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LES PRINCIPAUX OBSTACLES AU DÉVELOPPEMENT DU PETIT

ENTREPRENEURIAT EN FÉDÉRATION DE RUSSIE : L'AVIS DES


ENTREPRENEURS

Dimitri Kisline

De Boeck Supérieur | « Innovations »

2007/2 n° 26 | pages 95 à 108


ISSN 1267-4982
ISBN 2804153526
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-innovations-2007-2-page-95.htm
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LES PRINCIPAUX OBSTACLES
AU DÉVELOPPEMENT
DU PETIT ENTREPRENEURIAT
EN FÉDÉRATION DE RUSSIE :
L’AVIS DES ENTREPRENEURS
Dimitri KISLINE
Centre de Recherche en Economie et Management
UMR CNRS C6211
dimitri.kisline@univ-angers.fr

INTRODUCTION
La petite entreprise est devenue une partie indissociable de l’économie des
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pays développés. Elle remplit un certain nombre de fonctions socio-écono-
miques telles que : création d’emploi, soutien de l’innovation, amélioration
de la concurrence et diminution de l’inégalité sociale entre autres. On peut
dire que le small business en Russie est né grâce aux réformes. Sa naissance
date du 18 juillet 1991, jour de la parution de l’arrêté N406 du gouverne-
ment de la Fédération de Russie. « Sur le soutien et le développement des
petites entreprises dans la Fédération de Russie » qui a défini les critères des
PE ainsi que les conditions générales de leur fonctionnement.
De nos jours les questions liées au développement du petit entrepreneu-
riat russe sont au cœur de nombreuses études, même si l’analyse statistique de
ce secteur présente plusieurs difficultés (données officielles peu probantes,
manque d’informations sur les entrepreneurs individuels sans personnalité
morale, etc.). En outre, les données statistiques sur les petites entreprises
sont très contrastées et varient sensiblement d’une source à l’autre en raison
notamment de l’utilisation de pratiques statistiques différentes. Quoi qu’il en
soit, on s’accorde généralement sur le fait que le secteur des petites entrepri-
ses et des entreprises individuelles sans personnalité morale s’est accru con-
sidérablement et assez rapidement au début des années 1990. Dans la deuxième
moitié de la décennie 1990, le secteur a stagné, voire accusé un léger recul. Le

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nombre des petites entreprises a légèrement augmenté au début de la décennie


suivante pour atteindre en 2003 891 000 petites entreprises à personnalité
morale et 4,7 millions d’entrepreneurs individuels. (2) 1 Pourtant, selon cer-
tains experts, le marché russe est capable de « digérer » un nombre plus impor-
tant de PE, ce qui fait penser que ce secteur n’a pas encore épuisé son potentiel
de développement.
Le présent article est consacré à l’analyse des obstacles qui se dressent
devant les petits entrepreneurs, vus par ces derniers. Trois groupes d’obsta-
cles majeurs seront évoqués. Les premiers sont ceux posés par l’État, les
deuxièmes par l’infrastructure bancaire et les troisièmes par les ressources
humaines. La plupart des données, qui sont à la base de l’analyse, provien-
nent d’une série d’entretiens individuels semi directifs, réalisés en Russie
entre 2003-2005 auprès de petits entrepreneurs. Tous les entrepreneurs de
l’échantillon sont issus des petites et moyennes villes de la Russie centrale.
Leurs entreprises opèrent dans divers secteurs (industrie, commerce, secteur
tertiaire). Toutefois, l’analyse ne prend pas en compte les fermiers indivi-
duels, le monde rural, qui représente un milieu à part, et pour cette raison a
été volontairement exclu du présent travail. L’objectif du document n’étant
pas de donner une liste exhaustive des maux dont souffre le petit entrepre-
neur russe, seuls les principaux obstacles (qui sont cités par les deux tiers de
l’échantillon) sont examinés plus loin.
Malgré les programmes d’aide aux petits entrepreneurs, élaborés par le gou-
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vernement russe depuis 1995, à l’heure actuelle tous les problèmes auxquels
est confrontée la petite entreprise n’ont pas été résolus. Nous pensons que les
principaux obstacles, qui entravent le développement de la petite entreprise
en Russie, peuvent être divisés en trois groupes : ceux qui résultent des rela-
tions entre entrepreneurs et État, ceux qui touchent aux finances de l’entreprise
et ceux qui concernent le personnel. En fait, les problèmes des entrepreneurs
russes sont similaires à ceux que connaissent les petites entreprises des autres
pays. Pourtant ils peuvent revêtir une importance particulière en Russie.

PROBLÈMES LIÉS AUX RELATIONS


ENTRE L’ÉTAT ET L’ENTREPRENEUR
Ce groupe renvoie aux « obstacles administratifs » qui sont posés aux entre-
preneurs par les pouvoirs publics. Ce terme sous entend « des difficultés parti-
culières du développement des affaires en Russie, qui résultent des mécanismes
de régulation et de contrôle étatiques imparfaits ou bien du fait que certains
1. Les numéros entre parenthèses correspondent aux références bibliographiques regroupées à la
fin de cet article.

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organismes / fonctionnaires lèsent en toute conscience les intérêts des petits


entrepreneurs ». (8) Pour les entrepreneurs, les obstacles administratifs sont
liés à l’activité des organismes d’État qui ont à leur charge l’immatriculation
de nouvelles entreprises, la délivrance de licences pour certaines activités
entrepreneuriales, la certification de produits et services et qui ont le droit
de contrôler les entreprises.
Il est à noter que les obstacles administratifs ont toujours existé et ont ac-
compagné l’évolution de l’entrepreneuriat dès son apparition à la fin des années
1980 jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, un des entrepreneurs de notre échantillon se
rappelle bien le mal qu’il a eu pour enregistrer son entreprise de BTP auprès de
l’État à la fin des années 1980. La commission de la municipalité, composée
de « communistes endurcis », qui examinait sa demande a refusé d’enregis-
trer l’entreprise au simple prétexte que la ville « n’a plus besoin d’entreprises
de BTP ». La formulation du refus ne correspondait à aucun texte législatif
et l’entrepreneur en question a porté plainte contre l’administration munici-
pale de cette petite ville de province. En fin de compte et malgré les difficul-
tés pour trouver un avocat, car personne n’osait encore s’attaquer au pouvoir,
il a gagné ce procès. (19) Nous analyserons ci-dessous les principales raisons
qui expliquent l’émergence des obstacles administratifs.

Une législation compliquée et changeante


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L’un des principaux reproches adressés à l’État par les entrepreneurs con-
cerne l’extrême complexité de la législation qui régit l’entrepreneuriat, ainsi
que le caractère fluctuant des normes et des exigences imposées par l’État
aux entrepreneurs. Par exemple, au cours de la deuxième moitié des années
1990, la taxation des petites entreprises était extrêmement complexe et sur-
tout très changeante. De l’aveu d’un entrepreneur individuel de notre échan-
tillon, qui a voulu créer une entreprise commerciale avec un statut de personne
morale en 1993 : « … les règles de comptabilité étaient tellement compli-
quées et les impôts tellement élevés qu’il n’y avait pas de possibilité de tra-
vailler de façon honnête ». (25) En 1996, environ 120 actes législatifs
régulaient l’impôt sur le revenu des petites entreprises et 100 autres concer-
naient la taxe à valeur ajoutée. Conséquence de cette situation : même les
micro entreprises était obligées d’employer un comptable à temps plein qui
avait pour tâche de suivre l’évolution de la législation fiscale et d’y adapter
la comptabilité de la société. De plus, jusqu’en 1991 l’entrepreneur était pris
dans l’étau de la législation soviétique et des lois de la République de Russie,
qui existaient en parallèle et étaient souvent différentes. Depuis, le Minis-
tère des Impôts s’est efforcé d’améliorer le système de taxation des PE. Le
nouveau système devient une réalité avec l’introduction d’un impôt unique

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simplifié sur le revenu et d’un impôt unique sur le revenu imputé, qui l’ont
rendu plus transparent et plus efficace. Les entrepreneurs qui en bénéficient
avouent échapper à la complexité habituelle d’obligations comptables et
d’impôts multiples.
Or, selon certains entrepreneurs enregistrer une entreprise de produc-
tions dotées de la personnalité morale et créée ex-nihilo demeure une procé-
dure très complexe. Une femme-entrepreneur que nous avons interviewée,
se plaint de la difficulté et du coût exorbitant pour l’obtention de licences.
Afin d’obtenir une licence pour l’utilisation de l’eau, elle a dû d’abord aller
chercher des rapports d’expertise dans deux organismes, ce service n’étant
pas gratuit, et dû payer ensuite pour la licence proprement dite. Cette femme
conclut que beaucoup d’organismes vivent tout simplement aux dépens du
producteur, parce que ce dernier doit produire un grand nombre de docu-
ments qu’il doit payer, avant de pouvoir commencer à travailler. (18) La
complexité législative complique l’organisation et la gestion des affaires. Par
exemple, avant 2001 de nombreux petits entrepreneurs organisaient leurs
sociétés en deux entreprises (une entreprise individuelle et une SARL).
Avant le 1er janvier 2001, les entrepreneurs individuels ne payaient pas de
TVA et ne délivraient pas de facture pour leurs services et produits. Cela
veut dire que les personnes morales qui leur achetaient ces services et pro-
duits, et qui payaient la TVA, ne pouvaient pas faire figurer la TVA d’entrée
dans leurs bilans comptables. Donc, elles préféraient travailler uniquement
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avec les personnes morales afin de se faire rembourser la taxe à valeur ajoutée
par la suite. Les produits et services achetés aux entrepreneurs individuels
leur revenaient plus chers. En outre, souvent dans le schéma en question
l’entreprise individuelle utilisait le système de l’impôt unique sur le revenu
imputé, tandis que la SARL était soumise à l’impôt unique simplifié sur le
revenu. Ceci parce qu’avant mai 2004, les entreprises qui payaient l’impôt
simplifié sur le revenu pouvaient effectuer et accepter seulement des paie-
ments scripturaux et ne pouvaient pas travailler avec les personnes physi-
ques. Donc, les commandes des personnes physiques passaient par l’entreprise
individuelle et celles des personnes morales étaient traitées par la SARL.
De l’avis des entrepreneurs, cette complexité de la base législative ne sert
à rien, puisque comme nous l’a affirmé l’un d’eux : « En Russie, nous avons
beaucoup de lois qui marchent et qui ne marchent pas, chaque loi en cache
une dizaine d’autres. Mais si l’entrepreneur est juridiquement calé, il trou-
vera toujours le moyen de la contourner. Le plus simple est de s’entendre
avec le fonctionnaire. » (13)
A côté de la complexité de la législation, les petits entrepreneurs russes
déplorent souvent son instabilité. Les normes et les règlements changent
constamment et peuvent être modifiées du jour au lendemain, à tel point

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Les principaux obstacles au développement...

que les entrepreneurs avouent ne plus comprendre ce que l’État attend


d’eux. À titre d’exemple, je citerai une situation réelle qui est arrivée dans
une petite ville de province. Le juriste de la municipalité est remplacé par un
nouveau. Ce dernier décide que tout ce qu’a fait son prédécesseur est de tra-
vers. Il modifie entre autre le modèle du contrat de travail, donc les entrepri-
ses de la ville doivent en tenir compte. L’entrepreneure qui a raconté cette
histoire, a souligné le fait que cette modification n’apportait rien. Pour elle
le jeune fonctionnaire a surtout voulu montrer son pouvoir et sa maîtrise de
la situation, mais n’a fait qu’empêcher les gens de travailler. (11)
Plus graves encore sont les nouvelles normes, introduites avec effet rétroac-
tif. Les entrepreneurs se souviennent encore de la formation des fonds de la
retraite, lorsque la loi en question a été votée au mois de février, mais est
entrée en vigueur le 1er janvier de la même année. Beaucoup d’entrepreneurs
n’avaient pas les moyens financiers disponibles pour satisfaire à la nouvelle
exigence et acquitter le montant dû pour deux mois en même temps. Ceux
qui manquaient involontairement à leurs obligations étaient soumis à de
lourdes amendes. Enfin, certaines normes utiles aux entrepreneurs ne sont
pas encore élaborées. Par exemple, l’installation d’un solarium vertical a
donné des soucis à l’une des entrepreneures que nous avons interviewées. Le
contrôleur, venu sur le site de l’entreprise, a estimé que la pièce, où était ins-
tallé le solarium, manquait de surface, parce que les actes normatifs ne font
pas de distinction entre les modèles horizontaux et verticaux de cet engin.
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Même si cette femme travaille pour le moment, elle craint qu’un jour Moscou
n’élabore des normes nouvelles qui tiendront compte des différents modèles,
auquel cas son solarium risque de ne pas y être conforme. (10)

Manque d’informations
Outre la législation compliquée et changeante, beaucoup d’entrepreneurs
déplorent le manque crucial d’informations sur leur droits et obligations sur-
tout en matière de taxation. L’insuffisance d’informations sur les impôts, la
façon dont ils sont calculés et la documentation à présenter aux fonctionnai-
res du fisc représente un problème majeur pour plusieurs entrepreneurs de
notre échantillon. Ainsi, une entrepreneure de Nižnij Novgorod, Elena L., qui
gère un magasin de cadeaux, a-t-elle raconté son embarras avec l’impôt uni-
que sur le revenu imputé. Dans son cas il est calculé sur la base de la surface
de vente du magasin. Ce volume est multiplié par le coefficient de la rue
dans laquelle se trouve l’entreprise. Or, elle n’arrive pas à savoir si la surface
sous la caisse et celle des couloirs sont considérés comme faisant partie de la
surface de vente. Cette femme conclut que même si les entrepreneurs sont
aujourd’hui prêts à respecter les normes, ils ne les connaissent souvent pas.
(10) Un autre exemple concerne un salon de coiffure voisin du magasin

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d’Elena. La propriétaire du salon a cherché pendant longtemps à savoir si


l’impôt sur le revenu imputé au salon doit être calculé en fonction du nom-
bre des travailleurs, agent de propreté inclus, ou du nombre de fauteuils seu-
lement. Personne, y compris les agents du fisc, n’a pu répondre clairement à
cette question. (10)
Certains entrepreneurs avouent qu’ils apprennent toutes les nouveautés
dans les files d’attente à l’Inspection fiscale, puisque les fonctionnaires du
fisc sont inabordables et ne répondent à aucune question. Il semble que ces
derniers laissent sans réponse les demandes d’information et les demandes de
rendez-vous. En même temps, comme l’a précisé une autre entrepreneure de
Nižnij Novgorod, lorsqu’elle n’était pas au courant d’une nouvelle règle,
faute d’information, et manquait involontairement à ses obligations, l’ins-
pection lui infligeait toujours une amende. (15) Les informations qui man-
quent ne concernent pas uniquement la taxation. Ainsi, le propriétaire
d’une entreprise de BTP s’est-il plaint de l’imprécision dans la définition des
catégories de complexité des travaux de construction. La législation en pré-
voit deux catégories. Or, personne, même les professeurs d’une Académie
d’architecture, auxquels il a posé la question, n’a pu lui apporter une réponse
claire et nette. (19)

Relations informelles et corruption


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La corruption est l’une des causes majeures de l’existence de barrières admi-
nistratives en Russie. Dans notre échantillon, il n’y a pas un seul entrepreneur
qui n’ait eu l’occasion de donner des pots-de-vin ou, comme disent certains
de « remercier » les fonctionnaires. Souvent il s’agit d’un véritable racket éta-
tique, puisque le fonctionnaire refuse de faire son travail tant qu’il n’a pas
obtenu une quelconque rétribution de l’intéressé. Un entrepreneur qui habite
le bourg de Paleh nous a raconté que lorsqu’il est allé voir un fonctionnaire de
la municipalité avec le projet d’ouvrir un café, ce dernier lui a proposé de
creuser un étang par précaution anti-incendie. Et quand l’entrepreneur a essayé
de contester cette décision, le fonctionnaire lui a fait comprendre qu’il avait
besoin d’un ordinateur… Alors l’entrepreneur a acheté l’ordinateur et le
fonctionnaire a trouvé une réserve d’eau à côté du chantier. (12)
La délivrance des licences et de certificats d’État est un secteur particu-
lièrement atteint par la corruption. Par exemple, entre 2003-2005 deux
directeurs du Centre de délivrance de licences auraient été emprisonnés
dans la ville d’Ivanovo. Les deux utilisaient la même combine, à en savoir,
étant directeurs du Centre, ils n’acceptaient pas les dossiers des entrepre-
neurs qui n’avaient pas au préalable consulté un cabinet privé, dirigé par des
membres de leur famille. Le prix de cette consultation s’élevait à 1000 USD.

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Les principaux obstacles au développement...

Un petit fabricant de pièces détachées en caoutchouc, basé dans la ville de


Iaroslavl’, a raconté qu’au moment où il avait voulu certifier sa production,
pour obtenir un certificat de qualité d’État, les fonctionnaires, chargés de
tester les produits, avant même de voir le résultat des tests ont tout de suite
exigé un pot-de-vin d’un fort montant. (16)
Les entrepreneurs qui ont des missions de transports dans le cadre de leur
activité sont confrontés à la corruption des agents de la Police routière. Les
entreprises de transport refusent d’aller dans certaines régions, comme par
exemple, la région de Moscou, parce que pratiquement à chaque poste de
police il faut payer. Comme l’a expliqué un entrepreneur individuel de Vâz-
niki, qui transporte lui-même ses marchandises, le conducteur d’un camion qui
est arrêté par les policiers au lieu de monter ses papiers, leur donne un billet de
50 roubles. À ceux qui refusent de payer, les policiers proposent de se garer
sur un parking payant et de les suivre au commissariat où ils finiront bien par
trouver un défaut. (25) C’est pourquoi certains hommes d’affaires ont tout
simplement peur de l’État et préfèrent minimiser leurs contacts avec les
fonctionnaires. Tel est l’entrepreneur de Nižnij Novgorod, qui a préféré fer-
mer son bureau avant l’heure et partir, uniquement parce qu’il avait été
averti de l’arrivée de l’Inspection de la prévention des incendies pour con-
trôler le complexe où se trouve son siège. (23)
Il n’est pas étonnant que dans ces conditions une bonne partie de la classe
entrepreneuriale confonde l’État et ses fonctionnaires. Comme nous a affirmé
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Vâčeslav, propriétaire-dirigeant d’une petite entreprise à Nižnij Novgorod,
pour lui « l’État, c’est des gens concrets qui ont des intérêts concrets, ou bien
une structure qui fait passer ses lois… Bref, ce sont des intérêts concrets de
gens concrets ». (20) Certains entrepreneurs pensent que la corruption pos-
sède également des côtés positifs. Leur raisonnement est à peu près le suivant :
il est impossible de respecter toutes les normes imposées par l’État, puisque
non seulement elles sont constamment modifiées, mais leur respect peut
causer des pertes matérielles à l’entrepreneur (comme par exemple, la prohi-
bition de l’Inspection anti-incendie de mettre des grilles sur les fenêtres,
mais l’entreprise qui n’en met pas risque de se faire voler son équipement).
Or, il a toujours une possibilité de s’arranger avec les fonctionnaires concer-
nés. C’est pourquoi certains entrepreneurs préfèrent parler en termes de
« remerciement » des fonctionnaires et non pas versement de pots-de-vin,
voire pensent que l’ordre de chose existant est tout à fait naturel.
Voici comment a répondu un entrepreneur à la question de savoir s’il lui
est déjà arrivé de remercier les fonctionnaires : « Oui, bien sûr. C’est normal.
Si l’on veut s’adresser à un fonctionnaire demain, on doit lui offrir quelque
chose aujourd’hui. […] Il faut remercier les gens. Un fonctionnaire peut traî-
ner un dossier deux semaines, mais il peut aussi le faire passer demain. Je

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Dimitri KISLINE

pense qu’il est normal que je remercie celui qui a fait quelque chose pour moi.
Et ce n’est pas humiliant pour moi. » (21) On remarque bien que l’entrepre-
neur russe n’a pas une conscience claire qu’un fonctionnaire est avant tout un
serviteur d’État et qu’il lui doit, de par sa profession, certains services qu’il
essaie parfois de lui vendre.

L’État ne remplit pas ses fonctions


La non-exécution par l’État de l’ensemble de ses fonctions est une autre des
raisons pour l’apparition de barrières administratives. Plusieurs entrepre-
neurs que nous avons interviewés ont remarqué que l’État russe privilégie
certaines fonctions, généralement les plus rentables (collecte d’impôts, con-
trôles etc.) au détriment des autres. Par exemple, Anatolij (13) se plaint du
fait que ses rapports avec l’État sont à sens unique. En parlant de son café-
bar, il raconte qu’il lui arrive d’avoir des clients qui viennent en état d’ébriété,
cassent la vaisselle et insultent le personnel. Par expérience, Anatolij sait
qu’il ne sert à rien d’appeler la police dans cette situation, car de toute façon
elle ne fera rien, même si, par miracle, elle vient. Il est donc obligé de recou-
rir à des structures mafieuses semi légales.
L’État ne protège pas les entrepreneurs de la toute-puissance des fonc-
tionnaires. C’est là encore une autre de ses fonctions qu’il ne remplit pas ou
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remplit mal. C’est la conclusion à laquelle est arrivé un entrepreneur et par
ailleurs, un député du Conseil municipal de la ville de Šuâ. (22) Enfin, l’État
ne tient pas toujours ses promesses et essaie parfois d’abuser des entrepre-
neurs trop confiants en leur faisant remplir des fonctions qui sont normale-
ment les siennes. C’est ainsi qu’un entrepreneur dirigeant d’une entreprise
de transport urbain, a raconté bien des déboires. (14) En Russie, certaines
catégories de passagers, les retraités par exemple, bénéficient des transports
urbains gratuits en vertu d’une loi fédérale. La municipalité doit rembourser
aux compagnies de transport privées, selon un indice établi, les pertes qui
leur sont causées par ces passagers. Or, dans le cas cité le maire a distribué
aux entrepreneurs des coupons « échangeables contre de l’argent », mais cet
échange n’a jamais eu lieu. L’entrepreneur en question a dû régler cette
affaire par la voie de justice. Un autre exemple d’abus à l’égard des entrepre-
neurs vient de la même ville. Le directeur de l’antenne municipale de
« Elektroset’ », équivalent de l’EDF, exigeait de ceux qui construisaient un
nouveau bâtiment d’installer à leur frais des équipements électriques coû-
teux, qu’ils devaient par la suite offrir à la ville. Par cette démarche le direc-
teur essayait tout simplement de rénover l’infrastructure électrique de la
ville. (27)

102 innovations 2007/2 – n° 26


Les principaux obstacles au développement...

Compte tenu de ce qui a été dit, on comprend mieux pourquoi les entre-
preneurs russes adoptent, dans leur majorité, une attitude négative ou, pour
le moins, méfiante vis-à-vis de l’État. Voici quelques citations d’entrepre-
neurs à propos de ce dernier :
« Je n’attends absolument rien de l’État et ne me fais aucune illusion. […]
La principale fonction de l’État russe est d’empêcher les gens de travailler. »
(12)
« Lorsque l’État dit qu’il facilitera tel ou tel côté de la vie des PME, il faut
s’attendre au contraire à un durcissement. » (16)
« Les fonctionnaires russes… tout développement les rend jaloux. Mon
attitude envers l’État est négative. Je devrais respecter le pouvoir, mais je ne
le respecte pas. » (16)

PROBLÈMES LIÉS AUX FINANCES


Pratiquement dans tous les pays les petites entreprises, dotées d’un capital
relativement faible et souvent dépourvues de réputation commerciale éta-
blie, se heurtent à des contraintes de liquidité pour compléter leurs fonds
d’investissement et de roulement ou encore, dans le cas d’entreprises nais-
santes, pour constituer leur capital de départ. Dans la plupart des pays dévelop-
pés ces difficultés sont résolues par le biais de crédits à faible taux d’intérêts
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accordé aux petits entrepreneurs par des banques et des fonds, créés spécia-
lement pour le développement du petits entrepreneuriat, aussi bien que par
d’autres structures financières. Or, en Russie des années 1990 le système ban-
caire était en crise et les banques russes négligeaient la délivrance de crédits aux
petites entreprises. Les quelques rares banques étrangères, comme la Banque
Mondiale ou la Banque Européenne pour la reconstruction et le développe-
ment, qui travaillaient avec les petits entrepreneurs, n’arrivaient pas à satis-
faire la demande de crédits de la part de ces derniers. Ainsi, souvent les
entrepreneurs débutants demandaient-ils des prêts privés au lieu de crédits
commerciaux, afin de constituer le capital de démarrage. Plusieurs personnes
de notre échantillon ont été financièrement aidées par leurs amis et entre-
preneurs au tout début de leur activité. Plus tard, ces entrepreneurs une fois
leur position dans les affaires consolidée, à leur tour accordaient des prêts
aux autres. Cette entraide entrepreneuriale (des prêts entre entrepreneurs
qui se connaissent et se font confiance) jouait et joue toujours un rôle impor-
tant en Russie.
En même temps depuis quelques années, les banques russes ont com-
mencé à « bouger », et le crédit commercial pour une petite entreprise a cessé
d’être quelque chose d’exotique. Or, ceux qui ont pu en profiter remarquent

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son taux d’intérêt élevé et la complexité des démarches pour l’obtenir. Les
intérêts annuels varient entre 19 et 34 %, ce qui reste encore très cher pour
la plupart des entrepreneurs. Sauf peut-être les commerçants, qui ne sont pas
dissuadés par ce taux, car le commerce est une activité à forte rentabilité en
Russie. Un vendeur de vêtements ou de chaussures peut réaliser de 50 à 100 %
de bénéfices sur le capital investi par mois. (19)
En même temps, le taux d’intérêt élevé est le résultat de la politique des
pouvoirs locaux et de la procédure compliquée d’octroi du crédit. Voici ce
que raconte à ce sujet un entrepreneur de la ville de Šuâ : « La Banque Cen-
trale de la Russie est sur la bonne voie, puisqu’elle diminue constamment le
taux bancaire. Disons qu’aujourd’hui c’est 13 %, la banque, qui donne l’argent,
accorde ce crédit à 16 %. […] Enfin, par exemple, un petit entrepreneur
prend 100 000 RUR, il doit les assurer, et on exige de lui une assurance de la
compagnie « Gosstrah ». Assurer cette somme coûte 3 000 RUR. Alors on
les ajoute à 16 000 d’intérêts et cela donne 19 000 RUR. L’entrepreneur paie
encore 1,5 % au notaire et on arrive alors à 20,5 %. Et après arrive le plus
intéressant. Il doit se faire enregistré au Département de la Justice de sa ville.
Le cachet de ce département coûte pour une personne physique 300 RUR et
pour une personne morale le même service monte à 8 000 RUR. Ce service
est entièrement entre les mains du pouvoir local. Donc, en fin de compte on
arrive à 20,5 + 8 = 28,5 % ! » (19) On voit bien, donc, comment l’effort du
centre fédéral est réduit à zéro par la politique des pouvoirs locaux.
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PROBLÈMES LIÉS
AUX RESSOURCES HUMAINES

Un manque du personnel qualifié et motivé


La plupart des entrepreneurs de notre échantillon ont rencontré à un moment
ou à un autre des problèmes avec leurs personnels. Le plus souvent il s’agit du
manque de spécialistes qualifiés, surtout dans les petites villes de province. La
situation actuelle y est telle que les meilleurs s’en vont à Moscou ou dans les
centres régionaux. La main-d’œuvre qui reste non seulement ne possède pas
de qualification demandée, mais est aussi peu motivée pour le travail. C’est
surtout caractéristique de la jeune génération. Plusieurs personnes inter-
viewées constatent que les jeunes Russes de province sont peu disposés à
faire des efforts pour réussir leur carrière, et pour progresser en tant que per-
sonnalité. Les entrepreneurs déplorent que les stimuli classiques, comme
l’amélioration des conditions de travail, la création d’un climat propice à la
réalisation de soi, ou des primes salariales pour des objectifs réalisés, ne mar-
chent pas. Il n’est pas rare que les jeunes adoptent le raisonnement suivant :

104 innovations 2007/2 – n° 26


Les principaux obstacles au développement...

il vaut mieux ne pas travailler du tout, plutôt que de travailler pour un salaire
fixe qu’ils jugent petit. Cette situation peut se comprendre puisqu’au cours
des années des réformes beaucoup de gens, y compris parmi les parents de ces
jeunes, ont perdu leur travail et sont restés au chômage pendant une période
prolongée. Ils se sont habitués à toucher une petite allocation et à gagner
ponctuellement un peu d’argent au noir. Le principal réflexe est devenu non
pas de chercher un moyen de sortir de cette situation, mais de limiter les
dépenses. En plus, entre 1991-1997 ils ne désiraient même pas de retrouver
un emploi, puisque les salaires de ceux qui travaillaient étaient souvent ver-
sés avec un retard de plusieurs mois, sinon années. En outre, l’abondance
d’offres d’emplois dans certains métiers (vendeur, caissière) fait que les gens
n’ont pas peur de perdre leur travail. Ils sont persuadés qu’au moment où ils
se retrouveront dans la rue, il leur sera facile d’en trouver un autre.
La qualification insuffisante du personnel est un sujet de plainte courant
des petits entrepreneurs. Parfois, c’est la cause d’accidents professionnels. À
titre d’anecdote, un chef d’entreprise nous a rapporté que lors de la construc-
tion d’un garage son opérateur de grue a renversé l’engin devant lui. Après
quoi l’ouvrier a fait remarquer d’un ton parfaitement tranquille et sérieux
que ce n’était rien, parce qu’il avait vu des choses plus graves encore. (14)
Plusieurs entrepreneurs se plaignent du manque crucial de managers quali-
fiés, capables de gérer une filiale d’entreprise. Ils se disent prêts à investir
dans l’extension géographique ou/et dans la diversification de leurs affaires,
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mais sont limités dans leur développement. Souvent les managers qui tra-
vaillent pour eux présentent des ambitions démesurées par rapport à leurs
savoir-faire.

Une discipline de travail mise à mal par l’alcoolisme et le vol

Le vol financier demeure assez fréquent dans les entreprises russes. Les entre-
preneurs remarquent que le personnel à qui ils peuvent faire entièrement
confiance est très rare. Le plus souvent le problème du vol financier con-
cerne ceux qui travaillent avec de l’argent liquide. Dans les commerces, ce
sont les caissières, dans les entreprises de transports urbains ce sont les ven-
deurs de tickets dans les bus et dans d’autres entreprises – les comptables.
Ainsi, certains entrepreneurs russes préfèrent-ils se séparer de l’ancien chef
comptable en cas de reprise d’entreprises. (18) Il existe d’autres formes de
vol. Par exemple, les directeurs des entreprises industrielles surveillent de
près leurs ouvriers, qui peuvent utiliser l’outillage et l’équipement de l’entre-
prise pour réaliser pendant la journée de travail des commandes acceptées à
titre privé.

n° 26 – innovations 2007/2 105


Dimitri KISLINE

L’alcoolisme est un deuxième fléau qui sévit parmi le personnel non qua-
lifié. Une entrepreneure affirme qu’environ deux tiers de son personnel non
qualifié travaillent au noir. Tout simplement ce contingent spécifique alterne
deux jours de travail et trois jours d’ivrognerie. Et ceux qui peuvent les rem-
placer ne sont guère meilleurs. (18) Certains entrepreneurs, afin d’éviter les
accidents de travail, dus à l’alcoolisme, sont contraints d’accorder à leurs
ouvriers de « petites vacances » en période de fêtes importantes, telles que le
Nouvel An ou Pâques. Ils estiment qu’il vaut mieux laisser les ouvriers boire
et dessoûler après, plutôt que les laisser venir au travail en état d’ébriété. (12)

Difficulté de trouver des associés honnêtes


Travailler avec un associé dans le cadre d’une petite entreprise est déjà une
chose difficile. Beaucoup d’entrepreneurs sont très réticents à l’idée même de
partager le pouvoir de décision avec quelqu’un. En plus il serait difficile
d’accorder une confiance illimitée à autrui pour des raisons liées à la psycho-
logie humaine. Selon les entrepreneurs, la principale cause de l’échec d’une
affaire à plusieurs est la suivante : avec le temps l’un des associés commence
à penser que l’autre travaille moins, mais gagne plus. Comme démontre
l’expérience, même une entreprise familiale n’est pas à l’abri de ce genre de
problèmes. Pourtant, en Russie en absence de crédits bancaires, les entrepre-
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neurs sont souvent obligés d’associer leurs capitaux et compétences. En plus,
étant donnée un faible niveau de la culture des affaires dans ce pays, à cela
s’ajoute la difficulté de trouver un associé honnête et digne de confiance.
Selon certains, en Russie les capitaux extérieurs apportés par des gens peu
connus sont à craindre. Il existe un risque non négligeable de tomber sur un
criminel en quête de blanchiment d’argent. L’entrepreneur peut par la suite
être expulsé de son entreprise. (16)
D’autres estiment que même si cette situation reste un cas particulier, le
risque de tomber sur un associé malhonnête demeure élevé. Au mieux, ce
dernier pourra exploiter les capitaux d’autrui en sa faveur. Un entrepreneur
de notre échantillon veut se séparer de ses compagnons, car il pense être
trompé par eux. Il ne participe pas à la gestion quotidienne du projet, et ses
associés affichent depuis peu de temps des dépenses importantes et « peu
objectives » en aménagement des locaux, ce qui est un signe indirect de
fraude. (22) Une autre entrepreneure s’est séparée de son ancien associé, puis-
que ce dernier cherchait à utiliser son capital, dont il avait besoin, et limitait
sa participation à la gestion de l’entreprise. Sa stratégie était de dire « oui »
aux projets qu’elle avançait et de retarder par la suite leur réalisation sous
divers prétextes. (15)

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Les principaux obstacles au développement...

Enfin, dans le pire des cas, l’associé peut voler l’entrepreneur, comme c’est
arrivé à un homme d’affaires de Nižnij Novgorod. Il faisait confiance à son
associé, qui s’occupait de la comptabilité jusqu’au jour où ce dernier a falsifié
sa signature et a disparu avec une grande partie des finances de l’entreprise.
Le stress vécu par l’entrepreneur en question, qui est resté seul face aux obli-
gations vis-à-vis des clients et du personnel, lui a valu une crise cardiaque.
On peut comprendre pourquoi dès lors il a juré de ne plus s’associer avec qui
que ce soit, son but étant de garder une maîtrise totale de son affaire. (23)

CONCLUSION
Au cours des années passées l’attention des universitaires comme des analys-
tes d’État était principalement fixée sur les problèmes d’immatriculation, de
certification, de taxation et parfois du manque des crédits aux petites entre-
prises. Les commissions d’État étaient préoccupées par le souci de perfection-
nement de la législation dans ces domaines. Elles ont réussi à améliorer
certains aspects, comme par exemple la taxation. D’autres se sont améliorés
par l’émergence de nouvelles pratiques sur le marché russe. Ainsi, même si le
système du « guichet unique » n’a jamais vu le jour, aujourd’hui un grand nom-
bre de sociétés spécialisées se chargent pour un prix raisonnable d’immatricu-
ler les entreprises naissantes, ce qui facilite la vie des entrepreneurs débutants.
Or, force est de constater que le gros des reproches est toujours adressé à
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l’État : législation compliquée et changeante, manque de communication sur
les nouvelles normes, corruption invincible etc. Les efforts de l’État dans ces
domaines ne sont donc pas suffisants. Cela dit, il faut tenir compte de la
principale limite de l’étude, qui présente uniquement l’avis des entrepre-
neurs. En outre, d’autres défis, qui existaient déjà par le passé, sont passés
aujourd’hui au premier plan. Les problèmes liés aux personnels embauchés et
à la recherche d’associés honnêtes, qui débouche finalement sur le problème
de l’éthique des affaires, se posent de façon aiguë et constituent d’autres obs-
tacles au développement du petit entrepreneuriat privé en Russie.

BIBLIOGRAPHIE
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zatrat, svâzannyh s ih preodoleniem », FIAS, 2004.
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n° 26 – innovations 2007/2 107


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Tacis Projetc SMERUSSS9501 1998, « Zakonodatel’noe regulirovanie razvitiâ malogo pre-
dprinimatel’stva », Moscou.

INTERVIEWS
Interview avec Elena L., propriétaire-directrice du magasin de cadeaux « Salon », réalisée
en juillet 2005 à Nižnij Novgorod.
Interview avec Irina B., co-directrice de la chaîne de magasins d’alimentation « Russkij
čaj », réalisée en juin 2005 à Šuâ.
Interview avec rij F., co-directeur de l’entreprise « Palehskij ikonostas », réalisée en juin
2004 à Paleh.
Interview avec Anatolij P., directeur de l’entreprise d’alimentation « Kušat’ podano », réa-
lisée en juin 2004 à Šuâ.
Interview avec rij T, co-directeur de l’entreprise de transport urbain, réalisée en juillet
2004 à Šuâ.
Interview avec Olga M., ancienne co-directrice de l’entreprise de production de meubles,
réalisée en août 2004 à Nižnij Novgorod.
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Interview avec Nikolaj K., co-directeur d’une entreprise de fabrication de pièces détachées,
réalisée à Āroslavl’ en août 2004.
Interview avec Vladimir., directeur de l’entreprise «Šuâ – konsul’tant », réalisée en juillet
2004 à Šuâ.
Interview avec Marina Z., directrice d’une entreprise de production de conserve, réalisée
en août 2004 à Šuâ
Interview avec Vladimir K., directeur d’une entreprise de BTP, réalisée en juin 2005 à Šuâ.
Interview avec Vâčeslav B., directeur de l’entreprise « Bogger », réalisée en juin 2005 à
Nižnij Novgorod.
Interview avec Vadim P., directeur de l’entreprise « Taxi- Šuâ», réalisée en juillet 2005 à Šuâ.
Interview avec Pavel D., directeur de l’entreprise « Sotovaâ svâz’ – Bee Line », réalisée en
juin 2005 à Šuâ.
Interview avec Alexandre P., directeur d’une entreprise de vente d’équipement médical,
réalisée en juin 2004 à Nižnij Novgorod.
Interview avec Larisa P., commerçant de fourrure, réalisée en juin 2003 à Šuâ.
Interview avec Viktor S., commerçant de viande, réalisé en juillet 2003 à Vâzniki.
Interview avec Andrej L., co-directeur de l’entreprise « Ul’tra », réalisée en juillet 2005 à
Nižnij Novgorod.
Interview avec Galina T., directrice de la chaîne de pharmacies « èhinaceâ », réalisée en
juillet 2005 à Šuâ.

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