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Cuq Édouard. La loi Gabinia contre la piraterie de l'an 67 avant J.-C.. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, 67ᵉ année, N. 2, 1923. pp. 129-150;
doi : https://doi.org/10.3406/crai.1923.74739
https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1923_num_67_2_74739
Il
DATE DE LA LOI
III
OBJET DE LA LOI
1. Le tribun Aulus Gabinius Capito, devenu consul en 58, est l'un des
auteurs de la loi Gabinia Calpurnia, connue par une inscription bilingue
de Délos. Cf. Edouard Cuq, Bull, de Corresp. hellénique, 1922, XLVI,
198-215.
2. Vell. Paterc, II, 31 : quo plebiscito psene totius terrarum orbis
imperium uni viro deferebatur. Cf. sur les incorrections de ce texte,
Willems, Le Sénat de la République romaine. II, 655, 3.
3. Dio Cass., XXXVI, 23 : "Αντικρυς μεν γαρ τό τοΰ Πομπηίου όνομα
ουκ είπεν Γαουίνιος.
4. Vell. Paterc, II, 31 : Dissuadebant optimates. Gic, p. L Manilia,
17.
5. Dio Cass., XXXVI, 22, 28-34 ; 35 : Και έκεΐνά τε και ή γερουσία και
άκουσα επεκύρωσε, και ταλλα οσα πρόσφορα ες αϋτα είναι εκάστοτε εγίγνωσκεν ■
6. Vell. Paterc, II, 31, Α. Gabinius trihtinus legem tulit ut, cum belli
more non latrociniorum orbem classihus,jam non furtivis expeditionibus
piratœ terrèrent, quasdamque etiamltalise urbes diripuissent, Cn. Pom-
peius ad eos opprimendos mitteretur, essetque ei imperium sequum in
omnibus provinciis cum proconsulibus usque ad quinquayesimum millia-
rium a mari. Cic, De lege agraria, II, 17, 46.
LA LOI GABLNIA CONTRE LA PIRATERIE 135
d'Italie '. C'était une atteinte au pouvoir souverain des
gouverneurs des provinces maritimes 2, des peuples et des
rois alliés 3.
La loi Gabinia conféra ensuite à Pompée le droit de
choisir dans le Sénat quinze légats qui, sous ses ordres, seraient
chargés de le seconder avec pleins pouvoirs. Le front de
mer fut divisé par Pompée en un certain nombre de secteurs.
Appien (Mithr., 95) en cite neuf, confiés chacun à un
ou plusieurs légats, qui avaient mission de le surveiller 4 :
1° Espagne et détroit d'Hercule (Tib. Nero, Manlius
Torquatus) ;
2°
3° Afrique,
Mers des Sardaigne,
Gaules et de
Corse
Ligurie
et îles
(Pomponius)
voisines (Lentulus
;
Marcellinus, P. Alilius) ;
4° Sicile,
5° Côtes d'Italie
mer Ionienne
(L. Gellius,
jusqu'à
Cn. Lentulus)
l'Acarnanie
; (Plotius
Béotie
8°
7° Bithynie,
Les
(Sis,enna)
îles, la Thrace,
;
mer Egée Propontide,
avec l'Hellespont
entrée(L. du
Lollius)
Pont;
(P·. Piso) ;
9° Lycie, Pamphylie, Chypre, Phénicie(Metellus Nepos).
En fait, les quinze légats ne suffirent pas à la tâche ; il
fallut dédoubler plusieurs secteurs. Pompée demanda au
IV
MESURES D'EXÉCUTION
1. P. l. Manilia, 19 : Itaque una lex, vnus vir, unus annus nos... libe-
ravit.
2. Je les ai numérotés pour la clarté de l'explication. Sur le marbre, les
chapitres sont séparés par un trait.
3. Appien, Mithr., 94.
138 LA LOI GAB1NIA CONTRE LA PIRATERIE
la guerre contre les pirates fut entreprise, en vertu de la loi
Gabinia, dans l'intérêt des alliés autant que dans celui des
Romains *.
L'objet des lettres écrites aux alliés n'a pu, dans
l'inscription, être déchiffré, mais le but à atteindre est
clairement exposé (1. 6-7) : afin que les citoyens romains et les
alliés d'Italie puissent naviguer sur la mer avec sécurité
('όπως ττολίτοα 'Ρωμαίων σ[ύμμαχοί] τε έκ τής 'Ιταλίας Λατΐνο·.[...
κατά θ]άλασσαν ασφαλώς πλεΐν δύν[ωνται]. On peut en conclure
que les lettres avaient pour objet de demander aux alliés
leur coopération. Le récit d'Appien confirme cette
conclusion. Les alliés sont invités à aider Pompée de toutes les
manières, à lui fournir des soldats et de l'argent : ες πάντα
συλλαμβάνειν τω Πομπηίω. Και αυτω στρατιαν καταλέγειν έ'δοσαν,
και χρήματα άγείρειν.
La loi les invite aussi, d'après l'inscription de Delphes, à
veiller, autant qu'il est en leur pouvoir, à ce qu'aucun
pirate ne trouve un refuge dans leur pays ou sur leurs
côtes, en attendant l'occasion de reprendre la mer et de
continuer ses brigandages. En leur notifiant son avis, le
peuple romain estime qu'il est conforme au droit résultant
des traités d'alliance (1. 10-11).
L'appel adressé aux alliés ne reçut pas partout un accueil
favorable. On en a la preuve pour le roi de Cyrène. Voici
d'abord le passage de notre inscription relatif aux rois
alliés :
και π[ρ]ος τον βασιλέα τον εν [τΐ}ι ν]ήσω Κύπρωι βασιλεύοντα,
και προς τον βασιΓλέα τον εν Άλε]ςανορείαι και ΑίγΰΤπτοη
βασιλεύοντα, και προς τον βασιλέα τον έν Κυ]ρήνγ; βασιλεύοντα, και
πρ[ος] τους βασιλείς τους έν Συρίαι βασιλεύον[τας, οΤς πασι] φιλία
και συμμαχία έ[στί ] και 'ότι δίκαιον έσ[τιν Άΐ>]τοΙ>ς φροντίσαι μή
έκ της βασιλείας αυτ[ών μήτε] τΐ)[ς] χώρας ή ορίων πειρατή[ς...
La mention du prince régnant à Cyrène, parmi les rois
1. P, l, Manil, 11 ; 12.
LA LOI GABINIA CONTRE LA PIRATERIE 139
amis et alliés des Romains à la date de notre loi, paraîtra
surprenante, si l'on admet avec certains auteurs que la
Cyrénaïque est devenue une province romaine en 680/74.
La question est de'puis longtemps discutée. Borghesi Ta
exposée dans sa note « sull' età in cui la Girenaica divenne
provincia romana » (Œuvres, II, 395).
Il y a un point sur lequel on est d'accord, c'est que la
création de la province n'eut pas lieu aussitôt après la mort
du roi Apion qui, par son testament, laissa son royaume
au peuple romain. Εjus regni cwitates libéras esse jussit
senatus, dit Tite-Live (Epit. LXX). D'après Plutarque
(Lucullus, 2), au temps de la guerre de Mithridate, il y
avait encore des tyrans dans la Cyrénaïque (cf. Plut., De
virtutibus mulierum, 19).
A quelle date le gouvernement direct du Sénat a-t-il
été, dans cette région, substitué à celui des rois ? En 680,
suivant Appien (Bell. civ. I, 111) : To3 δ'έταόντος έτους, έκτης
εβδομηκοστής και εκατοστής Ολυμπιάδος, δύο μεν εκ διαθηκών έθνη
'Ρωμαίοιςπροσεγίγνετο, Βιθυνία τε...καί Κυρήνη. Mais il semble
faire coïncider cette date avec celle de l'ouverture de la
succession des rois de Bithynie et de Cyrène, ce qui n'est pas
exact. D'autre part Eutrope (VI, 9) reporte la création de la
province au temps de la guerre de Crète qui dura trois ans *
et commença en 685/69 pour finir en 688/66, (quo tempore
Libyaquoque Romano imperio... accessit), l'année même où
Pompée entreprit et termina sa campagne victorieuse contre
les pirates. Un fragment de Diodore(XL, 19) cite, parmi les
pays soumis à ce moment à la domination romaine par
Pompée, την κατά Κιλικίαν, Συρίαν, Ίουδαίαν, Άραβίαν, Κυρηναικήν.
Ces témoignages sont confirmés par notre inscription :
à la date de la loi Gabinia, en 67, Cyrène était encore
gouvernée par un roi, ami et allié du peuple romain. Mais
ce roi, au lieu de se conformer aux instructions écrites du
consul, a dû trahir la cause des Romains et prendre le parti
L··
140 LA LOI GABINIA CONTRE LA PIRATERIE
des pirates. Rome n'hésita plus à annexer son royaume et à
en faire une nouvelle province. Un fragment de Salluste
(II, 43) nous apprend que Lentulus Marcellinus y fut
envoyé en qualité de questeur : P. Lentulus Marcellinus
eodem auctore qusestor in novam provinciam Curenas mis-
sus est l. Or Lentulus Marcellinus est précisément le légat
de Pompée qui fut chargé du secteur de l'Afrique et de la Ly-
bie, pendant la guerre contre les pirates. Il était tout désigné
pour gouverner la région qui, ayant refusé d'observer son
traité d'alliance avec Rome, avait dû faire sa soumission.
C'est ainsi que l'inscription de Delphes permet de préciser
la date jusqu'ici contestée, de la création de la province
de Gyrénaïque.
Le chapitre 5 (1. 12-16) est celui dont le sens est le plus
incertain à cause de la mutilation du texte. Cependant
comme il est question de députés (χρεατβευταί), d'une délibé-
tion du Sénat, de la faculté de s'adresser, comme on le
préférera, au Sénat [ou à une autre autorité], il semble
bien que la loi prévoit le cas où un allié voudrait envoyer
des députés à Rome au sujet de sa participation à la guerre.
Cette conjecture paraît confirmée par l'article suivant qui
s'occupe des députés des Rhodiens, présents à Rome lors
du dépôt du projet de loi. Le chapitre 5 devait avertir les
alliés qui, après avoir pris connaissance de la lettre du
consul, auraient des observations à présenter, qu'ils
pourraient à leur choix envoyer des députés à Rome, ou s'ils
■ craignaient les risques de la navigation, s'adresser au gou-
SANCTION DE LA LOI
1. Ibid. : [queicomque eorum p]ost hac factus erit, eis in diebus V pro-
xsumeis quibus quisque eorum mag(istratum) imperiumque inierit, jou-
ranto.
2. Ibid. : [Eis consistnnto pro ae]de Castorus palam luci in forum
vorsus, et eidem in diebus V apud q(uaestorem) jouranto per Iovem deos-
que [Penateis seese quse ex h(ace) l{ege) oport]ebit facturum, neque sese
advorsnm h(ance) l(egem) facturum scientem d(olo m(alo), neque i>ese
facturum neque intercesurum, [quo quae ex h(ac) l{ege) oportebit, minus
fiant}. Cf. C. /. L. II, S52, c. 81.
3. G. I. L., I, 1409, : [Ne quis hanc rogationem abrogato, neve quis
huic rog]ationi obrogato, neve de hac rogatione derogato. Cf. Appien,
B. C. I, 29-31 . L'expression άνευ δόλου πονηροΰ est la traduction de
l'expression latine sine dolo maio. La distinction du dolus malus et du dolus bonus
est traditionnelle à Rome. Cf. Edouard Cuq, Manuel des Institutions
juridiques des Romains, 1917, p. 392, n. 8.
LA LOI GABINIA CONTRE LA PIRATERIE 147
l'application de la loi, ou pour que ceux qui doivent agir,
jurer, ne puissent agir ou jurer, ou pour qu'ils agissent
autrement qu'il est écrit dans la loi. Quiconque agira ou
décidera contrairement à cette loi, ou n'agira pas, nejurera
pas conformément à cette loi, ne le fera pas
impunément ; il n'échappera pas à une poursuite en justice. —
L'expression όπως αυτώι [άζ]ημίωι μή έξη είναι (1, 50-ol) est
la contrepartie de la clause usuelle, id ei fraudi ne esto.
D'après le chapitre 13, si quelqu'un contrevient à la loi,
si ceux qui, d'après cette loi, doivent faire quelque chose
ne le font pas ou ne jurent pas ; si quelqu'un empêche de
faire ce que la loi commande, ou s arrange pour que ce
soit fait autrement qu'il n'est écrit dans la loi ; s'il juge ou
s'il agit contrairement à la loi par dol, celui-là sera tenu de
payer au peuple romain 20.000 sesterces pour chaque
prescrit,*
contravention. S'il ne fait pas ce qui est ou s'il le
fait autrement qu'il est écrit da-ns la loi, ou s'il agit
autrement que la loi l'ordonne, tout citoyen qui le voudra 1 sera
libre de demander en justice le montant de l'amende et
d'engager un procès, quel que soit le nombre des
contrevenants. L'action en justice, le procès, l'accusation seront
soumis au magistrat compétent.
Qu'aucun magistrat ou promagistrat ne s'oppose au
jugement de cette affaire, ou n'empêche la réclamation de
l'amende, l'action en justice ou l'organisation de l'instance
(μήτε τις άρχων μήτε [τις] άντάρχων ποιείτω ωι Ιλασσον κριθί},
μήτε κωλυέτω ωι έλασσον ταΰτα τα χρήματα εις άμφισβήτησιν
γένηται) (1. 57-58).
Celui qui agira, formera opposition, ou prendra une
décision contraire à ces prescriptions, encourra, pour chaque
contravention, la même peine que celui qui, ayant fait un
acte contraire à la loi, ou n'ayant pas fait ce qu'elle
commande, est puni comme il est écrit pour les autres cas. —
1. G. I. L., II, 5439, c. 61 : ejusque pecuniœ cui volet petitio... esto. Cf. c.
92, 93, 91. 104, 125, 126.
148 LA LOI GABINIA CONTRE LA PIRATERIE
On remarquera que la condamnation à l'amende est
prononcée au profit du Trésor. Il n'est pas question d'une prime
accordée à l'accusateur, comme dans les actions populaires
créées par le Préteur.
Les clauses qui précèdent sont rédigées avec une minutie
qui paraissait alors nécessaire pour prévenir toute chicane
dans l'interprétation des lois. L'idée de faire prévaloir
l'esprit sur la lettre de la loi n'apparaît que chez les juristes
de la fin de la République ί Servius, consul en 51, mort en
43, et surtout Alfenus Varus, consul sufïect en 39 l.
Les règles sur la sanction delà loi n'étaient, en raison de
leur nature, applicables qu'aux Romains et aux personnes
soumises à leur domination. A l'égard des alliés, Rome ne
pouvait que leur demander de se conformer aux instructions
transmises par le consul sous peine d'être traités en
ennemis du peuple romain.
Le chapitre 14 et dernier concerne le préteur chargé de
connaître des contraventions à la loi. De cet article on n'a
pu déchiffrer que la première ligne, la moitié de la seconde
et quelques mots ou lettres des lignes 63 et 64.
« Quelle que soit la somme demandée en vertu de cette
loi, aussi souvent qu'on la demandera, quelle que soit la
cause de la demande, le Préteur ne doit pas refuser
d'organiser une instance... » (1. 60-61).
La fin du chapitre devait préciser la procédure à suivre.
On peut la reconstituer grâce à une indication donnée dans
le chapitre précédent (1. 56), sur l'emploi de la nominis
delatio :
Ούτοι άγέτο)σαν και κρινάτωσαν, τό τε όνομα καταφερέτωσαν προς
τον περί τούτων.
La nominis delatio est le mode d'introduction des instances
en matière criminelle 2. Au vne siècle de Rome les judicia
Nii*· -''■;
150 LIVRES OFFERTS
nant sous les yeux, révèle, malgré ses lacunes, bien des
détails omis par les historiens. Il précise les mesures
énergiques destinées à vaincre la mauvaise volonté des
magistrats, à stimuler le zèle des alliés, et à rendre la sécurité à
la navigation maritime.
LIVRES OFFERTS
M. Omont dépose sur le bureau deux notices publiées par lui dans
la Bibliothèque de VÉcole des chartes, (t. LXXXI1I, 1922), contenant
la description qu'il a communiquée l'an dernier à l'Académie, d'un
manuscrit nouvellement acquis pour la Bibliothèque nationale :
Un nouveau manuscrit illustré de V Apocalypse au IX* siècle ; —
Manuscrit illustré des Fable» d'Avianus ; notices du dis. latin nouv. acq.
1132 de la Bibliothèque nationale (In-8° ; 1922, 24 et 6 pages, avec
4 et 4 planches.)