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Dll CINÉMA
DIRECTEUR'GÉRANT : L. KEIGEL
SOMMAIRE
Jean-Louis Rieupeyrout . . Un genre historique : le W estern ...................... 4
Pierre M îc h a u t...................... Christian Bérard parle de la couleur.................. 19
Claude V e r m o r e l................. Sur une première expérience à la télévision , . 24
Jean-Louis Tallenay . .
Roger Régent e t Georges
C h a r e n s o l ......................... René Clair : Années d’a p p r e n t is s a g e ............... 37
Robert Pïlati Marcello Pagliero ou le M a l e n t e n d u .................. 43
Nouvelles du c i n é m a ............................................. 47
LES FILMS :
Nino F r a n k ......................... Aux sources du « vérisme » (La Terra I rema) . . • 52
Jacques Doniol-Valcroze . . Une ballade au soleil (A W a l k irv the S u n ). - 55
André B a z i n ......................... Le Ghetto concentrationnaire (Daleka Cesta) . . 58
Lo D u c a .............................. . Trilogie mystique de Dreyer (La passion de Jeanne
d ' A r c ) ...................................................... 60
Jean-José Richer.................. Des sourires et des hommes {Laughter in Paradise,
The Lavender Hill M o b ) ................. 63
M.M. e t J.A ........................... La revue des revues................................ 66
Jean Q u é v a l ......................... 68
Florent K ir s c h ...................... Faut-il brûler les livres de cinéma ? ■ • 68
J.D,V. et A.B........................ Livres de cinéma (Cinéma Dell'Arte et Raimu) . .. 71
L es p h o t o g r a p h i e s q u i il l u s t r e n t c e n u m é r o s o n t d u e s à [ 'o b l i g e a n c e d e : G a u m o n t / F r a n c o L o n d o n Film,
U n i v e r s a l i a , S ilv e r Film s, Les Film s C o r o n a , J. A r t h u r R a n k O r g a n i s a t i o n , V ic t o r y Film s, U n ite d A r t î s t s ,
W a r n e r Bros, P a r a m o u n t , C o lu m b ia , A lc i n a , P a t h é C o n s o r tiu m , RKO, TEVE Film , £. Film ,
L e s p h o t o g r a p h i e s d e L’H o m m e a u x y e u x c l a ir s , P e n d a i s o n à J e f f e r s o n C ity , T h e G r e a f T r a in Robb cry ,
T h e A r y a n , q u i i l l u s t r e n t l'a r t i c l e d e J e a n - L o u i s R ie u p e y r o u t s u r le W e s t e r n , e t c e lle s d e P a r i s e t t e e t d e
L 'o r p h e l i n e d a n s l ' e x t r o i t d u livre d e R o g e r R é g e n t e t G e o r g e s C h a r e n s o l s u r R e n é C la ir, p r o v i e n n e n t
d e s a r c h i v e s d e l a C i n é m a t h è q u e F r a n ç a is e . N o u s n o u s e x c u s o n s , p a r ailleurs., d ' a v o i r a m i s d e m e n t i o n n e r
q u e l a p h o t o d e L a fille d o l ' e a u , p a r u e d a n s n o t r e n u m é r o 8 , p r o v e n a i t é g a l e m e n t d e la C i n é m a t h è q u e
F ran ça ise.
LE WESTERN
par
Jean-Louis Rieupeyroui
public des salJp.s que son a lirait pour un genre aussi dynamique
était justifié. Mais les temps ont changé. Plus de Louis Delluc, plus
d’Albert Bonneau, mais, si les laudateurs ont disparu, le Western continue
pour un public toujours fidèle. On nous objectera que ceLte admiration
des uns et des autres trouvait alors sur les écrans de bonnes raisons de
«e manifester lesquelles, aux dires des augures actuels, n'existe plrs guère
aujourd’hui. Et cependant le W estern conserve les faveurs des exploitants
en raison de l’excellent rapport qu’il continue de représenter. Un Western
« marche » toujours parce que le public demeure sou allié, même en
1051; seule la critique ne « marche » plus.
Fort heureusement les spectateurs de ce genre « enfantin » 11e suivent
pas à la lettre ses mises en garde répétées et se lassent de tant de lignes
incendiaires aux qualificatifs éculés. « Scénario superficiel, personnages
conventionnels, vie... » ne suffisent plus. Pourtant, est-elle instructive la
ipelure de certaines critiques ! Les bourdes les plus éhontées y fleurissent
qui constitueraient matière de choix à la constitution d’un monumental
sottisier du W'estern ». L’impertinence serait grande de passer son
temps à les relever sans s’interroger sur l’intérêt d’une telle entreprise.
Oublions-les et n'en parlons plus; nous pensons, quant à nous, qu’il n ’est
point trop tard pour construire là où la fantaisie, l’humeur^ l’habitude,
les idées préconçues et aussi un certain complexe de supériorité, un
mépris de bon ton, interdisent de prendre la chose au sérieux. Qu’on
veuille donc nous pardonner la témérité qui nous pousse à affronter les
vérités couramment admises sur le sujet.
Le Western, ou film de l’Ouest, évoque irrésistiblement action violente,
poursuites et bagarres. Imaginons combien profondes étaient encore dans
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les esprits les traces laissées par les drames du proche Far-W est : les
cinéastes américains ne Lardèrent pas à comprendre tout le parti q u ’ils
pouvaient tirer d’une histoire contemporaine si intimement lice à la vie
de beaucoup de leurs spec la leurs. Si l’on se rappelle l’attrait qu’eurent
pour les foules du vieux continent ces prestigieuses évocations d’histoires
romancées, il est facile d’imaginer la résonance qu’elles trouvèrent auprès
du public américain. Le Western — précisons que nous ne traitons ici que
du W estern non-üctif, c’est-à-dire que les bandes de série Z n ’entrent pas
dans celte catégorie — établit donc une correspondance entre passé et
présent par le truchement de la caméra. On a écrit, avec juste raison, qu’il
est la Geste moderne par excellence; comme tel il possède donc u ne généa
logie qui interdit de le considérer comme genre artificiel et gratuit. Les
tenants de cette conception ne veulent retenir que les œuvres des Alexandre
Dumas d'Hollywood dont ils seraient les premiers à dénoncer les infidé
lités à l’Histoire s'ils connaissaient l’Histoire de l’Ouest américain. Or
la m ajeure jparLie des scénarii ressortissent à l’épopée non pas dans ses
grandes lignes, dont les manuels peuvent nous instruire pourvu qu’oî?
les ouvre, mais dans ses anecdotes les moins connues dont il apparaît
nécessaire de s’instruire pour juger de la valeur du fond. La première
littérature typiquement américaine naquit du reportage vécu dans les
contrées de la frontière. Fenimore Cooper, W ashington Irving en furent
les premiers auteurs, ouvrant ainsi largement la voie à une littérature
spécifique de l’Ouest, la « W estern S tory » de la seconde moitié du siècle
dernier. Puisant elle-même ses documents dans la réalité quotidienne,
deuxième degré d’un folklore en constante élaboration, la nouvelle W es
tern S tory ne peut ère suspectée de déformation car son rôle, à l’instar
des articles rédigés pour.les journaux et magazines .de l’Est, procédait
également de l’information. La fiction intervint qui respecta cependant
les données initiales matérielles et humaines; peu à peu s’écrivit la ge^te
de l ’Ouest — dont le Western continue l’évocation en la dotant des
pouvoirs de l’image — que certains écrivains, spécialisés dans la W estern
Story (Bret Hai’te, Mark Twain autrefois; Ernest Haycox, Zane Grey,
W alter Van Tilburg Clark de nos jours), savaient recréer avec un très
estimable talent de nouvelliste ou de romancier.
La vieille Europe ne- peut ignorer aujourd'hui les troubles de crois
sance de l’Ouesi américain dont la pénétration par les Blancs constitue
l ’un des grands faits historiques et sociaux du siècle dernier. Bon gré,
mal gré, elle s’en instruit et s’en divertit; paradoxalement, car le specta
teur se défend bien de croire le moins du monde aux histoires en images
habilement rythmées qu’on lui présente. Il en sourit car voilà beau
temps qu’il sait que le Western « c ’est pour les gosses». Pas plus que
certaines fables du bon La Fontaine. L’historiette du « cartoon » sur pelli
cule du samedi soir n ’est rien moins que de lTIisloire; une Histoire qui ne
se contente plus aujourd’hui de relater les seuls événements mais qui
s’emploie à étudier les caractères des hommes qui l ’écrivirent. Elle vint
ju sq u ’à nous sous cette forme séduisante parce que le film connaît une
plus large audience que le texte, parce que le texte semblait trop faible
malgré tout le talent de ses rédacteurs pour traduire tout le dynamisme
de son contenu. Que des motifs moins purs aient poussé les réalisateurs
des premières bandes, rien de plus certain; disons, à leur décharge, qu’ils
ignoraient, ce faisant, le sens qu’allait prendre l’œuvre dont ils posaient
les premiers jalons. Edwin Porter (Le vol du rapide, 1903) ne prévoyait
point que Paul Panzer, exploitant la gloire de Buffalo Bill, consacrerait
à celui-ci une biographie filmée, la première du genre (1907), et que
Gril'fith immortaliserait le sacrifice des Texans de San-Antonio (Les
Martyrs de VAlamo, 1908) et celui des cavaliers du Régiment Custer (Le
Massacre, 1912). Dès cette époque, les directions différentes s ’affirmaient
qui constitueront les origines des divers cycles discernables dans l ’énorme
production Western. Du fait-divers (Porter) à la re-création de l’événe
ment historique (Griffith) la conversion fut rapide, sans impliquer, on le
sait, la disparition de la première formule. L’orientation était désormais
acquise: l’Histoirc revivrait à l’écran, aussi complète que possible — et
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les sujets ne manquaient pas —, la fiction ou l'anecdote civile alimen
terait les bandes sans prétention du cycle de la frontière. Classification
trop sommaire qu’il faudrait morceler en nombreuses subdivisions :
guerre indienne, guerre de Sécession, pionniers en marche vers l’Ouest,
ruées vers l’or, biographies de personnages célèbres (outlaws ou justi
ciers) pour Je cycle historique ; diligence attaquée, usurpation de droits de
propriété, vol de troupeaux, hold-hup pour le cycle de la frontière. Toutes
situations inspirées de la réalité la moins contestable.
Aboutissement d’une évolution complète dont la rapidité est la carac
téristique essentielle, la saga cinématographique de l’Ouest cristallise sur
Técran ce que le folklore puis la littérature rapportaient de diffus, d’impli
cite de la vie d'une région fortement marquée de caractères physiques et
moraux exceptionnels. Cet aspect insolite des uns et des autres, les circons
tances étranges qui les provoquèrent, l’étalage de violence que rapporte
le W estern,ont tout d ’abord surpris le public; plus familiarisé aujourd’hui
avec le genre, on aimerait penser qu’au travers de tant de films si obstiné
ment attachés à reproduire les mêmes situations (ressemblance toute exté-
rieureissue du cadre, du costume, des personnages standardisés) il avait
su découvrir les réalités historiques propres à l’époque et au pays. Seul
un « Gallup » pourrait nous renseigner sur ce point. Il semble au contraire
que, confirmé dans cette conviction par la critique qui l’empêche d’accor
der quelque créance au x scénarii illustrés, il continue de n ’v voir que du
merveilleux.
Analysons donc, par exemple, deux W esterns réalisés par John Ford :
La Poursuite Infernale (My Darling Clémentine), 1946 et Le Massacre de
Fort-Apache {Fort-Apache), 1949.
Disons tout de suite que les critiques ont des excuses. Les distributeur.?
(la Fox en l’occurence) trouvant généralement plus utile de composer
un press-book avec le pathos publicitaire habituel que de fournir à la
presse française la documentation objective qui situerait le W estern dans
une culture américaine littéraire et historique. Peut-être eut-on évité au
film le piètre accueil dont voici quelques échantillons :
8
W illiam S. ITarl d a n s L ' h o m m e a u x clairs, de T hom as H. Ince (1016).
9
T h e Peace of Roar ing Rive r, avec Pa u lin e F r e d e ric k (1917).
10
Tom M ix da n s 500a P o lia r s offerts, d e G elle F o rd e (1931).
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les circonstances Lactiques dans lesquelles s’engagea ]e combat final
demeurent qui permettent de déchiffrer à coup sur cette nouvelle « histoire
à grille »,
On se souvient du scénario : les Indiens exterminent un régiment de
cavalerie dont le colonel, bien que responsable du désastre qui lui coûta
la vie, fera figure de « héros » pour la postérité que lui fabriqueront les
journalistes. Admirable étude de caractère, moins apologie que critique
sévère d ’une volonté de puissance coupable, ce film posait ouvertement la
question de la responsabilité du chef. On verra qu’il y avait de la part de
Ford un certain courage à attaquer ainsi un chef de guerre parmi les plus
renommés qu’eût connus l’Amérique dans la deuxième moitié du siècle
dernier. Loin de toute affabulation, le scénario tiré de l’œuvre de James
W arner Relia h emprunte- a l ’histoire- militaire de l’Ouest l’un de ses
épisodes les plus tragiques pour les armées de W ashington : le 25 juin
1876, la colonne du général Georges Armstrong Custer fut taillée en pièces
par les Sioux de Sitting Bull, sur le Big Horn, rivière des Blacks Hills
(Wyoming). Imputable à Custer, et à lui seul, cette défaite eut un énorme
retentissement aux Etats-Unis, aussi un bref rappel de la conjoncture
politique intérieure, animée par la question cruciale de la guerre indienne,
semble-t-il indispensable pour juger, en toute objectivité, de la valeur
documentaire du film de John Ford.
La guerre indienne bénéficie dans le Western d’une faveur exception
nelle qui incline le spectateur à la considérer comme répondant au 'désir
unanime de l’opinion publique américaine. Il n ’est que trop vrai que les
Indiens, chargés de tous les torts par les scénaristes ès-westerns, doivent
être extermines à la dernière bobine pour permettre à la civilisation,
concept idéologique qui présida à la marche vers l’Ouest, de conquérir les
lerres détenues ju sq u ’alors par les Peaux-Rouges sauvages et improduc-
(ifs. Pourtant la réalité des faits, celle de l’opinion des contemporains
oblige à réviser un jugem ent hâtif qui ignore certaines tendances de cette
13
P resq u e tou s les « w e ste rn s » so n t .to urn és d a n s l ’Utali près de Moah. Ci-dessus ;'i « a n ch e : Sfn£-ecf>«cU de
Jo h n F o r d (1939 V ; à droite : Ciinarron de Woslcy K uggles (1931).
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D an s tou s les w estern s il y a u ne ville cliampisrnon avec sa classique ru e c en tra le et le n o n m oins
classique « suloon » où l ’on jo u e a u x cartes avec le pisto let su r la ta b le (My D arl ing C lé m e nt in e , de J o h n
Ford, 1946). On re c o n n aîtra p eut-être à g a u ch e H e n ry F o n d a et I.ind a D arnell.
signés et rompus, doit être sérieusement considérée. Qui. dans une telle
campagne, montrera pour égaler son autorité une telle expérience, une
bravoure sans égales ? »
On connaît la fatale issue de cette campagne parce que John Ford l’a
fidèlement reconstituée et la valeur de Fort Apache vient, à nos yeux, de
l’excellente étude du caractère de ce colonel Thursday en qui revit Gustev.
Les motifs de cette mutation au poste perdu de Fort Apache (nom im agi
naire, lisez Fort Lincoln, Dakota Nord) demeurent cependant assez obscurs
s’ils ne sont pas taux et lorsque nous voyons en Thursday un officier
rétrogradé, désireux de reconquérir les galons perdus, le débat personnel
du vrai Custer paraît autrement complexe. Celui que ses soldats et la
presse saluèrent, à 25 ans, du titre affectueux avant que glorieux de « Boy
General», en égard aux.succès remportés par ses troupes durant la
Guerre Civile; souffrait à 35 ans de se voir bientôt éclipsé par des chefs
plus jeunes dont la renommée effacerait la sienne, maintenant déclinante,
dans l’esprit du public. Le désir ardent d’effacer les bévues commises par
lui à W ashington lors d’une trop impétueuse intervention qui souleva le
scandale du W ar Département; le souci d’être toujours à la première
place qui procurait triomphe et acclamations*, le goût du spectacle et de
la parade militaires qui eurent attiré sur lui les regards des bureaux de
Washington poussèrent Custer à agir le premier, malgré les ordres
formels de son supérieur, le Général Terry, responsable d’un plan de
bataille assuré du succès. Et les 700 hommes du 7e de Cavalerie succom
bèrent devant la fougue hystérique des 2.000 Indiens de Sitting Bull. Le
vieux chef indien eut à se défendre, dix ans plus tard (1) contre la ran
cœur tenace de l’opinion publique qui l’accusait d’être le meurtrier de
Custer :
« Je n ‘ai pas tué Custer. Lui et ses soldats vinrent pour nous détruire.
Nous nous défendîmes mais personne ne connaît le meurtrier de votre
(1) Sitting Bull sollicité en 1885 par Bill Cody pour paraître dans son fameux
cirque «B u ffalo BilFs Wild W est S lio w » , accepta. Devant l ’hostilité du public, il
préféra partir et fit cette déclaration à Cody rapportée par Shanon Garst dans
«on « Buffalo Bill ».
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chef. C’claü un homme brave et admiré de nos guerriers. Nous luttâmes
pour nos terres et nos vies. Maintenant c’est du passé. Nous attendons la
mort. »
Ainsi naquit la Geste de G.-A. Guster, le Roland ^américain du siècle
dernier. Avons-nous, dans ce cas particulier, un exemple de Western où
l’héroïsme n ’est que celui d’un scénariste bien intentionné et docile à. une
tradition cinématographique ? Le résumé des circonstances réelles, qui
amenèrent ia rencontre illustrée par John Ford devrait interdire de le
penser. Frank Nugent. son scénariste, eut en définitive une part minime
dans son adaptfdion à l’écran et nous pouvons considérer Fort-Apache
comme un type de la Geste W7estern à l ’état pur. Le l’ait se suffisait à
lui-même. Signalons cependant quelques légères modifications motivées
p ar les exigences de l’adaptation dont la principale, dans le cas présent,
était de condenser en un temps très court le résultat d ’une situation
complexe où action et étude psychologique furent inséparables. Nous
avons dit qu’elle terminait une période de l’histoire intérieure am éri
caine dominée par les problèmes des relations américano-indiennes. Ce
dernier aspect, important pour qui cherche dans ce film une valeur de
témoignage, a été adroitement inclus dans le scénario. Avant la bataille,
le chef indien expose au colonel Thursday, entouré de son étàt-major, les
griefs de sa race contre la politique des Blancs, c’est-à-dire les arguments
mêmes qu’exposaient alors le B o s t o n P o s t dont nous avons rapporté un
extrait. Qu’ils aient été ceux d’une faible partie de l ’opinion publique c’est
probable, mnis ils furent exprimés et l’opposition qu’ils traduisaient exista
réellement. Où est donc la fiction ? Reconnaissons l’exactitude des faits
illustrés dont le simple bon sens commande d’oublier très vite l’obliga
toire intrigue sentimentale destinée à les « fa ire passer».
Que ces films s’inscrivent dans le cycle de la Frontière, individuel ou
de la guerre indienne, dans celui de la Guerre de Sécession, le Western
Jo1ih Cnrnuîhic et Tyrone Power dans lessc James d ’Hcnry Ki«K (1930).
16
reconstitue patiemment, comme un gigantesque puzzle, 1’liisloire du Nou
veau Monde. L’Amérique contemple ses héros à travers le Western comme
nous cherchons les nôtres dans les récits de l ’histoire officielle ou ceux
de la (( petite histoire » ; mais le texte ne peut que les figer dans un passé
qui, si caractérisé soit-il, demande à l'imagination du lecteur le secours
indispensable à leur « animation ». Du domaine social au domaine mili-
Laire. de l ’anecdote civile à l’cvénement qui bouleversa l’opinion publique,
des exploits d’un bandit célèbre à ceux d’un capitaine, le passé de l’Ouest
américain revit sur les écrans. Chaque région des Etats-Unis connut ses
troubles particuliers; leur commune mesure reste la violence parce que
beaucoup de gens convoitaient les mêmes richesses et peu furent capables
de garder une tête froide aux instants critiques. Venus imposer leur m ar
que à un pays, celui-ci les forma, auparavant à son image et les instruisit
de leur ligne de conduite; c’est la première excuse des » bad m ens»,
obscurs ou célèbres, que le W estern incite à considérer d’un œil indulgent.
Ils ne sauraient recevoir leur grâce du seul film et, si le cinéma la leur
accorde une nouvelle fois, c’est davantage une confirmation publique
devant des millions de spectateurs qu’un acquittement à titre posthume.
Jesse James, le brave Jcsse, Bill ïïickok et bain Bass connurent de leur
vivant la plus flatteuse renommée tandis que W yatt Earp et G.-A. Custer
ne sont que \'incarnation différente d’u n même idéal dont la saga am éri
caine, confiante et magnanime, s’emploie à perpétuer le souvenir.
Il faudrait développer cette notion de saga, en expliquer la genèse,
revenir vers le folklore et la littérature Westerns afin de donner plus de
poids à notre démonstration. Si l’on excepte, comme nous l’avons souligné
précédemment, les films de pure fiction dont la seule toile de fond est
valable, soyons cerLains de la réalité de l’événement illustré par les réali
sations des maîtres du genre. A ceux qui pensent que « Le Texas et VAri
zona tels que nous les voyons n ’ont jamais existé », nous recomman
derons plus de réflexion dans le jugement et Ja lecture intensive des
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auteurs de Western S tories. Loin de l’outrance de la fiction, proche d’une
réalité trop méconnue, le Western, expression d’une mythologie typique
ment américaine dont les héros et les dieux composent mille figures
épiques, déroule sur les écrans de l’Univers une nouvelle, gigantesque et
vivante Tapisserie de Baveux. _ _ _
1 Je a n -L o u is R ie u p e y r o u t
NOTE.
Cocteau (à propos de Carmen du Klondijke, 1915-1916) en 1919 : « M onsieur
Ince peut être fier car un pareil spectacle égale dans le souvenir les p lus b eau x
livres du m onde ».
Delluc ( à propos de La Conquête de YOr) in G i n é m a g a z i n e , 1924 : « Ce que
l ’Art ciném atographique a produit de plus surprenant.,, et le m ouvem ent court,
court, nous arrache de notre place, et nous fait bondir le cœur. Galopades folles
—anais neuves — sur des routes lum ineuses, dans des vapeurs lyriques de p o u s
sière, dans une p récision sauvage et ardente de verdure, de veut, de so le il qui
fait crier d ’adzniration. Thomas In ce est le m aître du cinéma. »
Moussinac in L ’A g e i n g r a t d u C i n é m a , p. 35 : « Thomas In ce se révélait
comme le prem ier poète de l'écran. Il y apportait une fougue étonnante, une
puissance qui y exaltait dans la m inutie et un lyrism e qui em portait l ’enthou
siasme... ».
D elluc in G i n é m a g a z i n e , 1923 : « J e pense que Rio Jim est la p rem ière'fig u re
campée par le Cinéma : c ’est le prem ier ty p e et sa vie, le prem ier thèm e réelle
m ent cinégrapliique déjà classique, l ’aventure de l ’aventurier qui ch erch e fortune
au Nevada ou dans les Montagnes R ocheusses, qui arrête la diligence, p ille la
poste, violente le dancing, brûle la m aison du pasteur et épouse la fille du
sheriff : v o ic i un thèm e établi, si établi que vous le jugerez banal désormais. Mais
on en a pas trouvé d’autre encore aussi net et aussi attachan t».
Bonneau in Cinémagazine, 1926 : « W illiam Hart peut com pter p arm i les plus
grandes figures que récran ait vu défiler jusqu’ici ».
18
CHRISTIAN BËRARD
parle de la couleur »
par
Pierre Michaut
19
C hristia n Bérard : proje t de décor pour Ju lie tte ou la Ciel J es Song es.
— et Jean Cocteau dut le lui confirmer — que pour les deuxièmes plans, il ne
pouvait être question de faire exécuter des costumes particuliers; il fallut se
contenter de « costumes classiques » de studio. Il ne se tint pas pour battu, et
on le vit s’acharnant sur chacun, décousant et transform ant robes et pour
points !
20
C h ristia n Itérard : projet tic d écor p o u r Juliette ou la Clcj (les Soufres.
Pour UAigle à deux têtes (1948), Bérard établit tous les croquis des décors
-et des costxnnes, que réalisa ensuite Wakliévitcli. Sur le plateau, constamment
auprès de Jean Cocteau, 0 1 1 le voyait traduire dans le domaine plastique les
indications ou les intentions de Cocteau -— dessinant aussi vite et aussi adroi*
teinent des deux mains,.. -— La veille du début du « tournage », il était venu
visiter l’installation du décor, révisant tout le dispositif, modifiant un arran
gement, déplaçant des objets. L’énervement des témoins de cette scène se
changea bientôt en admiration pour l’extraordinaire sûreté de ses retouches,
•qui aboutissaient à une création d’ambiance très expressive et originale.
Et de même pour Les Parents terribles (1948) ; c’est à lui, par exemple,
qu’on doit le détail de la porte battante de l’armoire, que chacun repousse
en passant, et qui se rouvre aussitôt : éloquent symbole de désordre matériel
•et moral: une lampe gênait Cocteau pendant le travail : Clmstian Bérard la
couvrit d’une mousseline qui transforma cet accessoire « négatif » en un
•élément d’expression précieux.
Sa rép u ta tio n de fantaisie, de n onchala n ce, v o ir e de bizarrerie, cédait devant
l e sérieux, la m é th o d e et l ’a p p lica tio n de son travail. N u l d étail n ’était in d ig n e
de ses so in s; i l se d ép en sa it p our la p lus p etite ch ose, p our u n d éta il e n
ap paren ce terre-à-terre que d ’autres eussent négligé. 11 avait le sens d e l ’effi
cace : alors q ue b e a u c o u p en co m b re n t leurs p réparations (m aquettes, aussi
b ie n que d écou p ag e, d ialo g u es ou partition) d ’élém en ts ou de détails q u i ne
p e u v e n t « v en ir à l ’écran » et q u ’on doit retran ch er au fur et à m esure, lui,
.au contraire, « v o y a it juste » : il savait discerner et conserver l ’essentiel. B ien
21
loin, enfin, de <<:travailler dans le génie », il se contentait de peu, de ce qu’i l
avait à sa disposition, s’enfermant dans le devis prévu, ennemi du gaspillage
et, comme tous les grands artistes,, apportant beaucoup de lui-même.
Auparavant, Christian Bérard avait préparé, durant tout un été, avec Sir-
Alexandre Korda — plus libre e^i Angleterre pour le choix de ses collabora
teurs artistiques que les producteurs français — avec la vedette Merle Oberon,
une Manon Lescaut, en couleurs, que la guerre avait fait ajourner. Des Etats-
Unis on lui avait demandé une décoration pour le film Goldwyn Follies (en
Technicolor) qui comprenait deux ballets réglés par Georges Balancliine,
ami de Bérard.
Dès 1945, Korda avait repris des conversations; pendant plusieurs semaines
Bérard avait travaillé avec Gabriel Pascal en vue d’une Jeanne d’Arc qu’il,
était question de tourner à Londres, en Technicolor.
— a La couleur, en effet, nous disait Christian Bérard, rendra l ’interven
tion du peintre presque absolument nécessaire. Dans ce domaine on ne pourra
guère se passer de son sens de la couleur. Lui seul pourra rendre la cohésion à
l’ensemble décoratif, c’est-à-dire concevoir les costumes et le décor en fonction
d’une harmonie recomposée,
« Mais surtout, poursuivait-il, l’apport du peintre, son rôle essentiel au
cinéma devrait être un apport d’idées. Un film est généralement un récit : mais
c’est aussi, et surtout, un spectacle. Il ne faudrait pas limiter le rôle de peintre
à une simple décoration, le réduire à dresser un fond derrière les acteurs. Au
lieu de se borner à im travail de praticien, le peintre doit être appelé à prendre
une part active dans ce travail de collaboration qu’est la composition et la
réalisation du film. On sait de quelle façon le Ballet s’est renouvelé et enrichi
en faisant collaborer intimement le peintre et le musicien avec le chorégraphe.
Le cinéma devrait avoir l’ambition d’un enrichissement de même valeur ».
Ainsi, nous rappelait-il encore, pendant la préparation de La Belle et l(t
Bête, Christian Bérard avait amené Jean Cocteaii à modifier certains aspects
de son film selon ses propres idées de peintre. Comme il s’agissait d’un conte
de fées, il fallait s’évader du réalisme, et ainsi l’idée décorative l’emporta sur
le décor proprem ent dit. Cependant plusieurs idées n ’ont pas pu être réalisées î
par exemple, à un certain moment, on poussait une porte, mais au lieu d’ouvrir-
sur une autre chambre, elle découvrait le plein ciel,.. Ainsi, le rôle du peintre
ne devrait pas se limiter à dessiner une corniche ou un panneau en trompe
l’œil !
— « A l’écran on a trouvé jusqu’ici, surtout, disait encore Christian Bérard,
de très belles compositions d’atmosphère; et c’est une des supériorités recon
nues partout au cinéma français- Meerson, qui était un poète, en avait le
génie.,.; sa composition pour Sous les Toits de Paris reste mémorable et avait
été pleinement digne de l’inspiration de René Clair. Il avait, à un point élevé,
le sens de la poésie. La foire foraine du Quai des Brumes avait été également
une réussite extraordinaire. Et dans Les Enfants du Paradis de Carné, la
22
prem ière apparition de Jean-Louis Barrault était, par la valeur du costume
-et celle du maquillage, une œuvre de peintre, « un Daumier traité dans le
vivant... ». Caligari, autrefois, fut une superbe réalisation de décor drama
tique. » Christian Bérard nous parlait aussi de la réussite décorative d5Autant
-en emporte le Vent et « du rôle tenu par l’escalier » •— il venait de voir à
Londres ce film, encore inédit à Paris.
— « Le théâtre et le cinéma, d’ailleurs, semblent, poursuivait-il, se préparer
-à accentuer leurs rapprochements. » Ois ou Welles, disait-il encore, entre autres
innovations sensationnelles qui avaient bouleversé les saintes routines d’HoIly-
wood, lorsqu’il préparait et réalisait son fameux Citizen Kane, avait imposé
une intégrale unité de conception, réglant non seulement la mise en scène, mais
aussi la composition visuelle totale : cette révolution, qui ne contribua pas peu
-à refermer sur lui les exclusives hollywoodiennes, reste, à cette période de son
développement de créateur, son apport personnel sans doute le plus impor
tant. « Qu’on songe, disait en term inant Christian Bérard, à ce qu’auront
apporté au Théâtre les Picasso, André Derain, Raoul Dufy, Brianelion, Cas-
.sandre — (ajoutons, bien entendu, Christian Bérard lui-même) et hier encore
Baltlius et Clavé -— il y a là un enrichissement, une voie d’avenir. »
Et, pour finir, revenant sur l'exclusive qui mesurait (ou refusait) aux pein
tres leur place au studio, et faisant allusion aux offres qui lui venaient d’Angle
terre et des Etats-Unis, Christian Bérard nous disait : « Il serait dommage
■que l’étranger nous devance en nous empruntant nos propres richesses. »
P ie r r e M ic h a u t
C h ristian Üérard : projet, (le décor p o u r Juliette oit la Clef des Songes.
23
Sur une première expérience
à
LA TÉLÉVISION
par
Claude Vermorél
24
mise au point valable pour des confrères de ce que peut être dès maintenant la
« télévision d ’une pièce »? et pour moi-même l ’essai dans des conditions trop
difficiles pour qu’elles aient pu vraiment s’éprouver, d ’un certain nombre
d'idées qui me paraissent bonnes pour la Télévision.
Ou plutôt pour les Télévisions.
Dans dix ou vingt ans j ’espère bien qu’il n ’y aura de commun entre elles
que le poste récepteur. Et que la projection d ’un film à la fois sur grand et
petit écran, la réalisation fspéciale d’un téléfilm, la présentation d ’un spectacle
en cours sur une scène, la chasse aux images de la rue, la mise en scène directe
ou enregistrée d’un ouvrage dramatique auront leurs lois, leurs conventions et
leurs techniques propres. ,
Celui qui croit que la télévision tuera le cinéma ou les autres formes de
spectacle me paraît aussi peu clairvoyant que ceux qui assuraient que le cinéma
liquiderait le théâtre et que le public de la radio déserterait les galles de
concert. Les hommes ont besoin de se distraire ou de s’émouyoir en commun.
Mais celui qui ne voit pas quelle révolution, quels rapports nouveaux la
télévision va établir dans, toutes les formes du spectacle actuelles ou imprévues
est plus aveugle encore. Et le créateur qui ne songe pas à ce proche futur où.il
faudra parler non seulement à des milliers de foules mais à des millions d’indi
vidus, est bien peu soucieux de son propre avenir.
Il est donné une chance à la télévision française, qui .techniquement (1) est
paraît-il la meilleure, c’est pendant deux ou trois ans encore, de n’avoir ni
grand public, ni commanditaires pressés à satisfaire. Ni crédits : certains de
ses animateurs vont jusqu’à s’en féliciter; .la pauvreté, disent-ils, excite l’ingé
niosité, les difficultés créent parfois des hasards heureux.
Mais il est un minimum de moyens sans lesquels toute mise au point, toute
recherche est trop difficile; il est une accumulation de difficultés inutiles qui
décourage le talent et l’effort. Je préférerais personnellement, si excitantes que
soient les acrobaties sans filet, travailler à l ’avenir avec et non pas contre une
organisation. J ’admire que les travailleurs de la télévision puissent s’accommoder
de cette bohème technique (et de salaires dérisoires). Il y a certés rue Cognacq-
Jay comme dans toute industrie naissante, des amateurs, des fantaisistes, des
fatigués d’avance. Il y a aussi des passionnés, des chercheurs, d ’excellents tra
vailleurs, un personnel de plateau habitué de faire du miracle une prouesse
hebdomadaire. Faute d’argent, l’administràtion est souvent obligée de dire non
à leurs initiatives et de leur refuser le nécessaire.
L’immeuble a peut-être été conçu pour être un laboratoire entouré de
bureaux. Il ne peut pas être un centre de productions importantes. Tant que
la télévision ne disposera pas d’un budget suffisant, d’un complexe de studios
comme celui des Buttes Chaumont par exemple, dont elle projette l’achat, elle
se condamne à certaines routines de travail, elle se ferme à des réalisations
ambitieuses qui reculeront devant l ’accumulation journalière des difficultés.
Qu’on ne tienne donc ce qui va suivre que comme un ensemble de réflexions;
limitées et datées. Sur la télévision « en direct » d’une pièce. ,-
! 25
. . . Jeanne avec nous iu’a paru pouvoir être ùnê bonne matière de théâtre télé-
visable. Un visage de femme qu’on accuse, et qui souffre, un cercle d’autres
-visages autour d ’elle et la dominant; une chapelle, une prison. C’est-à-dire siir
lé plan technique, la possibilité naturelle de vues en plongée et contre-plongée,
de gros plans fréquents, de contrastes de lumière, prétextes que n’ofl’re pas
toute pièce de théâtre. Picturalement, les problèmes qui ont pu se poser à
Dreyër pour son Procès de Jeanne d ’A rc, avec deux différences plus que
majeures : il he s’agissait ni d’un film, ni d ’un art muet; il s’agissait dé réaliser
sans interruption ni ratures deux ou trois cents imagés mouvantes tandis que
jouaient les acteurs. : ' y.
Pratiquement il m ’était donné à l’origine du projet une dizaine de répéti
tions pour le téxte et les places, une dizaine d ’heures pour la répétition devant
les caméras.,Ai-je bësoin de répéter ce que chacun sait rue Çognacq-Jay : aucun
travail sérieux n ’est possible dans u n temps aussi réduit. On commence à répé
ter une pièce au-moins un mois avant ses représentations. Un acteur a besoin
d’un minimum de jours non seulement pour apprendre son rôle, mais pour
entrer dans sqn personnage. A plus forte raison pour-noter sans faute des
dizaines de mouvèm'cnts prévus pour des cadres précis. Les dirigeants de là
radio qu i'o n t réglé les'premières habitude^ du travail ont sans doute oublié
que l’acteur devant le micro n ’a pas à apprendre , de texte ni à songer Ji des
places ou à des appareils.
Exceptionnellement, j ’ai pu obtenir une dizaine de répétitions supplémen
taires; plusieurs acteurs avaient joué déjà la pièce; je pouvais sur le papier
régler iissez facilement la mise.en scène d’une œuvre que je connais par cœur
et que j ’ai vii jouer des dizaines de fois. Mais j ’imagine un "réalisateur qui
essaie de se colleter avec une œuvre draihatique en dix séances. Le premier
problème de la télévision c’est la préparation::. Il y a deux mois il n ’y avait pas
de salle de répétition. Il en.existe ime, une estrade dans une salle d’audition
aménagée pour la radio. Quels que soient les futurs stiidios de la télévision, que
leurs constructeurs songent qu’on diminuera de moitié le prix de revient des
émissions en aménageant deux salles de répétitions pour un plateau de prises
de vues; salles aveb meubles, accessoires, tracé'du décor sur le sol^ praticables
et caméras, factices qui permettent d’éprouver les cadrages incertains.
-, Un seul décorateur doit faire face à cinq ou six commandes hebdomadaires
et son service prévoir d’une nuit à l ’autre le montage et le démontage, jNous
représentions le meilleur des cas, le travail le moins improvisé; c’est-à-dire que
pour une émission passant le lundi, j ’ài vu huit jours avant le décor en plan,
cinq jours avant une des maquettes, l’autre la veille de la construction, que le
.dimanche les acteurs ont commencé à répéter pour, les caméras dans un décor
inachevé, que le chef-opérateur Lemare a réglé ses lumières tandis qu’ori ache
vait de peindre;.. Lorsqu’on onze heures il faut régler, si précis .qu’ils soient sur
le papier, les mouvements de deux appareils l ’un sur grue, l ’autre sur chariot,
pour 1. h. 45 de spectacle, il reste peu de temps pour fignoler décor, accessoires
et’costumes. C’est pourtant ce qu’il faut faire, avec des collaborateurs^ dévoués
mais démunis. A utre suggestion à l ’adresse des futurs organisateurs : Faire
étudier par' les réalisateurs des listes d ’accessoires, de premiers plans, de détails,
de costumes qui doivent être en stock sur place. Avec deux bandes d ’étoffe, j ’ai
transformé un uniforme d ’officier en silhouette plus moyennageuse, avec une
seule, à peine épinglée, caché des boutons trop actuels. Le petit écran permet
26
de simplifier le costume à ses lignes. Des détails qui choqueraient sur une scène
ou siur la toile blanche passent inaperçus. Des vêtements exacts et compliqués
très beaux grandeur nature font en réduction un fouillis sans intérêt.
Sur une seule expérience portant sur deux décors, je ne peux dire que ce
qui m ’a paru bon et moins bon. Je ne suis pas sûr par exemple que les grandes
surlaces nues conviennent à la télévision. L ’œil veut s’accrocher à des détails.
Les plans rapprochés n ’ont pas besoin de fond, mais le même angle du décor
sert aux ensembles et aux panoramiques comme .aux plans rapprochés. De la
répétition à l ’émission, après avoir vu l ’image j ’ai fait dessiner des pierres sur
un mur nu, accrocher une grande croix sur un espace vide: si le temps n ’avait
manqué — ou la préparation — j ’aurais demandé des meubles aux formes
moins schématiques, et des valeurs plus contrastées que soulignées. v
i Ce qui nie paraît excellent pour la télévision — je lie supposais et je J’ai
vérifié — c’est au premier plan l ’accessoire, l ’ombre portée, la découpure ou le
dessin où s’inscrit l’acteur. Toujours pour la même raison : le petit écran sim- ‘
plifié, le fouilli d ’une photo, les détails de la vue cinématographique disparais
sent ou se neutralisent. Ce qui sérail riche sur grand écran devient, sur le petit,
brouillé ou plat. L ’image téléviséè est une perpétuelle construction. La belle
image n ’est pas un hasard, c’est une volonté de rapports simples. Beaucoup de
recherches des années 1920-28 abandonnées vont se réemployer; le détail
symbolique, le gros plan a parlant », les enchaînements expressifs, les déforma:;
lions d ’images, en uri mot le choix artistique, l’isolement calculé du geste et de
l’accessoire en vue d’un effet. Un décor de talent ce ne sera pas un complexe de
murs et de surfaces,mais un complexe d ’idées. Il me semble que la prison de
Jeanne, pour les téléspectateurs. ;ce fut avant tout ce jeu, cette ombre, ce
rappel, cette interposition obsédant^ de la grille entre eux et les visages des
acteurs. ”
Quel que soit le nombre des décors et les allées et venues des personnages; '
le metteur en 1scène de télévision — en France — dispose dé deux caméras '
seulement. Pour multiplier les angles, j ’avais besoin d’une grue; Mais lois-
qu’ime caméra a été fixée sur la grue on né peut plus l ’enlever en cours d’éruis*
sion. Et le chariot de cette grue, conçue pour le cinéma —- c’est-à-dire pour
quelques plans seulement, est très lourd et très encombrant; il ne peut se
mouvoir qu’hors antenne. Si on le pousse dans un décor exigu l ’autre cameia
ne peut venir y prendre le relais. Je laisse deviner la commodité du réglage d es
plans pendant des répétitions-éclair, et la présence d ’esprit requise des came
ramen qui doivent après une seule répétition se souvenir le lendemain sur; un
simple rappel au casque d ’une cinquantaine de ces déplacements. Il est possible
d ’ailleurs que quelque chose de ce sentiment perpétuel d ’une catastrophe sans
cesse repoussée, dé cette tension de, tout le plateau vers une difficile réussite,
passe sur l ’antenne et soit un des éléments de la légère hypnose que subit le
spectateur devant le téléthéâtre.
Un fragment de découpage fera mieux comprendre. L ’entrée de l ’accusée :
« Le bras de la grue vient en position D, \ '
le I cadrant de profil Lemaître e t Cau-
c h o u , e n p r e m i e r p l a n , l é g è r e m e n t sur* ^
p lo m b é s. L e m a ît r e
/ , ' • Passons sur les cheveux, nous allons-
27
bien lés voir. Mais que dit-elle, que
fait-elle ?
: - ’ ' " I
Cauchon se tourne vers lui. Cauchon
Elle a commencé de comprendre que
le moment n ’est plus aux comédies.
Je ne l’ai pas vue si batailleuse,
Courcellës, ni si docile. Plutôt dé
primée, docile;. une marionnette
dont les fils sont coupés. Ce sera
vite fait.
28
Au cinéma ce serait tout simple. Quatre plans successifs : trois ou quatre
heures. A la télévision, il faut: répéter cinq ou six plans à la suite et compter
avec les champs limités les angles impossibles, le micro en place en perm a
nence, le temps pour la caméra hors antenne de se déplacer, pour l ’acteur de
courir dans le contre-champ, etc... Un quart d ’heure pour régler tous ces pro
blèmes prévus ou imprévus. Un quart d ’heure pour le tout, pour six plans. Une
seconde répétition de la séquence si on n ’est pas trop pressé. On passe à la
suite. Et tout doit marcher le lendemain à 21 II. 30. toutes séquences enchaînées.
Je m ’aperçois que je pourrais bavarder longtemps encore et la place me
manque. Je n ’ai esquissé, chemin faisant, que les problèmes qui se posent à la
transmission d ’une pièce. Et aujourd’hui. Il y en a bien d ’autres, qu’on aborde
à peiné. Ce que doit être un découpage. Ce que sera ce technicien des manettes,
spécialiste encore à form er, auxiliaire du réalisateur, équivalent du mouleur
de films, mais qui le fait pendant le tournage et dont la spécialisation libérera
le m etteur en scène d’un souci qui doit rester mécanique. Ce que doit être le
jeu même de l’acteur. Et ce que sera la publicité d’une pièce en cours dont on
passera des scènes choisies sur le petit écran lorsque le nombre des postes sera
suffisant pour allécher les directeurs. Et ce que sera le théâtre lui-même :
conçu à la fois pour la scène et l’écran, ou au contraire différencié dans sa
technique et ses moyens selon que l ’auteur songera à, la .scène à 'l’italienne,.'à
cette estrade devant six cents paires d’yeux, ou à cette identification d ’un seul
regard à la mobile caméra qui accompagne, qui oppose les acteurs, choisit,
définit, circonscrit dans le jeu et l ’action, au moment optimum, ce qui doit être
vu et entendu, et qui libérera cette action et ce jeu, du cadre séculaire des trois
murs et d ’un seul angle de vision.
Et ce que doit être le téléfilm. Mais pour me risquer à en parler, j ’ctler.drai
d’en avoir fait un.
C la u d e V e r m o r e l
29
Un Cinéma enfin
PARLANT
par
. 1 • ,
30
tirés un com mentaire sans lequel les images p erd raien t l’essentiel de
le u r signification et qui ren d sans cesse /présents dans le film
Georges Bernanos ou R um iner Godden. 1
Sur Je versant théâtral, A Street car N a m ed Desire (Un tram way
n o m m é Désir) fut porté à l’écran p a r Elia Kazan qui en avait assuré la
m ise en scène au théâtre; Mur de r in Ihe Cathedral (Meurtre dans la
cathédrale) est sans doute le prem ier exemple au cinéma d’une pièce
en vers. Le prem ier de ces films se déroule dans un décor unique, le
second comporte de longues scènes où un personnage immobile mono
logue. Les chœurs lyriques de T.S. Eliot furent respectés avec autant
de fidélité p ar Hoellering dans sa mise en scène du Meurtre, que dans
le Tram w ay le texte des infinis débats entre sœurs qu’avait écrit Ten-
nesse Williams. . .
Cette « fidélité » du réalisateur à l’égard >de l’au teur littéraire dont
il s'inspire, André Bazin en, analysait récem m ent les limitas et la. signi
fication a propos du Journal (I^a stylistique de Robert Bressan, C a h i e r s
d o C i n é m a , N° 3, juin 1 9 5 1). Aussi bien, n ’est-ce pas la fidélité qui nous
préoccupe au jou rd ?hui, les rapports de l’auteur du film avec l’auteur
du rom an ou de la pièce, m ais la nouveauté au cinéma de l’emploi de
la parole dans les films que nous avons cités. .
Nouveauté profonde qui scandalisa tous ceux qui savent ce q u ’est le
cinéma. 11 se trouve que, contrairem ent a l’attente, le ju ry ne fut pas
scandalisé. Le Journal, 2'he River, À Streetcar reçurent des prix, inter
nationaux à des titres divers et Murder un prix du décor qui ressemble
à un accessit. Pourtant, on pouvait craindre l’avis d ’un ju ry entièrem ent
italien et, parait-il, non polyglotte : ce sont là des films q u’il ne suffit
pas de regarder mais qu’il fau t aussi entendre. Révolution plus radicale
qu’il ne parait.
PAROLE-RÉFLEXION, PAROLE-EXPLICATION :
Sans doute, depuis vingt ans les films parlent. Mais jusqu’à une date
récente,des bons films se lim itaient à l’usage le plus utilitaire du langage
oral : parole-geste, parole-action, parole dont on devine le sens d’un
regard. Le bon dialogue de cinéma, selon les règles admises, était celui
qui n ’utilisait que. des phrases étroitem ent liées au jeu ou à l’action,
phrases qui soulignent ou expliquènt une mimique, ordres donnés,
menaces proférées. A utrem ent dit, l’emploi des mots au ciném a n’était
admis que si les mots étaient inséparables de l’image. Complément
utile, parfois nécessaire, mais com plém ent d’un langage d’images qui,
comme celui du muet, devait; à la limite, se suffire à soi-même. Il est
logique que, dans cette perspective, le test qui perm et de reconnaître
un bon film soit de le com prendre sans, com prendre la langue parlée
p a r les personnages. :
L’iisage de la parole-geste ou de la parole-action est limité aux seuls ;
besoins utilitaires de la vie. Il en est d’autres. Dans la vie courante, les
intervalles entre les actions ne sont pas toujours muets. Un hom m e qui
n ’agit pas p e u t se parler (monologue, intérieur ou non) ou s'expliquer.
Ces deux emplois des mots, nous les appellerons, po u r simplifier parole-
réflexion et parole-explication. < "
31
Voici qu ’un jury a donné droit de cité à la parole-réflexion au
ciném a en récom pensant Le Journal et The R iver dont toutes les images
sont commentées p ar la voix du principal personnage qui se souvient,
regrette, s’attendrit: ou s’indigne. Au cinéma-spectacle dont le domaine x
se lim itait à la représentation de l’action, voici que s’ajoute le cinéma-
v spectateur qui contemplé et juge son propre spectacle. Au cinéma-
p résen t s’ajoute le cinéma-passé (beaucoup plus radicalem ent que p a r .
Je .retour en arrière, accident du récit, car ces deux films sont entiè
rem ent au passé). Au cinéma objectif le ciném a à la prem ière
personne (1).
Avec Un tram w ay et Meurtre la parole-explicàüon cesse d’être une
facilitée accordée aux m auvais auteurs cle'film p ou r préciser — comme
le faisaient les inter-titres du m uet — ce qu’on n ’a pas le temps ou le
talent de faire com prendre p a r l’image. Le dialogue fait cavalier seul.
Il décolle de l’image qui joue souvent le rôle d’un com m entaire visuel
— d ’un com m entaire indispensable mais indépendant, d’un contre
point comme on dit. Mais pas d’une illustration. Le plus grand mérite
d’Hoellering dans sa mise en film de Meurtre consiste sans doute à ne
pas avoir essayé d'illustrer les chœurs lyriques en m ontrant les arbres
dépouillés, les campagnes hallucinées dont p arle le texte. Ce sont les
récitants que nous voyons sur l’écran. Les feuilles mortes et la terre,
gelée nous les verrons à d’autres instants, quand Faction le suggérera.
B rillant exemple de vrai contrepoint.
COMPLEXE DE LA BOUGEOTTE. ;
La crainte de voir le film jo u e r le même rôle à l’égard de la litté
ratu re que lé disque à l’égard de la musique, est sans doute la raison
la plus prpfonde de la suspicion jetée sur l’emploi au cinéma du m ono
logue et du dialogue explicatif. Ce n ’est p o u rta n t pas celle,, qu ’on
invoque le plus, souvent. On rem arq u e q u’un hom m e qui réfléchit ou
deux personnages qui s’expliquent ne bougent pas. La réflexion et
l’explication sont donc des éléments statiques alors que le cinéma est
m o uvem ent.,
; On reconnaît les reproches faits à Bresson parce que son curé sem
blait trop sédentaire. On p réten d ra, p a r ^le même préjugé, que Jean
Renoir n ’a pas su distinguer dans The R iver le d o c u m e n ta ire du film
de fiction. Il s’attarde à m o n trer un paysage, à décrire une cérémonie
indoue (1). -
La plus grande partie du public quitta la salle p en d an t la projection
de Meutre dans la cathédrale. Ceux qui ne com prenaient pas l’anglais
étaient p a r là même entièrem ent justifiés. Mais ils furent les prem iers
à proclam er que ce film n ’était pas du cinéma, puisqu’ils n ’avaient pas
pu le goûter sans com prendre ce q u’on y disait. Certains prétendaient
avoir p ris u n plaisir sans m élange à entendre la pièce au théâtre, mais
11e voulaient même pas envisager qu’on puisse faire preuve de la
même attention pou r écouter, un film. Parce que « le vrai cinéma est
m ouvem ent ». Quant au Tram way, on regrette la lésine du producteur
qui s’est contenté d’un seul décor.
On p o u rrait penser que. depuis le fam eux article de M alraux sur
le cinéma, p aru voilà bientôt dix ans, on avait eu le temps de tirer 1
toutes les conséquences de la rem arque profonde selon laquelle Tori-
ginalité esthétique essentielle du ciném a « n e réside pas dans le
m ouvem ent d’un personnage à l’intérieur d’une image mais dans la
succession des p lans». Ajoutons que l’originalité esthétique du film
(1) Pour les mêmes raisons qui font s’attarder Balzac à décrire la Touraine
dans le L y s dans la vallée. Les lecteurs pressés n ’ont jamais pu atteindre la
secon de m oitié du L y s qui donne son sens à-la prem ière; les spectateurs énervés
11e sauront jamais contempler avec R enoir les paysages de l’Inde qui expliquent
Harriet — surtout, si, comme à V enise, ces spectateurs ne com prennent pas la
langue du com m entaire qui donne leur sens aux images.
33
ne réside pas non plus dans un continuel changement de lieu. P o u rtan t
tontes les adaptations com merciales de pièces de théâtre viennent
témoigner que ;— selon le goût actuel — po u r « faire cinéma », il fau t
et il suffit que l’on change le plus souvent possible de décor et que Ton
introduise dans le récit quelques courses et poursuites. -
'La reproduction du m ouvem ent est le p ro p re de la m achine appelée
cinématographe. La possibilité de changer sans cesse de lieu une faci
lité du spectacle appelée film. Sans doute le ciném a est-il le seul
moyen d’expression qui puisse ainsi rep résen ter des personnages en
m ouvem ent (comme le théâtre) tout en jouissant du don d’ubiquité,
(comme le roman). Il ne fa u d ra it pas en conclure que plus les acteurs
bougent et plus le décor change, plus le film est conforme au génie
du cinéma. Autant v au d rait refu ser aux peintres l’emploi des teintes
neutres ou du cam aieu sous p rétex te que l’utilisation de la couleur
m arque l’originalité de la p ein tu re p a r ra p p o rt aux autres arts. Un
ciném a statique au sens physique du mot peut être plus animé que
celui qui illustre le goût de la bougeotte et de l’agitation perpétuelle.
34
Vivien-*Leigh, tantôt engluée d’ombre, tantôt auréolée de lumière, son
visage pris au piège des jeux de la caméra, semble se débattre autant
contre Ja.-poiirsuite de mon regard que contre elle-même. La roulotte
de Cocteau était un espace spécifiquement ciném atographique. Les
deux pièces où Blanche échoue, tanière conjugale, fosse aux serpents
grouillant de nœuds de vipères, sont réduites p a r la vision cinémato
graphique aux dimensions d’un tram w ay aux heures d’affluence, où
chaque geste est Toccasion de frôlem ents douteux ou de heurts
douloureux.
L’interprétation cinématographique de Meurtre dans la cathédrale
est d’un autre ordre. Au texte tantôt épique tantôt lyrique d’Eliot
convenait une mise en film qui rappelle souvent celle des Niebelungen.
Pourquoi ces qualités plastiques q u ’on adm ire chez F ritz Lang cesse-
raient-élles d’être valables, q uand elles servent de support à un texte
que toute scène de Fritz Lang semble ap p eler ? L’accord entre la
vision et l a parole, entre le rythm e-des mots et celui des images ne
com porte pas une fausse pote dans le film d’Hoellering. Joint au refus
d ’illustrer les textes poétiques que nous signalions tout à l’heure (et
qui eut abouti à un résultat aussi décevant que l’illustration de La Rose
et Je Réséda), ce bonheur dans le parallélism e constant des images et
des mots donne au film une pureté ciném atographique qu’on ne peut
nier que p a r préjugé. i \ '
Je renverrai à l’article de Bazin déjà cité po u r souligner que
l’emploi dans Le Journal du texte du rom an dit comme un com men
taire, n ’empêche pas Brésson de « fa ire du cin ém a» . Non pas du
ciném a au sens, ordinaire du mot, mais un autre cinéma, « u n être
esthétique nouveau qui est comme le rom an m ultiplié p a r le ciném a».
Le film de Renoir est aussi un film commenté. C’est-à-dire un film
qui retrouve souvent les secrets du muet. Car dans The River comme
dans Le Journal l’emploi de la parole-réflexion, donne à l’auteur u n e
liberté dont ne jouit jam ais celui qui s’astreint à n ’utiliser que le dia
logue synchrone : la liberté de faire décoller le spectacle du texte, de
faire jo u e r aux images et aux mots chacun leu r p artie comme dans une
symphonie, au lièu de s’astreindi’e à une liaison constante de la bande
son et de la bande images réduites ainsi à ne tenir l’une p a r rapp o rt
à l’autre qu ’un TÔle d’accompagnement. Cette liberté p e rm e t dans The.
River rin trod u ctio n des éléments les plus extérieurs à l’intrigue mais
les plus nécessaires à l’alchimie poétique. Des séquences entières où
n ’apparaissent aucun des principaux personnages (celles où on a rep ro
ché à R enoir de « faire du docum entaire» alors que le com m entaire
leur donne leur signification d’environnement qui éclaire les person
nages à tous les sens du mot). La séquence m uette de la sieste, m om ent
extraordinaire du film et réussite paradoxale selon les préjugés du
cinéma-action, du cinéma-agitation et du cinéma synchrone, puisqu’on
nous y m ontre successivement tous les personnages inactifs, inmiobiles
e t silencieux : ils dorment. Mais dans la perspective d’un cinéma qui
s’est libéré du complexe de l’anti-littérature et de celui de la bou
geotte, 011 peu t m ontrer des personnages qui dorment. Si l’on sait voir
comme Jean Renoir et photographier en couleurs comme Claude
35
Renoir,, line telle séquence, justifiée p a r l’incantation d’un com m en
taire qui l’introduit, perm et au ciném a d’attèm dre à une qualité
poétique com parable à celle des écrits de R osam ond L ehm an et de
Katherine Mansfield. :
Il n ’ëst pas de com m encem ent absolu. De m ême que Les Parents
terribles annonce Un tram w ay no m m é Désir, Les Dernières vacances
de Roger Leenhardt o uvrait la voie où s’engage Renoir avec Tlie
River. Les Dernières vacances offrent un exemple de ciném a-littérature
d’autant plus probant que le film n ’est pas tiré d’un rom an. C’est un
parti-pz'is esthétique qui caractérise cet autre cinéma, non le fait de
l’adaptation. Sans changer rien à la conception ou à la composition de
son œ uvre Roger L eenhardt au rait pu écrire un rom an qui se serait
appelé Lés Dernières vacances. E t ce rom an eût été un v r a i ro m an
alors que la même expérience tentée sur d’autres films n ’aurait p rod uit
que des romans-feuilletons. L’analogie de sujet entre The River et Ta is '
Dernières vacances n ’est pas ce qui nous frappe le plus/ C’est l’an a
logie du traitement, Tim portance donnée—- comme dans un bon rom an
- à l'environnement, la dém arche poétique (et non dialectique) p a r
laquelle sont révélés (et non analysés) les caractères. Vous souvenez-
vous du paysage bucolique é t provençal qui apparaît de m anière inso
lite aussitôt après la gifle que sa m ère donne au jeune garçon des
Dernières vacances ?
36
ANNÉES D ’A P P R E N T I S S A G E
de
RENIÉ C IL A II M
par
K cné Clair, Jeune p rem ier, c ourtise S a n d ra M ilow an aff dans Piuisctte de-
T.cmîs Fc u illa d e (1920).
37
Le problème de gagner sa vie se pose pour René Chomette. On peut
difficilement subsister en écrivant des poèmes et, tout naturellement, il songe
au journalisme. Précisément lin de ses camarades a déjà une situation alors
que tous les autres cherchent leur voie : Jacques Jatijard est rédacteur au
journal L ’Œ u v r e dont Gustave Téry vient de faire un grand quotidien :
LES IMBÉCILES ÏNE LISENT PAS L ’ŒUVRE
proclament des affiches sur tous les murs de Paris. Mais dans la maison de
la rue Royale où Ton rencontre Robert de Jouvenel, Jean Piot, La Fouchar-
dière, Henri Béraud, il n ’y a pas de place pour un débutant qui souhaite
surtout écrire sur le théâtre, sur cette vie parisienne qui le reprend peu à
peu. Jaujard le présente à René Bizet, chef de la rubriqxie des spectacles à
L ’Intransigeant.
Amené par lui au fameux n° 12 de la rue du Croissant, René Chomette
est engagé à l’essai comme reporter. Le rédacteur en chef, Fernand Divoire,
charge le chef dès informations, Gabriel Boissy, de lui apprendre le métier.
Pour son premier reportage il va s’informer de la santé d’Edmond Rostand et
apporte à temps pour l’édition la nouvelle de sa mort. Présenté à Léon Bailby
à la suite de cet exploit, il est engagé définitivement aux appointements men
suels de 250 francs.
L ’In tra n sig ea n t est le grand journal du soir. C’est l’organe des artistes,
des gens de théâtre, des écrivains qui lisent le Courrier des Treize et, dans la
salle de rédaction, le jeune Chomette se lie d’amitié avec René Bizet, son
parrain dans la maison, avec son inséparable Jean Barreyre — Tofo — , ave c
Jean Pellerin, Boisyvon, les frères Dubard et surtout avec Pierre Curai; trois
hommes ont eu sur lui une influence profonde : Jacques Rigaxid, surréaliste
avant et après la lettre. Maxime François-Poncet, — l’un et l’autre tragique
ment disparus, — et Pierre Curai dont il faut regretter qu’il ait gâché les
plus beaux dons.
C’est le plus souvent chez Curai, boulevard Rochechouart, que René
Chomette s’installe le soir pour fumer et pour écrire. C’est là qu’il m et au net
ses souvenirs de guerre. Il termine L ’I l e d e s M o n stre s qui paraîtra dans Lo.
M e rc u re d e F r a n c e ; il compose des pièces de théâtre; il rédige son grand
reportage sur Verdun quand, toujours obsédé par son expérience de 1917, il
va revoir ces lieux tragiques.
Mais ce qu’il donne le plus souvent à L ’Intran, ce sont des articles bâclés
sur le marbre, car il a le malheur d’être dans un journal qui se fait le matin,
lui qui aime se lever tard... Ce qui provoque des drames : mis trois fois à la
porte, chaque fois Bizet ou Boissy le repêchent, car sa fantaisie les enchante.
Il est à la fois l’enfant terrible et l ’enfant gâté de la maison. Bizet qui a décidé
de sa carrière de journaliste va pourtant être celui qui l’en tirera puisque, par
lui, il cotmaît Damia,
Pour nous ce nom n ’évoque pas seulement la grande « tragédienne de la
chanson », mais encore ces beaux soirs de l’Olympia, ce promenoir où se faisait
et se défaisait la réputation des chanteuses et des danseuses et qu’H enri Jeanson
a évoqué non sans émotion dans L a d y P a n a n te . Il y eut sans doute plus que
de l ’amitié entre Damia et le jeune journaliste, il écrivit pour elle une chanson
qui ne fut d’ailleurs jamais chantée. Par elle il connut des personnalités du
théâtre et du music-hall, entre autres Gaby Bloch et Loïc Fuller.
38
René Cliomette ne s’intéresse «alors au cinéma en aucune façon. Il ne le
connaît guère que par ce que lui en dit son frère Henri; lui a déjà compris
toutes les possibilités de ce nouveau m oyen. d’expi'ession et refuse, pour s’y
consacrer, de devenir le collaborateur de son père. Certes René a déjà fré
quenté les salles obscures. Comme tous les écrivains de sa génération il a
adoré les films de Chariot et il lui est même arrivé de songer à écrire des
scénarios. Je dis, bien : écrire, car pour lui tout se ramène à la littérature.
Unique espoir et suprême pensée...
S’il se rend si souvent chez de Max, en sôïtant de U lntran, c’est qu’on
rencontre, aux petits levers de l’illustre tragédien, des écrivains,,, — comme
ce jeune poète qui va publier un éblouissant reportage intitulé précisément
Chez de Max et dont le nom, Louis Dellüç, fest encore inconnu; de Max a
publié à ses frais le volume de vers qu’il a écrit et ferait volontiers de même
pour René ChomeUe.
Celui-ci était resté aussi en relation àVefc Lucien Daudet qui lui parlait
souvent d’un autre inconnu, Marcel Proust. Abonné, chez Àdricnne Monnier,
à ce cabinet de lecture de la rue de VOdèisii qui est un des hauts lieux de la
vie intellectuelle dans ces tumultueuses ûÜiiées de l’autre après-guerre, il loue
un jour ce livre dont Lucien Daudet lui fïürle sans cesse, qui porte un titre si
bizarre, et dont il a rencontré l’auteur ïifi soir chez Mme Alphonse Daudet,
Du côté de chez Swann :
-— Ça m’intéresse mais je ne l’aimé |jîià tellement et, ma lecture achevée,
je ne songe pas à acheter le livre. '
P our comprendre toute l’amertume dé René Clair quand il raconte cette
histoire il faut se souvenir qu’à cette éjfbiiiue l’unique édition de Sivatin était
•celle publiée à compte d’auteur chez Gfàgset en 1913. Le bibliophile passionné
qu’il est devenu ne se consolera jam ais dè n ’avoir pas conservé, en 1918, ce qui
fût devenu une des perles d’une collection de livres qui reste éblouissante
malgré le goût très sûr des officiers allèfliiinds qui occupèrent son appartement
pendant la guerre.
Quelques années après, il remarqiife ,§ur la table de Fernand Divoire un
bouquin dont les dimensions eflrayaipiît ceux qui se chargeaient habituelle
ment des comptes rendus de livres dàfië L 'In lra n : « Puisque vous avez lu le
précédent livre de Proust, lui dit le Feiragus des Treize, prenez donc A Vombre
des jeunes filles en fleurs. » Dès lors^jët. même après avoir quitté L ’Intransi
geant, les comptes rendus des tomes südcessifs d’A la recherche du temps perdu
furent tous faits par René Clair.
Donc un jour Damia téléphone à L ’Intran et demande à René Cliomette de
venir au studio G-aumont : t :
— Loïe Fuller va tourner un film, IjG Lys dé la vie, lui dit-elle. Il nous faut
un Prince charmant. Vous en avez la iiiinceur, l’élégance, et vous êtes aussi
jeune que les petites danseuses qui l’intelpréteront...
— Impossible. Je suis et je reste joürhaliste.
— Mais il n ’est pas question que voila quittiez U lntran. Prenez un congé
de trois jours. Vous verrez, avec touteî tes girls, ce sera très amusant.
« Les girls me décidèrent, raconte-t-il : c’était la première fois que je
mettais les pieds dans un studio. J ’y èntrais pour trois jours et j ’y restais
toute m a vie... »
39
S.UKÎra M ilow nuoff dnn? L ’O rpheline, de L ouis Fc iû lla d c (1920).
40
de Paul Bourget. Protozanofï, le metteur en scène, et la plupart de» collabo
rateurs du film étaient des Russes émigrés en France. Les vedettes en étaient
Yanova et André Nox. René Chomette jouait le rôle d ’un jeune ingénieur aux
prises avec les drames du cœur...
Il avait abandonné sa situation de reporter à L ’i n t r a n mais il continuait à
y travailler « à la pige » ét à fréquenter les nombreux amis qu’il avait dans la
maison.
Le Sens d e la M o r t était depuis longtemps achevé mais pas le roman-fleuve*
et son auteur n’avait plus un sou. Heureusement, après le triomphe des M y stè r e s
d e NeiV’Y o r k et du M asqu e aux d e n ts b lan ch es, « sériais » venus d’Amérique,
les Français s’étaient mis, à leur tour, à faire des romans-cinéinas dont les
épisodes se succédaient de semaine en semaine sur les écrans. Les journaux
publiaient des adaptations de ces films. A la suite d’A rthur Bernède et de
Guy de Téramond, d’autres écrivains s’adonnaient à cette industrie.
Ceux que publiait L*Intransigeant avaient pour auteur l’excellent Paul
Cartoux, géant rubicond dont la spécialité était d’orner de titres ronflants les
articles de la page sportive. Il adaptait alors au fur et à mesure du tournage,
/ / O r p h e lin e que Louis Feuillade confectionnait pour Gaumont. Mais celui-ci au
milieu du film, s’aperçut qu’il lui serait impossible d’arriver au douzième épi
sode de rigueur si un jeune premier ne venait apporter un peu de sentiment
dans la dramatique existence de l’infortunée Sandra Milowanoff : « Tu feras
très bien l’affaire, dit Cartoux à son jeune camarade. Tu n ’as qu’à partir pour
Nice. On t ’attend. »
On accueille à bras ouverts le jeune premier désiré, surtout Robert Florey
qui, modeste régisseur, était bien loin de se douter qu’il retrouverait son jeune
premier vingt ans plus tard à Hollywood, alors que l'un et l’autre seraient
promus à la dignité de directors...
L ’O r p h e lin e dan» la boîte, Feuillade commence aussitôt un autre ciné-
roman, P a rise tte , et renouvelle l’engagement de son interprète. On ne peut
pourtant pas dire que le succès du jeune premier soit foudroyant. Il aime à
rappeler que son nom ne parut qu’une seule fois dans ces Courriei*s des lectrices
qui déjà fleurissaient dans les revues de cinéma. A f le u r d e lys le rédacteur
spécialisé répondait simplement : « L’acteur que vous n’aimez pas s’appelle
René Clair. »
— A la longue, raconte celui-ci, je commence pourtant à m’intéresser au
cinéma. Je fréquente les salles. Je m’enthousiasme pour les films américains,
allemands, suédois de l’époque et je songe à ce qu’on pourrait faire en France.
A ce moment je n’aime guère ce que fait Feuillade et il doit le sentir car il
amenuise mon rôle de telle sorte que je ne suis que du premier et du dernier
épisode. Ainsi j ’ai beaucoup de temps pour aller au cinéma et comme ça
m’embête toujours autant d’être acteur, je me dit que ce serait peut-être
intéressant de se trouver de l’autre côté de la caméra.
— En sommes tu as fait comme ton ami de Sica : tu es passé de l ’inter
prétation à la réalisation ?
— Pas du tout. De Sica adore jouer. Moi j ’en ai horreur. Le cinéma s’est
trouvé là pour catalyser mon désir de création. Mais il est probable que si je
ne l’avais pas rencontré j ’aurais été écrivain, uniquement écrivain.
41
Les grandes œuvres littéraires qu’il est loin d’avoir renoncé à écrire le
jeune homme les signera de son nom, René Cliomette. E n attendant, il utilise
le pseudonyme de René Desprès. Mais quand il s’agit de figurer au générique
des films de Fcuillade il faut trouver un nom plws euphonique. Dans le rapide
qui le ramène de Nice à Paris il en cherche un avec Bizet, et il pense que René
Clair ferait fort bien l’afTaire : les initiales sont les mêmes...
Pendant ce temps son frère Henri a débuté, lui aussi. Il est devenu l’assis-
tant de Jacques de Baroncelli avant d’être celui de Jacques Feyder. Peu de
temps avant de disparaître Baroncelli a raconté en ces termes à Georges
Sadoul sa première rencontre avec René Clair :
« Ce jexme homme, dont je ne connaissais rien, me dit qu’il voulait à toute
force faire du cinéma, qu’il avait un peu travaillé avec Feuillade comme acteur,
mais que la mise en scène le fascinait. Il vivait assez mal, écrivant un peu dans
les journaux. Ses yeux brillaient d’intelligence et de foi. Il aim ait tant le
cinéma que je l’engageai et mon plus grand orgueil est de l’avoir fait débuter
comme réalisateur en le présentant à Diamant-Berger qui lui confia Paris qui
dort, son premier film... »
Auparavant René Clair avait signe avec une firme belge son prem ier contrat
pour une Geneviève de Brabant qu’il devait réaliser sous la supervision de
Baroncelli. Ce film restera à l’état de projet et, pour ne pas rester inactif, il
suit le travail de l’auteur de Pécheur d’Islande, du Carillon de minuit, de Nêne
et de La Légende de sœur Béatrix.
R oger R egent e t G eo r g e s C h a r e n s o l
42
MARCELLO PAGLIERO
ou
LE M A L E N T E N D U
par
Robert Pilati
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Les amonts c/e Brûsmorf ont sauvé M ar Un adultère avorté, une mort inutile, une
cello Pagliero d'une malédiction qui risque mort accidentelle, une dénonciation de femme
de le guetter, longtemps encore, à chacun jalouse : quatre malentendus. C'est la m a
de ses films. Grâce à de très honnêtes conces tière sur laquelle s'exerce la dialectique inso
sions soigneusement soulignées, il s'est assuré lite de Pagliero. Or elle s'exerce de la même
avec son dernier film le moyen d'en faire façon que pour le gag du suicidé surpris de
d'autres. La critique, qui avait généralement La nuit porte conseil. « II s'agit que le sp e c
boudé Un hom m e marche dans la ville, s'est tateur, ayant été mis d'abord en présence de
cette fois déclarée unanimement enchantée. la réalité pure, la retrouve sans la reconnaî
Mais l'Italie ignore, e t la France connaît tre dans sa transposition rationnelle. De là
peu, ce délicieux morceau d'humour à la naîtra le sentiment de l'absurde, c'est-à-dire
morale ambiguë : La nuit porte conseil CRoma l'impossibilité où nous sommes de penser
citta libéra, dont nous espérons bien voir un avec nos concepts, avec nas mots, les événe
jour une transposition parisienne. Chose pro ments du monde » (1).‘ Tous les événements
mise). Et que penser de l'accueil fait en de Un hom m e marche dans la ville s'enchaî
France à ce film incompris, Un hom me m ar nent avec une parfaite logique, ('un déter
che dans la ville ? Je ne fais pas seulement minant rigoureusement l'autre. Mais ils æ
allusion à la campagne violente des journaux déroulent pourtant dans une absolue gratuité.
communistes, qui, somme toute, valait mieux Si chaque acte provoque le suivant, la rela
que la froide indifférence de la plupart des tion de cause à effet étan t toujours respectée,
autres. l'effet est chaque fois sans rapport avec le
* Une rigueur presque méchante » : is projet. Le résultat est que personne ne se
refus de toute perversion de l'image e t unô sent plus responsable. Nous mettre en état
absence de progression dramatique, voilà ce de malaise devant l'inhumanité de l'homme,
qui rebutait. Tout vient de ce paradoxe : ce tel était l'effet cherché, e t c'était aussi celui
qu'on accorde au roman, on le refuse au film. de L'Etranger.
Il existe un roman, justement estimé, qui Ici e t là, c'était le cri sincère de l'homme
se distingue d'abord par les mêmes caracté libre, mats ignorant de tout, et de sa propre
ristiques. Les mots n'y sont pas détournés condition. Stérile, non pas par goût, mais par
de leur sens direct au profit d'une quelconque abandon, mais par solitude. L'étranger m ar
altération poétique. Aucune progression dra che dans fa vî[(e, seul, indécis sur fa voie à
matique (donc aucune émotion directe) ne suivre. Honnêtement, Pagliero a posé le pro
s'y élève. Ce roman, c'est L'Etranger, de blème de l'homme abandonné (par Dieu, par
Camus. Je soutiens que Un homme marche la morale, par la société...). A lui de îe
dans la ville est l'équivalent cinématogra résoudre à sa façon (et peut-être Les am ants
phique exact, par la forme e t p ar le fond, de Brasmort sont-i(s une tentative — ■ timide
du roman d'Albert Camus (que Pagliero n'a -T- dans ce sens : édifier une morale).
d'ailleurs pas lu). ★
Voyons lès rapports de forme. Ce qui
frappe d'abord, dans le style de Pagliero. Indiscutablement, le Jean Sanvîot que
c'est que l'image, comme le mot chez Camus, Pagtr'ero a tiré du ram an de Jausion, • cet
y est employée dans son sens strict, à l'état homme lucide, indifférent et taciturne, est
brut : sans aucune sollicitation poétique. En bien le frère de L'Etranger. Tous ses actes,
outre, les personnages du film e t ceux du même les plus nobles, ont aboutî au même
roman ont cette commune particularité de malentendu. « Lever, tramway, quatre heures
ne provoquer aucune émotion directe, quoi de bureau ou d'usine, repas, tramway, quatre
qu'il leur arrive. Il semble que cela vienne heures de travail, repas, sommeil, e t lundi,
d'une utilisation personnelle du temps : les mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi sur
événements y sont placés logiquement les le même rythme, et puis tout à coup nous
uns à la suite des autres mais-sans hiérar accédons à une lucidité sans espoir » (2).
chie. Les faits insignifiants sont notés avec Quoi qu'il fasse, ses gestes sont sans rapport
la même scrupuleuse attention que les autres avec son projet, donc absurdes. Il veut aider
(on peut remarquer d'ailleurs que Pagliero, un ami, la femme de son ami s'interpose et,
plus romancier que dramaturge, sait admira presque malgré lui, il couche avec elle. 11
blement construire dans l'espace — comme veut rompre une liaison dont il est honteux,
beaucoup d'italiens — • mais ne sait pas e t il s'ensuit, bêtement, fa mort d'un Homme,
construire dans le temps). tué, bêtement, par un inconnu qui n'y com
Un style aussi conscient est naturellement prend rien. Et lui non plus n'y comprend
commandé par une pensée précise. Précisé rien, seulement capable de subir dans un
ment, c'est la même pensée que nous retrou
(U Jrnn-Pnul S a rtre, Situ a tio n s 1.
vons dans L'Etranger et dans Un homme (2} A lb e rt C am us, L /E ffm !£■(!>- et Jcnn-Piuil S a r
marche dans la ville. tre, S itua tio ns T.
44
univers inhumain dont les événements ne sem films de Paglîero sont faits essentiellement de
blent plus le concerner : sans lendemain, sans ces gestes précis et inutiles, ou dérisoires. Par
espoir, sans illusion. Seul, tout seul, et là, il rejoint un autre romancier de l'écran,
conscient de sa solitude, un homme marche Jean Renoir, qui disait: « J e voulus refaire
dans la ville, écœuré d'indifférence. Telles une étude raisonnée du geste français ». Bien
sont les lueurs insolites qui brillent dans un sûr, un Italien volontiers volubile comme
film aussi dépourvu d'artifices que possible. Paglîero était naturellement porté à donner
C'est le même feu morne qui dévorait L'Etran- tarçt d'importance au geste. Mais les efforts
ger. obstinés qu'il fit pour que Kerien reposât son
« L'homme, dit Camus dans Le m ythe de verre sur le comptoir avec le tic précis d'un
Sisyphe, sent en lui son désir de bonheur et habitué confirment quelle conscience prenait
de raison. L'absurde naît de cette confron le metteur en scène du sens — ou du non-
tation entre l'appel humain et le silence dérai sens — d fun geste apparemment indifférent
sonnable du monde... L'irrationnel, la nostal à l'intelligence du thème.
gie humaine et l'absurde qui surgit de leur ★
tête-à-tête, voilà les trois personnages du
drame qui doit nécessairement finir avec Beaucoup ont trouvé choquante la profu
toute la logique dont une existence est cap a sion des bistrots dans les films de Paglîero.
ble. » On ne saurait parler avec plus de C 'est qu'il a trouvé là un champ d'études
précision de Un homme marche dans fa vîffe. plein de révélations. Sur le plan humain,
comme sur le plan formel, il a découvert
★ beaucoup de choses au bistrot. J'ai dit quel
Camus dît encore : « Mais je veux inverser consciencieux architecte dans l'espace il est.
l'ordre de la recherche et partir de l'aventure C'est dans les scènes de café que ce sens de
intelligente pour revenir au x gestes quoti l'espace s'affirme le plus nettement. Remar
diens. » Etablis sur le malentendu ontolo quez comme il y place ses personnages : cette
gique qui nourrit l'essentiel de la littérature espèce de ronde aux orbites calculées autour
d'aujourd'hui, les films de Paglîero devaient d'une table ou d'un comptoir. Dans La nuit
donner au geste une place privilégiée. « Les porte conseil, trois personnages s'affrontent
hommes aussi secrètent de l'inhumain. Dans principalement dans des cafés. L'un est dn
certaines heures de lucidité, l'aspect méca amnésique en quête de son identité : inquiet,
nique de leurs gestes, leur pantomime privée il cherche sans y parvenir [a stabilité; il vire
de sens rend stupide tout ce qui les entoure. e t volte autour des tables, s'assied pour se
Un homme parle au téléphone derrière une relever aussitôt, s'accoude un instant au
cloison vitrée, on ne l'entend pas, mais on comptoir, et ne parvient jamais à trouver
voit sa mimique sans portée : on se demande dans i'espace une place satisfaisante pour
pourquoi il vît. » De même le geste (qui a l'esprit. Bref, il n'arrive pas à se situer socia
suscité par son exactitude l'enthousiasme des lement sur la piste publique. Son compagnon,
dockers du Havre), le geste absurde et au contraire, le suicidé d'intention, mort en
consciencieux du docker André Laurent, ren sursis, domine. Il s'est choisi, déterminé, et
tran t chez, luî, d'accrocher comme chaque comme certain taureau dans l'arène (1), il a
soir son croc à la porte, un soir où justement trouvé d'instinct l'endroit précis où il est
cet instrument n'a plus de sens pour lui. Les (il Cf. H e m in g w ay , M ort dans l'après-midi.
45
invincible. Il n'en bouge plus, il domine, il est tour à tour — qui passe de mains en mains,
vainqueur ,en un sens. Reste la jeune fille ce cocasse ballet nocturne avait le charme
pauvre; elle a décidé ce soir de changer de de cerner une ville tout entière, Rome, dans
•ondition à tout- prix; elle va se choisir, elle ses aspects les plus quotidiens, et d'en dépen
est sur le point de savoir qui elle va être, et, dre étroitement dans son déroulement.
en conséquence, elle oscille, sans arrêt, de Appelé à Paris comme acteur à la suite de
l'un à l'autre des deux personnages. son interprétation dans Rome, v///e ouverte,
Une aussi précise « topographie hôtelière » Pagliero a bientôt fa chance d'y réaliser son
— e t j'affirme que chacun peut l'observer second film, Un hom me marche dans la v///e,
n'importe quand dans un quelconque endroit d'après le roman de Jean Jausion. Par son
public — n 'est pas le fait du hasard. Pagliero honnêteté même, sa sécheresse pointilleuse et
sait — et démontre — que le bistrot est un l'aspect plus que gênant de son message, ce
fait social significatif. Il en a démonté le très grand film n'a pas eu l'audience qu'il
mécanisme. Et il étend ses conclusions à tous mérite. Nous avons vu quel actuel courant
les lieux où il se passe quelque chose d 'h u d'idées il rejoignait. C'était, en outre, un
main. Présomption, indifférence ou impuis remarquable documentaire sur Le Havre en
sance, tous les moteurs humains, se réduisent ruines et ses dockers, et une magistrale leçon
pour lui — non pour symbole, mais par res de cinéma du point de vue strictement tech
pect d'une réalité vécue — à une situation nique. Il n'est pas indifférent de noter que le
dans l'espace et à ses variations motivées. film ne comportait absolument aucun accom
Dans Les am ants de Brasmort aussi, il a su pagnement musical, au profit des rumeurs de
jouer de l'architecture mouvante que lui la vilte, qui composaient une bien plus signi
offraient les péniches pour situer, socialement ficative symphonie.
ou dramatiquement, ses personnages. Quand Echec sur tout la ligne, La rose rougé,
se croisent les deux péniches rivales, c'est film alimentaire, fut un assez triste événe
Frank Villard, vaincu, qui marche le long du ment. Mais Pagliero vient de montrer qu'il
plat-bord devant Nicole Courcel immobile. Un sait faire aussi des films de très large a u
peu plus tard, c'est-son tour de triompher et, dience. Ses A m ants de fîrasmorf, en dépit de
immobile à son tour, il regarde marcher concessions multiples et d'un plan de travail
devant lui, sur l'autre péniche, une ennemie brusquement interrompu, n'ont rien perdu de
soumise. .la vigueur technique de Un hom m e m arche
★ dans la ville. La direction des acteurs y est
éblouissante, l'image directe et forte, le ton
Né à Londres en 1907 de père italien et judicieux. Les faiblesses d'un scénario un peu
de mère française, Marcello Pagliero fit une mince sont compensées par le souci constant
licence en droit et un stage chez un avocat du détail significatif et juste. Pagliero est un
romain avant d'aborder le cinéma par le dou des rares réalisateurs qui sache parler en
blage des films américains. Assistant de termes de métiers. ROBERT PILATI
divers réalisateurs italiens de second plan,
puis de Rossellini, il achève à la place de ce
dernier un film d'ailleurs banal : Desidsrio
(La proie du désir). || collabore à plusieurs
scénarii, dont ceux de Sciusc/a et de Pat$af
avant de pouvoir tourner enfin son premier
film comme metteur en scène.
A mi-chemin entre Clair et Carné, La nuit
porte conseil était une fable assez amère dont
le principal m ente était un humour absurde
où apparaissait déjà le thème de « l'irrespon
sabilité » : le voleur était un honnête homme,
le candidat au suicide n'avait pas plus de
raisons de mourir que de raisons de vivre, et
le ministre amnésique aurait pu aussi bien
être un archevêque. Un tout petit coup de
pouce, e t la comédie devenait, au choix,
farce, drame, ou tragédie. De toutes façons,
le bien e t le mal y changeaient perpétuelle
ment de signe, e t la morale, foute d'indul
gence, pouvait en être résumée par : « que
celui qui n'a jamais péché... ». M arcello Pagliero (le d e u x iè m e ii p a r tir de la
Dansé sur le thème, proche du Million, gauche), dirige les p rises de vues des A m a n ts
d'un collier de perles — vraies e t fausses de llrasm ort.
46
NOUVELLES DU C I N É M A
ITALIE • Georges W illiem Pabst a rem is à
plus tard la réalisation de Trois jours
• Le rôle prin cipal de Procès d ’une ne suffisent pas. Il com m ence à Rome
Ville, que tourne Luigi Zampa, est tenu S am revient, d’après un sujet de Bruno
par Paul Muni. Paolinelli. Le film se déroule dans les
• Rafaello Pacini tourne actuelle m ilieux des noirs de Naples et des
ment à F lorence L orenzaceio avec Etats-Unis.
Georgio Albertazzi, Folco Lulli, Anna-
• Leni Riefensthal réalise à Cortina
Maria Ferrero et Franca Marzi.
d’Ampezzo L ’E t e m a magia (Eternelle
• Le prochain lilm d’Eduardo de magie); c ’est une co-prod'uction italo-
F ilip p o s ’intitule Les Fantômes. Il en allemande en technicolor,
sera le réalisateur et l ’interprète.
• Michelangelo Antonioni tournera BELGIQUE
N os enfants en Italie, en France et en
Angleterre. • Henri Stork, auteur de nombreux
• V oici quelques détails sur E urope documentaires (lie de Pâques, Borina
1951, le dernier film de Roberto Rossel ge, H istoire du soldat inconnu, Rubens,
lini. Scénario de Roberto Rossellini, Au carrefour de là vie, etc.) et qui fit
Mario Pannunzio, Sandro de Fueo, Ivo débuter, en 1931, R aymond Rouleau
Perilli, Antonio Pietrangeli. Images dans un film poétique et expérimental
d?Aldo Tonti. Musique de Renzo Ros Idylle à la plage, vient (Je tournçç Le
sellin i. Interprétation : Ingrid Berg- Banquet des Fraudeurs qui est basé sur
man, Alexander Knox, Etore Giannini, l’idée qu’il est néfaste de m aintenir !des
Guiletta Massini, Teresa Pellati, San barrières douanières entre états à éco
dro F ranchina, Bernardo Tafuri. nom ie com plém entaire.
• Alberto Lattuada réalise Le Man II n’avait que cette id ée en tète quand
teau, d’après le célèbre conte de Gogol, il se rendit un jour à Paris pour re
avec Yvonne Sanson, Renato Rascel et trouver Charles Spaak (c’était au cours
-Guilio Stival. de l ’été 1950), pas de producteur, et
pas de financement en vue. Et pourtant
• Jean Renoir a engagé Michael Tor Charles Spaak décida de renoncer à
pour L e Carosse d ’Or, Micliael Tor est une com m ande de tout repos, pour
un baryton am éricain fixé en Italie et s ’aventurer dans ce qui n ’était pas en
vedette de la S cala de Milan. core une entreprise, m ais seulement une
• Le R o m éo et Juliette de Renato spéculation de l ’esprit. Les deux amis
Castellani se précise. Bernard Zimmer com m encèrent par se livrer à une vaste
se trouve à Rome où il y prépare le enquête dans les m ilie u x patronaux et
scénario et les dialogues en collabora ouvriers, syn d ica u x et politiques.
tion avec Castellani.
« Ce scénario, dit Spaak, a d’abord
• Carminé Gallone, le réalisateur de été un rapport économ ique et social.
Messalîne, aurait envie maintenant de C'est bien la prem ière fois que pareille
tourner S em ira m is et Marie-Madeleine chose m’arrivait. Après, nous avons
(sans com m entaire). cherché longtemps com m ent traduire
• U m berto D (Vittorio de Sica), Bel- en im ages et dans le concret les idées
li&sima (Lucliino Y isconti), La Ragazza et les chiffres du rapport. Un jour,
■di P ia zza d i S pagna (Luciano Emmer), nous avons échoué dans un village si
Guardia e L a d ri (Stino et Monicelli), tué au carrefour de trois frontières.
F ilum en a e Marlurano (Eduardo de Alors... s>.
F illipo) représenteront l ’Italie au F e s Alors, dit Storck, Charles m ’a dit :
tival de Punta-del-Este. « Maintenant, je tiens mon sujet ». Et
• Robert Rossen aurait l’intention il s’est mis à écrire. Je passe sur nos
de tirer un scénario des Deux ad oles n égociations financières avec d es tiers.
c e n t s d’Alberto Moravia et de le tourner Elles furent longues et difficiles, jus
■en Italie. qu’au jour où la chance, encore une
47
Le Banquet des Fraudeurs : à Kaiiclie, u n e scètic de travail où l'o n re c o n n a ît H enri Storck, à droite
d e ux in te rp rè te s fran ç a is : A n d ré V alm y et Yvc> Dcnimul.
48
C’est Jean M arais q u i in c a rn e N c s ciifr, fii’iifiTJiomuie rf'flmo»/' d a n s le film
(l’Yves A lk'grct q u i sera b ie n tô t p ré sen té à P a ris. Il est e n to u ré d e M ariclla Loti
(sur n o tre do cum ent) et de F ranço ise C hristophe.
49
• René Clément va compléter Jeux • Fritz Lang tourne actuellem ent
in terdits, interrom pu après un premier Clash bij N ight avec Barbara Stanwyck,
montage. Bost et Aurenclie écrivent les Marylin Monroë et Robert Ryan.
scènes com plém entaires qui seront • Le dernier rom an d’Ernest He
tournées aussitôt. m ingw ay « Across the River and into
• Le film de Marcello Pagliero, Les the Tree » qui connait un très grand
Am ants de Brasmort, est projeté en succès aux Etats-Unis serait porté à
Belgique sous le titre : Les Brigands du l’écran par Edward D m ytryk. M iche
f leu ve . line Presle et Gary Cooper en seraient
• Alexandre Astruc a terminé Le R i- les interprètes principaux.
deau cramoisi, d’après la nouvelle de • William Dieterle vient d’achever
Barbey d’Aurevilly. Le film se présente This is D yn am ite, d’après un « best-
sous l’aspect d’une nouvelle cinémato seller » d’Horace Mac Coy, avec W il
graphique dont la projection durera liam Holden, Alexis Smith et Edm und
trois quarts d'heure. Images de Eugène O’Brien.
Schuftan. D écors et costumes de Mayo.
Musique de Jean-Jacques Grünenwald. • Georges Seaton a term iné Some-
Interprétation : Anouk Aimée, Jean- bodij L oves Me avec Betty Hutton.
Claude Pascal, Jim Gérald, Mme Gar • Les c ritiq u e s n ew y o r k a is o n t d é
cia. La plupart des scènes a été tournée c e rn é leurs p r ix an n u e ls.
à la Schola Cantorum. Alexandre As Meilleur film : À S tree tc a v N a m e d
truc envisage de tourner un second Desire d’Elia Kazan, devant The R iv e r
sketch pour donner à son film une de Jean Renoir. Meilleure actrice :
longueur « standard' ». V ivien Leigli pour le m êm e film. Meil
. • Au dernier moment nous parvient leur acteur : Arthur Kennedy pour son
une longue lettre de notre confrère interprétation d’un aveugle de guerre
Gaetano Carancini, qu’il « titre » lui- dans Bright V ictory. Meilleur réalisa
m êm e -A p r o p o s de Venise. C’est une teur : Elia Kazan pour A Streetcav.
réponse à l ’article de Lo Duca paru Par ailleurs, le « National Board o f
dans le numéro octobre-novembre 1951 Review » ne classe A S tree tc a r qu’en
(n° 6 ). Nous y reviendrons dans la pro sixièm e position et couronne A Place
chaine livraison. in the Sun de George Stevens, d’après
« An American Tragedy » de T h éod ore
ETATS-UNIS Dreiser. Ces deux film s seront pré
sentés en France au mois d’Avril.
• L e c o m p lex e de Philém on, la Mais le public a d ’autres avis. V oici
com édie de Jean Bernard-Luc, d evien d’après Thé Motion P ictu re H erald le
dra un film sotis la direction de classement des acteurs selon l’avis des
Howard H aw ks avec le titre de IVs a II exploitants : 1 : John W ayn e; 2 : Dean
in the Mind. Cary Grant reprendra le Martin, Jerry Lew is; 3 : Betty Grable;
rôle créé par H enri Guisol. 4 : Abott et Costello; 5 ; Bing Crosby;
Voici la p re m iè re plioto p arven ue eu F ra n c e de D ete ctive Story (à gau ch e), de W illia m W y le r, a vec
K ir k D o ug las et W illiam B endix. A droite, ou re c o n n a ît W illiam W’y le r p e n d a n t la ré a lis a tio n d e Carrie,
?on d e rn ie r film, en tr a in de con verser avec so n in te rp rète L a u re n c e Olivier e t avec V ivien I.eiffli.
30
M arlon B rando et V ivien I.eiffh d a n s A Strcctaii' I e d e rn ie r f i n i de R o bert Rosseu T he Brave
N a m e d Désire d ’E lia K azan. HtiUs va s o rtir p ro c h a in e m en t. E n voici u ne
photo avec Mcl F e rre r, l ’in tertirète principal.
51
LES FI LMS
52
vit de trois maigres ressources, — la et le maître du roman italien en ce
pêche, les m ines de soufre, et les cultu début du XXe siècle — sera le Sicilien
res, principalem ent de citrons. Le Giovanni Verga, l ’auteur de Cavalleria
film devait comprendre, trois parties : Husticana, niais surtout des deux chefs-
nous n ’avons que la première, et fort d ’œuvre que sont Mastro don Gerualdo
som mairement décrite, — l’existence et I Malavoglia. Ces deux romans, que
inéluctablement servile des pêcheurs l ’on peut rattacher au « vérism e s> m i
du petit port d’Aci Trezza. lanais avant la lettre des Fiancés (Te
Il faut à présent prendre les choses Mauzoni, et au « vérism e » triestin que
de plus loin. Depuis cinquante ans, — découvre vers la m êm e époque Italo
plus exactement, depuis l’unification Suevo, tracent la voie royale de la
de l ’Italie (1870), — l ’un des problèmes prose narrative italienne, d ont les ori
les plus graves qui se posent dans la gines sont à rechercher chez Boccace,
Péninsule est ce qu’on appelle la et les égipones, chez Pavese et Devaro.
« question m éridionale ». Si l ’on se Qu’est-ee, plus exactement, que le
réfère au sénateur Giustino Fortunato, « vérism e » ? Pas plus la déformation
l’écrivain qui en a donné l’analyse la du réel par l ’insistance quasi lyrique
plus complète, v o ic i com m ent on peut sur scs aspects péjoratifs, qui caracté
le résumer grosso m o d o : l’Italie ne rise Zola et les siens, que la haute
pourra jamais être une. du fait qu’elle objectivité absolument cartésienne de
se com pose de deux pays économ ique Flau bert: mais la poursuite d’une
ment et donc socialem ent différents, Weltanschaiumg d irecte et locale,
■— un Nord fortement industrialisé et fuyant tout esprit de folklore, et épou
nettement continental, qui a tout in té sant la structure nettement non-carté*
rêt à m aintenir le Sud, agricole et arti sienne de la vie d ’un pays tel que la
sanal, surpeuplé et insulaire, dans une Sicile; et, par cette peinture « vraie »
sorte d’esclavage à demi barbare; les d’une terre malheureuse, la recherche
subventions gouvernem entales aux ré de thèm es profonds et universels. C’est
gions où la terre est pauvre (bouts de ainsi que le « vérism e » de Giovanni
la Botte, Sicile, Sardaigne), n ’arrange Verga aboutit à une vision pessim iste et
ront rien, et seule une large autonomie stoïque des choses que l ’on peut rap
pourrait sauver le Sud, en lui permet procher de celle de Thomas Hardy; et
tant d’échapper partiellement à l ’ex que ses livres nous révèlent une Sicile
ploitation par le Nord. Ajoutons qu’une scimbre, secrète et résignée, dont
amorce de cette autonomie a été éta Aniante ou Brancati présentent des as
blie par la République. — La Sicile et pects accessoirem ent fantaisistes ou
la Sardaigne ont désormais leurs par vaudevillesques, m ais dont Pirandello
lements, etc... prolonge, dans le mode mineur, cer
Comment se traduit sur le plan stric tain caractère fantasque et tcliékovien.
tement intellectuel cette dualité inté Avec un peu d’humour, on peut ajouter
rieure de la Péninsule ? Par la nais que « vérism e » se traduit en français
sance du « vérisme », le phénom ène par l ’expression « n éo -ré a lism e» .
littéraire le plus intéressant dans le Ce discours nous a entraînés appa
dernier quart du XIXe siècle. Le « v é remment loin du film de Luchino Vis
risme », si l ’on en croit les préfaces de conti, mais, en vérité, nous sommes au
Luigi Capuana, le hérault du groupe, cœ ur du problème. Au début de sa car
pourrait passer pour une variante ita rière, [e grand Giovanni Verga, tenté
lien ne du naturalisme de Médan. issue par les villes du « c o n t in e n t » , comme
du réalisme que proclam aient Chainp- on dit en Sicile, va se frotter à l ’aristo
fleury et Flaubert; en fait, conjoncture cratie m ilanaise, pour com poser des
typiquem ent italienne et plus exacte romans plus ou moins mondains. Reje
ment m éridionale, le « vérism e » m ar ton de cette m êm e aristocratie (mais
que le retour de quelques écrivains de hanté par des idées progressistes) Vis
régions pauvres, m om entaném ent atti conti lui rend aujourd’hui la politesse
rés par l ’aire continentale et citadine en allant étudier de près, avec une
à une inspiration locale, fidèlem ent équipe de techn icien s et une trentaine
locale, foncièrem ent locale, l ’universel de m illiers de mètres de pellicule, la
ne pouvait être atteint que par l ’appro vie misérable des pêcheurs sicilien s; il
fondissem ent du local : les « véristes » n’est nullement exclu qu’à part le ba
viendront des Abruzzes (Misasi), de gage de souvenirs cinématographiques
Naples (Serao), ensuite m êm e de Sar dont il s’est chargé (notamment Eisens-
daigne (Deledda), mais leur maître — tein, Jean Renoir, Flaherty, ou même
53
Malraux), il garde à portée de sa main qui, — en dehors des souvenirs qu’il
les livres de Verga. Devant ces allées et peut garder des maîtres antécédents,
venues, nous sommes tout attention : — a su chercher, im poser sa vision,
car V isconti, génie m ystérieux du ciné innover. Je suppose que ses opérateurs
ma italien, an cien assistant de Renoir, ont souvent du pester contre sa hantise
puis décorateur et metteur en scène de des prises de vues dans une quasi obs
théâtre fort apprécié par le snobisme curité, — admirables retours des p ê
péninsulaire, enfin réalisateur d’Ob cheurs avant l ’aube, tristesse des levers
session, sur le thème du Facteur sonne du jour, intérieurs éclairés au pétrole;
toujours deu x fois, où l ’on découvre, — pourtant, à part le fait que V isconti
dès 1943, la maturité du cinéma italien, établit par ces im ages le climat de
dans une prem ière le ço n de style et de malaise dans lequel il veut que son
« v é r is m e » . Visconti, dis-je, doit don récit baigne, il faut considérer que
ner par cette Terre trem ble la confir l’objectif ne peut pas rendre la lum ière
mation de son génie, sinon de sa pri trop éclatante de la journée sicilien ne,
mauté. ainsi que le prouvent certains ex té
Hâtons-nous de dire qu’il y a mal rieurs plats et ternes. Par ailleurs, la
donne. N ous nous trouvons devant un façon dont Visconti enregistre la nu
imbroglio destine à rester encore long dité de ses décors, l ’h orrible b lanc cra
temps m ystérieux. De son long séjour quelé des murs, ce qu’a de friable et
en Sicile, de son tournage avec des ac de trompeusement dur cette terre sans
teurs im provisés, Visconti ramène un joie, la m erveilleuse matière prem ière
m onceau de p ellicule (les difficultés des visages, et d’une manière générale,
financières de son producteur l ’ayant le jeu anguleux des êtres dans cette
tout de mêm e obligé à interrompre une très ancienne géhenne, tém oigne de sa
entreprise qui tournait à l ’opération jeune maîtrise. On lui reprochera pour
P énélope), que l’on présente à Venise tant une tendance à trop préfabriquer
en 1948, si je ne m e trompe, dans un ses images, dans un goût trop pictural,
m on tage approxim atif; l ’on y découvre — et l ’on avouera, d’autre part, que le
de grandes beautés, mais personne ne Sicilien, en tant qu ’acteur im provisé,
se risque à porter un jugement défini réussit moins bien que les Romains de
tif, l’œuvre n ’en était pas une. Ce m on Sica, mais cela s ’explique par le carac
ceau de p ellicu le pourrait passer pour tère bridé des autochtones. Mettons
un de ces im posants réservoirs d’im a aussi à l ’actif de V isconti le chant gut
ges, tel le stock ramené par Eisenstein tural de ce dialecte, sa grandeur et son
du Mexique, duquel on a continué p en âpreté si peu m éridionales, et d ’une
dant longtemps à tirer des richesses manière générale de nous avoir donn é
éclatantes. La bande signée V isconti une image « vériste » de cette île sans
que l’on nous présente aujourd’hui est espoir, en dehors m êm e de toute in ten
un montage court et sommaire, fait tion revendicative. Il est p ossible que,
paraît-il avec l ’approbation de l’auteur. tel qu’il est même, ce film dem eure
et qui nous expose l ’histoire d’une comme un document m ineur à côté de
famille de pauvres pêcheurs, exploités Mon of Aran.
par les grossistes : ils tentent de Ce par quoi la Terre trem ble aurait
s’ém anciper et de travailler à leur pu être une grande oeuvre et rejoindre
compte, une tempête les ruine, ils re Verga, c’est justement un m ystère p sy
prennent leur travail d’esclaves. Com chologique et social que le drame ne
me, de tant d’images enregistrées sui fait- qu’effleurer : l ’hostilité générale
vant une inspiration beaucoup plus contre la volonté d’ém ancipation m ani
large, on a tiré une petite anecdote festée par l’un des pêcheurs, l ’accepta
plus ou m oins tendancieuse, artificiel tion séculaire d’un destin in exorable
lement écourtée, donc équarrie à la
diable, et com m e, pour aggraver la m ent accablant, le refus m êm e — par
chose, l ’on y a ajouté un commentaire ce que l ’on appelle là-bas : omevtà, que
paternaliste d’une rare im bécilité, nous l’on traduit mal par « point d’h o n
devons refuser de ju ger l ’œ uvre dans neur » — de tout espoir, et l ’insularité
son ensemble. E n core une fois, il y a de ces êtres, leur solitude qui exp liqu e
maldonne. un phénom ène tel que celui du b a n d i
tisme. Mais cela, nous ne pouvons que
Reste le détail et, là, il se confirm e l’imaginer en marge des images...
qu’avec V isconti nous tenons un vrai
poète de la caméra, j’entends quelqu’un N in o F rank
54
UNE BALLADE AU SOLEIL
55
en 1945 par Lewis Milestone (1) et pro cent fois supérieure à O kinawa et qui
duit par les L e w is Milestone P r o d u c méritait m ieux que le navrant titre
tions, c ’est-à-dire par le réalisateur Iui- français dont on l ’a affublé..., il eut été
mêrae. Robert Rossen, devenu depuis si sim ple de traduire. Quoi de plus p o é
célèbre metteur en scène, en écrivit le tique qu’t/ne p ro m e n a d e au Soleil Y Et
scénario et les dialogues, en suivant de de plus fidèle aussi à l’esprit du film.
très près un roman du m êm e titre Le fait qu’il fût tourné à la belle
d’Harry Brown. Tourné par une com époque de l ’ainitié russo-américaine, de
pagnie indépendante, le film dût, pour l’euphorie de la victoire, des souvenirs
pénétrer dans les grands circuits com tout frais de la camaraderie d’armes
merciaux, se chercher un distributeur et qu’y soient évoqués les héros de Sta
parmi les com pagnies majeures. Ce lingrad, bref, que le film ne soit plus
fut la 20th Century F o x . Si mes rensei du tout dans le ton actuel des films
gnements sont exacts, le film « sorti » am éricains de guerre qui sont toujours
aux U.S.A. en 1946, connut un h o n o aujourd’hui plus ou m oins de propa
rable succès. Quoiqu’il en soit, les gande et « défensifs » sinon « agres
échos de sa qualité parvinrent jusqu’en sifs », ce fait constaté objectivement (et
France où sa venue fut attendue avec non sans regrets personnels) a-t-il joué
im patience. Rien ne venant, on l ’oublia. un rôle dans son exportation malaisée
Que s’est-il passé entre cette date et et son dem i étouffement ? Cela se pour
le-passage en Angleterre du film distri rait, mais je ne possède aucune donnée
bué par'Eros en mars 1951 ? Je l ’ignore. positive pour T affirmer. Maintenant
Les critiques anglaises furent excel nous l ’avons vu : cela est l ’essentiel. Il
lentes. Puis le film sortit en Belgique serait évidem m ent trop exigeant de
où l ’on voit pour la prem ière fois appa dem ander à voir les vingt-trois minutes
raître le titre Com m ando de la mort. manquantes. Si elles sont à la hauteur
Remarqué par un exploitant français, du reste, nous perdons beaucoup.
le film fut alors recherché dans le but N ombre de gens n’ayant pas vu le
d ’être présenté à Paris d’une façon film et ayant peu de chances de le voir,
digne de sa valeur. Ce n ’est pas le lieu j’en résume le sujet : en 1943, lors du
ici de conter les détails de l ’éch ec de débarquement de Salerne, une petite
cette tentative. Disons sim plem ent que patrouille de l ’armée du général Clark
la F ox qui avait produit entre temps est la n cée vers la côtc. Son objectif est
un autre film de Milestone, en appa la capture d’une ferme à six m iles du
rence sim ilaire : The Halls of Monte- p o in t de débarquement. Durant le tra
xuma (Okinawa), se souciait peu de le jet en bateau, le lieutenant qui com
défavoriser au profit d’un enfant pro m ande la patrouille est tué. Ayant tou
visoirement adopté. On a vu que ce ché terre, la patrouille attend qu’un
n ’est pas elle qui avait distribué en de se s sergents aille chercher des in s
Angleterre le film; il échut aux Artistes tructions. Mais il est tué aussi. Un
Associés qui viennent de le présenter deu xièm e sergent prend le com m ande
après avoir obtenu une dérogation sp é m ent et, laissant sur place ses blessés et
ciale pour le doublage. (Les grandes ses morts, le petit groupe m uni d ’une
com pagnies am éricaines ont droit de sim p le carte entame l ’accom plissem ent
doubler un certain nombre de films de sa m ission. Elle est bientôt bombar
chaque année. Les À. A. n’ayant pas dée et m itraillée par avions. Nouveaux
leur compte, pensèrent alors à A W aïk morts, nouveaux blessés. Le sergent
in the Sun et obtinrent la dérogation « en charge », à bout de nerfs, flanche.
indispensable, le film ayant plus de Un troisièm e sergent prend le com m an
deux ans). Il faut les féliciter pour cette dem ent et après avoir attaqué une auto
initiative mais, comme je l ’ai déjà dit m itrailleuse allem ande qui passait par
dans L ’O b s e r v a t e u r , il semble bien que
là, achèvera la m ission, c ’est-à-dire
ni la Fox, qui a abandonné le film, ni prendra d ’assaut la ferme en question.
les A rtistes Associés, qui l’ont « sorti » Le tout se déroule d'ans l’espace d ’une
sans fracas, ne se soient rendu compte m atinée. Ce n’est qu’une toute petite
de la valeur exceptionnelle de l ’œuvre, action m ilitaire vue au m icroscop e et
c ’est à juste titre que le refrain de la
ch an son qui accom pagne le film dit
(1) Dont on rappelle toujours, à juste qu’il s’agit de l ’histoire d’hom m es qui
titre, A VOuest rien de nouveau, mais « v in rent d’au d^elà des mers pour
dont on a trop tendance à oublier le accoster en Italie et s’offrir une petite
rude Strange L ove of Martha Iv e r s. p rom enade au soleil ».
56
Le film est construit autour dé quatre lettres imaginaires à sa fiancée, ou à la
incidents : un débarquement, un bom mère du camarade qui vient de tomber
bardement, l ’attaque d’une automitrail et en son nom ( s Si tu veu x m e voir,
leuse et la p rise a’une ferme (incident chère maman, il te faudra maintenant
accessoire : la rencontre de deux pri venir en Italie »), il plane, il a le point
sonniers italiens). Le reste est tout p sy de vue de Goethe qui dit que si l’on
chologique : le dégonflage progressif regarde du haut d’une colline un farou
du sergent Poi'ter (Herbert Rudley), la che combat de cavaliers « on n ’aperçoit
prise d ’autorité progressive du sergent plus dans la plain e qu’une vaine et
Tyne (Dana A ndrews), bientôt con cré
tisée dans les faits. Cela est la trame minuscule agitation ». Non seulement
proprem ent dite. R éduit à elle seule, le W indy dém ystifie par un hum our amer
film déjà serait original, mais c ’est le le mythe du « maman ! » du mourant,
parti pris de sa réalisation qui en fait mais encore il s’interdit d’appeler
la vraie valeur. Ce parti pris : ne m on lâcheté la défaillance : au sergent qui
trer strictement de la bataille que ce « craque » il dit : « Nous comprenons...
que le soldat peut en voir (c’est l ’angle tu as juste u n e 'b a ta ille en trop% . Et
de Fabrice à Waterloo), Milestone le Rossen se garde bien d’opposer la
m aintient avec rigueur et presque sans défaillance de Porter à l’autorité dyna
défaillance durant tout le film , à deux mique de Tvne, il ne tombe pas dans
ou trois excep tions près, d’ailleurs fort le piège de l ’héroïsme : après avoir
regrettables car elles enlèvent au film audacieusement monté le plan de l’at
le signe indien du chef-d’œuvre. taque de la ferme, la tête lui tourne
A cette sobre structure, à cette pendant son accom plissem ent : il 'n’y
rigueur visuelle s’ajoute une autre voit plus rien, il a une taie sur le
qualité et c ’est elle en définitive qui regard, il se lance en aveugle, la ferme
donne à l ’œ uvre ses sommets et sa est prise,sur un coup de chance.
haute tenue. Cette qualité c’est la « litté
rature ». Oui, en effet, tout le reste est En conclusion, W in dy exprim e le
littérature, et c ’est cela qui est bon, « chant profond » de l’œuvre, sorte
insolite, bienvenu. Cette littérature est d’« anti-chant du d ép a rt» , et qui
représentée par l ’adjonction d’un résonne lointainement, m ystérieuse
chœ ur « off » (celui de la ballade), du ment en ceux qui ont eu le triste p riv i
m onologue intérieur du soldat W indy lège de se balader dans la campagne
(John Ireland) et enfin par le duo entre un fusil à la main, il dît — une fois la
le mitrailleur Rivera (nichard Conte) ferme prise et la m oitié des copains
et son chargeur Friedm an (George morts — « Tout cela n ’a été qu’une
Tyne). C’est dans ce côté littéraire qu’il petite prom enade au soleil, dérisoire-
faut chercher le « message ». II n ’est inent facile ».
pas pacifiste, dans le sens classique
du terme, com m e dans A l’Ouest rien J a cq u es D o x io l -V a l c r o z e
de nouveau, il est a-guerrier, anti
héroïque. C’est le thèm e des « morts
in u t ile s » . La guerre est présentée Ï\-S. — Un fihn récent de John Hus-
com m e un p h énom èn e absurde — on ton The R e d Badge of Courage (1951)
fait cent mètres : tant de morts, tant répond assez exactem ent à A Walk in
de blessés; on refait cent mètres : tant the Sun. C’est encore Waterloo vu par
de morts, tant de blessés — une tra Fabrice. Le réalisant en 1945, Huston
gique et écœ urante opération mathéma l’eut tourné sur la dernière guerre,
tique que le soldat accepte avec plus mais le faisant en 1951 et pour éviter
ou moins de résignation selon son tem toute équivoque de « propagande », il
pérament. Et dans la description de ces a choisi la guerre de Sécession. Nous
tempéraments, Robert Rossen fait mer reparlerons de ce film énigmatique et
veille. Le duo Rivera-Friedman est ad
mirable : un m élange d’humour et d ’hu d ’une rare beauté formelle qui fait pen
manité, de sens de l ’absurde et de sens ser au Griffith de La Naissance d'une
de la solidarité. Le m onologue inté Nation. (Enigmatique, car il apparaît à
rieur de W in dy ne lui est pas in fé première vue comme un apologue de
rieur : m élancolique, désabusé, presque l'héroïsme... cependant le héros p rin ci
romantique, très « carnet de voyage pal est un lâ ch e et Huston Ta fait inter
d ’un fantassin cfu siècle ». W in dy d’ail préter par Au die Murphy, « le soldat
leurs domine l ’action : qu’il écrive des le plus d é c o r é » de la guerre).
57
LE GHETTO CONCENTRATIONNAIRE
DALEKA CESTA (GHETTO TEREZIN ou LA LONGUE ROUTE), film de
A lfre d R a d o k . S cénario : Mojmir Drvota, Erik Kolâr et Alfred Radok, d’après
un sujet de E rik Kolâr. Images : Joseph Streclia. Musique : Jiri Sternwald.
In terpréta tio n : Blanka "Waleskù (Dr. Hanna Kaufmamovà), Otomar Krejca (Dr.
Antonin Bures), "Viktor Ocàsek (Eng. Kaufmann, père de Anna). P ro d u c tio n :
Cinéma d’Etat Tchécoslovaque, 1950.
11 y a hélas peu de chance que le au contraire, est l’un des films les plus
lecteur de ces lignes puisse en tenir surchargés de références esthétiques,
compte. S’il habite Paris et n’est allé je dirai même, si ne planait sur ce mot
voir ce film en tem ps utile au Cinéma un terrorisme critique, les plus form a
d’Essai, il sera déjà trop tard, et s’il listes qu’on ait vu depuis longtemps.
est provincial, je doute qu’il ait ]a Cette remarque ne devrait p o in t être
chance de le trouver à l’affiche des a priori en sa faveur. Et ceci d’autant
cinémas de sa ville, non que je sous- plus que les références en question
entende contre Ghetto T érézin que;que sont celles de l’exp ression n ism e alle
sourde cabale, je ne sais quelle m achia mand, celui des années 30. S’il est une
vélique m achination; m ieux vaudrait esthétique qui semble dépassée dans le
qu’il en soit ainsi car le p hénom ène ciném a m ondial tant occid en tal que
est plus grave : c'est lo jeu « normal soviétique, c ’est bien celle-là. Il est
de -la distribution cinématographique doublement étonnant de la retrouver
qui écartera probablement ce film des portée à une manière de p aroxysm e et
plus modestes circuits. Tout l’y con p récisém ent dans une production tch è
damne : son origine tchèque (déjà bien que de 1950 (si ce film est b ien com m e
beau que la censure ne l ’ait pas inter on le dit de cette date). Plus étonnant .
dit sur cette seule référence !), son encore que cette insolite résurgence se
sujet (« on en a assez de ces histoires m anifeste à l'occasion d ’un sujet qui
de camps de co n cen tr a tio n » ) et son lie semble guère s’y prêter.
style insolite. Bref, « il n’est pas com JJai parlé de camp de concentration;
m e r c ia l» . Il reste heureusement un il s ’agit plus précisém ent des p ersécu
appel, si un im probable succès autre tions antisémites à Prague devant la
que d’estime n ’est pas venu démentir guerre et de la vie des Juifs groupes
le p essim ism e de ces lignes : celui des dans le Ghetto de 'Térézin avant d ’être
séances privées et surtout des ciné- dirigés pour la plus part vers les ghet
clubs, à l ’attention desquels je le tos polonais dont on ne revenait pas.
recom m ande vivement. Ainsi du m oins U n Tchèque chrétien a épousé, en
quelques dizaines de milliers de sp ec dépit des persécutions déjà co m m en
tateurs pourront-ils en savoir quelque cées, une jeune doctoresse juive. Le
chose. m ariage assure quelques tem ps à celle-
Il est de curieuses co ïncid en ces. Ce ci une immunité partielle (à m oins
m ois de janvier 1952 a vu sortir à qu’il ne fasse, au contraire, peser sur
Paris (et dans des conditions pub lici son mari une m enace supplém entaire).
taires presque aussi défavorables l ’une Ils voient, les uns après les autres,
que l’autre) les deux m eilleurs films leurs amis puis leur parents recevoir
sur la guerre et les camps de con cen leur ordre de transport pour le sinistre
tration. Je fais naturellement allusion à Térézin, petite ville fortifiée « am éna
A W alk in the Sun dont Jacques Doniol- gée » en ghetto. Là, c ’est le m ond e
Valcroze rend’ com pte d’autre part. concentrationnaire dans toute sa lo g i
Sans doute avons-nous eu La D ernière que monstrueuse. P hysiquem ent m o ins
Etape, et il est à la fois d ifficile et atroce peut-être qu’il ne le fut ailleurs,
déplaisant de prétendre faire une h ié Térézin n’était encore qu’une étape —
rarchie entre le film polonais et le et non la dernière — sur la spirale
film tchèque, car leurs qualités sont infernale, mais com pliquée de ce que
incomparables. Le prem ier se distin la sociologie du Ghetto peut ajouter à
guait par un dépouillem ent total, aussi celle du camp de concentration. L’as
peu quée possible de p réoccupations p ect le m oins abominable de cet u n i
formelles, le rendu le plus direct, le vers n’étant pas qu’il s ’ouvrit p ério d i
plus brutal d’une réalité qui peut, quement sur un autre pis encore, au
hélas, se passer d’ornements. Le second p rix duquel celui-ci apparaissait à ses
58
A lfred K adok, D a le ka Cesta.
5?
aimé qu’en Tchécoslovaquie. C’est par la sociologie, les situent dans une pers
la seule logique du sujet et du style p ective intrinsèque de la condition hu
que, en deçà de toute influence, Ghetto m aine, en cela peut-être le ghetto est
Têrêzin reconstitue un univers appa autre chose que le camp de concen
renté à celui du romancier juif. Pour tration. II est significatif que le salut
Sade la com paraison est m oins évi lie v ien n e et ne semble pouvoir venir
dente, d’autant que l ’érotisme ne tient ic i que de l'extérieur (la prem ière esta
dans cc film qu’une place m ineure et fette soviétique aperçue sur la route).
accidentelle. Mais une scène com m e L’organisation interne du camp, la ré
celle où l’Allemand contraint, sous la sistance, relative mais efficace, que
m enace du revolver, une femme à trans pouvaient opposer scs rouages à l’écra-
porter à quatre pattes un seau d’ordu sem ent concentrationnaire, semblent
res avec ses dents, atteint à un raffine ici, non pas tant im possibles qu’im pen
ment dans la cruauté mentale dont sables. C’est la différence essentielle de
Sade seulement fournirait l’archétype. ce film avec La Dernière Etape. Sur
Plus indirectement le leit-motiv de la ces v ictim es pèse une double m alédic
forteresse, de ses hauts murs de bri tion, celle du camp et celle de leur
ques, cette claustration de pierre, évo race. Leur sort leur paraît d ’autant
que l’embastillement moral du marquis. plus in v in cib le qu’il accom plit une
Je sais bien que ces comparaisons prophétie. Seule la doctoresse repré
littéraires ne sont point celles que p a sente un élément de résistance morale
raîtrait imposer la critique d’un tel et sociale, mais elle est justement ma
sujet, mais que ponrrait-on d ire de riée à un non Juif, elle est déjà à demi
plus sur celui-ci, que constater qu'il sortie de son ghetto personnel, encore
est véridique et bouleversant, sinon tente-t-clle de se suicider pour libérer
précisém ent qu’il a su se dépasser lui- son mari du danger qu’elle est pour
même, tém oigner non seulement de ce lui. Les murailles de Térézin s’ouvrent
que fut objectivement l ’histoire dans à l’arrivée des soldats russes, mais à
toute rétendue de son horreur mais en la septièm e sonnerie de trompettes.
core de cette dimension intérieure qui,
sans dénier celles de la politique et de André B a z in
60
mentaire musical d’après Vivaldi, T. Àlbinoni et J.S. Bach réglé par Edgar Bis-
chofF. Interprétation : Faïconetti (Jeanne), Silvain (Pierre Cauchon, évêque de
Beauvais). Antonin Artaud (Jean Massieu, doyen de la Chrétienté de Rouen),
Michel Simon (Jean Lemaitre), Maurice Schutz (Nicolas Loyseleur, chanoine de
Ja cathédrale de Rouen), Jean d ’Yd (Guillaume Evrard, trésorier et chanoine
de la cathédrale de Langres, chanoine de Laon et de Beauvais), Ravet (Jean
Beaupère, chanoine de Paris et de Besançon), André Berley (Jean d’Estivet,
chanoine de Bayeux et de Beauvais), A. Lurville, Jacques Arnna, Mihalesco,
R. Narlay, Henry Maillard, L. Larive, Henry Gaultier, Paul Jorge (juges). P r o
duction : Société Générale de Films. 1928. E ditio n 1952 : Gaumont.
61
Dans La P assion de Jeanne d ’A r c on sève de L a P assion de Jeanne d ’Arc :
a attribué à Dreyer des intentions d ’in « L’action intérieure _qui s’exprime sur
tolérance, étaÿées par le scénario de le visage intéresse b ien davantage que
Joseph Delteil [qui s’était déjà exp ri celle qui se m anifeste dans des m ouve
mé dans un roman (1)]. Dans sa ver ments extérieurs. Plus le visage s’ap
sion définitive, le film com m ence proche (et s’agrandit) et plus cette
ainsi : « Le 23 mai 1430, Jeanne fut dynam ique intérieure domine. La P as
faite prisonnière à Compiègne par sion de Jeanne d’Arc est un film de
l ’archer Lyonnel qui la céda à son combats sauvages et passionnés entre
maître, le bâtard\de V en dôm e, qui lui- la v ie et la mort, suggérés par des p re
m êm e la céda à son maître, Jean de miers plans de visages. Dans la longue
Luxembourg, l’homme de guerre dés et saisissante scène du procès, c in
Bourguignons, Grande fut,la joie parm i quante hom m es sont im m o b iles'à leur
les Bourguignons et les Anglais : on place, et nous n’en voyons que la tête
tenait la Pucelle. H o r s . de l'espace. Mais l ’espace n’est
« L’Université de Paris était alors le. pas nécessaire. A quoi servirait-il ? '»
soleil de la . chrétienté et se plaisait à Et Balâzs concluait : « La caméra
clamer sa com pétence en m atière de pénètre toutes les couches de la phy-
foi. Par scrupule religieux et par rai siom ie. En plus du visage qu’on se 'fait,
son politique, elle soupçonnait la elle découvre le visage qu*on a, qu’on
Pncelle d ’être inspirée du démon. Mais rie change pas et qu’on né contrôle
Paris était bourguignon, c’est-à-dire : point; la caméra atteint les m oindres
anglais. ^ et les plus im perceptibles surfaces et
« L’Université demanda donc au duc photographie le subconscient. Vu
de Bourgogne de lui livrer sa prison d’aussi près, le visage hum ain devient
nière. Philip pe de Bourgogne, Jean de le docum ent » ( 2 ).
Luxembourg et leurs conseillers an Dans le cœ ur de Dreyer il n’y avait
glais eux-mêmes mirent deux m ois à pas cette suite de tempêtes nationales,
s’y décider. liturgiques ou techniques. Il s’ex p ri
« Pierre Cauchon vint en personne mait par des images, avec les seules
la réclamer, offrant dix m ille francs images qui convenaient à sa vision. Le
d ’or, rançon d’un prisonnier de sang film était muet; maintenant j’ai un
royal. Jeanne, conduite à Rouen, y fut p oint de repère pour juger de l ’état
m ise aux fers. Le procès s’ouvrit le d’âme de Dreyer : en me chargeant de
21 février 1431. Il y eut vingt-huit sonoriser La Passion de Jeanne d ’Arc,
séances ». D reyer m ’exprima le désir de voir ses
Sans doute, Dreyer s’efforça de dire images, « p lo n g é e s » dans la m usique
à haute voix quelque chose de vrai et de J.-S. Bach, de Vivaldi, de Tomaso
d’authentique sur la sainteté de Jeanne Albinoni. Le procès de Jeanne a été
et sur l ’ignom inie des hom m es d’« or donc pour lu i une im m ense cantate, où
d r e » . Dreyer déchaîna certains. F ran les âmes « vibrent » sur les visages.
çais qui ne pouvaient admettre que le C’est l ’exaltation du visage hum ain sur
tribunal qui jeta Jeanne sur le bûcher le drap blanc qui deviendra le linceu l
non seulement était français, m ais de Jeanne. Ï1 n ’y a pas de répit; au
représentait la quintescence de la cune description, aucune allusion; il
France, l’« U niversité ». Il déchaîna n’y a qu’une angoisse, uniquement
certains croyants qui voyaient sans joie déclenchée par les images, qui d evien
une sainte couverte des crachats d ’un dra vertige et extase et qui, dans les
clergé repu, infaillible et sclérosé. Ce derniers plans, m onte doucem ent de la
pendant, onze ans après, le m oine de su pp liciée à son peuple.
Claudel pourra dire : L’œ uvre entier de Dreyer tend à dé
Ma robe blanche gager la vie intim e de ses personnages
Que mes frères de Paris et de Rouen au m oy en d’images animées presque
ont souillé d'une telle souillure... . uniquement par la lumière, Le montage
Dreyer déchaîna aussi les hom m es — et pourtant quel génie du montage !
de cinéma, dont les « règles » étaient — y reste secondaire et il n’en tire que
troublées avec la foi et la vio len ce qui des effets « exclam atifs ». La P a s s i o n .
servirent à Jeanne pour discuter et < de Jeanne d ’Arc est le prem ier volet de
confondre les docteurs de la Sorbonne. la trilogie que D reyer a mûrie en lui.
Les exégèses — d’ailleurs admirables
de P aul. Rotha et de Béla .Balâzs (1) Grasset.
viennent après. Ce dernier établit une (2) D e r Geist des Films. Il n’existe
théorie qui est l ’extravasation de la pas de traduction française.
62
Dans Vam pyr, le monde des sons a co n fo n d — dans son esprit — avec son
abordé le inonde de Dreyer. Dans désir : elle va ainsi de l’euphorie d’un
■ l ’aventure' de Gray, les hommes vivent pouvoir diabolique supposé à l’an-
en une obscure m alédiction qui est jus- goisse d’un crime contre la loi di-
tement la tragédie d’y croire de toutes vine ( 1 ).
leurs forces. Dreyer défie un m onde Tous les problèmes de Dreyer trou-
indicible. La physique nucléaire a vent ainsi dans ses trois films une apo-
rendu prudents les plus incrédules. Qui ’théose expressive qu’aucun metteur en
observe un cyclotron, avec la même scène n ’a jamais atteinte. On discutera
même ignorance dont nous nous ser- longuement, cependant, sur V a m p yr et
vons pour observer l ’incantation effi- sur Vredens Dag, comme on discutera
cace d’un noir, pourra s ’égarer dans toujours sur le sens cinématographique
d’invraisemblables théories, mais le {sic) du Journal d ’un curé de ,cam -
cyclotron marchera quand même. L’es- pagne. L a Passion de Jeanne d ‘Arc
prit cartésien et le matérialisme dialec- échappe à ces passions : depuis bientôt
tique sont de vieux, outils de vieilles un quart de siècle, ce film demeure le
époques; qui aujourd’hui en fait usage, classique entre les classiques et porte
contrit et content, respecte tout au plus en filigrane un vers qui est une clé et
une tradition bourgeoise, la tradition un motif :
du tabou en retard. ' J canne
D ans Vredens Dag le d ra m e p r e n d . au-dessus de Jeanne !
une étra n g e c o h é r e n c e : il e x p r im e Flamme
toute in te r fé re n c e e n t r e le m a l et le au-dessus de la. flam m e !
d ésir du mal. Anna, d an s le film, d é s ire Lo D uca.
v io lem m en t la m o r t du v ie u x m a ri, et —- — — -
la m o rt vient. A nna n 'e s t p a s u n e sor- (1) L a. R evue du C inéma , n ° 4 (1947),
cière, m a is le p é c h é de son, âm e se p p . 65-66,
64
Charles C brichton, The L a v e n d er H ill M ob : Alec G uiness e t Stan ley Holloway,
65
LA K.ËVUË, DES REVUES
AN.GL.ETERRE ^ V-■ ' '
DISPARITION DE « SEQUENCE »
Le n u m é ro 14 de S éq u en c e se ra le d e r n ie r (La R e v u e d u Cinéma av a it a t te i n t
]é n° 20). U n é d ito rial in titu lé « Swcll u p : F a d e o u t » et d o n t le ton léger
m a sq u e à p ein e u n e m é lan c o liq u e et b ie n com préh en sib le^ am e rtu m e , e x p liq u e
que le co û t de f a b r ic a tio n d ’une telle rev u e, d o n t le tirag e p o u r ta n t av a it p assé d e
six cen ts à q u a tre mille, la c o n d a m n e à l’arrê t. N ée à O x fo rd de l’am o u r d u
c in ém a d’u n g ro u p e de jeunes étu d ian ts, S é q u e n c e se rév éla b ie n tô t co m m e la
m eilleu re re v u e anglaise de cin é m a av e c S i g h t a n d S o u n d . P en e lo p e H ou sto n ,
G avin L am b ert, P e te r E ricsso n , L in d sa y An d e r son, K arel Reisz et b ie n d ’a u tre s
ex cellents critiq u es lui a s su rè re n t d u r a n t to u te r sori ex isten ce u n e h a u te te n u e
intellectuelle. Son h u m o u r souvent m o r d a n t, sa n o n -c o m p ro m is sio n p u b lic ita ir e
lotalè, son sens aigu de la qualité, ne lui firent p as que des am is m a is ce x —
n o m b re u x p o u r ta n t -— qüe S éq u en c e avait, é taie n t fidèles. L e s C a h i e r s d u
Cinéma é taie n t de ceux-là et en v o ie n t à cette co u rageu se éq u ip e leu rs c o n f r a te r
nelles con do léances. Le p etit c o r b il la r d de la p a g e 2 ne les f a it so u rire q u ’u n
in s ta n t; se so u v e n an t de l ’e n te r re m e n t, h êlas d o u lo u re u se m e n t réel, q ui vin t
sy m b o liq u e m e n t p o n c tu e r la cessa tio n de L a R e v u e d u C i n é m a , ils sa v en t ce q ü e
ces d e rn iè re s « liv ra iso n s » p e u v e n t r e p r é s e n te r d ’irré m é d ia b le m e n t triste.
Cet ultime numéro est fort 1 brillant. Gavin Lambert y fait un « dernier tour .
d’horizon », une sorte de mise au point tranchante mais lu cide sur les tendances y
du ciném a depuis une dizaine d’année : ses goûts sont trop proches des nôtres
pour qu’il soit décent de le féliciter. Karel: Reisz publie Une excellente étude
sur « Milestone et la guerre » ; la'récente projection à Paris de A W alk in the Sun . <
lui donne pou^ rious un surcroît d ’intérêt; celle de Lindsay Andeçson sur Ford
ëst également très complète, le portrait de l ’hom m e et de ses idées donne envie
de voir ce Quiet Man auquel son auteur semblé tellement tenir. Les souvenirs de
John Huston sur Flaherty sont contés avec talent et surtout l’incident ou H 'ston
manqua de se faire assassiner par un nègre auquel Flaherty le contraignit de
rendre son arme. Bonne critique également de Los O lvidados par Gavin Lambert,
article plus discutable sur Ophüfs et La Ronde de Karel Reisz, un autre d ’Ander-
son sur An Am erican a P aris et enfin dé longs et curieux,extraits d î « screenplay »
dü The African Queen que John Hustoii vient de terminer. Pour ce, dernier
numéro S é q u e n c e n ’a pas lésiné sur son illustration qui est abondante et sugges
tive (J.D.-V.),
FRANCE
ESPRIT (27, rue Jacob, Paris, 6 e)j n° 186, janvier 1952. — On lira avec intérêt
les pages du « Journal à plusieurs v o ix » consacrées par André Bazin à Los O lvi
d ados et h Deux Sous de violettes. L’a u te u r a n a ly s e avec beaucoup de justesse-
et de profondeur les thèmes sur lesquels toute l’œuvre dé Bunuel porte tém oi
gnage et montre lu qualité transcendante, m étaphysique de la vérité des
O lvidados, cruauté de la condition hum aine dont le Jaïbo — rapproché à juste
titre des-héros de Jean Genêt — est la figure la plus bouleversante que récran"
nous ait jamais donnée. • 7
Le film de Jean A nouilh donne à Bazin l’occasion dé dém ontrer par
l’absurde les bienfaits de l’immoralisme^ et que l’im moralité véritable est dans 1
l'hypocrisie dont témoignent L e Voyage en Amérique: de Henri Lavorel comme
lès cotations de la Centrait Catholique du Cinéma. -
LE MERCURE DE FRANCE (26, rue de Condé, Paris, 6 *), 1-1 - 1952),"— Un
article de Jean Quéval «C iném a d ’Italie » dresse un tableau historique animé,
très informé, dû cinéma italien de 1945 à 1951. On y trouve dès portraits au trait
66
v if et rapide (Cesare Zavattini, Blasetii...) et une critique pertinente des meilleures
oeuvres du nouveau cinéma italien, de R om e Ville ouverte à La Terre tremble, de
S ciu scia k Crônaca di nn Am ore.
En préambule, une remarquable étude comparée de l ’école anglaise et de
T italien n e, , -,
TELE-CINE (155, boulevard Haussmann, Paris, 8 e). — Publiés par la Fédé
ration Loisirs et Culture Cinématographiques et dirigés par Henri Agel, ces
cahiers, composés à Fiutention des adhérents des ciné-clubs, d o n n e n t , chaque
mois des fiches iîiformalives sur les principaux films. La probité, l’honnêteté
intellectuelle de ces analyses mérite attention .,D an s le dernier numéro (27-28,
11)51), 9 films dont Juliette, Christ Interdit, Mademoiselle Juiie, Edouard et
Caroline. \ ^
CINE-EXPRESS MAGAZINE (3, rue de la Chaîne, V ienne), n° 1. — Une
nouvelle revue qui ne nourrit pas de grandes ambitions : des récits de films
placés s a n s ,aucun lien central et de bien pauvres illustrations.
67
LE P R IX C A N U D O
Le P rix Canudo, fondé en vue de théoricien du cinéma. Qui sait ? -Peut-
i couronner le meilleur livre d’un théo être-sera -ce même l’œuvre d’un non-
ricien du cinéma publié dans. l ’année, membre du Jury Canudo consacrée à
a d istin g u é: — en 1950, l’ouvrage un autre non-membre ? On n’a pas
consacré à M. Marcel L’Herbier, m em l ’espèce de naïveté à rebours qui
bre du jury, par M. Jacques Catelain, consisterait à croire sérieusement que
disciple, ami et interprète de prédilec-, l ’appartenance à ce jury est u ne m a
tian de M. Marcel L’Herbier; — en chiavélique hypothèque sur le prix.
3951, Touvrage de M. Paul Gilson, Vaste comme l ’est cet aéropage, ü fau
. membre du jury, C i n é m a g i c , d’ailleurs drait d’ailleurs attendre, sauf erreur,
un joli essai de poète. une quinzaine d’années — une année
Armand Cailliez, le secrétaire géné M. Abel Gance, une année M. Charles
ral du. prix, tient beau coup à faire Ford, ainsi de suite — pour que chaque
savoir que ni M. Marcel L’Herbier en ; membre fût enfin récom pensé au terme
1950, ni M. Paul Gilsqn en 1951, n ’ont d’un noble effort de patience.-N on, on
pris part au vote. On l ’en croit sans n’a pas la naïveté de croire que les
mal. Nino Frank, autre membre du choses se passent tout à fait ainsi, on
jury, lui, a refusé de courir sa chancè^ sait bien qu’Armand Cauliez, par
en 1951.. L’extraordinaire est qu’il exemple, est un pur aficionado, e t l’on
fasse, de la sorte, presque figure de redoute d’être en fin de com pte p rivé
héros du désintéressement. Le fâcheux, de^ ce spectacle. Mais l ’on s ’étonne que,
c ’est que son livre, C i n é m a D e l l ’A r t e , mêm e parmi les gens de talent, le senti
' était le meilleur, sauf peut-être, à cou ment du ridicule se perde. On s ’en
ronner Clair ou Cocteau, ce qui eût été étoiirie sans le regretter. Après tout,,
cocasse, venant de....; mais né soyons l ’humour involontaire a toujours été'
pas méchants. l’un des p récieux chapitres du septièm e
Le jour viendra sûrement où le jury art, mêm e si Canudo, l’inventeur de
Canudo récompensera, en mêm e tem ps l’expression, l ’entendait autrement.
que le meilleur livre de l ’année, un J ean Q u év a l
68
français a toujours été plus ou moins Ces deux producteurs, pardon, éditeurs
déficitaire; La seule explication satis en difficulté ont rév élé l ’existence
faisante au phénom ène est d’ordre sen d’une crise. Leurs m ésaventures ont
timental et sociologique : en dépit des raréfié l ’éditeur de ciném a en 1949 et
risques qu’il représente, le cinéma 1950. Mais les éditeurs com m e les pro
attire l’argent par son prestige, il y a ducteurs ont la m ém oire courte. En
dans sa seule évocation quelque chose 1947, le ciném a français était mourant,
de magique qui enchantera toujours les en 1 951.il a produit 105 films... d éfici
com m anditaires aux halles. La mytho taires. En 1952, le v o ic i de nouveau à
logie du cinéma est plus industrielle l ’agonie. Un jour, direz-vous, il crèvera
encore qu’esthétique. Son existence vraiment. L’édition aussi si l ’on n'y
économ ique est incom préhensible sans prend garde. Si les éditeurs font preuve
, ce mirage. de là m êm e in co n sta n ce que les orga
> De m êm e pour l ’édition. L’éditeur le nism es producteurs, s ’ils ont surtout le
plus sérieux perd la tête à l’idée d’une même... j’allais dire mépris, m ais non,
collection de cinéma. Le livre bénéficie sim plem ent la mêm e ignorance de la
d’un reflet de son lointain objet, il est qualité. Il faut que l ’édition de cinéma
éclairé par son prestige. Se mêlent vive parce qu’elle représente un aspect
chez l’éditeur com m e chez le produc de plus en plus indispensab le de la cri
teur occasion nel la vanité de « f a i r e » , tique cinématographique, pa rce qu’elle
ne fût-ce que par la bande, « du ciné est inséparable de la p rise de con s
ma 2> et l ’illusion tenace que le film cience du ciném a com m e art. Mais elle
rapporte les m illions qu’il brasse. À sa mourra avant trois ans si les éditeurs
m odeste échelle et très indirectement continuent à se laisser gruger avec la ;
l'éditeur participe à cette fabuleuse même incom pétence, s’ils persistent à
e n tre p rise . ne pas accorder à ce secteur de leur
Encore faut-il qu’on lui en mette production le m êm e sérieux com m er
l'idée en tête. Pour cela, les tentations cial qu’à leur département littéraire,
ne manquent pas. Pas plus que les ma historique ou scientifique.
nuscrits et les intermédiaires gui à Il n ’y a, ai-je dit, que 5.000 lecteurs
l ’instar du producteur non financier se environ pour un livre "de cinéma. Ce
chargent des travaux d'approche et de petit nombre indique assez que ce sont
projection. C’est humain, l’auteur ést gens sérieux. Des intellectuels : p rofes
com m e le scénariste où Ip metteur en seurs, étudiants, fanatiques de ciné-
scène, il fait ce qu’il peut pour être clubs. C’est une clientèle pauvre et qui
édité. Un jour vient donc toujours où. n’a qu’un budget lim ité à accorder à sa 1
l'éditeur, même s’il manque d’imagina bibliothèque. Or, en raison des illus-,
tion, est sollicité par le cinéma et où il trations, le m oindre livre de cinéma
donne dans le panneau. est cher. Quand le c cinéph ile » achète
Ces conjonctures psychologiques sont les Sadoul, il ne le regrette pas, il en
heureuses puisqu’on leur doit en par a pour son argent, ce sont là ouvrages
tie au m oins l’existence de nombreux sérieux et cî'une utilité constante, m ais
livres sur le cinéma. Mais elles sont quand il achète... non je ne citerai pas
périlleuses car elles mènent, du m oins de noms. Mais en fin je sais que j’ai
pour ce secteur lim ité, l'édition à la dans les trois rayons de ma bibliothè
faillite chronique. On a déjà assisté que occupés par les livres de* ciném a
depuis 6 ans à leurs effets. On a moins depuis 1945 des dizaines d’ouvrages
parlé des difficultés de Melot ou de La . dont il m ’a suffit de couper trois pages
N ouvelle Edition, en 1948 qu’on ne le pour être édifié. Je n ’aurai pas voulu
fait aujourd’hui de celles de M. Dorf- être à la place du pauvre type qui avait
mann; mais l'aventure est similaire,, préalablement aligné un billet de 500
ces deux éditeurs ont été coulés pour o u ■ 1 . 0 0 0 francs. È n fait, s i je perdais
avoir voulu produire simultanément les trois-quarts de cette bibliothèque,
trop de livres sur le cinéma. Naturelle je me jugerais débarrassé. J’y songe du
ment, com m e il advient pour les films, reste. Un demi-rayon suffirait am ple
une partie des droits ont été rachetés, ment. Mais le papier co u ch é n’est pas
m ais dans l’aventure bien des projets d’un bon usage. Gardons de tout cela
im portants ont som bré dans.... la fleur deux douzaines de bouquins, ils con
de l'âge. Aurons-nous un jour par tiendront tout ce qui a été publié de
exem ple les traductions d’Eisenstein : quelque intérêt, m êm e léger, depuis
F i l m s S e n s e et F i l m F o i u i qui étaient six ans. Si les éditeurs n ’avaient im pri
au programme de L a N ouvelle Edition. ? mé les autres pour les vendre à 800 ou
69
1.500 exemplaires (quand ce n’est pas ce que doit être, en 1952, une h on n ête
2 0 0 ou 300) et perdre ainsi dessus tout vulgarisation des problèm es . élém en
ce qu’ils voulaient, ils seraient sûrs aù- taires du cinéma. Je relèverai sim p le
jourd’hui de ven d re à 4.000 oii 5,000 un m ent quelques passages q u i'd o n n e ro n t \
ouvrage sérieux et ils nous auraient une idee du sérieux de ce travail.
déjà donné la dizaine de livres intéres Faute de place, M. Laborde-Guiche
sants qui ne sortiront peut-être jamais. ne consacre qu’un chapitre à Tétude
Car il faut le savoir, sur un nombre particulière dé metteurs en scène : il
aussi restreint, un mauvais livre prend s’agit de Chaplin et de Clair. Le c h o ix
la place d’un bon, il dégoûte le public, en vaut un autre. Du m oins pouvait-on ,
déjà réduit, et il rend-fatalem ent l ’édi penser qu’il !es connaît particulière
teur méfiant en raison de son insuccès. ment. Or, voici ce qu’il écrit de René
Quand arrive le bon m anuscrit, il est Clair,: « ...après un reportage sur
aussi incapable de distinguer sa valeur P aris -qui'dort; il fit sensation en por
que la vanité dû premier, il sait seule tant à l’écran un scénario de F ra n cis
ment que « le ciném a ne se vend pas ». , Picabia intitulé E n tr’acte... »> p. 124,
On nous dit que le ciném a français \ Vous, avez bien lu, trom pé par le titre
doit produire 1 0 0 film s pour que sur le d ’un film 'q u ’il n’a jamais vu (à m o in s
nombre s’en trouvent 15 honorables et qu’il ne s?emmêle dans La Tour Eiffel),
5. très bons. Alors il faut arrêter là ma l’auteur qualifié le prem ier film fantas
comparaison car, en m atière d’édition, tique de René Clair de « reportage » .
il n’y a place que pour les vin gt der Je lis plus loin :
niers, l ’industrie du film ne s’en trou « ...En 1930, i l fit 5ons les toits de
vera pas plus mal au contraire et nous Paris, 14 Juillet et L e M illion...».
aurons ainsi sûrement chaque année Quelle année féconde dans l ’œ uvre
les trois ou quatre livres qui méritent de René Clair !... qui en réalité tourna
à coup sûr les risques, dès ïo rs m ini- , Sous les toits de ,Paris 1930, Le Mil
mes, que l’éditeur prendra sur eux. Les lion en 1931, 1 4 Juillet en 1933.
sept volumes futurs de L ’H i s t o i r e e n
c y c l o p é d i q u e de Georges Sadoul au
Pour comble le paragraphe continue
ront enfin la place libre sur le m arché tainsi : , « ...trois films prim esautiers,
et les rayons des bibliothèques. 'pleins de spontanéité, qui furent a c
cueillis avec un étonnem ent ravi, si
A b ien qii’A" nons la liberté qui les suit
immédiatement ( ? !) fit courir P aris
dès ses prem ières sé a n c es...» , p. 125.
On se doute que cette ire a un
prétexte immédiat et précis. Il s’agit Passons sur la pertin en ce critique
du livre d’un< certain L aborde-Gui che, des épithètes qui caractérisent l’œ u v re
' intitulé L e C i n é m a e t l e s C i n é a s t e s , de Clair, malheureusement, je lis p. 52
publié chez Nathan dans la collection «...René Clair réalisa sans vedettes A
P etite Histoire de VArt et des Artistes nous la liberté, l’un de ses m eilleurs
qui comporte notamment : L!a S c u l p films. Il fallut plus de cinq ans pour
t u r e e t l ’A r c h i t e c t u r e , L a M u s i q u e que le public comprit que c ’était un
e t l e s M u s i c i e n s , traités par des hom
chef-d’œuvre, l’accueil du début fut
mes renommés et reconnus compétents. plutôt frais... » Quelle page croire ?
,, C’est par çxem ple Georges Iluismans Après avoir, oublié L e D e rn ie r Mil
‘ qui y'- parle de La P e i n t u r e \ e t l e s liardaire dans rém unération des œ u
P e i n t r e s . L e C in é m a e t l e s C in é a s te s vres de Clair, l ’auteur présente L a B elle
est un très beau livre de 160 pages sur ensorceleuse com m e le dernier des
• papier couché épais et relié dans un films tournés à H ollyw ood, etc... T ou
cartonnage crème. Or, si l ’on avait tes ces erreurs en deux pages et dem ie
apporté jà la m aison Nathan un manus de texte et sur l ’un des deux metteurs
crit sur l ’Art m édiéval, l’Histoire du en scène que l ’auteur a ch o isi de p ré
Droit ou la pile, atomique, qui eussent senter à titre exemplaire.
été à leur objet dans le rapport ou se Je pourrais-glaner tout au lo n g du
trouve le texte de M.; Laborde-Guiche livre bien d’autres perles dé forme ou
au cinéma, le « lecteur » de service de fond, par exem ple celle-ci à propos
aurait refusé lè travail après en avoir d’Orson Welles dont ,1’autear résum e
feuilleté dix pages. ' ainsi la mise en scèn e :
Je passe sur le style général de l’oli « Il fit des p lans dém esurément
vra ge qui tém oigne à m ille détails longs, usa largement du flou et re co u
d’une conception naïve et primaire de rut à des angles invraisem blables ».
70
L a netteté en profondeur de champ dè jlivre est un gage du désintéresse-
confondue avec le flou artistique, ça ment de celui qui l'écrit, mais à Pédt-
n ’est pas mal ! , ' leur.n aïf et inconscient qui trompe son
Mais ces citations suffisent à l ’édifi- monde et se vole lui-mème.
cation du lecteur; com m e elles auraient Certes il existe de bons éditeurs
pû suffir à celle de l’éditeur. comme de bons producteurs, des au-
Ainsi voila un ouvrage sem i-luxueux teiirs, historiens, chroniqueurs ou cri-
p ublié dans une collection sérieuse, tiques qui ont vraiment quelque chose
chez un éditeur, dont le nom est en à nous apprendre, com m e des metteurs
un tout autre dom aine une garantie, en s'eène qui ont quelque chose a nous
dont la .mise sur le m arché est un abus montrer. C’est donc l’intérêt solidaire
de confiance. de. tous et du public, pour que nous
Le cas de ce livre est particulière- ayons tous les'livres que le çiném a mé-
x ment exem plaire et probant, mais il rite qu’il faut dénoncer cette inflation
n ’est pas unique. A défaut d ’erreurs de la m édiocrité dont il est rpeut-ê're
matérielles révélatrices, com bien de moral que h?s,‘éditeurs im prudents fas-
livres dont le propos « esthétique » ou sent les frais, m ais dont pâtissent en
vaguement philosophique n’abuse pas définitive les auteurs et; les lecteurs
m oins en fait la confiance et le porte- . sérieux. Que s ’il, y a de l ’argent à perr
m onnaie du lecteur. Je n’en veux certes dre sur l ’édition cinématographique, c e
pas à leurs auteurs, chacun voit m idi soit pour servir à quelque chose,
à sa porte et le peu de rapport finan- -
cier dans le meilleur cas de ce genre F l o r e n t K irs c h
LIVRES DE CINÉMA
i i. f-' ' '
A près le p réam bule terroriste d e Florent Kirsch, nous n ’en so m m es que plus
d Vaise pou r signaler à nos lecteurs quelques livres récents.
N i n o F r a n k : CINEMA DELL’ARTE 1935 : la guerre d’Ethiopie, 1936': le
( E d itio n s,A n d ré Bonne, Paris, 1951). pacte Rome-Berlin, etc....
Le P e t i t c i n é m a s e n t i m e n t a l de Nino Frank d ’ailleurs a sa thèse : le
N ino Frank est une exquise et — pour ciném a.italien est un fait cinématogra-'
em ployer un de ses adjectifs favoris — i PM(Iue continu, un bloc, de 1904 à au-
, narquoise réussite : en « racontant sa jourd’hui — et il la prouve. Cette
v i e » , Nino a raconté m ieux que per^ prise de position s’accom pagne d’un
son ne le « m i l i e u » du ciném a, sa. clin d’œ il à « l a critique qui n ’est
petite, m oyenne, et parfois grande, his- Pas exempt de quelque ironie. Ce clin
toire. C i n é m a D e l l ’A r t e , panorama du d’œ il- lu i .vaudra sans doute quelques
cinéma italien, est- une réussite' égale ennemis. Tant pis p our.eux. Comme le
quant au charme qui se dégage de. la : dit Florent Kirsch plus haut, il y a
lecture, supérieure quant à la contribu- , une limite aux aneries sur le cinéma,
tion à l’histoire du cinéma. De 1895 à Pour un Sadoul que de brouillons, que
1950 nous passons avec l ’auteur u ne de gratuités ï J’ajoute que je suis trop
désinvolte m ais pertinente revue de la jeune pour ne pas tirer mon épingle du
production transalpine, de ses hom m es, jeu en toute bonne co n scien ce ; je ne
dè ses mœurs, de ses défaites et de ses savais rien du ciném a — italien ou
victoires. Il ne faut point d’ailleurs ' autre — (j’en étais sim plem ent amou-
être dupe de ce masque léger : cette reux) quand j’ai rencontré à peu près
désinvolture sert surtout à ,Nino pour en même temps J. G. Auriol, Nino
prendre de la hauteur. A l ’histoire 'du Frank et Lo Duca qui m ’ont révélé
ciném a il ajoute l’histoire tout court, l ’existence de S p erd u ti nel Buio (1914).
sans prétention certes, m ais avec net- n’y suis donc pour rien si j’ai, évité
teté. Il ne traite pas de l ’écran dans le le ridicule de croire ,31 1 e tout commen-
vide, son récit est toujours « s i t u é » •: , à. Rossellini, mais je leur en sait
en tête de chacun de ses chapitres il y gré..
a en exergue quelques dates, quelques 1 Sadoul représente la pointe d’un
faits significatifs. 1929 pour lui c ’est genre, d’une façon d’écrire l’histoire ■
La Ligne générale, Un Chien Andalou, de l’écran, de com poser ce que Nino
L ’Ange Bleu, Halleluyah... mais 1934 : appelle à juste titre « un remarquable
c ’est pour lui J’assassinat de Dolfuss, et m inutieut roman ». Dans un autre
1
œ uvre des plus utiles, des plus p ré la place qu’il tient dans l'évolution du
cieuses. Outre les insolites prolonge théâtre et du ciném a durant surtout,
ments qui débordent des marges de lès dix années ^qui précédèrent la
cette p rom enade ensoleillée, elle offre guerre. ^, •
h tout un chacun qui s’intéresse aux Dans une courte étude qui est plus
cham bres noires, la possibilité d’ap- qu'une préface, Alexandre Arnoux
rendre ce que fut et est le film italien, mêle ses souvenirs sur Raimu à de s p i
Ê n tète et en fin d’article il y a le nom rituels et judicieux propos sur l ’actéur
du cher Jean George : jam a is hom en général et celui-ci en particulier.
mage ne fût plus juste et patronnàge Plutôt que d’y procéder lui-même de
plus justifie. J. D.-V. seconde main, R égent a ensuite d e
mandé à ceux qui ont travaillé avec
R é g e n t ( R o g e r ) : RA1MU, présenté
Raimu de dire ce qu'ils savaient de
par A lexandre Arnoux, avec des tém o i l’ho m m e/C e sont Marcel Pagnol, P ierre
gnages de Marcel Pagnol, Jean Cocteau, Billon, Jean Cocteau, Michèle Morgan,
Carlo Rim, Marcel Achard, Pierre Fres-
René Clair, Marcel .Achard, Pierre Fres-
nay, Michèle Morgan, Carlo Rim, nay et René Clair.-Sait-on que ce der
P ierre Billon. {Editions Chavane> P a r i s , , nier avait p rim itivem ent prévu Le
Silence est d'or pour Raimu ? A. B"
1 951). : ;
La m oindre des qualités de Roger
Régent n ’est pas la modestie. Elle
abrite une connaissance ancienne et
rare des choses du cinéma. Régent' AU SERVICE
n’est pas l’homme, des grandes m ach i
nes critiques et il s'interdit par discré DU MONDE DU CINÉMA
tion de se poser en historien. Chroni
queur et journaliste qui a connu
l’époque héroïque d e ;la critique ciné
matographique, il n ’ën tire nulle vanité
ni argument d'autorité. Son propos est M. NINCK, D ire c te u r du b u r e a u
toujours apparemment arrêté en deçà d e s v o y a g e s T n u m p h Tours, s e r a
de ce qu’il pourrait être. Régent së h e u re u x d e vous a i d e r d a n s tous
borne a nous raconter sans élever la vos d é p l a c e m e n t s én vous p r o c u
v o ix ce qu’il sait, cédant la parole
chaque fois qu’il le peut, avec courtoi r a n t au ta rif officiel vos billets
sie et gentillesse. Mais cette modestie d 'a v io n , d e c h em in s d e fer, de
ne trompera que ceux qui en sont p a s s a g e s m aritim es, ainsi q u e vos
indignes. ré s e rv a tio n s d 'h ô te l s en F ran ce
Sur les quatre Vingts pages de ce
petit livre sur Raimu, Régent en s’en e t à l 'é t r a n g e r . V os o r d r e s p a r
est réservé que vingt-cinq, mais elles té l é p h o n e à BALzac 6 9 -4 0 vous
disent parfaitement ce qu’il faut savoir é p a r g n e r o n s d e m uhiples d é m a r
de la carrière du grand acteur et de ches; e t v o tr e te m p s p ré c ie u x .
genre, plus modeste, m ais dont le che
m inem ent atteint des profondeurs in 7 9 , C h a m p s-tly sé e s Poris-9*
attendues, N in o Frank fait également
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