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Fabienne Collard
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Les agences de notation financière sont des entités privées qui se donnent pour objet
d’évaluer la solvabilité des États, des entreprises, des collectivités publiques et des
institutions bancaires et d’assurances à travers un système de notes.
Inconnues du grand public il y a dix ans encore, ces institutions – et en particulier
les trois plus importantes d’entre elles, les anglo-saxonnes Standard & Poor’s,
Moody’s et Fitch Ratings – défrayent aujourd’hui régulièrement la chronique. Suite
aux récentes crises financières, dont celle des subprimes aux États-Unis et celle de
la dette dans l’Union européenne, une partie de la population les pense responsables
de nombre des maux qui frappent aujourd’hui l’économie mondiale. Cette opinion
négative s’appuie pour partie sur les propos de certains responsables politiques.
Le premier chapitre du présent Courrier hebdomadaire présentera une vue d’ensemble
des agences de notation. Tout d’abord, il dressera le panorama actuel du secteur de
la notation, en mettant notamment en perspective la position dominante qu’y
occupent les trois grandes institutions anglo-saxonnes. Cette situation s’explique
en grande partie par l’expertise de plus d’un siècle dont peuvent se prévaloir Standard
& Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings, ainsi que par deux facteurs rendant difficile à
d’éventuels nouveaux entrants l’accès au marché de la notation : le développement de
la complexité qui caractérise les marchés financiers aujourd’hui et la réglementation
de plus en plus sévère à l’égard des agences. À l’heure actuelle, un nouveau projet de
réglementation européen est à l’examen et vise notamment à assurer une concurrence
accrue, gage selon certains observateurs d’une amélioration de la qualité des notations
émises. Ensuite, ce chapitre étudiera la manière dont sont financées les agences de
notation, en se penchant notamment sur les origines et les justifications du système
actuel.
Le deuxième chapitre s’intéressera aux diverses activités des agences, en s’arrêtant tout
particulièrement sur le processus de notation et la question de la méthodologie
employée par les agences. Une place spécifique sera également réservée aux deux
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Il existe également des agences de notation sociale et environnementale, qui notent les entreprises
selon des critères issus de la notion de développement durable. Né à la fin des années 1990
et actuellement en pleine expansion, ce secteur comprend une trentaine de structures (Avanzi, BMJ
Ratings, EthiFinance, Oekom, Vigeo, etc.).
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6 LES AGENCES DE NOTATION
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1. LE SECTEUR DE LA NOTATION :
UNE VUE D’ENSEMBLE
Avant d’aborder les divers aspects de leur activité de notation, ainsi que la question
de leur influence au sein de la sphère financière et économique, il importe de
comprendre le contexte qui entoure les agences de notation : origines et histoire,
configuration actuelle et projets pour l’avenir, mode de financement, etc. Ces entités
privées ont pour principal objet d’évaluer, selon une méthodologie qui reste leur
secret de fabrication, la capacité de remboursement d’émetteurs de dette (entreprises,
institutions bancaires et d’assurances, collectivités publiques et États). Trois agences
dominent le secteur depuis plus d’un siècle : Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch
Ratings. C’est de leur réputation qu’elles tirent essentiellement leur situation
d’oligopole.
Les origines de la notation financière remontent à 1868, lorsque Henry Varnum Poor
publie pour la première fois le Manual of the railroads of the United States.
Cette publication annuelle propose des informations économiques et financières
aux investisseurs désireux de confier leur épargne aux grandes sociétés de chemin
de fer américaines, alors en plein essor. De son côté, John Moody publie en 1900
2
Cf. N. GAILLARD, Les agences de notation, Paris, La Découverte (Repères), Paris, 2010, p. 7-11 et
les sites Internet des agences Standard & Poor’s (www.standardandpoors.com), Moody’s
(www.moodys.com) et Fitch Ratings (www.fitchratings.com).
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8 LES AGENCES DE NOTATION
le Manual of industrial and miscellaneous securities, dans lequel il classe les sociétés
en fonction de leur santé financière ; dès 1909, il propose un système de notation
sous forme de lettres (de Aaa à C) pour évaluer lui aussi la qualité des investissements
liés aux entreprises de chemin de fer.
La crise de 1907 est responsable de nombreuses faillites et jette le trouble dans l’esprit
des investisseurs. Les notations de Moody’s Investors Service (Moody’s), agence
officiellement fondée en 1914, ont pour vocation de rassurer ces derniers en luttant
contre l’asymétrie d’information entre émetteurs d’obligations et investisseurs.
Dès 1910, certains services aux collectivités sont déjà soumis à la notation de Moody’s
(les distributeurs d’énergie, la compagnie du téléphone), qui s’attaquera ensuite,
en 1918, à la notation des États. Au début des années 1920, Poor’s Publishing,
la société de Henry Poor, émet elle aussi ses premières notes souveraines, avant que
les deux agences ne soient rejointes dans ce segment d’activité par Standard Statistics
(fondée en 1906 par Luther Lee Black) et par Fitch (fondée en 1913 par John Knowles
Fitch sous le nom de Fitch Publishing Company).
Poor’s et Standard Statistics fusionnent en 1941 pour former Standard & Poor’s, dont
le groupe américain McGraw-Hill, spécialisé dans la publication d’indices boursiers
et de livres scolaires et qui édite notamment l’hebdomadaire Business Week, fera
l’acquisition en 1966. Une dizaine d’années auparavant, en 1957, Standard & Poor’s
a lancé le S&P 500 Stock Index, composé de 500 titres cotés à la bourse de New York.
3
« Allein gegen die großen drei », Die Zeit, 13 mars 2012.
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LES AGENCES DE NOTATION 9
Après un long passage à vide, Fitch Ratings a quant à elle été rachetée en 1997 par
la holding française Fimalac, avant de fusionner l’année suivante avec la société
britannique IBCA, spécialiste en notation des banques et assureurs. Aujourd’hui, Fitch
Ratings est contrôlée par Fimalac, présidée par Marc Ladreit de Lacharrière, à hauteur
de 50 %, et par le groupe Hearst (groupe de médias américain), à hauteur de 50 % 4.
Elle se profile comme la troisième plus grande agence de notation transnationale,
derrière Standard & Poor’s et Moody’s, avec 18 % de parts de marché et 1 140 analystes.
Les sièges sociaux de Standard & Poor’s, de Moody’s et de Fitch Ratings se situent
aux États-Unis. Toutefois, le management de cette dernière se situe en partie aux
États-Unis et en partie au Royaume-Uni. C’est pourquoi l’on parle couramment,
malgré un actionnaire français pendant longtemps majoritaire dans Fitch Ratings,
des trois grandes agences « anglo-saxonnes ».
Il est communément admis que ces trois principales agences de notation transnationales
se partagent environ 95 % des revenus générés par la notation financière. En 2010,
leur chiffre d’affaires était de 2,9 milliards de dollars pour Standard & Poor’s,
de 2 milliards pour Moody’s Corporation et de 732,5 millions pour Fitch Ratings.
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Parmi les petites agences se partageant les 5 % de marché restants 5, citons la canadienne
Domination Bond Rating Service (DBRS), l’américaine A.M. Best (spécialisée dans
la notation des compagnies d’assurance) et les japonaises Japan Credit Rating Agency
(JCR) et Rating and Investment Information (R&I), qui se sont spécialisées dans
certaines niches géographiques ou sectorielles.
Pour exister au plan international, une accréditation auprès de la Securities and
Exchange Commission (SEC), l’autorité américaine de réglementation et de contrôle
des marchés financiers, semble incontournable, ce qui n’est pas une simple formalité,
4
5
Le groupe américain a accru de 10 % son capital dans Fitch Ratings début 2012.
Une liste des principales agences de notation répertoriées à ce jour au plan mondial est disponible
sur le site Internet www.defaultrisk.com.
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10 LES AGENCES DE NOTATION
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comme a pu récemment le constater l’agence chinoise Dagong . Après son échec,
en 2010, à obtenir le précieux sésame accordé par le gendarme financier américain,
Dagong peine aujourd’hui à concurrencer CCXI et China Lianhe Credit Rating,
les agences liées respectivement à Moody’s et à Standard & Poor’s sur le marché
chinois. Dagong s’est pourtant fait un nom auprès des spécialistes, grâce à sa volonté
de se démarquer des trois grandes en notant plus sévèrement les grands pays développés
et plus généreusement les pays émergents tels que le Brésil, la Chine, l’Inde, la Russie
7
et l’Afrique du Sud .
Au fil du temps, les trois grandes agences sont parvenues à se créer l’oligopole qui est
aujourd’hui le leur dans le secteur de la notation. Le manque de concurrence que
sous-entend cet oligopole fait l’objet de critiques nourries.
6
Des informations plus complètes sur Dagong figurent dans N. GAILLARD, A Century of Sovereign
7
Ratings, New York, Springer, 2011.
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée. Rapport d’information fait
au nom de la mission commune d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité
8
des agences de notation, par F. Espagnec et A. de Montesquiou, Rapport n° 598, 18 juin 2012, p. 208.
La liste de ces dix agences NRSRO est consultable sur le site Internet www.nrsro.com.
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9
10
N. GAILLARD, Les agences de notation, op. cit., p. 9-11.
Volkswagen, Daimler, Siemens, Bayer, Eon, RWE, Continental, Lufthansa, Deutsche Post, Henkel,
11
Linde et Bertelsmann.
Règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 sur
les agences de notation de crédit, Journal officiel de l’Union européenne, L 302/29, 17 novembre 2009.
12
Les frais d’enregistrement varient entre 2 000 et 125 000 euros en fonction du nombre de salariés
de l’agence et des caractéristiques de son activité (Sénat [France], Agences de notation : pour une
profession réglementée, op. cit., p. 201).
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13
14
Ibidem, p. 209.
Parlement européen, Compte rendu de la Commission économique et monétaire, réunion du 24 janvier
2012, p. 2.
15
16
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 209.
Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a en effet déclaré au Parlement
européen, le 6 juillet 2011, après que Moody’s a dégradé la note des obligations portugaises :
« Il semble étrange qu’il n’existe pas une seule agence de notation issue d’Europe. Cela laisse supposer
qu’il pourrait y avoir un biais sur les marchés quand il s’agit d’évaluer des problèmes spécifiques
à l’Europe » (« It seems strange that there is not a single rating agency coming from Europe. It shows
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there may be some bias in the markets when it comes to the evaluation of the specific issues of Europe »).
Cf. « L’UE s’en prend aux agences de notation suite à la dégradation de la note portugaise »,
17
www.euractiv.com, 7 juillet 2012.
18
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 208.
« Agences de notation. Le vrai, le faux et les demi-vérités », Trends-Tendance, 2 février 2012.
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14 LES AGENCES DE NOTATION
aux institutions européennes existantes. Elles devront fournir aux investisseurs toutes
les données et notations pertinentes rendues publiques concernant la dette souveraine
et les indicateurs macro-économiques clés. » Le texte final du nouveau règlement
européen, attendu pour fin 2012 ou début 2013, devrait vraisemblablement apporter
les détails pratiques de la mise en place d’une telle disposition.
Au rang des initiatives privées visant à établir une agence européenne, le projet le plus
avancé est sans nul doute celui du cabinet de conseil en stratégie allemand Roland
19
Berger Strategy Consultants . Peu de temps après que, lors du premier plan
de sauvetage de la Grèce en juillet 2011, le parlement allemand a émis le souhait
de voir émerger une agence de notation européenne, Roland Berger a annoncé qu’il
travaillait au développement d’une telle agence : l’European Rating Agency (ERA).
Après quelques mois de travail loin des feux des médias, ce projet a été présenté plus
en détail au mois de mai 2012. Le capital de cette fondation privée sans but lucratif
devrait être récolté auprès d’un consortium de grandes institutions bancaires
européennes, un conseil académique d’universités européennes devant quant à lui
veiller sur l’indépendance et la transparence de ses activités 20. 300 millions d’euros
sont jugés nécessaires pour mener à bien ce projet, les frais de fonctionnement
de l’agence devant ensuite être assurés par un placement judicieux du capital de
départ. Selon Bruno Colmant, consultant chez Roland Berger, l’ERA devrait compter
sur « un effectif d’une trentaine de personnes, recrutées essentiellement dans les milieux
académiques et viser une part de marché de 20 à 25 % » 21. En mai 2012, le cabinet
peut compter sur 130 millions d’euros d’engagements de la part d’une dizaine
d’investisseurs potentiels – des investisseurs européens pour l’instant, même si le cabinet
se dit ouvert aux propositions venant d’autres continents.
Le lancement de l’ERA est prévu pour 2012, étant entendu que les deux années
suivantes seront cruciales pour la jeune agence, tant pour rassembler les fonds
supplémentaires nécessaires que pour convaincre. Les premières notations ne devraient
être publiées qu’en 2013. Comme les trois grandes, l’agence européenne couvrirait à
la fois la notation « corporate » (entreprises et instruments financiers) et la notation
souveraine 22. Elle envisagerait d’établir des bureaux à Paris, Londres et Francfort.
L’ambition de Roland Berger est de proposer une notation plus transparente :
les modèles mathématiques utilisés, la pondération des différents critères intervenant
dans la notation, de même que les éléments qualitatifs qui caractérisent chaque
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Ce cabinet de conseil est notamment actif dans les secteurs financiers.
20
21
Roland Berger Strategy Consultants, communiqué de presse, 13 octobre 2011.
22
« Une nouvelle agence de notation sur le Vieux Continent », Le Vif, 11 mai 2012.
La fondation Bertelsmann soutient de son côté un projet de création d’une agence de notation
internationale spécialisée dans la notation de la dette des États et des organisations internationales
23
(Banque mondiale, etc.).
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 221.
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Quoi qu’il advienne, pour espérer rivaliser avec les trois grandes agences anglo-
saxonnes et ainsi pouvoir exister sur le plan international, une nouvelle agence devra
atteindre une taille substantielle. Pour augmenter les chances de réussite d’une
telle initiative, l’économiste Norbert Gaillard préconise même de « contraindre
les investisseurs, via une réglementation européenne, à utiliser au moins partiellement
les notations émises par cette nouvelle agence ».
Durant plusieurs décennies, les notations ont été financées par les investisseurs qui
cherchaient à s’informer sur la qualité des actifs financiers qu’ils voulaient acquérir.
Entre différents placements possibles, ces investisseurs souhaitaient savoir lesquels
étaient les moins risqués ou les plus lucratifs. Ils rémunéraient les agences de notation
pour cette information en achetant les analyses et les notes émises par les agences
concernant des entreprises ou des organismes publics.
Ce système de financement subit toutefois un changement majeur dans les
années 1970. À partir de cette époque, les agences facturent leurs services, non plus
aux investisseurs, mais aux émetteurs des titres de dette. Un triple mouvement
contribue à ce changement notable.
Tout d’abord, il y a le développement, à cette époque, de la photocopie. De plus
en plus d’investisseurs utilisant des photocopies « illicites » de manuels publiés par
les agences, ces dernières voient leurs marges bénéficiaires entamées. Un déséquilibre
s’instaure en outre en défaveur des investisseurs qui paient des notes, alors que celles-
ci sont désormais rendues publiques et donc disponibles gratuitement par des voies
illicites.
Ensuite, une crise économique sévit partout dans le monde et particulièrement
aux États-Unis, berceau de la notation. De nombreuses entreprises cherchent à rassurer
et à attirer de nouveaux investisseurs, et l’obtention d’un bon rating peut les y aider.
Elles deviennent alors clientes des agences de notation et commencent à payer celles-ci
pour l’émission de ratings. Le changement est d’importance. Selon Norbert Gaillard,
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N. GAILLARD, Les agences de notation, op. cit., p. 39.
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L’United States Government Accountability Office a comptabilisé sept alternatives possibles à l’actuel
modèle économique des agences (cf. United States Government Accountability Office, Report
to Congressional Committees, GAO-12-240 : Credit Ratings Agencies. Alternative Compensation Models
for Nationally Recognized Statistical Rating Organizations, janvier 2012).
26
27
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 150.
P. CAILLETEAU, « Si elles n’existaient pas, faudrait-il inventer les agences de notation ? », Variances.
La revue des anciens de l’ENSAE, n° 32, décembre 2007, p. 19.
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2. LES ACTIVITÉS DES AGENCES DE NOTATION
Même si les agences fournissent divers services, la notation reste bien entendu leur
activité de prédilection. Par un code de quelques lettres, chiffres et sigles (AAA, A+,
baa3, etc.), elles synthétisent tout le travail d’analyse qu’elles ont effectué, afin de rendre
comparable la qualité d’un actif par rapport à un autre.
28
Article 3 du règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre
2009 sur les agences de notation de crédit, Journal officiel de l’Union européenne, L 302/9,
29
17 novembre 2009.
Le risque de défaut est le risque de ne pas pouvoir honorer ses engagements financiers aux échéances
30
prévues.
Le risque de crédit représente le niveau d’incertitude de voir l’émetteur du titre de dette honorer
ses obligations envers les investisseurs.
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18 LES AGENCES DE NOTATION
À l’origine, les notations des agences visaient les obligations 31 émises par des
entreprises, des banques ou, très vite, des collectivités publiques et des États.
Ces notations ont ensuite visé les émetteurs de titres eux-mêmes. Dans la plupart
des cas, les notations sont aujourd’hui sollicitées par des émetteurs. Mais les agences
publient parfois également des notes non sollicitées, surtout concernant des États.
Depuis 2009, l’Union européenne impose que les notes non sollicitées soient
identifiées comme telles 32. À titre d’exemple, la notation de l’État belge par Standard
& Poor’s est non sollicitée. L’Autorité des services et marchés financiers en Belgique
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Une obligation est un titre négociable émis par un État, une collectivité publique, une entreprise
privée ou publique. Il s’agit d’une créance pour laquelle le détenteur de l’obligation perçoit un revenu
sous la forme d’un taux d’intérêt qui peut être fixe ou variable.
32 o
Article 10 du règlement (CE) n 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre
2009 sur les agences de notation de crédit, Journal officiel de l’Union européenne, L 302/13,
17 novembre 2009.
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33
Cette prime de risque intervient via les taux d’intérêt.
34
35
« La notation, indispensable sésame sur les marchés obligataires ? », L’Écho, 29 mars 2012.
En cela, l’activité de notation se différencie de celle de scoring, qui ne repose que sur une analyse
quantitative et est notamment pratiquée par les grandes institutions financières.
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Tableau 3. Pondération des critères de Standard & Poor’s pour la notation souveraine
Finances publiques 25 %
Facteurs institutionnels (politique, économie, gouvernance) 33 %
Monnaie et marchés financiers 20 %
Macro-économie (croissance, économie, etc.) 11 %
Position extérieure (balance des paiements, avoirs extérieurs, etc.) 11 %
Source : Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 52.
La banque française Natixis, qui s’est penchée sur ces critères de notation
souveraine 39, estime que chez Standard & Poor’s, l’analyse quantitative vaut pour
82 % de la notation accordée à un État. Le poids de l’analyse qualitative dans
la notation souveraine n’est donc pas négligeable. Les éléments quantitatifs ne sont
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36
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 113.
37
« États-Unis : pourquoi les agences de notation ne sont pas d’accord », Le Point, 16 août 2011,
38
www.lepoint.fr.
Les critères de notation souveraine sont abordés de façon plus approfondie dans N. GAILLARD,
39
A Century of Sovereign Ratings, op. cit.
« Quelle est la part quantitative de la notation souveraine de S&P ? », Flash économie. Recherche
économique, n° 586, 28 juillet 2011, cib.natixis.com.
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LES AGENCES DE NOTATION 21
Avant d’établir leur rapport de notation, les analystes employés par les agences
récoltent les informations nécessaires sur le risque de crédit de l’émetteur de titres
considéré et rencontrent, dans le cas d’une notation sollicitée, les dirigeants de
l’entreprise ou de l’État concerné. La notation, ou sa révision, est discutée et votée
au sein d’un comité de notation composé de plusieurs analystes. Une note peut être
révisée à la hausse (upgrade) ou à la baisse (downgrade) en fonction de l’évolution
de la solvabilité escomptée de l’émetteur. Les agences émettent également des
perspectives de notation (outlook) qui peuvent être positives, stables ou négatives
et reflètent la manière dont l’agence appréhende l’avenir de l’émetteur. En moyenne,
les agences procèdent à une nouvelle évaluation chaque année, mais elles peuvent
également décider de précipiter les choses. Une crise politique, la dégradation de
la situation financière d’un émetteur ou des opérations telles qu’une fusion ou une
acquisition sont des événements qui induisent généralement une mise sous
surveillance d’une notation ou de son évolution. Précisons enfin qu’avant publication
d’une note, l’émetteur a le droit de contester celle-ci, ce qui entraîne alors des analyses
complémentaires. La possibilité de faire appel est notamment primordiale dans
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40
Le Sénat français rappelle dans son rapport que les modèles internes développés par les établissements
de crédit pour évaluer leurs risques sont quant à eux soumis à validation par l’Europe. Précisons que
cette contrainte est d’application car les banques doivent répondre à certaines règles prudentielles
41
visant à garantir un certain niveau de capital.
Ces critères ont été affinés à travers le règlement délégué (UE) n° 447/2012 de la Commission
du 21 mars 2012 complétant le règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil
par des normes techniques de réglementation aux fins de l’évaluation de la conformité des méthodes
de notation de crédit, Journal officiel de l’Union européenne, L 140, 30 mai 2012. Selon ce règlement,
les agences doivent notamment préciser le poids de chaque facteur qualitatif ou quantitatif utilisé
42
dans le cadre de leurs méthodes de notation.
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 117.
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22 LES AGENCES DE NOTATION
43
à 24 heures) . Par ailleurs, ce droit d’appel n’est reconnu par l’analyste principal
que « si la preuve est faite que de nouvelles informations indisponibles lors du vote
initial peuvent être fournies et qu’elles peuvent avoir une influence déterminante sur
l’orientation de la décision prise par le comité. (…) Cette condition est principalement
introduite afin d’éviter les recours systématiques visant à retarder l’annonce de la note
de crédit » 44.
Pour préserver leurs collaborateurs des critiques, les agences de notation conservent
le secret sur la composition des comités d’experts ayant procédé à la révision d’une
45
notation . Les procès-verbaux des réunions de ces comités ne sont d’ailleurs pas
publics. « Il y a si peu de ressources humaines dans ces agences que, dans la pratique,
ces comités regroupent toujours un peu les mêmes personnes, plus ou moins
expertes », atteste dans Le Monde un ancien chef de service de Standard & Poor’s.
« C’est pour se protéger des critiques que les agences refusent d’en révéler la
46
composition. »
La question du personnel occupé par les trois grandes agences de notation – nombre
d’analystes par dossier, qualification et formation de ces mêmes analystes – est posée.
Lors de leur enregistrement auprès de l’AEMF, en 2011, les trois grandes agences de
notation ont dû fournir des données concernant le personnel employé par leurs soins.
43
Décidée le 15 novembre 2011, cette mesure, ainsi que d’autres, est actuellement examinée par
le Parlement européen.
44
Chambre des représentants, Examen des circonstances qui ont contraint au démantèlement de la Dexia SA.
Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner les circonstances qui ont contraint
au démantèlement de la Dexia SA par C. Vienne, G. Rutten et K. Waterschoot, DOC 53 1862/002,
45
23 mars 2012, p. 314-315.
46
Le nom de l’analyste en chef est lui connu.
« De l’analyste au comité de notation, le travail des agences de A à Z », Le Monde, 15 janvier 2012.
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LES AGENCES DE NOTATION 23
47
United States Senate, Permanent Subcommittee on Investigations. Committee on Homeland Security
and Governmental Affairs, Wall Street and the financial crisis: Anatomy of a Financial Collapse, 13 avril
48
2011, p. 304 et s.
Residential mortgage-backed security : titrisation de crédits hypothécaires résidentiels (produits
structurés).
49
50
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 127.
Chambre des représentants, Examen des circonstances qui ont contraint au démantèlement de la Dexia SA,
op. cit., p. 300.
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24 LES AGENCES DE NOTATION
Parmi les titres de dette évalués par les agences, les produits structurés sont un cas
à part en raison de la complexité qui les caractérise. La titrisation est née en 1960
aux États-Unis avant de se développer en Europe dans les années 2000. Elle permet
aux banques de se financer sur une base plus large que les seuls dépôts des clients.
Grâce à cette technique financière, des banques vendent des prêts bancaires (prêts
immobiliers, prêts à la consommation, etc.) à une entité intermédiaire appelée
véhicule de titrisation. Celui-ci se finance en émettant sur le marché des titres
négociables adossés aux actifs qu’il a achetés. Ces titres (obligations, billets de
trésorerie, etc.) sont ensuite regroupés en fonction du risque et du rendement associés
pour former des « produits structurés ». L’intérêt de la titrisation est donc de
transformer des créances illiquides – prêts hypothécaires, prêts automobiles, prêts
étudiants, prêts à la consommation, encours de cartes de crédit, créances
commerciales, etc. – en titres liquides, négociables directement sur les marchés.
Chacun de ces produits structurés est découpé en trois « tranches », en fonction de la
qualité des crédits émis : « senior », « mezzanine » et « junior » (par ordre décroissant
de qualité). Chaque tranche peut être soumise individuellement à la notation, mais
la finalité est bien entendu que des actifs de qualité supérieure côtoient des actifs
de moins bonne qualité pour que le produit global ait des chances d’attirer
des investisseurs.
Dans de nombreux pays, la notation fait partie des conditions préalables à l’émission
de ces produits financiers complexes. Plus encore que pour d’autres transactions,
elle est indispensable pour rassurer les potentiels investisseurs.
Un fait interpellant est toutefois à relever : moyennant rémunération, les agences
de notation participaient jusqu’il y a peu à la création des produits structurés, ainsi
51
qu’à leur évaluation . Ceci soulève la question de possibles conflits d’intérêt, sur
laquelle nous reviendrons. Par ailleurs, la crise des subprimes de 2007, due à une forme
de produit structuré liée à des prêts hypothécaires risqués aux États-Unis 52, et sa
propagation au marché bancaire ont fortement entamé la confiance des investisseurs
vis-à-vis de l’ensemble du marché des produits structurés. Aujourd’hui, l’Union
européenne interdit strictement aux agences de fournir le moindre conseil sur
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51
M. BARDOS, Les grandes agences de notation internationales : leur rôle annoncé dans la crise, vers quelle
52
régulation ? », juillet 2009 (Les Cahiers Lasaire, n° 38).
Subprime désigne une catégorie d’emprunts plus risqués pour le prêteur, mais au rendement plus
attractif, que la catégorie prime.
CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 25
Née en 1918, soit neuf ans après la notation corporate, la notation souveraine retrouve
un second souffle à partir des années 1970, après cinq décennies de quasi-léthargie.
Le fait que de plus en plus d’obligations publiques étrangères se retrouvent aux mains
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53
54
« Merkel sermonne les agences de notation », Libération, 5 juillet 2011.
55
« Agences de notation : la solution se trouverait dans les banques », L’Écho, 29 mars 2012.
N. GAILLARD, Les agences de notation, op. cit., p. 50-52.
56
L’historique de la notation souveraine est abordé de manière plus approfondie dans N. GAILLARD,
57
A Century of Sovereign Ratings, op. cit.
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 40 et s.
CH 2156-2157
26 LES AGENCES DE NOTATION
du marché obligataire dans la zone euro (37 %). En trente ans, les marchés
obligataires sont devenus la source première de financement des États. Or, vis-à-vis
des prêteurs, tous ces États de la zone euro se retrouvent bien entendu en
concurrence, d’autant qu’ils émettent leurs obligations dans la même monnaie.
En outre, hormis une intervention de la Banque centrale européenne ou le recours
direct à l’épargne nationale par le biais d’emprunts d’États 58, les pays européens n’ont
que peu d’alternative de financement. Il n’est dès lors pas étonnant que les agences
de notation donnent l’impression de maîtriser la pluie et le beau temps dans la zone
euro, d’autant que le marché obligataire est aujourd’hui plus que jamais mondialisé,
ce qui rend incontournable le recours aux trois grandes agences transnationales.
Le mode de facturation des notations aux États reste très opaque, « avec des parts fixes
et des parts variables, en fonction des niveaux de dette et de la complexité des produits
proposés. Cela peut aller de quelques dizaines de milliers d’euros ou dollars par an
à plusieurs centaines de milliers. Sans que cela soit officiel, il est vraisemblable
d’ailleurs que les grands pays, comme les États-Unis, la France ou l’Allemagne, etc.
ne payent pas ou très peu les agences, puisqu’ils sont de toute façon incontournables
pour les investisseurs », explique Norbert Gaillard 59. Du côté des pays émergents, qui
souhaitent attirer les investisseurs, on imagine par contre moins de réticence
à solliciter et payer une notation, dans l’espoir que celle-ci leur soit favorable.
« Ce n’est pas une activité très lucrative, affirme Yann Le Pallec (Standard & Poor’s).
Mais nous avons besoin de noter les États pour analyser les banques et le secteur
public. Cela s’apparente plutôt à de la recherche fondamentale. » 60 Même si la notation
souveraine est souvent non sollicitée, sans relations contractuelles, noter les États est
nécessaire pour les agences, pour une question de renommée sans doute, mais
également comme étalon des emprunteurs des pays concernés (entreprises,
institutions bancaires) qui, eux, payent pour être notés.
Il est intéressant de constater que pour éviter d’être « notés malgré eux », certains
pays, comme la France ou la Belgique, font en sorte que la notation se fasse avec
l’implication plus ou moins directe de l’État concerné. Ce n’est pas le cas de l’Allemagne,
qui refuse officiellement tout contact avec les agences 61.
58
En décembre 2011, l’émission de bons d’État belges a été un vrai succès, puisqu’elle a permis
de récolter pas moins de 5,7 milliards d’euros. Une réussite qui s’explique par une position alors peu
confortable de la Belgique sur les marchés obligataires, un taux d’intérêt intéressant pour
les particuliers et un message « citoyen » adressé aux épargnants belges par le Premier ministre
en personne, Yves Leterme. Six mois plus tard, les taux pour les particuliers sont retombés autour
des 2 % (contre 4 % en décembre 2011) et l’effet séduction n’est plus au rendez-vous.
59
60
« Qui paye les agences de notation ? », La Croix, 20 octobre 2011, www.lacroix.com.
er
61
« Dans la cuisine de Standard and Poor’s », Le Nouvel Observateur, 1 décembre 2011.
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 50.
CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 27
Unis peuvent vous détruire en vous envoyant des bombes. Moody’s le peut également
en dégradant la note de vos obligations. Et croyez-moi, il n’est pas toujours facile
de savoir lequel des deux a le plus de pouvoir. » Selon lui, le pouvoir des agences de
notation lié à leur activité de notation des États serait donc substantiel.
Loin de partager ce point de vue, Yves Cavalier, journaliste à La Libre Belgique,
envisage autrement la question en janvier 2012. Selon lui, les agences de notation
n’ont pas de pouvoir par nature. C’est le contexte économique récent qui leur a donné
de l’importance dans les politiques nationales et européenne. Il écrit : « Ce qui
a bouleversé la donne, c’est que pour la première fois dans le monde occidental,
on a évoqué le risque de faillite d’un État. (…) C’est sur la base de ce seul constat que
finalement les agences ont acquis une importance nouvelle. On avait coutume
de considérer que le rating d’un État relevait de la formalité plus que de la réalité. Mais
depuis 2011, les faiblesses des uns et des autres ont été mises en exergue avec la
62
redéfinition d’une hiérarchie qui allait du meilleur emprunteur au plus exécrable. »
Également à contre-courant des critiques envers le présumé diktat des agences de
notation, Nicolas Sarkozy, alors président de la République française, explique quant
à lui, au lendemain du sommet européen accouchant du plan de sauvetage de la
Grèce, à la fin du mois d’octobre 2011, que le problème de la France, menacée
de perdre son triple A 63, n’est pas les agences de notation, mais bien la dette, car c’est
elle qui donne du pouvoir aux agences 64. Il semble ainsi rendre aux agences leur rôle
de « thermomètre » que nous évoquerons plus loin. Dans le cas de la dégradation,
le 25 novembre 2011, de la note de la Belgique par Standard & Poor’s, de AA+ à AA,
l’économiste Paul De Grauwe (KUL) 65 estime même que la notation n’a fait que
suivre les marchés 66. Standard & Poor’s a de son côté justifié sa décision en trois
points : un secteur financier belge fragilisé, un climat économique européen très
difficile et la longue absence d’un gouvernement belge.
S’il arrive donc aux agences de s’aligner sur les marchés, qu’en est-il de l’hypothèse
inverse ? Avec un peu de recul, l’économiste Éric De Keuleneer (Solvay Brussels
School of Economics, ULB) déclare : « Il faut savoir que les marchés financiers
attribuent in fine fort peu d’importance à ces agences, et ne font souvent qu’entériner
des décisions qu’ils ont déjà prises. En résumé, en ce qui concerne les États,
ces agences ne servent à rien. Leur influence est juste une aberration du système (…).
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62
« Rating et agences tous risques », La Libre Belgique, 2 janvier 2012.
63
64
La France sera au final bel et bien dégradée le 13 janvier 2012.
65
Interview du 27 octobre 2011 réalisée conjointement par TF1 et France2.
Interview du 25 novembre 2011, sur la RTBF radio.
66
Le rendement obligataire à 10 ans de la Belgique flirte fin novembre avec les 6 % alors qu’il n’était
67
que de 4,35 % le 22 octobre 2011.
« Peut-on échapper aux agences de notation ? », Télémoustique, 25 janvier 2012, p. 22-23.
CH 2156-2157
28 LES AGENCES DE NOTATION
normal que l’appréciation des agences de notation et des marchés divergent parfois :
« La notation mesure uniquement un risque de non-remboursement à l’échéance
des dettes, tandis que l’appréciation des marchés tient compte d’autres paramètres
68
tels que la liquidité des titres, leur volatilité ou les anticipations des investisseurs. »
Peut-on en déduire pour autant que les décisions des agences sont sans conséquence
sur les marchés ? Pour répondre correctement à la question, il convient de signaler
que les agences ne dégradent pas la note d’un pays du jour au lendemain. Elles lancent
des avertissements en modifiant la « perspective » (positive, négative ou neutre) liée
à leur notation. Si cette perspective est abaissée de stable à négative, il faut s’attendre
à une dégradation prochaine de la notation. Avant d’enlever aux États-Unis leur triple
A, le 5 août 2011, Standard & Poor’s avait ainsi mis le pays sous perspective négative
dès le mois d’avril. Quant à la France, dégradée le 13 janvier 2012, la menace
de l’agence était déjà tombée en décembre 2011. Cet élément de la méthode de
communication des agences est essentiel à souligner, car les annonces de modification
de perspective ont parfois plus d’effet que les dégradations effectives elles-mêmes
(puisque ces dernières sont attendues de longue date). En effet, les menaces
permettent aux marchés de s’adapter et d’anticiper l’évolution possible des notations.
Ainsi, dans le cas de la France, l’annonce de décembre 2011 a eu un effet immédiat,
comme l’explique Carol Sirou : « Cette fois-là, les taux français avaient bondi, alors
que les taux allemands se détendaient. L’écart de rendement entre les obligations
françaises et allemandes à 10 ans était passé de 0,92 à 1,33 % en trois jours, ce qui n’est
69
pas anodin ! » . Par contre, en janvier 2012, l’abaissement effectif de la note de
la France ne s’est pas traduit par une hausse des taux. Un phénomène similaire s’était
produit pour les États-Unis quelques mois plus tôt.
Quant on ne les accuse pas de précipiter la chute des États en difficulté ou de suivre
aveuglément les marchés, les grandes agences de notation sont suspectées de se livrer
entre elles à certaines surenchères afin d’occuper le haut de l’affiche. À la mi-janvier
70
2012, Standard & Poor’s dégrade pas moins de neuf pays de la zone euro et met
un terme au triple A de la France. Un mois plus tard environ, Moody’s abaisse elle
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68
69
« Agences de notation. Le vrai, le faux et les demi-vérités », Trends-Tendance, 2 février 2012.
70
Ibidem.
Autriche, Chypre, Espagne, France, Italie, Malte, Portugal, Slovaquie, Slovénie.
71
72
Espagne, Italie, Malte, Portugal, Slovaquie, Slovénie.
De 1996 à 2003, Georges Ugueux a été Executive Vice President International du New York Stock
Exchange.
CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 29
Dans le cadre de la crise de la zone euro, les agences de notation se voient depuis
plusieurs mois accorder une audience sans précédent. D’aucuns prêtent à leurs
annonces et à leurs notations un rôle de facteur aggravant de la crise.
De nombreux analystes et acteurs politiques font remarquer que le premier des
facteurs déclencheurs et aggravants de la crise sont les déficits publics qui caractérisent
aujourd’hui certains pays européens et les nombreuses hésitations qui accompagnent
les discussions européennes pour sortir de l’impasse – deux éléments qui ne sont
en rien imputables aux agences. Ainsi, le leader des libéraux au Parlement européen,
Guy Verhofstadt, a déclaré en janvier 2012 : « Je ne suis pas fan des agences de
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73
74
« Moody’s menace 131 institutions », Le Soir, 17 février 2012.
G. UGEUX « Agences de notation : la grande hypocrisie des gouvernements », Démystifier la finance,
75
finance.blog.lemonde.fr, 10 juillet 2011.
76
Déclaration publiée sur le site Internet www.euractiv.com le 16 janvier 2012.
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 100 et s.
CH 2156-2157
30 LES AGENCES DE NOTATION
des faiblesses de son système fiscal, et donc in fine, le risque de défaut du pays. Fitch
Ratings, Moody’s et Standard & Poor’s ont surnoté les pays du sud de l’Europe dans
les années 2000 parce qu’elles pensaient que leur appartenance à la zone euro réduisait
le risque de défaut de paiement qui leur était associé. Cette période d’attentisme
des agences a laissé place en 2009 à plusieurs dégradations de la note grecque dans
un laps de temps de quelques mois à peine, ce qui a accru de manière importante
les difficultés de la Grèce à se financer sur le marché obligataire, alors même que
son gouvernement imposait à la population des efforts contraignants d’assainissement
budgétaire.
En marge de la notation des titres de dette, les agences de notation exercent également
des activités annexes telles que le conseil aux entreprises et la vente d’informations
statistiques, d’études et de fichiers.
Les agences peuvent également assumer le rôle de conseiller. Une entreprise peut
en effet se faire conseiller auprès d’une agence sur l’impact que ses décisions
pourraient avoir sur l’évolution de sa notation. De par les conflits d’intérêt qu’elle
risque de susciter, les régulateurs cherchent à encadrer cette activité de conseil, surtout
en Europe.
Enfin, les agences peuvent compter sur une source de financement supplémentaire,
provenant de la vente d’informations statistiques, d’études et de fichiers. Comme
l’explique Mireille Bardos, consultante, ex-responsable de l’Observatoire des entreprises
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77
M. BARDOS, Les grandes agences de notation internationales, op. cit., p. 9.
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3. LES AGENCES DE NOTATION :
QUEL POUVOIR ?
La mondialisation des marchés des capitaux a rendu inéluctable le recours aux notations
des agences. Il est en effet difficile pour un investisseur potentiel d’évaluer, sur simple
lecture du prospectus d’émission d’une obligation, toutes les subtilités qui entourent
celle-ci (environnement économique, secteur d’activité, enjeux liés à la concurrence,
fiscalité et législation en vigueur dans le pays d’émission, etc.), a fortiori lorsque
l’émetteur se trouve dans un pays lointain. Les agences jouent donc le rôle de tiers
indépendants afin de rassurer les investisseurs sur la qualité des actifs qu’ils souhaitent
acquérir. La notation permet une comparaison au plan international.
Un autre facteur majeur du caractère actuellement incontournable des agences est
la référence qui est faite à leurs notations dans des réglementations officielles.
CH 2156-2157
32 LES AGENCES DE NOTATION
Dans les années 1930 déjà, suite à la crise, il a été clairement demandé aux banques
américaines de se séparer des titres « spéculatifs » et de ne conserver que ceux pouvant
appartenir à la catégorie « investissement ». Et c’est aux agences de notation que
la Securities and Exchange Commission (SEC), tout juste créée (1934), a confié le soin
d’évaluer la qualité des titres en question.
78
Au plan mondial, ce sont les accords de Bâle II sur la réforme des normes
prudentielles, entrés en vigueur fin 2006, qui offrent leur heure de gloire aux agences
de notation et participent à une déresponsabilisation progressive des investisseurs qui
se voient « forcés » de recourir aux notations. Le Comité de Bâle est une organisation
internationale qui regroupe les représentants des régulateurs bancaires et des banques
centrales de vingt-sept pays, dont les principaux pays industrialisés, et qui compte
comme principale mission de définir les règles prudentielles à imposer aux institutions
bancaires. Les accords de Bâle II ont pour vocation de mieux appréhender les risques
de crédit des banques, via une révision des exigences en fonds propres.
Le ratio Cooke, dans les accords de Bâle I, imposait aux banques de détenir au moins
8 % de fonds propres comparativement au crédit financé. Mais ce ratio ne tenait
pas compte de la qualité de l’emprunteur, et une série de banques ont alors privilégié
certains placements plus risqués et en théorie plus rémunérateurs. Les accords de Bâle
II imposent aux banques un autre ratio, le ratio Mc Donough, qui prend en compte
le risque de défaut des emprunteurs et implique une évaluation de ce risque par
les agences de notation, de manière directe ou indirecte (c’est-à-dire lorsque la banque
évalue elle-même ce risque, mais s’en réfère aux notations des agences à titre
de comparaison).
La transposition en droit belge de la directive européenne sur les marchés
d’instruments financiers offre un autre exemple de la référence faite aux agences dans
la réglementation. Ce texte de 2007 précise en effet qu’« un instrument du marché
monétaire est considéré comme de haute qualité si toutes les agences de notation
compétentes l’ayant évalué lui ont décerné leur meilleure note. Un instrument qui
n’a pas été noté par une agence compétente ne peut pas être considéré comme
de haute qualité » 79. Même les banques centrales se réfèrent aux notations dans
le cadre de leur politique monétaire, l’usage de ces notations n’étant cependant en rien
automatique.
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78
Banque des règlements internationaux, Convergence internationale de la mesure et des normes de fonds
79
propres, juin 2006, www.bis.org.
Arrêté royal du 3 juin 2007 portant les règles et modalités visant à transposer la directive concernant
les marchés d’instruments financiers [directive 2004/39/CE], Moniteur belge, 18 juin 2007.
CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 33
temps, par un retrait progressif des références aux notations des agences dans les
réglementations financières. Ce travail est désormais amorcé.
Au niveau international, le Conseil de stabilité financière (CSF) a publié, en octobre
2010, une série de principes visant à réduire l’importance accordée par les autorités
et les établissements financiers aux notations établies par les agences. Dans ce cadre,
il a préconisé de supprimer les références à ces notations dans la législation, ou de
les remplacer par d’autres mesures lorsqu’il en existe, et d’exiger des investisseurs
qu’ils procèdent à leurs propres évaluations. Ces principes ont été entérinés par
80
le sommet du G20 à Séoul en novembre 2010 .
Sous l’impulsion de ce même G20, et suite à la crise des subprimes, les accords de Bâle
III ont été publiés en septembre 2010. Ils visent à renforcer à nouveau les fonds
propres et les garanties de liquidités des banques. La Commission européenne a été
81
la première à adopter, le 20 juillet 2011, un texte visant la transposition de ces accords .
À cette occasion, Michel Barnier, commissaire européen chargé du Marché intérieur,
a déclaré : « Nous sommes trop dépendants vis-à-vis des notations, et je souhaite
supprimer autant que possible la référence aux notations dans les règles prudentielles.
C’est une question essentielle de stabilité financière. Nous proposons aujourd’hui
de renforcer l’exigence faite aux banques de mener elles-mêmes leurs propres analyses
de risque, sans se reposer mécaniquement sur celles des agences. » 82
En juillet 2010, a également été adoptée aux États-Unis la loi Dodd-Frank (cf. infra).
Celle-ci préconise le retrait des références aux notations dans les réglementations
financières. La référence à la notion d’investment grade est ainsi directement
remplacée par l’expression « conforme aux standards de solvabilité » dans certaines
lois-phares 83.
Cette première phase de « désintoxication » semble donc en bonne voie. Reste à trouver
une alternative crédible au système actuel. Dans le prolongement de la déclaration
faite par Michel Barnier, certains économistes, dont Norbert Gaillard, estiment que
« la seule alternative crédible à la notation passe par le développement de systèmes
de scorings 84 au sein des grands établissements de crédit et compagnies d’assurance.
Les régulateurs nationaux seraient chargés de vérifier que ces scorings ne sont pas
des extrapolations des notations financières, mais reposent bien sur des modèles
robustes indépendants, pouvant incorporer non seulement le risque de crédit, mais
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80
Point 2.9 de l’avis du Comité économique et social européen sur la proposition de règlement
du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1060/2009 du 16 septembre
2009 sur les agences de notation de crédit, COM(2011) 747 final – 2011/0361 (COD), Journal officiel
de l’Union européenne, C 181/70, 21 juin 2012.
81
82
Cf. le site Internet www.ec.europa.eu.
83
Conférence de presse donnée à Bruxelles le 20 juillet 2011.
N. GAILLARD, Remettre la notation financière à sa juste place, Paris, Institut Montaigne, 2012, p. 34.
84
Analyse statistique du risque de crédit basée sur une série d’informations financières fournies par
85
une entreprise à une banque dans le cadre de l’obtention d’un crédit.
N. GAILLARD, Remettre la notation financière à sa juste place, op. cit., p. 40-41.
CH 2156-2157
34 LES AGENCES DE NOTATION
Pour que la mutation s’opère, le chemin reste cependant encore long. Le recours
aux notations des agences est un moyen d’analyse simple, rapide et peu coûteux,
de sorte que, outre le fait que les réglementations financières y faisant référence
foisonnent, la notation est également aujourd’hui profondément ancrée dans la culture
86 87
d’investissement . Dans un avis rendu en mars 2012 , le Comité économique et
social européen (CESE) exprime des doutes quant à la concrétisation de l’injonction
faite aux institutions financières de réaliser par elles-mêmes leurs propres analyses
et notations de crédit : « Actuellement, on n’attache d’importance pour l’essentiel
qu’aux notations des agences établies (…). Dans le même temps, le CESE doute
des capacités des plus petites institutions financières à créer des départements
d’analyse qui effectueraient ces notations. »
Il y a quelques années encore, le grand public n’entendait jamais parler des notations
souveraines. Aujourd’hui, elles rythment le discours des dirigeants politiques. Mais quelle
est la réelle volonté des agences d’influencer les décisions politiques, et dans quelle
mesure leurs notations sont-elles instrumentées par les gouvernements ?
86
87
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 80.
Avis du Comité économique et social européen sur la proposition de règlement du Parlement
européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1060/2009 du 16 septembre 2009 sur
les agences de notation de crédit, COM(2011) 747 final – 2011/0361 (COD), Journal officiel
88
de l’Union européenne, C 181, 21 juin 2012.
« La finance s’est droguée au triple A », Trends-Tendances, 17 mai 2012.
CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 35
Or dans certains cas, la frontière est très étroite entre une justification de note et
l’expression d’une opinion politique.
Le 13 janvier 2012, la France et l’Autriche perdent leur triple A, tandis que sept autres
pays membres de la zone euro se voient dégradés par Standard & Poor’s. Dans un
communiqué, l’agence justifie sa décision par le fait que la réponse apportée par
les dirigeants européens à la crise financière occulte d’après elle une partie du
problème en ne retenant comme source de celui-ci que les difficultés budgétaires
en périphérie de la zone euro. « Selon nous, les problèmes financiers de la zone euro
résultent tout autant des déséquilibres externes et des différences de compétitivité
entre le cœur de la zone euro et sa « périphérie ». Par conséquent, nous pensons qu’un
processus de réforme fondé sur la seule austérité budgétaire risque de ne pas
fonctionner, dans la mesure où la demande intérieure chute avec les inquiétudes
des consommateurs quant à la sécurité de l’emploi et des revenus disponibles, ce qui
entraîne une diminution des recettes fiscales nationales. » Nous avons ici un bel
exemple de la raison pour laquelle les agences de notation sont aujourd’hui souvent
perçues comme des acteurs politiques.
Soulignons bien que rien n’oblige les décideurs politiques à se plier aux vues des
agences de notation. Pour preuve, la chancelière allemande, Angela Merkel, première
partisane de la rigueur budgétaire en Europe, réagit à la dégradation des notes
des neuf pays de janvier 2012, en faisant totalement fi de l’argumentation de Standard
& Poor’s que nous venons d’évoquer : « Nous sommes désormais sous pression pour
mettre en œuvre rapidement et de façon décidée le pacte budgétaire (...) et il ne s’agit
pas d’essayer de l’adoucir partout où l’on peut, mais de donner des garanties
de finances solides pour l’avenir », déclare-t-elle au congrès de son parti, le CDU,
à Kiel 89. La parole des agences n’est donc pas d’évangile.
Jean-Michel Six, responsable des études économiques pour l’Europe chez Standard
& Poor’s depuis 2005, constate que « dans des périodes difficiles, comme celles que
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89
« Merkel veut le pacte budgétaire rapidement pour rassurer les investisseurs », La Libre Belgique,
90
14 janvier 2012.
« La finance s’est droguée au triple A », Trends-Tendances, 17 mai 2012.
CH 2156-2157
36 LES AGENCES DE NOTATION
En juin 2011, N. Sarkozy déclare : « Je n’ai pas été élu pour que la France connaisse
un jour les problèmes de la Grèce, de l’Irlande ou du Portugal. » Et Franck Louvrier,
conseiller à l’Élysée, d’enfoncer le clou : « Avec les socialistes, on aurait perdu notre
note AAA. » En septembre 2011, le ton prend des accents de défi. « Nous avons
un objectif et une obligation : conserver le AAA », explique N. Sarkozy, rejoint par
son ministre de l’Économie, François Barouin : « Nous serons là pour conserver
ce triple A. C’est une condition nécessaire pour protéger notre modèle social. »
Lorsque des menaces de dégradation sont lancées par Standard & Poor’s en décembre
2011, le discours au sein de la majorité encore en place effectue un sérieux virage,
prenant ses distances avec l’importance à accorder aux notations et notamment à
la sauvegarde du triple A : « Les marchés et les agences de notation ont leur logique.
Ils sont dans l’immédiat, dans l’instantané. Mais ce qui importe, ce n’est pas leur
jugement d’un jour, c’est la trajectoire politiquement structurée et budgétairement
91
rigoureuse que l’Europe, que la France, ont décidé d’adopter. » Commentant
ce « revirement », l’ex-ministre de la Défense et des Affaires étrangères (elle a remis
sa démission en février 2011), Michèle Alliot-Marie (UMP), parle « d’erreur de
communication » 92. Toujours est-il que dans l’intervalle, N. Sarkozy a réussi à rendre
indispensables, au nom du maintien du triple AAA, la réforme des retraites ou le non-
remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. En ces temps
d’austérité, les agences de notation, tant décriées, ont donc apporté au gouvernement
français un mobile aisé pour exiger de la part des Français une série d’efforts, dont
deux plans de rigueur.
Dans l’opposition également, le triple A devient un élément de communication
incontournable lors de la campagne présidentielle. Une fois la France dégradée,
le 13 janvier 2012, le Parti socialiste n’a plus qu’à s’engouffrer dans la brèche.
La première secrétaire du parti, Martine Aubry, déclare ainsi le jour même
de l’annonce de Standard & Poor’s : « Monsieur Sarkozy restera le président de
la dégradation de la France. Ce sont les Français qui vont payer le prix. » 93 « Nicolas
Sarkozy avait fait de la conservation du triple A un objectif de sa politique et même
une obligation pour son gouvernement. C’est ainsi qu’avaient été justifiés pas moins
de deux plans de rigueur en quatre mois. Cette bataille, et je le regrette, a été perdue »,
indique quant à lui le candidat François Hollande 94. Dans les médias, la dégradation
de la France provoque une véritable tempête. Dans nombre d’organes de presse,
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91
Toutes les citations de ce paragraphe sont extraites de « En France, du catastrophisme à
la résignation », Le Monde, 19 décembre 2011.
92
93
Sur Europe 1, le 18 décembre 2011.
94
« La France perd son AAA, l’Allemagne le garde », Le Figaro, 13 janvier 2012.
« Fillon, après la dégradation, la confrontation », Libération, 14 janvier 2012.
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LES AGENCES DE NOTATION 37
95
dégradation et s’était adapté . Par ailleurs, c’était oublier les deux autres agences
de notation. En l’occurrence, la France conserve à ce jour son triple A auprès de
Moody’s et de Fitch.
En Belgique également, les décideurs politiques, lors des négociations menées entre
juin 2010 et décembre 2011 pour la formation du gouvernement fédéral, ont
considéré les menaces ou sanctions des agences de notation comme une contrainte
externe certes, mais également comme un adjuvant extérieur permettant de faire
avancer certains débats ou même de débloquer l’une ou l’autre situation.
Le 14 décembre 2010 déjà, Standard & Poor’s presse les négociateurs d’offrir
rapidement un gouvernement à la Belgique, sous menace d’une dégradation dans
les six mois. Le pays est à ce moment noté AA+ par l’agence américaine, juste en
dessous du triple A. Le 25 novembre 2011, alors que les négociateurs échouent depuis
plusieurs semaines à s’accorder autour de la confection du budget, et après
un claquement de porte temporaire mais très médiatique du formateur Elio Di Rupo,
Standard & Poor’s met ses menaces à exécution et dégrade la Belgique de AA+ à AA.
Tous les négociateurs s’accordent alors sur l’urgence d’aboutir rapidement à un budget
pour rétablir la confiance des marchés au plus vite. Le 26 novembre, soit le lendemain
de l’annonce de Standard & Poor’s, ils adoptent la cinquième épure budgétaire
96
du formateur, avant la réouverture des places boursières le lundi 28 . Dans les jours
qui suivent, les partis écologistes (qui ne sont pas associés à la formation du
gouvernement) reprochent aux négociateurs de mener, au sujet de l’adoption
du budget, une communication visant à rassurer les agences et les marchés et passant
sous silence vis-à-vis de la population un certain nombre de mesures prises,
dont l’abandon de mesures fiscales « vertes ». Georges Gilkinet, député fédéral Écolo,
parle alors de « gouvernement Standard & Poor’s ».
En marge de la question de leur influence réelle sur la sphère politique, les agences
de notation font l’objet, depuis une bonne dizaine d’années, de controverses et
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95
Lorsque la France s’est retrouvée sous surveillance négative, le 5 décembre 2011, l’écart de rendement
entre les obligations françaises et allemandes à 10 ans s’est accru de manière considérable, passant
96
de 0,92 à 1,33 % en trois jours.
Ces deux épisodes sont relatés dans S. GOVAERT, « Les négociations communautaires et la formation
du gouvernement Di Rupo (juin 2010-décembre 2011) », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2144-
97
2145, 2012.
P. CAILLETEAU, « Si elles n’existaient pas, faudrait-il inventer les agences de notation ? », op. cit., p. 16.
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38 LES AGENCES DE NOTATION
La première critique qui est adressée aux trois grandes agences transnationales est
qu’elles n’ont pas réellement anticipé un certain nombre d’événements majeurs,
tels que la crise asiatique de 1997, les scandales financiers début 2000 (Enron,
Worldcom et Parmalat), la crise des subprimes en 2007 et la crise actuelle de la dette
en Europe et aux États-Unis.
Dans le cas d’Enron, pour le secteur énergétique, et de Parmalat, pour le secteur agro-
alimentaire, les agences évoquent pour leur défense les comptes truqués des deux
entreprises. Avant leurs faillites respectives, Enron se classait sixième au rang mondial
énergétique et Parmalat assurait à elle seule 1 % du PIB italien. Concernant Enron,
les agences ont attendu le 28 novembre 2001, soit quatre jours avant la faillite, pour
placer l’entreprise en catégorie « spéculative ». Le scénario est similaire pour Parmalat.
Comme elles l’ont alors précisé, les agences ne sont pas des auditeurs, elles n’en ont
pas les moyens humains. Elles sont contraintes de baser leurs analyses sur les données
contenues dans les comptes certifiés que les entreprises leur remettent, or dans
le cas présent ces données étaient frauduleuses.
Quelques jours avant sa banqueroute, à l’automne 2008, la banque d’affaires
américaine Lehman Brothers figurait encore dans la catégorie « investissement » des
trois grandes agences de notation. Celles-ci n’ont pas cru à l’émergence de la faillite
du géant bancaire, tout simplement parce qu’elles s’attendaient à ce que l’État
américain porte secours à la banque, comme il l’avait fait pour d’autres institutions
financières. Cet exemple montre une autre limite des agences, qui provient du fait
qu’elles tiennent compte dans leur notation d’éléments autres que quantitatifs.
Certains semblent attendre des agences qu’elles lisent dans une boule de cristal,
ce qu’elles ne font clairement pas.
Il est également souvent reproché aux agences d’avoir tendance à surréagir et d’ainsi
précipiter les difficultés de certains émetteurs en révisant à la baisse la qualité de
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LES AGENCES DE NOTATION 39
Pier Carlo Padoan, secrétaire général adjoint et chef économiste de l’OCDE, s’en est
pris aux trois grandes agences et à leurs tendances procycliques : « Elles produisent
des prophéties qui s’auto-réalisent. Ce n’est pas vrai qu’elles transmettent des
informations : elles expriment des jugements, entraînant une accélération de tendances
déjà à l’œuvre. C’est comme pousser quelqu’un qui est au bord d’un ravin. Elles
aggravent la crise. » 98
Citons également les cas de figure où, après une longue période durant laquelle elles
sont restées sans réaction, les agences multiplient les dégradations dans un court laps
de temps. La Grèce est exemplative des conséquences d’un tel revirement tardif
et soudain. Le pays a ainsi « bénéficié » d’une période de relatif attentisme de la part
des agences avant de subir des dégradations rapprochées et importantes de sa notation.
Le rapport d’information du Sénat français publié en juin 2012 indique qu’après avoir
laissé la note grecque inchangée de 2003 à 2009, Moody’s l’a dégradée de neuf crans
en l’espace de seulement quinze mois, accroissant bien entendu les difficultés de
recours au crédit d’un État déjà aux prises avec les plans successifs d’assainissement
budgétaire.
En Belgique, le rapport de la commission Dexia estime lui aussi les agences
responsables, par leurs révisions de notation et l’auto-réalisation qu’elles impliquent,
d’avoir asphyxié la banque belgo-française : « Les jours suivants la mise sous
surveillance de la note à court terme par Standard & Poor’s, le 23 mai 2011, Dexia
99
a perdu 6 milliards d’euros de liquidités. » « Les dégradations et/ou mises sous
surveillance des notes de Dexia au cours de l’année 2011 par les deux plus grandes
agences de notation de crédit, à savoir Moody’s et Standard & Poor’s, ont été
déterminantes dans l’accès aux liquidités sur le marché interbancaire pour le groupe
(…). Le fait de jouir d’une notation élevée était vital pour Dexia à cause du business
model sous-jacent à l’essor du groupe. Cette dépendance était plus forte que pour
n’importe quel autre grand groupe bancaire européen étant donné le relatif manque
de financement stable de Dexia par rapport à sa taille de bilan. » 100
Il semble également, comme pour le cas de la Grèce, que Dexia ait « bénéficié »
d’un certain attentisme de la part des agences, avant que celles-ci ne se montrent
soudainement très sévères : « L’agence s’est rendue compte que la situation financière
de Dexia, que le risque de liquidité persistant et l’exposition à la dette souveraine
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98
99
Interview accordée au quotidien italien La Stampa, juillet 2011.
Chambre des représentants, Examen des circonstances qui ont contraint au démantèlement de la Dexia SA,
100
op. cit., p. 173.
101
Ibidem, p. 294-315.
Après la crise des subprimes, les agences ne veulent plus être accusées de ne pas réagir assez tôt.
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40 LES AGENCES DE NOTATION
de décision, en mars et juin 2011, ont permis de retarder l’échéance, sans toutefois
102
l’éviter. »
La critique d’auto-réalisation a cependant son pendant. De nombreux observateurs
estiment en effet que les agences de notation ne font que jouer leur rôle de
« thermomètre ». « Quand on est malade, on n’accuse pas le thermomètre, on se soigne.
Or les pays occidentaux sont malades d’avoir trop dépensé, d’être trop endettés »,
explique par exemple sur son blog Yves Thréard, journaliste et éditorialiste au Figaro.
102
103
Ibidem, p. 308-309.
United States Securities and Exchange Commission, Office of Compliance Inspections and
Examinations, Division of Trading and Markets, Office of Economic Analysis, Summary Report of Issues
104
Identified in the Commission Staff’s Examinations of Select Credit Rating Agencies, juillet 2008, p. 12.
United States Senate. Permanent Subcommittee on Investigations. Committee on Homeland Security
105
and Governmental Affairs, Wall Street and the financial crisis, op. cit., p. 309.
N. GAILLARD, « Agences de notation : responsabilité, régulation ou laissez-faire ? », in M. AUDIT, dir.,
Insolvabilité des États et dettes souveraines, Paris, LGDJ-Lextenso (Droit des affaires), 2011, p. 165-173.
106
Financial Crisis Inquiry Commission, The Financial Crisis Inquiry Report, Final report of the National
107
Commission on the Causes of the Financial and Economic Crisis in the United States, janvier 2011, p. 132.
N. GAILLARD, Remettre la notation financière à sa juste place, op. cit., p. 17.
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LES AGENCES DE NOTATION 41
108
dépassée afin de pouvoir expliquer ex post la surnotation de produits structurés .
Indépendamment de cette culture commerciale douteuse pour un secteur voulant
asseoir sa crédibilité sur son indépendance, les agences n’ont pas su faire face à
la complexité des produits concernés. Leur méthodologie s’est en outre heurtée
à un manque crucial de données statistiques sur les crédits les plus risqués, camouflés
à travers les différentes couches de crédits des produits structurés.
Dès juillet 2007, le système s’est emballé et les agences de notation ont dû procéder
à un changement de politique, en révisant à la hâte la note de milliers de produits
structurés (RMBS et CDO). « Au total, plus de 90 % des RMBS émis en 2006 et 2007
qui avaient reçu la note AAA ont été dégradés dans la catégorie spéculative, parfois
moins d’un an après leur émission », peut-on lire dans le rapport d’information
109
publié par le Sénat français . Compte tenu des règles prudentielles en vigueur,
les investisseurs institutionnels (banques, fonds de pension, assurances) se sont alors
vu contraints de céder rapidement ces titres qui n’appartenaient plus à la catégorie
« investissement ». La crise financière de 2008 était amorcée. Pour autant, il serait
réducteur de désigner les agences de notation comme seules coupables de la crise,
en occultant les responsabilités d’autres acteurs tels que les banques, qui ont elles aussi
profité du système, ou les investisseurs, qui ont parfois manqué de discernement
en faisant une confiance aveugle dans les notes qui leur étaient livrées.
Deux événements plus récents sont encore venus compléter les « faits d’armes »
reprochés aux agences de notation. C’est Standard & Poor’s qui est ici, à deux reprises,
montrée du doigt.
Le 5 août 2011 tout d’abord, elle a décidé de dégrader la note de l’État fédéral
américain de AAA à AA+. La décision était dans l’air, justifiée notamment par
l’endettement important des États-Unis et dans un contexte de blocages budgétaires
importants entre la Maison-Blanche et le Congrès. Moins attendue par contre était
l’erreur d’appréciation de 2 000 milliards de dollars commise selon le Trésor
américain par l’agence de notation en ce qui concernait l’évaluation de la dette
publique américaine. Dans son analyse, Standard & Poor’s évaluait à 93 % du PIB
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108
109
N. GAILLARD, « Agences de notation : responsabilité, régulation ou laissez-faire ? », op. cit., p. 165-173.
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 104.
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42 LES AGENCES DE NOTATION
démentie moins de deux heures après par l’agence de notation, a été faite dans
un contexte pré-électoral chargé, où la défense du triple A français était devenu
un enjeu symbolique dans la course à la présidence. Standard & Poor’s a assuré qu’il
s’agissait d’une erreur informatique : la dégradation ne concernait pas la France mais
son système bancaire. La conséquence sur les marchés n’en a pas moins été
immédiate. En fin de séance, l’écart entre les taux à dix ans français et allemand
(le spread) était le plus important enregistré depuis 1990. Si ce jour-là ou ceux qui ont
suivi, la France avait dû se financer via une émission obligataire, l’erreur de Standard
& Poor’s aurait donc pu se révéler très onéreuses pour l’État français. L’Autorité
européenne des marchés financiers mène actuellement l’enquête sur cet incident.
De son côté, la France n’a pas entamé de poursuites. « Y a-t-il eu faute ? », se demande
Édith Weemaels, avocate chez NautaDutilh. « On peut dire que oui, puisqu’il y a eu
un manque de diligence et d’attention. Mais quel est le dommage ? Quelle est la part
de la réaction des marchés dans la perte de valeur qui aurait eu lieu conséquemment ?
C’est très difficile à évaluer. C’est un problème qu’on rencontre dans toutes
les matières financières. Sur les marchés, il n’y a jamais une cause unique à un
événement, il est le résultat d’un panel d’événements. » 110 Le 13 janvier 2012, la France
a finalement bel et bien été dégradée par Standard & Poor’s. Entre-temps, les marchés
ont eu le temps d’anticiper et d’absorber l’information.
Depuis les années 1970, les agences de notation facturent leurs services aux émetteurs
de titres qu’elles notent. C’est le modèle de l’émetteur-payeur. Cela soulève la question
de possibles conflits d’intérêt. Les agences se retrouvent en effet juges et parties,
et certains mettent en doute leur objectivité, partant du principe que la tentation doit
être grande pour elles de surnoter leurs clients.
Certes, les agences défendent le sérieux de leurs analyses en rappelant que seule leur
réputation leur assure la confiance du marché et qu’il ne serait pas dans leur intérêt
d’attribuer des notes par complaisance. Mais toujours est-il que Standard & Poor’s
et Moody’s appliquent, par prudence, une décote aux notations que Fitch Ratings
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110
« Les agences de notation sont dans une zone de non-droit », L’Écho, 11 février 2012.
111
Ce système de décote est appelé notching (cf. E. LÉONARD, « Les agences de notation financière :
des structures essentielles au fonctionnement des marchés financiers », Variances. La revue des anciens
de l’ENSAE, n° 32, décembre 2007, p. 24).
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LES AGENCES DE NOTATION 43
112
Dans son audition devant le Sénat français, Marc Ladreit de Lacharrière (Fitch Ratings) a fait valoir
que contrairement à Standard & Poor’s et Moody’s, son agence ne s’était pas précipitée sans réfléchir
sur le marché juteux des produits structurés et avait au contraire réduit la voilure de moitié entre
113
2000 et 2006 (Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 140).
Audition de la Commission bancaire du Sénat américain consacrée à la crise des subprimes,
114
26 septembre 2009.
P. ARTUS, J.-P. BETBÈZE, C. DE BOISSIEU, G. CAPELLE-BLANCARD et al., La crise des « subprimes », Paris,
La documentation française, 2008 (Les rapports du Conseil d’analyse économique, 78), p. 124.
115
Règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 sur
116
les agences de notation de crédit, Journal officiel de l’Union européenne, 17 novembre 2009, L 302/3.
Annexe I du règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009
117
sur les agences de notation de crédit, Journal officiel de l’Union européenne, 17 novembre 2009, L 302/25.
118
N. GAILLARD, « Agences de notation : responsabilité, régulation ou laissez-faire ? », op. cit., p. 165-173.
P. ARTUS, J.-P. BETBÈZE, C. DE BOISSIEU, G. CAPELLE-BLANCARD et al., La crise des « subprimes », op. cit., p. 123.
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44 LES AGENCES DE NOTATION
Les agences aiment à rappeler que les notations qu’elles émettent ne sont que
des opinions, que les investisseurs et les marchés ont la liberté de suivre ou non.
Moody’s prévient ainsi sur son site Internet que « les notations de crédit sont, non pas
des déclarations de fait ou des recommandations d’acheter, de vendre ou de détenir
des titres, mais des déclarations d’opinion, et elles doivent être considérées comme
telles » 119. Ce terme d’« opinion » est important, car le premier amendement de
la Constitution américaine protège la liberté d’expression.
119
« Credit ratings are, and must be construed solely as, statements of opinion and not statements of fact
or recommendations to purchase, sell or hold any securities » (site Internet www.moodys.com).
120
121
Site Internet www.standardandpoors.com.
122
Site Internet www.moodys.com.
« La finance s’est droguée au triple A », Trends-Tendances, 17 mai 2012.
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LES AGENCES DE NOTATION 45
Les « opinions » émises par les agences n’ont pas été sans conséquence. Or, jusqu’il
y a peu, amener une agence de notation devant la justice semblait mission impossible.
Protégées par le premier amendement de la Constitution américaine, leur
responsabilité ne pouvait être évoquée que si un émetteur parvenait à prouver qu’elles
123
avaient fourni des analyses erronées de manière malveillante ou si un investisseur
établissait une fraude de la part de l’agence (publication d’une opinion dans le but
de tromper les investisseurs) 124. Plus largement, les investisseurs ne peuvent pas,
contrairement aux émetteurs, attaquer les agences sur la base de relations
contractuelles. Ils doivent dès lors prouver qu’ils ont subi un préjudice, que l’agence
a commis des erreurs lors de l’élaboration de sa notation, et qu’il existe un lien entre
la faute commise par l’agence et le préjudice subi par l’investisseur. Le Sénat français
donne une belle illustration des difficultés qu’un investisseur peut rencontrer :
« Si une agence omet d’organiser la rotation de ses analystes, en violation du règlement
européen de 2009, elle commet une faute que le régulateur peut sanctionner. Mais,
encore faut-il prouver que cette faute a influencé la notation précise d’un émetteur.
Enfin, l’investisseur devra prouver que cette notation (erronée) a guidé ses décisions
125
et lui a causé un préjudice. » Très peu d’affaires ont ainsi été menées en justice.
Toutefois, des brèches commencent à se creuser dans cet édifice juridique. Début
octobre 2011 s’est ainsi ouvert un procès opposant treize villes australiennes à Standard
& Poor’s. Elles réclament à l’agence des millions de dollars, car elles estiment avoir
été trompées par les excellentes notes attribuées à des produits financiers s’étant
révélés de très mauvaise qualité 126. C’est la première fois qu’une agence est amenée
à défendre sa notation proprement dite devant un tribunal. Jusqu’alors, chaque fois
qu’une agence avait été attaquée en justice, seule la pertinence d’invoquer ou non
sa responsabilité avait été évoquée.
Aux États-Unis, une décision de justice de septembre 2009 127 a estimé que le premier
amendement ne peut être évoqué lorsque les plaignants sont un petit groupe
d’investisseurs, car l’opinion délivrée par les agences vise alors un groupe restreint
et non le public en général 128. Par ailleurs, avec l’adoption du Dodd-Frank Act,
en juillet 2010, les États-Unis ont reconnu aux agences de notation le statut d’expert
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123
124
Responsabilité dans le cadre d’une relation contractuelle.
Responsabilité délictuelle.
125
126
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 166.
Les treize villes australiennes avaient investi 15 millions de dollars australiens (10,7 millions d’euros)
en 2006 dans des produits dérivés de titres de dette (CDO) auxquels Standard & Poor’s avait attribué
un « AAA » (Le Figaro, 4 octobre 2011). Lors d’une plaidoirie en mars 2012, l’avocat de Standard
& Poor’s a rappelé que les notes ne constituaient qu’un « avis consultatif » et a insisté sur le fait que
les collectivités en question auraient dû lire l’ensemble de l’information financière contenue dans
les documents qui leur avaient été fournis, ce que certaines d’entre elles n’auraient pas fait
(Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 161). Une plainte
similaire a précédemment été déboutée dans l’Ohio.
127
128
Affaire Abu Dhabi Commercial Bank contre Moody’s et Morgan Stanley.
P-H. CONAC, « Une responsabilité juridique inopérante ? », Cahiers de l’évaluation, n° 5 : Notation =
évaluation ?, vol. 2, février 2011, p. 73-79.
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46 LES AGENCES DE NOTATION
dès lors que leur note figure dans le prospectus d’une émission obligataire. Toutefois,
les agences n’ont pas tardé à trouver une parade à cette prise de position légale,
craignant bien entendu une inflation du nombre d’actions intentées à leur égard.
Elles ont tout simplement refusé que leurs notes continuent à être publiées dans
les prospectus. Or, sans mention officielle de la précieuse notation sur le prospectus
d’émission, les émetteurs ont craint de voir le marché du crédit leur fermer des portes.
Ils s’en sont plaints auprès de la SEC et une marche arrière a été opérée sur ce point
du Dodd-Frank Act, les agences remportant donc ce bras de fer d’influence. La volonté
du Congrès américain n’en demeure pas moins de traiter davantage les agences de
notation comme des entités commerciales et, à ce titre, de les empêcher de recourir
systématiquement au premier amendement.
En Europe, la responsabilité civile des agences dépend de la législation nationale
en vigueur, ce qui pousse parfois les agences à choisir une législation plutôt qu’une
autre pour le régime contractuel qu’elles imposent à leurs clients. La question de
la responsabilité civile est en effet cruciale pour les agences car elles considèrent
qu’un système juridique trop « répressif » pourrait fortement entraver leur business.
Le Royaume-Uni privilégie par exemple le principe selon lequel l’acheteur doit être
vigilant, ce qui n’est pas sans plaire aux agences. Le 15 novembre 2011, la Commission
européenne a toutefois émis une série de nouvelles propositions concernant les
agences. Elle a indiqué à cette occasion qu’« une agence de notation doit être tenue
pour responsable si elle enfreint, intentionnellement ou par négligence grave,
le règlement sur les agences de notation, en causant un préjudice à un investisseur qui
s’est fondé sur la note fournie à la suite d’une telle infraction. Ces investisseurs
devraient intenter une action en responsabilité civile auprès des tribunaux nationaux.
129
La charge de la preuve incomberait à l’agence de notation » . Il est en effet difficile
pour le plaignant de démontrer une faute dans le chef d’une agence sans pouvoir
accéder à des données confidentielles relative au fonctionnement interne de celle-ci.
« Bien évidemment, les agences ne sauraient être présumées fautives, sans quoi
leur responsabilité risquerait d’être engagée à tort et à travers. L’investisseur ou
l’émetteur devrait d’abord présenter des éléments suffisamment solides pour établir
que l’agence a peut-être commis une faute. Il reviendrait alors à cette dernière
de prouver que ce n’est pas le cas. » 130
Ces nouvelles dispositions font partie d’un projet de règlement européen actuellement
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129
Commission européenne, La Commission veut des notations de crédit de meilleure qualité,
130
communiqué de presse, IP/111/1355, 15 novembre 2011, www.europa.eu.
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 171.
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LES AGENCES DE NOTATION 47
Vous ne savez pas si la méthode de notation a été la bonne, comment les calculs ont
été faits, combien de temps l’analyste a réellement passé sur sa notation… Ça fait
beaucoup d’inconnues » 131. Devant ces difficultés manifestes à mettre en cause
la responsabilité juridique des agences, Norbert Gaillard propose une autre voie :
l’obligation de publier le plus largement possible, via par exemple la presse
économique, aux frais de l’agence, les infractions qui seraient relevées par l’AEMF 132.
Outre les actions en justice, les agences font également l’objet depuis peu d’une série
d’enquêtes. Selon la presse américaine, le New York Times en tête, le Département
de la Justice américaine aurait ainsi ouvert une enquête concernant les notes attribuées
par Standard & Poor’s et Moody’s à des actifs adossés à des prêts immobiliers
responsables de la crise financière de 2008.
Comme précédemment évoqué, l’Autorité européenne des marchés financiers mène
également une enquête sur l’annonce erronée de la dégradation de la France en
novembre 2011.
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131
132
« Les agences de notation sont dans une zone de non-droit », L’Écho, 11 février 2012.
N. GAILLARD, Remettre la notation financière à sa juste place, op. cit., p. 47.
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4. LES RÈGLES S’APPLIQUANT AUX AGENCES
DE NOTATION
Jusqu’il y a peu, les grandes agences de notation prônaient avec force les vertus
de l’auto-régulation, garante de leur indépendance et, selon elles, de la qualité des
notes qu’elles attribuent. Mais sous le poids des critiques toujours plus nombreuses,
elles ont dû peu à peu renoncer à cette auto-régulation pure et simple. Même si
le processus d’encadrement de l’activité des agences a été entamé tardivement
et timidement, il semble s’être accéléré ces dernières années. Depuis quelques temps
déjà, l’idée d’une réglementation plus contraignante appliquée aux agences de
notation fait son chemin de part et d’autre de l’Atlantique.
Jusque tard dans le XXe siècle, les agences de notation n’ont été soumises à aucune
obligation réglementaire aux États-Unis (et, partant, dans le monde). La première
contrainte leur a été fixée par la SEC en 1975, et la première loi américaine
les concernant date de 2006.
CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 49
Les conditions d’attribution de ce label seront toutefois jugées trop peu explicites
et une série de critères d’attribution seront proposés en 1997 par la SEC, sans aboutir
toutefois à une réglementation officielle 133. Celle-ci ne verra le jour qu’en 2006,
avec l’adoption par le Congrès américain du Credit Rating Agency Reform Act
(cf. infra).
133
United States Securities and Exchange Commission, Report on the Role and Function of Credit Rating
134
Agencies in the Operation of the Securities Markets, janvier 2003, p. 9-15.
Technical Committee of the International Organization of Securities Commissions, Code of Conduct
Fundamentals for Credit Rating Agencies, décembre 2004.
135
En anglais, International Organization of Securities Commissions (IOSCO). Cet organisme regroupe
136
les régulateurs des principales bourses dans le monde.
Postérieurement à la signature, en septembre 2006, du Credit Rating Agency Reform Act, la SEC
a adopté une série de règles destinées à mettre en œuvre cette loi, dont les dernières ont été publiées
137
en juin 2007, et qui révisent les dispositions du Securities Exchange Act de 1934.
Cf. le site Internet www.sec.gov.
CH 2156-2157
50 LES AGENCES DE NOTATION
celui-ci est délivré à des agences de notation actives depuis au moins trois années
consécutives avant leur demande d’agrément, dont la qualité des notations est
reconnue par les grands investisseurs institutionnels des États-Unis et qui sont
enregistrées auprès de la SEC. Pour procéder à cet enregistrement, la SEC réclame
aux agences certaines informations sur leur structure organisationnelle et sur
l’utilisation faite des données confidentielles. Les bénéficiaires du titre doivent
également communiquer désormais à la SEC des informations concernant leurs
procédures et méthodologies ainsi que des données statistiques relatives à la robustesse
des notations (taux de défaut, historiques de dégradations de notes, etc.). Tout conflit
d’intérêt susceptible d’exister au sein d’une agence doit également être communiqué
à la SEC. Le 27 septembre 2007, celle-ci a formellement reconnu sept agences en tant
que NRSRO. Elles sont aujourd’hui au nombre de dix 138.
Peu de temps après l’adoption du Credit Rating Agency Reform Act, qui permet à
la SEC d’exiger des agences un certain nombre d’informations sur leur activité, la crise
des subprimes et ses répercussions sur la sphère économique mondiale relancent
le débat autour de l’encadrement accru des agences de notation. C’est dans ce contexte
difficile que la SEC adopte, début 2009, de nouvelles mesures réformant le cadre
législatif en place. L’objectif est clair : renforcer à la fois la responsabilité des agences,
la transparence des informations et la concurrence dans l’industrie de la notation 139.
Par là, la SEC entend notamment introduire davantage de transparence dans la notation
des produits structurés. Souvent par le passé en effet, les investisseurs n’ont pas fait
preuve de suffisamment de vigilance et se sont fiés à des notations qui ont l’avantage
de rester simples pour évaluer ces produits pourtant extrêmement complexes. Selon
les nouvelles règles édictées par la SEC, les agences habilitées NRSRO doivent
désormais publier un rapport sur les spécificités du risque lié aux produits structurés
et sur les procédures et méthodologies de notation qui s’y rapportent. Une alternative
leur est toutefois offerte : celle d’utiliser un symbole propre à la notation de
ces produits structurés, les différenciant des autres types de notation.
Grâce à plusieurs mesures, la SEC s’attaque également au problème des conflits
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138
A.M. Best Company, Inc. ; DBRS Ltd. ; Egan-Jones Rating Company ; Fitch, Inc. ; Japan Credit
Rating Agency, Ltd. ; Kroll Bond Rating Agency, Inc. ; Moody’s Investors Service, Inc. ; Rating and
Investment Information, Inc. ; Realpoint LLC ; Standard & Poor’s Ratings Services.
139
I. TCHOTOURIAN, La réponse de la Securities and Exchange Commission au risque de marché :
l’encadrement de la notation (Université de Montréal, Centre de droit des affaires et du commerce
international, Travaux et publications), 2009, https://papyrus.bib.montreal.ca.
CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 51
Tout ceci n’empêche toutefois que des critiques subsistent à l’égard des agences
de notation : manque de concurrence entre agences, absence de contrôles, opacité
entourant les critères de notation, etc.
140
141
Du nom des deux députés américains qui ont inspiré cette loi : Chris Dodd et Barney Frank.
Autorité des marchés financiers, Rapport 2009 de l’AMF sur les agences de notation, Paris, 9 juillet 2010.
CH 2156-2157
52 LES AGENCES DE NOTATION
ses analystes. À l’exception de ceux travaillant sur les produits structurés, ces analystes
ne peuvent exercer leurs fonctions pour un même émetteur pendant plus de cinq
années consécutives. L’objectif est de diminuer les soupçons de connivence entre
analystes et émetteurs.
Accusées d’avoir dégradé trop tard la note des produits structurés incorporant
des prêts hypothécaires douteux aux États-Unis, les trois grandes agences indiquent
avoir renforcé, dès 2007, les effectifs chargés de la surveillance des notations et avoir
développé de nouveaux modèles et outils sur le segment des produits structurés.
Début 2010, les trois grandes annoncent également leur intention de se conformer
aux exigences réglementaires en ajoutant aux notes de produits de financement
structurés un symbole (« SF » ou « sf » selon les agences) qui les distingue des notes
attribuées à d’autres types de produits. Auparavant en effet, un triple A attribué à
un produit structuré équivalait en termes de risques, du point de vue de l’investisseur,
à un triple A accordé à une obligation d’État. La complexité inhérente aux produits
structurés ne permet pourtant pas cette équivalence.
Au cours des Conseils européens des 20 juin et 16 octobre 2008, il est décidé
de procéder à l’élaboration d’une proposition législative pour renforcer les règles qui
s’appliquent aux agences de notation et à leur surveillance au niveau communautaire.
Sur cette base, et grâce aux travaux du groupe d’experts présidé par J. de Larosière,
l’Union européenne adopte le 16 septembre 2009 un règlement mettant en place
142
La CBFA a été remplacée, avec la loi du 2 juillet 2010 et l’adoption du modèle de contrôle twin peaks,
par l’Autorité des services et marchés financiers (FSMA). Certaines activités ont également été
attribuées à la Banque nationale de Belgique (BNB).
CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 53
143
un nouveau cadre européen de supervision des agences de notation . En vigueur
à partir de décembre 2010, il sera amendé en mai 2011.
La supervision des agences de notation est confiée à l’Autorité européenne des marchés
financiers (AEMF), qui remplace le Comité des régulateurs européens (CESR).
Cette institution est l’une des trois nouvelles autorités de supervision européennes
instaurées dans le cadre du Système européen de surveillance financière (avec
l’Autorité bancaire européenne et l’Autorité européenne des assurances et des pensions
professionnelles).
er
Depuis le 1 juillet 2011, date de son entrée en fonction, l’AEMF certifie et supervise
les agences de notation pour l’Europe, en collaboration avec les instances de
144
supervision des États membres . La mission de l’AEMF est triple : enregistrer
les agences, mener des investigations au sein de celles-ci et centraliser les informations
qu’elles doivent lui fournir. Au 30 juillet 2012, une trentaine d’agences ont reçu
une accréditation de l’AEMF, dont Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings 145.
Une procédure allégée d’enregistrement est prévue pour les agences de moins
de cinquante salariés. Parmi les agences enregistrées par l’AEMF, seules les trois
grandes sont reconnues comme « organismes externes d’évaluation de crédit »
(OEEC) – organismes compétents pour évaluer les actifs sur la base des règles définies
pour la régulation bancaire –, mais ce point est actuellement discuté dans le cadre
du nouveau règlement européen sur les agences de notation (cf. infra).
Selon le rapport publié en juin 2012 par le Sénat français, on comptait à la fin
de l’année 2011, au sein de l’AEMF, douze équivalents temps plein (en plus du chef
d’unité et de son assistante) pour superviser les agences de notation européennes.
L’objectif est d’atteindre vingt équivalents temps plein, ce qui est également l’effectif
prévu par la loi Dodd-Frank pour l’Office of Credit Ratings. Le budget annuel
consacré à la supervision des agences s’élève pour l’AEMF à 3 millions d’euros
en 2011. Les frais liés à leur surveillance sont supportés par les agences, du moins
par les grandes afin de ne pas imposer aux plus petites une nouvelle barrière à l’entrée
sur le marché.
L’accréditation de l’AEMF est soumise au respect d’une série de règles 146 : les intérêts
commerciaux de l’agence ne peuvent faire obstacle à la garantie d’indépendance de
ses analyses 147 ; l’expérience et la qualification de ses analystes doivent être reconnues ;
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143
Règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 sur
144
les agences de notation de crédit, Journal officiel de l’Union européenne, L 302, 17 novembre 2009.
L’AEMF n’en est toutefois pas moins juridiquement responsable de l’enregistrement et de la surveillance
145
des agences de notation.
Celles-ci apparaissent sous le nom de leurs différents bureaux européens et n’ont été enregistrées
que le 31 octobre 2011 après pas moins de quatorze mois de procédure. La liste des agences
146
accréditées par l’AEMF est disponible sur le site Internet www.esma.europa.eu.
Annexe II du règlement (UE) n° 513/2011 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2011
modifiant le règlement (CE) n° 1060/2009 sur les agences de notation de crédit, Journal officiel
147
de l’Union européenne, L 145, 31 mai 2011.
Les analystes ne peuvent pas se voir confier des fonctions commerciales (négociation tarifaire avec
les clients).
CH 2156-2157
54 LES AGENCES DE NOTATION
148
Règlement délégué (UE) n° 449/2012 de la Commission du 21 mars 2012 complétant le règlement
(CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil par des normes techniques de réglementation
concernant les informations à fournir par les agences de notation de crédit en vue de leur
enregistrement et de leur certification, Journal officiel de l’Union européenne, L 140, 30 mai 2012.
149
Fitch Ratings aurait ainsi été contrainte, pour obtenir sa licence, de nommer en dernière minute
150
un administrateur indépendant disposant d’une bonne connaissance de la titrisation.
Règlement délégué (UE) n° 447/2012 de la Commission du 21 mars 2012 complétant le règlement
(CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil par des normes techniques de
réglementation aux fins de l’évaluation de la conformité des méthodes de notation de crédit, Journal
officiel de l’Union européenne, L 140, 30 mai 2012.
CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 55
Le règlement européen de 2009 prévoit que l’AEMF conduise une enquête auprès
er
de chaque agence avant le 1 juillet 2014.
Steven Maijoor, président de l’AEMF, commentait en novembre 2011 : « Je m’attends
à ce que nous ayons conduit des inspections sur place pour toutes les grandes agences
de notation d’ici à la fin de l’année. À partir de ce travail, nous comptons publier
er
notre premier rapport aux alentours du 1 avril prochain. (…) Si nous trouvons des
infractions mineures, nous pouvons donner des instructions à l’agence de notation
concernée. Si l’infraction est plus sérieuse, nous pouvons demander à l’agence
d’arrêter la notation d’une entité pour quelque temps, prononcer une amende,
151
pouvant aller jusqu’à 750 000 euros , voire, dans le pire des cas, retirer la licence.
(…) Je pense que la réglementation actuelle représente déjà une avancée spectaculaire
par rapport à la situation de dérégulation complète que nous avions avant la crise.
(…) Je suis convaincu que ces nouvelles exigences réglementaires contribueront
à améliorer le niveau du secteur et celui de ses notations. Cela prend toujours un peu
de temps avant qu’une industrie ne change. » 152
Le premier rapport de l’AEMF sur le sujet a été publié le 22 mars 2012. Dans celui-ci,
l’agence explique qu’elle a donné la priorité aux investigations concernant les trois
plus grandes agences enregistrées, à savoir Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch
Ratings. Ces contrôles, effectués sur place, donnent lieu à quelques observations.
L’AEMF déplore ainsi que certaines parties du processus interne de notation, comme
le travail effectué au sein du comité de notation (discussions et votes), ne soient pas
l’objet d’un compte rendu systématique. Elle estime également que les membres de
ce comité de notation devraient bénéficier d’un laps de temps plus long pour étudier
les documents qui sont portés à leur connaissance pour exprimer leur vote lors
de la notation. Compte tenu de la complexité croissante qui caractérise les marchés
financiers, l’AEMF préconise également, même si elle estime que les agences ont déjà
fait des efforts dans ce sens, d’accroître le personnel des agences et son expertise.
Enfin, l’AEMF enjoint les agences de clarifier leur méthodologie et de regrouper
tous les critères pertinents dans un seul document exposant la méthodologie générale.
À ce stade, l’AEMF n’a pas encore déterminé si ces observations font figure de
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Le 15 novembre 2011, quelques jours après l’« erreur » de Standard & Poor’s,
dégradant la note de la France avant de se rétracter, la Commission européenne
151
Le montant maximal de l’amende ne peut excéder 20 % du chiffre d’affaires d’une agence pour
152
l’année antérieure.
« Nous inspectons les grandes agences de notation », Les Échos, 2 novembre 2011, www.lesechos.fr.
CH 2156-2157
56 LES AGENCES DE NOTATION
a édicté une série de mesures nouvelles qui sont actuellement débattues au Parlement
européen et au Conseil. C’est un nouveau tour de vis que Michel Barnier, commissaire
européen chargé du Marché intérieur, souhaite imposer aux agences. Les grands axes
153
de cette nouvelle proposition de réglementation sont les suivants :
- afin d’empêcher les établissements financiers de se fier exclusivement et
aveuglément aux notations de crédit pour leurs investissements, une obligation
générale serait imposée aux investisseurs d’effectuer leurs propres évaluations
de crédit ;
- les agences de notation devraient transmettre leurs notations à l’AEMF,
laquelle veillerait à mettre gratuitement à la disposition des investisseurs
toutes les notations disponibles pour un instrument de créance donné, sous
la forme d’un indice européen de notation (EURIX). L’objectif de la Commission
est ici de mettre en valeur le travail des petites agences ;
- les États membres seraient notés plus fréquemment (tous les six mois au lieu
de douze). Pour éviter toute désorganisation des marchés, les notations
souveraines ne seraient publiées qu’après la clôture des marchés de l’Union
européenne, et au moins une heure avant leur ouverture. Michel Barnier
a également annoncé que les gouvernements concernés seraient avertis 24 heures
avant publication de la note afin qu’ils puissent réagir le cas échéant ;
- les émetteurs auraient l’obligation de changer tous les trois ans l’agence qui
les note. Cette mesure aurait pour objectif de favoriser la concurrence sur
le marché de la notation ;
- deux notations provenant de deux agences différentes seraient requises pour
les instruments financiers structurés complexes ;
- la responsabilité civile des agences de notation devrait, comme indiqué supra,
pouvoir être évoquée : « La Commission propose, en cas d’infraction
intentionnelle, ou par négligence grave, aux obligations qui découlent du
règlement sur les agences de notation, d’ouvrir la possibilité de former
un recours en responsabilité civile en cas de préjudice causé par cette
infraction au cas où l’infraction en question a influencé la notation de crédit
à laquelle un investisseur se serait fié. » Les règles du droit civil applicables
seraient celles du pays dans lequel l’investisseur résidait au moment du
préjudice 154.
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153
Commission européenne, La Commission veut des notations de crédit de meilleure qualité,
154
communiqué de presse, IP/111/1355, 15 novembre 2011, www.europa.eu.
Parlement européen, Commission européenne des affaires économiques et monétaires, Réforme des
155
agences de notation : réglementer la notation des dettes souveraines, communiqué de presse, 19 juin 2012.
En écho à l’annonce de la dégradation de la note attribuée à la Grèce, tombée à peu de choses près
au même moment que l’annonce du plan de soutien à ce pays.
CH 2156-2157
LES AGENCES DE NOTATION 57
156
ou à la Banque centrale européenne . D’autres estiment qu’une interdiction de noter
les États profitant d’une aide renforcerait la défiance des investisseurs à leur égard.
L’idée d’empêcher les grandes agences de notation de reprendre des concurrents
de taille plus modeste a quant à elle été purement abandonnée ; le projet a été jugé
incompatible avec les règles européennes sur la concurrence.
Un processus en cours
156
« Gianni Pittella : Les notations souveraines doivent être émises par la BCE ou la Cour des comptes »,
157
www.euractiv.com, 7 décembre 2011.
Avis du Comité économique et social européen sur la proposition de règlement du Parlement
européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1060/2009 du 16 septembre 2009 sur
les agences de notation de crédit, COM(2011) 747 final – 2011/0361 (COD), Journal officiel
de l’Union européenne, C 181, 21 juin 2012.
158
« Les parlementaires européens renoncent à rendre obligatoire la rotation des agences de notation »,
159
La Tribune, 19 juin 2012.
Sénat [France], Agences de notation : pour une profession réglementée, op. cit., p. 210.
CH 2156-2157
58 LES AGENCES DE NOTATION
L’arsenal législatif européen s’est donc fortement étoffé ces dernières années. Xavier
Dieux, professeur de droit à l’ULB, parle même d’une « tendance à l’hyperrégulation
des agences de notation. D’une auto-régulation à une réglementation supra-étatique
contraignante, les agences de notation sont sans doute devenues les acteurs du monde
financier les plus strictement contrôlés ». Il prend pour exemple la responsabilité civile
des agences, qu’il sera possible d’invoquer en cas de faute grave, ou encore les
73 infractions possibles et sanctionnables par l’AEMF listées dans les annexes
du règlement européen de 2009. Dans les deux cas, Xavier Dieux souligne
qu’apparaissent des problèmes d’interprétation 161.
Il est également important de rappeler que cette logique de contrôle s’oppose à la
nature même de ces agences de notation, qui restent des entités privées et commerciales.
Le règlement européen de 2009, notamment en son article 23, ne permet pas à l’AEMF,
à la Commission, ni à aucune autorité publique d’un État membre d’interférer avec
le contenu des notations de crédit ou avec les méthodes appliquées.
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160
Parlement européen, Commission européenne des affaires économiques et monétaires, Réforme des
161
agences de notation : réglementer la notation des dettes souveraines, communiqué de presse, 19 juin 2012.
« Agences de notation : la solution se trouverait dans les banques », L’Écho, 29 mars 2012.
CH 2156-2157
CONCLUSION
Depuis une dizaine d’années, les critiques pleuvent à l’égard des agences de notation,
et en particulier à l’égard des trois plus grandes d’entre elles au plan international :
Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings. La notation souveraine, visant les États,
déclenche en particulier l’émotion. Dans la presse, les décisions prises par les mandataires
politiques semblent suspendues aux menaces de dégradation des notes souveraines
par les trois principales agences. Dans l’imaginaire collectif, il n’en faut pas plus pour
que ces entités privées soient souvent perçues comme exerçant une véritable dictature
sur les politiques nationales et européennes (voire comme le bras droit des États-Unis
en Europe). « Promptes à jouer la surenchère », « attentistes », « dictatrices »,
« inutiles », etc., les qualificatifs qui leur sont donnés ne manquent pas et s’adaptent
au gré des situations. Certains médias leur attribuent des « superpouvoirs », quand
d’autres les traitent de pyromanes.
Les scandales financiers du début des années 2000 (Enron, Worldcom, Parmalat) et
la crise des subprimes de 2007 ont particulièrement mis en lumière les limites et les
faiblesses des agences de notation. Dans les deux cas, les agences étaient tributaires
d’informations externes qu’elles ne maîtrisaient pas : les renseignements sur lesquels
elles avaient dû s’appuyer étaient entachés de fraude ou trop complexes pour être
réduits à une simple notation. Dans le cas des subprimes, les moyens humains
et l’expertise nécessaire pour faire face à la complexité croissante qui caractérise
la sphère financière n’ont pas suivi, sacrifiés au profit d’une logique commerciale
des plus discutables compte tenu des conséquences. D’autant que les agences étaient
amenées à conseiller les institutions financières sur des produits qu’elles allaient
ensuite noter, ce qui n’allait pas sans poser la question de potentiels conflits d’intérêt.
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CH 2156-2157
60 LES AGENCES DE NOTATION
162
« Les législateurs européens mettent l’UE en garde contre l’interdiction des notations souveraines »,
er
www.euractiv.com, 1 mars 2012.
CH 2156-2157
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