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Droit de la propriété des personnes publiques

Leçon 1 : Introduction
Elise LANGELIER

Table des matières


Section 1. L’origine de la possibilité de biens publics........................................................................................... p. 2
§1. (Re)naissance de l’idée d’une propriété publique......................................................................................................................... p. 2
§2. Naissance de la notion de biens publics.......................................................................................................................................p. 2
§3. Évolutions d’une distinction............................................................................................................................................................p. 3
Section 2. Les biens publics aujourd’hui................................................................................................................. p. 6

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Le droit des propriétés publiques renvoie à l’ensemble des règles, procédures et formalités applicables à
l’acquisition, à la gestion, à la conservation, à l’utilisation et à la protection des biens, propriété des collectivités
publiques.

Section 1. L’origine de la possibilité de


biens publics
§1. (Re)naissance de l’idée d’une propriété
publique
Dans les droits antiques existait déjà une propriété publique (Mésopotamie, Égypte, Grèce) mais cette
distinction disparut avec les Francs. Il faudra attendre le Moyen Age pour qu’elle réapparaisse. Cette
réapparition est due à un double phénomène :
• le retour des concepts hérités du droit romain – particulièrement la notion d’État – dans la pensée savante
(vers le XIIème siècle) ;
• le développement de la notion de Couronne : elle symbolise l’ensemble des prérogatives royales
détachées de la personne même du roi. Elle va peu à peu devenir une entité politique à part entière et
représentera complètement l’État au XVème siècle.
Le roi devient celui qui agit au nom de l’ordre du royaume et non pour lui-même. Sa fonction s’exerce au service
de l’intérêt commun du royaume (à la différence du seigneur dans son fief).

§2. Naissance de la notion de biens publics


Les juristes savants au Moyen Age vont reconstruire une distinction des biens publics et privés à partir de
la nature juridique des propriétaires (le roi puis la Couronne). Ils vont pour cela fortement s’inspirer du droit
romain.
Une partie des biens du domaine royal, ceux affectés à l’usage de tous, bénéficiait, outre de l’inaliénabilité
domaniale, d’une protection spécifique : ils étaient exclus du commerce des hommes. Aucun bien affecté à
l’usage public ne pouvait être transféré à une personne privée. En théorie, du moins !

La réapparition de cette distinction doit donc beaucoup à la restauration de la personnalité publique sous la
forme de la Couronne et à l’apparition de la théorie du dédoublement de la personne du roi. L’ordonnance de
Moulins de 1566 conduit à la transformation du domaine royal en domaine de la Couronne dont fut affirmée
l’inaliénabilité. Le domaine est ainsi détaché de la personne du roi. On élabore une fiction juridique qui fait
du roi, non plus le propriétaire, mais le gardien du domaine de la Couronne. Il doit veiller à sa conservation,
son entretien, sa gestion et sa protection.
La distinction des biens a suivi la distinction des personnes.

A la Révolution, le domaine de la Couronne cèdera la place au domaine de la Nation.

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Remarque
Les juristes de l’Ancien Régime, tels Loyseau ou Domat, reprirent la thèse romaine selon laquelle les biens
affectés à l’usage de tous sont exclus du commerce.
A partir de l’Ancien Régime, on relève deux fondements à la distinction des biens publics et privés :
1. d’une part, l’ensemble des biens de la Couronne, parce que celle-ci est d’une nature juridique spécifique,
est assujetti à un régime dérogatoire à la propriété privée : c’est une logique « personnelle » ;
2. d’autre part, les biens affectés à l’usage de tous sont soumis à des règles particulières pour garantir la
pérennité de leur affectation : c’est une « logique d’usage ».
Mais, à l’époque, la logique personnelle domine.

§3. Évolutions d’une distinction


La domanialité renvoie à un régime d’affectation et non de propriété !
Cela suppose l’indépendance relative entre les deux notions : il existe des personnes publiques sans domaine
public mais pas de domaine public sans personne publique.
Ainsi le Conseil constitutionnel dans ses décisions de 1994 et 2003 fait-il preuve d’une confusion. V.CC,
Décision n° 94-346 DC, 21 juillet 1994,Loi complétant le code du domaine de l'état et relative à la constitution
de droits réels sur le domaine publicet CC, Déc. n°2003-473 DC, 26 juin 2003,Loi habilitant le gouvernement
à simplifier le droit. Il s'y réfère à l’article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen pour fonder
la protection constitutionnelle du domaine public alors que cet article se réfère à la propriété, non au régime
de l'affectation des biens.

Le droit applicable aux propriétés publiques est mixte : il est en grande partie exorbitant du droit commun,
mais certains biens ont un régime qui n’en diffère pas ou peu. En effet, la présence d’une personne publique
ne suffit pas pour qu’il y ait application du droit public. Des critères supplémentaires sont encore nécessaires,
que nous étudierons au fil de ce cours.

La notion de domaine public se rapporte nécessairement à des biens publics, c'est-à-dire à des biens
qui sont la propriété de personnes publiques : une personne de droit privé ne saurait être propriétaire d’une
dépendance du domaine public (v. CE, Section 8 mai 1970, Sté Nobel-Bozel).
Cela implique qu’outre la distinction entre domaine public/domaine privé une distinction prime : celle du
titulaire du droit de propriété.
La distinction entre biens privés, biens du domaine public et biens du domaine privé a fait l’objet d’importants
combats doctrinaux. Pendant longtemps la doctrine a insisté sur les ressemblances entre domaine privé et
propriété privée telle que régie par le Code civil.
L’idée était :
• le domaine privé représenterait un intérêt purement patrimonial
• le domaine public serait seul véritablement affecté à l’intérêt général.

Aujourd’hui, l’accent est souvent mis sur les divergences entre propriété privée et propriété administrative sur le
domaine privé. Le but est de souligner les points communs régissant le régime juridique de la domanialité
publique et du domaine privé. Autrement dit, le critère organique (la présence d'une personne publique)
emporterait des conséquences communes (à défaut d'être identiques) quel que soit le mode d'affectation des
biens en cause.

Pour cette raison est née l’idée d’une échelle de domanialité.


Cette notion d’échelle de domanialité peut être rencontrée dans l'oeuvre de Léon Duguit en 1923. Selon le
professeur bordelais, la volonté de faire rentrer toutes les dépendances domaniales en deux catégories était
vouée à l’échec car cette distinction était trop rigide.
Attention ! Son échelle concernait surtout la domanialité publique.

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Pour le Pr. Jean-Marie Auby, toutes les propriétés de l’administration qu’elles soient ou non affectées
directement au public ou au service public sont affectées à l’intérêt public en général. Il proposait, dès 1958, de
supprimer la division domaine public/domaine privé pour la remplacer par « une dualité de régimes s’appliquant,
d’une part, aux biens dont la valeur […] irremplaçable procède de la nature, et, d’autre part, à tous les autres,
généralement faits de béton et d’acier, de valeur souvent contingente et d’utilité provisoire ». Cette analyse
n’a pas été suivie. Mais elle permet d’expliquer la présence d’éléments exorbitants du droit commun dans le
régime juridique du domaine privé.

D’autres études plus récentes vont aussi dans le sens d’une remise en cause de la division dualiste de la
propriété publique. L’administration est certes propriétaire de ses biens, mais elle n’est pas un propriétaire
ordinaire : l’ensemble de son patrimoine participe à la satisfaction de l’intérêt général. Cela justifie qu’il soit
soumis à des règles dérogatoires au droit commun sans pour autant que ce régime spécifique s’applique à
la totalité de ses biens.
Si des propositions doctrinales continuent à aller en ce sens, ce n’est pas la voie qu’a choisi le CG3P lors
de son adoption.

Le CG3P est issu de l’ordonnance n°2006-640 du 21 avril 2006 ratifiée par la loi n°2009-256 du 12 mai 2009.
Il succède au code du domaine de l’État. Il apparaît comme conjuguant la volonté d’une codification à droit
constant tout en réorientant certaines mesures réglées jusqu’ici par la seule jurisprudence. Cela donne des
dispositions novatoires et un accent marqué sur la propriété publique, plus que sur la domanialité publique
ou privée. En outre, il porte la trace du mouvement de valorisation des biens publics qui traverse les textes
les concernant depuis plus d’une vingtaine d’années.

La question du maintien de la distinction domaine public/domaine privé a été posée avec insistance lors
de la réforme du CG3P. Divers arguments ont été soulevés :
• Il n'y a pas de notion de domaine privé dans le Code civil (ce qui pose un problème de cohérence).
• Ce maintien n’était imposé ni par la loi d’habilitation de 2003 ni par la décision du Conseil constitutionnel
du 26 juin 2003 (la protection constitutionnelle concerne le domaine public).
• Un argument de droit comparé a pu être invoqué (cette distinction était présente en Espagne, au Portugal,
en Italie mais pas en Allemagne ni dans les pays de common law).
• La distinction actuelle est trop rigide et donc non opératoire : le domaine privé n’est pas régi que par du
droit privé ; domaine public et domaine privé ne forment pas un sous-ensemble homogène des biens
appartenant à une personne publique.
• Il serait trop simpliste de dire que domaine public/domaine privé se distinguent par les objectifs de leur
gestion (intérêt financier et fonctionnement d’un service public peuvent se rencontrer dans les deux cas).
• L’abandon de cette notion permettrait une simplification du droit.
• Des biens connaissent un statut incertain (domanialité publique globale, virtuelle, régimes spéciaux…
[v. leçon n°2]).

Se pose toutefois un problème en cas de suppression car cette distinction, même imparfaite, permet de donner
des critères clairs de répartition des contentieux entre juge administratif et juge judiciaire.

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Section 2. Les biens publics aujourd’hui
Peuvent être propriétaires de biens publics :
• l’État,
• les collectivités territoriales,
• les établissements publics,
• les personnes publiques sui generis (qui ne disposent toutefois pas d’un domaine public) comme les
autorités administratives indépendantes, la Banque de France ou les groupements d’intérêt public
C’est ce qu’il ressort des art. L1 et L2 du CG3P.

Le droit applicable aux propriétés publiques est mixte : il est en grande partie exorbitant du droit commun, mais
certains biens ont un régime qui n’en diffère pas ou peu. En effet, la présence d’une personne publique ne
suffit pas pour qu’il y ait application du droit public.

Cf. l’art. L. 1111-1 du CG3P sur l’achat : « Les personnes publiques mentionnées à l’art. L.1 acquièrent
à l’amiable des biens et des droits, à caractère mobilier ou immobilier. Les acquisitions de biens et
droits à caractère immobilier s’opèrent suivant les règles du code civil. »

Les règles du domaine public sont généralement dérogatoires ; certaines règles du domaine privé aussi (v.
les leçons n°3 et 4). La publicité du régime dépend non du régime d’affectation (domaine public/domaine
privé) mais de la personne publique propriétaire.

La question qui se pose alors est celle de savoir : existe-t-il un « droit commun des propriétés publiques » ?

Celui-ci paraît résulter notamment :


• du principe d’insaisissabilité :
L’insaisissabilité s’impose au nom du seul élément organique et est désormais consacrée par le CG3P.

Art. L.2311-1 du CG3P : « Les biens des personnes publiques mentionnées à l'article L. 1 sont
insaisissables. »
L’article L.2311-1 du CG3P semble donc limiter ce principe à certaines catégories de personnes
publiques (l’État, les collectivités territoriales, leurs groupements et les établissements publics) alors que
la Cour de cassation qui avait dégagé ce principe général du droit avait une conception plus étendue.

V. C. cass., 21 déc. 1987, BRGM, n°86-14167, Bull. 1987, I, n°348, p.249 : affirmant l’existence d’un
« principe général du droit suivant lequel les biens des personnes publiques sont insaisissables ». Ce
principe vaut pour les « « biens appartenant à des personnes publiques, même exerçant une activité
industrielle et commerciale ».

Cette nuance malheureuse dans le code suscite des questions sur l’étendue de cette protection qui ne
paraissent pour le moment pas réglées. La motivation d'un arrêt récent de la Cour de cassation laisse
ouvert le débat sur le champ ratione personae de l'insaisissabilité. En revanche, elle précise le régime
de l'insaisissabilité en jugeant que, si le principe d'insaisissabilité s'oppose à la mise en oeuvre des voies
d'exécution de droit commun à l'encontre des personnes publiques, il ne fait pas obstacle à la cession,
fût-elle forcée, des biens dépendant de leur domaine privé.
• Exemple
V. Cass., com., 21 janvier 2014, n°12-29.475: "ALORS QUE l'insaisissabilité des biens des personnes
publiques mentionnés à l'article 1er du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques s'oppose
à leur cession forcée dès lors que la propriété de ces biens participe au fonctionnement du service public
en conférant un pouvoir de contrôle à la personne publique ; que tel est le cas de la détention d'une

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participation, même minoritaire, dans une société ayant pour objet l'exécution d'une mission de service
public consistant en l'exploitation d'un réseau autoroutier appartenant au domaine public, quel que soit
le poids du droit de vote sur les décisions sociales résultant du caractère minoritaire de la participation ;
qu'en décidant le contraire pour cette raison inopérante qu'il n'était pas établi que la participation du
Département de Saône-et-Loire dans le capital de la société APRR (0,025 %) serait indispensable au
bon fonctionnement du service public en cause, la cour d'appel a violé les articles L. 433-4 du Code
monétaire et financier dans sa rédaction applicable au litige et les articles L. 1 et L. 2311-1 du Code
général de la propriété des personnes publiques, ensemble l'article 537, alinéa 2, du code civil."


En savoir plus : Référence
v. P. Yolka, « L’insaisissabilité des biens publics », JCP A 26/11/2007, n°48.

• de l’incessibilité : il s’agit plutôt d’une réserve vis-à-vis de la cession gratuite de biens publics (considérée
comme des libéralités illégales et contraires à l’exigence de protection des deniers publics). Sont
normalement prohibées les ventes de biens publics en dessous de leur valeur (v. leçon n°7).

Si le CG3P n’a pas accueilli l’idée d’une échelle de domanialité. Le débat n’est pas clos pour autant. Bien au
contraire, il est aujourd’hui relancé par l’existence de « régimes intermédiaires », des biens en possession de
personnes privées qui relèvent d’un régime dérogatoire.
L’essor de tels régimes s’inscrit dans le contexte de la transformation de grands établissements publics
nationaux en sociétés anonymes. Cette mutation avait pour conséquence nécessaire d’exclure les biens
appartenant à ces personnes du régime juridique du domaine public.
Contexte = transformation de grands EP nationaux en SA. Conséquence : exclusion de biens appartenant à
ces personnes du régime juridique du domaine public.

La jurisprudence en porte la trace :


• V.CC, Décision n°96-380 DC du 23 juillet 1996, Loi relative à l’entreprise nationale France Télécom: lors
du changement de statut de l’établissement public France Télécom, transformé en société anonyme, le
régime du domaine public ne pouvait plus s’appliquer. Toutefois, le Conseil constitutionnel souligne la
nécessité d’un régime intermédiaire, partiellement dérogatoire aux règles de droit privé au nom des «
principes constitutionnels régissant les services publics notamment dans la gestion des biens transférés
».
• V.CC, Décision n° 2005-513 DC du 14 avril 2005, Loi relative aux aéroports: le Conseil constitutionnel y
souligne l’importance de l’exigence constitutionnelle de protection de la continuité des services publics
pour justifier un autre régime intermédiaire. Il y considère que « le déclassement d’un bien appartenant au
domaine public ne saurait avoir pour effet de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles
qui résultent de l’existence et de la continuité des services publics ».
• V.CE, Ass., 23 octobre 1998,EDF : le même débat ressurgit devant le Conseil d’État autour du
changement de statut des biens d’EDF.
• V. encore CE, Ass.,Avis n°372.147 du 25 et 29 août 2005, Autoroutes du Sud de la France (concernant
les sociétés d’économie mixte d’autoroutes).

L’existence de ces régimes gradués change l’appréhension de la protection des biens publics. Plus que le bien
en tant que tel, il s’agit en effet de garantir son affectation.
Remarque
H-G. Hubrecht : « Le régime de la domanialité publique n’est plus le seul à pouvoir garantir l’affectation à
l’utilité publique, le domaine privé le peut aussi et même la propriété purement privée à condition qu’existe
alors un régime législatif spécifiquement adapté permettant le respect des exigences constitutionnelles de
continuité des services publics et de droits et libertés des personnes. » (H-G Hubrecht, L’exorbitance du droit
des propriétés publiques, in F. Melleray (dir), L’exorbitance du droit administratif en question(s), LGDJ, 2004,
p.219)

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