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LE PROBLEME
DE L'fTRE
CHEZ ARISTOTE
E ssAi
suR LA pRohlÉMATÏ9uE ARÏSTOTÉlicÎENNE
PAR
PiERRE AUBENQUE
ANciEN ÉLÈVE dE L'ËcoLE NORMALE SupÉRÏEURE
AqRÉGÉ dE PltilosopltiE, DOCTEUR Ès LETTRES
CltARGÉ dE MAÎTRÏS E dE CONFÉRENCES À LA FACULTÉ dES LETTRES
ET Sei ENCES ltUMAÏNES dE BESANÇON
1962
DÉPOT LÉGAL
ire édition 1er trimestre 1962
TOUS DROITS
de traduction, de reproduction et d'adaptation
réservés pour tous pays
© 1962, Presses Universitaires de France
« L'inj ustice la plus courante
que l ' on commet à l'égard de la
p ensée spéculative consiste à la
rendre unilatérale , c'est-à-dire
à ne relever qu' une des proposi
tions dont elle se compose. »
(HEGEL, Science de la
logique, tr. S. JANKÉ
LÉVITCH, t. J, p . 83. )
AVANT-PROPOS
( l) Von der ma1111 igfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles, Fribourg
en-Brisgau, 1 862, p. vu.
(2) Cf. De la Métaphysique d'Aristote, 1835 (il s'agit du rapport sur le
sujet mis au concours par l'Académie des Sciences morales et politiques en 1832
et que remporta Ravaisson, suivi d'une traduction du livre A de la Métaph.
L a 2° M . , 1838, contient en outre une traduction du livre A) . On doit à deux
disciples de V. Cousin, Pierront et Zévort, la première traduction française
intégrale, encore aujourd'hui utilisable, de la Métaphysique d'A RISTOTP.:
( 1840).
(3) T. 1 , 1 837.
(4) Le système d'Aristote, cours professé en 1 904- 1 905, publié en 1920.
(5) Cf. Etudes cle philosophie grecque, 1923.
(6) La théorie platonicienne des Idées el des Nombres d'apr�s Ari11tote, 1908 ;
Aristote, 1 944 ; cf. La pensée hellénique des origines à Epicure, 1 942.
P, AUDENQUE
2 PROBL ÈME DE L ' JSTRE CHEZ ARISTOTE
malgré ce q ue nous pouvons savoir aujourd'hui sur !'Aristote perdu, n'a j amais
pu être mis en rapport de façon décisive avec la vie du philosophe nommé
Aristote.
(1) Pascal, fr. 331 Brunschvicg.
(2) Ibid.
(3) C'est du moins ce que A. W. BENN ( The Greek Philosophers, I, P.· 289,
cité par J.-M. LE BLOND, Logique et méthode chez Aristote, p. xxm) cr01t pou
voir conclure du fait qu'Aristote prend souvent comme exemple • la J,lromenade
en vue de la santé .. Sur les traditions concernant la biographie d'Aristote, voir
aujourd'hui I. DüRING, Arislotle in the ancien! biographical tradition, Stockholm,
1957.
A VANT-PROP OS 5
des tex Les, et elle seule , qui fonde, dans le cas d 'Aristote , les
hypothèses chronologiques.
Faut-il donc revenir à l 'interprétation unitaire et systéma
tique de cela seul qui nous est donné : les tex tes ? Malgré les
efforts qui , a près Jaeger, ont pu être de nouveau tentés en ce
sens, par exemple par le P. Owens, nous ne pensons pas qu 'une
inLcrprétation des textes doive revenir nécessairement à la
logique systématisante du commentaire. Il est deux façons d ' en
visager les textes : on peut les considérer comme étant tous sur
le même plan, renvoyant tous à l'unité d 'une doctrine dont ils
seraient les parties, comme si leur diversité n 'était que l 'inévi
table fragmentation dans le langage d'une unité supposée initiale ;
on peut supposer au contraire que l'unité, en eux, n 'est pas
originaire , mais seulement recherchée, qu 'ils tendent vers le
système au lieu d 'en p artir, que leur cohérence n ' est plus de
ce fait présupposée , mais problématique. D ans cette seconde
perspective, la diversité de l 'œuvre ne figure plus les p arties du
système, mais les moments d'une recherche qui n ' est pas assurée
d 'aboutir. De ces moments, il n ' est ni touj ours possible, dans
le cas d 'Aristote , ni philosophiquement nécessaire , de faire les
moments d ' une histoire psychologique; il faut et il suffit qu'ils
apparaissent comme les moments d'un ordre qui, indépen
damment de toute hypothèse chronologique, se laisse lire d ans
la structure même des textes, c 'est-à-dire dans leur organisation
immanente qui fait qu'ils ne sont pas tous sur le même plan et
que leur sens ne se dégage que selon une certaine progression,
qui peut ne correspondre ni à la succession chronologique d es
textes ni à l'ordre partiellement arbitraire ( 1 ) dans lequel ils
nous sont parvenus , ni même à l 'ordre q u 'Aristote lui-même
a pu leur donner. De l 'hypothèse unitaire , nous retiendrons donc
le postulat de la responsabilité permanente de l 'auteur à l'égard
de la totalité de son œuvre : il n'y a pas un Aristote platonisant,
suivi d'un Aristote antiplatonicien , comme si le second n'avait
plus à répondre des affirmations du premier, mais u n Aristote
peut-être double, peut-être déchiré, à qui nous pouvons demander
raison des tensions, voire des contradictions de son œuvre. De
l'interprétation génétique, nous retiendrons l'hypothèse d ' une
genèse inévitable et d'une instabilité probable de la pensée
d'Aristote ; mais cette évolution ne s e r a pas le th è m e e x plici te
(1) On sa!L depuis longtemps que cet ordre n'est pas d'Aristote lui-même,
mais ..
de ses éditeurs. cr. JAEGER, Studien Zllr Entsleh11ngsgeschichte . ; P. MO
RAUX, Les listes anciennes...
12 PROBLÈME DE L ' �TRE CHEZ ARISTOTE
*
* *
( 1 ) Aristote ne s'est pas posé, pas plus que la pensée grecque dans son en·
semble, cette autre question : Pourquoi y a-t-il de l'être plutôt que rien 't
14 PROBLÈME DE L 'ETRE CHEZ ARISTOTE
rieure ne s 'est posé en tant que tel, celui que des traditions
autres qu ' occidentales n'ont j amais pressenti ou effieuré. Parce
que nous vivons dans la pensée aristotélicienne de l ' être - ne
serait-ce que parce qu'elle se reflète dans la grammaire d'inspi
ration aristotélicienne à travers laquelle nous p ensons et parlons
notre langage - nous avons désappris d 'entendre ce qu'il y
avait d 'étonnant, et peut-être d 'éternellement é tonnant, dam; la
question : Q u 'est-ce que l'être? C'est pourquoi il nous a paru
intéressant de nous demander pourquoi Aristote pose cette ques
tion qui ne va pas de soi et comment il en est venu à se la poser
en tant que telle. Le problème de l 'être est le plus problématique
des problèmes, non seulement au sens où il n'y sera peu t-être
j amais entièrement répondu, mais en ce sens que c ' est déj à un
problème de savoir pourquoi nous nous posons ce problème. Ceci
suffirait à distinguer notre propos de celui des ouvrages déj à
cités d e Brentano e t d ' Owens, où l ' o n trouvera - sous une forme,
il est vrai , plus critique chez le second que chez le premier - un
essai de reconstruction doctrinale de l 'ontologie aristotélicienne,
sans que les motivations et les cheminements de cette pensée
aient été pris comme thème explicite de l'analyse. Dans la mesure
où ceux-ci constituent au contraire notre unique obj et, notre
livre semble se terminer là où ceux de Brentano et d ' Owens
commencent. En réalité, il mettrait en question leur propos
même , s'il lui arrivait de prouver que la métaphysique aristoté
licienne ne passe j amais du stade de la problématique à celui
du système et que là est. le sens d 'un inachèvement, qui n 'est
pas accidentel, mais essentiel .
Il resterait à indiquer comment nous comptons appliquer
notre méthode - dégager de la structure des textes l ' ordre de la
recherche - à notre obj et, le problème de l'être. La difficulté
serait résolue si Aristote s'était lui-même expliqué sur l 'ordre
de la recherche métaphysique ; il suffirait alors d 'appliquer à
des textes fragmentaires et inachevés les déclarations programma
tiques d'Aristote sur l 'ordre vrai de la connaissance. Cet effort
a été tenté, mais à contre-sens : de ce qu'Aristote , dans les
Premiers et Seconds A nalytiques , a longuement décrit l'ordre du
savoir scientifique, c'est-à-dire du savoir qui est en possession
de ses propres principes, on a conclu que cet ordre idéal devait
être appliqué par lui tôt ou tard à la connaissance métaphysique.
Si la Métaphysique ne se présente pas à nous dans un ordre
déductif et syllogistique, cc ne serait qu'une preuve supplémen
taire du caractère contingent de son inachèvement ; il appartien
drait dès lors au commentaire d'achever la m i se en ordre; qu'Aris-
AVANT-PROPOS 15
*
* *
META TA <l>YI I KA
( 1 ) Mét. r , 1 , 1 003 a 21 .
N. B. - I l Conformément à l'usage l e plus courant, nous désignons les
livres de la Métaphysi9ue par les lettres grecques correspondantes et les livres
des autres ouvrages d Aristote par des chifTres romains. Quand une référence
commence par une lettre grecque, sans autre indication, c'est donc de la Méta
physique qu'il s'agit. Ex. : A, 9, 992 b 2
= Mét., A, 9, 992 b 2.
2) Les références pour les citations des commentateurs renvoient, sans autre
Ind ic a tion , à l'édition de l'Académie de Berlin.
22 LA SCIENCE SANS NOM
1 , 5, 19.
16.
( l ) CICÉRON', Acad. Post.,
(2) Adv. Mathemat., VII,
(3l
(4
Top . , 1, 14, 105 b 20.
Certai ns interprètes allemands du xtx• .
siècle, sans doute sous l 'influence
de Hegel , n'ont pas h ésité à ranger ln métaphysique parmi lei! spéct1làtions
l og i q u es . Cf. RITTrm, Histoire de la philosophie, trad. fr., t. 1 1 J, p. 54 j PRANTL,
Gesr.hichle der Logilc, I, p. 89. - Mais rien chez Aristote n'autorise une telle
int;erpréta tion : l'adj ectif ÀOyL>t6t; ne désig n e jamais ehez lui la logique au sens
moderne du terme (qu'il nomme analytique), mais est pra ti qu em ent synonyme
de 8 taÀEK't'L>t 6t; e t exclut par conséquent de son d o main e d'application les
spêculntions appropriées à leur obj et, c ' est- à - dire scienli{i.ques, comme P- réten
dent l'être les spéculations métaphysiques. Quant à l'analytique, elle n est pas
une science, mais une propédeutique par laquelle il est nécessaire de passer
• av!lht d'abord er aucune science (Mél., r, 3, 1005 b 2).
•
( 1 ) Ce n'est pas à d ire qu'on ne puisse trouver, par exemple dans l'ancien
stoïcisme, des moments métaphysiques. Nous ne parlons ici que de la méta
physique comme science a utonom e , consciente de son autonomie et possédant
son domaine propre : il e st évident que les Stoïciens n'ont aucune idée d'une
telle science et ne posent j amais l ' ê tro en tant qu'être comme objet thématique
de leur recherche.
(2) Cf. P . - 1\ 1 . Sc1rn11 L, Blocage me11lal el machin isme, communication à
l'Institut français de Sociologie, avril 1 937, et Machin isme el philosophie, 2• éd.,
p . X l l ·X l l l ,
DÉSAFFECTION PO UR LA MÉTA PH YSIQ UE 27
*
* *
( 1 ) On pourrait ici invoquer l'exemple rlc Pla ton : admellre une idée de la
bouc ou du poil, ce n'est pas supprimer la philosophie, mais la réaliser ; si le
j eune Socrate répugne à admellre de telles Idées, c'est qu'il est insuffisamment
philosophe : • C'est que tu es encore j eune, Socrate, et la philosophie ne s'est pas
encore emparée de loi, comme elle le fera, j 'en suis sûr, quand tu ne mépriseras
plus aucune de ces choses • (Parménide, 1 30 de) .
( 2 ) I l faudrait évidemment mellre à part les écrits méta {> hysiques de Théo
phraste. Mais rien ne prouve qu'ils n'ont pas llté rédigés du vivant même d'Aris
tote, avant son évolution finale. Les travaux de M. ZünCH ER (Aristote/es' Werk
und Geist, Paderborn, 1 952), si excessives qu'en soientles conclusions, ont montré
d'ailleurs combien il était difficile de distinguer le Corpua de THÉOPHRASTE rle
celui d'AR ISTOT E.
L'ORDRE D U SA VOIR 29
� R.
(
Euc1rnN, Geschichle der pllilosoph ischen Terminologie, 1 879, p. 1 33.
2 Pour saint Thomas, la métaphysique est la science des transphysica
( In el. A, Prologue), c'est-à-dire des • choses divines • (Somme lhéol. , I I a I Iae,
tx, 2, obj . 2). Ayant le même obj et que la théologie, elle n'en diffère q u e par
le mode de connaissance.
(3) In . Phys., 1, 1 7-21 Diels.
(4) Ibid., 257, 20-26.
( 5 ) Mél. , E, 1 , 1026 a 1 0 ss.
(6) Mét., M, 1, 1 076 a I O SS. -Cf. B, 1 , 995 b 1 4 ; 2, 997 a 34 SS.
32 LA SCIENCE SANS NOM
( 1 ) Mét., E, 1, 1 026 a 21 .
(2) Mét. , E, 1, 1 026 a 3 1 .
( 3 ) Ainsi ZELLER, p . 80 SS.
(4! In Met., B, d6buL, 1 7 1 , 5-7 Hayduck.
(5 H . R E I N ER , loc. cil . , p. 21 5.
LE PROBL ÈME D U TITRE 33
avoir traité auparavant des choses rhysiques, traite ensuite dans cette disci
pline des choses divines » ( in Met., , 1 9 ) , etc.
(5) Cf. les nombreux textes cités par J. Ow11Ns ( The Doctrine of Being in
the Arislotelia11 Metaphysics, Toronto, 1 95 1 , p . 3 11s.), qui souscrit d'ailleurs à
cette assimilation.
(6) M. H EIDEGGER, ](ant el le pro bMme de la métaphysique, trad. fr . , p. 67.
34 LA SCIENCE SANS NOM
{ l ) 6, 700 b 7.
(2) Mét. , l, 4 a 2.
(3) Asclépius ne cite pas moins de quatre titres de la Métaphysique : • Il
faut savoir que {ce traité) est intitulé aussi Sagesse { aocpla:) ou Philosophie ou
Philosophie prem ière ou Métaphysique expressions qui sont pour lui équiva
•,
lentes. Après avoir expliqué pourquoi AmsTOTE a nommé son traité Sagesse
{qui est une sorte de clari fication, o!ove:l a&.cpe:L&. ·rn; oifo:x), il cite une réfé
rence d'Aristote à ce titre, tirée de l'Apodiclique (3, 27 ss. ) . Mais nous ne connais
sons pas d'Apodiclique d'Aristote et les catalogues n'en font point mention.
Quant aux Seconds Analytiques, auxquels on pourrait songer, ils ne renvoient
nulle part à un Tte:pt aocpla:<;. Ce témoignage est donc suspect et il se peut au
surplus qu'Asclépius n'ait pas vu que les désignations Tte:pl cpLÀoaocpla:<; {et
peut-iltre aussi Tte:pt aocploc<;) renvoient tout simplement au De philosophia
d'ARISTOTE, et non à la Métaphysique {ainsi dans la Phys., I I, 2, 1 94 a 36,
la référence �v 't'OÎ<; Tte:pt cpLÀoaocp[a:<; ne peut renvoyer qu'au De philosopli ia,
et non à un ouvrage ésotérique d 'Aristote) . Quant à la réfêrence Tte:pt aocpla:<;,
elle semble aussi renvoyer au De philosop lu a , s'il est vrai que le rapprochement
aocpta-a&.cpe:Loc, que l'on chercherait vainement dans la Mélaphysique, s'y trou
vait déj à {cf. A.-J. FEsTu G1 tRE, Le Dieu cosm ique, p. 588, qui cite en ce sens
un texte parallèle de P H I LOPON, Comm. sur l' Isagogé de N I C O M A Q U E D E GÉROSA,
éd. Teubner, l , 8, qu'il considère comme un emprunt à Aristote). - I l reste
qu'Aristote proposait lui-même, sinon quatre titres {multiplicité qui eC\t dû
paraître suspecte aux commentateurs), du moins un : Tte:pt 't''ij<; 7tpW't'"I)<; tpLÀoao
q>ta<;, ce qui suffit à poser le problème : pourquoi les premiers éditeurs ne s'en
sont-ils pas contentés ?
LES PA RTIES DE LA PH lLOSOPHIE 35
Que désigne, en effet, dans les textes mêmes d 'Aristote l ' ex
pr ession de philosophie premi�re ? La qualification de << première »,
quel qu'en soit le sens, semble née du souci de distinguer plusieurs
domaines à l'intérieur de la philosophie en général. A la question
posée au livre B : << Y a-t-il une science unique de toutes les
essences, ou plusieurs ? << ( 1 ) , Aristote répond très clairement au
livre r : (( Il y a autant de parties de la philosophie qu'il y a
d 'essences » (2) , et il aj oute : << Il est donc nécessaire qu'il y ait,
parmi ces parties ( µép'Y)) de la philosophie, une philosophie
première et une philosophie seconde ; il se trouve en effet que
l'être et l'un se divisen t immédiatement en genres , et c'est pour
quoi les sciences aussi correspondront à ces différents genres ;
il en est du philosophe comme de celui qu'on appelle le mathéma
ticien ; car les mathématiques aussi comportent des parties :
il y a une science première , une science seconde et d 'autres
sciences qui viennent à la suite dans ce domaine. » La philosophie
première est donc à la philosophie en général ce que l 'arithmé
tique est à la mathématique en général (3) : partie d 'une science
plus générale, elle porte sur une partie de l 'obj et de celle-ci , car,
suivant un principe souvent affirmé par Aristote, « à un genre
différent correspond une science différente » (4) et à une partie
du genre correspond une partie de la science.
Or qu'en est-il de la science de l 'être en tant qu'être ? Au
début du livre r, elle est précisément opposée « aux sciences
dites particulières » ( 't'WV Èv µépet ÀeyoµévCùv) : << Car aucune de ces
sciences ne considère en général l 'être en tant qu'être , mais,
découpant quelque partie ( µépoc; 't'L ) de celui-ci , elles en étudient
les propriétés (5). » Certains auteurs ont cru voir une contra
diction entre ce texte et la définition , citée plus haut, de la philo
sophie en générl,ll , au point qu'ils ont cru devoir éliminer ce
dernier passage comme étranger à la doctrine du livre r ( 6 ) .
M ais il n'y a de contradiction q u e s i l ' o n prétend assimiler la
philosophie première et la science de l'être en tant qu'être , car
alors nous voyons une même science dé finie tour à tour comme
science universelle et comme science d'un genre p articulier de
l'être. En réalité , si l ' on s'en tient au texte d'Aristote, le rapport
( 1 ) Il, 2. 997 a 1 5 .
( 2 ) r, 2 , 1 004 a 2 .
( 3 ) Selon ALEX. (258, 24-38 Hnyduck ) , la mathématique première serait
l 'arithmétique, la mathémntique seconde la géométrie plane, les mathématiques
postérieures la géométrie des solides, l'astronomie, etc.
(4) cr. r, 2, 1 003 b 19.
(5) I', 1 , 1 003 a 22 SS.
(6) Ainsi COLLE, ad 1 004 a i-!J .
36 LA SCIENCE SANS NOM
Platon, p our qui l' idée, séparée du sensible, était en même temps la seule réa
lité subsistante. Ils ne colncident plus chez Aristote : ainsi la substance physique
est séparée au second sens, mais ne l'est pas au premier ; l'être mathématique
est séparé au premier sens, mais il ne l'est pas au second (car c'est un abstrait,
qui n'existe pas par soi). - De là l'incertitude des éditeurs dans la lecture de
la 1. 1 026 a 14, où est d éfini l'obj et de la physique : les uns, à la suite du Ps.
Alexandre et des manuscrits, lisent cixwpLCTl'IX (Bekker, Bonitz, Apelt, D . R . Cou
sin, P . Gohlke, J . Owens) ; mais Schwegler, suivi par Christ, Jaeger, Ross,
Cherniss, Merlan, corrige - avec raison, croyons-nous - cixwpLCTl'IX en /(ùlPLO''t'cX
pour conserver l'opposition avec les objets mathématiques, qui, à la hgne sui
vante, sont dits oû xoopLCTl'cX (il s'agit donc ici de la séparation au sens de subsis
tance). Quant à l'être d ivin, il est dit • séparé • dans les deux sens : le platonisme
reste vrai pour Aristote au niveau de la théologie. - Sur la lecture de 1 026 a 1 4 ,
cr. en dernier lieu, V . DÉCARIE, La physique porte- t-elle sur des • non-séparés •
in Rev. Sei. p_ hilos. lhéol., 1954, p. 466-468 (qui défend, mais sans a p porter d'élé
ments décisifs, la leçon des manuscrits) et E. de STRYCIŒR, La notion aristotéli
cienne de séparation dans son application aux Idées de Platon, A11to11r d'Aris
tote, Mélanges A. �lnnsion, 1 955, qui lit xoopLO''t'cX (p. 1 3 1 , n. 68) .
(3) Comparer e n E, 1 , les lignes 1 026 a 1 6 et 1 9 .
(4) Mét. , E, 1 , 1 026 a 20.
LES PA RTIES DE LA PHILOSOPHIE 37
( 1 ) E, 1 , 1 026 a 2 1 .
(2) E, 1, 1 025 b 8.
(3) La tradit.ion éclectique, en reprenant le schéma aristotélicien, ne s'y
trompera pas. Ainsi Albinus présente-t-il la science théologique comme OeoÀo
y L>Û>v µ � po<; ('1'�<; cpLÀoaocp(a<;) (op. cil., i bid. ) .
( 4 ) Ainsi Mét., I' , 3 , 1 005 b 1 ; Phys., l , 9 , 1 92 a 36 ; I l , 2 , 1 94 b 9 ss. ; De
An ima, 1, 1, 403 b 16 (le 7tpw't'o<; cpLMaocpo<; est opposé à la fois au physicien
et au mathématicien). L'expression philosophie seconde désigne fréquemment
la physique : Mét., Z, 1 1 , 1 037 a 1 5 ; Pari. animal., I I , 7, 653 a 9 ; De longitu
dine et breuilale uilae, 1, 464 b 33.
38 LA SCIENCE SA NS NOM
l)l
qui porte sur la démonstration » , parce qu'elle n 'envisage pas la
I
2 K, 4, 1061 b 33.
3 K, 4, 1061 b 28.
4 K, 4, 1061 b 1 9 .
40 LA SCIENCE SA NS NOM
doit être considérée ou non comme science universelle » (7, 1 064 b 6), question
qui n'a pas de sens (ou plutôt appelle une réponse évidemment positive ) dans
la perspective aristotélicienne, où cette science est précisément défime par
opposi tion aux sciences particulières ; et l'auteur du livre K répond étrange
ment : oui, la science de l'être en tant qu'être est universelle parce qu'elle
est la théologie, c'est-à-dire une • science antérieure à la physique •, et qu'ainsi
elle est « universelle par son antériorité même » ( i bid., 1 064 b 1 3 ) .
( 1 ) K, 7, 1 064 a 28. C'est e n particulier dans c e passage q u e W. Jaeger
voit un vestige de platonisme. Mais il semble peu vraisemblable qu'Aristote
ait d'abord conçu l'être en tant qu'être et l'être séparé comme identiques,
quitte à les dissocier ensuite : l'être en tant qu'être et l'être séparé sont définis
par Aristote par des voies si indépendantes que leur colncidence, loin d'être
naturelle, apparait comme miraculeuse. Leur identification parait donc être
l'œuvre d'un disciple zélé, soucieux d'unifier après coup la doctrine de son
maitre : la doctrine des chap. 1 -8 du livre K rappelle moins celle d'un Aristote
encore platonisant qu'elle n'annonce déj à les commentaires néo-platoniciens
(2) Il va de soi cependant que le passage K, 1 -8, reflète S U I' les autres
points l'enseignement d'Aristote. C'est pourquoi nous ne nous interdirons
pas de le citer, sauf S U I' la doctrine litigieuse.
(3) Et nous avons vu (p. 30, n. 1 ), qu'il y avait lieu d'en douter, s'il est
vrai que la Mélapllysique primitive en 10 livres, attestée par le catalogue de
!'Anonyme, ne contenait pas le livre K.
42 LA SCIENCE SA NS NOM
d ' Aristote (ou connus sous son nom) attribuaient un sens uni
voque, et d'un ensemble d'écrits auxquels ce titre aurait d û
normalement convenir. O r qu'y trouvaient-ils ? Des analyses
qui, pour la plupart, concerna ient non pas l'être divin, immobile
et séparé, mais l'être en mouvement du monde sublunaire : au
livre A, u n exposé historique sur la découverte des causes de
l' être soumis au changement et comportant de la matière ; au
livre oc. , une démonstration de l'impossibilité de remonter à
l'infini dans la série des causes ; au livre B , un recueil d'apories
dont la plupart concernent Je rapport des êtres et des principes
corruptibles aux êtres et aux principes incorruptibles ; au
livre r, une j usti fication dialectique du principe de contradiction ,
entendu comme principe commun à toutes les sciences ; au
livre d, u n dictionnaire des termes philosophiques, dont la
plupart ont surtout rapport à la physique ; au livre E, une
classi fication des sciences et une distinction des différents sens
de l'être ; aux livres Z et H, une recherche sur l'unité de l'essence
des êtres sensibles ; au livre 8, une élucidation des concepts
d 'acte et de puissance, essentiellement dans leur rapport au
mouvement ; au livre 1 , une analyse de la notion d'unité ; au
livre K , un résumé des livres B , r, E , et, dans sa 2° partie, une
compilation de la Phys ique ; dans la première partie du livre A
( chap. 1 -5) , une nouvelle recherche sur les différentes espèces
d'essences et sur les principes communs à tous les êtres ; enfin,
aux livres M et N, un examen critique principalement consacré
à la théorie platonicienne des Nombres. Si l'on excepte quelques
allusions, surtout programmatiques, à la théologie au début du
livre A et, aux livres E et K, la mention qui en est faite à propos
de la classification des sciences ( 1 ) , il n'y a donc, dans toute la
Métaphys ique, que la 2 e partie du livre A qui soit consacrée
aux questions théologiques, sous la forme d 'une explicitation
d e l 'essence d u Premier Moteur ( dont la nécessité est démontrée
plus longuement au livre V I I I de la Phys ique). De fait, c'est
à ces développements du livre A que renvoient les références
( 1 ) M ais i l est évident que la classi fication des sciences en tant q ue telle ne
relève p as d e ln théologie.
T I TR E ET CONTENU 43
( 1 ) Si l'on admet cette perspective unitaire, qui est celle du livre K et des
commentateurs, il n'est pas plus question, dans la majeure partie de la Méta
physique, d'ontologie que de théologie, et si le mot métaphysique désigne cette
ontologie théologique, qui porte sur l'être en tant qu'être, c'est-à-dire séparé,
alors il est question de tout, dans la plupart des livres de la Métaphysique ,
sauf de métaphysique 1 C'est à cette conclusion extrême (nulle part dans la
Métaphysique nous ne trouvons l'exposé proprement dit de la métaphysique
d'Aristote) qu'aboutit le P. OWENS ( The Doctrine of Being in the Arislotelian
Metaphysics, Toronto, 1 9 5 1 ), qui reprend à son compte, en la poussant jusqu'à
ses dernières conséquences, l'interprétation unitaire qui est celle du livre I<
et des commentateurs.
44 LA SCIENCE SANS NOM
PHILOSOPHIE PREMIÈRE
OU MÉTAPHYSIQUE ?
( 1 ) M, 8, 1 084 b 2- 1 9 .
( 2 ) C f . P/1ys. , I V , 1 1 , 2 1 9 b l .
(3) Eth. Nicom. , I I I, 5 , 1 1 1 2 b 23.
(4) Le mot civ&Àucrtc; désigne aussi bien, en elTet, la recherche régressive des
moyens à partir de la fin que des causes à partir des effets. Il se peut qu'Aris
tote ait connu le sens matMmatique de ce terme, qui, a ttesté par PH I L O D Ë M E
(Acad. llld. , 17), sera 6rig6 en m6thode par Pappus.
DIFFJ!RENTS SENS D' « A NTJ!RJE UR » 49
*
* *
( 1 ) Phy1., IV, 1 1 , 2 1 9 b 1 .
(2) CaUgorie1, 1 2, 1 4 a 26
(3) ADAM-TANNERY, t. IX, I I, p. 1 4 .
FA C IL J T t DE LA P H ILOSO PH IE 51
( 1 ) I b id . , p. 2.
(2) • Les choses les plus connaissables sont les principes (-r<i npc7>-rœ) et les
causes : car c'est par eux et à partir d'eux que les autres choses sont connues,
mais eux ne sont pas connus par les choses qui leur sont subordonnées • (A,
2, 982 b 2).
(3) Sur cette opposition entre le progrès tâtonnant des techniques et les
progrès rapides de la P. hilosophie, cf. le chapitre • Etre et histoire p. 74.
•,
(4) M. Ross traduit : • The fact that ail men feel at home in philosophy •
( The Works of Arislolle translaled inlo English, X I I, p. 33).
(5) Fr. 52 Rose, 5 WaJzer (JAMBLIQUE, Prolreplique, chap. 6),
62 LA SCIENCE SA NS NOM
(2) ••. xetl Twv µe:T'clyvo(etç n>.e:!ovoç xetl yvéi>vetL )(CtÀEmi>T�pc.>v (fr. cité,
p . 61 Rose).
(3) • Il est beaucoup plus nécessaire d'avoir une connaissance des causes et
des éléments que des choses qui en dérivent ; car celles-cl ne font pas partie des
principes suprêmes (Tii'>v d!xpc.>v) et les premiers principes (Tà: npii'>Tet) ne naissent
pas d'elles, mals c'est au contraire à partir d'eux et par eux que tout le reste
est manifestement produit et constitué. Si donc le feu, l'air, le nombre ou
quelque autre nature sont causes des autres choses et premières par rapport à
elles, Il nous est impossible de connaître quoi que ce soit d'autre si nous les
ignorons • ( i bid., p. 61 Rose) . Il ne s'agit donc pas seulement , comme chez
Descartes, d'une déduction de vérités, mais bien d'un rapport de production ;
ou plutôt, pour Aristote, la déduction ne fait que reproduire le processus même
par lequel les choses sont produites.
D IFF'ICULTÉS DE L' ORDRE 53
( 1 ) Anal. Post., l , l , 7 1 a l .
(2) 7 1 a 29.
(3) Ménon , 81 d.
(4) Méno11, 81 cd ( trad. CHAMBRY ) .
( 5) A, 9, 992 b 29. Alexandre remarque pertinemment que ln science de
•
toutes choses • ne peut être que ln science des principes de toutes choses •,
•
car si une chose a des principes, on ne connait cette chose que si l 'on connait
•
( 1 ) Ibid.
(2) Anal. Post. , I l , 19, 99 b 27.
(3) Anal. Post. , I , 2, 71 b 26.
LE PROBL ÈME D U COMMENCEMENT 55
( 1 ) Ibid., 7 1 b 27.
(2) Ibid., 71 b 29.
(3) L'expérience l111mai11e el la causalité physique, p. 1 57.
(4) On pourrait obj ecter qu'Aristote oppose quelquefois l'ordre de la géné
ration et l 'ordre de l'essence, c'est-à-dire du discours : le parfait est antérieur
selon l'essence, mais n'apparait qu'au terme de la génération (cf. ci-dessus, p. 49,
et n. 2 à 5 ) , principe qui, nous l'avons noté, est surtout invoqué dans les ouvrages
biologiques. Mais tout l'effort d'Aristote tend à prouver que cet ordre a.P parem
ment ascendant de la génération n'est rendu possible que par l' aspiration de la
matière vers une forme qui est en même temps cause flnare et même efficiente.
Il n'y a pas d'évolution créatrice pour Aristote : l'essence du parfait n'est pas
au terme, mals au commencement du processus ; le mouvement apparemment
ascendant de la génération n'est que la suppression des obstacles quf s ' opp osent
au mouvement véritablement descendant de la forme. En ce sens, l'ordre déduc
tif du savoir colncide bien avec l 'ordre réel de la gé néra tion .
(5) Il est caractéristique qu' ARISTOTE, clans les Second• Analytiquer,
en vienne à donner cette définition purement négative du principe : J'entends
•
par principe dans chaque genre ces vérités dont l'existence est impossible à
démontrer • ( 1, 10, 76 a 3 1 ) . Par des formules de ce genre, Aristote veut moins
66 LA SCIENCE SANS NOM
le genre de science qui lui est approprié » ('t'l)v xoc6 ' ocu-rov
t1tL<Tt"�!J.l)V) (2) .
De même, à la fin de l ' Éthique à Nicomaque, après avoir
décrit ce que serait une vie parfaitement contemplative, il se
demandera si « une telle vie n 'est pas au-dessus de la condition
humaine (xpdTT<.i>V � xoc-r '&v6p<.i>7tov) », et il répondra que l ' homme,
s'il mène cette vie , la vivra « non pas en tant qu'homme, mais
en tant qu'il y a quelque chose de divin en lui » (3) . Dans ce
« divin en l' homme », nous ne serons pas étonnés de retrouver ce
( 1 ) Cette hypo thëse était déj à rejetée par PLATON : • L ' envie n' app ro che
point du chœu1· des dieux • (PhMre, 247 a) ; cf. Timée, 29 a. Cette idée sera
souvent i nvoquée comme une sorte d'aphorisme par les auteurs du M oyen
Age. cr. Gu I LLAU ll E D'AUVERGNE (De uniuerso, la I lae, cap. 9 , t . 1, p. 8 1 7 a,
A u re l i a e , 1 674) : I nvi d i a et avaritia sunt in ultimate elongationis a Creatore. •
•
( 1 ) CC. Eth. Nic. , X, 7, 1 1 77 b 3 1 : Il ne Caut pas écouter les gens qui nous
•
q u 'avec l'homme et les Idées avec les Idées, de même l ' idée de
la science sera science de la Vérité en soi et la science de chez
nous ( mxp'�µiv) science de la vérité de chez nous ( 1 ) . De cette
analyse le vieux Parménide tirait la conclusion paradoxale
que Dieu est impuissant à connaître les choses de chez nous (2) .
Aristote, lui , prendra allégrement son p arti de cette impuis
sance apparente : il est de la nature de l'intelligence divine de
ne connaître que ce qu'il y a de plus divin et la connaissance
des choses de chez nous ne serait pour elle qu'un changement
vers le pire ( 3 ) . Aristote sera sensible, en revanche, à l ' aspect
inverse du paradoxe : comment la science la plus exacte (4) ,
c'est-à-dire l a science d e c e qu'il y a d e plus manifeste
( cpocve:p6v) ( 5 ) , est-elle ce qui nous est le plus caché ? Comment
le plus connaissable en soi est-il le moins connaissable pour
nous (6) ?
A cette aporie certains textes platoniciens pouvaient fournir
un élément de réponse. La lumière du soleil a beau être ce par
quoi toute vision est rendue possible (7), elle produit d ' abord
l ' effet inverse en éblouissant celui qui sort des ténèbres (8) :
entre la merveilleuse clarté des véri tés intelligibles et leur appré
hension p ar le regard humain , s'interposerait donc cette défail
lance temporaire par quoi la vue est empêchée de reconnaître
son véritable obj et. Aristote reprendra cette explication dans
un texte du livre oc, qui nous paraît être le témoin d ' une phase
encore platonicienne de sa pensée ( 9 ) . Atténuant un peu l ' opti
misme qu 'il professait dans le Prolreplique , il reconnaît dans
ce passage que « la considération de la vérité est, en un
sens, difficile et, en un autre sens, facile » ( 1 0). De cette dua
lité d 'aspects, il donne d 'abord une explication, fondée sur l a
nature de l'erreur, et q u i ne nous intéresse p a s i c i ( 1 1 ) . M ais
il en fournit une autre, qui consiste à distinguer deux sortes
( 1 ) 1 34 cr .
(2) 1 34 de.
( 3 ) Afé/ . , A, 9, 1 0 74 b 2 5 SS.
(4) Tljv cX><f16e:a't'cXTI)V
�maTI)µ"l)v : Parm . , 1 34 c.
(5) Top., 1 , 4 , I l l a 8.
( 6 ) On retrouvera le même r. aradoxe dans l'usage kunlien du mot noumène,
en ce sens que • l' intelligi ble, c est-à-dire le propre obj et de notre intelllgence,
est précisément [pour Kant] ce qui échappe à toutes les prises de notre
intelligence • ( LACH ELIER, Sur le sens kantien de ra iso n , in Voca bulaire de
LAI.ANDE, ou mot Raison, 5• M . , p. 861 ) .
( 7 ) Rép VI, 509 b .
.•
( 8 ) V I I , 5 1 5 d-5 1 6 a .
( 9 ) Cf. chap. • E tre et histoire • , p . 7 & , n . � .
( 1 0) Mél . , oc , 1 , 993 a 30.
( I l ) Cf. chap. • Etre et histoire », p. 75-76.
L'ORDRE D U SA VOIR 61
( 1 ) ex, 1, 993 b 8-9. La métaphore de l'éblou issement sera reprise par THto
PHRASTE (Mét., 8, 9 b 12), mais dans un contexte assez différent ; Il s'agit
de savoir où doit s'arrêter la recherche ascendante des causes : • Quand nous
passons aux Réalités suprêmes et premières (TcX &>cpex >cexl 7tpù'>Tex) elles-mêmes,
nous ne sommes plus capables de continuer, soit parce qu'elles n'ont pas de
cause, soit en raison de fa faiblesse de notre regard à fixer, en quelque sorte,
ces éclatantes lumières, 8tc1' T�V �µeTÉpexv &aOÉvetexv Ciam:p 7tpb� TcX � ùlTE:Lv6TexTex
8ÀÉ7t&LV • . Il ne s'agit pas, o n l e voit, d'expliquer l a difficulté de fa i l de la phi
l osophie, mais de fixer les limites de la recherche : pour !'Aristote du livre ex ,
comme pour Platon, l'éblouissement était un obstacle préj udiciel, mais �rovl
soire, à la recherche de la vérité ; pour Théophraste, il symbolise une hmlte,
sans doute définitive, mais rencontrée seulement au terme de la recherche.
(2) Rép., V I I , 5 1 6 ab.
(3) • Si nous ne connaissons pas l ' i dée de Bien, connussions-nous tout
ce qui est en dehors d'elle aussi parfaitement qu'il est possible, cela, tu le sais,
ne nous servira de rien, de même que sans la possession du bien, celle de toute
autre chose nous est inutile • ( i bid. , V I , 505 a b ) .
62 LA SCIENCE SA NS NOM
( 1 ) Les scolastiques distingueront ce qui est plus connu quoad nos et c e qui
est plus connu simpliciler. - Déj à certains textes du Corpus aristotélicien
semblent témoigner d'une scolarisation de ces concepts. Ainsi, dans les Anal.
Post., l'affirmation de l'antériorité des prémisses (cf. ci-dessus p . 55 et n. 2),
amène le développement suivant : • Au surplus, antérieur et plus connu ont
une double signification, car il n'y a pas identité entre ce qui est antérieur par
nature et ce qui est antérieur pour nous, ni entre ce qui est plus connu par nature
et plus connu pour nous. J'appelle antérieurs et plus connus pour nous les objets
les plus rapprochés de la sensation, et antérieurs el plus connus d'une manière
a bsolue les obj ets les plus éloignés des sens. Et les causes les plus universelles
sont les plue éloignées des sens, tandis que les causes particulières sont les plus
L'ORDRE D U SA VO IR 63
!ll
On ne voit donc pas l'intérêt qu'aurait ici Aristote à insister sur une distinc
tion qui réduit à l'impuissance les règles de la démonstration.
Top . , V I , 4 , 1 4 1 a 27 SS,
2 Ibid., 1 4 1 b 3.
3 1 4 1 b 21 .
64 LA SCIENCE SANS NOM
(ll
(2
cr.
plus haut p . 46.
Nous sommes encore ici dans une perspective platonicienne. Plus tard,
Aristote dira que seul l'individu engendre l'individu.
(3) 6, 6, 1 0 1 6 b 25, 30.
(4) La différence spécifique est plus universelle que l'espèce et même que le
genre. Sur ce point, cf. I r• Partie, chap. I l , § 4, p. 229 ss.
(5) Top., VI, 4, 1 42 a 3.
(6) 1 4 1 b 23.
( 7 ) Mét., Z, 3, 1 029 a 34, b 3 SS.
ORDRES DE LA RECHERCHE ET D U SA VOIR 65
( 1 ) 1029 b 7 : • ... de même, précise Aristote, que, dans la vie pratique, notre
devoir est de partir de chaque bien particulier pour faire que le bien général
devienne le bien de chacun La coincidence entre le particulier et le général,
».
entre le • pour nous • et l'• en soi », n'est pas donnée, mais est à faire, et précisé
ment avec les moyens • particuliers • dont nous disposons. AscLÉPIUS (383, 5 )
cite l'exemple du législateur, q u i a recours a u x châtiments individuels pour
réaliser la vertu, qui est universelle. Le Ps.-Alex. montre comment le législateur
peut ainsi exercer une influence sur l'économie : la loi, en punissant le riche qui
use mal de sa richesse, le châtie pour son bien, mais contribue aussi à la pros
périté générale (466, 12- 1 5 ) .
( 2 ) Mét.1 8, 9 b 7 .
(3) Ainsi le Ps.-Alexandre dans son commentaire du livre N (6, 1 092 b 26-30) .
Aristote critique l a théorie pythagoricienne selon laquelle u n m6lange vau
drait d'autant mieux qu'il pourrait être exprimé par un nombre qui définirait
exactement sa composition. Cette critique ne signifie pas, commente le
Ps.-Alex., que tout mélange n'ait p as lieu selon une certaine proportion,
mais il est des cas où cette proportion est inaccessible à notre intelligence,
tout en étant • connaissable pour Dieu et par nature • (-réj> fü:éj> 8È xcxl -r'ij
«pÛaeL yvÙ>pLµ.011).
LA SCIENCE SA NS NOM
LA SCIENCE (( RECHERCHÉE »
�TRE ET HISTOIRE
!l) Arisloleles, p . l .
2 ) Phildbe, 1 6 c .
3) Phèdre, 274 c .
4) Phèdre, 250 a .
72 LA SCIENCE cc RECHERCHÉE »
( 1 ) 28 1 d-282 a.
(2) Météorol. , 1 , 14, 351 li 8 ss. - On trouve bien une idée analogue dans le
Timée de PLATON (cf. 20 e, 22 b, 23 c, 25 c), mais le déluge semble n'être chez
lui que la traduction mythique de l'oubli : entre deux catastrophes, il n'y a pas
progrès proprement humain, mais tout au plus conservation d' • un petit germe
échappé au désastre • ( 23 c). En prenant à la lettre le m y the platonicien,
Aristote sauvegarde la p ossibilité d'une histoire, ou plutôt d'histoires humaines,
à l'intérieur do l'hist01re cosmique.
(3) Méléorol., 1 , 3, 339 b 27. Cf. De Coelo, 1 , 3, 270 b 19. - D ' après le
P . LE B LOND ( Logique et Méthode chez A1·islote, p . 262) , il s'agirait là de • façons
de parler courantes •, contraires à la conviction intime d'Aristote, qui « croit
au développement linéaire de la pensée, au progrès des idées •. Mais il n'y a pas
de raison qu'Aristote conçoive l'histoire générale de l'humanité autrement que
le devenir de la nature, c'est-à-dire sous la forme d'une génération circulaire
et d'un éternel retour (cf. De Gen . et Corr., II, I l , 338 a 7 ss. ) . Bien plus,
THÉOPHRASTE verra dans la théorie aristotélicienne des catastrophes le seul
moyen de concilier l'éternité du genre humain (qui résulte, pour lui comme pour
Aristote, de l'éternité de l'Univers) et l'imperfection de nos arts et de nos
sciences, qui trahit le caractère relativement récent de leur apparition ( D I ELS,
Do:cogr. , 486 ss. ) . - Ce.te idée, très ancienne dans l'œuvre d'Aristote, devait
inspirer l'exposé historique qui constituait le livre 1 du nepl cpLÀoaocplcxç (cf.
fragm. 13 Rose, 8 Walzer) .
( 4 ) Météor. , 1 , 14, 35 1 a 26 ; cr. surtout Pl!ys . , I V, 13, 222 b 19
(5) Elll . N i, c . , 1 , 7, 1 098 a 24.
74 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
( 1 ) Ibid. , 1 098 a 1 8 ,
( 2 ) • . . . brevi tempore philosophiam plane absolutam fore • ( Tusculanes,
I I I, 28, 69, trad. J. H u M D ERT ; fragm. 53 Rose) (Ce fragment, longtemp s
a l lribué au Prolreplique, semble devoir être restitué en fait au De philosop hia,
mais nous ne voyons pas de raison suffisante de contester son authenl1cité,
malgré 1. Di.tR J N G , Problems in Aristotle's Protrep ticus, Eranos, L l i ( 1 954) ,
p. 1 63 - 1 64) . - Ce ton conquérant s'accorde bien mal avec le prétendu
• scepticisme • - ou du moins • probabilisme • - que, selon B IGNONE, les
Epicuriens Colotè11 et Diogène auraient critiqué dans les premiers éc1·its
d'Aristote. En réalité, comme le suggère BIGNONE lui-même ( L 'Aristolele
perdulo e la formazione filosofica <li Epicuro, I, p. 40 ss. ) , Colotès et Diogène
ont pris pour du scepticisme ce qui n'était qu'un artifice de présentation
r
par thèses et anUthèses ou, plus rofonclément, une méthode clialectique de
r ec:h erch e : ce n'est pas parce qu'i avait • l'nabitucle de traiter le pour et le
c:ontre en tout suj et • (consuetudo de om ni b u8 rebua in contrarias partes disserendi,
CtcÉRON, Tu sc ulanes , I I , 3, 9), que le j eune Aristote était un probabiliste, p a s
plus que Platon ne peut être taxé de scepticisme pour avoir écrit des dialogues.
(3) Réfut. soph., 34, 1 84 a l , 1 84 b l .
4 ) Ibid., 1 8 1 b 3.
C YCLE ET PRO GRJ"!:S 75
des termes qui ne sont pas sans annoncer les aphorismes baconien et pasca
lien sur les Anciens, « nouveaux en toutes choses • : • Nos premiers pères, qu'il!!
soient nés de la terre ou qu'ils aient survécu à quelque catastrophe, ressemblaient
probablement au vulgaire et aux ignorants de nos jours ; c'est du moins l'idée
que la tradition nous donne des fils de la terre, et il serait absurde de s'en tenir
à l'opinion de ces gens-là • ( I I, 8, 1 269 a 4 ) .
(3) Cf. Théélèle, 1 73 c : • Je vais parler des coryphées ; c a r à quoi b o n faire
mention des philosophes médiocres ? •
(4) Mét., ex, 1 , 993 a 30-b 7 ( trad . TRICOT, modinée) . On admet auj our
d'hui que ce livre, même s'il a été rédigé par Pasiclès de Rhodes (comme
l'indique une tradition remontant à !'Antiquité), utilise des notes, peut.être
anciennes, d'Aristote. On remarquera la résonance platonicienne de certaine
passages (définition de la philosophie comme • spéculation sur la vérité • ;
métaphore du tir à l'arc, q ui rappelle la chasse aux oiseaux du Thé61èle,
1 98 a ss. ; et, un peu plus lom, métaphore de l'éblouissement, qui ra p pelle le
mythe de la caverne et sera reprise p ar Théo p hraste Métap h . , 9 b 1 1 1 3 ) .-
76 LA SCIENCE « RECHERCH ÉE »
d'une manière vague et obscure, comme, dans les combats, s e conduisent les
soldats mal exercés, qui s'élancent de tous côtés et portent souvent d'heureux
coups, sans que la science y soit pour rion • (Mét. , A, 4, !l85 a 1 3 ) .
( 2 ) Mét., cc , 1 , 993 b 15 SS.
- Cf. Réf'ul. soplr . , !l"I , 1 83 b 20.
l3 ) Pl1ys. , I I , 9 ; Anal. Post., I I , 12.
j\tJO U VEiHENT RÉTRO GRADE D U VRA J 77
*
* *
!
1 ) Mét., I', 5, 1009 a 20.
2 Mét., I', 3, 1005 b 25.
j
3 Aristote vient de citer des passages de Démocrite, Empédocle, Parmé
nide, Anaxagore et Homère, qui admett ent In vérité des apparences, donc la
vérité des contradictoires, et vont ainsi dans le sens de Protagoras.
PRO GR F;s ET Rlî GRESS IONS 81
*
* *
• ont vieilli dans la famili arité des phénomènes • ( Gén . et Corr., 1, 2, 3 1 6 a 5 ss. ) .
Même au livre N d e la Métaphysique (2, 1 088 b 35 ), Aristote re e roche aux Pla·
toniciens leur • façon archaique de poser les probl è mes • (Tb cbtoplJGCXL &pzcxtxwc;).
( 5 ) On songe au mythe platonicien de la Démlurgle, lei qu'il sera développé
pé.r Xènocrate et plus tard par Crantor, pour qui la proj ection dans le temps
finit par n'être plus qu'un procédé mythique d'exposition. - Cf. ARISTOTE,
De Coelo, 1 , 10, 279 b 32 ss. ; L. ROBIN, La théorie platonicienne des Idées et des
Nom bres d'aprM Aristote, n. 328, p. 406.
HISTOIRE IN TELL I GIBLE ET H ISTOIRE RÉELLE 83
*
* *
( 1 ) Mét . , A , 2, 983 a 1 3 .
( 2 ) Ibid. , 982 b 1 3 .
( 3 ) Ibid., 983 a 1 9 .
84 LA SCIENCE « R EC H E RC/I ÉE n
( 1 ) Nous avons vu qu'il s'agissait bien d'une image, qui est peut-être
plus qu' une métaphore, mais moins qu'une description adéquate de la réalité.
Même au livre A de la Métaphysique, l a succession n'est guère p l us que Je schtme
d e la genèse in tol ligible.
LE D J A LO G UE DES PHILOSOPil .liS 89
( 1 ) Phys., V I I I, 1, 25 1 b 1 7 .
!l
( 2 ) Mét., M , 9, 1 085 b 3 7 , 1 086 a 1 4 ( divergences de Platon, Speusippe
et Xénocrate sur la nature des nombres).
( 3 Phv.s., I , 2, 1 84 b 1 5.
4 Met., M, 6, notamment 1 080 b 4- 1 1 .
5 De Anima, l , 2, not. 403 b 27.
6) Cf. Top., I, 2, 101 a 34.
( 7) Nous nous souvenons ici d'un cours inédit de M . Gu ERO U LT sur Les
lll éories de l'histoire de la philosophie.
LE TEMPS D U D IALO G UE 91
causes, du seul fait qu'elle est vraie, rencontrât un j our quelqu 'un
pour la formuler, que ce fût Aristote ou un autre. Dans cette
perspective, l 'histoire est cette part irréductible de contingence
qui sépare les possibles de leur réalisation ; s'il y a une nécessité
d'attendre, il n'en est pas moins nécessaire que cette attente ait
une fin : sans quoi le possible ne serait plus possible, mais impos
sible. En ce sens, le progrès était bien une yévecnc; etc; oùcr(ocv,
l'avènement progressif d 'une essence.
Mais Aristote, nous l ' avons vu , en vient à douter que la
philosophie ait une fin, c'est-à-dire qu 'elle s'approche d 'une
vérité absolue et immuable qui serait comme l'essence de la
solution. Ce qui distingue le problème de la quadrature du
cercle et la question : 't'L 't'à êlv, c'est que le premier est déj à résolu ,
sinon dans une conscience humaine, du moins dans l'univers des
essences , alors que la réponse à la seconde a été et est « touj ours
recherchée » (&d �'Yj't'OUµevov) ( 1 ) . L'histoire n ' est plus l a m arge
qui sépare l'homme des essences, mais l 'horizon indéfini de la
recherche et du travail humains.
On comprend maintenant l'affinité profonde qui lie chez
Aristote la dialectique et l 'histoire : si la dialectique est la
méthode de la recherche ( ��'t''Y)O'tc;) , l 'histoire en est le lieu .
Développer une aporie { � totTtope'Lv) et recueillir les opinions de
ses devanciers, ce sont là deux procédés complémentaires (2) :
car l 'histoire de l a philosophie ne fait que déployer les hésitations
et les contradictions par lesquelles le philosophe qui posera les
mêmes problèmes devra passer à son tour. Le dialogue des philo
sophes dans le temps nous fait assister à une sorte d'ascèse de la
vérité : non pas devenir inéluctable, mais épreuve laborieuse.
Telle est l'utilité de l'histoire : abréger, par l 'expérience des
épreuves passées, les années d ' apprentissage des philosophes à
venir. Telle en est aussi la limite : l'histoire , si elle indique les
erreurs à éviter et celles des voies explorées qui ne mènent nulle
part, ne révèle a u philosophe aucune voie royale. Seul respon
sable de la direction qu'il aura choisie, il n'aura d'autre espoir que
de « raisonner, sur certains points, mieux que ses devanciers, et,
sur d'autres, de ne pas raisonner plus mal » (3).
Ambition bien modeste, en vérité , et où l'on chercherait en
vain l 'assurance conquérante du De philosophia et du livre A. De
ces deux textes de j eunesse aux phrases désabusées des livres r
( 1 ) Mét., Z, 1 , 1 028 b 3.
(2) De A 11ima, 1, 2, 403 b 20.
(:!) Ml!I., M, 1, 1 076 a 12.
D IA LECT IQ UE E T TI TSTO I R E 93
�TRE ET LANGAGE
§ 1. La signification
nous rappelle ailleurs Aristote, • donnent entre autres cet argument : • Rien
• n'emp ê che qu'il en soit de toute proposition comme de celle de la commensura
• bilité de la diagonale • ( type même de la proposition qui paratt vraie et est
pourtant fausse) ( Mét., I', 81 1 0 1 2 a 33).
P U ISSA N r: E DE LA SOPHISTIQ UF.
réel (&x 't'OÜ &7top!fjaocL) » ; les autres ne parlent ainsi que « pour le
plaisir de parler » (Myou x cf pLv) . Envers ces deux sortes d'adver
saires, on ne pourra se comporter de la même manière dans la
discussion : « Les uns ont besoin de la persuasion, les autres de
la contrainte logiqu e . . . L 'ignorance [ des premiers] est facile à
guérir : ce n'est pas ici à des arguments, c'est à des convictions
qu'il s 'agit de répondre. » Mais pour les seconds, « le remède , c'est
la réfutation (�Àeyxoc;) de leur argumenta t.ion , telle qu'elle
s ' exprime dans les discours el dans les mols » ( 1 ) .
Au moment même où il s'en irrite, Aristote reconnaît donc le
sérieux de l'entreprise sophistique : quelles qu'aient pu être les
intentions des sophistes, leurs arguments sont là, d'autant plus
contraignants qu'ils sont moins vécus, plus anonymes. C'est peut
être parce qu'il n ' a pu connaître personnellement les sophistes
du v e siècle qu'Aristote est porté , plus que Platon , à prendre au
sérieux leurs discours, touj ours présents et, sinon irréfutables,
du moins encore irréfutés. Platon s'était contenté , par exemple
dans l ' Eulhydème, de ridiculiser les sophistes ou, le plus sou
vent, s'était ingénié dans ses dialogues à les mettre en contra
diction avec eux-mêmes, les forçant par la bouche de Socrate à
reconnaître qu'ils ignoraient ce qu'ils prétendaient enseigner.
Dans un cas au moins, Platon avait répondu sur le fond à un
argument des sophistes : celui qui, placé par Platon dans la
bouche de Ménon , tendait à prouver l' imposs ib ilité d' apprendre
aussi bien ce qu'on sait déj à que ce qu'on ne sait pas encore et
suspendait ainsi contradictoirement le commencement de tout
savoir à la nécessité d'un savoir préexistant (2) . Comme nous le
rappelle Aristote (3), c'est très précisément pour répondre à cet
argument que Platon à conçu sa théorie de la réminiscence. M ais
c'était là répondre par un mythe à un argument, et Aristote ne se
satisfera pas de cette réponse ( 4). D ' une façon générale , bien loin de
prolonger les réponses platoniciennes, qu'il juge peu convaincantes,
Aristote remontera j usqu'aux problèmes eux-mêmes, tels que les
sophistes les avaient posés : de ce point de vue, l'aristotélisme
est moins une branche dérivée du platonisme qu'une réponse à la
sophistique par delà Platon. A l'aristotélisme comme au platonisme
on pourrait appliquer ce que H. M aier dit plus particulièrement
de la .l ogique aristotélicienne : ils sont l'un et l'autre « le produit
d 'un âge d'éristique », d'un « siècle où la science doit lutter pour
( 1 ) r. 5, 1 009 a 1 6-22.
(2) Méno11, 81 c-d.
(3) Anal. Post. , l, l, 7 1 a 29.
(4) Cf. plus haut, introd. chap. II, p . 53-54.
P U ISSANCE Dl<: LA SOPI1 IS1'IQ UE 97
p. 582, n. 550) (c'est nous qui soulignons). Nous voudrions montrer que, dans
ce retour à la problématique pré-platonicienne, il n'y a pas seulement une affec
tation d'anti-platonisme, un • air • que se donnerait Aristote et qu'il aurait du
mal à se donner, mais une exigence profonde de sa philosophie.
(3) Les Réfutations sophistiques. On sait qu'il ne s'agit pas dans ce traité,
contrairement à un contresens Cré g uent, de réfuter les sophismes, mais d'étu
dier ce mode de raisonnement sophistique qu'est la réfutation ; plus précisément
de substi tuer à la réfutation apparente, pratiquée par les sophistes, une méthode
de r éfutation réelle.
98 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
*
* *
( 1 ) 82 B 1 1 , 8 Diels-Kranz.
(2) I l s'agit ici d'une première approximation, car parler à peut signifier :
parler pour ou parler avec ; cette dernière distinction justifiera la séparation
de la rhétorique et de la dialectique. Cf. notre article Sur la définition aristotéli
cienne de la colère, Revue philosophique, 1 957, p. 304.
(3) Phèdre, 267 a.
(4) Cité par ARI STOTE, Rhétorique, I I, 24, 1402 a 23 (= 80 B 6 b Dicls
Kranz).
D IMENSIONS D U LAN GA GE 99
r
( 1 ) Gorgias, 456 c.
(2) Hippias majeur, 285 c-286 a.
(3) Sur Gorgias, cf. P LATON , Gorgias, 456 ac. P ou lsocRATE, Antidosis,
261-27 1 . Cf. E. B I GNONE, L'Arislolele perdulo . . . , 1, p . 98- 100.
l
4) Pari. anim . , I, I , 639 a 3.
5) L. BRUNSCHVICG, Les t1ges cle l'inlellige11ce, p. 65.
6 Mél., M, 8, 1084 b 23 .
7 Eth. Eud., l, 8, 1217 b 2 1 .
8 Aristote/es, p . 395-96.
1 00 LA SCIENCl!: « RECHERCHÉE »
j
(1) 1-1, 3, 1 043 b 25.
(2 M� e:îvcu àvTLÀÉYELV (Ll, 29, 1 024 b 33).
(3 A LEXANDRE, 435, 6- 1 3 . C f . AsCLEPIUS, 353, 1 8 SS.
(4) . . <J)(E:3/>v 3è µ'1)3è lj/e:63e:a8otL (Ll, 29, 1 024 b 33.)
.
ÀÉye:L . 6 3è Tl> av Àéyoov àÂ'1)8e:6e:L ( PROC LUS, in Cl"a/ylum, 429 b, chap. 37,
Pasquali).
PA R A n OXES DE r. O RGIA S 101
auquel on s'adresse ait perçu de son côt6 cette couleur ; sans cette condition,
le discours ne signi fie rien pour l'auditeur. C'est ainsi du moins que je comprends
le passage où il est dit que le discours ne communique pas ce dont il traite, mais
que c'est ce dont il traite qui le fait être signi ficatif • ( Les sopliisles, p. 68) .
(2) Les sophistes, p. 73. - Mais nous ne pouvons suivre M . DuPRÉEL
lorsqu'il 6crit : Selon lui (Gorgias) , pensée et connaissance sont insêparables
•
est à Delphes ne parle ni .ne dissimule, mais signifie • (o!he ÀÉye1 , o!l-rt: xpuwre 1 ,
ikÀÀcX a71µcxCve1) (fr. 93 D1els ) ,
1 04 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
'
ce sens qu'Aristote interprète le mot d'Anaxagore : • Il faut que l'intellect soit
sans mélange pour commander », c'est-à-dire, commente ARISTOTE • pour
connaître » ( Avay>e'l) .. . dµw1! EÎVO" ff'l'OV voüv] tvcx >epcxT'ij, 'l'OÜ'l'O a·�a'l'!V tvcx
yvropt�TI) (De anima, I I I , 4, 429 a 1 8 ; D I ELS , Vorsokr., 59 A 1 00. Diels range ce
passage parmi les témoignages, alors qu'il paraît bien s'agir, à l'exception des
cinq derniers mots, d'une cita tion textuelle d'Anaxagore). On retrouve le
même argument, mais de nouveau renversé, chez Pascal : • Le peu que nous
avons d'être nous cache la vue de l'infini » (fr. 72 Brunschvicg) ; Pascal j usti fie
!l
par là, par une voie analogue à celle de Gorgias, un pessimisme épistémolo·
gique qui n'est pas sans rapport avec celui du sophiste grec.
2 Cratyle , trad. MÉRIDIER, 384 d.
3 Ibid. , 429 b, d.
4 Par des voies dilTérentes des nôtres, M. Dupréel met en relief cette unité
à propos des thèses apparemment contradictoires présentées par le Cratyle.
Selon lui, les conceptions d'Hermogène et de Cratyle seraient dérivées l'une et
l'autre du relativisme de Protagoras : la première directement (le rapproche·
ment est d'ailleurs suggéré par P LATON lui-même, 385 e-386 a), la seconde « i;> lus
indir1ictement » : • Cratyle et Hermogène représentent. . . deux aspects d11Té·
rents de la � osition prota ll"oricienne, l'une le caractère tout conventionnel du
langage . . . , 1 autre la colnc1dence rigoureuse, quant t'l la consistance, du mot
1 06 LA SCIENCE « RECHERCHÉE >i
s'y manifestent sont moins des contradicto ires que des conlr a ires ,
ce qui revient à dire que leur opposition n'a de sens qu'à l'in
térieur d'un genre commun. De fait, c'est contre les sophistes
en général que s'exercera, sur ce point à vrai dire central, la
polémique des Réfutations sophistiques. Aristote ne prendra pas
parti entre une théorie « conventionaliste '' et une théorie
« naturaliste » du langage, mais dénoncera l'erreur qui est au
sorte d'ironie supérieure •, non qu'il ait une meilleure théorie du langage à pro
poser, mais parce qu'il méprise une philosophie qui s'arrête au langage au lieu
d'aller aux choses elles-mêmes. Le mot n'est pour lui qu'un • instrument •
(388 b) qui doit et peul être dépassé vers l'essence (dépassement dont la Lellre
VII décrira les étapes, 342 a-d) et qui n'est peut-être même pas indispensable
comme point de départ : ainsi Socrate demande à Cratyle de convenir que
•
ce n'est pas des noms qu'il faut partir, mais qu'il faut et apprendre et recher
cher les choses en partant d'elles-mêmes bien plutôt que des noms • (439 b).
Dès lors, comme le remarque L . M éridier, • ce n'est pas la linguistique, mais la
dialectique, qui peut conduire à la vérité » (loc. cil., p . 30), et la linguistique •
•
cesse d'avoir l'intérêt qu'elle avait pour les sophistes et qu'elle aura de nouveau
pour Aristote. Plus exactement, Platon conçoit la possibilité d'une dialectique
qui ne soit P. as science des mols, mais des choses, ou, plus profondément, des
I dées : possibilité que niera précisément Aristote. On conçoit donc qu'Aristote
ait en commun avec les sophistes l'intérêt qu'il accorde au langage et au dis
cours et que, sur ce P, Oint comme sur bien d'autres, il ait pu considérer comme
une échappatoire • 1 ironie supérieure • avec laquelle le Socrate de Platon donne
congé aux théories sophistiques du langage. En tout cas, c'est contre la sophis
tique que s'est constituée la théorie aristotélicienne de la signification et c'est
donc dans ses rapports avec elle qu'Aristote lui-même nous invite à envisager
sa propre conception. - Sur la question de savoir s'il y a une philosophie pla
tonicienne du langa ç-e, cf. A. D1Ès, Autour de Platon, I I , p. 482-485 (dont nous
suivons les conclusions après L. M éridier) et, en sens inverse, B . P ARAIN ,
Hssai sur le Logos platonicien . Cf. aussi V. Goldschml4t, Essai sur le • Cralyle •
RA PPORT n u LA N GA GE A UX Cf/OSES 1 07
( 1 ) 1, 16 a 3.
(2) Ibid., 16 a 5 ss. I l résulte de ce texte que les mx6�µ.otTot T'ij<; ljiu)l'.'Ïj<;
sont TWV TCpotyµ.choov 6µ.mùiµ.otTot. M. H EIDEGGER voit dans cette formule
l'origine de la dé finition scolastique de la vérité comme adéquation . Il reconna i t
cependant que cette assertion n'est • nullement proposée comme définition
expresse de l'essence de la vérité • (Sein und Zeil, p . 2 1 4 ) . En réalité, 1'6µ.o!ooµ.ot
est surtout o p posé ici au au µ.Ô oÀov comme un rapport immédiat et naturel à un
1·apport médiat et conventionnel.
(3) Réful. sopll., 1, 1 65 a 7 (Toî<; 6v6µ.otaLv dvTt 1'�v TCpotyµ.<XToov )(pch µ.t 6ot
au µ.ô6ÀoL<;) .
1 08 LA SC IENCE « RECHER C H É E >>
( 1 ) De lnlerpr., 4, 1 6 b 28. Bien qu'Aristote n'y insiste pas ici, c'est dans des
textes de ce genre qu'est à chercher l'origine de la distinction scolastique entre
le signe naturel (qu'Aristote appelle généralement a71µeiov) el le signe conve11-
35.
lion11el O U ad placilum (le auµooÀOV d'Aristote), distinction qui est le point de
départ des nombreux traités médiévaux Sur les modes de sign ificalio11. Cf. aussi
13J
C 1 c É R O N , Topiques, V I I I,
·
(2) Ibid. , 4, 1 7 a 1 .
cr. l e texte cité ci-dessus p . 1 07 ( 1 6 a 6).
4 Anal. pr. , I I, 27, 70 a 7 ss.
5 On notera que c'est sur un tel rapport d'inférence qu'est fonclêe la
théorie stolcienne du raisonnement.
1 10 LA SCIENCE << RECHERCHÉE »
( 1 ) ' O µo(wt; o! MyoL &>.11!le!t; C:i cmep T<X 7tp&yµomx (De /llle1·pr. , 9, 1 9 a 33)•
Ce texte annonce, beaucoup plus que le texte cité plus haut (p. 1 07, n. 2),
la définition scolastique de la vérité comme adéqua tion ; car ici il s'agit bien
du rapport entre le discours et les choses et non, comme dans le t.ext.e précédent,
entre les • lltats d'âme • et les choses.
(2) Aristote distingue le nom ( !!voµoc), qui signifie • sans référence au temps •
(2, 1 6 a 20), et le verbe ( �7jµoc), q ui • ajoute à sa signi fication celle du temps •
et, en outre, est touj ours le signe de choses affirmées d'une autre chose
u
(3, 16 b 6). Mais cette double fonction (référence au temps, mise en rapport des
noms entre eux) ne s'exerce que dans la proposition, de sorte que, pris isolé
ment, le verbe est comparable à un nom.
( 3) 3, 16 b 1 9 .
(4) 1 , 1 6 a 1 6 . Le bouc-cerf est l'exemple qu'utilise couramment Aristote
quand il analyse le fictif. Dans les Seconds Analytiques il montrera que le flet.if
peut être sign ifié, mais non défini, car il n'a pas d'essence : « Pour ce qui n'est
pas, personne ne sait ce qu'il est : on peut seulement savoir ce que signi fie le
discours ou le nom, comme lorsque j e dis bouc-cerf, mais ce qu'est un bouc-cerr,
il est impossible de le savoir • ( I I, 7, 92 b 6). Cf. aussi Anal. pr. , I , 38, 49 a 24
(6) De Interpr., 4, 16 b 27.
(6) Ibid. , 4, 16 b 28.
SI GNIF ICA T ION ET J U GEM EN T 111
( l ) De lnlerpr. , 5, 17 a 1 4 .
( 2 ) I I I, 2 , 1 404 b l .
(3) OITenbarmachen i m Sin n c des uufweisenden Sehenlussens
• •, e t plus
haut : « Der Myoi; lasst etwus sehen (q>oi:(v&a6oi:L), ntlmlich dus, w or ü b er die
Hede ist • (:\!. H m o i:: a a1m, Sein 1111d Zeil, p . 32) . Cf. du même auteur, Logos
(in Feslscllrifl filr Ilans Ja11 lte11 , B erl i n. 1 95 1 ; reproduit d a ns 1 ·orlrèifle und
A ufsèilze) .
FONCTION D U LA N GA GE 1 13
l
( I Cf. plus haut, p . 1 08- 1 09.
(2 Rhétor., I , 10, 1 369 b 32. Cf. notre article Sur la définition aristotéli
cienne de la colère, Revue philosophique, 1 957, p. 303.
(3) C'est ainsi que, dans le De parti bus an imalium ( I , 4), ARISTOTE prescrit
de prendre pour point de départ les classifications du sens commun, qui, à la
di!Térence des • divisions • abstraites des Platoniciens, isolent et discernent
des totalités concrètes (espèces ou genres) . Certes, il y a encore bien des espèces,
et même des genres, qui restent innommés (cf. De a11 ima, I I , 7, 4 1 8 a 26 ; 4 1 9 a 2-6,
32, etc. ; Eth. Nic., I I I , 10, 1 1 1 5 b 25 ; IV, 1 2, 1 1 26 b 1 9, etc. ; Météorol. , IV, 3,
380 b 28, 381 b 14, etc., et dans tous les ouvrages biologiques) ; dans les To p_ iques,
ARISTOTE déplore que l'induction soit souvent rendue difficile par • le fait qu'il
n'y a pas de nom commun établi pour toutes les ressemblances • (VI I T , 2,
1 57 a 23) . Mais ici encore on ne peut dire que le langage nous induise positive
ment en erreur : il pèche seulement par défaut en n'allant pas assez loin dans le
sens de la dénomination, mais il suffit d'aller plus loin que lui dans le même sens,
en l'occurrence en forgeant des mots nouveaux.
1 14 LA Sr:IENCE « RECHERCHÉE n
qualifié ici de ol) µei.'ov ; mais le fait que tel nom ait été préféré à tel a ut r e peut
.
!
pis-aller nécessaire et qui, comme nous le verrons, trouvera une j ustification
relative dans la structure même du monde sublunaire.
2) cr. p. 1 06, n. l .
3) Ré/ul. soph . , 7, 1 69 a 37 ss.
4) D e Coelo, I I , 1 3, 294 b 7 ss. (cf. plus haut, p. 1 14 ) . On songe ici à l a défini
tion platonicienne de la pensée comme • discours de l'âme avec elle-même •
( Théélèle, 1 89 e). Aristote emploiera lui-même, pour désigner la pensée l'expres
sion de discours intérieur (o faoo Myot,;, 6 iv T'/j ljiux'iiJ : Anal. Post. , I, I O, 76 b 24-
27.
(5) Cf. p. 1 1 6, n. l. C'est pourquoi il ne nous parait pas légitime d'opposer,
dans la philosophie aristotélicienne, comme le fait M. Eric WmL (La place de
la logique dans la pensée aristotélicienne, Revue de Métaphysique et de Morale,
1 95 1 , ad fin . ) un plan « linguistique • et un plan • obj ectif ». Pour Aristote,
rien ne peut faire que nous sortions du langage, même si, par la • ruse • du j uge-
1 18 LA SCIEN CE cc RECHER CH É.li n
"'
"' "'
ment, nous semblons le dépass er . Tout au plus - et c'est à quoi nous aidera la
théorie de la signi fication - peut-on en appeler d'un langage mal Informé à un
langage mieux lnformé (c'est-à-dire conscient de ses l im i te s ) et s'élever ainsi
d'un langage Impur et • subj ectif • - celui qu'étudient la rhétorique et la
dialectique - à un langage purifié et relativement o bj ec ti f •, comme l'est
•
celui de la science.
( 1 ) Telle est la source ronliamenta le des p a ra lo g is m es sophistiques : Réfut.
sop/1., 1, 1 65 a 16.
(2) Ibid., 1 4 , 1 74 a 9 .
(3) Ibid., l , 1 65 a 12.
LES DE UX ÉQ UI VOCI TÉS 1 19
( 1 ) A vrai dire, il est question ici de • signifier une seule chose » (2v a11 µcx(ve:Lv,
1 006 b 7 ) , mais le contexte montre qu'il s'agit ici de l'unité de la signification
et non de l'unicité du signifié (cr. plus loin p. 127).
(2) Le premier type d'équivocité est également exploité par les sophistes.
C'est sur lui que repose une des formes de l'argument du troisième homme. Si
je dis • l'homme se promène •, il ne s'agit ni de l'Homme universel (car l ' i dée
est immobile), ni de tel homme en particulier (car ce n'est pas cela que j 'ai
voulu dire), mais d'un troisième homme. Mais à des arguments de cette sorte
Aristote répond aisément par sa théorie de l'universel : • L'homme, comme toute
autre notion commune, ne signifie pas tel être individuel (-r68e: -rL), mais une
qualité, une relation, une manière d'être ou quelque chose d e ce genre • (l'uni
versel est en elTet une qualité ou une relation dont l'individu est le suj et)
(Réful. soph. , 22, 1 78 b 37).
(3) Réful. soph., 8, 1 70 a I O ss.
D IS1'IN G UER LES SI GNIFICA T IONS 121
( 1 ) Top., 1 , 1 8, 1 08 a 18.
(2) Tout au plus pourrait-il avoir une valeur esthétique. C'est ce qu'Aris
tote note dans un chapitre de la Rhétorique consacré aux qualités du style :
• La beauté d'un mot, comme le dit Licymnios, réside soit dans les sons (iv -roîç
lji6cpotç) soit dans la signification ('lj -rij> a"l)µcxtvoµ�v<i>) • ( I I I, 2, 1 405 b 6).
Distinction importante en ce qu'elle dissocie le conle11u sig11 iflcalif (qui englobe
ici à la fois ce que nous avons appelé le signifié et la signi fication) et les qualités
sensibles du mot (auditives ou visuelles ou encore ce qu'Aristote a r, pelle ici la
3uvcxµtç du mot, 1 405 b 18, c'est-à-dire, semble-t-il, sa puissance d évocation).
Aristote rappelle ici que deux expressions peuvent avoir la même signification
et n'avoir cependant pas la même valeur esthéti q ue : ainsi est-il plus beau de
dire • l'amour aux doigts de rose (po3o3c*x-ruÀoç ) ) • que • l'amour aux doigts
rouges (cpotvtxo3c*x-ruÀoç) • ( 1 405 b 1 9 ) .
(3) Réfut. soph., 10, 1 70 b 12.
1 22 LA SCIENCE « RECHERCH ÉE »
( 1 ) Ibid. , 1 70 b 28.
(2) On trouve une analyse analogue à propos de l' i mage dans le De memoria
et remin iscenlia (2, ad fin. ) : ) 'image a une réalité propre, en tant que sensa
•
tion affaiblie •, mais elle peut aussi, dans le souvenir, fonctionner comme signe
renvoyant à ce dont elle est l'image ; l'image est donc tour à tour image par soi
ou Image de . . suivant le mode de contemplation • (Tb n-ci6oc; T'ijc; 6ew p !cxc;,
. •
est d ai ll eurs cité Ici dans les manuscrits ( m a is rejeté comme glose par les
éditeurs m oderne s ) On p o u r ra i t reconstituer e tnsl l'argument : si tout être
.
est un, comme tout est lltre, tout sera un. L'arg .;rient j o u e à la rois sur une
prétendue Identité de l'être et de l' u n , et sur une prétendue un ivocité de chacune
des ex p r essi ons l!re et un. Le principe de la solution d'Aristote consistera à
reconn a ître, sinon l'identité, du moins la converlibililé de l'être et de l'un
( tout lltre est un en un sens, tout un est être en un sens), sous réserve de distin
guer des significations multiples de l'être et de l'un (ainsi tous les êtres ne sont
pas uns dans le même sens).
LE LA N GA GE ES T S I UN / F I A N T 1 23
le mot un (et, qui plus est ici , la copule être) sont pris successive
ment dans des accep tions différentes ( 1 ) . D'une façon générale,
un paralogisme ne peut être pris pour un syllogisme que dans
la mesure où l'on s'en tient à l 'identité du signe sans discerner
la pluralité des significations.
La distinction des signi fications sera donc la méthode uni
verselle de réfutation des sophismes. Ceux-ci reposent sur
l'ambiguïté , qui n'est, nous l 'avons vu , que l'apparence de la
signification ; dénoncer l ' ambiguïté , ce sera supprimer par là même
l'apparence sophistique : « On résout les arguments qui sont
de véritables raisonnements en les détruisant, et ceux qui sont
seulement apparents en fa isant des dislinclions (-r&v Mywv -roùc;
µÈv auÀÀEÀoytaµé:vouc; &veMv-roc, -roùc; 8è cpoctvoµé:vouc; 8teMv-roc
Metv) (2) . » On mesurera l'importance philosophique de cette
méthode si l'on songe que l 'homonymie est le procédé systé
matique des mauvais philosophes, de ces gens qui , tel Empédocle ,
« n ' ont rien à dire et font cependant semblant de dire quelque
chose » (3) . Avec Aristote, le logos cesse d ' avoir la force contrai
gnante qu'il possédait aux yeux des sophistes ; car le langage
ne vaut que ce que vaut l 'intention qui l ' anime , et ce qui le
prouve, c'est que des intentions multiples peuvent se cacher
derrière un discours apparemment un. C'est pourquoi, dans son
jugement sur les philosophes du passé , Aristote ne s' en tiendra
j amais aux mots, mais derrière la lettre il recherchera l'esprit,
la 8L&.votoc, qui seule peut donner un sens au logos ( 4 ) .
C'est pourquoi , finalemen t, la distinction qu'établissait
Aristote au début du libre r entre ceux qui argumentent « à la
suite d'un embarras réel » et ceux qui parlent c c pour le plaisir
de parler » (Myou x.&.ptv) (5) , n'était qu 'une concession faite
provisoirement aux sophistes. Car on ne parle j amais << pour
parler » , mais pour dire quelque chose ; on ne peut concevoir de
discours qui ne soit ou du moins ne se veuille signi fiant. Tel
est le principe de toute argumentation anti-sophistique : les
sophistes s'enferment et veulent enfermer leurs adversaires
( 1 ) P o ur la signi fication I n trin s èq ue de tels a rgu me n ts , cr. plus loin I•• Par
tie, chap. I I I : • Dialectique et o n t o l ogi e •·
(2) füfut. soph. , 18, 176 b 35. Malgré l'identité du terme, on conçoit que
cette m é t h od e de division n' a rien è v o i r avec la 8L1dpecrn; platonicienne :
celle-cl était une division réelle, passant (quoique arbi tra irement, selon Ar istote)
à l in t éri eu r des genres, alors q u ' il ne s a g i t pour Aristote que de distinctions
' '
• •
( 1 ) r, 4, 1 006 a 1 1 .
(2) C'est ce qui semble ressortir d e l a définition qu'en donnent les Premiers
Analytiques, l i , 20, 66 b 1 1 : • La réfutation . . . est le syllogisme de la contra
diction • (c'est-à-dire le syllogisme qui établit la contradictoire de la proposi
tion à réfuter). Cf. Réful. soph. , 9, 1 70 b 1 .-M ais dans la Rhétorique, ARISTOTE
admet que • la réfutation diffère du syllogisme • ( I I, 22, 1 396 b 24) . Dans la
pratique, le mot i!Àexxoç désigne un mode d'argumentation p lus personnel
que le syllogisme : il s agit notamment de montrer que l'affirmation de l'adver
saire se détruit elle-même au moment où elle s'exprime ; nÀe'YJ(oç serai t donc
une réfutation de l'adversaire par lui-même et le rôle du dialéclicien consiste
rait seulement à lui faire pren d re conscience de cette • auto-réfutation ». C'est
ce qu'on pourrait appeler, suivant l'expression que propose le P. l sAYE (La
justi fication critique par rétorsion, Reuue philosophique de Louuain, 1 954,
p . 205-33) un argument par rétorsion. Un bon exemple de cet argument est
fourni par Phys., V I I I , 3, 254 a 27 : Nier le mouvement, c'est encore affirmer
le mouvement, puisque l'opinion est elle-même un mouvement de !'Ame. - On
a pu rapprocher ce mode d'argumentation de celui qui est à l'œuvre dans le
Si (al/or, sum de saint Augustin et dans le cogito (ou plutôt dans le du bito,
ergo sum) de Descartes, et l'on s'est même demandé s'il n'y avait pas là une
source possible du cogito (cf. P.-M. ScH U H L, Y a-t-il une source aristotélicienne
du cogito ?, Revue philosophique, 1 948, p. 1 9 1 -94).
DÉFENSE D U PR INCIPE DE CONTRAD ICTION 1 25
1
l'adversaire ... montrent avec évidence que l'objectant est en contradiction
avec lui-même •, etc.
2) r. 4, 1 006 a 18.
3) 1 006 a 22.
4) 1 006 a 12.
5) 1 006 a 25.
(6) Cf. K, 5, 1 062 a 1 1
: • Ceux qui ont à entrer en discussion l'un avec
l'autre doivent se rencontrer entre eux sur quelque point ; sans la réalisation
de cette condition, comment pourrait-il y avoir discussion commune à l'égard
l'un de l'autre ? •
1 26 LA S'CIENCE « RECHERCH ÉE n
( l ) rd 4 , 1 006 a 30.
(2) 1 06 b 7.
(3) 1006 a 32.
128 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
( 1 ) Ibid. , 1 006 a 32 .
(2) K, 5, 1061 b 36. C'est touj ours comme une loi de l 'être qu'Aristote
énonce le principe de contradiction (cf. De lnterpr. , 6, 17 a 34 ; Réfut. soph. ,
5, 1 6 7 a 23 ; Mét., I', 3, 1 005 b 18) . Le principe logique : • Une proposition
ne peut être à la fois vraie et fausse •, ou encore • Deux propositions contradic
toires ne P, euvent être vraies en même temps •, n'est qu'un corollaire du pre
mier : • S il n'est pas possible qu'en même temps des contraires appartiennent
à un même suj et . . . , il est évidemment impossible, r. our un même homme, de
concevoir en même temps que la même chose est et n est pas • ( i bid., 1 005 b 26) .
(3) r, 3, 1 005 a 28.
(4) r, 4, 1 006 b 2 1 .
( 5 ) Ibid. , 1 007 a 26 .
COND ITION DE POSSIB IL ITÉ D U D ISCO URS 1 29
fonction véritable : celle d'un instrument, qui n ' a d'autre vertu que
celle de l 'intention qui le tire à chaque instant de l'inanité.
L'expérience de la distance, éprouvée pour la première fois
dans la polémique contre les sophistes, est donc le véritable
poin t de départ de la philosophie aristotélicienne du langage :
distance entre le langage et la pensée, dont il n ' est que l'instru
ment imparfait et touj ours révocable ; distance entre le langage
et l'être, comme en témoigne, malgré Antisthène, la possibilité
de la contradiction et de l'erreur. Avec Aristote , l'étonnant n'est
plus que l'on puisse mentir ou se tromper, mais bien qu'un
langage qui repose sur des conventions humaines puisse signi fier
l'être. L 'expérience fondamentale de la distance est alors corrigée
par le fait , non moins incontestable, de la communication . C'est
touj ours là qu'en revient en dernier recours Aristote : rien ne
prédisposait les mots à être signi fiants ; mais « s'ils ne signifiaien t
rien, en même temps serait ruiné tout dialogue entre les hommes
et même, en vérité , avec soi-même » ( 1 ) . De même , l' analyse la
plus superficielle du langage bute sur le fait de l'équivocité :
comment des mots en nombre limité peuvent-ils signi fier des
choses infinies en nombre ? Et pourtant il faut bien que l'univo
cité des mots soit la règle et l'équivocité l ' exception, car sans cela
tout dialogue serait impossible. Or le dialogue est possible entre
les hommes, puisqu 'il existe ; c'est donc que les mots ont un sens,
c'est-à-dire un seul sens.
Si l 'expérience de la distance , en séparant le Myoc:; de r gv,
semblait décourager tout proj et d'une ontologie, l ' expérience
de la communication va en réintroduire l 'exigence. Si les hommes
s'entendent, il faut bien un fondement de leur entente, un lieu
où leurs intentions se rencontrent : ce lieu , c'est ce que le livre r
de la Métaphys ique appelle l'être (-ro dvcXL) ou l ' e s s s e n c e (�
oôafoc.) . Si les hommes communiquent, ils communiquent dans
l'être. Quelles que soient sa nature profonde, son essence (si la
question de l 'essence de l'être peut avoir un sens ) , l 'être est
d ' abord supposé par le philosophe comme l 'horizon obj ectif
de la communication. En ce sens, tout langage, non en tant que
tel, mais dans la mesure où il est compris par l 'autre (2) , est
déj à une ontologie : non pas un discours immédiat sur l 'être,
comme le voulait Antisthène, encore moins un être lui-même,
comme le croyait Gorgias, mais un discours qui ne peut être
ontologie •.
1 32 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
( 1 ) • C'est une tâche indéfinie (œ6 p ta't'oc) de s'enquérir de toutes les raisons
qui rendent les réfutations apparentes à n'importe qui • (et non pas seulement
à l'homme • compétent • dans tel genre particulier de l'être) (IU(ut. soph. ,
9, 1 70 b 7 ) . Cf. i bid., 1 70 a 2 3 (infinité des démonstrations possibles) , 1 70 a 3 0
(infinité corréla tive des réfutations possibles).
(2) Aristote emprunte le terme d'axiome au langage des mathématiques
(r, 3, 1 005 a 20), mais en étend l'usage : il désigne par là l'un des principes du
syllogisme, non pas ce qui est démontré (Il), ni ce sur quoi porte la démonstra
tion (xe p t Il), mais ce à partir de quoi (l:� c'l'>v ) et par quoi (8t' c'l'>v ) procède la
démonstration (Anal. Posl. , 1 , 7, 75 a 41 ; IO, 76 b 14). Chaque science possède
ainsi un corps d'axiomes. Mais, outre les axiomes propres à chaque science,
il existe des axiomes communs à tou tes (par exemple, le principe de contradic
tion) qui, du fait qu'ils • embrassent tous les êtres ., relèvent de la science de
l'être en tant qu'être (I', 3, 1 005 a 22) . M ais, comme nous le verrons, une telle
science n'existe qu'à titre de projet, de sorte que les axiomes communs, ces
axiomes • donl tous les hommes se servent, puisqu'ils appartiennent à l'être en
tant qu'être • ( i bid. , 1 005 a 23) seront tirés en fait non d'une impossible ana
lyse de l'être en tant qu'être, mais d'une réflexion sur le dialogue des hommes
entre eux, dialogue dont les axiomes communs apparaitront alors comme la
condition de possibili té. Les axiomes communs ont ainsi beaucoup moins pour
fonction de nous révéler des propriétés de l'être (car l'être en tant qu'être ne peut
être sujet d'aucune assertion) que d'assurer ou de j ustifier la cohérence du dis
cours humain. M ais l'axiome (et en cela l'usage aristotélicien concorde avec
l 'usage euclidien) est, à la différence de l'hypothèse (ôx66t:mc; ) et du postulat
(o&n1µoc), • ce qui est nécessairement par soi et qu'on doit nécessairement
croire • ( Anal. post., 1, 10, 76 b 23) . I l y a donc une nécessité intrinsèque de
l'axiome, qui suffirait à le distinguer d'une simple convention. Seulement, si
l'axiome est nécessaire, nous n'en avons pas pour autant l'intuition (sans quoi
on ne comprendrai t pas la peine que se donne Aristote pour établir le plus
fondamental de tous : le principe de contradiction), et le substitut de l'intui
tion, c'est ici l 'universalité de la • convention ., de la • rencontre • dialecti q;ue.
Il n'y a pas pour Aristote de contradiction entre convention et objectivité,
LE PRO.TET ONTOLO GIQ UE 1 33
( 1 ) Nous disons bien : a11 flzropologique, et non pas li11guislique, car ce qui
intéresse Aristote dans le discours, c'est moins la structure interne du langage
que l'univers de la communication. Ou du moins celle-là ne l'intéresse que dans
la mesure où elle reflète ou annonce celui-ci. - C'est ce qui, à notre avis, rend
insuffisantes dans leur principe toutes les interprétations • linguistiques • de
l'ontologie aristotélicienne, dont l'origine remonte, semble-t-il, à Trendelenburg
( Geschichle der J(alegori1mlehre) et qui ont été reprises par B RUNSCHVICG
(cf. notamment Les tiges de l'intelli eence, p . 57 ss. ) .
( 2 ) "0Àwc; T e: 't" O Twv ISVTwv '1J't"E:IV a't"OL)CE:Î<X µ lj ll1e:À6VT<Xt; noÀÀ<XXÙ>t; Àeyoµé
vwv, &BuV<X't"OV e:Ôpe:ï:v lA, 9, 992 b 1 8) .
(3) A , 10, 993 a l '1 .
( 4 ) cr. r , 4 , 1007 a 22, 33.
L ' A CC ID E N T
dire que Socrate est homme ; mais le mot homme, ayant par
hypothèse plusieurs signi fications, ne signi fierait pas seulement
l'essence de l'homme, mais aussi l'essence du non-homme ou
plutôt la non-essence de l ' homme. Dire que Socrate est homme
impliquerait alors que Socrate est homme et non-homme.
Certes, il n'y a là aucune contradiction : « Rien n ' empêche en
effet que le même homme soit homme et blanc et d 'innombrables
autres choses ( 1 ) . » M ais on n'échappe à la contradiction qu'en
faisant d ' homme un attribut de Socrate p armi d'autres e t non
la désignation de son essence. Dans la perspective de l'équivo
cité, homme ne peut signi fier l 'essence de l ' homme ( car l'essence
est une et alors la signification serait une aussi ) , mais signifie
seulement quelque chose de Socrate. La pratique sophistique
du langage empêche donc de privilégier quelque attribut que
ce soit : nous ne pouvons dire d'aucun qu'il exprime l'essence
de la chose, car l'essence est unique, alors que l ' attribution
est ad libilizm. On voit la différence entre un langage attributif,
c'est-à-dire finalement adventice et allusif, et un langage signi�
ficatif : sur le plan de l 'attribution , il est légitime de dire qu 'une
chose est ceci et non-ceci ; mais sur le plan de la signi fication,
il y aurait là une contradiction. « Signi fier l 'essence d 'une chose,
c'est signifier que rien d 'autre n'est l 'essence de cette chose (2). »
L'uni té de la signi fication exprime et suppose l 'incompatibilité
des essences (3) . Inversement, dans la perspective de l'équi
vocité , il n'y a plus que des attributs ou, comme le dit ici Aris
tote, des accidents { cruµÔeÔY)x.6-rot) , c'est-à-dire des détermina
tions qui peuvent appartenir à une chose , mais aussi ne pas lui
appartenir, et sont donc en nombre indéterminé.
A ce niveau , Aristote assimile accident et prédica t, de sorte
qu'on aperçoit d ' emblée l ' absurdité d 'une théorie dont le pos
tulat inexprimé serait que « tou t est accident » : « Si l'on dit
que tout est accident, il n'y aura plus de suj et premier des
accidents , s'il est vrai que l'accident signi fie touj ours le prédi
cat d 'un suj et {x.ot6'û7tox.etµÉvou -twàc; crY)µot(veL -r�v x.ot-rY)yop(oc.v ) .
La prédication devra donc nécessairement aller à l'infini (4) . »
De même, en effet, que le mouvement suppose un moteur non
( 1 ) r, 4 , 1 006 b Hi. Ce dernier terme n'est pas ici absolument correct, car
ildésigne généralement chez Aristote l'uniuocité ( identité de nom, identité de
nature) . C'est pourquoi ALEX. propose de l e corriger en noÀu6ivuµcx (280, 19 ) ,
qui correspond, a parle rei, b. noti·e synonym ie ( pluralité de dénomina tions,
identité de nature).
(2) E, 2 , 1 026 b 1 4 . Citation de PLATON, Sophisle, 204 a ; c r . 237 a .
(3) E, 2 , 1 026 b 15.
(4) E, 2, 1 026 b 2 1 .
(5) Ibid. , 1026 b 1 3 .
(6) Cat., 6, 2 a 21 . Le rapprochement est suggéré par BRENTANO, Von der
mannig(achen Bedeutung des Seienden nach Arisloteles, p. 1 6 . Brentano propose
aussi une autre interprétation, mais qui nous paraît inacceptable.
A CC IDENT ET NON- g TRE 1 39
*
* *
fait pas entrer les consid6ra tions d'hygiène dans la défini tion de la maison.
Cet • oubli • est d'ailleurs express6ment assumé par Aristote : • Que l'arehilecle
produise la sant6, c'est un accident, car il n'est pas dans l n nalure de l 'archi
tecte, mais dans celle du médecin, de produire ln santé, et c'est. par accident que
l'architecte est médecin • ( E, 2, 1 026 b 37) . - Arislote donne, à vrai dire, d'autres
raisons de l'assimilation de l'accident au non-être ; mais ces raisons ne nous
intéressent pas directement ici, car elles impliquent une conception cosmolo
gique de l'accident : si, sur le plan • linguistique •, l ' accident est défini comme
prédicat, sur le plan cosmologique il est • ce qui n'est ni touj ours ni le plus
souvent • ( E, 2, 1 026 b 32), c'est-à-dire ce qui n'a pas de cause, à moins qu'on
lui reconnaisse comme cause la matière ( 1 027 a 23), qui elle-m�me 11'esl rien,
du moins en acte. On pressent cependant par là la possibilité d'une r6habilita
tion cosmologique de l'accident, lequel est finalement la règle dans un monde
qui, comme le monde sublunaire, comporte de la matière et est donc soumis
à la contingence. Ce moindre être qu'esl l'accident aura un grand rôle à j ouer
dans ce moindre monde qu'est le monde sublunaire. - Nous signalons ail
leurs une oscillation du même genre à propos de l'un iversel et de l 'opinion,
9,Ui, dévaloris6s sur le plan de l 'ontologie, trouveront cependant une justi flca-
1.lon relative dans la structure du monde sublunaire. Sur l'universel, cf. p. 1 1 7,
n . 1 . Sur l 'opinion, cf. T I • Partie, chap. I I I : • Dialectique et ontologie •
( 1 ) cr. 1 37, n. 6.
A CCIDEN T ET E TRE 1 41
"'
"' "'
1)
( . . . )(ŒlpouO'LV OÙK tÙ>VTe<; &yŒ6àv Àéyetv &v6pùl7t'OV, &n&: -rà µèv &yŒ6àv
&yŒ!lov, -rov 8È: &v6pw7tov &v6pw7t'OV (Soplzisle, 251 a-c, trad. D I ÈS modi fiée). On
remarquera dans tout ce texte : 1) L'absence du mot KŒ't''l)yopeîv, qui est le
mot technique désignant chez Aristote l'attribution ; Platon emploie des termes
plus vagues : 7tpocrŒyopeuetv, t7t'ovoµ&�etv, È:m<pépetv ; 2) L'absence du verbe
elvŒt dans les exemples que cite en dernier lieu Platon : on dira, certes, que
elvŒt est ici sous-entendu comme verbe de la proposition infinitive ; mais le
fait que Platon l 'ait omis prouve au moins que ce n'est pas sur le verbe etre
qu'il voulait diriger l'attention de son lecteur. Ces deux remarques tendent à
montrer que le problème de la proposition attribu tive ne se pose pas en tant
que tel à Platon. D'une façon générale, parler avant Aristote et meme encore
clzez lui des dimcullés ou de l 'impossibilité de l'allri bution est peut-être le fait
d'une illusion rétrospective : c'est pour répondre à ces apories portant sur le
discours humain en général qu'Aristote a été amené à élaborer une théorie
explicite de l'attribution (><Œ't"l)yoplŒ ) . On pourrait généraliser cette remarque :
c'est la tentation constante de l'interprète que de poser le problème que son
auteur rencontre dans les termes mômes dont celui-ci se servira pour le résoudre ;
mais ce mouvement rétrograde de l'interprétation est partiellement inévitable,
dans la mesure où la démarche du philosophe s'éclaire par ses résultats : l'essen
tiel est que le résultat ne masque pas le point de départ de la démarche et, par
suite, la démarche elle-même. On ne peut dire qu'en ce qui concerne Aristote,
le commentarisme ait touj ours évité ce dernier écueil . Cf. ci-<iessus, Avant-Propos.
(2) Aristo te vient d'énumérer pêle-mêle un certain nombre de difficultés
résultant de la thèse éléatique Toul est un. M ais alors que les Eléates entendaient
par là : l ' Univers (-rà miv) est un, les « derniers des Anciens • entendent, comme
semble le prouver la phrase citée, que clzaque chose esl une, passant ainsi du
sens collectif au sens distributif du mot 7t'cXV. Ce glissement parait être le propre
de la doctrine mégarique qui pose à propos de chaque être, et non de ! 'Etre dans sa
totalité, le problème de l'Un parménidien. C'est bien aux Mégariques que semble
faire allusion Platon lorsque, dans un autre passage du Sophiste, il parle de ces
• Amis des Formes • qui soutiennent à la fois la thèse parménidienne de • l'immo
bilité du Tout » et celle de • la multiplicité des Formes » (249 d) ( Diès refuse
cette assimilation parce que, dit-il, les rares textes que nous possédons sur les
M égariques • s'opposent absolument à ce que nous les disi ons partisans d'une
• pluralité • intelligible, car ils attestent., chez eux, de fermes tenants de l'unité
absolue », Introd. au Sophiste, p. 292. - Mais le témoignage d'Aristoclès dans
EusÈBE, Prtp. évang., XIV, 17, 756, que Diès cite à l'appui de sa thèse, et
selon lequel • les disciples de Stilpon et les Mégariques . . . estimaient que l'être
1 46 LA SCIENCE « RECHERCHÉE 11
est un et que l'autre n'est pas •, ne nous paraît pas probant : car la mention de
l'Autre, absente des textes de Parménide, semble indiquer que la thèse méga
rique niait toute relation entre les êtres et se plaçait donc dans la perspective
de la multiplicité. Reste à savoir - et ce sera là le sens de la critique platoni
cienne des Amis des Formes - si l'on peut morceler ainsi !'Unité absolue
des Eléates tout en refusant d'admettre l 'existence de ce non-être relatif qu'est
l'altérité).
1,
(1) Phys., 2, 185 25. b
(2) Platon ne trouve pas de mots assez durs pour ces • j eunes • ou ces • quel
ques vieux tard venus sur les bancs •, qui s'offrent à peu de frais un bon régal •
•
en découvrant qu' • il est impossible que le multiple soit un et que l'un soit
multiple •, mais qui ne • s'extasient là-devant • qu' • à cause de la pauvreté de
leur bagage intellectuel • (Sophiste, 251 b-c, trad. 011\:s ) . - Tout autre est
l'attitude d'Aristote à l'égard des problèmes soulevés par les sophistes et les
socratiques ; il reconnaît, par exemple, que • la difficulté soulevée par l'école
d'Anlisthène et par d'autres ignorants de cette espèce, ne manque pas d'à
•
propos (Mét., H, b
3, 1043 23). Pour Platon, de telles apories n'ont aucune
réalité et sont seulement la manifestation d'une ignorance métaphysique :
c'est pourquoi Platon ne s'attache j amais aux termes de l'aporie, mais cherche
à corriger l'insuffisance de pensée dont elle est, selon lui, le signe. Aristote,
au contraire, prend l'aporie au sérieux dans sa littéralité même, car à travers
elle c'est le discours humain qui est dans l'embarras. C'est pourquoi les réponses
de Platon aux sophistes ne satisfont pas Aristote, car elles n'atteignent que
l'esprit, et non lalettre,de leurs arguments : or il y a une obj ectivité, une résis·
tance de la lettre ; quand bien même le sophiste, convaincu selon l'esprit,
renoncerait à son argument, celui-ci n'en continuerait pas moins d'exister comme
discours, aussi longtemps qu'il n'aurait pas été réfuté par d'autres discours.
(3) Sophiste, 252 c, 251 d.
(4) 253 b.
LA SOL UTION PLA TONIC IENNE 1 47
( 1 ) De fait, beaucoup d'au teurs font g loire à PLATON d'avoir fondé dans le
Sophiste la théorie du jugement. Cf. BRocnARn, El u des de philosophie ancien ne
el moderne, p . 168.
(2) Sophiste, 252 b . C'est t.rès exactement l'une des thrses q u ' Arist o l c
attribue à Antisthène (cf. plus haut, p . 101).
(3) Sophiste, 257 q.
148 LA SC IENCE « RECHERCHÉE ))
théorie des I dées dans le nepl !8eoov d'Aristote, Reuue philosophique de Louvain,
t. 47, 1 949 et surtout l'essai de reconstitution de P. 'VI LPERT, in Hermes,
t. 75, 1 940, p. 369-396 ; et ou M�ME, Zwei arisfolelische Frtlhschriften ü ber
die Ideenlehre, Ratisbonne, 1 949.
(4) Ilepl !8eoov (dans ALEXANDRE, 98, 2 ss. ) j Mét. , z, 13, 1 038 b 1 6-23
(si du moins l'on suit dans ce passage l'interprétation de L. ROBIN, op. cil. ,
p. 4 1 ss. ) .
CRITIQ UE DE LA PARTICIPA TION 149
mais bien que l'homme est animal, contredit ici une métaphysique
de la participation . Le langage semble, en effet, nous suggérer
qu'anima[ est ce que l ' homme est, c'est-à-dire l'essence de
l'homme ; mais de ce qu'Animal ne suffit pas à dé finir l 'homme
(puisque, d 'une part, l'homme n'est pas seulement animal, mais
aussi bipède et que, d 'autre part, l 'animalité n 'appartient pas
en propre à l ' homme ( 1 ) ) , la théorie de la participation conclut
qu 'Animal est une partie, un élément (2) de l ' Homme. Mais
alors , si nous disons que Socrate est homme, nous reconnattrons
par là même qu'il est animal, puisque !'Animal est dans l 'Homme,
et Socrate n ' aura pas une, mais deux essences, ou plutôt une
pluralité d 'essences, puisque le genre animal participe lui-même
à des genres plus universels encore. Selon l'expression imagée
du Pseudo-Alexandre, Socrate sera un « essaim d 'essences »
(crµ"tjvoc; oÙcrLwv) (3). La théorie de la participation entendue
comme mélange compromet donc et l 'individualité de l'essence,
qui se perd dans un « essaim » d'essences plus générales, et son
unité , puisqu 'elle se dissout elle-même dans un « essaim »
d'essences subordonnées. On entrevoit qu'Aristote ne se satisfera
pas de telles « métaphores » , qui ne nous éclairent en rien sur
le sens du mot être dans la proposition ni sur le rapport de l'être
(-ro /Sv) et de ce qu'il est (-ro ·rt ècr·n) , c'est-à-dire de son essence
( OÙO'tot) .
M ais il n 'en ira pas autrement si nous interprétons la parti
cipation dans le sens du paradigmatisme. Car, parmi les déter
minations essentielles qui constituent la dé finition, laquelle
devra-t-on choisir comme étant le modèle de la chose considérée ?
Sera-ce le genre, la différence spéci fique, l 'espèce ? Devant
l'impossibilité d'un tel choix, il faudrait admettre cette consé
quence absurde qu' « il y aurait plusieurs paradigmes du même
être et, par suite, plusieurs Idées de cet être ; par exemple,
pour l'homme, ce serait !'Animal, le Bipède et, en même temps
aussi , l' Homme en soi (4). » De plus, aj oute Aristote visant plus
particulièrement cette fois les concep tions du Sophiste, « ce ne
sont pas seulement des êtres sensibles que les I dées seront para
digmes, mais aussi des Idées elles-mêmes, et, par exemple, le
propre et qui n'appartient pas à une au tre •, alors que • l'universel est au
contraire commun, puisqu'on nomme universel ce qui appartient naturelle
ment à une mulliplicit6 • .
!
(2) ' Ev 't'OU't'Ct> �vumxp;(EL ( Z, 1 3 , 1 038 b 1 7- 18).
(3 Ps.-ALEX., 524, 3 1 .
(4 A, 9, 991 a 27.
1 50 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
ment dans le mouvement, mais dans toute la suite des genres • (256 d).
(2) L' Etranger du
Sophiste se voit seulement • contraint d'établir que le
non-être est (xcx-rci TL) • et que • l'être n'est pas
manière sous un certain rapport
(7t7J) • (24 1 d).
en quelque
!3) Sophiste, 24 1 d.
4) I I s'agit des deux principes que reconnaît la dernière philosophie de
Platon, telle q ue la rapporte Aristote : !'Un et la Dyade indéfinie du Grand
et du Petit. 81 le premier principe (l'Un ou encore la limite, principe formel)
est clairement désigné, le second (principe mat6riel) revêt plusieurs formes :
ce peut être ! ' I négal, la Relation, !' Excès et le Défaut, et surtout il arrive à
Aristote de l 'assimiler à du
l'infini Philèbe, à la
matière du Timée ou, comme
c'est ici le cas, au du
non-etre Sophiste. Dans l'ignorance où nous sommes des
textes sur lesquels Aristote appuie son exposé du dernier platonisme, nous ne
pouvons savoir si cette assimilation est ou non historiquement j ustifiée. Elle
est au moins vraisemblable, dans la mesure où la dualité des principes dans le
dernier platonisme semble bien r6pondre à la préoccupation qui était déjà
celle du Sophiste, du
Timée et du
Philèbe : admettre malgr6 Parménide l'exis
tence du multiple tout en maintenant la puissance organisa trice de !' Un
(que cette puissance s'applique à la g6n6ration des mixtes, comme dans le
Philèbe ou leTimée, à la communication des genres, comme dans le Sophiste,
ou à la génération des Nombres idéaux, comme dans Je dernier platonisme).
Mais il se peut que le dernier platonisme ait figé la position encore souple du
Sophiste en faisant de !'Un et de la Dyade deux contraires, alors que le Sophiste
refusait encore de considérer !'Autre ou Non-être comme le cont1·aire de !'Etre
ou de !'Un. Ceci expliquerait une certaine inj ustice de la part d'Aristote, qui,
après une référence explicite au Sophiste, va critiquer, comme s'il s'agissait
encore du Sophiste, une position qui serait en fait celle du dernier platonisme.
( 5 ) N, 2, 1 088 b 35 SS.
L' ftTRE ET LE NON- ftTRE 1 53
( 1 ) Ibid., 1 87 a 3 .
(2) Sophiste, 24 1 d .
(3) C'est l'accusa tion consLanLe de M . CH1mN1ss ( Al'istolle's Criticism of
Plata and the Academy) . Mais c'était nussi , sous une forme plus nuancée, le
point de vue de RomN (La théorie pla/011iciw11e .. . , passim), selon qui Aristote
emprunte subrepticement à Platon des théories qu'il aurait a u préalable
discréditées en les défi gurant : les emprunts effectifs (quoiqun non avoués
par lui) d'Aristote à Platon monti•eraient qu'il a mieux compris Platon q_ue ne
le laissent su � poser ses critiques souvent nmlveillnntes ; quand Aristo t e critique
Platon, il n 1 air de ne le pas comprendre, mais quand il le comprend, c'est pour
se pa r e r, sans le dire, de ses dépouilles.
1 56 LA SCIEN CE « RECHERCH ÉE »
(1) « Non homme n'est pas u n nom. I l n'existe, en effet, aucun terme pour
désigner une telle expression, car ce n'est ni un discours ni une négation. On
peut admettre que c'est seulement u n nom »
indéfini (De Interpr., 2, 1 6 30).
a
Kant se souviendra de cette remarque lorsqu'il a p pellera j ugement indéfini
celui dans lequel le prédicat est précédé de la négation (exemple : l'homme est
non-éternel) et qu'il distinguera le j ugement indéfini du j ugement négatif (où
la négation porte sur la copule), montrant par là qu'il n'y a pas de négation
véritable lorsque la particule négative porte seulement sur un nom.
(2) Ibid., 16 33, 16 b 15. ARISTOTE distingue dans les
a Catégories ( I O)
quatre sortes d'opposition : la la
relation, contrariété, l'opposition de la privation
et de la possession, la contradiction( opposition de l'affirmation et de la négation).
C'est seulement dans ce dernier cas que l'un des opposés doit être vrai et l'autre
faux ; or le vrai et le faux ne se rencontrent q ue dans la proposition : • Aucune
des expressions qui se disent sans aucune liaison n'est vraie ou fausse » (Cal.,
10, 1 3 b 10). Dès lors, Aristote ne peut concevoir une opposition qui, comme le
prétend Platon pour l 'opposition de l'être et du non-être, soit de négation
sans être de contrariété.Car pour Aristote il y a plus dans la négation (contradic
tion) que dans la simple contrariété : dès lors, si le non-être est une négation,
il est a fortiori un contraire, (la contradiction impliquant la contrariété, mais
non l'inverse) et si, comme le veut Platon, il n'est pas un contraire, alors il
est encore moins une négation. N'étant ni contraire ni négation de l'être,
le prétendu non-être de Platon à
appartient l'être (comme le soulignent forte
ment les textes cités de N, 2, 1 089 b 7, 20) et doit lui être restitué comme
Mét.,
l'une de ses significations.
NA T URES ET SI GNIFICA TIONS 1 57
licienne ; bien plus, s 'il est vrai que « la solution des apories »
est par elle-même « découverte » ( 1 ) , on pourra dire que la science
aristotélicienne de l 'être en tant qu'être n ' est autre que le sys
tème général de la solution des apories.
• •
il M l:a-rw 4, 1 1 46 b 7 ) .
(2l
( 1 ) 'H y p cnc; -rîjc; ànoptcxc; ellpe:aLc;
c r . plus haut, p . 1 46- 146.
( E//z . Nic. , V I I ,
(3 Phys., I , 2, 1 85 b 25,
(4 ) 1 85 b 3 ) ,
1 60 LA SCIENCE '' RECHERCHÉE ,,
( l l Jbid.,
186 a 1.
( 2 Est-il besoin d e dire que résoud!"e l aco11lradictionpar des distinctions
parait aux modernes la solution de facilité ? On connait les railleries dont cette
méthode a été l'objet, depuis les remarques ironiques de Pascal, dans les Pro-
LES SENS DE L ' �TRE 161
( 1 ) C'est encore en ces termes que Hegel décrira le jugement, qui est le
moment abstrait du concept, celui où il se dissocie en une duali té d'éléments
indépendants, qui ne seront réconciliés que dans le syllogisme : Le suj et est •
sujet et le prédicat ait besoin d'être démontré : c'est ce à quoi visera precisé
ment, pour Aristote comme pour Hegel, la médiation • opérée par le moyen
•
� tre par soi et être par accident, être en acte et être en puis
sance : telles sont les distinctions auxquelles Aristote a été
« contraint » par la résolution de l 'apparence sophistique, d'une
part, et par les apories mégariques, de l'autre. Alors que Platon ,
pour résoudre ces dernières difficultés, avait opposé l'al térité
à l ' être et en avait fait ainsi un non-être , Aristote, conscient
des contradictions de la solution platonicienne et de son incapa
cité à rendre compte du discours attributif, restitue l ' altérit.é à
l 'être lui-même comme l 'un de ses sens (la relation) , en même
temps qu'il reconnaît une telle altérité dans le langage sur l'être ,
sous la forme d'une pluralité de significations.
L 'analyse aristotélicienne ne va d' ailleurs pas en rester là ,
car il ne suffit pas de savoir que l'être par soi est en puissance ,
sans cesser d 'être lui-même, une pluralité d 'accidents. Il n'im
porte pas moins de savoir quelle est exactement la nature de
cette puissance ou plutôt de ces puissances d 'être. Que l'être
comme suj et puisse être autre sans cesser d' être lui-même, c'est
là une première constatation tirée de la pratique du langage .
M ais cette constatation resterait formelle , si l'on ne savait aussi
quel genre d ' autre convient à un suj et donné ( 1 ) . Autrement dit,
si la possibilité de l'attribution implique la distinction géné
rale du par soi et de l' accident, de l 'être en acte et de l' être
en puissance , la réalité de l'attribution va déterminer une nouvelle
distinction des sens de la copule dans la proposition. Ce n'est
pas, en effet, dans le même sens que nous disons qu 'une chose
363.
( 1 ) Cf. A . - J . F EST U G l imE, A n lis l h cnicn , He1me des scic111.·cs plrilosoplr it/lles
el lhéologiques, 1 932, p.
1 64 LA SCIENCE cc RECHERCHÉE »
( 1 ) D'une façon générale, le non-être se dit en autant de sens que l'être lui
même (ce qui n'implique d'ailleurs nullement l'existence du non-être, le dis
cours pouvant toujours signifier ce qui n'est pas ; cf. p. 1 1 0- 1 1 1 ) . Cf. A, 2,
1 069 b 28 ; N, 2, 1 089 a 1 6 .
( 2 ) E, 4, 1 027 b 25.
(3) Ibid., 1 027 b 3 1 .
(4) Ibid. , 1 028 a 1 .
( 5 ) lbirl. , 1 027 b 34, 1 028 a 3 .
( 6 ) K , 8 , 1 065 a 22, texte qui reprend, e n l a résumant, l a théorie d e E , 4
(cf. 1 027 b 34) .
( 7 ) Mél . , 0, 1 0 .
l()(j LA Sr:JENr:R c< RRr:H ERCHÉE n
( 1 ) 0 , 1 0 , 1 0 5 1 b 2.
(2) Exemples donnés en 1 0 5 1 b 2 1 .
( 3 ) 1051 b 24 .
(4) Plalo11s Lehre vo11 der Wahrheil, p . 44 ; cf. Brie( li ber den Humanismus,
M. a l lem., p . 7 7 .
( 5 ) Von der mannigfache11 Bedeulung des Seienden nach Arislo/eles, p . 3 1 -32.
(6) Contrairement à ce qu'on pourrait penser, c'est la conception de 0 , I O
q u i serait postérieure à celle de E, 4 : Ar. aurait dû élargir après coup, pour
tenir compte de l 'existence des li7tÀii, son premier concept de la vérité, entendue
comme synthèse. Cf. Studien zur Enlstehungsgeschichle . . . , p . 26-28, 49- 53 ;
Aristoleles p. 21 1 - 1 2. Déj à H. MAIER (Die Syllogislik des Ar., 1, p. 5 ss. ), avait
noté In contradiction apparente entre ces deux sé1·ies de textes.
V &TRE COMME VRA I 1 67
qui fait qu'au moment même où nous la faisons être par notre
discours, nous la faisons être comme étant déj à là. C'est cette
tension, inhérente à la vérité elle-même, qu'exprime la dualité
des points de vue, ou plutôt des vocabulaires, entre lesquels
semble hésiter Aristote. La vérité « logique » , c 'est le discours
humain lui-même en tant qu'il accomplit sa fonction propre,
qui est de parler de l 'être. La vérité ontologique, c'est l 'être
lui-même, l 'être « proprement dit », c'est-à-dire en tant que nous
parlons de lui ou du moins que nous pouvons parler de lui.
Dès lors , il n'est pas faux de voir avec M . Heidegger dans la
vérité « logique » un pâle reflet de la vérité ontologique ou plutôt
un « oubli » de son enracinement dans celle-ci. Mais il n'est pas
faux non plus de voir avec Brentano dans la vérité ontologique
une sorte de proj ection rétrospective dans l 'être de la vérité
du discours.
Ce balancement, qui, comme on le voit, n 'est pas accidentel,
va nous permettre de comprendre une phrase du livre 0 , qui a
beaucoup gêné les commentateurs parce qu'elle semble contre
dire cette phrase du livre E où Aristote nous invitait à exclure
l 'être en tant que vrai de la considération de l'être « proprement
dit ». Avant d 'aborder le développement déj à cité sur la vérité,
Aristo te rappelle une fois de plus la distinction des significations
de l 'être : « L'être et le non-être se disent selon les figures des
catégories ; ils se disent ensuite selon la puissance ou l ' acte
de ces catégories ou selon leurs contraires, et enfin l'être par
excellence est le vrai ou le faux (T6 8È xuptÙlTOCTOC 1lv cXÀ1) 0Èc; �
ljie:ü8oc;) ( 1 ). » Ce dernier membre de phrase, a-t-on, remarqué, est
en contradiction formelle avec la doctrine du livre E (2) . M ais la
tendance de la vérité logique à se précéder elle-même dans l 'être
comme vérité ontologique permet, semble-t-il, d'expliquer cette
contradiction. Dans le premier texte, il s'agissait de la vérité
logique, dans le second de la vérité ontologique. La première
était à exclure de l 'être proprement dit, auquel elle n ' aj outait
aucune détermination, puisqu'elle en était seulement le double
pour la pensée. La seconde se confond avec l'être proprement
dit, dont elle partage l'extension. Mais qu'entend Aristote lors
qu'il dit qu 'elle est « l'être par excellence » ? Sans doute, d ' abord,
que la vérité ontologique ne signifie pas telle ou telle partie de
l'être, mais l 'être dans sa totalité ; mais peut-être aussi que nous
l 'être comme vrai n ' é tau L plu1> ici nommés) : « L 'è t.re se d i t en
plusieurs sens , comme nous l 'avons expliqué précédemment dans
le développement sur les signi fications multiples ( 1 ) ; il signifie en
effet tantôt le ce que c'est (Tà TL ÈO'TL) et le ceci (T68e TL) , tantôt
le quel ou le com b ien ou chacune des autres catégories de ce
genre (2) . >> Et la suite du texte montre bien l 'enracinement des
sens de l'ètre dans les modes de la prédication : « Quand nous
demandons de quelle qualité est ceci , nous disons que c'est bon
ou mauvais , et non pas que c'est grand d e trois coudées ou que
c'est un homme ; mais quand nous demandons ce que c'est, nous
ne répondons pas que c'est blanc , chaud ou grand de trois
coudées, mais que c'est un homme ou un dieu (3). » Comme on
le voit, l'essence elle-même est présentée ici comme un prédi
cable, bien qu 'elle soit dé finie ailleurs comme ce qui est touj ours
suj et et n'est j amais prédicat (4). M ais l 'essence , qui est en effet
le suj et de toute attribution concevable, peut s 'attribuer secondai
rement à elle-même, et c'est en ce sens qu'elle est une catégorie,
c'est-à-dire l ' une des figures de la prédication, l'un des sens
possibles de la copule. Bien plus, c'est seulement au moment où
elle est attribuée à un suj et comme réponse à la question Qu'esl
ce ? (TL ÈO'TL ;) que l 'essence, qui ne diffère pas en cela des
autres catégories, se constitue comme signification de l' être (5).
donc ici pour le moms comme les significations privilégiées de l'être, et même
comme les seules significations de l'être par soi . Ce passage va à l'encontre de
l'interprétation de B RENTANO ( Von der mannigfachen Bedeulung . . , p . 1 75 ) , qui,
systématisant des indications de saint Thomas, fait des catégories autres que
l'essence des divisions de l'être par accident (cf. plus loin p . 1 97, n. 1 ) .
(2) Z, 1 , 1 028 a 1 0 .
( 3 ) Ibid. , 1 028 a 1 5 .
(4) Anal. pr. , 1, 27, 43 a 25 ; Phys., 1 , 7, 190 a 34 ; Mét. , Z, 3, 1 028 b 36.
(5) La distinction entre l'essence premi�re ( toujours sujet) et l'essence
seconde (l'essence en tant qu'elle est attribuée) ( Top. , IV, 1, 1 2 1 a 7 ; Cal.,
5, 2 a 1 4 ss. ) ne nous paraît donc pas caractériser, comme le soutient Mgr A. MAN
SION ( Introduction à la physique aristotélicienne, 2• éd., p . 9, n. 1 0 ) , une période
a ncienne, encore platonisant.e, de la pensée d'Aristote. Car sans cette distinc
tion on ne comprendrait pas que l'essence püt être une catégorie. C'est seule
ment dans ia secondarité, c'est-à-dire dans son être-dit, et non dans Ia primarit�
1 72 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
*
* *
de son être-là, que l'essence peut se constituer comme sens. - Pour les autres
catégories, une telle distinction était inutile, car elles sont toutes secondes
par nature, en ce sens que seule la puissance du discours discerne la quantité,
la qualité, la relation, le lieu, etc., et finalement l 'essence elle-même comme
prédica !,, dans l'indistinction de l'essence concrète primitive.
( 1 ) 1 ·, 4, 1 006 b 7 .
(2) De fait, le livre r considérait comme une évidence (8'ij).ov) que les •
expressions etre et n'etre pas ont une signification définie ( <niµcx!ve:L . . . -ro8!),
de sorte que rien ne saurait être ainsi et non ainsi • ( r , 4 , 1 006 a 29) .
ll01VION Y1vl1E ET S YNON YM.IE 1 73
n'y a pas d ' idée du Bien, au sens où l ' idée désignerait l 'unité
d 'une multiplicité ; partant, il n'y aura pas de science, si élevée
soit-elle, qui puisse prendre le Bien comme objet, puisque le
Bien échappe à toute définition commune. Dans l' Éthique à
Eudème, d 'ailleurs, l 'homonymie du Bien est expressément
invoquée contre la théorie des Idées : « Dire qu'il y a une Idée
non seulement du Bien, mais de toute autre chose, c'est s'expri
mer de façon verbale et vide (ÀoyL>Cwc; xa.:t xe:vwc;) . . Car le bien .
plus élaborée que celle des Topiques et de l'Elh. Eud. (cf. plus loin, p. 20 1 ss. ).
(3) Eth. Eud. , 1 , 8, 1 2 1 7 b 33 ss.
(4) Ibid ., 1217 b 35 SB.
HOMON YMIE DE L' lÎTRE 1 79
( 1 ) r, 2, 1 003 b 19 SS.
(2) Ibid. , 1 003 b 33.
(3) Certains commentateurs ont tenté de supprimer la difficulté en niant
qu'il s'agit ici des catégories : ainsi saint Thomas, qui entend par • espèces de
l'être • les di!T�rentes • substances • . M ais, outre l'indice, qui nous paraît très
fort, consti tué par le parallélisme de ce texte avec ceux des Topiques et des
deux Ethiques (la phrase • Autant il y a d'espèces de l'un, autant il y a d'espèces
correspondantes de l'être • parait bien répondre au même problème que la
phrase : • Le bien se dit en autant de sens que l'être •), on peut observer : 1) Que
le seul exemple donné par Aristote dans ce passage va dans le sens de l'assimila
tion des espèces de l 'être • aux catégories : de même qu'une science une en
•
genre traitera des différentes espèces de l'être, de même c'est une science une en
182 LA SCIENCE cc RECHERCHÉE n
genre qui traitera des espèces de l 'un, comme l' idenlique e t le sembla ble ( 1 003 b
35) ; or qu'est l 'identique sinon l'un scion l ' essence, et le semblable, sinon l'un
selon la qualité ? Les " espèces " de l'un sont donc bien les sens de l'un, dont Aris
tote nous dit ailleurs qu'ils correspondent aux sens de l 'être (ÀÉye:-rccL ll' !crccxwç
-ro Clv xcct -ro ltv, iVlél . , 1, 2, 1053 b 25) ; 2) Qu'en faisant des « espèces de l'être »
les difTérenles « substances '" comme le fait saint Thomas, on n'échappe pas à
la difficulté mise en évidence par Alexandre (249, 28) : comment peut-il y
avoir des espèces de l 'être ou de l'un (qu'il s'agisse de catégories ou de • subs
tances • ) , puisque l'être cl l'un ne sont pas des genres (cf. § suivant) ?
( 1 ) H. llIAmR, D i e Syllogistilc des Arisloleles, I l, 2, p. 300, n. I . Bien que
nous tradu isions généra lement ilv par 2/re, conformément à l'usage le plus
fréquent de ce mot en fra nçais, il nous arrivera de recourir à la traduction
élan/ chaque fois q u ' i l s'agira d'opposer l 'ilv à l'e:IvccL.
(2) Top . , IV, 1, 120 b 36.
(3) On trouvera une application de ce précepte dans la recherche de la
définition cle l 'àme au début du De an ima : « Il est nécessaire de déterminer
par d ivision ( llLûe:ï:v) dans lequel des genres suprêmes se trouve l'âme et ce
qu'elle est, j e veux dire si elle est un c e c i et une essence ou une q uali té o u une
quantité ou quelque autre des catégories issues de ln division (xcct TLÇ cl!À);I) -rwv
8LccLpe:6e:Lcrc7iv xcc-r1JYopLwv) " ( 1 , 1 , 402 a 22) . Cette dernière expression ne peut
signifier que les catégories 011/ élé div isées (cur il ne s'agit pas de déterminer la
place de l'l\me à l ' i n térieur d' une catégorie donnée, puisqu'on ignore encore
à quelle cutégorie elle appartient), mais qu'elles ont été clistinguées par une
division préalable.
1NCERTI1' UDES D ' A l USTOTE 183
La qualité, le relatif sont donc prése� tés ici comme des genres,
mais qui seraient eux-mêmes des « divisions » d ' un genre plus
universel. Ainsi entendue, la théorie des catégories ne serait que
le couronnement d'une conception hiérarchique de l 'univers,
où, de l'être aux catégories, des catégories aux genres, des
genres aux espèces dernières, on descendrait, par une série de
divisions successives, de l 'universalité de l 'être à la pluralité
des espèces dernières.
M ais une telle interprétation de la théorie des catégories,
qui sera plus tard formellement récusée par Porphyre ( 1 ) ,
a u fameux « arbre » duquel o n en emprunte pourtant d 'ordinaire
l'illustra tion , est en contradiction avec l'inspiration générale
de la dém arche aristo télicienne. La preuve que les catégories
aristotéliciennes ne sont pas les premières divisions de la réalité
dans son ensemble nous est fournie par le fait qu 'elles ne « divi
sent » pas moins le non-ê tre que l' être : « Le non-être aussi se
dit en plusieurs sens, puisqu'il en est ainsi de l 'être : ainsi
le non-homme signifie le n 'être pas ceci, le non-droit signi fie
le n 'être pas lei, le non-long-de-trois-coudées signi fie le n 'être
pas tant (2) ». On le voit, il ne s'agit plus ici de diviser un domaine
(car comment circonscrire le domaine du non-être ? ) , mais de
distinguer des signi fications : significati ons qui ne sont plus ici
à proprement parler celles de l' éta nt ( llv ) , mais celles de l 'être
(elvocL) , puisqu 'il s' agit de savoir en quel sens l 'étant est dit
être ou le non-étant est dit ne pas être.
On pourrait donc distinguer deux séries de passages : ceux
où Aristote se laisse apparemment guider par la réalité subs
tantive de I ' llv, dont les catégories seraient alors les divisions,
et ceux où il s'attache au contraire à la signi fication infinitive
de l 'être, telle qu'elle s 'exprime dans les différents discours
( 1 ) Anal. post., I I , 7, 92 b 1 3 .
( 2 ) • Un catalogue de modèles • (eine Musterrolle) : ainsi Leibniz définissait-Il
la table d es catégories (Philosophische Schriflen, éd. Gerhardt, V I I , p. 6 1 7 ) .
(3) Cf. Z, 1 , 1 028 a 1 8 ; 4, 1 030 a 2 1 ss. ( textes cités plus haut p. 1 84 ) .
H . MAIER ottache une importance plus grande encore à la suite du premier de
ces textes : « De même que le est appartient à toutes les catégories, mais non au
même degr6, parce qu'il appartient à l'essence d'une manière primordiale et. aux
INTERPRÉTA TION DES CA T É GORIES 1 87
·
peut répondre à la question « Qu'est l'être de l 'étant en géné
ral ? » , il faut bien répondre à chacune de ces questions : Qu 'est
l'être de l'essence ? Qu'est l 'être de la qualité ? , etc. La plura
lité des questions ne nous dispense pas de fournir une réponse
définie à chacune, et cette réponse ne peut porter que sur la
signification du mot être dans chacun de ses emplois. Si la doc
trine des catégories est bien issue de l 'impossibilité de fournir
une réponse unique à la question « Qu'est-ce que l 'étant ? »,
elle exprime moins la multiplicité des réponses à cette question
que la multiplicité des questions auxquelles , dès que nous tentons
d ' y répondre, nous renvoie la question fondamentale ( 1 ) . La
différence est d 'importance : la table des catégories n 'énonce
pas une pluralité de natures (2) entre lesquelles se diviserait
autres catégories d'une manière dérivée, de même le ce que c'est (-rà -r! fo-rL)
appartient d'une façon absolue à l'essence et, dans une certaine mesure seule
ment, aux au tres catégories. • H. MAmn voit dans ce texte et clans d'autres du
même genre (surtout Top. , I, 9, 103 b 27 2!J ) un • infléchissement • ( Umwandlu11g )
-
radical de la doctrine des catégories : il n'y aurait plus irréductibilité des catégo
ries les unes aux au tres, mais subordina lion de toutes les catégories (y compris
celle de l'essence) à une catégorie primordiale qui sera i t le -r( fo-rL ; en même
temps. les catégories cesseraient d'apparaître comme les sig11 ificalio11s de l'être
(c'est-à-dire de la copule) pour devenir les différents genres de prédicats possi
bles du j ugement ( tous ces prédicats rentrant alors, pourrait-on dire, dans la
catégorie du prédica t en général ou -r! &œn) (Die S11llogistik des Aristoletes,
I I , 2, p. 3 1 4 ss. , not. p. 321 ) - M ais, en plus de di!lieultés d'ordre chronolo
.
gique (on ne voi t pas comment la théorie des catégories aurait pu évoluer dès les
Topiques), on peut obj ecter à cette interpré tation qu'Aristote ne parle j amais
du -r! t<ITL comm1J du genre suprême dont les catégories seraient les espèces et,
lorsqu'il dit que, par exemple, • la qualité fait partie des -r! fo-rL • (-rà 7tOLov -rrov
-r! fo-rL), il ajoute qu'il ne faut pas entendre cela en un sens absolu ( oÔY. omÀwc;),
mais plutôt verbalement ou dialectiquement (ÀoyLxroc;) (Z, 4, 1 030 a 24 ) ;
et lorsqu'il dit que le -rl t<ITL uppai·Lient à la fois à l'essence et aux au tres
catégories, il précise que ce n'est pas de la même manière (f!va 11.l:v -rp67tov . . . ,
&nov 8é, 1 030 a 1 8 - 1 9 ) , mais tantôt d'une façon primordiale (dans le cas de
l'essence) , tantôt d'une façon dérivée (-roï:c; µl:v 7tpchwc;, -roï:i; 8' hi:oµévwc;,
1 030 a 22) ; or là oil il y a un rapport d'ontérieur à postérieur, il n'y a pas de
genre commun (cf. i11fra, § suivant, p . 236-238) . L'ambiguïté de l'dvaL se
retrouve donc en fait dans le -r! fo-rL, et l'on ne voit pas que l'introduction de
celui-ci nous r, ermctte d'apercevoir plus clairement l'unité des signi fications
multiples de 1 être. l\I ontrer que les catégories sont toutes (et non pas seulement
l'essence) des réponses à la question -r! è<ITL, c'est simplement rappeler qu'elles
sont des catégories de l'l!tre, que c'est toujours l'être g ui est en question à pro
pos de chacune d'elles, et l'on ne voit pas qu'il y ait là une évolution quel
conque de la théorie des catégories entendues comme significations multiples de
1'6v ( o u plutô t d e l'e:!vaL du 6v, comme du -r ( t<ITL) .
( 1 ) I l est caractéristique à cet égard qu'Aristote di'signc les catégories par
des interrogatifs : -r! �v eîvaL (pour l'essence), TC6 crov TCo'i:ov, 7tpàc; -r!, TCoü,
7t6-re, . les a;ztres catégories (xeï:cr6aL, !!xeLv, 7tOLeï:v, 7t&crxeLv) relevant de la
question 7twc; l!xeL .
(2) I I est vrai qu'Aristote emploi!' une fois l'expression cp u cr Lc; -rwv llv-rwv
pour désigner les catégories ( N , 2. 1 089 b 7 ) . M ais on a vu que la terminologie
d'Aristote n'était pas touj ours très b i e n fixée : on voit mal comment concilier
le vocabulaire de la cpucrLc; uvee celui de la sig11 ificulio11 et plus encore de lu 7t-rwcrLc; .
Et surtout ,dans le texte de N, 2, Aristote veut montrer contre Platon que lu
1 88 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
Une réflexion plus approfondie sur l 'être et sur les termes qui
sont convertibles avec lui - l'un et le bien - va donc amener
Aristote à modifier sur un point capital la théorie des rapports
de signi fication par laquelle s'ouvrait le traité des Catégories.
L 'innovation consistera à reconnaître entre l 'homonymie et la
synonymie proprement dites l 'existence d 'une homonymie non
accidentelle { oùx. &7to -rux·'lc;) , d 'une homonymie qui n'est p as
sans fondement et qui , par là, se rapprochera de la synonymie
(dont le fondement est le rapport d'espèce à genre) , sans pour
autant se confondre avec elle.
C'est une telle correction à la doctrine des Catégories que nous
voyons introduite - en quelque sorte sous la pression même du
problème - dans un passage de l ' Élh iqize à Nicomaque. Aristote
vient d ' y critiquer la notion platonicienne d'un Bien en soi ; son
principal argument est, comme nous l 'avons vu, que le Bien
se dit en autant de sens que l 'être et que, par conséquent, « il
n ' est pas quelque chose de commun qu'embrasserait une seule
Idée » ( oùx. f!cmv ôlpot -ro &yot6ov x.oLv6v 't"L x.ot-rtX. µCotv t8�otv) (2) .
Jl ) H, 6, 1 045 b 2-7 : les catégories sont immédiatement être et un (et non
mé iatement, en tant qu' esp� ces d'un genre, qui serait l'être ou l'un en général)
( Nous suivons ici l'interprétation de RoeIN, La théorie platon icienne . . . , p. 1 4!1,
note) . cr. A, 4, 1 070 b 1 .
(2) Eth. Nic., I , 4 , 1 096 b 25. Cf. ibid., 1 096 a 28 : le Bien n'est pas • quelque
chose de commun universellement et d'un (xOLv6v -rL xœ66).ou xœl fv) ,
car alors il ne s e dirait p a s dans toutes l e s catégories, m a i s dans u n e seule • .
HOMON YMIE NON A CCIDENTELLE 191
( 1 ) Mét., 6. , l .
(2) 6. , l , 1 0 1 3 a 1 7 .
( 3 ) Ibid. , 1 0 1 3 a 1 0 .
(4) Il resterait à envisager le troisième domaine où s'exerce le fondement :
celui du devenir. Mais si, comme nous le verrons ( I I • Partie, chap. I I : « Phy
sique et ontologie •), l'existence même des catégories est liée à la réalité fonda
mentale du mouvement, elles ne sont pas elles-mêmes mouvement, puisque c'est
selon elles (ou du moins certaines d'entre elles) que le mouvement se produit.
L 'essence comme catégorie fondamentale n'est ici ni cause efficiente ni cause
finale des catégories ( en dépit de l'expression 68/i� el� oual«v, 1 003 b 7, qui
exprime seulement un des modes p ossibles de relation à l'essence) : il n ' y a
rien chez Aristote qui évoque une quelconque procession au sens plolinien.
1 94 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
prédicat.
LE CAS DE L ' ETRE 1 95
tion entre être par soi (ou essence) et être par accident (dont les modalités, elles
mêmes obtenues par division, constituent les autres catégories) ( Von der mann ig
(achen Bedeutung . . . , not. p . 1 75 ) . Certes, nous avons vu que la distinction des
catégories n'était rendue possible que par la distinction plus fondamentale de
l'être en acte et de l'être en puissance (cf. p . 1 60-63 ) . Mais on ne peut dire pour
autant que la seconde distinction soit une spécification de la première. On peut
en outre obj ecter à Brentano : 1) Qu'Aristote présente les catégories comme les
significations multiples de l'être par soi (11, 7, 1 0 1 7 a 22 ; cf. ci-dessus p . 1 7 1 ),
ce qui exclut que les catégories autres que l'essence soient les divisions de l'être
par accident ; 2) Que les catégories autres que 1 'essence ne peuvent être considérées
comme des divisions de l'acciden!alilé, parce que l'accident ne se laisse pas
connai tre, ni par conséquent diviser (car la division suppose la science du genre
à diviser) : il n'y a pas de science de l'accident ( E, 2, 1027 a 20) ; 3) Que la
classification de Brentano confond distinction de sens et division . D ' une façon
générale, une division de l'être supposerai t qu'il fltt un genre, ce qu'Aristote
nie constamment. Cette seule considération suffit, comme l'ont vu BRAN D I S
( Griechisch-Riimische Philosophie, I I I , 1 , p . 45) et BoN ITZ (Sitzungsberichte
der le. Akademie d. Wissenscha(ten , pllil.-llist. Kl., X, 5, p. 643), à ruiner toute
tentative pour chercher un principe de classification des catégories.
(2) Bien plus, les catégories do 1 'être aulrea que l'essence apparaissent comme
les significations multiples de la relation au fondement en général, c'est-à-dire
du '1t'p6ç du 'lt'poç !!v. Après avoir montré que l'un est, comme l'être, un 'lt'poç lv
Àey6µevov, Aristote énonce cette règle générale : Une Cois que nous avons
•
• •
( 3 ) cr. A 1.1·: x . , i bid., 2 4 1 , 2 0 : rrpoc; IS [ l e itv d u rrpoc; lv] Myov lxov-rck 't"LVCX.
Aristote men tionne l e sens ma thémati q ue ( q ue l ' o n retrouvera dmis le terme
analogie) de l ' expression fxe:Lv Myov : Eth. Nic., I, 1 3 , 1 1 02 b 3 1 .
(4) A 1.Ex . , i bid. , 2 4 1 , 1 0 - 1 4 . L a seule différence, selon A l e x andre , entre les
rrpoc; �v Àe:y61ie:vx et les synonymes est qu'il n ' y a pas ou, au con f.ra ire, qu'il y a
équ ivalence ( lcro-rLµ(cx, 24 1 , 1 6 ) entre l es différentes a ttri bu tions du terme
considéré aux choses dont i l est le nom. Mais c e terme d'équ ivalence n'est pas
clairement défini et Alexandre dem eur e plus �rnsihlr nux ressem hlnn ces 'l l l ' nux
rl i fTrrcmcrs e n t re rrpbc; l!v ).ey61ie:vx e t synonymes : d ans les deux cas, en cfTet.,
INTERPRÉTA TIONS PLA TONISA NTES 201
( l) I l serait aisé de vérifier que les autres textes invoqués par les commen
tateurs en faveur d'une prétendue analogie de l'être chez Aristote : l ) Ne
concernent pas directement ! 'être ; 2) Présupposent, bien loin qu'ils contri
buent à la réduire, la pluralité radicale des catégories. Nous l'avons montré à
propos du passage de l'Elh. Nic., I , 4, oi1 il est question du bien. On pourrait
aussi le montrer à propos de Mét., A, 4 et 5 , où Aristote applique le terme d'ana
logie ou plutôt d'identité analogique (TotôTœ Téi'> &viXÀoyov) , non pas à l'être
lui-même, mais aux principes de ! 'être. Existe-t-il, se demande Aristote dans ces
passages, des principes communs à tous les êtres '/ - Non, à proprement parler,
répond-il, car alors l'être relèverait des mêmes principes dans les différentes
catégories ( hypothèse qu'Aristote rejette d'emblée, comme étant contraire à la
notion même de catégorie) . Oui, si l'on entend que les principes sont communs
par analogie, car les principes - à savoir la forme, la privation, la cause elll
ciente - j ouent un rôle analogue, quoique non identique, dans les di fférentes
ca tégories (A, 4, 1 070 b 18, 26 ; 5, 1071 a 26, 33). On reti·ouve ici le môme schéma
que dans l 'Elh. Nic., à propos du bien : les principes ne peuvent avoir le 1116111e sens
suivant qu'on les emploie dans telle ou telle catégorie (ainsi la cause du relatif
est seulement homonyme à celle de l'essence) ; ce qui est à chaque fois Je
même, c'est seulement le rapport que chacune des significations du principe
entretient avec chacune des significations correspondantes de l'être. On le voit :
l'analogie est seulement un pis aller, qui autorise une certaine unité du discours
malgré l'ambiguïté radicale de l'être ; mais c'est parce que l'être est ambigu
qu'il est nécessaire <le recouril" à des façons de r, arler analogiques, et l'analogie
des principes ne supprime pas, mais suppose, 1 homonymie de l'être. Cf. N, 2,
1 089 b 3 ; Anal. post., I , 10, 76 a 38 (où ce sont les axiomes qui sont dits xoLvœ
xotT'civotÀoylotv) . C'est à cette analogie des principes que songe Rodier lorsqu'il
voit dans certains textes platoniciens la préfiguration de la théorie arisloléli
cie1111e de l'analogie (Eludes de philosophie grecque, p. 69, n. 3 ; textes cités :
Snph. , 218 d ; Pol., 277 b, d ; Tfléélèle, 202 e ; Timée, 29 b-c, 52 b ) . Mais le point
de vue d'où se place Aristote lorsqu'il s'agit de l'être en tant qu'8/re (et non plus
des principes), et qui est celui de la signi(icalion, limite considérablement la
portée de cet emp1·mit : il s'agit chez Platon de découvrir la structure unique du
réel à travers la diversité de ses apparences, alors que le p roblème d'Aristote
est de sauver une certaine unité du discours malgré la pluralité des sens de l'être.
(2) r, 1 , 1 003 a 2 1 .
y A-T- IL UNE SCIENCE DE L ' 2 TRE ? 207
Quelles sont donc les conditions qui font qu'un discours peut
être dit scientifique ou (ces deux expressions étant équivalentes
pour Aristote) démonstratif (cX.7to8eLx-mc.6c;) ? Parmi toutes celles
que nous trouvons longuement analysées, notamment dans les
Seconds A nalyt iques , et qui définissent ce qu'on pourrait appeler
l'idée aristotélicienne de la science, il en est une qui intéresse
particulièrement notre problème, parce qu'elle se trouvera diffi
cilement réalisée dans le cas de l 'être en tant qu'être : c'est
l 'exigence de stabilité ou encore de détermination. On sait que
Platon opposait déj à à l 'opinion changeante la science stable , et
Aristote reprend à son compte le rapprochement, déj à suggéré
par le Cratyle ( 1 ) , entre ÈmCJ't'�{J."'l et a-r�vocL, entre l'idée de
science et celle d 'arrêt ou de repos : « Selon nous, la raison
connaît et pense par repos et arrêt (2) . » Certes, pour Aristote
comme pour Platon, il s'agit d ' abord d 'opposer l 'assurance , la
certitude de l' homme compétent à l 'agitation - si naturelle,
remarque Aristote - de l'âme encore ignorante : « C'est par
l ' apaisement de l'âme après l 'agitation qui lui est naturelle qu'un
suj et est engendré prudent et connaissant (3). » Platon remar
quait déj à que le mouvement que nous croyons saisir dans les
choses n'est que la proj ection de notre propre vertige (4) . Mais
cette exigence, pas plus chez Aristote que chez Platon , ne reste
seulement psychologique : la constance du savant doit s' appuyer
sur la stabilité de l'obj et. Ainsi le Cralyle introduisait-il les I dées,
réalités subsistantes par delà les apparences mouvantes, comme
conditions de possibilité d 'une science stable (5). Chez Aristote,
l'exigence de stabilité est assurée, non plus par le recours à une
Idée transcendante , mais par la stabilisation dans l ' âme de ce
qu'il y avait d'universel dans l'expérience. La sensation nous met
en présence de « ce 1suj et-ci qui est maintenant et à tel endroit »
(-r68e -rL xoc( 7tOU xoct vuv) (6) et, de ce fait, dépend des conditions
changeantes de temps et de lieu . Mais, par rapport à la connais
sance de type scientifique, un tel obj et reste indéterminé, « indif
férencié » ( 7 ) , tant que ne s'est pas dégagé, stabilisé , l'universel qui
est en lui. La constitution du savoir scientifique est décrite par
Aristote comme la mise au repos dans l ' âme de tout ce qu'il y a
d 'universel dans ses expériences particulières : un peu comme,
n ' est générale que parce qu'elle est indistincte. Comme le note
fort bien Simplicius dans le commentaire de ce passage, il y a
deux sortes de connaissance « générale 11 : d ' abord , « une connais
sance globale, confuse , due à la simple attention donnée à la
chose, connaissance plus touffue que celle de la définition scien
tifique. Mais il y a une autre connaissance, resserrée, achevée,
unifiant toutes les parties. Cette dernière connaissance est
simple et appartient à l'ordre de la connaissance intuitive » ( 1 ) .
L'universel est donc au particulier ce que le clair est au
confus, ou le simple au complexe ou, pour reprendre les termes
qu'Aristote emprunte à Platon, ce que la lim ite (7tép<Xç) est à
l' illim ité ( &m:Lpov). Si donc la science est science de l'universel ,
c 'est avant tout, pour Aristote comme pour le Platon des derniers
dialogues, parce qu'il n'y a de connaissance stable que de ce qui
comporte une limite.
Qu'en est-il, dès lors, de la connaissance de l'être en tant
qu'être ? Si l'universel aristotélicien se dé finissait seulement par
son extension, l 'être en tant qu'être - cet être qui est << commun
à toutes choses » (2) - serait le terme le plus universel et la
science de l 'être en tant qu'être la plus parfaite de tou tes les
sciences.. Mais, comme nous venons de le voir, ce n ' est pas
l ' extension d 'un terme qui dé finit son universalité, e t le vocabu
laire aristotélicien distingue fort nettement le général, le commun
(xoLv6v) de l ' u niversel (xcx66>..o u) (3). Si, lorsque nous nou s
élevons de l 'individu à l'espèce et de l'espèce au genre , l'univer-
( 1 ) Aoyuewc; Kc:itl i<cvwc; : on sait que c'est en ces termes qu'Aristote disqua
lifie les spéculations trop générales des Platoniciens (Eth. Eud. , I, 8, 1 2 1 7 b 21 ) .
(2) Gen. el Corr. , 1 , 2, 3 1 6 a 6. Cr. De. Coelo, I I I , 7, �IJ6 a 6. C:es p a ssn gcs
visent la d i n l e c t i que • des Pl a toniciens.
•
( 1 ) Ibid.
(2) L'l5>..CJ> C Trlt7t()(L3EUµ�voc s'oppose à celui qui possède l'imœr�µ'I) Tou
lt'pciyµ°'To<; (Part. anim., l, 1, 639 a 3, 7).
(3) Ainsi la matière première est-ello inconnaissable selon Aristote puisque,
étant toutes choses en puissance, et n'étant par ailleurs que puissance, elle est
par elle-même indéterminée. Cf. Z, 10, 1 036 a 8 ; 15, 1 039 b 20 ss. ; Phys., 1 ,
7, 191 a 7- 1 4 ; I l l , 6, 207 a 25 ; Gen. et Corr., I l , 1 , 329 a 9 .
(4) ARISTOTE ne précise pas, d ans le texte d e s Réfut. soph ., dans lequel
CR ITIQ UE D ' UNE SCIEN CE UNI VERSELLE 213
de ces deux sens il faut entendre Je mot ètne:Lpov. Mais c'est touj ours dans l'un
de ces deux sens qu'il entend Je mot infin i lorsqu'il en fai t un usage polémique,
par exemple, à propos d'Anaxagore. Cf. pour le premier sens : Mét. , A, 3,
984 a 13 ; 7, 988 a 28 ; 1 , 6, 1 056 b 28 ; Gén . et Corr. I , 1 , 3 1 4 a 1 5 ; pour le
deuxième sens ; A, 8, 989 a 30- b 1 9 ; r, 4, 1 007 b 25 SS. ; A, 2, 1 069 b 1 9, 32 ;
6, 1071 b 28 ; 7, 1 072 a 18. La conséquence est d'ailleurs la même dans les deux
cas : une connaissance de l 'infini est impossible, dans le premier cas parce
qu'elle supposerait une sommation infinie en acte, dans le second parce qu'il
n'y a, à proprement parler, rien à connaitre.
( 1 ) Ph ilèbe, 16 e 1 7 a, tr. D 1 Ès .
-
(li A, 2, 982 a 8.
(2 Ibid.
( 3 A, 2, 982 a 2 1 a1.
(4 Cf. plus haut, p. 60 es.
(5) Cf. le paHeg e d 'A LBXA.NDRI! C i t é plu• h a u t , p . 113, n . &.
UNE SCIENCE DES PRINCIPES 215
( 1 ) A, 9, 992 b 22.
(2) cr. les passages oil le dialecticien est présenté par Platon comme
auvoit-r1x6t; (Rép. V I I , 537 c) et où la dialectique est dite porter sur toutes choses
(par exemple, Eulhydème, 29 1 b-c). Sur ces textes platoniciens et leur rapport
avec la dialectique aristotélicienne, voir le chapitre suivant : • Dialectique
et ontolocrie •·
(3) A, 9, 992 b 26.
21 6 L A SCIENCE « RECHERCHÉE n
ou même au plus haut des degrés (&v Èma't'�!L'YJ Èxe(v'Y) e('Y) xott
µéiÀÀov xott µocÀLO''t'ot) (2) . » Le ton solennel qu'adopte Aristote
pour parler de cette science su prême que serait la science des
principes de toutes choses a induit en erreur bien des commen
tateurs : à les en croire, l'auteur de la Métaphysique ne peut avoir
voulu dire qu'une science dont il parle avec tant de respect et
qui ressemble si fort à la science des premiers principes, telle que
lui-même voudra la constituer par ailleurs, est inaccessible ou
tout simplement impossible ! « L'interpréta tion restrictive de ce
passage, dit tout net M . Tricot, est inacceptable (3). » Elle est
pourtant la seule qui s'accorde avec le contexte, où nous voyons
q u 'une démonstra tion des principes propres de chaque science
est déclarée impossible parce qu 'une telle démonstratio n relève-
( l ) li y a ici une brachylogie : il faut entendre que les principes d'où seraient
déduits les principes de chaque chose ne pourraient être que les principes de
toutes choses ou, mieux, que, si les principes de chaque chose relevaient tous
d'une seule et même science, cette science ne pourrait être que la science de
tou tes choses.
(2) Anal. post. , I , 9, 76 a 1 6. On remarquera, dans ce passage, le glissement
du futur à l'optatif.
(3) Anal. posl. , trad. J. TRICOT, p . 52, n. 4 . Cette interprétation a été sou te
nue par PAcrns, 111 Aristolelis Organum commenlarium, p. 297, et semble admise
p ar le P . LE B LOND dans son commentaire du De Parti bus animalium, I,
i n 639 a 3 : • Si Aristote envisage quelquefois l'hypothèse d'une science qui serait
universelle (cf. Seconds Anal. , I , 9, 76 a 16 . . . ), il semble bien que c'est pour rejeter
celte supposition » (p. 128 ) . - Mais la plupart des commentateurs ont donné
de ce texte une interprétation que l'on pourrait dire • optimiste • ; le commen
taire de Trendclenburg en donne assez naïvement la raison : • Il y aura donc des
principes différents pour les dilTé.r entes sciences. Mais, finalement, d'où ces
principes sont-ils reçus comme vrais et certains par chaque science en parti
culier ? Si eux-mêmes demeuraient inconnus, c'est le fondement de Ioules les
sciences qui s'en trouverai/ ébranlé. C'est po1ir. 1uoi il doit y avoir une science
à qui il appartienne de connaîlre les principes » (Elementa logices arisloteleae,
p. 1 60). Trendelenburg a bien vu l'enj eu du problème : il y va du fondement
même des sciences particulières ; mais il ne met pas un seul instant en doute
qu'Aristote considère comme possible une science de ce fondement, alors que
toute l'argumentation d 'Aristote dans ce passage tend précisément à montrer
l'impossibilité d'une. telle science. L'exemple est significatif de ce qu'on pourrait
appeler l'interprétation systématisante, qui nie les contradictions ou même
seulement les difficultés. La difficulté vient ici de ce qu'Aristote présente la
science du fondement comme à la fois nécessaire et impossible, alors que le
commentateur, prenant ses désirs pour des réalités, considère le besoin d'une telle
science pour une raison suffisante de son existence. On ne s'étonnera pas ensuite
des difficultés rencontrées par les exégètes pour concilier cette interprétation
avec le contexte. Ainsi M. TRICOT écrit : • La pensée d'Aristote paraît être que,
dans le domaine qu'il envisage, il n'y a pas de science dominante • (lac. cil. C'est
nous qui soulignons) , ce qui n'est pas loin d'être une tautologie. En réalité, le
propre d 'une science dominante - et la source de son impossibilité - serai t
qu'elle aurait à dominer plusieurs • domaines •.
UNE SCIENCE DES PRINCIPES 219
de chaque chose à la totalité nous échappe. Il faudrait ajouter, il est vrai, que
chez Pascal le tragique est réfléchi et, par là, dépassé dans une certaine mesure ;
chez Aristote, il est rencontré sur le mode de l'échec : ce qui est expérience chez
Aristote deviendrn argument chez Pascal.
220 LA SCIENCE « RECHERCH ÉE »
141
( 1 ) Voir ci-dessus p. 2 1 8, n. 3.
(2) r, 1, 1 003 a 23.
(3) A, 2, 982 a 7.
r, 3, 1 005 a 27.
5 Cf. B, 3, 998 b 21 ; I, 2, 1 053 b 20 ; K, 2, 1060 b 6, etc.
6 I', l, 1 003 Q 21 SS. Cf. plus haut, p. 35.
(7 r, 3, 1 005 a 2 1 - 1 005 b 1 .
LA SCI ENCE D F, l, ' � TRE EN TA N T Q U' � T T Œ 22 1
( I l r, 3, 1005 b 1 5 .
( 2 ) A, 2, 982 b 8 ; cf. A, 1 , 981 b 28.
(3) Cf. r, 3, 1 005 b 10 : • Celui qui connait les êtres en tant qu'êtres doi t être
capable d'établir les principes les plus certains de toutes choses ; or celui-là,
c'est le philosophe. •
( 4 ) II n'est qu' une conception de la science universelle qu'Aristote ait défi
nitivement rejetée : celle qui lui donnerait pour obj et soit un infini en acte,
soit un infini d'indétermination, conception qu'il attribue aux Présocratiques
(cf. plus haut, p. 2 1 2- 1 3).
(5) c Etre dans l'aporie, c'est, pour la pensée, se trouver dans un état sem
blable à celui d'un homme enchainé : pas plus que lui, elle ne peut aller de
l'avant (B, 1 1 995 a 3 1 ) Au sens étymologique, l'aporie est l'absence de
• .
passage (7t6poc;1 .
(G) B, 1 , 995 a 28. Cf. Etlz . Nic., V I I , 4, 1 1 4 6 b 7 : • La solution de l'aporie
est cl<\couverte » ('H M crtc; T'ijt; &.7top!oi:c; e:!lpi:cr!c; �CJTtv) .
222 LA SCIENCE « RECllERCllÉE »
*
* *
( l ) B, l, 995 a 34.
(2) Cf. plus haut p. 124-34 et plus loin le chapitre « Dialectique et ont.ologie. •
( 3 ) /:l., 28, 1 024 a 29 SS.
SCIENCE ET GENRE 223
(ncxpà: q>umv) que le cheval engendre le mulet (Z, 8, 1 033 b 32) . l i importe peu
que la biologie moderne appelle espèce le sujet d'une loi biologique qu'Aristote
attribue au genre.
(4) ô.. , 28 1 024 b I O.
(5) Oôx lx.e:L 68à v & ! c; é!ÀÀ7JÀcx (Mét., I, 4, 1 055 a 6 ) .
( 6 ) On voit par l à qu'il y a entre le genre et l'espèce une différence qui
n'est pas seulement de degré, mais de nature. La notion d'e:! 8oc; (dont. on
remarquera qu'elle signi fie aussi bien la forme ou l ' idée que l 'espèce) est d'ori
gine socratique : elle signifie ce qui est commun à une multiplicité de choses
portant le même nom. Le yévoç ( dont Aristote met en relief la signification
originellement biologique) s'apparente à la tpuati;; hippocratique, qui, à la
différence de l'e:!8ot;, est une réalité sans rapport avec le discours, p uisqu'elle
représente ce qui est commun aux espèces hétéronymes. Sur celte mterpréta
tion de la tp ua tt; hippocratique et sur la dualilé \ déjà visible chez Platon)
entre le point de vue de l 'e;!8oç et celui de la cp uatt;, voir P . K u c H ARS1u,
224 LA SC IENCE « REC HERCHÉE »
Les chemins du savoir dans les derniers dialogues de Plalo11, Paris, 1 949 (et déj à
Forme et nature ou les deux chemins du savoir d'après les dialogues de Platon,
Revue de Philos., 1 937, p . 4 1 5-99) . Cette même dualité d'inspiration, qu'on a
notée déj à à propos d'un autre problème (cf. p. 180, n. 2), est cependant sur
montée chez Aristote pa1· sa théorie d'un rapport hiérarchique entre l'espèce
et le genre.
( l ) De tout genre il y a une science, science unique d'un genre unique •
( &mxv-rot; 8i: y�vout; . . . µ tœ i:vàt; . . . �mcrr·Ji µ1J ) �r, 2, 1 003 b 1 9 ) .
•
( 2 ) cr. Mél., B, 2, 997 a 8 : &vayx1) yœp lx TLVùlV e:lvœL xœl 7tEp t 't'L )((lL
T LV WV 't'Î)V &.7t68EL�LV. cr. aussi plus haut, p. 2 1 6.
(3) Cette précision est nécessaire, car la formule précédente ne peut signi fier
que le genre soit le sujet de la démonstration (ou plutôt de la conclusion, c'cst
à-dire le mineur). En effet, l'attribut étant plus universel que le suj et., on ne
pourrait rien dire du genre sans sortir du genre : le sujet de la démonstration
n'est donc pas le genre, mais le genre spécifié (ainsi le suj et des propositions
géométriques n'est pas la figure en général , mais par exemple le polygone ou le
r
triangle). Si le genre est dit arfois sujet (1'.moxdµEvov) (!1, 28, 1 024 b 2) ou
matière (�>.1) ) ( i bid. , b 9- 10), i faut entendre qu'il est suj et réel des difTérences
dans la définition, et non sujet logique des attributs dans la démonstra tion.
(4) Tel est le sens de la critique qu'Aristote adresse à Bryson. Voir ci-dessus
p. 2 1 6 , n. 4.
(5) Sur les catégories comme genres, cf. !1, 6, 1016 b 33 ; 1 , 3, 1 054 b 35 ;
8, 1 058 a 1 3. Sur les catégories comme sign ifications, c r . !1, 7, 1 0 1 7 a 23 ; E, 2,
1 026 b I , et les nombreux passages où l'énumération des catégories fait suite à
l a déclaration l imin a ire -rà av >.éyHŒL 7tOÀÀŒ)(.Wt; ; cf. Z, 1 , 1 028 a 10.
SCIENCE E T GENRE 22f>
( 1 ) Top. , IV, 1 , 1 2 1 a 1 1 .
(2) Ibid. , 1 2 1 a 1 2.
(3) Mét., 1 , 2, 1 053 b 17.
(4) Cet argument n'est pas, en réalité, propre au cas de l'être (et de l'un) ;
il ne rait que pousser à la limite la critique de la confusion platonicienne entre
l'universel et l'essence. Ce n'est pas seulement à l 'être et à l'un, mais aux genres
considérés comme universels, qu'est dénié le statut d'essences subsistant par
soi ou « séparées » (Mét., 1, 2, 1 053 b 21 ). Cr. L. R O B I N , La llléorie f lalon icienne
des Idées el des nom bres . . . , p. 1 35, qui résume ainsi l'argument : « S il est impos
sible qu'un Universel quelconque puisse exister, en dehors des individ us concrets
comme une réalit6 et autrement que comme un attribut, à plus (orle raison cela
est-il vrai de l'Un et de !'Etre qui sont . . . les attributs les plus universels que
puisse recevoir toute réalité individuelle • (c'est nous qui soulignons) . I nverse
ment, l'être et l'un étant les universels par exeellencc, ce qui vaut pour eux
rejaillira sur l'universel en général, c'est-à-dire - selon l'interprétation aristot6-
liciennne - sur l' idée : « La condamnation du platonisme en ce qui concerne
la doctrine de !'Etre et de !'Un atteint donc le système tout entier • (op. cil.,
p. 1 4 1 -42).
L'lîTRE N ' EST P.·1S UN GENRE 229
li� B , 3, 998 b 2 1 .
2 Ibid. , 998 b 22.
3 Le genre est la matière des différences (d, 28, 1 024 b 8). Cf. Phys., l i,
9, 20 b 7 ; Mét., H, 6, 1 045 a 34 ; 1, 8, 1 058 a 23. Or la matière est à la forme
ce que la femelle est au mâle dans la génfralion : cf. Ge11 . anim . , 1, 22, 730 b 8-
32 ; 2 1 , 730 a 27, etc.
230 LA SCIENCE « RECIJERCIJ ÉE »
< < on n ' exprime pas quelque chose de différent à raison du redou
( 1 ) • Enti non p otest addi aliquid quasi extranea nature , per modum quo
dilTerentia additur generi, vel accidens subjecto, quia quaelibet natura essentia
liter est ens, ut etiam probat Philosophus in I I I Metaph., quod ens non potest
esse genus • (De Verilate, I , 1 c). On pourrait noter le même renversement
de sens à propos du terme infini, qui finira par désigner chez les modernes ce
à quoi on ne peut rien aj outer, alors que c'est là, au contraire, pour Aristote,
la définition même du fini (-réÀELov) (Eth. Nic., I, 5, 1 097 b 1 8-21 ) .
( 2 ) I', 4, 1 006 b 1 4 - 1 8 ; Z, 1 2, 1 037 b 13-2 1 . C f . ci-dessus p . 1 35.
( 3 ) To 8' EÎV<XL oôx oôaC<X oôaev(· o ô yŒp yévoi; -r o ll v (Anal. post. , I I , 7 ,
92 b 1 3).
INTERPRÉTA TIONS 233
*
* *
( 1 ) De A n ima, J I , 3, 4 1 4 b 1 9 ss.
(2) B, 3 , 999 a 6.
(3) I bid. , 999 a 1 0 .
( 4 ) I b i d . , 999 a 1 3 .
( 5 ) ALEXAND R B, 2 1 0, 6-9 S Y R I A N U S . 34, 33-35 .
238 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
l
( I ALEXAND RE, De A11 ima, 1 6 18 SS. ; cf. 28, 1 5-20.
,
que l'être n'est pas un genre, qui a été suffisamment établie par
la première série d 'arguments, et constatons qu'une fois admis
cet autre principe que toute science porte sur un genre, la seule
conclusion que l'on puisse tirer de ces deux prémisses est qu' i l
n'y a pas de science de l'être.
*
* *
( 1 ) I', 2, 1 003 b 1 9 SS .
(2) Ibid. , 1 003 b 35.
(3) Cf. ALEXAN DRE, 24 (1, 2.8.
(4) r, 2, 1 004 a 4.
240 LA SCIENCE cc RECHERCHÉE >>
( 1 ) 1 005 a 1 2.
(2) E, 1 , 1 026 a 30 (><«66Àou llTL 7tp©T1J ) . On s'étonnera ici de l'interprétation
de Robin, qui, faisant allusion à ce passage, assure que, selon Aristote, la phi·
losophic première ou théologie est • première en tant qu'wziverselle • (Méta. ,
E, 1 , fin) • (Aristote, p . 92. Souligné p a r l'auteur).
(3) Pnr exemple HAMELIN, Système d'Aristote, p . 397 ss.
(4) Cette distinction, il est vrai, est elle-même tardive. Elle ne se trouve
pas chez saint Thomas. L'analogie reste chez lui liée à la notion de proporlio,
mais il appelle proporlio le simple rapport et, en particulier, le fait qu'un nom
s'attribue en des sens multiples par référence à un terme unique, ce qu'Aristote
appelle 7tpoç �v Àey6µevov. Cf. In Metaph . IV (I'), n• 535, Cathala : Intermédiaire
entre le terme univoque et le terme équivoque, le terme analogique est celui
L IMI TES DE LA SOL UT ION 243
qui est attribué • secundum rationes quae partim sunt diversae et partim non
diversae : diversae quidem secundum quod diversas habitudines important, unae
autem secundum quod ad unum aliquid et idem istae diversae habitudines
referuntur ; et illud dicitur • analogice praedicari •, idesl proporlio1111aliler, prout
unumquodque secundum suam habit.udinem ad illud unum refertur • . II est
vrai qu'ailleurs ( Ill Me/aph. , X I ( K), n° 2197) il précise que, dans le cas de l'ana
logie, la • raison • de l'attribution est diverse • quantum ad diversos modos rela
tionis •, mais est la même • quantum ad id quod fit relatio •. Or il suffi t que los
rapports soient • divers •, même si le terme de référence est le même, pour qu'on
ne puisse pas parler d'analogie au sens mathématique (et aristotélicien) du
terme. - Ce derniei• texte, qui contient une interprétation correcte du 7tp/ic;; t\v
Àey6µevov, montre que saint Thomas ne confondait pas le 7tpoc;; é!v avec la
proporlion au sens mathématique du terme (qu'il appelait proporlio11alilas,
i. e. simililudo duarwn proporlio1111m, De Ver. q. 2, a. 1 1 ) . Mais alors pourquoi
employer dans ce cas les termes d'a11alogia et de proporlio, qui évoquent, quoi
qu'on veuille, ! 'idée d'une harmonie de type mathématique? On comprend que le
commentarisme médiéval ait voulu donner un nom à ce qui restait innommé -
et pour cause - chez Aristote ; en empruntant ce nom au vocabulaire mathéma
tique, même si ce n'était plus en son sens technique, on suggérait l ' idée (erronée,
en ce qui concerne Aristote) que la multiplicité des sens de l'être pouvait se
laisser ramener à la clarté d'un rapport rationnel.
( 1 ) N, 3, 1 090 b 1 9 . Cf. A, I O, 1 076 a 1 .
( 2) Cf. W . JAEGER, Arisloleles . . . , p . 227. L a deuxième rédaction de I', 1 et 2,
utiliserait selon A. Mansion la solution déjà élaborée en E, 1 (la philosophie
universelle parce que première).
244 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
l 'antérieur est contenu en puissance dans ce qui lui est consécutif • (par exemple,
le triangle dans le quadrilatère ou l'âme nutritive dans l'âme sensi tive) ( I I , 3,
414 b 29 ss. ), ce qui veut dire que chaque terme de la série suppose le précédent
( ainsi • sans l 'âme nutritive il n'y a pas d'âme sensitive ., 4 1 5 a 1 ) . l\Iais l'inverse
n'est pas vrai : connaissant un terme de la série, nous ne savons pas par la seule
considération de ce terme s'il a ou non une suite : tout terme est imprévisi ble par
rapport au précédent. Ainsi, • chez les plantes, l'âme nutritive existe sans l'âme
sensi tive ; de même encore, sans le toucher aucun autre sens n'existe, tandis
que le toucher existe sans les autres sens • ( 4 1 5 a 2 ss). - Mutatis mutandis,
on peut dire à p ropos de la • série • des catégories : les ca tégories secondes ne
p euvent exister sans l'essence, mais l'essence peut exister sans elles. Ou encore :
la science des catégories secondes présuppose la science de l'essence, mais de
la considération de l'essence on ne tirera jamais les autres catégories.
(4) De fait, une interprétation qui attend d'Aristote qu'il mette en pratique
ses déclarations sur le caractère fondateur de l'essence est obligée de recon
naitre que ce fondement n'est j amais concrètement établi : ainsi y a-t-il bien
chez Aristote une science de l'essence, c'est-à-dire une science prem ière, mais,
en dépit des déclarations programmatiques de E, 1, on ne voit nulle part com
ment cette science est en même temps universelle, c'est-à-dire comment l'univer
salité de ce qui est se déduit de la considération de l'essence. C'est ce que cons
tate J . Owens, qui attribue cette absence à l'inachèvement de la Métaphysique
ou du moins à la pert.e de sa partie « positive • : • Le développement projeté . . . ,
dans lequel on aurait pu atteindre l'achèvement de la doctrine, n'est pas
parvenu à la postérité • ( 1'he Doctrine of Being . . . , p. 298) ; il faudrait donc le
« reconstruire • ( i bid. , p. 289) . Il nous a paru d'une meilleure méthode de
rechercher les raisons philosophiques de cette absence.
IDÉAL ET RECHERCHE 249
DIALECTIQUE ET ONTOLOGIE
OU LE BESOIN DE L'ONTOLOGIE
eux aussi à une chasse, car on ne produit point les figures dans
chacun de ces métiers : on se borne à découvrir celles qui existent,
et, comme ils ne savent pas les utiliser, mais seulement leur donner
la chasse, ils les remettent, n 'est-il pas vrai ? aux dialecticiens,
pour qu 'ils tirent parti de leurs trouvailles » ( 1 ) .
Ainsi la dialectique est-elle présentée - non d 'ailleurs par
Socrate, mais par Clinias - comme l ' art capable d'utiliser le
produit de tous les au tres arts, donc comme un art qui, sans pro
duire rien par lui-même, ou peut-être parce qu'il ne produit rien
par lui-même, a un domaine et une portée universels. Art suprême,
art recteur ou, comme le dira plus loin Socrate, « art royal » (2) :
telle apparaît d ' ab ord la dialectique. Sur cette fonction architec
tonique et synoptique de la dialectique, Platon reviendra souvent
plus tard (3) e t l'on a rarement mis en doute que cette conception
de la dialectique ne fût proprement platonicienne. M ais il est
étrange de la voir déj à énoncée - et, qui plus est, comme allant
de soi - dans un dialogue qui reste, par bien des côtés, socra
tique, par un personnage qui n'est pas Socrate, mais son interlo
cuteur, et sans aucune explication sur les rapports de cette
fonction insolite de la dialectique avec la signification obvie du
mot. Car, enfin, pourquoi l'art du dialogue aurait-il ce privilège,
que Socrate vient de refuser à celui du faiseur de discours, de
régir le produit des autres arts et d ' ê tre par-là dominant ? Cir
constance plus é trange encore : Socrate rapporte ces déclarations
du j eune Clinias avec une certaine ironie, un peu comme s'il
s 'était agi là d 'une leçon apprise qui viendrait d ' un mattre
inconnu , « être supérieur, très supérieur même » (4). Enfin,
( 1 ) Réful. sopli., 3 4 , 1 84 a 1 , 1 84 b 1 .
(2 ) J bid., 1 84 a 2 : O Ù yà:p T&;(VîJV, &.}.Àà: T à: &.7t0 T7jt; T&;(Vîjt;.
( 3 ) Les autres textes d'Aristote sur les origines de la dialectique paraissent
au premier abord contradictoires. Tantô t il semble faire gloire à Platon d'avoir
DIA LECTIQ UE ET D IALO G UE 255
soi t enfin des plus notables et des plus reconnus ("C'oî:c; µaÀtcnoc
yvwp(µotc; xoct èv86�otc;) ( 1 ) . » Cette définition du « probable »
confirme d 'un trait nouveau l'universalité de la thèse dialectique :
universelle, elle l 'est doublement, dans sa matière d 'abord , dans
s on m ode d 'établissement ensuite. La thèse dialectique est celle
qui est reconnue par tous, et les restrictions qu'Aristote semble
a ppo rter ensuite à cette première affirmation ne font que con fir
mer indirectement le caractère universel du « consentement »
dialectique : car les « sages » ne sont, ici, invoqués que comme
ceux devant l'autorité de qui les hommes, d 'un commun accord ,
s'inclinent ; et parmi les sages, on privilégiera non ceux qui
connaissent le plus de choses, mais ceux qui sont le plus connus
(yvc.>p(µotc;) ; finalement, j ouant sur le double sens du mot
�v8o�oc;, Aristote dé finit la thèse probable comme celle qui est
app rouvée par ceux des sages qui sont le plus appl'o u vés ( µaÀtO'"C'ot
èv86�otc;) . Quand donc Aristote invoque l'autorité des sages
pour dé finir la probabilité de la thèse dialectique, il ne songe pas
à un caractère intrinsèque de la sagesse, qui serait en quelque
sorte index sui : la sagesse ici invoquée (et ceci suffirait à la
distinguer de la science) se recommande moins par elle-même,
par sa pénétration ou son pouvoir de connaître , que par sa noto
riété. Le sage, c 'est celui que nous reconnaissons tous pour tel : il
est ici invoqué moins pour ce qu'il est que pour ce qu'il représente ;
sa sagesse est moins la sienne propre que celle des nations. Au
moment même où Aristote semble authenti fier le consentement
universel par l'autorité du sage, il dé finit l'autorité du sage par
le consentement universel, substituant ainsi à l'autorité de la
sagesse la sagesse de l 'autorité . On aperçoit par là la valeur
comme les limites de la probabilité dialectique : corrélat des
discours universels au double sens de discours sur la totalité et
de discours admis par l 'universalité des hommes, elle est certes
inférieure à la démonstration ; mais elle intervient chaque fois
que la démonstration est impossible, c 'est-à-dire chaque fois
que le discours s'universalise au point de perdre tout point
d 'appui réel : elle corrige alors l 'éloignement où nous sommes
des choses par le recours au consentement et à l'autorité des
hommes.
Ces traits , sur lesquels nous aurons à revenir lorsqu'il s'agira
d ' étudier le jugement qu'Aristote porte sur la dialectique et
sur ses rapports avec la philosophie, suffisent d 'ores et déj à à
( 1 ) Top., 1, 1 , 1 00 b t l .
260 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
enco re, A ristote sera plus proche des rhéteurs et des sophistes que
de P lato n : il ne reprendra pas à son compte l 'opposition déve
lo ppé e dans le Phédre entre une rhétorique philosophique fondée
sur un savoir que Platon appellera étrangement dialectique et
une routine empirique, fondée sur l 'opinion. Ou plutôt Aristote,
rej etant délibérément l'idée d 'une rhétorique scientifique, ne
connaîtra d 'autre rhétorique que celle des rhéteurs : un art qui ne
peut pas être autre chose qu'empirique , parce que c'est l'empiricité
même de la relation d ' homme à homme et elle seule qui, là où n'est
pas donnée ou simplement reconnue la transparence d'un savoir,
rend nécessaire la médiation rhétorique. Une rhétorique scienti
fique serait une contradiction dans les termes ( 1 ) . Le rhéteur ne
peut pas être un homme de science , pour cette double raison que
la science spécialise et isole : elle sépare l ' homme de lui-même, le
cloisonne, le morcelle, l 'empêche dès lors de retrouver en soi-même
cette humanité totale qui lui permettrait de communiquer avec cet
homme total , capable de délibéra tion et d'action, de j ugemen t et
de passion, qu 'est l'auditeur du discours rhétorique (2) . Séparant
l' homme de lui-même, la science sépare aussi l'homme de l'autre
homme : elle substitue la transcendance de « ceux qui savent » (3)
à la fraternité tâtonnante de ceux qui vivent dans « l'opinion »,
( 1 ) • I l faut, dit ARISTOTE, parler de chaque suj et avec la précision qu'il
comporte • ; or il est des matières qui, étant elles-mêmes imprécises, ne permet
tent pas qu'on cm parle avec précision : ainsi en est-il de l'éthique ; l'erreur •
plus important d'avoir des opinions convenables sur les choses utiles qu'une
science exacte des !nul.iles » (à rapprocher de De part. animal., I, 5, 645 a 1 ss. ,
où Aristote m e t en parallèle l'excellence un p e u lointaine de la connaissance d u
Ciel avec la proximité et la familiarité de la connaissance biologique). Etant
donné l'antipathie bien connue d'Aristote p our Isocrate, cette convergence ne
peut s'expliquer par un emprunt direct, mais par l'adhésion commune - assor
tie, il est vrai, de réserves chez Aristote - à un thème qui devait être tradition
nel chez les rhéteurs. Cf. aussi GORGIAS, I-léMne, 1 1 ; l soCRATE, Ad Nic., 41 ;
Anlidosis, 27 1 . Sur ces thèmes chez Isocrate, cf. E. l\h KI<OLA, Jsokrates, Hel
sinki, 1 954, p. 1 96-200 ; sur les rapports d' Isocrate et d'Aristote, bonne mise
au point dans L . TORRACA, Il /i bro J del De parti bus an imalium di Aristotele,
Naples, 1 958, p. 8- 1 3 ( à propos de De part. an imal., 1, 1 , 639 a 1 ss. , que nous
commenterons plus lom) et notre c. r. de cet article dans R.E. G . , 1 960. Sur
l'influence de certains thèmes rhétoriques sur Aristote, cf. aussi notre communi
cation Science, culture el dialectique chez Ar. , Acles du Congres G. Budé,
Lyon, 1 958, p. 1 44- 1 49 ( oit nous avons eu le tort de ne pas mentionner Isocrate) .
(2) Cf. notre article Sur la définition aristotélicienne de la cotere, p. 304-305.
(3) Cf. P LATO N, Politique, 292 c ; ThééMte, 1 70 a.
264 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
§ 2. L'universel et le premier
( l ) Nous devons cependant reconnaitre ici une fois pour toutes notre dette
envers l'ouvrage de M. DuPRÉEL, Les sophistes, dont les rapprochements sont
touj ours très suggestifs, même si les conclusions qu'il en tire sont assez souvent
aventureuses. Nous ne pouvons le suivre, en particulier, lors � u'il se croit en
mesure de mettre tel nom derrière tel ou tel interlocuteur d un débat dont
l'histoire ne nous transmet qu'un écho indistinct et, en tout cas, anonyme.
On ne saurait, par exemple, attribuer à Hippias l'importance que lui assigne
M. Dupréel d'après des indices dont Dn�s a dénoncé depuis longtemps la
fragilité (Aulour de Plalon, I , p. 187 ss., à propos de l'ouvrage de E. D u r R É E L , La
légende socratique el les sources de Platon),
RECHERCHE D ' UN E SCIENCE PREM I ÈRE 265
admis les philosophes anciens (3) une unité des fins humaines,
-
( 1 ) A, 2, 982 b 4-5.
(2) Cf. Charmide, 1 75 b :• Celle science que je cherche, qui conlribue le plus
au bonheur, quelle esl-elle ? • ; Epinomis, 976 cd : • I l faut que nous découvrions
une science qui soit cause de l' homme réellement sage . . . C'est une recherche très
di fficile que celle que nous entreprenons en cherchant . . . une science qui mérite
actuellement el à j uste titre d'être nommée sagesse. •
(3) On remarquera que le sous-titre des Rivaux est le titre même d'un ouvrage
de jeunesse d'ARISTOTF.1 Tt"e:pl cptÀoaccplixç. Il s'agit évidemment d'une coîn
cidence ( puisque les sous-titres des dialogues platoniciens datent de leur clas
sement en tétralogies), mais qui souligne au moins une parenté de contenu et la
permanence d'un genre.
268 LA SCIENCE « RECHERC H ÉE »
( 1 ) 1 33 c.
(2) 1 35 a.
(3) 1 37 c.
(4) 1 37 de.
(5) 1 35 d.
(6) Fr. 1 65 Diels (cf. D10G. LAËRcE, IX, 37).
( 7 ) Hipp. mineur, 368 be. Sur la polymathle d' Hipplas, voir aussi Hlpp.
majeur, 285 b, 288 ab. Platon omploio aussi, pour désigner les anciens sophlstea
(par opposition à ceux qui se • spécialiseront • dans ! 'éristique), l'expression
xciaaocpo1 ( Eulhyd�me, 271 c).
L E PROBL ÈME DES « RI VA UX » 269
(1) Rivaux, 1 38 b.
(2) 1 38 c.
(3) 1 35 c.
( 4) Comme les autres dialogues apocryphes, les R ivaux ne p euvent guère
avoir été écrits avant l'époque d'Aristote : 1 1 1 • siècle selon S OU I L H É (Notice,
p. 1 1 0- 1 2), d euxième moitié du 1v• siècle selon CuAMBRY (Notice, p. 67). Mais,
comme l'a bien montré M. Duprôel, le caractère relativement tardif de ces
dialogues n'implique pas q u'ils soient un simple démarquage de textes plato
niciens ou même aristotéliciens (en ce dernier sens, BRU N N EC K E : De Alci biade Il
qui fertur Platonis, Go ttingen, 1 9 1 2, ci té par Sou I LH É , p . 1 1 1 ), et qu'ils ne puis
sent dès lors être utilisés comme source autonome. Rien n'empêche, en efTet, que
l'une des sources de ces dialogues soi t les écrits, aujourd'hui perdus, des autres
socratiques, comme Antisthène ou Eschine, et que leurs auteurs aient même
• connu, précise M. Dupréel , tout ou partie des écrits originaux des sophistes
eux-mêmes • (op. cil., p. 1 1 4, n. 1 ) . C'est ce que reconnait du reste J. S o u I L H É :
• Ces œuvres font revivre en partie sous nos yeux l'activité intellectuelle de
l'Académie et des milieux plus ou moins apparentés à l'école platonicienne . Les . .
soulignons) . C'est à ce titre que nous utilisons ici les Rivaux comme témoin de
l'atmosphère de pensée dans laquelle ou par rapp or t à laquelle s'est constituée
la problématique aristotélicienne .
270 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
( 1 ) R ivaua:, 1 35 e.
('2) 136 cd.
(3) 136 ab.
(4) BRUNNBCKB, op. cil.
L E PR OBLÈME DES « R I VA UX » 271
mauté •, dans le PhiMbe et les Rivaux et, quoique sous une forme plus abstraite,
dans la distinction aristotélicienne d'une philosophie première et d'une philo
sophie seconde.
(2) Il serait intéressant de reconstituer ces questions disputées, ces thèmes
classiques de débat, dont la connaissance permettrai t peut-être de découvrir des
fils directeurs ou des lignes de forces insoupçonnés dans ! 'activité philosophiquo,
apparemment si riche et désordonnée, de !'Athènes du v • siècle et du début
du r v •, ensemble foisonnant dans lequel seule une illusion rétrospective permet
d'isoler des individualités comme Platon ou Aristote, dont la primauté ne dut
pas être immédiatement reconnue par les contemporains. - Nous avons vu
plus haut un autre exemple de ces questions disputées : cpucm TOc bv6µcxTcx 9)
6foe:L ( chap. I I , § 1 , p . 104). Ces q uestions se distinguent de celles qui, au siècle
suivant, seront débattues au sem de l'école platonicienne (par exemple, le
nombre mathématique se confond-il ou non avec le Nombre idéal ? la prudence
est elle une science ou une vertu ?, etc.) par leur caractère plus général et moins
-
1l
( 1 ) Fr. 1 65 Diels, cité par SEXT. EMPIR . 1 Adu. Math . , V I I , 265. Cf. CrcÉRON,
Acad. Pr. , XXI I I .
2 DIOG. LAERCE1 I X , 37.
3 Fr. 40 Diels.
4 Démocrite lui-même se moquera de gens farcis de connaissance • et
•
( l l r , 2, 1004 b 25.
(2 ! La dialectique n'est pas tant, en effet, l'art d'interroger et de répondre,
que 1 art d'interroger (cf. lléful. soph. , I l , 172 a 18). Car, pour
répondre, Il
faut savoir et la dialectique ne prétend nous fournir aucun savoir. XÉNOPHON
note que Socrate questionne touj ours et. répond jamais (Mémora bles, IV, 4,
rie
34, 1 83 b 7.
10).
!3)4) Théélèle,soph.,
Cf. Réful.
cr. ci-dessus p . 252, Il . 2.
170 a ; Politique, 292 c.
278 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
*
* *
Bien que le mot n'y soit pas prononcé, ce sont les premières
lignes du De Partibus animalium qui nous éclairent le mieux
sur la fonction et les limites de la dialectique selon Aristote.
« En tout genre de spéculation et de recherche , la plus b anale
comme la plus relevée , il semble qu'il y ait deux sortes d ' atti
tude ; on nommerait bien la première science de la chose ( Èmcr-r� µ"l)v
-roü 7tp&yµoc-roç) et l 'autre une sorte de culture (7tocL8E l ocv -rwiX) .
Car c'est bien le fait d'un homme cultivé que d 'être apte à porter
un jugement (xp'LvocL} pertinent sur la manière, correcte ou non,
suivant laquelle s'exprime celui qui parle. Car c'est cette qua
lité que nous pensons appartenir à l'homme doué de culture
générale (-rov oÀwç 7te:7tocL8e:uµévov) et le résultat de la culture
(-ro 7te:7tocL8e:ücr6ocL} est précisément cette aptitude. Aj outons, il
est vrai , que celui-ci est, pensons-nous, capable de j uger
(xpmx6v}, lui tout seul, pour ainsi dire , de toutes choses,
tandis que l'autre n'est compétent que sur une nature déter
minée ( 7te:p( 't'LVOÇ cpucre:WÇ occpwpLcrµév'Y)Ç) ( 1 ) . »
Ce texte résume fort bien le débat que nous avons évoqué
entre la compé tence et l'universalité. M ais l'originalité d 'Aristote
est de ne point prendre parti entre ces deux exigences. L 'une
et l ' autre sont également légitimes : on ne pouvait attendre
qu'Aristote dévalorisât l 'exigence scienti fique dans un texte
qui est le prologue de toute son œuvre biologique ; il est plus
étrange de le voir, en ce lieu, faire l 'éloge de la culture générale,
surtout si l'on songe que les contemporains ne pouvaient pas
ne pas voir dans cet éloge une réhabilitation des sophistes et
des rhéteurs (2) . A vrai dire, on a ici l'impression que la culture
générale a moins une valeur par elle-même qu'elle ne se nourrit
des insuffisances de la science de la chose. La science est « exacte » ,
comme l e dira ailleurs Aristote ( 3) , mais elle a l'inconvénient
de ne porter que sur « une nature déterminée », d 'ignorer par
conséquent le rapport de cette nature aux autres natures et fina
lement à la totalité. La culture a , elle, l'avantage d 'être géné
rale , mais elle a l'inconvénient de n'être pas un savoir ; dans
( 1 ) Pol., I I I , 1 1 , 1 28? 11 6.
(2) Cf. Eth . Eud . , l , 8 , 1 2 1 7 b 21 .
284 LA SCIENCE <c RECHERCH ÉE »
i li,
2 ) S u r le rôle du Parmé11 ide dans c e passage, cf. la discussion d ' E . BRÉHn rn,
Sop ia, 1 938, p . 33-38 ( El. de ph ilos. antique, p . 232-236).
(3 Réf11l. soph., 1 72 a 38.
(4 In Parme11 . , 1 1 08, 1 9 Cousin2• Sur le problème de la négation dans le
néo-p atonisme, nous ne pouvons que renvoyer aux pages d'E. B R É H I ER sur
L'idée du n�ant et le problème de l'origine radicale dans le nt'lo-platonisme
grec, R.M.M., 1 9 1 9, reproduit dans Eludes de philosophie antique, p. 248 ss. ,
not. 263-266.
(5) L'expression, comme le signale BRll:nrnR (ar1. cité, p. 257), est de PLOTIN,
VI, 8, 19, 1. 38.
(6) Art. cité, p. 265.
290 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
(ll Voir p. 99 ci·de1sus et notre art. clt . , Sur la défin ition arl1totél lclen ne cle
la p. 304.
colère
(2) Rlfut., soph., 1 1 , 1 72 a 15.
(3) Exemple cité par ARISTOTE dans Top., I, 4, 101 b 29 ss. Ce passage est
commenté dans E. BRÉHIER, La notion de problème en philo s ophie reproduit ,
( 1 ) Anal. pr. , l , 1 , 2 4 a 24 .
(2) C ' esL par là 9u' Aristote définit une fois la dialectique : ·1j 8t 8tcxÀe:KTLK-lj
�proT'l)atc; iivTLcp<ioe:ooc; �aTL (A nal. pr. , I, 1 , 24 a 24 ) . Il est évident que le
raisonnemen t apodictique ne peul dépendre d'un choix dont l e princ ipe lui
échapperait, suspendu q u'il serait à l'opinion d e l 'in terlocuteur. Cf. ALEX . ,
l n Soph. elench . , 9 5 , I l ( à propos d e 1 72 a 16).
(3) Nous pressento ns cependant ici à qu e l niv e a u va pouvoir s'exercer ln
rev a nche de fa dialectique : les prem ière s propositions de l n science, ne pou
vant être démon t rées (cl'. I n trod . , chap. I I J , seront, au sens propre d u terme,
pro blématiques.
(4) Anal. posl. , I I , 5, 91 b 1 8 .
( 5 ) il nal. ]JI'. , 1 , 3 1 , '1 6 a 3 1 ; c l' . • l 11 u l . , p11sl . , I l , 5 , \J I li H i ss. ; Mél . , Z , 1 2,
1 037 IJ 27 S S .
292 LA SCIENCE « RECHERCH ÉE »
!l
supérieure à celle du majeur. Un tel syllogisme ne peut dès lors que conclure
accidentellement le vrai. Cf. la critique de l'argument de Bryson (cl-dessus
cha . I I , p. 216, n. 4 ) .
al2 M, 4, 1 078 b 2 3 SS.
Platon restera fidèle à l'inspiration socratique lorsqu'il écrira dans le
Ph�dre : • Sur toute question . . . Il y a un unique point de départ pour quiconque
veut bien en délibérer : c'est de savoir quel est, éventuellement, l'objet de la
délibération ; sinon, l'échec est inévitable. Or un fait qui échappe à la plupart,
c'est qu' ils ne connaissent pas l'essence de chaque chose ; aussi, croqant la connattre,
ils négligent de se me/Ire d'accord au début de la recherche, mais, en avançant,
ils en paient le prix, car ils ne s'accordent ni avec eux-mimes ni avec les autres •
(237 b ) .
(4) Metapll. , I I , p. 422.
294 LA SC IENCE « REr:ll ERr:H ÉE »
malgré son échec, bien plus, que l'échec du dialogue soit le moteur
secret de sa survie, que les hommes puissent encore s'entendre
quand ils ne parlent de rien , que les mots conservent encore un
sens même problématique au delà de toute essence et que la
vacuité du discours, loin d'être un facteur d 'impuissance , soit
transmué en une invitation à la recherche indéfinie. Nous avons
vu que cette dialectique sans média tion n ' avait que faire là où
la médiation est donnée, ou du moins finalement trouvée dans
les choses ( 1 ) : le dialecticien s 'efface alors devant le savant, la
recherche devant le syllogisme. M ais là où il n'y a pas médiation,
là où le syllogisme est impuissant, non par suite d 'une erreur de
méthode , mais à cause de la trop grande généralité du sujet
de la démonstration , qui exclut la possibilité d'un moyen terme (2) ,
alors la dialectique ne s'efface pas devant l'analytique, mais
se substitue à elle pour suppléer à ses insuffisances : la permanence
rnême du dialogue devient le substitut humain d 'une médiation
introuvable dans les choses. La parole redevient, comme elle
l'était chez les sophistes et les rhéteurs , le substitut, cette fois
inévitable , du savoir.
*
* *
( 1 ) cr. ci-dessus chap. I , § 1, acl {i11 . Sur l'l!Àe:yx.oi;; , cf. Ré{ul. soph. , notam
ment chap. 1 et 8.
(2) Sur la distinction de � s � ns comme procédé dialectiqu�, cr. Top., V I ,
2, 1 39 b 28 ,_ V I , 13, 1 50 b 33 , Re{ul. soph . , 33, 1 83 a 9- 12.
(3) Sur l'analogie, cr. Rhélor., I l l , IO, 1 4 1 1 a 11 b 3 ; I l , 1 4 1 2 a 4 ; Top . ,
V , 8 1 1 38 b 24 . - L'analogie est, pourrait-on dire, u n e forme inférieure de
l'induction. L'induction appartient à cet usage de la dialectique que nous avons
appelé pré-scie111i{iq11e, en cc sens que, procédé par lui-même non rigoureux, elle
n'en aboutit pas moins il la découverte d'une essence dont l'exactitude, une
fois atteinte, corrige l'impureté de son mode d'établissement. Dans le cas de
l'analogie, nous n'aboutissons, au contraire, à aucune essence, à aucun genre
commun, dans lequel nous puissions nous reposer, mais seulement à une égalité
de rapports qui laisse subsister la plurulité irréductible de leurs domaines
d'application. C'est pourquoi l'analogie est. seule légitime là où est absente,
comme c'est le cas pour l'être en tant qu'être, l'unité d'une essence et d'un
genre. - Ce caractère peu rigoureux du raisonnement p ar analogie, généra
lement masqué, en ce qui concerne son usage méta p hysique, par la tradition
scolastique sur l'analogie de l'être, a été néanmoms bien mis en relief par
B O N ITZ ( Melapll . , acl 6, 6, 1 048 a 30) et par T H U ROT, op. cil. , p . 1 34 .
(4) S u r l'aporie et la diaporie (développement d e s arguments pour e t
contre, dont • l'égalité •, Top., V I , 61 145 b l , 1 7, détermine l'état d'aporie)
comme procédés dialectiques, cf. Top., V I I I , 1 1 , 1 62 a 17 ( où l'cbt6p'l')µ0t est
défini comme • raisonnement dialectique de contradiction » ) ; 1, 2, 1 0 1 a 35.
(5) Op. cil., p . 1 52.
302 LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
LA SCIENCE INTROUVABLE
CHAPITRE PREMIER
ONTOLOGIE ET THÉOLOGIE
OU L'IDÉE DE LA PHILOSOPHIE
§ 1. Unité e t séparation
Tusculanes, I , 10, 22) , oi1 l ' âme est dit.e composée d'une matière divine et tou
jours en mouuement (ëv8eÀÉ)(.eLoi:), don t. seraient faits également les astres.
(2) Eth. Nic., V I , 1 3, 1 1 43 b 20 .
(3) E, 1 , 1 026 a 27. cr. De Coelo, 1 1 1, 1 , 298 b 1 8, où ARISTOTE attribue
aux El6ates le mérite d 'avoir reconnu que l'existence d 'essences immobiles
était la condition de tou to connniBsnnce et de tonte pens6e (cf. p. 306, n. 1 ),
mais leur reproche de n ' avoir pas vu que 1 '6tude de ces essences relevait
d'une recherche autre que la recherche physique et a n térieure à elle •.
•
s'il faut admettre l'existence d'une essence s6parée, en dehors des essences
sensibles, c'est-à-dire des essences de ce monde, ou bien ne pas l'admettre et
dire que ces dernières sont la seule réalit6 et que c'est sur elles que porte la sagesse •
( K, 2, 1 060 a 8 ) .
LES DE UX PROBL ÈMES 309
( l ) 996 a 2.
(2) Comme le montre ln auite, qui oppose sciences philosophiqu es et
non philosophiques, Aristolu ne songe pas seulement ici aux essences sensibles,
mais à l'ensemble des es�enccs, sensibles el intelligibles (cf. en ce sens ALEX . ,
1 75, 1 9 ) .
( 3 ) B , 1 , !J 9 5 b I U .
UNIT É ET TRA NSCENDA NCE 31 1
( 1 ) A, 9, 99 1 a 22.
(2) 99 1 a 32.
(3) A, 9, 99 1 a 1 7. Ile:pt !8e:ùiv, fr. 189 Rose.
(4) Si les Idées étaient immanentes ( cvumxpxovTcx), • peut-être sembleraient
elles causes des êtres, comme le blanc est cause de la blancheur dans l'être
blanc, en entrant dans sa composition • (991 a 1 4 ) .
(5) l /Jid. , 991 a 1 7 .
(6) Ilo:pcl: Tcl:c; c v T<Ï> oôpcxvij> . Oôpcxv6c; ne désigne p a s ici l'Univers, encore
moins • l'Univers sensible • (Tricot), mais le Ciel, c'est-à-dire la partie suprasen-
CRI 1'1Q UE DE LA 'l'HÊORJI� DES ID ÊES 313
sible, ou du moins étemelle, de l ' Univers (Sur les difTérents sens d 'oùpixv6c;,
cf. De Coelo, 1, 9, 278 b 1 0-21 , le sens d'un ivers, -ro llÀov xixt -ro miv, n'étant
mentionné par Aristote que comme le plus dérivé des trois sens du mot). Il
s'agit donc ici des Corps célestes - ou de leurs essences -, non des réa lités
• •
sensibles. Ln pens6e d'Aristote est claire (encore que l'emploi du mol cpuaeLt;
pour désigner les Idées, emploi d'ailleurs conforme à l'usage plnlonieien, ait
pu prêter à confusion) : le problème est de snvoir s'il existe d'autres réalités
suprasensibles que les Corps célestes (dont l'existence va de soi, puisqu'ils sont
cpixvep<X), r6alités dont le rôle supposé est défini par le membre de phrase sui
vant : elles seraient les memes que les réalil6s sensibles, à l'éternité près. ( Nous
suivons ici l'interprétation de W. JAEG1m, Arisloleles, p. 180 . ) Cette phrnse
nous paraît capi tale pour l'interpr6tation d11 problème th6ologique chez Aris
tote : ce qui est en question, c'est moins l'existence du suprasensible (que les
affirmations de sa lh6ologie astrale dispensaient Aristote de mettre sérieusement
en doute) que l'existence d'un suprasensible qui, sous le nom d ' i dées ou de
Nombres, ne serait qu'un redoublement inutile du sensible.
( 1 ) B, 2, 997 a 33, b 5 ss.
(2) 997 b 8 SS. Cf. A, 9, 990 b 2 SS.
(:1) Ce point a été bien vu par saint THOMAS, notamment dans son commen
taire du passage de l'El/z . Nic. ( 1 , 4), où Aristote critique l' idée platonicienne
du Bien : Considerandum est quod Al'istoteles non lnlendil improbare opi
•
( 1 ) I bicl.
(2) Ici encore le terme privation, employé en 1 058 b 27 pour désigner l'incor
ruptible, est impropre, puisque la privation ( cn�p7)1rn;) ne s'exerce qu'à l'inté
rieur d'un genre déterminé. Comme le rappelle une parenthèse, qui est ici si
inopportune qu'el l e parait bien interpolée, la privation est une • impuissance
déterminée • ( 1 058 b 27). Or ce que veut montrer précisément Aristote, c'est
que l'incorruptibilité n'est pas une impuissance déterminée (c'est-à-dire qui
s'exercerait dans les limites d'un genre ) , mais qu'elle-même déterm ine une
dilTérence de genre.
(3) Le fait que corrupti ble et incorrupti ble soient des attributs essentiels
a cette autre conséquence qu'une même chose ne P- eut être à la fols corruptible
et incorruptible ( 1 059 a 4). On remarquera qu ailleurs Aristote adoptera à
l ' égard de l'antithèse repos-mouvement une attitude moins radicale : il r a des
choses qui sont touj ours en repos, d'autres toujours en mouvement, d autres
enfin qui sont t a ntôt en repos tantôt en mouvement (Phys., V I I I, 3 ) . Mals,
comme nous le verrons, le repos n'est pas le contradlcto1re du mouvement (qui
serait l'immobilité), mais seulement son contrairP..
(4) Ct. J re Partie, chap. I I , § 4.
CORR UPT IBLE ET INCORR UPTIBLE 31 7
( 1 ) 50 a, 5 6 a ss.
(2) De Coelo, I I I, 7, 306 a 7 ss.
(3) Cf. Jr• Partie, chap. I I , § 4.
(4) Ailleurs cette dichotomie fait place à une division tripartite. Au livre A ,
Aristote distiugue essence sensi ble et essence immo bile. Jll a is la première se subdi
vise en essence sensible éternelle et essence sensible corruptible ( 1, l 069,a 30-34 ;
CORR UP TIBLE ET JNCORR UP T /Bf, E
!
(1) Z, 7, 1 032 a 25 ; 8, 1 033 b 32 ; 0, 8, 1 049 b 25 ; A, 3, 1 070 b 3 1 , 34 ; N, 5,
1 092 a 16. Phys., I l , 1, 193 b 8, etc.
(2 B, 4, 1 000 a 1 1 .
(3 1 000 a 1 6 ss.
(4 Et. de philos. grecque, p. 66. Cf. R�publ. , V I , M l o.
322 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
• •
( 1 ) 28 c, 29 cd.
REJET DES INTERMÉD IA IRES 323
(ll M . M ERLAN a bien montré (From Plalon ism Io Neoplalon ism, p . 54 ss.,
1 88- 1 89 ) , que la tripartition aristotélicienne de la philosophie théorique en
théologie, mathématiques, physique, caractérisée par la p osition médiane accor
dée aux mathématiques, est une survivance d'esprit platonicien, peu compa
tible avec la doctrine habituelle d'Aristote. Si nous envisageons les êtres dans
l'ordre de subsistance ou - au sens proprement aristotélicien du terme - de
• séparation » décroissante, il faut mettre les obj ets mathématiques au troisième
rang, après les êtres physiques. - Nous croyons cependant que l'ordre de la
tripartition aristotélicienne du savoir peut s'expliquer : a ) Par son élabo
ration à une P. hase de la pensée d'Aristote où celui-ci considérait les mathéma
ti q ues, assimilées à l 'astronomie, comme plus divines que la physique (cf. note
suivante) ; b ) M êm e après l'abandon de cette dernière perspective, par le fait
que les mathématiques sont plus • exactes • que la physique et se rapprochent
d onc davantage de 1 'idéal théologique.
(2) C'est ce qui ressort d u fragment du Prolreplique récemment mis au jour
par M . M ERLAN (op. cit. , p. 1 1 9 ss. ) et qui a encore été élargi par le P . FEsTu
CHÈRE ( Un fragment nouveau du Protrepti q ue d'Ar., Rev. phifos., 1 956, p. 1 1 7-
27) . Dans ce texte plagié par JAM BLIQUE (De communi malhemalica scienlia,
72, 6 ss.) , Aristote montre la supériorité des mathématiques sur les autres
sciences en invoquant non seulement l'exactitude de leur méthode, mais aussi
l'excellence de leur objet : par l'astronomie, qui en est une branche, elles nous
font, en effet, connaître les phénomènes célestes, qui sont « les 1,> lus divines des
choses sensibles • ( 72, 27) . On retrouve ici la formule caractéristique de la théo
logie astrale (cf. p. 306, n. 3 ) . Le P. FESTU G I ÈRE remarque que ce texte (et
c'est la raison essentielle de son attribution à Aristote) dit très précisément des
mathématiques ce que la Métaphysique, A, 2, dira de la philosophie première.
On ne saurait mieux marquer que les mathématiques, dans cette conception,
j ouent le rôle qui sera dévolu plus tard à la philosophie première, c'est-à-dire
à la tlzéologie (alors que, plus tard, tout en conservant leur dignité de science
exemplaire, comme on peut en juger par les nombreux exemples mathéma
tiques des Seconds Analytiques, elles seront de plus en plus reléguées au rang
ontologiquement inférieur de sciences de l 'abstrait) . La théologie mathéma
tique du j eune Aristote est, comme le note M. M erlan (p. 1 8 7) proche parente
,
de sa théologie astrale.
(3) Cf. fr. 16 Heinze : • gstque numerus, nt Xenucrates censuit, animus
ac deus ., fr. 34 (assimilation par Xénocrate du Nombre idéal et du Nombre
mathématique) . C'est ce qu'Aristote appellera p lus tard : Parler des êl.res
•
(1)
(2
(3
l Anal. posl., 1 , 33, 89 <1 5.
Phys., VII, 3, 247 b I O . Cf. Ire Partie, chap. 1 1, § 4.
Cf. par exemple Anal. posl., I , 33, 88 b 32.
(4 On voit ainsi comment la célèbre thèse selon laquelle connaitre scientifi
quement, c'est connaître par les causes, se rattache à l'exigence platonicienne
d e stabilité. Connaitre la cause, c'est savoir pourquoi une chose est ce qu'elle
r
est et ne peut Oire autrement : Anal. post. , I , 2, 71 b 9- 12. Inversement, on ne
saura j amais scienti fiquement pourquoi Je contingent, c'est-à-dire ce qui, par
définition, peut être aut ement, est ce qu'il est. Si l 'on connaissait la cause du
contingent, Je contingen t ne serait plus contingent, mais nécessa i re.
JI. J\" Y A P : I S /JE S f:' J EX t:' f: TJ l ' r:OiYT /.Y {; R.\" T :125
el non pas moins sur les choses é ternelles et les choses im p ossibles que sur celles
qui dépendent de nous. •
(2) Anal. posl. , 1, 33, 88 b 32. Nous avons résumé le passage q ui suit ce texte
jusqu'en 89 b 1, la question centrale ( En quel sens la même c hose peut-elle
•
un autre biais, qui tient cette fois, non plus seulement à la nature
du principe, mais à celle de la science elle même, la conclusion
que nous avions déj à rencontrée plus haut : il n'y a pas de science
du corruptible. Il est vrai qu'on pourrait contester l 'identité de
ces deux thèses : le corrup Lible n'est-il pas nécessa irement corrup
tible ? L'homme n'est-il pas nécessairemenl mortel ? Au treme nt
dit : n'est-il pas vrai de dire que l'homme ne peut être autre que
mortel ? On atteint, certes, ici , l'un des biais par lesquels Aristote
pourra partiellement réconcilier sa conception idéaliste de la
science avec la description qu'il donne du monde réel : s'il n'y a
pas de science du corru ptible, on peut parler légiLimement de la
corruptibilité en général ; la corruptibilité n'est pas elle-même
corruptible, et nous verrons qu 'Aristote reconnaîtra dans la
succession infinie des générations e t des corruptions comme
un substitut de l'éternité. Mais ces thèses, que nous verrons
Aristote développer ailleurs en réponse aux apories léguées par le
platonisme, ne contredisent pas, elles confirment au contraire la
thèse négative que nous avons d 'abord rencontrée. C'est préci
sément parce qu'elle n'est pas corruptible que la corruptibilité
est elle-même objet de science. C'est parce que tous les hommes
sont mortels qu 'on peut étudier scientifiquement Je genre homme
et lui aLtribuer nécessairement le prédicat mortel , autrement dit
démontrer pourquoi l ' homme en général est mortel ( 1 ) . Il n'en
reste pas moins que le propre du corruptible - tel homme, tel
animal, telle insti tu tion - es t de pouvoir n'être pas, ce qui est
la forme la plus radicale de ce pouvoir-être-autremen t qui dé finit
précisément la contingence. Le corruptible est donc une espèce
du contingent, peut-être même est-il le contingent par excellence,
dans la mesure où tous les pouvoir-être-autrement supposent
comme leur fondement le pouvoir-ne-pas-être (2). M ais on dira
encore : la thèse selon laquelle l 'explication par la cause ne peut
s'appliquer au corruptible parce qu'elle le transformerait en
nécessaire, c 'est-à-dire en ce qui ne peut être autrement, cette
thèse-là est insoutenable. Car je peux fort bien savoir pourquoi
une chose peut, dans certaines circonstances, sous l ' e ffet de
certaines conditions, être autre que ce qu'elle est auj ourd'hui. Je
•
• •
( 1 ) Parménide, 1 3<1 e : • .J'ai peur cette fois, dit Socrate, qu'il n'y ait excrs
de merveille en l'argumen t, lorsqu'à Dieu on vient dénier le savoir. •
(2) Pour l'usage platonicien du mot ( qui n'a évidemment pas chez Platon
de sens péjoratif), cf. Prolay., 3 1 1 b ; Phèdre, 266 a ; Parménide, 1 33 d ; Timée,
52 a. Nous pensons qu'il s'agit là d'une expression technique qu'employaient les
Platoniciens pour désigner la communauté de nom entre l' idée et ce dont elle
est l ' i dée, et qu'Aristote aurait retournée ironiquement con tre la théorie des
Idées : homonymes, l' Idée et le sensible Je sont bien ; mais ils ne sont que cela :
il n'y a entre eux d'autre identité que verbale, ce qui deviendra Je sens propre
ment aristotélicien du mot. Cf. A, 9, 990 b 7, 991 a 6. I nversement, si l'on exprime
la pensée cle Plalon dans la terminologie d'Arislole, on dira que les Idées et Je
sensible sont • synonymes • (A, 6, 987 b J O ) .
(3) O n nous dira q u e l a th6orie d e l'analogie corrige, chez Aristote, cette
perspective d'équivocité. Mais nous avons mont.ré plus haut ( I r• Partie, chap. I I ,
§ 4 ) , qu'il faut se garder d'attribuer aux rares indications d'Aristote sur l'ana
logie une portée qu'il ne leur a pas donnée. - O n pourrait étudier, à propos de
la thèse Dieu ne co11nall pas le monde, la triple attitude du platonisme, de l'aris
totélisme et du néo-platonisme à l'égard d'une formule qui se transmet de l'un
à l'autre dans sa littéralité. Pour Platon, il est a bsurde que Dieu ne connaisse
pas le monde, et l'absurdité de Je conclusion condamne les prémisses qui y
ont conduit. Aristote admet la thèse dans sa négativité, mais la négation exprime
Ici pour lui, non une qualité du sujet, mais l'incapacité du discours humain à
décrire positivement les attributs d'un Dieu transcendant, trahissant par là
l'infirmité de l'homme et sa • séparation • de Dieu. Pour les Néo-platoniciens, ln
négation devra être prise • dans un bon sens • et n'apparaitra plus comme un
obstacle, mais comme une médiation vers la positivité inanalysable de Dieu.
332 f,:\ SC IENCE TNTRO U VA BLE
( 1 ) Ce qui ne veut pas dire qu'elle soit sans valeur. CeUe distinction de
l'utilité et de la valeur (·dµtov) permettrait de mettre d'accord ceux qui, dans
ce texte du De pari. animal., sont surtout sensibles à l'éloge éloquent qui y est
fait de la théologie et ceux qui, au contraire, voient dans cette éloquence le
mo r en pour Aristote de s' acquitter envers la théologie, avant de se consacrer
à d autres recherches. En co domier sens, cf. A. B R E M O N D : • L'Aristote biolo
giste • part • de ce qui est tout proche de nous, quoiqu'il soit en principe le moins
divin, mais combien, sans qu'il ose se l'avouer, combien plus intéressant que les
astres et les sphères ! • (Le dilemme arislolélicien , p . 1 1 1 ) et surtout W. J A ilG ER,
Arislo/eles, p. 360-365. En sens contraire, M. DouRGEY voit dans co p assage
le signe d'une certa ine permanence chez Aristote de l'inspiration platomcienne,
et notamment des thèmes de ln théologie astrale (Acles du Congrès G. Budé,
Lyon, 1 958, p. 57 ) . li faut bien reconnaitre cependant que l'exaltation de la
divinité des astres devient, à mesure qu'Aristote évolue, de plus en plus conven
tionnelle, tout en continuant de j ouer, sous une forme plus abstraite, un rôle
décisif dans l'économie de sa philosophie (voir infra, § 2) . Sur ce passage,
cf. aussi J. MOREAU, L 'éloge de la biologie chez Aristolo, Rcv. El. anc. , 1959,
p . 57-64 .
f,
(2) A, 2, 98 3 a 1 0 : 'Avocy>eœL6Tt œL µèv ouv nfiaœL TotÛT'l)Ç, ciµe(vCilV 8' où8eµ(ei.
(3) Ibid. , 982 b 22-28. Cf. Pro rept. , fr. 5 3 Rose.
334 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
est aussi celle où Aristote a formulé les critiques les plus virulentes et souvent les
plus excessives contre la théorie des I dées ( cf. Jr• Partie, chap. l i, § 4. à pro
pos de la thèse : J I n'y a pas de science une du Bien, p. 207, n. 2). Ces critiques ne
sont pas inspkées pur le refus de la transcendance, mais par la conception trop
exigeante qu'Aristote s'en fait.
LE D IE U TRANSCENDANT 335
§ 2. Le Dieu tl'anscendant
arts d'agrément, sagesse), que l 'on retrouve à la fois dans 1 'Epi11omis (974 e,
976 c), le Prolreplique ( fr. 5 3 R) et la Mélapllysique (A, 2, 982 b-22-27 ) . On
notera en fin que le problème de l'Epi11om is est celui-là même que posera la Méla
pllysique : le problème de la • science recherchée • (Epi11om is, 976 cd) ; cf. supra,
p. 267, n. 1 .
( 1 ) Méléorol. , I I , 1 , 353 b 2 . Cf. plus bas (n. 4) l a distinction faite par
Aristote ent1·e 8e:oMyoç et 8e:oÀoytx6ç.
(2) F ESTU G I J�RE, op. cil., p. 209-2 1 0 . L'auteur auquel une tradition attestée
par D 1 0 0 . LAËRCE ( U I, 37), attribue la paternité de 1'Epinomis, Philippe
d'Opuntc, était connll par ailleurs pour ses travaux d'astronomie, comme en
témoigne la liste de ses ouvrages dans Suidas.
(3) C'est la thèse de J . M O R EAU ( L'llme du monde de Platon aux stoïciens) ,
qui voit dans la théologie astrale un retour offensif de • l 'astrobiologie • des
Présocratiques, désormais dépouillée par la • dissolution • du platonisme de la
• transposition idéaliste • que lui avait fait heureusement subir le Timée
( p . 1 87- 1 88).
(4) A, 6, 1 0 7 1 b 27 ; 1 075 b 26 (pas plus pour les • théologiens • que pour les
• physiciens •, il n'existe d'autres êtres que les êtres sensibles) . Aristote ne manque
pas une occasion de prendre ses distances à l'égard des anciens • théologiens • :
ainsi a-t-il forgé le mot savant 8e:oÀoytxi) ( E, 1 , 1 026 a 1 9 ) pour distinguer la
théologie, à la fois savante et nouvelle, qu'il proj ette, de la 8e:oÀoytcx mythi
que des anciens théologiens ( 8e:oÀoytcx, 8e:oMyoç, 8e:oÀoye:rv ont constamment
chez Ar. un sens péjoratif ; cf. FESTU G i il:RE, op. cil., Appendice I I I : Pour
l'histoire du mot ee:oÀoytcx, p. 599 ) .
(5) C e point a é t é bien m i s e n lumière p a r FESTU G I ÈRE, o p . cil. : • Si, après
avoir rej eté le monde sensible, il (Aristote) rej ette aussi maintenant le monde
des Formes, que rcste-t-il ? Oi1 est l'é!tre ? Oi1 est le vrai ? A quel objet appuyer
sa pensée ? Tout se résou t pourtant si l 'on admet qu'une région de l'Univers,
le monde céleste, obéit à des lois immuables • (p. 228) .
338 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
( l ) E, l , 1 026 a 18.
(2) Cf. Introd. chap. I 1 .
(3) A, 2 , 983 a 5-6.
LE D IE U VJSIBLR 339
part, c'est dans une telle nature qu'il est présent » ( 1 ) . Nous nous
efforcions vainement, mortels que nous sommes, d e parler du
divin, mais voici qu'il se donne à nous, dans sa présence. Ainsi
la théologie astrale fournit-elle à l 'idée aristotélicienne d 'une
philosophie première l'intuition initiale s a n s laquelle elle ne
pouvait se constituer. II n'est pas exagéré de dire que la contem
plation des « dieux visibles » a j oué, pour Aristote, le rôle d u
cogito chez Descartes : celui du « fondement certain et inébran
lable » , à partir duquel une démarche j usque là aporétique va
pouvoir s'inverser pour un nouveau départ.
Mais qu 'en est-il de la portée réelle de cette vision ? Quelles
vont en ê tre les conséquences pour la philosophie d 'Aristote et,
en parLiculier, pour l'irritant problème, hérité du platonisme,
concernant les rapports du sensible e t de l 'intelligible ? Ces
conséquences nous paraissent à la fois capitales et limitées.
Ce que nous au torise à affirmer l 'intuition des dieux visi bles,
c'est qu'il est un domaine de l 'être - le divin - où la séparation
du sensible et de l 'intelligible n ' a plus de sens, parce qu'en lui
le sensible et l 'intelligible coïncident. L 'ordre qui règne dans le
Ciel est intelligible, au sens que Pla ton donnait à ce terme : il
est formulable en relations ma thématiques, exprimable en
figures géométriques ; mais cet ordre n'est pas caché derrière
des phénomènes, il se manifeste immédiatement en eux. II ne
suffit donc pas de dire que les mouvements du Ciel sont le schème
de relations intelligibles ; il n'y a pas un Ciel intelligible dont le
Ciel visible serait, en quelque sens qu'on l 'entende, l 'image (2) ,
mais le Ciel visible est le Ciel intelligible lui-même : il ne faut pas
( 1 ) E, 1 , 1 026 a 20 .
(2) Telle était l'interprétation, évidemment restrictive et symbolique,
que P laton donnait de la théologie astrale dans le Timée (avant d'y adhérer
de façon plus l ittérale, mais peut-être aussi plus « politique ., dans les Lois) :
dans le Timée, donc, il ne parlait de « Dieu visible • que pour en faire « l'image •
du Dieu intelligible (92 c ; cf. 34 a ) . En un seul p assage, Aristote paraît pro
fesser la même doctrine : « L'astronomie n'a pas pour objet les grandeurs
sensibles ni le Ciel qui se trouve sm· nos têtes. En effet ni les lignes sensibles ne
sont los lignes du géomètre. . . , ni les mouvements et les révolutions du Ciel ne
sont les mêmes que dans les calculs astronomiques • (B, 2, 997 b 34-998 6 ; a
cf. Rép., V I I , 529 a-530 c). Mais on remarquera que cc passage appartient
à un développement aporétique, donc n'exprime pas nécessairement la pensée
définitive d'Aristote. De plus, il est présenté comme un argument en faveur de
l'existence d'êtres mathématiques séparés, qu'Aristo te rej ettera définitivement
aux l ivres M et N. Dans le De Coelo, si Aristote semble encore distinguer entre
un ciel sensible et un Ciel intelligible ( cf. note suivante), celte distinction n'a
plus aucune importance méthodologique. Si les astres ne sont pas à proprement
parler immat6riels, la matière dont ils sont faits - l 'éllier - est divine cl, de
plus, connaturcllc à !"fi.me ; elle ne peut donc être un obstacle à l'intelligibililé,
comme l'est la matière dont sont faits les êtres sensibles de notre monde.
340 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
Parménide, le mot x6aµoc;; ne d6signe que le monde de ! 'Etre vrai, et non celui
des apparences, ou du moins celui-ci en tant qu'il manifeste !' Etre vmi (cf.
D r nLs, Vorsolct•aliker, 28 A 44).
344 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
Une autre métap hore célèbre, que l'on trouve à la fois dans
le De philosophia et dans la Métaphys ique, a pu accréditer une
interprétation immanentiste de la théologie d 'Aristote : c'est
la comparaison de l 'ordre du Cosmos avec celui d ' une armée.
C 'est même expressément en termes de sépara tion et d'immanence
qu'Aristote pose le problème dans le texte de la Métaphysique :
« Il nous faut examiner de laquelle des deux manières suivantes
la nature du Tout possède le Bien et le Souverain Bien, si c ' est
en tant que quelque chose de séparé, existant en soi et par soi,
ou en tant qu 'il est l'ordre, ou bien si ce ne serait pas plutôt des
deux manières à la fois, telle une armée ( 1 ) . » Mais on remarquera
que ce qui est en question ici, c'est le Bien, non la cause du Bien.
Or (comme l'a montré la critique de l ' idée platonicienne de
Bien (2) , si le Bien est évidemment immanent à ce dont il est
le bien de la même façon que l 'ordre est immanent à l'armée,
la cause du Bien est un ê tre séparé, de la même façon que le
général est séparé de l'armée dont il assure l 'ordre. Le général
est donc éminemment le Bien de l ' armée, plus encore que l 'ordre,
puisque « ce n'est pas le général qui est par l'ordre, m ais l'ordre
par le général » (3). Le sens de la démonstration est donc clair :
il s'agit de démontrer la transcendance de Dieu par rapport ù
l'ordre dont il est le principe. M ais on pourrait alors penser que,
si Dieu est transcendant au monde, il n ' en est pas séparé , puisqu'il
répand sur lui les efîets, sinon de sa Providence, du moins de
sa perfection ; il faudrait dire, dans ce cas, que, si Dieu est au delà
du sensible, tout n 'en est pas moins divin dans le sensible grâce
à une sorte d 'émanation de l'essence de Dieu. Seulement, si
« émanation » il y a, si l'on peu t déduire de Dieu l'ordre du monde
et induire de l 'ordre du monde l 'existence de Dieu , cette déduc
tion n ' est j amais complète et la base de cette induction n'est
j amais universelle. Dire que la nature du tou t (� -rou lSÀou cpuaLc;)
comporte de l'ordre ou même que « toutes choses sont ordonnées
par rapport à un terme unique » (4) ne signi fie pas que l 'ordre
pénètre toutes choses « de la même façon » ( oµo(wc;) (5 ) . « Il en
e verrons, que le monde sublunaire imite à sa façon l'ordre qui règne dans le
Ciel, mais que cet ordre imité n'est reconnu et pensé par Aristote qu'à partir
de l'ordre immédialemenl contemplé dans le Ciel : l'ordre dérivé ne peut contri
buer à définir l'ordre fondamental, puisque, sans celui-ci, nous ne saurions mtlme
pas reconnaitre que le premier est un ordre.
( I l A, 10, 1 075 a 1 1 - 1 3 .
(2) Elh. Nic. , 1, 4.
( 3 ) 1 075 a 1 5.
( •1 ) Ilpot; µèv y0tp �V o!TtlX.VTIX OUVTiTIXKTCf.t ( 1 075 a 1 8) .
( 5 ) 1 075 a 1 6.
L 'ORDRE D U CIEL 347
est, comme dans une maison où les actions des hommes libres
ne sont pas du tout, laissées au hasard, mais où tou tes leurs
fonctions, ou du moins la plus grande partie, sont ordonnées,
alors que pour les esclaves et les bêtes de somme, il est peu de
choses qui aient rapport à l ' ensemble, mais la plus grande partie
est laissée au hasard ( 1 ) . » Il y a donc des degrés dans l 'ordre
et ces degrés ne sont pas continus : comme l'ont bien vu les
commentateurs (2) , l'opposition des hommes libres et des esclaves
symbolise ici la grande opposition cosmique des corps célestes,
où prédomine l ' ordre, et des êtres du monde sublunaire, où
prédomine le hasard. Le monde sublunaire nous o fTre donc
d avantage le spectacle de l 'impuissance de Dieu que celui de
sa force ordonnatrice (3) : ce n'est pas à lui qu'Aristote peut
penser lorsqu'il exalte l 'ordre du Cosmos et qu 'il suspend cet
ordre à un principe unique et transcendant.
Ce tte interprétation ressort, d ' une façon plus manifeste
encore , du passage correspondant du De ph ilosophia, que nous
rapporte Sextus Empiricus. La métaphore de l 'armée en bataille,
dont l ' ordre atteste la présence du stratège, est ici appliquée
seulement à l'ordre céleste : de même , dit-il, « quand les hommes
qui les premiers levèrent, les yeux vers le Ciel eurent con templé
le soleil accomplissant sa course de son lever à son coucher,
ainsi que la belle ordonnance des chœurs des astres, ils se mirent
à rechercher !'Artisan de cet ordre splendide » (4 ) . On le voit :
les êtres du monde sublunaire n ' ont pas droit ici , plus que dans
la Métaphys ique, à la dignité de soldats de l'Armée céles te.
L ' Univers d 'Aristote comporte, dans une de ses parties, un
ordre qui suppose un Ordonna teur : qu'il y ait quelque part
un ordre suffit pour que nous devions a dmettre un principe de
cet ordre. Mais Aristo te ne conteste pas le désordre - ce que
le texte de la Métaphysique appelle « hasard » - dont le monde
sublunaire offre le spectacle. Ce désordre est consta té, i l n'est
l ' Eudème et, à un moindre degré, du Prolreplique, selon laquelle l'âme et le corps
seraient deux réalités hétérogènes, n'en maintient pas moins l 'autonomie rela
tive de l'âme et du corp s et la transcendance de celle-là sur celui-ci, auquel elle
peut notamment survivre.
(3) Op. cil., p. 1 1 6.
(4) A rad. , I , 7,
26 ( Cr. 7 W) ; cf.
2 T11sr11/n11es, I, 10, 22 ; 26, 65 ; 29, 70.
THÉOLO G IE DE LA TRA NSCENDA NCE
les astres sont de la même nature que l'âme, il ne s ' ensuit pas
pour autant qu'ils aient eux-mêmes une âme ( 1 ) , et moins encore
que le rapport entre ces âmes sidérales et les astres correspondants
soit d e type hylozoïste. Même s'il en était ainsi , rien n ' autori
serait à étendre cette conception aux rapports entre une hypothé
tique Ame universelle et le monde ( entendu au sens <l ' Univers)
dont elle serait l'Ame. En réalité , c'est sur l 'autre aspect de
l'identité qu'Aristote nous p araît vouloir insister : ce n'est pas
l'astre qui est envisagé d ' un point de vue psychologique ou,
comme on l'a dit, « astrobiologique » (2) , mais, plutôt l'âme
qui est de nature « sidérale » et se trouve par là apparentée au
divin ou même, plus fortement, est divine elle-même. L'âme est
alors « ce qu'il y a de divin en nous » ( 3) . C'est seulement lorsque
Aristote aura étendu aux rapports de l ' â me et du corps la concep
tion hylémorphiste (constituée par de tout autres voies et sans
rapport avec le problème théologique) que l'âme, désormais
liée au corps et soumise comme lui à la corruption, perdra son
caractère divin. Aristote ne renoncera pas pour autant entière
ment à la théorie héritée de la théologie astrale : seulement,
ce ne sera plus l'âme qui sera désormais divine, mais seulement
l 'intellect, non plus la �ux� . mais le 11oui;. Au sein même de la
séparation , il restera touj ours pour Aristote un lien ou même
un double lien entre l'homme et le divin : au lien extérieur que
(1) 0upoc0e:v,
Gen. animal., II, 3, 736 b 28.
(2) J. MOREAU, Bien plus, pour J. Moreau, c'est toute la concep tion
op. cil.
antique de l'Univers comme Tout organisé • qui implique une analogie bio
•
!
l'esquisse d'une preuve de Dieu par les degrés de perfection : si, parmi les ê t res.
l'un est meilleur que l'autre, il doit en être un d'excellent.
4) De Coelo, I I , 1 , 284 15, 28 ; cf. A, 9, 1 074 b 29.
a
5) De
A , Coeto, I, 9, 279a 18.
6) 7, ! 072 b 28-29 ( Dieu est un Vivant éternel).
LE PR EMIER MO TE UR 35f1
*
* *
(1)
A , 6,
1071 b 1 1 .
(2) L e mouvement. recliligne ne p e u t Hre à l a fois Herne! et. co n ti nu :
pour qu'il le fùl, il faudrait supposer un espace infini, idée étrangi•re à Aristote ,
comme d'ailleurs à la p en sée grecque en général (cf. Pllys. V I I I , 9, 265 a 1 7).
(3) Pllys. , V I I I , 3, 25·1 b 4 ss. C' es t par la combinaison de deux mouvements
circulaires, celui du P re m i e r Cicl la sphè r e des étoiles fixes) cl celui de l'éclip
J
tique, qu'Aristote ex pliquera la égradation du mouvement continu en al ter A,
nances de mouvements et de repos ( Pllys. , V I I I , 2!)9 b 28-260 a 1 0 ;
6, 6,
1 072 a 9- 1 8 ) .
(4) Phys.,
A, VIII, 4 , 2 5 6 a 2. C f . V I 1 , 1 , 242 a 16.
(5) 6, 1 07 1 b 28-29 .
APPROCHE PH YS IQ UE D U PREMIER M O TE UR 357
( l ) Notamment V I I I,
8, à partir de 264 9, el V I I I,
b 9.
(2) I l est à peine besoin de rappeler qu'Aristote ignore le principe d'inertie.
(3) V I I , l, �M2 b 27. Nous avons rl·sumé le développement 242 a 1 6-b 29.
358 L1 SCIENCE INTRO U VA BLE
(
( 1 ) Il importe peu ici qu'il s'agisse, à prendre les termes dans leur rigueur,
de contact plutôt que de continuité, comme le note Carteron (p. 78, n. 1 ) .
2) V I I , 2, 244 a 4 .
3) Cf. V I I I, 1 0 , 267 b 1 1 : « Un moteur d e c e genre doit e n effet o u pousser
ou irer ou faire 1 es deux.•
:
(4) V I I I, 1 0, 267 b 6.
(5) Cf. R. MuGNIER, La théorie du Premier Moteur et l'évolution de la pensée
aristolélicienne, p. 3 • Le Philosophe s'est-il prononcé pour un théisme ou une
doctrine de transcendance divine comme le soutiennent Simplicius et saint
Thomas d'Aquin, par exemple, ou, au contaire, pour un panthéisme ou, plus
exactement, pour une doctrine d'immanence divine, comme le veulent les Arabes
et en particulier Averroès ? En d'autres termes, le Premier Moteur est-il exté
rieur au monde ou bien a-t-il un corps ? • M. M ugnier conclura que le Premier
Moteur n'est autre que l'âme de la dernière sphère, c'est-à-dire du Premier Ciel, et
qu'on peut faire ainsi l'économie d'un Premier Moteur transcendant. Le Premier
Ciel serait le corps même de Dieu ( cf. p. 135-136).
D IFF IC UL TÉS DE LA TRA NSCENDA NCE 359
soit dit sans lieu ou au delà de tou t lieu, cela signi fie dans les
deux cas qu' « à ce niveau, l 'idée du lieu se dissipe » ( 1 ) ou encore,
suivant une autre remarque de M . Goldschmidt, que le « schème
dualiste du lieu [ enveloppant-enveloppé] est d 'un usage stric
tement intramondain et inapplicable au Tout » (2) , le Tout
n'étant, d ' ailleurs, lui-même qu'une désignation imaginative
du Divin.
Si la Phys ique n 'échappe pas entièrement aux difficultés
insolubles que suscite l'impossible proj et de parler physiquement
du divin, le De Coelo, parce qu'il est plus immédiatement installé
dans les évidences de la théologie astrale, est pleinement conscient
de l 'inaptitude fondamentale du langage physique à exprimer la
réalité transcendante du divin. « Au delà du Ciel, y lisons-nous, il
n'existe ni lieu, ni vide, ni temps. » La raison en est que le lieu, le
vide e t le temps supposent à la fois un corps (qui est présent
dans le lieu, cependant que le vide se définit par la possibilité
de sa présence) et le mouvement (le mouvement étant à la fois le
révélateur du lieu comme du vide et ce sans quoi le temps ne
serait pas, puisque « le temps est le nombre du mouvement »).
Ces deux notions de corps et de mouvement sont d 'ailleurs
liées, car « indépendamment d'un corps naturel, le mouvement
n 'existe pas ». Or, il ne peut y avoir de corps (ni, par conséquent,
de mouvement) au delà du ciel. N'y a-t-il rien « là-bas » pour
autant ? Certes, il n'y a « là-bas » ni lieu, ni vide, ni temps, mais
des réalités qui « ne se trouvent pas naturellement dans un
lieu », que « le temps ne fait pas non plus vieillir » et en qui,
en fin, « ne se produit aucun changement » : « réalités inalté
rables et impassibles poursuivant une vie qui est parfaite et se
suffit à elle-même , durant toute l'éternité (3). » Ce texte exprime
éloquemment, nous semble-t-il, la transcendance , maintes fois
affirmée , du divin (4) , mais, de plus, il en tire toutes les consé-
(1)
V. GoLDSC H M mT, La th6orie aristotélicienne du lieu, in Mélanges
A. DUs, p. 107.
(2) Ibid., p. 1 0 1 .
( 3 ) Nous avons résumé le passage I, 9 , 279 1 1 -22.
a
(4) Que désigne dans ce passage l'expression -r&xe:î ? Les commentateurs
se sont demandé s'il s'agissait du Premier Ciel (la sphère des fixes) ou du
la
Premier M oteur immobile. Ainsi posée, la question est de peu d'importance
pour notre propos : l'essentiel est qu'il y ait des réalités transcendantes au delà
même de notre monde. On peut dire cependant qu' c Aristote ne parle plus de
ii
transcendance du Ciel dans son ensemble par rapport au monde sublunaire,
mais de la transcendance de cc qui est au delà du Ciel • par rapport au monde
•
tout entier, dont le Premier Ciel est la limite (le seul problème étant alors de
savoir si cette limite appartient elle-même ou non à l'au-delà ) . La coupure se
trouvP. donc déplacée par rapport aux textes du De philosophia, qui la situaient
.à l'intérieur du monde. On pourrait expliquer cette évolution par une méfiance
TRA NSCENDA Nr:E E T NÉ GA T I O !\' 3ô3
�1,
contraire, que l'art, portant sur le contingent (Eth . Nic . , VI, 4, 1 1 40 a 1 0 ss. ) ,
Implique la délibération, on peut penser 9 u'il oppose ici à l'art • délibérant • des
artisans humains l'Art d'une Nature comme nous y autorise l'usage déjà
signalé de ce mot (cf. plus haut, . 349 , semble bien désigner ici le divin. - Que
Pa
• Dieu ne délibère pas • et qu'il n nul esoin des médiations habituelles au tra
vail humain deviendra une thèse explicite du néo-platonisme ; cf. PLOTIN,
Ennéades, V, 8, 1 2 ; et. I I I, 1 -3 ; IV, 3, 1 8 ; V, 8, 2, 7, et le commentaire de
M . de GAND I LLAC, La sa q,esse de Plotin, Paris, 1 952, p. 1 34 : Plotin situe • au delà
des raisonnements • de ! artisan • un Art supérieur, celui de la • Nature • qui
Ignore la dialectique du travail • ; et. J. MOREAU, L ' idée d'un ivers . . . , p. 26-27.
L'idée d'un art divin se trouve déj à dans le Sophiste de PLATON (265 e ) ; l'assimi
lation de l'art et de la délibération (qui rend finalement problématique l'exis
tence d'un • art • non délibérant) était une thèse de l'Epinomis (982 c) ; et. Lois,
X, 890 d, 892 b.
(2) L'expression est de H . LEISEGANG, La gnose, trad. fr. , p . 21 (p. 16 de
l'éd. allemande). Leisegang montre à ce propos que la tradition gnostique et
médiévale a fort clairement distingué, malgré la confusion que pouvait accrédi
ter la lettre même de l'aristotélisme, entre la limite extrême de l'Univers, qui
• ferme • le monde sur lui-même, mais est encore du monde, et l e Dieu extrn
mondain. Cette distinction apparaît notamment dans ln mappemonde du Campo
LE DJE V EX TRA-1v!ONDA IN 365
Santo de Pise, où l'on voit le • Dieu extra-mondain • tenir dans ses mains l'Uni
vers, représenté pnr une série de cercles concentri 9;ues, dont le dernier enclôt
l'Univers, mais non tout ce qui est - puisque Dieu est au delà. Cf. GoLD
art. cil.,
SCH M J DT, p. 1 08. -- A côté de la tradition du Dieu cosmique, qu'a
étudiée le P. Festugière, on pourrait étudier celle du Dieu extra-mondain. Nous
croyons avoir montré qu'Aristote est beaucoup moins l'initiateur de celle-là
que de celle-ci.
( 1 ) A, 7, 1 072 26.
a
(2) 1 072 b 3.
(3) 1 072 a 26.
366 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
astres possèdent une âme qui les meut de l'intérieur ; ou bien ils
sont « poussés du dehors », « comme quelques-uns le prétendent »,
par une âme extérieure, faite de feu ou d ' air ; ou bien enfin,
ils sont soumis à une âme incorporelle, qui les dirige « par cer
taines autres forces tout à fait admirables » ( 1 ) . Platon ne prend
pas parti entre ces trois hypothèses, dont on peut supposer
qu'elles représentaient l'état du problème tel qu'il se posait
dans les cercles platoniciens. Mais, avec W. Jaeger, on peut
reconnaître dans la première une application , que Platon ne
prenait peut-être pas à son compte , de la théorie de l'âme auto
motrice du Timée. Nous ne croyons pas qu'Aristote ait été tenté
autant que le soutient le P. Festugière (2) par cette première
hypothèse, car nous avons trouvé chez lui une conception méca
nique des rapports entre le Premier Moteur et le monde qui
n 'est pas sans évoquer la deuxième . Dans la Phys ique, Aristote
parle , avons-nous vu, d 'une poussée du Premier Moteur. D ans
le De molu animalium, traité dont on s'accorde auj ourd ' hui à
reconnaître l'authenticité ( 3 ) , il va j usqu'à j usti fier l 'immobilité
du Premier Moteur, ainsi que son extériorité par rapport au m û ,
par la nécessité d'un point d ' appui à partir duquel la poussée
pourra s 'exercer : si l'on pousse sur le mât d'un bateau de l'in
térieur, il n'avancera pas ; de même , le monde ne se mouvrait
pas, si le moteur était intérieur au monde ; il fau t donc un moteur
extérieur au monde et agissant sur lui à la façon d 'une force
physique (4). Mais nous avons vu la difficulté de semblables
conceptions : comment un moteur extérieur au monde peut-il
agir comme un moteur du monde ? Reste donc la troisième hypo
thèse, celle qui, se réfugiant dans l 'ignorance , attribue à des
forces mystérieuses l 'action sur le monde d 'un Principe incorporel
et transcendant. Le trait de génie d 'Aristote semble avoir été ,
non de découvrir cette solution , dont Platon avait déj à dessiné
le cadre et qui était la seule compatible avec les intuitions de la
théologie astrale, mais d 'assimiler à une expérience familière
- celle du désir eL de l'amour - ces « forces admirables » dont
parlait Platon .
On voi t tout de suite les avantages de cette solution. Le
fai t que Dieu agisse comme cau!le finale nous dispense de fournir
§ 3. Ontologie et théologie
( 2 ) AOn, 1peut
(1) , 1 069 a 35.
conjecturer que la division encore assez sommaire du livre A
est antérieure à la division plus rigoureuse de E, 1 . Dans ce dernier texte,
Aristote, non content de distinguer la théolo �ie de la physique, se préoccupe de
la distinguer aussi de la mathématique, qm, comme elle, porte sur des êtres
immobiles : la différence, précisera ici Aristote, est que la mathématique porte
sur des êtres immobiles, mais non séparés, alors que la théologie porte sur l'être
immobile et séparé. Cf. p. n.
36, 2.
(3) Notamment W. JAEGER, Aristoleles, p.226 ss. , et déj à H. BON ITZ,
In Melaph. (ad. 1026 a 23-32) et P . N ATO RP , Thema und Disposition der aristote
Jischen M etaphysik, Philos. Monalshe(le, XXIV, 1888, p. 37-65, 540-574.
E,
(4) 1, 1026 a 23.
(5) • Zwei grundverschiedene Gedankeng!inge sind hier hineinanderge
schoben • (p.
227). On remarquera qu'ici W. Jaeger, corrigeant son propre schéma
évolutif, semble parler de deux cheminements parallèles, et non de deux points
de vue successifs.
370 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
( 1 ) E , 1 , 1 026 a 3 1 .
( 2 ) 1 026 a 26.
ONTOLO GIE ET Tll /ÎOLO G J E 37 1
en traite. Lorsqu 'il « dé finit » l'être en tant qu'être, c'est touj ours
de fa çon négative, comme l'être qui n 'est pas ceci ou cela, mais
sim plem ent (ri.'lt'Àùlç) être. Que n'est donc pas l'être en tant
qu' être ? On pourrait penser q u 'Aristo te , voulant viser par là
l'être dans son unité la plus hau te, nierai t de lui les divisions
également les plus hau tes de l'être : l'être en tan t qu'être serait
ce lui qui n ' est ni sensi ble ni suprasensible, ni corruptible ni
incorruptible, ni mobile ni immobile, ni non-séparé ni séparé. C'est
bien ainsi que l'entendra l'ontologie médiévale lorsqu ' elle définira
l'ens commune comme celui qui est commun au sensible et à
Dieu ( 1 ) , et qui n 'est donc ni sensible ni divin. Mais nous ne
trouvons rien de tel chez Aristote. É tudier l'être en tant q u ' être,
c'est l'étudier en tant qu 'il est ê tre, « et non en tant que nombres,
lignes ou feu (2) ». On dira qu 'il ne s'agit là que d 'un exemple,
mais le choix en est signi ficatif : les nombres et les lignes se
réfèrent aux mathématiques, le feu à la physique. Aristote semble
vouloir dire que l'être en tant qu'être est l'être qui n 'est pas envi
sagé en lanl que mathématique ou physique, mais qui est en fait
aussi mathématique ou physique, c'est-à-dire sensible. Le divin
est passé ici sous silence comme s'il n'entrait pas dans le domaine
à propos duquel se pose le problème ontologique. Le même
silence signi ficatif se renouvelle lorsqu'il s'agit de caractériser
le statut de la science de l'être en tant qu'être. Celle-ci s'oppose,
avons-nous vu , aux sciences particulières, dont elle est en même
temps le fondement commun. M ais à q uelles sciences est-elle
opposée ? Aux mathématiques (3) , à la physique (4) , à la méde
cine (5) , aux sciences clianoétiques en général ( 6 ) , j amais à la
théologie ( 7 ) . Ce silence a pu induire en erreur les commen ta
teurs : si la science de l'être en tant q u ' ê tre n'est pas opposée
à la théologie , c'est, ont-ils pensé , que les deux sciences se confon
dent. M ais ils se condamn aient alors à ne pas comprendre
pourquoi la théologie é tait ensui te définie comme étant elle
même particulière , portant sur un genre (8) et non sur l'être
en tant qu'être. Il nous semble plus vraisemblable d ' admettre
que, lorsque Aris to te songeai t à constituer une science de l'être
l)
41
Cf. I •• Partie, chap. I I I , p. 279, n. 5.
I 2)3) l,
r, 2, 1 004 6.
b
l,
I', 1 003 a 26 ; E, 1 025 4. b
E, 1,
1 025 b 18.
5 1 025 b 4.
6 1025 b 6 .
7 On ne peut ranger la thôologie parmi l e s sciences dianoétiques. Si, en
effet, la contemplation (Oe:wploc.), acte du voüç, non d e la 8dvwx, est donnée
quelque part, c'est bien en elle.
(8) Comparer E, l, 1026 a 1 9 ss., et E, 1, 1 025 8. b
372 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
l
( l Cf. Conclusion.
(2 A, 6, 1071 b 4, etc.
ORI GINES DE L ' ONTOLO GIE 373
(1) Nous ne pensons pas que les dernières lignes d e 0 , 1 0 (1052 a 4-1 1 )
ébranlent en quoi que ce soit cette interprétation. Aristote veut y montrer
que les êtres immobiles ( &.xLV'l)Tœ) ne donnent pas lieu à • erreur selon le temps •
( ��cXT'I) xœ-rdt -rà �6-.e), puisque ce qui est une fois vrai à leur égard l'est tou
JOUrs. Certes, ce développement parait ici déplacé (à tel point qu'on pourrait
se demander s'il ne s'agit pas d'une interpolation), puisqu'il ne décide pas de
ce qui est en question : les &.xLv'l)-rœ sont-ils ou non des a6v6e:-rœ ? le faux à leur
égard est-il erreur ou ignorance ? On peut cependant interpréter ces lignes
comme introduisant une possibilité intermédiaire valable (comme les exemples
le montrent) pour les êtres mathématiques : de tels êtres peuvent être sujets
d'attribution, mais il s'agit ici d'une attribution éternelle. En tant qu'attribu
tion, elle semble dépendre de l'aete humain d'attribuer et comporter de ce fait
la possibilité de l 'erreur ; mais en tant qu'éternelle, elle constitue u n rapport
objectif (par exemple, entre l 'essence du triangle et ses propriétés), qui ne peut
qu'être ou ne pas être l'objet d'une saisie intuitive (6iyeï:v) : le faux n'est donc
pas iei erreur, mais i (.1 norance. Certes, poursuit Aristote, l 'erreur peut ici s'intro
duire du fait qu'à 1 intérieur d'une même espèee d'êtres mathématiques, cer
tains ont telle propriété, et d'autres telle autre (par exemple, parmi les nombres
pairs, il en est qui sont premiers, et d'autres non). Mais cette possibilité d'erreur
disparait dans le cas de l'être numériquement un (c'est-à-dire qui n'est pas
diversifié par une matière) : car on ne pourra pas dire de lui qu'il est ceci ou
cela, mais seulement saisir (ou ne pas saisir) • sa manière d'être permanente •
(C::. c; &.et oôni>c; lxov-roc; ; on remarquera qu'Ar. ne dit p as C::. c; &.e:t -roioo-rou
lSv-roc;, évitant soigneusement la formule de l'attribution) . Ces lignes obscures
confirment donc finalement, quoique d'une manière détournée, l ' idée centrale
du chapitre : l'immobilité (et il faudrait aj outer : l 'immatérialité) transforme
l 'attribution en saisie intuitive ; le
dire-de lui-même se résorbe ici dans un
dire
et la fausseté de la
proposition se ramène ici à une ignorance.
!2) 0, IO,
1051 b 30.
3) Telle est aussi l'interprétation de ce 1;> assage par A. FAUST,
Der Môglich
I, p.
keitsgeda11ke, 216, 359 (selon qui la doctrme de 0,
10, concernerait la connais
sance de Dieu et, qui plus est,
par l11i-meme : cf. A,
7, 1072 b 21, où Je même
verbe füyy&.ve:Lv désigne la • rencontre • de l'intelligible et de l 'intelligence).
Cf. aussi P. M ERLAN ,
From Plalo11ism Io Neoplatonlsm, 158-159. p. - Le verbe
6iyy&veLv, sous la forme de l 'aoriste füyeï:v, est encore employé par Théo
p hraste, dans un contexte également « théologique •, pour désigner la saisie
par l'intellect des • êtres suprêmes et premiers • (&xpœ xœt �pù'>-rœ) : Mét., B,
9 b 13 (cf. 9
b 10).
376 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
dont Aristote fait, par ailleurs , une des deux grandes régions
du monde.
La conséquence en est claire. Si l 'ontologie est une ré flexion
sur le discours humain, si ce discours est essentiellement un
discours attributif, si ce discours attributif ne porte que sur
l 'être du monde sublunaire, on conçoit que le proj et ontologique
laisse en dehors de son investigation le domaine de l'être divin.
Certes, Aristote ne tire j amais explicitement cette conséquence ;
mais , si l'omission du divin dans le proj et ontologique n'est
pas de droit, elle est de fait et ne doit pas être sous-estimée pour
autant. Certes, Aristote ne dit pas qu'aucun discours sur Dieu
n'est possible, mais il en vient à se demander s'il n'y a pas de
théologie que pour Dieu . Certes, Aristote fait des phrases sur
Dieu , mais ces phrases sont généralement négatives ou, lorsque,
d 'aventure, elles sont positives (comme lorsqu 'il dit que Dieu
est vivant ou est en acte ) , elles ne peuvent être considérées comme
de véritables attributions, mais comme de simples approximations
comportant une part nécessaire de négativité ( Dieu est vivant,
mais il ne connaît pas la fatigue ; Dieu est en acte, Ève:pydqt,
mais son acte n ' est nullement comparable au résultat de l ' activité
artisanale) . Enfin, le thème même de la théologie astrale nous
apprend que Dieu est atteint dans une vision , beaucoup plus
que signifié dans une parole, et qu'ainsi la véritable théologie est
affaire de contemplation : or, là où la contemplation est donnée,
la parole ne devient-elle pas inutile ( 1 ) ? Le discours , et singuliè
rement le discours attributif, n ' est-il pas le substitut d 'une vision
absente ? Et dès lors, au moment même où la transcendance du
divin rend impossible une parole humaine sur lui, ne se trouve-t-il
pas que la vision, encore que fugitive, que nous avons de lui,
rend inutile cette parole impossible ?
Ainsi comprendrait-on que, quoiqu 'elle n'exclue pas en
droit le divin, puisque le divin est aussi de l'être, l 'ontologie
puisse le négliger en fait. Rappelons-nous l'origine de la théorie
des catégories. Aristote s'appuie, pour l'établir, sur une analyse
des propositions portant sur le monde sublunaire : telle chose est
bonne ou mauvaise, blanche ou chaude, grande de trois cou
dées (2) ; Socrate se promène, se porte bien (3) , est assis (4) .
C' est d ans des phrases de ce genre que l'être signi fie difTéremment.
Et lo rsque Aristote s'efforce de dresser une table systématique
des catégo ries, autres que l'essence, il ne voit en elle que des
« affections » de l 'essence , une « voie » vers l 'essence, des « corrup
tions » ou des « privations » de l'essence , des « causes efficientes ou
génératrices » de l 'essence ou de ce qui se rapporte à elle ou
enfin des « négations » de l 'essence ( 1 ) : toutes expressions qui
se réfèrent soit à des mouvements, soit à des procédés du discours,
comme la négation (2) , et ne peuvent donc s 'appliquer en aucun
cas à la sp hère de l 'immuable, que n ' affecte pas au surplus la
négativi té du discours humain. C'est dans la Phys ique d 'Aristote,
et non dans sa théologie, que l'on trouvera donc les linéaments
de sa doctrine des catégories. Certes, on a pu montrer que la
structure des deux premiers livres du De Coelo pouvait s 'ordonner
suivant une série de questions qui ne sont pas sans rappeler
ou sans annoncer la table des catégories. Mais M. Moraux, qui
a fait cette découverte (3), a dressé à cette occasion, sous la
forme d ' un plan de ces deux premiers livres, une liste de réponses
d 'Aristote, dont Je caractère le plus souvent négatif, con firme
presque entièrement notre propos (4) : ainsi , à la question de
la qualité (7toÎ:ov) , Aristote répond que Je Ciel n 'est ni léger ni
lourd ( olhe xoucpov o1'n �ocpu ) , qu'il est ingénérable et incor
ruptible (&yév'IJ'TOV xoct &cp6ocp'Tov) , incapable de croissance
(&vocu�éç) et d'altération (&vocÀÀoLW'Tov) ( 5 ) . Plus intéressant
encore est Je rapprochement q u 'institue M . Moraux entre Je
De Coelo et une tradi tion dialectique, qu'il fait remon ter à
l'éléatisme, qui consistait à procéder à l'examen d ' une chose
sous plusieurs points de vue successifs, où l'on peut déj à
Dieu, celle de l'essence : or nous verrons plus loin que l'essence cesserait
d'être une catégorie La doctrine des catégories n'est pas
si elle était la seule.
née d'une réflexion sur l'essence, mais sur une essence qui n'est pas seuteme11t
essence.
(ll r, 2, 1 003 b s-9.
(2) La négation est elle-même mouvement. cr. Conclusion, p. 492-494 .
(3) P. l\I oaAux, Recherches sur le De Coelo d'Ar. : obj et et structure de
l'ouvrage, Rev. thomiste,1 9 5 1 , p . 1 70- 1 96.
(4) On pourrait s'étonner que nous nous satisfassions de cette approxima
tion : en réalité, le De Coe/o n'a pas à illustrer entièrement notre thèse. Portant
sur les êtres éternels, muis s1msibles et doués de mouvement (ce mouvement
fût-il circulaire), il nous parle d'une région qui, comme nous l'avons vu, n'est.
divine que par un de ses aspec ts et relève, par l'autre, de la pll11sique. Il n'en
est que pl u s caractéristique q u e la • physique » céleste apparaisse le plus sou
vent comme une négation de la physique terrestre.
(5) Art. cil., p. 1 75.
- Bien que 1\1. Moraux ne le fasse pas entrer dans le8
ti tres de son plan, il faudrait évidemment aj outer ici l'important passage du
De Coelo, 1 , 9, sur les réalités qui sont au delà du Ciel, plus divines donc que le
Ciel lui-même, et r1ui ne comportent • ni lieu ni vide ni temps • (279 1 2 ss. ) .
a
378 LA SCIENCE INTRO UVA BLE
( 1 ) .tir/.
cil., p . 1 77- 1 79.
l••
12) Parménide, 137 c ss.
(3) Cette démonstration est l'obj et de le première partie du traité de GOR
GIAS, Sur le 11011-etre (cf. supra Pertie, chep. I I , § I, p . 101 ss.).
(4) Art. cit., p . 1 78 .
JNAPPL ICA BIL ITÉ D ES CA TÉ GORIES A U D I VIN 379
( 1 ) P. 1 76.
(2) C'est aussi l enseign em en t que l'on p o u rra i t tirer de la partie appa
'
( 1 ) Ainsi à propos de la phrase �>< 'l:oLor:U't"'l)t; &p or: &px�i; �p't"'l)'l:or:L 6 oôpor:vbi;
( A,
><or:t � qiucrLt; 7, 1 072 14), où qiucrLt; ne nous paraît s1gmfler que le Ciel et non
b
le monde sublunaire (cf. plus haut § 2, p . 349, n. 4 ) .
A,
(2) 10, 1 075 a 1 1- 1 6 .
(3) On remarquera qu'ici encore Aristote songe surtout à l 'ordre céleste :
il n'est pas question des mouvements désordonnés du monde sublunaire. Néan
moins, il semble bien que le mot • génération • fasse allusion à un phénomène
propre au monde sublunaire, mais envisagé dans son ensemble. Nous verrons
précisément p lus loin comment la succession cyclique des générations est ce
qu'il y a d ' • mtelligible • dans le monde sublunaire.
382 LA SCIENCE INTRO UVA BLE
( 1 ) Ce caractère a été bien mis en lumière à propos du m:pl !8&wv par P . W1L�
P ERT, Zwei aristotelische Frühschrifte11 über die Idee11lehre.
(2) Cf. M I C H EL n ' EP H ÈS E ( Ps.-Alexnndre), 824, 18 (ad N, 5, 1 092 Il 1 1 \,
(3) 8, 24.
IMPOSSIBILITÉ DE LA « D ÉD UCTION » 385
(1)(2) A 2, 356, 3. 1.
13) 1072, 6, 1072 17.
Cf. les exemples donnés en ll. ,
(IlCf. Il , 1 , 1 0 1 2 34-35.
b
(2 A, 4, 985 a 17 (où Ar. critique la conception d'Anaxagore).
DIE U COMME IDÉ A L 387
( 1 ) Pol.1.. I, 6, 1 255 b 2-3 : ' H 8è: cpuaLç �ouÀe-rcxL µè:v TouTo TtO LEîv, TtOÀÀ<huç
µ�V't'O L OÔ llUVCX't'CXL.
(2) Gen . animal., IV, 767 b 13 : • La monstruosi té n'est pas nécessaire
3,
par rapport à la cause qui est en vue d'une fin ( = la causalité final(l envisagée
du pofnt de vue du suj et ) ni par rapport à la causalité de la fin, mais elle est
nécessaire par accident. • Sur le double sens de Tb oi'i é!vExcx, qui désigne tantô t
le sujet pour qui est la fin, tantôt la fin elle-même, cf. A, 7, 1 072 ss.
b l
(3) A la lim ite , on pourrait a pp l iquer à l 'aristo télisme ce que M. Merlan dit
du platonisme, à savoir que la • possibilité • d'un système dérivatif (Ablei
tungssystem) y est incluse (P· 1 67- 1 68) : de fait, les néo-platoniciens po ur ron t
reprendre littéralement mamtes formules d'Aristote pour en tirer un système
LES É CHE CS DE LA NA T VR R 38!)
"'
"' "'
ici qu 'il s 'agit de résoudre une « aporie soulevée par les choses
sensibles » ( 1 ) , et qu 'il n'est nullement montré quel rapport le
suprasensible, dont on demande d ' admettre l 'existence, entretient
avec le sensible, qu'il s 'agit d ' expliquer.
Un peu plus loin, Aristote semble revenir sur la même idée ,
lorsque, cherchant de nouveau la raison de !' « égarement » dans
lequel sont tombés les philosophes déj à visés , il la situe dans le
fait qu' « ils ont cru que les êtres étaient seulement les êtres
sensibles » (2) . Mais aucun usage n 'est fait par Aristote de l'exis
tence ainsi implicitement affirmée d ' êtres suprasensibles. Car
c 'est de nouveau au niveau du mouvement lui-même qu'il va
rechercher et trouver la solution des difficultés soulevées par le
mouvement. Si tout était en mouvement, il n'y aurait pas de
vérités stables. Mais, en réalité, le mouvement suppose une
certaine permanence de ce qui change ; « ce qui cesse d'être
conserve encore quelque chose de ce qui a cessé d 'être, et, de
ce qui natt, déj à quelque chose doit être » (3) . On retrouve ici,
encore que sous une forme implicite, la distinction de l 'être en
acte et de l'être en puissance : chaque moment du mouvement
est en puissance le moment suivant et est en acte ce que le
moment suivant était en puissance. L 'argument qui suit (les
êtres peuvent changer en quantité et conserver la même forme,
qui seule est principe de connaissance (4) confirme que c'est
bien au niveau du monde sensible qu 'Aristote veut ici fonder la
possibilité d 'une connaissance vraie. On n'en est que plus étonné
de voir invoquée aussitôt après, comme s'il s 'agissait d'un argu
ment supplémentaire, l'existence d ' une nature immobile que les
philosophes mobilistes auraient méconnue : « Nous pouvons
encore adresser une autre critique à ceux qui professent cette
opinion [de la vérité des contradictoires] : c 'est d 'étendre à
l ' univers entier (nept 15/..o u 't'OÜ o ô patvoü) des observations qui ne
portent que sur les choses sensibles, et même sur un petit nombre
d 'entre elles. En effet, la région du sensible qui nous environne
est la seule qui soit sujette à la corruption et à la génération,
mais ce n'est même pas, pour ainsi dire, une partie du tou t (5),
de sorte qu'il eût été plus j uste d 'absoudre le monde sensible en
faveur du monde céleste, que de condamner le monde céleste
( 1 ) 1 009 a 22.
(2) 1 0 1 0 a 1 .
(3) 1 0 1 0 a 18.
(4) 1 0 1 0 a 24.
(5) ARISTOTE j oue ici sur les deux sens du mot oup<Xv6c; (De Coelo, I, 9,
278 b 9-22) : Univers au sens large, Ciel au sens étroit. Le sensible est bien une
partie de l'univers, mais non du Ciel.
PA SSA GES TH ÉOLO G IQ UES D U LI VRE r 393
l From
(1)
r 1010
(2 r,, 5,
s, 1012b
a 25-32.
30.
(3 Plato11ism ta Neoplatonism, p. 1 39.
(4 Ibid., p . 1 40.
394 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
! 1)
A, 1 , 1 069 a 30 ss.
2) 5, 1071b 1.
3 ) 1071 5 .
Ab,
(4) Cf. 1 0 : i l s'agit d'expliquer l a
génération ( 1 075 16), l e
b mouvement
( 1 075 28),
b l'étendue et la
conlinuilé ( 1075 29) .
b
(5) Cf. 1 075 3 8 ss. : Il s'agit de savoir si l'Univers est une « série d'épisodes »,
b
c'est-à-dire • une succession infinie d'essences et de principes ditTérents pour
chaque essence •. C'est très exactement le problème qu'Aristote semblait déjà
avoir résolu dans la première partie par le recours à l'analogie.
(6) Cette transition semble avoir abusé W. Jaeger, qui en conclut que la
A
première partie du livre n'est ni théologique ni ontologique (l'idée de l'ontolo
gie n'étant pas encore apparue, selon lui, chez Aristote), mais seulement phy
sique (p. 229-230). En réalité, nous avons vu que la question débattue dans ln
première partie, celle de la communauté des pl'incipes, est la question fonda
mentale de l'ontologie, qui n'en connaît point d'autre.
A,
(7) 4, 1 070 34.
b
ONTOLO GIE ET THÉOLO GIE A U L I VRli A 399
obscure, le premier moteur ; dès lors, l 'unité qui est en lui subsis
tante ne serait-elle pas le moteur caché de la recherche humaine
de l'unité ? L'unité originaire du divin ne serait-elle pas le modèle,
( l) A, 5, 1071 a 33-35.
(2) A, l, 1 069 a 20.
PR I 1VIA U TJt'; ET A NA L O G I E 40 1
( 1) Ce point a été bien souligné au passage par M . Ross dans le bref commen
taire qu'il donne de ce passage dans son Aristote ( tr. franç., p. 246) : Aristote
•
fait remarquer que, si l'on fait abstraction de la cause première, les choses
appartenant à des genres difTérents n'ont les mêmes causes qu., d'une façon
analogique. La tMorie de la cause première et celle de l'r nalogie, que la
•
tradition a souvr.nt confondues, son t si peu idr.ntiques que celle-ci n'a de sr.ns
que comme substi tut de celle-là.
A,
(2) 5. 1 0 7 1 n ::i::i.
402 LA SCIENCE INTR O U VA BLE
( 1 ) A , 9, 990 b 34. Cette formule semble venir du Ttept !Be&>v ; cf. les déve·
loppements d'ALEXANDRE, In Met . , p. 83 ss. , not. 9 1 .
(2) Cf. L. R o e I N , L a théorie platonicienne , p . 627 ss.
...
406 L ,.L SCIENCE INTRO U VA BLE
( 1 ) Est séparé ce qui ne dépend pas d'autre chose et dont les autres choses
dépendent. On remarquera que c'est la définition même du principe (cf. Intro d . ,
p . 5 0 ss. ) . Dire q u e les essences sensibles sont • séparées •, c'est donc signi
fier g ue Io sensible est son pro p re fondement.
(2) Cf. l'analyse du xtx6'txÔT6 en Il., 1 8, 1 022 a 24-36, notamment 1 . 35 : 8Lb
1 l Phys.,
-rb KEJ(c.>pLaµ�vov xtx6'tx6Tb .
3 ) Z, 3, 1 029 a 28 ; 1 4, 1 039 a 32.
4 1, 2, 1 85 a 31 : Oô6àv yàp Tùlv &lloov l(c.>pLO"L"6v �O"L'L ntxpà TI)v oôa!txv.
6 Categ., 5, 2 b 5 ; A, 5, 1 0 7 1 a 36.
LES DH GR ÉS lJE L' UN I TE: 409
PHYSIQUE ET ONTOLOGIE
OU LA RÉALITÉ DE LA PHILOSOPHIE
§ 1. L e mouvement divisant
( 1 ) Ennéadu, VI, 1 , 1.
L ' V:'V ET LES r:A T É GOR I RS 413
tionnel pour nier qu'il y ait une métaphysique générale chez Aristote, l'être en
tant qu'être étant assimilé par lui au d ivin et n'étant de ce fait qu' une « espèce
spéciale » de l'être en général (p. 1 5 1 ) . Noue avons déj à discuté cette conception
(qui est aussi celle du P . Owens) au chapitre précédent. A� outons ici que l'être
en tant qu'être nous paratt également • spécial », puisqu il désigne, dans son
unité recherchée, l 'être du monde s u bluna ire, mais I I n'est • spécial •, contraire
ment à Merlan et Owens, que dans la mesure même où il n ' e st pas le divin .
418 LA SCIENCE INTRO U VA BL E
( 1 ) A propos c lu l u duulilé <lu corrup tible c L de J ' i ncorrup lible (p. 3 1 4 ss. ) .
420 LA SCIENCE INTRO U VA BL E
(1)Phys., I , 2, 1 85 a 1 2 : ' Hp.tv 8' ô7toxda6w -r<X cpuae:L 't) mX.v-rcx 't) �vLcx
XLVouµe:vcx e:!vcxL. Dans tout ce qm suit, nous emploierons Je mot mouvement
dans le sens très général que semble bien avoir dans celle formule le mot
xtvouµe:vcx et que confirme l'emploi par la Métaphysique du mot &xlvr,-rov
pour désigner l'immutabilité des réalités intelligibles. Nous ne tiendrons donc
pas compte de la classification que propose A R I STOTE au livre V de la Ph ys q i ue
et selon laquelle la kinésis (passage d 'un contraire à un a11 L1·e) serait, à côté de
la yéve:mc; (passage du non-être à l'être ou de l 'être au non-être) , une espèce
d'un genre qui serait la p.e:-rcx6oÀi), le changement en général (V, l , 225 a 1 2-20,
a 34-b 9 ) . En réalité, Aristote ne s'en tient pas lui-même à ce schéma et emploie
indistinctement x(v'l)atc;, yéve:mc; et µe:-rcxÔoÀ-IJ pour signifier, clans son ensemble,
le p hénomène qui affecte les êtres autres que le divin. Pour éviter toute ambi
gulté en français, il suffit de se souvenir que, dans cette terminologie, le mot
mouvement (pas plus que kinésis en grec) ne désigne le seul mouvement local
( cpo p <i), mais aussi l'alléralion qualitative (cXÀÀo(waLc;), l'accroissement quanti
tatif ( cx !l�'l) aLc; ) el, plus radicalement, la naissance el la mort (yéve:aLc; xixt cpOop&)
elles-mêmes.
(2) Phys., l, 7, 1 89 b 3 1 .
(3) Ibid., I , 7 , 1 90 b 1 0- 1 7 . Que l a discussion sur les principes soi t une
discussion sur les i:>_!'i ncipes du mouvement, Aristote l'atteste en concluant ainsi
cette discussion : TI6acxL µèv oi5v ex! & p:r.cxt -rwv 7te:p l yéveaLv cpumxwv, xixl 7twc;
7t6acxL, e:(p'l)TCXL ( 1 , 7, 1 9 1 a 2 ) .
(4) I I , 1, 1 9 2 li 21 .
LE iVIO U VEMENT DANS LA MÉTA PH YSIQ UE 42 1
*
"' *
( l)Phys., I,
(2) I, 2, 185 2,a 185
17. a 1-3.
(3) 1, 2, 184 b 25.
424 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
( 1 ) ' H µîv 8' ùnoxeLaOoo -ra ipua&L � n&.v-ra: � �via: x1vouµeva: &!va:1 8'ij/.. o v
·
( 1 ) Phys., V I I l , 3.
(2) . . . &cr-re: cr-rép'l) crn; &v et'f) -ro\i 8e:x-rLxo\i (Phys., V, 2, 226 b 10-16).
Cf. I I I , 2, 202 a 3 ; V, 6, début ; V I , 3, 234 a 32 ; 8, 239 a 1 3 ; V I I I , 1 , 25 1 a 26 ;
Mét., K, 1 2, 1 068 23 (cf. K, 1 1 , 1067 34 : le non-être, ne pouvant être mù,
b b
ne peut être dit davantage en repos).
426 LA SC IENCE INTRO U VA BLE
se mouvoir, de telle façon par 11atw·e, de telle autre par co11lrainle ou par
l'intelligence ou par quelque autre cause ( A , 6, 1071 b 35 ; cf. Protrep
•
l)
pouvant être divisé.
Parmén. , 1 38 c.
I
2) 1 38 d.
3) 1 38 Il.
4) 1 39 a.
MO U VEMEN T E T D I V ISIBILITÉ 429
tion ; mais c 'est l 'être qui, à chaque fois, en chacun de ses instants,
se dédouble et se re-dédouble, « éclate », si l'on peut dire, selon
une pluralité de sens, de directions, qui dé finit l ' unité, pourrait
on dire, « extatique », la 7toc/.. ( v't'ovot; Oc.pµov(11 de sa structure ( 1 ) .
( I l Sur le caractère « extati �ue • du mouvement, cf. Plzys., IV, 12, 221 b 3 :
' H s � KLV'l)O"L<; l#aT'l)O"L T O ômxpzov. O n traduit généralement èÇlaT'l)O"L par
df
é ait, au sens de : détruit. Mais le verbe èÇLO"TcXVIXL n'a j amais eu un tel sens.
Selon les dictionnaires de BAI LLY et L m n E LL S coTT - (sub v0) , il signifie : faire
sortir de . . . , mettre hors de soi et, par suite, plonger dans (cf.
l'extase Rlzélor.,
III, 8, 1408 b 6 3 ) . Nous traduirons donc : « Le mouvement fait sortir de soi
même le subsistant. • Le mouvement est ce par quoi le sub-sislanl (TO ôn&px.ov
semble bien synonyme ici de TO ônoxdµe:vov ; cf. Tu o E N D H AT, op. cil., 1 4,p.
n. 3) ne se maintient dans l'être que comme un ex-sistanl. Cette ex-sistence,
1
cette extase, se manifeste dans la structure rythmée du temps, qui est nombre
(221 b 2). Certes, cet • éclatement • de l'être mis • hors de soi • par le mouvement
a pour effet de l'user ( xix-rix-r·ljxe:L, 221 a 2 3 ) , de le • faire vieillir • (y'l)p&axe:L,
ibid.) et finalement de le détruire { cp0opô1.<;,29.1 b l ) , mais ce ne sont là que des
effets de ce qu'il y a de fondamentalement • extatique » dans le mouvement.
Cf. aussi Phys . , IV, 13, ( (J.E:TIXÔOÀ'� s� nôi.aoc cpuae:L ÈKO"TIXTLK6v);
b . 16 1, 3, 406
Coelo, 286 19 ; De222Anima,
I I , 3, a b 13.
De
(2) 6e:'L ônoxe:foOocl TL TOL<; èvixv-r(oL<; (
191 4). a
(3) 190 b 33.
(4) el
Catég., IO 1 1 ; De llztcrpr., 14 ; Mét., IO ; I, 6, 4.
(5) 6, IO, I018 a 26-27.
(6) Cf. J r• Partie, chap.
II, § 4.
434 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
d 'être ce qu'elle était ; elle est détruite en tant que telle ou,
inversement, est produite ; la naissance et la mort sont le mou
vement selon la contradiction ( 1 ) . Les contraires sont donc les
limites extrêmes entre lesquelles une génération réciproque est
possible (2) , réciproque, c 'est-à-dire réversible, et qui, par là,
ne détruise pas l 'unité générique de ce qui devient. Que veut
donc dire ici Aristote lorsqu 'il affirme qu'il « ne peut y avoir de
passion réciproque entre les contraires » ? La négation porte
ici, non sur la passion elle-même (car les contraires pâtissent
l'un par l'autre et c 'est dans cette « passion » que consiste le
mouvement) , mais sur la réciprocité de la passion ; si les contraires
étaient seuls en présence dans le mouvement, l'apparition de
l 'un serait la mort de l 'autre : si le chaud devient froid, il est
détruit en tant que chaud et, si le froid devient chaud , il est
détruit en tant que froid. Ce n 'est donc pas le même chaud qui
est restauré, mais un autre qui est instauré. S 'il n'y avait que
les contraires en présence, le mouvement serait une succession
de morts et de naissances et n 'aurait aucune continuité. M ais
l ' expérience nous apprend que le mouvement selon les contraires
est réversible, sans qu 'il faille voir dans cette réversibilité une
renaissance, mais seulement un retour, non pas la négation
d 'une négation, mais la restauration d 'une privation. Les
contraires, en advenant successivement et en s'excluant par là
même (3) , ne mettent pas pour autant en cause la permanence
de la chose qui devient et qui demeure sous le changement,
ce qu'Aristote exprime par les mots : ûnoxe:fo0oc�, ûnoxe:(µ.e:vov.
La triplicité des principes du mouvement apparaît dès lors
comme la condition de son unité extatique. Si le mouvement
était simplement substitution de la forme à la privation , il
n attrait avec l'apparition de chaque forme et cesserait avec sa
disparition. Mais Aristote repousse une telle conception disconti
nue du mouvement, que Platon avait suggérée dans un passage
du Parmén ide (4) . Ou plutôt ce qui est discontinu , c 'est la
(4) 1 56 de. Le mouvement est ce • tout à coup • ( ��alcpv"l)i;; ) qui est étrange,
parce que • sans lieu • (&To'lt'ov) , et qui fait que quelque chose qui n 'était pas
est là. C'est de cette façon qu'Aristote envisagera, de fait, l'avènement ou la
disparition de la forme (qui survient et disparaît axfl6Vc.>Ç1 �V aT6µ<j> VÜV,
commente le Ps.-ALEX., à propos de Z, 8 1 033 5, 495, 23) . Mais, justement il
b
ne s'agit pas là, pour Aristote, d'un mouvement : la forme 11e devient par (cf.
p . 429, n. 5, ci-dessus).
LES TRO IS PR INC I P F:8
vüv TO otÔTO 1:1 7t0T'ijv et de 219 18 : ToiYro [ TO cp e:p6µe:vov J 8 µèv 7tOTE av TO otÔT6.
b
Aristote emploie, on le voit, les mêmes expressions pour désigner le maintenant
et le mobile (cpe:p6µ,e:vov). Cette équivalence est posée plus loin en principe :
Tij> 3è cpe:poµ�v<t> &xoÀou6e:î TO vüv (219 b 22) . Cf. W. Bnllcrr n n , Aristote/es,
p. 1 03-105.
(5) 2 1 9 b IO.
(6) 2 1 9 b 1 8-2 1 .
LE TEMPS « EXTA TIQ UE » 437
ligne » ( 1 ) . Le seul être qui soit ici en cause est l 'être en mouve
ment lui-même ; il est la réalité dernière en deçà de laquelle on
ne trouverait que le vide du discours si l'on prétendait y décou
vrir d 'autres êtres composants. M ais le discours, qui serait impuis
sant si nous en attendions quelque révélation des éléments de
l 'être, n ' en est pas moins le lieu où se manifeste la structure
complexe de l'être en mouvement, telle qu'elle se fait j ou r à
travers la pluralité des significations du mot être. La thèse phy
sique de la divisibilité du mouvant se traduit ontologiquement
dans celle de la pluralité des sens de l'être ; on ne s'étonnera donc
pas que, dans le livre 1 de la Phys ique, cette thèse ontologique
soit constamment rappelée comme principe de la réfutation
de ceux qui, en supprimant le mouvement, supprimaient par là
même la physique : « Le raisonnement de Parménide est faux ,
parce qu'il prend l 'être absolument, alors qu'il a plusieurs
sens (2). » Ce n'est là cependant qu 'une reconstruction rétros
pective de la démarche d 'Aristote et, par contre-coup , de celle
de Parménide. Parménide n ' a pas ignoré une thèse qu 'il aurait
connue s'il avait lu les livres d 'Aristote ou suivi son enseigne
ment. Mais c'est inversement la carence de Parménide, son silence
devant le mouvement, qui amène Aristote à reconnaître la
signification multiple de l 'être en mouvement ; ou plutôt Par
ménide n'est ici qu'un des moments à travers lesquels la
« contrainte des phénomènes », à laquelle lui-même et ses dis
§ 2. L'acte inachevé
( 1 ) 2'W a 1 9-20.
(2) Phys., 1 , 3 , 186 a 24.
(3) Mét., A, 5, 986 b 3 1 .
( 4 ) Phys . , I , 8 , 1 9 1 b 10.
A CTE ET P U ISSA N CE 439
( 1 ) Ibid., 1 9 1 b 27-29.
(2) 0 , 1 , 1 046 a 1 -4 .
(3) Ibid., 1 0 4 5 b 36.
440 LA SCIENCE IN TRO U VA BLE
( 1 ) 0 , 9 , 1051 a 32.
(2) 0, 9, 1051 a 33.
(3) Z, 7, 1 032 a 25 ; 8, 1 033 b 32 ; 0, 8, 1 049 b 25 ; A, 3, 1070 a 8, 28, etc. ;
Phy1., I l , 1 , 1 93 b 8, etc.
(4) 0 , 8, 1 049 b 24 : • D'un être en puissance un être en acte est touj ours
engendré par un autre être en acte. •
"'
"' "'
( 1 ) On sait que ce sera là un exemple favori des sceptiques, mais dont l'ori
gine est à chercher chez CRATYLE, (cf. I', 5, 1 0 1 0 a 12).
(2) Cf. les 2• et 3• arguments de Z énon dans ARISTOTE, Phys., VI, 9, 239 b 1 1 -
3 3 ( D I ELS, 29 A 26-27 ) .
(3) Tel e s t l e sens de la fameuse aporie sophistique s u r l'impossibilité d'ap
prendre : on ne peut apprendre ni ce qu'on sait, puisqu'on le sait déjà, ni ce
qu'on ne sait pas, puisqu'on ne sait pas ce qu'il faut apprendre ( P LATON,
Ménon, 80 e j ARISTOTE, Anal. pr., I I , 2 1 , 67 a 9 SS. j Anal. post. , 1 , 1 , 7 1 a 29) .
Cf. Introd., chap. I I .
( 4 ) • Il est impossible, semble-t-il, d'être architecte, sans avoir rien cons
truit, ou j oueur de cithare, sans avoir j oué de la cithare » ( 8 , 8, 1049 b 3 0) .
ces colonies que « l'esprit aime » (2) . M ais ce que les Grecs ont
pressenti, c'est que, par un paradoxe dont les prétendues arguties
de Zénon et des sophistes ne sont que la forme la plus radicale,
o n ne part j amais que parce qu'on est déj à parti, on n ' apprend
que ce que l 'on sait déj à , on ne devient que ce que l 'on est. Deve
nir ce que l 'on est, conquérir ce que l 'on possède, apprendre ce
que l 'on sait, rechercher ce qu'on a déj à trouvé, s 'approprier ce
qui nous est le plus propre, nous approcher de ce qui nous est
touj ours déj à le plus proche : la pensée grecque n 'enseignera
j amais d'autre sagesse que celle qui appelle l'homme à partir à la
conquête de ses propres limites, à s'accroître aux dimensions de
ce qu'il est déj à . « Puisses-tu devenir ce que tu es en apprenant »,
nous dit Pindare (3). Et Platon nous rappellera que nous sommes
ce que nous étions touj ours déj à et que nous ne connaissons que
ce que nous avons déj à connu dans une vie « antérieure ». Aristote
examine en deux passages des Prem iers et des Seconds A naly
tiques la célèbre difficulté , rappelée par Platon dans le Ménon (4) ,
sur le commencement du savoir. Après avoir éliminé la solution
« mythique » de la réminiscence, il reprend l 'aporie sous une
ciens nieront tout passage de l'état de folie à celui de sagesse. • Negant nec vir
tutes nec vitia crescere • (CICÉRON, De Finibus, I I I, 1 5 ) ; d'où la conséquence :
• Qui processit aliquantum ad virtutis habitum, nihilominus in miseria est quam
ille, qui nihil processit ( i bid. , 1 4 ) .
•
mais non le problème : rien n'empêche, certes, mais aussi rien n ' ex
plique que le savoir comporte la dichotomie du particulier et de
l 'universel , et l 'être en général celle de l 'acte et de la puissance.
Du moins ce qu'il y a de problématique dans le problème se
trouve-t-il, pour la première fois par Aristote, logiquement défini.
M ais cette logicisation des termes du problème, loin de l' affadir
et, finalement, de l 'exténuer, ne fai t au contraire qu 'en accentuer
les contours ; une fois éliminées les difficultés « logiques » , c'est-à
dire issues d'un usage encore incertain du langage, le problème
n'est plus que ce qu'il est : un problème cc physique » , c'est-à-dire
issu de la nature des choses, et qui exerce sur nous une contrainte
dont le principe n'est plus à chercher dans les mots, mais dans
l'être , du moins dans l'être en mouvement des choses naturelles .
•
• •
n ' a plus de lieu (&'t'o7tov) , l ' une des deux voies de l 'aporie , il affir
maient, dans un argument que Platon nous rapporte dans l'Eu
thydéme, que le devenir n'est pas devenir, mais suppression de
l'être , non pas naissance, mais mort. C'est encore l'expérience
de la mathesis et de la 8t8ocaxocÀ(oc, du rapport du maître et du
disciple, qui fournit ici encore l'occasion de l 'aporie. A ceux qui
veulent instruire Clinias, c 'est-à-dire, d'ignorant qu'il était, le
rendre savant, le sophiste, qui parle ici par la bouche de Socrate,
obj ecte : « Vous voulez qu'il devienne savant et non ignorant . . .
Vous voulez donc qu'il devienne c e qu'il n ' est pas e t qu'il n e soit
plus ce qu'il est à présent . . . Puisque vous voulez qu'il ne soit
plus ce qu'il est à présent, c'est que vous désirez sa mort ( 1 ) . »
Le devenir est donc un meurtre , dont le discours prédicatif est
l'instrument : lorsque Clinias devient savant, l 'ignorant meurt en
lui. L' enfant meurt en devenant adulte. M ais l'assurance de ces
formules en dissimule mal l'embarras. Car qu'est-ce qui devient
savant ou adulte, si ce qui devient n'est plus ? L ' autre voie de
l'aporie nous amène, en effet, à dire que c ' est le même qui devient,
comme l'expérience, d 'ailleurs, nous l 'apprend. M ais si le même
devient, comment peut-il être autre ? En termes plus abstraits,
le problème est de savoir si le suj et se perd dans chacune des
déterminations qui lui adviennent, à chaque fois nouveau , mais
à chaque fois mourant, si le devenir est une succession de morts
et de renaissances, ou si une unité subsiste à travers le devenir.
Ici encore Aristote reste plus attentif que Platon à l'embarras qui
parle par la bouche des sophistes, embarras qui n'est pas seule
ment celui des sophistes, mais du philosophe. C'est sans doute en
songeant aux apories de l'Euthydéme qu'Aristote en appelle des
railleries faciles de Platon à un nouvel examen philosophique :
« C'est au philosophe d'examiner si Socrate est identique a
( 1 ) Eulhydème, 283 d.
(2) r, 2, 1 004 b i .
450 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
( 1 ) C'est une éristique issue de l 'éléatisme qui est visée clans l'Eullly
dème ( cf. 284 b, 286 a ss. ) . Sur les M égariques en particuli er, cf. infra.
(2) I', 3, 1 005 b 25 ; 5, 1 0 1 0 a 1 1 SS. ; 7, 1 0 1 2 a 24 ; 8, 1 0 1 2 a 34 SS. ; Pli y s . ,
1, 2, 1 85 b 1 9 .
(3) Nous ne prétendons pas ici plus qu'ailleurs apP.récier l'exactitude
historique des jugements d'Aristote sur ses prédécesseurs : li est manifeste qu'il
tend durcir en thèses la pensée encore ambiguë des philosophes présocra tiques.
à
H éraclite n'a jamais enseigné la coexistence des contraires (ne serait-ce que
parce que sa philosophie ignorait encore les co11t1·aires) et Parménide, s'il
exclut le chemin de la non-pensée, laisse ouvert le chemin de l'opinion au moment
mllme où il s'engage dans celui de la parole sur l'être (fr. 7 Diels) . H éraclite et
Parménide disent beaucoup plus fondamentalement la même chose que n'affecte
de le croire Aristo.te. Mais il est caractéristique que la méthode d'Aristote
consiste à reprendre le problème dans son commencement, à ressaisir l'aporie
dans son surgissement, au p oint oil aucune dialectique (même lorsque celle-ci
est le fait d'une reconstitution rétrospective d'Aristote) n'a encore distendu, en
en figeant les termes, l'ambiguïté de la problématique initiale. Aristote s'efforce
d 'être plus originaire que Platon et même que les présocratiques.
CR IT IQ UE DES i11É GA JUQ UES 45 1
( 1 ) 0 , 3 , 1 046 b 29.
(2) Cf. la thèse que Cicéron attribue à Diodore : • id solum fieri posse dicit,
quod aut sit verum aut futurum sit verum ,, (De Falo, V I I , 1 3 ) . On peut cepen
dant supposer que cette formulation • logique où le possible est défini par
"•
Mégariques dont parle Aristote au livre 0, qui, eux, ont pu songer à la possibi
lité réelle, conformément au sens premier de 8uVQ('t'6v. Nous ne pensons pas
qu'Aristote puisse déj à critiquer Diodore au livre 0 de la Métaphysique,
contrairement à Faust (Der Môglichkeitsgeda11ke, t. I, p. 35). I nversement, c'est
plutôt Diodore, qui renouvellera contre Aristote la vieille thèse des M égariques
(cf. BRÉHIER, Hist. de la philos., 1 , p. 266 ; P.-M . ScHU H L, Le dom inateur et
les possibles , p . 33-34) .
( 3) Cf. J . Sou l LHÉ, Btude sur l e terme Dunamis dans les dialogues de Platon,
Paris, 1 9 1 9 .
( 4 ) L e possible • logique • n'est tel q u e parce qu'il peut se déployer llbroment
dans le discours. Inversement, le contradictoire se révélera progressivement
comme l'impossible • logique • p arce q u'il arrête le discours, l'empêche de déve
lopper plus avant son • pouvoir •. Amsl la possibilité logique n'est-elle qu'un
oae particulier de la puissance : celle du discours.
452 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
assis (4) . » Pour avoir voulu que Socrate fût un, ils l 'ont en fait
dédoublé en un Socrate assis et un Socrate debout, entre lesquels
il n'y a d 'autre passage que la naissance de l'un et la mort de
l'autre. Ainsi la rigidité mégarique, héritière de la rigidité éléa
tique, fragmente-t-elle le monde en une pluralité indé finie
d 'existences disconlinues (5). Le mouvement impose ses disso-
1 0 3, 1047 a 14.
2 1 046 b 33-1047 a 4.
3 1047 a 8-10.
4 1047 a 14.
5 Ce mouvement de fragmentation de l'unité parménidlenne, qui n'est
pas Infidélité à l'éléatisme, mais au contraire sa conséquence, a fort bien été
dégagé par Aristote à propos des atomistes. Cf. Gen. el Corr., I , 8, 325 f'1. 23.
D ÉFIN ! T TO IV nu MO U V E MF:.Y T
a 24).
454 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
( 1 ) Phys., I l l, 1, 20 1 a IO.
( 2 ) Phys. , I l l, 2, 20 1 b 32; cr. V l l l , 5, 257 b 8 ; Met., 0 , 6, 1 048 b 29.
( 3 ) Ceci en dépit de la transition assez superficielle et maladroite de Phys.,
I l l , 4, 202 b 30-36, selon laquelle l'étude de l'infini se rattacherait à celle du
mouvement parce que celui-ci, comme la grandeur et le temps, peut être soit
infini soit limité ; car alors on attendrait tout aussi bien une élude de la notion
de limite. En réalité, l'étude de l'infini s'impose ici parce que le mouvement (ainsi
que la grondeur et le temps, qui n'en sont que des aspects) est toujours indé
finiment divlsihle ( d!neLpov >c:O('t'Oc 8L°'(peaLv), même lorsqu'il est fini selon l'exten
sion ( >c:O('t'Oc np6a6emv). (Sur cette distinction, cf. Phys., I I 11 4, 204 a 6 ; li ,
206 a 25-b 33 ; 7, 207 a 33-b 2 1 . Sur l'infinité du mouvement et du temps, cf.
I I I , 8, 208 a 20 : 'O Sè xp6voç x°'l i) x!vl)aL<; &neLpoc iaTLv.)
(4 ) I I I, 61 206 a 22. Cf. 206 a 33 : de( ye �epov x°'l l!Tepov.
MO U VEMENT ET INFIN I TÉ 455
§ 3. La scission essentielle
( 1 ) z, 3, 1 028 b 33.
A,
(2) 8, 1017 b 1 0-26.
(3) Ce sens est encore fréquent dans la Politique et l'El11ique à Nico maque.
(4) Cf. M. H EI D EGGER, Introd. à la métaphysique, p . 7 1 , 82, 221 . Pour Je
1·approchement d ' oôatoi: et de 'EaT(oi:, cf. P . - M . ScH U H L, Le joug du Bien, les
liens de la nécessité et la fonction d' Hestia, in Mélanges Ch. Picard (reproduit
dans Le merveilleux, la pensée et l'action, p . 1 38) ; M . H EIDEGGER, op. cil., p . 82 ;
V. GoLDSC H M IDT, Essai sur le Cratyle, p. 1 2 1 -22 (à propos de Cratyle, 40 1 be).
r.r. aussi PLOTIN, Ennéades, V, 5, 5 : L 'être premier est oôatoi: xoi:l ÈO"t'(oi: cbtavTwv.
(5) Z, 3, 1 029 a 2.
(6) z, 3, 1 029 b 32.
(7) 1 029 b 34.
LA F O RJ\1E 459
discours : la forme d 'une chose , c ' est ce qui peut en être circons
crit dans une définition (Myoc;). L'assimilation, pourtant si
problématique, du mot et de la forme finira par aller de soi ,
comme en témoignera la traduction ambiguë de Myoc; par ratio
et même quelquefois par forma ( 1 ) .
Qu 'en est-il maintenant de ce qu'Aristote appelle -ro -rt �v
elvcxt et que nous traduirons, faute de mieux, par qu iddité,
bien que la format.ion latine de ce mot laisse échapper l 'essentiel
de la formule grecque. Aristote nous en donne d 'emblée une
définition « logique » , c 'est-à-dire approximative et qui ne va
pas encore au cœur de la chose (2). C'est, dit-il, « ce que chaque
être est dit être par soi » (3) . Cette définition est doublement.
remarquable dans sa concision. Elle se réfère d 'abord au langage :
la quiddité s 'exprime dans un discours par lequel nous disons
ce que la chose est.. Mais, d 'autre part, tout ce que la chose
est n ' appartient pas à la quiddité , mais seulement ce qu'elle
est par soi, ce qui exclut les accidents ou du moins ceux des
accidents qui ne sont pas par soi ( auµôe:lhp<.6-rcx xcxO' cxu-r<X) (4) .
Ces remarques restent cependant arbitraires, tant qu'on n'en
saisit pas le rapport avec la structure de l'expression -ro -rt �v
e:!vcxt. Aristote , il est vrai , ne s'explique j amais sur ce point,
sans doute parce que l'expression, peut-être forgée d ' ailleurs
dans le milieu platonicien, devait être familière à ses auditeurs.
II n'en reste pas moins que la structure étrange de la formule,
caractérisée à la fois par le redoublement du verbe être et l'emploi
inattendu de l'imparfait, n'est pas née du hasard et qu'elle
comportait déj à par elle-même une signi fication, qui, quoique
peut-être déj à oubliée des auditeurs d'Aristote , devait continuer
d 'animer secrètement l'usage que le maître en faisait. Le silence
d 'Aristote et la concision des commentaires grecs sur ce point (5)
ont donné libre cours à l'imagination des exégètes modernes :
depuis Trendelenburg (6) , c'est par dizaines qu'il faudrait compter
(2) Part. a11im . , 1 I, 3, 649 b 22 : Tt ·�v ixÙTcj) ( - Tcj) ixtµetTL) -rb ixtµocTL e:lvett.
L A Q UIDD !Tg 463
Ménon, 86 e.
(2
(3
l
( 1)
Cf. M, 4, 1 078 b 23.
Ibid. , 1 078 b 19, 28.
(4) Cf. Index arislolelicus, 763 b I O e s .
(5) Cf. Z, 4, 1 030 a 1 -2 (où, soit dit en passant, Tb . e:îvceL est distingué du
..
soi ( auµÔe:Ô'Y)xèc; xcx6' cxô-r6) . Il est manifeste que, parmi les attributs
de Socrate, tous ne sont pas également éloignés de répondre à la
question Qu'es t Socrate ? Si l'on peut négliger les attribu ts pro
prement accidentels, comme le fait d 'être assis ou debout, il n'en
est pas de même de ceux qui , sans appartenir à l'essence de
Socrate, qui est son humanité, n'en sont pas moins caractéris
tiques de ce qu'on peut appeler la « socratéité » : ainsi le fait que
Socrate était sage , heureux, etc. - Si à la question Qu'est
Socrate ? o u , mieux, Qu'éta it Socrate ? nous répondons : Socrate
fut un sage, nous ne dé finissons pas l 'essence de Socrate et, pour
tant, nous répondons d 'une certaine manière à la question, dans
la mesure où la qualité proprement accidentelle de sage n'en est
pas moins attribuée par la tradition à l'essence même de Socrate .
La question -r( èa-rL , entendue au sens strict d 'une question
portant sur le genre, ne suffit pas à satisfaire notre curiosité
concernant l'essence. On comprend donc qu'Aristote l'ait complé
tée par une autre, appelant une réponse plus exhaustive, c'est-à
dire comportant non seulement une attribution générique, mais
encore les déterminations accidentelles par soi que la démons
tration ou l 'expérience nous autorisent à adj oindre à l'essence
proprement dite. M ais il reste à expliquer pourquoi cette seconde
question porte le titre étrange de -. ( �v e:!vcxL et quelle est en
particulier la j usti fication de l 'imparfait �v. Les interprétations ,
ici encore, sont nombreuses : la plus simple, accréditée par les
commentateurs grecs, se réfère à un usage grammatical plus
général et consiste à voir dans �v un imparfait d'habitude. Mais il
resterait à expliquer pourquoi la quiddité d'un être (c'est-à-dire
son essence et ses attributs essentiels) s'exprime par un tel impar
fait, plus encore, pourquoi l 'imparfait en général a fini par signi fier
un état habituel et, par là, essentiel. Quant aux interprétations
philosophiques, nous n'en citerons que deux pour mémoire : la
plus répandue, accréditée par Trendelenburg, consiste à faire
signifier par le �v l' « antériorité causale » de la forme par rapport à
la matière ; le -rl �v signi fierait quelque chose comme : -.( 7toLe:î:
e:lvcxL et, à supposer que la forme détermine la matière et par là
le composé de matière et de forme, on s'expliquerait ainsi que -ro
(-r( �v) e:!vcxL puisse signifier : l 'être de la forme. Cette interpréta
tion nous paratt incorrecte pour plusieurs raisons : premièrement,
elle suppose la construction -ro (datif) e:!vocL, que nous avons
rejetée ( 1 ) ; deuxièmement, elle est liée à une interprétation, qui
7tOLe:i: e:!voct) e:!votL signifie : l'être de ce qui fait êtI"e, mais on ne voit pas ce
que pourrait signifier la question ·d 7tOLe:î e:!votL e:!votL. Si donc l'on repousse
(pou!' les raisons que nous avons données plus haut) la construction To ( . . . )
e:lvotL, il faut aussi repousse!' l'interpI"étation • causale • de l'imparfait.
( 1 ) On compI"end que les interprètes idéalistes d'Aristote se soient tous
ralliés à cette interprétation. Cf. Rodiel' et surtout Robin, qui y voit une
confirmation de son interprétation a11alylique de la causalilé aristotélicienne :
« Le Tt �v e:!votL ou la quiddité, ce n'est pas . . . la forme toute seule et prise
abstraitement à part de la matière. C'est la forme en tant qu'elle détermine
sa matière • ( Sur la conceplio11 arislol. de la causalilé, p. 1 8 5 ) . Robin appuie son
interprétation sur un passage ou Aristote semble distmguer dans le Tl �v e:îvotL
une partie démontrable (parce que • matéI"ielle •, commente Rohin) et une par
tie indémontI"able ( parce que • formelle • et,y ar là, principe de démonstration) :
iflaTe: TO 1.1.�v 8e:U;e:L, To 8'oû 8e:t�e:L Twv Tt 'l)v e:!votL Tw otÛTw' 7tp&yµotTL ( Anal.
posl. , I I, 8, 93 a 1 2 ) . Mais Aristote ne dit pas que l a sépaI" ation entre ce qui
est démontrable et ce qui ne l'est pas dans le Tl riv e:îvotL - ou plutôt • parmi
les Tt �v e:îvotL • - passe entre le Tt �v et le Tl &aTL. - Natorp va plus loin
encore en donnant au �v le sens de l' a priori kantien : il s'agirait de • l'im
parfait de la p1·ésupposition conceptuelle • ( Imperfekt der gedanklichen Voraus
b
setzung ( C. ARrE, op. cil., p. 1 7 ) .
( 2 ) n n e peut davantage admettre, ne serait-ce q u e pour d e s raisons gram
maticales, l'interprétation de BRÉH I ER, qui traduit : • Le fait pour un être de
continuer à être ce q11 'il était • ( Hisl. de la philos., 1, p. 1 99. C'est nous qui souli
gnons) . On attendrait dans ce cas : To IS TL �v dvotL.
(3) Cf. Z, 4, 1 029 b 1 3 . Les au tl'eS textes cités pal' 1\1 . TUGEN D H AT (P/iys.,
2 1 0 b 1 6 - 1 8 et 263 b 7 ss.) sont cependant moins probants, parce qu'il est ques
tion dans le premir.r ras de -ro E:ÎVCY.L e t.. clans le srcond, d r -� oûalot XCY.l To e:îvotL.
466 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
est donc bien ce que la chose était avant l'adj onction des attri
buts proprement accidentels, mais aussi ce qu'elle est après
l 'avènement des attributs par soi, c'est-à-dire de ces attri buts
qui finissent par être reconnus comme appartenant à l'essence
(par exemple, la sagesse de Socrate, la richesse de Crésus, ou la
propriété des angles d 'un triangle d'être égaux à deux droits ) .
Nous pouvons cependant retenir de cette dernière interprétation
l 'idée que l 'imparfait �v représente une limite en deçd de laquelle
ce qui se trouve attribué au suj et doit être reconnu comme
essentiel. En cela, et en dépit de M. Tugendhat lui-même ( 1 ) , nous
ne faisons que revenir au « sens naïvement temporel de l'impar
fait », puisque l'imparfait désigne une continuité de durée s 'éten
dant rétroactivement avant un certain événement servant de
point de repère (2) .
Mais où situer ici cette limite ? Deux text es antérieurs à
Aristote vont peut-être permettre de répon dre à cette question,
tout en apportant quelque lumière sur les origines historiques de
la formule. La première est un texte d 'Antisthène dont l'impor
tance, en ce qui concerne notre problème, semble avoir échappé
aux commentateurs. « Antisthène , rapporte Diogène Laërce , fut
le premier à définir le discours : le discours est ce qui manifeste
ce que c'était, c'est-à-dire ce que c 'est (3 ) . » Ce témoignage
montre au moins que la formule 't'O 't'l �v étai t déj à employée
avant Aristote , qui se serait contenté d'y aj outer l'in finitif E!voc.L.
Mais quel était d 'abord son sens chez Antisthène ?
( 1 ) On ne voit pas ce qui fait dire à M . Tugendhat que • bien entendu, au
cun de ces deux temps (l'imparfait ljv et le parfait auµ6e61p<6c;) n'est à entendre
en un sens naïvement temporel ( p . 18, n. 18 ). Ou plutôt on devine ici une pré
•
tML, au lieu de -ro -rL ·qv 'I\ ta't"L. De plus, cette dernière formule semble se
référer non seulement à une question, mais à une question unique (sans quoi
on aurait -ro -rt ljv i} -ro -rt tML). Si, enfin, Antisthène n'avait pas distingué
entre la question -ro -r! l)v ('I\ tML) (qui est ce q ue le discours révèle) et la
question -rL tML, on s'expliquerait mal qu'Ar. lui attribue la thèse oôx 111-r L
-ro -rL tML bptaaa0aL ( H , 3, 1 043 b 24) . En réalité, seule cette distincti on permet
de comprendre qu'Antisthène admette la définition propre, olxei:oc; Myoc; (6,
29, 1 024 b 32), ce qu'Ar. appellera 6 Àoyoc; 6 8'/)Àwv -ro -rt l)v ElvaL ( 6, 6,
1 0 1 6 a 34. On remarquera l'analogie de cette formule avec celle d'Antisthène ;
çf, aussi Eth, Nic., l i , 6, 1 107 a 5), et refuse toute définition par le genre,
467
OR I G INES DE LA
FORM UL E
stabilité, et c'est pourquoi il le situe d'abord dans la vertu : • Dans aucune action
humaine, en effet, on ne relève une fixité comparable à celle des activités
conformes à la vertu, lesquelles apparaissent plus stables encore que les connais
sances scienti fiques • ( 1 1 00 b 12). 1\I ais, on le voit, le débat avec Solon porte seule
ment sur les degrés dans la stabilité : il reste qu'il n'y a pas de stabilité absolue
dans le monde sublunaire en général et dans les affaires humaines en particulier.
La vertu elle-même est précaire, et c'est une des raisons pour lesquelles • Dieu
est meilleur que la vertu • (Magn. Mor., I I , 5, 1200 b 1 4 1 .
D ISCO URS ET RÉ TROSPECTION 469
Cer tes, cette m é thode d ' inver;Liga tion n'est applicable q u ' à
la qu id dité de l'être vivant. M a i s il est caractéristique qu'Aristote
dé pl ore l ' a bsence d 'une telle situation révélatrice de l 'essence
da ns le c as des êtres inanimés : on voit bien, par exemple,
qu ' « un homme mort n'est homme que par homonymie . . . M ais
to ut cel a se voit moins bien quand il s' agit de la chair et de l'os
et est encore moins visible dans le cas du feu et de l 'eau » ( 1 ) .
Cette remarque, apparemment restrictive, nous permet en
fait de généraliser les remarques précédentes. Elle manifeste, en
effet, une fois de plus, que la quiddité des ê tres du monde sublu
naire en général est pensée sur le modèle de l ' âme des ê tres
vivants : le mouvement est l ' âme des choses, comme la vie est
la forme et la quiddité du corps. Il faudra donc chercher, d ans
le cas des êtres inanimés, un analogue de la mort révélante :
cet analogue, c ' est « l 'arrêt », le « repos », institué dans le mouve
ment universel des choses par ce contre-mouvement (qui est
lui-même un mouvement) que sont l'intellect et d ' abord l 'ima
gination (2) . L ' imagination et l'intellect figent le devenir de
la chose, interrompent le flux i ndé fini de ses attributs et mani
festent par là ce que la chose était, c'est- à-dire sa quiddité , son
essence. Nous avons vu plus haut (3) que l 'essence était établie
n'est également doigt que par homonymie (Z, 10, 1 035 b 24 ) . CC. Calég. , 1, 1 a 2-3 ;
De A11., I I, 1 , 4 1 2 b 1 8 ; Gen. Anim., I , 19, 726 b 22 ; I I , 1 , 734 b 24, 735 a 7 ;
5, 74 1 a I O (les exemples les plus fréquemment ci tés étant l'œil et le doigt).
( 1 ) !vléléor., IV, 12, 389 b 3 1 -390 a 3 ; cf. 390 a 1 0-24 . L ' importance de ce
texte a été bien soulignée par La notion de force . . . , p. 74 : • Il nous
CA R T E R O N ,
manque la mort du feu - ou de chacun des autres éléments - qui, seule, pour
rait nous révéler son âme •, et par J . - M . LE B L O N D , Logique mélhode
el . . . , p. 2.00 :
• I I manque . . . , dans le domaine des choses inanimées, uno des expériences les
plus révélatrices de la nature d'un être, l'expérience de la mort, qui manifeste,
par contraste, la vraie nature de l 'être en question, sa fonction essentielle, sa
forme • ; cf. p. 359-60. Cf. aussi R o o 1 ER , Ill I I , p. 1 53. Mais aucun de
De Anima,
ces auteurs n'a fait le rapprochement entre cette expérience de la mort • et
•
l'imparfait de -r( 'ljv dvœt. Le seul auteur qui, à notre connaissance, ait suggéré
un rapprochement de ce genre est M I C H ELET dans son Examen critique de la
Métaphysique d'Aristote, p. 294-295, mais il en .donne une justification, d'in�pi
ration hégélienne, qui nous parait erronée : • La morl d'un individu est . . . la repro
duction d'un grand nombre d'autres [cf. Hegel : la mort de l'individu est la
naissance de l'espèce] . . . L'existence de la forme substantielle, pour être idéale,
se conserve même lorsqu'elle perd l 'actualité dans (la) matière : Aristote la
nomme donc très bien -rà -r( 'ljv e:!vœt. S i une rose s'est fanée, sa forme
substantielle n'existe plus actuellement ; elle est une détermination passée
(-rl 'ljv) . Mais cet anéantissement de l 'existence extérieure n'a pas nui à la
substantialité intérieure de la forme, elle existe encore (-rà dvat) dans la
ma tière, mais en puissance. • L'intervention de la puissance, qui tend à donner
un sens physique à une formule qui a avant tout un sens nous paraît
logique,
ici déplacée ; il a manqué à Michelet de saisir que le 'ljv se réfère au discours
humain, qu'il désigne donc moins l'antériorité ou la permanence d'une détermi
nation que le caractère rétrospectif de notre considéra tion de la chose.
(2) cr. chap. suivant.
(3) Cf. p p . 430-43 1 .
472 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
• •
( 1 ) Z, 6, 1 03 1 a 1 7.
(2) 1 0 3 1 a 1 9 . Nous ne pouvons admettre l'interprétation restrictive que
11011
donnent de ce passage M. Ross ( I I, p. 1 76) et M. TmcoT (ad /oc . ) , selon la quelle
homme et homme bla n c , par exemple, seraient identiques xa't"à 't"O ôxoxe:!µe:vov,
mais xa't"à 't"OV opLaµ6v. En réalité, ils sont aussi identiques selon la défini
tion, c'est-à-dire selon la quiddité, puisque la quiddité d'homme bla n c ne parvient
pas à assumer la blancheur comme attribut par soi. La conséquence en est
qu'homme blanr., n'ayant d'autre quiddité que celle de l'homme, et ne se confon
dant p ourtant pas avec homme, est différent de sa propre quiddité.
(3) Ces arguments sont. ici les suivants :
1 ) Argument du redoublement infini (argument du troisième homme) :
8i l'on sépare (&.xoMe:Lv, 1 03 1 b 3-5) la quiddité de la chose, cette quiddité sera
elle-même une chose, dont il faudra rechercher la quiddité, et ainsi de suite à
l'infini ( 1 03 1 b 28-3 1 ) ;
2) Argument de la connaissance : si l'on sépare la chose de sa quiddité,
on ne pourra pas la connaître, puisque la science de chaque être consiste dans
•
nelle [qui est celle, notamment, du Ps.-Alexandre, suivi par Ross ) d'après
laquelle Aristote accorderait la sulllsance (die Selbiglœit) de la quiddité e�scn
lielle à une classe de choses auxquelles il ne croit pas : aux Idées Tel est bien
•.
renconll'e entre les deux pl'oblématiques, p u isq u e J ' lx.cxCTt"ov, en tant que sen
s ible, se c on f ond avec le compos é On s'a pe rço i t. alors que la défini tion du ·d
.
-1jv tlvcxt, q u e rappelle M. Brôckel', est en fait irréalisable : la q ui d dit é est bien
quiddité du sin gulie r (et s'oppose par là an ge n re ) , mn i s clans In me s ure o it le
,
·slngulier est composé il est de ces ôtr()s qui ne p eu ve n t coîncider avec leur
, .
demeure quiddité (c'est-à-dire ex p rime ce que le p a rticulier est par soi ) , elle
n'est plus quiddité du particulier (puisque le particulier n'est. pas seulement
par sol) .
( 1 ) Z, 6, 1 03 1 b 3 1 .
(2) 1 0 3 1 b 7, 20.
(3) 1 03 1 a 3 1 -32, b 8-9.
476 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
j amais tout à fait ce qu'il est, ce ne pas être tou t d fait se tradui
sant ici à la fois par la pauvreté des discours essentiels {les
dé finitions) et l'abondance, au contraire indéfinie, des discours
accidentels.
Si telle est l'origine de la séparation qu'Aristote, au moment
même où il reproche à Platon d ' avoir séparé l'être de sa propre
essence, se voit contraint d'admettre au sein de l'essence sensible,
on ne devrait pas s'étonner que le livre Z se poursuive, dans
ses chapitres 7 à 9 , par une analyse du mouvement, dans laquelle
la plupart des interprètes ont vu un hors-d'œuvre, sans rapport
avec le reste du livre ( 1 ). La nécessité de cette analyse est claire
ment reconnue au début du chapitre 1 5 , qui, après un nouveau
développement de la polémique antiplatonicienne, reprend le
fil de la discussion ouverte au chapitre 6. Après avoir rappelé
que l'essence désigne d'une part la forme, d 'autre part le composé
{To cruvoÀov), il aj oute : « Toute essence prise au sens de composé
est corruptible, car il y a d'elle génération (2) . » Si Aristote ne
dit pas que la génération est le fondement de la composition,
il semble bien aller de soi pour lui que toute essence composée
est, par le fai t même, générable et corruptible. Et si Aristote
invoque ici le mouvement pour opposer la générabilité du composé
à l'ingénérabilité de la forme, il est clair que ce n'est pas pour
a ttribuer à l'un des deux un prédicat qu 'il refuserait à l'autre,
comme si le mouvement pouvait advenir à certaines essences,
et non à d ' autres, mais pour montrer que le mouvement est le
fondement de la composition du générable, alors que l'i mmuta
bilité de la forme assure par le fait même son unité. La consé
quence qu'Aristote en tire constitue une réponse négative à la
question qu'il se posait au chapitre 4 : y a-t-il définition des
TRICOT ( Ill Melaph., Z , 7 , nouv. éd. ) , explique que, l e but d u livre étant de
montrer que la forme est inengendrée (chap. 8), il fallait d'abord envisager le
devenir en lui-même. - Ces auteurs n'ont pas vu en réalité : 1 ) Que le but du
livre n'est pas tant d'étudier la forme en tant que telle que de rechercher l'unité
du composé (la démonstration de l'ingénérabilité de la forme n'est icl qu'un argu
ment suplémentaire contre l'unité : comment une forme lngénérable peut-elle
être la forme du générable ?) ; 2) Que l'analyse du mouvement est ici requise
dans la mesure où le mouvement est la source de la divisibilité de l'être, donc
de sa composition, et qu'il est donc l'obstacle principal à l'unité recherchée par
le discours ( bien qu'il rende en même temps le discours possible ; cf. chapitre
suivant) .
(2) Z, 15, 1 040 a 22.
DfiMONSTRA T ION » DE LA D &F IN I T I O !V 4 77
«
( 1 ) Z, 1 7, 1041 a 1 0 - 1 8.
« D ÉMONSTRA TION » DE LA D ÉFl1\TfJOX 479
s'il est constant, peut être tout au plus constaté : ainsi , en est-il
des passions de l'âme, dont chacun sait qu'elles sont des passions
de l ' âme dans un corps , mais sans qu 'on puisse découvrir pour
autant un quelconque rapport de causalité entre la signi fication
de la passion - sa quiddité ou sa forme - et les manifestations
physiologiques auxquelles elle donne lieu . Il faudra renoncer
ici aux dé finitions synthétiques du physicien pour se contenter
de définitions dialectiques, qui, s'en tenant au sens des mots ,
et se contentant de déchiffrer le sens, sont incapables de dé finir,
c'est-à-dire ici d ' expliquer, la composition de ce sens avec telle
matière ( 1 ) . Nous retrouvons ici un nouvel aspect de cette
déficience fondamentale qui fait que la quiddité n'est j amais
totalement la quiddité d'un être qui serait cette quiddité ; la
colère n'est pas seulement la quiddité de la colère , cette âme
de la colère qui consiste dans le mépris et la contestation en retour,
elle est aussi ce tremblement des membres, cette pâleur du visage,
qu' aucune dé finition ne peut assumer, et qui rappellent au
philosophe qui serait tenté de l'oublier que l 'homme lui-même
n'échappe pas à la matérialité , c'est-à-dire à la contingence.
Si la quiddité n'est pas un principe suffisant d ' unité , est
elle du moins une en elle-même ? Ici encore Aristote va déve
lopper longuement, et à plusieurs reprises, une aporie qui ne
sera j amais entièrement levée. De deux choses l'une, en effet :
ou la quiddité est simple ou elle est composée. Si elle est simple,
on ne peut rien en dire, on ne peut même pas la dé finir, puisque
tout discours est composé. Si elle est composée, on pourra la
définir, mais cette dé finition ne suffira pas tant qu'elle n' aura
pas été démontrée. Nous retrouvons ici, à l'intérieur de la quid
dité elle-même , le même problème qui se posait plus haut à
propos des rapports de la quiddité et de l'être. Nous avons vu
que la quiddité pouvait apparaître comme la cause de la compo
sition de l 'être. Mais la quiddité d'un être composé est elle
même composée et requiert donc une cause de sa composition.
La cause a donc besoin d 'être elle-même causée. Cette exigence
n'est d 'ailleurs pas exceptionnelle, puisque la succession des
syllogismes dans la science repose sur une exigence du même
genre : si le moyen terme peut être utilisé comme cause , c'est
que l'affirmation exprimant sa fonction causale a été démontrée
comme conclusion d'un précédent syllogisme , pour lequel la
même nécessité d ' une régression se présentera à nouveau . Mais
nous sentons bien que, dans le cas de la quiddité , nous sommes
( l ) 93 a 13.
(2) 93 a 1 5 . Le mot l.oyLx6c; signifie précisément ici qu'il ne s'agit pas d'une
division physique en éléments, mais d'un dédoublement de sig11ificalio11s.
(3) Cf. notamment, sur le rôle de la dialectique dans l'établissement des
principes, I •• Partie, chap. I I I .
(4) O n voit comment l e fait que l a quiddité soi t à interpréter comme
cause de soi-même manifeste ici sa précarité et non sa perfection . Nous sommes
loin de l'argument ontologique des modernes.
(5) z, 1 5 , 1 039 b 28.
(6) lf>avepov -ro(vuv 6·n �7tt -rwv &7tl.wv oûx foTL ��T'l)CJLc; oû8è 8tlh:Ç1c;
( Z, 1 7, 1041 /J 9 ) . Le texte ajoute, il est vrai, d'une façon un peu contradictoire :
au· f-repoc; 1'p67toc; T'ijc; �'l)T�aeooc; 't'ÙlV 1'0LOU't'()) V . Cet « autre m ode • d'unl'
• recherche • déclarée l'instant d'avant im possible nous parait. (ltre la dialec
tique, et non l'intuition, comme le souti ennent la plupart des commentateurs :
l'intuition est tout le contrai re d'une recherche et., si elle était possible, elle
rendrait toute recherche inutile.
484 LA SCIENCE INTRO U VA BLE
rien dire des è Lres simples parce qu 'ils sont simples ; on ne peut
rien dire des êtres composés, parce que le mouvement qui les
affecte les livre à une contingence fondamentale. Mais il faudrait
ajouter qu'au niveau du monde sublunaire, il existe des noyaux
de simplicité relative, qui sont les essences, et des rapporLs de
composition qui se laissent partiellement rar.1ener à des attribu
tions démontrables. C'est dans cet entre-deux, à mi-chemin de
la simplicité ineffable et de la composition purement accidentelle,
que se meut le discours humain. M ais le mouvement du discours
- et ce sera peut-être là le principe de son salut - est ici à
l'image du mouvement des choses : la simplicité du simple ne
se livre à nous que dans le mouvement par lequel elle se divise.
Parce que nous sommes dans le mouvement, nous sommes à
j amais éloignés du commencement de toutes choses et même
de chaque chose ; mais parce que c 'est le propre du commen
cement de devenir, c'est-à-dire de se séparer de lui-même, l'effort
impuissant de notre discours devant la source touj ours reculante
de la scission devient paradoxalement l'image de cette scission
elle-même. Le simple se perd lorsqu'il se divise ; mais peut-être
se retrouve-t-il dans le mouvement même qui le perd.
CONCLU S I O N
LA SCIENCE RETROUVÉE
en société ( 1 ) , il n'est pas tel qu'il ait besoin d ' amis (2) , il n'est
ni j uste ni courageux (3) et, plus généralement, n'est pas ver
tueux, parce qu'il est meilleur que la vertu (4). Finalement,
en mettant bout à bout ces litanies négatives de la divinité ,
on s'aperçoit qu 'en démontrant l'inadéquation du discours
humain et, plus généralement, de l'expérience humaine aux
perfections de Dieu et l 'impossibilité où est l 'homme de coïncider
avec un principe dont il est séparé par le mouvement, on a
rempli tout un chapitre du savoir, qu'il faut bien appeler théo
logie : ce que nous rencontrons pour la première fois chez Aristote
et dont une certaine tradition fera son pro fit, c 'est qu'une théo
logie s'y réalise paradoxalement en démontrant sa propre
impossibilité, qu 'une philosophie première s'y constitue en
établissant l 'impossibilité de remonter au principe ; la négation
de la théologie devient théologie négative. Seulement, cette consé
quence, que la tradition néo-platonicienne n'aura plus qu'à
découvrir dans les textes d'Aristote, n'est pas expressément
assumée par Aristote lui-même. La négativité de la théologie
est simplement rencontrée sur le mode de l'échec ; elle n 'est
pas acceptée par Aristote comme la réalisation de son projet,
qui était incontestablement de faire une théologie positive.
En d 'autres termes, cette négativité traduit les limites de la
philosophie et non un renversement imprévu de ces limites.
Aristote ne prend pas encore son parti des négations dans
lesquelles ses successeurs se complairont. Le discours négatif sur
Dieu traduit l 'impuissance du discours humain et non l'infinité
de son obj et.
Il n'en est pas de même de l'ontologie. L'échec de l'ontologie
se manifeste, non pas sur un plan, mais sur deux : d'une part
il n'y a pas de i..6y oc; un sur l ' lSv ; d 'autre part, puisque l 'être
en tant qu'être n'est pas un genre, il n'y a même pas d ' lSv qui
soit un. Si nous pouvons répéter à propos de l'ontologie ce que
nous disions plus haut de la théologie, à savoir qu'elle s'épuise,
mais en même temps se réalise, dans la démonstration de sa
propre impossibilité, et qu'ainsi la négation de l'ontologie se
confond avec l'établissement d 'une ontologie négative, nous
devons aj outer ici que cette ontologie est doublement négative :
négative , elle l'est d'abord dans son expression, mais elle l'est aussi
dans son obj et. La négativité de l'ontologie ne traduit pas seule-
( 1 ) Antigone, v. 360.
490 LA SC IENCE RETRO U V ÉE
(2 !
( 1 ) De Coelo, I I , 1 , 284 a 2.
Timée, 37 d.
( 3 Eth. Nic., X, 7, 1 1 77 b 4.
(4 Jbid., 1 1 77 b 51 9 SS.
!
( 5 Cf. Gen . et Corr. , I I , IO, 336 b 25, 32 11.
A MB I VA LENr:E D U MO U VEMEN T 491
!l} De lnterpr., 9, 18 b 3 1 .
2 'Apx� -rwv �aoµbJwv ( i bid., 19 a 7).
3 On ne peut penser qu'Aristote ait p u voir là un argument en faveur
de l'e:i:is!ence de la contingence. Mais celle-ci avait été prouvée par d'autres
voies dans les analyses de la Physique sur le mouvement. On notera que le
De Interpretalione est généralement considéré comme un des derniers écrits
d'Aristote.
(4) 'H y&p qiocv-roca(oc xocl � 86�oc xLv�ae:Lc; TLvèc; e:!vocL 8oxoüaLv (Phys. ,
V I I I, 3, 254 a 29) . Cf. D e Anima, I I I , 3, 428 b l i . On a vu, à juste titre, dans la
structure de cet argument une des sources possibles du cogito. Cf. P.-!'11. Sc11 u 11L,
MO U VEMEN T ET PENSÉE 493
d ' une façon générale , ce qui, étant immobile, est au delà des
catégories ne peut être approché , d'une façon nécessairement
inadéquate, q u ' au travers des catégories elles·mêmes.
M ais ce qui est source d 'inadéquation lorsqu 'il s'agit de
penser l'intelligible , c'est-à-dire l'immobile, se transmue, lorsqu 'il
s'agit de penser l'être en mouvement, en un processus que sa
mobilité même rend adéquat à la mobilité de son obj et. La
pensée humaine est une pensée en mouvement de l 'être en
mouvement, une saisie inexacte de l'inexact, une recherche
dont l'inquiétude même est à l'image de la négativité de son
obj et. C'est parce que la pensée humaine est touj ours séparée
d 'elle-même qu'elle coïncide avec un être qui ne parvient
j amais à coïncider avec soi. S'il n'y a pas de familiarité native ,
comme c'était le cas pour Platon, entre l ' âme et l'intelligible ,
cette distorsion même restaure par un détour la familiarité
de l ' âme avec son obj et effectif, qui n ' est pas intelligible.
L'obscurité même de l ' âme à elle-même devient plus éclairante
que la clarté.
Seulement, si toutes les affections de l ' â me et, par là, les
discours qui les expriment relèvent du mouvement, il y a des
degrés dans cette dépendance. Le repos, bien qu 'il appartienne
au genre de la mobilité , est évidemment ce qui, à l 'intérieur de
l'être en mouvement, répugne le plus au mouvement lui-même.
La pensée stabilisante, c'est-à-dire la science ( 1 ) , est évidemment
moins apte, bien qu'elle ne se comprenne qu'à l'intérieur du
mouvement, à épouser ce qu'il y a de mouvant dans le mou
vement lui-même. La science dégage le nécessaire , c'est-à-dire
ce qui ne peut être autrement, sur un fond de contingence , c'est-à
dire de ce qui peut être autrement. Mais si la contingence ne peut
j amais être entièrement bannie de son horizon, la science est
moins attentive à l 'horizon lui-même qu'aux noyaux de stabilité
qu'elle y découvre. Ce n'est donc pas à elle, mais à une autre
discipline de l ' âme, à un autre mode du discours, qu 'il faudra
recourir pour penser non plus tel ou tel domaine à l'intérieur
de cet horizon, mais cet horizon lui-même. Si, dans le monde
sublunaire, la nécessité naît sur fond de contingence, c'est à
une pensée plus ouverte , à un discours plus général q u e la. pensée
et l e discours du nécessaire , qu'il appartiendra de penser le
monde sublunaire comme horizon des événements qui s'y produi
sent, c'est-ù-dire comme monde contingent. Nous avons déj à
rencontré e t décrit longuement plus haut cette pensée ouvert e à
( 1 ) z, 6, 1031 b 3 1 .
(2) L'expression &U0&!cx ypcxµ�;fi désigne la ligne droite, par opposition
au cercle (Phys., 248 a 13, 20, b o). Eô66i; sert aussi à nommer le mouvement
rectiligne par opposition au mouvement circulaire (Phys., V I I , 248 a 20 ;
V I I I , 26 1 b 29, 262 a 1 2-263 a 3, etc.).
(3) Il suffit d'évoquer ici le rôle du moyen terme.
D IALECTIQ UE ET INTUITION 497
ll
L'art ne porte que sur le contingent (Eth. Nic., VI, 4).
I
2 Pol., I, 4, 1 253 b 33-1254 a 1 .
3 O n n'a pas assez remarqué que les verbes d e cette P. hrase sont à l'irréel.
4 L'automaticité du mouvement des outils rendrmt inutile le rapport
de maître à esclave ( 1254 a 1 ) . Mais Aristote parle de ce rapport avec la même
objectivité qu'il ferait pour tou t rapport naturel, dont celui-ci n'est qu'un cas
particulier.
(5) Ce paradoxe a été brillamment développé par Plotin dans le 2• traité de
la Il• Ennéade (Des vertus) , où il s'efforce très précisément de concilier l'affirma
tion de Platon ( Théélèle, 1 76 a), selon laquelle la vertu rend l'homme semblable
à Dieu et celles d'Ar. (not. Eth . Nic., X, 8, 1 1 78 b 10 ss. ) , selon lesquelles Dieu
n'est pas vertueux. Plotin répond qu'en effet • nous devenons semblables à
Dieu par nos vertus, même si Dieu n'a pas de vertus . . . Nous tenons du monde
intelligible l'ordre, la proportion et l'accord, qui constituent ici-bas la vertu ;
mais les êtres intelligibles n'ont nul besoin de cet accord, de cet ordre et de cette
proportion, et la vertu ne leur est d'aucune utilité ; il n'en reste pas moins
que la présence de la vertu nous rend semblables à eux • ( 1, 2, 1 ) . Et Plotin
d'expliquer qu'il y a • deux espèces de ressemblance • : celle • qui exige un élé
ment identique dans les êtres semblables • et qui est réciproque ; et celle qui,
unissant l'inférieur au supérieur, le dérivé au primi tif, ne s'institue que dans la
différence et ne parviendra j amais à la réciprocité ( 1 , 2, 2). En ce sens, il est
permis de dire que le multiple imite !'Un, le mouvement l'immobilité, le désordre
l'ordre, la parole le silence, l'amitié la solitude, la guerre la paix et la pensée
discursive la Pensée qui se pense elle-même, laquelle imite à son tour !'Absence
de pensée, etc.
500 LA SCIENCE RETRO U V ÉE
Dieu , identité de la fin, qui est le Bien. C'est le Bien que vise le
travail ou l'action des hommes, comme les mouvements d ' une
nature qui ne fait rien en vain. M ais cette identité de la fin
n ' explique pas ce qui apparaît au premier abord comme diver
sité des moyens. En réalité, il ne s'agit pas de moyens diffé
rents qui seraient mis en œuvre de part et d ' autre, comme si
l 'immobilité était un moyen au même titre que le mouvement.
La vérité est qu'il y a d'un côté mise en œuvre de moyens (le
mouvement) et de l'autre immédiateté de la fin et du moyen :
alors que le mouvement n ' a d 'autre fin que sa suppression,
trahissant par là sa fonction seulement instrumentale, l'immobi
lité est à elle-même sa propre fin. Ce qui sépare donc l 'imitant
de !'imité , ce n'est pas la diversité des moyens plus ou moins
complexes mis en œuvre pour atteindre une certaine fin, mais
la nécessité d'une médiation d 'un côté , l'absence de médiation
de l'autre. Ainsi prend tout son sens la remarque selon laquelle
on ne met en œuvre des moyens que pour pouvoir s'en passer ;
car pouvoir se p asser de médiation, c'est précisément cela qui
est le Bien. Aristote emprunte , en effet, à Platon cette idée que
le Bien se définit par sa suffisance , par le fait qu'il ne manque
de rien pour être ce qu'il est, qu 'il est << autarcique » (1 ). On obj ec
tera alors que cette dé finition du Bien ne rend que plus problé
m atique son imitation par un monde où le mal apparaît comme
une conséquence du mouvement (2) : comment la contingence,
le pouvoir-ne-pas-être , peut-elle imiter la perfection subsistante
de Dieu qui, ne manquant de rien , est tout ce qu'il peut être et
ne peut pas être autre qu'il n'est ? Comment, en particulier,
l ' homme en tant qu'habitant du monde sublunaire, c'est-à-dire
en tant qu'il ne se suffit pas à lui-même , qu 'il a des besoins qui
le contraignent au mouvement, comment donc l'homme peut-il
imiter l'immobilité autarcique de Dieu ? Nous connaissons
désormais la réponse : cette imitation n'est paradoxale que parce
qu'elle passe par un détour, qui est le mouvement, lieu de toutes
les médiations cosmologiques et humaines. Le monde et l'homme
réalisent médiatement ce qui est immédiat en Dieu , parce que
l ' homme et le monde ont besoin de moyens pour coïncider avec
leur fin, coïncidence qui est immédiatement réalisée en Dieu.
Mais la médiation n'a d 'autre sens et d 'autre raison d 'être que
n 'est aporie que tant qu'elle n'est pas résolue. Résoudre l'aporie, au
sens de « lui donner une solution » , c'est la détruire ; mais résoudre
l'aporie, au sens de « travailler à sa solution », c'est l'accomplir.
Nous croyons avoir montré que les apories de la métaphysique
d 'Aristote n'ava ient pas de solution, en ce sens qu'elles n'étaient
pas résolues quelque part dans un univers des essences ; mais
c'est parce qu'elles n'ont pas de solution qu'il faut touj ours
chercher à les résoudre et que cette recherche de la solution est
finalement la solution elle-même. Chercher l'unité , c'est l'avoir
déj à trouvée. Travailler à résoudre l'aporie, c'est découvrir ( 1 ) .
Ne j amais cesser de rechercher c e qu'est l'être, c'est avoir déj à
répondu à la question : Qu'est-ce que l 'être ? Ce n'est pas à la
tradition, quelle qu'elle plit être, qu'il appartenait de ressaisir
ce commencement touj ours commençant, cette scission touj ours
dissociante et cet espoir touj ours renaissant. Transmettre l'ouver
ture, c'est la clore : Aristote, comme en témoigne l'histoire des
lendemains immédiats de l'aristotélisme , était moins le fondateur
d 'une tradition que l'initiateur d 'une question dont il nous a
averti lui-même qu'elle demeurait touj ours initiale et que la
science qui la pose était éternellement « recherchée ». On ne
peut pas prolonger Aristote , on ne peut que le répéter, c'est-à-dire
le recommencer. Encore cette répétition ne retrouvera-t-elle
plus j amais la naïveté irremplaçable de son vrai commencement.
Nous savons trop auj ourd 'hui que c'est parce qu'il ne trouve
pas ce qu'il cherche que le philosophe trouve , dans cette recherche
même, ce qu'il ne cherchait pas. Ceci n'est pourtant pas une
pensée moderne , mais la sentence éternellement archaïque
d'une sagesse qu'Aristote jugeait déj à obscure (2) : ' Etlv µ�
�À7t'1)'t"ott, &.vÉÀma't"ov oùx. è�e:up�ae:t, &ve:�e:pe:Ûv'1J't"OV èov x.ott cfoopov.
« S 'il n'espère pas, il ne trouvera pas l'inespéré, qui est introu
vable et aporétique (3). »
TEXTES
Œ u v n E s C O M P LÈTES
Aristotelis opera, éd. de l'Académie de B erlin, 5 vol . , Berlin, 1 83 1 - 1 8 7 0 .
Les deux premiers vol . contiennent l ' ensemble d e s œuvres conservées
d'Ar. (éd. 1. B ekker) , le vol. I I I des trad . lati nes, le vol . IV des
fragments des commentateurs, le vol. V les fragments d 'Ar. (éd.
V. Rose) et !'Index aristotelicus de H . B o N ITZ. Les volumes I, I I
et IV, les fragments d'Ar. e t !'Index d e B o N I TZ ont fait l 'obj et de
diverses réimpressions et d'une réédition (par O . G 1 G o N , Berlin ,
1 9 60-1 9 61 ) . Cette édition doit être complétée par les éditions sui
vantes des fragments : V. R o s E (Teubner, 1 8 86 ; éd. plus complète
que celle du vol. V de l'Acad. de Berlin) , R. WA L Z E R (Aristotelis
Dialogorum Fragmenta, Florence , 1 9 3t.) , D . Ross (Fragmenta selecta,
Scriptorum class. Biblioth . oxoniensis, 1 9 55) . No us citons l es frag
ments d 'après la numérotation de la 3° éd. de Rose ou, éventuel
lement, d'après celle de Walzer. Une table de concordance se trouve
dans !'éd. Ross. Il faut aj outer auj ourd'hui l 'édition d es fragm ents
du Protreptique, par 1. D ü R I N G (Gë>teborg, 1 9 61 ) .
The Works of Aristotle translated into English, sous l a direction de
J. A. S AnTH et W. D. Ross , 12 vol . , Oxford , 1 9 0 8 - 1 9 5 2 .
Aristoteles' Werke in deutscher Ü bersetzung, sous l a direction de E . G n u
M A C H , B erlin , Akademie-Verlag, et D armstadt, Wissenschaftliche
Buchgesellschaft (WB ) , 1 956 ss.
Commentaria in Aristotelem graeca, éd. de l'Acad . de Berlin, 2 3 vol . ,
1 8 82-1 909. Toutes nos références renvoient, sans autre indication,
à cette édition.
MÉTAPHYSIQUE
Éditions
Outre celle de B E K K E R ( 1 8 3 1 ) citée plus haut, B RA N D I S (Berlin, 1 8 2 3 ) ,
S c H W E G LE R (avec t r . ail . , 4 vol . , 1 84 7 - 1 848) , B o N ITZ (avec comm. ,
2 vol . , Bonn, 1 848-1 849) , C H R I ST (Teubner, Leipzig, 1 8 98 ; réimpr. ,
1 906) , Ross (avec com m . , 2 vol . , Oxford , 1 92t.) , T a E D E N N I C K (avec
trad . angL , coll. Loeb, 1 9t. 7 ) , J A E G E R (Script. cl . Bibl. oxoniensis,
1. 9 57) . Nous nous référons, sauf indication contraire , au texte de
Christ.
510 PROBL ÈME D E L ' ETRE CHEZ A RISTO TE
Commentateurs
A L E X A N D R E D 'APII R O D I S E , édit. M . H ayduck, Ac. Berlin, t. 1 , 1 89 1
( à partir du l i v . E , c e com m . est considéré c o m m e apocryphe et
généralement attribué à Michel d ' É phèse) . A compléter p ar : J. F R E u
D E NTII A L : D i e durch Averroes erhaltenen Fragmente Alexanders,
untersucht und übersetzt, A bh. Berl. A kad. , 1 8 8 4 , 65-1 1 3 .
As c L E P I U S (liv. A-Z) , édit. M . H ayduck, Berlin, 1 8 8 8 (coll. Acad. B erol . ,
VI , 2 ) .
S Y R I A N U S (liv. B , r , M et N) , édit. G . Kroll , B erlin, 1 902 (coll. Acad . ,
VI , 1 ) .
TH E m sTr n s (liv. A) , trad . hébraïque e t latine, édit. S . Landauer
Berlin, 1 903 (coll. Acad . , V, 5) .
T H O �!AS D 'A Q U I N , In duodecim libros Metaphysicorum A ristotelis Expo
sitio, édit. M. R. Cathala, Turi n , Mar ietti, 1 92 5 ; nouv. éd. (Spiazzi) ,
1 950.
Petrus F O N S E C A , Commentaria in libros Metaphysicorum A ristotelis ,
2 vol . , Rome, 1 5 7 7 - 1 589 ; Lyo n , 1 59 1 .
Commen taires modernes : voir notamment les éditions o u les trad . d e
B o N ITz (1 849) , R o s s ( 1 924) , C o L L E ( 1 9 1 2 - 1 931 } et T R I C O T ( 1 953)
citées plus haut.
A U T R E S T E X T E S D 'ARISTOTE
Outre les éd. et trad . des Œ uvres complètes citées plus haut, nous
avons utilisé les éd. et trad . suivantes :
Coll. des Universités de France ( G . Budé) (texte et trad . ) : Physique
( H . C A R T E R O N , 1 9 26) ; Rhétorique (liv. 1 et I l } (M. D U FO U R , 1 9 32-
1 938) ; Poét ique ( J . H A R D Y , 1 932) ; Parva nat uralia (R. M U G N I E R ,
1 953) ; Parties des animaux ( P . L o u r s , 1 9 56) ; Politique, liv. 1 e t
I I ( J . A u n o N N ET, 1 9 60) .
Trad . J . T R I C O T (Vrin) : Générat ion et corruption ( 1 934) ; De l'dme
(1 931• ) ; Organon, 5 vol . (1 9 3 6 - 1 9 3 9 ) ; Météorologiques ( 1 9 U } ;
Traité du ciel (1 949) ; Parva nat uralia ( 1 9 5 1 ) ; Hist. des animaux
( 1 9 5 7 ) ; Économiques ( 1 958) ; Ethique à Nicomaque ( 1 959) .
Coll. Garnier ( texte et trad . ) : Rhétorique et Poétique ( J . Vo I L Q U I N et
J. C A P E L L E , s . d . ) ; Éth. à Nicomaque ( J . Vo I L Q U I N , 1 940) .
De l'âme, texte , trad . et comm . , p ar G. R o D I E R 2 vol . , Paris, 1 900.
,
Des part ies des animaux, liv. 1 , texte et trad . par J . - M . L1� B L O N D
(Aristote, philosophe de l a vie, Paris, Aubier, 1 945) .
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Paris, Belles-Lettres , 1 9 60, 4 1 -204.
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t. XIV, Berlin, 1 8 3 3 .
514 PROBL ÈME DE L ' ETRE CHEZ ARISTO TE
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C) ARISTOTE ET S E S P R t D t C E SS E U RS
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and G . E. L . OwE N , Gô teborg, 1 9 60 (Studia Gothoburgensia, X I ) .
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250) M . H E I D E G G E R , Yom Wesen und Begrilî d e r physis, Aristoteles
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524 PROBL ÈME DE L ' E TRE CHEZ ARISTOTE
H) MÉTA P H Y S I Q U E E T A N T H R O P O L O G I E
(Pour u n e bibliographie plus détaillée , nous renvoyons à notre
ouvrage sur La prudence chez Aristote, à paraîtr e . Nous ne mentionnons
ici que les travaux cités dans la présente étude) .
2 7 9) P . A u B E N Q U E , L'amitié chez Ar. , Actes du Vlll8 Congrès des
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2 8 3 ) L . Ü L L É -LAP R U N E , Essai s ur la morale d'Ar. , Paris , 1 8 8 1 .
2 8 4 ) G . R o n I E R : I ntrod. a u liv. X d e 1 'Eth. Nic. , Paris , 1 8 9 7 (reproduit
dans Ét udes de philosophie grecque, 1 7 7- 2 1 7 , n° 5 5 ci-dessus) .
2 8 5 ) P . - M . S c H U H L , Machin isme et philosophie, Paris , Presses Un iversi
ta ires de France, 1 93 8 ; 2 ° éd. , 1 911 7 ,
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2 8 7 ) B A U M G A RT E N , Metaphys ica, 2 ° éd . , 1 7 4 3 .
2 8 8 ) B L A N C H E , La notion d'analogie dans l a philosophie de saint
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609-643.
526 PROBL ÈME DE L ' E TRE CHEZ ARISTO TE
B) ARISTOTE
1 , 7I a I : 53 ;
Catégories : 7I a 20 : 96, 445-447 ;
7I b I : 447 ;
I , I a I I 73- I 74 , 471 ; 2, 7I b \) : 324 ;
4, I b 25 I64 ; 7 I b IO : 324 ;
5, 2 a l l : I 7 I ; 7 1 b 20 : 54-55 ;
2 a 20 : I 38- I 39 ; 72 a I : 62 ;
2 b I : 408 ; 72 a 10 : 422 ;
3 b 20 : 3 I 5 ; 4, 73 b 30 : 43 I ;
6, 6 a 10 : 223 ; 5, 74 a 30 : 43 I ;
10 et 1 1 : 433 ; 74 b I : 43 I ;
10, I3 b 10 : I56 ; 6, 75 a 30 SS. : 2I6 ;
I2, I4 a 26 : 50 ; 7, 75 a 38 : 360 ;
I4 b I : 46 ; 75 a 40 : I 32, I37 ;
I4 b 1 0 : 167. 9, 75 b 40 : 2I 7 ;
76 a I : 2I6 ;
De l' Interprétation : 76 a 1 0 : 2I8 ;
I , I6 a I : I07, 1 09, 493 ; 76 a 20 : 2I9 ;
I6 a IO : 1 1 0, 374 ; 1 0 , 76 a 3 1 : 55, 206, 210, 397,
2, I6 a 20 : 1 1 0 ; 422 ;
I6 a 30 : I56 ; 76 b 10 : I 32, 2 I 6 , 247 ;
3, I6 b 6 : I 10 ; 76 b 20 : 1 1 7, I 32, 216, 247 ;
I6 b 10 : I56 ; 11, 77 a 20 : 210, 257, 397 ;
4, I 6 b 26 : I 08- I 1 0 ; 77 a 30 : 257, 397 ;
I 7 a I : 109, I 1 1 ; I8, 81 a 38 : 225 ;
5, I 7 a I 4 : 1 1 2 ; 22, 83 a 20 : I4I ;
6, I 7 a 30 : I 28 ; 83 a 30 : I43 ;
9 : 327 ; 24, 86 a 1 : 209 ;
9, I8 b 30 : I67, 492 ; 31, 87 b 30 : 208 ;
I9 a 7 : 492 ; 33, 88 b 30 : 324-325 ;
I 9 a 30 : 1 1 0 ; 89 a I : 324 ;
1 1 , 2I a 30 : I42 ; 89 a 10 : 325 ;
14 : 4 3 3
. 89 b 1 : 325.
530 PROBL ÈME DE L ' ÈTRE CHEZ /l R ISTOTE
II 141 b 20 : 63-6·1 ;
1, 89 b 30 233 ; 1 42 a 1 : 64 ;
2, 90 a 1 296 ; 6, 144 b 1 : 230 ;
90 a 1 0 477 ; 144 b 10 : 230 ;
3 , 9 0 b 30 482 ; 1 44 b 20 : 230 ;
4-8 : 482 ; 145 b 1, 1 7 : 30 1 ;
5, 9 1 b 12 : 29 1 -292 ; 13, 150 b 33 : 30 1 .
6, 92 a 6 : 472 ;
VII
7, 92 b 1 : 1 1 0, 233 ;
92 b 1 0 : 1 86, 232-233 ; 4 , 1 54 a l 2 : 1 73.
92 b 30 : 482 ;
8, 93 a 10 : 465, 482-483 ; VIII
12 : 76 ; 2, 157 a 20 : 1 13 ;
19, 99 b 20 : 54 ; 1 1 , 162 a 10 : 301 ;
100 a 10 : 208-209 ; 14, 163 a 30 : 256 ;
1 00 b 1 : 226 ; 163 b 1 : 256 ;
1 00 b 10 : 56, 58. 164 b 1 : 255.
Topiques :
Ré/ulalions sopliisliques :
1 , 100 a 18 : 256 ; 1 , 165 a 1 : 1 07- 1 08, 1 1 6, 1 73 ;
1 00 a 20 : 256 ; 165 a 1 0 : 1 08, 1 1 8- 1 1 9 ;
1 00 b 20 : 259 ; 165 a 20 : 95, 298 ;
2, 1 0 1 a 25 : 256 ; 5, 166 b 30 : 1 42 ;
1 0 1 a 30 : 90, 258, 301 ; 167 a 20 128 ;
101 b 1 : 258, 287, 294 ; 7, 169 a 30 : 117 ;
4, 1 0 1 b 20 : 290 ; 8, 169 b 20 : 286 ;
9, 103 b 20 : 1 64, 1 87 ; 1 70 a 10 1 20 ;
12 : 294 ; 9, 1 70 a 20 : 1 32, 2 1 1 ;
14, 1 05 b 1 : 317 ; 1 70 a 30 : 1 32, 257 ;
1 05 b 20 : 22, 3 1 7 ; 1 70 b 1 : 1 24, 1 32, 1 89, 286 ;
15 : '204 ; 10, 1 70 b 12 : 121 ;
1 5 , 106 a 1 : 1 76 ; 1 70 b 20 : 122 ;
107 a 1 : 177 ; 1 7 1 a l0 1 30 ;
107 a 10 : 177 ; 1 1 , 171 b 3 : 286 ;
18, 108 a 18 : 121 . 171 b lO : 91, 217 ;
1 7 1 b 20 : 95, 298 ;
li 1 7 1 b 30 : 95 ;
4 , 1 1 1 a 8 : 57, 60, 282. 1 72 a l : 217 ;
1 72 a 10 : 2 1 7, 255, 275, 290-
IV 29 1 , 299, 495 ;
1, 120 b 30 : 1 80, 1 82 ; 1 72 a 20 : 287 ;
121 a 1 : 1 7 1 ; 1 72 a 30 : 287 ;
121 a 1 0 : 228. 14, 1 74 a 1 : 1 18 ;
1 7, 1 75 b l 0 : 137 ;
V 18, 1 76 b 30 : 1 23 ;
3, 1 32 a 1 : 460, 472 ; 22, 1 78 b 30 : 150 ;
8, 1 38 b 20 : 30 1 . 1 79 a 1 : 137 ;
24 , 1 79 a 30 : 137 ;
VI 1 79 b 1 : 137 ;
2 , 1 39 b 28 301 ; 25, 180 a 30 : 1 42 ;
4, 1 4 1 a 23 63 ; 33, 1 83 a 1 : 301 ;
141 b 1 63 ; 1 83 a 10 : 301 ;
INDEX DES PA SSA GES CITÉS 53 1
Physique : III
1 , 20 1 a 1 0 : 454 ;
1 , 184 a 10 : 209 ; 2, 20 1 b 30 : 454 ;
2, 1 84 b 1 5 : 90 ; 202 a 1 : 42f> ;
1 84 b 20 : 423 ; 4, 202 b 30 : 454 ;
1 85 a 1 : 423 ; 204 a 1 : 4;,4 ;
185 a 10 : 2 1 7 , 420, 423-424 ; 6, 206 a 20 : 454-455 ;
185 a 30 : 408, 43 1 ; 206 a 30 : 454-455 ;
1 85 b 1 : 204 ; 207 a 1 0 : 431 ;
1 85 b 1 0 : 43 1 , 450 ; 207 a 20 : 212 ;
1 85 b 20 1 0 1 , 144, 146, 159, 1 7, 207 a 33 - b 21 : 454 ;
1 88 '. 8, 208 a 20 : 454 ;
185 b 30 : 1 59, 1 6 1 ; 2 1 0 b 1 0 : 465.
1 86 a 1 : 160 ;
3, 1 86 a 20 : 438 ; IV
1 86 b 1 : 233, 235 ;
186 b 10 : 235 ; 4 , 21 1 a 10 : 86 ;
1 86 b 30 : 233 ; 212 a 1 : 361 ;
1 87 a 1 : 143, 1 54- 1 55, 157 ; 5, 2 1 3 a 1 : 429 ;
4, 1 87 a 20 : 87 ; 1 0 , 2 1 7 b 30 : 436 ;
7, 1 89 b 30 : 420 ; 218 a 10 : 436 ;
190 a l0 : 435 ; 2 1 8 a 20 : 436 ;
190 a 20 : 435 ; 1 1 , 219 b 1 : 48, 50 ;
190 a 30 : 1 1 4, 1 7 1 , 435 ; 2 1 9 b 10 : 436 ;
1 90 b 10 : 420, 427, 430 ; 2 1 9 b 20 : 436 ;
190 b 20 : 420 ; 220 a 1 : 437 ;
190 b 30 : 43 1 , 433 ; 220 a 19 - 20 : 437 ;
191 a 1 : 212, 420, 433 ; 1 2, 221 a 30 : 433 ;
191 a 10 : 212 ; 221 b 1 : 433, 491 ;
8, 1 9 1 b 10 : 438 ; 1 3 , 222 a 10 : 437 ;
1 9 1 b 20 : 438 ; 222 b 10 : 73, 433, 49 1 .
9, 192 a 1 : 444 ;
192 a 30 : 37. V
1 , 224 b 1 : 429 ;
II 225 a 1 0 : 420, 434 ;
1 , 1 92 b 20 : 420, 426-427 ; 225 a 20 : 420 ;
1 92 b 30 : 427 ; 225 a 30 : 420 ;
1 93 b 1 : 32 1 , 442 ; 225 b 1 : 420 ;
2, 193 b 23 - 194 a 12 : 329, 421 ; 2, 226 b 1 0 : 425 ;
194 a 20 : 427, 498 ; 3, 227 a 1 : 429 ;
194 b 1 : 37 ; 6 : 425.
1 94 b 1 0 : 37, 432 ; VI
3 : 78 ;
4, 196 a 30 : 306 3, 234 a 30 : 425 ;
5, 196 b 30 : 1 9 1 4, 234 b 10 : 429-430 ;
197 a 1 : 20 1 8, 239 a 10 : 425 ;
7 : 78 ; 9, 239 b 11 - 33 : 445 ;
7, 198 a 14 : 329, 421 ; 10, 240 b 8 : 429.
532 PROBL ÈME DE L' JSTRE CHEZ A RISTO TE
D u Ciel : II
1 , 329 a 1 : 212 ;
329 a 10 : 435 ;
1 , 268 b 1 : 360 ; 10, 336 a 30 : 418 ;
3, 270 b 1 9 : 73 ; 336 b 20 : 390, 490-49 1 ;
270 b 22 : 349 ; 336 b 30 : 490-49 1 ;
4 , 27 1 a 33 : 349 ; 1 1 , 338 a 1 : 73.
8, 277 b 1 0 : 38 ;
9, 278 a 1 0 : 340, 3 6 1 ;
278 a 20 : 340 ; Météorologiques :
278 b 9 - 22 : 3 1 3 , 343, 392 ;
279 a 1 0 : 354, 362, 377 ;
279 a 20 : 362 ; 2, 339 a 1 1 : 343 ;
10, 279 b 30 : 82 ; 3, 339 b 20 : 73, 349 ;
280 a 20 : 343 ; 9, 346 b 20 : 418 ;
12, 283 a 20 : 9 1 . 14, 35 1 a 20 : 73 ;
351 b 8 SS . : 73.
II
1 , 284 a 1 : 307, 490 ; II
284 a 10 : 354 ; 1 , 353 b 1 : 337.
INDEX DES PA SSA GES CI TJSS 533
1 , 402 a 1 : 282 ;
402 a 20 : 1 82 ; 1 , 639 a I : 99, 212, 282, 284 ;
402 b 20 : 1 15 ; 639 a 10 : 210, 284 ;
403 b 1 0 : 37 ; 639 a 15 - b 10 : 284 ;
2, 403 b 20 : 90, 92 ; 639 b 10 : 427 j
3, 406 a 1 : 493 ; 640 a 20 : 427 ;
406 b 10 : 433, 49 1 ; 640 b 30 : 1 73, 470 ;
407 a 30 : 493 ; 641 a 30 : 38 ;
407 b 20 : 427 j 642 a 1 0 : 84 ;
4, 408 a 30, 34 ss. , b 6, 1 4 : 493 ; 642 a 20 : 84 ;
5, 4 1 1 a 1 : 348. 3, 643 b 1 0 : 292 ;
Il 643 b 20 : 292 ;
1 , 4 1 2 b 1 0 : 1 73, 470-47 1 ; 4 : 1 13 j
4 1 3 a 1 : 36 ; 5, 644 b 22 : 332, 355, 368 j
3, 4 1 4 b 1 0 : 237 ; 644 b 30 : 332 ;
4 1 4 b 20 : 237, 248 j 645 a 1 : 263, 332, 355, 368 ;
4 1 5 a 1 : 248 ; 645 a 10 : 27 ;
4 1 5 a 25 - b 7 : 49 1 ; 645 a 20 : 485, 502 ;
4, 4 1 5 b 1 2- 1 5 : 470 ; 645 b 20 : 210.
6, 4 1 8 a 10 : 226 ;
7, 4 1 8 a 26 : 1 1 3 ; Il
4 1 9 a 2-6, 32 : 1 1 3. 1 , 646 a 10 : 49 ;
646 a 30 : 49 ;
Ill 3, 649 b 20 : 462 ;
1 , 425 a 1 0 : 226 ; 7, 653 a 9 : 37 ;
3, 427 b 1 0 : 493 ; 10, 656 a 1 : 502.
428 b 1 0 : 43 1 , 492 ;
4, 429 a 1 0 : 1 05 ; Ill
429 a 20 : 459 ;
7, 4 3 1 a 10 : 493 ; 4 , 665 b 1 0 : 382.
8, 431 b 20 : 1 05 ;
432 a 7- 1 4 : 493 ; IV
1 1 , 434 a 10 : 493. 1 0 , 686 b 2-20 : 389.
Du sens et des sensi bles :
1 , 437 a 1 : 226 ; Du mou11ement des animau:i; :
4, 442 b 1 : 226. 2 et 3 : 366 ;
De la mémoire et de la réminisce11ce : 6, 700 b 7 : 34, 39.
1 , 449 b 30 - 450 a 9 : 493 ;
450 a 9-12, 451 a 1 7 : 226 ; De la marche des animau:i; :
2, 450 b 30 : 1 22.
4, 706 a 18 : 238, 389 ;
De la longueur et de la briè11eté de la 11ie : 706 b 10 : 238, 389 ;
1 , 464 b 33 : 37. I l , 7 1 0 b 9 118. : 389.
534 PROBL ÈME DE L' .ETRE CHEZ A R ISTO TE
Nous ne mentionnons ici que les concepts ou les thèmes qui ne figurent
pas expressément dans les titres de chapitres et de paragraphes ou dans
la Table analytique des matières. Les chiffres en italique renvoient aux pages
où se trouvent les développements principaux.
PAGES
AVA N T-P R O P O S • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • . • • • • . • . 1
I N T R O D U CT I O N
P R E M I È R E PARTIE
LA SCIENCE « RECHERCHÉE »
CH A P I T R E P R E M I E R . - :2tre et histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Coexistence chez Aristote des thèmes du cycle e t du pro
grès : 7 1 . - Compréhension rétrospective : 77. - Histoire
empirique et histoire intelligible : 8 1 . - Explication géné
tique ; le temps réel de la philosophie est celui du dialogue :
83.
C H A P ITRE I I . - :2tre et langage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
§ 1 . La s ignification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
Aristote el la sophistique : 94. - Théories sophistiques
du langage : 98. - Théorie aristotélicienne du langage : 106.
- Exigence de signification et pluralité des significations :
l l 8. - La réfutation des négateurs du principe de C'lntra
diction et la naissance du projet ontologique : 1 24 .
§ 2 . L a multiplic ité des significations d e l'8tre : l e problème . 134
Absurdité d'une « ontologie » qui, comme celle des
sophistes, ne connaîtrait que des accidents : 134. - Distinc
tion de l'être par soi et de l'être par accident : 140. - Impossi
bilité d'une • ontologie • qui, comme celle des Éléates, ne
connaîtrait que l'essence ; l'aporie de la prédication, la • solu
tion » platonicienne et sa critique par Aristote : 144. - La
solution aristotélicienne par la distinction des sens de l'être :
1 59.
PROBL ÈME DE L ' /1TRE CHEZ AR ISTO TE
PAOBB
D E U X I È M E PARTIE
§ 3 . La scission essentielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 6
Lt\S d i fTérenls sens de l ' essence selon le l i vre Z ; la quiddité ;
an a l yse et origines de l a f o rmu l e ; l ' imparfait, l a p rédica t i o n
et la mort : 456. - L ' ê tre sens i b l e séparé de lui-même : lenla
tives d ' Aristote p o u r en démontrer l'unité (démonstration
de la définition composée) ; ces tentatives n ' a b o u tissent q u ' a u
prix d'un dédou blement d e l ' essence (syllogisme dia l ec ti q u e
de l ' essence) : 472.
CO N C L U S I O N
LA SCIENCE RETRO UVÉ E . . . . . . . . . . . . 4 8 !"i
Nég a tiv i té de la théologie, double né ga l i v i lé de l 'onto
logie ; ambiva l e n ce d u m ou veme n t, à la fois source e t cor
rectif d e la scission ; d é v e l o p p eme n t de cc dernier p oi n t
médiations e t subsli luts ; programme d ' une anthropologie
488. - Aristote c l I ' • aristotélisme • : 506.
BI B LIO GRAP H I E • • • • • . • • . . . . • . . . . . . • • • • • • • • • • • • . • • • • • • • • • • 509
I N D E X D E S PASSA G E S C I T É S D E P L A T O N E T D 'ARISTOTE • • • . • . • 527
IND EX NOMIN U M • . • • • . • • • • • • • . • • • . • • • • • • . . • . . . . . . . . . . • . . • 541
I N D E X R E RU M . • • • • • • • . . • • . .
. . .
. . . . • . . • • • • • • • • • • • . . • . • • • • • [, 4 ;,
T AB LE ANALY TI Q U E D E S MATI È R E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 11 \)