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DES LIVRES
ESSAIS RENCONTRES
VENDREDI 11 MARS 2005
LIVRES DE POCHE
Jim Crace ; Michel Onfray Gérard Berreby FANTASTIQUE
Hubert Mingarelli ; et Régis Debray, et l’aventure Mais qui s’acharne ainsi sur le Frère Médard ?
« Parti-pris » : variations sur Dieu ; des éditions Allia ; « Les Elixirs du diable »
Philippe Djian, Monique Armand Farrachi et d’E. T. A. Hoffmann, chef-d’œuvre absolu
Ysé Aillaud Canto-Sperber « L’Art de la Fugue » du roman noir
page X page XI page XII page IX
O
n commémore, on prendre le monde, le découvrir et
commémore. Les nous y faire une place. (…) Ceux d’en-
magazines mettent tre nous qui voulaient changer le
Sartre en couverture monde et qui furent, par exemple,
tout en se demandant communistes, le devinrent raisonna-
s’il faut le brûler ou en affirmant blement, après avoir pesé le pour et le
qu’il ne suscite plus que l’indifféren- contre. Et ce que je me rappelle le
ce, quand ce n’est pas les deux en mieux, ce que je regretterai toujours,
même temps. Bref, ce mort insup- c’est l’atmosphère unique de force et
porte encore beaucoup. Pour l’affi- de gaîté intellectuelles qui nous enve-
che de l’exposition de la Bibliothè- loppait. On a dit que nous étions trop
que nationale de France, on a choisi intelligents. Pourquoi trop ? » (Car-
un Sartre sans son habituelle cigaret- nets de la drôle de guerre.)
te à la main, comme s’il risquait de Oui, formidable génération intel-
précipiter encore une fois la jeu- lectuelle, dont cette année marque
nesse dans le vice ou au moins dans le centenaire. Certes, Sartre la domi-
la transgression. L’œuvre, Dieu soit ne, mais qu’on n’oublie pas Geor-
loué, reste à l’index. Mais comme ges Canguilhem, Daniel Lagache,
ses camarades de promo-
a Michel Contat tion. Et Paul Nizan, bien sûr,
fauché par une balle alle-
elle est vouée à l’oubli, on se conten- mande en 1940, avant d’avoir pu
te d’appeler médiatiquement au tenir toute sa place ; et Raymond
relevé des fameuses « erreurs de Aron qui, une fois Nizan et Camus
Sartre » qui la disqualifient. disparus, resta en dialogue avec Sar-
En février 1940, Jean-Paul Sartre, tre. Y eut-il, en effet, y a-t-il aujour-
jeune écrivain prometteur, mobilisé d’hui des jeunes gens plus solides,
en Alsace dans cette « drôle de plus travailleurs, plus appliqués
guerre » qui n’éclate pas, s’interro- qu’ils le furent ? A travers Sartre,
ge sur sa génération : « Y a-t-il eu c’est à toute une génération que
avant la guerre beaucoup de jeunes l’on voudrait ici rendre simplement
gens plus solides que nous n’étions ? hommage, fût-ce pour la contester.
Plus solides que Nizan, que Guille, Elle a puissamment contribué à
qu’Aron, que le Castor [Simone de éclairer le monde. On n’est jamais
Beauvoir] ? Nous ne cherchions ni à trop intelligent. Ou bien l’intelligen-
détruire ni à nous procurer des exta- ce continue-t-elle d’offenser ? Mais
ses nerveuses et insensées. Nous vou- celle de Sartre opère-t-elle encore
lions patiemment et sagement com- pour notre temps ?
Véronique Bizot
© David Balicki
Les sangliers
« Une manière impressionnante de mêler
le vraisemblable et l'absurde, la douleur et
le cynisme, la cocasserie et la noirceur. »
jacques de potier/paris-match
NOUVELLES
Stock
II/LE MONDE/VENDREDI 11 MARS 2005
JEAN-PAUL SARTRE
ZOOM
a SARTRE. L’INVENTION DE LA LIBERTÉ,
de Michel Contat
L’itinéraire d’un écrivain
Divisé en neuf sections chronologiques,
l’ouvrage illustré, qui paraît dans une collec- C’est l’homme d’écriture qu’a choisi de privilégier la Bibliothèque nationale de France
tion désormais bien installée, ne se contente
pas d’une iconographie étroitement limitée dans la grande exposition Sartre, en exploitant notamment son riche fonds de manuscrits
à la personne de Sartre mais restitue l’épo-
D
que, le contexte culturel et politique (la mire e toutes les figures de Jean- blanc sans avoir envie d’écrire quel- des USA, ce que j’ai appris du pro- de tentures rouges, font penser à
de la RTF et la speakerine Catherine Lan- Paul Sartre – le penseur, que chose dessus. » A la même pério- blème noir ». Il devient membre des loges. On y voit des films de
geais dans les années 1950, l’Algérie, l’auteur, l’homme d’action de, le normalien décide d’ensei- du comité de patronage de la ses pièces, des éditions originales,
mai 1968…). L’album d’images se fait alors et d’engagement –, c’est celle de gner la philosophie pour avoir le revue Présence africaine, fondée en des livrets de représentations.
guide de voyage dans notre propre temps historique. Un temps agité, l’écrivain que la Bibliothèque natio- loisir de se consacrer à l’écriture : 1947. Plus tard, la guerre d’Algérie Dans un texte inédit extrait des
contradictoire et passionné. Mais imaginerait-on Sartre isolé derrière nale de France (BNF) a choisi de pri- « Cette profession secondaire m’of- lui donne l’occasion de radicaliser archives de Charles Dullin, il expo-
un fond blanc et immobile dans le studio d’un photographe ? Le texte vilégier. « D’une part, Sartre est frirait le monde intérieur qui serait ses positions en faveur des cou- se sa conception de l’enseigne-
qui accompagne ce parcours est informé et enjoué. Même s’il le recou- d’abord un homme de l’écriture. Tout le sujet même de mes ouvrages litté- rants indépendantistes. Une photo ment de l’art dramatique, axée sur
pe parfois, cet ouvrage complète le catalogue de la BNF. au long de sa vie, il n’a jamais cessé raires. » Il résume ses ambitions : montre son appartement de la rue le travail de l’acteur.
Textuel, « Passion », 192 p., 49 ¤. d’écrire, sauf à la fin lorsqu’il est deve- « Je veux être Spinoza et Stendhal. » Bonaparte plastiqué en 1962 par La BNF présente aussi un entre-
nu aveugle. D’autre part, la BNF pos- En 1939-1940, il rédige quinze l’OAS pour la deuxième fois. tien inédit, recueilli en 1967 pour la
a CAMUS ET SARTRE. Amitié et combat, de Ronald Aronson sède un fonds exceptionnel de manus- carnets de son journal de guerre. Plusieurs documents des années télévision canadienne par Madelei-
Pour cet essayiste, spécialiste de Sartre aux Etats-Unis, Camus et Sar- crits », explique Mauricette Berne, Plusieurs des sept qui subsistent 1950 n’éludent pas l’adhésion qua- ne Gobeil Noël et Claude Lanz-
tre ont en commun d’avoir été aveuglés face aux violences de leurs commissaire de l’exposition. sont exposés, montrant une écritu- si aveugle de Jean-Paul Sartre au mann. En une heure, ce document
camps respectifs. Il faut donc les lire pour avoir une vision complète La présentation suit ce chemin re serrée couvrant chaque centimè- Parti communiste français, jusqu’à (édité à présent en DVD) constitue
de leur temps. L’auteur a rassemblé toute la documentation nécessai- d’écriture, par étapes chronologi- tre du papier précieux en temps de la rupture en 1956, après l’écrase- une introduction vivante aux grands
re sur l’amitié puis la querelle qui opposa les deux écrivains ques, depuis la jeunesse jusqu’à guerre. A la Libération, Sartre, qui ment de l’insurrection à Budapest. thèmes de l’œuvre de Sartre.
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Daniel B. Roche l’aboutissement, L’Idiot de la a publié La Nausée et les pièces de Bon nombre de photos témoi- En exposant de nombreuses piè-
et Dominique Letellier, éd. Alvik, 2, rue Malus, 75005 Paris, 370 p., 20 ¤, famille, publié en 1971. Elle laisse théâtre Les Mouches et Huis clos, gnent des voyages de Sartre et ces du fonds Sartre, Mauricette
en librairie le 17 mars. aussi place aux œuvres d’artistes fait déjà partie du Tout-Paris des Beauvoir sur des lignes de front de Berne espère que l’événement sus-
qui ont inspiré Sartre, notamment lettres. Son choix d’une littérature l’époque : ils sont aux côtés de Che citera une curiosité qui permettra
a DICTIONNAIRE SARTRE, Le Tintoret, ou à ses proches, com- « engagée » apparaît dès le pre- Guevara à Cuba, en 1960, ou à de « faire ressurgir des manuscrits
sous la direction de François Noudelmann me Giacometti ou Wols. mier numéro de la revue Les Temps Gaza en 1967. L’engagement pour disparus ». Il n’existe par exemple
et Gilles Philippe Dès l’entrée à l’Ecole normale modernes, paru en 1945. la paix au Proche-Orient amènera plus aucune trace du manuscrit ori-
De la parabole sur l’« Absence » de Pierre dans supérieure, en 1924, le jeune hom- Une large sélection des œuvres la publication en 1977 dans Les ginal de L’Etre et le néant.
L’Etre et le Néant à Lena « Zonina », que Sartre ren- me noircit des carnets. Il correspond qui témoignent d’un engagement Temps modernes des actes d’un Catherine Bédarida
contra à Moscou en 1962, ce dictionnaire comporte avec Simone Jollivet (la Camille des sur les questions raciales et colonia- colloque réunissant intellectuels
quelque huit cents notices dues à soixante spécialis- Mémoires de Simone de Beauvoir), les est présentée dans l’exposition. palestiniens et israéliens chez le e Sartre, jusqu’au 21 août. Bibliothè-
tes, embrasse la totalité de l’univers sartrien. future compagne du metteur en scè- En 1945, les Etats-Unis invitent philosophe Michel Foucault. que nationale de France, quai Fran-
Œuvres, noms, événements et notions s’y côtoient ne Charles Dullin. Elle contribue à une douzaine de reporters fran- çois-Mauriac, Paris-13e. Tél. :
selon les hasards de l’alphabet. Comme le remar- engager Sartre dans l’aventure du çais. Sartre y part pour le quoti- espaces à part 01-53-79-59-59.
quent les auteurs, certaines entrées sont plus riches théâtre. Dans une lettre de 1926, pré- dien Combat d’Albert Camus, et Tout au long de l’exposition, la
que d’autres : ainsi « Anti » (américanisme, communisme, sartrismes…) sentée à la BNF, il lui écrit : « J’ai sur- aussi pour Le Figaro. A la une de ce participation de Jean-Paul Sartre à e Un catalogue qui suit l’itinéraire
ou « Guerre » (froide, de Corée, d’Algérie…). Erudit et documenté, tout l’ambition de créer, (…) je ne journal, le 16 juin 1945, on peut la vie théâtrale est présentée dans de l’exposition est publié (BNF/ Galli-
l’ouvrage invite à la lecture vagabonde et désordonnée. peux pas voir une feuille de papier lire le début de sa série « Retour des espaces à part, qui, entourés mard, 292 p., DVD inclus, 48 ¤).
Ed. Honoré Champion, « Dictionnaires & Références », relié, 542 p., 70 ¤.
JEAN-PAUL SARTRE
S
es amis de jeunesse l’appe-
laient « le petit homme »,
peut-être parce qu’ils le
savaient promis à la gran-
deur. Lui-même n’en dou-
tait pas, du moment qu’elle ne
dépendait que de lui. Raymond
Aron se souvient qu’il admirait l’as-
surance de son petit camarade.
Kant, Hegel ? Et pourquoi pas ? Il
dit aussi que les normaliens de cette
génération se demandaient qui de
Sartre et de Nizan, les inséparables,
serait célèbre le premier et qui le
serait pour toujours. Lui-même pen-
sait que Sartre créerait en philoso-
phie et Nizan en littérature.
Sartre raconte qu’il se pensait
comme un grand homme au futur,
vivait sa jeunesse comme celle du
YVES MANCIET/RAPHO
« jeune Sartre » que détailleraient
les biographies. Mieux encore, il
avait conçu ce grand projet : « être
à la fois Spinoza et Stendhal ».
Quand Simone de Beauvoir le ren-
contra, au printemps de 1929, elle
fut frappée par cette belle convic-
tion, par l’inépuisable jaillissement
d’idées et de théories qu’il produi-
sait, mais aussi, quand il lui fit lire
ses premiers essais, par leur mala-
dresse. Il était arrivé à Sartre une
aventure métaphysique : il était
né. Cet accident arrive à tout le
monde, mais chez lui la naissance
prit un tour véritablement ontolo-
gique : elle était pure contingence.
Autrement dit, elle aurait pu aussi
bien, sentait-il, ne pas se produire.
Plus tard, quand il interpréta les
conditions particulières de son
enfance, dans Les Mots, il écrivit :
« Ma chance fut d’appartenir à un
archives éditions gallimard
JEAN-PAUL SARTRE
T
ard dans le XXe siècle, le pourtant jamais étudié Sartre à
nom de Jean-Paul Sar- l’université : « En cela, je ne crois
tre trôna, souverain, au pas être un cas isolé. J’ai croisé Sartre
centre de la scène intel- par des chemins détournés, extrême-
lectuelle française. Les ment sinueux. Je l’ai lu toute seule, et
nouveaux venus, s’ils désiraient se par l’entremise de Simone de Beau-
faire une situation, devaient voir ! », confie-t-elle.
d’abord prendre leurs marques par Même constat du côté des études
rapport à l’idole existentialiste. Et gaies et lesbiennes, enfin. Tandis
tenter, si possible, de ne pas étouf- que les figures de Derrida, Bourdieu
fer. Evoquant cette époque, le philo- et surtout Foucault y triomphent,
sophe Jacques Derrida rappelait Sartre est boudé, voire considéré,
qu’au temps de sa jeunesse, à l’om- dans sa première période, comme
bre de Sartre, il s’agissait simple- un penseur homophobe, ainsi que
ment de « survivre ». Derrida mais
aussi Foucault, Deleuze ou encore
Barthes : c’est l’ensemble d’une « On n’a pas besoin
génération qui s’est peu ou prou
construite « contre tout ce que repré- de l’utiliser pour
sentait (…) l’entreprise sartrienne »,
selon les termes utilisés par Pierre en avoir besoin. Il est
Bourdieu dans un témoignage pos-
thume (Esquisse pour une socio-ana- là en cas de coup dur,
lyse, Seuil, 2004).
Quatre décennies plus tard, le comme le rappel
décor a bien changé. La cohorte
aujourd’hui dominante est celle-là que la philosophie
même qui évinça Jean-Paul Sartre
après lui avoir rendu hommage. est possible sous sa
Celui-ci demeure encore présent
parmi nous, certes, mais son œuvre forme la plus libre »
n’est plus centrale. Elle ne structure
plus le débat d’idées. A l’université, l’affirment encore des Entretiens sur
le corpus sartrien constitue bien la question gay qui paraissent ces
claude dityvon
davantage un objet d’étude qu’une jours-ci aux éditions H & O (168 p.,
ressource théorique. Et s’il arrive 15 ¤). Ancien militant du Front
aux jeunes gens de retrouver sa tra- homosexuel d’action révolutionnai-
ce, c’est désormais à la marge. re (FHAR), Jean Le Bitoux y rappelle
Chemin oblique, rencontre indi- Mai 1968 : Jean-Paul Sartre à la Sorbonne aussi, néanmoins, qu’en 1971, c’est
recte : « Dans les études littéraires, se dans le journal maoïste Tout !, dont
tourner vers Sartre, c’est de l’ordre du Sartre était directeur, que furent
détour », note Marielle Macé, sée, entre écriture et concept », la plupart des travaux et enseigne- les savoirs « dominés », les discipli- tre. Quand je parle de Fanon à des publiés les premiers manifestes du
31 ans, chercheuse au CNRS. Ainsi confie-t-elle. ments dans les départements de phi- nes « parias » ? Rien n’est moins étudiants, il faut que j’épelle son FHAR. Bien plus, un spécialiste com-
les étudiants qui s’intéressent à Jean Et c’est cette même énergie stylis- losophie. Lui qui n’a jamais été sûr. Prenons l’exemple des études nom… », tranche Pap Ndiaye. me Louis-Georges Tin, fondateur
Genet iront-ils fréquenter Sartre par tique, cette même confiance dans la « donné » au programme de l’agré- dites « postcoloniales », qui décons- Penseur de toutes les domina- de la « Journée mondiale contre
ricochet, tout comme ceux qui abor- prose d’idée qui séduisent le philoso- gation, y apparaît au mieux comme truisent les savoirs européens tels tions, sociales et coloniales, mais l’homophobie » et par ailleurs
dent la sociologie du champ littérai- phe Elie During : « L’Etre et le un acteur secondaire du grand dra- qu’ils se sont constitués à l’âge des aussi sexuelles, Sartre ne semble auteur d’une thèse sur la tragédie
re proposée par l’école Bourdieu. Néant peut se lire entièrement com- me phénoménologique européen, empires, en liaison étroite avec les pas beaucoup plus sollicité par les politique au XVIe siècle, considère
C’est surtout au lycée que l’auteur me un recueil d’exemples, rempli de derrière les premiers rôles Husserl, politiques de puissance. Sartre y est théoriciennes du féminisme qu’en dernier ressort, l’avènement
des Mots demeure un passage obli- figures et d’anecdotes. Le garçon de Heidegger et Merleau-Ponty. « Sar- peu présent, comme en atteste Pap contemporain. Exception faite, d’une « politique » gay et lesbienne
gé, alors que l’Université, elle, le café, le skieur qui dévale les pentes… tre, c’est un peu le philosophe pour Ndiaye, maître de conférences à peut-être, d’un courant venu des doit beaucoup plus à Sartre qu’à
mobilise rarement en tant que théo- Cette prise directe de la philosophie terminales. Après le bac, on se dit l’Ecole des hautes études en scien- Etats-Unis, qui puise dans la Criti- Foucault.
ricien de la littérature : « Le soupçon sur les situations les plus ordinaires, qu’il est temps de passer aux choses ces sociales (EHESS) : « On peut le que de la raison dialectique pour éla- Pour le comprendre, il convient
porté sur le roman à thèse et le théâ- trouver ici ou là, sous la forme de borer une doctrine existentialiste une fois de plus d’emprunter un sen-
tre engagé a longtemps dévalorisé cet- petits coups de chapeaux à l’intellec- (anti-naturaliste et anti-essentialis- tier détourné : « Analysant l’Histoire
te œuvre, au profit d’interrogations A l’université, le corpus sartrien tuel anticolonialiste. Mais les points te) des identités sexuées : « L’idée de la sexualité, Foucault parlait
plus formalistes. Comme critique litté- d’appui, dans ce domaine, ce sont est d’envisager le féminisme comme d’une “hypothèse répressive”, et sem-
raire, Sartre a été éclipsé. Mais depuis constitue bien davantage un objet d’étude précisément des auteurs qui l’ont un mouvement pluriel, au sein blait par là mettre à mal la base
peu, on constate un certain retour du marginalisé, et d’abord Michel Fou- duquel émerge un véritable sujet col- même du militantisme homosexuel.
souci éthique. Et s’il y a bien un point qu’une ressource théorique cault et Edward Saïd », note cet lectif : par exemple, le racisme vient Sartre, lui, prend à bras le corps les
où Sartre peut être utile, c’est sur cette américaniste de 38 ans. moduler la domination de genre, et questions de l’aliénation, de la honte,
question du face-à-face entre le mon- c’est aussi un rapport direct avec les sérieuses, et on a presque honte de le A ses yeux, les textes où Sartre une femme afro-américaine d’un de l’intériorisation du regard
de et la littérature, sur ce renouveau concepts. Il y a dans la manière de citer… », sourit During. Non sans célébra jadis la « négritude » sont milieu défavorisé ne fait pas la même d’autrui. Ses psychanalyses existentiel-
d’un engagement qui appelle une Sartre, en dépit du style dialectique, rappeler le curieux statut qui est d’ailleurs devenus « illisibles ». Ain- expérience de l’oppression sexiste les permettent de comprendre les posi-
autre réponse que la seule écriture », quelque chose qui s’apparente à désormais celui du penseur existen- si de la fameuse préface aux Dam- qu’une femme blanche de la middle tions marginales, celles de l’artiste, de
note Marielle Macé. l’“art brut”. Sartre, on n’a pas besoin tialiste, y compris chez les philoso- nés de la terre, de Franz Fanon class. L’essentiel est de comprendre l’homosexuel, du nègre ou du juif. Ce
Ancienne élève de l’Ecole norma- de l’utiliser pour en avoir besoin. Il est phes qui s’y réfèrent : « Il est omni- (1961) : « L’exaltation de la “race” que cette multiplicité des expériences faisant, il anticipe sur la notion de
le supérieure, cette jeune enseignan- là en cas de coup dur, comme le rap- présent, oui, mais on ne travaille avec noire s’y exaspère dans un quasi- n’empêche pas la solidarité entre tou- “stigmate” chez Erving Goffman, et
te n’a vraiment découvert Sartre pel nécessaire que la philosophie est lui que sur les bords, à la marge. » appel au meurtre des Européens. Une tes les femmes », analyse Elsa Dor- de “violence symbolique”chez Bour-
que par raccroc, à la toute fin de son possible sous sa forme la plus libre », Largement délaissé comme théo- telle radicalité l’a isolé. Cette préface lin, 30 ans, qui vient de soutenir une dieu. Aujourd’hui, tout le monde cite
cursus universitaire. C’est-à-dire en s’enflamme-t-il. ricien de la littérature et comme phi- est une sorte de monument, souvent thèse sur les relations entre sexe, Foucault, mais quand on parle
doctorat, au cours d’un travail sur le Et pourtant : ce normalien de losophe, Sartre est-il davantage sol- cité, rarement visité, incroyablement race et médecine à l’âge classique. d’“homophobie”, qu’on s’en rende
genre de « l’essai » au XXe siècle : 32 ans achève une thèse consacrée licité en tant que penseur de l’éman- daté et problématique. Aux Etats- Cofondatrice du réseau « Efigies », compte ou non, on contourne un cer-
« J’ai tout de suite été emportée par le au trio Bergson/ Wittgenstein/ Poin- cipation ? Celui qui prétendait Unis, Fanon est encore lu et discuté, qui regroupe des jeunes chercheurs tain foucaldisme ordinaire. Et au pas-
Sartre essayiste, qui a su établir une caré, et Sartre en est totalement accompagner partout la lutte des alors qu’en France, on peut dire qu’il en « études féministes, genre et sage, on récupère Sartre… »
solidarité très neuve entre style et pen- absent. Tout comme il est absent de opprimés est-il mis à l’honneur par a été “plombé” par la préface de Sar- sexualités », cette philosophe n’a Jean Birnbaum
L
es dévots de tous bords vou- ne faisais pas le poids. » Aveu de fai- ce immédiate, et Sartre d’abord à Sartre et Beauvoir,
draient aujourd’hui que cette blesse, ou lucidité ? l’écriture. Cependant, comme je vou- en 1947
histoire n’ait pas eu lieu, que Cette lucidité, que lui dénient cel- lais écrire et qu’il se plaisait à vivre,
ce compagnonnage de toute une les qui la disent « soumise à Sar- nous n’entrions que rarement en
existence entre Jean-Paul Sartre et tre », Simone de Beauvoir l’a réaf- conflit. »
coll. centre audiovisuel simone de beauvoir
Simone de Beauvoir (1908-1986) firmée tout au long de son œuvre, L’entente, pendant des années,
soit une erreur, voire un menson- notamment dans son travail de d’un homme et d’une femme dans
ge. Les pieux sartriens aimeraient mémorialiste, où son talent – plus l’exercice d’une vraie liberté est
bien effacer Beauvoir sur la photo, que dans les romans – est à son insupportable. Alors il faut tenter
ou tout au moins la reléguer dans meilleur. Il s’agit, rappelle-t-elle de la nier, caricaturer Beauvoir, ce
un petit coin, et ne craignent pas dans La Force de l’âge, de faire, en qui est fait constamment – avec
de dire élégamment qu’elle « a « un compte-rendu (…) dénué de plus ou moins de talent. Certes, de
emmerdé Sartre toute sa vie ». toute préoccupation morale », la Mémoires d’une jeune fille rangée à
Quant à certaines féministes, ou chronique d’une époque et de sa La Cérémonie des adieux (on lui a
supposées telles, désormais très cri- propre vie. reproché de décrire Sartre malade
tiques à l’égard de Beauvoir, elles et affaibli), en passant par Les Man-
se demandent comment elle a pu « sa mort nous sépare » darins, elle n’a cessé d’aggraver
demeurer amoureuse de ce A-t-elle vraiment, à cause de son cas… Dans Les Mandarins, prix
« machiste déguisé », en outre celui qu’elle appelle dans ses let- Goncourt 1954, Dubreuilh, person-
assez laid, et comment elle a pu tres son « bon petit philosophe », nage inspiré par Sartre, est décrit
renoncer, s’effaçant devant cet déserté le domaine de la pensée ? comme quelqu’un qui aura « tou- que celle des héros du livre, dans de texte serré) en est un ; jusque-là le dance. Là encore, les interprétations
homme, à son propre destin de phi- « Je savais très bien, précise-t-elle jours l’air aussi jeune à cause de ses une atmosphère analogue. » Et il plus important de l’année. » divergent, et beaucoup moquent les
losophe. dans La Force de l’âge, que mon yeux énormes et rieurs qui dévo- ajoutait : « Est-ce donc l’affaire des A la dernière ligne de La Cérémo- « cher petit être », « cher petit vous
Evidemment, ce propos des aisance à entrer dans un texte venait raient tout ». écrivains de faire de la politique et nie des adieux, Beauvoir donne sa autre », « mon doux petit », de celle
Mémoires d’une jeune fille rangée précisément de mon manque d’in- « Mme Simone de Beauvoir se de vouloir réformer le monde parce propre conclusion de l’aventure : qui signe souvent « votre charmant
leur déplaît infiniment : « C’était la ventivité. Dans ce domaine, les défend d’avoir écrit un livre à clef, qu’ils savent tenir une plume et sont « Sa mort nous sépare. Ma mort ne castor ». C’est pourtant bien à l’usa-
première fois de ma vie que je me esprits véritablement créateurs sont écrivait en 1954 Emile Henriot bons au jeu des idées ? Ou faut-il nous réunira pas. C’est ainsi ; il est ge de codes mystérieux, de mots
sentais intellectuellement dominée si rares qu’il est oiseux de me deman- dans Le Monde. N’y recherchons qu’ils soient condamnés à ne produi- déjà beau que nos vies aient pu si long- jugés ridicules par « les autres »,
par quelqu’un. (…) Sartre, tous les der pourquoi je n’essayai pas de donc pas des ressemblances très pré- re qu’une littérature de propagan- temps s’accorder. » Des vies qu’on a qu’on reconnaît ceux qui s’aiment
jours, toute la journée, je me mesu- prendre rang parmi eux » ; « Je cises, mais la situation dans laquelle de ? Voilà le sujet d’un grand livre, et revisitées, après leur mort à tous dans la complicité.
rais à lui, et dans nos discussions, je tenais d’abord à la vie, à sa présen- M. Sartre s’est trouvé est la même celui de Mme de Beauvoir (580 pages deux, en découvrant leur correspon- Jo. S.
LE MONDE/VENDREDI 11 MARS 2005/V
JEAN-PAUL SARTRE
Un théâtre de l’ambiguïté
Dramaturge aux multiples paradoxes, l’auteur du « Diable et le Bon Dieu »
prend plaisir à agacer et à brouiller les pistes
I
l n’est pas excessif de dire que Genet, l’auteur de théâtre qui, seul construire son être sur du paraî-
Sartre a dominé la scène fran- de son époque, fascinait Sartre. tre, sur du rien.
çaise pendant la dizaine d’an- Quant à lui, aucune de ses onze Sartre est un dramaturge qui
nées qui commence en 1943, avant pièces n’appartient au même multiplie les paradoxes et les ambi-
d’être doublé sur sa droite par le genre et aucun des genres exploi- guïtés, d’où résultèrent quelques
théâtre dit de l’absurde (Ionesco, tés ne l’est sans être adultéré ou malentendus. Le premier para-
Beckett, Vauthier…) et sur sa gau- gauchi, notamment dans le sens doxe est d’avoir été philosophe au
che par le brechtisme, dont la mon- d’une théâtralité qui ouvre des théâtre et ne pas s’en être caché.
tée en puissance date de la venue horizons sur bien autre chose que Paradoxe encore du public bour-
à Paris du Berliner Ensemble en les vieux modèles. Pour prendre geois auquel Sartre s’adresse, car
1954-1956. toute la mesure de l’importance ses pièces se donnent dans de
Pendant cette décennie, Sartre ontologique que Sartre accorde à grands théâtres de la rive droite
connut une période d’intense pro- la facticité du théâtre, il faut voir (Antoine, Renaissance) où il est de
duction : sept pièces et autant de avec quelle maestria, dans Huis bon ton de se réunir entre gens du
succès. Après Les Mouches, sa pre- clos notamment, il jongle avec les même monde ; l’intelligence ne
mière pièce, montée par Dullin au instances canoniques de la drama- leur fait pas peur à condition qu’el-
S
pour réfléchir – me paraissait sou- artre est très lucide et très nard Dort, il déclarait : « Je me être jouée en province, dans des sur eux. Redoutable, pour le met- Rhinocéros, de Ionesco. Il prépare
dain, en tant que théâtre, faible, uni- conscient de tout, organisé. Il demande parfois si le théâtre n’est théâtres municipaux, pour trois teur en scène, de rendre l’hyperlu- une lecture radiophonique des Mou-
voque, conventionnel. D’intelligen- a fait tout ce qui est possible pas en train de mourir. Rien de ce amis à lui qui avaient besoin de tra- cidité de ces consciences. ches, de Sartre, pour France-Culture.
tes dramatiques de télé sans plus. pour construire l’image d’un génie. qui s’est passé depuis dix ou vingt vailler. J’ai relevé une phrase de J’ai commencé à lire Sartre vers
Mais je continuais à l’aimer en Il a dit lui-même que pour cela il fal- ans. » Lorsqu’il déclare cela, nous Sartre, fatale pour lui : « Le théâtre l’âge de 16 ans. j’avais travaillé
secret, et à prendre sa défense si je lait à la fois écrire des essais, des sommes en 1979. 1959, c’est l’an- est devenu un théâtre de metteur en avec mes camarades de lycée des ATELIERS D’ECRITURE
le voyais attaqué. Je n’arrivais pas à romans, des pièces de théâtre… Il a née des Séquestrés d’Altona, sa der- scène, il n’est pas un théâtre scènes des Mains sales (ainsi ELISABETH BING
être tout à fait ingrat. magnifiquement réussi son coup. nière pièce. Il est donc en train de d’auteur. » Ça, je peux l’accepter, d’ailleurs que le Caligula de
Et puis je l’ai relu. Je l’ai relu à la Ce que je cherche à démolir, c’est mais il poursuit : « Or le Camus), il y a une quinzaine d’an-
lumière, précisément, du temps qui la statufication, cette façon de s’éri- a Claude Régy metteur en scène est un nées, mais j’étais, je l’avoue, assez
avait passé, et de ma presque-infi- ger en génie absolu, alors qu’il a homme du réel non de l’ima- gêné par l’abondance de ses indica-
délité. Et de nouveau – mais autre- plus ou moins tout raté. Les messa- nous dire qu’après lui il ne s’est rien ginaire. » C’est aberrant. C’est jus- tions scéniques.
ment, donc – j’ai aimé cette écritu- ges de toutes ses pièces sont extrê- passé : ni le Leaving Theater, ni Kan- tement son travail, au metteur en En vérité, j’étais surtout habité Oser écrire.
re. Autrement : c’est que son mement embrouillés. Ses formes tor, ni Grotowski, ni Bob Wilson… scène, d’être un homme de l’imagi- par ses romans et ses nouvelles, en Faire avancer son écriture.
œuvre avait changé. Il était, entre- théâtrales sont très conventionnel- Tout cela est donc nul. Il ne peut naire. On trouve tout le temps ces particulier par La Nausée : l’hom-
Ateliers 2005 :
temps, devenu un classique. « Sar- les, reposant sur le personnage, le supporter que sa propre produc- choses péremptoires, qui se retour- me livré aux autres hommes, à l’im-
inscriptions ouvertes
tre ? Oh c’est daté ! », disent les caractère, sur l’avènement d’un fait tion. Je ne peux pas me laisser pren- nent contre lui en fait. possible transparence, que je res-
paresseux, ceux souvent qui n’y et ses conséquences. Il est passé à dre par tous ces jeux. sentais comme une tentative déses- 01 40 51 79 10
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sont pas même allés voir. Eh bien côté d’une vraie invention person- Huis clos, c’est presque une pièce e Claude Régy a monté Huis clos à la pérée, propre à un siècle constitué www.ateliersdecriture.net
oui, c’est daté. Mais c’est là peut- nelle. Dans un entretien avec Ber- de boulevard. Elle a été écrite pour Comédie-Française, en 1990. d’horreurs et de situations limites
VI/LE MONDE/VENDREDI 11 MARS 2005
JEAN-PAUL SARTRE
E
n leurs vertes années norma- les épreuves de la défaite de 1940 et même intensité au même moment.
liennes, au milieu des années de l’Occupation, puis, sans que l’His- Et ce différentiel de rayonnement
1920, Jean-Paul Sartre et Ray- toire reprenne alors son souffle, la constitue un autre papier chimique,
mond Aron avaient, sur le mode de guerre froide et la décolonisation. rendant compte des grandes phases
la plaisanterie, conclu un pacte : Ce sont ces deux derniers types de domination idéologique successi-
celui des deux qui survivrait à de conflits qui constituèrent autant ves dans la France du XXe siècle.
l’autre rédigerait sa notice nécrologi- de brisants sur lesquels se fracassa On le voit, Sartre et Aron existent
que pour l’Annuaire des anciens élè- l’amitié Sartre-Aron. Assurément, par eux-mêmes, tant par leur per-
ves de la rue d’Ulm. Mais les décen- l’histoire intellectuelle française du sonnalité et leur œuvre propres que
nies d’un siècle tourmenté s’écoulè- XXe siècle est jalonnée de bien parce qu’ils sont devenus des figu-
rent ensuite et désagrégèrent cette d’autres relations brisées qui se res tutélaires de leurs camps respec-
amitié de jeunesse, à tel point que, transformèrent parfois en duels – tifs, mais ils constituent aussi, à tra-
quand le premier partit, en ainsi Sartre et Camus –, et notam- vers leur face-à-face, des indica-
avril 1980, le second écrivit dans ment à l’époque de la guerre froide teurs tout à la fois d’amplitude de
L’Express : « L’engagement ne tient et des débats autour du communis- houle historique et d’intensité de
plus. » Un tel constat ne prenait pas me puis au moment de la guerre radiation idéologique.
seulement la mesure d’affinités élec- d’Algérie, mais Sartre et Aron Longtemps, Sartre figura au firma-
tives initiales peu à peu métamor- avaient le même âge et étaient issus ment : son rayonnement, plusieurs
phosées en inimitié durable, il pre- décennies durant, autorise à parler
nait surtout acte du fossé que l’His- des « années Sartre », période de
toire avait entre-temps creusé. Car Largement à leur corps suprématie idéologique des gau-
telle est bien la clé de ce chassé-croi- ches intellectuelles, que Raymond
sé affectif : il s’est doublé d’un désac- défendant, Aron estima en 1955 grisées par
cord idéologique croissant entre les l’Opium des intellectuels, en d’autres
deux hommes, qui, de surcroît, ils devinrent les héros termes le marxisme. Dès 1945, Jean-
devinrent au fil du second demi-siè- Paul Sartre, dans la première livrai-
cle les figures de proue des deux éponymes d’une guerre son des Temps modernes, avait théo-
camps idéologiques en présence. risé le « devoir d’engagement », et sa
Largement à leur corps défendant, de trente ans notoriété rapidement acquise lui
ils devinrent les héros éponymes permit d’incarner le type de l’intel-
d’une guerre de trente ans qui divisa d’un même terreau intellectuel. Du lectuel de gauche progressiste, alors
le milieu intellectuel français, de la coup, faire l’histoire de leurs traver- statistiquement et idéologiquement
Libération au milieu des années sées respectives du siècle n’est pas dominant dans ses différentes Sur les toîts
1970. seulement établir la relation d’une variantes. Puis vint, à la fin des de la rue d’Ulm.
Raymond Aron l’avait, du reste, amitié brisée – phénomène, au années 1970, une véritable inver- Sartre est assis
pressenti dès 1956, observant dès ce demeurant, banal dans le milieu sion des rôles : Aron, à la fin de sa sur la cheminée.
moment, dans un article de Preu- intellectuel, et pas seulement par vie, se trouva propulsé sur le devant Nizan et Henriette
ves : « Que, dans notre génération, temps de forte houle historique –, de la scène, au moment où Sartre Alphen, qu’il
aucune amitié n’ait résisté aux diver- mais permet aussi la localisation des commençait à connaître un déficit épousera en 1927,
gences d’opinion politique, que les grandes tempêtes qui ont agité ce d’image. Car l’inversion des rôles sont debout, au
amis aient dû politiquement changer milieu. s’accompagnait d’un changement premier plan
ensemble pour ne pas se quitter, est à Cela étant, l’étude du « Sartron » d’emploi : Sartre, longtemps promu
la fois explicable et triste. » Et, de fait, ne fournit pas seulement ainsi une au rôle d’oracle, apparaissait désor-
cette génération de 1905 connut sorte de papier chimique se colo- mais, et pas seulement aux yeux de sa pensée fut sans cesse greffée sur autres souligneront qu’il y a péril en plus tôt –, tandis que commençait
une destinée historique très dense. rant fortement dans ces phases ses adversaires de toujours, comme l’histoire-se-faisant, et qu’elle tenta la demeure quand le gardien rêve pour Sartre une manière de descen-
Certes, elle eut l’immense chance, aiguës de débats idéologiques. Il une sorte de pythie incongrue, de lui donner une signification sans éveillé, sans prendre vraiment garde te aux Enfers au moment même où
étant née avec le XXe siècle, d’être convient aussi d’observer que, ayant souvent diagnostiqué et pro- pour autant invoquer un quelcon- à la réalité des choses ou comme Raymond Aron, après sa mort,
épargnée, à quelques années près, quand vint le temps, entre les deux nostiqué à contretemps. Et la seule que sens de l’Histoire. Au reste, lui- détaché de cette réalité ; ou pis, lors- gagnait directement le paradis des
par le coup de faux de la Grande hommes, d’un long affrontement – ligne de défense de ses sympathi- même l’écrira en 1983 dans l’épilo- qu’il est somnambule. Aron aurait penseurs. Ce fut donc toujours, mais
Guerre. En revanche, ses membres des débuts de la guerre froide aux sants en dira long sur l’état de trou- gue de ses Mémoires : « A supposer pensé l’Histoire, Sartre l’aurait à tour de rôle, au regard du milieu
parcoururent ensuite le reste de leur désillusions idéologiques de la fin ble profond dans lequel se trouvait que quelqu’un se donne la peine de rêvée : l’Histoire, donc, non telle intellectuel, l’hallali pour l’un et le
âge en affrontant tour à tour la mon- des années 1970 –, le rayonnement le milieu intellectuel français à cette me lire demain, il découvrira les analy- qu’elle est mais telle qu’elle devrait Walhalla pour l’autre. L’historien
tée des périls au fil des années 1930, de l’un et de l’autre ne fut jamais de date : mieux valait avoir tort avec être. doit donc tenir compte du relativis-
Sartre, proclama-t-on, que raison a Jean-François Sirinelli En même temps, l’histo- me de ces images successives. Pour
avec Aron. Les historiens du futur rien doit se méfier de ce type autant, faire un tel constat ne doit
RAYMOND ARON, 1905-1983 resteront à coup sûr perplexes
devant une telle phrase, qui, d’em-
ses, les aspirations et les doutes d’un
homme imprégné par l’Histoire. »
de formule définitive. Ce qu’ensei-
gne l’analyse du « Sartron », c’est
pas conduire à verser dans une sorte
d’œcuménisme lénifiant. L’intellec-
blée, réduisait à néant la légitimité Pour Sartre, le cas de figure est singu- aussi que la querelle d’images a tou- tuel engagé, se voulant un acteur de
Raymond Aron est né le 14 mars 1905 à Paris. Elève à l’Ecole normale de la place du clerc, dont l’avis avait lièrement plus complexe. On doit à jours été tributaire du climat idéolo- l’Histoire, est ensuite passible non
supérieure de 1924 à 1928, il est d’abord proche des Etudiants socialis- été considéré comme important par- Jacques Audiberti cette jolie formule gique et du contexte historique des des tribunaux de l’Histoire, qui
tes, avant de rejoindre Sartre dans le groupe des non-engagés. Il sou- ce que procédant, au moins en théo- à son propos : « Un veilleur de nuit époques successives. D’où deux pha- n’existent pas, mais de l’analyse rai-
tient, en 1938, sa thèse, Introduction à la philosophie de l’histoire. Dès rie, de la raison. Cette phrase, par sur tous les fronts de l’intelligence ». ses très tranchées : longtemps Ray- sonnée des conséquences de ses
juin 1940, il rejoint Londres. A partir de 1946 il fait le choix du journa- son excès même, reflétait bien cette La phrase, assurément, peut être mond Aron souffrit d’un réel ostra- écrits et de ses actes sur la vie et
lisme politique, d’abord à Combat puis au Figaro. Elu à la Sorbonne en sorte de querelles d’images qui, au détournée par les partisans aussi cisme de la part d’une large partie l’avis de ses contemporains.
1955, il crée en 1961 le Centre de sociologie européenne. En 1974, il sou- bout du compte, avait accompagné bien que par les adversaires du philo- du milieu intellectuel, tandis que l’as-
tient Valéry Giscard d’Estaing, puis, quatre ans plus tard, fonde la revue le débat franco-français. sophe. Les uns insisteront sur la vigi- tre Sartre y rayonnait. Puis, au début e Directeur du Centre d’histoire de
Commentaires. En 1977, après avoir rompu avec Le Figaro, il inaugure sa Ce qui fait, du reste, qu’à bien des lance constante du « veilleur », des années 1980, on observa une sor- Sciences-Po. Auteur de Sartre et
tribune à L’Express. Enfin, en 1983, l’année de sa mort (le 17 octobre), la égards le débat est resté actuel. Les mobilisé, trente-cinq ans durant, te de retour des cendres de Camus – Aron. Deux intellectuels dans le siècle,
publication de ses Mémoires parachève son itinéraire. partisans d’Aron ont fait valoir que dans de multiples combats. Les lui aussi en partie ostracisé vingt ans Fayard, rééd., coll. « Pluriel », 1999.
guerre incontrôlable. L’Histoire col- gnonnage avec le PCF en 1956, lors oppresseurs, dont il ne s’excluait que les jeux ne sont jamais faits,
lective fond sur l’individu soudain de l’invasion soviétique de la Hon- pas. Sartre ne sort pas alors d’une que l’histoire humaine ne se résume
déniaisé par l’épreuve d’une mise à grie. En 1960, l’euphorie cubaine ne logique de la violence et de la pas à celle de la nature, de la structu-
nu. Le philosophe qui avait sage- l’empêcha pas de prévenir ses amis contre-violence. On s’abuserait re et de l’économie. Ni modèle ni
ment étudié la phénoménologie à révolutionnaires : « Vous avez votre toutefois de croire que l’activisme épouvantail, une telle politique est
Berlin en 1933 fait brusquement l’ex- terreur devant vous. » Et en 1979, il politique de Sartre, notamment l’antidote au réalisme cynique tout
périence de l’ennemi radical et soutint les boat people fuyant le celui de ses dernières années « gau- comme au prophétisme alarmé. Elle
Sartre et Aron. Dessin de presse réalisé par Tim et paru dans l’Express d’une possible solidarité par le bas. communisme après avoir été l’un chistes », a été motivé par la fascina- conjugue la résistance à l’inaccep-
(14-20 février 1981). Le premier texte politique, issu de des plus virulents contempteurs de tion de la terreur. Son soutien aux table et l’ouverture à l’inédit.
LE MONDE/VENDREDI 11 MARS 2005/VII
JEAN-PAUL SARTRE
M
ars 1960, Cuba. Sar- terrasse d’un café. Nizan est
tre trace les derniers convaincu de l’imminence d’un
mots de sa préface à accord anglo-franco-soviétique :
Aden Arabie, pam- « L’Allemagne sera à genoux ! » Quel-
phlet de Nizan bien- ques semaines après, il apprend, stu-
tôt réédité par François Maspero. péfait, la signature du pacte germa-
Au début de l’été, sa série de repor- no-soviétique (23 août). Après l’inva-
tages dans France Soir, « Ouragan sion de la partie orientale de la Polo-
sur le sucre », le montre frappé par gne par l’URSS, il annonce sa démis-
l’« intransigeance » des jeunes res- sion du Parti à Jacques Duclos par
ponsables politiques cubains. Cette une brève lettre, publiée par L’Œu-
mythification de la jeunesse offre vre le 25 septembre. Dès lors, les
une parenté avec l’image de fidélité calomnies contre cet « ex » vont se
et d’irréductibilité de Nizan brossée mettre en marche.
dans la préface. Dans ces reporta- Quels furent les échanges entre
ges, c’est bien un fantôme possible les deux hommes ? Nous n’en
de Nizan que l’on découvre sous les savons malheureusement presque
traits de Castro ou Guevara, com- rien, leur correspondance ayant été
me ce fut le cas avec Albert Memmi, perdue. Le 30 mai 1940, Sartre note,
Henri Alleg et André Gorz, comme en bas d’une lettre à Beauvoir : « J’ai
ce le sera avec Frantz Fanon. peur que Nizan, qui s’était
« L’amitié (…) plus orageuse qu’une “habilement” fait verser dans le corps
passion », décrite par Sartre dans un expéditionnaire anglais, ne soit en Bel-
roman de jeunesse, éclate avec fer- gique. » Le 23 mai, Nizan a trouvé la
veur dans la préface à Aden. Elle a mort, à Recques-sur-Hem, dans le
hanté toute sa vie. Pas-de-Calais. Le 21 juin, Sartre est
On se rappelle toujours la premiè- fait prisonnier et transféré dans un
re rencontre. Elle a lieu en 1917, en stalag à Trèves, dont il sera libéré en
5e, à Henri-IV. Mais c’est en 1920 mars 1941. A l’automne 1940, Hen-
bnf/fonds nizan
qu’ils deviennent amis. Classe prépa- riette est partie se réfugier aux Etats-
ratoire à Louis-le-Grand (1922), Eco- Unis, avec ses enfants ; elle appren-
coll. archives éditions gallimard
S
i Dieu n’existait pas, tout serait permis. » Cette cher cette guerre qui menace), je reconnais notre fragi- rence à « L’Ange du morbide », le mars 1937, responsable de la politi-
phrase de Dostoïevski, Sartre en change la pers- lité et notre finitude communes. Je prends aussi le ris- personnage représentant en partie que étrangère à Ce soir.
pective : Dieu, effectivement, n’existe pas, pour- que de son refus. Quant à l’action, elle sera nôtre et Sartre dans Le Cheval de Troie (1935) Leurs relations s’espacent : pour Dans sa préface
tant tout n’est pas permis. Un ciel vide n’implique pas non mienne, dans une réciprocité concrète. s’appellera Lange. Quant à Sartre, il cause d’un emploi du temps chargé
que ma liberté débouche sur la barbarie. Mais pour- La « conversion », à laquelle Sartre consacre la fin relatera l’épisode de La Revue sans de Nizan, assurément ; en raison du à « Aden »,
quoi ? Et comment ? Au nom de quoi, et sous quelle des Cahiers, est une notion plus essentielle encore. titre et son amitié pour Nizan dans manque d’engagement de Sartre,
forme, une morale demeure-t-elle possible ? Ces ques- Cette conversion consiste à vouloir le monde, et non son roman non publié, La Semence également. Henriette note que Paul Sartre reviendra
tions n’ont cessé de hanter Sartre, philosophe comme plus les valeurs. Si je subordonne mon acte à un but et le Scaphandre (1923). et elle sont plus proches de Malraux
romancier, militant comme dramaturge. De La Nau- extérieur (faire le bien, ne pas mentir, être coura- en 1936, Sartre et Beauvoir avec virulence
sée à la Critique de la raison dialectique, de Saint Genet geux), je suis déjà aliéné : je me transforme en moyen a Anne Mathieu leur apparaissant « tout à
au Flaubert, même série de préoccupations : com- pour réaliser cette valeur universelle. La liberté n’exis- fait hors du coup ». En sur cette « conjuration
ment une liberté peut-elle agir sur le monde, s’inscrire te, au contraire, qu’en se faisant. Elle se découvre elle- Seul Nizan continue à publier. juillet 1938, les Nizan emmènent
dans l’histoire, s’unir à d’autres, se perdre dans les même à travers ses œuvres, et elle assume le monde, Puis, après plusieurs mois à Aden, il Sartre voir un film sur la guerre d’Es- d’infirmes »
malentendus, se ressaisir et continuer à s’inventer tou- même (et surtout) quand il lui échappe. Je faisais tout adhère au Parti communiste à la fin pagne : il écrit à Beauvoir qu’ils sont
jours en agissant ? pour éviter la guerre, mais « si elle éclate je dois la 1927 – décision conditionnant sa « emmerdants comme la pluie ». ayant voulu
Sartre a bien tourné autour de cet enchaînement de vivre comme si c’était moi qui l’avais décidée ». Mieux vie, et son destin. A la même épo- 1938, premier roman de Sartre
problèmes, mais sans parvenir à trouver une issue vrai- encore : je vais considérer cette guerre (même si je que, il se marie avec Henriette (La Nausée) ; troisième roman de « escamoter » Nizan
ment satisfaisante. En 1943, L’Etre et le Néant s’achève continue à lutter contre, au risque de ma mort) com- Alphen (témoins : Sartre et Aron). Nizan (La Conspiration). L’entrée de
sur l’annonce d’un prochain ouvrage : une morale. Ce me « une chance de dévoilement du monde ». Telle est En 1928, les deux amis révisent la tra- Sartre en littérature inaugure des « conjuration d’infirmes » ayant vou-
texte annoncé n’a jamais vu le jour. Sartre a rédigé six la « conversion » dont rêve Sartre à cette époque. duction française de la Psychopatho- clins d’œil dans leurs œuvres respec- lu « escamoter » Nizan.
cents pages de brouillons, en 1947 et 1948, avant de Elle est traversée par la joie, comme toute pensée logie générale de Karl Jaspers. En tives, témoignant d’une amitié tou- L’après-guerre inaugure la notorié-
les abandonner. Ces Cahiers pour une morale, édités d’envergure. 1929, Sartre est premier à l’agréga- jours vivace. Un « gendarme té de Sartre existentialiste, son enga-
en 1984 à titre posthume, indiquent l’ampleur de sa Cette acceptation totale est aux antipodes de la rési- tion de philosophie, Nizan, cinquiè- Nizan » apparaît dans La Nausée, gement total. Dans sa préface, on
tentative autant que son échec. gnation : c’est par moi que le monde vient à l’être. Ain- me. Beauvoir, deuxième, est appa- auquel répond un « commandant relève : « C’était moi, tout aussi bien
Cette impasse s’explique par le nombre de difficul- si, « dans l’humilité de la finitude », je retrouve « l’exta- rue dans le groupe quelques mois Sartre » dans La Conspiration, puis qui écrivais dans Ce soir les leaders de
tés et de contraintes rassemblées. Se défaisant de tou- se de la création divine ». C’est dans cette optique qu’il auparavant. Les deux couples pas- un « général Nizan » dans L’Enfance politique étrangère. » Le Sartre jour-
te loi divine, Sartre se débarrasse également des mora- faut comprendre la formule, inattendue sous la plume sent de nombreux moments à d’un chef. 1938, c’est également les naliste s’épanouissant après guerre
les philosophiques fondées sur un « ordre divin » du de Sartre : « L’absence de Dieu est plus divine que s’amuser. Deux films, tournés vers débuts de Sartre critique littéraire, à empruntera nombre de motifs thé-
monde, de Platon aux stoïciens, ou de Descartes à Spi- Dieu. » En me perdant sans réserve dans l’action et 1932 par le frère d’Henriette, sur des La NRF, en février. Nizan ouvre le matiques, lexicaux et stylistiques au
noza. Refusant toute forme de nature humaine, il s’in- dans les autres, en aimant ce don, j’ai quelque chance scénarios des deux hommes, pou- bal, dans sa brève rubrique de Ce journaliste Nizan. Le militant Nizan
terdit aussi le recours aux morales sans Dieu qui, de d’en recevoir, plus encore que mon identité rétrospec- vaient en attester : Tu seras curé et soir. « M. Jean-Paul Sartre, qui est, je ne cessera d’être aux côtés du Sartre
Holbach à Rousseau, ou à Stuart Mill, reposent sur tive, un point de vue singulier me découvrant l’absolu. Le Vautour de la sierra. Ils ont mal- crois, professeur de philosophie », engagé, avec plus ou moins de force
une nature supposée. Enfin, voulant tenir compte de Plus tard, Sartre jugera cette conception « mysti- heureusement été perdus. commence-t-il, complice ; mais s’il y et de différences suivant la période.
l’histoire concrète et changeante, refusant de réduire fiée », et incapable aussi de penser ensemble morale Nizan collabore à des revues d’im- salue le « romancier philosophe de Sa figure inspirera le romancier des
la liberté à une abstraction, déclarant « il n’y a de et histoire. portance, dont Europe. En 1930, il premier plan », c’est pour assurer Chemins de la liberté comme le dra-
morale qu’en situation », il ne peut adhérer au formalis- Toutefois, quand on relit aujourd’hui ce gros devient conseiller littéraire de Pierre que ses « dons » devraient le condui- maturge des Mains sales ou de
me de Kant et à l’idée que toute action doit se régler volume, on peut trouver une continuité frappante Lévy, directeur des Editions du Car- re à « s’engager dans les grandes Nekrassov. Il manquera toujours, en
sur une maxime universelle. entre cette morale, entrevue puis abandonnée, et l’in- refour, qui publient la revue Bifur. dénonciations ». Sartre, lui, dévelop- revanche, et les traces fictionnées et
térêt final de Sartre pour le messianisme juif, dont Dans le numéro de décembre figure pe dans La NRF une étude minutieu- le témoignage de Nizan sur son
réalité à construire témoignent ses entretiens controversés avec Benny une ébauche du pamphlet Les se du roman. Laudative, elle exalte « petit camarade ». La vie en a décidé
La réflexion des Cahiers pour une morale est centrée Lévy (1). En suivant cette piste, on lirait sans doute Chiens de garde (1932). Dans celui notamment son talent d’écriture, ainsi.
sur les relations entre ma liberté et celle de l’autre, et Sartre autrement. Sa morale politique apparaîtrait de juin 1931, un texte de Sartre, dans une conclusion aux derniers
sur leur inscription dans l’action historique. Sartre alors sous un jour différent. « Légende de la vérité », introduit mots célèbres : « Un style de combat, Universitaire, Anne Mathieu dirige la
écarte le cas où ma liberté serait infinie et celle de Roger-Pol Droit par Nizan : « Jeune philosophe. Pré- une arme. » revue Aden-Paul Nizan et les
l’autre nulle (la violence pure) et celui, symétrique et pare un volume de philosophie des- Arrive la guerre. Et la dernière ren- années 1930 ainsi que l’édition criti-
inverse, où ma liberté serait nulle et celle de l’autre (1) L’Espoir maintenant. Les entretiens de 1980. Verdier, 1991. tructrice. » contre entre les deux hommes, par que des articles de Paul Nizan en qua-
(Dieu, souverain ou maître) infinie. Seul « l’appel » Voir également sur ce point le volume qui vient de paraître : Vient l’enseignement, en 1931. A hasard, sur le port de Marseille. La tre volumes aux éditions Joseph K ;
indique une réalité à construire. Si je propose à l’autre Benny Lévy, la cérémonie de la naissance, où Gilles Hanus a ras- Bourg-en-Bresse, pour Nizan ; famille Nizan part en vacances en un premier volume vient de sortir sur
d’entreprendre avec moi une action précise (empê- semblé des textes épars (Verdier, 120 p., 12 ¤). au Havre, pour Sartre. Expérience Corse. Sartre et Beauvoir sont à la les quatre prévus.
VIII/LE MONDE/VENDREDI 11 MARS 2005
JEAN-PAUL SARTRE