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Les Cahiers du GRIF

Humour en amour
Françoise Collin

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Collin Françoise. Humour en amour. In: Les Cahiers du GRIF, n°17-18, 1977. Mères femmes. pp. 3-6.

doi : 10.3406/grif.1977.1174

http://www.persee.fr/doc/grif_0770-6081_1977_num_17_1_1174

Document généré le 09/09/2015


humour en amour

Et quelques-unes de nos filles, de nos mères, y


mêlaient leurs voix. (
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la Dans les écrits qui nous sont parvenus, par
contre, il a plus souvent été question des enfants.
Peut-être y a-t-il des choses que l'on ne peut pen
Nous avons voulu aller plus loin aujourd'hui, serque seule, et en secret.
et au-delà des problèmes d'aménagements prati C'est donc de l'immensité de la mère et de son
ques des charges maternelles, nous interroger sur énigme déchirante, que nous sommes parties. Excès
la maternité elle-même. de la mère, accentué par le resserrement de la
Les réunions ouvertes que nous avons tenues, famille nucléaire. Poids de la mère pesant dans
les échanges individuels et collectifs qui ont eu toute une vie adulte. Entre une femme et le monde,
lieu au Grif ou ailleurs sur le sujet, nous ont il y« a toujours l'ombre de sa mère. Dans une
assurées au moins d'une chose : c'est qu'il s'agit femme veille toujours la mère. ,
pour les femmes d'un thème extraordinairement Par opposition aux propos des femmes, ceux
sensible, qui déclenche des réactions passionnées, des hommes interrogés sur leur mère nous ont sur
et qui provoque la parole. pris par leur tiédeur. Est-ce un hasard ? La plupart
Disons tout de suite aussi que, assez curieuse des fils ne gardent de leur mère qu'une image
ment,le rapport des femmes à leur propre mère a floue, insignifiante, vaguement méprisante. Comme
suscité des réactions verbales plus fortes, plus vio si de l'énorme investissement affectif et matériel
lentes, que celui qu'elles entretiennent avec leurs dans leur rôle de mères, qui a généralement
enfants, c'est-à-dire que leur propre position comabsorbé toutes les énergies des femmes, il ne res
me mères. Sans doute parce qu'il est plus difficile tait, pour eux, qu'un peu de poussière.
et plus inquiétant de remettre en question la matern Qu'on ne nous fasse pas dire, au vu de ce
itéen nous-mêmes que dans les autres. Sur le Cahier, que nous (les « féministes ») nous « con
rapport aux enfants en effet, le propos se faisait damnons » la maternité. Simplement, ayant toutes
plus rassurant, plus conventionnel, comme si se eu une mère, et un certain nombre d'entre nous
manifestaient là de plus grandes résistances. A la ayant des enfants, nous nous sommes demandé
limite, on aurait pu penser que seules nos mères ce qui se passe pour nous dans cette double rela
avaient été en défaut et que nous-mêmes comme tion, ce qui s'y joue, ce qui s'y gagne et s'y perd,
mères, par la magie d'une génération, avions sude quoi elle souffre, en quoi elle ne va pas « de
rmonté ce défaut. Si beaucoup en effet disent que soi » mais « de nous »./
leurs propres mères ne les ont pas aimées ou mal
aimées ou trop aimées, combien osent avouer ne Les lignes qui suivent rassemblent et reflètent
pas aimer, pas bien aimer leurs enfants, ou voir quelques directions principales de notre réflexion.
en eux un obstacle à leur propre vie ? Elles ne prétendent pas les résumer ni les englober.
L'ensemble de ce Cahier montrera assez que dans
Immensité des mères, bonnes ou mauvaises, un espace élaboré en commun, nous avons avancé
aimées, détestées ou trop indifférentes. Immensité diversement.
des mères qui, vingt ans après, font encore éclater
les cris et les pleurs-, le désir et le regret. Les récits
se faisaient écho, interféraient, comme s'il n'avait Axes de questionnement
été question dans ce chur de femmes que d'une Dans l'ensemble des propos hétérogènes que
seule mère, de la mère. « Mais on dirait que c'est nous avons pu échanger, deux thèmes dominants
de la mienne que tu parles ! » disait l'une à l'autre. se sont dégagés.
Tout d'abord, il s'agit pour nous de distinguer je ¦ veux mettre des enfants au monde ? ».. Par
la maternité du féminin, et de nous demander si devoir ? Mais d'où me vient ce devoir ? Et sub-
ces deux notions et ces deux expériences se recou siste-t-il dans un monde surpeuplé ? Par plaisir ?
vrent ou non. Etre femme, est-ce nécessairement Pour mon plaisir ? Certainement. Mais pourquoi
être mère? Et réciproquement, être mère, est-ce choisir ce plaisir plutôt que d'autres comme
être mieux femme ou, bien au contraire, ne plus par exemple de travailler ou de créer ?
être femme ?
Pour la première fois nous pouvons envisager
Ensuite il s'agit de mettre à la question la de nous faire nous-mêmes (et de nous faire plaisir)
notion même de maternité, d'envisager ce qu'elle sans passer par la maternité. Et déjà un certain
recouvre, et de la libérer au maximum de ce qui nombre d'entre nous, de plus en plus, en attestent :
lui est imposé par une certaine culture patriarcale être une femme ce n'est pas, ou pas nécessairement,
mais ne lui appartient peut-être pas en propre. être une mère. Etre une mère peut même empêcher
Etre mère, est-ce vivre la maternité telle qu'elle gravement d'être une femme, d'être soi. D'où la
nous est assignée dans un cadre que nous ne défi nécessité de donner à chaque fille le droit à un
nissons pas nous-mêmes, ou bien ce cadre ne fal- véritable choix, en lui assurant les moyens techni
sifie-t-il pas au contraire notre maternité? Et quesd'éviter la maternité bien sûr, mais aussi et
encore : si maternité il y a, les femmes en sont- plus profondément en cessant de faire peser sur
elles les seules responsables ? elle, dans toute son éducation et dans toutes les
structures sociales, l'idéal de la maternité. Il est
I. FEMININ ET MATERNEL bien certain en effet que beaucoup de femmes
sont devenues mères par entraînement et non par
Pendant longtemps, et jusqu'à ce jour encore, un véritable besoin personnel. Parce qu'il n'y avait
le féminin a été confondu avec le maternel. Une pas moyen de faire autrement, ou parce que tout
femme est faite pour avoir ou élever des enfants le monde avait des enfants, ou parce que la famille
(les siens ou éventuellement ceux des autres), et faisait pression, ou parce que, sans enfants, elles
à défaut, pour abriter de son aile le monde entier, se seraient senties moins bien que les autres dans
à commencer par les hommes. le jugement social.
L'existence de moyens contraceptifs discuta Etre une femme, aujourd'hui, c'est d'abord et
bles mais efficaces, et de systèmes abortifs simples, avant tout s'assurer de sa propre existence et en
permettent actuellement ou devraient permettre établir les conditions. Exister par soi-même
aux femmes de considérer la maternité (et à tous la
,

d'abord, pour soi-même. Et si l'on interroge en


parenté) comme un acte libre et non comme une core aujourd'hui la non-maternité : « Pourquoi
nécessité. Nous en sommes loin mais les moyens n'avez-vous pas d'enfants ? », le temps viendra, est
scientifiques nous en sont donnés. Les femmes, venu, d'interroger la maternité : t Pourquoi avez-
aujourd'hui, doivent pouvoir décider non seul vous des enfants ? ». .
ement du nombre d'enfants qu'elles désirent et de
leur espacement, mais aussi d'en avoir ou de ne Mais si être une femme ce n'est pas nécessai
pas en avoir. Mais la disposition de moyens scien rement être une mère (biologique ou éducative)
tifiques adéquats ne chasse pas pour autant les on peut vouloir, et on devrait pouvoir être à la
habitudes et les tabous culturels. On connaît la fois une femme et une mère. Or dans les condi
résistance de beaucoup d'hommes, et même de tions socio-culturelles et économiques de notre
beaucoup de femmes, à les employer. La liberté société, la femme succombe le plus souvent *sous
a quelque chose d'effrayant pour celles qui ont le poids de la mère (d'elle-même comme mère) à
cru vivre dans la loi de la « nature ». La liberté la fois par la pression idéologique et psychologi
a quelque chose d'effrayant tout simplement. Nous que ambiante et par les conditions matérielles et
pouvons nous demander pour la première fois : économiques qui lui sont faites :¦ par les devoirs
« Pourquoi ai- je des enfants ? Pourquoi est-ce que et prétendus devoirs qu'on lui impose (elle n'en

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fait jamais assez) et par les charges pratiques dont res. Quand il n'y aura plus de marraines de
elle est accablée. guerre, peut-être les guerres cesseront-elles ? -
La mise en question de la maternité ou du
Les effets du maternage » maternage, ou même la grève de la maternité et
Le dégagement par rapport à la maternité bio du maternage dont nous avançons parfois l'idée
logique ou même pédagogique ne nous paraît pas peut n'être qu'un moment tactique, une sorte de
suffisant. La maternité n'est pas qu'un fait pour politique de la terre brûlée préludant à une géné
tes femmes, elle est aussi une attitude profondé ralisation du maternel grâce à laquelle tous, hom
ment ancrée en elles par l'éducation, dans l'intérêt mes et femmes, s'alimenteraient affectivement et
d'une société phallocentrique. Il est temps que les matériellement tes uns aux autres, et se livreraient
femmes cessent de jouer seules les mères univers les uns et les autres, à partir de là, à des activités
elles, et en particulier les mères des hommes, symboliques.
celles qui les alimentent physiquement et morale Elle peut être aussi une manière d'exorciser
menttoute leur vie sans que jamais soit même définitivement une attitude et une structure alié
reconnue cette origine. Car les femmes ne mettent nantes pour les uns et les autres, une manière de
pas une fois tes hommes au monde, elles les y faire triompher te monde de la sororité (de la
mettent et remettent tout le temps. C'est auprès fraternité ?) sur te monde phallocratique de la
d'elles et en elles qu'ils viennent constamment maternité.
refaire leurs forces pour aller « construire » leur
monde, et produire, chacun à sa manière, leurs II. ETRE MERE, C'EST QUOI ?
uvres. C'est auprès d'elles et en elles qu'ils vien
nent s'abriter et se consoler de la violence et de L'immensité du poids de la mère sur son
l'horreur de ce monde même : ils vident les fem enfant nous a fait réfléchir. La maternité semble,
mes de leur propre substance, de leur vie. Car si en bonheur ou en malheur, paralysante. Et c'est
les hommes peuvent, plus aisément que les fem inévitable aussi longtemps que la femme-mère ne
mes, se livrer à des activités dites symboliques, ce se définit que par cette seule dimension, qu'elle
n'est pas parce qu'ils sont passés par la castration, s'y investit totalement, qu'elle y absorbe le meil
c'est bien au contraire parce qu'ils sont assurés de leur de ses énergies. Il faut que d'une certaine
retrouver intact le stock de maternité et de mater manière elle soit payée en retour, et ce retour
nage qu'ils se sont constitué. « Mamans » ou s'appellera souvent « attachement », c'est-à-dire
t putains », les femmes leur garantissent toujours au sens propre dépendance. La pesanteur du
cette sécurité et cette réserve de vie. C'est pour maternage se fait d'ailleurs sentir dans la plupart
quoi ils peuvent impunément prendre le risque de des relations, et par exemple dans la relation con
la mort dans leur travail de « civilisation » la jugale : les hommes y fuient généralement ce qu'ils
civilisation de Rembrandt et d'Hiroshima. y mettent eux-mêmes. Ils poursuivent les femmes
Que ce stock, cette réserve, vienne à dispa d'une demande contradictoire : sois toujours là
raître (quand les femmes se mettent à exister par mais ne sois pas là, sois là quand j'en ai besoin
et pour elles-mêmes), et les voilà ébranlés dans mais disparais à bon escient. La dialectique du
leur certitude et leur action. Mais sans doute maternage demandé et haï pourrit toutes les rela
doivent-ils passer par cet ébranlement. Si te sol tions hétérosexuelles. Les hommes se remettent
maternel se dérobe sous leurs pas, si les femmes aussi mal que les femmes d'avoir eu une mère.
deviennent femmes, peut-être alors seront-ils forcés Mais ils ont l'avantage de pouvoir faire porter
d'être plus humains, de construire des villes plus leur problème par toutes les femmes.
douces, de suspendre tes travaux forcés, peut-être Comment nous libérer des mères ? Comment
feront-ils passer de la tendresse dans tous les n'être pas à notre tour ces mères maternantes,
moments et dans toutes les formes de la civilisa enveloppantes, que chacun, il est vrai, réclame à
tion,peut-être deviendront-ils à leur tour des grands cris ? _ . . . . ,
Nous pensons qu'il y a dans notre société une de plusieurs, avec plusieurs, qu'ils s'échangent
surévaluation ou plutôt une évaluation trompeuse d'une certaine manière, que, à la limite, ils pourr
de la maternité qui contamine et paralyse toutes aient bien être c les enfants de tous ».
les relations, et qui est dictée par les intérêts de la
famille (bourgeoise) dans une société patriarcale. La mère n'est pas Dieu ni la mère de Dieu.
Nous pensons que, contrairement aux apparences, Et peut-être commençons-nous à respirer quand
ce type de maternité n'appartient en rien aux fem nous comprenons que, au fond, notre mère ne
mes aux mères mais leur est insidieusement nous devait rien. Quand nous vivons notre mère
imposé : être mère, ce n'est pas contrebalancer comme une fille, comme une sur. Quand nous
le pouvoir du père ou de la société masculine, mais devenons des femmes. ,
la renforcer. . Il est possible que dans l'état actuel de la
société et de notre histoire nous ne puissions deve
C'est peut-être en démystifiant la maternité, nirdes femmes qu'en étant, pour un temps, plus
telle qu'elle nous a été imposée, que nous devien mères ni symboliques ni réelles, en cassant la chaî
drons femmes, et que, aussi, nous deviendrons ces neinfernale du maternage. Il est certain en tout
autres mères, ces mères légères, ces mères-filles, cas que nous ne deviendrons femmes que dans un
ces mères-surs, porteuses d'une affection hors la contact permanent avec d'autres femmes, collec
Loi. Car mettre un enfant au monde, ou décider tivement, par l'émergence de la sororité dans la
d'en assurer l'éducation, est-ce pouvoir ou ambi maternité, par la priorité de la sororité sur la
tionner de subvenir à tous ses besoins, dans l'ordre maternité. Le féminisme n'est pas un substitut du
prescrit, est-ce nous l'attacher? Un enfant nous vieux maternage mais sans doute l'invention diffi
est confié mais cet enfant n'est jamais le t nôtre » cile d'un autre amour, un amour d'humour. Les
(notre bien) et nous n'en sommes ni responsables, hommes ne seront jamais nos frères que si d'abord
ni coupables. Etre mère c'est établir une relation nous sommes surs. (Et pas siamoises.) A la rela
privilégiée avec un ou des autres, mais des rela tion verticale et unilatérale de la génération et de
tions relatives comme toutes : la maternité a be l'héritage, exigée par le patriarcat, nous avons à
soin d'humour, et de la subversion de l'humour. substituer la relation horizontale et réciproque de
Le phénomène de l'adoption nous amène déjà l'échange où se retrouveront à égalité nos mères et
un peu à cet humour. L'enfant est un enfant nos filles..
d'ailleurs », il est un autre, dès le départ. Il circule Fr. C.
et il s'arrête parmi nous. Quoi qu'il advienne, ce
n'est pas de nous seules que cela dépend. L'enfant (Ce texte a été rédigé à partir des propos
adoptif nous apprend, peut nous apprendre que échangés lors des réunions préparatoires à ce
tous les enfants viennent d'ailleurs, sont les enfants Cahier.) ..

Nous cherchons des femmes-taxi,


des femmes qui, ayant une voiture, seraient disposées à nous aider une demi-journée de ,
temps en temps. Il s'agirait de transporter les Cahiers du Grif soit dans Bruxelles soit en f
province, chez les libraires. Le service demandé est seulement celui d'un « taxi ». Nous assum
ionsdésormais nous-mêmes notre diffusion et Dominique, qui en est responsable, n'a pas de .=
voiture.
Si vous pouvez nous donner un coup de main, donnez vos noms, adresses et n° de téléphone
pour qu'on puisse vous contacter en cas de besoin. Merci.

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