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L'AVENIR D'UNE ILLUSION OU QUE PENSER DE L'ÉVALUATION

THÉRAPEUTIQUE EN PSYCHIATRIE
Lola Fourcade

ERES | « Journal français de psychiatrie »

2007/2 n° 29 | pages 45 à 47
ISSN 1260-5999
ISBN 9782749206240
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Lola Fourcade, « L'avenir d'une illusion ou que penser de l'évaluation thérapeutique en
psychiatrie », Journal français de psychiatrie 2007/2 (n° 29), p. 45-47.
DOI 10.3917/jfp.029.0045
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L’avenir d’une illusion ou que penser de l’évaluation thérapeutique

L’avenir d’une illusion


ou que penser de l’évaluation
thérapeutique en psychiatrie
Lola Fourcade*

L’évaluation thérapeutique tiques professionnelles. Cette der- En ce qui concerne la première


nière consiste à évaluer le respect par étape, et comme il est assez rare
et l’EBM tout praticien des guides de bonne qu’un patient énonce immédiate-
La mode, au ministère de la Santé et dans les conduite médicale rédigés sous ment sa question de manière « claire
établissements publics de santé, est encore à l’éva- forme de conférences de consensus et précise », il est conseillé de
luation thérapeutique et à la pratique de l’Evidence par ces fameux experts de l’EBM. Vient le temps s’orienter de la manière suivante :

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Based Medicine (EBM). Entendez par là : méde- Il est donc vital aujourd’hui, – si la question est celle du diagnos-
cine fondée sur les preuves, parfois aussi appelée avec le risque que court notre cli- tic, la formulation claire et précise
« médecine factuelle »
Sackett, l’un de ses premiers messies, la défi-
nique, de prendre son courage à deux
mains et de se plonger en apnée dans
où il nous de celle-ci serait : « Comment faire
le diagnostic de telle ou telle patho-
nit comme « l’utilisation consciencieuse et judi- le monde de l’évaluation thérapeu- logie et comment sélectionner et
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cieuse des meilleures données actuelles de la


recherche clinique dans la prise en charge person-
tique pour en cerner le contenu et
mieux déceler ses failles car vient le faudra interpréter un test diagnostique ? »
– si l’interrogation porte plutôt sur
nalisée de chaque patient ». temps où il nous faudra répondre de l’étiologie des troubles, cela se for-
Ces données proviennent d’études cliniques
systématiques telles que des essais contrôlés
notre refus de conduire de vastes
essais thérapeutiques en psychiatrie. répondre mulerait « comment identifier les
causes d’une maladie ? »
randomisés, des méta-analyses, éventuellement – suit la question de la thérapeu-
Guide pratique de l’EBM
d’études transversales ou de suivi bien
construites ; pas de place ici pour d’autres formes de notre refus tique ou « comment choisir le
meilleur traitement pour le
de littérature médicale. C’est en tout cas ainsi Pour pratiquer l’EBM point patient ? »
qu’on conçoit l’évaluation thérapeutique dans le besoin de longs discours mais d’une – puis celle du pronostic ou « com-
milieu très branché de certains de nos instituts de rigueur scientifique à tout crin et de conduire ment anticiper l’évolution et les
recherche bien connus pour leurs publications en d’une bonne dose d’abnégation de complications probables d’une
psychiatrie. notre savoir (su ou insu). maladie ? »
Alors que faire face à l’EBM ? L’ignorer de la Théoriquement, tout bon clini- de vastes essais – et enfin celle de l’éducation des
même façon qu’elle ignore scrupuleusement toute cien raisonne en quatre étapes que patients, très au goût du jour, ou
forme de recherche clinique qui n’entrerait pas résument les points suivants : « comment fournir aux patients et à
dans les critères de sélection des méta-analyses ?
C’est une réponse possible, mais dangereuse
– transformer les besoins d’informa-
tion concernant un patient donné en
thérapeutiques leur famille les informations qui
leur sont nécessaires ? »
cependant ! une question claire et précise, Cette formulation de vos ques-
La mode est en effet aussi depuis quelques
hivers aux accréditations et à l’évaluation des pra-
– rechercher les articles les plus per-
tinents sur cette question,
en psychiatrie. tions cliniques est accessible sur le
site internet de l’université de
– évaluer de manière critique la vali- Liège, qui présente une introduction
dité (fiabilité) et l’intérêt (applicabi- à l’EBM (http://www.ebm.lib.ulg.ac.
lité) des résultats, be/prostate/ebm.htm).
– en déduire la conduite à tenir pour Quelle aubaine ! On a enfin
* Interne en psychiatrie. le malade. cerné les questions que vous vous

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L’avenir d’une illusion ou que penser de l’évaluation thérapeutique

posiez peut-être parfois sur la prise mentant le nombre de participants,


en charge de vos patients. et des biais systématiques, comme
Aux yeux des épidémiologistes, les biais de sélection, de mesure, de
la recherche d’articles pertinents sur recueil des données ou encore de
le sujet se fait sur des bases de don- suivi, que l’on minimise par la ran-
nées bibliographiques informatisées domisation des participants, l’éta-
telles que PubMed, Embase, Current lonnage des appareils de mesure, la
Contents, Web of Science. Il existe standardisation des procédures.
également des bases de données Mais rassurez-vous : afin de
analytiques, accessibles via internet, faciliter ce travail d’évaluation, plu-
qui fournissent aux utilisateurs la sieurs échelles ou grilles de lecture
revue de ces données par des experts ont été conçues. Parmi les plus
ainsi que leurs analyses et leurs connues on trouve l’échelle de
recommandations sur la conduite à Jadad, la liste de Delphi ou encore la
tenir face à telle ou telle situation liste CLEAR NTP spécifique des
clinique. Parmi les plus connues, on études portant sur les traitements
trouve les sites de la Cochrane, de non pharmacologiques. Elles pren-
l’ACP Journal Club ou encore de nent toutes appui sur les recomman-
l’EBM Journal. dations du CONSORT Statement
On trouve, rapportées sur ces (Consolidated Standards of Repor-
bases de données, différents types ting Trials).
d’études, qu’il faut, pour effectuer C’est en étudiant plus précisé-
une recherche pertinente, identifier.
On distingue en effet les études des-
Est-il ment une de ces listes qu’on s’ap-
proche des difficultés de réalisation
criptives des études analytiques. Les de ces études en psychiatrie.
premières sont en fait des case
reports ou des case series, simple
concevable
CLEAR NTP
description d’un ou de plusieurs cas
cliniques. Le groupe des études ana- de fournir CLEAR NTP est une liste d’items
lytiques est lui plus vaste et ras- évaluant la qualité des essais contrô-
semble les études transversales, les
études croisées (cross over study, les
la description lés randomisés portant sur les traite-
ments non pharmacologiques (à
études de cohorte, et surtout les
essais contrôlés randomisés (rando- d’un entretien entendre : la chirurgie, les psycho-
thérapies, l’acupuncture, etc.). Elle
mized controlled trials) et les méta- comprend 10 items et 5 sous-items
analyses.
Identifier à quel type d’étude
standardisé ? et sert d’outil d’aide à la lecture cri-
tique d’articles scientifiques. Ces
on a affaire permet d’évaluer le
« niveau de preuve » de ce qu’on va Et d’assurer items reprennent les points fonda-
mentaux à valider pour garantir la
lire, c’est-à-dire la fiabilité des qualité d’un essai contrôlé rando-
conclusions obtenues. qu’il a été misé. Dans l’ordre on trouve des

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Aujourd’hui, la palme d’or est items sur :
donnée sans conteste aux essais – la qualité de la randomisation
contrôlés randomisés et aux méta- similaire (procédé statistique qui permet de
analyses. répartir les participants dans les
Les essais contrôlés randomisés pour chaque deux bras de l’étude) ;
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comparent deux groupes de patients – le masquage de l’allocation des


choisis au hasard et supposés iden- traitements (tout le monde est censé
tiques recevant deux traitements patient ? ignorer dans quel groupe va être
différents et les méta-analyses com- affilié un patient lorsqu’il est
pilent par des méthodes statistiques recruté, pour ne pas fausser la répar-
les résultats de plusieurs essais tition aléatoire des participants) ;
contrôlés randomisés sur le même – le détail des procédures adminis-
sujet. trées à chaque groupe (qui doivent
S’il est nécessaire de mener des être rapportées avec précision et
méta-analyses, c’est en fait que les standardisées) ;
résultats des études diffèrent et se – le niveau d’expérience des théra-
contredisent même parfois. L’enjeu peutes ;
de la formation des jeunes praticiens – la compliance des patients ;
à la recherche clinique consiste – l’« aveugle » des participants
aujourd’hui à leur apprendre à éva- (chaque patient devant ignorer le
luer de façon critique la validité et groupe auquel il a été affilié) ;
l’applicabilité de ces résultats. – l’« aveugle » des thérapeutes
Cette évaluation revient à véri- (chaque médecin devant ignorer
fier que les études présentées ont été dans quel groupe son patient a été
menées selon des guidelines précis affilié) ;
afin d’éviter les biais (erreurs aléa- – l’« aveugle » des collecteurs de
toires ou systématiques liées à la données finales (la personne qui
manière dont on construit l’étude). Il recueille les données finales de
existe en effet des biais aléatoires, l’étude devant ignorer le traitement
comme la fluctuation d’échantillon- reçu par chaque patient) ;
nage que l’on peut contrôler en aug- – la qualité du suivi des patients ;

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– la qualité de l’analyse statistique finale. sujet de sa thérapie. Si l’on ne rition du symptôme ? L’avis du
Si l’on regarde de plus près cette liste on ne cherche qu’à étudier les symptômes patient ? L’avis du psychiatre ?
peut que s’interroger sur la faisabilité de ces qui occupent un organisme, alors L’avis des magazines people ?
études en psychiatrie. bien sûr, tout devient plus simple ! Allons même plus loin : imagi-
La question de la standardisation des procé- Une fois qu’on luxe le sujet, on peut nons que, grâce à un grand engoue-

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dures par exemple. Est-il concevable de fournir la sans aucun doute le rendre bien ment collectif, on se mette d’accord
description d’un entretien standardisé ? Et d’assu-
rer qu’il a été similaire pour chaque patient ? Cer-
aveugle.
Quant à l’aveugle du théra-
Certains pour en définir un, correspondrait-il
un tant soit peu aux attentes de nos
taines écoles de psychothérapie ont répondu que peute, on ose espérer qu’il n’est pas patients ?
oui et fournissent des détails précis sur la durée, la concevable et que les praticiens se auteurs Ce que l’on constate, en fait,
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régularité et le contenu des entretiens psychothé- revendiquant comme psychiatres, assez répétitivement, lorsqu’on
rapeutiques. psychanalystes ou psychothéra- pose la question « qu’attendez-vous
Par ailleurs, comme ce genre d’étude compare
généralement une technique reconnue à un traite-
peutes ne cheminent pas dans
l’ombre.
décrivent la du traitement ? » aux patients, c’est
qu’ils répondent presque tous « que
ment dit placebo (comprendre : thérapeutique Autre écueil de la constitution ça s’arrête ! »… À chacun d’y com-
sans effet « actif » et donc supposée sans effet sur
le patient autre que celui de la croyance à un effet
de ces études : les critères d’in-
clusion.
réalisation prendre ce qu’il veut bien entendre.
Alors on pourrait, bien sûr,
« actif » du traitement), certains auteurs décrivent Chaque patient n’est recruté que envisager de réaliser un essai rando-
la réalisation « d’entretiens placebo », ce qui
laisse particulièrement perplexe sur leur manière
s’il remplit une liste de critères pré-
cis. À l’heure actuelle, cette liste de
« d’entretiens misé comparant la psychanalyse à
un placebo en plaçant les patients
de travailler. critères est établie selon le DSM IV, soit entre les mains d’un psychana-
Les trois items sur le problème de l’aveugle
ne sont pas non plus sans poser problème. Être
ce qui, en soi, est questionnable
puisqu’il n’existe pas de nosogra- placebo » lyste jugé expérimenté, soit entre
les mains d’un charlatan habillé
aveugle dans une étude signifie ne pas savoir à phie commune à toutes les écoles de d’une veste de tweed au col limé,
quelle sauce on est étudié. À l’heure de la trans- thérapeutique. On pourrait égale- présentant une vague ressemblance
parence et d’une possible future évaluation notée ment se demander si tous les avec Freud. Et puis pour que cette
de la qualité d’un médecin, cela suppose qu’en patients se ressemblent assez pour étude soit bien réalisée en double
temps normal, un praticien fournit tous les détails être rassemblés en un « groupe aveugle il n’y aurait plus qu’à espé-
de sa thérapeutique aux patients en commençant, homogène ». Si toutes les dépres- rer que personne ne sache exacte-
bien sûr, par l’annonce triomphale d’un diagnos- sions sont les mêmes, alors nous ment ce qu’il fait là… ■
tic. On voit déjà les paranoïaques hocher de la tête sommes sauvés !
et dans la plus grande humilité reconnaître qu’ils De même, il faut souligner la
délirent… difficulté que l’on aurait à établir un
On peut toutefois envisager que l’aveugle des « critère de jugement » pour ces
patients est réalisable si l’on ne souhaite pas étu- études : comment juger de l’amélio-
dier des entretiens ou le patient est lui-même le ration d’un patient ? Est-ce la dispa-

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