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§ 1.
Qu'est-ce que la vérité*? La question paraît très simple au sens
commun, elle est assez compliquée pour la philosophie. Il s'agit,
bien entendu, de la vérité prise dans le sens compréhensif, non
dans le sens extensif, il s'agit de savoir non point ce qui est vrai,
mais ce que c'est que d'être « vrai ».
Si nous définissons la vérité comme : l'accord de la réalité et de
la pensée, nous ne surprendrons personne et nous ne nous com-
promettrons guère. Mais si nous cherchons ce que c'est au juste
que cet accord, les difficultés commencent.
Elles ne troublent guère la vie pratique et l'on s'y entend assez
bien sur le sens du mot, mais si l'on regarde à la façon dont les
philosophes l'entendent, on s'aperçoit vite qu'on peut démêler
plusieurs conceptions qui ne se ressemblent guère et s'accordent
assez mal. Il convient de les examiner brièvement avant de préciser
celle qui me semble la meilleure, et de déterminer ses rapports
avec elles.
§2.
Voici d'abord la vérité-miroir. C'est la vérité au sens ordinaire
du mot, ce qu'on peut appeler, par un pléonasme qui n'est point
sans signification : la vérité vraie. Elle suppose la ressemblance
parfaite, l'identité de l'idée et du fait, de la réalité et de la pensée.
C'est la théorie plus ou moins implicite de ceux qui n'en ont pas,
la marque du « réalisme naïf ». Je crois que cet objet est rouge
et, en effet, cet objet est bien rouge; je crois que mon voisin est
libraire, et, en effet, mon voisin est libraire; je suis dans la vérité,
mes opinions sont vraies, c'est-à-dire conformes à la réalité qu'elles
reproduisent fidèlement et sans altération. Les deux exemples que
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§3.
Alors vient la vérité-symbole. Notre représentation, perception
ou idée, n'est pas l'image ressemblante des choses. Elle est un
symbole, le symbole d'une réalité extérieure et mystérieuse, éter-
nellement inconnue, éternellement inconnaissable.
Qu'il y ait du symbolisme dans nos représentations, cela paraît
vraisemblable, et même à peu près sûr. Nos représentations repré-
§4.
sujet de la vérité, je veux dire rien qui s'accorde bien avec nos
idées, nos désirs, nos tendances. Elle ne s'applique nullement à ce
que nous cherchons sous le nom de vérité. Et si donc l'harmonie
est la vérité, elle n'est pas « vraie », puisqu'elle est discordante.
Elle ment à son propre critérium, elle s'exclut elle-même. En effet
quand j'affirme, par exemple, que j'étais content ou triste hier, je
sais bien que j'énonce un fait qui s'adapte à l'ensemble de mes
idées, de mes souvenirs, de mes constatations, de mes impressions.
Mais je signifie par là autre chose que cette harmonie, j'indique
une réalité. Et ce qui est l'essentiel dans mon affirmation, ce n'est
pas tant cette harmonie que cette réalité. Cela est encore une
harmonie, je le veux bien, une systématisation, mais cette har-
monie est pour moi non la vérité même, mais le signe de la vérité.
Et si je ne puis la reconnaître ou l'exprimer que par des signes,
cependant elle est autre chose que le signe même. Il se peut d'ail-
leurs que je me trompe parfois sur mon état mental d'hier, mais
c'est que, précisément, l'apparence, le signe, l'harmonie étant le
même, autant que j'en puis juger, la réalité, la vérité peuvent être
différentes. C'est ainsi que le même mot peut avoir plusieurs sens
divers, mais une idée qu'il représente est autre chose que lui, et
l'on peut entendre le mot et se tromper sur l'idée.
Resterait à dire que toutes nos idées doivent s'adapter à celle de
la vérité-harmonie la plus capable de créer un accord large et
solide dans l'esprit. Mais d'une part ce jugement suppose une idée
de la vérité qui est celle de la vérité réelle, d'une espèce de la
vérité-miroir en tant qu'elle affirme la réalité actuelle ou possible
d'une harmonie. D'autre part elle n'est garantie par rien, et s'op-
pose autant qu'il est possible à l'expérience, à la réalité actuelle.
De tous côtés la conception de la vérité-harmonie revient défaite.
Elle se nie elle-même, et par ailleurs est peu satisfaisante.
D'autres raisons nous poussent vers la même conclusion. L'har-
monie n'est pas toujours un signe certain de la vérité, ni la discor-
dance un signe d'erreur. Il y a parfois des harmonies d'idées qui
nous trompent, et il y a aussi des idées, des perceptions que nous
savons vraies et qui s'harmonisent fort mal avec nos idées et nos
croyances. Elles n'en sont pas moins vraies pour cela. C'est le sens
commun qui a raison ici et cela ne lui arrive pas si souvent que
l'on ne puisse le reconnaître sans amertume.
§5.
§6.
§ "7.
§8.
Les différentes conceptions de la vérité que nous ven
passer en revue peuvent se combiner plus ou moins entr
soit en se limitant réciproquement - lorsque la vérité-miroi
exemple, est acceptée à quelque degré, - soit en s'associan
tement et en s'amalgamant en quelque sorte. Au reste elles
pas absolument distinctes et séparées les unes des autres, el
touchent par certains points, et peut-être même se confond
certains égards.
A part la vérité-miroir et quelques formes de la vérité-sym
elles s'accordent au moins sur un point. Elles suppriment ce
entend par vérité et, en somme, on peut dire qu'elles suppr
réellement ce qui constitue la vérilé, je veux dire ce qui fai
vérité une idée particulière, qui ne se réduit ni à l'utilité, ni
monie, ni à la croyance commune, ni à l'opinion nécessaire,
qui ne se confond avec aucune autre idée.
Malheureusement il ne semble pas que Ton puisse logiquem
même au point de vue du pragmatisme, se passer de l'i
vérité. Nous avons été constamment ramenés, en examin
conceptions de la vérité qui sont en même temps des négat
la vérité, à l'idée de la vérité vraie, de la vérité qui fait de
représentation une sorte de copie, exacte à certains ég
moins, du monde réel. Je tâcherai donc de voir ce qui peut
de là, comment il faut comprendre cette vérité pour la
§i
La vérité vraie, la vérité au sens plein et entier du mot, c'est la
vérité-miroir. Telle qu'on l'entend communément, elle est inaccep-
table. Cependant elle doit nous fournir la base même de notre
conception.
A mon avis, la vérité doit être considérée comme une ressem-
blance, comme une identité abstraite de l'objet représenté et de
Tidée qui le représente. Le degré d'abstraction de cette identité,
la proportion de cette ressemblance sont d'ailleurs extrêmement
variables. On va de l'identité presque complète à la ressemblance
la plus éloignée, la plus petite, la plus vague et, en certains cas, le
degré de cette ressemblance est même très difficile à définir.
Examinons d'abord les premiers cas, ceux où la ressemblance
est la plus grande, la plus concrète au moins en apparence. Ils
auront cet avantage de fixer les idées et aussi de montrer toute la
force de la vérité-miroir, et la nécessité de faire une part à cette
§2.
§3.
§ 4.
§5.
Les lois plus que les faits, et quoi qu'on en ait pensé, expriment
une vérité objective, une vérité indépendante de notre esprit et de
notre organisme, indépendante de nous-même, de 1 humanité, de
l'animalité, môme de la matière. Et plus elles sont abstraites, plus
elles sont objectives et plus elles nous donnent l'idée de ce que
peut être la vérité-miroir. Le caractère le plus abstrait que nous
puissions attribuer aux choses, Pexistence, est aussi celui qui est
le plus conforme à la réalité, celui qui peut être le plus
indépendant de nous. Les lois mathématiques sont parmi les
plus objectives, étant avec les lois philosophiques, les plus
générales et les plus abstraites de toutes; les lois philosophi-
ques ne seraient pas moins sûres si elles étaient aussi aisées à
trouver et à vérifier. Mais il faut les prendre dans leurs formes les
plus abstraites. Si je dis que : deux personnes et deux personnes
font quatre personnes, et si j'entends par là une addition de faits
§6.
§7.
Même dans notre savoir relatif, dans le monde que façonne notre
esprit, la connaissance est abstraite et générale. A plus forte raison
en sera-t-il ainsi lorsque nous tâcherons de sortir du subjectif
pour reconnaître ce qu'il peut y avoir, dans notre connaissance,
qui se rapporte à des existences réelles.
Si la première condition de la vérité vraie est la ressemblance,
Fidentilé partielle de notre idée et des choses, il apparaît que nous
ne pouvons connaître les choses que dans la mesure où les choses
peuvent ressembler à nos idées. Or ce qui peut le mieux ressem-
bler à une de nos idées, c'est encore une autre de nos idées. Quelle
que soit donc l'imperfection de la perception interne, quelles que
§8.
Si nous admettons, comme nous y sommes logiquement con-
traints, l'objectivité des rapports et des lois, il apparaît que, si la
vérité ressemble à la réalité, si cette ressemblance est le fondement
ou là conséquence nécessaire de la vérité, notre conception de la
vérité est assez éloignée de la conception courante. Elle s'y rattache
pourtant assez étroitement. La vérité est bien une sorte de miroir
de la réalité, mais un miroir d'espèce particulière, qui ne réfléchit
des objets que leurs rapports essentiels. Notre esprit, en reflétant
le monde, en conserve ce qu'il peut en conserver, ce qui, dans le
monde, lui ressemble, ce qui peut s'adapter à sa nature, le reste il
le transforme, il le déforme, il le refait à sa propre image. Et l'on
ne voit guère que les caractères les plus abstraits qui puissent con-
venir à la fois à l'esprit et au monde.
Il n'y a de vérités que des vérités abstraites et générales, mais
les connaissances de cette espèce ne conviennent pas à l'homme
ou du moins ne lui suffisent pas. Il a l'amour du concret, du détail,
du fait ramené à des sensations et à des perceptions relativement
concrètes et particulières. Je dis : relativement, parce que les per-
Geptions mômes restent toujours, à quelque degré et à certains
égards, abstraites et générales.
Les individus sont d'ailleurs, en cela, inégaux et dissemblables.
Il en est qui jouent relativement bien avec les abstractions. Il en
§9.