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Cécile Nail
Philopsis : Revue numérique
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1
Essai sur l'origine des connaissances humaines, cité désormais EOCH,
« Introduction », Paris, Galilée, 1973, p. 102.
2
Op. cit., p. 99.
3
Op. cit., p. 101.
www.philopsis.fr
4
C’est le titre du chapitre III de la « Section seconde » de la « Deuxième
Partie » de l’EOCH.
5
Op. cit., p. 100.
6
Op. cit., p. 101.
7
Op. cit., p. 101.
8
Jacques Derrida, « L’archéologie du frivole », Préface à l’EOCH, éd. citée,
p. 17.
9
EOCH, « Introduction », éd. citée, p. 101.
10
Ibid.
11
Georges Le Roy, La psychologie de Condillac, Paris, éd. Boivin, 1937,
chapitre I, p. 34.
12
Op. cit., p. 33.
15
« J’avoue que j’ai été très longtemps à chercher en vain le mot de cette
énigme sensation transformée, et que la décomposition de la faculté de penser,
assimilée à celle d’une équation, m’a souvent fatigué l’esprit (...) » (De la
décomposition de la pensée, Paris, éd. Tisserand, p. 88).
16
Cf. par exemple EOCH, « Première Partie », « Section Première », chapitre
10.
17
Jean MOSCONI, « Analyse et genèse : regards sur la théorie du devenir de
l’entendement au XVIIIe siècle », Cahiers pour l’analyse, n°4, septembre - octobre
1966, p. 60.
18
EOCH, II, II, chapitre 4, §53, éd. citée, p. 289.
nécessaire à la liaison des idées, et, à cet égard, il fait figure de condition
sine qua non de la connaissance. Il est une médiation sans laquelle toutes nos
représentations resteraient des « premières pensées », telles que Condillac les
caractérise au début de l’Essai : « Considérons un homme au premier
moment de son existence ; son âme éprouve d’abord différentes sensations,
telle que la lumière, les couleurs, la douleur, le plaisir, le mouvement, le
19
repos : voilà ses premières pensées » . Bref, le signe affranchit l’esprit de la
stricte dépendance à l’ordre contingent des perceptions effectives. Pourtant,
le signe n’est pas premier, car il suppose lui-même une liaison qui lui
préexiste : est signe ce dont la perception évoque la perception d’objets
absents. Autrement dit, « la continuité, dans la relation de signification, entre
l’impression produite dans l’âme par un objet présent, et l’opération de
l’âme qui se représente « aussitôt » un objet absent, trouve son fondement
dans un pouvoir de la chose-signe qui n’est pas immédiat, mais dérivé : un
objet n’est (ou plutôt ne devient) « propre » à être le signe d’une idée qu’une
fois que son image s’est liée à cette idée dans une séquence particulière de
20
« la suite de nos perceptions » » . Le propre du signe n’est donc pas
d’instituer un ordre nouveau, qui se substituerait à l’ordre originaire de nos
perceptions ; bien au contraire : « Au-dessus de chacune (suite d’idées
fondamentales) s’élèveroient d’autres suites d’idées qui formeraient d’autres
chaînes dont la force serait dans l’analogie des signes, dans l’ordre des
perceptions, et dans la liaison que les circonstances, qui réunissent
21
quelquefois les idées les plus disparates, auroient formée » . Dérivée de
l’ordre originaire des perceptions ou « idées fondamentales », la relation de
signification permet de « réveiller » celles-ci, soit accidentellement, soit
volontairement : c’est le propre, dans le premier cas, des signes accidentels
(et naturels) et, dans le second cas, des signes arbitraires. Dans l’économie
générale de l’Essai, la typologie des signes se révèle téléologique, car elle
permet à Condillac, moyennant la fameuse distinction entre le signe
accidentel et le signe arbitraire (celui du langage), de clarifier la thèse selon
laquelle « l’usage des signes est le principe qui développe le germe de toutes
nos idées ». Aussi Condillac attribue-t-il à son Essai un « double objet » :
« j’ai été obligé, pour développer mon principe, non seulement de suivre les
opérations de l’âme dans tous leurs progrès, mais encore de rechercher
comment nous avons contracté l’habitude des signes de toute espèce, et quel
22
est l’usage que nous en devons faire » .
Avant l’institution des signes, comme le résume la fiction des deux
enfants qui inaugure la deuxième partie de l’ouvrage, « l’exercice des
opérations de leur âme a été borné à celui de la perception et de la
conscience, qui ne cesse point quand on est éveillé ; à celui de l’attention,
qui avoit lieu toutes les fois que quelques perceptions les affectoient d’une
manière plus particulière ; à celui de la réminiscence, quand des
circonstances qui les avoient frappés se représentoient à eux avant que des
liaisons qu’elles avoient formées eussent été détruites ; et à un exercice fort
19
EOCH, I, I, chapitre I, §3, éd. citée, p. 107.
20
Martine PECHARMAN, « Signification et langage dans l’Essai de
Condillac », Revue de métaphysique et de morale, mars 1999, n°1, p. 93.
21
EOCH, I, II, chapitre 3, §29, éd. citée, p. 125.
22
EOCH, « Introduction », éd. citée, p. 101.
23
peu étendu de l’imagination » . Toutes ces opérations se trouvent définies
au tout début de la seconde section de la première partie, où Condillac s’est
attaché à montré « comment (les opérations de l’âme) s’engendrent toutes
d’une première qui n’est qu’une simple perception ». Nul besoin de signe, de
quelque sorte qu’il soit, « pour l’exercice des opérations qui précèdent la
réminiscence : car la perception et la conscience ne peuvent manquer d’avoir
lieu tant qu’on est éveillé ; et l’attention n’étant que la conscience qui nous
avertit plus particulièrement de la présence d’une perception, il suffit, pour
l’occasionner, qu’un objet agisse sur les sens avec plus de vivacité que les
24
autres » . Ces opérations restent des perceptions simples, qui procèdent les
unes des autres par le développement d’identités successives. En revanche,
la réminiscence et l’imagination sont des opérations plus complexes, qui
consistent à rappeler d’anciennes perceptions liées entre elles par l’attention
sous l’effet du besoin : « la liaison de plusieurs idées ne peut avoir d’autre
cause que l’attention que nous leur avons donnée, quand elles se sont
présentées ensemble : ainsi, les choses n’attirant notre attention que par le
rapport qu’elles ont à notre tempérament, à nos passions ou à notre état, ou,
pour tout dire en un mot, à nos besoins ; c’est une conséquence que la même
attention embrasse tout à la fois les idées des besoins et celles des choses qui
25
s’y rapportent » . Parce que notre attention est constamment sollicitée par
ce qui nous environne, nos perceptions se succéderaient indéfiniment, si rien
ne venait réactiver leurs premières liaisons : percevoir un objet auquel nous
avons déjà prêté attention fait resurgir les perceptions qui s’étaient liées,
selon l’ordre naturel de l’expérience, à cette perception fondamentale.
L’objet ainsi perçu constitue un signe accidentel, puisque, dans la typologie
condillacienne, les signes accidentels désignent « les objets que quelques
circonstances particulières ont liées avec quelques-unes de nos idées, en
26
sorte qu’ils sont propres à la réveiller » . Selon que le signe accidentel nous
fait reconnaître les perceptions qui se répètent, réveille la perception passée
de l’objet, ou bien la rend durablement présente à l’esprit, le signe accidentel
exerce ces nouvelles opérations, c'est-à-dire ces différentes formes de liaison
des idées, que sont la réminiscence, l’imagination ou la contemplation. Le
signe accidentel ne permet cependant qu’un usage limité de ces opérations,
puisque « cela n’arrivera qu’autant que quelque cause étrangère lui (sc.
l’homme) mettra cet objet sous les yeux », de sorte que « l’exercice de son
27
imagination n’est point encore en son pouvoir » . En tout point semblable à
l’animal, l’homme qui ne dispose que de signes accidentels est incapable de
lier par lui-même ses idées, et, partant, de réfléchir sur celles-ci.
Ce sont les signes d’institution, c'est-à-dire « ceux que nous avons
28
nous-mêmes choisis, et qui n’ont qu’un rapport arbitraire avec nos idées » ,
qui lui confèrent la maîtrise des opérations et des idées de son esprit, d’une
part, et qui, d’autre part, sont à l’origine de l’exercice de nouvelles
opérations. L’opération par laquelle nous donnons des signes à nos idées
23
EOCH, II, I, chapitre 1, §1, éd. citée, p. 194.
24
EOCH, I, II, chapitre 4, §36, éd. citée, p. 128.
25
EOCH, I, II, chapitre 3, §28, éd. citée, p. 125.
26
EOCH, I, II, chapitre 4, §35, éd. citée, p. 128.
27
EOCH, I, II, chapitre 4, §37, éd. citée, p. 128.
28
EOCH, I, II, chapitre 4, §35, éd. citée, p. 128.
29
EOCH, I, IV, chapitre 1, éd. citée, p. 162.
30
EOCH, I, II, chapitre 9, §75, éd. citée, p. 142.
31
EOCH, I, II, chapitre 5, §49, éd. citée, p. 133.
32
EOCH, I, II, chapitre 4, §39, éd. citée, p. 129.
33
EOCH, I, II, chapitre 5, §49, éd. citée, p. 133.
34
EOCH, II, I, chapitre 1, §2, éd. citée, p. 195.
35
EOCH, II, I, chapitre 1, §3, éd. citée, p. 195.
36
EOCH, II, I, chapitre 1, §6, éd. citée, p. 196.
37
Jacques DERRIDA, « L’archéologie du frivole », article cité, p. 64.
38
EOCH, I, II, chapitre 5, éd. citée, p. 132.
39
EOCH, I, II, chapitre 6, éd. citée, p. 134.
40
EOCH, I, II, chapitre 8, éd. citée, p. 141.
41
Martine PECHARMAN, « Signification et langage dans l’Essai de
Condillac », article cité, p. 88.
42
EOCH, I, III, §1, éd. citée, p. 157.
43
EOCH, I, III, §13, éd. citée, p. 159.
44
« actif dans la génération » des idées complexes, qui sont « des réunions ou
45
des collections d’idées simples » . Mais Condillac a soin par ailleurs de ne
pas confondre l’idée et la simple perception : si l’idée est une « perception
considérée comme une image », « elle n’appartient qu’aux êtres qui sont
capables de réflexion » ; « quant aux autres, tels que les bêtes, ils n’ont que
des sensations et des perception : ce qui n’est pour eux qu’une perception,
devient idée à notre égard, par la réflexion que nous faisons que cette
46
perception représente quelque chose » . De fait, notre rapport à l’idée
simple est toujours médiatisé par le signe : « Il est certain que nous
réfléchissons souvent sur nos perceptions sans nous rappeler autre chose que
leurs noms, ou les circonstances où nous les avons éprouvées. Ce n’est
même que par la liaison qu’elles ont avec ces signes que l’imagination peut
47
les réveiller à notre gré » . Quant aux idées complexes, elles ne sont
l’ouvrage de l’esprit que par la médiation du signe : « pour avoir des idées
sur lesquelles nous puissions réfléchir, nous avons besoin d’imaginer des
signes qui servent de lien aux différentes collections d’idées simples, et que
nos notions ne sont exactes qu’autant que nous avons inventé avec ordre les
48
signes qui les doivent fixer » . Le langage sert à ordonner et à classer les
idées ; il nous laisse même la liberté de les classer selon un ordre qui n’est
pas toujours celui de l’expérience - grâce, essentiellement, à l’imagination,
49
dans laquelle « il n’est rien qui ne puisse prendre une forme nouvelle » . La
chose est encore plus flagrante pour ces idées complexes que sont les « idées
archétypes », c'est-à-dire des notions, telles que « gloire, honneur, courage »,
qu’il est souvent « important de former avant d’en avoir vu des exemples »,
en « (rassemblant) à notre choix plusieurs idées simples et (en prenant) ces
collections une fois déterminées pour le modèle d’après lequel nous devons
50
juger des choses » . Ici, grâce au langage, l’esprit devient, à proprement
parler, l’auteur de ses propres modèles ; il accède ainsi à un haut degré de
liberté, puisque ces notions ne se font pas sur le modèle d’une réalité qui leur
préexiste, comme lorsque nous nous faisons des notions des substances. Au
fond, les idées archétypes témoignent de l’activité d’un esprit capable
d’ajouter à la nature ses propres modèles.
Comme il en faisait la promesse dans son « Introduction », Condillac
a fait du langage la cheville ouvrière de son Essai : ce n’est qu’après avoir
« démontré que l’origine et le progrès de nos connaissances dépend
51
entièrement de la manière dont nous nous servons des signes » que le
philosophe peut réellement justifier la définition de la nouvelle
métaphysique comme une science capable de « préparer l’esprit à l’étude de
toutes les autres sciences ». L’originalité de la réflexion condillacienne, tout
comme la fascination qu’elle a pu exercer par la suite, tiennent d’ailleurs en
grande partie à la démarche ainsi esquissée : « ici prend naissance la version
44
EOCH, I, III, §13, éd. citée, p. 159.
45
EOCH, I, III, §1, éd. citée, p. 157.
46
EOCH, I, III, §16, éd. citée, p. 161.
47
EOCH, I, IV, chapitre 1, §6, éd. citée, p. 164.
48
EOCH, I, IV, chapitre 1, §9, éd. citée, p. 165.
49
EOCH,I, II, chapitre 9, §75, éd. citée, p. 142.
50
EOCH, I, III, §5, éd. citée, p. 157.
51
EOCH, II, II, chapitre 4, §53, éd. citée, p. 288.
52
Elisabeth SCHWARTZ, « Les transformations de la sensation
condillacienne : « un opérateur secret » », Revue de métaphysique et de morale, 1,
1999, p. 31.
53
EOCH, II, II, « De la méthode », éd. citée, p. 268.
54
Sylvain AUROUX, « Condillac, inventeur d’un nouveau matérialisme »,
Dix-huitième siècle, 24 (1992), p. 158.
55
EOCH, II, I, chapitre 15, §143, éd. citée, p. 260.
56
EOCH, II, II, chapitre 4, §53, éd. citée, p. 288.
57
EOCH, II, II, chapitre 3, §32, éd. citée, p. 280.
58
Sylvain AUROUX, « Empirisme et théorie linguistique chez Condillac », in
Condillac et les problèmes du langage, sous la direction de J. Sgard, Paris, éditions
Slatkine, 1982, p. 180.