l’apparente neutralité des figures de diminu-
tion des traités de musique de la Renaissance, notamment derrière celles qui sont les
plus virtuoses et les plus rapides (chez Dalla Casa et les deux Rognoni), comment faire
en sorte que leur exécution soit vivante, quitte à prendre à rebrousse poil l’idée que l’on
se fait aujourd’hui de ce que devait être la musique du passé. Cela passe naturellement
en premier lieu par une connaissance intime du motet ou du madrigal, texte compris,
destiné à être diminué, et en second lieu par le choix d’un mode de jeu adéquat en
veillant à l’adéquation entre tempo, type de tenue du son, articulation des notes, arti-
culation des figures entre elles (ce qu’on appelle le phrasé) et variété du jeu agogique.
16 « Nella quale eloquenza alle figure, e à i colori rettorici assimiglieri, i passaggi, i trilli, e gli simili ornamenti
che sparsamente in ogni affetto si possono tal’ora introdurre » (Giulio Caccini, Nuove musiche e nuova
maniera di scriverle, op. cit., traduction française : Joël Heuillon et Francis Saura, « Cahiers GKC », La
Musique éloquente, vol. 2, 1993).
17 Le terme romantique n’est pas pris ici dans son sens historique (nous serions surpris d’entendre la
musique comme elle était jouée autour de 1850) mais selon le sens commun que les musiciens et nombre de
mélomanes lui donnent.
62
Le chanteur et la diminution
Chapitre 4
Le chanteur
et la diminution
1 Dans la polyphonie ancienne, la grande quantité de madrigalismes et d’illustrations du texte par des
figures musicales imagées n’en fait pas pour autant un art proche de celui rêvé par le comte Bardi et par les
humanistes florentins de son cénacle. Par ailleurs, il faut reconnaître à Palestrina un art consommé de la
mise en polyphonie des textes puisque chez lui la prosodie semble fonder le contrepoint.
2 Dans le cinquième livre, on commence à trouver des diminutions écrites qui relèvent de la nouvelle
manière d’écrire la musique et ne laissent plus aux interprètes la liberté de diminuer.
3 Claudio Monteverdi, Scherzi musicali a tre voci, Venise, Riccardo Amadino, 1607, avec un commentaire
de Giulio Cesare Monteverdi qui publie le volume.
Semplice ou passeggiato 63
supportera un discours très animé4. Presque à la même époque, Mersenne affirme
qu’il est possible de chanter sept syllabes à la seconde5, ce qui semble être une limite
de vitesse de prononciation, du reste équivalente à ce que font les chanteurs dans ce
célèbre Combattimento di Tancredi e Clorinda [12]. Cela ne changera en rien les valeurs
de la virtuosité extrême : hors prosodie, la limite restera la triple-croche ce qui revient
à trente-deux notes par ronde. Cent ans auparavant chez Ganassi (que Mersenne cite
encore en exemple aux chantres de son époque6), la limite était à peine différente :
vingt-huit notes par ronde dans la regola terza.
[12] Claudio Monteverdi, « Il Combattimento di Tancredi e Clorinda », partie vocale et continuo
(Madrigali guerrieri et amorosi. Libro ottavo, Venise, Giacomo Vincenti, 1638).
À partir de tout ce qui précède, nous devons essayer d’imaginer qu’un autre rapport
entre texte et musique que celui auquel nous sommes habitués a pu exister, et ce autant
pour les motets que pour les madrigaux. Le texte, souvent de grande qualité, devait
être dit et savouré tant par le chanteur que par les auditeurs7. La clarté et l’efficacité
éloquente étaient de toute évidence favorisées par un tempo de déclamation proche
4 Claudio Monteverdi, « Il combattimento di Tancredi e Clorinda », Madrigali guerrieri et amorosi.
Libroottavo, Venise, Giacomo Vincenti, 1638.
5 « Quant au premier poinct, il est aisé de determiner combien l’on doit prononcer de syllabes dans un
sermon d’une heure, car l’experience enseigne que la plus viste prononciation ne doit estre que de sept
syllabes dans une seconde minute, comme sont celles-cy, Benedicam Dominum, et consequemment que
l’on ne peut tout au plus prononcer que 25 200 syllabes assez fort pour se faire entendre clairement et
distinctement aux auditeurs... » (Marin Mersenne, Harmonie Universelle, op. cit., livre vii, De l’utilité de
l’ harmonie, p. 7).
6 Marin Mersenne, Harmonie Universelle, op. cit., livre vi, De l’art de bien chanter, p. 356-358. Mersenne
évoque la possibilité de jouer 64 notes à la semibrève (Marin Mersenne, Harmonie universelle, op. cit.,
livre vi, Des orgues, p. 393).
7 L’idée que le texte doit demeurer compréhensible est un leitmotiv des sources décrivant l’art du chant, ce
qui n’est plus nécessairement la priorité des artistes lors des concerts modernes.
64
Le chanteur et la diminution
« Ceux qui n’ont pas la commodité de voyager, peuvent du moins lire Jules Caccin,
appellé le romain, qui feit imprimer un livre de l’Art de bien chanter, à Florence en l’an
1621, dans lequel il distingue les passages propres aux instruments d’avec ceux qui servent
à la voix, et divise les principales beautez des Chants en augmentation & affoiblissement
de la voix, ce qui s’appelle crescere, scemare della voce, en exclamation, & en deux sortes de
passages, qu’ils nomment trillo & gruppi, lesquels respondent à nos passages, fredons,
tremblements, & batements de gorge10.... »
Place du texte
Semplice ou passeggiato 65
Qui a diminué quoi ?
13 Notons une nouvelle fois que tous les traités de diminutions mentionnent la voix humaine, même ceux
qui sont clairement destinés à des instruments, comme on le constate, par exemple, dans le titre de
l’ouvrage de Ganassi : Œuvre intitulée Fontegara laquelle enseigne à jouer de la flûte avec tout l’art inhérent à
cet instrument surtout la diminution, qui sera utile à chaque instrument à vent et à cordes : et également à celui
qui se plaît à chanter (Silvestro Ganassi, Opera intitolata Fontegara, op. cit.).
14 Giovanni Battista Bovicelli, Regole, passaggi di musica, op. cit.
15 Giulio Caccini, Le Nuove musiche, 1602, op. cit., p. 5.
66
Le chanteur et la diminution
[13] Girolamo Dalla Casa, Il Vero modo di diminuir, Venise, Angelo Gardano, 1584.
16 Néanmoins selon les conseils de Bovicelli, les chanteurs doivent également être en mesure d’introduire
des intervalles dans leurs diminutions (Giovanni Battista Bovicelli, Regole, passaggi di musica, op. cit.).
Ce qui est confirmé par les conseils de Zenobi, qui parle des sauts divers et syncopes que le chanteur doit
savoir improviser (Luigi Zenobi, The Perfect Musician, op. cit.).
Semplice ou passeggiato 67
La première partie de l’ouvrage de Riccardo Rognoni est constituée exclusivement
d’exercices ; la deuxième ne contient pas de tavola et ne fournit que très peu d’indi-
cations sur les exemples17 [14]. Un court commentaire s’intercale entre les versions
vocales et instrumentales pour dessus de Ancor che col partir18. Cette courte explication
donne une indication supplémentaire au sujet de la conception de l’art de la dimi-
nution et de sa pédagogie. Les madrigaux, motets et chansons des traités sont des
exemples à mémoriser pour y replacer les formules apprises. Ce qui peut changer notre
idée de ce qu’était une diminution et inviter à distinguer clairement cet art de celui
de l’improvisation tel qu’on se l’imagine souvent. L’idée n’est alors pas de créer une
nouvelle composition par la diminution : les motets ou les madrigaux très ornementés
(ou dotés des seuls ornements nécessaires, comme le suggère Zenobi) ne sont qu’une
variante de la même œuvre dont l’identité n’est pas remise en cause. Improviser, à la
Renaissance, ne veut pas dire qu’il y ait création ex nihilo.
[14] Riccardo Rognoni, Passaggi per potersi essercitare nel diminuire, Venise, Giacomo Vincenti, 1592.
17 La première partie du traité est intitulée : « Passages pour pouvoir s’exercer » ; et la seconde : « La vraie
manière de diminuer » (Riccardo Rognoni, Passaggi per potersi esercitare, op. cit., page de titre).
18 Ibid., p. 43.
68
Le chanteur et la diminution
[15] Francesco Rognoni, Selva de varii pas- [16] Francesco Rognoni, Selva de varii passaggi
saggi secondo l’uso moderno, Milan, Filippo secondo l’uso moderno, Milan, Filippo Lomazzo, 1620.
Lomazzo, 1620.
Semplice ou passeggiato 69
Après les cinquante-quatre pages d’exercices divers (et difficiles) de la deuxième
section, nous trouvons mentionné les indications suivantes :
1. Manière de diminuer avec art et maîtrise « Io son ferito », « Ahi lasso »
de Palestrina.
2. À la Révérende Madame Gracia Ottavia Crivelli du Monastère de Santa
Margherita. Manière de diminuer avec une règle naturelle au chant,
Canzona d’[Antonio] Mortaro, detta la Portia.
3. Manière de diminuer avec diverses inventions qui ne sont pas soumises
aux règles du chant, « Vestiva i colli » de Palestrina.
4. Manière de diminuer au violon ou au trombone alla bastarda, Susanna
d’Orlando [di Lasso].
5. Manière facile de diminuer sur la viola bastarda ou autre instrument,
Susanna d’Orlando [di Lasso].
6. À Monsieur Paolo Stainhaufer, façon difficile de jouer alla bastarda,
Vestiva i colli pour la viole.
7. Musiques du très illustre Monsieur Ottavio Valeria, qui les a chantées
avec les mêmes diminutions, Sfogava con le stelle.
8. Musiques du très illustre Monsieur Ottavio Valeria, qui les a chantées
avec les mêmes diminutions, Tempesta di dolcezza.
Les motets et madrigaux mentionnés ici ne sont toutefois pas intégrés dans l’ou-
vrage, probablement parce qu’ils sont alors très célèbres. Deux compositions modernes
se trouvent à la fin de l’ouvrage et attestent de l’unité de la manière de diminuer
des répertoires différents (nos 7 et 8 ci-dessus). Les dédicaces d’un des motets de la
première partie (Quanti mercenarii), du madrigal (Io son ferito) et de la canzona de la
deuxième partie (Canzon del mortaro) attestent de l’enracinement de la pratique de la
diminution dans la vie sociale et religieuse de l’époque. La pratique musicale dans les
monastères semble d’ailleurs avoir été d’un niveau très élevé comme le laisse entendre
un texte d’Ercole Bottrigari :
« Al[emanno] : Quand [la maîtresse de chœur] a vu et jugé que toutes ses consœurs
sont prêtes, sans aucun signal perceptible, elle donne le départ puis poursuit, au gré de la
battue à laquelle les autres obéissent en chantant, en jouant. […] Si suave est l’harmonie
qui parviendrait à vos oreilles qu’il vous semblerait, ou bien être vous-même transporté
jusque là-bas, ou bien d’Hélicon jusqu’ici, parmi les chœurs des muses, qui chantent et
jouent d’un instrument.
Gr[atioso] D’autant plus je m’afflige et me ronge d’ignorer où se dissimule cet Hélicon,
et quelles sont ces muses. Dites-le moi maintenant si ne voulez que je me pâme.
Al. Voici que Ferrare sera votre Parnasse, l’Hélicon sera l’église de San Vito, et les
Muses sacrées seront les révérendes sœurs.
Gr. Les sœurs de San Vito à Ferrare donnent donc de tels concerts ? […]
Gr. Apprendre le chant et plus encore les instruments (surtout les vents), sans maître
ne se peut. Peut-être ne jouent-elles pas les cornets et les trombones, parce que ce sont là
les plus ardus parmi les instruments, ou aussi parce qu’elles sont femmes.
Al. Détrompez-vous. Presque toujours on use là de ces deux instruments pour dou-
bler la voix dans les musiques de fête. Elles les jouent avec tant de grâce, de noblesse,
de justesse et d’éclat que même ceux que l’on les considère excellents dans ce métier,
confessent que nul à ce miracle ne saurait ajouter foi sans les avoir vues ni entendues.
En outre leurs ornementations ne sont ni confuses, ni forcenées, ni incessantes. Ainsi ne
70
Le chanteur et la diminution
À partir de ces différentes données, nous pouvons avancer l’hypothèse que, bien
qu’il soit admis que les instruments doivent imiter la voix humaine, leurs improvisa-
tions et leurs diminutions sont spécifiques. Du reste, des différences notoires rendent
inchantables certaines diminutions instrumentales. Le traitement de la voix, ordinaire
chez Fr. Rognoni (un instrumentiste) et Bassano22 (instrumentiste mais aussi chanteur
et compositeur), est radicalement différent chez Bovicelli (exclusivement chanteur).
Seul Fr. Rognoni écrit dans un style vocal proche de celui de Bovicelli et extrêmement
virtuose. Tout cela inciterait à penser qu’un certain style virtuose avait mûri qui s’étei-
gnit à la suite de la perte de la prépondérance de la polyphonie comme style musical
de référence. La virtuosité dans les œuvres religieuses ultérieures sera plus mesurée
comme on le constate dans les motets de Bartolomeo Barbarino (1614) mais aussi dans
la musique religieuse de Monteverdi. La virtuosité et les techniques sophistiquées
d’ornementation qui en sont le complément (ou l’alternative) survivront au xviie siècle
essentiellement dans des œuvres profanes.
21 « Al. Ultimamente la Maestra del Concerto assidersi dall’altro capo di essa tavola, et con una lunga, et
sottile, et ben polita verghetta a lei già davanti apparecchiata, poi che ha veduto, et chiaramente conosciuto
tutte le altre sirocchie esser in acconcio dar loro, senza strepito alcuno segno dello incominciare, et d’indi
poi seguentemente dalla misura del tempo; alla quale esse hanno in così cantando, et sonando da obedire.
[...] Et udireste certamente uscirne un’armonia tale, che vi parrerebbe, o d’esser voi stesso rapito colà, od
Elicona, insieme con tutto il coro delle Muse cantanti, et sonanti esser stato trasportato costà. / Gr. Voi
mi state poi a dire, ch’io non mi affliga, et ch’io non mi strugga, et tuttavia somministrate causa maggiore:
ond’io maggiormente abbia da affliggermi, et da struggermi per intender prestamente, dove sia questo
Elicona, et quali siano queste Muse: ditemelo omai, se non volete ch’io mi spasimi. / Al. Orsù Parnaso
vi sarà Ferrara; Elicona, et Santo la Chiesa di san Vito; et le sacre Muse quelle Reverende Monache. /
Gr. Adunque le Monache di San Vito in Ferrara fanno tai Concerti ? [...] Bene stà quant’all’universale de’
suoi concenti: ma quanto al particolar dell’apprender il modo del cantare, et più del sonare gli strumenti,
et massimamente da fiato egli è, dirò, quasi impossibile il potersi fare, senza maestri. Ma facilmente esse
non devono essercitare Cornetti, et Tromboni, così per esser de’ più difficili instrumenti musicali, come
per esser Donne. / Al. Anzi che l’uno, et l’altro di questi strumenti è da loro usato duplicatamente quasi
sempre nelle musiche, che esse fanno ordinariamente in tutti i giorni delle feste dell’anno: et li suonano
con tanta gratia, et con sì gentil maniera, et con tale giusta, et sonora intonatione delle voci, che sin coloro,
che sono stimati eccellentissimi in tal professione, ciò confessano esser cosa incredibile à chi non l’ode, et
vede. Et i passaggi loro non sono di quei così tritellati, et così furosi, et continouati, che guastino, et che
distruggano l’aere principale, che si è sforzato ingegnosamente di dare quel valente componitore alla sua
cantilena, che vien sonata: ma sono a tempo, et luogo con sì leggiadra vivacità tirati, che a quella rendono
ornamento, et spirito grandissimo » (Ercole Bottrigari, Il Desiderio, op. cit., p. 47-49).
22 J’entends par là des diminutions simples, n’excédant pas la double-croche, sur des figures communes à
quasiment tous les traités.
Semplice ou passeggiato 71
Le travail de la diminution
Chapitre 5
Le travail
de la diminution
Semplice ou passeggiato 73
Étant donné ce que sont ces derniers tientos de Correa de Arauxo [17], à savoir un
enchaînement presque incessant de triples-croches avec des proportions de sept à neuf
notes, le tempo atteignable pour un très bon virtuose doit être très lent pour autoriser
l’exécution très rapide des notes.
[17] Francisco Correa de Arauxo, « Tiento no 58 », Libro de tientos y discursos de música practica y theorica de
organo, Alcalá, Antonio Arnao, 1626.
74
Le travail de la diminution
De nos jours, l’idée de pouvoir jouer très vite sans travailler de manière particu-
lière est plutôt incongrue. Même s’il existe des musiciens plus ou moins doués, il est
désormais admis que la maîtrise de la vélocité est le résultat sinon d’un travail acharné,
du moins d’une pratique régulière. De plus, il me semble évident que plus le joueur
est détendu et désinvolte, plus il saura jouer vite (moyennant un certain entraîne-
ment), ce que l’on constate en observant les joueurs de be-bop, les musiciens tziganes
de Roumanie ou les chanteurs et musiciens indiens. Notre culture académique fait de
la virtuosité et de la vélocité des qualités qui ne sont abordées que lorsque la musique
écrite l’impose et non comme une capacité devant se déployer selon tel ou tel contexte.
Elle ne reconnaît d’ailleurs que rarement la vélocité comme un mode expressif à part
entière. De nos jours, la maîtrise du son (c’est-à-dire le contrôle de sa couleur et de
ses diverses qualités), la maîtrise d’une tessiture souvent hors des limites familières de
l’individu ou de l’instrument, la maîtrise d’une grande palette dynamique prennent le
pas sur la capacité à jouer très vite avec facilité. Dans une culture où la notion de mérite
tient un rôle non négligeable, il n’est pas étonnant que le goût de l’effort l’emporte sur
la recherche de l’aisance qui importait tant aux Anciens.
Les différentes aptitudes nécessaires à une belle exécution, celles qui définissent
les qualités d’un « bon musicien », recouvrent donc aujourd’hui des critères très diffé-
rents de ceux en usage autrefois. Qui admire en premier lieu, par exemple, la facilité
de jeu d’un musicien ? ou sa vélocité ? Il faut bien dire que des exemples concrets d’une
conception musicale où la vélocité serait placée au centre de la pratique manquent
cruellement dans le domaine de la musique historique. Riccardo et Francesco Rognoni,
Giovanni Battista Bovicelli, Girolamo Dalla Casa, Luigi Zenobi et Lodovico Zac-
coni n’étant évidemment plus là pour nous faire entendre des exemples vivants, il faut
rechercher aujourd’hui des exemples de désinvolture (sprezzatura) dans des traditions
musicales encore vivantes (nous avons à plusieurs reprises renvoyé aux mondes du jazz,
des musiques tziganes ou indiennes). C’est peut-être là que l’on peut trouver l’image la
plus suggestive de ce qu’a pu être l’ancien monde de la diminution.
Il serait fastidieux de faire ici la liste des nombreuses sources qui laissent entendre
que sans compétence à diminuer de façon virtuose, le musicien et le chanteur de ces
périodes sont indignes de ce qu’on attend d’eux3. Le manque de modèles vivants et la
rupture de la chaîne de transmission orale peuvent expliquer la lenteur avec laquelle
se sont développées les pratiques d’improvisation et de diminutions dans les dernières
décennies malgré les nombreuses connaissances accumulées sur le sujet par de nom-
breux musicologues et musiciens depuis le xixe siècle4.
3 Cf. le long passage consacré aux qualités que doit posséder le soprano dans : Luigi Zenobi, The Perfect
Musician, op. cit.
4 Karl Franz Friedrich Chrysander, « Lodovico Zacconi als Lehrer des Kunstgesanges », Vierteljahrsschrift
für Musikwissenschaft, vol. 7, 1891, p. 337-396 ; ibid., vol. 9, 1893, p. 249-310 ; ibid., vol. 10, 1894, p. 531-567.
Semplice ou passeggiato 75
L’ornementation
76
Le travail de la diminution
10 Les préoccupations et les méthodes de travail des instrumentistes à vents rejoignent souvent celles des
chanteurs.
11 C’est le cas pour la trompette moderne, instrument en tout point similaire au cornet.
12 On ne sait pas ce que sont les autres modes « moins vrais » de la diminution et quelles querelles se cachent
derrière ce titre.
13 Patrizio Barbieri, « ”Chiavette” and modal transposition », op. cit. ; Jeffrey Kurtzman, « Tones, modes,
clefs and pitch », op. cit.
Semplice ou passeggiato 77
tion de Palestrina (qui écrit tant le madrigal que son contrafactum en chiavette, soit
certainement comme il le chantait lui-même). N’oublions pas que les diapasons ont
pu être très hauts à cette époque même s’il semble qu’à Rome et en descendant vers
le sud de l’Italie, ils étaient de plus en plus bas. Un diapason grave rendrait de fait
cette diminution mentionnée très confortable voire presque grave pour les falsettistes
d’aujourd’hui.
Autour de 1600 cependant, la conception que l’on se fait de la voix commence à
changer sous l’influence de la nouvelle musique, de la monodie accompagnée et peut-
être de l’augmentation du nombre de castrats14. Chez Rognoni, le même Io son ferito 15,
doté cette fois du texte du contrafactum Quanti mercenarii [18a] [18b], est lui écrit dans
la tessiture de clés aiguës, telles qu’elles apparaissent donc dans la version originale de
Palestrina. À l’évidence, cette diminution, dédiée à la mère supérieure du monastère
de Santa Margherita, Donna Ginepra Ottava Crivelli (établissement dont nous avions
souligné qu’il semblait posséder des chanteuses de haute volée) doit se chanter aussi
dans une tessiture proche de celle proposée par Bovicelli. Sinon, quel type de voix
pourrait chanter si vite et si haut ? Tessiture mise à part, cet exemple extrêmement
virtuose se développe sur deux octaves, ce qui en soit est déjà la marque d’un art vocal
« moderne ».
[18a] Quanti mercenarii, motet diminué de Francesco Rognoni, contrafactum sur le madrigal Io son
ferito de Palestrina (Francesco Rognoni, Selva di varii passaggi secondo l’uso moderno, Milan, Filippo
Lomazzo 1620).
78
Le travail de la diminution
Fr. Rognoni
Selva di passaggii, 1620
P. L. Palestrina,
Cantiones sacrae, Antverpiae,
Phalesius, 1605
[18b]
Semplice ou passeggiato 79
80
Le travail de la diminution
Semplice ou passeggiato 81
La technique vocale
16 « Questi non hanno voce bona ma hanno bona intelligenza nella musica » (I-Rvat [ASV [Misc. Arm. xi,
xciii], f. 151r). À ce sujet, voir : Richard Sherr, « Competence and incompetence in the Papal choir in the
age of Palestrina », Early Music, vol. 22, no 4, p. 607-629, spécialement p. 612. On lira avec intérêt la suite
de l’article qui évoque les chanteurs dont la voix est faible.
17 Luigi Zenobi, The Perfect Musician, op. cit., cf. passage sur les qualités nécessaires au soprano.
18 Charles Burney, Voyage musical dans l’Europe des Lumières, Michel Noiray, éd., Paris, Flammarion, 2010.
82
Les formes musicales et les usages
Chapitre 6
Les diminutions écrites pour la voix ou pour les instruments mélodiques concernent
exclusivement des motets, des madrigaux et des chansons mais jamais de la musique
de danse1. Pour expliquer pourquoi la messe et ses parties ainsi que les psaumes en sont
exempts, Andrew Parrott2 avance que des formes longues se prêtent moins à cette pra-
tique. On peut ajouter que les parties de l’ordinaire de la messe ne sont jamais compo-
sées en style soliste. En revanche, on rencontre quelques diminutions pour clavier de
certaines parties de la messe – dans les tablatures d’Attaignant3, par exemple. Dans ce
cas, l’impossibilité de jouer à l’orgue sans partition générale la musique polyphonique
(exclusivement écrite et éditée sous forme de cahiers de parties séparées) a impliqué la
réalisation par l’auteur et l’édition d’une mise en tablature.
1 À l’exception toutefois du traité d’Ortiz dont les basses obstinées et la Spagna peuvent être rattachées au
monde de la danse (Diego Ortiz, Trattado de glosas, op. cit.). Des exemples de danses virtuoses se trouvent
dans les tablatures de luth et d’orgue mais la question se pose toujours de savoir si cette manière de noter
et de jouer l’orgue et le clavecin n’était pas la manière habituelle de jouer ce répertoire. Encore que les
tablatures d’orgue ne présentent quelques fois que des danses simples dénuées de diminutions, c’est-à-dire
étant « à diminuer ». A contrario, de nombreux recueils pour clavier recèlent de danses sans aucun ornement
alors que certains manuscrits de la Bibliothèque Vaticane contiennent des pièces très simples et des basses
obstinées typiques du début du xviie siècle qui ne sont pas développées. Elles constituent, à l’évidence,
un aide-mémoire pour l’improvisation. On peut également imaginer qu’il s’agit de partitions didactiques
destinées à des débutants.
2 Communication orale d’Andrew Parrott lors de la masterclass donnée à la Haute école de musique de
Genève en octobre 2010.
3 Sept livres de tablatures paraissent chez Attaignant en 1531 dont trois présentent de la musique d’église
(parties de la messe et plusieurs Magnificat) ; cf. Pierre Attaignant, Transcription of Chansons for Keyboard,
Albert Seay, éd., Rome, American Institute of Musicology, 1961 (Corpus Mensurabilis Musicae, vol. 20).
Semplice ou passeggiato 83
pour laquelle ne subsiste souvent que la ligne de ténor ; les basses obstinées du xvie
siècle (Passamezzo antico, Passamezzo moderno, Gamba4, Romanesca) et du xviie siècle
(chaconne, passacaille, Romanesca, Ruggiero, Bergamasca, Canario, Folia).
Signalons qu’on cherchera en vain dans les traités de diminution parmi les chan-
sons polyphoniques, les madrigaux ou les motets, la chanson la Monica (Une jeune
fillette) qui est pourtant un des thèmes les plus connus en Europe du xvie jusqu’au
xviiie siècle puisqu’on le retrouve sous forme de chanson, de choral (dans toutes les
églises réformées), de cantique catholique ou de Noël français, et qu’on en connaît des
adaptations en sonates, danses diverses, messes. Au contraire, Susanne un jour – une
chanson polyphonique qui connut un grand nombre de rééditions – se trouve dimi-
nuée dans un très grand nombre de sources.
Ce répertoire fonctionnel est un support souvent sollicité pour l’improvisation.
Comme je l’ai mentionné plus haut, il ne nécessite peut-être pas une pédagogie spéci-
fique et le passage par l’écrit. C’est ce qui explique peut-être que les danses et basses
obstinées ne sont jamais mentionnées dans les traités de diminutions, à l’exception
notable de Trattado de glosas de Diego Ortiz. Chez ce dernier, une chanson française
et un madrigal connus côtoient des basses obstinées et des exemples sur la Spagna.
Chez Bassano, la majeure partie des madrigaux cités sont issus du Premier livre de
Cipriano De Rore, un volume qui connut un grand succès à en juger par le nombre de
rééditions dont il bénéficia5. Si l’on s’en tient aux cinq traités importants parus entre
1580 et 1600 (en ajoutant celui de Fr. Rognoni en 1620), soit ceux de Bassano, Dalla
Casa, Giovanni Battista Spadi6, R. Rognoni et Bovicelli, le nombre d’auteurs dont les
œuvres servent de support à ces diminutions écrites est de dix-huit7 : Jacobus Clemens
non Papa, Thomas Crecquillon, Jean Courtois, Claudio Merulo, Luca Marenzio,
Cipriano De Rore, Tomás Luis de Victoria, Andrea Gabrieli, Ruggiero Giovannelli,
Clément Janequin, Roland de Lassus, Giovanni Maria Nanino, Giovanni Pierluigi
da Palestrina, Giulio Renaldi, Philippe Rogier, Alessandro Striggio et Adrien Wil-
laert. Tous ces compositeurs connurent un grand succès au milieu du xvie siècle mais
certains d’entre eux ne présentent qu’une ou deux occurrences, par exemple : Giovan-
nelli, Nanino et Rogier. Trois catégories peuvent être distinguées : la première et la
plus nombreuse compte les compositions présentes une ou deux fois dans les traités ;
la seconde comporte les œuvres présentes quatre ou cinq fois (huit compositions) ; et
la dernière est formée de la seule pièce Ancor che col partir de De Rore, extrêmement
célèbre (dix occurrences du madrigal in extenso).
4 La gamba est fréquemment appelée cara cosa en Italie, notamment dans les tablatures de luth. Voir le
catalogue de Howard Mayer Brown : Instrumental Music Printed before 1600, Harvard University Press
1965 (rééd. 2000), aux rubriques Gambe et Cara cosa.
5 Cipriano De Rore, I Madrigali a cinque voci, Venise, Girolamo Scotto, 1542, réédité et augmenté dans : Il
Primo libro de madrigali cromatici a cinque voci con un agionta del medesmo autore, Venise, Antonio Gardano,
1544, réédité 12 fois à Venise et à l’étranger dans les années suivantes, ainsi que dans une édition en
partition sans le texte : Tutti i madrigali di Cipriano di Rore a quattro voci spartiti et accommodati per sonar
d’ogni sorte d’istrumento perfetto, e per qualunque studioso di contrapunti, Venise, Gardano, 1577.
6 Giovanni Battista Spadi, Passaggi ascendenti e discendenti, Venise, Giacomo Vincenti, 1609.
7 Pour rappel, ces diminutions doivent être considérées comme des exemples et non comme des compositions,
ce qu’atteste formellement Fr. Rognoni.
84
Les formes musicales et les usages
Dans l’ensemble des traités mentionnés plus haut, on retrouve la répartition des
genres suivante : 109 occurrences sont des madrigaux, 43 des chansons, 17 des motets,
et une est une canzona polyphonique. Pour mettre en évidence le succès de Cipriano de
Rore, insistons sur le fait qu’on retrouve ses compositions 55 fois parmi ces 109 occur-
rences. Palestrina est mentionné pour sa part 22 fois. Ce chiffre est divisé par deux
pour les œuvres de Striggio, Crecquillon et Willaert.
Les chansons françaises reprises chez Bassano et R. Rognoni se retrouvent, des
années après leur parution en France, dans des collections instrumentales éditées entre
1577 et 1588 à Venise, sans les textes.
Les madrigaux du premier livre de De Rore ont eu la faveur des virtuoses ayant
laissé une trace écrite de leur art. Si l’on s’en tient aux principaux traités cités ci-dessus,
sur les 26 madrigaux que compte ce livre, on en retrouve 16 titres mis en diminutions
dans ces traités.
Par ailleurs, si l’on observe la présence de ces madrigaux dans les principaux traités
(occurrences statistiques sur l’ensemble des madrigaux tous compositeurs confondus ;
un même madrigal pouvant apparaître plusieurs fois dans un même traité), on peut
dresser la liste suivante : chez Dalla Casa (1584) on trouve 40 madrigaux sur 52 (extraits
et madrigaux entiers), chez Bassano (1585 et 1591) 11 sur 54 (madrigaux traités in
extenso), chez R. Rognoni (1592) 3 sur 3 (Ancor à chaque fois), chez Bovicelli (1594) 1 sur
2 ; chez Spadi (1609) 2 sur 2, chez Aurelio Virgiliano aucun sur 2 et chez Fr. Rognoni
(1620) aucun sur 2.
En ce qui concerne Palestrina, pierre angulaire de cette étude, ses deux grands
succès (Io son ferito et Vestiva i colli) paraissent aussi dans des recueils de madrigaux
célèbres. Ces deux madrigaux sont présents dans des mises en tablature de clavier et de
luth mais aussi dans des versions retravaillées pour clavier, par exemple chez Samuel
Scheidt. Les thèmes de ces madrigaux furent intégrés à des canzoni, sonate et autres
pièces. De plus, les autres œuvres à succès de Palestrina, présentes dans les traités de
diminutions sont presque toutes tirées d’une collection de motets basés sur le texte du
Cantique des cantiques8.
Du reste et a contrario, on trouve dans les tablatures de clavier (celles de Jakob
Paix9 par exemple) des messes ainsi que des motets destinés à une fonction liturgique
précise (en l’occurrence des pièces composées sur des textes d’antiennes).
Ainsi, le matériau sur lequel les musiciens et les chanteurs ont pratiqué le plus
la diminution est un répertoire en vogue et apprécié qui a connu un destin édito-
rial différent (parce qu’il a été mis en tablature et diminué) du reste de la musique
éditée. Mais ce monde de la diminution diffère également quelque peu de la pratique
de l’improvisation ordinaire, celle que tout professionnel de l’époque réalise sur des
chansons non polyphoniques et sur des danses. Il est entendu que ces pièces ne sont
jamais jouées telles qu’elles sont écrites. Ces modes d’improvisations usuels expliquent
probablement l’absence de chansons simples comme La Monica, des frottole, des villotte
8 Giovanni Pierluigi da Palestrina, Motettorum quinque vocibus liber quartus ex Canticis Canticorum, Rome,
Alessandro Gardano, 1583-1584 ; et une réédition : Cantiones sacrae quinque vocum ex cantico canticorum,
Anvers, Phalèse, 1605. Cette dernière contient le contrafactum du madrigal Io son ferito sur le texte Quanti
mercenarii (Jessie Ann Owens, « Palestrina as Reader. Motets from the Song of Songs », Dolores Pesce,
éd., Hearing the Motet. Essays on the Motet of the Middle Ages and Renaissance, New York, Oxford University
Press, 1997, p. 307-328).
9 Jakob Paix, Ein schön Nutz unnd Gebreüchlich Orgel Tablaturbuch, op. cit.
Semplice ou passeggiato 85
(construites sur des harmonies simples et des carrures issues de la danse), des danses
et des basses obstinées.
On peut cerner deux pratiques de diminution en marge de ces improvisations qui
ne seront jamais écrites : d’une part celle qui, à l’instar des tablatures d’orgue, constitue
une diminution moins virtuose (c’est-à-dire la pratique habituelle d’exécution de la
musique), sans oublier les ornements d’usage à ajouter au chant simple. Cette dimi-
nution usuelle est probablement pratiquée également sur les instruments mélodiques :
nous n’en avons pas de traces peut-être parce que, comme l’improvisation sur basse
obstinée, elle ne présente pas de difficultés de réalisation. La pratique de cette dimi-
nution simple, qui peut toucher tous les genres musicaux sans exception, inclut quasi
automatiquement et/ou permet la possibilité d’une pratique d’ensemble.
La tablature est une notation idiomatique dans laquelle le geste musical est inscrit
alors que la partition est un reflet plus abstrait du contrepoint et de la composition qui
fonctionne comme support de connaissances plus que comme support d’exécution.
Quant à la destination des tablatures, précisons que les bons organistes, en Italie du
moins, faisaient probablement des réductions de motets à partir des voix séparées. Il
existe en Allemagne de nombreuses collections très importantes de tablatures. Celle
de Johann Woltz10 ne contient pas moins de 215 compositions : motets italiens, alle-
mands, canzones instrumentales et fugues. Cette tablature présente de multiples com-
positions dont le nombre de voix excède celles qui sont jouables sur un clavier, même
doté de pédalier comme dans les motets et canzone de G. Gabrieli à 10, 12, 13, 17, 19
voix. En Italie, la mise en tablature du répertoire est avant tout destinée aux musiciens
amateurs qui ne pratiquent pas la lecture de la partition.
La deuxième pratique de la diminution est celle, plus soliste, qui se déroule dans
un cadre qui n’est ni nécessairement liturgique, ni fonctionnel et où la composition
tend vers une pratique plus artistique, au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Deux
collections de canzoni instrumentales éditées respectivement entre 1577 et 1588 pré-
sentent quasiment l’intégralité des supports de diminutions que l’on retrouve dans les
traités de diminutions et de tablatures virtuoses de luth ou de clavecin11.
La collection de 1577 (éditée en forme de partition sur quatre portées) est celle
contenant le plus d’occurrences du répertoire diminué [19a] [19b]. L’autre collection –
Canzon di diversi per sonare con ogni sorte di stromenti a quatro, cinque e sei voci (1588) est
éditée en six livres séparés12. Voici la table des treize compositions telle qu’elle figure à
la fin de l’édition de 1588 :
10 Johann Woltz, Nova musices organicae tabulatura, Bâle, Johann Jacob Genath, 1617.
11 Musica de diversi autori, op. cit. ; Canzon di diversi per sonare con ogni sorte di stromenti, op. cit.
12 Canzon di diversi per sonare con ogni sorte di stromenti a quatro, cinque e sei voci. Libro primo, Venise, Giacomo
Vincenti, 1588. Édition moderne (fac simile : Helmut Mönkmeyer, éd., Celle, Moeck, 1985).
86
Les formes musicales et les usages
9 Content à 5 [Crecquillon]
10 Sine tenez à 6
11 Sire à 6
12 A la fontaine à 6 [Adrien Willaert]
13 La rose à 6 [Nicolas Gombert]
Semplice ou passeggiato 87
[19b] Table des matières d’une collection de canzoni instrumentales éditée en 1577
(Musica de diversi autori. La battaglia francese et canzon delli uccelli insieme alcune canzoni
francese, partite in caselle per sonar d’instromento perfetto, novamente ristampate, Venise,
Angelo Gardano, 1577).
Les diminutions présentes dans les transcriptions pour clavier sont nombreuses13
par rapport à celles que l’on rencontre dans les traités et sont moins virtuoses que la
musique destinée au chant (Bovicelli) ou encore au cornet et violon (R. et Fr. Rognoni)
qui utilise fréquemment la triple-croche. Dans les tablatures, qu’elles soient pour luth
ou pour clavier, les valeurs de l’original sont divisées par deux14. Les tablatures de Paix
contemporaines de celles de Bassano sont encore moins virtuoses que les diminutions
de ce dernier. Chez Bassano, la division normale dans un passage est systématique-
ment écrite en doubles-croches. Chez Paix, l’équivalent de cette valeur, soit la triple-
croche, est uniquement utilisée dans les cadences. Cette notation peut aussi donner
une indication de vitesse de pulsation. En effet, les œuvres de Paix sont exécutées dans
13 On trouve par exemple 14 motets de Palestrina chez Jakob Paix, Ein schön Nutz unnd Gebreüchlich Orgel
Tablaturbuch, op. cit.
14 Voir les motets de Palestrina mis en tablature par Jakob Paix (« Ein schön Nutz unnd Gebreüchlich Orgel
Tablaturbuch », op. cit.). On trouve des exemples dans l’édition moderne suivante : Cantibus Organis,
édité par Eberhard Kraus, Friedrich Pustet, Regensburg, 1961, vol. 1 et 6.
88
Les formes musicales et les usages
15 Girolamo Frescobaldi, « Non lasciar vuoto lo strumento », Il Primo libro delle toccate d’intavolatura di
cembalo e organo, Rome, Nicolò Borbone, 1615-1637. L’indication « ne pas laisser l’instrument vide » se réfère
à la pratique de rebattre les notes tenues des accords pour éviter le vide acoustique.
16 Giovanni Antonio Terzi, Intavolatura per liuto accomodata con diversi passaggi per suonar in concerti a duoi
liutti et solo : libro primo il quale contiene motetti,contraponti,canzoni italiane et francesi, madrigali,fantasie
e balli di diversi sorti,italiani,francesi et alemani, Venise, Ricciardo Amadino, 1593 ; Il secondo libro da
intavolatura di liuto di Gio. Antonio Terzi da Bergamo, nella quale si contengono fantasie, motetti, canzoni,
madrigali, pass’e mezi et balli di varie et diverse sorti, Venise, Giacomo Vincenti, 1599 (fac simile des deux
volumes : Firenze, SPES, 1981).
Semplice ou passeggiato 89
La diminution transalpine
Chapitre 7
La diminution transalpine
« Ils devroient avoir voyagé és pays estrangers, & particulierement en Italie, où ils
se piquent de bien chanter, & de sçavoir la musique mieux que les François. […] Ceux
qui n’ont pas la commodité de voyager, peuvent du moins lire Jules Caccin, appellé le
romain, qui feit imprimer un livre de l’Art de bien chanter, à Florence en l’an 1621, dans
lequel il distingue les passages propres aux instruments d’avec ceux qui servent à la voix,
et divise les principales beautez des Chants en augmentation & affoiblissement de la voix,
ce qui s’appelle crecere, scemare della voce, en exclamation, & en deux sortes de passages,
qu’ils nomment trillo & gruppi, lesquels respondent à nos passages, fredont, tremblements,
& batements de gorge. […] Mais nos Chantres s’imaginent que les exclamations & les
accents dont les Italiens usent en chantant tiennent trop de la Tragédie, ou de la Comédie,
c’est pourquoi ils ne veulent pas les faire, quoy qu’ils deuvent imiter ce qu’ils ont de bon
& d’exellent, car il est aisé de temperer les exclamations, & de les accomoder à la douceur
française, afin d’ajoùter ce qu’ils ont de plus pathetique à la beauté, à la netteté, & à l’adou-
cissement des cadences, que nos musiciens font avec bonne grâce. [...] Or ceux qui ayment
la multitude des passages & des diminutions, peuvent lire ceux d’Ignace Donat ; les 156.
Passages ou glosadas de Cerone, au 5. Chap. de son 8. Livre, ceux du Fontegara de Syl-
vestro di Ganassi, qui remplit 120 pages de ces passages accomodez aux fleutes, & plusieurs
autres, & particulièrement Le nuove Musiche di Giulio Caccini, dont i’ay parlé ci-dessus3. »
Cette longue citation fait écho aux textes d’auteurs italiens tels Zacconi, Zenobi
ou Giustiniani lorsqu’ils décrivent l’art vocal.
Semplice ou passeggiato 91
Notre intérêt particulier pour la culture musicale italienne qui domine l’Europe
dans cette période ne doit pas troubler la perspective. De toute évidence, la virtuo-
sité n’est pas un phénomène exclusivement italien et s’épanouit autour de 1600 dans
d’autres pays.
En France, il existe de nombreux doubles d’airs de cour de Bénigne de Bacilly et de
nombreux conseils sur l’art du chant 4. Il faut également mentionner le traité d’orne-
mentation et de diminutions du chanoine Millet5. Il s’agit d’un recueil pédagogique,
proche des traités italiens antérieurs dans sa structure comme dans son contenu, qui
atteste d’une tradition vivante de musique vocale virtuose.
De nombreux exemples de musiques virtuoses allemandes proviennent de tabla-
tures ou du répertoire des organistes, en particulier chez Samuel Scheidt ou Hein-
rich Scheidemann6. En revanche, les recueils de Jakob Paix sont basés sur les grands
maîtres de la polyphonie, Lassus et Palestrina en premier lieu. Les mises en tablature
sont relativement simples et peu virtuoses, elles ont donc, comme nous l’avons vu plus
haut, une destination fonctionnelle. Chez Scheidemann, le répertoire de diminution
fondé sur des motets de Lassus ou même de Bassano est plus virtuose et les compo-
sitions plus élaborées. Ce répertoire est à mettre directement en connexion avec les
diminutions italiennes. On peut supposer que Scheidemann, élève de Jan Pieterszoon
Sweelinck et Scheidt étaient de grands improvisateurs.
La virtuosité est naturellement très présente dans la musique de clavier, qu’elle
soit profane ou conçue pour l’église. William Byrd et Orlando Gibbons écrivent de la
musique que l’on juge aujourd’hui à la fois complexe et virtuose7. Le Fiztwilliam Vir-
ginal Book est une énorme collection de musique de clavier contenant nombre de pièces
virtuoses emblématiques de l’art de l’improvisation des joueurs de claviers anglais.
Il existe également dans la musique catholique ou anglicane de Thomas Weelkes,
Thomas Tallis ou William Byrd, des exemples de la pratique du madrigal et des tech-
niques vocales en Angleterre dans la première moitié du xviie siècle.
Quant à l’Espagne, nous avons vu le lien qui existe entre la musique de Correa de
Arauxo et la diminution. Là encore se pose la question des modes d’exécution de la
musique vocale qui sont encore mal connus.
4 Bénigne de Bacilly, Remarques curieuses sur l’art de bien chanter, Paris, Ballard & Bienfait, 1668.
5 Jean Millet, La Belle méthode ou l’art de bien chanter, Lyon, Jean Grégoire, 1666.
6 Samuel Scheidt, Tabulatura nova, Hambourg, Michael Hering, 1624 (édition moderne : Max Seiffert,
éd., Leipzig, Breitkopf & Härtel, 1892) ; Heinrich Scheidemann, Die Lüneburger Orgeltabulatur KN 2081,
Margarete Reimann, éd., Francfort, Litolff, 1957 (Das Erbe deutscher Musik. Erste Reihe ; 34).
7 William Byrd, My Ladye Nevells Booke, Hilda Andrews, Sir Richard R. Terry et Blanche Winogron,
éd., New York, Dover, 1969 ; Orlando Gibbons, Keyboard music (édition moderne : Gerald Hendrie,
éd., Londres, Stainer and Bell, 1974) ; John Alexander Fuller Maitland, William Barclay Squire et
Blanche Winogron, éd., The Fitzwilliam Virginal Book, New York, Dover, 1979-1980.
92
La diminution transalpine
la virtuosité dans les répertoires très anciens. Le travail est encore à faire pour les
époques antérieures à 1500 afin de distinguer ce qui, dans les partitions, est de l’ordre
des pratiques et ce qui est de l’ordre de la composition.
À la fin du xve siècle, les premières tablatures d’orgue comme le Buxheimeror-
gelbuch dont l’essentiel est constitué de diminutions sur des chansons, est un l’un des
premiers témoignages de l’art de la diminution appliqué aux motets, madrigaux et
chansons tel qu’il se généralisera au xvie siècle8.
Pour la période charnière autour de 1500, il faut se (re)poser la question de l’origine
et de la singularité ou non des diminutions de Silvestro Ganassi : ce dernier, flûtiste,
gambiste et probablement cornettiste ne nous a laissé aucune indication en ce qui
concerne le matériau sur lequel lui et ses contemporains improvisaient. On trouve
toutefois des indices du type de matériel utilisé avec le cas des improvisations sur les
Spagna et divers Tandernaken. Nous connaissons une partie de cet art de l’improvisa-
tion sur la basse danse à travers diverses partitions de compositeurs franco-flamands,
tels que Josquin des Prez, Johannes Ghiselin, Alexander Agricola ou Ludwig Senfl.
Dans les années 1530, les pièces de Jacques Arcadelt, Nicolas Gombert et Philippe
Verdelot connaissent un large succès et leurs compositions ont pu naturellement servir
de base à une pratique de diminutions proche de celle de la génération suivante. Leurs
livres de madrigaux furent édités bien après la disparition de leurs auteurs et ils ont
servi de base au répertoire virtuose de l’organiste espagnol Antonio de Cabezón9.
On sait peu de choses sur l’exécution de la musique polyphonique dans les
Flandres : la phrase célèbre, mais probablement apocryphe, rapportée par Johannes
Manlius, prouverait que déjà à l’époque de Josquin, un compositeur pouvait s’indi-
gner contre les ajouts réalisés par les exécutants. Josquin aurait repris sèchement un
chanteur en lui disant : « Tu es un âne ! Pourquoi ajouter des ornements ? S’ils m’avaient
plus, je les y aurais mis10. »
8 La question est posée de manière fort intéressante par David Fallows dans : « Embellishment and Urtext
in the fifteenth-century song repertory », Basler-Jahrbuch, vol. 14, 1990, p. 59-85.
9 Antonio Cabezón, Obras de musica para tecla, arpa y vihuela, Madrid, Francisco Sánchez, 1578 (édition
moderne : The Collected Works of Antonio de Cabezón, Charles Jacobs, éd., New York, Institute of Medieval
Music, 1967-1986).
10 « Tu asine, quare addis coloraturam ? Si mihi ea placuisset, inservissem ipse » (Johannes Manlius,
Locorum communium collectanea, Bâle, 1562, p. 542). Cf. à ce sujet : Jean-Pierre Ouvrard, Josquin Desprez et
ses contemporains, Arles, Actes Sud, 1986, p. 122 et 139 ; Robert Wegman, « ”And Josquin laughed”. Josquin
and the composer’s anecdote in the sixteenth century », Journal of Musicology, vol. 17, no 3, 1999, p. 322.
Semplice ou passeggiato 93
des pièces qui ont été enfantées de cette manière miraculeuse et qui sont pleines d’idées,
de nombres, d’harmonie, de fiction, de feu et de chaleur. Après une longue méditation et
un long travail, il est incertain qu’on eût mieux fait 11. »
Si l’on en croit l’auteur de l’article, les Italiens auraient donc la faculté d’improviser
des discours mieux que les autres peuples. Même si ce texte ne concerne pas la musique,
on peut y lire par analogie une opinion applicable à la diminution et à l’improvisation
musicale. Les « pièces qui ont été enfantées » seraient en musique des compositions
issues de l’improvisation. La « manière miraculeuse » se réfèrerait bien évidemment à
l’admiration suscitée par l’improvisation quand elle est réussie. Les pièces que nous
avons évoquées à plusieurs reprises « sont pleines d’idées » qui correspondraient en
musique à la multitude des figures de diminutions dont parlent les différents traités
ainsi que celles présentes dans le répertoire virtuose. « L’harmonie » recouvrirait les
proportions et le mode d’organisation harmonieux du discours musical 12. La « fiction »
désignerait les licences que les improvisateurs se permettent, le « feu » et la « chaleur » le
geste enthousiaste et libre tant de l’orateur que du musicien. Notons enfin que l’article
de l’Encyclopédie se finit en plaçant l’improvisation sur le même plan que la réflexion
et le travail.
En 1620, la parution du traité de Fr. Rognoni, marque la limite entre l’ancien
traitement de la diminution dans des traités spécifiques (soit dans les années 1535-
1620, entre la parution des ouvrages de Ganassi et de Fr. Rognoni) et une conception
ancienne de la diminution considérée comme simple ornement de la polyphonie (pour
reprendre l’expression de Sylvestro Ganassi). Au-delà de 1620, la pratique de la dimi-
nution ne disparaît pas subitement mais elle laisse moins de traces. Dans la nouvelle
musique, les diminutions écrites par le compositeur ont une fonction « rhétorique »
et ont un rôle quasiment structurel. Les musiques de Monteverdi et de Caccini sont
éloquentes à cet égard et la liste pourrait aisément être complétée. Un des héritages
de cet art de la diminution a été mis par écrit dans toute la musique virtuose vocale
et instrumentale in stile moderno. Mais le passage à la seconda pratica marque le début
d’une autre relation entretenue par les compositeurs et les praticiens avec la partition.
Au lieu d’être le support de pratiques diverses, celle-ci va, au terme d’un long parcours,
devenir la base principale de l’exécution, jusqu’à devenir le texte quasi sacré et intou-
chable qui s’imposera au xxe siècle.
Qu’en a-t-il été de l’exécution de la musique de Palestrina du xviie au xixe siècle ?
Les pratiques d’ornementation sont encore très vivantes jusqu’au xviiie siècle mais
quel était leur lien avec celles du xvie siècle ? Les archives vaticanes mettent sur la
piste d’une étonnante longévité des savoir-faire anciens. Elles conservent, en effet, des
11 Denis diderot et Jean Le Rond d’Alembert, Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et
des métiers, Paris, 1751-1772, vol. 8.
12 Le soin apporté à la construction du discours musical a continué à être la marque des bons improvisateurs
jusqu’à aujourd’hui. Le jazzman et improvisateur Louis Clavis m’a raconté avoir réalisé pour France-
Musique, il y a bien longtemps, une improvisation très libre qui, lors de la retransmission différée du
concert, a été commentée par un journaliste qui en faisait une analyse formelle montrant à quel point
cette improvisation était très construite. Louis Clavis était pourtant convaincu de ne pas avoir pensée son
improvisation ainsi.
94
La diminution transalpine
13 On trouve ces diminutions du Miserere d’Allegri dans les sources suivantes : I-Rvat [Capp. Sistina Ms.
185], I-Rvat [Capp. Sistina Ms. 375] (partition datant de 1892, réalisée par le castrat Domenico Mustafà,
maître de chapelle de la Sixtine), F-Bnf [Rés. Ms. Mus. 36], PL-WRu [Mf 5132], CH-Bu [kk xii 22]. Ce
Miserere a été enregistré plusieurs fois, en particulier par Andrew Parrott (Musique à la Chapelle Sixtine,
op. cit.).
14 Cf. les justifications d’Andrew Parrott dans le livret accompagnant le disque : Musique à la Chapelle Sixtine
(op. cit.) quant aux raisons du choix de diminutions inhabituelles pour le répertoire enregistré.
15 Si la question de la pratique de diminutions de groupe se pose pour les petits ensembles du xvie siècle, elle
n’est évidemment pas pertinente pour les chœurs aux effectifs massifs du xixe siècle.
16 Archangelo Corelli, Sonate a violino e violone o cembalo. Opera quinta, Amsterdam, Estienne Roger,
1710 (« Troisieme Edition ou l’on a joint les agreements par Mr A. Corelli comme il les joue ») ; Guiseppe
Tartini , « Adagio de Mr Tartini, varié de plusieurs façons différentes… », Jean-Baptiste Cartier, L’Art
du violon, Paris, Decombe, 1798).
Semplice ou passeggiato 95
pas les dynamiques sur les valeurs longues, sans doute afin de rendre cette musique
conforme à une idée somme toute assez puritaine de la musique religieuse. Cette
manière de faire exclut les ornements et la diminution parce que les tempi et les tes-
situres utilisés ne le permettraient pas. On peut formuler l’hypothèse que la lenteur
des exécutions du xixe siècle par rapport à celles des xvie et xviie siècles ne procède
pas d’un ralentissement mais simplement d’une continuité : seuls les autres paramètres
auraient disparu avec le temps.
Le renouveau de la pratique du répertoire ancien ne doit pas automatiquement
prendre le contrepied de ce qui se faisait autrefois. Aujourd’hui, pour faire revivre
le répertoire polyphonique tel qu’on pouvait l’entendre au xvie siècle, le monde de la
musique ancienne a besoin de chanteurs et d’instrumentistes à la voix agile, connais-
sant l’art du contrepoint, de chanteurs et d’instrumentistes possédant les qualités que
réclame le cornettiste Zenobi à la fin du xvie siècle.
96
La fin d'un art ?
Chapitre 8
L’art de la diminution, art vocal par excellence, qui s’est développé en Italie vers la
fin du xvie siècle, concerne toute la pratique musicale de stile antico tant profane que
sacrée. Il consiste moins à ajouter quelque chose à une pièce existante qu’il n’est une
manière de réaliser cette même pièce, les exécutants adaptant la qualité et la quantité
de diminutions selon les circonstances. La diminution pour instrument mélodique
étant libérée de toute contrainte par rapport à un texte, va être le lieu par excellence
où se développe une virtuosité idiomatique qui se démarque du modèle vocal. Elle
préfigure ce que sera la virtuosité au début du xviie siècle. La diminution, tant instru-
mentale que vocale, servira à rehausser l’esprit des compositions. Jusqu’à 1600 environ,
les partitions écrites dans le stile antico sont incomplètes si elles ne sont pas a minima
ornées, voire diminuées. La diminution donne donc vie à un texte conçu comme le
support d’une pratique qui ne peut être tenue pour aboutie que lors de son exécu-
tion. Cette conception est très éloignée de la conception contemporaine d’une œuvre
figée par le seul compositeur. Après 1600, l’écart entre l’écriture et le résultat sonore
s’amoindrit peu à peu, même si ornementation et diminution resteront encore long-
temps des vêtements indispensables à la production musicale.
Le répertoire mentionné dans les traités du xvie siècle, ouvrages toujours écrits par
des praticiens qu’ils soient chanteurs ou instrumentistes, est constitué de pièces poly-
phoniques à la mode qu’on retrouve dans les compilations et des anthologies : chansons
françaises, madrigaux italiens et motets. Il concerne les genres musicaux présentant ce
qu’on appellerait aujourd’hui des appuis harmoniques clairs. Les formes sur lesquelles
il est plus facile d’improviser, telles que basses obstinées, frottole ou villotte, ne sont pas
mentionnées dans les traités.
Par rapport à la question de la quantité, la diminution peut être collective ou soliste.
Dans le premier cas, elle peut consister soit, au minimum, en de simples ornements ou
être réalisée uniquement sur les cadences, soit elle va jusqu’aux abus condamnés par
nombre d’auteurs1. Dans le second cas, la diminution concerne la pratique soliste, pour
le chanteur comme pour l’instrumentiste. La pratique normale de la polyphonie n’est
pas une pratique de masse : elle est exécutée, en général, avec un chanteur par voix, ou
par un soliste accompagné d’un luth ou d’un instrument à clavier2.
Semplice ou passeggiato 97
De fait, après 1600, la diminution comme pratique particulière indissociable d’une
forme musicale semble disparaître peu à peu du paysage musical, parallèlement à la
perte de prépondérance du stile antico. De ce point de vue, le traité de Fr. Rognoni
paru en 16203 est emblématique : son auteur le présente comme une description des
pratiques et de l’usage « moderne » mais ses modèles, à l’exception des deux dernières
pièces, sont de style ancien.
Le traité de Fr. Rognoni est le dernier ouvrage du genre en Italie4. La diminution
de la musique virtuose ne disparaît pas pour autant dans la mesure où l’improvisation
et l’ornementation vont rester usuelles dans la pratique tout au long du xviie siècle. On
peut également considérer que les excès commis par les virtuoses des années 1580-1620
ont encouragé les compositeurs à noter de plus en plus précisément ce qui était autre-
fois du ressort de l’exécutant. En guise d’exemple, citons les sonates de Giovanni Bat-
tista Fontana5 qui ont été débarrassées, « déshabillées » de leurs figures virtuoses. Elles
sont semblables aux nombreux motets écrits entre 1600 et 1640, tels qu’ils figurent dans
de nombreuses collections, par exemple celles de Giovanni Paolo Cima6 et de Gio-
vanni Battista Riccio7 ou encore dans diverses anthologies8. Cima et Riccio intègrent
dans leurs recueils des sonates qui, sans être particulièrement virtuoses, préfigurent le
caractère instrumental et idiomatique de la musique des années qui suivront. Dans les
anthologies figure le nom de Dario Castello, auteur de sonates plusieurs fois rééditées9
et proches de celles de Fontana. On retrouve également Francesco Rognoni en tant
qu’auteur d’un de ces concerti ecclesiastici. On peut lire chez lui des traces de virtuosité
vocale, écrites dans ce cas, qui sont en général absentes dans la plupart des œuvres des
autres auteurs.
Nous reproduisons ici un exemple de l’écriture de la virtuosité telle qu’on la trouve
dans les traités de diminution. Dans cette sonate de Fontana [20], la virtuosité instru-
mentale (encore peu idiomatique) est clairement distincte des procédés vocaux décrits
par Fr. Rognoni. Cet exemple montre néanmoins la connexion de ce style instru-
mental avec la musique vocale fonctionnelle des années 1600-1640. De ce point de
vue, on peut considérer qu’il y a, en dépit du changement d’époque, une continuité
entre la Renaissance et le monde baroque naissant, particulièrement si l’on compare un
motet agrémenté des diminutions d’usage au xvie siècle avec un motet du xviie siècle
arrangé en sonate. Le processus de transformation, qui n’affecte ni la structure ni la
composition, est identique. Que l'on joue une sonate de Fontana dans la version éditée
ou de manière simplifiée, il s’agit toujours de la même composition. Voici le début de
cette sonate :
98
La fin d'un art ?
[20] Giovanni Battista Fontana, « Sonata seconda », Sonate a 1, 2, 3 per il violino o cornetto, fagotto, chitarrone,
violoncino o simile altri strumenti, Venise, Bartolomeo Magni, 1641.
10 Timothy A. Collins, « Reactions Against the Virtuoso. Instrumental Ornamentation Practice and the
Stile Moderno », International Review of the Aesthetics and Sociology of Music, vol. 32, no 2, 2001, p. 137-152.
11 Signe des temps, l’attitude et le jugement de Bottrigari sont en tout point opposés aux idées
d’Antonfrancesco Doni (Dialogo della musica, op. cit., p. 6v).
Semplice ou passeggiato 99
« Al[emanno]. Voulant se montrer sûrs et excellents praticiens, quand même [les
Vénitiens] ils ne commettent d’autres fautes que celles, fort nombreuses, qu’il commettent
en chantant, ils obtiennent (et je parle présentement sous l’autorité d’Aristote) un résultat
qui est ce mélange procédant des bonnes et des mauvaises opérations et dont on convient
nécessairement qu’il est encore pire. Il entre dans ce mélange une dissonance si grande
que véritablement, elle offense souvent l’ouïe de ceux-là même qui n’ont pas l’intelligence
de la musique ou n’en ont pas connaissance. Quant aux personnes comme nous, capables
de jugement, il leur faut s’en repartir, insatisfaits et presque abasourdis. La cause de ce
désastre réside dans cette présomption qui les pousse à exécuter tous à la fois des Passaggi,
comme dans un concours, non point de temps à autre ni un par un, mais continûment et
tous ensemble. Quelquefois, impatients de mieux montrer leur valeur, ils proposent une
interprétation si éloignée du contrepoint des compositions musicales et tellement mêlée de
notes dissonantes qu’il en résulte une insupportable cacophonie. Cette dernière s’accroît
d’autant plus que ces mêmes musiciens (et voyez jusqu’où les ont menés leur caprice et leur
frénésie) qui jouent la partie grave et basse, ne se rappellent pas, ou ne savent pas, qu’elle
est le socle et le fondement sur lequel a été édifié le chant. Même quand celui-ci est tenu
et stable, cette troupe se met à passer par-dessus, à lancer des Passaggi comme des grillons.
Ils se laissent tellement entraîner que non seulement ils passent à la partie des ténors, mais
arrivent même à la partie des contraltes, et comme si cela ne leur suffisait pas, presque à
celle des sopranes en grimpant à la cime, de sorte qu’ils ne peuvent plus redescendre, sinon
en se rompant le cou. […]
Gr[atioso]. Parmi tous les défauts dont vous m’avez parlé aujourd’hui, qui proviennent
des divers instrumentistes et qui causent discordance et confusion dans nos concerts, j’es-
time que l’exécution, très souvent indue et irraisonnée, des Passaggi est le plus grave et le
plus gênant. À titre de confirmation, je me souviens d’avoir ouï pareille discordance et
confusion dans les églises. Elle était provoquée par des chanteurs qui faisaient du contre-
point à l’impromptu sur les Cantus Firmus des Introït. Cela en devenait tout à la fois
ridicule et presque odieux 12. »
12 « Al. Così volendo eglino mostrarsi pratichissimi, sicurissimi, et eccellentissimi : onde, quando non
intravenga loro di fare altro errore, essendo che pur molti errori si commettano in cantando : et per ciò
quella mescolanza (et oora parlo per bocca di Aristotele) che deriva dalle buone, et dalle cattive operationi,
necessariamente convien, che sia peggiore assai : gli interviene quello della discordanza, la quale non
solamente, per ciò è tal ora tanta, che offende bene, et spesso l’udito sin di coloro, che di Musica non
hanno intelligenza, o cognitione, non che de’ pari vostri giudiciosi, a’ quali conuiene partirsene mal
sodisfatti, et quasi introniti : ma per quella presontuosa audacia di volersi, non dico alcuna volta qualcuno:
ma quasi del continovo, et tutti moversi, come a garra in un tempo medesimo à far passaggi. Et tal ora
per maggiormente mostrare il loro valore tanti lontani dal contrapunto della propostasi compositione
Musicale, et tanto intricati perciò di disonantie tra loro, che sforzatamente ne succede una insupportabile
confusione ; la quale tanto maggiormente si accresce allora, che anco quelli (e vedete di gratia sin dov’è
giunto questo capriccio, et questa frenesia) che essercitano la parte grave, e bassa, non si ricordando, per
lasciar di dir non sappendo, che ella è la base, et il fondamento, sopra il quale è stata fabricata quella
cantilena. E che non istando egli fermo, et saldo tutta quella fabrica conviene, che vada sossopra, si
pongono sù grilli de’ passaggi, et si lasciano da questo particolare diletto loro tirar tanto oltre, che non
solamente passano nella parte de’ tenori, ma giungono à quella de’ contralti. Et non li bastando, quasi
a quella de’ soprani, [inarborandosi] di maniera alla cima, che non ne possono scendere, se non a rompi
collo. [...] / Gr. Tra tutte le cause, che da gli strumenti, et da’ sonatori di quelli procedere voi mi avete
oggi narrato, sia per poter produrre gli effetti delle discordanze, et delle confusioni, che si odono in questi
nostri concerti, io non istimo, che sia la più potente, et la più efficace di questa de passaggi indebitamente
molte volte fatti, senza pensata consideratione. Et ciò mi conferma l’essermi ora sovenuto di aver udito
simil discordanze, et confusioni esser fatte da’ cantori nelle chiese contrapunteggiando alla mente sopra i
canti fermi de gli Introiti, che tal volta diuiene quasi, odiosa, et ridicolosa insieme » (Ercole Bottrigari,
Il Desiderio, op. cit., p. 50-51, Marie-Hélène Kervran, Il Desiderio ou des concerts avec différents instruments
de musique de Hercole Bottrigari, mémoire de maîtrise, Tours, CESR, 1993, traductions revues par Flavio
Esposito et Jacques Remi-Dahan, communications personnelles).
100
La fin d'un art ?
Même si quelques lignes plus tôt, Bottrigari avait loué les diminutions des nonnes
de San Vito à Ferrare, la position qu’il exprime ici peut sembler paradoxale si l’on se
rappelle le but que nous nous étions donné au seuil de cet ouvrage. En effet, comme le
faisaient déjà les auteurs anciens, nous avions voulu inciter le lecteur-musicien moderne
à pratiquer plus d’ornements avec goût et avec à propos et à diminuer la musique. Ter-
miner cette étude en évoquant la limite à ne pas dépasser est une manière d’avertir
qu’aujourd’hui comme hier, le musicien pourrait s’égarer. Nous avons vu à plusieurs
reprises que la diminution et l’ornement étaient un moyen de rehausser la qualité des
compositions mais ne devaient pas les détruire. Le lecteur trouvera bientôt dans les
traductions de la deuxième partie de nombreuses remarques à ce sujet ainsi que toutes
sortes de conseils qui pourront orienter son travail.
Si d’aventure il nous était possible d’imiter la description de Bottrigari citée à
l’instant, que penserait le public contemporain ? À l’inverse, à l’écoute de diminutions
et d’ornements parfaitement réalisés selon les canons décrits également tant par Maffei
que Zenobi, serions-nous comme le dit Bottrigari projetés au Parnasse ? Avec quelques
musiciens du Concert Brisé, lors du Festival de Musiques Improvisées de Lausanne
de 2011, nous avons tenté de « dépasser les bornes » à la fin du concert, ayant pris soin
naturellement, d’en avertir le public en lui lisant le passage du dialogue de Bottrigari
que nous venons de commenter. D’après les organisateurs et certains auditeurs, nous
ne sommes pas parvenus à « détruire » la composition de Palestrina qui nous servait
de support. La limite supérieure de la quantité de diminutions supportable pour le
public d’aujourd’hui ne semblait pas avoir été atteinte. C’est dire que les musiciens
peuvent encore progresser et que le public contemporain est prêt à recevoir ce genre
d’expérience. Les auteurs se réjouissent d’imaginer que ce livre pourra inciter nombre
de musiciens à se lancer dans l’aventure.
La pédagogie de la diminution
et de l’ornementation au temps
de la polyphonie palestrinienne.
Une anthologie de sources,
traduites en français, présentées
et commentées
Christian Pointet
(Lycée Denis-de-Rougemont, Neuchâtel)
Introduction…………………………………………………………………………………………………………………………………………… 107
2. Adrian Petit Coclico, Compendium musices, Nuremberg, Berg et Neuber, 1552……………………… 121
De l’élégance et de l’ornementation, ou prononciation, dans le chant……………………………………………… 122
6. Giovanni Camillo Maffei, Delle lettere, libri due, Naples, Raymundo Amato, 1562………………… 165
Livre i………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 165
7. Girolamo Dalla Casa, Il vero modo di diminuir, Venise, Angelo Gardano, 1584………………………… 171
première partie…………………………………………………………………………………………………………………………………… 172
Aux lecteurs……………………………………………………………………………………………………………………………………………… 172
Des trois coups de langue principaux…………………………………………………………………………………………………… 173
Du cornet à bouquin………………………………………………………………………………………………………………………………… 173
seconde partie……………………………………………………………………………………………………………………………………… 174
Aux lecteurs……………………………………………………………………………………………………………………………………………… 174
De l’exécution de la diminution en mesure…………………………………………………………………………………………… 175
De la viola bastarda………………………………………………………………………………………………………………………………… 175
De la voix humaine…………………………………………………………………………………………………………………………………… 176
8. Giovanni Bassano, Ricercate, passaggi et cadentie per potersi essercitar nel diminuir,
Venise, Giacomo Vincenti et Riccardo Amadino, 1585…………………………………………………………………… 181
Aux lecteurs – Giovanni Bassano…………………………………………………………………………………………………………… 182
10. Lodovico Zacconi, Prattica musica, Venise, Girolamo Polo, 1592………………………………………………… 185
Livre i………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 186
De quelle manière on peut chanter les notes de musique avec grâce, chap. lxiii…………………………… 186
Quel style observer dans l’exécution de la vocalise et de l’usage
des diminutions modernes, chap. lxvi…………………………………………………………………………………………………… 190
12. Giovanni Luca Conforti, Breve et facile maniera, Rome, [s. n.], 1593……………………………………………… 219
Déclaration sur les diminutions par Giovanni Luca Conforti – Aux Lecteurs……………………………… 220
13. Girolamo Diruta, Il Transilvano, Venise, Giacomo Vincenti, 1593 et 1609………………………………… 225
première partie…………………………………………………………………………………………………………………………………… 225
Règle pour jouer des orgues selon les règles, avec gravité et grâce …………………………………………………… 226
Manière de jouer avec musicalité des instruments à plumes……………………………………………………………… 227
Comment jouer les groppi……………………………………………………………………………………………………………………… 227
Manière de jouer les tremoli…………………………………………………………………………………………………………………… 229
A quel moment les tremoli doivent se faire………………………………………………………………………………………… 230
seconde partie……………………………………………………………………………………………………………………………………… 233
Livre i………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 233
104
Introduction
14. Giovanni Battista Bovicelli, Regole, passaggi di musica, madrigali et motetti passeggiati,
Venise, Giacomo Vincenti, 1594…………………………………………………………………………………………………………… 237
Aux lecteurs – L’auteur…………………………………………………………………………………………………………………………… 238
Avertissements concernant les paroles…………………………………………………………………………………………………… 239
Avertissements concernant les notes …………………………………………………………………………………………………… 241
Au vertueux lecteur – L’auteur………………………………………………………………………………………………………………… 248
15. Aurelio Virgiliano, Il Dolcimelo, manuscrit inachevé, I-Bc Ms [c. 33], env. 1600……………………… 249
Règles de la diminution…………………………………………………………………………………………………………………………… 250
16. Luigi Zenobi, Raccolta di lettere varie, I-Rv ms [r. 45], ff. 199r-204v,
manuscrit non daté, env. 1600……………………………………………………………………………………………………………… 253
2. Les questions du prince…………………………………………………………………………………………………………………… 253
3. Considérations sur ces questions……………………………………………………………………………………………………… 254
4. Qualités du chanteur pour chanter avec assurance………………………………………………………………………… 254
9. Qualités du musicien et différence entre musicien et chanteur…………………………………………………… 255
10. Qualités des chanteurs des différentes tessitures – la basse………………………………………………………… 255
11. Qualité de la basse – suite………………………………………………………………………………………………………………… 256
12. Ténor et voix intermédiaires…………………………………………………………………………………………………………… 256
13. Soprano – les différents agréments………………………………………………………………………………………………… 257
14. Autres qualités du soprano : musicalité, diminutions…………………………………………………………………… 257
16. Généralités sur les instrumentistes………………………………………………………………………………………………… 258
17. Qualités des instrumentistes à vent………………………………………………………………………………………………… 259
18. Qualités des instrumentistes à cordes……………………………………………………………………………………………… 259
19. Qualités particulières des joueurs de trombone, de cornet et d’instruments polyphoniques… 259
25. Qualités des joueurs d’instruments polyphoniques……………………………………………………………………… 260
17. Adriano Banchieri, Cartella musicale, Venise, Giacomo Vincenti, 1614……………………………………… 261
De la vocalise, des fioritures, et des ornements – Vingt-quatrième document………………………………… 262
Remarques sur les cent diminutions……………………………………………………………………………………………………… 272
18. Francesco Rognoni, Selva de varii passaggi, Milan, Filippo Lomazzo, 1620……………………………… 273
première partie…………………………………………………………………………………………………………………………………… 274
Avertissements – Aux bienveillants lecteurs………………………………………………………………………………………… 274
Avertissements aux chanteurs………………………………………………………………………………………………………………… 277
seconde partie……………………………………………………………………………………………………………………………………… 277
De la nature des violes de gambe…………………………………………………………………………………………………………… 278
De la viola bastarda………………………………………………………………………………………………………………………………… 278
Des viole da brazzo………………………………………………………………………………………………………………………………… 279
Instructions pour donner des coups d’archet ou lier…………………………………………………………………………… 280
Avertissements pour les instruments à vent………………………………………………………………………………………… 280
Francesco Lomazzo aux virtuoses considérant le présent ouvrage…………………………………………………… 281
Introduction
1 Au sujet des musiciens romains et italiens au xvie siècle, voir les deux ouvrages de Richard Sherr : Music
and Musicians in Renaissance Rome and Other Courts, Aldershot, Ashgate, 1999 ; Richard Sherr, éd., Papal
Music and Musicians in Medieval and Renaissance Rome, Oxford, Clarendon Press, 1998.
2 Ernst Ferand, Die Improvisation in der Musik, Laaber, Laaber-Verlag, 2010, p. 195-196.
3 Cette tradition date au moins de la génération précédant celle de Palestrina. Elle est relatée en particu-
lier à partir du pontificat de Léon x durant lequel le chant du Miserere et les lamentations improvisées
pendant la semaine sainte sont attestées et décrites. En 1524, Elzéar Genet, dit Carpentras, compose les
fameuses Lamentations de Jérémie (dédiées à Clément vii et qui seront chantées chaque année jusqu’en 1587,
lorsque, contre l’avis du chœur, Sixte Quint en demandera une nouvelle version à Palestrina). En outre,
une lettre de Palestrina au duc de Mantoue du 13 décembre 1568, accompagnant un envoi de motets et de
faux-bourdons, se réfère bien à une composition dans cette tradition : « Voici les motets composés sur les
poèmes de Votre excellence […] Don Annibale [Cappello] m’a parlé des faux-bourdons de la Chapelle
pontificale, qui ne sont pas écrits puisque la plupart du temps improvisés, selon l’usage, par les chanteurs
de Sa Sainteté » (cité dans Lino Bianchi, Giovanni Pierluigi da Palestrina, Paris, Fayard, 1994, p. 99). Le
castrat pontifical Francesco Severi relate cette même tradition dans la préface de ses psaumes diminués de
1615 : « Je me suis convaincu de publier ce petit livre de Salmi Passaggiati, non parce que je l’estime digne
de qui professe la manière du vrai chant, sachant bien que de telles diminutions sont d’habitude improvi-
sées par les bons chanteurs qui à Rome et ailleurs chantent dans les solennités, mais seulement pour plaire
à ceux qui désirent voir le style qu’il y a à Rome dans le chant desdits psaumes […] » (Francesco Severi,
« Ai Lettori », Salmi passaggiati par tutte le voci, Rome, Nicolò Borboni, 1615 – édition moderne : Murray
C. Bradshaw, éd., Madison, A-R, 1981).
4 Giovanni Luca Conforti, Salmi passeggiati, Rome, eredi di Nicolò Muti, 1601-1603, 3 vol. (édition
moderne : Murray C. Bradshaw, éd., Rome, American Institute of Musicology, Neuhausen, Hänssler,
1985) ; Francesco Severi, Salmi passaggiati, op. cit.
108
Introduction
faut absolument ajouter les témoignages particuliers sur l’exécution musicale de qualité
et les modèles à admirer, c’est pourquoi nous incluons à ce corpus deux lettres célèbres
adressées à des nobles mélomanes, celles de Luigi Zenobi et de Vincenzo Giustiniani8.
Il nous est apparu indispensable d’offrir aux musiciens et aux lecteurs franco-
phones une partie importante de cette littérature didactique, présentée avec une cer-
taine cohérence et dans une continuité chronologique. On s’apercevra ainsi de l’évo-
lution de l’ordre des priorités, de leur formulation et de leur intelligibilité. On pourra
aussi considérer la dimension du positionnement individuel, de l’application à un
instrument donné, voire de la rivalité de musiciens dans une même problématique
à travers quelques spécificités locales. Chaque traité offre une perspective propre qui
apparaît plus ou moins discrètement ; par exemple ce que signifie pour Girolamo Dalla
Casa « la vraie façon de diminuer9 » ou le fait que Giovanni Bassano juge nécessaire
de guider préalablement les étudiants vers le style de la diminution par ses « quelques
ricercari10 ».
La propagation des concepts esthétiques et l’émulation suscitée par les voyages
incessants des musiciens entre cours, cités et chapelles italiennes voire étrangères, doit
être gardée en mémoire. Deux tendances esthétiques majeures sous-tendent le geste
de l’ornementation improvisée dans l’Italie humaniste ; ce sont une manifeste volonté
rhétorique mais pleine de piacevolezza, selon l’exemple de Pietro Bembo, et surtout
une grâce nonchalante et noble telle que la décrit Baldassar Castiglione. Pour se repré-
senter cette dernière, il suffit de suivre un des courtisans-musiciens les plus célèbres,
Giulio Cesare Brancaccio11, noble soldat napolitain, qu’on voit fréquenter les cours
de l’empereur, du roi de France ou des principaux prélats et princes italiens. Lié avec
le duc Alphonse ii de Ferrare, il deviendra le mentor des chanteuses du concerto delle
dame et enseignera à Caccini. Selon Giustiniani, il est un des trois chanteurs auxquels
il faut attribuer l’invention d’une « nouvelle façon de chanter ». À travers nos sources,
on peut donc notamment deviner l’existence de quelques fils conducteurs discrets ;
l’énigmatique berceau napolitain (Diego Ortiz et Giovanni Camillo Maffei12), l’art
des instrumentistes virtuoses vénitiens (Silvestro Ganassi, Dalla Casa, Bassano13),
parfois formés à la cour de Bavière sous le mentorat de Roland de Lassus, le cantar
d’affetto, migrant de Naples, à Ferrare, Mantoue ou Florence, mais aussi à Rome où
il croise les anciennes diminutions vocales, issues de la tradition franco-flamande du
8 Luigi Zenobi, Raccolta di lettere varie, I-Rv [ms R. 45], manuscrit non daté, ca. 1600 (édition bilingue
italien-anglais : The Perfect Musician. A Letter to N. N., Bonnie J. Blackburn et Leofranc Holford-
Strevens, éd. et trad., Cracovie, Musica Jagellonica, 1995) ; Vincenzo Giustiniani, « Discorso sopra la
musica », [1628] (édition moderne : Angelo, Solerti, éd., Le Origini del melodramma. Testimonianze dei
contemporanei, Turin, Fratelli Bocca, 1903, p. 98-128 ; traduction anglaise : Carol MacClintock, « Gius-
tiniani’s Discorso sopra la musica », Musica Disciplina, vol. 15, 1961, p. 209-225).
9 Girolamo Dalla Casa, Il Vero modo di diminuir, Venise, Angelo Gardano, 1584, 2 vol. (traduction anglaise :
Jesse Rosenberg, « Il vero modo di diminuir », Historic Brass Society Journal, vol. 1, 1989, p. 109-114).
10 Giovanni Bassano, Ricercate passaggi et cadentie, Venise, Giacomo Vincenti et Riccardo Amadino, 1585
(édition moderne : Peter Thalheimer, éd., [s. l.], Mieroprint, 1994).
11 Richard Wistreich, Warrior, Courtier, Singer, Giulio Cesare Brancaccio and the Performance of Identity in
the Late Renaissance, Burlington, Ashgate Publishing, 2007.
12 Diego Ortiz, Trattado de glosas, Rome, Dorico, 1553 (édition moderne : Annette Otterstedt, éd., Hans
Reinsers, trad., Kassel, Bärenreiter, 2003).
13 Silvestro Ganassi, Opera intitulata Fontegara, Venise, per Sylvestro di Ganassi dal Fontego, 1535 (fac
simile : Bologne, Forni, 2002 ; traduction française : Œuvres complètes, vol. 1. La Fontegara, Christine
Vossart, éd., Jean-Philippe Navarre, trad., Sprimont, Mardaga, 2002) ; Girolamo Dalla Casa, Il Vero
modo di diminuir, op. cit. ; Giovanni Bassano, Ricercate passaggi et cadentie, op. cit.
14 Adrian Petit Coclico, Compendium musices, Nuremberg, Berg et Neuber, 1552 (fac simile : Kassel et
Bâle, Bärenreiter, 1954, traduction anglaise : Carol MacClintock, éd., Readings in the History of Music
performance, Bloomington, Indiana University Press, 1979, p. 30-36 ; Hermann Finck, Practica musica,
Wittenberg, Rhau, 1556 (fac simile : Hildesheim, Olms, 1971, traduction anglaise partielle : Carol Mac-
Clintock, éd., Readings in the History of Music performance, op. cit.)
15 Giovanni Luca Conforti, Salmi passeggiati, op. cit.
16 Giovanni Battista Bovicelli, Regole, passaggi di musica, madrigali e motetti passeggiati, Venise, Giacomo
Vincenti, 1594 (fac simile : Nanie Bridgman, éd., Kassel, Bärenreiter, 1957).
17 Francesco Rognoni, Selva di varii passaggi secondo l’uso moderno, Milan, Filippo Lomazzo, 1620 (fac
simile : Guglielmo Barblan, éd., Bologne, Forni, 1978 ; traduction anglaise : Bruce Dickey, trad.,
Bologne, Forni, 2002, p. 39-43).
18 Voir à ce sujet la notice de Jean-Philippe Navarre : « Le texte de Ganassi et sa traduction », Sylvestro
Ganassi, Œuvres complètes, vol. 1. La Fontegara, op. cit., p. 11-13.
110
Introduction
Chapitre 1
Silvestro Ganassi,
Opera intitulata Fontegara, Venise,
per Sylvestro di Ganassi dal Fontego, 15351
Œuvres : Opera intitulata Fontegara (Venise, per Sylvestro di Ganassi dal Fon-
tego, 1535), traité sur le jeu de la flûte à bec, Regola rubertina (Venise, ad instantia de
l’autore, 1542) et Lettione seconda (Venise, Stampata per l’auttore proprio, 1543), traité
en deux parties sur le jeu de la viole.
Opera Intitulata Fontegara | La quale insegna a sonare di flauto chon [sic] tutta
l’arte opportuna a esso instrumento | massime il diminuire il quale sara utila ad ogni
instrumento di fiato et a chorde: et anchora a | chi si dileta di canto, composta per
Sylvestro di Ganassi dal Fontego sonator della illustrissima Signoria Di Venezia.
[Colophon final] : Impressum Venetiis per Sylvestro di Ganassi | dal Fontego
sonator della illustrissima Si- | gnoria di Venetia hautor [sic] proprio. mdxxxv. | [Col-
lation] | finis.
Œuvre intitulée Fontegara laquelle enseigne à jouer de la flûte avec tout l’art
opportun à cet instrument surtout la diminution, qui sera utile à chaque instrument à
vent et à cordes : et également à celui qui se plaît à chanter, composée par Sylvestro di
Ganassi dal Fontego, joueur de l’Illustrissime Seigneurie de Venise.
[Colphon final :] Imprimé à Venise par Sylvestro di Ganassi dal Fontego, joueur de
l’Illustrissime Seigneurie de Venise ; auteur lui-même. 1535. [Collation] | fin.
1 Fac simile : Bologne, Forni, 2002. Une traduction française intégrale a été publiée dans : Sylvestro
Ganassi, Œuvres complètes, Volume 1, La Fontegara (1535), op. cit.
2 Howard Mayer Brown et Giulio Ongaro, « Ganassi dal Fontego, Sylvestro di », Grove Music Online.
Oxford Music Online, Oxford, Oxford University Press, consulté le 4 juin 2014.
Vous devez savoir que tous les instruments de musique sont moins dignes que la
voix humaine, pour cela nous nous efforceront d’apprendre d’elle et de l’imiter. Tu
pourrais dire à cela : « Comment une telle chose sera-t-elle possible, puisqu’elle [= la
voix] produit toutes les paroles ? Je ne crois donc pas que la flûte soit jamais semblable
à la voix humaine. » Et moi je te réponds que, de même que le digne et parfait peintre
imite toute chose créée par la nature avec la variété des couleurs, ainsi avec un tel
instrument à vent et à cordes, tu pourras imiter les paroles (el proferire) que produit la
voix humaine. Il est vrai que le peintre imite les effets de la nature, avec ses diverses
couleurs, parce que celle-ci produit diverses couleurs. De même la voix humaine varie
par son timbre (tuba), avec plus ou moins de force (audacia) et des paroles (proferire)
diverses. Si le peintre imite les effets de [la] nature avec ses couleurs, l’instrument
imitera les paroles de la voix humaine avec la [bonne] proportion du souffle, l’articula-
tion (offuscatione) de la langue et avec l’aide des doigts. De cela, j’en ai fait l’expérience
et [j’ai] entendu d’autres instrumentistes arriver à faire entendre grâce à leur jeu les
paroles, de sorte qu’on pouvait bien dire qu’il ne manquait à cet instrument que la
forme du corps humain, comme on dit d’une peinture bien faite, qu’il ne lui manque
que le souffle. Vous devez donc être certains que le but, pour lesdites raisons, est de
pouvoir imiter le parler.
Chapitre 2
Déclaration de la flûte
Cet instrument nommé flûte requiert trois choses : la première [est] le souffle,
la deuxième la main, la troisième la langue. Quant au souffle, la voix humaine, en
tant que maîtresse, nous enseigne qu’il doit être produit modérément, car lorsque
le chanteur chante une composition avec des paroles calmes (placabile), il adop-
tera une déclamation calme ; si elles sont joyeuses, il prendra un mode joyeux.
Si l’on veut imiter semblable effet, on procédera avec un souffle modéré, afin
de pouvoir augmenter et diminuer l’intensité aux endroits appropriés (ali sui
tempi).
[…]
Chapitre 9
Façon de faire la pratique de la main pour diminuer
D’abord il te sera connu qu’il y a deux effets qui provoquent (causeno) l’action (el
far) de la main : un [est] l’effet et la pratique de la langue, l’autre est la façon de dimi-
nuer. La main ne peut faire l’un sans l’autre, et, c’est la vérité, même avec le meilleur
[coup de] langue, si tu ne possèdes pas l’intelligence de la diminution, tu te fatigueras
en vain, et vice versa. Tu comprendras cependant que diminuer n’est rien d’autre que
varier la chose ou le procédé, qui, de nature, se montre constant (sodo) et simple. De
cette diminution en effet, des manières variées naissent, et on avertit que diminuer
114
Silvestro Ganassi, Opera intitulata Fontegara, Venise, per Sylvestro di Ganassi dal Fontego, 1535
Chapitre 13
Manière et pratique de la diminution
3 Sur les différents types de diminutions, Ganassi précise aux chapitres 10, 11 et 12 (Opera intitulata Fontegara
…, op. cit.) ce qu’il appelle respectivement manière simple, manière simple en particulier et en général,
ainsi que manière composée en particulier et en général.
le contrepoint pourra être très bon, comme s’il avait été de cette façon :
Cependant comme cette règle ou façon de diminuer n’est pas sûre et stable, sache
que tu pourrais bien, avec une telle diminution, tomber facilement dans ce que l’art
du contrepoint n’autorise pas. Sache aussi qu’un habile et bon chanteur, s’il est dans
une excellente disposition de vocalise (gorgia), même s’il sait que sa diminution peut
produire quelque faute, s’il veut ou prévoit un très beau discours, ne manquera pas de
poursuivre son intention. Pour autant que la vocalise soit très précise et très rapide,
même s’il a quelque erreur dans les notes intermédiaires (tali mezzi), en raison de leur
beauté, elles seront néanmoins tolérées et n’offenseront pas le sens [de l’ouïe], car cer-
tainement la diminution n’est autre qu’un ornement du contrepoint. Ainsi, tu pourras
utiliser aussi cette façon de diminuer, si tu entrevois un discours commode et plaisant.
Les deuxième et troisième possibilités (ragione) te permettent de rompre l’ordre du
début et de la fin par la syncope. Une telle syncope pourra en effet intervenir à propos
(con ragione), mais elle fera parfois pâtir le contrepoint, car il sera impossible que, dans
une diminution rapide, ne naisse pas [quelque] erreur. Néanmoins, pour les raisons ci-
dessus, je te concède cette liberté [arbitrio]. Note que la première règle sera le modèle
des autres en beaucoup de choses, dont je te dirai quelques-unes. Au commencement
des règles, les signes [de mesure] seront démontrés et ils seront à comprendre pour tous
les autres endroits, même si je ne les écris pas à nouveau. Je te propose aussi la sesquial-
tère de cette façon pour l’intervalle de seconde non brisée et cela est à appliquer à tous
les sauts de seconde sans notes intermédiaires (senza mezzo) de la même manière que
pour la seconde brisée, [la] tierce, [la] quarte et [la] quinte. Tu verras aussi quelques
exemples dans les marges, qui t’enseigneront à pouvoir t’approprier les passages (atti)
diminués pour des intervalles (moti) variés. Je fais cela pour que tu puisses te tirer de
toutes les situations (cavar costrutto di ogni cosa), même si elles ne sont pas conformes
au modèle (al suo sugietto). Ces exemples seront sur ladite première règle, mais, de la
116
Silvestro Ganassi, Opera intitulata Fontegara, Venise, per Sylvestro di Ganassi dal Fontego, 1535
même façon (ordine), tu pourras les adapter dans les autres règles. S’ensuit la pratique
de ce type de diminution.
[…]
Chapitre 23
Règle et ordre du jeu artistique
Chapitre 24
Déclaration de l’imitation, de la promptitude
et de la galanterie
Chapitre 25
Démonstration de la règle figurée
Le moyen qui sera adapté et nécessaire à l’art qui causera l’imitation, ainsi que tu
l’as compris plus haut, est semblable à la règle, qui se trouve au début de notre traité et
qui t’enseigne toutes les notes, lesquelles sont démontrées sur les flûtes en illustration
(figura). Ainsi, tu seras averti que pour l’imitation, vive et robuste, nous auront mis
la lettre suivante V sur la flûte, et que la note sur laquelle je te demande d’effectuer
un tremblement avec le doigt (che col dito tu tremoli), afin de créer une galanterie, sera
signalée par la présente lettre T. Cette lettre apparaîtra à côté de la note ou doigt qui
doit effectuer le tremblement (tremolare). Par ce même ordre et moyen, on produira
l’imitation calme et douce, et cette douceur harmonieuse sera marquée par la lettre
suivante S, qui sera en évidence sur la flûte ; il faudra alors effectuer le tremblement
sur cette note. Nous avons choisi ce T, plutôt qu’une autre [lettre], car tremblement
(tremolo) commence par T, [de même], vif (vivace) par V et doux (suave) par S. Par
conséquent, si l’imitation est vive, la galanterie sera vive, si elle est douce, le tremble-
ment ou galanterie sera doux. Toutefois, pour la promptitude – qui dérive du souffle –
tu veilleras à en produire les variétés de manière vive ou douce en considérant bien ton
expérience et en faisant intervenir ton bon discernement. Sache et note bien que j’ai
pensé cet ordre et moyen pour [des] flûtes [construites] seulement par un maître. Tou-
tefois si tu ne peux t’exercer en cela sur d’autres [flûtes], il faut que tu t’entraînes à cou-
vrir et découvrir un deux [trous de] note de plus ou de moins, comme tu l’as compris
au chapitre cinquième4, qui t’enseigne à faire sept notes de plus ; car où la nature fait
défaut, l’art a besoin d’être [le] maître. À ce propos, on en a assez dit, car si tu es apte
dans ce domaine, il n’y a pas de doute qu’avec ton bon discernement tu ne parviennes
au port désiré et à la maîtrise de cet instrument, comme le montre l’illustration. Note
que tu peux obtenir chaque note doucement en découvrant un peu [le trou de] la note
et en lui donnant moins de souffle, même si je ne le place pas sur toutes les notes.
[…]
118
Silvestro Ganassi, Opera intitulata Fontegara, Venise, per Sylvestro di Ganassi dal Fontego, 1535
[…]
Dans l’illustration présentée ci-dessus apparaissent quelques trous ou notes à demi
ouverts ou à demi fermés. Quant à cela, sache que je ne peux te présenter aucune règle
spéciale, car certains de ces demi-trous seront obtenus [en bouchant] plus ou moins
que la moitié, selon ce qui sonnera bien à ton oreille. Avec le discernement susdit en
pratiquant les deux tu trouveras. Tu pourrais cependant me dire : « Comment et par
quel moyen connaîtrai-je le moment et la manière de mettre en œuvre tout cela ; c’est-
à-dire à propos de l’imitation, de la promptitude et de la galanterie, et également des
notes vives ou douces ? » Sache que ton maître sera le chanteur habile et expérimenté ;
comme tu [le] sais, c’est celui qui, lorsqu’on lui met sous les yeux un chant, considère
d’abord objectivement (sanamente) la nature des paroles de la composition ! Si elles sont
de nature gaie, alors il adoptera une manière et une voix joyeuse ou vive, et si lesdites
paroles sont tristes et calmes, alors sa prononciation ira vers la manière douce et triste.
Tu procéderas ainsi : si les paroles sont douces et tristes, tu joueras aussi tristement,
et si elles sont joyeuses tu joueras joyeusement et vivement, et de là naîtra, comme tu
l’as compris plus haut l’imitation de la voix humaine. Je ne pense plus m’étendre plus
longuement, car ayant toujours procédé avec brièveté, je t’offre ce petit ouvrage, que, je
l’espère, et je prie Dieu omnipotent, tu accepteras favorablement avec ta bienveillance
et ton amour. Si en lui il y a quelque erreur, veuille par ta grâce m’excuser, en consi-
dérant combien je me suis volontiers, pour toi, donné de peine. Pour cela, aimable et
humanissime lecteur, ne m’inculpe pas si je ne t’ai pas satisfait, par la faute de mon
petit savoir, et accepte seulement ma bonne volonté. Porte-toi bien.
[…]
Chapitre 2
Adrian Petit Coclico2 (Flandres, 1499 ou 1500 – Copenhague, après 1562) est
un compositeur et théoricien flamand. Il prétend avoir servi les rois d’Angleterre et de
France, ainsi que le pape, de même qu’être un élève de Josquin. Aucun de ces faits n’a
pu être attesté. Né catholique, il se convertit au protestantisme et quitte les Flandres
pour l’Allemagne. Il enseigne la musique en privé à un groupe d’étudiants de l’uni-
verité de Wittenberg en 1545. En 1547, il entre au service de la chapelle du duc de
Prusse. En 1550, il se rend à Nuremberg où il publie son Compendium musicum ainsi
qu’une collection de motets. Il y fonde une école de musique où il enseigne également
le français et l’italien. À Schwerin, il entre au service du duc Johann Albrecht i de
Mecklenbourg en 1555. Il se rend ensuite à Copenhague, où il est engagé par le roi
Christian iii comme chanteur et musicien, jusqu’à sa mort, présumée en 1562.
3 Le terme pronunciatio est utilisé ici dans son acception rhétorique et non au sens de solmisation.
122
Adrian Petit Coclico, Compendium musices, Nuremberg, Berg et Neuber, 1552
Ill. 5
4 Les termes clausula ou cadence sont compris comme un mouvement mélodique caractéristique, n’ayant pas
forcément une fonction cadentielle au sens moderne.
5 Suivent d’autres exemples musicaux : Élégance sur la chanson Languir me fault (chanson de Claudin
de Sermisy connue aussi avec ce texte : Languir me fais), Duo C’est à grant tort (chanson également de
Sermisy), Fugue à 4 voix à partir d’une seule. Les transcriptions modernes des autres exemples se trouvent
dans : Carol MacClintock, Readings in the History of Music performance, op. cit., p. 33-36.
124
Diego Ortiz, Trattado de glosas, Rome, Dorico, 1553
Chapitre 3
Diego Ortiz,
Trattado de glosas,
Rome, Dorico, 15531
Diego Ortiz2 (Tolède, env. 1510 – Naples ?, env. 1570) est un compositeur et violiste
espagnol établi à Naples dès 1553. De 1556 à 1558, il est maître de la chapelle du
vice-roi de Naples, au service de Fernando Alvarez de Toledo, duc d’Albe et vice-
roi de Naples. En 1565 il reste au service de son successeur, le duc d’Alcalá, le très
conservateur Pedro Afán de Rivera, vice-roi de 1559-1571, auquel il dédie son Musices
liber primus. Un livre de messes qu’il promet dans la préface de cette œuvre n’a jamais
été publié.
Œuvres : Trattado de glosas (Rome, Dorico, 1553), dédié au pape Jules iii3 et publié
également en traduction italienne, Musices liber primus (Venise, Antonio Gardano, 1565).
Première partie
Le premier libre de Diego Ortiz de Tolède dans lequel on traite des gloses
sur les cadences et autres sortes de notes dans la musique de la viole nouvellement mis
au jour.
[Colphon final :] [marque typographique] À Rome par Valerío Dorico et Luís son
frère, le 10 décembre 1553.4
1 La même année et chez le même éditeur paraissait une version italienne de l’ouvrage. C’est cette dernière
édition que nous avons décidé de traduire puisqu’elle était alors davantage accessible aux musiciens
italiens. On trouve une traduction française synthétisant les deux versions dans : Diego Ortiz, Œuvres
complètes, Volume 1, Trattado de glosas (Rome, 1553), Jean-Philippe Navarre, trad., Sprimont, Mardaga,
2002.
2 Robert Stevenson, « Ortiz, Diego », Grove Music Online. Oxford Music Online, Oxford, Oxford University
Press, consulté le 4 juin 2014.
3 Il s’agit du fameux Giovanni Maria de’ Ciocchi del Monte, ex-évêque de Palestrina et protecteur de
Giovanni Pierluigi. Le privilège accordé à Ortiz pour son traité, et imprimé à la première page de ce
dernier, émane de Jules iii. C’est à lui que sera également dédié le premier livre de messes de Palestrina
l’année suivante en 1554.
4 Titre de la version italienne.
Comme l’auteur susnommé pense combien la musique fleurit en ces temps, non
seulement celle qui consiste en l’harmonie des voix, mais aussi celle qui comporte des
instruments, voyant aussi que, dans toute leur diversité, on trouve des traités sur les
instruments, dans lesquels les curieux de [ce qui concerne] ladite Musique, peuvent
se prévaloir, en étudiant les bases et les principes (li precetti et ordini) pour jouer ces
instruments, je donne à leur admiration la Viole à archet, qui, étant un instrument
si important et tellement en usage, bien qu’aucun des si nombreux hommes habiles,
exercés sur cet instrument, n’ait encore donné une méthode (principio), où les [gens]
studieux puissent entrevoir une voie ou manière pour s’exercer sur elle [= la viole]. Ne
voulant pas commettre la même faute, il est déterminé (determinossi) à donner quelques
principes à cette étude, en fournissant des conseils (precetti), grâce auxquels chaque
étudiant puisse procéder en bon ordre, et jouer avec raison et non au hasard.
Puisque cet instrument [= la viole à archet] se joue de deux manières, soit en
ensemble de violes (esp. concierto / it. concetto [sic]), soit en faisant contrepoint (esp.
discantando / it. contrapuntando) avec un autre instrument, il [= Diego Ortiz) a divisé
le traité en deux parties. Dans la première, il enseigne la méthode (ordine) à avoir pour
jouer, avec des exemples de toutes les gloses que l’on peut faire dans les cadences, avec
toute sorte et manière de notes qu’on y trouve. Dans la deuxième partie, il enseigne la
manière à avoir lorsqu’on fait contrepoint avec une autre sorte d’instrument, avec les
exemples nécessaires. Ainsi, ceux qui souhaitent s’exercer dans l’une et l’autre partie
auront, sur la viole à archet, quelque principe, qu’ils pourront prendre dans la présente
œuvre, où ils trouveront facilement tout ce qu’on peut désirer.
Celui qui veut tirer profit de ce livre doit premièrement considérer la propre habi-
leté qu’il a, puis, conformément à celle-ci, choisir les gloses qui conviennent le mieux.
Car même si une glose est bonne, si la main ne parvient pas à la jouer, le résultat (il
sono) ne peut pas paraître bon, et le défaut ne proviendra pas de la glose.
On avertit que ce livre montre la voie dans la manière à avoir pour gloser les notes,
mais la grâce (esp. et it. gratia) et les effets qu’il y a à donner à la main proviennent seuls
de l’instrumentiste qui doit jouer en touchant doucement la note, afin que le son sorte
tantôt d’une façon, tantôt d’une autre, en y mêlant quelques agréments amortis (esp.
quiebros amortiguados / it. tratti ammortiti) et quelques [passages] posés (esp. algunos
passos /it. alcuni posati) en sorte que la main de l’archet ne donne pas d’à-coups, mais
qu’elle le tire calmement, et que la main gauche (mancha) tienne l’harmonie, surtout
lorsqu’arrivent deux ou trois semiminimes en un trait, dont on ne doit percevoir que la
première, et faire passer les autres sans que la main de l’archet ne frappe, comme je l’ai
dit. Comme on ne peut [pas] montrer cela mieux par la théorie, je le laisse au bon juge-
ment du musicien, et je traiterai des manières de gloser, qui sont [au nombre de] trois.
126
Diego Ortiz, Trattado de glosas, Rome, Dorico, 1553
La principale et la plus parfaite manière de gloser est, après avoir fait le passage
ou glose sur n’importe quelle note et passé à la suivante, que la dernière note de la
glose doive rester la même que celle qu’on a glosée, comme le montrent les exemples
suivants :
Ainsi que je l’ai dit, cette manière est la plus parfaite, parce que la glose commence
et finit sur la note glosée elle-même ; et la chute ou la cadence s’y fait comme celle du
chant donné (esp. canto llano / it. canto piano), de sorte qu’il ne peut y survenir en elle
aucune imperfection5.
La deuxième manière prend un peu plus de liberté (licenzia), car, au moment où
l’on change d’une note à l’autre, elle [= cette manière] ne fait pas les enchaînements
(cadenze) comme notes données (punti piani), mais au contraire, comme on le montre
dans ces exemples :
Cette manière est nécessaire car, en prenant cette licence, on fait de très bonnes
choses et d’aimables fioritures (fiorizare), que l’on ne pourrait faire avec la première
manière seule. C’est pourquoi je l’utilise en quelques parties de ce livre, et la faute que
l’on peut lui reprocher est qu’au moment de passer d’une semibrève (esp. et it. quarto
punto) à l’autre, puisqu’il ne se produit pas le même enchaînement (cadenza) que font
les notes que l’on glose, les autres voix peuvent arriver de sorte qu’avec l’une d’elle, il
se fasse deux consonances parfaites successives, ce qui importe peu, car, à cause de la
vitesse, on ne peut les entendre6.
La troisième est de sortir de la composition et d’aller à l’oreille, plus ou moins ,
sans avoir certitude de ce qui se joue. Certains l’utilisent, parce que, possédant un peu
d’habileté, ils veulent en faire la démonstration (essercitare). Ils sortent alors sans but
et sans mesure de la composition, et aboutissent sur quelque cadence ou notes qu’ils
connaissent déjà. C’est une chose réprouvée en musique, car, n’étant pas conforme à
la composition, elle ne peut avoir aucune perfection. Puisque la raison de tout ceci
provient de ce qu’on ne comprend pas la composition, j’ai fait ce travail dans ce livre,
afin que même celui qui ne connaît pas la musique figurée (canto figurato), avec peu
d'effort, joue parfaitement, car on trouvera ici toutes les manières de notes nécessaires
pour gloser sur chaque sorte de cadence, [et] toutes conformes aux règles (ragione) de
la composition.
5 L’emploi des expressions « sur le livre » et « canto llano » ou « piano » indiquent clairement le lien entre les
pratiques instrumentales que décrit Ortiz et l’art du contrepoint vocal improvisé.
6 Diego Ortiz est, avec Hermann Finck, un des seuls auteurs à tolérer les consonances parfaites consécutives
dans la diminution, cf. le glossaire : « Fautes de quintes et d’octaves » et « Licences, tolérées en raison de la
rapidité ».
Bien que la manière de gloser une voix, en jouant ou en chantant s’apprenne faci-
lement dans ce livre, je veux toutefois dire comment l’on doit faire, car il se pourrait
que certains ne l’aient pas compris. Il faut prendre la note (voce) que l’on veut gloser
et l’écrire de nouveau, et, arrivé [à l’endroit] où l’on veut gloser, recourir au livre et y
retrouver la sorte de notes [désirée], si c’est une cadence, dans les cadences, et, sinon,
dans les autres, puis regarder toutes les variantes (differentie) qui sont écrites sur ces
notes, prendre celle qui paraît la meilleure, et la mettre à la place des notes données.
On fera de cette manière à tous les endroits que l’on veut gloser.
[Les] cadences en G sol ré ut aigu qui arrivent, sur le soprano [de viole], sur la troi-
sième corde, dans la troisième case, se trouvent être les mêmes, sur la contrebasse [de
viole] à l’octave grave, parce que le soprano doit s’accorder à l’octave de la basse, mais
le ténor et le contralto [de viole] à la quinte.
Il faut avertir que, quand dans la cadence donnée (piana), il y aura marqué le dièse,
qui sera [noté] avec le signe X, comme dans la première [cadence], toutes les notes qui
passent, dans le contrepoint, par ces [mêmes] notes, devront être élevées (sostenir), et si,
dans la cadence donnée, il n’y a pas ce signe, il ne faudra faire aucun dièse.
[…]
128
Diego Ortiz, Trattado de glosas, Rome, Dorico, 1553
Les cadences ou clausules mentionnées se font d’une autre manière, soit lorsqu’on
descend de la septième à l’octave, [les valeurs] sont deux fois plus lentes que les autres,
comme on le verra dans l’exemple ci-après.
[...]
Il serait très long et très ennuyeux d’écrire tout ce qui peut se faire de bonne qua-
lité sur les cadences ou autre procédés et diminutions de chaque excellent musicien. Il
m’a semblé bon de réduire ici les diminutions les plus générales et les plus nécessaires,
en les laissant à la diligence d’autrui et au bon jugement de chaque étudiant et profes-
seur avisé de musique. Il me suffit à présent d’avoir montré la voie et d’avoir mis au jour
ces documents, pour celui qui désire y passer plus [de temps] en aidant son talent avec
cette nouvelle œuvre. Et j’avertis ici particulièrement que les cadences suivantes sont
plus usuelles pour le ténor et le contralto plutôt qu’aux autres voix et parties et elles
sont intitulées ainsi dans la table des matières.
Dans les exemples qui sont placés jusqu’ici, il me paraît avoir mis et inclus tout
ce qui est principal et d’importance majeure, et qui convient le plus aux diminutions
(diminutioni) des cadences. Dans la partie suivante, on traitera de la manière qui doit
servir dans les diminutions des passages (passaggi) ou progressions de notes ascen-
dantes et descendantes. Il n’y aura pas de clefs, car les mêmes passages et progressions
de notes peuvent s’accommoder et se dire dans toutes les suites (termini) et mouve-
ments (segni) de notes.
Dans ce second livre, on traite des diverses manières de jouer avec la Viole et
avec le Clavecin ensemble. Il y a trois manières de jouer. La première est appelée la
fantaisie. La deuxième est sur un chant Donné (esp. sobre canto llano / it. sopra canto
piano). La troisième sur une composition à plusieurs voix. On ne peut pas montrer ici
la fantaisie, car chaque bon instrumentiste la joue selon sa tête, son assiduité (studio)
et [son] usage. Je dirai plutôt ce qu’on requiert pour la jouer. La fantaisie que jouera le
clavecin sera constituée de consonances bien ordonnées, où ensuite on pourra entrer en
jouant de la Viole avec quelques diminutions gracieuses (leggiadri passaggi) et quand la
Viole restera sur des mouvements ou coups d’archets longs (in alcune tirate ouero archate
piane), alors le Clavecin qui lui répondra à propos et ils feront ensemble quelques
belles imitations (fughe), en prêtant attention et respect l’un à l’autre, comme on le
fait habituellement dans les Contrepoints de concert (Contraponti di consierto). Ainsi,
l’un connaîtra l’autre, et, avec la pratique, ils découvriront les très excellents et dignes
secrets contenus dans cette manière de jouer en fantaisie. Des deux autres manières je
ferai mention en leurs lieux convenables et appropriés.
[…]
De cette manière de jouer, j’ai composé et écrit ci-dessous six recherches sur le
chant donné qui suit, que l’on doit placer sur le Clavecin [à la hauteur] où il est noté
à la basse (per Contrabasso), en accompagnant les consonances avec quelque contre-
point conforme à la recherche, parmi les six, qui se joue à la Viole. Ainsi, la recherche
réussira bien, car son contrepoint est libre (sciolto). Le lecteur remarquera que, de cette
manière de jouer, se trouveront, à la fin de ce livre, d’autres exemples sur des ténors7.
Je les ai faits pour satisfaire aux différents goûts et désirs des instrumentistes, de sorte
que chacun puisse prendre celui qui lui paraîtra [le] meilleur et [le] plus beau.
7 C’est-à-dire des basses obstinées, telles que les passamezzi, la romanesca, l’aria di ruggiero, entre autres.
138
Diego Ortiz, Trattado de glosas, Rome, Dorico, 1553
Recercata prima
Il faut prendre d’abord le madrigal, ou [le] motet, ou une autre œuvre que l’on veut
jouer, et ensuite le mettre sur le Clavecin, comme on le porte d’ordinaire. Celui qui joue
de la viole peut, sur une telle composition, jouer, deux [ou] trois, variations (esp. diffe-
rentias / it. varietadi), ou plus. Ici, j’en place quatre sur un madrigal, à titre d’exemple
(per essempi). La première sera sur la même basse (contrabasso) que le madrigal, avec
quelques ajouts et quelques larges diminutions (larghi passaggi). La deuxième [varia-
tion] avec le soprano fleuri et diminué ; cette manière de jouer sera plus agréable et
gracieuse quand on ne joue pas sur le Clavecin ledit soprano. La troisième manière sera
le complément (accompagnamento) de la première, bien qu’elle soit plus difficile à jouer,
car elle requiert une main plus souple. La quatrième sera avec une cinquième voix ou
partie ajoutée, [manière] à laquelle n’est pas contraint l’instrumentiste qui n’a pas une
bonne pratique et habileté à composer.
140
Diego Ortiz, Trattado de glosas, Rome, Dorico, 1553
[Avertissement pour jouer sur des compositions]
Celui qui se destine à cette manière de jouer sera averti de ce qu’elle est diffé-
rente de celle dont on traite dans le présent [premier livre], qui consiste à jouer en
ensemble (consierto) avec quatre ou cinq Violes. Il sera nécessaire, dans celle-là [= nou-
velle manière], pour qu’elle soit bien faite, que le contrepoint y soit toujours conforme
à la voix qui joue. Il faut toujours être assujetti à elle (le deue gir obligato), afin d’éviter
l’erreur, dans laquelle tombera celui qui s’en détournerait et jouerait ce qu’il lui plaît,
laissant le sujet principal, qui est la voix composée. Dans cette [nouvelle] manière, il
n’est pas nécessaire de s’attacher (gir adatto) toujours à une [seule et même] voix, car si
la basse (contrabasso) doit être le sujet principal, on n’en peut pas moins l’abandonner et
jouer sur le ténor, ou l’alto, ou le soprano, comme il semble [le] mieux, en prenant de
chaque partie, ce qui viendra de plus commode. Je dis que la raison en est que, avec le
Clavecin, on joue l’œuvre parfaitement, c’est-à-dire, avec toutes ses voix, et que celui
qui sur la Viole est seul à accompagner et à donner plus de grâce et de charme à ce
que joue le Clavecin, en délectant davantage les auditeurs par le son varié des cordes
(della corda).
[Exemples musicaux : Doulce memoire à quatre voix de Pierre Regnault dit San-
drin, puis quatre recercadas sur cette chanson]
[…]
Pour un plus grand achèvement de cet ouvrage, il m’est paru [bon] de proposer
ici ces recherches [ci-dessous] sur ces ténors8, à propos desquels il faut être averti que,
si on veut les jouer, comme les quatre parties sont notées, [ce sont] les recherches sur
celles-ci qui [sont] le principal but (effetto), pour lequel je les ai faites. Néanmoins, si
on veut jouer le contrepoint sur la basse seule, le contrepoint reste[ra] en perfection,
comme s’il avait été fait sur cette seule partie, et, si par hasard, le Clavecin manquait,
on peut jouer et étudier de cette manière.
[...]
8 La version espagnole précise : « sobre estos Cantos llanos que en Italia comunmente llaman Tenores ».
146
Diego Ortiz, Trattado de glosas, Rome, Dorico, 1553
Chapitre 4
Nicola Vicentino,
L’Antica musica ridotta alla moderna prattica,
Rome, Antonio Barré, 15551
Nicola Vicentino2 (Vicence, 1511 – Milan, env. 1576) est compositeur et théoricien.
Après son enfance à Vicence, il étudie à Venise où il est élève d’Adrien Willaert ; puis
il entre au service d’Hercule ii de Ferrare et de sa famille. En 1539, il est à Rome dans
la suite du cardinal Hippolyte ii d’Este, au service duquel il travaille pendant une
vingtaine d’années. En 1551, il s’oppose, dans une célèbre controverse, au chanteur
pontifical et compositeur Vicente Lusitano, soutenant que la musique de leur époque
contient les fameux trois genera de la musique antique (le diatonique, le chromatique
et l’enharmonique). Les deux juges, Ghiselin Dankaerts et Bartolomeo Escobedo,
également chanteurs pontificaux, donnent raison à Lusitano, qui prétend que seul
le genre diatonique est praticable actuellement. En 1555, en prolongement à cette
dispute, Vicentino publie L’Antica musica ridotta alla moderna prattica, qui expose ses
propres recherches, de même que la teneur et la sentence de la controverse. Afin de
rendre possibles les genres chromatique et enharmonique, Vicentino y présente un
instrument de son invention, l’arcicembalo à deux claviers et à 31 touches par octave.
Le traité de Vicentino est divisé en deux parties : la première – Della theorica musicale
– est basée principalement sur Boèce ; la deuxième – Della prattica musicale – comporte
5 livres. Dans le quatrième livre, un manuel de composition, on perçoit bien la pensée
humaniste de l’auteur. Il se termine par les Regole da concertare et l’exposé de la Dif-
ferentia musicale, avuta fra Don Vincentio Lusitanio et io Nicola Vicentino. Les « règles
pour concerter », outre les passages traduits ci-dessous concernant la diminution, sont
un jalon important en direction du style récitatif et contient des comparaisons entre
le chanteur et l’orateur, notamment la nécessité de « muovere la misura », qui agit sur
l’âme de l’auditeur, et celle de chanter par cœur, qui permet d’imiter les « accenti et
effetti delle parti dell’oratione ». De 1563 à 1565, Vicentino est en fonction à la tête de la
chapelle de la cathédrale de Vicence. Dès 1570, on trouve sa trace à Milan où il meurt
peut-être de la peste en 1576.
Œuvres : L’Antica musica ridotta alla moderna prattica (Rome, Antonio Barré,
1555, deuxième édition en 1577) ; cinq livres de madrigaux à 5 voix, dont ne restent
que le premier (Venise, [s. n.], 1546) et le cinquième (Milan, Paolo Gottardo Pontio,
1572) ; quatre livres de motets à 5 voix, dont ne reste que le Quintus du quatrième livre
Livre quatrième
De la pratique musicale
Chapitre xxxxii
Règle pour concerter en chantant toute sorte de composition
Les compositions sont différentes selon les sujets sur lesquels elles sont élaborées,
et, quelques chanteurs souvent ne s’aperçoivent pas, en chantant, sur quel propos la
pièce est faite. Ils chantent sans considération aucune, toujours selon leur certaine
façon, leur nature et leur habitude. Pourtant les compositions construites sur des sujets
variés et des fantaisies différentes portent en elles diverses manières de composer,
de sorte que le chanteur doit considérer l’esprit du poète-musicien, de même que du
poète italien (volgare) ou latin, imiter avec la voix la composition et utiliser diverses
manières, comme sont les diverses manières de compositions. Quand il utilisera de
telles aptitudes (modi), il sera estimé des auditeurs comme un homme de jugement et
possédant de nombreuses manières de chanter. Il démontrera qu’il est abondamment
pourvu de styles (modi) de chant, par la disposition à la vocalise ou à diminuer, cela en
accompagnant les compositions bien à propos selon les passages (con la dispositione della
gorga, o di diminuire accompagnata con le compositioni, secondo li passaggi, in suo proposito).
Il y a cependant quelques chanteurs, qui démontrent aux auditeurs leur peu de
jugement et de considération lorsqu’ils chantent. Lorsqu’ils rencontrent un passage
triste, ils le chantent joyeusement et, inversement, quand le passage est joyeux, ils le
chantent tristement. Ceux-ci doivent observer que les diminutions, quand elles sont
faites en lieu et temps appropriés paraissent bonnes.
Celles-ci doivent être utilisées à plus de quatre voix, parce que la diminution fait
toujours perdre beaucoup les consonances, et ajoute beaucoup de dissonances, même
si elle paraît bonne à l’auditeur non connaisseur (prattico) de musique. Comme elle
cause une perte d’harmonie, et dans cette crainte, afin que le chanteur puisse démon-
trer sa belle disposition à diminuer dans les compositions, une telle diminution sera
très bonne si elle est accompagnée d’instruments, lesquels joueront la pièce juste, sans
diminuer et comme elle sera notée. Ainsi on ne perdra pas l’harmonie à cause de la
150
Nicola Vicentino, L’Antica musica ridotta alla moderna prattica, Rome, Antonio Barré, 1555
diminution, puisque l’instrument tiendra les consonances dans les règles (termini). En
revanche, quand l’instrumentiste diminuera la composition et que le chanteur voudra
la diminuer simultanément, le résultat, si tous deux diminuent en ne faisant pas un
même passage ensemble, ne donnera pas un bon accord ; mais, s’ils [se] sont bien
concertés, cela sera agréable à écouter.
Dans les compositions chantées sans instruments, les diminutions seront bonnes,
si elles sont à plus que quatre voix, parce que, aux endroits où il manquera une conso-
nance, une autre partie la rétablira, soit à l’octave, soit à l’unisson, et, l’harmonie ne
sera pas appauvrie. En effet, le chanteur voyage à travers les parties, avec des unissons,
secondes, tierces, quartes, quintes, sixtes ou octaves, touchant tantôt une partie, tantôt
une autre, avec des consonances et des dissonances variées, qui, en raison de la vitesse
du chant semblent bonnes, même si elles ne le sont pas.
Chaque chanteur sera attentif, en chantant des lamentations et autres composi-
tions tristes, à ne faire aucune diminution, parce que ces pièces paraîtront joyeuses,
et, inversement, on ne chantera pas tristement dans les pièces joyeuses, tant italiennes
(volgari) que latines […].
Chapitre 5
Hermann Finck,
Practica musica, Wittenberg,
Georg Rhau, 15561
1 Fac simile : Hildesheim, Olms, 1971 ; traduction anglaise partielle et transcription partielle des premiers
exemples musicaux : Carol MacClintock, éd., Readings in the History of Music performance, op.
cit., p. 61-68.
2 Frank E. Kirby, « Finck, Hermann », Grove Music Online. Oxford Music Online, Oxford, Oxford University
Press, consulté le 4 juin 2014.
3 « Cerebrum, mens, cor, suaviter adficiuntur vocum consonantiis, et ad varios adfectus traduncuntur, ad
placidos et turbulentos motus, ad læticiam et mœsticiam », p. non-numérotée, dédicace recto et verso.
4 « quo ea est gubernatrix affectuum », page non numérotée, fasc. aiii.
154
Hermann Finck, Practica musica, Wittenberg, Georg Rhau, 1556
6 Lyncée était le pilote du navire des Argonautes ; ses yeux pouvaient traverser les murailles et traverser les
nuages noirs, cf. l’expression « yeux de lynx ».
7 On est cependant surpris du nombre très élevé de fautes de contrepoint dans ce motet.
160
Hermann Finck, Practica musica, Wittenberg, Georg Rhau, 1556
Chapitre 6
Giovanni Camillo Maffei2 (Solofra, près de Salerno, début du xvie siècle – actif
entre 1562 et 1573), médecin, philosophe, chanteur et luthiste, a vécu à Naples au ser-
vice du comte d’Altavilla. Ses deux livres contiennent trois lettres de correspondants
adressées à Maffei lui-même ainsi que quarante-quatre lettres de Maffei à des nobles
napolitains. La première (Discorso della voce e del modo d’apparare di cantar di Garganta),
de 74 pages, est la plus importante.
Giovanni Camillo | Maffei da Solofra. | Libri due. | Dove tra gli altri bel-
lissimi pensieri di filosofia, | e di medicina, v’è un discorso della voce | e del modo,
d’apparare di cantar di | garganta, senza maestro, non | più veduto, n’istam- | pato.
| Raccolte per don Valerio de Paoli | da Limosano. | [cul-de-lampe] | In Napoli |
Appresso Raymundo Amato. Anno Domini. 1562.
[…]
J’en viens maintenant devant Votre Seigneurie aux règles à tenir concernant le
chant avec vocalises (cantar di gorga).
1 Traduction anglaise et transcription moderne des exemples musicaux dans : Carol MacClintock, éd.,
Readings in the History of Music performance, op. cit., p. 37-61 ; introduction au texte italien et transcription
des exemples musicaux dans : Nanie Bridgman, « Giovanni Camillo Maffei et sa lettre sur le chant »,
Revue de musicologie, t. xxxviii, no 113, 1956, p. 3-34.
2 Nanie Bridgman, « Giovanni Camillo Maffei... », op. cit., p. 3-10.
3 Reprise presque textuelle de : Baldassare Castiglione, Il Libro del cortegiano (édition moderne : Giulio
Carnazzi, éd., Milan, BUR, 2006 ; traduction française : Le Livre du courtisan, Alain Pons, trad., Paris,
Flammarion, 1991) ; cf. le glossaire : « Affectation chez le courtisan et le musicien ».
166
Giovanni Camillo Maffei, Delle lettere, libri due, Naples, Raymundo Amato, 1562
4 Transcription moderne dans : Carol MacClintock, éd., Readings in the History of Music performance, op.
cit., p. 46-47 ; ainsi que dans : Nanie Bridgman, « Giovanni Camillo Maffei... », op. cit., p. 20-21.
5 Lasciare il velo de Francesco de Layolle [dell’Aiolle, dell’Aiuola, dell’Ajolle, dell’Aiolli, etc.], transcription
moderne dans : Carol MacClintock, éd., Readings in the History of Music performance, op. cit., p. 48-52 ;
ou dans : Nanie Bridgman, « Giovanni Camillo Maffei... », op. cit, p. 22-27.
6 On comparera ces fameuses règles avec celle de Ludovico Zacconi et d’Aurelio Virgiliano sur la diminution
en groupe ; cf. le glossaire, rubriques « Compagnia et concerto » et « Règles et conseils ».
168
Giovanni Camillo Maffei, Delle lettere, libri due, Naples, Raymundo Amato, 1562
Chapitre 7
Girolamo Dalla Casa2 [Girolamo da Udine, da Udene] (Udine, env. 1530 – Venise,
1601), cornettiste3 et compositeur, est probablement formé à la musique au sein des
réputés piffari municipaux d’Udine. De 1554 à 1566, avec ses deux frères, Giovanni
(aussi cornettiste) et Nicolò (tromboniste), il est en poste à Munich à la cour d’Albert v
(lieu d’excellence musicale, grâce à la présence, entre autres, de musiciens tels Roland
de Lassus ou Andrea Gabrieli). En 1566, les frères Dalla Casa quittent leur service
pour Prague. Ils sont de retour en Italie en 1567. On sait que les Dalla Casa sont
membres des « pifferi » du doge en 1568 et forment le premier ensemble instrumental
attaché à Saint-Marc de Venise. Le groupe s’élargit et Girolamo est nommé « Capo de’
concerti delli stromenti di fiato della Illustrissima Signoria di Venetia ». En 1585, Giro-
lamo participe aux manifestations de l’inauguration du Teatro Olimpico de Vicence. En
plus de sa charge à Saint-Marc et auprès du doge, l’ensemble de vents de la seigneurie
vénitienne joue également pour les scuole de Saint-Marc et de la Charité (1588). En
1589, à la suite de problèmes de santé, Girolamo est déplacé à la scuola de Saint-Jean
Évangéliste. Le 23 août 1601, Girolamo meurt à Venise.
Œuvres : Il Vero modo di diminuir, livres I et II, (Venise, 1584, dédiés au comte
Mario Bevilacqua), Il Primo libro de madrigali a cinque et a sei voci, insieme un dialogo
a otto (Venise, 1574, dédié à Ferdinand, deuxième fils d’Albert V), Il Secondo libro de
madrigali a cinque voci con i passaggi, (Venise, 1590), Il Primo libro de motetti, (6 voix)
(Venise, 1597).
1 Fac simile : Bologne, Forni, 1996 ; traduction anglaise : Jesse Rosenberg, « Il vero modo di diminuir »,
Historic Brass Society Journal, vol. 1, 1989, p. 109-114.
2 Franco Colussi, David Bryant et Elena Quaranta, éd, Girolamo Dalla Casa detto da Udene e l’ambiente
musicale veneziano, Udine, Spocietà filologica friulana, 2000, p. 12-13 ; Denis Arnold et Andrea
Maricalis, « Dalla Casa, Girolamo », Grove Music Online. Oxford Music Online, Oxford, Oxford
University Press, consulté le 10 juin 2014.
3 Dalla Casa était considéré comme l’un des grands maîtres de son instrument : « Et a moderni tempi son
celebrati per ottimi suonatori di diversi instromenti […] : nel cornetto Hieronimo da Udine, e Ascanio
[Trombetti] da Bologna » (Tomaso Garzoni, La Piazza universale di tutte le professioni del mondo, Venise,
Giovanni Battista Somasco, 1589, 2e éd., p. 440). Artusi dit de lui : « Quando pero il sonatore ha qualche
eccellenza, come havea il Cavaliero del Cornetto, ne’ buoni tempi ; et Maestro Girolamo da Udine nella
Città di Venetia, insieme con tanti altri che in questa nostra Italia sono fioriti. » (Giovanni Maria Artusi,
L’Artusi, overo velle imperfettioni della moderna musica, Venise, Giacomo Vincenti, 1600, fol. 4v-6r ; fac
simile : Bologna, Forni, 2000). Par ailleurs, celui-ci reprend presque textuellement les préceptes de
Girolamo Dalla Casa concernant l’articulation et le jeu du cornet (ibid.).
Aux lecteurs
172
Girolamo Dalla Casa, Il vero modo di diminuir, Venise, Angelo Gardano, 1584
Comme le coup de langue renversé (lingua riversa) est le principal des trois coups
de langue, nous le mettrons en premier lieu, car il a, plus que les autres, la ressem-
blance avec la vocalise (gorgia). On le nomme donc « langue de vocalise » (lingua di
gorgia). Ce coup de langue est très rapide et difficile à refréner. Son articulation est au
palais (lo batter suo è al palato) et on le prononce de trois façons : Ler, ler, ler, ler ; Der,
ler ; Ter, ler, ter, ler.
[…]
Du cornet à bouquin
Parmi les instruments à vent, le plus excellent est le cornet à bouquin, en ce qu’il
imite la voix humaine plus que les autres instruments. On jouera de cet instrument
doucement et fort, ainsi que dans toutes sortes de ton[s], comme le fait la voix.
[…]
Le coup de langue ne sera, ni trop mort, ni trop articulé (battuta), mais devra être
semblable à la vocalise (gorgia). Dans la diminution, [il faudra] faire peu de substance
(robba), mais de la bonne. Que chacun s’efforce ainsi à [avoir] une bonne sonorité,
une belle articulation (lingua), une belle [maîtrise de la] diminution et à imiter la voix
humaine le plus qu’il soit possible.
[…]
Seconde partie
Aux lecteurs
174
Girolamo Dalla Casa, Il vero modo di diminuir, Venise, Angelo Gardano, 1584
J’affirme que c’est chose difficile que d’exécuter la diminution en mesure (à tempo),
et [pourtant], que c’est [de] la plus grande importance pour chacun faisant profes-
sion de diminuer sur toutes les sortes d’instruments. Que chacun prenne donc garde,
lorsqu’il étudie, à battre la mesure, à ne jamais étudier sans cette discipline (ordine) et à
s’habituer à la battue. En procédant autrement, on ne ferait pas [un] exercice profitable
(cosa buona). S’agissant des quatre figures, [il faut] que la double-croche (comme on le
sait), soit [précisément] portée au double de la croche, [donc] de huit à seize [notes] ;
que les sextolets soient portés de seize à vingt-quatre, ce qui est un tiers de plus que
la double-croche ; enfin que les triples-croches soient également portées [à] une fois
de plus, à savoir de vingt-quatre à trente-deux [notes]. Chacun veillera à se conformer
au tempo et à battre [en mesure] la diminution note pour note, [cela] tant pour les
instrumentistes à vent, que pour ceux qui jouent des instruments à clavier, et de ne
pas courir sur elle [=la diminution], comme [le] font beaucoup, qui jouent des instru-
ments à vent, en courant avec la langue morte, sans articuler la diminution avec la
langue (battere la lingua con la minuta), en vue d’une plus grande facilité et parce qu’ils
ne peuvent refréner leur langue, comme [c’est le cas avec] le coup de langue renversé
(lingua roversa), qui est difficile à refréner. Que chacun batte donc la mesure note pour
note et exécute les quatre figures, chacune selon sa durée (con il suo tempo), s’il désire
faire bon profit !
De la viola bastarda
J’ai encore voulu accomplir ce petit effort de diminuer quelques chansons et madri-
gaux à quatre voix, pour [les] jouer à la viola bastarda. Dans cette profession, on joue en
touchant toutes les parties, ainsi que le savent les [musiciens] intelligents, qui en font
profession. Pour la compréhension de ceux qui veulent s’exercer dans ladite profession,
j’ai diminué deux pièces (canti) entièrement en croches. Afin que l’on puisse voir com-
ment fonctionne ce mode de jeu, et, après [ces pièces], vous aurez les doubles-croches
et les deux autres figures. Chacun pourra ainsi s’exercer et apprendre cette façon de
jouer. À la fin, j’ai diminué deux autres pièces, l’une toute en sextolets, et l’autre en
triples-croches, pour présenter un exemple à quiconque se plaît à cette [manière, dans
laquelle] les autres n’ont pas écrit. Elle est pourtant si nécessaire dans la diminution,
qu’on ne peut pas faire aussi peu qu’eux, car la diminution mixte, employant les quatre
figures, est la vraie diminution. Sur cela je ne m’étendrai plus, par brièveté, puisque
j’en ai parlé suffisamment, mais je traiterai un peu de la voix humaine.
Voyant que beaucoup d’aimables esprits auraient à cœur d’être dirigés, pour
faire quelques diminutions en vocalises (con la gorgia), j’ai donc voulu faire encore le
petit effort de diminuer quelques madrigaux et [de les] présenter à tous ceux qui en
éprouvent plaisir, au moyen des exemples avec diminutions. Ils pourront ainsi voir que
faire et s’en servir en d’autres endroits. J’ai diminué le soprano, car c’est la partie la plus
fréquente dans la diminution, et, de plus, pour ceux qui se plaisent au chant au luth.
J’ai voulu enfin donner [également] satisfaction à ceux qui chantent les autres parties.
Vous aurez donc, diminuée, A la dolc’ombra de Cipriano4, la Canzone entière, avec ces
quatre parties diminuées, pour la commodité de chacun.
4 Madrigal en 6 sections de Cipriano de Rore, sur l’ensemble des stances du chant 302 de Pétrarque.
176
Girolamo Dalla Casa, Il vero modo di diminuir, Venise, Angelo Gardano, 1584
Chapitre 8
Œuvres : Fantasie a tre voci per cantar e sonar (Venise, 1585), Ricercate, passaggi et
cadentie per potersi essercitar nel diminuir (Venise, 1585, réédition en 1598), Canzonette,
4 voix (Venise, 1587), Motetti, madrigali et canzoni francese (Venise, 1591), Motetti per
concerti ecclesiastici, (5-8, 12 voix, Venise, 1598), Concerti ecclesiastici, libro secondo, (5-8,
12 voix, Venise, 1599), Il Fiore dei capricci per sonar (4 voix, Venise, 1588), Madrigali
et canzonette per potersi cantare con il basso e soprano nel liuto e instrumento da penna,
con passaggi a ciascuna parte. Libro primo (Venise, 1602), nombreuses œuvres dans des
recueils collectifs, en particulier hors d’Italie, et notamment celui de Thomas Morley :
Canzonets or Little Short Songs to Foure Voyces : Selected out of the best and approved Italian
authors (Londres, 1597).
Désireux, autant que je le peux, d’être utile aux Musiciens virtuoses qui, avec la
simple voix ou avec les instruments, ou de l’une ou l’autre façon, se plaisent à dimi-
nuer, j’ai voulu leur faire part de mes efforts. Grâce à ces derniers et guidés par mes
quelques ricercari3, ils verront comment on peut s’exercer aux diminutions, avec n’im-
porte quel instrument à vent et avec la Viole. J’ai diminué ensuite divers motifs (moti)
ou passages (passaggi) et des cadences, dont ils pourront se servir ainsi, selon les règles
(termini) que je leur décris, de même que de la façon qui leur paraîtra la meilleure, en
proportionnant la valeur de la diminution à la note entière qu’ils voudront diminuer,
de la manière qu’il leur semblera la plus commode. [Ils pourront aussi procéder] en
diminuant selon ce principe (ordine) également n’importe quelle composition, presque
entièrement, comme je l’ai démontré avec l’exemple d’un madrigal 4 à la fin de cet
ouvrage. S’ils me sont redevables de beaucoup d’autres efforts, [en raison] des plus
importants que j’ai faits concernant les diminutions, lesquels leur sont épargnés grâce
à cet ouvrage, je n’ai néanmoins pas voulu refuser aux débutants cette facilité, afin
que chacun sache que, de même qu’il m’a toujours été cher (et cela m’est plus cher que
jamais) de recevoir les fruits des doctes compositions d’autres [musiciens], ainsi il me
plaît grandement de faciliter, autant que je le peux, le chemin à ceux qui se plaisent à
apprendre.
Vous comprendrez cette note dans mon ouvrage comme une triple-croche,
c’est-à-dire [valant] trente-deux notes pour la valeur d’une semibrève.
3 On notera le terme de ricercari, à comparer avec les recercadas ou ricercate (recherches) d’Ortiz et d’autres
auteurs, non dans le sens habituel du genre musical polyphonique mais dans celui d’exercices ; cet aspect
constitue la particularité didactique du petit ouvrage de Bassano.
4 Signor mio caro de Cipriano de Rore, présenté en deux versions.
182
Giovanni Bassano, Motetti, madrigali et canzoni francese, Venise, Giacomo Vincenti, 1591
Chapitre 9
Giovanni Bassano,
Motetti, madrigali et canzoni francese,
Venise, Giacomo Vincenti, 15911
Mon nouvel ouvrage, qui a consisté à diminuer des compositions musicales (non
à autre fin de gloire), [a été] fait sinon pour plaire à ceux à qui, grâce à une étude plus
facile, pourraient en avoir quelque utilité ; j’ai divisé toutefois cette œuvre en trois
parties, à quatre, cinq, et six voix, en avertissant que les motets ou madrigaux dimi-
nués avec des paroles ne serviront pas seulement pour la simple voix en vocalises (per
la semplice voce di gorgia), mais ils pourront aussi servir pour quelque instrument qu’il
plaise, comme le seront ceux diminués sans paroles. On trouvera quelques madrigaux
1 L’unique exemplaire répertorié a disparu pendant la Seconde Guerre mondiale. Par chance, une copie
manuscrite en avait été effectuée par Friedrich Chrysander en 1890 (D-Hs [mb/2488]). La table des
matières est citée dans : Claudio Sartori, Bibliografia della musica strumentale italiana, op. cit., vol. 2,
p. 26-27 ; et dans : Howard Mayer Brown, Instrumental Music Printed Before 1600, op. cit., p. 366-367.
184
Lodovico Zacconi, Prattica musica, Venise, Girolamo Polo, 1592
Chapitre 10
Lodovico Zacconi,
Prattica musica,
Venise, Girolamo Polo, 15921
Œuvres : Prattica musica (Venise, 1592), Prattica musica, parte seconda (Venise,
1622), Vita con le cose avvenute (I-PESo ms [563], autobiographie avec liste des œuvres),
Canoni musicali proprii e di diversi autori (I-PESo ms [559]).
1 Fac simile : Bologne, Forni, 1983. Une traduction allemande partielle figure dans : Friedrich Chrysander,
« Ludovico Zacconi als Lehrer des Kunstgesangs », Vierteljahrsschrift für Musikwissenschaft, vol. 7, 1891,
p. 337-396, vol. 9, 1893, p. 249-310, vol. 10, 1894, p. 531-567. Nous utilisons ici la seconde édition, parue à
Venise, chez Bartolomeo Carampello en 1596.
2 Gerhard Singer, « Zacconi, Lodovico », Grove Music Online. Oxford Music Online, Oxford, Oxford
University Press, consulté le 10 juin 2014.
Livre i
De quelle manière on peut chanter les notes
de musique avec grâce
Chapitre lxiii
Dans toutes les actions humaines, de quelque sorte qu’elles soient, ou par qui
qu’elles soient accomplies, on recherche grâce et [belle] attitude. Je ne dis pas grâce
pour entendre cette grâce qu’ont les particuliers devant les rois et les empereurs, mais
celle qu’ont les hommes quand, en accomplissant une action, ils démontrent le faire
sans effort. À l’aisance, ils ajoutent les charmes (vaghezze) et la délicatesse (garbo).
En cela, on reconnaît la différence qu’il y a à observer à cheval un chevalier, un
capitaine ou alors un paysan (zappa terra) ou un rustre (facchino) ; avec quelle élégance
(leggiadria) un porte-drapeau expérimenté tient en main, déploie ou manie l’étendard.
[…]
[Ce sujet] n’est donc pas hors de propos, puisque le chanteur se retrouve parfois
parmi des gens divers et doit faire la démonstration publique d’agir avec grâce (fare una
publica attione di mostrarli come le si facciano con gratia). Il ne suffit pas, en effet, d’être
correct et modéré en tous les gestes que l’on pourrait rendre laids, mais il faut recher-
cher à accompagner ses faits et ses actions de délicatesse (garbo) et d’élégance (leggia-
dria). Il ajoute de la grâce à ses actes, le chanteur qui, en plus des conseils donnés au
chapitre précédent, accompagne les notes avec des accents charmants (vaghi accenti)3.
Qu’il soit averti en premier de prononcer les paroles simplement, intelligiblement
et clairement, afin que chacun puisse facilement le comprendre, et de ne pas en retenir
la moitié entre ses dents, car il n’est pas de si belle chose que d’entendre de la musique,
pour autant qu’on en perçoive les paroles !
[…]
3 Voir les citations de Castiglione ; cf. aussi le glossaire, rubriques « Accento » et « Grâce par les tremoli et
accenti ».
186
Lodovico Zacconi, Prattica musica, Venise, Girolamo Polo, 1592
Les compositions ne cheminent pas toujours par degré conjoint, mais contiennent
parfois des intervalles de tierce, de quarte, de quinte, d’octave, etc. Ainsi, il sera bien,
pour se concilier des auditeurs bienveillants de s’efforcer à donner quelque charmant
agrément (vago accento) aux notes. En effet, le compositeur qui les écrit n’est attentif
à rien d’autre qu’à ordonner ces notes selon la convenance des règles de l’harmonie
(dell’harmonice dipositioni). En revanche le chanteur, dans leur exécution, est obligé
de les accompagner de la voix 4, et de les faire résonner selon la nature et la propriété
des paroles. Il doit donc savoir que certaines notes s’accompagnent de quelques accenti,
causés par certains retards et soutiens de la voix (alcune rittardanze e sustentamenti di
voce), qui se font en enlevant une petite partie d’une note et en l’attribuant à une autre.
Pour commencer à faire comprendre de quelle manière les rendre charmantes (se
invaghiscono), je dis que, quand on a émis une note et que la suivante est distante
d’une tierce, on doit s’attarder quelque peu sur la première (ce retard ne devant pas
excéder une semiminime). On doit alors non seulement enlever cette semiminime de
la seconde note et l’attribuer à l’autre [= la première note], mais encore, en traînant et
en montant à la suivante, on doit faire sentir discrètement (fuggendo) au milieu comme
une double-croche, [cela] en prenant garde à ne pas faire un agrément (vaghezza)
semblable ailleurs que sur ré-fa, mi-sol, fa-la, sol-fa, surtout sur les tierces, comme on
le voit.
On a placé une croche pointée et une double-croche, afin que les chanteurs voient
comment on monte. Comme ces agréments sont presque naturels, certains les exé-
cutent si lentement et tardivement que, par cet alanguissement, ils provoquent un effet
étrange et ne donnent aucunement une bonne satisfaction à l’oreille. Ce sont [là] des
observations que l’on peut difficilement faire comprendre et démontrer par écrit. Il
est donc nécessaire que le chanteur avisé et diligent se les approprie de façon que ses
oreilles lui démontrent s’il les exécute bien ou mal.
Comme ce mode de chant est plaisant et doux et que la douceur, bien qu’amie de
la nature, rassasie et suscite souvent nausée et ennui, il n’est pas louable de les [= ces
agréments] utiliser constamment, de crainte de causer dégoût et insatisfaction aux
auditeurs.
Cet agrément peut pareillement être utilisé sur la seconde, c’est-à-dire sur les
figures ascendantes et descendantes par degré [conjoint], en effectuant le même motif
(passo), mais sur mi et ut, comme si on descendait fa-mi et ré-ut. [Cela se fait], pre-
mièrement parce que sa nature (= de l’intervalle ?) est de ne pas avoir de douceur,
deuxièmement parce qu’on ne peut avoir d’appui si on n’a pas en-dessous de soi une
autre figure qui suit. En effet toutes les notes s’appuient sur lui (= ce motif), puisqu’il
les régit, les soutient et les maintient, comme on le voit.
4 Sur l’ornementation vue comme une obligation pour le chanteur, voir : Luigi Zenobi, The Perfect Musician,
op. cit., § 13, à propos du soprano.
Chacun pourra ainsi s’en accommoder et s’en rendre maître. Puisque, comme je
l’ai dit, ces procédés sont difficilement compréhensibles sans l’exemple de la voix, je
laisserai [de côté] de nombreuses observations sur cette question. Je dirai seulement
ceci : de même que, si nous trouvons sur notre chemin de l’or, de l’argent ou un autre
bien précieux, heureux nous nous plions volontiers pour le ramasser, de même, si le
chanteur entend ces agréments [chantés] par quelqu’un – je ne dis pas les vocalises
(gorgie) et ces diminutions (passaggi) que nous ne pouvons pas saisir comme cela à la
première [audition] – [il] doit chercher, autant qu’il le peut, à les imiter, afin que le
plaisir qu’il prend [à l’écoute] des autres, il le rende également lui-même.
En cela, un chanteur doit être averti que, lorsqu’on chante quelques sortes de
fugues ou autres fantaisies, de crainte de rompre et de gâter ces beaux agencements
d’imitations, de ne retarder aucune note, mais de les chanter égales, selon ce qu’elles
vaudraient sans aucun ornement (adornamento), afin que ces fugues gardent leur rôle
(abbino suo dovere).
Il y a également des notes qui, de par les paroles, n’ont besoin d’aucun accento, mais
[de conserver] leur force naturelle et vivante, comme lorsqu’on doit chanter : « Intonuit
de Celo Dominus », « Clamavit », « Fuor fuori Cavaglieri uscite », « All’arme, all’arme » et
beaucoup d’autres choses que le chanteur raisonnable et sensé doit discerner. D’autres
[paroles] en revanche demandent d’elles-mêmes les agréments (vaghezze) et les char-
mants (vaghi) accenti, comme si on a à dire : « dolorem meum », « misericordia mea »,
« affanni e morte », qui, sans qu’elles soient indiquées aux chanteurs, les renseignent sur
la manière de les chanter.
On a encore usage de briser certaines figures avec quelque [une] vivacité et
[une] force, qui font un excellent effet. Pour en donner connaissance, on présente les
exemples suivants :
188
Lodovico Zacconi, Prattica musica, Venise, Girolamo Polo, 1592
Grâce à ces quelques [exemples] parmi beaucoup d’autres, on en aura [des] indica-
tions et [des] éclaircissements, car j’aurais suffisamment à faire si je voulais les rassem-
bler tous dans un épilogue. Il n’y a pas à s’étonner si je me suis efforcé, autant qu’on
peut le voir, à présenter des exemples de ces choses que la nature elle-même enseigne et
offre, paraissant dans ce cas vouloir faire comme celui qui, pour montrer aux ignorants
qu’il sait quelque chose, met aux mains des savants l’Abcd. Cependant, d’avoir vu cer-
tains élèves sortir des écoles modernes sans ces agréments et accenti, je me suis résolu
à mettre sur papier ces quelques considérations, qui demeurent [utiles] pour ceux qui
n’ont aucune délicatesse (garbo) ou aucune bonne manière (buona maniera) de chanter.
On notera que ces derniers accenti ci-dessus ne se présentent pas tels quels dans la
notation, mais ils correspondent seulement aux possibilités vocales d’agrémenter les
notes (non si pongano perché così in scrittura possino stare: ma solamente per quello che si
concede alla voce per accentuar le figure).
Je dirai ici pour terminer que les maîtres doivent être avertis, en enseignant les
accenti et agréments, de modérer l’élève, de crainte qu’il les exécute trop souvent, voire
toujours. En effet, comme le trop doux gâte les mets précieux et délicats, ainsi trop
de douceurs et de délicatesses (dolcezze e vaghezze) mises ensemble provoquent ennui
et nausée. Ce n’est pas tellement parce qu’elles apportent trop de dissonances dans la
musique, mais seulement parce qu’elles rehaussent [trop] la douceur des consonances.
[…]
[…]
Pour ne pas m’étendre sur des sujets peu à propos, je laisserai de côté les embel-
lissements particuliers apportés aux opérations de l’art et de la nature, mais je dirai
seulement que la Musique a toujours été belle et que chaque heure, par la diligence et
le zèle qu’y apportent les chanteurs, elle s’embellit encore. Elle ne se renouvelle pas,
ou ne se change pas, au moyen des notes, qui y sont toujours d’une [même] sorte, mais
par les ornements et les agréments (le gratie, e gl’accenti), [qui] la font paraître toujours
plus belle.
Les ornements (vaghezze) et les agréments (accenti) se font en brisant et rompant
les notes, chaque fois que, dans une mesure (tatto), ou une demi[-mesure], on ajoute
une quantité de notes qui ont nature d’être plus rapidement exécutées. Ils donnent tant
de plaisir et de délectation, qu’on dirait entendre un grand nombre d’oiseaux dressés,
qui, de leur chant, nous ravissent le cœur et nous font demeurer tout émus. Ceux
qui ont une telle promptitude et faculté d’exécuter en mesure une grande quantité de
notes articulées avec cette vélocité, ont rendu et rendent les mélodies si charmantes,
que celui qui, à présent, ne les chante pas comme eux donne peu de satisfaction aux
auditeurs et est peu estimé des chanteurs.
Cette façon de chanter, [avec] ces ornements (vaghezze), est appelée communé-
ment par le vulgaire vocalise. Elle n’est autre qu’un agrégat et une collection de nom-
breuses croches et doubles-croches rassemblées sous n’importe quelle petite partie de
battue. Elle est de telle nature, qu’en raison de la vélocité à laquelle sont réduites tant
de notes,on l’apprend mieux en l’écoutant que par des exemples [écrits], car, dans les
exemples, on ne peut représenter la mesure et la battue, avec lesquelles elles doivent
être exécutées, sans défaut.
Elle [= la vocalise] consiste [donc] plus dans la battue et la mesure que dans le [fait
de] courir rapidement, parce que, si on arrive [trop] tôt ou [trop] tard à la fin fixée,
toute cette entreprise ne vaut rien de bon.
Deux conditions sont nécessaires à qui veut faire cette profession : poitrine et
gorge ; poitrine pour pouvoir mener à son juste terme une telle quantité et un si grand
nombre de notes, gorge pour pouvoir les exécuter habilement. Beaucoup, en effet,
n’ayant ni respiration ni souffle, doivent interrompre leur dessein, après quatre ou six
notes ou en plein milieu, et, si toutefois ils finissent, sont si occupés par l’obligation de
prendre leur souffle qu’ils ne peuvent être en mesure où cela est nécessaire. D’autres,
par défaut de la gorge, n’articulent (non spiccano) pas fortement les notes, c’est-à-dire,
ne les prononcent pas assez bien pour qu’elles puissent être reconnues comme [étant]
une vocalise (si bene che per gorgia conosciuta sia).
Certains l’(= la gorgia) ont facilement : ce sont ceux à qui la nature l’enseigne et
l’offre. D’autres l’ont après des efforts : ce sont ceux qui en ont fait l’acquisition grâce
à un grand travail. Les premiers seront plus charmants (vaghi) et plairont plus que les
seconds, mais ceux à qui la nature l'offre [= la gorgia] et l'art [= le travail] l'adapte [à
leurs possibilités] seront plus heureux que tous les autres dans la profession. Dans tout
art particulier, celui qui s’y consacre entièrement peut en faire une large acquisition,
mais dans cette profession, celui qui fait des efforts, il en fait de si durs en vain, si
190
Lodovico Zacconi, Prattica musica, Venise, Girolamo Polo, 1592
toutefois la nature ne l’aide pas quelque peu. Nous voyons, il est vrai, expressément que
celui envers qui la nature a été bienveillante et libérale, pour peu qu’il sache chanter,
prend la place du premier chanteur, qui court à travers les cercles honorables, parce
qu’elle (= la gorgia) est l’une des qualités au-dessus de toutes les autres excellences
du chanteur. Comme chacun écoute volontiers ces ornements, [le chanteur] prendra
garde, de crainte de faire rire les gens à ses dépens, de se corriger de tous les défauts
ci-dessus5, de toutes les choses abominables énumérées plus haut, car, si une mauvaise
habitude ne sied jamais à un chanteur, elle sied encore moins au chanteur qui fait des
vocalises ; cela, du fait qu’il est le plus observé et le plus admiré par les auditeurs, en
tant que celui qui plaît le plus, puisqu’il chante bien et avec des manières charmantes.
Que celui qui veut faire de la vocalise soit averti de la faire aussi bien que possible
ou de la laisser de côté, s’il ne peut la faire parfaitement, parce qu’il n’y a pas de chose
qui ait plus besoin de juste terminaison et de parfaite mesure que celle-ci. En effet,
chaque petit défaut ou manquement, qu’on y distingue ou remarque, gâte et ruine ce
qu’il y a de beau en soi. Cette privation de plaisir et de satisfaction, non seulement
écœure et étouffe, mais encore ennuie et offense. Ainsi, quand, par devoir ou par
raison, on veut conserver son honneur, il ne faut pas tendre la main, si on ne le fait pas
avec grâce et correctement, ou alors on se fait railler et ridiculiser.
Chaque fois que le chanteur veut éprouver si les vocalises apprises, dites commu-
nément diminutions (passaggi), réussissent, qu’il essaie d’abord quand il chante avec
d’autres « en compagnie »6 et que ceux qui n’ont personne dans leur partie essaient
quand toutes les voix offrent une harmonie pleine. C’est en s’exerçant ainsi qu’on
pourra parfois se faire entendre. Comme celui qui ferait comme je dis admettrait être
juge de lui-même – et l’homme se jugeant lui-même se trompant souvent, si ce n’est
toujours, – afin d’avoir un avis sincère et juste, il est bien de rechercher, auprès des amis
fidèles, si ce qu’on fait procure du plaisir et sonne bien. Beaucoup, en effet, croient en
(= des passaggi) faire et en font si peu que ce n’est presque rien.
J’ai aussi vu certains, en faisant trembler la voix et bouger la tête, croire en faire
et n’en font pas et, en s’efforçant de faire mieux, faire pire [encore]. Les auditeurs
les écouteraient plus volontiers s’ils chantaient les pièces comme auparavant [= sans
diminutions] que si affreusement. C’est pourquoi je dis que faire juger par d’autres et
écouter volontiers l’avis d’autrui évite à l’homme des difficultés et lui épargne beau-
coup d’abus et d’erreurs.
La plus belle et parfaite chose à rechercher dans la vocalise est la battue et la
mesure, qui orne et assaisonne tout ce groupe et agrégat de notes. Celui qui les guide
ou les mène hors de cette mesure et battue perd à la fin, sans aucune reconnaissance,
tout ce qu’il sème de beau avec elle. C’est donc la chose la plus difficile qui soit dans la
vocalise et elle demande plus de diligence et d’étude que la volonté de réduire tant de
notes ensemble. Le chanteur qui, grâce à peu de vocalises faites en mesure, s’éloigne
peu, sera d’avantage loué que celui qui s’éloigne beaucoup, mais arrive trop tard et
hors de la mesure. Ceux qui écoutent et entendent donnent d’infinies louanges à celui
qui fait peu mais bien et, en l’observant toujours attendent le meilleur. Il est donc pré-
férable qu’ils [= les auditeurs] s’en aillent satisfaits de peu de bonnes choses, [plutôt]
qu’ils repartent [remplis] de dégoût et d’ennui, du fait de l’abondance de mauvaises
5 Zacconi fait ici allusion à son chapitre lxi : Chi e quale debba essere il cantore (Lodovico Zacconi, Prattica
di musica, op. cit., p. 53v-54r).
6 Zacconi entend clairement ici un ensemble constitué de plusieurs chanteurs par voix.
192
Lodovico Zacconi, Prattica musica, Venise, Girolamo Polo, 1592
qui exécute des vocalises, ne doit pas uniquement montrer sa valeur à la fin, mais au
milieu également il doit, avec audace, montrer un cœur courageux.
Ils sont pareillement répréhensibles, ceux qui, en cette même fin, ne se rassasient
jamais de vocaliser et obligent tous leurs partenaires à attendre en terminant leurs
chants. Si cela est bien, on le laisse juger à toute personne qui ait quelque jugement. Il
est, bien [sûr], licite parfois de courir à la fin et d’orner (vaghare), quand on a aussi orné
et couru au milieu [de la pièce] ; autrement on n’y est pas autorisé, et, ceux qui le font
sont dignes d’un grand blâme, car, incapables de faire une bonne chose, ils dérangent
ceux qui en sont capables.
Il ne faut pas non plus mettre de côté les défauts de ceux qui, ayant la vocalise
aisée (fatta amica), veulent faire sur chaque note un petit quelque chose et, de ce fait,
même si elle [= la formule] est bonne, ils gâtent les syllabes et les paroles. Pour leur
éviter beaucoup d’erreurs, outre les autres règles, je veux leur donner l’avertissement
de se garder de faire des diminutions sur les semiminimes, surtout lorsqu’elles sont
accompagnées de syllabes, car la nature de leur rapidité ne leur permet pas une longue
diminution (diminutione) et ne supporte pas d’ornementation (rottura), excepté sur ces
occasions et d’autres similaires.
194
Lodovico Zacconi, Prattica musica, Venise, Girolamo Polo, 1592
De cet exercice naît le principe de mouvoir la voix avec rapidité, lequel peut intro-
duire chacun, par lui-même, selon ses commodités naturelles, et, sans maître, dans les
vocalises et les diminutions. Pareillement, afin de faciliter la voie et de le [= chacun]
mettre sur le chemin de devenir véritablement son propre professeur et maître, je dis
que, pour bien agir, il faut chanter, sur n’importe quel exemple ou démonstration, les
cinq voyelles, qui sont : A E I O U. Comme certaines d’entre elles doivent être pro-
noncées fermées, comme I et U, d’autres mi-ouvertes, comme E et O, et une largement
ouverte, le A, on verra qu’on prononce facilement I et U, avec un peu plus de peine
E et O, mais que A, qui demande plus de souffle que toutes les autres, donne plus de
difficulté à prononcer. En s’exerçant ainsi avec elles [= les voyelles], il ne pourra arriver
aucun obstacle, car toutes les paroles en vulgaire, et même une grande partie de celles
en latin, se terminent par une voyelle.
Pour ne rien oublier sur le sujet, du fait du grand zèle et désir que j’ai d’être utile au
chanteur, je dis encore que le tremolo, c’est-à-dire la voix tremblante, est la vraie porte
pour entrer dans les diminutions et pour maîtriser les vocalises, car le navire se déplace
avec plus de facilité s’il a d’abord été poussé, que si l’on doit le mouvoir au début, et,
que le sauteur saute mieux si, avant le saut, il se donne de l’élan.
Le tremolo doit être bref et gracieux (succinto, e vago), car s’il est gourd et forcé
(ingordo, e forzato), il ennuie et dérange. Il est de nature tel que, si on l’utilise il faut
l’utiliser toujours, afin que l’usage devienne habitude, car ce mouvement continu de la
voix aide et pousse volontiers le geste de la vocalise et facilite admirablement le début
des diminutions. Ce mouvement, dont je parle, doit se faire avec une juste vélocité,
mais pas vigoureusement ou violemment.
Sa terminaison doit être juste et accomplie ; son milieu égal et dans la continuité,
afin que l’on n’entende pas plus le début, le milieu ou la fin ; ni plus la fin et le début que
le milieu. Chaque occultation faite, en effet, outre qu’elle démontre une crainte, enlève
le bon plaisir. Si quelqu’un, par l’étude assidue et particulière, de même qu’en prenant
plaisir et satisfaction de mes premiers exemples, s’en est rendu maître, pour lui donner
de passer des simples à quelques-uns plus grands, je présente cette autre succession,
que l’on voit ci-dessous.
196
Lodovico Zacconi, Prattica musica, Venise, Girolamo Polo, 1592
Non seulement dans la manière présentée ici, mais également pour la faire tomber
correctement, il est nécessaire de la précéder du fa accidentel, pour qu’elle [= cette for-
mule cadentielle] sonne selon sa nature. Comme je doute d’être ainsi compris de tous
et pour que chacun me saisisse, et, qu’une si belle manière ne se perde, nonobstant le
fait qu’ait été donné et présenté l’exemple ci-dessus, on en donne cet autre, dans son
propre mode et le propre endroit où on l’utilise d’habitude.
Il y a encore d’autres passages, dont on peut dire qu’ils sont comme les cadences
communes, parce qu’on les retrouve presque dans chaque pièce. Les chanteurs qui n’en
savent pas beaucoup en matière de vocalise se sentent invités à y faire quelque chose de
beau, mais s’en accommodent mal par maladresse.
Afin de leur épargner des choses mauvaises et laides, de leur apporter quelque
aide et lumière, et que, grâce à cette aide et à cette lumière ils puissent se corriger,
se modérer ou apprendre une bonne manière, je présente cette autre succession
ci-dessous.
8 Cadence en mi (phrygienne).
198
Lodovico Zacconi, Prattica musica, Venise, Girolamo Polo, 1592
Toutes ces choses demandent aptitude, agilité et [sens de la] mesure, sans quoi on
ne fait rien. En les utilisant et s’en servant, le chanteur doit avoir le souci de prendre
en une respiration le nombre de notes qu’il peut commodément exécuter. Ceci est dit,
parce que beaucoup, lorsqu’ils font des vocalises, dépassent le nombre de huit notes par
mesure, mais, en les arrangeant et en les adaptant bien, rendent un plaisir délicieux et
chacun (même un bon chanteur ou un compositeur) peut se rendre compte qu’on peut
en exécuter davantage. Plutôt donc que d’établir un nombre fixe [de notes] par battue,
et que ce nombre ne tombe pas en mesure, il sera toujours préférable pour eux [= les
chanteurs], qu’il n’y en ait ni de trop ni de pas assez. J’avertis donc les élèves que, si
dans leurs vocalises, le nombre de notes ne correspond pas au nombre de notes [habi-
tuel] de la battue, cela n’est pas grave ; pourvu qu’ils tombent sans faute en mesure et
sur le temps, et, quand ils les exécutent, qu’on ne remarque pas de défaut et de disso-
nance. Dans cette faculté et profession, en effet, beaucoup font des vocalises gracieuses
et de belles diminutions qui, si on les mettait par écrit, comporteraient un nombre
excessif ou insuffisant de notes, bien que néanmoins on ne remarque pas le moindre
défaut ou manquement.
200
Lodovico Zacconi, Prattica musica, Venise, Girolamo Polo, 1592
Pareillement, dans les cadences, la répétition de sol, fa, sol ; la, sol, la ; fa, mi, fa9
et autres, peut être maintenue aussi longtemps que dure le temps dont on a besoin.
Certains les répètent [= ces notes] en figures de doubles-croches, car répétées ainsi sur
ces valeurs, elles ne sont autres que multipliées. Pour cette raison, je n’en donne pas
d’exemple supplémentaire, croyant être compris par mes simples paroles. Pour s’en
servir, on pourra en prendre autant qu’il est nécessaire.
Je dois avertir qu’il faut veiller à ne pas exécuter les fins de cadences10 faibles et
mortes (languide e morte), comme certains qui, croyant les faire charmantes et belles, les
font difformes, laides et dégoûtantes (difforme, brutte, e disconcie). Elles obligent presque
les auditeurs à se boucher les oreilles pour ne pas les entendre, car les rendre défec-
tueuses dans leur partie inférieure les font paraître si grossières, qu’elles deviennent
sauvages et campagnardes. Je crois être bien compris et, si par hasard quelqu’un ne
me suit pas, pour qu’il me saisisse, je dis que, [dans] la dernière partie de la cadence,
celle qui est la plus proche de la fin, si on veut lui donner un accent double ou simple
(accentuare di doppio accento o semplice), on ne doit jamais exécuter sa tierce inférieure
si faiblement, qu’en montant, on paraisse être tiré de force ou être entraîné. On ne
peut pas démontrer cela au moyen d’un exemple, puisque cette difficulté réside en une
mauvaise exécution des notes. Que tous ceux qui ne me comprennent pas m’excusent,
car je ne sais comment me faire mieux comprendre, ni mieux le démontrer par des
paroles ! Parmi les chanteurs on la nomme habituellement cadence faible, traînée ou à
demi-morte (cadenza languida, strascinata, o semiviva), en raison du peu de vivacité et
de vigueur, que lui donnent les chanteurs11.
Il ne manque plus que la manière de pouvoir embellir, dans la basse ou dans les
parties les plus graves, quelques notes avec des accents ordinaires (accenti ordinarii), qui
servent dans tous les endroits, où lesdites parties graves soutiennent les [voix] aiguës.
Pour en avoir quelque illustration, on se reportera aux exemples suivants.
9 C’est-à-dire le groppo.
10 Cf. le glossaire, rubrique « Groppo » ; Zacconi décrit ici un groppo défectueux (voir aussi les citations des
autres auteurs cités à cette même rubrique).
11 Ce groppo mal exécuté devait être fréquent puisqu’il porte même un nom.
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Lodovico Zacconi, Prattica musica, Venise, Girolamo Polo, 1592
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Lodovico Zacconi, Prattica musica, Venise, Girolamo Polo, 1592
Je n’ai pas voulu démontrer en combien d’endroits une seule chose peut être
déplacée pour une autre raison : si quelqu’un, par inclination de la nature ou par zèle
particulier, avait mieux maîtrisé une formule qu’une autre, qu’il voie que l’on peut s’en
servir dans différents contextes et qu’on peut s’en faire honneur dans un grand nombre
de situations.
La vocalise, en effet, ne consiste pas tant dans la variété (variatione) ou la diversité
des diminutions, qu’en une juste et parfaite quantité de notes, puisque, vu la grande
rapidité réclamée, on ne peut pas remarquer, si ce qui a été dit avant se répète ou
revient. On peut même redire et reprendre plusieurs fois un petit nombre de figures,
à la façon d’un cercle ou d’une couronne, car l’auditeur éprouve un si grand plaisir à
écouter et à entendre ce suave et rapide mouvement de la voix et ne s’aperçoit pas, du
fait de leur douceur et de leur vivacité, du faible nombre de notes, répétées plusieurs
fois sans interruption. Il est sans comparaison meilleur que quelqu’un fasse une chose
souvent et bien (surtout en matière de fioritures et de diminutions), que d’en faire des
différentes et différemment mal. Cela n’est pas du tout blâmable, et pas même du fait
qu’il ne se trouve pas toujours un grand nombre d’auditeurs, qui sachent et s’aper-
çoivent, si on répète une même chose, ou si on en produit de nouvelles. En outre, ceux
qui, par leur connaissance de la composition ou par profession, s’en aperçoivent, n’ont
pas, en présence d’auditeurs séduits par une bonne trouvaille répétée plusieurs fois, à
critiquer le chanteur et à révéler cette fraude honorable, car, s’il est une de nos actions
qu’on peut excuser la tête haute, celle de la vocalise en est une des principales et la plus
méritante, puisque la voix n’a pas l’aptitude des mains, à toucher n’importe quel cla-
vier, et, qui sont si rapides que quelquefois elles nous stupéfient et nous émerveillent.
Si nous désirons voir l’effort nécessaire à la voix humaine pour exécuter des notes
si prestement et si rapidement, et observer, si elle est capable d’accomplir tout ce que
l’homme veut particulièrement, considérons un peu, combien de chanteurs vont par
le monde, avec grâce et une voix suffisamment agréable, et à même de chanter avec
sûreté toutes les pièces qui leur sont présentées, mais néanmoins, du fait d’une certaine
inaptitude naturelle, ne possèdent pas diminutions et vocalise ! Croyons-nous, que
s’ils pouvaient prendre aux heureux virtuoses (gorgheggianti) leurs fioritures et dimi-
nutions, ils ne le feraient volontiers ? Certes si, puisque s’ils pouvaient les leur prendre,
nombreux, qui vivent médiocrement de par leur voix médiocre, avec l’accompagne-
ment de la vocalise vivraient en seigneurs.
Lorsque de la part d’un chanteur on n’entend pas les choses, selon notre goût et en
toute perfection, ou, simplement [toujours] la même chose, il faut [seulement] juger,
s’il a l’intention de les faire parfaites et belles, chacun s’efforçant de faire du mieux
qu’il peut. J’ai ainsi cherché à orner (rompere) au moyen de toutes les diminutions
et fioritures ci-dessus, de mon mieux, afin de ne pas proposer aux élèves des choses
pénibles et presque impossibles pour eux, cherchant à ce que mes efforts ne soient pas
inutiles et vains, car si je les croyais tels, je serais, comme on dit, leur propre meurtrier
et destructeur.
Si j’ai bien dit que les diminutions pour la voix humaine doivent être conjointes
(sequenti) et non disjointes (spezzati), j’en ai néanmoins brisé quelques-unes, me
contredisant moi-même de ce fait, parce qu’il paraîtrait qu’aucune voix ne pourrait le
faire et cependant, beaucoup de chanteurs les brisent. C’est pourquoi j’en ai brisé, non
seulement de sorte qu’on voie de quelle manière on peut faire ces ruptures, mais encore
pour que chacun ne croie pas qu’il est indispensable de cheminer conjointement.
214
Riccardo Rognoni, Passaggi per potersi essercitare nel diminuire, Venise, Giacomo Vincenti, 1592
Chapitre 11
Riccardo Rognoni,
Passaggi per potersi essercitare nel diminuire,
Venise, Giacomo Vincenti, 15921
Œuvres : Passaggi per potersi essercitare nel diminuire et sa seconde partie Il vero
modo di diminuire (Venise, 1592), deux canons à deux voix dans le recueil de Giovanni
Giacomo Gastoldi (Milan, 1598), un madrigal spirituel dans le premier livre de madri-
gaux de Francesco Rognoni (Venise, 1613), recueils de musique vocale et instrumentale
perdus.
Si, au désir que j’ai toujours eu de servir le bien public, obligé que je suis envers la
Patrie et très obligé, par grande politesse, envers les citoyens, avait répondu la com-
modité du compositeur, cet ouvrage n’aurait certainement pas paru si tardivement. Les
occupations ne m’ont cependant pas enlevé ce bénéfice de le revoir et de l’améliorer
plusieurs fois, afin qu’il paraisse, sinon entièrement du moins en partie, conforme à
l’idée conçue dès son commencement. Ce sera le premier témoignage de la bonne
volonté que j’ai toujours eue. Ainsi les forces d’aider autrui, dans la faible mesure que
Dieu m’a si bienveillamment concédée, ont-elles été toujours égales, de même ce sera
le signe de l’amour que je porte à qui se délecte de cette vertu. Il sera également utile
à toutes sortes de personnes qui se plaisent dans la musique, à voix seule, ou accompa-
gnée de l’harmonie des instruments. Mon but a donc été de leur donner ces « Règles
ou Passages de diminution », qu’elles parcourront, soit avec la voix seule, soit avec
l’instrument 4.
Il est bien vrai que celui qui n’aura pas, ou de la nature ou de par l’exercice, la
voix agile pour diminuer, ce que nous appelons vocalise (gorgia), éprouvera quelque
difficulté, mais on en verra pas moins certainement qu’il acquerra ainsi quelque belle
manière ou grâce dans le chant (bella maniera, e gratia nel cantare). Après qu’il aura
[acquis] le don de la vocalise, il trouvera des diminutions diverses, les unes pour la
voix, les autres pour l’instrument, proportionnées de sorte qu’il pourra certainement
arriver souvent à une telle vélocité et si aisément, avec la voix, au niveau de la diminu-
tion instrumentale (alla compita diminutione dell’instromento).
Quant aux instruments, ils ont ceci de commun, qu’on puisse en jouer si adroite-
ment qu’il en découle, contrairement à la voix, un effet par trop dur et confus ; ce qui
3 L’ouvrage est dédié à Guillaume v, duc de Bavière de 1579 à 1597, fils d’Albert v et patron de Lassus. On
peut y voir un lien entre la diminution des Vénitiens et la cour de Munich.
4 Riccardo Rognoni pense donc en premier lieu à une exécution en soliste de ses diminutions.
216
Riccardo Rognoni, Passaggi per potersi essercitare nel diminuire, Venise, Giacomo Vincenti, 1592
arrive à qui, par ostentation, se préoccupe plus de jouer une grande masse de choses
difficiles, plutôt que, par plaisir, des [diminutions] peu nombreuses et bonnes. Il évi-
tera cependant facilement cet abus celui qui, avant que de jouer de lui-même sans
exemple, maîtrisera (si farà prattico) ma première partie et ainsi se rendra compte de
ce que l’effort sera toujours vain, s’il ne parvient pas à rendre ses recherches (ricercate)
distinctes et claires. Je ne dépasse pas six ou huit lignes notées pour la commodité de
l’ouvrage, mais l’instrumentiste devra s’astreindre à ne pas parcourir ces degrés, sans
rechercher la qualité de son jeu (dell’instromento). J’ai noté partout deux clefs, afin que
le musicien choisisse de jouer la partie qui lui plaira le plus, que ce soit soprano, alto,
ténor ou basse, [et] qui lui convienne pour monter ou descendre sur son instrument.
Finalement, [je souhaite] qu’il [= cet ouvrage] plaise à N[otre] S[eigneurie] et
que ce ne soit, ni pour moi un traité (regola), ni pour eux [les musiciens] un exercice
[qui soit] vain, mais qui nous donne le courage (animo) [d’accomplir] des choses plus
grandes.
[Suivent des explications sur les coups d’archet et les coups de langue]
[…]
Seconde partie
Voilà donc dans la première partie un recueil des recherches (ricercate) sur les ins-
truments, dont on peut dire raisonnablement qu’elles sont l’assaisonnement du jeu
(del suono) et l’ornement de la musique. Sans cette variété de diminutions, de ce fait et
pour toute autre raison, les répétitions fréquentes seraient regrettables (rincrescevoli) à
l’oreille. C’est pourquoi, si, en diminuant, les mêmes cadences arrivent souvent, elles
devront être rendues praticables (prattichi) par cette diversité de diminutions ou autres
passages (que nous avons présentée à cette fin), du fait également qu’elles s’accom-
5 Le titre reprend presque mot à mot celui de l’ouvrage de Girolamo Dalla Casa : Il Vero modo di diminuir…,
op. cit.
218
Giovanni Luca Conforti, Breve et facile maniera, Rome, [s. n.], 1593
Chapitre 12
Giovanni Luca Conforti2 [Conforto] (Mileto, Calabre env. 1560 – Rome, 1608),
chanteur (altiste et sopraniste) est aussi compositeur et théoricien. De 1580 à 1585, il est
contralto à la chapelle pontificale. En 1585, il est renvoyé avec trois autres musiciens,
pour être devenu membre de la Congregazione dei musici di Roma, interdite aux chan-
teurs pontificaux. En 1586, il est au service du duc de Sessa. Étant considéré comme
l’un des meilleurs falsettistes romains, il est recommandé par le cardinal Scipione
Gonzaga pour entrer au service du duc Guillaume Gonzague à la cour de Mantoue
mais les négociations n’aboutiront pas. Il est nommé à Saint-Louis-des-Français sous
la direction de Ruggiero Giovanelli de 1587 à 1588. Dès 1591, Conforti réintègre la
chapelle pontificale en tant que contralto sous le pontificat d’Innocent xi, où il reste
jusqu’à sa mort. Son traité de diminution comprend, en outre les figures suivantes :
groppo, mezzo groppo et trillo3, désignés aussi avec les signes g. et t. dans ses psaumes.
D’après le cardinal Scipione Gonzaga, il chantait contralto dans la chapelle pontificale
mais soprano in camera et dans les oratoires4. Pietro della Valle, quant à lui, déclarait
se souvenir de Conforti comme « grand chanteur de vocalises et de diminutions, qui
montait jusqu’aux étoiles »5.
Œuvres : Breve et facile maniera d’essercitarsi… a far passaggi (Rome, 1593), Salmi
passaggiati, trois livres (Rome, 1601-1603), Passaggi sopra tutti li salmi (Venise, 1607),
une canzonetta à 3 voix dans un recueil collectif (RISM 158826).
Breve et facile maniera d’essercitarsi ad ogni scolaro, non | solamente a far pas-
saggi sopra tutte le note che si desidera | per cantare, et far la dispositione leggiadra,
et in diversi | modi nel loro valore con le cadenze, ma ancora per potere | da se senza
maestri scrivere ogni opera et aria passeggiata | che vorranno, et come si notano et
questo ancora serve per quei che | sonano di viola, o d’altri instromenti da fiato per
Brève et facile manière pour [apprendre à] chaque élève à s’exercer, non seulement
à faire des diminutions sur toutes les notes que l’on désire chanter et obtenir une dis-
position gracieuse et de façons diverses selon les valeurs [des notes] sur les cadences,
mais encore pour pouvoir, par soi-même sans maître, écrire chaque œuvre et air que
l’on veut diminuer et comment les noter. Elle servira aussi à ceux qui jouent de la viole
ou d’autres instruments à vent, pour assouplir la main et la langue, et pour maîtriser
les sujets et faire par soi-même d’autres inventions. Faite par Giovanni Luca Conforti.
À Rome avec licence des Supérieurs et privilège. 1593.
[…]6
M’étant rendu compte que seulement dans les grandes cités et les cours des princes,
on use de l’art (modo) de chanter avec grâce (vaghezza) et disposition, et, que ceux qui
en cela ont obtenu des louanges [et] ont été particulièrement valeureux (virtuosi), ne
sont pas nés dans ce style mais [sont des] étrangers à lui, l’ayant acquis par la pratique,
uniquement en l’appréhendant progressivement au fil du temps (per sentire in progresso
di molto tempo) et sans règle.
6 L’ouvrage ne contient pas de table des matières. Pour un résumé succinct du traité, voir : Howard Mayer
Brown, Instrumental Music Printed Before 1600, op. cit., p. 387.
220
Giovanni Luca Conforti, Breve et facile maniera, Rome, [s. n.], 1593
Ayant [également] observé que tous ceux qui chantent et jouent n’ont aucun espoir
de l’acquérir [= le chant orné], si ce n’est au prix de beaucoup de difficultés et de temps,
j’ai pensé plusieurs fois à la manière de trouver, pour l’utilité commune, un moyen
(modo) de réduire cet effort. Il m’est enfin venu à l’esprit que, peut-être, cela pourrait
être accompli par une brève méthode (maniera), grâce à laquelle tous ceux qui chantent
pourraient, en moins de deux mois faire l’acquisition d’une bonne et gracieuse dispo-
sition.
Je me suis [donc] décidé à élaborer la présente règle et à mettre ensemble les dimi-
nutions qu’on pourra utiliser de multiples et diverses manières, pour acquérir la dispo-
sition sur toutes les notes longues (note ferme). Afin de satisfaire mes amis, d’être utile
à qui désire bien chanter, et pour m’épargner la peine d’en faire de nombreuses copies,
il m’a paru [judicieux] de les [= les diminutions] faire imprimer. Pour limiter l’ampleur
du volume, j’ai pris seulement celles qui, selon mon jugement, sont les plus gracieuses
et plaisantes, et j’ai cherché à les réduire à la plus grande facilité et brièveté possible,
comme on le voit, [en plaçant les variantes] à côté et à l’intérieur l’une de l’autre, dans
une même case.
J’avertis aussi que toutes les clefs que l’on voit sur les lignes de la première portée
font transposer [variare di nome] le sujet et la diminution. Elles [= les clefs] restent en
blanc sur les autres portées, permettant ainsi, selon la volonté de ceux qui s’exercent,
de les placer sur les notes qui leur sont les plus commodes. Il faut être attentif au fait
que, si en clef de G sol re ut on prononce mi fa, au même endroit on pourra perdre cette
différence d’avec les autres [degrés] et dire ut re, fa sol, [ou] sol la7, et de manière sem-
blable en descendant, [ainsi qu’en procédant] par tierce, quarte ou quinte.
Quant aux notes des diminutions, si quelques-unes sont [écrites] sans queue, elles
valent comme les autres qui sont à côté d’elles et le placement de l’une sur l’autre
montre de combien de façons on peut varier le passage. Dans la première case, par
exemple, sont superposées trois notes, qui, en clef de Gesolreut sur le premier sujet, se
prononcent mi la sol mi fa ; c’est la première manière, la deuxième étant mi fa sol mi fa,
la troisième mi fa re mi fa, la cinquième [sic] mi la re mi fa. Cette règle s’observera dans
les autres cases, tant en croches qu’en doubles-croches.
Le mot Salve, et les autres qu’on trouve, peuvent être exercés à la place de pro-
noncer les notes pour habituer ses voyelles à faire la disposition.
Le signe du 3, où se trouvent trois semiminimes, [ce] qui entraîne ensuite six
croches et douze doubles-croches à la battue, est appelé généralement hémiole mineure
et porte en lui la valeur des [proportions] triples, conformément à leur genre de trois
notes à la battue.
L’autre 3, que l’on voit sous deux croches ou à la fin des cadences, ne veut dire [rien
d’] autre que trillo, lequel, en portant au double le nombre de [notes], embellit le chant
et couvre beaucoup de défauts8.
[…]
La présentation de la diminution sous plusieurs formes dans la même case est
faite pour ceux qui auraient des difficultés pour monter ou descendre avec leur voix
avec aisance (con la voce, e con la dispositione) ; en effet, pour commencer la diminution,
certains préfèrent aller vers l’aigu que vers le grave, ou vers le grave que vers l’aigu.
7 S’il y a un demi-ton en clef de sol, l’intervalle peut passer à un ton si on lit les notes dans une autre clef.
8 On peut donc déduire que le trillo était mesuré et qu’il pouvait servir à masquer des imperfections.
222
Giovanni Luca Conforti, Breve et facile maniera, Rome, [s. n.], 1593
Si ceux qui enseignent, exercent leurs élèves à chanter avec eux les premiers sujets
en mesure, ou en leur donnant à chanter un [passage] à la fois de mémoire, parmi
ceux qui sont marqués, qui sont peu nombreux, ou parmi les autres, [les élèves] seront
facilement et en peu de temps initiés à chanter et à choisir les diminutions avec goût
et, peu à peu, deviendront familiers, agiles, sûrs et maîtres selon les règles (con regola)
de tous les sujets proposés, et aptes à diminuer toutes les notes. En devenant agile de
sa voix, l’élève pourra acquérir par lui-même la grâce, et, en entendant d’autres [chan-
teurs], il pourra plus facilement les imiter que celui qui, pendant plusieurs années, a
chanté avec sûreté tel qu’écrit dans le livre.
Ceux qui se plaisent à diminuer peuvent également prendre quatre notes ou plus à
la fois, parmi celles qui composent le sujet, et les placer l’une après l’autre. En formant
avec elles les diminutions en croches, en doubles-croches ou en valeurs pointées, en
les unissant et en s’exerçant à les chanter de mémoire, ils deviendront rapidement de
disposition agile.
[Ces exemples] serviront aussi à ceux qui veulent s’exercer à la viole ou à d’autres
instruments à vent, en les jouant souvent ou en les écrivant de la manière déjà dite. Si
on les utilise, on obtiendra la main gracieuse, le coup d’archet doux, la connaissance
du genre de diminution [approprié] ainsi que la manière de l’écrire, et leur diversité
restera en mémoire. Lorsqu’on se sera bien exercé à cela, on pourra en faire la démons-
tration en jouant en ensemble (in compagnia) à l’improviste.
Si l’on ne trouve pas l’ut re mi fa sol, le sol fa mi re ut ou d’autres [exemples] où on
le souhaiterait, puisque pour ne pas offrir un livre trop grand je me suis limité au mi
fa, par le principe des clefs (comme je l’ai dit), chacun pourra, selon sa commodité, les
écrire en les étendant et dans les clefs qu’il désirera.
Chapitre 13
Girolamo Diruta 2 (Deruta, près de Pérouse, env. 1554 – après 1610) est organiste,
professeur et théoricien. Il est frère minorite au monastère franciscain de Correggio
en 1574. Vers 1580, on le trouve à Venise où il aurait étudié avec Gioseffo Zarlino,
Costanzo Porta et Claudio Merulo, selon les information qu’il donne lui-même
dans son traité, Il Transilvano. Merulo fait l’éloge de son élève dans une lettre qui
sert de préface au traité. Diruta est organiste à la cathédrale de Chioggia de 1593 à
1602, puis organiste à la cathédrale de Gubbio en 1609. Son traité, dédié au prince de
Transylvanie Sigismond Bathory, donne des indications sur les doigtés, explique
les cinq types d’ornements utilisés dans le jeu des claviers (minuta, groppi, tremoli,
clamationi et accenti) et fournit des exemples musicaux, tirés d’œuvres notamment
de Claudio Merulo, Andrea et Giovanni Gabrieli, Luzzasco Luzzaschi ou Adriano
Banchieri.
Première partie
1 Fac simile : Bologne, Forni, 1969 ; Lucien Poirier, Il Transilvano de Girolamo Diruta. Édition critique du
texte original, traduction française, transcription musicale et commentaire de la première partie (1593), thèse de
doctorat, Université de Strasbourg ii, 1980 ; traduction anglaise : The Transylvanian, Murray C. Bradshaw
et Edward J. Soehnlen, Henryville, Institute of Medieval Music, 1984.
2 Claude V. Palisca, « Diruta, Girolamo », Grove Music Online. Oxford Music Online, Oxford, Oxford
University Press, consulté le 17 juin 2014.
[…]
Plus d’une fois j’ai été confronté à de telles personnes, qui prétendaient [des pièces]
difficiles, alors que je les déclarais très faciles. Une fois instruites par cette règle et ces
avertissements, elles se sont aperçues que le fait de ne pas pouvoir les jouer provenait
de l’ignorance de la bonne manière (dall’ignoranza di non sapere ritrovare il modo) et
non de leur difficulté.
Tr. : Donc les œuvres des autres hommes de valeur réussiront de la même manière
que celle du Seigneur Claudio [Merulo] ?
Dir. : Il n’y a aucun doute et ma règle n’obtiendrait pas le nom de règle générale
si avec elle on ne pouvait pas jouer les œuvres de n’importe qui. Je dirais même que
celles qui sont conçues pour d’autres instruments – comme les œuvres et les règles
composées par messire Girolamo da Udine [Dalla Casa], maître de concerts de la
Sérénissime Seigneurie de Venise, ou celles du très vertueux et très respecté (gentile)
messire Giovanni Bassano, dans lesquelles vous verrez toutes sortes de diminutions
pour cornets, pour violons et également des passages à chanter, lesquelles diminutions
sont très difficiles – ne sembleront jamais adaptées aux orgues, si on n’observait pas
cette règle.
[…]
226
Girolamo Diruta, Il Transilvano. Dialogo sopra il vero modo di sonar organi, et istromenti da penna, Venise,
Giacomo Vincenti, 1593 et 1609
Tr. : La belle différence entre [le fait de] jouer de la musique et des bals me plaît,
mais j’aimerais encore comprendre cette autre : d’où provient que beaucoup d’orga-
nistes ne réussissent pas autant dans le jeu musical sur les instruments à plumes qu’à
l’orgue ?
Dir. : Je pourrais vous donner de nombreuses raisons, mais je dirai seulement
les plus importantes. Pour commencer par la première, je dis que l’instrument doit
être « emplumé » de façon égale, pour qu’il attaque (spicca) avec facilité et soit joué de
manière vivante, qu’il ne perde pas l’harmonie et que [son jeu] soit orné de tremoli
et d’accenti gracieux (leggiadri). Ce même effet que produit le souffle dans l’orgue en
tenant l’harmonie, vous avez besoin de le faire faire à l’instrument à plumes. Par
exemple, quand vous jouez à l’orgue une brève ou une semibrève, on entend toute
l’harmonie sans que l’on doive battre plus d’une fois la touche, mais, quand vous jouez
sur l’instrument à plumes une telle note, il lui manquera plus de la moitié de l’har-
monie. Il y a donc besoin, par la vivacité et la dextérité de la main, de suppléer à un
tel manque, en battant plusieurs fois la touche gracieusement (leggiadramente). En
somme, que celui qui veut jouer avec élégance (politezza) et grâce (leggiadria), étudie
les œuvres du Seigneur Claudio, car en celles-ci il trouvera ce dont il a besoin en cela !
[…]
Dir. : Concernant les groppi et les tremoli, je donnerai divers exemples. Je com-
mence d’abord avec les groppi, qui se font mixtes, c’est-à-dire avec des semiminimes,
des croches et des doubles-croches, et même avec des doubles-croches et des triples-
croches. On les trouve de diverses manières, tant en montant qu’en descendant, ainsi
qu’en [formule de] cadence, comme on le voit dans les exemples.
3 Zacconi utilisait simplement le terme cadenza pour désigner le groppo (Lodovico Zacconi, Prattica di
musica, op. cit., f. 62v, cf. le glossaire, rubrique « Groppo ».
228
Girolamo Diruta, Il Transilvano. Dialogo sopra il vero modo di sonar organi, et istromenti da penna, Venise,
Giacomo Vincenti, 1593 et 1609
Concernant les tremoli, il faut veiller à faire les notes avec grâce et agilité, et ne
pas faire comme beaucoup, qui font le contraire, car ils les accompagnent avec la
touche d’en-dessous, où ils devraient le faire avec celle d’en-dessus. S’ils avaient jamais
observé des joueurs de viole, de violon, de luth et d’autres instruments, tant à cordes
qu’à vent, ils devraient avoir vu qu’ils accompagnent la note avec le tremolo d’en-dessus
et non d’en-dessous4, comme l’exemple vous le démontre, sur la valeur de [la] minime.
4 Francesco Rognoni citera pourtant des mauvais exécutants ne connaissant pas la vraie nature du tremolo
(Francesco Rognoni, Selva de varii passaggi, op. cit., avertissements aux lecteurs).
5 La contradiction avec Zacconi n’est qu’apparente. Ce dernier déconseillait de diminuer une partie quand
les autres ne sont pas encore entrées : « Les commencements […] doivent être exécutés avec les agréments
simples et purs » (Lodovico Zacconi, Prattica di musica, op. cit., f. 59r). En fait, les tremoli sont des accenti
semplici e schietti.
230
Girolamo Diruta, Il Transilvano. Dialogo sopra il vero modo di sonar organi, et istromenti da penna, Venise,
Giacomo Vincenti, 1593 et 1609
Tr. : Ces derniers tremoletti me paraissent plus difficiles que les autres.
Dir. : Vous avez raison, ils ne sont pas pour le débutant. Mais comme nous parlons
des tremoletti, et en particulier de ceux dont use le Seigneur Claudio en exécutant les
tirate dans ses canzoni alla francese, [ceux-ci] vous paraîtront difficiles au premier abord,
mais si vous observez la règle [suivante] des tremoletti, vous les trouverez très faciles.
Quand vous trouverez sur n’importe quelle note le tremoletto, vous devrez le faire avec
le doigt qui vient, qu’il soit bon ou mauvais, car, dans le cas des tremoli, on ne doit pas
observer la règle du bon et du mauvais doigt, comme on l’observe déjà dans le sujet
(suggetto), ainsi que vous trouverez dans les divers exemples.
Tr. : Dans le premier exemple, je remarque que le premier tremoletto tombe sur
la bonne note et est joué avec le deuxième et le troisième doigt de la main droite. Le
deuxième tremoletto tombe sur la mauvaise [note] et est joué avec le troisième et le
quatrième doigt. Le troisième tremoletto tombe pareillement sur la mauvaise note et
est joué avec les mêmes doigts. Puis, dans le second exemple, j’observe la même chose,
[à savoir] que le tremoletto de quatre doubles-croches tombe sur la mauvaise note et le
deuxième tremoletto tombe sur la bonne note.
Dir. : Vous avez très bien compris, mais là-dessus je veux vous donner un autre
avertissement. Ce sera celui-ci : quand vous trouverez certains tremoletti sur des notes
syncopées, ou s’il y a deux notes de même valeur sur la même ligne ou dans le même
espace, vous ne devrez pas prendre le doigt qui vient, car on ne peut pas enchaîner la
tirata avec le [bon] ordre des doigts. Vous devez donc choisir les doigts qui vous paraî-
tront les plus commodes pour exécuter la tirata, comme on le montre dans cet exemple
pour [en faire l’]expérience.
[…]
Tr. : […] M’étant exercé sur toutes les toccate, j’y ai trouvé très bon profit (mi sono
riuscite benissimo) et lorsque toutefois j’avais un doute, je prenais la règle et me trouvais
réconforté. J’ai cependant éprouvé quelques difficultés en particulier (mais sur tout le
reste je n’en ai pas eu) dans votre Toccata du Onzième et Douzième Ton, placée à la fin
des autres toccate.
Dir. : Je suis heureux qu’il ne vous reste pas d’embarras, et d’autant plus si vous êtes
sûr quant à la Toccata du Onzième et Douzième Ton, qui elle est plus variée. Comme je
vous avais donné des toccate par degré, ainsi que par saut, bon et mauvais, je ne voulais
pas mettre de côté une chose plus importante, comme les tremoletti et les groppetti,
puisqu’ils sont ce qui rend l’harmonie plus vivante et plus gracieuse.
Tr. : Tout cela [est dit] avec jugement, mais je désire encore savoir pourquoi l’on
n’observe pas la règle des notes bonnes et mauvaises dans les diminutions, comme on le
fait dans le contrepoint et la composition, car il m’a été nécessaire parfois de battre les
notes mauvaises au début ou au milieu de la battue et également [parce qu’] il y avait
des notes mauvaises qui sautaient.
Dir. : À cela je vous réponds qu’il est vrai que dans la diminution on n’observe pas
cette règle, mais lorsqu’on peut [quand même] l’observer cela sera meilleur. Les toccate
sont entièrement des diminutions (son tutte diminutioni) et il est vrai qu’il y rentre
plus de notes mauvaises que de bonnes, mais leur rapidité fait ainsi qu’on n’y entend
pas de chose mauvaise, et même que les [notes] mauvaises donnent bien souvent de la
grâce (gratia) aux bonnes, car dans la diminution on s’emploie plus à faire des passaggi
charmants (vaghi) et gracieux (leggiadri) qu’à l’observance [des règles] que vous dites.
[…]
S’il se trouve un homme de valeur, qui ait une très bonne fantaisie, mais qui
souffre de difficultés pour jouer, en raison d’un mauvais usage de la main, il pourra,
avec cette méthode, facilement remettre ses mains en ordre et ne pas perdre cette
fantaisie ; ce qui arrive bien souvent du fait d’un mauvais usage de la main, au point
qu’on ne peut faire une tirata, un groppo ou un tremolo qui soit bien, et que ce que [de
telles personnes] ont dans l’intellect, elles ne peuvent pas le montrer avec leurs mains.
Comme je le disais au commencement, si un homme bien proportionné n’a pas la
langue déliée, il ne peut exprimer ses idées (non sia ispedito di lingua, in guisa, che non
può esprimere il suo concetto).
232
Girolamo Diruta, Il Transilvano. Dialogo sopra il vero modo di sonar organi, et istromenti da penna, Venise,
Giacomo Vincenti, 1593 et 1609
Seconde partie
[Livre 1]
D. : La mise en tablature diminuée est un art qui nécessite un bon jugement (giu-
diciosissima) et demande d’être bon chanteur, ainsi que bon contrapuntiste.
T. : En me la dépeignant si difficile, vous m’en faites passer l’envie !
D. : À votre bel esprit toutes les choses sont faciles ! Ne vous rappelez-vous pas que
lorsque, dans le premier livre, on traitait de questions difficiles et obscures, grâce aux
exemples, on les rendait très claires et très faciles ? La tablature diminuée vous sera
plus facile si vous examinez les divers exemples et les tablatures des différents hommes
de valeur, et en particulier celles de Claudio Merulo qui, plus que tout autre, a travaillé
dans ce bel art de la mise en tablature diminuée, comme on le voit dans ses diverses
œuvres imprimées : messes, ricercari, canzon alla francese et toccate. Outre cela, je vous
donnerai une autre règle de tablature diminuée avec quelques lettres, si faciles qu’elles
vous inviteront à cette belle et honorable entreprise.
T. : À présent, puisque votre amabilité m’incite à prendre courage et que vous
réduisez les aspects difficiles à une telle facilité, comme j’en ai déjà fait l’expérience
précédemment, je veux en cela encore, me prévaloir de toutes mes forces.
D. : Vous devez savoir premièrement que la tablature diminuée doit se faire dans
les parties qui ne jouent pas en imitation (che non fanno la fuga) et que, si vous voulez
[néanmoins] diminuer les imitations, vous devez être averti de faire cette diminution
dans toutes les voix qui jouent en imitation, que ce soit en semiminimes, en croches,
en doubles-croches ou en triples-croches. Il y a cinq sortes de [formules de] diminu-
tions. La première, nous l’appelleront minuta6, la deuxième groppi, la troisième tremoli,
la quatrième accenti et la cinquième clamationi, Pour chacune de ces [formules de]
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Girolamo Diruta, Il Transilvano. Dialogo sopra il vero modo di sonar organi, et istromenti da penna, Venise,
Giacomo Vincenti, 1593 et 1609
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Giovanni Battista Bovicelli, Regole, passaggi di musica, madrigali et motetti passeggiati,
Venise, Giacomo Vincenti, 1594
Chapitre 14
Giovanni Battista Bovicelli2 (Assise, env. 1550 – après 1597) est un chanteur et
un théoricien de la musique. Avant 1584, il est frère mineur à Rome et chanteur au
service du cardinal Sirleto. En 1584, il est chanteur au dôme de Milan. Une lettre de
cette même année, adressée à ce cardinal, nous apprend que ce prélat l’a recommandé
au cardinal Charles Borromée et qu’il a reçu plusieurs invitations de la part du duc de
Mantoue Guillaume de Gonzague, en vue de faire partie de la chapelle de ce dernier.
En 1592, les talents de compositeur et d’improvisateur de passaggi de Bovicelli sont
attestés par Damiano Scarabelli, vice-maître de chapelle à la cathédrale de Milan,
dans son premier livre de motets. En 1594, Bovicelli publie ses Regole où figurent des
avertissements intéressants, des formules de diminutions assez personnelles, différents
agréments (accento, tremolo, groppetto), de même que des versions ornées de compo-
sitions de Palestrina, de Rore, Victoria, Merulo, Giovanelli et Bovicelli lui-même.
Les œuvres sont si densément ornementées qu’il est difficile de reconnaître les pièces
originales. Caccini cherchera à réformer ce type d’ornementations extravagantes
dans ses Nuove musiche (Florence, 1602), mais le style d’ornementation pratiqué par
Bovicelli continuera à être utilisé dans de nombreuses pièces monodiques du début du
xviie siècle.
3 L’expression latine « inventis addere facile est » se retrouve dans la postface de Francesco Lomazzo au
traité de Francesco Rognoni (Francesco Rognoni, Selva de varii passaggi, op. cit., p. [76]).
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Giovanni Battista Bovicelli, Regole, passaggi di musica, madrigali et motetti passeggiati,
Venise, Giacomo Vincenti, 1594
Si dans l’écriture on doit avoir l’œil sur la phrase, en faisant en sorte que les mots
ne s’annulent pas, et également, en accordant bien les paroles, à ne pas rendre la phrase
défectueuse et vide, de même dans le chant, et particulièrement dans l’exécution des
diminutions, on doit, non seulement avoir l’esprit aux notes, mais aussi aux paroles.
C’est pourquoi il faut un grand jugement pour bien les répartir.
On doit donc avoir avant tout une grande circonspection en brisant les notes pour
faire des accenti (per accentuare) et des diminutions, et cela pour ne pas accomplir un
barbarisme, en rendant longues les syllabes courtes et courtes les longues. Cela ne
serait pas moins malséant et disproportionné que des étriers courts pour un cavalier
aux jambes longues ou l’inverse.
Chaque fois que les diminutions sont [composées] de notes qui se suivent, ou,
disons plutôt, d’une même valeur, on ne doit rarement, voire jamais, prononcer une
nouvelle syllabe, mais continuer jusqu’à la fin sur la première syllabe commencée, par
meilleure commodité4 :
Ceci d’autant plus qu’avec une si grande fureur et rapidité de notes, on peut à
peine entendre la parole, à moins de se trouver à côté du chanteur ; d’autant plus égale-
ment que souvent les syllabes elles-mêmes aident à réaliser une diminution, certaines
plus que d’autres ; comme A, E, O par rapport à I et U, lesquelles ne sont pas aussi
commodes pour la voix que les premières en raison de leur différence de prononcia-
tion. Certains pensent que, pour la commodité d’exécution des diminutions, [il faut]
retarder plusieurs syllabes sur une seule note, en la brisant en un nombre d’autres notes
de valeur moindre, qui correspond à celui des syllabes. Je dis également, bien que
cela semble malséant à beaucoup, peut-être parce que, comme nous l’avons dit, on est
obligé de briser cette note, que de toute façon (et ceci dit avec la bonne grâce de tous) je
n’ai jamais estimé cela inconvenant, chaque fois que cela ne génère aucun barbarisme,
[ou] que les notes ne sont pas toutes à la même hauteur et qu’elles ne sont pas articulées
trop précipitamment (non si dichino con furia).
4 La particularité qui consiste à diviser la dernière note pour éviter de placer la dernière syllabe directement
après une série de valeurs rapides n’est mentionnée que par Giovanni Battista Bovicelli.
J’ai dit de l’éviter le plus possible, parce que quelquefois on ne le peut pas. Dans ce
cas, il faut terminer le mot avec une voix modérée et douce, de manière que la suavité
de la voix tempère l’âpreté qui naît de la rapidité des notes.
Ce qui a été dit des groppetti doit également être observé après le tremolo ; c’est-
à-dire de ne pas commencer une autre syllabe. On pourra néanmoins placer celle-ci
quand les deux dernières notes du tremolo, ou de n’importe quelle diminution seront
sur la même [hauteur de] note.
5 La remarque déjà formulée ci-dessus concernant la dernière note vaut ici aussi.
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Giovanni Battista Bovicelli, Regole, passaggi di musica, madrigali et motetti passeggiati,
Venise, Giacomo Vincenti, 1594
Quant à la disposition des paroles sous les notes, il faut particulièrement être
attentif à les associer ensemble de manière que, comme nous l’avons dit au début, il
ne s’ensuive aucun barbarisme, mais également qu’elles produisent le meilleur effet
possible ; car souvent une syllabe aura une grâce (gratia) plus grande, si elle est placée
sous une note, plutôt que sous une autre, comme on pourra le voir très clairement dans
les exemples.
Finalement le plus grand défaut est celui de ceux qui ne savent jamais terminer
un mot et répètent les deux ou trois premières syllabes, en disant par exemple Benedi,
Benedictus. Ils ressemblent à ceux qui, ayant des dents abimées, doivent mâcher plu-
sieurs fois la même nourriture avant de l’avaler.
Quant aux notes (et ici nous incluons les diminutions, les groppetti, les sauts et tout
ce qui de quelque façon peut se rapporter aux notes), il faut faire preuve de discerne-
ment en premier lieu concernant la diminution ou la réalisation d’accenti (accentuare)
sur les notes de valeur. En cela il faut avoir l’oreille [attentive] au mouvement de toutes
les autres parties, car jamais, hormis à la fin, on ne voit toutes les parties s’arrêter en
même temps dans une même continuité d’harmonie. Je donnerai deux exemples, afin
que l’on voie la manière de tenir sur la variation susdite [= sur les notes de valeur].
En effet, tantôt, par exemple, on ira de C sol fa ut à G sol re ut et C sol fa, comme
dans le premier [exemple], tantôt de D la sol re à A la mi re et D la sol, comme dans le
second.
Ceci s’observe très bien dans les groppetti, que l’on peut terminer de deux manières ;
la première [avec] des notes de même valeur, la seconde de façon que la fin du grop-
petto soit, pour ainsi dire, refrénée. Cette dernière réussit nettement mieux, parce
qu’elle donne d’avantage de grâce à la voix et qu’elle est également plus commode pour
terminer le mot. On n’en vient donc pas à finir avec cette précipitation (furia), dont
on a parlé, laquelle doit être évitée le plus possible. Néanmoins pour varier, on doit
quelquefois utiliser la [méthode] des notes égales, surtout lorsqu’on n’est pas soumis à
la contrainte des paroles.
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Giovanni Battista Bovicelli, Regole, passaggi di musica, madrigali et motetti passeggiati,
Venise, Giacomo Vincenti, 1594
Si l’on ne parle pas de la voix mais des notes, on peut faire ces mêmes groppetti de
plusieurs manières, même sur une seule note ; je veux dire que, sur une unique note,
on peut en faire plus qu’un [seul], que ce soit en notes égales (seguenti) ou refrénées, ou
[même] les deux ensemble.
Ce que nous avons dit des groppetti, à savoir qu’ils se terminent par des notes d’une
valeur un peu plus grande, on le dit également à propos des diminutions. Cette valeur
ne doit pourtant pas atteindre les notes blanches, car l’effet [en] serait contraire et laid.
[Il faut en revanche le faire] à la manière dont on monte à cheval ; puisque les cavaliers
n’ont pas l’habitude, après une longue course à cheval de tirer soudainement, à mi-
parcours sur la bride, mais procèdent peu à peu en retenant le frein et en ralentissant
les pas.
Le tremolo cependant, qui n’est autre qu’un tremblement de la voix sur la même
note6, demande que les notes cheminent par degré [conjoint] et le tremolo ne peut être
6 Cf. le glossaire, rubrique « Tremolo » ; comparer cette définition à celle de Zacconi : « il tremolo, cioè
la voce tremante » (Lodovico Zacconi, Prattica di musica, op. cit., p. 60), à celle de Zenobi : « Tremolo
è quello, che tocca della riga, e dello spatio in qual si voglia, ch’ei si faccia » (Luigi Zenobi, The Perfect
Musician, op. cit.) et à celle de Caccini concernant le trillo : « ribattere ciascuna nota con la gola » (Giulio
Caccini, Le Nuove Musiche, op. cit., [p. 7]).
Au nombre des notes qui procèdent par degré [conjoint], appartiennent les accenti,
qui se font sur les minimes. On doit pourtant les varier avec jugement quant à la valeur
des notes, [cela] de plusieurs manières, qui, bien qu’elles paraissent de peu de diffé-
rence, font néanmoins un effet autre. On ne peut obtenir cela sur les accenti formés sur
les semiminimes, car, comme ces accenti sont tous en doubles et en triples-croches,
[valeurs] qui sont très rapides, ils ne peuvent être exécutés que d’une seule manière,
bien qu’on puisse y faire un tremolo, mais rapide, et pas aussi formé.
Pour qu’il soit plus clair, et bien que [le tremolo] ait été présenté comme dans les
exemples placés plus haut, il faut l’écrire de la manière suivante, si l’on parle toujours
du tremolo formé.
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Giovanni Battista Bovicelli, Regole, passaggi di musica, madrigali et motetti passeggiati,
Venise, Giacomo Vincenti, 1594
Quant aux croches, elles ne doivent pas être nombreuses dans une tirata, à moins
qu’elles cheminent par degrés [conjoints]. En effet, lorsqu’on chante, non dans une cha-
pelle (da cappella)7 mais en un concert (da concerto)8, où la battue doit être posée (grave),
le fait de vouloir exécuter des croches non conjointes donne l’impression d’étudier une
leçon. On pourra néanmoins y remédier, en faisant des points (ponti) à telle croche, et
en en faisant pas à telle autre (facendo i ponti ad una croma sì, e l’altra no), car de cette
variété d’exécution (da quel variar di tempo) s’ensuit un effet varié d’une [note] à l’autre.
Les doubles-croches enfin, outre la disposition de la voix [nécessaire] doivent être
bien articulées (spiccate) et n’être pas, elles aussi, utilisées trop abondamment, si elles
ne procèdent pas, comme nous l’avons dit des croches, par mouvement conjoint. En
doubles-croches, un très bel effet est produit quand, dans une tirata de nombreuses
notes conjointes, on tient plus la première que les suivantes ; comme par exemple :
Il faut remarquer que toutes les notes ne se prononcent pas de la même manière.
En effet, quelquefois elles doivent être articulées une à une, de sorte qu’on entende la
séparation (differenza) de l’une à l’autre même dans la voix ; ceci sert dans les tirate.
Au contraire, quand elles servent à faciliter un saut de tierce, ce qui est leur seule
utilité au milieu d’une tirata, où on trouvera deux seules notes de valeur plus courte,
elles ne devront pas se faire entendre avec autant de force, car elles procureront ainsi
plus de grâce ; les deux triples-croches sont celles de l’exemple du bas.
Bien que la succession de nombreux sauts consécutifs soit plus appropriée aux
instruments qu’à la voix, elle peut réussir de toute façon également à la voix, si on
s’accommode bien des paroles. On veillera pourtant, comme plus haut, à atteindre les
notes les plus aiguës du saut avec grâce et sans force, laquelle disconvient tout à fait.
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Giovanni Battista Bovicelli, Regole, passaggi di musica, madrigali et motetti passeggiati,
Venise, Giacomo Vincenti, 1594
De toute manière, comme on le dit par proverbe, chaque règle souffre quelque
exception ; d’où il sera licite parfois, même sous des paroles tristes (si de la sorte tu
recherches la consonance et l’harmonie des parties), de faire quelques diminutions,
bien qu’elles n’exprimeront pas toute cette tristesse que requièrent les paroles. On ne
doit pas pour autant les faire sans jugement et seulement quand l’occasion invite aux
diminutions.
Certains ont l’habitude pour rendre les diminutions plus accommodées à leur
manière, de tenir une note qui vaut une battue [pendant] deux ou trois, pour je ne sais
quelle raison. Ce que je sais, c’est qu’il est plus louable en diminuant de rester soumis
au temps juste, qui est écrit dans la pièce (canto), hormis à la fin, c’est-à-dire sur l’avant-
dernière note.
On doit encore éviter cette manière de finir les cadences: plus elle est utilisée, plus
elle sied mal.
Pour terminer ; dans toutes les diminutions, les cadences, les accenti, et toute autre
manière de chanter, il faut reprendre son souffle à temps et avec jugement. Il faut
surtout ne pas le reprendre entre les notes qui forment un ornement (che servono per
accenti), tant que l’on a pas atteint au moins une partie de la dernière note, ou [le
reprendre] au milieu de la diminution, quand les notes sont de la même valeur. Cela
est valable aussi à la fin de toute diminution et cadence.
Je ne peux pas rester, en ultime conclusion à ces quelques règles, sans parler de
ceux qui, je ne sais si [c’est] par faiblesse des poumons (di fianco) ou par crainte de
manquer d’air, reprennent leur souffle toutes les quelques notes, en s’arrêtant comme
des chevaux peureux à chaque petite ombre ; avec eux [= ces chanteurs], je voudrais,
comme avec les chevaux, que cette petite mise en garde serve et fasse office d’éperons.
Il est clair que ceci ne provient en premier lieu que du manque d’expérience, qui incite
particulièrement ceux qui commencent le chant à couper parfois même les notes ; c’est-
à-dire à abandonner la note après laquelle on prend sa respiration (lasciando quella nota
nella quale si piglia il fiato), avec une telle précipitation, qu’ils font à peine entendre son
intonation et font en revanche plus de bruit en reprenant leur souffle qu’avec la voix.
Je vous avertis, aimables lecteurs, qu’en certains endroits les paroles ont été mal
placées ; on a donc indiqué d’un signe de plume où elles doivent aller, afin que l’ou-
vrage reste parfait. Les autres erreurs, une lettre pour une autre [par exemple], pour
être choses de peu d’importance, s’en remettent à votre jugement.
Il m’est apparu [bon], après avoir donné presque, comme on dit, dans l’abstrait,
les diminutions écrites plus haut, qu’on peut adapter à toutes sortes de pièce (canto),
de mettre aussi quelques motets, madrigaux et faux-bourdons diminués, afin qu’on
voie plus clairement l’effet des précédents, et que plus rapidement quiconque, même
novice en cette profession, puisse connaître la manière dont on doit les utiliser. Il m’est
également apparu [judicieux] de me servir de compositions connues de chacun, de
façon que tout le monde puisse voir facilement l’effet qu’elles [= les diminutions] font
avec les autres parties ; [cela] également parce que toute dette veut que je me serve des
compositions des auteurs qui sont, en la profession de la Musique, tenues à juste titre
en grande estime.
9 Giovanni Battista Bovicelli évoque ici les deux défauts principaux dans l’histoire du chant italien relevés
par tous les auteurs de traités de chant jusqu’aux xviiie et xixe siècles.
10 Cf. le glossaire, rubrique « Règles et conseils », et en particulier les propos de Giovanni Camillo Maffei,
Lodovico Zacconi et Aurelio Virgiliano.
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Aurelio Virgiliano, Il Dolcimelo, manuscrit inachevé, I-Bc Ms [c. 33], env. 1600
Chapitre 15
Aurelio Virgiliano,
Il Dolcimelo, manuscrit inachevé,
I-Bc Ms [c. 33], env. 16001
1 Fac simile : Florence, SPES, 1979 ; édition moderne : « Il Dolcimelo von Aurelio Virgiliano. Eine
handschriftliche Quelle zur musikalischen Praxis um 1600 », Veronika Gutmann, éd., Basler Studien zur
Interpretation der Alten Musik, 1980, p. 107-139.
2 Marcello Castellani, Introduction au fac simile, Il Dolcimelo, op. cit.
3 Colin Timms, « Bonelli, Aurelio », Grove Music Online. Oxford Music Online, Oxford, Oxford University
Press, consulté le 17 juin 2014.
4 Le volume était certainement destiné à la publication et le dédicataire n’avait pas encore été choisi.
Règles de la diminution6
5 L’ancien italien dolcimelo correspond au latin dulce melos et à l’ancien français doulce melle. Il désigne
l’instrument appelé (hammered) dulcimer en anglais. Il s’agit d’une cithare sur table de forme trapézoïdale,
jouée en frappant les cordes (comme le santur persan) et non en les pinçant, comme dans le cas du
psaltérion ou de l’(Appalachian) dulcimer. Par ailleurs, Aurelio Virgiliano avait prévu de traiter de ce type
d’instruments puisqu’à la page 43r on lit le titre : « come si accordi il salterio ».
6 Cf. le glossaire, rubrique « Règles et conseils ».
7 Bonne et mauvaise signifient ici consonante et dissonante. Diruta utilisait abondamment les notions de
note buone et cattive.
8 Cf. le glossaire, rubrique « Conservation de la même note ».
250
Aurelio Virgiliano, Il Dolcimelo, manuscrit inachevé, I-Bc Ms [c. 33], env. 1600
on admettra que l’on peut servir de la quarte inférieure [de la première note], parce
qu’elle sera l’octave de la dernière note, comme :
Chapitre 16
Luigi Zenobi,
Raccolta di lettere varie, I-Rv ms [r. 45],
ff. 199r-204v, manuscrit non daté, env. 16001
Luigi Zenobi2 (Ancône 1547/8 – Naples après 1602), l’illustre « Cavaliere Luigi del Cor-
netto », est un parfait représentant de l’homme aux talents multiples de la Renaissance.
Instrumentiste virtuose du cornet à bouquin, professeur de chant, écrivain, il est aussi
peintre et miniaturiste. De 1569 à 1573, il est « musico unnd zinckhenplaser » à la cour de
l’empereur Maximilien ii à Vienne. Résidant à Vienne depuis 1569, Zenobi effectue
cependant des séjours à Munich et à Rome. En 1583, il est fait chevalier, probablement
par l’empereur Rodolphe ii. La même année, il est engagé à la cour d’Alphonse ii
de Ferrare (il y est le musicien le mieux payé) et se rend plusieurs fois à Rome pour y
recruter des chanteurs. En 1587, il dirige à Rome la musique de l’Oratoire de Philippe
Neri. Zenobi séjourne ensuite de nouveau à Vienne, avant la mort d’Alphonse ii d’Este
(1597). Il termine probablement sa vie à Naples, à la cour du vice-roi. On possède
dix-huit lettres de Zenobi dont une longue missive écrite à un prince anonyme qui
énumère les qualités du parfait musicien (chanteur, directeur, compositeur et instru-
mentiste). Ce document est particulièrement précieux puiqu’il émane d’une person-
nalité ayant été active dans de nombreuses cours réputées pour leur niveau musical
élevé. Cette lettre décrit précisément les exigences requises de la part des chanteurs et
des instrumentistes de la fin du xvie siècle pour l’exécution, entre autres, des œuvres
des compositeurs jugés par Zenobi comme étant des modèles, soit Adrien Willaert,
Gioseffo Zarlino et Paolo Animuccia, Cipriano de Rore et Luzzasco Luzzaschi.
[…]
Votre Altesse désire et demande que je parle en somme de six questions, qui sont
les suivantes :
– Quelles qualités doit-on avoir pour chanter avec sûreté sa partie ?
– Que doit-on rechercher pour bien diriger (rimetter), ou pourquoi ne dirige-t-on
pas bien ?
1 Édition moderne : The Perfect Musician, a letter to N. N., Bonnie J. Blackburn et Leofranc Holford-
Strevens, éd. et trad., Cracovie, Musica Jagellonica, 1995 (édition bilingue italien-anglais).
2 Bonnie J. Blackburn, « Zenobi, Luigi », Grove Music Online. Oxford Music Online, Oxford, Oxford
University Press, consulté le 17 juin 2014.
3 Les 4e et 5e exigences concernent, bien entendu, plus spécifiquement le répertoire du madrigal moderne,
tel qu’il est pratiqué en particulier à la cour de Ferrare.
254
Luigi Zenobi, Raccolta di lettere varie, I-Rv ms [r. 45], ff. 199r-204v, manuscrit non daté, env. 1600
Il est temps à présent que je dise à Votre Altesse quelles conditions doit remplir
quelqu’un pour chanter avec grâce, avec jugement, avec des diminutions (passaggi)
nobles et avec art, ou comme on dit communément, pour chanter tout à fait bien sa
partie ; et cela de même pour celui qui joue sur son instrument une seule partie. On
parlera en effet plus tard des instrumentistes qui peuvent jouer les parties ensemble et
faire harmonie par eux-mêmes.
Votre Altesse doit savoir principalement que les parties ordinaires sont au nombre
de quatre, à savoir basse, ténor, contralto et soprano, auxquelles et avec lesquelles
s’ajoutent la cinquième et la sixième partie ou la septième et la huitième qu’on peut
chanter. Cependant habituellement les parties sont les quatre premières nommées.
Celui qui chante la basse, s’il chante en ensemble (in compagnia), est obligé de
savoir tenir sa partie ferme (salda), juste quant à l’intonation (voce) et sûre quant à la
précision (sapere). Si on veut parfois diminuer (passaggiare), on doit choisir le moment
ou les trois [autres] parties tiennent ferme et connaître les endroits où on peut faire
la diminution. En effet diminuer la basse selon son humeur, sans bien connaître le
moment ou l’endroit adaptés, est sans doute une preuve d’ignorance crasse. On doit
ensuite connaître et savoir quelles sont les diminutions propres à la basse, parce qu’en
faire de ténor, de contralto et de soprano est une preuve de ce qui a déjà été dit très
clairement.
On doit aussi avoir le trillo et le tremolo net[s], ainsi qu’une voix, dans l’aigu et dans
le grave, égale de timbre (tuba). Sans quoi on ne pourra pas appeler basse celui qui ne
Quand la basse chante seule, on ne peut pas juger son chant s’il est accompagné
d’un luth, d’un clavecin ou d’instruments semblables, parce que de tels instruments
ont à peine attaqué la note qu’ils l’abandonnent déjà. Ainsi, que ce soit une basse ou
autre partie, on peut chanter d’infinies fausses notes, qui passent inaperçues puisque
l’harmonie évanouie de cet instrument imparfait ne les laisse pas remarquer, excepté
par le connaisseur, qui les remarque comme fausses et mal à propos et par conséquent
tient le chanteur pour ignorant. Cependant avec l’orgue, on peut évaluer aisément
celui qui chante et qui joue avec jugement et art, si l’auditeur maintient son attention.
[…]
Le ténor doit diminuer quand la basse et les autres parties (parti compagne) restent
tranquilles, utiliser les diminutions propres à sa partie et ne pas toucher celles de la
basse, si ce n’est quand la composition le laisse à sa place ; et alors même le faire avec
jugement et discrétion. Le contralto peut et doit faire de même.
J’apprécie cependant, dans ces parties intermédiaires, que [les chanteurs] dimi-
nuent rarement et se contentent de savoir monter et descendre avec la voix ondulant
gracieusement (gratiosamente ondeggiando) et en utilisant de temps en temps quelque
agréable trillo ou tremolo. Sans doute cela leur apporterait-il plus de louange de la part
de quelqu’un qui sait ce qu’est le chant. En revanche, lorsqu’ils chantent seul avec
quelque instrument jouant toutes les parties, dans ce cas, ils peuvent s’autoriser plus de
diminutions. Toutefois pas au point qu’elles suscitent le désagrément et l’impression
que tout leur travail est placé sur cet aspect.
Il faut avertir le ténor que ses diminutions soient telles qu’elles ne touchent pas la
partie de basse ou de contralto et le contralto que les siennes ne touchent pas celles du
soprano et du ténor. C’est ainsi que l’on chante avec jugement et avec art, et non au
hasard et en casse-cou, comme font aujourd’hui quelques incapables (meschinissimi), en
prétendant connaître le chant à fond (toccare il fondo all’orciuol in materia di sapere can-
tare) et en flattant doucement leur orgueil (beccandosi dolcemente l’horloggio). Afin que
Votre Altesse me comprenne mieux : les mouvements (passi) des voix intermédiaires
doivent peu s’étendre et plutôt s’entrelacer avec art, pour prendre peu de place et être
plaisantes à écouter. Ainsi reconnaît-on grandement l’art et le jugement du chanteur.
4 Luigi Zenobi pense ici surtout à la technique du basso alla bastarda, pratiquée entre autres par Giulio
Cesare Brancaccio et Alessandro Merlo, deux basses à l’étendue extraordinaire (cf. Richard Wistreich,
Warrior, Courtier, Singer, op. cit., p. 129-217 ; ainsi que : Richard Wistreich, « La voce è grata assai », Early
Music, vol. 22, no 1, 1994, p. 7-19).
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Luigi Zenobi, Raccolta di lettere varie, I-Rv ms [r. 45], ff. 199r-204v, manuscrit non daté, env. 1600
Il reste le soprano, qui est vraiment l’ornement de toutes les parties. Tout comme
la basse en est le fondement.
Le soprano a l’obligation et le champ libre pour diminuer, rendre plaisant (scher-
zare] et embellir un corps musical. Si cependant cela ne se fait pas avec légèreté et
jugement, c’est fastidieux à entendre, dur à digérer et pesant (stomacoso) à supporter.
Pour être beau à entendre, [le soprano] doit être naturel ou d’enfant (puerile), sans
défaut du nez. Il ne doit pas rejeter la tête, renverser les épaules et être sans mouve-
ments d’yeux, de mâchoires, de menton ou de sa personne. Il doit aller haut et bas avec
égalité de timbre (tuba) et ne pas avoir un registre dans l’aigu et un autre dans le grave.
Il doit bien maîtriser le contrepoint, parce que sans cela, il chante au hasard et fait
mille imperfections (cosaccie). En chantant il doit faire comprendre distinctement les
paroles et non les embrouiller de diminutions, ni les couvrir d’une résonance vocale de
cloche, rauque ou grossière.
Il doit avoir [groppo, trillo et tremolo:]5
– le groppo grenu (granito) est celui qui touche deux notes, comme sol et fa ou la et
sol, en doubles-croches détachées
– le groppo posé (posato) est celui qui se fait en croches simples, en touchant égale-
ment clairement les deux notes
– le trillo est celui qui ne s’arrête pas, ni sur une ligne ni sur un espace [mais se
meut toujours] avec vélocité
– le tremolo est celui qui touche la ligne et l’espace, de quelque manière qu’on
veuille le faire.
À présent, il doit avoir toutes ou la majeure partie des conditions décrites précé-
demment l’instrumentiste qui joue du cornet, de la viole de gambe, du violon, de la
flûte à bec ou traversière, et d’instruments semblables, à une seule voix.
En ce qui concerne les instrumentistes qui jouent toutes les parties, je parlerai
ensuite à Votre Altesse, avec vérité et brièveté, de ce que j’en pense et de ce que j’en
connais, sans pensée de nuire à personne. Etant d’accord et entendu que, comme dans
le reste de ce que j’ai dit, à ce qu’il me semble, c’est ce que réclame votre demande, ainsi
que modestie et vertueuse sincérité de ma part.
258
Luigi Zenobi, Raccolta di lettere varie, I-Rv ms [r. 45], ff. 199r-204v, manuscrit non daté, env. 1600
Il est vrai que les instrumentistes à vent doivent en plus connaître la qualité, la
quantité et la variété des coups de langue, la maîtrise de l’instrument, ainsi que le forte
et le piano selon le besoin. Ils doivent cependant soigner davantage le piano, comme
étant ce qui sert pour les chambres des princes et dans les lieux respectables, et qui font
en premier lieu découvrir les défauts ou l’excellence de celui qui joue ; ce qui n’advient
pas sur les tribunes, dans les chapelles et où on joue en force, parce que là se trouve tout
homme de peu de connaissance et de maîtrise en quelque chose7.
Il arrive de même dans les grands concerts, qui font beaucoup de bruit et font
passer toutes les erreurs (spropositi), les fausses notes (falsità), les problèmes d’intona-
tion (stonamenti) et l’ignorance de celui qui joue d’un instrument à vent et à cordes.
Cependant quand on chante et on joue avec manière et avec une seule personne, dès
les premières notes (al primo motivo) on peut juger du savoir ou de l’absence de savoir
de quelqu’un.
Les joueurs d’instruments à cordes, comme les violes, tant la viole de gambe que le
violon, ont à se faire reconnaître par leur maîtrise des coups d’archet (arcata), la qualité
de leur tenue (polso) d’instrument, la variété de leurs cordes, la richesse dans le choix
(proprietà) et le raffinement des diminutions, ainsi que dans le tremolo, le jeu de l’archet
(striscio), tout comme la facilité et la sûreté du lié (lirare).
Les joueurs de luth, de clavecin et de harpe se dévoilent dans la douceur, la rapi-
dité, la propreté et l’agilité de la main, ainsi que par l’excellence dans l’imagination
(fantasia) en jouant sur pièce choisie et par un contrepoint savant (da Maestro) sur un
passamezzo (Basso e mezzo), une gaillarde, une fugue, un cantus firmus et des pièces
semblables.
À présent je dis à Votre Altesse que les instrumentistes, qui jouent toutes les par-
ties, comme [les joueurs de] clavecin, luth, harpe, théorbe, cistre, guitare espagnole,
ou pour mieux dire Viola (= vihuela), ont à prendre la fondation [de leur jeu] sur la
douceur, l’aisance et la force (terribilità) de la main, sur la galanterie du doigt et du
tremolo, sur la qualité de l’imagination (fantasia), sur la richesse et la variété des bonnes
diminutions, sur la bonne grâce dans l’attitude du corps (tener la vita) et la tenue de
l’instrument, dans le raffinement du style, ainsi que la rapidité dans leur maîtrise de
l’instrument qu’ils jouent.
Cependant au-dessus des nombreuses qualités, [ils doivent avoir] du jugement, en
sachant jouer de concert avec quelqu’un qui joue d’un instrument à une seule partie
ou quelqu’un qui chante avec eux. Dans tel cas en effet, il n’est si grand maître, qui
ne mérite louange s’il sait faire office d’élève, en jouant toutes les parties non ornées
(schiette) et proprement, tandis que l’autre joue ou chante avec lui ; et, lorsque celui-ci
se tait, en évoluant d’une manière aimable, en quelque sorte plutôt agréable (vaga) que
pleine d’artifices (artifitiosa) pour l’accompagner.
260
Adriano Banchieri, Cartella musicale, Venise, Giacomo Vincenti, 1614
Chapitre 17
Adriano Banchieri,
Cartella musicale,
Venise, Giacomo Vincenti, 16141
Adriano Banchieri2 [né Tommaso] (Bologne, 1568 – Bologne, 1634) est compositeur,
organiste, théoricien et écrivain. En 1587, il entre dans l’ordre bénédictin des moines
olivétains sous le nom d’Adriano. En 1592, il est élève de Gioseffo Guami à Lucques.
On le trouve ensuite à Sienne (1593), au monastère de San Michele in Bosco, près de
Bologne (1594), dont il devient l’organiste (1596). Il est organiste à Imola en 1600 puis
envoyé à Gubbio (1604) où il rencontre Diruta. Il est mentionné à Santa Elena de
Venise (1605), à Vérone (1606) et à Milan (1607). De retour à San Michele in Bosco en
1609, il y reste jusqu’à sa mort. En 1615, il avait été membre fondateur de l’Accademia
dei Floridi à Bologne au sein de laquelle il était surnommé il Dissonante. Banchieri
avait rencontré Monteverdi en 1620. Esprit autant facétieux qu’érudit, il contribue
tant à la théorie musicale (ses nombreux écrits pédagogiques sont très précieux pour
les musiciens d’aujourd’hui) qu’au développement des concerti ecclesiastici, de la musique
instrumentale et surtout de la comédie madrigalesque dont il est, avec Orazio Vecchi,
un des plus grands maîtres.
Comme cette vocalise (gorga) ne se trouve pas dans la notation musicale (sopra
gli scritti musicali), je ne devrais pas en faire mention. Toutefois, pour ma satisfaction,
je dis que le chanteur, qui fait des vocalises en compagnie, prive le concert de l’art et
de l’harmonie (cantando il gorgeggiante in compagnia priva il concento dell’artificio, et
armonia) composés par l’illustre compositeur. Je loue cependant celui qui a la dispo-
sition vocale (dispostezza di voce) pour pratiquer en chantant seul avec orgue, clavecin,
luth, chittarone, arpittarone, ou autres instruments semblables, de faire faire une adap-
tation (facendosi accomodare) des pièces par des compositeurs intelligents (s’ils ne sont
pas capables de la faire eux-mêmes).
On ne donnera pas d’exemple de cette vocalise, puisque c’est plutôt une chose
naturelle qu’autrement. On montrera néanmoins quelques fioritures dans les cadences
et, avec elles, certains ornements (accenti), qu’on peut utiliser dans les cadences, sauts
de tierces et [de] quartes, comme on l’aperçoit dans les lignes suivantes, au verso.
262
Adriano Banchieri, Cartella musicale, Venise, Giacomo Vincenti, 1614
[…]
Cent diminutions variées[,] ornées (accentuati) à la moderne, [en] latin, et [en
langue] vulgaire ; déduites des célèbres compositeurs de notre temps, et avec les notes
simples, au bénéfice de celui qui compose, appliquées en vue de la mémorisation de
l’exemple. Du Padre Don Adriano Banchieri […], et séparées en quatre séries, à savoir
[:] vingt-cinq à la voix de soprano, vingt-cinq à la voix de contralto, vingt-cinq à celle
de ténor, et vingt-cinq à la partie grave.
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Adriano Banchieri, Cartella musicale, Venise, Giacomo Vincenti, 1614
266
Adriano Banchieri, Cartella musicale, Venise, Giacomo Vincenti, 1614
270
Adriano Banchieri, Cartella musicale, Venise, Giacomo Vincenti, 1614
1. Les cent diminutions susdites ont été imprimées de manière éparse dans [les
œuvres des] auteurs modernes, recueillies avec grand zèle et diligence. Ils [= les
auteurs] ne sont pas nommés pour deux raisons : premièrement, pour ne pas agrandir
le volume ; secondairement, vu que chacun en a fait une semblable, chaque virtuose
qui y trouvera [des formules déjà] imprimées par lui-même, pourra dire : celles-ci sont
les miennes, les paroles ayant été changées.
2. La version simple (memoria), je ne l’ai pas trouvée écrite, mais je l’ai composée
moi-même d’après la diminution, pour servir d’étude, de façon que les débutants
apprennent la manière de faire chanter les parties diminuées (passaggiate) et ornées
(accentuate) selon l’usage moderne.
3. Celles [= les diminutions] de soprano, d’alto et de ténor peuvent être appli-
quées en les échangeant. Par exemples les sopranos à l’octave inférieure se changent
en ténors, et pareillement, les ténors à l’octave supérieure se changent en sopranos. De
même, les contraltos à l’octave inférieure seront des basses, et à la quarte supérieure
des sopranos. Enfin les basses à la quinte ou quarte supérieure seront des ténors. On
pourra aussi transposer sur différentes notes.
4. En les [= les diminutions] ayant à l’esprit, un chanteur avisé se retrouvant à avoir
en main une partie [à chanter] avec l’orgue ou ailleurs, et trouvant des notes simples,
semblables à l’exemple (memoria) vu, pourra faire la diminution, ce qui fera bon effet,
et, le gracieux chanteur en acquerra réputation.
5. En les chantant à deux voix pour s’exercer et se faire l’oreille, ils [= ces exemples]
feront bon effet ; ainsi, pour étudier, le maître chantera l’exemple simple (memoria) et
l’élève la diminution ; tous les deux ensemble et en même temps3.
6. Le nouveau compositeur, pour terminer, pourra changer les paroles latines en
[langue] vulgaire et les vulgaires en latin, et aussi, en mettre d’autres à la lumière de
ces exemples.
3 Cette remarque pédagogique est intéressante : on peut chanter en même temps la version simple et la
version diminuée.
272
Francesco Rognoni, Selva de varii passaggi, Milan, Filippo Lomazzo, 1620
Chapitre 18
Francesco Rognoni,
Selva de varii passaggi,
Milan, Filippo Lomazzo, 16201
Œuvres : Canzoni francese per sonar… a 4, 5, 8 (Milan, 1608), Il primo libro de madri-
gali, 5 voix, bc (Venise, 1613), Missarum et motectorum, 4, 5 voix (Venise, 1624), œuvres
dans des recueils collectifs3, Selva de varii passaggi (Milan, 1620).
Première partie
Avertissements
Aux bienveillants lecteurs
1. Le porter de la voix doit se faire avec grâce (gratia) ; ce qui se fait en renforçant
la voix sur la première note peu à peu, et ensuite en faisant le tremolo sur la noire.
2. L’accento doit être plutôt lent (tardo) qu’autrement ; le vrai accento est celui qui se
fait en descendant, bien qu’aujourd’hui on use aussi d’un autre pour monter et parfois
selon son goût à l’oreille, toutefois les bons chanteurs le [= l’autre accento] font rare-
ment, car il deviendrait ennuyeux.
3. Le tremolo se fait souvent, mais néanmoins avec grâce (gratia). On doit se garder
de le faire sans but (termine), comme certains, qui paraissent des chevreaux. Le tremolo
se fait principalement sur la valeur du point de chaque note.
4. Le groppo, quant à moi, me paraît devoir s’écrire de cette manière, puisque la
majeure partie des hommes de valeur l’ont écrit ainsi ; et de même pour le trillo. Il
faut avertir chacun qui veut apprendre ledit trillo ou [le] gruppo de marquer (pigliare)
et de battre chaque note avec la gorge sur la voyelle « a », jusqu’à la dernière brève ou
semibrève4. Ce trillo ou ce gruppo se fait principalement sur l’avant-dernière note de
n’importe quelle cadence ou finale.
5. Le commencement en-dessous de la note doit être, soit de tierce, soit de quarte
(il faut donc du jugement), car l’attaque (cominciar) à la tierce n’étant pas toujours
bonne, [il faudra la faire] alors parfois à la quarte ; cela se fait selon l’oreille du chanteur
avisé, en raison de la dissonance qui peut naître. Ce commencement n’est autre qu’une
grâce donnée (un dar gratia) à la voix au début des notes.
6. Les esclamationi se font par mouvement descendant en diminuant peu à peu la
première note et en donnant ensuite de l’esprit et de la vivacité à la note qui suit par
un tremolino.
4 Il s’agit d’une citation presque littérale de Caccini (Giulio Caccini, « Ai lettori », Le Nuove Musiche,
op. cit., [p. 7]).
274
Francesco Rognoni, Selva de varii passaggi, Milan, Filippo Lomazzo, 1620
7. Lorsque l’on veut passer d’une note à l’autre, il est nécessaire de porter la voix
avec grâce, en tenant bien les notes pointées [et] en leur donnant un tremolo avec esprit
et vivacité. On veillera à ne pas faire deux quintes ou deux octaves [consécutives], qui
pourraient arriver, si l’on s’arrête un peu trop sur l’avant-dernière note de n’importe
quelle diminution, en particulier sur le trillo ou [le] gruppo, si on ne veut pas provoquer
brusquement l’âpreté de la dernière [note], ce qui serait désagréable pour les auditeurs.
8. Le bon chanteur prendra garde à effectuer ses diminutions sur les voyelles, et
non, comme font certains, qui diminuent sur des syllabes comme celles-ci : « gnu, gu,
bi, vi, si, tur, bar, bor » et d’autres semblables. Il faut [absolument] les éviter, car on ne
peut rien entendre de pire.
9. Certains chanteurs ont une manière particulière de vocaliser (gorgheggiare) à
la mauresque, battant la diminution d’une façon déplaisante pour tous, en chantant
« aaa », ce qui donne l’impression qu’ils rient. On peut les comparer à ces Éthiopiens
ou [à ces] Maures, dont parle le Voyage de Venise à Jérusalem, qui dit que ces gens
chantent de cette manière lors des sacrifices, paraissant rire en montrant combien de
dents ils ont dans la bouche. Pour cette raison, qu’ils [= les chanteurs qui ont ce défaut]
apprennent que la vocalise (gorga) doit venir de la poitrine et non de la gorge.
10. Si vous trouverez parfois, tant en montant qu’en descendant par degré, des
diminutions qui ne sont pas écrites [jusqu’]à l’endroit destiné, cela a été fait pour
abréger l’ouvrage, qui [sans cela] aurait trop de relief. Il va de soi qu’en étudiant de
telles diminutions on ira jusqu’à la totalité de son étendue (dispositione), et plus, selon
les instruments.
276
Francesco Rognoni, Selva de varii passaggi, Milan, Filippo Lomazzo, 1620
Seconde partie
Selva | de varii pasaggi | parte seconda, ove si tratta | dei pasaggi difi-
cili, | per gl’instromenti | del dar l’archata, portar della lingua, | dimi-
nuire di grado in grado ; | Cadentie finali ; essempi, canti diminuiti, | con la
maniera di suonar la viola bastarda. | | di Francesco Rognoni, | Capo musico de
5 « D’autres [paroles] en revanche demandent d’elles-mêmes les vaghezze et les vaghi accenti, comme si on a
à dire : dolorem meum, misericordia mea, affanni e morte, qui, sans qu’elles soient indiquées aux chanteurs,
les renseignent sur la manière de les chanter » (Lodovico Zacconi, Prattica di musica, op. cit., p. 56v).
De la viola bastarda
La viola bastarda, qui est la reine des instruments pour diminuer, étant un instru-
ment qui n’est, ni [un] ténor, ni [une] basse de viole, mais se situant entre l’un et l’autre,
se nomme bâtarde (bastarda) parce que, tantôt elle va dans l’aigu, tantôt dans le grave,
[et] tantôt dans le suraigu. Tantôt elle joue une partie, tantôt une autre, tantôt avec de
nouveaux contrepoints, tantôt avec des passages (pasaggi) en imitations.
Il faut toutefois veiller à ce que les imitations n’aient pas plus de six ou sept réponses,
car cela deviendrait ennuyeux et de mauvais goût. La même [observation] s’applique
aussi à toutes les sortes d’instruments, car les écoles d’instrumentistes de valeur ne
le permettent pas ; elles interdisent aussi, dans les diminutions, de faire deux octaves
et deux quintes avec une autre des parties, sauf si on y est plus que forcé pour suivre
quelque imitation. On voit aujourd’hui beaucoup de [musiciens], qui jouent du cornet
à bouquin, du violon, ou un autre instrument, ne faire [rien d’]autre que de diminuer,
bien ou mal, pourvu qu’ils fassent des diminutions, cassant la tête de celui qui sait le
métier [et] ruinant toute la pièce, pensant bien faire. Ceux-ci feraient mieux d’aller
jouer dans les tavernes (alla frascata) que dans les concerts, puisqu’ils ne savent pas qu’il
vaut mieux savoir tenir une note avec grâce, ou un coup d’archet doux et suave, que de
faire autant de diminutions hors de propos.
278
Francesco Rognoni, Selva de varii passaggi, Milan, Filippo Lomazzo, 1620
La manière de diminuer « alla bastarda » sert pour les orgues, luths, harpes et sem-
blables [instruments].
[…]
Ils [= les mauvais musiciens] font aussi certains tremoli avec le doigt qui fait la
note-même, jouant toujours faux. Ils ne savent pas que le tremolo, par sa nature, doit
élever la note et non l’abaisser. C’est pour cette raison que le tremolo se fait avec le doigt
supérieur à celui de la note.
Il est nécessaire que la diminution soit en notes égales, qui s’entendent toutes dis-
tinctement (e si senta à nota per nota), qu’elle ne soit, ni trop rapide, ni trop lente, mais
tienne le juste milieu, l’archet étant bien allongé sur la viole, et que les croches, les
doubles et les triple-croches soient bien réparties, autant nombreuses dans la battue de
la mesure que dans son lever (tante nel bater della batuta, quanto nel levar), car la plus
grande priorité pour l’instrumentiste, de quelque instrument que ce soit, est de jouer
en mesure (a tempo) la diminution qu’il exécute.
Il faut avoir l’oreille [attentive] lors des diminutions qui comportent des sauts, car
parfois c’est l’intervalle de tierce, ou de quarte, qui sera bon, parfois de quinte, ou de
sixte. Cela incombe au jugement de l’instrumentiste, car personne ne peut [le] deviner
à l’improviste si les notes procèdent de degré en degré.
[…]
Si [un] madrigal, [un] motet ou [une] chanson est diminué ou orné (diminuita,
over passeggiata) par quelqu’un qui ne sait pas le métier, il y aura toujours des passages
estropiés par l’archet, du fait du manque de connaissance de l’instrument. La même
[chose] arrivera aussi aux autres instruments : à vent, au luth, à la harpe, et autres sem-
blables. Pour les instruments à vent, parce qu’ils ne connaissent pas la bonne utilisa-
tion de la langue (la terminazione della lingua), pour le luth et la harpe, la position de la
main (l’acomodatione della mano), et d’autres mises en garde pour les autres instruments
(et altri avertimenti a simili instromenti).
Bien que les instrumentistes accomplis s’adaptent tout à fait, en accommodant
la diminution aux contraintes (al suo dovere), même au prix de grandes difficultés,
cependant, pour les pauvres débutants, cela les conduit à la ruine, car ils ne seront
jamais des instrumentistes [capables] d’aligner quatre croches selon la raison, et la
diminution ne sera jamais mélodieuse (arioso) ni pleine d’esprit (spiritoso), parce qu’elle
sera privée de ses règles (del suo dovere). À ce sujet, [il faut que] les étudiants prennent
garde, en jouant des œuvres diminuées par d’autres, [de ne prendre que celles] de ceux
qui connaissent l’instrument dont ils veulent faire profession, parce qu’à chacun son
métier, et que cela suffise !
[…]
[…]
On devra également jouer avec discrétion et délicatesse, en cherchant à imiter la
voix humaine, et le coup de langue devra être, ni trop mort, ni trop articulé (battuta),
semblable à la vocalise (gorgha) ; c’est cela qui s’appelle bien maîtriser l’instrument (far
buon’ instromento).
280
Francesco Rognoni, Selva de varii passaggi, Milan, Filippo Lomazzo, 1620
[…]
Si vous trouverez parfois, tant en montant qu’en descendant par degré, des dimi-
nutions qui ne sont pas écrites [jusqu’]à l’endroit destiné, cela a été fait pour abréger
l’ouvrage. Il va de soi qu’en étudiant de telles diminutions on ira jusqu’à la totalité de
son étendue (dispositione), et plus, selon les instruments, afin que chacun puisse s’en
servir dans les cadences, également finales, avec ses imitations, ainsi qu’où [bon] il lui
semble et [lui] plaît. Vivez heureux !
[…]
Beaucoup donneront, comme on dit un coup d’œil, à cette œuvre, ainsi certains le
percevront d’une manière et d’autres d’une autre. Il ne suffira pas de la regarder comme
cela à la sauvette, mais [il faudra] bien la considérer page par page et ensuite donner
son avis. Alors à ceux qui, poussés par leur belle impulsion (ingegno), se résoudront à
dire qu’il suffit [seulement] de vouloir composer des diminutions semblables, et même
des plus belles, je rappelle l’expression commune « il est facile d’ajouter à ce qui a déjà
6 Francesco Lomazzo est le fils de l’éditeur du présent ouvrage et élève de Francesco Rognoni.
7 « Inventis addere facile est », locution déjà utilisée par Bovicelli (Giovanni Battista Bovicelli,
« Ai Lettori », Regole, passaggi, op. cit.).
282
Vincenzo Giustiniani, Discorso sopra la musica, I-Las Fondo Orsucci ms. [48] (olim o.49), [1628]
Chapitre 19
Vincenzo Giustiniani,
Discorso sopra la musica, I-Las Fondo Orsucci
ms. [48] (olim o.49), [1628]1
Œuvres : Discorso sopra la musica (Rome, 1628), Galleria Giustiniana (Rome, 1631),
Discorso sopra la pittura (lettre non-datée), Discorso sopra la scultura (lettre non-datée),
Discorso sopra l’architettura (lettre non-datée).
[…]
1. Dans mon enfance mon père bien aimé me confia à l’école de musique et j’observai
qu’étaient en usage les compositions d’Arcadelt, de Roland de Lassus, d’[Alessandro]
Striggio [père], de Cipriano de Rore et de Philippe de Monte, estimés comme les
meilleurs de ces temps, ainsi qu’ils l’étaient dans les faits. Pour chanter à voix seule sur
quelque instrument, prévalait le goût des villanelle napoletane, à l’imitation desquelles
1 Édition moderne : Angelo Solerti, éd., Le Origini del melodramma. Testimonianze dei contemporanei,
Turin, Fratelli Bocca, 1903, p. 98-128 ; traduction anglaise : Carol Macclintock, « Giustiniani’s Discorso
sopra la musica », Musica Disciplina, vol. 15, 1961, p. 209-225.
2 Carol MacClintock, « Giustinani, Vincenzo », Grove Music Online. Oxford Music Online, Oxford,
Oxford University Press, consulté le 19 juin 2014.
3 Basse romaine, recherchée par Alphonse ii de Ferrare en remplacement de Giulio Cesare Brancaccio (cf.
Anthony Newcomb, The Madrigal at Ferrara 1579-1597, Princeton, Princeton University Press, 1980, p. 47 ;
Richard Wistreich, « La voce è grata assai », op. cit., p. 11).
4 Cf. Richard Wistreich, Warrior, Courtier, Singer, op. cit.
5 Jaches ou Giaches de Wert.
6 Sur le Concerto delle Dame de Ferrare, cf. Anthony Newcomb, The Madrigal at Ferrara, op. cit. ; sur les
chanteuses de Mantoue, cf. Iain Fenlon, Music and Patronage in Sixteenth-Century Mantua, op. cit.,
p. 127-128.
284
Vincenzo Giustiniani, Discorso sopra la musica, I-Las Fondo Orsucci ms. [48] (olim o.49), [1628]
gliandola o ingrossandola) selon les endroits (secondo che veniva a’ tagli)7, tantôt en la
traînant (trasciandola), tantôt en l’entrecoupant (smezzarla) de l’interruption d’un doux
soupir (con l’accompagnamento d’un soave interotto sospiro), tantôt en exécutant de longs
passaggi, bien liés (bene seguiti) [ou] détachés (spiccati), tantôt [en] gruppi, tantôt en
sauts (a salti), avec des trilli, tantôt longs, tantôt brefs, tantôt avec des passaggi doux et
chantés avec retenue, auxquels on entendait parfois répondre en écho à l’improviste,
ainsi que principalement avec l’action du visage, des regards et des gestes, qui accom-
pagnaient judicieusement la musique et le sens des paroles (concetti). Par-dessus tout,
il n’y avait aucun mouvement déplaisant de la personne, de la bouche et des mains,
ou qui ne fût pas orienté vers la fin à laquelle on chantait, tout en articulant (con far
spiccar) bien les paroles, de façon qu’on comprenne même la dernière syllabe de chaque
mot, même interrompu par les passaggi, autres ornements et nombreux autres artifices
et particularités, qui sont à la connaissance de personnes plus expérimentées que moi.
Dans ces si nobles réunions, les excellents musiciens susdits faisaient tous leurs efforts
pour acquérir la renommée et la grâce des princes, leurs patrons. De là provenait aussi
leur utilité.
4. À l’exemple de ces cours et des deux Napolitains, qui chantaient la basse de la
manière décrite, on commença à Rome à varier la façon de composer, à plusieurs voix
sur le livre et en chant figuré, et également à une et plusieurs voix sur un instrument.
Le prince [Carlo] Gesualdo de Venosa, qui jouait aussi avec excellence du luth et
de la guitare napolitaine, commença à composer des madrigaux pleins d’artifices et
de contrepoint exquis, avec des fugues difficiles et charmantes dans chaque partie,
mêlées entre elles, prises en telles proportions, qu’il n’y ait de notes superflues et hors
de la fugue commencée, laquelle restait toujours, puis venait en renversement de la
première. Cependant cette subtilité de règle tendait parfois à rendre la composition
dure et pénible (scabrosa), car elle procurait, avec chaque effort et industrie à choisir
des fugues, qui bien qu’elles causent des difficultés à composer, sont [néanmoins]
mélodieuses (ariose) ou apparaissent douces et fluides (correnti) à point et semblant à
chacun, au moment de chanter, faciles à composer ; mais à la preuve, elles se trouvaient
difficiles et pas à la portée de chaque compositeur.
De cette façon composèrent [Scipione] Stella, [Pomponio] Nenna et Scipione de
Ritici [Dentice], de Naples, qui suivaient la manière susdite du prince de Venosa et du
comte Alfonso Fontanelli.
5. À cette époque, le cardinal Ferdinand de Médicis, qui fut ensuite grand-duc de
Toscane, fut poussé, par son propre goût et par l’exemple des autres princes mentionnés,
à avoir des musiciens excellents, et spécialement la fameuse Vittoria [Archilei], qui fut
quasiment à l’origine de la vraie façon de chanter chez les femmes, en cela qu’elle fut la
femme d’Antonio de Santa Fiore [Archilei], surnommé ainsi parce qu’il avait été dès
l’enfance musicien par excellence du cardinal de Santa Fiore.
Suivant cet exemple, beaucoup d’autres s’exercèrent à cette manière de chanter à
Rome, de telle façon qu’ils l’emportèrent sur tous les musiciens des lieux et princes
susdits. À la lumière vinrent Giulio Romano [Caccini], Giuseppino [Giuseppe Cenci],
Giovanni Domenico [Pugliaschi ?] et [Francesco] Rasi, qui apparurent à Florence
7 On trouve une description de la messa di voce dans : Giulio Caccini, « Ai lettori », Le Nuove Musiche,
op. cit., [p. 7] ; ainsi que dans : Luigi Zenobi, The Perfect Musician, op. cit.
286
Vincenzo Giustiniani, Discorso sopra la musica, I-Las Fondo Orsucci ms. [48] (olim o.49), [1628]
sition parfaite (= avec la totalité des voix) de manière exquise et avec avantage sur les
autres instruments pour ce qui est du trillo, du piano et du forte. De ces instruments
ont joué excellemment Geronimo, son frère, qui mourut en Flandre, et aujourd’hui
Filippo, le troisième frère, qui sert le Roi Catholique, comme je l’ai dit plus haut.
La harpe double s’est presque [uniquement] trouvée de nos jours à Naples et à
Rome. Elle a commencé [d’être utilisée] par un certain Giovanni Battista del Violino
[Fontana ?], appelé ainsi parce qu’il en (de cet instrument) jouait aussi excellemment.
,?
Aujourd’hui Oratio Michi joue de cette harpe double presque miraculeusement, non
seulement dans l’ornementation (nell’ artificio), mais d’une manière particulière d’atté-
nuer le son, lequel, s’il continuait, occasionnerait dissonance et cacophonie, ainsi que
[dans la maîtrise d’] un trillo difficile pour qui que ce soit d’autre [?].
Pour ce qui est de l’orgue et du clavecin, Girolamo Frescobaldi de Ferrare l’em-
porte sur tous, et dans l’ornementation (nell’ artificio), et dans l’agilité des mains.
Pour le théorbe, c’est le susdit Giovanni Gironimo [Kapsberger] d’Allemagne,
qui est aussi compositeur et sert dans les palais pour des musiques et concerts privés.
Ce dernier [= le théorbe] a été inventé à notre époque et ce même Gio. Geronimo l’a
beaucoup amélioré dans la façon de jouer.
Il y a également de nombreux joueurs d’autres instruments que je m’abstiendrai
de nommer, sauf le chevalier Luigi du cornet d’Ancône [Zenobi], qui le [= le cornet]
jouait miraculeusement et, parmi de nombreuses fois, le joua dans un petit cabinet à
moi, avec un clavecin bien fermé, qui s’entendait à peine. Il [= Luigi Zenobi] jouait
du cornet avec tant de modération et de justesse qu’il étonnait de nombreux gentils-
hommes, qui se délectaient de musique et qui étaient présents, parce que le cornet ne
dominait pas le son du clavecin.
[Jouer] de la viola bastarda j’ai entendu un Orazio della Viola [Bassani], qui servait
le duc de Parme, et enfin à Rome un Anglais [Alfonso Ferrabosco ii ?] qui jouait sans
pareil.
[…]
Le jeu de la guimbarde (sanfornia), qu’on nomme d’un mot grossier à Rome et
viabò en Lombardie, ne mériterait pas d’être mentionné. On le voyait ordinairement
dans les bouches de la populace, mais ayant été anoblie par le sig. Ottavio Vestrii, qui
en jouait en termes musicaux et avec justesse dans l’intonation des notes, je ne le lais-
serai pas de côté. Je l’ai entendue à plusieurs reprises jouer, parmi d’autres madrigaux,
celui de Luca Marenzio10 qui commence [par les paroles] Vestiva i colli etc. Ce même
madrigal, je l’ai entendu à Anvers, joué dans le clocher de l’église principale, par le
carillon. Celui qui jouait avait le livre devant lui et enfonçait les touches, comme on
le fait sur les orgues et, on m’a dit qu’on en usait de même à Bolduch [Bois-le-Duc =
s’Hertogenbosch] et autres lieux du Brabant et de Flandre.
[…]
15821 G. C. Barbetta Novæ tabulæ Dolce Fial mortir [=Soave fia il Tab. luth it.
morire]
15834 J. Paix Ein Schön Nutz … Angelus Domini Tab. clav. all.
Dum complerentur I
Dum ergo essent II
O beata et gloriosa Trinitas I
O vera summa sempiterna Trinitas
II
Hodie Christus natus est
Hæc Dies quam fecit Dominus
Lapidabant Stæphanum
Valde honorandus est
Senex puerum I
Hodie Beata virgo Maria II
Tribus miraculis
Cantantibus Organis
Pater noster
15845 V. Galilei Fronimo (2e éd.) Vestiva i colli I (=15682) Tab. luth it.
Così le chiome II I (=15682)
Se tra quest’erbe e’l fiore I (=15682)
Io son ferito I (=15682)
15846 E. Adriansen Pratum musicum Vestiva i colli I (SB) Tabl. luth franc.
Così le chiome II (SB) + not. mes.
15862 S. Verovio Diletto spirituale Jesu rex admirabilis Not. mes., (+)
Tua Jesu dilectio part. clav., tab.
Jesu flos matris Virginis luth it.
In te Domino lætabitur
15898 S. Verovio Ghirlanda di fioretti Ahi che quest’occhi miei Not. mes., (+)
musicali Da così dotta man part. clav., tab.
luth it.
1 Clara Marvin, Giovanni Pierluigi da Palestrina. A Guide to Research, New York, Routledge, 2002, p. 70-75.
Les années avec chiffre en indice inférieur se réfèrent au répertoire suivant : Howard Mayer Brown,
Instrumental Music Printed before 1600, op. cit. ; celles avec chiffre en exposant aux entrées du RISM
(Recueils imprimés xvi e-xvii e siècles) ; enfin celles avec lettre en exposant au catalogue suivant : Claudio
Sartori, Bibliografia della musica strumentale italiana, Florence, Olschki, 1952-1968, 2 vol.
288
Annexe
Glossaire
Accento
Le terme accento, que l’on peut traduire simplement par accent, signifie d’abord
et dès l’Antiquité les appuis et inflexions de la voix dans les langues. Il désigne aussi
à la Renaissance un ornement vocal, d’abord indéterminé, associé à la notion de
grâce. Celui-ci trouve une résonance particulière à partir de Baldassar Castiglione.
Dans sa démonstration de la grâce, grâce à la sprezzatura, Castiglione donne en effet
l’exemple d’un chanteur exécutant un « suave accento in un groppetto duplicato ». La
plus ancienne traduction française en rend l’impression suivante : « & ung musicien si
en chantant il entonne une seule notte finissant par ung doulx accent en un passaige
decouppe en telle facilite quil semble quil le face ainsi davanture. Par ce seul poinct il
fait congnaistre quil scait beaucoup plus quil ne montre » (Le Livre du courtisan, Livre
i, chapitre xxviii, traduit en 1537 sous le titre : Les Quatre livres du Courtisan du Conte
Baltazar de Castillon. Reduyct de langue Ytalicque en Francoys). Le mot accento possède
donc plusieurs sens. Nous le traduisons selon le contexte tantôt par accent, tantôt, dans
un sens général, par agrément ou ornement. Enfin, lorsqu’il s’agit vraiment d’une figure
ornementale spécifique, nous gardons le terme italien original. Il peut, par ailleurs, se
confondre avec différentes formules comme la clamazione ou le cercar della nota, ainsi
que ce qu’on appellera coulé, port de voix, appoggiature, échappée, Schleifer, etc… Sur les
1 Howard Mayer Brown, Embellishing Sixteenth Century Music, Londres, Oxford University Press,
1976 (traduit en français par Jacques Gouelon : L’Ornementation dans la musique du xvi e siècle, Presses
Universitaires de Lyon, Département de Musique Ancienne du Conservatoire Supérieur de Musique de
Lyon, 1991).
2 Bruce Dickey, « Ornamentation in Sixteenth-Century Music », Jeffery T. Kite-Powell, dir.,
A Perfomer’s Guide to Renaissance Music, Bloomington, Indiana University Press, 2007 [2e éd.], p. 300-324.
3 Martha Bixler, « An Introduction to Renaissance Ornamentation », American Recorder, vol. 8, no 4, 1967,
p. 107-109 et vol. 9, no 4, 1968, p. 108-112 ; Lucas Harris, « Vocal Ornaments in the Seventeenth Century »,
septembre 2002, http://www.continuo.ca/files/Vocal%20ornamentation%20in%20Italy.pdf
4 Françoise Ferrand, dir., Guide de la musique de la Renaissance, Paris, Fayard, 2011 ; Allan W. Atlas,
La Musique de la Renaissance en Europe, Turnhout, Brepols, 2011.
5 Bruce Dickey, « Ornamentation in Sixteenth-Century Music », op. cit., p. 322-324.
Cappella
La pratique musicale au sein d’une (grande) chapelle ne semble pas avoir tou-
jours été appréciée par les connaisseurs. Gioseffo Zarlino constatait que l’on chantait
différemment dans les églises et chapelles publiques et dans les chambres privées12.
Dans les premières, on le faisait « a piena voce » et dans les secondes « con voce piu
sommessa & soave, senza fare alcun strepito ». Luigi Zenobi préférait nettement
évoluer seul ou en petit ensemble qu’en effectif important, formation qu’il critique
à de nombreuses reprises. Le nombre des exécutants, chanteurs et instrumentistes a
été un critère décisif sur la quantité et le type d’ornementation improvisée. La place
de cette ornementation au sein d’un ensemble à grand effectif est diversement jugée
6 Bruce Dickey, « L’Accento : in Search of a forgotten Ornament », Historic Brass Society Journal, vol. 3, 1991,
p. 98-121.
7 Bruce Dickey, « Ornamentation in Sixteenth-Century Music », op. cit., p. 318-319.
8 Michael Praetorius, Syntagma musicum, Wolfenbüttel, Elias Holwein, 1619, t. iii (Termini musici),
p. 232-234 ; le passage contient deux pages d’exemples.
9 Baldassar Castiglione, Le Livre du courtisan, Paris, Flammarion, 1987, livre i, chapitre xxvi, p. 54.
10 Dans la seconde partie de la Selva de varii passaggi de Francesco Rognoni, on trouve une version de
« Susana D’Orlando » « per il Violone Over Trombone alla bastarda » (op. cit., p. 61).
11 Richard Wistreich, Warrior, Courtier, Singer…, op. cit., en particulier les chapitres : « Il basso del
Brancazio », « Per basso solo » et « Basso alla bastarda », p. 129-217.
12 Gioseffo Zarlino, Istitutioni harmoniche, Venise, chez l’auteur, 1558 (chapitre 46 dans l’édition de 1573),
p. 240.
292
Glossaire
dans les sources. Hermann Finck bannit les diminutions dans une œuvre exécutée
par plus d’un chanteur par partie. Cependant le problème n’est pas le même au sein
d’une chapelle constituée de chanteurs et d’instrumentistes en raison de la différence
des timbres. La diminution instrumentale a sans doute été un ingrédient souhaité et
organisé dans le grand concert avec des instrumentistes talentueux. Un témoignage
intéressant se trouve dans une note de 1586 des archives de la cathédrale de Séville,
dont les musiciens étaient placés sous la direction de Francisco Guerrero. Un Horden
que han de tener los Ministreles en el tañar y organise, en effet, soigneusement les inter-
ventions et les diminutions, notamment des joueurs de chalemie et de cornet 13. Une
motivation à diminuer peut être la volonté d’amplification du volume sonore (et/ou
la stimulation consécutive). Lodovico da Viadana, qui oblige son organiste à jouer
« pur » (schietto) quand ne chante que le coro favorito, l’invite à orner à sa guise dans
les tutti à plusieurs chœurs, parce que c’est alors le bon moment (« è il suo tempo ») ;
cela quand bien même Viadana souhaite que la grande cappella comprenne 20 ou 30
chanteurs et des instrumentistes14. Ce même souci de renforcement apparaît égale-
ment dans les fameux intermèdes florentins où une instrumentation d’un raffinement
extraordinaire amplifiait les parties vocales, à différentes octaves et, à n’en pas douter,
avec un riche « continuo » avant la lettre, improvisé par les nombreux luths et clavecins
simultanés attestés. L’hétérophonie résultant de la superposition d’une partie simple
et d’une partie ornée, qu’elle se produise en chapelle, in compagnia ou en solo accom-
pagné, a souvent été examinée par les auteurs anciens15. L’anarchie résultant d’une
improvisation tous azimuts en grand ensemble devait être jugulée par une gestion
clairvoyante et dirigiste du maître de chapelle. Particulièrement édifiante à cet égard
est la lecture du dialogue d’Ercole Bottrigari. En réaction à un concert vocal et ins-
trumental particulièrement raté, l’auteur en examine les différentes raisons (accord et
tempérament des instruments, abus des passaggi, etc.). L’auteur décrit alors les réussites
stupéfiantes obtenues par les chanteurs et instrumentistes de Ferrare, Gran Concerto
del Duca, Concerto della Dame, Concerto delle Monache di S. Vito. Les moniales excel-
laient, dit-il, dans le jeu des instruments à vent, cornets et saqueboutes, utilisés presque
toujours en doublure (duplicatamente) dans les musiques des jours de fête. Grâce à
l’autorité et aux compétences de leur directrice, « leurs passaggi ne gâtent jamais l’air
principal […], mais sont amenés en temps et en lieu avec une si légère vivacité, qu’ils
rendent à la composition ornement et esprit grandissime ». A contrario, Bottrigari
déplore des concerts , dans lesquels les instrumentistes « par leur continuelle agitation,
comme dans une course, à faire des passaggi en même temps, et cela principalement
pour montrer leur valeur, sont tant éloignés du contrepoint de la composition musicale
proposée et tellement empêtrés dans les dissonances, qu’il en résulte une insupportable
confusion ; laquelle augmente d’autant plus quand ceux qui […] jouent la partie grave
et basse ne se souviennent plus (pour ne pas dire ne savent pas) qu’elle est la base et le
fondement, sur lequel est fabriquée la pièce […]16. »
13 Robert M. Stevenson, Spanish Cathedral Music in the Golden Age, Berkeley, University of California
Press, 1961, p. 166-167, cité et traduit dans : Allan W. Atlas, La Musique de la renaissance en Europe, op.
cit., p. 798-799.
14 Lodovico da Viadana, [Avertissement :] « Modo di concertare i detti salmi a quattro voci », Salmi a
quattro chori, Venise, Giacomo Vincenti, 1612.
15 Howard Mayer Brown, L’Ornementation dans la musique du xvi e siècle, op. cit., p. 79-88.
16 Ercole Bottrigari, Il Desiderio overo de’ concerti di varii strumenti musicali, Venise, Ricciardo Ama-
dino, 1594, p. 49-51 – l’ouvrage avait été publié sous le nom d’Alemanno Benelli (anagramme d’Annibale
Melone, l’interlocuteur de Gratioso Desiderio dans le dialogue).
Compagnia et concerto
Par ces vocables, nous entendons la pratique musicale en petit ensemble, norma-
lement à un musicien par partie, certainement la plus favorable à une ornementation
improvisée de qualité19. À mi-chemin entre les contraintes du gran concerto et la trans-
formation radicale d’une pièce polyphonique en une pièce soliste hautement virtuose,
le petit groupe permet une réalisation collective et interactive des passaggi, respectant
et même sublimant la pièce écrite. Adriano Banchieri (cf. infra, rubrique « Semplice »)
est néanmoins de l’avis contraire et réserve l’ornementation au chant soliste afin de
respecter la composition polyphonique. Les descriptions enthousiastes d’exécutions
musicales par des ensembles choisis de musici secreti abondent dans les sources (on le
voit par exemple chez Vincenzo Giustiniani). Les termes utilisés pour nommer ces
groupes de virtuosi, permanents ou renforcés de vedettes de passage, sont également
musiche serate, segrete ou reservate. La musique, surtout profane, de Palestrina a dû
certainement faire partie du répertoire de ces ensembles. C’est à cette distribution
d’élite que pense principalement Luigi Zenobi mais aussi les auteurs auxquels nous
nous référons lorsque nous étudions la diminution. Pour cette raison, les conseils pra-
tiques, ainsi que les exemples musicaux sur l’ornementation improvisée in compagnia
apparaissent dans les traités de diminution20. Ces conseils simples et peu nombreux
se trouvent particulièrement chez Giovanni Camillo Maffei, Lodovico Zacconi ou
Aurelio Virgiliano.
17 Howard Mayer Brown, L’Ornementation dans la musique du xvi e siècle, op. cit., p. 30.
18 Michael Praetorius, Syntagma musicum, op. cit., t. iii, p. 231
19 Ibid., p. 79-88 ; voir aussi : Bruce Dickey, « Ornamentation in Sixteenth-Century Music », op. cit.,
p. 313-314.
20 Girolamo Dalla Casa notamment termine son traité avec les six sections du madrigal de Cipriano de Rore
– Alla dolc’ombra – avec des diminutions pour les quatre voix. En outre, son Secondo libro de madrigali a
cinque voci, con passaggi (1590) fournit directement l’ornementation des parties par le compositeur.
294
Glossaire
Définition de la diminution
La définition même et les procédés de la diminution n’étaient pas standardisés
au cinquecento21. Chez les anciens, Michael Praetorius déclare : « Diminutio aber ist
wenn eine grössere Nota in viel andere geschwinde und kleinere Noten resolviret und
gebrochen wird. Dieser sind nun unterschiedliche Arten und Modi : Deren etliche
Gradatim nacheinander folgende geschehen : als Accentus, Tremulo, Gruppi und Tirata »
(suivent des exemples)22. Notons, en outre, que la différence que nous opérons entre
diminutions et agréments (notamment depuis Johann Joachim Quantz23 et Robert
Donington24) n’existait pas si clairement à l’époque où, comme on vient de le voir avec
la citation ci-dessus de Praetorius, ceux-ci ne sont qu’une variété de celles-là.
Diminutions écrites
Notre connaissance de l’ornementation à la Renaissance se base entièrement sur
des sources écrites : les traités et les pièces ornées à l’époque. Ces élaborations écrites
ne peuvent que constituer un point de départ pour l’ornementation improvisée. Bien
qu’il existe des transcriptions effectuées à titre documentaire ou de souvenir d’une
exécution remarquable25, celles-ci ne peuvent être que des approximations. Dans le cas
de celles réalisées par les auteurs de traités, même si ces virtuoses avaient été capables
de se rappeler d’improvisations personnelles réalisées dans le feu de l’action, leurs
auteurs ont tout de même été contraints de les présenter sous une forme écrite la plus
correcte possible. Cependant la composition de versions diminuées (d’œuvres célèbres)
répondait à l’époque à une véritable demande, puisqu’on ne dénombre pas moins de
173 diminutions sur 126 pièces différentes26. Nous avons inventorié en annexe les éla-
borations ornées (entre 1568 et 1638) d’œuvres de Palestrina. Même si ces pièces avec
diminutions originales sont des élaborations composées à la table, elles sont tout de
même importantes. La création artistique à la Renaissance était, en effet, construite
autour des notions d’imitatio et d’aemulatio. Cela est aussi vrai dans une perspectice
pédagogique. On apprenait à diminuer en appliquant les formules à des situations
identiques. Ces formules étaient des paradigmes que l’on prenait beaucoup de soin
à mémoriser à une époque où la mémoire était la base même de l’enseignement. La
référence pour le maître et pour le disciple, dans tous les domaines de la connaissance
encore à l’époque de l’Humanisme, est l’auctoritas et sa glose. De nombreux auteurs
21 On consultera à ce sujet : Howard Mayer Brown, « Les passaggi au xvie siècle », L’Ornementation dans la
musique du xvi e siècle, op. cit., p. 39-54 ; ainsi que : Bruce Dickey, « Ornamentation in Sixteenth-Century
Music », op. cit., p. 302-303 (§ « Divisions »).
22 Michael Praetorius, Syntagma musicum, op. cit., t. iii, p. 232-240.
23 Johann Joachim Quantz distingue (en français) « les agréments essentiels » et « les changements arbitraires »
(Essai d’une méthode pour apprendre à jouer de la flûte traversière, Berlin, Chrétien Frédéric Voss, 1752).
24 Voir l’établissement des ornements sous la forme d’une liste A (diminutions) et d’une liste B (agréments)
réalisé par Robert Donington (The Interpretation of Early Music, Londres, Faber and Faber, 1989 [5e éd.],
p. 160).
25 Voir les passaggi de Dalle più alte stelle dans La Pellegrina (1589) ou l’air Possente spirto dans l’Orfeo de
C. Monteverdi (1607), probablement composés respectivement par Antonio Archilei et Francesco Rasi.
26 On trouvera une liste de ces pièces diminuées dans : Andrew Waldo, « So You Want to Blow the
Audience Away; Sixteenth-century Ornamentation : A Perspective on Goals and Techniques », The Ame-
rican Recorder, vol. 27, May 1986, p. 55-59 ; et dans : Ernest T. Ferand, « Didactic Embellishment Litera-
ture in the Late Renaissance : Aspects of Medieval and Renaissance Music », Jan La Rue, éd., A Birthday
Offering to Gustave Reese, New York, Clarendon Press, 1966, p. 154-172 ; les chiffres mentionnés ici sont
cités dans : Timothy A. Collins, « Reaction against the Virtuoso », International Review of Aestetics and
Sociology of Music, vol. 32, no 2, 2002, p. 138.
Disposizione et travail
La disposizione, terme difficilement traduisible, signifie l’aptitude ou les dons à
entreprendre n’importe quelle activité. Le mot possède aussi un sens dans le domaine
musical avec, à la Renaissance, une légère connotation rhétorique. Une fois encore,
on trouve une référence à cette qualité, nécessaire au courtisan, chez Baldassar
Castiglione (livre i, chapitre xx). L’aisance vocale29, l’agilité instrumentale, la virtuo-
sité, de même que la rapidité d’esprit sont des qualités indispensables à l’improvisation
de passaggi. Bartolomeo Barbarino utilise même l’expression dispositione di passag-
giare pour résumer toutes ces qualités30. Francesco Severi dit avoir veillé à ce que ses
passaggi soient uniti autant que possible, pensant qu’auront à les chanter « tanto quelli
che hanno buona dispositione, come quelli che l’hanno mediocre31. » Parfois, le terme
disposizione désigne simplement la voix. Curieusement, on trouve néanmoins dans
plusieurs sources l’expression « acquérir la disposition ». Le travail peut donc suppléer,
du moins en partie, au manque de disposizione.
27 Giovanni Luca Conforti, [postface :] « Dichiaratione sopra li passagi », Breve et facile maniera, op. cit.,
p. 1v.
28 Bartolomeo Barbarino, [Avertissement :] « Alli Sig. Lettori », Secondo libro delli motetti, Venise, Barto-
lomeo Magni, 1614.
29 Lire par exemple à ce sujet : Robert Greenlee, « Dispositione di voce : Passage to Floride Singing », Early
Music, vol. 15, 1987, p. 47-55.
30 Bartolomeo Barbarino, [Avertissement :] « Alli Sig. Lettori », Secondo libro delli motetti, op. cit.
31 Francesco Severi, [Averissement :] « Ai Lettori », Salmi passaggiati per tutte le voci nella maniera che si
cantano in Roma sopra falsi bordoni… con alcuni Versi di Miserere sopra il Falso Bordone del Dentice… Libro
primo, Rome, Nicolò Borboni, 1615.
32 Nicola Vicentino, L’Antica musica ridotta alla moderna prattica, op. cit., livre iv, chapitre xxxxii.
296
Glossaire
quand le soprano est orné mais fait jouer la basse quand cette partie est diminuée33.
De l’ouvrage d’Ortiz, on peut aussi déduire que toutes les voix de la polyphonie sont
également jouées simplement en cas de diminution alla bastarda.
Gorgia
Nous traduisons par vocalise le terme gorgia pour bien rendre le caractère de la
réalisation au moyen d’une technique vocale particulière de ce que nous appelons
diminutions, coloratures, roulades, passaggi, minute, tirate, etc… Les auteurs anciens
évoquaient son imitation par les instruments par les coups de langue et d’archet, ou les
doigtés des instrumentistes à clavier. La gorgia était elle-même proche d’une articu-
lation de mots. On trouve souvent les termes prononcer, détacher, articuler, tant pour
les paroles que pour les diminutions.
33 Trattado de glosas, op. cit., Libro secondo, La terza maniera di sonar il Violone col Cimbalo, Rome, Dorico, 1553,
p. 35.
34 Diego Ortiz, [avertissement :] « El modo che se ha da tener’ per glosare », Trattado de glosas, op. cit., El
primo libro.
35 Lodovico Zacconi, Prattica di musica, op. cit.
36 Sur cette idée et sur la typologie des agréments, voir : Howard Mayer Brown, « Les agréments au
xvie siècle », L’Ornementation dans la musique du xvi e siècle, op. cit., p. 19-38 ; ainsi que : Bruce Dickey,
« Ornamentation in Sixteenth-Century Music », op. cit., p. 315-321.
Imitation de la voix
Un des premiers devoirs de l’instrumentiste est d’imiter la voix humaine. Ce
souci, exprimé remarquablement et constamment dans le traité de Ganassi 41, est par-
tagé par presque tous les auteurs de méthodes de diminution. Il est clair que l’appren-
tissage d’un instrument se faisait sans doute depuis longtemps par appropriation de
la technique (prattica) spécifique en montant et descendant des gammes, en répétant
37 Voir : Howard Mayer Brown, L’Ornementation dans la musique du xvi e siècle, op. cit., p. 28-30 ; ainsi que :
Bruce Dickey, « Ornamentation in Sixteenth-Century Music », op. cit., p. 317-318.
38 « Werden in den Cadentiis und Clausulis formalibus gebraucht und müssen scherffer als die Tremoli ange-
schlagen werden » (Michael Praetorius, Syntagma musicum, op. cit., t. iii, p. 236).
39 Diruta décrit les différents groppi d’après leurs rythmes mais les tremoli simplement en disant qu’ils
doivent être joués avec charme et agilité (Girolamo Diruta, Il Transilvano, op. cit., fol. 9 et 10).
40 « L’on faisoit autrefois la Cadence auec les martelements, qui s’expriment par Tara tara, tara, ta […]. La
seconde Cadence se fait par un tremblement des doigts aux crochües, & aux doubles crochües par un
redoublement : mais ce tremblement se fait avec le simple vent, afin que la cadence soit plus douce & plus
amiable, & qu’elle imite la voix & la plus excellente methode de chanter » (Marin Mersenne, Harmonie
universelle, Paris, Sébastien Cramoisy, 1636, Livre Cinquiesme, Proposition xxiii, p. 275).
41 Ganassi termine la Fontegara en répétant : « Sache que ton maître sera le chanteur habile et expérimenté »
(Silvestro Ganassi, « Dimostratione della regola figurata », Opera intitulata Fontegara, op. cit., [p. 161]).
298
Glossaire
des formules sur chaque degré, puis par intervalles et enfin avec des ornements de
cadences, puis enfin par l’exécution de mélodies connues, enrichies d’ornementation
toujours plus élaborée42. Pourquoi fallait-il sans cesse rappeler l’importance d’imiter
la voix, que l’on comprend encore comme jouer cantabile ? Parce que l’instrumentiste
est appelé à jouer beaucoup de musique vocale. Du fait de la cohabitation des voix et
instruments dans les chapelles et concerti, l’instrumentiste, auparavant souvent musi-
calement analphabète (même s’il pouvait être un virtuose accompli) et intervenant
peu en contexte polyphonique complexe, est amené à jouer de la musique vocale poly-
phonique écrite avec un souci toujours plus grand du texte. Si on reprend le cas de
Ganassi, on ne peut qu’être frappé par le peu d’années qui séparent l’arrivée d’Adrien
Willaert en 1527 à la tête de la chapelle musicale de Saint-Marc et la publication de la
Fontegara. Certes Ganassi éblouit par la virtuosité et l’inventivité de ses passaggi pour
flûte à bec mais il soumet tout ce savoir-faire à l’impératif de la vocalité ; c’est-à-dire
à l’expression des affetti du texte et des « grâces » vocales. L’articulation de la langue
doit donner l’illusion de la gorgia dans les coloratures, les agréments spécifiques du
flûtiste (tremblements de demi-ton, de ton entier ou de tierce) doivent remplacer les
inflexions (les gratie ou le portar la voce accentata43) de la voix, absentes de la notation
musicale jusqu’à la dernière décennie du xviie siècle. Le concept d’imitar la voce ne
recouvre donc que partiellement l’imitation du timbre vocal (bien que Luigi Zenobi
la recommande encore pour le trombone et le cornet) et renvoie surtout à une sorte
d’illusion de la vocalité. La remarque sur le cornet de Girolamo Dalla Casa, plagiée
maintes fois par les auteurs anciens, ne laisse pas de doute quant à l’imitation surtout
de la technique de la gorgia.
Mauvaises diminutions
Des diminutions peuvent être mauvaises, par leur excès, leur goût douteux ou
démonstratif (« affectation ») ou leur contexte. Baldassar Castiglione, au livre iii,
chapitre viii, le signalait déjà en recommandant aux dames de ne pas employer de
« diminutions fortes et répétées, qui démontrent plus d’habileté (arte) que de dou-
ceur (dolcezza)44. »
42 La méthode instrumentale la mieux structurée à cet égard est celle de Riccardo Rognioni qui débute
véritablement par un apprentissage technique (Passaggi per potersi essercitare nel diminuire, op. cit.).
43 Selon l’expression de Francesco Rognoni (Selva de varii passaggi, op. cit., page de titre).
44 Baldassar Castiglione, Le Livre du courtisan, Paris, Flammarion, op. cit., p. 239.
Quantité de diminutions
« Poi nella Minuta far poca robba, ma buona 46. » L’excès de diminutions était perçu
comme un grave défaut. Reste à savoir ce qui était considéré comme un excès. Là
encore le contexte était primordial. Concernant l’ornementation excessive en chapelle,
on relira la critique de Bottrigari, cf. supra, rubrique « Cappella ». En solo par contre,
on pouvait aboutir à une œuvre vraiment nouvelle47.
Semplice
En utilisant le terme « simple », opposé à celui de « diminué », nous pensons à la
distinction faite par Bartolomeo Barbarino48. Dans de nombreuses situations, l’ab-
sence de diminutions ou une exécution peu diminuée mais expressive est considérée
comme nécessaire. Luigi Zenobi par exemple recommande au soprano de connaître
le « canto schietto »49, simplement agrémenté. Francesco Rognoni abonde dans ce sens
surtout en pensant aux mauvaises diminutions : « On voit aujourd’hui beaucoup de
[musiciens], qui jouent du cornet à bouquin, du violon, ou un autre instrument, ne
faire [rien d’] autre que de diminuer, bien ou mal, pourvu qu’ils fassent des dimi-
nutions, cassant la tête de celui qui sait le métier [et] ruinant toute la pièce, pensant
bien faire. […] ils ne savent pas qu’il vaut mieux savoir tenir une note avec grâce, ou
un coup d’archet doux et suave, que de faire autant de diminutions hors de propos50. »
L’exécution simple sera plus tard dans le stil moderno souvent souhaitée expressément
par le compositeur, comme on le voit dans les préfaces des mélodrames ou dans l’aver-
tissement du Combatimento di Tancredi e Clorinda, où Claudio Monteverdi interdit
les gorghe et même les trilli (sauf dans la partie qui commence par « Notte »). Adriano
Banchieri, théoricien et compositeur, exprime bien cette opinion : « le chanteur, qui
fait des vocalises en compagnie, prive le concert de l’art et de l’harmonie composés
par l’illustre compositeur51. »
300
Glossaire
Solo
La musique du xvie siècle est trop souvent réduite à sa seule dimension polypho-
nique52. Si le processus compositionnel s’appuie essentiellement sur une superposi-
tion de lignes horizontales, l’exécution pouvait parfaitement faire passer cet aspect
au second plan. Nous avons donc distingué les trois grandes catégories d’exécution
(cappella, compagnia, solo). Le chant au luth s’imprime dès le début du xvie siècle dans
les deux livres d’adaptations de frottole par Francisco Bossinensis, édités en 1509 et 1511
chez Petrucci53. Baldassar Castiglione loue par-dessus tout le chant à la viole54. Les
premiers madrigaux (ceux de Philippe Verdelot et d’Andrea de Silva) sont transcrits
pour voix et luth par Adrien Willaert lui-même55. Parmi nos traités, nous voyons
Ortiz expliquer que la diminution avec clavecin est d’une autre manière que celle « qui
consiste à jouer en ensemble avec quatre ou cinq violes »56. Dans la musique sacrée,
l’exécution (ornée) en solo a pu paraître quelque peu licencieuse. Son côté expressif
pouvait par exemple rehausser le caractère érotique des textes du Cantique des Can-
tiques. Cet aspect a été condamné fermement par Lodovico Zacconi : « J’ai toujours
loué Palest[r]ina, qui s’est peu employé à écrire des madrigaux, car Dieu l’a créé afin
qu’il orne l’église de ses chants suaves, comme il l’a toujours fait. Mais si j’avais été près
de lui et si j’avais pu lui dire ma pensée, j’aurais mis toute ma conviction à le convaincre
à ne pas composer ses motets du Cantique comme il l’a fait ; car aujourd’hui beaucoup
de chanteurs se complaisent à chanter en solo Quam pulcra es amica mea, quam pulcra es.
Tota pulchra es amica mea, formosa mea. Fulcite me Floribus quia amore langueo, et autres
choses, avec Dieu sait quelle intention57. »
Tirata
Ce terme figure dans le Dictionnaire de musique de Sébastien de Brossard avec
la définition suivante : « en François tirade. C’est ainsi que les Italiens appellent en
general toutes ces suites de plusieurs Notes de même figure ou valeur, qui se suivent par
degrez conjoints, tant en montant, qu’en descendant58 . » Michael Praetorius en donne
l’explication suivante : « Tiratae : Sind lange geschwinde Läufflin so gradatim gemacht
werden und durchs Clavier hinauff oder herunter lauffen […] Je geschwinder und
schärffer nun diese Läufflein gemacht werden doch also das man eine jede Noten recht
rein hören und fast vernemen kann : Je besser und anmütiger es sein wird59. »
52 Sur l’exécution de la polyphonie en solo, voir : Howard Mayer Brown, « Solo et ensemble », L’Ornementa-
tion dans la musique du xvi e siècle, op. cit., p. 79-88.
53 Respectivement : Tenori e contrabassi intabulati col sopran in canto figurato figurato per cantar e sonar lauto
Libro primo, Venise, Ottaviano Petrucci, 1509 ; Tenori e contrabassi intabulati col sopran in canto figurato per
cantar e sonar lauto Libro secundo, Venise, Ottaviano Petrucci, 1511 (Brown 15091 et 1511 1).
54 Baldassar Castiglione, Le Livre du courtisan, op. cit., livre ii, chapitre xiii.
55 Intavolatura de li madrigali di verdelotto da cantare et sonare nel lauto (Brown 15368).
56 Diego Ortiz, [Avertissement pour jouer sur des compositions], Trattado de glosas, op. cit., Secondo libro,
p. 37v.
57 Lodovico Zacconi, Prattica di musica, Seconda parte, Venise, Alessandro Vincenti, 1622, livre i,
chapitre lxii, p. 53-24.
58 Sébastien de Brossard, Dictionnaire de musique, Amsterdam, Estienne Roger, 1701, p. 184-187.
59 Michael Praetorius, Syntagma musicum, op. cit., t. iii, p. 236.
60 Sur cet agrément et les différents types de tremoli, voir : Howard Mayer Brown, « Les agréments au
xvie siècle », L’Ornementation dans la musique du xvi e siècle, op. cit., et plus particulièrement, p. 20-28,
ainsi que : Bruce Dickey, § « Tremolo, Trillo and Tremoletto », « Ornamentation in Sixteenth-Century
Music », op. cit., p. 315-317.
61 « Tremolo è quello, che tocca della riga, e dello spatio in qual’si voglia modo, ch’ei si faccia » (Luigi
Zenobi, op. cit., § 13.
62 Lodovico Zacconi, Prattica di musica, 1592, op. cit., chapitre lxvi, p. 60r.
63 Girolamo Dalla Casa, Il Vero modo, op. cit., p. 5-6.
64 Giovanni Battista Bovicelli, « Avertimenti intorno alle note », Regole, passaggi, op. cit., p. 13.
65 Juan Bermudo, Declaración de instrumentos musicales, Osuna, Juan de Leon, 1555, livre iv, chapitre 43,
fol. 84-85 ; Tomás de Santa Maria, Arte de tañer fantasia, Valladolid, Francisco Fernandez, 1565, livre i,
chapitre 19, p. 46v-52r.
66 « Tremolo, vel Tremulo : Ist nichts anders als ein Zittern der Stimme über einer Noten : die Organisten
nennen es Mordanten oder Moderanten [...] Und dieses ist mehr uff Orgeln und Instrumenta pennata
gerichtet als uff menschen Stimmen » (Michael Praetorius, Syntagma musicum, op. cit., t. iii, p. 235).
302
Glossaire
Trillo
Cet ornement67, à l’origine spécifiquement vocal, est cité pour la première fois par
Giovanni Luca Conforti en 1593. Mentionné ensuite par Luigi Zenobi, il deviendra
un des grands classiques du nouveau style monodique. Dans la musique, il est signalé
par la lettre t, ou écrit en toutes notes, voire encore des deux façons à la fois. Sa des-
cription la plus célèbre, donnée par Giulio Caccini68 et reprise par Francesco Rognoni,
nous apprend qu’il s’agit d’une répétition rapide de la même note, articulée dans la
gorge69. Bien que figuré en cadence de soprano par Conforti (et avec des terminaisons
descendant au 6e ou montant au 2e degré), il sera dans le stile rappresentativo plutôt
employé comme ornement cadentiel tenorizans. Il n’y a cependant pas de raison de
ne pas l’employer en polyphonie d’après les exemples de Conforti ou les explications
de Zenobi. Dans l’usage affettuoso des passaggi modernes, on l’observera écrit dans les
versions tardives pour solistes, par exemple dans le Pulchra es de Palestrina diminué par
Francesco Rognoni70. Le trillo est décrit également par Michael Praetorius : « Trillo :
Ist zweyerley : der eine geschiehet in Vnisono, entweder einer Linien oder im Spatio ;
Wann viel geschwinde Noten nacheinander repetiret werden. [...] Und dieser Art sind
im Claudio de Monte verde zufinden. Der Ander Trillo ist uff unterschieden Arten
gerichtet. Und ob zwar einen Trillo recht zu formieren, unmüglich ist aussm vorges-
chriebene zu lerne es sey dann es viva Praeceptoris voce & ope geschehe und einem
vorgesungen und vor gemacht werde darmit es einer vomandern gleich wie ein Vogel
vom andern observiren lerne. Dahero Ich auch noch zur zeit ausser vorgedachtem
Giulio Caccini, in keinem Italianischem Autore dieser Art Trillen beschriben sondern
allein über die Noten, so mit einem Trill formieret werden sollen ein t: oder tr: oder
tri: ¨bergesetzet befinde: Jedoch hab ich Arten alhier obiter mit bey zusetzen nötig
erachtet damit die noch zur zeit untwissende Tyrones, nur in etwas sehen und wissen
mögen was ohngefehr ein Trillo genennet werde71. » Marin Mersenne donne aussi une
transcription « suivant la methode de Caccini », en précisant : « Mais l’on use point en
France de ce Trillo ou tremblement sur une mesme chorde72. »
67 Sur cet agrément et les différents types de trilli, voir : Howard Mayer Brown, « Les agréments au
xvie siècle », L’Ornementation dans la musique du xvi e siècle, op. cit., plus particulièrement, p. 30 ;
Bruce Dickey, § « Tremolo, Trillo and Tremoletto », « Ornamentation in Sixteenth-Century Music »,
op. cit., p. 315-317 ; et également : Bruce Dickey, « Untersuchungen zur historischen Auffassung des
Vibratos auf Blasinstrumenten », Basler Jahrbuch zur historische Musikpraxis, vol. 2, 1978, p. 77-142.
68 Giulio Caccini, « Ai lettori », Le Nuove Musiche, op. cit., [p. 7].
69 « […] il comminciarsi dalla prima semiminima, e ribattere ciascuna nota con la gola sopra la vocale « a »
fino all’ultima breve » (Giulio Caccini, Le Nuove Musiche, op. cit., p. 7). Giulio Caccini démontre l’accé-
lération du trillo, explique son articulation et le compare ensuite au groppo. Voir à ce sujet la traduction
anglaise de ce passage de l’ouvrage de Caccini par John Playford et l’application, par Girolamo Fantini,
du trillo au jeu de la trompette dans : Howard Mayer Brown, Instrumental Music Printed Before 1600,
op. cit., p. 38, note 23.
70 Francesco Rognoni, Motteto del palestina [sic] passeggiato per il soprano overo Tenore, dans la Selva de varii
passaggi, op. cit., p. 45-46.
71 Michael Praetorius, Syntagma musicum, op. cit., t. iii, 1619, p. 237.
72 Marin Mersenne, Harmonie universelle, op. cit., Livre Cinquiesme, errata, p. 238.
306
Index des notions abordées dans les sources traduites
Types de diminutions
Ganassi : 114-116
Ortiz : 126-127, 138, 140, 145
Dalla Casa : 172-175
Diruta : 233-236
Voyelles
Maffei : 168
Zacconi : 195
Conforti : 221
Bovicelli : 239
Fr. Rognoni : 274-275
308
Bibliographie
Bibliographie
Sources musicales
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326
Index
des noms
327
Index des noms
L’index suivant porte sur les textes des chapitres à l’exclusion des notes de bas de page et des légendes des illustrations.
Femia : 284
Ferdinand Ier de Habsbourg : 153 J
Ferdinand de Bavière : 171
Ferrabosco, Alfonso : 287 Janequin, Clément : 84
Ferrabosco, Domenico Maria : 107 Jules III, pape (Ciocchi del Monte,
Filodo, Giovanni Antonio : 169 Giovanni Maria de’) : 125
Finck, Hermann : 110, 153, 293
Fontana, Giovanni Battista : 55, 98, 287
Fontanelli, Alfonso : 285 K
Fornarino, Stefano : 82
Francesco, Savino de : 108 Kapsberger, Giovanni Gironimo : 287
Frescobaldi, Girolamo : 89, 287
L
G
Label, Fermino : 82
Gabrieli, Andrea : 84, 171, 185, 225, 232 Lanno, Stefano : 169
Gabrieli, Giovanni : 30, 67, 86, 225, 232, 236 Lassus, Roland de : 70, 84, 92, 109, 171, 185, 283
Ganassi, Silvestro : 12, 16, 30-31, 42, 51, 64, 91, Lomazzo, Filippo : 273-274, 278
93-94, 109, 110, 113, 297, Lomazzo, Francesco : 281
298 – 299, 302 Lorenzo, Mattia : 286
Gardano, Angelo : 171-172, 174 Lusitano, Vicente : 107, 149
Gardano, Antonio : 125 Luzzaschi, Luzzasco : 225, 232, 253, 284
Gastoldi, Giovanni Giacomo : 215
Gesualdo, Carlo,
prince de Venosa : 285-286 M
Ghiselin, Johannes : 93
Gibbons, Orlando : 92 Maffei, Giovanni Camillo : 17, 18, 28, 40, 48, 101, 109,
Giovannelli, Ruggiero : 84, 219, 237, 284, 286 165, 294
Giustiniani, Vincenzo : 17, 54, 76, 91, 109, 283, Manlius, Johannes : 93
292, 294 Marenzio, Luca : 84, 284, 287
Gombert, Nicolas : 87, 93 Marini, Biagio : 55
Gonzaga, Scipione : 219 Masserano, prince de : 273
Gonzague, Guillaume de, Maximilien II, empereur : 253
duc de Mantoue : 108, 219, 237 Mayer Brown, Howard : 291
Gottardo Pontio, Paolo : 149 Mecklenbourg,
Gregori, Annibale : 55 Johann Albrecht I de : 121
Gualfreducci, Onofrio : 107, 286 Médicis, Ferdinand de : 285-286
Gualtero, Ludovico : 286 Mélanchton, Philippe : 153
Guami, Gioseffo : 86, 232, 261 Merlo, Alessandro : 107, 284
330
Index des noms
Tallis, Thomas : 92
Tartini, Giuseppe : 95
Terranova, duc de : 215-217
Terzi, Giovanni Antonio : 89
Tini, Francesco : 237
Tini, Simon : 237
Trajetti, Lorenzo : 286
Valeria, Ottavio : 70
Valle, Pietro della : 219
Vecchi, Orazio : 261, 284
Venezia, Domenico da : 107
Verdelot, Philippe : 93, 301
Vestrii, Ottavio : 287
Viadana, Lodovico : 29, 293
Vicentino, Nicola : 149-150, 153, 296
Victoria, Tomás Luis de : 84, 237
Vincenti, Alessandro : 233
Vincenti, Giacomo : 181-182, 183, 215-217,
225-226, 237, 261-262
Virgiliano, Aurelio : 85, 249-250, 294
Weelkes, Thomas : 92
Wert, Giaches de : 284
Willaert, Adrien : 84-87, 121, 149, 253, 299, 301
Wistreich, Richard : 292
Woltz, Johann : 86
332
Remerciements
Un grand merci donc à Rémy Campos (et au département recherche de la HEM) qui a
saisi la balle au bond quand je lui ai parlé d’un projet touchant le délicat sujet de la place
de la diminution dans la musique polyphonique puis l’a accompagné jusqu’au bout.
Merci à Christian Pointet, co-auteur, collègue et ami, sans qui ce projet n’aurait jamais
pris une telle dimension.
Merci aussi à Aurore Fontannaz pour sa réalisation des exemples musicaux et de l’index
du livre ainsi qu’à Christine Jeanneret pour son patient travail de relecture critique ainsi
que pour les riches échanges que celui-ci a permis.
Merci aux amis musiciens presque innombrables qui ont fourni références et idées depuis
des années et dont la contradiction a été si bénéfique.
W. D.
L'équipe éditoriale adresse ses chaleureux remerciements à toutes celles et ceux qui, à la
Haute école de musique de Genève, ont contribué à la réalisation de ce projet et tout
particulièrement, Philippe Dinkel, Ana Gandara, Toni Dell’Acqua et Bryan Gonzales.
333
Biographies
William Dongois
Après des études de trompette au CNR de Reims et au CNSM de Paris, William
Dongois s’est initié au cornet à bouquin auprès de Jean-Pierre Canihac puis a poursuivi
sa formation avec Bruce Dickey à la Schola Cantorum Basiliensis. Il a joué et enre-
gistré pour de nombreuses formations. Les disques du Concert Brisé (www.concert-brise.
eu), l’ensemble qu’il dirige, ont reçu depuis 1998 de nombreuses récompenses. William
Dongois enseigne le cornet à bouquin à la Haute école de musique de Genève. Réguliè-
rement invité à donner des cours de maître sur l’improvisation dans des établissements
d’enseignement supérieur (Brême, Vienne, Münster, Bruxelles, Barcelone, Lyon), il est
l’auteur d’une méthodologie de l’improvisation : Apprendre à improviser avec la musique
ancienne (éd. Color & Talea, distrib. Symétrie).
Liselotte Emery
Liselotte Emery a étudié la musique ancienne, la flûte à bec et le cornet à bouquin à
Strasbourg puis à la Haute école de musique de Genève. Musicienne indépendante,
c’est animée par le goût de la musique vivante qu’elle aborde le répertoire ancien et
les pratiques historiques. Parallèlement à son activité de cornettiste, elle a travaillé
régulièrement comme bibliothécaire dans plusieurs bibliothèques musicales en France
et en Suisse.
Christian Pointet
Christian Pointet est enseignant, musicien et chercheur. Après ses études à l’université
de Fribourg (musicologie, philologie classique et histoire), il se consacre principalement
à l’enseignement. Il est actuellement professeur de disciplines musicales au Lycée Denis-
de-Rougemont à Neuchâtel. À ce titre, il est l’auteur de plusieurs moyens d’enseigne-
ment, destinés aux professeurs, en particulier en histoire de la musique. Comme ins-
trumentiste, il dédie une partie de son temps à des engagements en tant que cornettiste.
En musicologie, depuis vingt-cinq ans, il étudie, entre autres, la littérature musicale et
musicographique de la Renaissance, qu’il réunit, traduit et transcrit. Il établit notam-
ment un corpus de données, à l’intention surtout des cornettistes.
335
Secrétariat d’édition : Jessica Mischler & Aurélien Poidevin
Réalisation de l’index et des gravures musicales : Aurore Fontannaz
Graphisme et mise en page : Olivier Umecker