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LES AGENCES DE NOTATION

Fabienne Collard

CRISP | « Courrier hebdomadaire du CRISP »

2012/31 n° 2156-2157 | pages 5 à 60


ISSN 0008-9664
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INTRODUCTION

1
Les agences de notation financière sont des entités privées qui se donnent pour objet
d’évaluer la solvabilité des États, des entreprises, des collectivités publiques et des
institutions bancaires et d’assurances à travers un système de notes.
Inconnues du grand public il y a dix ans encore, ces institutions – et en particulier
les trois plus importantes d’entre elles, les anglo-saxonnes Standard & Poor’s,
Moody’s et Fitch Ratings – défrayent aujourd’hui régulièrement la chronique. Suite
aux récentes crises financières, dont celle des subprimes aux États-Unis et celle de
la dette dans l’Union européenne, une partie de la population les pense responsables
de nombre des maux qui frappent aujourd’hui l’économie mondiale. Cette opinion
négative s’appuie pour partie sur les propos de certains responsables politiques.
Le premier chapitre du présent Courrier hebdomadaire présentera une vue d’ensemble
des agences de notation. Tout d’abord, il dressera le panorama actuel du secteur de
la notation, en mettant notamment en perspective la position dominante qu’y
occupent les trois grandes institutions anglo-saxonnes. Cette situation s’explique
en grande partie par l’expertise de plus d’un siècle dont peuvent se prévaloir Standard
& Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings, ainsi que par deux facteurs rendant difficile à
d’éventuels nouveaux entrants l’accès au marché de la notation : le développement de
la complexité qui caractérise les marchés financiers aujourd’hui et la réglementation
de plus en plus sévère à l’égard des agences. À l’heure actuelle, un nouveau projet de
réglementation européen est à l’examen et vise notamment à assurer une concurrence
accrue, gage selon certains observateurs d’une amélioration de la qualité des notations
émises. Ensuite, ce chapitre étudiera la manière dont sont financées les agences de
notation, en se penchant notamment sur les origines et les justifications du système
actuel.
Le deuxième chapitre s’intéressera aux diverses activités des agences, en s’arrêtant tout
particulièrement sur le processus de notation et la question de la méthodologie
employée par les agences. Une place spécifique sera également réservée aux deux
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activités qui ont placé les agences au-devant de la scène médiatique : la notation
des produits structurés et la notation souveraine, c’est-à-dire la notation des États.
Le troisième chapitre posera la question de l’influence réelle des agences de notation.
Il commencera par analyser la manière dont ces institutions ont peu à peu pris
de l’importance, au point d’être devenues incontournables, et évoquera les mesures
actuellement en cours d’élaboration visant à renverser cette tendance – un chemin qui
s’annonce encore fort long, le recours aux notations s’étant profondément inscrit dans
la culture d’investissement qui prévaut aujourd’hui. Ce chapitre montrera également
que les agences affirment n’avoir aucune ambition d’influence sur les décisions

1
Il existe également des agences de notation sociale et environnementale, qui notent les entreprises
selon des critères issus de la notion de développement durable. Né à la fin des années 1990
et actuellement en pleine expansion, ce secteur comprend une trentaine de structures (Avanzi, BMJ
Ratings, EthiFinance, Oekom, Vigeo, etc.).

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politiques et tiennent à préciser que leurs activités se limitent à une évaluation


de risque. Il passera en revue les principales critiques auxquelles font face les agences
(en particulier, celle d’être à la fois juges et parties dans certaines circonstances), ainsi
que les diverses réponses apportées jusqu’ici par les institutions incriminées.
Quant au quatrième chapitre, il sera consacré aux règles auxquelles sont soumises
les agences de notation. Contrairement à une idée parfois reçue, l’activité des agences
ne se déroule pas hors de tout cadre normatif. Au contraire, les États-Unis et, plus
récemment, l’Union européenne tentent d’encadrer les agences de notation grâce à
un arsenal législatif de plus en plus contraignant. Pour autant, les règles sans cesse plus
nombreuses imposées aux agences se heurtent encore et toujours à des problèmes
d’application pratique.
Notons que la situation présentée est celle arrêtée à la fin du mois de septembre 2012.
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1. LE SECTEUR DE LA NOTATION :
UNE VUE D’ENSEMBLE

Avant d’aborder les divers aspects de leur activité de notation, ainsi que la question
de leur influence au sein de la sphère financière et économique, il importe de
comprendre le contexte qui entoure les agences de notation : origines et histoire,
configuration actuelle et projets pour l’avenir, mode de financement, etc. Ces entités
privées ont pour principal objet d’évaluer, selon une méthodologie qui reste leur
secret de fabrication, la capacité de remboursement d’émetteurs de dette (entreprises,
institutions bancaires et d’assurances, collectivités publiques et États). Trois agences
dominent le secteur depuis plus d’un siècle : Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch
Ratings. C’est de leur réputation qu’elles tirent essentiellement leur situation
d’oligopole.

1.1. LES AGENCES DE NOTATION AUJOURD’HUI

On dénombre actuellement quelque 130 agences de notation à travers le monde.


Les plus importantes, et pour ainsi dire les seules dont le nom soit connu du grand
public, sont les anglo-saxonnes Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings.
Après un bref historique de la notation financière 2, qui naît aux États-Unis dans
la seconde moitié du XIXe siècle, nous dresserons le panorama actuel des agences
de notation.
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1.1.1. Bref historique

Les origines de la notation financière remontent à 1868, lorsque Henry Varnum Poor
publie pour la première fois le Manual of the railroads of the United States.
Cette publication annuelle propose des informations économiques et financières
aux investisseurs désireux de confier leur épargne aux grandes sociétés de chemin
de fer américaines, alors en plein essor. De son côté, John Moody publie en 1900

2
Cf. N. GAILLARD, Les agences de notation, Paris, La Découverte (Repères), Paris, 2010, p. 7-11 et
les sites Internet des agences Standard & Poor’s (www.standardandpoors.com), Moody’s
(www.moodys.com) et Fitch Ratings (www.fitchratings.com).

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le Manual of industrial and miscellaneous securities, dans lequel il classe les sociétés
en fonction de leur santé financière ; dès 1909, il propose un système de notation
sous forme de lettres (de Aaa à C) pour évaluer lui aussi la qualité des investissements
liés aux entreprises de chemin de fer.
La crise de 1907 est responsable de nombreuses faillites et jette le trouble dans l’esprit
des investisseurs. Les notations de Moody’s Investors Service (Moody’s), agence
officiellement fondée en 1914, ont pour vocation de rassurer ces derniers en luttant
contre l’asymétrie d’information entre émetteurs d’obligations et investisseurs.
Dès 1910, certains services aux collectivités sont déjà soumis à la notation de Moody’s
(les distributeurs d’énergie, la compagnie du téléphone), qui s’attaquera ensuite,
en 1918, à la notation des États. Au début des années 1920, Poor’s Publishing,
la société de Henry Poor, émet elle aussi ses premières notes souveraines, avant que
les deux agences ne soient rejointes dans ce segment d’activité par Standard Statistics
(fondée en 1906 par Luther Lee Black) et par Fitch (fondée en 1913 par John Knowles
Fitch sous le nom de Fitch Publishing Company).
Poor’s et Standard Statistics fusionnent en 1941 pour former Standard & Poor’s, dont
le groupe américain McGraw-Hill, spécialisé dans la publication d’indices boursiers
et de livres scolaires et qui édite notamment l’hebdomadaire Business Week, fera
l’acquisition en 1966. Une dizaine d’années auparavant, en 1957, Standard & Poor’s
a lancé le S&P 500 Stock Index, composé de 500 titres cotés à la bourse de New York.

1.1.2. Panorama actuel

Les trois principales agences mondiales

En termes de parts de marché, Standard & Poor’s constitue le premier acteur de


la notation au plan mondial (43 %) et emploie quelque 1 400 analystes.
De son côté, Moody’s est cotée en bourse depuis 2000 et détenue, à hauteur de 13 %,
par le fonds d’investissement Berkshire Hathaway, propriété du milliardaire Warren
Buffet. Moody’s se situe en deuxième position sur la place internationale de la notation
avec 35 % de parts de marché et 1 300 analystes.
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Il est intéressant de constater que plusieurs actionnaires sont à la fois présents dans
le capital de Standard & Poor’s (en tant que filiale à 100 % de McGraw-Hill) et
dans celui de Moody’s. Daniel Kolter, responsable de Moody’s Allemagne, tempère
toutefois les problèmes pouvant potentiellement naître d’une telle situation :
« Ce n’est pas parce qu’un investisseur est engagé en même temps chez Moody’s
et chez McGraw-Hill qu’il y a conspiration. » 3

3
« Allein gegen die großen drei », Die Zeit, 13 mars 2012.

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Tableau 1. Actionnaires communs de Standard & Poor’s et de Moody’s


Standard & Poor’s
Moody’s
(filiale à 100 % McGraw-Hill)
Northern Trust Corp. 1,75 % 1,32 %
Capital Group Companies 16,15 % 21,98 %
Vanguard Group Inc. 4,44 % 3,97 %
State Street Corporation 4,41 % 3,91 %
T. Rowe Price Associates 3,90 % 3,98 %
Fidelity Investments 1,27 % 8,15 %
Black Rock Inc. 4,59 % 6,89 %
Bank of New York 1,23 % 2,25 %
Massachusetts Financial Services 0,21 % 0,62 %
Total 37,95 % 53,07 %
Source : Cabinet Roland Berger (tableau reproduit dans Sénat [France], Agences de notation : pour une
profession réglementée, Rapport n° 598, 18 juin 2012, p. 196).

Après un long passage à vide, Fitch Ratings a quant à elle été rachetée en 1997 par
la holding française Fimalac, avant de fusionner l’année suivante avec la société
britannique IBCA, spécialiste en notation des banques et assureurs. Aujourd’hui, Fitch
Ratings est contrôlée par Fimalac, présidée par Marc Ladreit de Lacharrière, à hauteur
de 50 %, et par le groupe Hearst (groupe de médias américain), à hauteur de 50 % 4.
Elle se profile comme la troisième plus grande agence de notation transnationale,
derrière Standard & Poor’s et Moody’s, avec 18 % de parts de marché et 1 140 analystes.
Les sièges sociaux de Standard & Poor’s, de Moody’s et de Fitch Ratings se situent
aux États-Unis. Toutefois, le management de cette dernière se situe en partie aux
États-Unis et en partie au Royaume-Uni. C’est pourquoi l’on parle couramment,
malgré un actionnaire français pendant longtemps majoritaire dans Fitch Ratings,
des trois grandes agences « anglo-saxonnes ».
Il est communément admis que ces trois principales agences de notation transnationales
se partagent environ 95 % des revenus générés par la notation financière. En 2010,
leur chiffre d’affaires était de 2,9 milliards de dollars pour Standard & Poor’s,
de 2 milliards pour Moody’s Corporation et de 732,5 millions pour Fitch Ratings.
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Autres agences

Parmi les petites agences se partageant les 5 % de marché restants 5, citons la canadienne
Domination Bond Rating Service (DBRS), l’américaine A.M. Best (spécialisée dans
la notation des compagnies d’assurance) et les japonaises Japan Credit Rating Agency
(JCR) et Rating and Investment Information (R&I), qui se sont spécialisées dans
certaines niches géographiques ou sectorielles.
Pour exister au plan international, une accréditation auprès de la Securities and
Exchange Commission (SEC), l’autorité américaine de réglementation et de contrôle
des marchés financiers, semble incontournable, ce qui n’est pas une simple formalité,

4
5
Le groupe américain a accru de 10 % son capital dans Fitch Ratings début 2012.
Une liste des principales agences de notation répertoriées à ce jour au plan mondial est disponible
sur le site Internet www.defaultrisk.com.

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comme a pu récemment le constater l’agence chinoise Dagong . Après son échec,
en 2010, à obtenir le précieux sésame accordé par le gendarme financier américain,
Dagong peine aujourd’hui à concurrencer CCXI et China Lianhe Credit Rating,
les agences liées respectivement à Moody’s et à Standard & Poor’s sur le marché
chinois. Dagong s’est pourtant fait un nom auprès des spécialistes, grâce à sa volonté
de se démarquer des trois grandes en notant plus sévèrement les grands pays développés
et plus généreusement les pays émergents tels que le Brésil, la Chine, l’Inde, la Russie
7
et l’Afrique du Sud .

1.2. UN SECTEUR CARACTÉRISÉ PAR UNE FAIBLE CONCURRENCE

Au fil du temps, les trois grandes agences sont parvenues à se créer l’oligopole qui est
aujourd’hui le leur dans le secteur de la notation. Le manque de concurrence que
sous-entend cet oligopole fait l’objet de critiques nourries.

1.2.1. Les raisons de l’oligopole formé par Standard & Poor’s,


Moody’s et Fitch Ratings

Si Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings dominent aujourd’hui le secteur de


la notation, c’est notamment parce que ces agences ont toutes les trois un siècle
d’expertise, voire plus, à faire valoir. Le poids de la réputation est ici indéniable. Pour
asseoir le sérieux de leurs notations, elles revendiquent des décennies de récolte et
de suivi de données financières, et ce au niveau transnational. Elles disposent
également des capitaux et des moyens humains nécessaires pour évaluer plusieurs
dizaines de milliers de titres. Cette situation oligopolistique est donc d’une certaine
manière intrinsèque au secteur : même s’il avait le choix entre un grand nombre
d’agences de notation différentes, l’émetteur aurait tout intérêt à solliciter celles qui
ont la meilleure réputation.
D’autres facteurs ont également joué. En 1975, la Securities and Exchange Commission
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instaure l’obligation pour les agences de notation d’obtenir une accréditation (cf. infra),
sur la base de critères informels qui s’avéreront relativement favorables aux trois
grandes. Ces dernières sont d’ailleurs les seules, à l’origine, à obtenir cet agrément.
Aujourd’hui, dix agences de notation sont reconnues par la SEC et ont reçu le titre
8
de Nationally Recognized Statistical Rating Organizations (NRSRO) . Parmi ces dix
agences, on retrouve les trois grandes, dont la sphère d’activité est transnationale,
et sept autres agences situées dans des niches régionales ou sectorielles (aux États-
Unis, au Japon et au Canada).

6
Des informations plus complètes sur Dagong figurent dans N. GAILLARD, A Century of Sovereign
7
Ratings, New York, Springer, 2011.
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée. Rapport d’information fait
au nom de la mission commune d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité
8
des agences de notation, par F. Espagnec et A. de Montesquiou, Rapport n° 598, 18 juin 2012, p. 208.
La liste de ces dix agences NRSRO est consultable sur le site Internet www.nrsro.com.

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La mise en place d’une telle accréditation a rendu le secteur de la notation encore


moins accessible à d’éventuels nouveaux entrants et a, de facto, renforcé la position
dominante des trois grandes. Avec le temps et les critiques accumulées envers les
agences, les obligations réglementaires quant à leur enregistrement auprès de la SEC
ou de l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) ou, en termes de
transparence méthodologique, de rotation des analystes, de traitement des dossiers,
de contrôle interne, etc. se sont également fortement accrues. Très logiquement,
ces contraintes de plus en plus lourdes, même si leur légitimité n’est pas mise en
doute, sont plus aisément respectées par de grandes structures déjà implantées sur
le marché de la notation que par de nouvelles entreprises disposant de moyens plus
restreints.
De plus, si de nouveaux acteurs de la notation ont pu espérer se faire une place dans
les années 1970 et 1980, Standard & Poor’s, Fitch Ratings et Moody’s ont racheté
la plupart de ces petites agences (plus d’une trentaine) dans les années 1990 et 2000.
Outre ces fusions et acquisitions, les trois agences ont multiplié les partenariats avec
9
des agences de rating œuvrant au niveau local .
Mais ce qui a indéniablement assis la suprématie de Standard & Poor’s, Moody’s
et Fitch Ratings, c’est la référence qui leur est faite dans des réglementations officielles
(cf. infra).

1.2.2. Conséquences et critiques de l’oligopole

La conséquence logique de cette position dominante des trois grandes agences de


notation est la perception d’une certaine rente de situation. En avril 2012, douze
10
des plus grandes entreprises allemandes ont reproché publiquement à Standard
& Poor’s, dans une lettre commune, d’abuser de sa position en voulant doubler
ses tarifs. Selon plusieurs témoignages recueillis par le Sénat français, dans un rapport
d’information datant de juin 2012, la capacité de négociation d’un émetteur face
aux agences est d’autant plus forte que la note attribuée à cet émetteur est élevée.
Une entreprise bénéficiant d’une très bonne note peut plus facilement mettre
un terme à la relation commerciale qu’elle entretient avec l’agence, sans pour autant
nourrir auprès des investisseurs des suspicions sur sa santé économique et financière.
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Mais de manière générale, en ce qui concerne les tarifs pratiqués, le rapport de force
est actuellement à la faveur des agences. Celles-ci ne sont pour l’heure tenues de
publier que la « nature générale de leur régime de rémunération » 11. En contrepartie,
les seuls frais imposés actuellement en Europe aux agences de notation sont ceux dont
12
elles doivent s’acquitter pour leur enregistrement et leur surveillance par l’AEMF .

9
10
N. GAILLARD, Les agences de notation, op. cit., p. 9-11.
Volkswagen, Daimler, Siemens, Bayer, Eon, RWE, Continental, Lufthansa, Deutsche Post, Henkel,
11
Linde et Bertelsmann.
Règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 sur
les agences de notation de crédit, Journal officiel de l’Union européenne, L 302/29, 17 novembre 2009.
12
Les frais d’enregistrement varient entre 2 000 et 125 000 euros en fonction du nombre de salariés
de l’agence et des caractéristiques de son activité (Sénat [France], Agences de notation : pour une
profession réglementée, op. cit., p. 201).

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Une plus grande ouverture à la concurrence sur le marché de la notation générerait


sans aucun doute des effets positifs, telle une réduction des tarifs pratiqués par
les agences. Elle permettrait également, dans une certaine mesure, de contribuer
à l’amélioration de la qualité de la notation, car malgré les erreurs commises ces
dernières années (cf. infra), le manque d’alternative crédible au trio de tête actuel
empêche les émetteurs de s’en détourner au titre de sanction. Pourquoi, dès lors,
les grandes agences investiraient-elles davantage dans le sérieux de leur notation ?
De nouvelles agences apporteraient également un regard neuf sur les méthodologies
qui sous-tendent le processus de notation.
Par contre, augmenter la concurrence peut également mener à une inflation des notes.
De plus, « si l’arrivée de quelques grandes agences sur le marché est possible, il est,
en revanche, peu probable que le marché de la notation puisse fonctionner avec une
myriade d’acteurs », précise le Sénat français 13. Les nouveaux entrants devront en effet
remplir la lourde obligation d’acquérir une taille critique (capital, personnel, etc.)
s’ils espèrent concurrencer les trois grandes. « Il a fallu à Fitch vingt ans et un milliard
de dollars pour concurrencer Moody’s et Standard & Poor’s au niveau mondial »,
explique Susan Launi, Managing Director and Senior European Counsel chez Fitch
Ratings 14. Ensuite, « si les investisseurs apprécient d’avoir plusieurs points de vue,
il n’est pas certain qu’ils souhaitent étudier les analyses d’une pléthore d’agences pour
15
un même produit », peut-on encore lire dans le rapport du Sénat français .
Ouvrir le marché de la notation à plus de concurrence, ce serait peut-être aussi
permettre à une agence européenne de rivaliser avec les trois grandes, et faire ainsi
taire les rumeurs de parti-pris anti-européen. Cette théorie du complot des trois
grandes agences à l’égard de l’Europe est notamment nourrie par le fait que leur
analyse financière privilégie les normes comptables américaines, ce qui a tendance
à favoriser les entreprises outre-Atlantique. Peut-on pour autant parler de « complot » ?
Certains dirigeants ne s’en sont pas privés, estimant que les trois grandes s’acharnaient
sur les États européens au profit des États-Unis.
À cette évocation, le Français Marc Ladreit de Lacharrière, à la tête de Fitch Ratings,
voit rouge : « Je suis le président de FitchGroup ainsi que le président du comité
stratégique. Je suis résident à Paris. Le Chief Financial Officier est français, lui aussi
basé à Paris. Le CEO est anglais et basé à Londres ainsi que la division sovereign et
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son directeur. Les normes d’appréciation des États se font à partir de Londres. Quand
les États de la zone euro sont notés, ce n’est pas par des Américains. Est-il normal que
José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, ose dire que “les agences
de notation sont américaines” et les accuser d’avoir “un parti pris contre l’Europe” 16 ?
17
Quel est le but d’une telle désinformation ? »

13
14
Ibidem, p. 209.
Parlement européen, Compte rendu de la Commission économique et monétaire, réunion du 24 janvier
2012, p. 2.
15
16
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 209.
Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a en effet déclaré au Parlement
européen, le 6 juillet 2011, après que Moody’s a dégradé la note des obligations portugaises :
« Il semble étrange qu’il n’existe pas une seule agence de notation issue d’Europe. Cela laisse supposer
qu’il pourrait y avoir un biais sur les marchés quand il s’agit d’évaluer des problèmes spécifiques
à l’Europe » (« It seems strange that there is not a single rating agency coming from Europe. It shows

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À contre-courant de cette théorie du complot des agences contre l’Europe, signalons


aussi que Standard & Poor’s a subi les conséquences de sa décision de dégrader
les États-Unis : une enquête ouverte par la SEC et la perte de plusieurs gros clients
18
tels que la ville de Los Angeles . Aucune marche arrière n’a été entreprise par
Standard & Poor’s. Mi-septembre 2012, Moody’s menace à son tour de dégrader
les États-Unis si le Congrès ne s’accorde pas en 2013 sur des mesures permettant
de stabiliser puis réduire la dette américaine.

1.3. LE PROJET D’AGENCE EUROPÉENNE

Plusieurs instances économiques et mandataires politiques, dont la chancelière


allemande Angela Merkel, aimeraient opposer un contrepoids européen aux trois
grandes agences anglo-saxonnes de notation.
Cette agence européenne pourrait s’appuyer sur des fonds publics et assurer par
exemple la notation souveraine qui fait tellement débat. Mais comment garantir
la crédibilité d’une agence financée par des États qu’elle serait ensuite chargée de
noter ? Cette agence européenne pourrait prendre la forme d’une fondation, ce qui
lui assurerait davantage d’indépendance qu’une institution publique. Pour accroître
encore cette indépendance, d’autres options sont avancées. Ainsi, certains préconisent
l’abandon du modèle émetteur-payeur au profit de l’ancien modèle de financement
des agences, celui d’investisseur-payeur, qu’ils jugent moins porteur de conflits
d’intérêt (cf. infra). Si tel devait être le cas, l’économiste Norbert Gaillard, consultant
indépendant et spécialiste de la notation souveraine, suggère que le financement
de cette agence européenne s’opère alors sur base d’une taxe européenne.
Quelle que soit la solution adoptée, il reste cependant peu probable que la Securities
and Exchange Commission et les investisseurs internationaux accordent le crédit
nécessaire à une telle agence « publique ». Par ailleurs, un consensus politique pour
une agence publique européenne n’existe pas à ce jour, sans compter le coût
qu’impliquerait pour les finances publiques européennes la mise en place d’une
telle agence. Certains pays, dont l’Allemagne, ont exprimé leur préférence pour
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le développement d’une initiative privée. Le 15 novembre 2011, le commissaire
européen Michel Barnier a déclaré : « Je ne veux pas d’une agence publique qui
respecte les règles et à côté, les autres agences qui travaillent comme avant. »
La question ne cesse toutefois de revenir régulièrement sur le devant de la scène. Dans
un communiqué de presse du 19 juin 2012, les députés européens proposent ainsi
un nouvel angle d’attaque : « Les députés ont décidé de faire le premier pas vers
la mise sur pied d’une capacité interne de notation publique au niveau européen.
La tâche de créer une évaluation de solvabilité indépendante européenne sera confiée

there may be some bias in the markets when it comes to the evaluation of the specific issues of Europe »).
Cf. « L’UE s’en prend aux agences de notation suite à la dégradation de la note portugaise »,
17
www.euractiv.com, 7 juillet 2012.
18
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 208.
« Agences de notation. Le vrai, le faux et les demi-vérités », Trends-Tendance, 2 février 2012.

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aux institutions européennes existantes. Elles devront fournir aux investisseurs toutes
les données et notations pertinentes rendues publiques concernant la dette souveraine
et les indicateurs macro-économiques clés. » Le texte final du nouveau règlement
européen, attendu pour fin 2012 ou début 2013, devrait vraisemblablement apporter
les détails pratiques de la mise en place d’une telle disposition.
Au rang des initiatives privées visant à établir une agence européenne, le projet le plus
avancé est sans nul doute celui du cabinet de conseil en stratégie allemand Roland
19
Berger Strategy Consultants . Peu de temps après que, lors du premier plan
de sauvetage de la Grèce en juillet 2011, le parlement allemand a émis le souhait
de voir émerger une agence de notation européenne, Roland Berger a annoncé qu’il
travaillait au développement d’une telle agence : l’European Rating Agency (ERA).
Après quelques mois de travail loin des feux des médias, ce projet a été présenté plus
en détail au mois de mai 2012. Le capital de cette fondation privée sans but lucratif
devrait être récolté auprès d’un consortium de grandes institutions bancaires
européennes, un conseil académique d’universités européennes devant quant à lui
veiller sur l’indépendance et la transparence de ses activités 20. 300 millions d’euros
sont jugés nécessaires pour mener à bien ce projet, les frais de fonctionnement
de l’agence devant ensuite être assurés par un placement judicieux du capital de
départ. Selon Bruno Colmant, consultant chez Roland Berger, l’ERA devrait compter
sur « un effectif d’une trentaine de personnes, recrutées essentiellement dans les milieux
académiques et viser une part de marché de 20 à 25 % » 21. En mai 2012, le cabinet
peut compter sur 130 millions d’euros d’engagements de la part d’une dizaine
d’investisseurs potentiels – des investisseurs européens pour l’instant, même si le cabinet
se dit ouvert aux propositions venant d’autres continents.
Le lancement de l’ERA est prévu pour 2012, étant entendu que les deux années
suivantes seront cruciales pour la jeune agence, tant pour rassembler les fonds
supplémentaires nécessaires que pour convaincre. Les premières notations ne devraient
être publiées qu’en 2013. Comme les trois grandes, l’agence européenne couvrirait à
la fois la notation « corporate » (entreprises et instruments financiers) et la notation
souveraine 22. Elle envisagerait d’établir des bureaux à Paris, Londres et Francfort.
L’ambition de Roland Berger est de proposer une notation plus transparente :
les modèles mathématiques utilisés, la pondération des différents critères intervenant
dans la notation, de même que les éléments qualitatifs qui caractérisent chaque
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notation seront accessibles sur Internet. Afin de gagner sa place auprès des trois
grandes, la jeune agence européenne compte proposer des tarifs plus attractifs que
ses concurrentes 23. Pour éviter les conflits d’intérêt avec le cabinet de conseil
stratégique allemand, Markus Krall, actuellement Senior Partner chez Roland Berger,
quittera celui-ci pour mener à son terme le projet. Une fois l’agence européenne créée,
le cabinet de conseil stratégique continuera durant quelques mois à lui apporter
une aide logistique avant de s’effacer.

19
Ce cabinet de conseil est notamment actif dans les secteurs financiers.
20
21
Roland Berger Strategy Consultants, communiqué de presse, 13 octobre 2011.
22
« Une nouvelle agence de notation sur le Vieux Continent », Le Vif, 11 mai 2012.
La fondation Bertelsmann soutient de son côté un projet de création d’une agence de notation
internationale spécialisée dans la notation de la dette des États et des organisations internationales
23
(Banque mondiale, etc.).
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 221.

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LES AGENCES DE NOTATION 15

Quoi qu’il advienne, pour espérer rivaliser avec les trois grandes agences anglo-
saxonnes et ainsi pouvoir exister sur le plan international, une nouvelle agence devra
atteindre une taille substantielle. Pour augmenter les chances de réussite d’une
telle initiative, l’économiste Norbert Gaillard préconise même de « contraindre
les investisseurs, via une réglementation européenne, à utiliser au moins partiellement
les notations émises par cette nouvelle agence ».

1.4. LE MODE DE FINANCEMENT

Durant plusieurs décennies, les notations ont été financées par les investisseurs qui
cherchaient à s’informer sur la qualité des actifs financiers qu’ils voulaient acquérir.
Entre différents placements possibles, ces investisseurs souhaitaient savoir lesquels
étaient les moins risqués ou les plus lucratifs. Ils rémunéraient les agences de notation
pour cette information en achetant les analyses et les notes émises par les agences
concernant des entreprises ou des organismes publics.
Ce système de financement subit toutefois un changement majeur dans les
années 1970. À partir de cette époque, les agences facturent leurs services, non plus
aux investisseurs, mais aux émetteurs des titres de dette. Un triple mouvement
contribue à ce changement notable.
Tout d’abord, il y a le développement, à cette époque, de la photocopie. De plus
en plus d’investisseurs utilisant des photocopies « illicites » de manuels publiés par
les agences, ces dernières voient leurs marges bénéficiaires entamées. Un déséquilibre
s’instaure en outre en défaveur des investisseurs qui paient des notes, alors que celles-
ci sont désormais rendues publiques et donc disponibles gratuitement par des voies
illicites.
Ensuite, une crise économique sévit partout dans le monde et particulièrement
aux États-Unis, berceau de la notation. De nombreuses entreprises cherchent à rassurer
et à attirer de nouveaux investisseurs, et l’obtention d’un bon rating peut les y aider.
Elles deviennent alors clientes des agences de notation et commencent à payer celles-ci
pour l’émission de ratings. Le changement est d’importance. Selon Norbert Gaillard,
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la plupart des notations émises avant 1970 étaient non sollicitées : « Elles étaient
émises sans le consentement des émetteurs. Les diagnostics des agences étaient
alors fondés sur les informations obtenues de divers organismes tels que les
institutions internationales, le département au Commerce américain, les ambassades
américaines… » 24 Cette donne change radicalement avec la crise économique des
années 1970. Les entreprises et certains États, dans l’espoir de trouver des capitaux
à moindre frais, collaborent dorénavant avec les agences et leur donnent accès aux
documents qui leur sont utiles. Les notations corporate sont désormais sollicitées,
de même qu’une partie des notations souveraines.
Enfin, les années 1970 marquent l’essor de la monnaie scripturale, c’est-à-dire la
dématérialisation de l’argent tel que connu jusque-là. Pour se financer, les entreprises

24
N. GAILLARD, Les agences de notation, op. cit., p. 39.

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16 LES AGENCES DE NOTATION

recourent de manière accrue aux marchés de capitaux, qui eux-mêmes se


mondialisent et se complexifient avec le temps. Pour convaincre les investisseurs,
les agences de notation internationales jouent le rôle d’évaluateurs externes « impartiaux ».
De leur côté, les agences justifient la modification de leur mode de financement par
le fait que les entreprises et les États profitent des retombées financières d’une bonne
notation et qu’il est juste qu’ils s’acquittent des frais d’analyse qui y sont associés. Elles
expliquent également que la complexification du système financier dans la deuxième
e
moitié du XX siècle induit des coûts d’analyse croissants pour les agences, que les
investisseurs seuls ne sont pas prêts à supporter.
Dans le camp des détracteurs, ce nouveau système de financement soulève surtout
la question de possibles conflits d’intérêt. Les agences se retrouvent en effet juge
et partie. Comment s’assurer, par exemple, qu’elles ne favorisent pas leurs clients en
leur attribuant une bonne note ? Cette question est particulièrement pertinente pour
ce qui relève de la titrisation (cf. supra). Cependant, si plusieurs modèles alternatifs
de financement ont été évoqués par les économistes spécialistes de la question 25,
aucun ne solutionne totalement le problème des conflits d’intérêt, sans compter que
la mise en place d’un nouveau système de rémunération des agences entraînerait
d’une manière ou d’une autre des coûts importants.
Un retour au modèle « investisseur-payeur » soulèverait par exemple lui aussi
des questions : comme l’explique le Sénat français dans son rapport d’information,
« un paiement par l’investisseur pourrait aussi créer un biais. Par exemple, si un
émetteur de bonne qualité cherche à placer des obligations, « la bonne affaire » pour
l’investisseur pourrait être d’obtenir de l’agence de notation la note la plus basse
envisageable (car elle conduit à des taux d’intérêts élevés) » 26. Pierre Cailleteau,
ancien Chief International Economist de Moody’s (il dirigeait jusqu’en mai 2010
le département « risque souverain » de l’agence à Londres), explique en outre que
s’il fallait revenir en arrière, c’est-à-dire vers un système de notation financé par
les investisseurs, il y aurait alors privatisation de la notation. « Cette sortie du domaine
public de la notation impliquerait la disparition de dizaines de milliers de notes.
Les lumières des phares s’éteindraient, mais certains auraient leur GPS. » 27
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25
L’United States Government Accountability Office a comptabilisé sept alternatives possibles à l’actuel
modèle économique des agences (cf. United States Government Accountability Office, Report
to Congressional Committees, GAO-12-240 : Credit Ratings Agencies. Alternative Compensation Models
for Nationally Recognized Statistical Rating Organizations, janvier 2012).
26
27
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 150.
P. CAILLETEAU, « Si elles n’existaient pas, faudrait-il inventer les agences de notation ? », Variances.
La revue des anciens de l’ENSAE, n° 32, décembre 2007, p. 19.

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2. LES ACTIVITÉS DES AGENCES DE NOTATION

Même si les agences fournissent divers services, la notation reste bien entendu leur
activité de prédilection. Par un code de quelques lettres, chiffres et sigles (AAA, A+,
baa3, etc.), elles synthétisent tout le travail d’analyse qu’elles ont effectué, afin de rendre
comparable la qualité d’un actif par rapport à un autre.

2.1. LES BASES DE LA NOTATION

Si les agences de notation se retrouvent quotidiennement sur le devant de la scène,


c’est essentiellement pour leur activité de notation. L’Union européenne définit
la notation de crédit comme « un avis, émis par application d’un système de
classification bien défini et bien établi prévoyant différentes catégories de notation,
concernant la qualité de crédit d’une entité, d’une dette ou obligation financière,
d’un titre de créance, d’actions privilégiées ou autres instruments financiers » 28.
Une entreprise, une banque ou une institution publique peut ainsi solliciter de la part
d’une agence, contre rémunération, une notation de crédit (rating).
Selon une grille de notation propre à chaque agence, cette notation traduira le degré
de solvabilité de l’entité notée. Globalement, il existe deux catégories de notations :
« investissement » lorsque le risque de défaut 29 est inexistant ou faible de la part
de l’entité notée, et « spéculative » lorsqu’apparaît un risque de crédit plus ou moins
important 30. Cette information est cruciale pour les investisseurs, car ceux-ci
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ne souhaitent pas placer leur argent aveuglément. Mais cette notation influence
également, via le taux d’intérêt pratiqué par les organismes prêteurs, le coût de
financement des instances notées. Une bonne note facilite en effet le recours au crédit.

28
Article 3 du règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre
2009 sur les agences de notation de crédit, Journal officiel de l’Union européenne, L 302/9,
29
17 novembre 2009.
Le risque de défaut est le risque de ne pas pouvoir honorer ses engagements financiers aux échéances
30
prévues.
Le risque de crédit représente le niveau d’incertitude de voir l’émetteur du titre de dette honorer
ses obligations envers les investisseurs.

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18 LES AGENCES DE NOTATION

Tableau 2. Grille de notation des trois principales agences de notation


Agences
Signification des notes
Standard & Poor’s Moody’s Fitch Ratings
Catégorie « investissement »
AAA Aaa AAA Valeurs de premier ordre
AA+ Aa1 AA+
AA Aa2 AA Qualité haute
AA- Aa3 AA-
A+ A1 A+
A A2 A Qualité moyenne
A- A3 A-
BBB+ Baa1 BBB+
BBB Baa2 BBB Qualité moyenne inférieure
BBB- Baa3 BBB-
Catégorie spéculative
BB+ Ba1 BB+
BB Ba2 BB Éléments spéculatifs
BB- Ba3 BB-
B+ B1 B+
B B2 B Hautement spéculatif
B- B3 B-
CCC+ Caa1 CCC+
CCC Caa2 CCC Risques élevés
CCC- Caa3 CCC-
CC Ca CC Ultra spéculatif
C C C Faibles perspectives
SD et D / RD et D En défaut
Sources : www.fitchratings.com, www.moodys.com et www.standardandpoors.com.

À l’origine, les notations des agences visaient les obligations 31 émises par des
entreprises, des banques ou, très vite, des collectivités publiques et des États.
Ces notations ont ensuite visé les émetteurs de titres eux-mêmes. Dans la plupart
des cas, les notations sont aujourd’hui sollicitées par des émetteurs. Mais les agences
publient parfois également des notes non sollicitées, surtout concernant des États.
Depuis 2009, l’Union européenne impose que les notes non sollicitées soient
identifiées comme telles 32. À titre d’exemple, la notation de l’État belge par Standard
& Poor’s est non sollicitée. L’Autorité des services et marchés financiers en Belgique
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(FSMA) précise qu’en ce qui concerne notre pays, seules les notes de Fitch Ratings
sont sollicitées.
Lorsque les émetteurs de titres sollicitent des notations, ils partent du principe que
l’avantage que leur offrira une bonne note sur le marché du crédit sera supérieur à
ce qu’ils rémunéreront les agences pour cette note. Pour une entreprise qui cherche à
se financer, le marché obligataire peut en effet représenter une alternative intéressante
au secteur bancaire. Or, cet accès au marché obligataire est facilité par l’obtention

31
Une obligation est un titre négociable émis par un État, une collectivité publique, une entreprise
privée ou publique. Il s’agit d’une créance pour laquelle le détenteur de l’obligation perçoit un revenu
sous la forme d’un taux d’intérêt qui peut être fixe ou variable.
32 o
Article 10 du règlement (CE) n 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre
2009 sur les agences de notation de crédit, Journal officiel de l’Union européenne, L 302/13,
17 novembre 2009.

CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 19

d’une notation, la plupart des investisseurs s’appuyant aujourd’hui sur ce système


pour établir leur politique d’investissement. Sans notation, l’émetteur d’une obligation
payera souvent une prime de risque 33 par rapport à une obligation de qualité
équivalente pouvant se prévaloir d’une notation. Comme l’explique Yu Zhang,
Directeur Debt Capital Markets chez BNP Paribas Fortis, cette prime de risque est
« une compensation payée aux investisseurs pour les attirer vers un crédit qu’ils
34
devront évaluer sans l’assistance des agences » . Il cite l’exemple du brasseur
hollandais Heineken : jusqu’à l’annonce de sa notation en mars 2012, il a toujours
dû payer, sur ses obligations, une prime par rapport à AB Inbev, alors que les deux
groupes étaient relativement similaires.
La notation présente également un autre avantage pour les émetteurs de titres, à savoir
que les agences sont en contact étroit avec eux. En effet, même si le but d’un émetteur
est de convaincre les investisseurs potentiels, il ne peut en aucun cas faire figurer
dans son prospectus d’émission des éléments confidentiels liés à la stratégie de son
entreprise. Passer par la notation permet de résoudre ce problème : l’émetteur peut
faire valoir ces éléments stratégiques auprès de l’agence afin de brigueur une meilleure
note, tout en évitant que ces données confidentielles ne se retrouvent connues de tous.

2.2. UN SECRET BIEN GARDÉ

Chaque agence a sa propre méthode pour établir une notation. Ce « secret de


fabrication » est jalousement gardé ; seuls les aspects méthodologiques les plus
généraux sont rendus publics. La notation fait intervenir des critères quantitatifs
et qualitatifs 35. Ainsi, la notation « corporate », qui vise les entreprises ou les banques
et assurances, repose sur des critères tels que le flux de trésorerie ou le taux
d’endettement, mais aussi sur le profil du secteur d’activité, le degré de concurrence
qui caractérise ce secteur ou la stratégie de management adoptée par l’entreprise notée.
De même, la notation souveraine, liée aux États, repose sur des indicateurs tels que
le ratio dette/recettes budgétaires, l’inflation ou l’évolution du produit intérieur brut
(PIB) par habitant, mais aussi sur d’autres tels que la stabilité institutionnelle et
politique du pays concerné ou sa compétitivité par rapport aux partenaires
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commerciaux.
Si de nombreux observateurs estiment que les critères de notation des agences ne
jouissent pas de toute la transparence nécessaire, les agences multiplient quant à elles
depuis quelques années leurs efforts de communication pour démontrer le contraire.
Les trois grandes agences transnationales (Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch
Ratings) ont ainsi procédé ces dernières années à une refonte de leurs sites Internet,
consistant notamment en un enrichissement notable du contenu proposé, même si
certaines rubriques ne sont consultables qu’après enregistrement. Cette transparence

33
Cette prime de risque intervient via les taux d’intérêt.
34
35
« La notation, indispensable sésame sur les marchés obligataires ? », L’Écho, 29 mars 2012.
En cela, l’activité de notation se différencie de celle de scoring, qui ne repose que sur une analyse
quantitative et est notamment pratiquée par les grandes institutions financières.

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20 LES AGENCES DE NOTATION

accrue par rapport à la méthodologie et aux modifications de méthodologie leur est


imposée par l’Union européenne depuis 2009 et par les États-Unis depuis 2010
(cf. infra), mais l’initiative des agences d’enrichir le contenu de leurs sites Internet
s’avère antérieure à la contrainte réglementaire. Toutefois, comme le relève le Sénat
français dans le rapport d’information qu’il a consacré aux agences en juin 2012,
« la publication de milliers de pages au nom de la transparence engendre en
36
contrepartie de la complexité et de la confusion » . Cette profusion de données rend
inexploitable l’information fournie pour une majorité d’investisseurs potentiels
et même pour certains professionnels de la sphère financière. La tentation de s’en
remettre à la seule notation, sans se soucier des procédures floues et complexes qui
ont conduit les analystes à déterminer celle-ci, reste donc très forte.
Les échelles de notation au sein d’une même agence sont uniformisées de telle
manière qu’une entreprise ayant reçu une note donnée sera associée au même risque
de défaut qu’un État ayant obtenu la même notation. Comparer le travail des agences
reste par contre très difficile, étant donné que celles-ci conservent à ce jour
des échelles et des méthodes de notation différentes. Comme l’explique l’économiste
Norbert Gaillard, « Standard & Poor’s se montre “plus sévère” dès qu’elle juge excessif
l’endettement d’un pays, tandis que ses deux concurrentes Fitch et Moody’s prennent
davantage en compte la puissance économique des États » 37. L’agence Standard
38
& Poor’s a rendu publics ses critères de notation souveraine . Ils se déclinent ainsi :

Tableau 3. Pondération des critères de Standard & Poor’s pour la notation souveraine
Finances publiques 25 %
Facteurs institutionnels (politique, économie, gouvernance) 33 %
Monnaie et marchés financiers 20 %
Macro-économie (croissance, économie, etc.) 11 %
Position extérieure (balance des paiements, avoirs extérieurs, etc.) 11 %
Source : Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 52.

La banque française Natixis, qui s’est penchée sur ces critères de notation
souveraine 39, estime que chez Standard & Poor’s, l’analyse quantitative vaut pour
82 % de la notation accordée à un État. Le poids de l’analyse qualitative dans
la notation souveraine n’est donc pas négligeable. Les éléments quantitatifs ne sont
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qu’un aspect de la notation. Le reste relève de la « boîte noire ».
Chaque agence élabore sa propre méthodologie, sans qu’existe le moindre droit
de regard externe. Les agences ont fait de cet élément un argument commercial,
en le présentant comme le gage de la qualité de leur notation. À l’inverse, elles
estiment que si leur méthodologie était remise en cause, elles se verraient
immédiatement sanctionnées par le marché, qui se détournerait de leurs services.

36
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 113.
37
« États-Unis : pourquoi les agences de notation ne sont pas d’accord », Le Point, 16 août 2011,
38
www.lepoint.fr.
Les critères de notation souveraine sont abordés de façon plus approfondie dans N. GAILLARD,
39
A Century of Sovereign Ratings, op. cit.
« Quelle est la part quantitative de la notation souveraine de S&P ? », Flash économie. Recherche
économique, n° 586, 28 juillet 2011, cib.natixis.com.

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LES AGENCES DE NOTATION 21

La Securities and Exchange Commission (SEC, le gendarme financier américain),


l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et la Commission européenne
refusent, jusqu’à présent, de s’immiscer de quelque manière que ce soit dans la
40
méthodologie des agences . Le règlement européen du 16 septembre 2009 dispose
que « les méthodes de notation doivent être rigoureuses, systématiques, sans
discontinuité » ; c’est sur ces critères généraux que l’AEMF doit contrôler depuis le
41
milieu de l’année 2011 la méthodologie des agences de notation . Une modification
du règlement européen de 2009, actuellement en discussion au Parlement européen,
se propose d’aller plus loin et d’imposer la publication de toute erreur constatée dans
une méthodologie ou son application. Il serait également exigé des agences des
explications « claires et aisément compréhensibles » pour comprendre le processus
ayant conduit à la notation 42.

2.3. DES MOYENS JUGÉS INSUFFISANTS

Avant d’établir leur rapport de notation, les analystes employés par les agences
récoltent les informations nécessaires sur le risque de crédit de l’émetteur de titres
considéré et rencontrent, dans le cas d’une notation sollicitée, les dirigeants de
l’entreprise ou de l’État concerné. La notation, ou sa révision, est discutée et votée
au sein d’un comité de notation composé de plusieurs analystes. Une note peut être
révisée à la hausse (upgrade) ou à la baisse (downgrade) en fonction de l’évolution
de la solvabilité escomptée de l’émetteur. Les agences émettent également des
perspectives de notation (outlook) qui peuvent être positives, stables ou négatives
et reflètent la manière dont l’agence appréhende l’avenir de l’émetteur. En moyenne,
les agences procèdent à une nouvelle évaluation chaque année, mais elles peuvent
également décider de précipiter les choses. Une crise politique, la dégradation de
la situation financière d’un émetteur ou des opérations telles qu’une fusion ou une
acquisition sont des événements qui induisent généralement une mise sous
surveillance d’une notation ou de son évolution. Précisons enfin qu’avant publication
d’une note, l’émetteur a le droit de contester celle-ci, ce qui entraîne alors des analyses
complémentaires. La possibilité de faire appel est notamment primordiale dans
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le cadre de notes non sollicitées. Le délai théorique accordé à l’émetteur est toutefois
relativement court : 12 heures en Europe (mais il devrait prochainement passer

40
Le Sénat français rappelle dans son rapport que les modèles internes développés par les établissements
de crédit pour évaluer leurs risques sont quant à eux soumis à validation par l’Europe. Précisons que
cette contrainte est d’application car les banques doivent répondre à certaines règles prudentielles
41
visant à garantir un certain niveau de capital.
Ces critères ont été affinés à travers le règlement délégué (UE) n° 447/2012 de la Commission
du 21 mars 2012 complétant le règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil
par des normes techniques de réglementation aux fins de l’évaluation de la conformité des méthodes
de notation de crédit, Journal officiel de l’Union européenne, L 140, 30 mai 2012. Selon ce règlement,
les agences doivent notamment préciser le poids de chaque facteur qualitatif ou quantitatif utilisé
42
dans le cadre de leurs méthodes de notation.
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 117.

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22 LES AGENCES DE NOTATION

43
à 24 heures) . Par ailleurs, ce droit d’appel n’est reconnu par l’analyste principal
que « si la preuve est faite que de nouvelles informations indisponibles lors du vote
initial peuvent être fournies et qu’elles peuvent avoir une influence déterminante sur
l’orientation de la décision prise par le comité. (…) Cette condition est principalement
introduite afin d’éviter les recours systématiques visant à retarder l’annonce de la note
de crédit » 44.
Pour préserver leurs collaborateurs des critiques, les agences de notation conservent
le secret sur la composition des comités d’experts ayant procédé à la révision d’une
45
notation . Les procès-verbaux des réunions de ces comités ne sont d’ailleurs pas
publics. « Il y a si peu de ressources humaines dans ces agences que, dans la pratique,
ces comités regroupent toujours un peu les mêmes personnes, plus ou moins
expertes », atteste dans Le Monde un ancien chef de service de Standard & Poor’s.
« C’est pour se protéger des critiques que les agences refusent d’en révéler la
46
composition. »
La question du personnel occupé par les trois grandes agences de notation – nombre
d’analystes par dossier, qualification et formation de ces mêmes analystes – est posée.
Lors de leur enregistrement auprès de l’AEMF, en 2011, les trois grandes agences de
notation ont dû fournir des données concernant le personnel employé par leurs soins.

Tableau 4. Rapport notations/analyste pour les trois grandes agences de notation

Standard & Poor’s Moody’s Fitch

Entreprises 11,4 13,8 6,79


Institutions financières 8,4 15,2 9,39
Souverains et assimilés 10,2 10,9 6,00
Produits structurés 2,0 3,3 10,10
Source : Statistiques transmises par Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch lors de leur enregistrement
auprès de l’AEMF (données reproduites dans Sénat [France], Agences de notation : pour une
profession réglementée, op. cit., p. 124-125).

Le problème, soulevé notamment par le Sénat français lors de la rédaction de son


rapport d’information, est que « chaque agence a sa propre méthode de calcul, liée
à un recensement manifestement spécifique, et opaque, du nombre de dossiers traités
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et du nombre d’analystes ». Ces chiffres ne sont donc ni vraiment comparables,
ni vraiment vérifiables. Anouar Hassoune, ancien analyste chez Standard & Poor’s
et Moody’s, a d’ailleurs indiqué lors de son audition devant le Sénat français que selon
lui, l’ordre de grandeur à retenir était de 50 notations de crédit par analyste. De même,
le Sénat américain, dans un rapport publié en avril 2011, parle de ressources humaines
non appropriées et de « high speed ratings » (notations à grande vitesse) : « Malgré

43
Décidée le 15 novembre 2011, cette mesure, ainsi que d’autres, est actuellement examinée par
le Parlement européen.
44
Chambre des représentants, Examen des circonstances qui ont contraint au démantèlement de la Dexia SA.
Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner les circonstances qui ont contraint
au démantèlement de la Dexia SA par C. Vienne, G. Rutten et K. Waterschoot, DOC 53 1862/002,
45
23 mars 2012, p. 314-315.
46
Le nom de l’analyste en chef est lui connu.
« De l’analyste au comité de notation, le travail des agences de A à Z », Le Monde, 15 janvier 2012.

CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 23

un nombre de notations augmentant chaque année de manière conséquente et


les revenus qui en découlent, ni Moody’s, ni Standard & Poor’s n’ont embauché
un personnel suffisant ou consacré des ressources suffisantes pour veiller à ce que
le processus de notation initial et le processus de surveillance qui s’y rapporte
47
produisent des notations fiables. » La notation des produits structurés (cf. infra),
en particulier, a explosé entre 2000 et 2007, sans que les moyens humains ne suivent
– avec les conséquences que l’on connaît. Nombreux sont les témoignages récoltés par
le Sénat américain qui en attestent. À titre d’exemple, chez Moody’s, en 2007, seuls
vingt-six analystes sont chargés de la surveillance des notations de pas moins
de 13 000 CDO (collateralized debt obligation ou obligations adossées à des actifs,
des produits structurés de grande complexité). Les plaintes du personnel
s’accumulent, les analystes étant sous pression constante. Frank Raiter, anciennement
à la tête du département RMBS 48 chez Standard & Poor’s, décrit ainsi la situation :
« Le management voulait accroître les profits et les revenus tandis que les analystes
exigeaient plus de personnel, d’accès aux données et de support informatique, ce qui
immanquablement devait mener à des dépenses supplémentaires et donc à moins
de profit. »
Signalons encore qu’aucun des deux cadres réglementaires d’application pour les
agences de notation (le règlement européen de 2009 et la loi Dodd-Frank de 2010
aux États-Unis) n’aborde précisément la question de la formation des analystes.
L’Union européenne édicte à ce propos des règles assez générales, à savoir que
les agences doivent disposer d’un nombre suffisant d’analystes compétents et formés
de manière à pouvoir correctement évaluer les produits qui leur sont soumis. Aucune
exigence spécifique n’est en outre formellement exigée des analystes chargés
des produits structurés, pourtant plus complexes. La formation continue est assurée
en interne. Mais pour que celle-ci porte ses fruits, encore faut-il que les analystes
restent suffisamment de temps en fonction. Or selon les données fournies à l’AEMF
49
par les trois principales agences de notation actives en Europe , 51 % des analystes
chez Standard & Poor’s Europe, 66 % chez Moody’s Europe et 72 % chez Fitch
Europe avaient moins de cinq ans d’ancienneté en 2009-2010. Ce pourcentage grimpe
à 78 % chez Moody’s Europe pour la notation souveraine et à 81 % chez Fitch Europe
pour la notation des produits structurés, une branche d’activité où pourtant
l’expérience a sans aucun doute un rôle important à jouer. Sans compter la rotation
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de l’emploi (turnover) au sein même des agences. Malgré la complexité de la situation
de Dexia après 2008, pas moins de cinq analystes principaux se sont succédé chez
Moody’s sur une durée de trois ans pour suivre cette institution bancaire 50.

47
United States Senate, Permanent Subcommittee on Investigations. Committee on Homeland Security
and Governmental Affairs, Wall Street and the financial crisis: Anatomy of a Financial Collapse, 13 avril
48
2011, p. 304 et s.
Residential mortgage-backed security : titrisation de crédits hypothécaires résidentiels (produits
structurés).
49
50
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 127.
Chambre des représentants, Examen des circonstances qui ont contraint au démantèlement de la Dexia SA,
op. cit., p. 300.

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24 LES AGENCES DE NOTATION

2.4. L’ÉVALUATION DE PRODUITS STRUCTURÉS

Parmi les titres de dette évalués par les agences, les produits structurés sont un cas
à part en raison de la complexité qui les caractérise. La titrisation est née en 1960
aux États-Unis avant de se développer en Europe dans les années 2000. Elle permet
aux banques de se financer sur une base plus large que les seuls dépôts des clients.
Grâce à cette technique financière, des banques vendent des prêts bancaires (prêts
immobiliers, prêts à la consommation, etc.) à une entité intermédiaire appelée
véhicule de titrisation. Celui-ci se finance en émettant sur le marché des titres
négociables adossés aux actifs qu’il a achetés. Ces titres (obligations, billets de
trésorerie, etc.) sont ensuite regroupés en fonction du risque et du rendement associés
pour former des « produits structurés ». L’intérêt de la titrisation est donc de
transformer des créances illiquides – prêts hypothécaires, prêts automobiles, prêts
étudiants, prêts à la consommation, encours de cartes de crédit, créances
commerciales, etc. – en titres liquides, négociables directement sur les marchés.
Chacun de ces produits structurés est découpé en trois « tranches », en fonction de la
qualité des crédits émis : « senior », « mezzanine » et « junior » (par ordre décroissant
de qualité). Chaque tranche peut être soumise individuellement à la notation, mais
la finalité est bien entendu que des actifs de qualité supérieure côtoient des actifs
de moins bonne qualité pour que le produit global ait des chances d’attirer
des investisseurs.
Dans de nombreux pays, la notation fait partie des conditions préalables à l’émission
de ces produits financiers complexes. Plus encore que pour d’autres transactions,
elle est indispensable pour rassurer les potentiels investisseurs.
Un fait interpellant est toutefois à relever : moyennant rémunération, les agences
de notation participaient jusqu’il y a peu à la création des produits structurés, ainsi
51
qu’à leur évaluation . Ceci soulève la question de possibles conflits d’intérêt, sur
laquelle nous reviendrons. Par ailleurs, la crise des subprimes de 2007, due à une forme
de produit structuré liée à des prêts hypothécaires risqués aux États-Unis 52, et sa
propagation au marché bancaire ont fortement entamé la confiance des investisseurs
vis-à-vis de l’ensemble du marché des produits structurés. Aujourd’hui, l’Union
européenne interdit strictement aux agences de fournir le moindre conseil sur
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l’élaboration de produits structurés qu’elles seraient chargées de noter. Après un pic
d’activité en 2007, le secteur de la titrisation s’est contracté, du moins en Europe,
mais il est loin d’avoir cessé d’exister. Les agences de notation sont quant à elles
montrées du doigt pour n’avoir pas anticipé la crise.

51
M. BARDOS, Les grandes agences de notation internationales : leur rôle annoncé dans la crise, vers quelle
52
régulation ? », juillet 2009 (Les Cahiers Lasaire, n° 38).
Subprime désigne une catégorie d’emprunts plus risqués pour le prêteur, mais au rendement plus
attractif, que la catégorie prime.

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LES AGENCES DE NOTATION 25

2.5. UNE ACTIVITÉ EMBLÉMATIQUE ET AU CŒUR DE


L’ACTUALITÉ : LA NOTATION DES ÉTATS

Aujourd’hui, dans un contexte de crise de la dette touchant plusieurs pays européens


(en premier lieu la Grèce, mais aussi l’Espagne, l’Italie ou le Portugal), la notation
des États fait de plus en plus débat. De nombreux acteurs et observateurs politiques
accusent les trois grandes agences, par l’attribution de leurs notations, d’aggraver
la crise (et notamment de précipiter la chute des États en difficulté), de suivre
aveuglément les marchés ou de tenter d’influencer directement les politiques menées
au plan national ou européen.
Fin avril 2010, la dégradation des notes de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne et
ses répercussions désastreuses sur les marchés financiers provoquent ainsi la colère
de la Commission européenne, du Fonds monétaire international (FMI) et de
plusieurs personnalités politiques. Depuis, chaque nouvelle menace de dégradation
provoque l’indignation de hauts responsables européens. Le 3 mai 2010 par exemple,
évoquant la dégradation de la note de la Grèce, la ministre française de l’Économie
et future directrice générale du FMI, Christine Lagarde, déclare sur les ondes d’Europe
1 : « On ne dégrade pas un pays quinze minutes avant la clôture des marchés, pour
précipiter des achats ou des ventes. » Le spécialiste des marchés financiers Marc
Fiorentino traite quant à lui les agences de notation de « pompiers pyromanes ».
Quant à la chancelière allemande, Angela Merkel, elle déclare en juillet 2011 :
« Concernant le sauvetage de la Grèce, il est important que nous, la Commission
européenne, le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne,
ne nous laissions pas priver de notre liberté de jugement par les agences de notation. » 53

2.5.1. Origines, développement et fonctionnement

Née en 1918, soit neuf ans après la notation corporate, la notation souveraine retrouve
un second souffle à partir des années 1970, après cinq décennies de quasi-léthargie.
Le fait que de plus en plus d’obligations publiques étrangères se retrouvent aux mains
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des banques américaines pousse en effet les grandes agences à se tourner vers
la notation des États. C’est le gouvernement australien qui semble le premier à requérir
54
une notation, en 1975, dans l’espoir d’accéder à l’emprunt à un moindre coût .
En 1986, Moody’s décide de noter des États dont les obligations ne sont pas émises
en dollars ; en 2002, Standard & Poor’s et Fitch se lancent dans la notation de pays
africains 55. Actuellement, 115 pays sont notés par les agences de notation 56.
Les États ont fortement contribué au développement des marchés obligataires 57. Après
le secteur financier (54 %), les États représentent en 2012 le second acteur

53
54
« Merkel sermonne les agences de notation », Libération, 5 juillet 2011.
55
« Agences de notation : la solution se trouverait dans les banques », L’Écho, 29 mars 2012.
N. GAILLARD, Les agences de notation, op. cit., p. 50-52.
56
L’historique de la notation souveraine est abordé de manière plus approfondie dans N. GAILLARD,
57
A Century of Sovereign Ratings, op. cit.
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 40 et s.

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26 LES AGENCES DE NOTATION

du marché obligataire dans la zone euro (37 %). En trente ans, les marchés
obligataires sont devenus la source première de financement des États. Or, vis-à-vis
des prêteurs, tous ces États de la zone euro se retrouvent bien entendu en
concurrence, d’autant qu’ils émettent leurs obligations dans la même monnaie.
En outre, hormis une intervention de la Banque centrale européenne ou le recours
direct à l’épargne nationale par le biais d’emprunts d’États 58, les pays européens n’ont
que peu d’alternative de financement. Il n’est dès lors pas étonnant que les agences
de notation donnent l’impression de maîtriser la pluie et le beau temps dans la zone
euro, d’autant que le marché obligataire est aujourd’hui plus que jamais mondialisé,
ce qui rend incontournable le recours aux trois grandes agences transnationales.
Le mode de facturation des notations aux États reste très opaque, « avec des parts fixes
et des parts variables, en fonction des niveaux de dette et de la complexité des produits
proposés. Cela peut aller de quelques dizaines de milliers d’euros ou dollars par an
à plusieurs centaines de milliers. Sans que cela soit officiel, il est vraisemblable
d’ailleurs que les grands pays, comme les États-Unis, la France ou l’Allemagne, etc.
ne payent pas ou très peu les agences, puisqu’ils sont de toute façon incontournables
pour les investisseurs », explique Norbert Gaillard 59. Du côté des pays émergents, qui
souhaitent attirer les investisseurs, on imagine par contre moins de réticence
à solliciter et payer une notation, dans l’espoir que celle-ci leur soit favorable.
« Ce n’est pas une activité très lucrative, affirme Yann Le Pallec (Standard & Poor’s).
Mais nous avons besoin de noter les États pour analyser les banques et le secteur
public. Cela s’apparente plutôt à de la recherche fondamentale. » 60 Même si la notation
souveraine est souvent non sollicitée, sans relations contractuelles, noter les États est
nécessaire pour les agences, pour une question de renommée sans doute, mais
également comme étalon des emprunteurs des pays concernés (entreprises,
institutions bancaires) qui, eux, payent pour être notés.
Il est intéressant de constater que pour éviter d’être « notés malgré eux », certains
pays, comme la France ou la Belgique, font en sorte que la notation se fasse avec
l’implication plus ou moins directe de l’État concerné. Ce n’est pas le cas de l’Allemagne,
qui refuse officiellement tout contact avec les agences 61.

2.5.2. Des « superpuissances » par nature ?


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Les critiques concernant l’influence grandissante des agences sur la sphère politique
ne sont pas nouvelles. En février 1996 déjà, le chroniqueur du New York Times,
Thomas Friedman, déclarait, non sans une pointe de provocation : « Il y a deux
superpuissances dans le monde aujourd’hui : les États-Unis et Moody’s. Les États-

58
En décembre 2011, l’émission de bons d’État belges a été un vrai succès, puisqu’elle a permis
de récolter pas moins de 5,7 milliards d’euros. Une réussite qui s’explique par une position alors peu
confortable de la Belgique sur les marchés obligataires, un taux d’intérêt intéressant pour
les particuliers et un message « citoyen » adressé aux épargnants belges par le Premier ministre
en personne, Yves Leterme. Six mois plus tard, les taux pour les particuliers sont retombés autour
des 2 % (contre 4 % en décembre 2011) et l’effet séduction n’est plus au rendez-vous.
59
60
« Qui paye les agences de notation ? », La Croix, 20 octobre 2011, www.lacroix.com.
er
61
« Dans la cuisine de Standard and Poor’s », Le Nouvel Observateur, 1 décembre 2011.
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 50.

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LES AGENCES DE NOTATION 27

Unis peuvent vous détruire en vous envoyant des bombes. Moody’s le peut également
en dégradant la note de vos obligations. Et croyez-moi, il n’est pas toujours facile
de savoir lequel des deux a le plus de pouvoir. » Selon lui, le pouvoir des agences de
notation lié à leur activité de notation des États serait donc substantiel.
Loin de partager ce point de vue, Yves Cavalier, journaliste à La Libre Belgique,
envisage autrement la question en janvier 2012. Selon lui, les agences de notation
n’ont pas de pouvoir par nature. C’est le contexte économique récent qui leur a donné
de l’importance dans les politiques nationales et européenne. Il écrit : « Ce qui
a bouleversé la donne, c’est que pour la première fois dans le monde occidental,
on a évoqué le risque de faillite d’un État. (…) C’est sur la base de ce seul constat que
finalement les agences ont acquis une importance nouvelle. On avait coutume
de considérer que le rating d’un État relevait de la formalité plus que de la réalité. Mais
depuis 2011, les faiblesses des uns et des autres ont été mises en exergue avec la
62
redéfinition d’une hiérarchie qui allait du meilleur emprunteur au plus exécrable. »
Également à contre-courant des critiques envers le présumé diktat des agences de
notation, Nicolas Sarkozy, alors président de la République française, explique quant
à lui, au lendemain du sommet européen accouchant du plan de sauvetage de la
Grèce, à la fin du mois d’octobre 2011, que le problème de la France, menacée
de perdre son triple A 63, n’est pas les agences de notation, mais bien la dette, car c’est
elle qui donne du pouvoir aux agences 64. Il semble ainsi rendre aux agences leur rôle
de « thermomètre » que nous évoquerons plus loin. Dans le cas de la dégradation,
le 25 novembre 2011, de la note de la Belgique par Standard & Poor’s, de AA+ à AA,
l’économiste Paul De Grauwe (KUL) 65 estime même que la notation n’a fait que
suivre les marchés 66. Standard & Poor’s a de son côté justifié sa décision en trois
points : un secteur financier belge fragilisé, un climat économique européen très
difficile et la longue absence d’un gouvernement belge.
S’il arrive donc aux agences de s’aligner sur les marchés, qu’en est-il de l’hypothèse
inverse ? Avec un peu de recul, l’économiste Éric De Keuleneer (Solvay Brussels
School of Economics, ULB) déclare : « Il faut savoir que les marchés financiers
attribuent in fine fort peu d’importance à ces agences, et ne font souvent qu’entériner
des décisions qu’ils ont déjà prises. En résumé, en ce qui concerne les États,
ces agences ne servent à rien. Leur influence est juste une aberration du système (…).
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Ceci étant, les agences ont néanmoins raison sur certains points. Notamment quand
elles critiquent les États qui laissent filer leur déficit. La pérennité d’un État passe
par l’équilibre de son budget. Pour y arriver, il faut parfois prendre des mesures très
impopulaires. C’est, indirectement, aussi une des raisons de la puissance apparente
de ces agences. Les hommes politiques les invoquent quand cela les arrange,
67
les rendant responsables des décisions les plus difficiles à prendre. » Pour sa part,
Carol Sirou, présidente de Standard & Poor’s France, explique qu’il est tout à fait

62
« Rating et agences tous risques », La Libre Belgique, 2 janvier 2012.
63
64
La France sera au final bel et bien dégradée le 13 janvier 2012.
65
Interview du 27 octobre 2011 réalisée conjointement par TF1 et France2.
Interview du 25 novembre 2011, sur la RTBF radio.
66
Le rendement obligataire à 10 ans de la Belgique flirte fin novembre avec les 6 % alors qu’il n’était
67
que de 4,35 % le 22 octobre 2011.
« Peut-on échapper aux agences de notation ? », Télémoustique, 25 janvier 2012, p. 22-23.

CH 2156-2157
28 LES AGENCES DE NOTATION

normal que l’appréciation des agences de notation et des marchés divergent parfois :
« La notation mesure uniquement un risque de non-remboursement à l’échéance
des dettes, tandis que l’appréciation des marchés tient compte d’autres paramètres
68
tels que la liquidité des titres, leur volatilité ou les anticipations des investisseurs. »
Peut-on en déduire pour autant que les décisions des agences sont sans conséquence
sur les marchés ? Pour répondre correctement à la question, il convient de signaler
que les agences ne dégradent pas la note d’un pays du jour au lendemain. Elles lancent
des avertissements en modifiant la « perspective » (positive, négative ou neutre) liée
à leur notation. Si cette perspective est abaissée de stable à négative, il faut s’attendre
à une dégradation prochaine de la notation. Avant d’enlever aux États-Unis leur triple
A, le 5 août 2011, Standard & Poor’s avait ainsi mis le pays sous perspective négative
dès le mois d’avril. Quant à la France, dégradée le 13 janvier 2012, la menace
de l’agence était déjà tombée en décembre 2011. Cet élément de la méthode de
communication des agences est essentiel à souligner, car les annonces de modification
de perspective ont parfois plus d’effet que les dégradations effectives elles-mêmes
(puisque ces dernières sont attendues de longue date). En effet, les menaces
permettent aux marchés de s’adapter et d’anticiper l’évolution possible des notations.
Ainsi, dans le cas de la France, l’annonce de décembre 2011 a eu un effet immédiat,
comme l’explique Carol Sirou : « Cette fois-là, les taux français avaient bondi, alors
que les taux allemands se détendaient. L’écart de rendement entre les obligations
françaises et allemandes à 10 ans était passé de 0,92 à 1,33 % en trois jours, ce qui n’est
69
pas anodin ! » . Par contre, en janvier 2012, l’abaissement effectif de la note de
la France ne s’est pas traduit par une hausse des taux. Un phénomène similaire s’était
produit pour les États-Unis quelques mois plus tôt.

2.5.3. Des critiques multiples

Quant on ne les accuse pas de précipiter la chute des États en difficulté ou de suivre
aveuglément les marchés, les grandes agences de notation sont suspectées de se livrer
entre elles à certaines surenchères afin d’occuper le haut de l’affiche. À la mi-janvier
70
2012, Standard & Poor’s dégrade pas moins de neuf pays de la zone euro et met
un terme au triple A de la France. Un mois plus tard environ, Moody’s abaisse elle
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aussi la note de six pays européens 71 et annonce, dans la foulée, la possible
dégradation de pas moins de 114 institutions financières européennes. Certes, cette
« menace » est conforme à l’un des dogmes des agences de notation : une banque
ne peut se prévaloir d’une notation plus élevée que le pays auquel elle est associée.
Toutefois, estime Georges Ugeux, PDG de Galileo Global Advisor (petite banque
d’affaires internationale présente à New York) 72, « on a l’impression que Moody’s
avait perdu la main après l’annonce par son concurrent Standard & Poor’s de

68
69
« Agences de notation. Le vrai, le faux et les demi-vérités », Trends-Tendance, 2 février 2012.
70
Ibidem.
Autriche, Chypre, Espagne, France, Italie, Malte, Portugal, Slovaquie, Slovénie.
71
72
Espagne, Italie, Malte, Portugal, Slovaquie, Slovénie.
De 1996 à 2003, Georges Ugueux a été Executive Vice President International du New York Stock
Exchange.

CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 29

la dégradation d’une série de pays, et que Moody’s recherche le sensationnalisme pour


revenir sur le devant de la scène. De telles actions globales affaiblissent la crédibilité
des agences. Il est impossible que Moody’s ait pu analyser individuellement en si peu
de temps le cas de 114 institutions. Ce n’est matériellement pas possible. Il faut donc
73
prendre cette annonce comme un jugement global sur le secteur » .
Trop rapides, trop lentes, suiveuses, dictatrices, inutiles, etc. : quand il s’agit
de notation souveraine, on ne sait plus très bien dans quel sens prendre la critique
à l’égard des agences. Mais force est de constater que celles-ci sont le réceptacle d’une
animosité certaine.
Sur son blog financier, repris par le journal Le Monde, Georges Ugeux estime que pour
convaincre les États de participer au processus de notation, les agences ont exercé
une forme de chantage, en faisant valoir auprès des États qu’il était dans leur intérêt
de coopérer plutôt que de se voir imposer une notation. Pour Georges Ugeux,
les banques d’affaires auraient soutenu le discours des agences, expliquant aux États
que sans notation, le coût de leurs emprunts serait supérieur. Il précise encore que
malgré leurs nombreuses faiblesses, attaquer les agences de notation relève de
l’hypocrisie de la part des dirigeants européens : « Il suffit pour s’en convaincre
de les voir s’attribuer le mérite des notations positives et le blâme sur les agences de
rating des notations négatives. » 74

2.5.4. Un impact aggravant sur la crise de la zone euro ?

Dans le cadre de la crise de la zone euro, les agences de notation se voient depuis
plusieurs mois accorder une audience sans précédent. D’aucuns prêtent à leurs
annonces et à leurs notations un rôle de facteur aggravant de la crise.
De nombreux analystes et acteurs politiques font remarquer que le premier des
facteurs déclencheurs et aggravants de la crise sont les déficits publics qui caractérisent
aujourd’hui certains pays européens et les nombreuses hésitations qui accompagnent
les discussions européennes pour sortir de l’impasse – deux éléments qui ne sont
en rien imputables aux agences. Ainsi, le leader des libéraux au Parlement européen,
Guy Verhofstadt, a déclaré en janvier 2012 : « Je ne suis pas fan des agences de
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notation, mais il semble évident qu’elles ne font que mettre en avant le manque
de courage politique et de leadership nécessaire pour trouver une solution. Elles
ne devraient pas être accusées pour leur analyse sévère et critique des échecs
des décideurs politiques. Les décideurs européens devraient plutôt lire cette analyse
75
et mettre en œuvre les recommandations qu’elle propose. »
76
Le cas de la Grèce fait cependant débat . Même si la Grèce a dissimulé jusqu’en 2009
le poids réel de son endettement, les agences n’ont pas su anticiper les conséquences
de l’augmentation de la dette publique du pays, de sa perte de compétitivité et

73
74
« Moody’s menace 131 institutions », Le Soir, 17 février 2012.
G. UGEUX « Agences de notation : la grande hypocrisie des gouvernements », Démystifier la finance,
75
finance.blog.lemonde.fr, 10 juillet 2011.
76
Déclaration publiée sur le site Internet www.euractiv.com le 16 janvier 2012.
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 100 et s.

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30 LES AGENCES DE NOTATION

des faiblesses de son système fiscal, et donc in fine, le risque de défaut du pays. Fitch
Ratings, Moody’s et Standard & Poor’s ont surnoté les pays du sud de l’Europe dans
les années 2000 parce qu’elles pensaient que leur appartenance à la zone euro réduisait
le risque de défaut de paiement qui leur était associé. Cette période d’attentisme
des agences a laissé place en 2009 à plusieurs dégradations de la note grecque dans
un laps de temps de quelques mois à peine, ce qui a accru de manière importante
les difficultés de la Grèce à se financer sur le marché obligataire, alors même que
son gouvernement imposait à la population des efforts contraignants d’assainissement
budgétaire.

2.6. ACTIVITÉS ANNEXES

En marge de la notation des titres de dette, les agences de notation exercent également
des activités annexes telles que le conseil aux entreprises et la vente d’informations
statistiques, d’études et de fichiers.

2.6.1. Conseil aux entreprises

Les agences peuvent également assumer le rôle de conseiller. Une entreprise peut
en effet se faire conseiller auprès d’une agence sur l’impact que ses décisions
pourraient avoir sur l’évolution de sa notation. De par les conflits d’intérêt qu’elle
risque de susciter, les régulateurs cherchent à encadrer cette activité de conseil, surtout
en Europe.

2.6.2. Vente d’informations statistiques, d’études et de fichiers

Enfin, les agences peuvent compter sur une source de financement supplémentaire,
provenant de la vente d’informations statistiques, d’études et de fichiers. Comme
l’explique Mireille Bardos, consultante, ex-responsable de l’Observatoire des entreprises
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de la Banque de France, « pour mener à bien leur activité, les agences doivent
approfondir constamment leur réflexion et avoir recours à des travaux de recherche
pointus : études sur le contexte économique, modèles mathématiques pour construire
leurs produits financiers et en évaluer le risque, statistiques de défaut sur des cohortes
d’émetteurs, constitution de bases de données. Cette information se diffuse via
un système de souscription particulièrement onéreuse » 77.

77
M. BARDOS, Les grandes agences de notation internationales, op. cit., p. 9.

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3. LES AGENCES DE NOTATION :
QUEL POUVOIR ?

Depuis le commencement de la crise de la dette en Europe, chaque nouvelle possible


dégradation annoncée par une agence de notation est accueillie par des cris de
protestation, tant dans la presse et dans la société civile que dans les déclarations
de mandataires politiques. Si certains estiment que l’endettement européen justifie
ces révisions de notes, d’autres n’hésitent en effet pas à qualifier de « diktats » les avis
financiers émis par les agences de notation.
Il convient donc de tenter de percevoir, au-delà des idées reçues nées des craintes
et des fantasmes collectifs, quel est le réel pouvoir des agences de notation.
Cet exercice permet notamment de se rendre compte que, si ces institutions sont
incontestablement incontournables – ce qu’elles resteront probablement longtemps
encore, en dépit de certains projets, étant profondément ancrées dans la culture
des investisseurs –, elles affirment n’avoir aucune volonté d’influer sur les décisions
politiques. En réponse aux nombreuses critiques qui leur sont adressées, elles rappellent
notamment que leur ambition se cantonne à fournir des opinions, que les investisseurs
et les marchés sont ensuite libres de partager ou non. Elles soulignent également
le fait qu’il n’est pas rare que leurs notes soient instrumentalisées par certains
responsables politiques, qui les détournent de leur réelle signification pour influencer
les processus décisionnels et, en particulier, pour justifier des mesures impopulaires
auprès de leurs électeurs.
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3.1. DES INSTANCES INCONTOURNABLES

La mondialisation des marchés des capitaux a rendu inéluctable le recours aux notations
des agences. Il est en effet difficile pour un investisseur potentiel d’évaluer, sur simple
lecture du prospectus d’émission d’une obligation, toutes les subtilités qui entourent
celle-ci (environnement économique, secteur d’activité, enjeux liés à la concurrence,
fiscalité et législation en vigueur dans le pays d’émission, etc.), a fortiori lorsque
l’émetteur se trouve dans un pays lointain. Les agences jouent donc le rôle de tiers
indépendants afin de rassurer les investisseurs sur la qualité des actifs qu’ils souhaitent
acquérir. La notation permet une comparaison au plan international.
Un autre facteur majeur du caractère actuellement incontournable des agences est
la référence qui est faite à leurs notations dans des réglementations officielles.

CH 2156-2157
32 LES AGENCES DE NOTATION

Dans les années 1930 déjà, suite à la crise, il a été clairement demandé aux banques
américaines de se séparer des titres « spéculatifs » et de ne conserver que ceux pouvant
appartenir à la catégorie « investissement ». Et c’est aux agences de notation que
la Securities and Exchange Commission (SEC), tout juste créée (1934), a confié le soin
d’évaluer la qualité des titres en question.
78
Au plan mondial, ce sont les accords de Bâle II sur la réforme des normes
prudentielles, entrés en vigueur fin 2006, qui offrent leur heure de gloire aux agences
de notation et participent à une déresponsabilisation progressive des investisseurs qui
se voient « forcés » de recourir aux notations. Le Comité de Bâle est une organisation
internationale qui regroupe les représentants des régulateurs bancaires et des banques
centrales de vingt-sept pays, dont les principaux pays industrialisés, et qui compte
comme principale mission de définir les règles prudentielles à imposer aux institutions
bancaires. Les accords de Bâle II ont pour vocation de mieux appréhender les risques
de crédit des banques, via une révision des exigences en fonds propres.
Le ratio Cooke, dans les accords de Bâle I, imposait aux banques de détenir au moins
8 % de fonds propres comparativement au crédit financé. Mais ce ratio ne tenait
pas compte de la qualité de l’emprunteur, et une série de banques ont alors privilégié
certains placements plus risqués et en théorie plus rémunérateurs. Les accords de Bâle
II imposent aux banques un autre ratio, le ratio Mc Donough, qui prend en compte
le risque de défaut des emprunteurs et implique une évaluation de ce risque par
les agences de notation, de manière directe ou indirecte (c’est-à-dire lorsque la banque
évalue elle-même ce risque, mais s’en réfère aux notations des agences à titre
de comparaison).
La transposition en droit belge de la directive européenne sur les marchés
d’instruments financiers offre un autre exemple de la référence faite aux agences dans
la réglementation. Ce texte de 2007 précise en effet qu’« un instrument du marché
monétaire est considéré comme de haute qualité si toutes les agences de notation
compétentes l’ayant évalué lui ont décerné leur meilleure note. Un instrument qui
n’a pas été noté par une agence compétente ne peut pas être considéré comme
de haute qualité » 79. Même les banques centrales se réfèrent aux notations dans
le cadre de leur politique monétaire, l’usage de ces notations n’étant cependant en rien
automatique.
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3.2. UNE ALTERNATIVE POSSIBLE SE DESSINE

De nombreux économistes et spécialistes de la question estiment qu’il faut


aujourd’hui se « désintoxiquer » (sic) des agences de notation et faire en sorte que
leurs notes ne représentent plus qu’un avis parmi d’autres. Ceci passe, dans un premier

78
Banque des règlements internationaux, Convergence internationale de la mesure et des normes de fonds
79
propres, juin 2006, www.bis.org.
Arrêté royal du 3 juin 2007 portant les règles et modalités visant à transposer la directive concernant
les marchés d’instruments financiers [directive 2004/39/CE], Moniteur belge, 18 juin 2007.

CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 33

temps, par un retrait progressif des références aux notations des agences dans les
réglementations financières. Ce travail est désormais amorcé.
Au niveau international, le Conseil de stabilité financière (CSF) a publié, en octobre
2010, une série de principes visant à réduire l’importance accordée par les autorités
et les établissements financiers aux notations établies par les agences. Dans ce cadre,
il a préconisé de supprimer les références à ces notations dans la législation, ou de
les remplacer par d’autres mesures lorsqu’il en existe, et d’exiger des investisseurs
qu’ils procèdent à leurs propres évaluations. Ces principes ont été entérinés par
80
le sommet du G20 à Séoul en novembre 2010 .
Sous l’impulsion de ce même G20, et suite à la crise des subprimes, les accords de Bâle
III ont été publiés en septembre 2010. Ils visent à renforcer à nouveau les fonds
propres et les garanties de liquidités des banques. La Commission européenne a été
81
la première à adopter, le 20 juillet 2011, un texte visant la transposition de ces accords .
À cette occasion, Michel Barnier, commissaire européen chargé du Marché intérieur,
a déclaré : « Nous sommes trop dépendants vis-à-vis des notations, et je souhaite
supprimer autant que possible la référence aux notations dans les règles prudentielles.
C’est une question essentielle de stabilité financière. Nous proposons aujourd’hui
de renforcer l’exigence faite aux banques de mener elles-mêmes leurs propres analyses
de risque, sans se reposer mécaniquement sur celles des agences. » 82
En juillet 2010, a également été adoptée aux États-Unis la loi Dodd-Frank (cf. infra).
Celle-ci préconise le retrait des références aux notations dans les réglementations
financières. La référence à la notion d’investment grade est ainsi directement
remplacée par l’expression « conforme aux standards de solvabilité » dans certaines
lois-phares 83.
Cette première phase de « désintoxication » semble donc en bonne voie. Reste à trouver
une alternative crédible au système actuel. Dans le prolongement de la déclaration
faite par Michel Barnier, certains économistes, dont Norbert Gaillard, estiment que
« la seule alternative crédible à la notation passe par le développement de systèmes
de scorings 84 au sein des grands établissements de crédit et compagnies d’assurance.
Les régulateurs nationaux seraient chargés de vérifier que ces scorings ne sont pas
des extrapolations des notations financières, mais reposent bien sur des modèles
robustes indépendants, pouvant incorporer non seulement le risque de crédit, mais
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également les autres types de risque (liquidité, change, contrepartie, etc.). (…) C’est
en “ré-internalisant” l’analyse du risque que l’on parviendra à se “désintoxiquer” de la
notation financière, à multiplier les opinions sur les marchés et à “re-responsabiliser”
les régulateurs et les investisseurs » 85.

80
Point 2.9 de l’avis du Comité économique et social européen sur la proposition de règlement
du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1060/2009 du 16 septembre
2009 sur les agences de notation de crédit, COM(2011) 747 final – 2011/0361 (COD), Journal officiel
de l’Union européenne, C 181/70, 21 juin 2012.
81
82
Cf. le site Internet www.ec.europa.eu.
83
Conférence de presse donnée à Bruxelles le 20 juillet 2011.
N. GAILLARD, Remettre la notation financière à sa juste place, Paris, Institut Montaigne, 2012, p. 34.
84
Analyse statistique du risque de crédit basée sur une série d’informations financières fournies par
85
une entreprise à une banque dans le cadre de l’obtention d’un crédit.
N. GAILLARD, Remettre la notation financière à sa juste place, op. cit., p. 40-41.

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34 LES AGENCES DE NOTATION

Pour que la mutation s’opère, le chemin reste cependant encore long. Le recours
aux notations des agences est un moyen d’analyse simple, rapide et peu coûteux,
de sorte que, outre le fait que les réglementations financières y faisant référence
foisonnent, la notation est également aujourd’hui profondément ancrée dans la culture
86 87
d’investissement . Dans un avis rendu en mars 2012 , le Comité économique et
social européen (CESE) exprime des doutes quant à la concrétisation de l’injonction
faite aux institutions financières de réaliser par elles-mêmes leurs propres analyses
et notations de crédit : « Actuellement, on n’attache d’importance pour l’essentiel
qu’aux notations des agences établies (…). Dans le même temps, le CESE doute
des capacités des plus petites institutions financières à créer des départements
d’analyse qui effectueraient ces notations. »

3.3. QUELLE PLACE SUR L’ÉCHIQUIER POLITIQUE ?

Il y a quelques années encore, le grand public n’entendait jamais parler des notations
souveraines. Aujourd’hui, elles rythment le discours des dirigeants politiques. Mais quelle
est la réelle volonté des agences d’influencer les décisions politiques, et dans quelle
mesure leurs notations sont-elles instrumentées par les gouvernements ?

3.3.1. Une absence revendiquée de volonté d’influence

Dans un entretien accordé au Trends-Tendances, Carol Sirou, présidente de Standard


& Poor’s France, défend les agences de vouloir jouer un quelconque rôle sur
l’échiquier politique : « La notation souveraine est devenue tellement médiatique
que certains voudraient qu’on devienne des commentateurs de la vie politique ! Mais
ce n’est pas notre métier. Il y a des gens très compétents pour cela. (…) Notre rôle
n’est pas de donner des indications de politiques publiques. Notre métier, c’est
d’apprécier la capacité d’un emprunteur à rembourser sa dette dans le futur. Qu’il
y arrive d’une manière ou d’une autre, ce n’est pas notre affaire. (…) Je peux vous
assurer que la plus mauvaise publicité qu’on puisse se faire, c’est la notation
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souveraine. Cela crée une telle émotion, voire la cristallisation d’un certain nombre
de comportements, que ce n’est pas une approche tactique. La dette souveraine, c’est
près de 40 % de l’encours mondial de dette obligataire. (…) Or, le business de
la notation souveraine doit représenter moins de 10 % de notre chiffre d’affaires. » 88
Pourquoi les agences de notation sont-elles perçues comme voulant jouer un rôle
politique, alors qu’elles affirment qu’il n’en est rien ? Sans doute en partie parce
qu’elles sont soumises à l’obligation légale de motiver leurs décisions de notation.

86
87
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 80.
Avis du Comité économique et social européen sur la proposition de règlement du Parlement
européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1060/2009 du 16 septembre 2009 sur
les agences de notation de crédit, COM(2011) 747 final – 2011/0361 (COD), Journal officiel
88
de l’Union européenne, C 181, 21 juin 2012.
« La finance s’est droguée au triple A », Trends-Tendances, 17 mai 2012.

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LES AGENCES DE NOTATION 35

Or dans certains cas, la frontière est très étroite entre une justification de note et
l’expression d’une opinion politique.
Le 13 janvier 2012, la France et l’Autriche perdent leur triple A, tandis que sept autres
pays membres de la zone euro se voient dégradés par Standard & Poor’s. Dans un
communiqué, l’agence justifie sa décision par le fait que la réponse apportée par
les dirigeants européens à la crise financière occulte d’après elle une partie du
problème en ne retenant comme source de celui-ci que les difficultés budgétaires
en périphérie de la zone euro. « Selon nous, les problèmes financiers de la zone euro
résultent tout autant des déséquilibres externes et des différences de compétitivité
entre le cœur de la zone euro et sa « périphérie ». Par conséquent, nous pensons qu’un
processus de réforme fondé sur la seule austérité budgétaire risque de ne pas
fonctionner, dans la mesure où la demande intérieure chute avec les inquiétudes
des consommateurs quant à la sécurité de l’emploi et des revenus disponibles, ce qui
entraîne une diminution des recettes fiscales nationales. » Nous avons ici un bel
exemple de la raison pour laquelle les agences de notation sont aujourd’hui souvent
perçues comme des acteurs politiques.
Soulignons bien que rien n’oblige les décideurs politiques à se plier aux vues des
agences de notation. Pour preuve, la chancelière allemande, Angela Merkel, première
partisane de la rigueur budgétaire en Europe, réagit à la dégradation des notes
des neuf pays de janvier 2012, en faisant totalement fi de l’argumentation de Standard
& Poor’s que nous venons d’évoquer : « Nous sommes désormais sous pression pour
mettre en œuvre rapidement et de façon décidée le pacte budgétaire (...) et il ne s’agit
pas d’essayer de l’adoucir partout où l’on peut, mais de donner des garanties
de finances solides pour l’avenir », déclare-t-elle au congrès de son parti, le CDU,
à Kiel 89. La parole des agences n’est donc pas d’évangile.

3.3.2. Une instrumentalisation des notations par certains


dirigeants politiques

Jean-Michel Six, responsable des études économiques pour l’Europe chez Standard
& Poor’s depuis 2005, constate que « dans des périodes difficiles, comme celles que
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nous connaissons depuis 2007, d’autres utilisateurs tels que les politiques font usage
de nos notes. Notamment lorsqu’elles leur sont favorables. Ce qui n’est pas au départ
leur destination. Il y a donc parfois une certaine instrumentalisation de nos notes. » 90
Ainsi, il est intéressant de constater à quel point Nicolas Sarkozy et François Hollande
ont fait de la conservation du triple A de la France un enjeu incontournable de
la course à l’élection présidentielle française de 2012. Dans la majorité du président
sortant N. Sarkozy (UMP), le discours a bien entendu dû s’adapter au gré des
circonstances.

89
« Merkel veut le pacte budgétaire rapidement pour rassurer les investisseurs », La Libre Belgique,
90
14 janvier 2012.
« La finance s’est droguée au triple A », Trends-Tendances, 17 mai 2012.

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36 LES AGENCES DE NOTATION

En juin 2011, N. Sarkozy déclare : « Je n’ai pas été élu pour que la France connaisse
un jour les problèmes de la Grèce, de l’Irlande ou du Portugal. » Et Franck Louvrier,
conseiller à l’Élysée, d’enfoncer le clou : « Avec les socialistes, on aurait perdu notre
note AAA. » En septembre 2011, le ton prend des accents de défi. « Nous avons
un objectif et une obligation : conserver le AAA », explique N. Sarkozy, rejoint par
son ministre de l’Économie, François Barouin : « Nous serons là pour conserver
ce triple A. C’est une condition nécessaire pour protéger notre modèle social. »
Lorsque des menaces de dégradation sont lancées par Standard & Poor’s en décembre
2011, le discours au sein de la majorité encore en place effectue un sérieux virage,
prenant ses distances avec l’importance à accorder aux notations et notamment à
la sauvegarde du triple A : « Les marchés et les agences de notation ont leur logique.
Ils sont dans l’immédiat, dans l’instantané. Mais ce qui importe, ce n’est pas leur
jugement d’un jour, c’est la trajectoire politiquement structurée et budgétairement
91
rigoureuse que l’Europe, que la France, ont décidé d’adopter. » Commentant
ce « revirement », l’ex-ministre de la Défense et des Affaires étrangères (elle a remis
sa démission en février 2011), Michèle Alliot-Marie (UMP), parle « d’erreur de
communication » 92. Toujours est-il que dans l’intervalle, N. Sarkozy a réussi à rendre
indispensables, au nom du maintien du triple AAA, la réforme des retraites ou le non-
remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. En ces temps
d’austérité, les agences de notation, tant décriées, ont donc apporté au gouvernement
français un mobile aisé pour exiger de la part des Français une série d’efforts, dont
deux plans de rigueur.
Dans l’opposition également, le triple A devient un élément de communication
incontournable lors de la campagne présidentielle. Une fois la France dégradée,
le 13 janvier 2012, le Parti socialiste n’a plus qu’à s’engouffrer dans la brèche.
La première secrétaire du parti, Martine Aubry, déclare ainsi le jour même
de l’annonce de Standard & Poor’s : « Monsieur Sarkozy restera le président de
la dégradation de la France. Ce sont les Français qui vont payer le prix. » 93 « Nicolas
Sarkozy avait fait de la conservation du triple A un objectif de sa politique et même
une obligation pour son gouvernement. C’est ainsi qu’avaient été justifiés pas moins
de deux plans de rigueur en quatre mois. Cette bataille, et je le regrette, a été perdue »,
indique quant à lui le candidat François Hollande 94. Dans les médias, la dégradation
de la France provoque une véritable tempête. Dans nombre d’organes de presse,
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elle sonne comme la défaite de Nicolas Sarkozy dans sa course à l’Élysée. L’analyse est
sans doute exagérée. Mais cet épisode démontre à quel point certains dirigeants
politiques peuvent instrumentaliser la notation afin de servir leurs intérêts, au risque
de voir parfois la stratégie se retourner contre eux. Il montre aussi combien le discours
du monde politique et des médias peut parfois être éloigné de la réalité des marchés.
En effet, contrairement à ce qui avait été annoncé, le marché obligataire a complètement
ignoré la dégradation des neufs pays européens. Il avait en effet déjà anticipé cette

91
Toutes les citations de ce paragraphe sont extraites de « En France, du catastrophisme à
la résignation », Le Monde, 19 décembre 2011.
92
93
Sur Europe 1, le 18 décembre 2011.
94
« La France perd son AAA, l’Allemagne le garde », Le Figaro, 13 janvier 2012.
« Fillon, après la dégradation, la confrontation », Libération, 14 janvier 2012.

CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 37

95
dégradation et s’était adapté . Par ailleurs, c’était oublier les deux autres agences
de notation. En l’occurrence, la France conserve à ce jour son triple A auprès de
Moody’s et de Fitch.
En Belgique également, les décideurs politiques, lors des négociations menées entre
juin 2010 et décembre 2011 pour la formation du gouvernement fédéral, ont
considéré les menaces ou sanctions des agences de notation comme une contrainte
externe certes, mais également comme un adjuvant extérieur permettant de faire
avancer certains débats ou même de débloquer l’une ou l’autre situation.
Le 14 décembre 2010 déjà, Standard & Poor’s presse les négociateurs d’offrir
rapidement un gouvernement à la Belgique, sous menace d’une dégradation dans
les six mois. Le pays est à ce moment noté AA+ par l’agence américaine, juste en
dessous du triple A. Le 25 novembre 2011, alors que les négociateurs échouent depuis
plusieurs semaines à s’accorder autour de la confection du budget, et après
un claquement de porte temporaire mais très médiatique du formateur Elio Di Rupo,
Standard & Poor’s met ses menaces à exécution et dégrade la Belgique de AA+ à AA.
Tous les négociateurs s’accordent alors sur l’urgence d’aboutir rapidement à un budget
pour rétablir la confiance des marchés au plus vite. Le 26 novembre, soit le lendemain
de l’annonce de Standard & Poor’s, ils adoptent la cinquième épure budgétaire
96
du formateur, avant la réouverture des places boursières le lundi 28 . Dans les jours
qui suivent, les partis écologistes (qui ne sont pas associés à la formation du
gouvernement) reprochent aux négociateurs de mener, au sujet de l’adoption
du budget, une communication visant à rassurer les agences et les marchés et passant
sous silence vis-à-vis de la population un certain nombre de mesures prises,
dont l’abandon de mesures fiscales « vertes ». Georges Gilkinet, député fédéral Écolo,
parle alors de « gouvernement Standard & Poor’s ».

3.4. CRITIQUES ET DÉFENSE

En marge de la question de leur influence réelle sur la sphère politique, les agences
de notation font l’objet, depuis une bonne dizaine d’années, de controverses et
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de critiques.
Pour Pierre Cailleteau (Moody’s), les agences de notation s’exposent de par leur
fonction à la critique. Leurs notations sont publiques et deviennent donc une cible
facile pour des analyses rétrospectives. « De même, il est dans la nature des choses que
les “bons” ratings soient aussi peu commentés que les trains qui arrivent à l’heure. » 97

95
Lorsque la France s’est retrouvée sous surveillance négative, le 5 décembre 2011, l’écart de rendement
entre les obligations françaises et allemandes à 10 ans s’est accru de manière considérable, passant
96
de 0,92 à 1,33 % en trois jours.
Ces deux épisodes sont relatés dans S. GOVAERT, « Les négociations communautaires et la formation
du gouvernement Di Rupo (juin 2010-décembre 2011) », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2144-
97
2145, 2012.
P. CAILLETEAU, « Si elles n’existaient pas, faudrait-il inventer les agences de notation ? », op. cit., p. 16.

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38 LES AGENCES DE NOTATION

3.4.1. Des manques d’anticipation

La première critique qui est adressée aux trois grandes agences transnationales est
qu’elles n’ont pas réellement anticipé un certain nombre d’événements majeurs,
tels que la crise asiatique de 1997, les scandales financiers début 2000 (Enron,
Worldcom et Parmalat), la crise des subprimes en 2007 et la crise actuelle de la dette
en Europe et aux États-Unis.
Dans le cas d’Enron, pour le secteur énergétique, et de Parmalat, pour le secteur agro-
alimentaire, les agences évoquent pour leur défense les comptes truqués des deux
entreprises. Avant leurs faillites respectives, Enron se classait sixième au rang mondial
énergétique et Parmalat assurait à elle seule 1 % du PIB italien. Concernant Enron,
les agences ont attendu le 28 novembre 2001, soit quatre jours avant la faillite, pour
placer l’entreprise en catégorie « spéculative ». Le scénario est similaire pour Parmalat.
Comme elles l’ont alors précisé, les agences ne sont pas des auditeurs, elles n’en ont
pas les moyens humains. Elles sont contraintes de baser leurs analyses sur les données
contenues dans les comptes certifiés que les entreprises leur remettent, or dans
le cas présent ces données étaient frauduleuses.
Quelques jours avant sa banqueroute, à l’automne 2008, la banque d’affaires
américaine Lehman Brothers figurait encore dans la catégorie « investissement » des
trois grandes agences de notation. Celles-ci n’ont pas cru à l’émergence de la faillite
du géant bancaire, tout simplement parce qu’elles s’attendaient à ce que l’État
américain porte secours à la banque, comme il l’avait fait pour d’autres institutions
financières. Cet exemple montre une autre limite des agences, qui provient du fait
qu’elles tiennent compte dans leur notation d’éléments autres que quantitatifs.
Certains semblent attendre des agences qu’elles lisent dans une boule de cristal,
ce qu’elles ne font clairement pas.

3.4.2. Le phénomène d’auto-réalisation

Il est également souvent reproché aux agences d’avoir tendance à surréagir et d’ainsi
précipiter les difficultés de certains émetteurs en révisant à la baisse la qualité de
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leur crédit sur la base de jugements estimés hâtifs par les émetteurs concernés.
Pour Jean-René Fourtou, devenu PDG du groupe Vivendi Universal en remplacement
de Jean-Marie Messier, les agences de notation financières ont contribué à détériorer
la situation de son entreprise, plongée durant l’été 2002 dans une spirale dépressive
qui l’a menée aux portes de la faillite. Déjà confrontée à un problème de dette
colossale, Vivendi, après la dégradation de sa note par Standard & Poor’s et surtout
Moody’s, a été soumise à une grave crise de liquidités, ne pouvant plus recourir
que difficilement au marché du crédit.
C’est ce que certains observateurs nomment le phénomène d’auto-réalisation ou self-
fulfilling prophecy. Au lieu de prévenir le risque d’insolvabilité, la dégradation parfois
tardive et sévère d’une notation concrétise le risque de défaut en rendant le marché
du crédit moins accessible à ceux qui reçoivent une mauvaise note. Plus récemment,
en juillet 2011, après que Moody’s a dégradé la note du Portugal de quatre crans,

CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 39

Pier Carlo Padoan, secrétaire général adjoint et chef économiste de l’OCDE, s’en est
pris aux trois grandes agences et à leurs tendances procycliques : « Elles produisent
des prophéties qui s’auto-réalisent. Ce n’est pas vrai qu’elles transmettent des
informations : elles expriment des jugements, entraînant une accélération de tendances
déjà à l’œuvre. C’est comme pousser quelqu’un qui est au bord d’un ravin. Elles
aggravent la crise. » 98
Citons également les cas de figure où, après une longue période durant laquelle elles
sont restées sans réaction, les agences multiplient les dégradations dans un court laps
de temps. La Grèce est exemplative des conséquences d’un tel revirement tardif
et soudain. Le pays a ainsi « bénéficié » d’une période de relatif attentisme de la part
des agences avant de subir des dégradations rapprochées et importantes de sa notation.
Le rapport d’information du Sénat français publié en juin 2012 indique qu’après avoir
laissé la note grecque inchangée de 2003 à 2009, Moody’s l’a dégradée de neuf crans
en l’espace de seulement quinze mois, accroissant bien entendu les difficultés de
recours au crédit d’un État déjà aux prises avec les plans successifs d’assainissement
budgétaire.
En Belgique, le rapport de la commission Dexia estime lui aussi les agences
responsables, par leurs révisions de notation et l’auto-réalisation qu’elles impliquent,
d’avoir asphyxié la banque belgo-française : « Les jours suivants la mise sous
surveillance de la note à court terme par Standard & Poor’s, le 23 mai 2011, Dexia
99
a perdu 6 milliards d’euros de liquidités. » « Les dégradations et/ou mises sous
surveillance des notes de Dexia au cours de l’année 2011 par les deux plus grandes
agences de notation de crédit, à savoir Moody’s et Standard & Poor’s, ont été
déterminantes dans l’accès aux liquidités sur le marché interbancaire pour le groupe
(…). Le fait de jouir d’une notation élevée était vital pour Dexia à cause du business
model sous-jacent à l’essor du groupe. Cette dépendance était plus forte que pour
n’importe quel autre grand groupe bancaire européen étant donné le relatif manque
de financement stable de Dexia par rapport à sa taille de bilan. » 100
Il semble également, comme pour le cas de la Grèce, que Dexia ait « bénéficié »
d’un certain attentisme de la part des agences, avant que celles-ci ne se montrent
soudainement très sévères : « L’agence s’est rendue compte que la situation financière
de Dexia, que le risque de liquidité persistant et l’exposition à la dette souveraine
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rendaient particulièrement vulnérable à une dégradation de la situation, avait été
indûment et trop longtemps préservée des foudres de Moody’s au cours des années
précédentes, y compris lors de l’avis favorable rendu en février 2010. Dans les
circonstances de 2011 101, il convenait de se montrer relativement plus dur envers
les faibles pour montrer aux investisseurs institutionnels que Moody’s anticipait
les problèmes plutôt que de les subir, et Dexia présentait un profil adéquat pour une
telle démonstration. D’après cette piste évoquée par le management, il y aurait donc eu
une volonté délibérée d’aboutir à la conclusion que le groupe devait être dégradé, et
seule la pugnacité dont Dexia a fait preuve dans son combat contre les projets

98
99
Interview accordée au quotidien italien La Stampa, juillet 2011.
Chambre des représentants, Examen des circonstances qui ont contraint au démantèlement de la Dexia SA,
100
op. cit., p. 173.
101
Ibidem, p. 294-315.
Après la crise des subprimes, les agences ne veulent plus être accusées de ne pas réagir assez tôt.

CH 2156-2157
40 LES AGENCES DE NOTATION

de décision, en mars et juin 2011, ont permis de retarder l’échéance, sans toutefois
102
l’éviter. »
La critique d’auto-réalisation a cependant son pendant. De nombreux observateurs
estiment en effet que les agences de notation ne font que jouer leur rôle de
« thermomètre ». « Quand on est malade, on n’accuse pas le thermomètre, on se soigne.
Or les pays occidentaux sont malades d’avoir trop dépensé, d’être trop endettés »,
explique par exemple sur son blog Yves Thréard, journaliste et éditorialiste au Figaro.

3.4.3. L’exemple des subprimes

Force est toutefois de reconnaître que le thermomètre a montré de sérieuses


défaillances en ce qui concerne la notation des produits subprimes.
Plusieurs mises en garde ont été lancées par les analystes des trois grandes agences.
« Le titre serait structuré par une vache qu’on lui donnerait sa note », expliquait ainsi
en 2007 un analyste dans un courriel interne rendu public un an plus tard par
la Securities and Exchange Commission (SEC, agence officielle fédérale des États-
Unis) 103. Les avertissements des analystes portaient notamment, nous apprend
la lecture d’un rapport émis par le Sénat américain, sur le manque de moyens
humains destinés à la notation des produits structurés et aux éventuelles dégradations
à opérer. Ils n’ont pas été suivis. Fin 2006, Peter D’Erchia a ainsi prévenu son
management au sein de Standard & Poor’s. Pour toute réponse, ce responsable
du groupe de suivi des produits structurés a reçu une évaluation négative en 2007,
avant d’être écarté de son poste en 2008 pour une nouvelle position ne demandant
plus la supervision d’un groupe d’analystes 104.
Avant que la crise n’éclate, le segment « produits structurés » s’avérait
particulièrement lucratif pour les agences, atteignant presque 50 % de l’ensemble
de leurs profits 105. Les honoraires pour la notation d’un CDO s’élevaient alors à entre
250 000 et 500 000 dollars et pour la plupart de ces CDO, deux notations d’agences
différentes étaient requises 106. « De tels enjeux financiers pour une classe d’actifs
en plein boom ont inévitablement affecté l’objectivité et la qualité des ratings
107
attribués », constate Norbert Gaillard . Les agences ont fait preuve de complaisance
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auprès des institutions financières qui émettaient ces produits structurés, quitte à
les surnoter, de manière à gagner des parts de marché. On parle alors de ratings
shopping. Standard & Poor’s aurait ainsi délibérément utilisé une méthodologie

102
103
Ibidem, p. 308-309.
United States Securities and Exchange Commission, Office of Compliance Inspections and
Examinations, Division of Trading and Markets, Office of Economic Analysis, Summary Report of Issues
104
Identified in the Commission Staff’s Examinations of Select Credit Rating Agencies, juillet 2008, p. 12.
United States Senate. Permanent Subcommittee on Investigations. Committee on Homeland Security
105
and Governmental Affairs, Wall Street and the financial crisis, op. cit., p. 309.
N. GAILLARD, « Agences de notation : responsabilité, régulation ou laissez-faire ? », in M. AUDIT, dir.,
Insolvabilité des États et dettes souveraines, Paris, LGDJ-Lextenso (Droit des affaires), 2011, p. 165-173.
106
Financial Crisis Inquiry Commission, The Financial Crisis Inquiry Report, Final report of the National
107
Commission on the Causes of the Financial and Economic Crisis in the United States, janvier 2011, p. 132.
N. GAILLARD, Remettre la notation financière à sa juste place, op. cit., p. 17.

CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 41

108
dépassée afin de pouvoir expliquer ex post la surnotation de produits structurés .
Indépendamment de cette culture commerciale douteuse pour un secteur voulant
asseoir sa crédibilité sur son indépendance, les agences n’ont pas su faire face à
la complexité des produits concernés. Leur méthodologie s’est en outre heurtée
à un manque crucial de données statistiques sur les crédits les plus risqués, camouflés
à travers les différentes couches de crédits des produits structurés.
Dès juillet 2007, le système s’est emballé et les agences de notation ont dû procéder
à un changement de politique, en révisant à la hâte la note de milliers de produits
structurés (RMBS et CDO). « Au total, plus de 90 % des RMBS émis en 2006 et 2007
qui avaient reçu la note AAA ont été dégradés dans la catégorie spéculative, parfois
moins d’un an après leur émission », peut-on lire dans le rapport d’information
109
publié par le Sénat français . Compte tenu des règles prudentielles en vigueur,
les investisseurs institutionnels (banques, fonds de pension, assurances) se sont alors
vu contraints de céder rapidement ces titres qui n’appartenaient plus à la catégorie
« investissement ». La crise financière de 2008 était amorcée. Pour autant, il serait
réducteur de désigner les agences de notation comme seules coupables de la crise,
en occultant les responsabilités d’autres acteurs tels que les banques, qui ont elles aussi
profité du système, ou les investisseurs, qui ont parfois manqué de discernement
en faisant une confiance aveugle dans les notes qui leur étaient livrées.

3.4.4. Deux exemples récents

Deux événements plus récents sont encore venus compléter les « faits d’armes »
reprochés aux agences de notation. C’est Standard & Poor’s qui est ici, à deux reprises,
montrée du doigt.
Le 5 août 2011 tout d’abord, elle a décidé de dégrader la note de l’État fédéral
américain de AAA à AA+. La décision était dans l’air, justifiée notamment par
l’endettement important des États-Unis et dans un contexte de blocages budgétaires
importants entre la Maison-Blanche et le Congrès. Moins attendue par contre était
l’erreur d’appréciation de 2 000 milliards de dollars commise selon le Trésor
américain par l’agence de notation en ce qui concernait l’évaluation de la dette
publique américaine. Dans son analyse, Standard & Poor’s évaluait à 93 % du PIB
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cette dette à l’horizon 2021, tandis que le Trésor américain avançait le chiffre de 85 %
du PIB. Après avoir tenté de se défendre, Standard & Poor’s a concédé que
les hypothèses retenues par le Trésor américain étaient plus fiables que celles qu’elle
avait elle-même adoptées. Suite à cela, Deven Sharma, président de Standard & Poor’s
depuis 2007, a été remplacé par le directeur opérationnel de Citibank, Douglas
Peterson, le 12 septembre 2011, mais l’agence de notation n’est pas revenue pour
autant sur sa décision de dégrader les États-Unis, considérant que le problème
d’endettement du pays à moyen terme restait entier.
Le 10 novembre 2011, plusieurs clients de Standard & Poor’s ont été informés que
la France venait d’être dégradée, perdant ainsi son précieux triple A. Cette annonce,

108
109
N. GAILLARD, « Agences de notation : responsabilité, régulation ou laissez-faire ? », op. cit., p. 165-173.
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 104.

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42 LES AGENCES DE NOTATION

démentie moins de deux heures après par l’agence de notation, a été faite dans
un contexte pré-électoral chargé, où la défense du triple A français était devenu
un enjeu symbolique dans la course à la présidence. Standard & Poor’s a assuré qu’il
s’agissait d’une erreur informatique : la dégradation ne concernait pas la France mais
son système bancaire. La conséquence sur les marchés n’en a pas moins été
immédiate. En fin de séance, l’écart entre les taux à dix ans français et allemand
(le spread) était le plus important enregistré depuis 1990. Si ce jour-là ou ceux qui ont
suivi, la France avait dû se financer via une émission obligataire, l’erreur de Standard
& Poor’s aurait donc pu se révéler très onéreuses pour l’État français. L’Autorité
européenne des marchés financiers mène actuellement l’enquête sur cet incident.
De son côté, la France n’a pas entamé de poursuites. « Y a-t-il eu faute ? », se demande
Édith Weemaels, avocate chez NautaDutilh. « On peut dire que oui, puisqu’il y a eu
un manque de diligence et d’attention. Mais quel est le dommage ? Quelle est la part
de la réaction des marchés dans la perte de valeur qui aurait eu lieu conséquemment ?
C’est très difficile à évaluer. C’est un problème qu’on rencontre dans toutes
les matières financières. Sur les marchés, il n’y a jamais une cause unique à un
événement, il est le résultat d’un panel d’événements. » 110 Le 13 janvier 2012, la France
a finalement bel et bien été dégradée par Standard & Poor’s. Entre-temps, les marchés
ont eu le temps d’anticiper et d’absorber l’information.

3.5. DE POTENTIELS CONFLITS D’INTÉRÊT

Depuis les années 1970, les agences de notation facturent leurs services aux émetteurs
de titres qu’elles notent. C’est le modèle de l’émetteur-payeur. Cela soulève la question
de possibles conflits d’intérêt. Les agences se retrouvent en effet juges et parties,
et certains mettent en doute leur objectivité, partant du principe que la tentation doit
être grande pour elles de surnoter leurs clients.
Certes, les agences défendent le sérieux de leurs analyses en rappelant que seule leur
réputation leur assure la confiance du marché et qu’il ne serait pas dans leur intérêt
d’attribuer des notes par complaisance. Mais toujours est-il que Standard & Poor’s
et Moody’s appliquent, par prudence, une décote aux notations que Fitch Ratings
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attribue aux produits structurés. Elles considèrent que cette dernière, bénéficiant
d’une réputation moindre qu’elles, pourrait avoir tendance à surnoter les émissions
pour attirer de nouveaux clients et accroître ses parts de marché 111.
Surtout, force est de constater qu’il est des cas de figure où les conflits d’intérêt
potentiels sont relativement évidents. Avec l’émergence de la titrisation dans les
années 1990, les institutions financières chargées de constituer et de distribuer
des produits structurés se sont tournées vers les agences de notation dans un rôle
de conseil. Ces agences sont également devenues responsables, dans un second temps,
d’établir une notation pour ces mêmes produits. Pour rappel, à la veille de la crise

110
« Les agences de notation sont dans une zone de non-droit », L’Écho, 11 février 2012.
111
Ce système de décote est appelé notching (cf. E. LÉONARD, « Les agences de notation financière :
des structures essentielles au fonctionnement des marchés financiers », Variances. La revue des anciens
de l’ENSAE, n° 32, décembre 2007, p. 24).

CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 43

des subprimes, l’activité concentrée autour des produits structurés constituait en


112
moyenne 50 % du chiffre d’affaires des trois grandes agences . « Un studio de
cinéma qui paie les critiques et se sert ensuite de leurs éloges à des fins publicitaires »,
c’est en ces termes que le sénateur américain Jim Bunning décrit les relations entre
113
les banques et les agences de notation dans le cadre de la crise des subprimes .
Plusieurs économistes, s’appuyant sur un rapport de la SEC publié en juillet 2008,
indiquent également que certaines agences, sans que cela soit devenu la règle, ont pu
faire prendre en charge par les mêmes professionnels à la fois la notation et
114
des activités de conseil . Cela est aujourd’hui interdit, du moins en Europe, pour
l’élaboration des produits structurés. Le règlement européen du 16 septembre 2009
indique en effet qu’« afin de prévenir les conflits d’intérêts potentiels, il convient que
les agences de notation de crédit axent leur activité professionnelle sur l’émission
de notations. Elles ne devraient pas être autorisées à exercer une activité de consultant
ou à offrir des services de conseil. En particulier, elles ne devraient pas formuler
de propositions ou de recommandations concernant la conception des instruments
financiers structurés. Elles devraient toutefois être autorisées à fournir des services
accessoires, lorsque cela ne crée pas de conflit d’intérêts potentiel avec l’émission
de notations de crédit » 115. De même, dans les annexes de ce même règlement, il est
stipulé qu’« une agence de notation de crédit ne fournit pas de services de consultant
ou de conseil à une entité notée ou à un tiers lié en ce qui concerne leur structure
sociale ou juridique, leurs actifs, leur passif ou leurs activités » 116. Dans la pratique
cependant, puisque cela ne constitue pas à proprement parler une activité de conseil,
rien n’empêche une agence de notation d’informer son client de quelle note il
obtiendrait à la suite de telle ou telle opération.
Pour atténuer le problème des conflits d’intérêt, certains économistes évoquent la
possibilité de mettre en place un intermédiaire, comme par exemple l’AEMF, entre
les émetteurs et les agences. Les émetteurs paieraient le service de notation à cet
intermédiaire, qui choisirait à quelle agence confier l’analyse de notation. Les honoraires
seraient ainsi versés préalablement et indépendamment de l’attribution de la note 117.
Il est toutefois fort probable que cette alternative au mode de financement actuel
entraînerait une hausse du coût de la notation, en raison de l’intervention d’un acteur
supplémentaire dans le processus de notation 118. De leur côté, les régulateurs ont eux
aussi tenté plus ou moins fermement de limiter ces conflits d’intérêt, tout en essayant de
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ne pas limiter outre mesure la liberté de management interne des agences (cf. infra).

112
Dans son audition devant le Sénat français, Marc Ladreit de Lacharrière (Fitch Ratings) a fait valoir
que contrairement à Standard & Poor’s et Moody’s, son agence ne s’était pas précipitée sans réfléchir
sur le marché juteux des produits structurés et avait au contraire réduit la voilure de moitié entre
113
2000 et 2006 (Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 140).
Audition de la Commission bancaire du Sénat américain consacrée à la crise des subprimes,
114
26 septembre 2009.
P. ARTUS, J.-P. BETBÈZE, C. DE BOISSIEU, G. CAPELLE-BLANCARD et al., La crise des « subprimes », Paris,
La documentation française, 2008 (Les rapports du Conseil d’analyse économique, 78), p. 124.
115
Règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 sur
116
les agences de notation de crédit, Journal officiel de l’Union européenne, 17 novembre 2009, L 302/3.
Annexe I du règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009
117
sur les agences de notation de crédit, Journal officiel de l’Union européenne, 17 novembre 2009, L 302/25.
118
N. GAILLARD, « Agences de notation : responsabilité, régulation ou laissez-faire ? », op. cit., p. 165-173.
P. ARTUS, J.-P. BETBÈZE, C. DE BOISSIEU, G. CAPELLE-BLANCARD et al., La crise des « subprimes », op. cit., p. 123.

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44 LES AGENCES DE NOTATION

3.6. LES NOTATIONS, DE SIMPLES OPINIONS

Les agences aiment à rappeler que les notations qu’elles émettent ne sont que
des opinions, que les investisseurs et les marchés ont la liberté de suivre ou non.
Moody’s prévient ainsi sur son site Internet que « les notations de crédit sont, non pas
des déclarations de fait ou des recommandations d’acheter, de vendre ou de détenir
des titres, mais des déclarations d’opinion, et elles doivent être considérées comme
telles » 119. Ce terme d’« opinion » est important, car le premier amendement de
la Constitution américaine protège la liberté d’expression.

3.6.1. De simples évaluations de risque

En septembre 2007, Vickie Tillman, alors vice-présidente exécutive de Standard


& Poor’s, a expliqué devant le comité bancaire du Sénat américain, suite à la crise
des subprimes, que « les notations ne sont pas une garantie de performance, mais
une évaluation du risque de défaillance des titres notés ».
Les agences ont également déclaré à plusieurs reprises que si elles étaient parfaitement
prescientes, elles ne proposeraient que deux types de notation : « fera défaut » ou
« ne fera pas défaut ». La ligne de communication adoptée sur leurs sites Internet vise
également à les dédouaner de toute responsabilité quant à l’utilisation de leurs notes.
On y lit ainsi : « Dans la mesure où il existera toujours des événements imprévisibles,
la notation de crédit ne peut être une science exacte. (…) Standard & Poor’s considère
qu’une obligation notée AA possède une meilleure qualité de crédit qu’une obligation
notée BBB. Pour autant, la notation AA ne garantit aucunement l’absence de défaut
mais représente, seulement, sur le fondement de notre opinion, une moindre
probabilité de défaut qu’une notation BBB. » 120 Ou encore : « Le jugement de Moody’s
quant à l’opportunité pour une banque d’investir ou non dans une obligation n’est
pas contenu dans les notations de Moody’s. » 121
Autrement dit, les agences émettent une opinion à l’intention des investisseurs et
elles ne sont en rien responsables si leurs notes influencent ensuite les marchés.
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« L’ensemble de l’industrie financière s’est très largement droguée au triple A,
longtemps considéré comme sans risque. Ce que les agences n’ont jamais dit.
Le risque zéro n’existe pas », explique Carol Sirou, présidente de Standard & Poor’s
France 122.

119
« Credit ratings are, and must be construed solely as, statements of opinion and not statements of fact
or recommendations to purchase, sell or hold any securities » (site Internet www.moodys.com).
120
121
Site Internet www.standardandpoors.com.
122
Site Internet www.moodys.com.
« La finance s’est droguée au triple A », Trends-Tendances, 17 mai 2012.

CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 45

3.6.2. Vers une responsabilité juridique

Les « opinions » émises par les agences n’ont pas été sans conséquence. Or, jusqu’il
y a peu, amener une agence de notation devant la justice semblait mission impossible.
Protégées par le premier amendement de la Constitution américaine, leur
responsabilité ne pouvait être évoquée que si un émetteur parvenait à prouver qu’elles
123
avaient fourni des analyses erronées de manière malveillante ou si un investisseur
établissait une fraude de la part de l’agence (publication d’une opinion dans le but
de tromper les investisseurs) 124. Plus largement, les investisseurs ne peuvent pas,
contrairement aux émetteurs, attaquer les agences sur la base de relations
contractuelles. Ils doivent dès lors prouver qu’ils ont subi un préjudice, que l’agence
a commis des erreurs lors de l’élaboration de sa notation, et qu’il existe un lien entre
la faute commise par l’agence et le préjudice subi par l’investisseur. Le Sénat français
donne une belle illustration des difficultés qu’un investisseur peut rencontrer :
« Si une agence omet d’organiser la rotation de ses analystes, en violation du règlement
européen de 2009, elle commet une faute que le régulateur peut sanctionner. Mais,
encore faut-il prouver que cette faute a influencé la notation précise d’un émetteur.
Enfin, l’investisseur devra prouver que cette notation (erronée) a guidé ses décisions
125
et lui a causé un préjudice. » Très peu d’affaires ont ainsi été menées en justice.
Toutefois, des brèches commencent à se creuser dans cet édifice juridique. Début
octobre 2011 s’est ainsi ouvert un procès opposant treize villes australiennes à Standard
& Poor’s. Elles réclament à l’agence des millions de dollars, car elles estiment avoir
été trompées par les excellentes notes attribuées à des produits financiers s’étant
révélés de très mauvaise qualité 126. C’est la première fois qu’une agence est amenée
à défendre sa notation proprement dite devant un tribunal. Jusqu’alors, chaque fois
qu’une agence avait été attaquée en justice, seule la pertinence d’invoquer ou non
sa responsabilité avait été évoquée.
Aux États-Unis, une décision de justice de septembre 2009 127 a estimé que le premier
amendement ne peut être évoqué lorsque les plaignants sont un petit groupe
d’investisseurs, car l’opinion délivrée par les agences vise alors un groupe restreint
et non le public en général 128. Par ailleurs, avec l’adoption du Dodd-Frank Act,
en juillet 2010, les États-Unis ont reconnu aux agences de notation le statut d’expert
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et les ont soumises à des dispositions plus strictes en matière de responsabilité civile.
La loi Dodd-Frank estime notamment que la responsabilité des agences est engagée

123
124
Responsabilité dans le cadre d’une relation contractuelle.
Responsabilité délictuelle.
125
126
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 166.
Les treize villes australiennes avaient investi 15 millions de dollars australiens (10,7 millions d’euros)
en 2006 dans des produits dérivés de titres de dette (CDO) auxquels Standard & Poor’s avait attribué
un « AAA » (Le Figaro, 4 octobre 2011). Lors d’une plaidoirie en mars 2012, l’avocat de Standard
& Poor’s a rappelé que les notes ne constituaient qu’un « avis consultatif » et a insisté sur le fait que
les collectivités en question auraient dû lire l’ensemble de l’information financière contenue dans
les documents qui leur avaient été fournis, ce que certaines d’entre elles n’auraient pas fait
(Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 161). Une plainte
similaire a précédemment été déboutée dans l’Ohio.
127
128
Affaire Abu Dhabi Commercial Bank contre Moody’s et Morgan Stanley.
P-H. CONAC, « Une responsabilité juridique inopérante ? », Cahiers de l’évaluation, n° 5 : Notation =
évaluation ?, vol. 2, février 2011, p. 73-79.

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46 LES AGENCES DE NOTATION

dès lors que leur note figure dans le prospectus d’une émission obligataire. Toutefois,
les agences n’ont pas tardé à trouver une parade à cette prise de position légale,
craignant bien entendu une inflation du nombre d’actions intentées à leur égard.
Elles ont tout simplement refusé que leurs notes continuent à être publiées dans
les prospectus. Or, sans mention officielle de la précieuse notation sur le prospectus
d’émission, les émetteurs ont craint de voir le marché du crédit leur fermer des portes.
Ils s’en sont plaints auprès de la SEC et une marche arrière a été opérée sur ce point
du Dodd-Frank Act, les agences remportant donc ce bras de fer d’influence. La volonté
du Congrès américain n’en demeure pas moins de traiter davantage les agences de
notation comme des entités commerciales et, à ce titre, de les empêcher de recourir
systématiquement au premier amendement.
En Europe, la responsabilité civile des agences dépend de la législation nationale
en vigueur, ce qui pousse parfois les agences à choisir une législation plutôt qu’une
autre pour le régime contractuel qu’elles imposent à leurs clients. La question de
la responsabilité civile est en effet cruciale pour les agences car elles considèrent
qu’un système juridique trop « répressif » pourrait fortement entraver leur business.
Le Royaume-Uni privilégie par exemple le principe selon lequel l’acheteur doit être
vigilant, ce qui n’est pas sans plaire aux agences. Le 15 novembre 2011, la Commission
européenne a toutefois émis une série de nouvelles propositions concernant les
agences. Elle a indiqué à cette occasion qu’« une agence de notation doit être tenue
pour responsable si elle enfreint, intentionnellement ou par négligence grave,
le règlement sur les agences de notation, en causant un préjudice à un investisseur qui
s’est fondé sur la note fournie à la suite d’une telle infraction. Ces investisseurs
devraient intenter une action en responsabilité civile auprès des tribunaux nationaux.
129
La charge de la preuve incomberait à l’agence de notation » . Il est en effet difficile
pour le plaignant de démontrer une faute dans le chef d’une agence sans pouvoir
accéder à des données confidentielles relative au fonctionnement interne de celle-ci.
« Bien évidemment, les agences ne sauraient être présumées fautives, sans quoi
leur responsabilité risquerait d’être engagée à tort et à travers. L’investisseur ou
l’émetteur devrait d’abord présenter des éléments suffisamment solides pour établir
que l’agence a peut-être commis une faute. Il reviendrait alors à cette dernière
de prouver que ce n’est pas le cas. » 130
Ces nouvelles dispositions font partie d’un projet de règlement européen actuellement
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à l’examen et devant compléter le règlement de 2009. Les opposants à une mesure
visant à accroître la responsabilité imposée aux agences estiment qu’une telle décision
engendrerait un coup qui serait immanquablement répercuté auprès des émetteurs
et pousserait les agences à adopter une attitude attentiste.
Il est à noter que, quand bien même la responsabilité juridique des agences serait
reconnue, un problème pratique persisterait dans la collecte des indices. Comme
l’explique Édith Weemaels, avocate chez NautaDutilh, « dès le moment où vous avez
une notation et un rapport de notation, vous ne savez toujours pas quelles
informations l’émetteur a remises à l’agence de notation puisque c’est confidentiel.

129
Commission européenne, La Commission veut des notations de crédit de meilleure qualité,
130
communiqué de presse, IP/111/1355, 15 novembre 2011, www.europa.eu.
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 171.

CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 47

Vous ne savez pas si la méthode de notation a été la bonne, comment les calculs ont
été faits, combien de temps l’analyste a réellement passé sur sa notation… Ça fait
beaucoup d’inconnues » 131. Devant ces difficultés manifestes à mettre en cause
la responsabilité juridique des agences, Norbert Gaillard propose une autre voie :
l’obligation de publier le plus largement possible, via par exemple la presse
économique, aux frais de l’agence, les infractions qui seraient relevées par l’AEMF 132.

3.6.3. Enquêtes menées par des autorités publiques

Outre les actions en justice, les agences font également l’objet depuis peu d’une série
d’enquêtes. Selon la presse américaine, le New York Times en tête, le Département
de la Justice américaine aurait ainsi ouvert une enquête concernant les notes attribuées
par Standard & Poor’s et Moody’s à des actifs adossés à des prêts immobiliers
responsables de la crise financière de 2008.
Comme précédemment évoqué, l’Autorité européenne des marchés financiers mène
également une enquête sur l’annonce erronée de la dégradation de la France en
novembre 2011.
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131
132
« Les agences de notation sont dans une zone de non-droit », L’Écho, 11 février 2012.
N. GAILLARD, Remettre la notation financière à sa juste place, op. cit., p. 47.

CH 2156-2157
4. LES RÈGLES S’APPLIQUANT AUX AGENCES
DE NOTATION

Jusqu’il y a peu, les grandes agences de notation prônaient avec force les vertus
de l’auto-régulation, garante de leur indépendance et, selon elles, de la qualité des
notes qu’elles attribuent. Mais sous le poids des critiques toujours plus nombreuses,
elles ont dû peu à peu renoncer à cette auto-régulation pure et simple. Même si
le processus d’encadrement de l’activité des agences a été entamé tardivement
et timidement, il semble s’être accéléré ces dernières années. Depuis quelques temps
déjà, l’idée d’une réglementation plus contraignante appliquée aux agences de
notation fait son chemin de part et d’autre de l’Atlantique.

4.1. LES RÉGLEMENTATIONS AUX ÉTATS-UNIS

Jusque tard dans le XXe siècle, les agences de notation n’ont été soumises à aucune
obligation réglementaire aux États-Unis (et, partant, dans le monde). La première
contrainte leur a été fixée par la SEC en 1975, et la première loi américaine
les concernant date de 2006.

4.1.1. Réglementation de la SEC : le statut NRSRO (1975)


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En 1975, la Securities and Exchange Commission (SEC), autorité américaine de
réglementation et de contrôle des marchés financiers, leur impose d’obtenir le statut
de Nationally Recognized Statistical Rating Organizations (NRSRO). Cette accréditation
est accordée au cas par cas et ne repose à l’origine sur aucun critère strict. Pourtant,
seules les notations des agences ayant obtenu cette accréditation peuvent être utilisées
à des fins prudentielles aux États-Unis. Pour acquérir le statut NRSRO, les agences
doivent démontrer à la SEC qu’elles disposent des ressources financières adéquates
et d’un personnel de qualité pour mener à bien leur activité et que leurs notations
inspirent la confiance aux principaux investisseurs publics du pays. En 1975, seules
les trois grandes reçoivent le titre de NRSRO.

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LES AGENCES DE NOTATION 49

Les conditions d’attribution de ce label seront toutefois jugées trop peu explicites
et une série de critères d’attribution seront proposés en 1997 par la SEC, sans aboutir
toutefois à une réglementation officielle 133. Celle-ci ne verra le jour qu’en 2006,
avec l’adoption par le Congrès américain du Credit Rating Agency Reform Act
(cf. infra).

4.1.2. Réglementation de l’OICV : le code de bonne conduite


(2004)

Entre-temps, et suite aux scandales financiers d’Enron, Worldcom et Parmalat,


134
un code de bonne conduite est adressé aux agences de notation en décembre 2004,
dans le cadre de l’Organisation internationale des commissions de valeurs
135
(l’OICV) . Même si ce code de bonne conduite n’est pas contraignant, il sonne
sans aucun doute le début de la fin de l’auto-régulation pure et simple prônée par
les agences de notation.
Les grands principes de ce code de bonne conduite sont répartis en quatre axes :
qualité et intégrité du processus de notation ; indépendance des agences et nécessité
d’éviter les conflits d’intérêt ; responsabilités des agences vis-à-vis des émetteurs
comme des investisseurs ; confidentialité de l’information. Le code stipule par
exemple que les agences de notation doivent disposer de ressources humaines
suffisantes, qui peuvent se prévaloir de l’expérience et de l’expertise requises pour
garantir la qualité des notations qu’elles émettent. Figurent aussi parmi les principes
édictés par le code de bonne conduite les points suivants : informer les autorités
financières sur les conflits d’intérêt existants, séparer l’activité de notation de toute
autre activité ou encore stipuler si une notation a été établie avec la participation,
ou non, de l’émetteur.
Ce code a été révisé à plusieurs reprises depuis lors.

4.1.3. Réglementation du Congrès : le Credit Rating Agency


Reform Act (2006)
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C’est le 26 septembre 2006, avec l’adoption par le Congrès américain de la loi dite
Credit Rating Agency Reform Act 136, qu’interviennent pour la première fois une
définition et des conditions d’obtention officielles du titre NRSRO 137. Selon cette loi,

133
United States Securities and Exchange Commission, Report on the Role and Function of Credit Rating
134
Agencies in the Operation of the Securities Markets, janvier 2003, p. 9-15.
Technical Committee of the International Organization of Securities Commissions, Code of Conduct
Fundamentals for Credit Rating Agencies, décembre 2004.
135
En anglais, International Organization of Securities Commissions (IOSCO). Cet organisme regroupe
136
les régulateurs des principales bourses dans le monde.
Postérieurement à la signature, en septembre 2006, du Credit Rating Agency Reform Act, la SEC
a adopté une série de règles destinées à mettre en œuvre cette loi, dont les dernières ont été publiées
137
en juin 2007, et qui révisent les dispositions du Securities Exchange Act de 1934.
Cf. le site Internet www.sec.gov.

CH 2156-2157
50 LES AGENCES DE NOTATION

celui-ci est délivré à des agences de notation actives depuis au moins trois années
consécutives avant leur demande d’agrément, dont la qualité des notations est
reconnue par les grands investisseurs institutionnels des États-Unis et qui sont
enregistrées auprès de la SEC. Pour procéder à cet enregistrement, la SEC réclame
aux agences certaines informations sur leur structure organisationnelle et sur
l’utilisation faite des données confidentielles. Les bénéficiaires du titre doivent
également communiquer désormais à la SEC des informations concernant leurs
procédures et méthodologies ainsi que des données statistiques relatives à la robustesse
des notations (taux de défaut, historiques de dégradations de notes, etc.). Tout conflit
d’intérêt susceptible d’exister au sein d’une agence doit également être communiqué
à la SEC. Le 27 septembre 2007, celle-ci a formellement reconnu sept agences en tant
que NRSRO. Elles sont aujourd’hui au nombre de dix 138.

4.1.4. Modifications du cadre législatif par la SEC (2009)

Peu de temps après l’adoption du Credit Rating Agency Reform Act, qui permet à
la SEC d’exiger des agences un certain nombre d’informations sur leur activité, la crise
des subprimes et ses répercussions sur la sphère économique mondiale relancent
le débat autour de l’encadrement accru des agences de notation. C’est dans ce contexte
difficile que la SEC adopte, début 2009, de nouvelles mesures réformant le cadre
législatif en place. L’objectif est clair : renforcer à la fois la responsabilité des agences,
la transparence des informations et la concurrence dans l’industrie de la notation 139.
Par là, la SEC entend notamment introduire davantage de transparence dans la notation
des produits structurés. Souvent par le passé en effet, les investisseurs n’ont pas fait
preuve de suffisamment de vigilance et se sont fiés à des notations qui ont l’avantage
de rester simples pour évaluer ces produits pourtant extrêmement complexes. Selon
les nouvelles règles édictées par la SEC, les agences habilitées NRSRO doivent
désormais publier un rapport sur les spécificités du risque lié aux produits structurés
et sur les procédures et méthodologies de notation qui s’y rapportent. Une alternative
leur est toutefois offerte : celle d’utiliser un symbole propre à la notation de
ces produits structurés, les différenciant des autres types de notation.
Grâce à plusieurs mesures, la SEC s’attaque également au problème des conflits
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d’intérêt. Elle interdit ainsi aux agences NRSRO de noter une société ayant
précédemment bénéficié de recommandations de leur part dans le cadre d’une activité
de conseil. Il est également dorénavant interdit aux analystes impliqués dans
le processus de notation de prendre part aux débats concernant les honoraires à verser
par l’émetteur.

138
A.M. Best Company, Inc. ; DBRS Ltd. ; Egan-Jones Rating Company ; Fitch, Inc. ; Japan Credit
Rating Agency, Ltd. ; Kroll Bond Rating Agency, Inc. ; Moody’s Investors Service, Inc. ; Rating and
Investment Information, Inc. ; Realpoint LLC ; Standard & Poor’s Ratings Services.
139
I. TCHOTOURIAN, La réponse de la Securities and Exchange Commission au risque de marché :
l’encadrement de la notation (Université de Montréal, Centre de droit des affaires et du commerce
international, Travaux et publications), 2009, https://papyrus.bib.montreal.ca.

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LES AGENCES DE NOTATION 51

Tout ceci n’empêche toutefois que des critiques subsistent à l’égard des agences
de notation : manque de concurrence entre agences, absence de contrôles, opacité
entourant les critères de notation, etc.

4.1.5. Réglementation du Congrès : le Dodd-Frank Act (2010)

La crise économique et financière qui sévit en 2008 pousse le Congrès américain


à lancer le plus important chantier de réforme du système financier aux États-Unis
depuis les années 1930. La loi Dodd-Frank (Dodd-Frank Wall Street Reform and
Consumer Protection Act) 140, signée le 21 juillet 2010 par le président Barack Obama,
est l’aboutissement de ces travaux. Il s’agit d’un véritable mastodonte législatif, dont
toutes les dispositions n’ont pas encore été mises en œuvre à l’heure d’écrire
ce Courrier hebdomadaire (septembre 2012). Les principaux axes de cette loi
concernent la création de nouvelles instances de réglementation et le renforcement
des pouvoirs accordés aux instances existantes, notamment la SEC, la limitation
de l’investissement des banques dans des fonds de pension ou du capital à risque,
et la protection renforcée des consommateurs et des actionnaires.
Les agences de notation sont également visées. La loi prévoit ainsi la création d’un
département au sein de la SEC, l’Office of Credit Ratings, chargé de superviser
leur activité. Ce bureau existe depuis juin 2012. L’obligation d’informer la SEC sur
les méthodologies en vigueur au sein des agences de notation est une nouvelle fois
renforcée, bien que la complexité et l’opacité desdites méthodes restent un frein
au contrôle. La loi Dodd-Frank impose également une restriction de la référence aux
agences de notation dans toute une série de dispositions légales. Enfin, le Dodd-Frank
Act a confié à la SEC la mission de rédiger dans les deux ans un rapport concernant
la notation des produits structurés. Une autre étude, portant sur d’éventuels
mécanismes d’indemnisation de la part des agences de notation, doit également être
réalisée.

4.1.6. Réglementations internes des agences de notation


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Compte tenu des évolutions réglementaires, les agences de notation adoptent, dans
la seconde moitié des années 2000, une série de mesures destinées notamment
à mieux faire face aux conflits d’intérêt 141. Ainsi, en 2008, Fitch Ratings regroupe dans
une nouvelle division, Fitch Solutions, des services annexes à la notation tels que
la diffusion de la recherche et l’offre d’outils d’évaluation, de formation ou encore
de conseil. La même année, Moody’s adopte la même attitude en créant Moody’s
Analytics. Dans le même temps, Moody’s et Standard & Poor’s interdisent à leurs
analystes de prendre part aux négociations commerciales des agences (c’est-à-dire
aux négociations concernant la tarification des services proposés par les agences).
Fait notable, Standard & Poor’s met en place en 2009 une rotation périodique de

140
141
Du nom des deux députés américains qui ont inspiré cette loi : Chris Dodd et Barney Frank.
Autorité des marchés financiers, Rapport 2009 de l’AMF sur les agences de notation, Paris, 9 juillet 2010.

CH 2156-2157
52 LES AGENCES DE NOTATION

ses analystes. À l’exception de ceux travaillant sur les produits structurés, ces analystes
ne peuvent exercer leurs fonctions pour un même émetteur pendant plus de cinq
années consécutives. L’objectif est de diminuer les soupçons de connivence entre
analystes et émetteurs.
Accusées d’avoir dégradé trop tard la note des produits structurés incorporant
des prêts hypothécaires douteux aux États-Unis, les trois grandes agences indiquent
avoir renforcé, dès 2007, les effectifs chargés de la surveillance des notations et avoir
développé de nouveaux modèles et outils sur le segment des produits structurés.
Début 2010, les trois grandes annoncent également leur intention de se conformer
aux exigences réglementaires en ajoutant aux notes de produits de financement
structurés un symbole (« SF » ou « sf » selon les agences) qui les distingue des notes
attribuées à d’autres types de produits. Auparavant en effet, un triple A attribué à
un produit structuré équivalait en termes de risques, du point de vue de l’investisseur,
à un triple A accordé à une obligation d’État. La complexité inhérente aux produits
structurés ne permet pourtant pas cette équivalence.

4.2. LES RÉGLEMENTATIONS DANS L’UNION EUROPÉENNE

En Europe, jusqu’au début du XXIe siècle, la supervision financière se fait


essentiellement au niveau national, sans grande concertation entre États membres.
En Belgique par exemple, c’est la Commission bancaire, financière et des assurances
(CBFA) 142 qui constitue alors l’autorité de régulation des marchés financiers et des
assurances. Trois comités européens sont compétents en matière de supervision
des services financiers, mais ils n’ont alors qu’un rôle consultatif et ne peuvent
formuler que des orientations non contraignantes.
En octobre 2008, au début de la crise, le président de la Commission européenne,
José Manuel Barroso, réunit un groupe d’experts présidé par Jacques de Larosière
(ancien président du FMI et ancien gouverneur de la Banque de France) et chargé
d’émettre des recommandations pour améliorer la supervision financière en Europe.
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4.2.1. Règlement européen du 16 septembre 2009

Au cours des Conseils européens des 20 juin et 16 octobre 2008, il est décidé
de procéder à l’élaboration d’une proposition législative pour renforcer les règles qui
s’appliquent aux agences de notation et à leur surveillance au niveau communautaire.
Sur cette base, et grâce aux travaux du groupe d’experts présidé par J. de Larosière,
l’Union européenne adopte le 16 septembre 2009 un règlement mettant en place

142
La CBFA a été remplacée, avec la loi du 2 juillet 2010 et l’adoption du modèle de contrôle twin peaks,
par l’Autorité des services et marchés financiers (FSMA). Certaines activités ont également été
attribuées à la Banque nationale de Belgique (BNB).

CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 53

143
un nouveau cadre européen de supervision des agences de notation . En vigueur
à partir de décembre 2010, il sera amendé en mai 2011.
La supervision des agences de notation est confiée à l’Autorité européenne des marchés
financiers (AEMF), qui remplace le Comité des régulateurs européens (CESR).
Cette institution est l’une des trois nouvelles autorités de supervision européennes
instaurées dans le cadre du Système européen de surveillance financière (avec
l’Autorité bancaire européenne et l’Autorité européenne des assurances et des pensions
professionnelles).
er
Depuis le 1 juillet 2011, date de son entrée en fonction, l’AEMF certifie et supervise
les agences de notation pour l’Europe, en collaboration avec les instances de
144
supervision des États membres . La mission de l’AEMF est triple : enregistrer
les agences, mener des investigations au sein de celles-ci et centraliser les informations
qu’elles doivent lui fournir. Au 30 juillet 2012, une trentaine d’agences ont reçu
une accréditation de l’AEMF, dont Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings 145.
Une procédure allégée d’enregistrement est prévue pour les agences de moins
de cinquante salariés. Parmi les agences enregistrées par l’AEMF, seules les trois
grandes sont reconnues comme « organismes externes d’évaluation de crédit »
(OEEC) – organismes compétents pour évaluer les actifs sur la base des règles définies
pour la régulation bancaire –, mais ce point est actuellement discuté dans le cadre
du nouveau règlement européen sur les agences de notation (cf. infra).
Selon le rapport publié en juin 2012 par le Sénat français, on comptait à la fin
de l’année 2011, au sein de l’AEMF, douze équivalents temps plein (en plus du chef
d’unité et de son assistante) pour superviser les agences de notation européennes.
L’objectif est d’atteindre vingt équivalents temps plein, ce qui est également l’effectif
prévu par la loi Dodd-Frank pour l’Office of Credit Ratings. Le budget annuel
consacré à la supervision des agences s’élève pour l’AEMF à 3 millions d’euros
en 2011. Les frais liés à leur surveillance sont supportés par les agences, du moins
par les grandes afin de ne pas imposer aux plus petites une nouvelle barrière à l’entrée
sur le marché.
L’accréditation de l’AEMF est soumise au respect d’une série de règles 146 : les intérêts
commerciaux de l’agence ne peuvent faire obstacle à la garantie d’indépendance de
ses analyses 147 ; l’expérience et la qualification de ses analystes doivent être reconnues ;
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ses analystes ne peuvent pas noter une entité dans laquelle ils détiennent une
participation ; l’agence doit divulguer tout conflit d’intérêt existant et disposer
des procédures organisationnelles lui permettant de prévenir, détecter, éliminer

143
Règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 sur
144
les agences de notation de crédit, Journal officiel de l’Union européenne, L 302, 17 novembre 2009.
L’AEMF n’en est toutefois pas moins juridiquement responsable de l’enregistrement et de la surveillance
145
des agences de notation.
Celles-ci apparaissent sous le nom de leurs différents bureaux européens et n’ont été enregistrées
que le 31 octobre 2011 après pas moins de quatorze mois de procédure. La liste des agences
146
accréditées par l’AEMF est disponible sur le site Internet www.esma.europa.eu.
Annexe II du règlement (UE) n° 513/2011 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2011
modifiant le règlement (CE) n° 1060/2009 sur les agences de notation de crédit, Journal officiel
147
de l’Union européenne, L 145, 31 mai 2011.
Les analystes ne peuvent pas se voir confier des fonctions commerciales (négociation tarifaire avec
les clients).

CH 2156-2157
54 LES AGENCES DE NOTATION

ou gérer ce type de conflits ; l’agence ne peut fournir des services de consultant ou


de conseil à une entité notée ; l’agence doit informer l’entité notée au moins douze
heures avant publication de la notation ; l’agence doit utiliser pour la notation
des produits structurés un symbole supplémentaire qui les distingue des autres entités,
instruments financiers ou obligations ; l’agence doit identifier comme telles les notations
non sollicitées, etc.

4.2.2. Règlements délégués de la Commission européenne


du 21 mars 2012
148
Un règlement délégué adopté par la Commission européenne le 21 mars 2012
énumère l’ensemble des données que les agences doivent fournir à l’AEMF en vue
de leur enregistrement et de leur certification. Pour éviter les conflits d’intérêt
découlant des activités et des intérêts économiques des propriétaires d’une agence,
celle-ci doit par exemple renseigner l’AEMF sur la structure de propriété de son
entreprise-mère, ainsi que sur la composition, le fonctionnement et l’indépendance
de ses instances dirigeantes. Ces dirigeants sont également tenus de fournir leur
curriculum vitae, un extrait récent de leur casier judiciaire et une déclaration
sur l’honneur concernant leur honorabilité 149. L’agence doit aussi fournir des
informations sur la rotation des analystes de notation en chef, des analystes de
notation et des personnes chargées d’approuver les notations de crédit, sur le régime
de rémunération pratiqué en son sein, sur le système de formation de son personnel,
sur les méthodes de notation et sur les procédures qu’elle applique pour identifier,
gérer et divulguer les conflits d’intérêt. Une des difficultés auxquelles est cependant
confronté le régulateur concerne l’abondance de documents fournis par les agences
au nom de la transparence et qui engendre au final complexité et confusion.
Selon un autre règlement délégué, adopté lui aussi le 21 mars 2012 150, toute agence
de notation doit, à tout moment, être en mesure de démontrer à l’AEMF que
les méthodes de notation de crédit qu’elle utilise sont conformes aux exigences
du règlement du 16 septembre 2009. L’article 8 de celui-ci « impose aux agences de
notation d’utiliser des méthodes de notation rigoureuses, systématiques, sans
discontinuités et validées sur la base de données historiques, y compris des contrôles
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a posteriori ». Il est ainsi prévu qu’après enregistrement, l’AEMF évalue chaque fois
qu’elle le juge nécessaire, dans le cadre de sa surveillance continue, si les agences
de notation persistent à se conformer à ces dispositions.

148
Règlement délégué (UE) n° 449/2012 de la Commission du 21 mars 2012 complétant le règlement
(CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil par des normes techniques de réglementation
concernant les informations à fournir par les agences de notation de crédit en vue de leur
enregistrement et de leur certification, Journal officiel de l’Union européenne, L 140, 30 mai 2012.
149
Fitch Ratings aurait ainsi été contrainte, pour obtenir sa licence, de nommer en dernière minute
150
un administrateur indépendant disposant d’une bonne connaissance de la titrisation.
Règlement délégué (UE) n° 447/2012 de la Commission du 21 mars 2012 complétant le règlement
(CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil par des normes techniques de
réglementation aux fins de l’évaluation de la conformité des méthodes de notation de crédit, Journal
officiel de l’Union européenne, L 140, 30 mai 2012.

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LES AGENCES DE NOTATION 55

4.2.3. Rapports de l’Autorité européenne des marchés financiers

Le règlement européen de 2009 prévoit que l’AEMF conduise une enquête auprès
er
de chaque agence avant le 1 juillet 2014.
Steven Maijoor, président de l’AEMF, commentait en novembre 2011 : « Je m’attends
à ce que nous ayons conduit des inspections sur place pour toutes les grandes agences
de notation d’ici à la fin de l’année. À partir de ce travail, nous comptons publier
er
notre premier rapport aux alentours du 1 avril prochain. (…) Si nous trouvons des
infractions mineures, nous pouvons donner des instructions à l’agence de notation
concernée. Si l’infraction est plus sérieuse, nous pouvons demander à l’agence
d’arrêter la notation d’une entité pour quelque temps, prononcer une amende,
151
pouvant aller jusqu’à 750 000 euros , voire, dans le pire des cas, retirer la licence.
(…) Je pense que la réglementation actuelle représente déjà une avancée spectaculaire
par rapport à la situation de dérégulation complète que nous avions avant la crise.
(…) Je suis convaincu que ces nouvelles exigences réglementaires contribueront
à améliorer le niveau du secteur et celui de ses notations. Cela prend toujours un peu
de temps avant qu’une industrie ne change. » 152
Le premier rapport de l’AEMF sur le sujet a été publié le 22 mars 2012. Dans celui-ci,
l’agence explique qu’elle a donné la priorité aux investigations concernant les trois
plus grandes agences enregistrées, à savoir Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch
Ratings. Ces contrôles, effectués sur place, donnent lieu à quelques observations.
L’AEMF déplore ainsi que certaines parties du processus interne de notation, comme
le travail effectué au sein du comité de notation (discussions et votes), ne soient pas
l’objet d’un compte rendu systématique. Elle estime également que les membres de
ce comité de notation devraient bénéficier d’un laps de temps plus long pour étudier
les documents qui sont portés à leur connaissance pour exprimer leur vote lors
de la notation. Compte tenu de la complexité croissante qui caractérise les marchés
financiers, l’AEMF préconise également, même si elle estime que les agences ont déjà
fait des efforts dans ce sens, d’accroître le personnel des agences et son expertise.
Enfin, l’AEMF enjoint les agences de clarifier leur méthodologie et de regrouper
tous les critères pertinents dans un seul document exposant la méthodologie générale.
À ce stade, l’AEMF n’a pas encore déterminé si ces observations font figure de
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violations au règlement européen de 2009. Aucune sanction n’a encore été prononcée.

4.2.4. Vers un nouveau règlement européen

Les propositions de la Commission européenne

Le 15 novembre 2011, quelques jours après l’« erreur » de Standard & Poor’s,
dégradant la note de la France avant de se rétracter, la Commission européenne

151
Le montant maximal de l’amende ne peut excéder 20 % du chiffre d’affaires d’une agence pour
152
l’année antérieure.
« Nous inspectons les grandes agences de notation », Les Échos, 2 novembre 2011, www.lesechos.fr.

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56 LES AGENCES DE NOTATION

a édicté une série de mesures nouvelles qui sont actuellement débattues au Parlement
européen et au Conseil. C’est un nouveau tour de vis que Michel Barnier, commissaire
européen chargé du Marché intérieur, souhaite imposer aux agences. Les grands axes
153
de cette nouvelle proposition de réglementation sont les suivants :
- afin d’empêcher les établissements financiers de se fier exclusivement et
aveuglément aux notations de crédit pour leurs investissements, une obligation
générale serait imposée aux investisseurs d’effectuer leurs propres évaluations
de crédit ;
- les agences de notation devraient transmettre leurs notations à l’AEMF,
laquelle veillerait à mettre gratuitement à la disposition des investisseurs
toutes les notations disponibles pour un instrument de créance donné, sous
la forme d’un indice européen de notation (EURIX). L’objectif de la Commission
est ici de mettre en valeur le travail des petites agences ;
- les États membres seraient notés plus fréquemment (tous les six mois au lieu
de douze). Pour éviter toute désorganisation des marchés, les notations
souveraines ne seraient publiées qu’après la clôture des marchés de l’Union
européenne, et au moins une heure avant leur ouverture. Michel Barnier
a également annoncé que les gouvernements concernés seraient avertis 24 heures
avant publication de la note afin qu’ils puissent réagir le cas échéant ;
- les émetteurs auraient l’obligation de changer tous les trois ans l’agence qui
les note. Cette mesure aurait pour objectif de favoriser la concurrence sur
le marché de la notation ;
- deux notations provenant de deux agences différentes seraient requises pour
les instruments financiers structurés complexes ;
- la responsabilité civile des agences de notation devrait, comme indiqué supra,
pouvoir être évoquée : « La Commission propose, en cas d’infraction
intentionnelle, ou par négligence grave, aux obligations qui découlent du
règlement sur les agences de notation, d’ouvrir la possibilité de former
un recours en responsabilité civile en cas de préjudice causé par cette
infraction au cas où l’infraction en question a influencé la notation de crédit
à laquelle un investisseur se serait fié. » Les règles du droit civil applicables
seraient celles du pays dans lequel l’investisseur résidait au moment du
préjudice 154.
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Une autre proposition importante vise à suspendre temporairement la notation des
155
États ayant requis une aide financière de la part du FMI ou de l’Europe . Le projet
n’a pas été abandonné, mais a toutefois été jugé trop peu abouti et a été remis à plus
tard. Le vice-président du Parlement européen, l’eurodéputé italien de centre-gauche
Gianni Pittella, semble convaincu par le principe. Il estime que certaines notations
souveraines s’appuient davantage sur des considérations politiques que sur des analyses
techniques et souhaiterait voir confier ces notations à la Cour des comptes européenne

153
Commission européenne, La Commission veut des notations de crédit de meilleure qualité,
154
communiqué de presse, IP/111/1355, 15 novembre 2011, www.europa.eu.
Parlement européen, Commission européenne des affaires économiques et monétaires, Réforme des
155
agences de notation : réglementer la notation des dettes souveraines, communiqué de presse, 19 juin 2012.
En écho à l’annonce de la dégradation de la note attribuée à la Grèce, tombée à peu de choses près
au même moment que l’annonce du plan de soutien à ce pays.

CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 57

156
ou à la Banque centrale européenne . D’autres estiment qu’une interdiction de noter
les États profitant d’une aide renforcerait la défiance des investisseurs à leur égard.
L’idée d’empêcher les grandes agences de notation de reprendre des concurrents
de taille plus modeste a quant à elle été purement abandonnée ; le projet a été jugé
incompatible avec les règles européennes sur la concurrence.

Un processus en cours

Le projet devant engendrer un nouveau règlement européen, succédant à celui de


2009, est actuellement à l’examen et ne devrait aboutir à un texte final qu’à la fin de
l’année 2012, voire au début de 2013. Ce texte a cependant déjà été soumis au Comité
157
économique et social européen (CESE), qui a rendu son avis le 29 mars 2012 .
Dans son avis, le CESE estime que « la proposition de la Commission modifie et
complète de manière appropriée le règlement de 2009 (…). Le Comité relève toutefois
que, dans certaines parties du règlement, les aspects concrets font défaut ». Le CESE
estime également « qu’il convient de soutenir dans toute la mesure du possible le
cadre européen que pose la proposition de règlement à l’examen, par des négociations
au niveau des États du G20 sur l’application d’une réglementation semblable sur
le territoire de ces États également, afin de garantir la cohérence de ces règles
à l’échelle mondiale ».
Le CESE préconise enfin, afin « de créer un nombre suffisant de nouveaux
débouchés », de raccourcir la période de rotation des agences, fixée à trois ans,
qui devrait être imposée aux investisseurs par le nouveau règlement européen.
C’est toutefois le contraire qui est advenu. Fin juin 2012, les parlementaires européens
de la Commission des affaires économiques et financières, chargée de se prononcer
avant que le texte ne soit débattu au niveau des États membres, ont en effet renoncé
au principe de rotation des agences, sauf pour les produits structurés (pour lesquels
une rotation est envisagée tous les cinq ans). Comme il n’existe pas actuellement
d’alternative crédible aux trois grandes, nombre de parlementaires, d’entreprises et
de banques ont critiqué la mesure proposée par la Commission européenne, estimant
que l’instauration d’un système de rotation obligatoire conduirait les agences à
simplement « attendre leur tour », et non à améliorer la qualité de leurs analyses
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158
en vue de convaincre les émetteurs . Quant à eux, les investisseurs ont dit redouter
que la discontinuité dans le processus de notation, induite par la rotation, ne conduise
à des notes plus instables, ce qui remettrait en cause leur stratégie d’investissement 159.
Les députés européens de la Commission des affaires économiques et monétaires ont
également amendé le texte original de la Commission européenne, afin « d’exiger que

156
« Gianni Pittella : Les notations souveraines doivent être émises par la BCE ou la Cour des comptes »,
157
www.euractiv.com, 7 décembre 2011.
Avis du Comité économique et social européen sur la proposition de règlement du Parlement
européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1060/2009 du 16 septembre 2009 sur
les agences de notation de crédit, COM(2011) 747 final – 2011/0361 (COD), Journal officiel
de l’Union européenne, C 181, 21 juin 2012.
158
« Les parlementaires européens renoncent à rendre obligatoire la rotation des agences de notation »,
159
La Tribune, 19 juin 2012.
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 210.

CH 2156-2157
58 LES AGENCES DE NOTATION

chaque agence prépare et publie un calendrier annuel de dates pour la publication


des notations des dettes souveraines, afin de donner aux États le temps de s’y
préparer ». En vue de réduire l’ampleur des conflits d’intérêts, les députés européens
proposent aussi qu’une agence ne soit plus autorisée à émettre des notations pour
les entités qui détiennent plus de 2 % de son capital ou de ses droits de vote. En outre,
aucun détenteur de plus de 5 % du capital ou des droits de vote d’une agence ne pourrait
détenir des actions dans une autre agence de notation. Selon le texte amendé, l’Union
européenne ne pourrait plus non plus faire référence aux notations de crédit à des fins
réglementaires, et les institutions financières réglementées ne seraient pas autorisées
160
à vendre, de manière automatique, leurs actifs en cas d’abaissement de la notation .

4.2.5. Mise en perspective

L’arsenal législatif européen s’est donc fortement étoffé ces dernières années. Xavier
Dieux, professeur de droit à l’ULB, parle même d’une « tendance à l’hyperrégulation
des agences de notation. D’une auto-régulation à une réglementation supra-étatique
contraignante, les agences de notation sont sans doute devenues les acteurs du monde
financier les plus strictement contrôlés ». Il prend pour exemple la responsabilité civile
des agences, qu’il sera possible d’invoquer en cas de faute grave, ou encore les
73 infractions possibles et sanctionnables par l’AEMF listées dans les annexes
du règlement européen de 2009. Dans les deux cas, Xavier Dieux souligne
qu’apparaissent des problèmes d’interprétation 161.
Il est également important de rappeler que cette logique de contrôle s’oppose à la
nature même de ces agences de notation, qui restent des entités privées et commerciales.
Le règlement européen de 2009, notamment en son article 23, ne permet pas à l’AEMF,
à la Commission, ni à aucune autorité publique d’un État membre d’interférer avec
le contenu des notations de crédit ou avec les méthodes appliquées.
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160
Parlement européen, Commission européenne des affaires économiques et monétaires, Réforme des
161
agences de notation : réglementer la notation des dettes souveraines, communiqué de presse, 19 juin 2012.
« Agences de notation : la solution se trouverait dans les banques », L’Écho, 29 mars 2012.

CH 2156-2157
CONCLUSION

Depuis une dizaine d’années, les critiques pleuvent à l’égard des agences de notation,
et en particulier à l’égard des trois plus grandes d’entre elles au plan international :
Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings. La notation souveraine, visant les États,
déclenche en particulier l’émotion. Dans la presse, les décisions prises par les mandataires
politiques semblent suspendues aux menaces de dégradation des notes souveraines
par les trois principales agences. Dans l’imaginaire collectif, il n’en faut pas plus pour
que ces entités privées soient souvent perçues comme exerçant une véritable dictature
sur les politiques nationales et européennes (voire comme le bras droit des États-Unis
en Europe). « Promptes à jouer la surenchère », « attentistes », « dictatrices »,
« inutiles », etc., les qualificatifs qui leur sont donnés ne manquent pas et s’adaptent
au gré des situations. Certains médias leur attribuent des « superpouvoirs », quand
d’autres les traitent de pyromanes.
Les scandales financiers du début des années 2000 (Enron, Worldcom, Parmalat) et
la crise des subprimes de 2007 ont particulièrement mis en lumière les limites et les
faiblesses des agences de notation. Dans les deux cas, les agences étaient tributaires
d’informations externes qu’elles ne maîtrisaient pas : les renseignements sur lesquels
elles avaient dû s’appuyer étaient entachés de fraude ou trop complexes pour être
réduits à une simple notation. Dans le cas des subprimes, les moyens humains
et l’expertise nécessaire pour faire face à la complexité croissante qui caractérise
la sphère financière n’ont pas suivi, sacrifiés au profit d’une logique commerciale
des plus discutables compte tenu des conséquences. D’autant que les agences étaient
amenées à conseiller les institutions financières sur des produits qu’elles allaient
ensuite noter, ce qui n’allait pas sans poser la question de potentiels conflits d’intérêt.
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La composante qualitative de la notation, destinée à mettre en perspective les données
purement quantitatives que les agences récoltent auprès des émetteurs, oppose encore
un peu plus la notation à la notion de « science exacte ». Les agences de notation elles-
mêmes ne remettent pas en cause cette réalité. Leur tâche se borne, indiquent-elles
clairement, à émettre une opinion par rapport à un risque de défaut et leurs notations,
insistent-elles, ne sont pas à l’abri d’éléments exceptionnels. Elles tiennent par ailleurs
à préciser que leurs notations, loin d’être destinées à influencer les marchés, ont pour
seul but de rassurer les investisseurs, victimes d’une asymétrie d’information par
rapport aux obligations qu’ils souhaitent acquérir.
Aussi imparfaite qu’elle puisse être, la notation est devenue un instrument
incontournable, suite notamment à la référence qui a été faite au recours à ces notes
dès 1930 dans les réglementations officielles : elle a accordé un pouvoir indéniable aux

CH 2156-2157
60 LES AGENCES DE NOTATION

trois grandes agences de notation de crédit et a participé à une déresponsabilisation


progressive des investisseurs qui se sont vus « forcés » de recourir à ces notations.
Les accords de Bâle II, en 2006, sur la réforme des normes prudentielles imposées
aux institutions bancaires, ont sonné l’heure de gloire des agences. Aujourd’hui, suite
au discours de nombreux acteurs économiques et politiques, comme le commissaire
européen chargé du Marché intérieur, Michel Barnier, la tendance est à la suppression
progressive des références aux notations dans les réglementations européennes ou
internationales.
Comme l’explique David Lawton, responsable des marchés pour l’Autorité des
services financiers britanniques : « Le défi en termes de politique publique est
de travailler à la réduction de la dépendance mécanique vis-à-vis des notations. (…)
Il est peu probable que nous aboutissions à une situation où elles ne jouent aucun
rôle, mais elles ne doivent représenter qu’un indicateur parmi d’autres en matière
162
de solvabilité. » Le problème reste toutefois que le recours aux notations – qui
constitue un moyen d’analyse simple, rapide et peu coûteux – n’est plus uniquement
dicté par des obligations réglementaires amenées à disparaître : il répond aujourd’hui
à une culture d’investissement bien ancrée. Quelle alternative offrir alors aux notations
élaborées par les agences ? Pour plusieurs économistes, la seule alternative crédible
consiste à développer les services d’analyse au sein des grands établissements de crédit
et compagnies d’assurance. Cette approche est aujourd’hui fortement encouragée
par l’Europe.
L’ouverture du marché de la notation à davantage de concurrence pourrait également
réduire la dépendance des investisseurs aux trois grandes agences, provoquerait
une diminution des tarifs de notation et pourrait, dans une certaine mesure du moins,
participer à une amélioration de la qualité des notes émises. Dans son nouveau
règlement sur les agences de notation de crédit, attendu pour la fin de l’année 2012
au plus tôt, l’Union européenne souhaite aller dans cette direction, en prenant par
exemple soin de limiter les barrières à l’entrée, déjà nombreuses, pour de nouvelles
agences, ou en proposant un indice européen de notation. Le chemin est toutefois
encore long pour qu’une nouvelle agence internationale viennent concurrencer
les trois grandes, qui peuvent se prévaloir de plus d’un siècle d’expérience. Rappelons
que pour parvenir à talonner Standard & Poor’s et Moody’s, il a fallu à Fitch Ratings
pas moins de vingt années d’efforts. Actuellement, le projet le plus avancé pour venir
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concurrencer les trois grandes reste celui d’une agence européenne mise sur les rails
par le cabinet de conseil en stratégie Roland Berger.
Parallèlement, les États-Unis, mais surtout l’Europe ces dernières années, tentent
de limiter les travers observés chez les agences en enrichissant l’arsenal réglementaire
dont elles font l’objet. Les règles sont de plus en plus contraignantes, mais leur mise
en pratique se heurte parfois encore à un état de fait relativement simple : les agences
sont des entités commerciales privées, et ni les États-Unis ni l’Europe ne peuvent
intervenir sur le management interne des agences ou sur le choix des méthodologies
qu’elles mettent en place.

162
« Les législateurs européens mettent l’UE en garde contre l’interdiction des notations souveraines »,
er
www.euractiv.com, 1 mars 2012.

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(coordinateur du secteur Économie), Cédric Istasse, Anne Vincent, Marcus Wunderle
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Vincent de Coorebyter (président), Francis Delpérée, Hugues Dumont, Éric Geerkens,
José Gotovitch, Nadine Gouzée, Serge Govaert, Laura Iker, Patrick Lefèvre,
Xavier Mabille (président honoraire), Roland Michel (administrateur délégué),
Michel Molitor (vice-président), Solveig Pahud, Pierre Reman, Robert Tollet (vice-
président), Els Witte, Paul Wynants

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