Humour en amour
Françoise Collin
Collin Françoise. Humour en amour. In: Les Cahiers du GRIF, n°17-18, 1977. Mères femmes. pp. 3-6.
doi : 10.3406/grif.1977.1174
http://www.persee.fr/doc/grif_0770-6081_1977_num_17_1_1174
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fait jamais assez) et par les charges pratiques dont res. Quand il n'y aura plus de marraines de
elle est accablée. guerre, peut-être les guerres cesseront-elles ? -
La mise en question de la maternité ou du
Les effets du maternage » maternage, ou même la grève de la maternité et
Le dégagement par rapport à la maternité bio du maternage dont nous avançons parfois l'idée
logique ou même pédagogique ne nous paraît pas peut n'être qu'un moment tactique, une sorte de
suffisant. La maternité n'est pas qu'un fait pour politique de la terre brûlée préludant à une géné
tes femmes, elle est aussi une attitude profondé ralisation du maternel grâce à laquelle tous, hom
ment ancrée en elles par l'éducation, dans l'intérêt mes et femmes, s'alimenteraient affectivement et
d'une société phallocentrique. Il est temps que les matériellement tes uns aux autres, et se livreraient
femmes cessent de jouer seules les mères univers les uns et les autres, à partir de là, à des activités
elles, et en particulier les mères des hommes, symboliques.
celles qui les alimentent physiquement et morale Elle peut être aussi une manière d'exorciser
menttoute leur vie sans que jamais soit même définitivement une attitude et une structure alié
reconnue cette origine. Car les femmes ne mettent nantes pour les uns et les autres, une manière de
pas une fois tes hommes au monde, elles les y faire triompher te monde de la sororité (de la
mettent et remettent tout le temps. C'est auprès fraternité ?) sur te monde phallocratique de la
d'elles et en elles qu'ils viennent constamment maternité.
refaire leurs forces pour aller « construire » leur
monde, et produire, chacun à sa manière, leurs II. ETRE MERE, C'EST QUOI ?
uvres. C'est auprès d'elles et en elles qu'ils vien
nent s'abriter et se consoler de la violence et de L'immensité du poids de la mère sur son
l'horreur de ce monde même : ils vident les fem enfant nous a fait réfléchir. La maternité semble,
mes de leur propre substance, de leur vie. Car si en bonheur ou en malheur, paralysante. Et c'est
les hommes peuvent, plus aisément que les fem inévitable aussi longtemps que la femme-mère ne
mes, se livrer à des activités dites symboliques, ce se définit que par cette seule dimension, qu'elle
n'est pas parce qu'ils sont passés par la castration, s'y investit totalement, qu'elle y absorbe le meil
c'est bien au contraire parce qu'ils sont assurés de leur de ses énergies. Il faut que d'une certaine
retrouver intact le stock de maternité et de mater manière elle soit payée en retour, et ce retour
nage qu'ils se sont constitué. « Mamans » ou s'appellera souvent « attachement », c'est-à-dire
t putains », les femmes leur garantissent toujours au sens propre dépendance. La pesanteur du
cette sécurité et cette réserve de vie. C'est pour maternage se fait d'ailleurs sentir dans la plupart
quoi ils peuvent impunément prendre le risque de des relations, et par exemple dans la relation con
la mort dans leur travail de « civilisation » la jugale : les hommes y fuient généralement ce qu'ils
civilisation de Rembrandt et d'Hiroshima. y mettent eux-mêmes. Ils poursuivent les femmes
Que ce stock, cette réserve, vienne à dispa d'une demande contradictoire : sois toujours là
raître (quand les femmes se mettent à exister par mais ne sois pas là, sois là quand j'en ai besoin
et pour elles-mêmes), et les voilà ébranlés dans mais disparais à bon escient. La dialectique du
leur certitude et leur action. Mais sans doute maternage demandé et haï pourrit toutes les rela
doivent-ils passer par cet ébranlement. Si te sol tions hétérosexuelles. Les hommes se remettent
maternel se dérobe sous leurs pas, si les femmes aussi mal que les femmes d'avoir eu une mère.
deviennent femmes, peut-être alors seront-ils forcés Mais ils ont l'avantage de pouvoir faire porter
d'être plus humains, de construire des villes plus leur problème par toutes les femmes.
douces, de suspendre tes travaux forcés, peut-être Comment nous libérer des mères ? Comment
feront-ils passer de la tendresse dans tous les n'être pas à notre tour ces mères maternantes,
moments et dans toutes les formes de la civilisa enveloppantes, que chacun, il est vrai, réclame à
tion,peut-être deviendront-ils à leur tour des grands cris ? _ . . . . ,
Nous pensons qu'il y a dans notre société une de plusieurs, avec plusieurs, qu'ils s'échangent
surévaluation ou plutôt une évaluation trompeuse d'une certaine manière, que, à la limite, ils pourr
de la maternité qui contamine et paralyse toutes aient bien être c les enfants de tous ».
les relations, et qui est dictée par les intérêts de la
famille (bourgeoise) dans une société patriarcale. La mère n'est pas Dieu ni la mère de Dieu.
Nous pensons que, contrairement aux apparences, Et peut-être commençons-nous à respirer quand
ce type de maternité n'appartient en rien aux fem nous comprenons que, au fond, notre mère ne
mes aux mères mais leur est insidieusement nous devait rien. Quand nous vivons notre mère
imposé : être mère, ce n'est pas contrebalancer comme une fille, comme une sur. Quand nous
le pouvoir du père ou de la société masculine, mais devenons des femmes. ,
la renforcer. . Il est possible que dans l'état actuel de la
société et de notre histoire nous ne puissions deve
C'est peut-être en démystifiant la maternité, nirdes femmes qu'en étant, pour un temps, plus
telle qu'elle nous a été imposée, que nous devien mères ni symboliques ni réelles, en cassant la chaî
drons femmes, et que, aussi, nous deviendrons ces neinfernale du maternage. Il est certain en tout
autres mères, ces mères légères, ces mères-filles, cas que nous ne deviendrons femmes que dans un
ces mères-surs, porteuses d'une affection hors la contact permanent avec d'autres femmes, collec
Loi. Car mettre un enfant au monde, ou décider tivement, par l'émergence de la sororité dans la
d'en assurer l'éducation, est-ce pouvoir ou ambi maternité, par la priorité de la sororité sur la
tionner de subvenir à tous ses besoins, dans l'ordre maternité. Le féminisme n'est pas un substitut du
prescrit, est-ce nous l'attacher? Un enfant nous vieux maternage mais sans doute l'invention diffi
est confié mais cet enfant n'est jamais le t nôtre » cile d'un autre amour, un amour d'humour. Les
(notre bien) et nous n'en sommes ni responsables, hommes ne seront jamais nos frères que si d'abord
ni coupables. Etre mère c'est établir une relation nous sommes surs. (Et pas siamoises.) A la rela
privilégiée avec un ou des autres, mais des rela tion verticale et unilatérale de la génération et de
tions relatives comme toutes : la maternité a be l'héritage, exigée par le patriarcat, nous avons à
soin d'humour, et de la subversion de l'humour. substituer la relation horizontale et réciproque de
Le phénomène de l'adoption nous amène déjà l'échange où se retrouveront à égalité nos mères et
un peu à cet humour. L'enfant est un enfant nos filles..
d'ailleurs », il est un autre, dès le départ. Il circule Fr. C.
et il s'arrête parmi nous. Quoi qu'il advienne, ce
n'est pas de nous seules que cela dépend. L'enfant (Ce texte a été rédigé à partir des propos
adoptif nous apprend, peut nous apprendre que échangés lors des réunions préparatoires à ce
tous les enfants viennent d'ailleurs, sont les enfants Cahier.) ..