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Comment l’industrie pharmaceutique a vendu son âme…

Acte II
Publié le 24/06/2020 à 12:40 - Mise à jour à 14:55

Santé & Financement


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Auteur(s): Dr Violaine GUERIN pour FranceSoir

Voici le deuxième article sur l'histoire du parcours d'un médicament, n'hésitez pas
à consulter la première partie.

Le leurre des "belles" études randomisées


Outre les éléments signalés précédemment concernant l’altération de la qualité des données
des études cliniques, il est important de savoir décrypter les failles de ces « belles » études
vantées par certains adeptes de l’Evidence-Based Medicine (EBM) qui occultent expertise
du clinicien et partenariat du patient dans la décision thérapeutique qui le concerne. Pendant
cette crise COVID-19, qui a placé la planète en situation d’urgence sanitaire, certains ont
perdu tout bon sens et totalement oublié ce qu’est la médecine : un art subtil.

Pour commencer, il est important de rappeler que chaque personne est unique et que parler à
un patient de statistiques peut être dénué de sens. En effet, pour une personne donnée, il n’y
a pas 14%, 28% ou 87% de chances de mourir de tel cancer, ce sera 0 (guérison) ou 100%
(décès). La médecine est bien un art quand elle est pratiquée par des cliniciens qui savent
adapter à chaque personne le meilleur traitement pour elle, à un temps t, dans la prise en
compte de la globalité de cette personne.
Cela ne remet nullement en cause le concept d’études cliniques bien menées, idéalement
prospectives, randomisées, en double aveugle.
Toutes les facettes de la recherche ont leur intérêt quand qualité et éthique sont
présentes, et nombre de découvertes médicales cruciales pour l’humanité ont été
empiriques, mais bien réelles.

Une étude de qualité débute par la rédaction d’un protocole de recherche avec des
objectifs précis qui ne doivent pas changer en cours de route comme nous avons pu le
constater sur une étude conduite chez des patients atteints de COVID-19, où subitement un
nouveau « end-point » était ajouté. Ceci est bien sûr opportuniste car les critères initiaux ne
permettaient pas de montrer d’efficacité du produit, et encore plus malvenu
méthodologiquement puisque le nombre de patients devant être recrutés sur une étude est
calculé en fonction d’une hypothèse statistique sur les critères d’évaluation préalablement
définis.

Ensuite, il convient de recruter de vrais patients, ce qui n’est à l’évidence pas


toujours le cas comme on a pu le constater dans l’étude de Mehra publiée par le
Lancet.

En raison de la pression financière, le suivi des études est souvent réalisé par des personnes
qui n’ont pas les qualifications nécessaires pour faire de la recherche et/ou n’ont pas les
moyens de travailler correctement (exemple du nombre surréalistes d’études et dossiers
confiés à un seul ARC par la majorité des CRO).
Les données ne sont plus analysées avant saisie, ce qui conduit à faire de l’analyse de big
data provenant de sources multiformes souvent dépourvues de cohérence clinique.

On a ensuite vu l’émergence des DSMB (Data Safety Monitoring Board) pour « surveiller »
ces études cliniques devenues des « megatrials » incluant des dizaines de milliers de
patients, dont quelques dizaines dans chaque pays où l’on souhaite commercialiser le futur
médicament pour satisfaire les autorités. Cela oblige à recruter des investigateurs dans
chaque pays cible, de préférence « prestigieux », le prestige étant communément lié à un titre
de Professeur. C’est ainsi qu’on a concentré petit à petit la recherche sur la médecine
hospitalière au détriment de la médecine de ville, occultant le fait que les patients hospitalisés,
en général, n’ont pas les mêmes profils que ceux de ville.
Les chefs de service ont très vite compris l’intérêt de ces études très lucratives, certains en
faisant bénéficier toute leur équipe en des périodes de restriction budgétaires, d’autres dans
leur intérêt personnel conduisant à de sérieux conflits d’intérêts.

En France, l’administration a rapidement voulu avoir une part du gâteau et mis en place des
conventions financières pour récupérer des honoraires qui ont encore accru le coût des
études et les ont ralenties. Certains hôpitaux ont même voulu tout gérer en créant leur propre
structure de recherche clinique avec embauche d’ARC ou de préparateurs en pharmacie pour
la gestion des lots cliniques. N’était l’importance du marché français, les laboratoires
n’ouvriraient quasiment plus de centres d’investigation en France, vu les lourdeurs
administratives imposées.
Mais revenons au DSMB ! Cette entité est « officiellement » une entité indépendante,
constituée de scientifiques en capacité de regarder les données de l’étude au fur et à mesure
de son déroulement afin de pouvoir donner des alertes en matière d’inefficacité ou
d’événements indésirables. L’indépendance de ces structures est devenue avec le temps de
plus en plus aléatoire… et sous tout cela…

Le financement des études en question


Le financeur s’octroie en général tous les droits ! On l’appelle le Promoteur.
La recherche telle qu’elle est imposée coûte cher, les études sur le médicament sont
conduites dans l’immense majorité des cas par un promoteur du secteur de l’industrie
pharmaceutique qui va devoir rendre compte à ses actionnaires de la pertinence de ses
investissements. Les équipes de R&D sont sous pression, elles doivent aller vite et produire
des résultats positifs. La recherche est structurée en équipe projets, dont le management est
intéressé financièrement aux résultats, ce qui conduit dans certains cas à des dérives. Les
DSMB sont financés par le promoteur et les investigateurs sont également rétribués par
le promoteur, en général au prorata du nombre d’inclusions réalisées.

A tous les étages la tentation peut être grande… Reprenons dans l’ordre…
Inclusion de patients : le patient doit remplir des « critères d’inclusion » et ne pas souscrire
aux « critères de non-inclusion ». Il faut donc trouver le patient idéal pour lequel
l’observation clinique sera rémunérée plusieurs milliers d’euros. Pour avoir encadré par le
passé de nombreuses études cliniques, je sais comment certains investigateurs peuvent avoir
des conduites « border line » pour inclure à tout prix. Pendant la crise du coronavirus, je me
suis par exemple demandé pourquoi une patiente de ma connaissance n’avait pas reçu
d’oxygène lors des trois premiers jours d’hospitalisation en pneumologie alors qu’elle
présentait une dyspnée (gêne respiratoire). Aurait-ce pu être pour atteindre un critère
d’inclusion dans une étude en difficulté de recrutement ou par pure négligence ?

DSMB : compétence et éthique font parfois mauvais ménage avec l’intérêt du promoteur.

On peut citer l’exemple de l’étude anglaise Recovery et les réponses changeantes


de son DSMB au gré des intérêts des laboratoires concernés, bousculant le
planning préétabli des réunions.
Mais certains DSMB font le travail, et ce n’est pas toujours du goût du laboratoire, comme je
l’ai vécu à titre personnel en tant que Directeur Médical. J’ai en effet dû contraindre le
laboratoire à arrêter le développement d’un produit avec deux études en cours de 12 000
patients chacune et ce au prix de difficultés extrêmes et de menaces à peine voilées qui m’ont
fait comprendre comment certaines personnes dénonçant ce type de problèmes s’étaient pris
une balle dans le crâne.
Analyse des données par le promoteur : l’équipe projet du laboratoire est la première à
avoir les conclusions des statisticiens, eux-mêmes rémunérés par le promoteur quand
l’analyse est externalisée. Participant à ce type de réunion dans un certain laboratoire, en pré-
rédaction du rapport de l’étude « pivot » (phase III) d’un dossier d’AMM, quelle ne fut ma
surprise de constater des modifications substantielles de données à quinze jours
d’intervalle, et ce en vue d’obtenir une différence plus statistiquement significative entre les
deux groupes de traitement. Ces réunions « internes » servent à finaliser le dossier qui va être
présenté aux coordinateurs de l’étude, souvent au nombre d’un par pays, qui représente
également les investigateurs du pays en question et que l’on mettra en valeur lors du
lancement du produit. Il faut ajouter que ce médecin, en général professeur, reçoit à ce titre
des honoraires de coordination conséquents, chiffrés le plus souvent en plusieurs dizaines de
milliers d’euros, et que ces honoraires échappent en général à la soulte prélevée par
l’administration hospitalière.

La commercialisation des médicaments se faisant de plus en plus dans une dynamique


mondiale, on assiste à des co-marketing et/ou à des partages de marché permettant de
diminuer les risques inhérents à la recherche. Il existe donc une solidarité de fait des
laboratoires ayant souvent de multiples partenaires. Il convient également de souligner que
certaines agences du médicament ne sont pas totalement neutres dans leurs évaluations
lorsqu’il s’agit d’un laboratoire national.

Travailler les anciennes molécules n’intéresse personne, développer des


indications dans des maladies orphelines n’intéresse pas non plus car pas assez
lucratif.

Et pourtant, il y aurait des choses pertinentes à faire ! Par exemple, pour l’hydroxychloroquine,
un laboratoire aurait pu avoir l’intelligence de développer une forme galénique monoprise à
libération prolongée, qui aurait eu le mérite de la faire bénéficier d’un nouveau brevet
protecteur, permettant, dans une stratégie de vente de volume, le maintien d’un coût de
traitement journalier acceptable sur toute la planète et une rentabilité correcte pour le
laboratoire portant le projet. Un deal win/win pour le labo et pour les patients !

Rentabilité à tout prix, sans avoir le souci du soin, voici ce qui conduit à des actes dont
certains sont clairement criminels.

Il est temps d’être lucide et d’arrêter de promouvoir aveuglément une Evidence-Based


Medicine dévoyée de ses objectifs initiaux.

Ce devrait être le rôle des Etats de financer certaines recherches fondamentales pour les
citoyens, sans que l’on bascule non plus dans le tout étatique et les freins administratifs. C’est
ce qu’aurait dû faire l’Etat français pendant cette pandémie pour évaluer l’association
hydroxychloroquine + azithromycine en phase précoce du COVID-19. C’est une grave
faute de ne pas l’avoir fait et d’avoir dépensé des sommes colossales dans des études
inappropriées, de surcroit non abouties pour la plupart.
Certains évoqueront les carences de budgets de recherche. Un moyen de les renforcer
consisterait, entre autres, à vérifier avec soin les crédits impôts recherche alloués aux
laboratoires, censés être dépensés sur le territoire français et dont certains profitent
allègrement aux pays d’origine des laboratoires concernés.
Enfin, il serait important que les citoyens aient conscience de l’obsolescence programmée
des médicaments. En effet, depuis quelques années, la date de péremption maximale des
médicaments est de 3 ans, alors que nombre de produits sont stables beaucoup plus
longtemps. C’est une façon de faire du chiffre d’affaires et cela permet de ne pas
conduire les études de stabilité des produits sur des années, comme on le faisait
auparavant en recherche pré-clinique.

La suite paraitra demain !

Auteur(s): Dr Violaine GUERIN pour FranceSoir

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