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Durcissement des aciers

Mécanismes
par Barry THOMAS
Ancien Chef du département Métallurgie structurale
IRSID-Centre de recherche Usinor
et Jean-Hubert SCHMITT
Ingénieur civil des Mines
Docteur ès sciences
Directeur du centre de recherches d’Isbergues
Usinor-Recherche et développement

1. Objectif ....................................................................................................... M 4 340 - 2


2. Limite d’élasticité et déplacement de dislocations ....................... — 2
3. Propriétés des dislocations et déformation plastique .................. — 3
3.1 Configuration atomique d’une dislocation................................................ — 3
3.2 Énergie élastique associée à une dislocation et tension de ligne ........... — 5
3.3 Plans de glissement des dislocations ........................................................ — 5
4. Limite d’élasticité des métaux purs et non déformés................... — 5
4.1 Configuration des dislocations dans un cristal non déformé .................. — 5
4.2 Contrainte critique de cisaillement ............................................................ — 6
4.3 Anisotropie de la limite d’élasticité d’un monocristal
en traction uniaxiale .................................................................................... — 7
4.4 Limite d’élasticité des métaux purs polycristallins................................... — 8
5. Mécanismes de durcissement des alliages métalliques ............... — 9
5.1 Durcissement par effet de taille de grain................................................... — 9
5.2 Durcissement par écrouissage ................................................................... — 10
5.2.1 Glissement des dislocations parfaites .............................................. — 10
5.2.2 Glissement des dislocations partielles dans les métaux cfc........... — 10
5.2.3 Maclage mécanique ........................................................................... — 11
5.2.4 Déformation plastique par transformation de phase ...................... — 12
5.2.5 Textures d’écrouissage....................................................................... — 12
5.3 Durcissement par atomes en solution solide............................................ — 13
5.3.1 Effet des solutés sur la limite d’élasticité
d’un alliage non déformé................................................................... — 13
5.3.2 Effet des solutés sur la consolidation ............................................... — 14
5.4 Durcissement par une dispersion intragranulaire de particules
de deuxième phase ..................................................................................... — 14
5.4.1 Effet des particules sur la limite d’élasticité
d’un alliage non déformé................................................................... — 15
5.4.2 Effets des particules sur la consolidation ......................................... — 17
5.5 Limite d’élasticité et durcissement des alliages polyphasés ................... — 18
6. Effets du durcissement sur la ductilité et la ténacité des aciers — 18
7. Conclusion ................................................................................................. — 19
Notations et symboles .................................................................................... — 20
Pour en savoir plus........................................................................................... Doc. M 4 342

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DURCISSEMENT DES ACIERS _____________________________________________________________________________________________________________

es utilisateurs d’alliages métalliques ont besoin de métal pouvant être mis


L en forme aisément et capable d’acquérir les caractéristiques mécaniques lui
permettant de résister efficacement à la déformation plastique et à la rupture
dans les conditions d’emploi. On sait que les principaux mécanismes de la
déformation plastique ont pour origine le déplacement, sous contrainte, des
dislocations qui sont des configurations particulières d’atomes que l’on trouve
dans tous les corps cristallins. Pour durcir un métal, autrement dit augmenter
sa limite d’élasticité, il faut donc trouver les moyens de gêner le déplacement
des dislocations sans l’entraver totalement afin d’éviter une fragilité inacceptable.
Pour ce faire, on introduit dans le réseau cristallin des obstacles de différentes
sortes qui freinent le déplacement des dislocations ; ce sont par exemple :
— d’autres dislocations qui interceptent le plan de glissement des dislocations
mobiles (durcissement par écrouissage) ;
— des atomes étrangers en insertion ou en substitution dans le réseau cristallin
(durcissement par soluté) ;
— des précipités de particules de deuxième phase dispersées dans les grains
(durcissement structural) ;
— des joints de grains et des interfaces entre les constituants majeurs de la
microstructure.
L’action de ces obstacles, seuls ou en combinaison, conduit à un éventail de
procédés de durcissement dont la maîtrise s’est développée au fur et à mesure
que nos connaissances se sont affinées. Dans l’exposé qui suit, nous
examinerons les principaux mécanismes de durcissement des aciers en nous
limitant au cas où la température d’emploi est bien inférieure à la température
de fusion. Dans un deuxième article [M 4 341] dans le présent traité, nous mon-
trons comment ces mécanismes sont utilisés pour le durcissement des diffé-
rentes nuances d’aciers en fonction de leurs principaux constituants
microstructuraux.

1. Objectif 2. Limite d’élasticité


et déplacement
Lorsqu’un métal est soumis à un effort externe, il se produit, à
partir d’une valeur critique de la contrainte appliquée, une défor-
de dislocations
mation permanente ou plastique. Si la contrainte externe est infé-
rieure à la valeur critique, la déformation est réversible et le Sous l’action d’une contrainte externe, une déformation perma-
métal reprend sa forme et ses dimensions initiales lorsque la nente peut se produire par différents mécanismes selon la
contrainte est relâchée. La contrainte d’écoulement plastique, que température, le mode de sollicitation et la structure cristalline du
l’on appelle aussi la limite d’élasticité correspond donc à la métal [12]. Les principaux mécanismes de déformation plastique
contrainte limite du domaine de comportement élastique. La ont pour origine soit le glissement de blocs cristallins sur des plans
grandeur de la limite d’élasticité dépend de la composition de atomiques favorables, soit le transport de matière par diffusion,
l’alliage et de sa microstructure. Cette dernière est à son tour soit encore une combinaison des deux. Le rôle de la diffusion n’est
gouvernée par la composition chimique et par les traitements significatif que lorsque la température est supérieure à environ un
thermiques ou thermomécaniques imposés tout au long de la tiers de la température de fusion [13] et ne sera pas traité dans cet
filière de fabrication du métal et pendant la mise en forme de la article qui se limite au cas où la température d’emploi des aciers
pièce prête à l’emploi. est proche de l’ambiante.
Ainsi, par un choix judicieux de la composition et des traite- Dans ces conditions, on sait que le glissement des blocs cristal-
ments thermiques ou thermomécaniques que l’on effectue, il est lins (figure 1) s’effectue sur les plans cristallins denses où le
possible de durcir (ou d’adoucir) les alliages métalliques pour nombre d’atomes par unité de surface est le plus élevé. D’autre
satisfaire non seulement aux exigences de l’emploi mais aussi à part la direction du glissement sur ces plans correspond à une
celles de la mise en forme des pièces métalliques par déformation direction dense où la distance interatomique est la plus courte. La
plastique. En effet, une augmentation de la limite d’élasticité (dur- combinaison d’un plan de glissement et d’une direction de glisse-
cissement) est accompagnée d’une diminution de la ductilité du ment dans ce plan constitue ce que l’on appelle un système de
métal et, le plus souvent, d’une diminution de sa ténacité (énergie glissement. Dans le cas des aciers, il existe deux variétés
de rupture) et d’un accroissement de sa fragilité (susceptibilité à allotropiques : l’austénite (fer γ ) de structure cubique à faces cen-
la rupture par choc). La maîtrise du durcissement nécessite alors trées (cfc) et la ferrite (fer α) de structure cubique centrée (cc). La
la compréhension des mécanismes mis en jeu à l’échelle cris- figure 1c illustre les plans denses et les directions denses dans ces
talline lors du déclenchement de la déformation plastique des structures cristallines. Le tableau 1 indique les systèmes de glisse-
alliages. ment les plus souvent observés dans l’austénite et dans la ferrite.

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À l’échelle du réseau cristallin, le déplacement élémentaire d’un


bloc cristallin correspond à une distance interatomique sur le plan
de glissement. Cependant, ce cisaillement ne correspond pas à la
translation rigide des blocs de part et d’autre du plan de glisse-
ment mais au déplacement de proche en proche d’un bloc sur
l’autre (figure 2a ). Sur le plan de glissement, il existe alors une
zone de transition entre la partie cisaillée du cristal et la partie non
cisaillée. Dans cette zone, la distorsion du réseau cristallin corres-
pond à une configuration atomique distinctive (figure 2b ) et la
déformation plastique coïncide avec la propagation de cette
configuration sur le plan de glissement. Or, la configuration
atomique dans la zone de transition est celle des défauts cristallins
linéaires, appelés dislocations, qui sont présents dans tous les
corps cristallins. L’écoulement plastique macroscopique résulte
20 µm alors du déplacement irréversible d’un très grand nombre de dis-
locations sur des distances comparables aux dimensions des uni-
tés microstructurales.
a lignes de glissement observées sur la surface d'un échantillon
Ainsi convient-il d’analyser la limite d’élasticité et l’écoulement
monocristallin au début de la déformation plastique
plastique en relation avec la configuration de dislocations dans le
métal et avec la résistance à leur déplacement sous contrainte
dans la structure cristalline.
Lignes de glissement Dans le cas des cristaux métalliques de haute pureté contenant
peu de dislocations, la valeur de la contrainte nécessaire pour
déplacer une dislocation est comprise entre 10–5 G et 10–4 G où G
est le module élastique de cisaillement, soit une contrainte appli-
quée de l’ordre de quelques MPa.
Nota : pour comparaison, la contrainte de cisaillement nécessaire pour déplacer les
blocs cristallins de façon rigide serait de l’ordre de G/10 soit, pour le fer α, de l’ordre de
8 000 MPa.
Bande de glissement
En revanche, dans un alliage métallique polycristallin, toutes les
b schéma du glissement des blocs cristallins lors de la discontinuités du réseau cristallin réel (autres dislocations dans le
déformation plastique cristal, joints de grain, atomes étrangers en solution solide, parti-
cules de deuxième phase...) augmentent la résistance au déplace-
[III] Plans {III} ment des dislocations et, dans les aciers, la limite d’élasticité
macroscopique peut atteindre des valeurs allant de 100 à quelque
1 000 MPa.

a 3
2 a
2 3. Propriétés des dislocations
et déformation plastique
a [II0]
Plans {II0} 2
Réseau cc Réseau cfc 3.1 Configuration atomique
c plans denses et directions denses dans les réseaux de structure d’une dislocation
cubique centrée et de structure cubique à faces centrées
Pour une description approfondie de la configuration atomique
autour d’une ligne de dislocation et des propriétés de ces défauts,
Figure 1 – Géométrie du glissement de dislocations dans les aciers le lecteur consultera les ouvrages cités en bibliographie en
[Doc. M 4 342]. Dans le contexte de la déformation plastique, il suf-
fit de rappeler que la configuration atomique dans le volume du
métal qui entoure la ligne de dislocation est caractérisée par une
grandeur vectorielle b appelé vecteur de Burgers qui est défini en
Tableau 1 – Principaux systèmes de glissement relation avec la direction d’un vecteur  tangent à la ligne. Le vec-
teur b est égal à la somme des déplacements atomiques associés
dans les aciers à la création de dislocations et mesurés sur une courbe fermée tra-
cée autour de la ligne de dislocation. Cette grandeur est la même
Plans de Direction quelle que soit la courbe. Lorsqu’une dislocation traverse le cristal,
Structure cristalline
glissement de glissement la grandeur du cisaillement unitaire des blocs cristallins de part et
d’autre du plan de glissement de la dislocation est égale au
Austénite (cfc) {111} <110> module de b et la direction du cisaillement est parallèle à b.
Pendant le glissement, la ligne de dislocation prend le plus sou-
vent la forme d’une courbe qui se déplace dans une direction per-
Ferrite (cc) (1) {110}, {112}, {123} <111> pendiculaire à la tangente locale de la ligne (figure 3a ). Le vecteur
de Burgers d’une dislocation étant invariant sur toute la longueur
(1) Dans la ferrite, les densités atomiques des plans {112} et des plans {123} de la ligne, le déplacement relatif des blocs cristallins de part et
sont proches de celle des plans {110} et chacun de ces plans contient
une direction dense <111>.
d’autre du plan de glissement est toujours le même quelle que soit
la forme de la ligne.

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P P P
τ

D
A

A
b
B
B
b b b
a schéma du glissement progressif d'un bloc cristallin sur un plan de glissement P

Plan de D dislocation
glissement D
τ contrainte
A, B extrémités de
la dislocation à la
surface libre

b configuration atomique au point B dans un cristal de structure cubique simple

Figure 2 – Déplacement élémentaire d’un bloc cristallin sur un plan de glissement

Cependant, la configuration atomique locale varie le long de la


ligne en fonction de l’orientation de  par rapport à b. Deux cas
d d particuliers se présentent (figure 3b ) :  est perpendiculaire à b
(dislocation à caractère coin),  est parallèle à b (dislocation à
Vis b  d caractère vis). Dans les autres cas, on dit que la dislocation est à
Coin
caractère mixte avec une composante coin b c et une composante
vis b v telles que :
b vecteur de Burgers b = bc + b v (1)
 tangente à la ligne
d direction de déplacement de la ligne Le plus souvent, le vecteur de Burgers est un vecteur de transla-
tion du réseau (vecteur liant deux nœuds du réseau cristallin), ce
a schéma d'une dislocation courbe qui assure que la structure périodique du réseau cristallin est
reconstituée derrière la dislocation lors du déplacement de celle-ci.
Dans ce cas, on dit que la dislocation est une dislocation parfaite.
Les dislocations parfaites dans le réseau cubique centré et dans le
τ réseau cubique à faces centrées ont respectivement des vecteurs
de Burgers du type 1/2<111>cc et 1/2<110>cfc . Dans le réseau
cubique centré, les dislocations parfaites glissent sur les plans
{110}, {112} et {113} tandis que les plans de glissement des disloca-
tions dans le réseau cubique à faces centrées sont les plans {111}.
b
Vis Toutefois, dans les cristaux de structure cubique à faces cen-
A trées, les dislocations parfaites peuvent se dissocier, confor-
b mément au schéma de la figure 4, en deux dislocations dites
imparfaites ou partielles dont les vecteurs de Burgers b p sont du
type 1/6<112>. Entre les deux dislocations imparfaites, les atomes
τ dans le plan au-dessus du plan de glissement sont décalés sur des
Coin sites métastables, ce qui correspond à la formation d’un défaut
cristallin à deux dimensions que l’on appelle défaut d’empilement.
B Si l’énergie de surface de ce défaut est faible, la déformation plas-
b configurations atomiques de caractère coin et de caractère
tique peut se faire par le glissement de dislocations partielles indé-
vis sur une dislocation courbe pendamment les unes des autres sur les plans {111}.
Nota : la terminologie courante prête parfois à confusion ; le mot glissement est utilisé
à la fois pour désigner un des mécanismes de déplacement des dislocations et pour dési-
Figure 3 – Grandeurs cristallines associées à une dislocation courbe gner le déplacement (cisaillement) des blocs cristallins qui en résulte.

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R R
A B

δ R
Q
P

X2
Dislocation parfaite b

b = AB = 1/2 [110] AB = Aδ + δB X3 X1

E
bp = δB = 1/6 [211] bp = Aδ = 1/6 [121]

P
R
X1
E énergie propre de la dislocation
Pour effectuer un déplacement d'une distance interatomique,
il faut que la dislocation franchisse le col d'énergie propre maximale

Figure 5 – Variation périodique de l’énergie propre d’une dislocation


Plan (111) de type Q en fonction de sa position dans le réseau cristallin
Dislocations partielles

Figure 4 – Exemple de la dissociation d’une dislocation parfaite de la dislocation et son vecteur de Burgers. On démontre qu’une
dans le réseau cubique à faces centrées (empilement des plans contrainte de cisaillement τ sur le plan de glissement exerce une
...PQRPQR...) en deux dislocations partielles entourant un défaut force sur la dislocation qui est normale à la ligne et de grandeur τb
d’empilement (...PQRPQ↑PQR...) par unité de longueur de la ligne. Mais, lorsqu’une dislocation se
déplace dans un cristal, elle subit, entre autres, une force de résis-
tance appelée force de Peierls-Nabarro ou force de frottement du
3.2 Énergie élastique associée réseau. Cette résistance au déplacement a pour origine le travail à
effectuer chaque fois que la dislocation progresse d’une distance
à une dislocation et tension de ligne interatomique (figure 5). En effet, lorsqu’une dislocation se
déplace, son énergie propre varie périodiquement en raison de la
La distorsion du réseau cristallin dans le volume qui entoure la
variation des distorsions atomiques au cœur de la dislocation en
ligne de dislocation crée un champ de contraintes élastiques
fonction de sa position dans le réseau. Le travail correspondant est
locales qui augmente l’énergie interne du cristal. Le calcul montre
fourni par la force appliquée à l’extérieur du cristal et se traduit par
que l’énergie interne E d associée à une dislocation rectiligne dans
une contrainte de résistance τr en sens opposé à la contrainte de
un milieu isotrope est voisine de :
cisaillement sur le plan de glissement. D’une façon générale, la
Gb 2 L/2 contrainte de résistance et la force de résistance f r par unité de lon-
gueur de la dislocation sont liées par la relation f r = τr b. Nous ver-
avec G module de cisaillement élastique, rons plus loin (équation (4)) que la contrainte de résistance due au
L longueur de la ligne de dislocation. frottement du réseau, quoique très faible, est sensible à la gran-
La grande majorité des dislocations que l’on observe dans les deur de b et à la distance interréticulaire d entre plans de glisse-
cristaux métalliques sont celles dont l’énergie associée est la plus ment. La résistance est minimale pour les dislocations qui glissent
faible possible ; autrement dit, celles dont le vecteur de Burgers est sur les plans dont la distance interréticulaire est la plus grande, ce
égal à la distance interatomique la plus courte. Étant donné la qui explique que seules les dislocations dont le plan de glissement
relation entre b et la direction de glissement élémentaire des est un plan dense du réseau cristallin contribuent à la déformation
blocs cristallins, on comprend que le glissement macroscopique plastique des métaux par glissement.
s’effectue dans les directions denses du réseau cristallin. Dans la
ferrite, de structure cubique centrée, les vecteurs de Burgers les
plus courts sont du type 1/2<111>, d’une longueur d’environ
0,25 nm. La valeur de G étant de l’ordre de 80 GPa, l’énergie élas- 4. Limite d’élasticité
tique emmagasinée est alors d’environ 2,5 nJ · m–1, soit environ
4 eV par site atomique sur la ligne. des métaux purs
Notons que l’énergie propre à une dislocation dépend de sa
longueur et de sa courbure ; par conséquent, l’énergie propre est
et non déformés
minimale lorsque la dislocation est rectiligne. La variation de
l’énergie propre en fonction de la longueur et de la courbure peut
être assimilée à une tension de ligne Γ et, en première approxima- 4.1 Configuration des dislocations
tion, Γ = dE d /dL ≈ G b 2/2. dans un cristal non déformé
La continuité de la structure cristalline impose que toute disloca-
3.3 Plans de glissement des dislocations tion doive se fermer sur elle-même (boucle de dislocation) ou se
terminer sur une autre dislocation, sur une surface libre ou sur une
Le déplacement d’une dislocation par le mécanisme de glisse- interface interne de la microstructure. Dans un cristal métallique
ment ne peut se faire que sur un plan qui contient à la fois la ligne non déformé, les dislocations s’arrangent en une configuration tri-

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nœuds du réseau, conduit à la formation d’une boucle lorsque la


dislocation se referme sur elle-même (figure 7e ) et, en même
temps, à la reconstitution du segment initial. Le déplacement élé-
mentaire des blocs cristallins est achevé quand la boucle balaie
toute la surface du plan de glissement mais la reconstitution du
segment initial permet au processus de se répéter sous l’action de
la contrainte externe. Ainsi, il se crée en même temps, à partir de
différents segments ancrés dans le cristal, une multiplication de
boucles de dislocations qui amorcent la déformation plastique
macroscopique du cristal.
Pour qu’une déformation plastique se produise, il faut que la
contrainte de cisaillement sur le plan de glissement induise une
force sur les dislocations mobiles qui soit supérieure aux forces de
résistance au déplacement de ces dislocations. La contrainte de
résistance au cisaillement est la somme de la contrainte d’activa-
tion de la source de Frank-Read et de la contrainte de résistance au
déplacement aux boucles de dislocations sur le plan de glissement.
Figure 6 – Configuration schématique d’un réseau tridimensionnel
de dislocations dans un cristal non déformé (réseau de Frank) Sous l’effet d’une contrainte externe, un segment de dislocation
se courbe, en équilibre avec la force de rappel associée à la tension
de ligne qui dépend du rayon de courbure R du segment (figure 8).
dimensionnelle, plus ou moins complexe, appelée réseau de Frank Le calcul montre que, en première approximation, la contrainte de
(figure 6). Les segments de dislocations sont ancrés plus ou moins cisaillement τ pour courber le segment est donnée par l’équation
fortement aux jonctions entre dislocations que l’on appelle les suivante :
nœuds du réseau de Frank. En l’absence de contraintes externes, Γ Gb
les segments de dislocation entre les nœuds sont rectilignes afin τ = --------- ≈ ---------- (2)
bR 2R
de minimiser l’énergie élastique propre de l’ensemble des disloca-
tions. La densité de dislocations ρ, exprimée en longueur totale des La valeur maximale de cette contrainte (τ c ) est atteinte lorsque
lignes par unité de volume, est de l’ordre de 104 à 106 cm · cm–3. le segment de dislocation prend la forme d’un demi-cercle de
La distance moyenne entre les nœuds L F ≈ 1/ ρ est de l’ordre de rayon de courbure L F /2 où L F est la distance entre les nœuds du
10 µm. Notons que ce type de configuration n’est possible que si réseau. Au-delà de cette configuration, la dilatation de la disloca-
les dimensions du cristal sont nettement supérieures à une dizaine tion conduit à une augmentation du rayon de courbure de la ligne
de micromètres. (figure 8). La configuration devient instable et la boucle de disloca-
tion peut balayer l’ensemble du plan du glissement. La valeur
moyenne de la contrainte appliquée τ FR qui est requise est donc
4.2 Contrainte critique de cisaillement donnée par la relation (3) :
Gb
Sous l’effet d’une sollicitation mécanique externe τ a , le glisse- τ FR = ----------
LF
≈ Gb ρ (3)
ment des blocs cristallins est réalisé par le glissement irréversible
de différents segments du réseau de Frank situés dans les plans Exemple : dans un métal non déformé, avec ρ = ρ 0 =106 cm·cm–3
denses (figure 7). Le déplacement d’un tel segment, ancré aux et L F = 10 µm, τ FR est de l’ordre de 3 × 10–5 G.

τa B
τa B
A B
A A
τa τa

B B B B
b b b
 
A A A A

a b c d e f

Dans un cristal réel, il existe de nombreuses sources qui sont activées en même temps sur différents plans parallèles

Figure 7 – Déclenchement de la déformation plastique par l’activation d’une source de Frank-Read

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τ 2 Dislocations
τc Contrainte appliquée traversant le
1 3 plan de
Contrainte de rappel glissement

X1
R
Dislocation
1 mobile Plan de
2 3
L F /2 glissement
X1
X2
A

LF Figure 9 – Blocage d’une dislocation mobile par les dislocations


b X1 qui traversent son plan de glissement
1
2
B 3
segment de dislocation de ses points d’ancrage dans le réseau de
Frank. On pourra donc confondre τ FR et τ D en une seule contrainte
LF distance entre les nœuds du réseau de résistance τ D0 correspondant au freinage dû aux dislocations
τc contrainte maximale résiduelles dans un métal pur non déformé et donnée par
R rayon de courbure du segment de dislocation l’équation (3) ou l’équation (5) avec ρ = ρ0 .
b vecteur de Burgers
La résistance au déplacement d’une dislocation mobile dans un
métal pur est alors la somme de deux termes :
Figure 8 – Variation de la contrainte de résistance due à la tension
de ligne au cours de la dilatation du segment actif dans le réseau τ 0 = τ FR + τ D0 (6)
de Frank
avec τ 0 de l’ordre de 10–4
G, soit quelques mégapascals lorsque la
densité de dislocations est inférieure à 106 cm · cm–3.

La dislocation mobile créée de cette façon est freinée par la force


de résistance due au frottement du réseau (force de Peierls-
Nabarro) et par des forces engendrées lorsque la dislocation 4.3 Anisotropie de la limite d’élasticité
mobile rencontre d’autres dislocations du réseau de Frank qui per- d’un monocristal en traction uniaxiale
cent son plan de glissement. Une estimation théorique de la
contrainte de résistance correspondant à la force de Peierls- Lorsqu’un métal monocristallin est sollicité par un effort
Nabarro aboutit à une relation de la forme suivante : mécanique quelconque, la déformation plastique est déclenchée
quand la contrainte de cisaillement sur un des systèmes de glisse-
2G 2 πd
(1 – ν) 
τ PN = ------------------- exp – -----------------------
( 1 – ν )b  (4) ment dépasse la contrainte critique. En traction uniaxiale, par
exemple, la contrainte de cisaillement appliquée sur un système de
avec ν coefficient de Poisson. glissement est donnée par la relation (7) :

Exemple : dans les métaux purs, la valeur de τ PN est alors de τ = σ cos φ cos λ (7)
l’ordre de 10–5 à 10–4 G. avec σ contrainte rationnelle de traction,
Lorsque la dislocation mobile rencontre une autre dislocation qui φ angle que fait la normale du plan de glissement avec l’axe
traverse son plan de glissement, le champ de distorsion élastique de glissement,
de la dislocation mobile se superpose à la distorsion de la disloca- λ angle entre la direction de glissement et l’axe de traction
tion obstacle. Cela conduit à une augmentation ou à une diminu- (figure 10).
tion de l’énergie élastique locale selon que les distorsions
s’additionnent ou se compensent. Par conséquent, les dislocations
qui percent le plan de glissement exercent des forces de répulsion
ou d’attraction à courte portée (quelques dixièmes de micromètre)
sur la dislocation mobile. La dislocation mobile s’ancre temporai- σa
rement et se courbe entre les points d’ancrage (figure 9), jusqu’à φ
ce que la contrainte soit suffisante pour que la dislocation puisse σn
se désancrer. Un calcul détaillé [4] montre que la valeur moyenne τmax λ
de cette contribution à la contrainte de résistance est donnée par τ
la relation suivante :
Gb 0
τ D = α ---------- ≈ α Gb ρ (5)
L
avec α constante numérique de l’ordre de 0,3.
Exemple : dans un métal non déformé avec ρ = ρ 0 σa
= 10–6 cm · cm–3, τ D0 est alors de l’ordre de 10–5 G.
Du point de vue physique, la contrainte τ D représente aussi une Figure 10 – Relation entre la contrainte de traction uniaxiale
autre estimation de la contrainte nécessaire pour arracher un et la contrainte de cisaillement sur un plan de glissement

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Le produit (cos φ cos λ ), appelé facteur de Schmid m, a une


valeur maximale de 0,5 lorsque φ et λ sont tous les deux égaux
σ à 45o et tend vers zéro lorsque φ ou λ tend vers zéro. Ainsi la
contrainte de cisaillement sur les différents systèmes de glisse-
ment dans le cristal dépend de l’orientation des axes cristallogra-
phiques du cristal par rapport à l’axe de traction et, pour une
orientation donnée, le système de glissement qui est activé en pre-
mier lieu est celui pour lequel le facteur de Schmid est le plus
σe Limite d'élasticité macroscopique grand. En traction uniaxiale, la limite d’élasticité d’un monocristal
est anisotrope et sa valeur pour une orientation donnée du mono-
Zone de microdéformations cristal est donnée par la relation suivante :

σem τ0 1
Limite d'élasticité microscopique σ e = -------------------------------------
- = ----------- τ 0 (8)
( cos φ cos λ )* m*
avec m* plus grande valeur du facteur de Schmid dans le cristal
pour l’orientation considérée.
ε
a courbe de traction rationnelle La valeur minimale de la limite d’élasticité en traction est alors
σe = 2τ 0 lorsque m = 0,5.

4.4 Limite d’élasticité des métaux purs


polycristallins
Dans le cas d’un métal pur polycristallin sollicité en traction
σ
uniaxiale (figure 11), on observe une déformation plastique de très
45° 45° faible amplitude dès que σ  2τ c . Cette limite d’élasticité micro-
scopique correspond au déplacement irréversible des dislocations
parfaites dans les seuls grains pour lesquels le facteur de Schmid
est proche de la valeur maximale de 0,5. L’amplitude de la micro-
déformation observée à la limite d’élasticité microscopique est très
faible car les boucles de dislocations mobiles s’empilent contre les
joints du grain dans lequel la source est active (figure 12). En effet,
les joints de grain sont des barrières infranchissables pour les
dislocations en raison de la discontinuité des plans de glissement
de part et d’autre des joints.
b répartition schématique des grains ayant un plan de glissement
dont la normale fait un angle proche de 45° par rapport à l'axe Au-delà de la limite d’élasticité microscopique, la propagation de
de traction (facteur de Schmid proche de 0,5) la déformation plastique s’étend progressivement à l’ensemble des
grains sous une contrainte appliquée τ a croissante. Lorsque la
taille de grain est supérieure à une centaine de micromètres, la
Figure 11 – Limite d’élasticité d’un métal polycristallin modélisation des mécanismes mis en jeu s’appuie sur l’activation
en traction uniaxiale des sources dans le réseau de Frank-Read. Afin d’augmenter le
nombre de boucles émises par les sources actives, il faut que la
contrainte τ a appliquée sur les plans de glissement actifs soit
augmentée car les dislocations empilées aux joints se repoussent
mutuellement et exercent une contrainte en retour τ emp sur les
sources actives. La contrainte de cisaillement appliquée sur le
OA est le plan de glissement des dislocations émises par la source S1
système de glissement actif dans le grain 1 (figure 12) est alors :
dans le grain 1 et OP est le plan de glissement des dislocations émises
par la source S2 dans le grain 2
2nGb
τ a1 = τ 0 + τ emp = τ 0 + ------------------ (9)
τS2 = τa2 + τ (r, θ) Λ emp
σa
P
θ avec n nombre de dislocations dans l’empilement,
Grain 1 S2 Λ emp distance entre la source active et la tête d’empilement.
O
r
La création des empilements correspond aux microdéformations
Grain 2 observées à partir de la limite d’élasticité microscopique. Mais, en
même temps, les champs de contrainte des dislocations dans
τa1 = τ0 + 2n Gb l’empilement s’ajoutent à la contrainte appliquée dans le grain voi-
Λ emp Λ emp sin en avant de la tête d’empilement. À un point (r, θ ) dans ce
grain, la contrainte de cisaillement locale qui est engendrée par
l’empilement est alors :
S1 Joint de grain
A Λ emp
σa τ ( r, θ ) = βτ emp ----------------
- (10)
r
avec β facteur géométrique proche de 1 lorsque θ est petit.
Figure 12 – Empilement de dislocations sur un joint de grain
Ainsi l’augmentation de la contrainte appliquée qui est néces-
dans un métal polycristallin sous une contrainte externe a
saire pour former les empilements dans les premiers grains est

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avec M constante que l’on appelle facteur de Taylor et qui est


représentative de la moyenne des inverses des facteurs de
σ Schmid (m ) pondérée par la distribution des orientations
σ
σ σ cristallographiques des grains dans le métal (texture
cristallographique ).
45° Dans le cas d’une distribution aléatoire des orientations dans des
45° 45° métaux de structure cubique, M est de l’ordre de 3.
Dans la pratique, on constate que la limite d’élasticité micros-
copique est variable d’un échantillon à l’autre en raison de l’hété-
rogénéité de la déformation à l’échelle macroscopique. La
déformation macroscopique devient assez homogène lorsque le
σ σ σ σ glissement est actif dans l’ensemble des grains. Pour cette raison,
on définit la limite d’élasticité macroscopique e en traction
uniaxiale par la contrainte d’écoulement correspondant à une
Figure 13 – Propagation de la déformation plastique de grain déformation plastique ε p d’une valeur fixée par convention à 0,1 ou
en grain le long de bandes inclinées à 45o à l’axe de traction 0,2 %. On observe une bonne reproductibilité pour la mesure de
cette grandeur qui est nettement supérieure à la limite d’élasticité
microscopique.
Exemple : dans le cas d’un acier extra-doux ayant une limite d’élas-
amplifiée d’un facteur proportionnel à ( Λ emp / r )1/ 2 dans les grains
ticité macroscopique de 200 MPa, la limite d’élasticité microscopique
voisins. La contrainte sur la source S2 est alors :
est seulement de l’ordre de 100 MPa.
τ S2 = τa2 + τ (r, θ ) (11)

avec τ a2 contrainte appliquée sur la source S2 par la force externe


sur le corps polycristallin.
La source sera activée lorsque τ S2 > τ 0 et même, si la contrainte
5. Mécanismes
τ a2 est quasi nulle (facteur de Schmid proche de zéro), il suffit de durcissement
que τ (r, θ ) = τ 0 pour activer la source. D’après équation (10), la
contrainte τ emp est alors : des alliages métalliques
r 2nGb
τ emp = τ 0 ----------------- = ------------------ (12)
Λ emp Λ emp 5.1 Durcissement par effet
de taille de grain
Pour Λ emp = 200 µm, r = 5 µm et τ 0 = G en MPa, cette 10 – 4
condition est atteinte quand le nombre de dislocations dans l’empi-
On constate expérimentalement que la valeur de la limite
lement est seulement de l’ordre de 5. D’après équation (9), la
d’élasticité macroscopique augmente de façon systématique lors-
contrainte appliquée sur la source dans le grain 1 est :
que la taille de grain diminue, du moins si la taille de grain est
supérieure à une vingtaine de nanomètres [1]. Cette variation de la

 
r limite d’élasticité en fonction du diamètre moyen des grains obéit
τ a1 = 1+ ----------------- τ0 ≈ 1,2 τ 0 (13) le plus souvent à la relation proposée par Hall et Petch :
Λ emp
σe = σ 0 + Kd – 1/2 (15)
La contrainte de cisaillement théorique pour la propagation de la
déformation à l’ensemble des grains est alors peu supérieure à τ 0 . avec d diamètre moyen des grains,
Par conséquent, au-delà de la limite élastique microscopique, le σ 0 et K constantes qui varient d’un métal à un autre.
nombre de sources actives dans l’ensemble des grains croît très
La figure 14 montre les résultats des mesures effectuées sur les
rapidement lorsque l’effort externe augmente. En traction uni-
aciers doux de structure ferritique ayant une teneur en carbone
axiale, la propagation de la déformation plastique s’effectue de
inférieure à 0,1 % en masse. Dans ce cas, la valeur de K est de
grain en grain dans de nombreuses bandes inclinées d’environ 45o
l’ordre de 20 MPa · mm1/2 et la valeur de σe est proche de 100 MPa
par rapport à l’axe de traction et la déformation plastique devient
lorsque la taille de grain est très grande (de l’ordre de 500 µm).
rapidement homogène à l’échelle macroscopique (figure 13).
En agissant sur la taille de grain à l’aide d’un traitement thermo-
Lorsque la taille de grain est proche de (ou inférieure à) la dis-
mécanique convenable, on est à même de faire varier la limite
tance moyenne entre dislocations dans le métal, il devient irréaliste
d’élasticité d’un métal de façon considérable.
de modéliser le démarrage de la déformation plastique en termes
des sources de Frank-Read réparties à l’intérieur des grains loin Exemple : dans le cas des aciers extra-doux, quand la taille de grain
des joints. Une discussion des contraintes engendrées par le blo- est réduite à 10 µm, la limite d’élasticité est de l’ordre de 300 MPa, soit
cage des dislocations mobiles et de la contrainte critique de propa- une augmentation d’un facteur proche de 3 par rapport à une taille de
gation de la déformation de grain en grain dépasse le cadre de cet grain de 500 µm.
article.
Dans les métaux à gros grains, on peut interpréter l’effet de la
Par une autre approche, on peut lier l’enclenchement de la taille de grain sur la limite macroscopique par le mécanisme de
déformation plastique en traction à la contrainte critique de propagation de la déformation plastique de grain en grain décrit
cisaillement par une généralisation de l’effet du facteur de Schmid ci-dessus. En réarrangeant les termes de l’équation (13) et en
sur les contraintes de cisaillement dans les grains prenant en considérant que la longueur moyenne de l’empilement Λ emp est de
compte la compatibilité des déformations dans les grains juxta- l’ordre de la taille de grain d, on trouve :
posés. Dans ce cas, on aboutit à la relation suivante :
σe = M τ 0 (14) τ a  τ 0 + ( τ 0 r ) d – 1/2 (16)

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d (µm)

Contrainte d'écoulement rationnelle (σ)


500 50 20 10 5 4 3 2 1,5 Taux de consolidation
Re (MPa) dσ/dε
600

500

400

300

200 Domaine élastique

100
Déformation rationnelle (ε)
0
0 4 8 12 16 20 24 28 Le taux de consolidation qui est défini par la pente dσ/dε de cette
d –1/2 (mm–1/2) courbe, diminue en fonction de la grandeur de la déformation
Fer pur 0,09 % C 0,15 % C
0,05 % C 0,13 % C 0,20 % C Figure 15 – Courbe de traction rationnelle

Figure 14 – Effet de la taille de grain sur la limite


d’élasticité nominale en traction R e ≈ e dans les aciers au carbone
la limite d’élasticité macroscopique, l’accumulation de dislocations
à structure ferritique (structure cristalline cubique centrée)
sur les plans de glissement actif gêne le déplacement des disloca-
(d’après [8])
tions mobiles de sorte qu’il faut augmenter la contrainte externe au
fur et à mesure que le glissement progresse sur ces plans. De plus,
l’activation d’un glissement simple conduit à une rotation progres-
Pour un métal donné, τ 0 est une constante qui ne dépend que sive des axes cristallographiques des grains par rapport aux axes
des forces de résistance aux déplacements des dislocations à de sollicitation ; ces deux effets combinés conduisent à l’activation
l’intérieur des grains au début de la microdéformation plastique. La d’autres systèmes de glissement, initialement moins favorable-
distance r est liée à la proximité des sources aux joints de grain qui ment orientés (glissement multiple). Ces plans coupent les plans
dépend de la configuration des sources de Frank-Read dans les de glissement primaires et l’intersection entre dislocations sur les
grains. En admettant que r est indépendant de la taille de grain, on plans sécants crée des enchevêtrements qui, peu à peu, conduisent
retrouve, à l’aide du facteur de Taylor, une expression pour la à la formation d’une configuration cellulaire constituée de parois à
limite d’élasticité en traction qui prend la forme de la relation très forte densité de dislocations entourant des volumes à faible
Hall-Petch, soit : densité de dislocations (figure 16). La taille de ces volumes est de
σe = M τ 0 + Mkd – 1/2 = σ 0 + Kd – 1/2 (17) l’ordre de 0,5 à 1 µm. À ce stade, la densité de dislocations sature
car le stockage des dislocations dans les parois est compensé par
La justification rigoureuse de ce raisonnement est très délicate. des processus d’annihilation qui résulte de la rencontre de deux
De plus, dans le cas des métaux à grains fins où les configurations dislocations de signe opposé (restauration dynamique).
des dislocations empilées aux joints sont plus complexes, le calcul L’augmentation de la contrainte d’écoulement plastique résulte
quantitatif devient très difficile. Ainsi, malgré la robustesse des en grande partie de l’interaction à courte portée entre dislocations
observations expérimentales, les explications théoriques de la loi (équation (5)). En traction uniaxiale, en admettant que le durcisse-
de Hall-Petch restent incomplètes. ment par dislocations est indépendant de la taille de grain, la
contrainte d’écoulement plastique devient :

5.2 Durcissement par écrouissage σ p = M τ p = M  τ 0 + α Gb ρ – ρ 0  (18)

Le durcissement par écrouissage est représenté par le durcisse-


5.2.1 Glissement des dislocations parfaites ment ∆σ D associé à l’augmentation de la densité de dislocations et
celui-ci est donné par la relation suivante :
La manière la plus simple de durcir un métal est de profiter de
l’augmentation de la contrainte d’écoulement plastique en fonction ∆ σ D = aGb ρ – ρ 0 ≈ aGb ρ (19)
de la grandeur de la déformation plastique (figure 15). Lorsque la
car, pendant la déformation, ρ devient très rapidement grand
température est inférieure à 0,3 Tf où Tf est la température de
devant ρ 0 . Le facteur numérique a = αM est proche de l’unité dans
fusion, ce phénomène de consolidation, ou d’écrouissage, corres-
les métaux de structure cubique. Dans les métaux fortement
pond à une augmentation irréversible de la limite d’élasticité. Il
écrouis, la densité maximale de dislocations est de l’ordre de 1010
découle de l’augmentation de la densité de dislocations au cours
à 1012 cm/cm3 et le durcissement par rapport au métal non
de la déformation. Sauf dans le cas de la déformation plastique par
déformé est alors de quelques centaines de mégapascals.
transformation de phase (voir ci-après), le taux de consolidation
dσ / dε diminue en fonction de la grandeur de la déformation plas-
tique, ce qui s’explique par la relation non linéaire entre la densité 5.2.2 Glissement des dislocations partielles
de dislocations et l’allongement plastique de l’éprouvette.
dans les métaux cfc
L’évolution de la configuration de dislocations en fonction du
taux de déformation est connue grâce aux nombreuses observa- Dans les métaux à structure cristalline compacte, la présence
tions effectuées par microscopie électronique en transmission sur d’atomes en solution solide modifie l’énergie de défaut d’empile-
des lames minces prélevées dans les métaux écrouis. Au-delà de ment, parfois de façon très significative. C’est le cas notamment

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40

α
α+γ
30

)
60

sse
40

ma
20

en
20

(%
γ

Cr
20
10
40
0,5 µm ML
60
α 80
a allongement 3 % Fe 10 20 *
30 * 40
Ni (% en masse)

ML martensite en lattes
γ austénite
α ferrite
< 20 mJ/m2 40-60 mJ/m2 2

20-40 mJ/m2 60-80 mJ/m2 * > 80 mJ/m


Gb = 18,6 J/m2

Figure 17 – Variation de l’énergie de défaut d’empilement


dans les alliages inoxydables Fe-Cr-Ni en fonction de la teneur
en chrome et en nickel (d’après [2])

0,5 µm

b allongement 15 %

Notons que la configuration cellulaire pendant la déformation


est moins marquée que celle observée sur le métal après
relâchement de la contrainte appliquée, (clichés IRSID)

Figure 16 – Évolution de la configuration des dislocations parfaites


en fonction du taux de déformation d’un acier inoxydable
de structure cubique à faces centrées (cliché IRSID)

des aciers inoxydables austénitiques dont l’énergie de défaut 0,5 µm


d’empilement dépend des teneurs en nickel, en chrome, en molyb-
dène et en silicium (figure 17) [2].
Lorsque l’énergie de défaut d’empilement est très basse, les dis- Figure 18 – Défauts d’empilement formés par la propagation
locations parfaites se dissocient sous contrainte conformément au de dislocations partielles dans un acier inoxydable austénitique
schéma de la figure 4. La déformation plastique est alors réalisée de structure cubique à faces centrées à faible énergie de défaut
par l’écartement des dislocations partielles sur les plans de glisse- d’empilement (cliché IRSID)
ment, ce qui conduit à la formation de larges bandes de défaut
d’empilement (figure 18). On montre [4] que ce type de glissement
intervient lorsque l’énergie de défaut d’empilement γ est inférieure 5.2.3 Maclage mécanique
à une valeur critique qui dépend de la densité de dislocations par-
faites dans le métal selon la relation suivante : Lorsque l’énergie de défaut d’empilement est très basse, les dis-
locations partielles du type 1/6<112> glissent successivement sur
γ ⁄ Gb < α ′b ρ (20) des plans {111} juxtaposés dans la structure cfc, ce qui conduit à la
formation de plaquettes en relation cristallographique de macle
avec α ′ constante numérique. avec la matrice environnante (figure 19). Ce phénomène de
Dans les aciers inoxydables la valeur expérimentale de α ′ est de maclage mécanique est observé aussi dans certains aciers de
l’ordre de 15. Ainsi selon la valeur de γ ⁄ Gb , la dissociation des dis- structure ferritique, notamment les aciers au silicium utilisés pour
locations sous contrainte intervient dès le début de la déformation les applications magnétiques. Il s’agit de la dissociation des dislo-
plastique ou après une déformation plastique préalable par glisse- cations parfaites du type 1/2<111> en dislocations partielles qui
ment des dislocations parfaites [2]. L’interaction entre des bandes glissent sur les plans {112} de la ferrite [3]. Le maclage mécanique
de défauts sur les plans sécants conduit à une consolidation plus conduit à une consolidation très marquée au cours de la déforma-
marquée que celle qui est observée lors de la déformation par glis- tion plastique du fait du blocage mutuel des macles qui se déve-
sement des dislocations parfaites. loppent sur des plans sécants dans les grains.

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bp bp

Macles mécaniques

Figure 19 – Formation schématique d’une macle mécanique dans le réseau cfc par glissement des dislocations partielles
sur des plans {111} juxtaposés

biphasés [cf. équation (33)]. Mais, de plus, la fraction volumique de


la phase dure (la martensite) augmente en fonction de la déforma-
tion de sorte que le taux de consolidation global du métal est plus
fort que celui associé à la déformation d’une austénite stable. Le
durcissement par écrouissage est alors plus marqué et, par
conséquent, l’apparition de la striction en traction uniaxiale est
α' retardée et l’allongement à rupture est augmenté. Ce phénomène
α' α' ε de plasticité induite par transformation de phase est désigné cou-
ramment par l’acronyme anglais TRIP (Transformation Induced
Plasticity ). Il advient aussi pendant la déformation plastique de cer-
tains aciers au carbone de structure ferritique contenant des grains
γ d’austénite résiduelle métastable.

0,5 µm
5.2.5 Textures d’écrouissage
En complément des mécanismes de déformation décrits ci-des-
Figure 20 – Micrographie électronique montrant les bandes
sus, il est important de noter que la déformation plastique d’un
de martensite ε et les îlots de martensite ′ formés au cours
métal polycristallin modifie l’orientation cristallographique des
de déformation plastique d’un acier inoxydable austénitique
grains à l’intérieur du corps. Sous l’action des forces externes, la
(cliché IRSID)
déformation macroscopique des grains est égale en moyenne à la
déformation macroscopique du corps métallique. Cela impose des
restrictions sur le glissement dans chaque grain pour assurer l’inté-
grité du corps polycristallin pendant la déformation plastique. Il en
5.2.4 Déformation plastique résulte une rotation des axes cristallographiques dans chaque
par transformation de phase grain qui conduit à la mise en place d’un nombre restreint d’orien-
tations préférentielles par rapport à un repère fixe dans le corps
Dans le cas des aciers inoxydables austénitiques dérivés de la polycristallin. On dit que le métal possède une texture cristallogra-
nuance 18Cr–8Ni, la structure cubique à faces centrées devient phique de déformation.
instable vers la température ambiante et, au-dessous d’une
température critique Ms, elle se transforme en martensite α de La texture cristallographique est décrite à l’aide des indices
structure cubique centrée. La transformation s’effectue par un cristallographiques des plans et directions cristallines qui se trou-
mécanisme de déplacement ordonné des atomes qui induit un vent alignés parallèlement aux plans et aux directions définis dans
changement de forme irréversible du volume transformé. Pendant un repère fixe dans le métal [12]. Les composantes principales de
la déformation plastique de l’austénite à une température supé- la texture de laminage et de tréfilage des métaux de structure cubi-
rieure à Ms mais inférieure à une valeur critique Md, une partie de que sont répertoriées dans le tableau 2.
la déformation permanente résulte de la transformation de l’austé- Nota : la description quantitative des textures fait appel à la fonction de distribution des
nite en structure hexagonale (martensite ε de déformation) puis en orientations (FDO) qui permet de décrire la fraction volumique de métal associée à chaque
composante de la texture. La détermination expérimentale de cette fonction s’effectue à
structure cubique centrée (martensite α′). La martensite α′, formée l’aide des mesures de l’intensité de diffraction des rayons X en fonction de l’orientation de
par déformation de l’austénite, est répartie dans le réseau cfc sous l’échantillon [11].
forme de petits îlots aux croisements des bandes de martensite ε. Dans le cas de la structure cfc, la texture de déformation dépend
Le nombre et la taille de ces îlots augmentent progressivement en de l’énergie de défaut d’empilement. Ce comportement est lié à
fonction de la déformation globale. La figure 20 montre un l’effet de l’énergie de défaut d’empilement sur les mécanismes de
exemple de la microstructure observée après déformation dans ces glissement des dislocations qui a été décrit ci-dessus. En raison de
conditions. l’anisotropie de la déformation plastique à l’échelle cristalline, une
La contrainte d’écoulement instantanée de cette structure, distribution non aléatoire des orientations des grains, quelle que
constituée de deux phases de résistance mécanique intrinsèque soit son origine, introduit une anisotropie dans les caractéristiques
très différente, est conforme à la limite d’élasticité des métaux mécaniques du métal.

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(0)

Tableau 2 – Composantes principales de textures


de déformation de la ferrite et de l’austénite
(énergie de défaut d’empilement )

Composantes
Mode de sollicitation Phase
de texture

Austénite (γ basse) {110} <112>


a solution solide b solution solide c solution solide
Austénite (γ élevée) {146} <211> de substitution de substitution d'insertion
Laminage (1)
aléatoire ordonnée
Ferrite {111} <112> et
{100} <110>
Figure 21 – Emplacement des atomes d’alliage
Austénite <111> dans les solutions solides métalliques
Tréfilage (2)
Ferrite <110>
(1) {hkl } parallèle au plan de la tôle
<uvw> parallèle à la direction de laminage. B'
(2) <uvw> parallèle à l’axe du fil. A C

x x'
5.3 Durcissement par atomes B
en solution solide La flèche indique la direction de propagation de la dislocation

En dehors des conséquences sur le durcissement qui résultent


de l’effet de la teneur en solutés sur l’énergie de défaut d’empile- Figure 22 – Deux positions d’épinglage successives
ment des métaux de structure compacte, la présence d’atomes d’une dislocation lors de son déplacement sur un plan de glissement
étrangers en solution solide introduit, de façon générale, des dis-
continuités ponctuelles dans le réseau cristallin qui freinent le
déplacement des dislocations par glissement. Il existe deux types 5.3.1 Effet des solutés sur la limite d’élasticité
de solution solide dans les alliages métalliques, suivant l’emplace- d’un alliage non déformé
ment des atomes d’alliage dans le réseau cristallin du métal de
base (figure 21) : La force de liaison entre les atomes en solution solide et les
— les solutions solides de substitution (atomes de soluté dislocations mobiles s’oppose au déplacement de celles-ci. Dans
remplaçant des atomes du solvant sur les sites du réseau cristallin) ; ce contexte, deux solutions limites peuvent être rencontrées.
— les solutions solides d’insertion (atomes de soluté insérés
entre les sites du réseau cristallin du solvant). ■ Lorsque les atomes de soluté sont peu mobiles (soluté de
substitution aux températures d’emploi basses), une ligne de
Dans le cas des aciers, les éléments d’addition Mn, Si, Cr, Ni, Mo dislocation a tendance à prendre une forme en zigzag afin de se
et Ti, par exemple, sont des solutés substitutionnels tandis que le placer dans le voisinage d’un grand nombre d’atomes de soluté qui
carbone et l’azote sont des solutés d’insertion. Par ailleurs, deux sont distribués de façon aléatoire dans le réseau cristallin (figure 22).
cas de figure se présentent suivant la répartition, aléatoire ou Pour déplacer la dislocation, il faut appliquer une contrainte de
ordonnée, des atomes étrangers. Nous examinerons ici le cas où cisaillement supplémentaire pour l’arracher aux « épinglages » sur
les atomes étrangers sont répartis de façon aléatoire dans le les atomes étrangers rencontrés tout au long du parcours.
réseau cristallin.
Les estimations théoriques [9] de l’augmentation de la contrainte
Un atome étranger crée une dilatation ou une contraction locale critique de cisaillement par les solutés ∆τ S conduit dans ce cas à
dans le réseau cristallin du fait de sa taille différente de celle des une relation de la forme :
atomes du solvant ou de celle des interstices entre ces derniers.
Ces distorsions induisent une force d’interaction entre les atomes ∆τ S ≈ αG ηc (21)
d’alliage et les dislocations. En effet, l’énergie élastique de la
dislocation dépend des constantes d’élasticité locales du réseau avec α constante numérique proche de 1,
cristallin et de la grandeur des distorsions de dilatation et de c teneur en solutés,
contraction du réseau qui lui sont propres. Lorsqu’un atome étran-
ger se trouve près de la dislocation, les distorsions autour de η = (r S – r 0) /r 0 facteur de taille atomique,
celle-ci sont partiellement compensées par la distorsion autour de r0 rayon atomique des atomes de la matrice,
l’atome étranger (effet de taille). Par conséquent, l’énergie de la rS rayon atomique du soluté.
dislocation est abaissée, et cela d’autant plus fortement que
l’atome étranger est proche du cœur de la dislocation où les dis- Exemple : les graphiques de la figure 23 montrent les résultats des
torsions propres à celle-ci sont les plus importantes. Par ailleurs, mesures de l’effet durcissant des atomes en solution solide dans la
les solutés modifient localement les constantes d’élasticité de la ferrite des aciers au carbone et dans l’austénite des aciers inoxydables
matrice et cela conduit également à une force d’interaction entre la austénitiques. On constate que l’augmentation de la contrainte
dislocation et le soluté (effet de module). Cette force est attractive d’écoulement en traction uniaxiale en fonction de la teneur en solutés
ou répulsive selon que la présence de l’atome étranger augmente est approximativement linéaire (au moins pour les faibles teneurs) et
ou diminue les constantes d’élasticité. Les calculs théoriques que le durcissement le plus marqué est obtenu par l’addition des solutés
indiquent que la force d’attraction due à l’effet de taille est presque d’insertion. Dans le cas des solutés de substitution, et conformément
toujours prédominante sur la force d’interaction due à l’effet de aux calculs théoriques, le durcissement est d’autant plus fort que la
module, de sorte que la force de liaison entre dislocations et ato- différence de taille entre les atomes d’addition et les atomes de la
mes étrangers est presque toujours attractive. matrice est plus grande.

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Augmentation de la contrainte ∆σS (MPa)

Charge
Limite d'élasticité
C et N P supérieure
Limite d'élasticité
inférieure
300 45°

Si
200
45°
Palier
Cu
100 Mn
Mo
0 Ni
Allongement
Cr
–100 a palier sur la courbe de traction d'un b bandes de Piobert-
0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5 acier extra-doux contenant des Lüders sur une
Teneur des solutés (% en masse) solutés d'insertion en solution solide éprouvette de
traction de fer
a ferrite des aciers de construction
Figure 24 – Aciers extra-doux. Palier à la limite d’élasticité
en traction

Augmentation de la contrainte ∆σS (MPa)


N l’ensemble de l’éprouvette soit déformé plastiquement. La défor-
mation plastique associée à ce phénomène est de quelques
200 pour-cent. Au-delà du palier, la déformation plastique se poursuit
C
de façon homogène à contrainte croissante.
W Mo À plus haute température (entre 250 et 400 oC), ce phénomène
100 B d’ancrage/désancrage des dislocations peut se produire tout au
V
long de la déformation. Les courbes de traction présentent alors de
Si nombreux décrochements en contrainte : c’est le phénomène de
Mn
Cu Cr Portevin-Le Chatelier ou de vieillissement dynamique. Ce phéno-
0 Ni mène apparaît pour une gamme de teneurs particulière en carbone
et dans un intervalle donné de température et de vitesse de défor-
mation.
–100
0 2 4 6 8 10 12 14 16
Teneur des solutés (% en masse) 5.3.2 Effet des solutés sur la consolidation
b aciers inoxydables austénitiques
En traction uniaxiale, le taux de consolidation correspondant à la
pente dσ/dε de la courbe de traction rationnelle des solutions
Figure 23 – Effet durcissant des solutés dans les aciers solides est, en général, plus fort que celui des métaux purs. En
en traction uniaxiale (d’après [10]) gênant le déplacement des dislocations mobiles, les solutés modi-
fient les mécanismes d’annihilation et de recombinaison de dislo-
cations mis en jeu lors de la formation de cellules. Il en résulte une
densité totale des dislocations en moyenne plus élevée dans les
■ Lorsque les atomes de soluté sont très mobiles (solutés d’inser- solutions solides que dans les métaux purs et, par conséquent, une
tion, températures d’emploi élevées), ils peuvent migrer vers les contrainte d’écoulement plastique, à une valeur donnée de la
dislocations par diffusion sous l’effet de la force de liaison. Il se crée déformation, plus élevée.
autour des dislocations des zones à forte teneur en solutés (atmo-
sphères de Cottrell). Une contrainte élevée est alors nécessaire pour
arracher les dislocations des atomes ségrégés mais, une fois les
dislocations en mouvement, la contrainte de résistance due aux 5.4 Durcissement par une dispersion
solutés diminue. intragranulaire de particules
Ce phénomène est à l’origine de l’amorçage hétérogène de la de deuxième phase
déformation plastique des aciers extra-doux contenant du carbone
et de l’azote en solution solide. Il se manifeste par l’apparition d’un La présence d’une fine dispersion de particules de seconde
palier à la limite d’élasticité sur la courbe de traction (figure 24). phase dans les grains d’un alliage métallique modifie à la fois la
Sur l’éprouvette, on observe la propagation brutale de nombreuse limite d’élasticité du métal non déformé et la loi de consolidation
bandes de déformation plastique (bandes de Piobert-Lüders) qui du métal lors de l’écrouissage. Il s’agit de particules de petite taille
traversent des zones de métal où la déformation est encore pure- devant la taille de grain. Ces particules peuvent être des inclusions
ment élastique. Il s’agit d’un cas particulier de l’amorçage de la formées lors de la solidification en raison de leur très faible solu-
déformation plastique et de sa propagation dans les bandes de bilité dans le métal solide (oxydes, sulfures) ou des précipités obte-
grains alignés à 45o de l’axe de traction. En même temps, la nus par un traitement thermique approprié de mise en solution à
contrainte d’écoulement décroît à une valeur sensiblement haute température suivie d’un maintien à une température plus
constante dénommée limite d’élasticité inférieure. Au long de ce basse à laquelle la limite de solubilité est plus faible. En général,
palier de contrainte, les bandes se propagent jusqu’à ce que le réseau cristallin et la nature des liaisons atomiques de la

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a particules incohérentes b particules cohérentes c particules partiellement cohérentes

d interface cohérente e interface semi-cohérente (rattrape du désaccord


entre les réseaux par des dislocations d'interface)

Figure 25 – Illustration en deux dimensions de la nature de la cohérence entre la structure cristalline des particules
et la structure cristalline de la matrice

deuxième phase sont différents de ceux de la matrice. Par avec dm et dp respectivement distances interréticulaires des plans
conséquent, il existe une discontinuité dans les plans de glisse- de la matrice et du précipité qui sont en coïncidence
ment des dislocations mobiles qui engendre une force de freinage à l’interface.
au déplacement de celles-ci.
Pour les particules sphériques, le diamètre critique de perte de
Dans ce contexte, on est amené à un classement des particules cohérence dpc est alors :
de seconde phase selon la nature de la discontinuité des plans
8π γ P
cristallins. On distingue trois cas qui sont illustrés schématique- d pc = --------- ------------
- (23)
ment sur la figure 25 et dont les particularités sont les suivantes. 3 δ 2G

avec γ P énergie de l’interface entre la particule et la matrice,


■ Particules incohérentes G module de cisaillement de la matrice.
La structure cristalline et l’orientation cristallographique de la ■ Particules partiellement cohérentes
particule sont différentes de celles de la matrice. Les plans cristal-
lins ne sont pas continus à travers les interfaces et la configuration La continuité des plans cristallins subsiste seulement pour un
atomique dans la zone de transition à l’interface est analogue à nombre limité de familles de plans dans les deux réseaux cristal-
celle d’un joint de grain de désorientation à grand angle lins (figure 25c ) et les interfaces correspondantes sont cohérentes
(figure 25a ). ou semi-cohérentes. Sur les autres familles de plans, la continuité
est interrompue et les interfaces sont incohérentes.
■ Particules cohérentes
Les plans cristallins sont continus à travers toutes les interfaces. 5.4.1 Effet des particules sur la limite d’élasticité
Cela implique que les emplacements atomiques dans la particule d’un alliage non déformé
sont identiques à ceux de la matrice. Seules les compositions
chimiques des deux phases sont différentes. Dans la plupart des Lorsqu’une dislocation mobile rencontre des particules de
cas d’intérêt pratique, la structure cristalline de la particule corres- deuxième phase dans son plan de glissement, elle est bloquée aux
pond à une structure ordonnée dérivée de la structure cristalline de points d’appui sur les particules en raison de la discontinuité
la matrice. Toutes les interfaces sont des interfaces cohérentes ou cristalline entre la matrice et la particule. Au fur et à mesure que
semi-cohérentes (figures 25e et d ). Notons que les phases ordon- la contrainte appliquée augmente, la dislocation se courbe entre
nées perdent leur cohérence avec la matrice lorsque la taille aug- ces points d’appui (figure 26). Comme dans le cas de l’activation
mente au-delà d’une certaine valeur qui dépend du taux de d’une source de Frank-Read, la contrainte nécessaire pour courber
désaccord δ entre les deux réseaux cristallins. Le taux de désac- la dislocation est inversement proportionnelle au rayon de cour-
cord est défini par la relation : bure des arcs. La valeur maximale est atteinte lorsque l’arc de dis-
location prend la forme d’un demi-cercle de rayon de courbure λ /2
dm – dp où λ est la distance entre les particules. Au-delà de cette contrainte,
δ = ------------------------ (22) la poursuite de la dilatation des arcs de dislocation conduit à une
dm diminution du rayon de courbure de la ligne. La configuration

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b
b
a contournement

paroi d'antiphase
Plan de
glissement Figure 27 – Cisaillement des particules cohérentes de structure
ordonnée avec la formation d’une paroi d’antiphase sur la surface
b cisaillement
de cisaillement dans une particule

Figure 26 – Franchissement des particules par les dislocations


par le mécanisme de contournement (a) ou par le mécanisme cohérentes de structure ordonnée, le vecteur de Burgers des
de cisaillement (b) dislocations dans la matrice ne correspond pas à un vecteur de
Burgers dans le réseau cristallin de la particule. Il se crée ainsi un
défaut plan (paroi d’antiphase) sur le plan de cisaillement de la
devient instable et les arcs se rejoignent en aval des particules en particule et une marche de largeur b à l’interface particule/matrice
laissant une petite boucle autour de chacune d’elles (figure 26a). (figure 27).
Mais, pendant le stade d’expansion de la dislocation entre les par- L’énergie pour créer ces interfaces est fournie par le travail effec-
ticules, la force exercée sur les particules par la dislocation aug- tué par la contrainte appliquée, ce qui implique une augmentation
mente en même temps que la contrainte sur le plan de glissement. de la contrainte critique de glissement des dislocations. La
Si cette force est suffisamment élevée, la dislocation pénètre les contrainte nécessaire pour cisailler les particules augmente en
particules et les cisaille avant qu’elle ne prenne la configuration fonction de la taille et du nombre de celles-ci et en fonction de
critique (figure 26b). Le franchissement des obstacles, par contour- l’énergie spécifique de l’interface. Dans le cas des particules cohé-
nement ou par cisaillement des particules, dépend de la cohérence rentes, en négligeant l’énergie de surface de la marche créée sur
entre les réseaux cristallins, de la taille des particules et de la dis- la particule, le calcul de l’augmentation de la contrainte critique
tance entre elles. aboutit à la relation suivante :
■ Contournement 3/2
γP 1/2
La contrainte de contournement est inversement proportionnelle ∆ τ ci = K ci ----------------- d f 1/2 (26)
à la distance entre les particules dans le plan de glissement. Un Γ 1/2 b P
calcul détaillé aboutit à la relation suivante : avec Γ tension de ligne de la dislocation,
λ – dP γ P énergie par unité de surface interne créée par le cisaille-
τ co
AGb
( λ – dP ) 
= --------------------- ln -----------------
2b ≈ Gb
k co ----------
λ
(24) ment de la particule,
d P diamètre moyen de la section des particules dans le plan
avec λ distance entre particules, de glissement,
f fraction volumique des particules,
dP diamètre moyen des particules dans le plan de
glissement, Kci coefficient numérique proche de 1/3.
A, B et k co constantes numériques qui dépendent de la À fraction volumique constante, le durcissement est d’autant
géométrie de la dispersion de particules. plus faible que l’énergie du défaut plan dans la particule est plus
petite.
On remarque que la contrainte de contournement ne dépend
que de la répartition des particules et des propriétés élastiques de En revanche, pour réaliser le cisaillement des particules incohé-
la matrice, mais pas de la nature cristalline des particules. rentes, il faut que la contrainte dans la particule soit proche de la
limite d’élasticité théorique de celle-ci, soit de l’ordre de G/4π.
Pour une fraction volumique f de particules sphériques de Dans ce cas, l’augmentation de la contrainte critique d’écoulement
diamètre d s , le diamètre moyen des particules dans le plan de glis- est donnée par une relation de la forme suivante :
sement est d P = d s ( 2/3 ) et λ = d P f . L’augmentation de la
contrainte critique d’écoulement par rapport à celle d’un métal pur GP
non déformé est alors : ∆ τ ci ≅ --------- f (27)

f 1/2
∆ τ co = K co ----------- Gb (25)
d avec GP module de cisaillement de la particule.

avec Kco constante numérique proche de 1/2. ■ Transition d’un mécanisme à l’autre à fraction volumique
constante
■ Cisaillement Lors de la coalescence des précipités au cours d’un traitement
Lorsque les particules sont cisaillées par la dislocation mobile, thermique, la fraction volumique est constante, mais la taille des
les deux parties de la particule sont décalées l’une par rapport à particules augmente en fonction de la durée de maintien en
l’autre d’une distance b égale au module du vecteur de Burgers de température et, par conséquent la distance entre elles augmente.
la dislocation dans la matrice. Dans le cas des particules La figure 28 montre, de façon schématique, la variation du durcis-

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Durcissement ∆τP

Durcissement ∆σP (MPa)


Co
ent

nt 500 dP (µm) = 0,003


ou
em

rn
em
aill

en
Cis

t
200 0,01

100
0,03
f fraction
volumique 50
croissante
0,10
20

10
2 x 10–4 1 x 10–3 5 x 10–3 2 x 10–2
–4 –3 –2
Diamètre des particules d P 5 x 10 2 x 10 1 x 10
Fraction volumique f
∆τP = ∆τci ou ∆τco

 
1/2 dP
∆σP = 5,9 f ln
dP 5 x 10–4
Figure 28 – Effet schématique de la taille des particules
sur le mécanisme de durcissement et sur la grandeur
du durcissement pour des valeurs croissantes
Figure 29 – Durcissement par contournement des carbures
de la fraction volumique de particules
dans les aciers au carbone de structure ferritique (d’après [5])

sement en fonction de la taille des particules à fraction volumique


constante. Puisque la contrainte critique de cisaillement augmente Dans le cas de la précipitation des carbures alliés (VC, NbC, TiC)
et la contrainte critique de contournement diminue lorsque la taille dans les aciers peu alliés à structure ferritique, le graphique de la
des particules augmente, il existe une taille critique de particules à figure 29 indique les ordres de grandeur du durcissement ∆ σ P en
partir de laquelle le cisaillement est remplacé par le mécanisme de fonction de la fraction volumique des particules et de leur taille d s .
contournement. Lorsque la taille des particules est égale à la taille Ces particules ne sont que partiellement cohérentes avec la
critique, le durcissement est maximal. matrice et elles introduisent une discontinuité sur les plans de glis-
Pour les particules incohérentes, la taille critique obtenue à l’aide sement dans la ferrite de sorte que le mécanisme de contour-
des équations (24) et (27) est donnée par la relation : nement prédomine.

crit crit Gb
di = ki ---------- f –1/2 (28) 5.4.2 Effets des particules sur la consolidation
GP
crit Il est possible de distinguer les effets des particules de seconde
avec k i constante numérique de l’ordre de 10.
phase sur la consolidation selon la taille et la dispersion de ces
Compte tenu des valeurs de Gb et de G P , la taille critique de particules. Dans le cas d’une fraction volumique importante de
cisaillement des particules incohérentes est, en général, inférieure particules fines (espacement réduit entre particules), le mécanisme
à quelques nanomètres et, par conséquent, le cisaillement des d’interaction entre particules et dislocations conduit à des effets
particules incohérentes est rarement rencontré dans la pratique. similaires à ceux qui sont décrits pour les solutions solides :
ralentissement de la mobilité des dislocations, diminution de leurs
Pour les particules cohérentes, la taille critique est donnée
possibilités d’interaction, accroissement de la densité moyenne de
approximativement par la relation :
dislocations, diminution du taux de restauration dynamique. Ces
Γ mécanismes conduisent, en général, à une augmentation de la
dc
crit
≈ -------
γ
- (29) consolidation.
P
Au niveau d’une particule isolée, il convient de séparer le
Ce mécanisme de cisaillement est observé dans certains aciers comportement selon le mode d’interaction : cisaillement ou
inoxydables contenant des particules cohérentes de phases inter- contournement. Dans le cas du cisaillement, le diamètre apparent
métalliques ordonnées de diamètre inférieur à une dizaine de de la particule dans le plan de glissement décroît ; il en résulte une
nanomètres. diminution du durcissement sur ce plan. Ce phénomène, étant
localisé, favorise le glissement planaire dans certaines directions.
En traction uniaxiale, l’augmentation de la limite d’élasticité Cela conduit éventuellement à des instabilités de comportement
macroscopique d’un métal polycristallin contenant une dispersion (apparition de microbandes de déformation intragranulaire), à un
de particules est alors donnée par la relation : adoucissement par localisation et, dans certains cas extrêmes, à la
σe = σ 0 + ∆ σ P = σ 0 + M ∆τ P (30) remise en solution des particules cisaillées du fait d’un rayon appa-
rent devenu inférieur au rayon critique (on observe alors une
avec σ 0 limite d’élasticité en absence de précipités, déformation localisée intense dans des canaux libres de toute pré-
∆σP ≈3∆τP expressions correspondant au mécanisme de cipitation). Ce phénomène de cisaillement reste faible, voire inopé-
cisaillement ou de contournement selon la rant, dans les aciers.
taille et la structure cristallographique des par- Dans le mécanisme de contournement, le passage des disloca-
ticules. tions successives laisse des boucles de dislocations autour des

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d’obtenir, en fonction des conditions extérieures de chargement, le


comportement moyen du matériau polyphasé et les concentrations
de contrainte au voisinage de chaque constituant.

■ Modélisations autocohérentes
Des approches micromécaniques ont été développées qui
permettent de prendre en compte l’aspect polyphasé d’un maté-
riau. Ces modèles considèrent successivement chaque phase
comme étant en inclusion dans un milieu homogène équivalent
dont les propriétés mécaniques sont celles du matériau polyphasé.
Il est alors possible de déterminer, à partir de la connaissance du
comportement de chaque constituant, le comportement global,
l’état de contrainte et de déformation moyen au sein de chaque
constituant.
Ces modèles ne permettent toutefois pas encore de prendre en
compte les paramètres topologiques des constituants (taille, forme
et distribution spatiale). D’une façon simplifiée, on peut retenir que
50 nm
le comportement réel se situe entre deux cas extrêmes.
● Dans le premier cas, on suppose que le taux de déformation est
uniforme dans les deux phases et, en vertu de la différence de la loi
de comportement σ - ε (contrainte-déformation rationnelle) des deux
Figure 30 – Exemples de la formation de boucles de dislocations constituants, la contrainte d’écoulement σ du mélange est une fonc-
autour des particules de TiN dans un acier inoxydable ferritique tion linéaire des contraintes d’écoulement de chaque phase :
(cliché IRSID)
σ = f 1 σ1 + f 2 σ2 (31)
avec f 1 et f 2 fractions volumiques des deux phases (f 1 + f 2 = 1).
particules (figure 30). Cela accroît la densité moyenne de disloca- Cette approximation est celle qui est le plus fréquemment
tions obstacles. Le rayon apparent du précipité devient alors plus rencontrée dans la littérature, bien qu’elle ne s’applique stricte-
important lorsque la déformation augmente, contribuant ainsi à ment que dans le cas où les deux phases seraient régulièrement
l’accroissement de la consolidation. Au-delà d’une certaine concen- réparties en couches planes perpendiculaires à l’axe de traction.
tration de contrainte autour du précipité, des systèmes de glisse- ● Dans le second cas, c’est la contrainte qui est supposée
ment secondaire sont activés, induisant une relaxation plastique constante dans les deux constituants et le taux de déformation
locale. rationnelle ε du mélange s’exprime sous la forme :
Lorsque les précipités ont une taille micrométrique, ils agissent ε = f1 ε1 + f2 ε2 (32)
alors comme des secondes phases peu ou pas déformables. Le
comportement local et global est alors similaire à celui des alliages Ce cas s’applique strictement aux matériaux présentant deux
polyphasés (cf. § 5.5). phases distribuées parallèlement à l’axe de traction (par exemple,
cas des composites fibreux lors d’une traction dans l’axe des
fibres).
● D’une façon générale, la contrainte globale peut s’écrire alors
5.5 Limite d’élasticité et durcissement sous forme d’une fonction non linéaire de la contrainte de chaque
des alliages polyphasés constituant :
σ = a 1 f 1 σ1 + a 2 f 2 σ 2 (33)
Certains matériaux peuvent présenter une microstructure consti-
tuée d’un mélange de deux ou plusieurs constituants. Selon les avec a 1 et a 2 fonctions dépendant des relations εn = g (σn ).
cas, un des constituants est dur et indéformable (par exemple, les C’est une relation empirique de cette forme que l’on rencontre
îlots de martensite dispersés entre les grains de la matrice ferri- très fréquemment pour décrire le comportement des aciers poly-
tique dans les nuances dual-phase des aciers au carbone), ou aussi phasés, avec l’hypothèse forte complémentaire d’une valeur
déformable que l’autre constituant (cas des nuances inoxydables constante pour a 1 et a 2 .
de structure duplex austénito-ferritique).
Nota : on préférera cette forme à celle que l’on rencontre parfois (et qui n’a pas de base
Le comportement mécanique de l’ensemble est une fonction des micromécanique) :
caractéristiques propres de chaque constituant, de leur fraction σ = f 1 σ1 + f 2 σ2
n n

volumique et de la morphologie du mélange (taille moyenne des


phases, facteur de forme des phases, dispersion...).
Au cours des dernières années, de nombreux travaux de
recherche ont été menés afin de modéliser le comportement d’un
alliage polyphasé. Sans être exhaustif, on peut citer quelques
approches actuelles.
6. Effets du durcissement
sur la ductilité
■ Modélisation par éléments finis
et la ténacité des aciers
Il est possible de décrire une microstructure en maillant chacun
des constituants et en leur attribuant leurs caractéristiques méca-
niques propres. Les techniques de maillage actuelles permettent Une modification de la microstructure de l’acier qui permet
de décrire finement en trois dimensions tout type d’arrangements d’augmenter sa résistance mécanique conduit à une modification
topologiques représentatifs des microstructures observées par d’autres caractéristiques, en particulier de la ductilité et de la téna-
métallographie. La méthode des éléments finis permet alors cité. Dans la plupart des cas, pour une amélioration de la résis-

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tance, on observe une diminution de l’aptitude à la déformation la contrainte d’écoulement et, fréquemment, sur la consolidation.
plastique car, en général, ces deux propriétés sont liées et évoluent Ainsi, il est possible de proposer une forme complète du compor-
en sens inverse de la mobilité des dislocations. Toutefois, la défor- tement [6] :
mation par transformation de phase constitue une exception à
cette règle. σ p = σ 0 + Kd –1/2 + M α Gb ρ (34)
De même, une augmentation de la résistance mécanique est le
plus souvent accompagnée par une diminution de la résistance à avec σp contrainte d’écoulement plastique,
la rupture brutale. En effet, l’énergie à fournir pour propager une d taille de grain,
fissure est d’autant plus grande que la déformation plastique en
tête de fissure est plus élevée. Une augmentation de la limite M facteur de Taylor moyen, représentant la texture
d’élasticité diminue donc l’aptitude à la déformation plastique cristallographique,
locale et, par conséquent aussi, l’énergie locale de propagation de G module de cisaillement,
la fissure. Mais, dans le cas de rupture par clivage à basse tempé-
b longueur du vecteur de Burgers,
rature dans les aciers au carbone de structure ferritique, le durcis-
sement par affinement de grain augmente la résistance à la rupture α paramètre de l’ordre de 1/3.
par clivage (cf. article [M 4 341]). Cet effet est dû au fait que le cli- σ0 comprend, souvent sous une forme linéaire, la contribution des
vage s’effectue seulement sur les plans du type {100} de la ferrite. différents éléments à l’accroissement de contrainte :
Le réamorçage de la fissure à chaque joint de grain consomme de
l’énergie et plus la taille de grain est petite, plus le nombre de σ0 = σ PN + σ S + σ P (35)
joints sur le chemin de propagation de la fissure est grand et plus
l’énergie globale de propagation de la fissure est élevée. avec σ PN effet de la friction de réseau (force
Peierls-Nabarro),
σS = ∆σS contribution des solutés,
σP = ∆σP contribution des précipités.
7. Conclusion Certains auteurs mettent en cause l’additivé des mécanismes de
durcissement dans les équations (34) et (35), considérant qu’elle
n’est valable que lorsque chaque contribution (solution solide,
Le tableau 3 récapitule les différents mécanismes de freinage
précipités...) est relativement faible. Si deux facteurs interviennent
des dislocations et donne respectivement les ordres de grandeur
de façon importante (par exemple, dislocations et particules dans
des contraintes critiques de déplacement des dislocations.
un alliage durci par précipitation avec une densité élevée de
Lorsque plusieurs mécanismes contribuent simultanément à la particules), une meilleure approximation de l’effet durcissant ∆σ,
résistance mécanique du métal, nous avons vu qu’ils agissent sur par rapport à la limite d’élasticité d’un métal pur non déformé, est
donnée par une relation proposée par Brown et Ham [7] :

2 2
∆σ = ∆σ 1 + ∆σ 2 (36)
Tableau 3 – Comparaison de l’effet des différents
mécanismes de durcissement sur la limite
avec, dans le cas présent :
d’élasticité des métaux
Ordre de grandeur ∆ σ 1 = ∆ σ D = M α Gb ρ et ∆ σ2 = ∆ σP = σP
Mécanisme
des contraintes
de freinage Équations
de résistance la contribution à la limite d’élasticité due aux particules.
des dislocations
à la déformation
L’évolution de la densité de dislocations ρ est une fonction de
Frottement du réseau quelques MPa (4) l’état de déformation, représenté par la densité courante de dislo-
cations, et de la microstructure, cette dernière relation traduisant
l’effet de la structure sur le durcissement :
Freinage par dislocations 100 à 1 000 MPa (5) (19)
d ρ /d ε = f ( ρ , microstructure ) (37)
Freinage par atomes quelques centaines (20)
en solution solide de MPa Cette relation est généralement écrite comme la contribution
d’un terme de stockage des dislocations, contribuant au durcisse-
ment, et d’un terme de restauration dynamique (diminution de la
Freinage par une dispersion densité de dislocations par annihilation), limitant l’écrouissage à
de particules intra- quelques centaines (22) (23) (24)
granulaires de MPa fort taux de déformation. Ce dernier terme est fonction de la tem-
pérature et de la vitesse de déformation : la restauration dyna-
mique est d’autant plus importante que la température de l’essai
quelques centaines est élevée et la vitesse de déformation faible. Ce comportement
Effet de la taille de grains (15)
de MPa rend compte de la saturation de la contrainte aux fortes déforma-
tions, saturation d’autant plus marquée et à un niveau d’autant
plus faible que la température est haute et la vitesse de déforma-
Effet d’un mélange de phase quelques centaines (30) tion est faible.
de MPa

Écrouissage Les auteurs souhaitent exprimer leurs remerciements à


des structures biphasé 200 à 2 000 MPa – M. Daniel Bouleau de l’IRSID pour sa collaboration à la prépara-
et effet TRIP tion des figures de ce texte.

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Notations et symboles Notations et symboles


Symbole Désignation Symbole Désignation

b vecteur de Burgers ∆τS accroissement de la limite d’élasticité de cisaillement qui est


bc composante coin du vecteur de Burgers engendré par les atomes en solution solide dans le réseau
cristallin
bv composante vis du vecteur de Burgers
Λemp longueur d’un empilement de dislocations contre un
bp vecteur de Burgers d’une dislocation partielle obstacle
 vecteur unitaire tangent à une ligne de dislocation δ défaut de raccordement des réseaux cristallins juxtaposés
d direction de déplacement d’une dislocation φ angle entre l’axe de traction uniaxiale et la normale à un
b module du vecteur de Burgers plan de glissement
bp module du vecteur de Burgers d’une dislocation partielle γ énergie de défaut d’empilement
c teneur atomique en solutés γP énergie d’interface créée lors du cisaillement d’une particule
d diamètre moyen des grains dans un métal polycristallin de deuxième phase cohérente
d distance interréticulaire des plans de glissement γp énergie d’interface entre la matrice et une particule de
deuxième phase
dm distance interréticulaire dans le réseau cristallin de la
matrice Γ tension de ligne d’une dislocation
dp distance interréticulaire dans le réseau cristallin d’une η facteur de taille, mesure de la distorsion du réseau cristallin
particule de deuxième phase engendré par la présence d’une particule de deuxième
phase dans la matrice
dP diamètre d’une particule de deuxième phase mesuré dans le
plan de glissement λ angle entre l’axe de traction uniaxiale et la direction de
cisaillement dans un plan de glissement
ds diamètre d’une particule sphérique de deuxième phase
d pc diamètre critique de perte de cohérence d’une particule de
ν coefficient de Poisson
deuxième phase ρ densité de dislocations
crit diamètre critique des particules incohérentes à partir de ρ0 densité de dislocations dans un métal non déformé
di laquelle le mécanisme de cisaillement est remplacé par le σ0 composante de la limite d’élasticité en traction uniaxiale qui
mécanisme de contournement est due au frottement de réseau et la présence de
crit diamètre critique des particules cohérentes à partir de dislocations dans le cristal non déformé
dc laquelle le mécanisme de cisaillement est remplacé par le σa contrainte appliquée en traction uniaxiale
mécanisme de contournement
σD contribution à la limite d’élasticité en traction uniaxiale due
Ed énergie élastique d’une dislocation aux dislocations
f fraction volumique des particules de deuxième phase σe limite d’élasticité rationnelle en traction uniaxiale
dispersées dans la matrice
σe m limite d’élasticité rationnelle microscopique en traction
G module de cisaillement uniaxiale
K coefficient de Hall-Petch σp contrainte d’écoulement plastique en traction uniaxiale
L longueur de la ligne de dislocations (fonction de la grandeur de la déformation)
LF longueur moyenne des segments de dislocations dans le σS contribution à la limite d’élasticité en traction uniaxiale due
réseau de Frank aux atomes en solution solide
m facteur de Schmid σP contribution à la limite d’élasticité due à une dispersion de
m* facteur de Schmid maximal particules dans la matrice
M facteur de Taylor τ contrainte de cisaillement sur un plan de glissement
n nombre de dislocations dans un empilement τ (r, θ ) contrainte interne engendrée en avant
un empilement de dislocations
r distance entre la tête d’un empilement de dislocations et
une source de Frank-Read dans un grain en avant de τ0 contrainte de cisaillement pour déplacer une dislocation
l’empilement dans un cristal de métal pur non déformé
r0 rayon atomique des atomes de la matrice τa contrainte de cisaillement engendrée sur un plan de
rS rayon atomique d’un atome en solution solide glissement par des efforts externes
R rayon de courbure d’une dislocation ancrée à ses extrémités τc contrainte de cisaillement critique pour déplacer une
dislocation dans son plan de glissement
Re limite d’élasticité nominale en traction uniaxiale
τco contrainte de cisaillement pour déplacer une dislocation par
Tf température de fusion le mécanisme de contournement des particules de
ε déformation rationnelle en traction uniaxiale deuxième phase
∆σD accroissement de limite d’élasticité en traction uniaxiale τci contrainte de cisaillement pour déplacer une dislocation par
(par rapport à celle d’un métal pur non déformé) qui résulte le mécanisme de cisaillement des particules de deuxième
de l’augmentation de la densité de dislocations induite par phase
la déformation plastique τD contrainte de cisaillement pour déplacer une dislocation
∆σP accroissement de limite d’élasticité en traction uniaxiale mobile contre les forces d’interaction avec les dislocations
(par rapport à celle d’un métal pur non déformé) qui est due qui traversent son plan de glissement
à la dispersion de particules de deuxième phase dans la
matrice τD0 contrainte de cisaillement pour déplacer une dislocation
mobile contre les forces d’interaction avec les dislocations
∆σS accroissement de la limite d’élasticité en traction uniaxiale qui traversent son plan de glissement dans un métal non
(par rapport à celle d’un métal pur non déformé) dû aux déformé
atomes en solution solide dans le réseau cristallin
τDp contrainte de cisaillement pour déplacer une dislocation
∆τci accroissement de la limite d’élasticité de cisaillement (par partielle mobile contre les forces d’interaction avec les
rapport à celle d’un métal pur non déformé) qui est dislocations qui traversent son plan de glissement
engendré par le cisaillement des particules de deuxième
phase qui coupent le plan de glissement des dislocations τe limite d’élasticité en cisaillement
mobiles τemp contrainte de cisaillement nécessaire pour maintenir un
∆τco accroissement de la limite d’élasticité de cisaillement (par empilement de dislocations contre un joint de grain
rapport à celle d’un métal pur non déformé) qui est τFR contrainte de cisaillement pour activer une source
engendré par le contournement des particules qui coupent Frank-Read
le plan de glissement des dislocations mobiles
τ PN contrainte de cisaillement pour déplacer une dislocation
∆τD accroissement de la limite d’élasticité de cisaillement (par dans un cristal parfait (force de Peierls-Nabarro ou
rapport à celle d’un métal pur non déformé) qui est frottement du réseau)
engendré par l’augmentation de la densité de dislocations
au cours de la déformation plastique τp contrainte d’écoulement plastique en cisaillement (fonction
∆τP accroissement de la limite d’élasticité de cisaillement qui est de la grandeur de la déformation plastique)
engendré par les particules qui coupent le plan de τr contrainte de cisaillement pour déplacer une dislocation par
glissement des dislocations mobiles cisaillement des particules incohérentes

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