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ÉDITIONS
NOVALIS
LA PENSÉE HUMAINE
ET LA PENSÉE COSMIQUE
ŒUVRES DE RUDOLF STEINER
Conférences faites devant des membres
de la Société anthroposophique
AVERTISSEMENT

Les textes tels que ceux du présent volume


n'étaient pas à l'origine destinés à être publiés. Ils sont
en effet la transcription, non revue par Rudolf Steiner,
de conférences qu'il a faites à des membres de la
Société théosophique — puis, à partir de 1913, de la
Société anthroposophique. Ces communications orales
s'adressaient donc à un public familiarisé avec cer-
taines notions, que l'on trouve développées notam-
ment dans les ouvrages écrits de Rudolf Steiner'`•.
Du fait de leur nature et de leur destination — qui
est de permettre à la conscience individuelle de
comprendre la réalité, sensible et suprasensible — ces
notions ne constituent pas une pure et simple infor-
mation. Pour toute personne qui les aborde en cher-
chant à les faire siennes, elles sont à l'origine d'une
modification du regard qu'elle porte sur le monde et
sur elle-même, donc de son rapport à la réalité.
C'est cette expérience — que chacun peut faire en
pleine clarté de la conscience — qui permet de porter
sur des contenus tels que ceux de ce volume un juge-
ment pertinent.

* Voir en fin de volume la liste des ouvrages écrits.


RUDOLF STEINER

LA PENSÉE HUMAINE
ET LA PENSÉE COSMIQUE

Quatre conférences faites à Berlin


du 20 au 23 janvier 1914
pendant la deuxième Assemblée générale
de la Société anthroposophique

Traduites de l'allemand
par Geneviève Bi deau

1994
Éditions Novalis
F 78360 MONTESSON
Collection
OEuvres de Rudolf Steiner
4

Traduit d'après :

Rudolf Steiner, Der menschliche und der kosmische Ge-


danke, Dornach/Suisse. Rudolf Steiner Verlag, 6. Aufl., 1990
(= volume 151 des CEuvres complètes en langue originale
éditées par la Rudolf Steiner-Nachlassverwaltung) ISBN
3-7274-1510-X. Le sténogramme de ces conférences n'a pas
été revu par le conférencier.

Copyright Éditions Novalis 1994.


Tous droits strictement réservés.

ISBN : 2 -910112 -07-1.


ISSN : 1243-485-X.

Couverture : Rudolf Steiner en 1913 ou 1914.


Photo Magdalena Beck. Copyright Philoso-
phisch-anthroposophischer Verlag am Goe-
theanum. CH 4143 Dornach.
TABLE

Repères (Christian Lazaridès) 11

La pensée humaine et la pensée cosmique

PREMIÈRE CONFÉRENCE, Berlin, 20 janvier 1914.


S'élever de la pensée rigide à la pensée en mouve-
ment signifie s'élever du royaume des esprits de la
forme au royaume des esprits du mouvement 17

DEUXIÈME CONFÉRENCE, 21 janvier 1914.


Il est possible de considérer le monde à partir de
douze points de vue différents par douze visions du
monde également justifiées 39

TROISIÈME CONFÉRENCE, 22 janvier 1914.


Les rapports entre les sept tonalités de la vision du
monde (les planètes) et les douze nuances de la
vision du monde (le Zodiaque). Le triple son inté-
rieur des visions du monde (Soleil, Lune et Terre).
La position à part de l'anthropomorphisme (la
Terre) 67

QUATRIÈME CONFÉRENCE, 23 janvier 1914.


La position de l'homme dans le cosmos spirituel du
point de vue d'une astrologie spirituelle. L'homme,
pensée des hiérarchies 93
REPÈRES

Dans ce bref cycle de conférences, en seulement


quatre heures, Rudolf Steiner convie le lecteur à un
prodigieux voyage.
Le fil conducteur, le thème de fond — l'essence de
la pensée — renvoie tout d'abord aux fondements
épistémologiques de la démarche de l'anthroposo-
phie, et en particulier à La philosophie de la liberté pu-
bliée vingt et un ans plus tôt (1893). Dans la première
conférence est posée sans concession l'exigence
d'une pensée réelle, laquelle doit déjà être atteinte,
conquise, car ce que nous appelons communément
« pensée » n'est souvent que le fruit de l'assemblage
des mots et non un penser proprement dit.
La fin de la quatrième conférence apportera une
sorte de réponse cosmique : ce que l'homme fait avec
ses pensées est à l'image de ce que les hiérarchies
spirituelles font avec l'être humain. On entrevoit
alors que les lois de la réincarnation, du karma, les
lois d'une haute « astrologie spirituelle », sont liées à
l'activité des hiérarchies selon les mêmes processus
que nos pensées le sont à notre activité pensante.
Mais entre temps, dans les deux conférences cen-
trales, a été dessiné le cosmos de la pensée humaine :
12 visions du monde, 7 tonalités de l'âme, 3 sons, et
cela en une infinité de combinaisons possibles, sont
en quelque sorte la gamme musicale d'où naît tout
type de pensée, toute conception du monde.
Et ce cosmos de la pensée humaine est mis en
rapport avec les forces du Cosmos, c'est-à-dire le
Zodiaque, les planètes, la triade Lune-Terre-Soleil, et
enfin avec la Terre seule.
12 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

Cette structure fondamentale du 12 + 7 + 3 + 1 =


23 = 22 + 1 est à la base de toutes sortes de choses
en l'être humain et dans la civilisation ; on la trou-
vera en particulier mise en rapport avec l'organisme
sensoriel. Ce sujet des douze sens sera développé
par Rudolf Steiner d'abord en 1909-1910 puis, après
une pause de sept ans, en 1916-1917. Sans doute
est-il significatif que ce soit au milieu de cette pause
qu'apparaisse — une unique fois : lors de ces quatre
conférences de 1914 ! — la description du cosmos
de la pensée. Une complémentarité extrêmement
complexe existe entre le cosmos sensoriel de
l'homme et le cosmos de la pensée humaine, tous
deux liés, en leur origine, au cosmos des hiérarchies
créatrices.
Ainsi que cela est dit explicitement, cette brève -
mais dense — esquisse des douze visions du monde
(ou conceptions du monde) demande à être appro-
fondie, travaillée, expérimentée. Elle peut ouvrir par
exemple sur une étude très fructueuse de l'histoire de
la philosophie. L'ouvrage de Sigismund von Gleich
Die Wahrheit als Gesamtumfang aller Weltansichten* a ou-
vert la voie dans ce sens.
Mais cela est aussi d'une immense portée pratique
immédiate, dans les relations humaines, car il est clair
qu'à tout moment tout jugement porté sur la vie,
toute interprétation du monde est purement et sim-
plement la manifestation de l'une de ces « combinai-
sons » particulières entre une planète de notre pensée
et un signe (ou constellation) de notre Zodiaque de
la pensée.

* (« La vérité en tant qu'ensemble de toutes les visions du monde »,


non traduit.) Stuttgart, J. Ch. Mellinger Verlag, 2' éd. s.d.
REPÈRES. 13

Il y a donc un champ infini de travail pour une


meilleure connaissance de soi, pour une meilleure
compréhension d'autrui, en bref il y a là tout le
mystère de la vie sociale, et la perspective de toute une
« psychologie de la pensée », inédite à ce jour. Cette
dimension psycho-sociale est expressément signalée
lorsque, à la fin du cycle, il nous est dit que la science
de l'esprit nous indique « comment comprendre en quoi nos
dispositions ont un caractère unilatéral et comment nous rendre
plus universels grâce aux connaissances qu'apporte la science de
l'esprit.»

Sans doute n'est-ce pas sans raison que ce court


cycle de conférences soit fait au cours de l'Assem-
blée générale qui marque le premier anniversaire
de l'émancipation de la Société anthroposophique
à partir de la Société théosophique. La rupture
s'était effectuée au cours de l'hiver 1912-1913. La
devise de la Société théosophique était : « Il n'y a
pas de religion supérieure à la vérité. » Encore
s'agissait-il d'être à la hauteur de telles paroles.
L'auteur de la Philosophie de la liberté, désormais aussi
fondateur de l'anthroposophie, montre ici qu'un tel
idéal est possible à réaliser, mais qu'il faut pour
cela :
- d'abord penser véritablement ;
- devenir toujours plus universels par une mobilité
toujours plus grande, une liberté toujours plus
grande dans le monde de la pensée, lequel n'est bien
sûr plus, dès lors, « intellectuel », mais bel et bien
vivant.

Ce court cycle prend alors le sens d'une sorte de


Baptême de l'impulsion anthroposophique propre-
ment dite.
14 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

Dans la quatrième conférence apparaît encore -


incidemment — un élément qui vient concrétiser
d'une manière inattendue tout le débat. C'est l'idée
que notre vision du monde, ou nos visions du
monde successives au cours d'une vie — si tel est le
cas —, sont en lien avec des configurations « astrologi-
ques » propres à chaque individu, mais qui ne sont
pas celles de l'horoscope extérieur, et qui sont « beau-
coup plus importantes que les configurations de l'horoscope exté-
rieur.» Mais ensuite, ni dans cette conférence, ni ulté-
rieurement, Steiner ne développera cela. Tout au plus
indique-t-il que les « aspects » n'ont pas ici la même
signification que dans l'astrologie habituelle. Toute-
fois ces quelques lignes suffisent à nous faire envi-
sager au moins une relativisation de l'importance du
thème astrologique habituel (de naissance), voire une
remise en question plus fondamentale.
Mais, d'un autre côté, cela a pu conduire certains
auteurs (en particulier Willi Sucher) à rechercher — à
partir des maigres indications de configurations as-
trologiques-spirituelles en lien avec certaines philo-
sophies (Hegel, Fichte, Wundt, Hamerling, Scho-
penhauer, et surtout Nietzsche dont le cas est plus
détaillé) — le moment d'une sorte de naissance spiri-
tuelle pouvant donc se situer avant ou après la nais-
sance physique, et des résultats intéressants ont été
obtenus. Nous ne pouvons entrer ici dans le débat
complexe — à la fois au niveau technique et au niveau
« moral » — que peuvent soulever de telles détermina-
tions, surtout si elles sont mêlées aux méthodes et à
l'état d'esprit problématiques de l'astrologie habi-
tuelle.
Il faut d'abord remarquer que Steiner ne parle pas
explicitement d'un tel moment qui correspondrait
ponctuellement à une sorte d'horoscope spirituel ; à
REPÈRES. 15

partir du court passage (au début de la quatrième


conférence) où il évoque les configurations astrologi-
ques-spirituelles on peut envisager un système plus
mobile se situant éventuellement à plusieurs mo-
ments différents avant ou après la naissance. Mais
même dans le cas où l'hypothèse d'un horoscope
spirituel ponctuel serait la bonne, il y aurait encore
bien d'autres questions à se poser.
Comment, par exemple, parmi les multiples as-
pects qui seraient présents dans un tel « ciel spirituel
de naissance », déterminer celui qui est actif ? Car il
est clair, dans les exemples de Steiner, que c'est une
seule position planétaire qui joue principalement, du
moins à un moment donné. Ensuite — et nous
passons alors au niveau moral —, même s'il était
possible de déterminer un tel moment de naissance
spirituelle, une telle démarche serait-elle justifiée ?
Ne serait-ce pas aborder « par le petit bout de la
lorgnette » ce sujet de la pensée humaine et de la pen-
sée cosmique, que de vouloir savoir en quelque sorte
a priori — au moyen de calculs astrologiques — quelle
est notre vision du monde particulière ? N'y-a-t-il pas
une voie plus objective et « désintéressée », consistant
à explorer ce cosmos de la pensée humaine pour
lui-même, dans la diversité de la vie et des relations
humaines, et d'apprendre à y lire directement, sans
« cartes du ciel » interposées ?
Nous ressentons bien qu'avec ces questions nous
sommes vraiment « sur le fil du rasoir », et cela est ex-
plicitement dit par Rudolf Steiner : « Car, avec ce genre
de choses, nous nous trouvons placés devant les mystères des indi-
vidualités humaines. (.„) C'est ce que nous n'avons le droit de
regarder qu'avec une crainte sacrée. » Toutefois : « Il faut
qu'à notre époque le voile qui recouvre un secret de cette nature
soit soulevé jusqu'à un certain point. »
16 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

Il importe donc d'aborder d'emblée cette question


en tenant compte des indications données dans ces
conférences — en commençant par le commence-
ment : s'éveiller à une authentique activité pensante.

Christian Lazaridès
I

Berlin, 20 janvier 1914

Dans ces quatre conférences que j'aurai à faire


devant vous au cours de notre Assemblée générale, je
voudrais parler du lien qui unit l'homme au cosmos
en me plaçant à un certain point de vue. Et je vou-
drais indiquer quel est ce point de vue par les paroles
suivantes :
L'être humain fait en soi-même l'expérience de ce
que nous pouvons appeler la pensée et dans la pen-
sée, l'être humain peut se ressentir comme quelque
chose d'immédiatement agissant, quelque chose qui
peut embrasser du regard son activité. Lorsque nous
considérons un objet extérieur quelconque, par
exemple une rose ou une pierre, et que nous nous
représentons cet objet extérieur, quelqu'un peut dire
à juste titre : en fait, tu ne peux jamais savoir jusqu'à
quel point tu as en fait l'objet ou la plante quand tu
en formes la représentation. Tu vois la rose, sa
couleur rouge extérieure, sa forme, comment elle est
séparée en divers pétales, tu vois ,la pierre avec sa
couleur, ses divers angles, mais il te faut toujours te
dire : il peut y avoir encore là à l'intérieur quelque
chose qui ne t'apparaît pas vers l'extérieur. Tu ne sais
pas quelle part de la pierre, de la rose tu as dans ta
représentation.
Mais quand quelqu'un a une pensée, c'est lui-
même qui fait cette pensée. On aimerait dire qu'il est
à l'intérieur de chacune des fibres de cette pensée qui
est la sienne. C'est pourquoi il est pour cette pensée
tout entière celui qui participe à cette activité qui est
la sienne. Il sait la chose suivante : ce qui est dans
la pensée, je l'ai introduit ainsi dans la pensée en
18 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

le pensant, et ce que je n'ai pas introduit dans la


pensée en le pensant, cela ne peut pas non plus être à
l'intérieur de celle-ci. J'embrasse du regard la pensée.
Personne ne peut affirmer que, quand je forme la
représentation d'une pensée, il pourrait encore y
avoir dans la pensée une quantité de choses comme
dans la rose et dans la pierre ; car j'ai moi-même
produit la pensée, je suis présent en elle et je sais
donc ce qui se trouve à l'intérieur.
C'est la réalité, la pensée est notre bien propre par
excellence. Si nous trouvons la relation de la pensée
au cosmos, à l'univers, nous trouvons aussi la relation
de ce qui est notre bien propre par excellence au
cosmos, à l'univers. Cela peut nous laisser présager
que ce sera vraiment un point de vue fécond que de
considérer quelle est la relation de l'être humain à
l'univers à partir de la pensée. Nous allons donc nous
livrer à cette considération et elle nous amènera à des
sommets importants de la réflexion anthroposo-
phique. Mais nous aurons aujourd'hui à édifier un
soubassement qui pourra peut-être sembler abstrait à
plus d'un parmi vous. Mais nous verrons dans les
prochains jours que nous avons besoin de ce soubas-
sement et que sans lui nous ne pouvons éviter une
certaine superficialité dans l'approche des buts élevés
que nous nous efforçons d'atteindre dans ces quatre
conférences. Donc ce qui vient d'être dit nous laisse
présager que l'être humain, lorsqu'il s'en tient à ce
qu'il a dans la pensée, peut trouver une relation
intime de son être à l'univers, au cosmos.
Mais la chose présente une difficulté, lorsque nous
voulons nous placer à ce point de vue, une grande
difficulté. Une grande difficulté non pas pour notre
réflexion, mais pour le fait objectif. Et cette diffi-
culté consiste en ce qu'il est certes vrai que l'on vit à
PREMIÈRE CONFÉRENCE. 19

l'intérieur de sa pensée dans chaque fibre de celle-ci


et que cette pensée, quand on l'a, on la connaît néces-
sairement de la façon la plus intime parmi toutes les
représentations ; oui, mais... c'est que la plupart des
hommes n'ont pas de pensées ! Et habituellement on
ne pense pas dans toute sa profondeur ce fait que la
plupart des hommes n'ont pas de pensées. Et la
raison pour laquelle on ne le pense pas dans toute sa
profondeur, c'est que, pour le faire, on aurait besoin
de... pensées ! Il faut tout d'abord attirer l'attention
sur un point. Ce qui dans la vie sous sa forme la plus
large empêche les hommes d'avoir des pensées, c'est
que, pour l'usage habituel de la vie, les hommes n'ont
absolument pas toujours besoin de s'avancer jusqu'à
la pensée, mais qu'à la place de la pensée, ils se
contentent de mots. En effet, la plus grande partie de
ce que l'on appelle penser dans la vie habituelle se
déroule en mots. On pense en mots. On pense en
mots beaucoup plus qu'on ne croit. Et beaucoup de
gens, lorsqu'ils demandent une explication de ceci ou
de cela, se satisfont de ce qu'on leur dit un mot quel-
conque qui a pour eux un son connu qui leur rappelle
ceci ou cela ; et ensuite, ils prennent ce qu'ils éprou-
vent en entendant ce mot pour une explication et ils
croient qu'ils ont alors la pensée.
Eh bien, ce que je viens de dire a conduit dans
l'évolution de la vie de l'esprit humain à faire
émerger, à une certaine époque, une opinion qu'au-
jourd'hui encore partagent beaucoup de gens qui se
qualifient de penseurs. Dans la nouvelle édition de
mes Visions du monde et de la vie au dix-neuvième siècle*, j'ai
tenté de remanier tout à fait à fond ce livre en plaçant

* Première version de ce qui deviendra le livre Les énigmes de la philoso-


phie, (Genève EAR 1991).
20 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

au début une histoire de l'évolution de la pensée occi-


dentale ; commençant au sixième siècle avant Jésus-
Christ, je suis allé jusqu'au dix-neuvième siècle et, à la
fin, j'ai ajouté à ce qui avait été donné lorsque le livre
avait paru pour la première fois une présentation de
ce que l'on peut appeler la vie de l'esprit considérée
sous l'angle de la pensée jusqu'à nos jours. Même le
contenu qui était déjà là a été transformé de bien des
façons. J'ai eu alors à y montrer que ce n'est qu'à une
certaine époque que naît en fait la pensée. Elle ne naît
réellement, pourrait-on dire, qu'au sixième ou hui-
tième siècle avant Jésus-Christ. Auparavant, les âmes
humaines ne faisaient absolument pas l'expérience de
ce que l'on peut appeler des pensées au sens exact du
terme. De quoi les âmes humaines faisaient-elles
auparavant l'expérience ? Auparavant, elles faisaient
l'expérience d'images. Et toute expérience du monde
extérieur se produisait sous forme d'images. Je l'ai
souvent dit à partir de certains points de vue. Cette
expérience d'images est la dernière phase de l'an-
cienne expérience de clairvoyance. Puis l'image se
transforme pour l'âme humaine en pensée.
Mon intention dans ce livre était de montrer une
fois ce résultat de la science de l'esprit uniquement en
suivant l'évolution de la philosophie. En restant tota-
lement sur le seul terrain de la science philosophique,
il y est montré que la pensée a vu le jour à un certain
moment dans la Grèce antique, qu'elle naît du fait
qu'elle jaillit pour l'expérience de l'âme humaine de
l'ancienne expérience du monde extérieur en images
porteuses de sens. Puis je tentai d'y montrer
comment cette pensée poursuit sa marche en Socrate,
en Platon, Aristote, comment elle prend certaines
formes, comment elle continue son évolution ascen-
dante et conduit ensuite au Moyen-Âge, à ce que je
PREMIÈRE CONFÉRENCE. 21

veux évoquer maintenant. L'évolution de la pensée


conduit à douter que puisse même exister en ce
monde ce que l'on nomme des pensées générales, des
concepts généraux, conduit à ce que l'on appelle le
nominalisme, à cette vision philosophique que les
concepts généraux puissent n'être que des noms,
donc tout simplement rien que des mots. Pour cette
pensée générale il y avait donc même la vision philo-
sophique — et bien des gens l'ont aujourd'hui en-
core — que ces pensées générales peuvent tout sim-
plement n'être que des mots.
Pour voir bien clairement ce qui vient d'être dit,
prenons par exemple un concept facile à cerner et
sans nul doute général ; prenons le concept de
« triangle » en tant que concept général. Celui qui
vient maintenant là avec son point de vue du nomi-
nalisme, qui ne peut pas s'écarter de ce qui a été
élaboré dans ce domaine sous la forme du nomina-
lisme à l'époque qui va du onzième au treizième
siècle dit à peu près ceci : dessine-moi un triangle ! -
Bon, je vais lui dessiner un triangle, par exemple
comme ceci :
22 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

Bien, dit-il, c'est un triangle particulier, bien spéci-


fique, avec trois angles aigus, cela existe. Mais je vais
t'en dessiner un autre. Et il dessine un triangle qui a
un angle droit et un autre qui a ce qu'on appelle un
angle obtus.

Bon, maintenant nous appelons le premier un


triangle à angles aigus, le deuxième un triangle rec-
tangle et le troisième un triangle obtusangle. L'inté-
ressé dit alors : là, je te crois, il existe un triangle à
angles aigus, un triangle rectangle et un triangle
obtusangle. Mais tout cela n'est en fait pas le triangle.
Le triangle général doit contenir tout ce que peut
contenir un triangle. Il faut que le premier, le deu-
xième et le troisième triangles fassent partie de l'idée
générale de triangle. Or un triangle à angles aigus ne
peut pourtant pas être en même temps rectangle ou
obtusangle. Un triangle à angles aigus est un triangle
particulier, ce n'est pas un triangle général ; de même,
un triangle rectangle et triangle obtusangle sont des
triangles spécifiques. Mais il ne peut pas exister de
triangle général. Donc le triangle général est un mot
qui comprend les triangles particuliers. Mais il
n'existe pas de concept général de triangle. C'est un
mot qui comprend les particularités.
PREMIÈRE CONFÉRENCE. 23

Naturellement, cela continue. Supposons que


quelqu'un prononce le mot lion. Celui qui se place au
point de vue du nominalisme dit alors : au zoo de
Berlin, il y a un lion, au zoo de Hanovre, il y a aussi
un lion, au zoo de Munich, il y en a aussi un. Il existe
divers lions ; mais un lion général, qui serait censé
avoir quelque chose à faire avec le lion de Berlin, de
Hanovre et de Munich, il n'y en a pas. Ce n'est qu'un
simple mot qui comprend les lions particuliers. Il
existe seulement des objets particuliers et en dehors
des objets particuliers, dit le nominaliste, il n'existe
rien que des mots qui comprennent les objets parti-
culiers.
Comme il a été dit, cette façon de voir s'est impo-
sée ; des logiciens perspicaces la défendent aujour-
d'hui encore. Et celui qui réfléchit quelque peu à ce
qui vient d'être exposé devra aussi au fond s'avouer
ceci : il y a tout de même là quelque chose de parti-
culier. Je ne peux pas parvenir sans plus à savoir s'il
existe en fait réellement ce « lion en général » et le
« triangle en général », car je n'y vois pas bien clair. Si
maintenant quelqu'un venait me dire : vois-tu, mon
cher ami, je ne peux pas t'approuver de me montrer
le lion de Munich, de Hanovre ou de Berlin. Si tu
affirmes qu'il existe le lion « en général », il faut que
tu me conduises en un endroit quelconque où il y ait
le « lion en général ». Mais quand tu me montres le
lion de Munich, le lion de Hanovre et celui de Berlin,
tu ne m'as pas prouvé qu'existe le « lion en
général ». — Si quelqu'un venait avec l'idée que l'on
doit lui montrer le « lion en général », on serait tout
d'abord un peu dans l'embarras. Il n'est pas si facile
de répondre à la question de savoir où l'on doit
conduire la personne à qui on doit montrer le « lion
en général ».
24 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

Eh bien, nous ne voulons pas aller maintenant vers


ce que nous donne la science de l'esprit. Cela va bien
venir plus tard. Nous voulons pour l'instant en rester
au penser, nous voulons en rester à ce qui peut être
atteint par le penser et nous serons obligés de nous
dire : si nous voulons rester sur ce terrain, il ne nous
est pas vraiment possible de conduire un sceptique
quelconque au « lion en général ». Cela ne va vrai-
ment pas. Il y a là une des difficultés qu'il faut tout
simplement reconnaître. Car si l'on ne veut pas re-
connaître cette difficulté dans le domaine du penser
habituel, on ne prend tout simplement pas en
compte la difficulté inhérente au penser humain.
Mais restons-en au triangle ; car finalement, il est
indifférent pour la chose générale que nous nous
expliquions la chose sur l'exemple du triangle, du
lion ou d'autre chose. Au premier abord, il apparaît
sans issue de vouloir dessiner un triangle général qui
contienne toutes les qualités, tous les triangles. Et
parce que non seulement cela apparaît, mais que c'est
effectivement sans issue pour le penser humain habi-
tuel, toute philosophie extérieure se trouve placée là
devant une ligne de partage et sa tâche serait de
s'avouer vraiment une bonne fois qu'en tant que phi-
losophie extérieure, elle se trouve à une ligne de
partage. Mais cette ligne de partage n'est précisément
que celle de la philosophie extérieure. Il existe malgré
tout une possibilité de dépasser cette ligne de partage
et c'est cette possibilité que nous voulons maintenant
découvrir.
Essayons de penser que nous ne nous contentons
pas de dessiner un triangle en disant : maintenant, je
t'ai dessiné un triangle, et il est là. On pourra toujours
faire l'objection suivante : c'est en fait un triangle à
angles aigus, ce n'est pas un triangle général. On peut
PREMIÈRE CONFÉRENCE. 25

en effet dessiner aussi le triangle de façon différente.


En réalité, on ne le peut pas ; mais nous verrons
bientôt quel est le rapport entre ce pouvoir et ce
non-pouvoir. Supposons que nous dessinions ce
triangle que nous avons ici et que nous permettions à
chaque côté de bouger dans toutes les directions,
comme il le veut. Et de plus, nous lui permettons de
bouger à des vitesses différentes (le conférencier pro-
nonce les phrases suivantes en dessinant au tableau) :

Ce côté-ci se déplace de façon à prendre à l'instant


suivant cette position, celui-là de façon à prendre à
l'instant suivant cette position-là. Celui-ci se déplace
beaucoup plus lentement, celui-là se déplace beau-
coup plus vite, etc. Maintenant le sens s'inverse.
Bref, nous entrons dans la représentation in-
confortable qui consiste à dire : je ne vais pas seule-
ment dessiner un triangle et le laisser tel qu'il est,
mais je pose à ta faculté de représentation certaines
exigences. Il faut que tu penses que les côtés du trian-
gle sont constamment en mouvement. Lorsqu'ils
26 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

sont en mouvement, il peut sortir en même temps de


la forme du mouvement un triangle rectangle ou un
triangle obtusangle ou tout autre triangle.
On peut faire et aussi exiger deux sortes de choses
dans ce domaine. La première chose qu'on peut
exiger est de n'avoir pas à se fatiguer. Quand quel-
qu'un vous dessine un triangle, il est achevé et on sait
quelle est son apparence extérieure ; maintenant, on
peut tranquillement se reposer dans ses pensées, car
on a ce qu'on veut. Mais on peut aussi faire cette
autre chose : considérer pour ainsi dire le triangle
comme un point de départ et permettre à chaque côté
de se mettre à tourner à différentes vitesses et dans
différentes directions. Dans ce cas-là, on n'a pas les
choses aussi faciles, non, il faut exécuter des mouve-
ments dans ses pensées. Mais, en revanche, on a aussi
vraiment l'idée générale de triangle dans ces mouve-
ments ; seulement, on ne peut, c'est certain, y par-
venir lorsqu'on veut s'arrêter à un triangle. L'idée gé-
nérale de triangle est là, lorsqu'on a la pensée en
continuel mouvement, lorsqu'elle est mobile.
Comme les philosophes n'ont pas fait ce que je
viens d'exprimer — mettre la pensée en mouve-
ment — ils se trouvent nécessairement devant une
ligne de partage et ils fondent le nominalisme. Nous
allons maintenant traduire ce que je viens d'exprimer
dans un langage qui nous est connu, un langage qui
nous est connu depuis longtemps.
Lorsque nous sommes censés nous élever de l'idée
particulière à l'idée générale, il est exigé de nous que
nous mettions l'idée particulière en mouvement, si
bien que l'idée en mouvement est l'idée générale qui
se glisse d'une forme dans l'autre. Je dis « forme » ;
pensé de façon juste, cela donne ceci : l'ensemble est
en mouvement et tout élément isolé qui surgit par le
I EMIÈRE CONFÉRENCE. 27

mouvement est une forme fermée sur elle-même. Au-


paravant, je me suis contenté de dessiner des formes
isolées, un triangle à angles aigus, un triangle rec-
tangle et un triangle obtusangle. Maintenant, je des-
sine quelque chose — en réalité, je ne le dessine pas,
comme je l'ai déjà dit, mais on peut se le repré-
senter — qui est censé susciter la représentation que
l'idée générale est en mouvement et engendre la
forme isolée quand elle s'arrête — je dis bien'« en-
gendre la forme ».
Et là, nous le voyons, les philosophes du nomina-
lisme qui sont placés nécessairement à une ligne de
partage se meuvent dans un certain domaine, dans le
domaine des esprits de la forme. Au sein du royaume
des esprits de la forme qui est tout autour de nous
règnent les formes, et parce que ce sont les formes
qui règnent, il y a dans ce royaume des objets isolés,
séparés, strictement enfermés en eux-mêmes. C'est
pourquoi vous voyez que les philosophes auxquels je
fais allusion n'ont jamais pris la décision de sortir du
royaume des formes et ne peuvent donc rien avoir
d'autre dans les idées générales que des mots, exacte-
ment rien que des mots. S'ils sortaient du royaume
des objets particuliers, c'est-à-dire des formes, ils
entreraient dans une activité de représentation qui est
en constant mouvement, c'est-à-dire qu'ils auraient
dans leur penser une façon d'avoir présent à l'esprit le
royaume des esprits du mouvement, la hiérarchie
immédiatement supérieure. Mais la plupart des philo-
sophes dont il s'agit n'y condescendent pas. Et lors-
qu'il y eut un homme, à l'époque la plus récente de la
pensée occidentale, pour condescendre à penser tout
à fait dans ce sens, il a été peu compris, bien qu'on
parle et qu'on fabule beaucoup à son sujet. Il suffit de
lire ce que Goethe a écrit dans sa Métamorphose des
28 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

plantes, ce qu'il a appelé la «plante primordiale» ; il suffit


de lire ce qu'il a appelé l'«animalprimordial », et l'on
s'apercevra que l'on n'arrive à saisir ces concepts de
« plante primordiale », d'« animal primordial » que si on les
pense en mouvement. Si l'on prend en compte cette
mobilité dont Goethe parle lui-même, on n'a pas un
concept achevé, limité dans ses formes, non, on a ce
qui vit dans ses formes, ce qui rampe à travers toute
l'évolution du règne animal ou du règne végétal, ce
qui en rampant ainsi à travers ces règnes se trans-
forme de la même manière que le triangle se trans-
forme en triangle ayant un angle aigu ou un angle
obtus, et ce qui peut être tantôt un « loup » ou un
« lion », tantôt un « scarabée », selon que la mobilité
est organisée de telle façon que les propriétés se
transforment en traversant les formes particulières.
Goethe a mis en mouvement les concepts figés des
formes. Tel fut son acte, grand et central. Tel fut l'élé-
ment important qu'il a introduit dans l'observation
de la nature telle qu'on la pratiquait à son époque.
Vous voyez ici sur un exemple que ce que nous
appelons science de l'esprit est effectivement propre
à faire sortir les hommes de ce à quoi ils doivent
aujourd'hui, nécessairement, rester attachés, même
quand ce sont des philosophes. Car sans concepts
élaborés par la science de l'esprit, il n'est absolument
pas possible, quand on est honnête, d'admettre autre
chose que ceci : les idées générales ne sont que des
mots. Et c'est la raison pour laquelle j'ai dit que la
plupart des gens n'ont seulement pas de pensées et
que, lorsqu'on leur parle de pensées, ils refusent cela.
Quand parle-t-on aux gens de pensées ? Lorsqu'on
dit par exemple que les animaux et les plantes ont
des âmes-groupes. Que l'on dise pensées générales
ou âmes-groupes — nous verrons au cours de ces
PREMIÈRE CONFÉRENCE. 29

conférences quel rapport il y a entre les deux — cela


revient au même pour le penser. Mais on ne peut pas
non plus comprendre l'âme-groupe autrement qu'en
la pensant en mouvement, en perpétuel mouvement
extérieur et intérieur ; sinon, on n'arrive pas à l'âme-
groupe. Mais les gens s'y refusent. Aussi refusent-ils
également l'âme-groupe, ils refusent donc la pensée
générale.
Mais pour connaître le monde manifesté, on n'a
pas besoin de pensées ; là, on n'a besoin que du sou-
venir de ce que l'on a vu dans le royaume de la forme.
Et c'est absolument tout ce que savent la plupart des
gens : ce qu'ils ont vu dans le royaume de la forme.
Alors les pensées générales restent en ce cas de
simples mots. C'est pourquoi j'ai pu dire que la plu-
part des gens n'ont pas de pensées. Car, pour la plu-
part des gens, les pensées générales restent seulement
des mots. Et s'il n'y avait pas, parmi les nombreuses
sortes d'esprits des hiérarchies supérieures, aussi le
génie de la langue qui forme les mots généraux pour
les concepts généraux, les hommes ne le feraient pas
d'eux-mêmes. Donc les hommes reçoivent d'abord
véritablement du langage leurs pensées générales et
ils n'ont aussi guère plus que les pensées générales
conservées dans le langage.
Mais nous voyons par là que penser de véritables
pensées doit vraiment être quelque chose de parti-
culier. Que ce doit être quelque chose de particulier,
nous pouvons nous l'expliquer en considérant
combien il est en fait difficile aux hommes de par-
venir à la clarté dans le champ de la pensée. Dans la
vie extérieure de tous les jours, on affirmera peut-être
souvent, lorsqu'on veut plastronner un peu, que le
penser est facile. Mais il n'est pas facile. Car le véri-
table penser exige toujours que l'on soit effleuré de
30 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

très près, sous une forme qui est à un certain point de


vue inconsciente, par un souffle émanant du royaume
des esprits du mouvement. S'il était vraiment si facile
que cela de penser, on ne commettrait pas de
boulettes aussi colossales dans le domaine du penser
et on ne se torturerait pas depuis si longtemps avec
toutes sortes de problèmes et d'erreurs. Ainsi, on se
torture depuis plus d'un siècle avec une pensée que
j'ai souvent mentionnée et que Kant a exprimée.
Kant voulait éliminer ce qu'on appelle la preuve
ontologique de l'existence de Dieu. Cette preuve
ontologique de l'existence de Dieu remonte égale-
ment à l'époque du nominalisme, où l'on disait qu'il
n'y a pour les concepts généraux que des mots et
qu'il n'existe rien de général qui correspondrait aux
pensées particulières comme les pensées particulières
correspondent aux représentations. Je vais prendre
l'exemple de cette preuve ontologique de l'existence
de Dieu pour montrer de quelle façon on pense.
Elle dit à peu près ceci : si l'on admet un Dieu, il
faut qu'il soit l'être absolument le plus parfait. S'il est
l'être absolument le plus parfait, l'existence ne peut
pas lui faire défaut ; car il y aurait sinon, c'est bien
certain, un être encore plus parfait, qui aurait les
facultés que l'on pense et qui, en outre, existerait. Il
faut donc penser l'être le plus parfait sous la forme
qu'il existe. On ne peut donc pas penser Dieu autre-
ment qu'existant, lorsqu'on le pense comme l'être
absolument le plus parfait. Cela signifie que l'on peut
déduire du concept lui-même qu'il doit nécessaire-
ment exister un Dieu selon la preuve ontologique de
l'existence de Dieu.
Kant a voulu réfuter ce concept en montrant que
l'on ne peut pas déduire d'un concept l'existence
d'une chose. Il a forgé à cette fin la célèbre formule
PREMIÈRE CONFÉRENCE. 31

que j'ai souvent indiquée et selon laquelle cent


thalers réels ne sont rien de plus ni de moins que cent
thalers possibles. C'est-à-dire que si un thaler vaut
trois cents pfennigs, il faut compter cent thalers réels
comprenant chacun trois cents pfennigs et de même
compter cent thalers possibles comprenant chacun
trois cents pfennigs. Cent thalers possibles contien-
nent donc tout autant que cent thalers réels ; cela
veut dire qu'il n'y a aucune différence à penser cent
thalers réels ou cent thalers possibles. C'est pourquoi
il n'est pas licite de déduire l'existence de la simple
pensée de l'être absolument le plus parfait, parce que
la simple pensée d'un Dieu possible aurait les mêmes
qualités que la pensée d'un Dieu réel.
Cela paraît très sensé. Et depuis plus d'un siècle,
les humains se torturent pour savoir ce qu'il en est
des cent thalers possibles et des cent thalers réels.
Prenons cependant un point de vue immédiat, à
savoir celui de la vie pratique. Peut-on dire de ce
point de vue que cent thalers réels ne contiennent
rien de plus que cent thalers possibles ? On peut dire
que cent thalers contiennent exactement cent thalers
de plus que cent thalers possibles ! La chose est pour-
tant bien claire : cent thalers possibles pensés d'un
côté et cent thalers réels de l'autre côté, cela fait une
différence ! Il y a de l'autre côté exactement cent
thalers de plus. Et dans la plupart des cas de la vie, il
semble bien s'agir tout de même justement de ces
cent thalers réels.
Mais la chose a tout de même aussi un aspect plus
profond. On peut en effet poser cette question : de
quoi s'agit-il donc dans la différence entre cent
thalers possibles et cent thalers réels ? Je pense que
tout le monde reconnaîtra que pour celui qui peut
avoir les cent thalers, il y a sans aucun doute tout à
32 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

fait une différence entre cent thalers possibles et cent


thalers réels. Car supposez que vous ayez besoin de
cent thalers et que quelqu'un vous donne le choix
entre vous donner cent thalers possibles et cent
thalers réels. Si vous pouvez les avoir, il semble que la
différence ait tout de même une importance. Mais
supposez que vous soyez dans le cas de ne pas pou-
voir avoir réellement les cent thalers. Alors il pourrait
se faire qu'il soit pour vous absolument indifférent
que quelqu'un ne vous donne pas les cent thalers
possibles ou les cent thalers réels. Quand on ne peut
pas les avoir, cent thalers possibles et cent thalers
réels contiennent effectivement exactement la même
chose.
Cela a pourtant une signification. Cela a cette si-
gnification que l'on ne pouvait parler comme Kant a
parlé du Dieu qu'à une époque où on ne pouvait plus
avoir le Dieu par l'expérience de l'âme humaine.
Lorsqu'il ne fut plus accessible en tant que réalité, le
concept du Dieu possible ou celui du Dieu réel furent
exactement la même chose, comme c'est la même
chose de ne pas pouvoir avoir cent thalers réels ou
cent thalers possibles. Lorsqu'il n'existe pour l'âme
aucun chemin qui conduise au Dieu réel, aucun déve-
loppement de pensées qui s'en tienne au style de
Kant n'y conduira très certainement non plus.
Vous voyez là que la chose a tout de même aussi
un aspect plus profond. Mais je ne la mentionne que
parce que j'ai voulu montrer par là clairement que,
lorsqu'on pose la question du penser, il faut creuser
un peu plus profond. Car des fautes de penser se per-
pétuent insidieusement par les esprits les plus éclai-
rés, et pendant longtemps on ne perçoit pas en quoi
consiste en fait la fragilité des pensées, comme celle,
par exemple, de la pensée kantienne des cent thalers
PREMIÈRE CONFÉRENCE. 33

possibles et des cent thalers réels. Pour une pensée, il


importe toujours de considérer la situation dans
laquelle la pensée est appréhendée.
J'ai tenté de vous montrer, à partir de la nature de
la pensée générale tout d'abord, puis de l'existence de
cette faute de penser de la pensée kantienne en parti-
culier, que les chemins du penser ne peuvent tout de
même pas être considérés absolument sans qu'on se
plonge profondément dans les choses. Je vais encore
aborder la question d'un troisième côté.

Supposons qu'on ait ici une montagne ou une


colline (figure de droite) et ici un versant à pic (figure
de gauche) ; que sur ce versant à pic jaillisse une sour-
ce ; que la source se précipite verticalement le long de
la pente, telle une véritable cascade. Supposons aussi
que l'on voie tout à fait dans les mêmes conditions
encore une source de l'autre côté. Elle veut faire tout
à fait la même chose que la première ; mais elle ne
le fait pas. En effet, elle ne peut pas dévaler la pente
en cascade, mais elle descend joliment et forme un
ruisseau ou une rivière. L'eau a-t-elle d'autres forces
dans la deuxième source que dans la première ?
34 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

Manifestement pas. Car la deuxième source ferait


exactement la même chose que la première si la
montagne ne la gênait pas et n'envoyait pas ses forces
vers le haut. Si les forces que la montagne envoie vers
le haut — les forces de retenue — ne sont pas là, elle se
précipitera vers le bas comme la première source.
Deux forces entrent donc ici en ligne de compte : la
force de retenue de la montagne et la force de pesan-
teur de la terre, qui fait que la première source se
précipite vers le bas. Mais elle est tout aussi présente
dans la deuxième source, car on peut dire : elle est là,
je vois qu'elle attire la source vers le bas. Si mainte-
nant quelqu'un était un sceptique, il pourrait nier ce
fait pour la deuxième source et dire : là, on ne voit
tout d'abord rien, tandis que, pour la première
source, chaque parcelle d'eau est attirée vers le bas. Il
faut donc pour la deuxième source ajouter en chaque
point la force qui agit à l'encontre de la pesanteur, la
force de retenue de la montagne.
Supposons maintenant que quelqu'un vienne
dire : ce que tu me racontes au sujet de la force de
pesanteur, je n'y crois pas vraiment et ce que tu me
dis de ta force de retenue, je n'y crois pas non plus. La
montagne, là-bas, est-elle la cause qui fait que la sour-
ce prend ce chemin ? Je ne le crois pas. — On pourrait
alors poser à cette personne la question suivante :
mais alors, qu'est-ce que tu crois ? Elle pourrait ré-
pondre : je crois qu'il y a une quantité d'eau qui est en
bas ; immédiatement au-dessus, il y a aussi une quan-
tité d'eau, et de nouveau une autre, et une autre. Je
crois que l'eau qui est en bas est poussée vers le
bas par l'eau qui est au-dessus et que cette eau qui
est au-dessus est poussée vers le bas par l'eau qui
est au-dessus d'elle. Chaque quantité d'eau placée
au-dessus pousse toujours vers le bas celle qui la
PREMIÈRE CONFÉRENCE. 35

précède. — C'est une différence considérable. La pre-


mière personne affirme : la pesanteur attire les masses
d'eau vers le bas. La deuxième en revanche dit : il y a
des quantités d'eau, elles poussent toujours vers le
bas celles qui se trouvent plus bas qu'elles et de ce fait
l'eau qui est placée au-dessus suit le même chemin
vers le bas.
N'est-ce pas, un homme qui parlerait d'une telle
façon de pousser serait bien sot. Mais supposons
qu'il ne s'agisse pas d'un ruisseau ou d'un fleuve,
mais de l'histoire de l'humanité et que la personne
que nous venons de caractériser dise : tout ce que je
crois de ce que tu viens de me dire, c'est ceci : nous
sommes maintenant au vingtième siècle, certains
événements se sont déroulés ; ils sont produits par
des événements du dernier tiers du dix-neuvième
siècle ; ces derniers sont à leur tour causés par ceux du
deuxième tiers du dix-neuvième siècle, et ceux-ci à
leur tour par ceux du premier tiers. C'est ce qu'on
appelle conception pragmatique de l'histoire, où l'on
parle de causes et d'effets en ce sens que l'on explique
toujours les événements suivants à partir des événe-
ments précédents correspondants. De même qu'on
peut nier la pesanteur et dire à propos des quantités
d'eau qu'il y a quelqu'un qui pousse, de même c'est
ce qui se passe quand on fait de l'histoire pragma-
tique et qu'on explique la situation au dix-neuvième
siècle comme une conséquence de la Révolution fran-
çaise. Nous disons, nous, bien entendu : Non, il y a là
d'autres forces en plus de celles qui poussent à
l'amont, qui ne sont en fait même pas véritablement
là. Car les événements situés en amont dans l'histoire
de l'humanité poussent tout aussi peu que les forces
situées en amont dans la rivière de la montagne ; mais
il vient sans cesse d'autres forces issues du monde
36 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

spirituel, de même que dans la source la pesanteur


agit constamment, et elles se croisent avec d'autres
forces, de même que dans la rivière la pesanteur se
croise avec la force de retenue de la montagne. Si une
seule force était présente, alors on verrait que l'his-
toire suit un tout autre cours. Mais tu ne vois pas les
diverses forces qui y sont présentes. Tu ne vois pas ce
qui est l'évolution physique du monde, ce qui a été
décrit comme la succession de l'évolution de Saturne,
du Soleil, de la Lune et de la Terre ; et tu ne vois pas
ce qui se passe constamment avec les âmes humaines
qui vivent dans le monde spirituel et qui descendent
de nouveau sur terre, tout ce qui, issu des mondes
spirituels, entre continuellement à nouveau dans
cette évolution. Cela, tu le nies tout simplement.
Mais il existe une conception de l'histoire qui
adopte une attitude semblable à celle d'une personne
qui aurait les visions du monde que nous venons de
caractériser — et elle n'est pas si rare que cela. Elle a
même été considérée au dix-neuvième siècle comme
extrêmement intelligente et subtile. Mais que pour-
rions-nous dire à ce sujet du point de vue que nous
venons d'élaborer ? Si quelqu'un disait du torrent de
montagne la même chose que ce qu'il dit de l'his-
toire, il dirait un total non-sens. Mais comment se
fait-il qu'il dise le même non-sens au sujet de l'his-
toire ? L'histoire est tellement compliquée que l'on
ne remarque pas que, sous sa forme d'histoire prag-
matique, elle est presque partout enseignée de cette
façon ; on ne le remarque tout simplement pas.
Nous voyons par là que la science de l'esprit, qui a
pour tâche d'acquérir des principes sains en ce qui
concerne la conception de la vie, a sans nul doute
quelque chose à faire dans les divers domaines de la
vie ; qu'il existe effectivement une certaine nécessité
PREMIÈRE CONFÉRENCE. 37

de connaître tout d'abord le penser, de se familiariser


avec les lois et les impulsions internes du penser. Si-
non il peut de fait vous arriver toutes sortes de choses
grotesques. Ainsi, il y a, par exemple, quelqu'un qui
s'avance aujourd'hui en clopinant sur le chemin
cahoteux et raboteux du problème du penser et du
langage. C'est le célèbre critique du langage Fritz
Mauthner qui a également écrit maintenant un grand
dictionnaire philosophique. L'épais volume de
Mauthner La critique du langage en est déjà à sa se-
conde édition, ce qui prouve qu'elle est devenue aux
yeux de nos contemporains un livre célèbre. Ce livre
contient bien des choses pleines d'esprit, mais aussi
des choses épouvantables. On peut y trouver par
exemple cette curieuse erreur de penser — et on butte
presque toutes les cinq lignes sur une erreur de pen-
ser de ce genre — que le bon Mauthner met en doute
l'utilité de la logique. Car penser n'est tout simple-
ment pour lui que parler, donc cela n'a pas de sens de
faire de la logique, car on ne fait en ce cas que de la
grammaire. Mais il dit en outre : puisqu'il ne peut pas
exister de logique, les logiciens ont donc tous été des
fous. Bien. Et il dit alors : dans la vie habituelle, les
jugements naissent des déductions logiques et
ensuite les représentations naissent des jugements.
C'est ainsi que procèdent les gens. À quoi cela sert-il
donc d'avoir d'abord une logique, si les gens agissent
ainsi : des déductions logiques ils font naître des
jugements et des jugements ils font naître des repré-
sentations ? A quoi nous sert une logique ? — Voilà
qui est tout aussi intelligent que de dire : A quoi sert
d'avoir une botanique ? L'an dernier et il y a deux
ans, les fleurs ont bien toujours poussé ! Mais c'est ce
type de logique que l'on trouve chez celui qui
méprise la logique. Il est compréhensible certes qu'il
38 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

la méprise. On trouve encore bien d'autres choses


bien plus étonnantes dans ce livre étrange qui, au
sujet du rapport entre penser et parler, n'arrive pas à
la clarté, mais à la confusion.
J'ai dit que nous avons besoin d'un soubassement
pour les choses qui sont censées nous conduire sans
aucun doute jusqu'aux hauteurs de la réflexion spiri-
tuelle. Un soubassement tel que nous l'avons produit
aujourd'hui peut bien paraître un peu abstrait à plus
d'un ; mais nous en aurons besoin. Et je crois que
j'essaie de rendre la chose malgré tout assez simple
pour que ce qui importe puisse être transparent. Je
voudrais en particulier insister sur le fait que, ne
serait-ce que par ces considérations simples, on peut
acquérir un concept de la frontière qui sépare le
royaume des esprits de la forme du royaume des
esprits du mouvement. Mais acquérir un tel concept
est intimement lié au fait d'être tout simplement
fondé à admettre des idées générales ou d'être fondé
à n'admettre que des représentations ou des concepts
d'objets isolés. Je dis expressément : être fondé à.
Nous mènerons demain plus loin notre construc-
tion à partir de ces préliminaires auxquels je n'ajoute
rien, parce qu'ils sont un peu abstraits.
II

Berlin, 21 janvier 1914

Au fond, s'occuper de science de l'esprit rend né-


cessaire de s'exercer parallèlement et constamment à
une vie pratique dans les activités de l'esprit. Il est en
réalité impossible de parvenir à une totale clarté au
sujet des nombreuses choses qui ont été traitées hier
si l'on ne tente pas de venir à bout des choses par une
sorte d'appréhension vivante des activités inhérentes
à la vie de l'esprit, et en particulier aussi à la vie de la
pensée. Car pourquoi la vie de l'esprit est-elle ainsi
faite qu'il règne par exemple de la non-clarté quant
aux rapports des concepts généraux, du triangle en
général aux représentations particulières des triangles
particuliers chez des gens dont c'est le métier de
s'occuper des choses au plan de la pensée ? D'où
viennent donc ces choses retenant l'attention de
siècles entiers, comme l'exemple cité hier des cent
thalers possibles et des cent thalers réels de Kant ?
D'où vient donc que l'on ne met pas en oeuvre les
réflexions les plus simples qui seraient nécessaires
pour qu'on s'aperçoive qu'il ne peut exister quelque
chose comme de l'histoire pragmatique, où ce qui
suit est toujours déduit de ce qui précède ? D'où
vient-il que l'on ne met pas en oeuvre ce type de
réflexion qui vous surprendrait au sujet de ce qui s'est
répandu dans les cercles les plus larges et qui
constitue justement une façon impossible de conce-
voir l'histoire de l'humanité ? D'où viennent toutes
ces choses ?
Elles viennent de ce que, même là où on le devrait,
on se donne beaucoup trop peu la peine d'apprendre
à manier les activités propres à la vie de l'esprit d'une
40 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

façon précise. À notre époque, tout un chacun veut,


c'est bien connu, pouvoir revendiquer à justre titre au
moins la chose suivante, il veut pouvoir dire : pen-
ser, mais évidemment qu'on sait le faire ! Donc on
commence à penser. Or il y a dans le monde des vi-
sions du monde. Beaucoup, beaucoup de philoso-
phes ont existé. On s'aperçoit que l'un a dit ceci, l'au-
tre cela. Mais qu'ils ont été des gens passablement
pourvus d'intelligence, qui auraient pu être attentifs à
bien des choses qui sont des contradictions que l'on
découvre chez eux, on n'y réfléchit pas, on se dis-
pense d'y réfléchir. Mais on se flatte d'autant plus de
savoir « penser ». Donc on peut penser par après ce
que les gens ont pensé là, et on est persuadé que l'on
trouvera bien soi-même ce qui est juste. Car on n'a
pas le droit, de nos jours, de faire le moindre crédit à
l'autorité ! C'est contraire à la dignité de la nature
humaine. Il faut penser par soi-même. C'est tout à fait
ce que l'on pratique dans le domaine du penser.
Je ne sais pas si les gens ont réfléchi que ce n'est
pas ce qu'ils font dans tous les autres domaines de la
vie. Personne ne se sent par exemple soumis à la foi
en l'autorité ou au besoin maladif d'autorité lorsqu'il
se fait faire son costume chez le tailleur ou ses chaus-
sures chez le cordonnier. Il ne dit pas : c'est en-des-
sous de la dignité de l'homme de se faire faire des
choses par des gens dont on peut savoir qu'ils savent
en maîtriser la confection. Eh oui, on va même
parfois jusqu'à reconnaître qu'il faut apprendre ces
choses. En ce qui concerne le penser, on ne reconnaît
pas dans la vie pratique que l'on doive aussi aller
chercher des visions du monde là où on a appris le
penser et bien d'autres choses encore. C'est une
chose qu'on ne reconnaîtra que dans un très petit
nombre de cas.
DEUXIÈME CONFÉRENCE. 41

C'est l'une des choses qui régit notre vie dans


les cercles les plus larges et contribue justement à
ce que la pensée humaine ne soit pas un produit
très répandu à notre époque. Il me semble que l'on
pourrait d'ailleurs trouver cela compréhensible. Car
supposons que tous les gens disent un jour : ap-
prendre à faire des bottes, c'est une chose qui n'est
plus digne d'un homme depuis longtemps ; nous
allons nous mettre tous à faire des bottes — je
ne sais pas s'il n'en sortirait que de très bonnes
bottes. Mais en ce qui concerne l'invention de
pensées justes dans la vision du monde, les gens à
notre époque partent en tout cas la plupart du
temps de pensées de ce type. C'est l'un des élé-
ments qui contribue à ce qu'ait vraiment sa signi-
fication profonde la phrase que j'ai prononcée
hier : que la pensée est certes ce en quoi l'être
humain est pour ainsi dire entièrement à l'intérieur,
et qu'il peut pour cette raison embrasser du regard
dans son être intérieur, mais que la pensée n'est
pas si répandue qu'on aimerait le croire. À cela
vient, il est vrai, s'ajouter encore à notre époque
une prétention toute particulière, qui pourrait
aboutir peu à peu à brouiller tout bonnement toute
clarté concernant la pensée. De cela aussi il faut
s'occuper. Il faut à tout le moins y appliquer une
fois son attention.
Supposons la chose suivante : il y aurait eu à
Giirlitz un cordonnier du nom de Jakob Bôhme. Et ce
cordonnier nommé Jakob Bôhme aurait appris le
métier de cordonnier, aurait bien appris comment on
découpe les semelles, comment on donne la forme à
la chaussure en l'adaptant sur la forme, comment on
enfonce les clous dans les semelles et le cuir, etc. Il
aurait connu clairement tout cela de A à Z et aurait su
42 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

aussi le mettre en pratique. Et voici que ce cordonnier


du nom de Jakob Bôhme s'en serait venu et aurait
dit : maintenant, je voudrais voir comment le monde
est construit. Eh bien, je suppose qu'à la base du
monde il y a une grande forme. Que sur cette forme a
été tendu le cuir cosmique. Puis on aurait pris les
clous cosmiques et on aurait relié au moyen des clous
cosmiques la semelle cosmique au cuir cosmique
au-dessus. Puis on aurait pris le cirage cosmique et
ciré toute la chaussure cosmique. C'est ainsi que je
peux m'expliquer qu'il fasse clair le matin. C'est
qu'alors brille le cirage de la chaussure cosmique. Et
quand le cirage cosmique est recouvert le soir de
toutes sortes de choses, il ne brille plus. C'est pour-
quoi je me représente que quelqu'un s'occupe
pendant la nuit de faire briller à neuf la botte
cosmique. Et c'est ainsi que naît l'alternance du jour
et de la nuit.
Supposons que Jakob Bôhme ait dit cela. Bien sûr,
vous riez, parce que Jakob Bôhme n'a certainement
pas dit cela, mais il a fait des chaussures convenables
pour les bourgeois de Gôrlitz, il s'est servi pour cela
de son art de cordonnier. Mais il a aussi édifié ses
pensées grandioses, par lesquelles il voulait édifier
une vision du monde. Là, il a procédé autrement. Il
s'est dit : là, les pensées qui me servent à faire des
chaussures n'y suffiraient pas, car si je veux avoir
des pensées cosmiques, je n'ai pas le droit d'appli-
quer à l'édifice cosmique des pensées grâce aux-
quelles je fais des chaussures pour les gens. Et il
en est arrivé à ses pensées sublimes au sujet de l'édi-
fice du monde. Donc ce Jakob Bôhme que j'ai tout
d'abord construit hypothétiquement n'a pas existé
à Gôrlitz, mais il a existé cet autre qui a su comment
on fait.
DEUXIÈME CONFÉRENCE. 43

Mais ces Jakob Bôhme hypothétiques, qui sont


comme celui dont vous avez ri, existent ajourd'hui
partout. Nous avons par exemple des physiciens, des
chimistes. Ils ont appris par quelles lois on unit et on
dissocie les substances dans le monde. Il y a des zoo-
logistes, qui ont appris comment on étudie et décrit
les animaux. Il y a des médecins, qui ont appris
comment il faut traiter le corps physique de l'homme
et ce qu'ils appellent l'âme. Que font tous ceux-ci ? Ils
disent : si l'on veut chercher une vision du monde, on
prend les lois que l'on a apprises en chimie, en
physique ou en physiologie — l'existence d'autres lois
n'est pas admise — et avec ces lois, on se construit une
vision du monde. Ces gens font exactement ce qu'au-
rait fait le cordonnier qui vient d'être construit hypo-
thétiquement, s'il avait fabriqué la botte cosmique.
Seulement, on ne remarque pas que, du point de vue
de la méthode, les visions du monde sont absolu-
ment produites de la même façon que l'hypothétique
botte cosmique. Certes, cela paraît grotesque de se
représenter l'alternance du jour et la nuit par celle de
l'usure du cuir de la chaussure et du frottement pour
la faire reluire pendant la nuit. Mais au regard d'une
logique vraie, c'est dans le principe exactement la
même chose que si l'on veut construire l'édifice du
monde à partir des lois de la chimie, de la physique,
de la biologie et de la physiologie. Très exactement le
même principe ! C'est l'insigne prétention du physi-
cien, du chimiste, du physiologiste, du biologiste, qui
ne veulent être rien d'autre que physicien, chimiste,
physiologiste, biologiste, et qui veulent cependant
avoir un jugement sur la totalité du monde.
C'est qu'il s'agit justement en toutes circonstances
d'aller au fond des choses et de ne pas hésiter à éclai-
rer un peu les choses en ramenant ce qui n'est pas très
44 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

transparent à sa formule véritable. Lorsque l'on


considère donc tout cela sous l'angle de la méthode
et de la logique, il ne faut pas s'étonner que, avec bien
des essais de construction d'une vision du monde, on
n'obtienne en fait rien d'autre que la « botte cos-
mique ». Et c'est ce genre de choses qui peut inciter à
s'occuper de la science de l'esprit, à s'occuper d'acti-
vités pratiques du penser, qui peut vous engager à
vous occuper de la manière dont il faut penser, afin
de percer à jour en quels endroits il y a des choses qui
ne vont pas dans le monde.
Je voudrais faire ici état d'autre chose, pour mon-
trer où se trouve la racine d'innombrables malen-
tendus à propos des conceptions du monde. Ne fait-
on pas constamment l'expérience, lorsqu'on se
préoccupe de visions du monde, que l'un croit ceci,
l'autre cela ; l'un défend, souvent avec de bons argu-
ments — car on peut trouver de bons arguments pour
tout — une chose, l'autre, avec de tout aussi bons
arguments, une autre chose ; et l'un réfute une chose
tout aussi bien que l'autre réfute cette autre chose à
l'aide de bons arguments. L'adhésion à ceci ou à cela
ne tient pas d'emblée dans le monde, on le sait, à ce
que l'un ou l'autre est convaincu par un cheminement
juste de ce qui est enseigné ici ou là. Si vous consi-
dérez quels chemins doivent parcourir les élèves de
tels ou tels grands hommes pour arriver jusqu'à tel ou
tel grand homme, vous verrez qu'il y a là certes pour
nous quelque chose d'important en rapport avec le
karma ; mais, par rapport aux visions du monde qui
existent aujourd'hui dans le monde extérieur, il faut
dire : que l'on devienne bergsonien ou haeckelien
ou ceci ou cela dépend finalement — comme nous
l'avons dit, la vision actuelle du monde extérieur
n'admet pas le karma — cela dépend réellement de
DEUXIÈME CONFÉRENCE. 45

choses tout autres que du fait que l'on adhère exclusi-


vement, par le seul biais de la conviction la plus
profonde, à ce à quoi on a précisément été conduit.
C'est un combat où chacun projette des arguments
sur l'adversaire. Et j'ai dit hier : il a existé des nomina-
listes, des gens qui affirmaient que les concepts géné-
raux n'ont absolument aucune réalité, ne sont que
des noms. Ils ont eu des adversaires, ces nomina-
listes. On appelait en ce temps-là réalistes — le terme
avait à cette époque-là une autre signification qu'au-
jourd'hui — les adversaires des nominalistes. Ces
réalistes affirmaient : les concepts généraux ne sont
pas seulement des mots, non, ils se rapportent à une
réalité tout à fait particulière.
Au Moyen-Âge, la question « réalisme ou nomina-
lisme ? » devint pour la théologie tout particulière-
ment brûlante dans un domaine qui aujourd'hui ne
préoccupe plus que très peu les penseurs. Car à l'épo-
que où surgit la question « nominalisme ou réa-
lisme ? », du onzième au treizième siècle, il y avait
quelque chose qui faisait partie de la croyance la plus
importante des hommes, la question des trois « per-
sonnes divines », le Père, le Fils et le Saint-Esprit, qui
étaient censées former un être divin, mais être cepen-
dant trois personnes véritables. Et les nominalistes
affirmaient ceci : ces trois personnes divines n'exis-
tent qu'isolément, le « Père » pour lui-même, le
« Fils » pour lui-même, l'« Esprit » pour lui-même ; et
lorsqu'on parle d'un Dieu commun qui embrasse les
trois, ce n'est qu'un nom pour les trois. Ainsi, le
nominalisme évacuait de la trinité l'unité et les nomi-
nalistes non seulement déclaraient, face aux réalistes,
que l'unité est absurde du point de vue logique, mais
ils tenaient même pour hérétique ce qu'affirmaient
les réalistes, à savoir que les trois personnes étaient
46 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

censées constituer une unité non seulement pensée,


mais réelle.
Nominalisme et réalisme étaient donc des contrai-
res. Et vraiment, celui qui se plonge dans la littérature
qui est issue du nominalisme et du réalisme dans les
siècles dont il a été question perçoit en profondeur ce
que peut produire la sagacité humaine, car les argu-
ments les plus sagaces ont été produits tant pour le
nominalisme que pour le réalisme. Il était en effet
plus difficile à cette époque-là que maintenant d'ac-
céder à un penser de cette sorte, parce que l'impri-
merie n'existait pas encore à cette époque et qu'on ne
parvenait pas sans mal à prendre part à des contro-
verses comme celles qui avaient lieu entre les nomi-
nalistes et les réalistes ; si bien que celui qui prenait
part à des luttes de ce genre devait être à la façon de
l'époque beaucoup mieux préparé que ne le sont
aujourd'hui ceux qui prennent part aux controverses.
Une énorme quantité de sagacité a été dépensée pour
défendre le réalisme, une autre énorme quantité de
sagacité a été dépensée pour défendre le nomina-
lisme. D'où cela vient-il ? Il est tout de même affli-
geant qu'une chose pareille existe. Lorsqu'on réflé-
chit un peu en profondeur, on est obligé de dire qu'il
est affligeant qu'une chose pareille existe. Car on
peut tout de même se dire, quand on réfléchit un peu
en profondeur : à quoi te sert d'être intelligent ? Tu
peux être intelligent et défendre le nominalisme et tu
peux être tout aussi intelligent et réfuter le nomina-
lisme. C'est à douter de toute l'intelligence humaine.
Il est attristant ne serait-ce que d'écouter ce que
signifie ce genre de caractéristiques.
Nous allons maintenant mettre en regard de ce qui
vient d'être dit quelque chose qui n'est peut-être
même pas aussi sagace que bien des choses qui ont
DEUXIÈME CONFÉRENCE. 47

été avancées en faveur du nominalisme ou du réa-


lisme, mais qui a peut-être par rapport à tout cela
l'avantage d'aller droit au but, c'est-à-dire de trouver
la direction dans laquelle il faut penser.
Supposez que vous vous placiez dans la situation
où l'on se trouve lorsqu'on forme des concepts géné-
raux, lorsqu'on rassemble une grande quantité de
particularités. On peut rassembler des particularités
de deux façons, voyons-le sur un exemple. On peut
flâner de par le monde comme on le fait dans la vie et
voir toute une série d'animaux particuliers qui ont le
poil soyeux ou laineux, de diverses couleurs, qui ont
des moustaches et par moments se livrent à une acti-
vité singulière qui fait penser à celle d'un homme qui
se lave, qui mangent des souris, etc. On peut appeler
chats des êtres de cette sorte que l'on a observés ainsi.
On a alors formé un concept général. Tous ces êtres
que l'on a vus ainsi ont quelque chose à faire avec ce
que l'on appelle les chats.
Mais supposons que l'on fassse la chose suivante.
On aurait vécu une vie riche : une vie qui vous aurait
fait rencontrer de nombreuses personnes, hommes et
femmes, possédant des chats et on aurait trouvé
qu'un grand nombre de possesseurs de chats ont
nommé leur chat « Moufti ». Comme on a trouvé cela
dans de nombreux cas, on rassemble sous le nom de
« mouftis » tous les êtres que l'on a trouvés pourvus
du nom de Moufti. Vu de l'extérieur, on a le concept
général de chat et le concept général de moufti. On a
le même fait, le concept général ; et de nombreux
êtres particuliers relèvent les deux fois du concept
général. Et pourtant, personne n'ira affirmer que le
concept général de moufti a la même portée que le
concept général de chat. Vous avez vraiment ici,
donnée dans la réalité, la différence. C'est-à-dire que,
48 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

dans ce que l'on a fait en formant le concept général


de moufti, qui n'est que la réunion de noms qui font
office de noms propres, on s'est orienté d'après le
nominalisme et à juste titre ; et en formant le concept
général de chat, on s'est orienté d'après le réalisme, et
à juste titre. Dans le premier cas, le nominalisme est
justifié, dans le deuxième cas, le réalisme. Tous deux
sont justifiés. Il faut seulement se servir de ces choses
à l'intérieur de leurs justes limites. Et si tous les deux
sont justifiés, il ne faut pas s'étonner que l'on puisse
produire de bonnes raisons pour l'un ou l'autre. Je
me suis servi avec ce nom de moufti d'un exemple
un peu grotesque. Mais je pourrais vous citer un
exemple de beaucoup plus de poids et vais justement
considérer cet exemple devant vous.
Dans le champ de notre expérience extérieure, il y
a un domaine où le nominalisme, c'est-à-dire la repré-
sentation que ce qui rassemble n'est qu'un nom, est
pleinement justifié. Il y a « un », il y a « deux », il y a
« trois », « quatre », « cinq », etc. Mais il est impossible
à celui qui voit la situation dans son ensemble de
trouver dans le terme de « nombre » quelque chose
qui ait vraiment une existence. Le nombre n'a pas
d'existence. « Un », « deux », « trois », « cinq », « six »,
etc., voilà qui a de l'existence. On ne peut pas faire
pour le concept de nombre ce que j'ai dit hier, à
savoir que pour trouver le concept général, on doit
mettre en mouvement ce dont il s'agit. Car le un ne
devient jamais le deux ; il faut toujours ajouter une
unité. Même en pensée, le un ne devient pas le deux,
le deux ne devient pas non plus le trois. Il n'existe
que des nombres particuliers, pas le nombre en
général. Pour ce qui est présent dans les nombres, le
nominalisme est absolument exact ; pour ce qui a la
même forme de présence que l'animal individuel par
DEUXIÈME CONFÉRENCE. 49

rapport à son espèce, le réalisme est absolument


exact. Car il est impossible qu'existe un cerf et un
autre cerf et encore un autre cerf sans qu'existe
l'espèce cerf. « Deux » peut exister pour lui-même,
« un », « sept », etc. peuvent exister pour eux-mêmes.
Mais à partir du moment où le réel apparaît dans le
nombre, ce qui est nombre est une réalité singulière
et l'expression « nombre » n'a aucune existence
d'aucune sorte. Car dans les rapports des objets exté-
rieurs aux concepts généraux il y a des différences, et
tel objet doit être traité à la manière du nominalisme,
tel autre à la manière du réalisme.
Nous arrivons de cette façon, en donnant tout
simplement à la pensée la bonne direction, à tout au-
tre chose. Maintenant nous commençons à compren-
dre pourquoi existent dans le monde tant de contro-
verses à propos de conceptions du monde. Les
hommes ne sont en général pas portés, quand ils ont
compris une chose, à comprendre encore une autre
chose. A partir du moment où quelqu'un a compris
dans un domaine que les concepts généraux n'ont
pas d'existence, il généralise ce qu'il a compris en
l'étendant à la totalité du monde et de sa structure. La
phrase « les concepts généraux n'ont pas d'existence »
n'est pas fausse ; car elle est exacte pour le domaine
que la personne en question a considéré. Ce qui est
faux, c'est la généralisation. Il est donc essentiel, lors-
qu'on veut se faire tout simplement une représenta-
tion au sujet du penser, d'être au clair sur le fait que la
vérité d'une pensée dans son domaine ne signifie
encore rien quant à la validité générale de cette
pensée. Une pensée peut tout à fait être justifiée dans
son domaine ; mais cela ne dit rien de la validité
générale de cette pensée. C'est pourquoi, on peut me
prouver ceci ou cela, et on pourra me le prouver de
50 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

façon aussi exacte que l'on voudra, il peut être im-


possible d'appliquer ce qui a été prouvé ainsi à un
domaine où cela n'a que faire. Il est pour cette raison
nécessaire que celui qui veut se préoccuper avec
sérieux des voies qui conduisent à une vision du
monde prenne avant tout connaissance de ce fait :
l'unilatéralité est le plus grand ennemi de toutes les
conceptions du monde et il est nécessaire avant tout
d'éviter l'unilatéralité. Nous devons éviter l'unilatéra-
lité. C'est ce que je veux indiquer tout particulière-
ment aujourd'hui : il est nécessaire que nous évitions
les unilatéralités.
Considérons tout d'abord aujourd'hui ce qu'il est
prévu d'expliquer en détail dans les prochaines
conférences, de façon à nous procurer tout d'abord
une vue d'ensemble sur la question.
Il peut exister des hommes dont les dispositions
sont tout simplement telles qu'il leur est impossible
de trouver le chemin de l'esprit. Il sera difficile de
jamais leur prouver le spirituel. Ils en restent à ce
dont ils savent quelque chose, à ce dont leurs dis-
positions les portent à savoir quelque chose. Ils en
restent à ce qui leur fait l'impression la plus grossière,
à la réalité matérielle. Un homme de ce genre est un
matérialiste et sa vision du monde est le matéria-
lisme. Il n'est pas nécessaire de trouver toujours
insensé ce qui a été produit par les matérialistes pour
défendre, pour prouver le matérialisme, car on a écrit
dans ce domaine énormément de choses très sagaces.
Ce qui a été écrit est tout d'abord valable pour le
domaine matériel de la vie, pour le monde de la
réalité matérielle et pour ses lois.
Il peut exister d'autres hommes qui sont d'emblée,
de par une certaine intériorité, disposés de façon telle
qu'ils ne voient dans tout ce qui est matériel que la
DEUXIÈME CONFÉRENCE. 51

manifestation du spirituel. Ils savent naturellement


tout aussi bien que les matérialistes qu'il existe une
réalité matérielle extérieure ; mais ils disent ceci : le
matériel n'est que la manifestation du spirituel qui lui
est sous-jacent. Des hommes de cette sorte ne s'inté-
ressent peut-être pas spécialement du tout au monde
matériel et à ses lois. Ils traversent peut-être le
monde, agitant en eux-mêmes tout ce qui peut leur
donner des représentations du spirituel, avec la
conscience que ce qui est vrai, élevé, ce dont on doit
se préoccuper, ce qui a vraiment une réalité, c'est tout
de même l'esprit seulement ; que la matière n'est
qu'un leurre, n'est qu'une fantasmagorie extérieure.
Ce serait là un point de vue extrême, mais il peut
exister et il peut conduire jusqu'à une négation totale
de la vie matérielle. Nous devrions dire d'hommes de
cette sorte : ils reconnaissent pleinement ce qui est
sans nul doute le plus réel, l'esprit ; mais ils sont
unilatéraux, ils nient l'importance de la matière et de
ses lois. On pourra déployer beaucoup de sagacité
pour défendre la vision du monde de ce type
d'hommes. Appelons la vision du monde de ce type
d'hommes spiritualisme. Peut-on dire que les spiri-
tualistes ont raison ? Leurs affirmations pourront
faire apparaître des choses extrêmement justes en
faveur de l'esprit, mais elles ne pourront guère faire
apparaître de choses importantes au sujet de la réalité
matérielle et de ses lois. Peut-on dire que les matéria-
listes ont raison dans leurs affirmations ? Certes, ils
pourront peut-être faire apparaître des choses ex-
traordinairement utiles et valables à propos de la ma-
tière et de ses lois ; mais quand ils parleront de
l'esprit, ils ne produiront peut-être que des sottises.
Nous devons donc dire : pour leurs domaines respec-
tifs, les adeptes de ces visions du monde ont raison.
52 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

Il peut y avoir des hommes qui disent : en fait, que


dans le monde de la vérité il y ait seulement de la ma-
tière ou seulement de l'esprit, je ne peux rien en sa-
voir de particulier ; la faculté de connaissance hu-
maine ne peut absolument pas s'y appliquer. Une
seule chose est claire, c'est qu'il y a autour de nous un
monde qui se déploie. Est-il fondamentalement
constitué par ce que les chimistes, les physiciens,
quand ils deviennent matérialistes, appellent les
atomes de la matière, je ne le sais pas. Mais j'admets le
monde qui est déployé tout autour de moi ; ce
monde, je le vois, je peux penser à son sujet. Quant à
savoir si de plus il est ou non constitué fondamenta-
lement d'un esprit, je n'ai pas de raison particulière
d'admettre quoi que ce soit à ce sujet. Je m'en tiens à
ce qui est déployé tout autour de moi. Dans un sens
un peu différent de celui que j'ai donné à ce mot, on
peut appeler ces hommes des réalistes et leur concep-
tion du monde le réalisme. Exactement de la même
manière que l'on peut mettre en oeuvre énormément
de sagacité en faveur du matérialisme comme en
faveur du spiritualisme, et que l'on peut en outre dire
aussi beaucoup de choses sagaces au sujet du spiritua-
lisme et les plus grandes sottises au sujet de la réalité
matérielle, de même que l'on peut parler avec beau-
coup de sagacité sur la matière et très sottement sur le
spirituel, de même on peut avancer les arguments les
plus sagaces en faveur du réalisme, qui n'est ni le
spiritualisme, ni le matérialisme, mais précisément ce
que je viens de caractériser à l'instant.
Mais il peut encore y avoir d'autres hommes qui
disent à peu près la chose suivante. Autour de nous, il
y a la matière et le monde des phénomènes matériels.
Mais le monde des phénomènes matériels est en
réalité vide de sens en lui-même. Il n'a pas de sens
DEUXIÈME CONFÉRENCE. 53

véritable, si ne se trouve en lui cette tendance qui va


vers l'avant, si de ce monde qui est déployé tout
autour de nous ne peut naître ce qui, n'étant pas
contenu dans le monde qui est déployé tout autour
de nous, peut permettre à l'âme de s'orienter. Selon la
vision du monde de ces hommes, l'idéel et l'idéal
doivent être à l'intérieur du processus du monde. Ces
hommes donnent aux processus du monde ce qui
leur revient. Ce ne sont pas des réalistes, bien qu'ils
donnent à la vie réelle ce qui lui revient, mais ils sont
d'avis que la vie réelle doit être imprégnée de l'idéel,
que c'est alors seulement qu'elle prend un sens. — Se
sentant un jour légèrement tenté par cette disposition
d'esprit, Fichte a dit : la totalité du monde qui se
déploie tout autour de nous est le matériau devenu
sensible qui permet l'accomplissement du devoir. On
peut appeler idéalistes, et leur vision du monde idéa-
lisme, les représentants de cette vision du monde qui
ne fait de toutes choses que des moyens pour des
idées qui pénètrent le processus du monde. De belles
et grandes et sublimes choses ont été mises en avant
en faveur de cet idéalisme. Et dans le domaine que je
viens de caractériser, où il s'agit de montrer combien
le monde serait dépourvu de finalité et de sens si les
idées n'étaient que des créations de l'imagination
humaine et n'étaient pas réellement fondées dans le
processus du monde, dans ce domaine, l'idéalisme a
sa pleine signification. Mais avec cet idéalisme, on ne
peut, par exemple, pas expliquer la réalité extérieure,
la réalité extérieure du réaliste. C'est pourquoi il faut
distinguer des autres visions du monde une vision
qui peut être appelée idéalisme.
Nous avons déjà maintenant quatre visions du
monde justifiées côte à côte, dont chacune a son
importance pour son domaine particulier. Entre le
54 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

Matérialisme

Idéalisme Réalisme

Spiritualisme

matérialisme et l'idéalisme il existe une certaine tran-


sition. Le matérialisme tout à fait grossier — on peut,
c'est certain, l'observer particulièrement bien à notre
époque, bien qu'il soit déjà aujourd'hui en perte de
vitesse — consistera à ce que l'on pousse à l'extrême
ce qu'a dit Kant (Kant lui-même ne l'a pas fait !),
qu'il y a dans les diverses sciences autant de véritable
science seulement qu'il y a de mathématique. C'est-à-
dire que de matérialiste on peut devenir un valet cal-
culateur de l'univers, puisqu'on n'admet rien d'autre
que le monde rempli d'atomes matériels. Ils se heur-
tent, ils tourbillonnent dans tous les sens, et ensuite
on calcule comment ces atomes tourbillonnent dans
tous les sens. On obtient alors de bien beaux résul-
tats, ce qui peut bien prouver que cette vision du
monde a sa pleine justification. Par exemple, on ob-
tient les fréquences du bleu, du rouge, etc. ; on ob-
tient le monde entier sous la forme d'une sorte
d'appareil mécanique et on peut faire de subtils
calculs sur cet appareil. Mais cette chose-là peut vous
égarer quelque peu. On peut se dire, par exemple :
oui, mais même lorsqu'on a une machine aussi
compliquée qu'on voudra, il ne peut cependant ja-
mais sortir de cette machine ce qu'on éprouve
comme le bleu, le rouge, etc., même si elle a des
mouvements aussi compliqués qu'on voudra. Donc
si le cerveau n'est qu'une machine compliquée, il ne
DEUXIÈME CONFÉRENCE. 55

peut malgré tout pas sortir du cerveau ce que l'on a


comme expériences de l'âme. Mais on peut dire alors,
comme a dit un jour Du Bois-Reymond : Certes, si
l'on veut expliquer le monde par les seules mathéma-
tiques, on ne pourra expliquer la sensation la plus
simple qui soit ; mais si on ne veut pas s'en tenir à
l'explication mathématique, on devient non-scienti-
fique. — Le matérialiste grossier dirait : non, je ne
calcule pas non plus ; car cela présuppose déjà une
superstition, la superstition consistant à supposer
que les choses sont ordonnées selon la mesure et le
nombre. Et celui qui s'élève au-dessus de ce matéria-
lisme grossier devient un esprit mathématique et
n'admet comme réellement valable que ce qui peut
justement être mis en formules de calcul. Cela donne
une vision du monde qui n'admet en réalité comme
valable que la formule mathématique. On peut l'ap-
peler mathématisme.
Mais quelqu'un peut ensuite réfléchir et se dire,
après avoir été mathématiste : que la couleur bleue ait
telle ou telle fréquence, cela ne peut pas être une su-
perstition. Le monde est quand même bien ordonné
selon les mathématiques. Pourquoi, si des idées ma-
thématiques sont réalisées dans le monde, d'autres
idées ne seraient-elles pas également réalisées dans le
monde ? Un homme de cette sorte admet que des
idées vivent dans le monde. Mais il n'admet comme
valables que les idées qu'il trouve, et non pas des
idées qu'il saisirait de l'intérieur, par exemple par une
quelconque intuition ou inspiration, non, seulement
celles qu'il abstrait des choses extérieures du réel
sensible. Un homme de ce type devient un rationa-
liste et sa vision du monde est le rationalisme. Si,
outre les idées que l'on trouve, on admet aussi
comme valables celles qu'on tire de la réalité morale,
56 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

intellectuelle, on est déjà un idéaliste. Il y a donc un


chemin qui va du matérialisme grossier à l'idéalisme
en passant par le mathématisme et le rationalisme.

Matérialisme

Mathématisme

Rationalisme

Idéalisme Réalisme

Spiritualisme

Mais l'idéalisme peut encore être intensifié. À


notre époque, il se trouve quelques personnes qui
tentent d'intensifier l'idéalisme. Elles trouvent en
effet des idées dans le monde. Lorsqu'on trouve des
idées, il faut que soit aussi présente dans le monde
une forme d'êtres dans laquelle des idées puissent
vivre. Il ne va tout de même pas de soi que des
idées puissent vivre dans une chose extérieure quel-
conque. Les idées ne peuvent pas non plus vivre pour
ainsi dire en l'air. Il a certes existé au dix-neuvième
siècle la croyance que les idées sont ce qui mène l'his-
toire. Mais ce n'était qu'une chose qui n'était pas
claire ; car les idées en tant que telles n'ont pas de
force pour agir. C'est pourquoi on ne peut pas parler
d'idées dans l'histoire. Celui qui comprend que les
idées, pour pouvoir tout simplement exister, sont
DEUXIÈME CONFÉRENCE. 57

liées à un être qui peut justement avoir des idées, ne


sera plus un simple idéaliste, mais il va jusqu'à ad-
mettre que les idées sont liées à des êtres. II devient
un psychiste et sa vision du monde est le psychisme.
Le psychiste, qui peut à son tour déployer énormé-
ment de sagacité pour sa vision du monde, ne
parvient lui aussi à cette vision du monde que par une
attitude unilatérale dont il peut éventuellement pren-
dre conscience.
Il me faut ici ajouter tout de suite la chose sui-
vante : pour toutes les visions du monde que je vais
écrire au-dessus du trait horizontal, il y a des parti-
sans et ces partisans sont la plupart du temps des
esprits rigides qui adoptent telle ou telle vision du
monde par suite de dispositions fondamentales quel-
conques qu'ils ont en eux et qui en restent là. Tout ce
qui est situé au-dessous de ce trait a des adeptes qui
sont plus facilement accessibles à la connaissance que
les diverses visions du monde ne voient jamais les
choses que d'un certain point de vue ; pour cette
raison ils en arrivent plus facilement à passer d'une
vision du monde à une autre.
Lorsque quelqu'un est psychiste et que, parce qu'il
est un homme de la connaissance, il est au clair sur le
fait qu'il regarde le monde de façon contemplative, il
en vient à se dire qu'il doit présupposer dans le
monde un élément psychique. Cependant dès l'ins-
tant où il n'est pas seulement un homme de la
connaissance, mais où il a de la même manière une
sympathie pour ce qui est actif, pour ce qui dans la
nature humaine est de qualité volontaire, il se dit : il
ne suffit pas que soient là des êtres qui ne peuvent
avoir que des idées ; ces êtres doivent aussi avoir
quelque chose d'actif, doivent aussi pouvoir agir.
Mais on ne peut pas penser cela sans que ces êtres
58 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

soient des êtres individuels. Cela signifie que cette


personne s'élève de l'hypothèse selon laquelle le
monde est animé à l'hypothèse selon laquelle il y a
dans le monde l'esprit ou les esprits. Il ne sait pas
encore clairement s'il doit admettre un ou plusieurs
êtres spirituels, mais il s'élève du psychisme au pneu-
matisme, à la doctrine de l'esprit.
À partir du moment où quelqu'un est devenu en
réalité pneumatiste, il peut tout à fait se produire qu'il
comprenne ce que j'ai dit aujourd'hui à propos du
nombre, à savoir qu'en ce qui concerne les nombres il
est effectivement un peu problématique de parler
d'unité. Il en vient alors à se dire : ce sera donc faire
preuve de confusion que de parler d'un esprit un,
d'un pneuma un. Et il en vient peu à peu à pouvoir se
faire une représentation des esprits des différentes
hiérarchies. Il devient alors authentiquement spiri-
tualiste, si bien qu'il y a donc de ce côté un passage
direct du pneumatisme au spiritualisme.
Tout ce que j'ai inscrit au tableau, ce sont des vi-
sions du monde qui ont leur justification pour leurs
domaines. Car il y a des domaines où le psychisme est
éclairant, il y a des domaines où le pneumatisme est
éclairant. Si l'on se propose de procéder de façon
aussi méthodique dans l'explication du monde que
nous l'avons tenté, alors on doit en venir au spiritua-
lisme, on doit en venir à admettre les esprits des
hiérarchies. Alors on ne peut pas en rester au pneu-
matisme ; car en rester au pneumatisme signifierait en
ce cas la chose suivante. Si nous sommes des spiritua-
listes, il peut nous arriver que les gens disent : pour-
quoi supposer là tant d'esprits ? Pourquoi employer
là le nombre ? Il existe un seul esprit universel ! Celui
qui étudie la chose en profondeur sait qu'il en est de
cette objection comme lorsque quelqu'un dit : tu me
DEUXIÈME CONFÉRENCE. 59

dis qu'il y a là-bas deux cents moucherons. Mais je ne


vois pas deux cents moucherons, je ne vois qu'un
seul et unique essaim de moucherons. — C'est exacte-
ment de cette façon que se comporterait l'adepte du
pneumatisme, du panthéisme, etc. à l'égard du spiri-
tualiste. Le spiritualiste voit le monde empli des
esprits des hiérarchies ; le panthéiste ne voit que
l'essaim unique, ne voit que l'unique esprit universel.
Mais cela repose uniquement sur une absence de
précision dans la façon de regarder.

Matérialisme

Mathématisme

Rationalisme

Idéalisme Réalisme

Psychisme

Pneumatisme

Spiritualisme

Or il existe encore une autre possibilité, à savoir


que quelqu'un, sans s'engager sur les chemins que
nous avons tenté de parcourir, en arrive à reconnaître
l'agir de certaines entités spirituelles, qu'il en arrive
malgré tout à admettre certains êtres spirituels consti-
tutifs du monde. Leibniz, le célèbre philosophe alle-
mand, était un homme de ce genre. Leibniz avait
dépassé le préjugé qu'il puisse exister dans le monde
quelque chose de purement matériel. Il trouva ce qui
était réel, il cherchait le réel. J'ai exposé cela en détail
dans mon livre Les énigmes de la philosophie. Il était d'avis
60 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

qu'il existe un être qui peut en lui-même se faire une


image de l'existence — par exemple l'âme humaine.
Mais il ne se faisait pas beaucoup d'idées à ce sujet. Il se
disait seulement qu'il existe un être de cette sorte qui
peut se faire en lui-même une image de l'existence, qui
produit de lui-même des représentations. C'est pour
Leibniz une monade. Et il se disait : il doit y avoir beau-
coup de monades et des monades ayant des formes de
clarté les plus diverses. Quand j'ai ici une cloche, il y a là
beaucoup de monades à l'intérieur — comme dans un
essaim de moucherons —, mais des monades qui n'arri-
vent même pas à la conscience de sommeil, des mo-
nades qui sont presqu'inconscientes et qui toutefois
produisent en elles-mêmes des représentations très ob-
scures. Il y a des monades qui rêvent, il y a des mo-
nades qui produisent en elles-mêmes des représenta-
tions vives, bref des monades situées aux degrés les
plus divers. Un homme de cette sorte n'en vient pas à
se représenter la réalité concrète des diverses entités
spirituelles comme le spiritualiste ; mais il réfléchit
dans le monde sur le spirituel auquel il n'attribue
qu'une forme d'existence indéterminée. Il l'appelle
monade, c'est-à-dire qu'il ne s'intéresse qu'au carac-
tère de représentation, comme si l'on disait : oui, il y
a dans le monde l'esprit, les esprits ; mais je n'ai rien
d'autre à dire pour les décrire que ceci : ce sont des
êtres doués de facultés de représentation différentes.
J'isole en eux une qualité abstraite. J'élabore ainsi
cette vision du monde unilatérale en faveur de
laquelle on peut présenter tout ce que le fin Leibniz a
exposé pour la défendre. J'élabore ainsi le mona-
disme. Le monadisme est un spiritualisme abstrait.
Mais il peut y avoir des gens qui ne s'élèvent pas
jusqu'à la monade, qui ne peuvent admettre que ce
qui existe, ce sont des êtres ayant divers degrés de
DEUXIÈME CONFÉRENCE. 61

faculté de représentation ; mais ces gens ne se conten-


tent pas non plus d'admettre seulement ce qui se
déploie dans la réalité extérieure ; non, ils estiment
que des forces régissent partout ce qui se déploie
dans la réalité extérieure. Lorsque, par exemple, une
pierre tombe sur le sol, ils disent : c'est la force de la
pesanteur. Lorsqu'un aimant attire la limaille de fer,
ils disent : c'est la force magnétique. Ils ne se conten-
tent pas de dire : c'est l'aimant, non, ils disent : l'ai-
mant présuppose qu'existe à l'état suprasensible, in-
visible, la force magnétique qui se déploie partout.
On peut former une vision du monde de ce genre
qui, pour tout ce qui se passe dans le monde, cherche
les forces correspondantes et on peut l'appeler dyna-
misme.
On peut ensuite dire : Non, croire à des forces,
c'est de la superstition ! Vous avez dans la Critique du
langage de Fritz Mauthner un exemple de la façon
dont on explique en détail que croire à des forces est
de la superstition. Dans ce cas, on en reste à ce qui se
déploie réellement tout autour de nous. Nous reve-
nons donc par ce chemin au réalisme, en passant par
le monadisme et le dynamisme.
Matérialisme

Mathématisme

Rationalisme

Idéalisme Réalisme

Psychisme Dynamisme

Pneumatisme Monadisme

Spiritualisme
62 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

On peut maintenant faire encore quelque chose


d'autre. On peut dire : certes, je m'en tiens au monde
qui m'entoure de toutes parts. Mais je n'affirme pas
que j'aie le droit de dire que ce monde est le monde
réel. Je sais seulement dire de lui qu'il m'apparaît. Et
je n'ai pas le droit de dire plus que ceci : ce monde
m'apparaît. Je n'ai aucun droit de dire de lui plus que
cela. Donc, c'est une différence ! On peut dire de ce
monde qui se déploie autour de nous que c'est le
monde réel. Mais on peut dire aussi : je ne peux rien
dire d'un autre monde ; mais il m'est clair que c'est le
monde qui m'apparaît. Je ne dis pas que ce monde
qui ne naît malgré tout que du fait que certains pro-
cessus se déroulent dans mon oeil, qui se montrent à
moi sous forme de couleurs, que certains processus
se déroulent dans mon oreille, qui se montrent à moi
sous forme de sons, etc., que ce monde est le vrai.
C'est le monde des phénomènes. Le phénoména-
lisme est la vision du monde dont il s'agirait ici.
Mais on peut aller plus loin et on peut dire : nous
avons certes autour de nous le monde des phéno-
mènes. Mais tout ce que nous croyons avoir dans ces
phénomènes sous la forme que nous l'avons nous-
mêmes ajouté, que nous l'y avons nous-mêmes
ajouté par la pensée, nous l'avons précisément ajouté
nous-mêmes aux phénomènes par la pensée. Mais
n'est justifié que ce que nous disent les sens. Notez-le
bien, un homme qui dit cela n'est pas un partisan du
phénoménalisme, mais il enlève du phénomène
l'écorce dont il croit que cela ne provient que de l'en-
tendement et de la raison et n'admet comme valables,
comme nous étant annoncées par la réalité d'une ma-
nière ou d'une autre, que les impressions que nous
donnent les sens. On peut appeler cette vision du
monde le sensualisme.
DEUXIÈME CONFÉRENCE. 63

Matérialisme

Mathématisme Sensualisme

Rationalisme Phénoménalisme

Idéalisme Réalisme

Psychisme Dynamisme

Pneumatisme Monadisme

Spiritualisme

Si l'on saisit alors l'occasion de dire : vous pouvez


bien réfléchir au fait que c'est ce que disent les sens et
vous pouvez bien produire les arguments les plus sa-
gaces en faveur de ce point de vue — on peut produire
des arguments sagaces en ce sens —, je me place au
point de vue qu'il n'existe que ce qui a la même
apparence que ce que disent les sens ; cela, je l'admets
comme étant la réalité matérielle — comme le fait, par
exemple, l'atomiste qui dit : j'admets qu'il n'existe
que des atomes et même s'ils sont aussi minuscules
que l'on voudra, ils ont les qualités que l'on connaît
dans le monde physique —, alors on est derechef
matérialiste. Nous sommes donc revenus au matéria-
lisme par l'autre côté.
Les visions du monde que j'ai notées ici et caracté-
risées à votre intention existent et peuvent être
défendues. Et il est possible d'avancer pour chacune
de ces diverses visions du monde les arguments les
plus sagaces, il est possible de se placer au point de
vue de chacune de ces visions du monde et de réfuter
les autres visions du monde avec des arguments
64 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

sagaces. On peut encore élaborer d'autres visions du


monde entre celles-ci ; mais elles n'ont que des diffé-
rences de degré avec celles qui ont été citées et on
peut les ramener aux types principaux. Si l'on veut
connaître le tissu du monde, il faut savoir qu'on le
connaît par ces douze portes d'entrée. Il n'y a pas une
vision du monde que l'on peut défendre, qui est
justifiée, mais il y a douze visions du monde. Et il
faut admettre que l'on peut avancer autant d'argu-
ments en faveur d'une vision du monde particulière
qu'on peut avancer de bons arguments en faveur de
chacune des autres parmi les douze visions du
monde. On ne peut pas regarder le monde du point
de vue unilatéral d'une vision du monde, d'une
pensée, mais le monde ne se révèle qu'à celui qui
sait qu'il faut en faire le tour. De la même façon que
le Soleil, même si nous prenons pour référence la
vision du monde de Copernic, parcourt les signes
du Zodiaque pour éclairer la Terre de douze points
de vue différents, de même il ne faut pas se placer à
un point de vue — le point de vue de l'idéalisme, du
sensualisme, du phénoménalisme ou d'une vision du
monde quelconque qui peut porter un nom de ce
genre — mais il faut être en mesure de tourner autour
du monde et d'entrer dans la vie des douze points de
vue différents à partir desquels on peut regarder le
monde. Du point de vue de la pensée, les douze
points de vue différents sont pleinement justifiés. Il
n'y a pas une vision du monde pour le penseur qui
peut pénétrer dans la nature du penser, mais il y en a
douze qui sont également justifiées, également justi-
fiées dans la mesure où des arguments également
bons peuvent être avancés pour chacune d'entre elles
à partir du penser. Il y a douze de ces visions du
monde également justifiées. Nous partirons demain
DEUXIÈME CONFÉRENCE. 65

de ce point de vue que nous venons de conquérir


pour nous élever de l'observation pensante de
l'homme à l'observation de ce qui est cosmique.
III

Berlin, 22 janvier 1914

J'ai tenté hier d'exposer quelles nuances de la vision


du monde sont possibles pour l'être humain, possibles
sous la forme que, pour chacune de ces nuances de
vision du monde, on peut produire certaines preuves
tout à fait valables de sa justesse, de sa vérité pour un
certain domaine. Pour celui qui n'a pas en vue de fondre
ensemble en un système de concepts tout ce qu'il a été
en mesure d'observer dans un certain domaine étroite-
ment limité, de se livrer à ses réflexions à ce sujet et
ensuite de chercher les preuves de son système, et qui a
au contraire en vue de pénétrer réellement dans la vérité
du monde, il est important de savoir que cette totalité
de points de vue multiples est une nécessité qui
s'exprime dans le fait que, réellement, douze nuances
typiques de points de vue — les transitions entre
celles-ci n'importent pas ici — sont possibles à l'esprit
humain. Si l'on veut réellement parvenir à la vérité, il
faut tenter de voir une bonne fois clairement la signi-
fication de ces nuances de la vision du monde, il faut
tenter de reconnaître pour quels domaines de l'exis-
tence telle ou telle de ces nuances de la vision du
monde constitue la meilleure clé. Si nous passons
encore une fois en revue ces douze nuances de la
vision du monde, comme nous l'avons fait hier, ce
sont donc le matérialisme, le sensualisme, le phéno-
ménalisme, le réalisme, le dynamisme, le monadisme,
le spiritualisme, le pneumatisme, le psychisme, l'idéa-
lisme, le rationalisme et le mathématisme.
Il en est malheureusement ainsi dans le monde réel
de la quête humaine de la vérité que la tendance à
l'une ou l'autre de ces nuances de la vision du monde
68 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

est toujours prépondérante chez les divers esprits,


chez les diverses personnalités et que de ce fait les
éléments unilatéraux de ces diverses visions du
monde agissent à leur tour sur les hommes aux di-
verses époques. Ce que j'ai décrit comme les douze
principales visions du monde, il faut le connaître
comme quelque chose que l'on regarde vraiment
dans son ensemble sous la forme que l'on place
toujours en cercle une vision du monde à côté de
l'autre et qu'on les observe au repos. Elles sont possi-
bles ; il faut les connaître. Les rapports des unes avec
les autres sont réellement tels qu'elles sont un reflet
spirituel du Zodiaque qui nous est bien connu. De
même que le Soleil parcourt en apparence le Zo-
diaque et de même que d'autres planètes parcourent
en apparence le Zodiaque, de même il est possible à
l'âme humaine de parcourir un cercle spirituel qui
comporte douze images de visions du monde. C'est
un fait, on peut même mettre les particularités de ces
images de visions du monde en rapport avec les
divers signes du Zodiaque. Et en vérité, cette mise en
relation n'est absolument rien d'arbitraire, mais il y a
réellement un rapport entre les diverses images du
Zodiaque et la Terre qui est semblable à celui qui
existe entre les douze visions du monde et l'âme
humaine. Voici ce que j'entends par là.
Nous ne pouvons tout d'abord bien évidemment
pas dire qu'il existe un rapport aisément compréhen-
sible entre, par exemple, la constellation du Zodiaque
appelée le Bélier et la Terre. Mais quand le Soleil,
Saturne ou Mercure ont une position telle que depuis
la Terre on les voit dans le signe du Bélier, ils ont une
autre action que lorsqu'ils ont une position telle
qu'on les voit dans le signe du Lion. Donc l'action
qui vient vers nous du cosmos, par exemple des
TROISIÈME CONFÉRENCE. 69

diverses planètes, est différente selon que les diverses


planètes couvrent telle ou telle constellation du Zo-
diaque. En ce qui concerne l'âme humaine, il nous est
même plus facile de reconnaître l'influence de ces
douze « constellations du Zodiaque de l'esprit ». II y a
des âmes qui d'une certaine façon tendent entière-
ment à faire en sorte que toute influence sur la confi-
guration de leur vie intérieure, sur leur orientation
d'esprit du point de vue scientifique, philosophique
ou autre aille dans le sens qu'elles se font pour ainsi
dire éclairer en leur âme par l'idéalisme. D'autres se
font éclairer en leur âme par le matérialisme, d'autres
par le sensualisme. On n'est pas sensualiste, matéria-
liste, spiritualiste ou pneumaticien parce que telle ou
telle vision du monde est juste et qu'on peut perce-
voir la justesse de telle ou telle vision du monde, mais
on est pneumaticien, spiritualiste, matérialiste ou
sensualiste parce qu'on a en son âme des dispositions
telles qu'on est éclairé par la constellation correspon-
dante du Zodiaque de l'esprit. Nous avons ainsi dans
ces douze constellations du Zodiaque de l'esprit
quelque chose qui peut nous faire pénétrer en pro-
fondeur dans la façon dont naissent les visions du
monde des hommes et qui peut nous faire pénétrer
en profondeur dans les raisons pour lesquelles les
hommes d'un côté se querellent au sujet des visions
du monde, mais d'un autre côté ne devraient pas
se quereller et devraient au contraire bien plutôt
comprendre d'où il vient que les hommes ont di-
verses nuances de visions du monde. Qu'il soit tou-
tefois nécessaire à certaines époques de repousser
absolument une vision du monde ayant telle ou telle
orientation, nous aurons encore à en indiquer la
raison dans la conférence de demain. Ce que j'ai dit
jusqu'à présent se rapporte donc à la forme donnée
70 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

à la pensée humaine par le cosmos spirituel que


constituent les douze constellations du Zodiaque de
l'esprit, qui pour ainsi dire reposent immobiles dans
notre environnement spirituel.
Mais il existe encore autre chose qui détermine les
visions du monde humaines. Vous comprendrez
d'autant mieux cette autre chose que je vous aurai
montré auparavant ce qui suit.
On peut — et maintenant même indépendamment
de celle des douze constellations du Zodiaque de
l'esprit par laquelle on est éclairé en son âme — être
disposé de sorte que l'on peut désigner du nom de
gnose la disposition de l'âme qui s'exprime dans
toute la configuration de la vision du monde de son
âme. On peut être un gnostique. On est un gnos-
tique, lorsqu'on est disposé de façon telle que l'on
connaît les choses du monde par certaines facultés de
connaissance qui se trouvent en l'âme, et non par les
sens ou autrement. On peut être un gnostique et
avoir par exemple une certaine tendance à se faire
éclairer par la constellation du Zodiaque de l'esprit
que nous avons désignée ici du nom de spiritualisme.
On pourra alors avec sa gnose éclairer en profondeur
le tissu de relations qui constitue la vie des mondes
spirituels.
Mais on peut aussi être par exemple un gnostique
de l'idéalisme ; on aura alors une disposition parti-
culière à voir clairement les idéaux de l'humanité et
les idées du monde. Il y a en effet une différence entre
un homme et un autre, même par rapport à l'idéa-
lisme que ces deux hommes peuvent faire leur. Ainsi
l'un est un idéaliste exalté, qui mentionne constam-
ment le fait qu'il est idéaliste, qui a constamment à la
bouche ce seul mot d'idéal, d'idéal, d'idéal, mais qui
ne connaît pas beaucoup d'idéaux, qui n'a pas la
TROISIÈME CONFÉRENCE. 71

faculté d'évoquer réellement les idéaux devant son


âme en leur donnant des contours nets et en les
regardant intérieurement. Un être de ce genre se
distingue alors de l'autre qui ne parle pas seulement
d'idéaux, mais peut dessiner les idéaux en son âme
comme un tableau peint avec netteté. Ce dernier, qui
saisit intérieurement l'idéalisme de manière tout à fait
concrète, qui le saisit avec autant d'intensité que l'on
saisit de la main des objets extérieurs, est un gnos-
tique dans le domaine de l'idéalisme. On pourrait
aussi dire les choses de la manière suivante : il est très
généralement un gnostique, mais il se fait particuliè-
rement éclairer par la constellation du Zodiaque de
l'esprit qu'est l'idéalisme.
Il y a des hommes qui reçoivent de manière parti-
culièrement forte les rayons de la constellation de la
vision du monde du réalisme, mais qui traversent le
monde de façon telle que, par toute leur façon de res-
sentir le monde, de se placer devant le monde, ils
peuvent dire aux autres hommes beaucoup, beau-
coup de choses au sujet de ce monde. Ce ne sont ni
des idéalistes, ni des spiritualistes ; ce sont de très
communs réalistes. Ils sont en mesure d'éprouver
vraiment avec finesse ce qui se passe autour d'eux
dans la réalité extérieure ; ils sont finement réceptifs
aux particularités des choses. Ce sont des gnostiques,
de véritables gnostiques ; seulement, ce sont des
gnostiques du réalisme. Il existe de tels gnostiques du
réalisme et parfois les spiritualistes ou les idéalistes
ne sont pas du tout des gnostiques du réalisme. Il
peut même se trouver que des gens qui se disent de
bons théosophes parcourent une galerie de tableaux
et n'ont absolument rien à dire sur les tableaux,
tandis que d'autres, qui ne sont pas du tout des théo-
sophes, mais qui sont des gnostiques du réalisme,
72 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

peuvent dire des choses extrêmement importantes


par le fait que, par leur personnalité tout entière, ils
sont en rapport avec toute la réalité des choses. Ou
encore, combien de théosophes vont dans la nature
et ne savent pas appréhender de toute leur âme ce
que la nature a de tout à fait sublime et grandiose ! Ce
ne sont pas des gnostiques du réalisme. Or il existe
des gnostiques du réalisme.
Il existe aussi des gnostiques du matérialisme. Ce
sont à vrai dire d'étranges gnostiques. Mais on peut
être gnostique du matérialisme tout à fait dans le sens
où on peut être gnostique du réalisme ; mais ce sont
là des gens qui n'ont d'organe et de sentiment et de
sensibilité que pour ce qui est matériel, qui cherchent
à connaître la réalité matérielle par le contact immé-
diat, comme le chien qui flaire les différentes matières
et les connaît ainsi intimement, et qui est au fond un
excellent gnostique en ce qui concerne les choses
matérielles.
On peut être un gnostique pour chacune des
douze constellations de la vision du monde. C'est-à-
dire que, si nous voulons placer la gnose de façon
juste, nous devons dessiner un cercle et faire en sorte
que ce cercle tout entier ait pour nous la signification
suivante : la gnose peut passer tour à tour par cha-
cune des douze constellations de la vision du monde.
De même qu'une planète passe par les douze constel-
lations du Zodiaque, de même la gnose peut passer
par chacune des douze constellations de la vision du
monde.

Évidemment, la gnose rendra les plus grands ser-


vices pour le salut des âmes quand la disposition
gnostique sera appliquée au spiritualisme. On pour-
rait dire que la gnose est tout à fait chez elle dans le
TROISIÈME CONFÉRENCE. 73

spiritualisme. Là, elle est dans « sa » maison. Elle est


en dehors de sa maison dans les autres constellations
de la vision du monde. D'un point de vue logique, on
n'est pas justifié à dire qu'il ne peut pas y avoir de
gnose matérialiste. Les pédants manieurs de concepts
et d'idées résolvent plus facilement ce type de pro-
blèmes que les gens qui emploient sainement la lo-
gique, pour qui les choses sont un peu plus compli-
quées. On pourrait dire par exemple : je veux réserver
le nom de gnose à ce qui pénètre dans l'esprit. C'est
une détermination conceptuelle arbitraire, c'est tout
aussi arbitraire que si quelqu'un disait : je n'ai vu jus-
qu'à présent de violettes qu'en Autriche, donc je
n'appelle violette que ce qui pousse en Autriche et a
la couleur violette, et pas le reste. Il est tout aussi
impossible, du point de vue de la logique, de dire
qu'il n'y a de gnose que dans la constellation de
vision du monde du spiritualisme ; car la gnose est
une « planète » qui parcourt les constellations de
l'esprit.
74 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

Il existe une autre tonalité de la vision du monde.


Je dis ici « tonalité », alors que je parle d'habitude de
« nuances » et de « constellations ». Et à l'époque mo-
derne on a cru qu'il était plus facile — mais ici aussi
« le facile est difficile » — de connaître cette deuxième
tonalité de la vision du monde, parce que celle-ci a
précisément été représentée par Hegel dans cette
constellation de l'esprit qu'est l'idéalisme. Cependant
il n'est pas nécessaire que cette façon de considérer le
monde, cette tonalité particulière de la vision du
monde qu'a eue Hegel reste cantonnée dans la
constellation de l'esprit qu'est l'idéalisme, mais elle
peut, elle aussi, passer par toutes les constellations.
C'est la tonalité de la vision du monde du logisme.
Cette tonalité de la vision du monde du logisme
consiste essentiellement en ce que l'âme peut se
mettre en situation de rendre présents en elle de véri-
tables pensées, concepts et idées, de rendre ces pen-
sées et ces idées présentes en elle au point que cette
âme passe d'un concept ou d'une pensée à l'autre de
la même façon que, lorsqu'on regarde un organisme,
on passe de l'oeil au nez et à la bouche et que l'on
considère que tout cela forme un tout, comme c'est le
cas chez Hegel, où tous les concepts qu'il peut saisir
s'ordonnent tous ensemble les uns par rapport aux
autres pour former un grand organisme de concepts.
C'est un organisme logique de concepts. Hegel était
tout simplement capable de rechercher et d'intégrer
tout ce qui peut se trouver dans le monde comme
pensée, de ranger une pensée à côté de l'autre et d'en
faire un organisme : le logisme ! On peut élaborer le
logisme comme Hegel dans la constellation de l'idéa-
lisme, on peut l'élaborer comme Fichte dans la
constellation du psychisme et on peut l'élaborer dans
d'autres constellations de l'esprit. Ici encore, le
TROISIÈME CONFÉRENCE. 75

logisme est quelque chose qui passe comme une


planète par les constellations du Zodiaque, qui passe
par tout le cercle des douze constellations du Zo-
diaque de l'esprit.
Nous pouvons étudier par exemple chez Schopen-
hauer une troisième tonalité de l'âme qui est à l'ori-
gine de visions du monde. Tandis que, lorsque Hegel
regarde le monde, son âme est dans une tonalité telle
que d'emblée tout ce qui est concept dans le monde
se manifeste dans cette âme de Hegel sous la forme
du logisme, Schopenhauer saisit en son âme, de par la
tonalité spécifique de son âme, tout ce qui est de na-
ture volontaire. Pour lui, les forces de la nature sont
volonté, la dureté de la pierre, etc. est volonté, tout ce
qui est réalité est pour lui volonté. Cela provient de la
tonalité particulière de son âme. Or on peut ici en-
core considérer une telle vision du monde de la vo-
lonté, une telle tonalité de vision du monde de la
volonté comme une planète qui passe par chacune
des douze constellations du Zodiaque de l'esprit. Je
vais appeler volontarisme cette tonalité de la vision
du monde. C'est la troisième tonalité de la vision du
monde. Schopenhauer était volontariste et la consti-
tution de son âme faisait essentiellement qu'il s'expo-
sait à la constellation d'esprit du psychisme. La méta-
physique de la volonté propre à Schopenhauer naquit
ainsi : le volontarisme dans la constellation d'esprit
du psychisme.
Supposez que quelqu'un soit volontariste et pen-
che particulièrement vers la constellation d'esprit du
monadisme. Il ne statuerait alors pas comme fonde-
ment du monde, ainsi que le fait Schopenhauer, une
âme universelle qui est en fait de la volonté, mais il
statuerait comme fondement du monde de nom-
breuses monades, qui toutefois sont des êtres de
76 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

volonté. Le poète-philosophe autrichien Hamerling a


donné forme à ce monde du volontarisme monado-
logique de la façon la plus belle, la plus pénétrante et,
j'aimerais dire, la plus intime. De quoi est née cette
doctrine particulière que vous avez dans l'Atomistique
de la volonté de Hamerling ? De ce que son âme avait
une tonalité volontariste et de ce qu'il s'est exposé
par prédilection à l'influence de la constellation d'es-
prit du monadisme. Si nous en avions le temps, nous
pourrions citer des exemples pour chaque tonalité de
l'âme dans chaque constellation. Car on les trouve
dans le monde.
Il existe une tonalité particulière de l'âme, celle qui
n'est pas cette fois portée à beaucoup réfléchir et à se
demander s'il y a encore ceci ou cela derrière les
phénomènes, comme le fait par exemple la tonalité
gnostique ou comme le fait la tonalité logique ou la
tonalité volontariste, mais qui dit simplement : je
veux intégrer à ma vision du monde ce qui se pré-
sente à moi dans le monde, ce qui se montre à moi, ce
qui se manifeste extérieurement à moi. On peut ici
encore faire cela dans tous les domaines, c'est-à-dire
dans chacune des constellations de l'esprit. On peut
le faire en matérialiste et n'admettre que ce qui se
présente à vous extérieurement ; on peut aussi le faire
en spiritualiste. On ne s'efforce pas de chercher une
cohésion d'ensemble derrière les phénomènes, mais
on laisse les choses venir à vous et on attend tout
simplement ce qui se présente à vous. On peut
appeler empirisme une telle vision de l'âme. Une
vision de l'âme qui prend tout simplement l'expé-
rience telle qu'elle se présente s'appelle empirisme.
On peut être un empiriste, un homme dont la vision
du monde naît de l'expérience, dans chacune des
douze constellations de l'esprit. L'empirisme est la
TROISIÈME CONFÉRENCE. 77

quatrième tonalité de l'âme qui peut parcourir les


douze constellations de l'esprit.
On peut également, en ce qui concerne la vision du
monde, développer une tonalité de l'âme qui ne se
contente pas de ce qu'apporte l'expérience qui se pré-
sente tout simplement à vous ou la façon dont on
vit les événements auxquels on est exposé, comme
c'est le cas pour l'empirisme ; on peut se dire au
contraire — en fait, on peut ressentir pleinement
comme une nécessité intérieure cette tonalité de
l'âme : l'être humain est placé dans le monde ; il fait
dans sa propre âme une expérience qu'il ne peut pas
faire extérieurement. C'est là seulement que le
monde lui dévoile ses secrets. On peut bien regarder
autour de soi, on n'en voit pas pour autant les secrets
que contient le monde. Une telle tonalité en vient
souvent à dire : à quoi me sert la gnose qui se hisse à
grand'peine jusqu'à toutes sortes de visions ? Les cho-
ses du monde extérieur à propos desquelles on, peut
avoir certaines visions ne peuvent cependant pas vous
révéler la réalité intérieure du monde. En quoi le lo-
gisme peut-il m'aider à me constituer une vision du
monde ? L'essence du monde ne s'exprime pas dans le
logisme. À quoi me sert de spéculer sur la volonté ?
Cela ne fait que détourner de regarder dans les pro-
fondeurs de sa propre âme. Et on ne regarde pas dans
ces profondeurs quand l'âme veut, mais précisément
quand elle est abandonnée et sans volonté. — Donc le
volontarisme n'est pas la tonalité de l'âme dont l'âme
a besoin ici, ni non plus l'empirisme, qui se contente
de regarder et d'écouter ce que donne l'expérience
que l'on vit ; mais la quête intérieure, quand l'âme a
trouvé le calme, de la façon dont le Dieu allume en
l'âme sa lumière. Vous le remarquez, on peut appeler
cette tonalité de l'âme la mystique.
78 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

On peut là encore être un mystique dans la succes-


sion de toutes les douze constellations de l'esprit.
Certes, il ne sera pas particulièrement favorable d'être
un mystique du matérialisme, c'est-à-dire de faire
l'expérience intérieure non pas du spirituel, mais du
matériel. Car est en réalité un mystique du matéria-
lisme celui qui a acquis un sens particulièrement
subtil par exemple de la forme de sensation dans
laquelle on entre lorsqu'on consomme telle ou telle
substance. C'est une chose différente de consommer
le suc de telle plante ou celui de telle autre plante et
de se placer ensuite en position d'attente de l'effet
produit dans l'organisme. Dans ce cas, on fait l'expé-
rience d'une fusion progressive avec la matière, on
devient un mystique de la matière. Il peut même se
faire que cela puisse devenir une « tâche » pour la vie,
une tâche pour la vie en ce sens que l'on suit de quelle
façon spécifique telle ou telle substance qui provient
de telle ou telle plante agit sur l'organisme. Car l'une
agit particulièrement sur tel organe, l'autre sur tel
autre. Et être ainsi un mystique du matérialisme est
une condition préalable pour l'étude des diverses
substances sous l'angle de leur vertu curative. On se
rend compte de ce que les substances font dans
l'organisme. — On peut être un mystique du monde
de la substance, on peut être un mystique de l'idéa-
lisme. Un idéaliste habituel ou un idéaliste gnostique
n'est pas un mystique de l'idéalisme. Est un mystique
de l'idéalisme celui qui a dans sa propre âme avant
tout la possibilité d'aller puiser à des sources cachées
en son être intérieur les idéaux de l'humanité, de les
éprouver comme une réalité divine intérieure et de
les placer en tant que cette réalité divine devant son
âme. Maître Eckhart, par exemple, est un mystique de
l'idéalisme.
TROISIÈME CONFÉRENCE. 79

Par ailleurs, la tonalité d'une âme peut être telle


qu'elle ne peut pas percevoir ce qui surgit en son être
intérieur et se présente comme la véritable solution
intérieure des énigmes du monde, mais une âme peut
avoir une tonalité telle qu'elle se dit : il y a, c'est cer-
tain, dans le monde une réalité quelconque derrière
les choses, de même qu'il y a une réalité derrière ma
propre personnalité, derrière mon entité dans la me-
sure où je perçois cette entité. Mais je ne peux pas
être un mystique. Le mystique croit que cela vient
s'écouler en son âme. Je ne ressens pas que cela
s'écoule en mon âme ; je ressens seulement que cela
doit être là, au-dehors. — On présuppose, dans cette
tonalité de l'âme, qu'en dehors de notre âme et en
dehors de ce dont notre âme peut faire l'expérience
se trouve l'essence des choses ; mais on ne présup-
pose pas que cette essence des choses peut pénétrer
dans l'âme elle-même, comme le mystique le présup-
pose. Lorsqu'on présuppose qu'il y a derrière toutes
choses encore une réalité que l'on ne peut pas
atteindre dans la perception, on est — c'est peut-être
le meilleur terme pour cela — transcendantaliste. On
admet que l'essence des choses est transcendante,
qu'elle ne pénètre pas dans l'âme comme l'admet le
mystique. C'est donc le transcendantalisme. La tona-
lité propre au transcendantaliste est telle qu'il a le
sentiment : quand je perçois les choses, l'essence des
choses s'approche de moi ; la seule perception elle-
même n'est pas cette essence. L'essence se situe
derrière, mais ne s'approche pas de l'être humain.
L'être humain peut, en ce qui concerne ses percep-
tions, en ce qui concerne tout ce que sont ses facultés
de connaissance, peut pour ainsi dire repousser
encore plus loin l'essence des choses que ne le fait le
transcendantaliste. On peut dire : Pour la faculté
80 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

connaissante extérieure de l'homme, l'essence des


choses n'est absolument pas accessible. Le transcen-
dantaliste dit : quand tu vois avec ton oeil du rouge
ou du bleu, ce que tu vois sous l'aspect du rouge ou
du bleu n'est pas l'essence des choses ; mais elle se
trouve derrière. Il te faut te servir de tes yeux, alors tu
pénétreras jusqu'à l'essence des choses. Cette essence
se trouve là-derrière. — Mais la tonalité d'âme dont il
est maintenant question ne veut pas vivre dans le
transcendantalisme, non, elle dit : on peut bien faire
tant que l'on veut l'expérience du rouge ou du bleu
ou de tel ou tel son, rien de tout cela n'exprime l'es-
sence des choses. Celle-ci est encore cachée derrière.
L'endroit où je perçois n'est absolument pas contigu
à l'essence des choses. Celui qui parle ainsi emploie
un langage semblable à celui que nous employons
habituellement, nous qui avons absolument le point
de vue suivant : dans l'apparence extérieure sensible,
dans la maya, l'essence des choses ne s'exprime pas.
Nous serions des transcendantalistes, si nous di-
sions : tout autour de nous s'étend le monde et ce
monde annonce partout l'essence. Ce n'est pas ce que
nous sommes lorsque nous disons : ce monde est
maya et il faut chercher la réalité intérieure des choses
autrement que par l'activité de perception extérieure
des sens et par les moyens habituels de connaissance :
c'est l'occultisme, la tonalité de l'âme de l'occultisme.
Là encore, on peut être un occultiste dans tous les
signes du Zodiaque de l'esprit. On peut même abso-
lument être aussi un occultiste du matérialisme. Sans
nul doute, les scientifiques raisonnables de notre
époque sont tous des occultistes du matérialisme, car
ils parlent d'atomes. Mais s'ils ne sont pas déraison-
nables, il ne leur viendra pas à l'idée d'affirmer qu'on
puisse par quelque méthode que ce soit approcher
TROISIÈME CONFÉRENCE. 81

l'atome. L'atome reste dans le domaine de l'occulte.


Seulement, ils n'aiment pas qu'on les appelle des oc-
cultistes, mais ils le sont au sens le plus plein du
terme.
Il ne peut pas y avoir pour l'essentiel d'autres tona-
lités de vision du monde que les sept que je viens de
noter ici, il peut seulement y avoir des transitions de
l'une à l'autre. Il nous faut donc distinguer non seule-
ment douze nuances différentes de vision du monde
qui se présentent à nous comme à l'état de repos,
mais de plus, dans chacune de ces nuances de vision
du monde une tonalité toute particulière de l'âme hu-
maine est possible. Vous pouvez voir par là de quelle
énorme diversité peut être la vision du monde des
personnalités humaines. On peut élaborer particuliè-
rement chacune de ces sept tonalités de vision du
monde, mais alors chacune de ces tonalités de vision
du monde sous forme unilatérale dans l'une ou
l'autre nuance. Ce que j'ai noté ici, c'est réellement,
dans le domaine du spirituel, l'homologue de ce qui
est extérieurement dans le monde le rapport entre les
constellations du Zodiaque et les planètes, ces sept
planètes bien connues que nous avons précisément
souvent mentionnées dans notre science de l'esprit,
et on a ainsi une image, pour ainsi dire une image
extérieure — que nous n'avons pas créée nous-
mêmes, mais qui se trouve dans le cosmos — des
rapports entre nos sept tonalités de vision du monde
et de nos douze nuances de vision du monde. Et on
ressentira cette image de façon juste si on la ressent
de la façon suivante.
Que l'on commence par l'idéalisme, que l'on ap-
pelle celui-ci la constellation du Zodiaque de l'esprit
du Bélier, que l'on appelle de la même façon le ra-
tionalisme Taureau, le mathématisme Gémeaux, le
82 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

matérialisme Cancer, le sensualisme Lion, le phéno-


ménalisme Vierge, le réalisme Balance, le dynamisme
Scorpion, le monadisme Verseau, le spiritualisme Ca-
pricorne, le pneumatisme Verseau, le psychisme
Poissons. Les relations qui existent entre les diffé-
rentes constellations du Zodiaque en ce qui concerne
la réalité extérieure matérielle et spatiale existent
effectivement entre ces visions du monde. Et les rap-
ports qu'établissent les différentes planètes dans leur
déplacement circulaire le long du Zodiaque corres-
pondent aux rapports qu'établissent les sept tonalités
de vision du monde, cette fois sous la forme que
nous pouvons éprouver la gnose comme Saturne, le
logisme comme Jupiter, le volontarisme comme
Mars, l'empirisme comme le Soleil, la mystique
comme Vénus, le transcendantalisme comme Mer-
cure et l'occultisme comme la Lune.
TROISIÈME CONFÉRENCE. 83

Même en ce qui concerne les images extérieures -


mais ce n'est pas l'essentiel ; l'essentiel est effective-
ment que les relations très profondes correspondent
à cette mise en parallèle —, mais même en ce qui
concerne les images extérieures, vous trouverez des
points semblables là où on peut le constater. La Lune
reste occulte, invisible, quand elle est nouvelle Lune ;
il faut d'abord qu'elle reçoive la lumière du Soleil, de
même que les choses occultes restent occultes jusqu'à
ce que la faculté de l'âme s'élève, grâce à la médita-
tion, la concentration, etc., et éclaire les choses
occultes. L'homme qui va de par le monde et ne s'en
remet qu'au Soleil, qui ne prend en lui que ce que le
Soleil éclaire, est un empiriste. Celui qui de plus réflé-
chit aussi un peu à ce que le Soleil éclaire et qui de
plus garde les pensées, même quand le Soleil est
couché, n'est plus un empiriste, parce qu'il ne s'en
remet pas au Soleil. Le « Soleil » est le symbole de
l'empirisme. Je pourrais donner pour toutes ces
choses de plus amples explications ; mais nous ne
disposons, vous le savez, que de quatre heures pour
ce sujet important et il faudra que je vous laisse provi-
soirement le soin de découvrir des relations plus
précises par vos pensées ou par votre recherche, de
quelqu'ordre qu'elle soit. Elles ne sont même pas
difficiles à trouver, à partir du moment où le schéma a
été donné.
Or il n'arrive que trop souvent dans le monde -
nous le savons bien — que les hommes recherchent
bien peu une totalité de points de vue. Si l'on prend
la vérité au sérieux, il faudrait vraiment pouvoir se
représenter en son âme les douze nuances de vision
du monde et il faudrait avoir éprouvé en soi un peu
de ceci : comment les choses se vivent-elles quand
on est un gnostique ? Quand on est un logicien, un
84 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

volontariste, un empiriste, un mystique, un transcen-


dantaliste ? Et comment les choses se vivent-elles
quand on est un occultiste ? Tout être qui veut réelle-
ment pénétrer dans les mystères du monde au sensde
la recherche spirituelle doit au fond, cela est clair,
s'essayer à faire cette expérience. Et même si ce qui se
trouve dans Comment parvient-on à des connaissances des
mondes supérieurs ? n'a pas été écrit pour s'adapter à ce
qui vient d'être exposé, il y est décrit, seulement c'est
à partir d'autres points de vue, tout ce qui peut nous
conduire dans les différentes tonalités qui sont appe-
lées ici tonalité gnostique, tonalité de Jupiter.
Il arrive souvent dans le monde que l'être humain
soit tellement unilatéral qu'il ne s'expose qu'à une
constellation ou qu'à une tonalité. Ce sont précisé-
ment ceux qui sont de grands hommes dans ce do-
maine des visions du monde qui n'ont que trop sou-
vent cette position unilatérale. Ainsi, par exemple,
Hamerling est très nettement un monadiste volonta-
riste ou un volontariste monadologique, Schopen-
hauer est nettement un psychiste volontariste. Ce
sont précisément les grands hommes qui ont pour
ainsi dire placé leur âme de façon telle que leur tona-
lité planétaire de vision du monde se trouve dans
une constellation spirituelle très précise. Les autres
hommes prennent beaucoup plus facilement leur
parti de divers points de vue, comme on dit. Mais il
peut aussi se produire que des hommes se trouvent
pour ainsi dire stimulés de divers côtés pour leur
vision du monde, pour ce qu'ils posent comme vi-
sion du monde. Ainsi il peut par exemple se produire
que quelqu'un soit un bon logicien, mais que sa tona-
lité logicienne se trouve dans la constellation spiri-
tuelle du sensualisme. II peut être en même temps un
bon empiriste, mais sa tonalité empiriste se trouve
TROISIÈME CONFÉRENCE. 85

dans la constellation du mathématisme. Cela peut se


produire. Lorsqu'il en est ainsi, on présente une
image de vision du monde bien précise. Nous avons
précisément à notre époque une image de vision
du monde de ce genre qui s'est créée du fait que
quelqu'un a son Soleil — entendu cette fois spiri-
tuellement — dans les Gémeaux et son Jupiter dans
le Lion : c'est Wundt. Et l'on comprendra jusque
dans les détails tout ce qui se trouve dans les écrits
philosophiques de Wundt, lorsqu'on aura décou-
vert le secret de la configuration particulière de son
âme.
La situation est particulièrement favorable quand
un homme a réellement fait par l'exercice l'expé-
rience des différentes tonalités de l'âme — occultisme,
transcendantalisme, mystique, empirisme, volonta-
risme, logisme, gnose — au point qu'il peut se les
représenter, qu'il peut pour ainsi dire ressentir en
même temps toutes ces tonalités dans leur action et
qu'il réunit toutes ces tonalités — pour ainsi dire en
même temps — dans la constellation du phénoména-
lisme, la Vierge. Alors se présente réellement à lui,
pour ce qui lui apparaît, comme en phénomènes
d'une grandeur toute particulière, ce qui peut lui ré-
véler le monde d'une façon féconde. Lorsqu'on place
de la même façon les différentes tonalités de vision
du monde successivement en rapport avec une autre
constellation, cela ne rend d'abord pas aussi bien.
C'est pourquoi, dans beaucoup d'écoles de mystères
d'autrefois, on a produit pour les élèves précisément
cette tonalité que j'ai caractérisée en disant que pour
ainsi dire toutes les planètes de l'âme se trouvent
dans la constellation spirituelle de la Vierge, parce
que de cette façon les élèves ont eu le plus de facilité à
pénétrer dans le monde. Ils ont saisi les phénomènes,
86 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

mais les ont saisis de manière gnostique, logique,


etc. ; ils étaient en situation d'aller au-delà des phéno-
mènes. Ils n'ont pas éprouvé le monde sous forme
grossière et vulgaire. Ce ne serait le cas que lorsque la
tonalité du volontarisme est dirigée vers le Scorpion.
Bref, par la configuration astrale qui est donnée par
les tonalités de la vision du monde propres à l'âme -
qui sont l'élément planétaire — et par les nuances de
la vision du monde — qui sont l'élément du Zodiaque
de l'esprit — est suscitée la vision du monde que l'être
humain porte en lui dans une incarnation quel-
conque.
Il vient encore s'y ajouter, il est vrai, un autre élé-
ment. C'est que ces visions du monde — il y en a dé-
jà bien des nuances, si vous cherchez toutes les
combinaisons — peuvent encore être modifiées par
le fait qu'elles peuvent toutes recevoir un certain
son. Mais dans ce domaine du son il n'y a que trois
sortes à distinguer. Toutes les visions du monde,
toutes les combinaisons qui naissent de cette ma-
nière peuvent de nouveau se présenter de trois
façons. Elles peuvent premièrement être théistes, si
bien que je dois nommer théisme le son qui appa-
raît en l'âme. Elles peuvent être telles que, par
opposition au théisme, nous ayons à nommer in-
tuitivisme le son dont il s'agit. Le théisme naît lors-
que l'être humain s'en tient à tout ce qui est exté-
rieur pour trouver son Dieu, lorsqu'il cherche son
Dieu à l'extérieur. Le monothéisme des anciens Hé-
breux était essentiellement une vision du monde
théiste. L'intuitivisme naît lorsque l'être humain
cherche de préférence sa vision du monde dans ce
qui s'allume intuitivement en son âme. Un troi-
sième son vient s'ajouter à ces deux premiers : c'est
le naturalisme.
TROISIÈME CONFÉRENCE. 87

Théisme

Intuitivisme

Naturalisme

Ces trois sons de l'âme ont aussi un reflet dans le


monde extérieur du cosmos. Ils ont exactement entre
eux dans l'âme humaine les mêmes rapports que le
Soleil, la Lune et la Terre : le théisme correspond au
Soleil — compris ici comme une étoile fixe, pas
comme une planète —, l'intuitivisme correspond à la
Lune et le naturalisme à la Terre. Celui qui va au-delà
des phénomènes du monde — il faut traduire en ter-
mes spirituels ce qui est appelé ici Soleil, Lune et
Terre — et qui dit : quand je regarde au-dehors, en
toutes ces choses se manifeste à moi le Dieu qui em-
plit le monde, l'homme terrestre qui se tourne vers
les hauteurs lorsqu'il entre dans les rayons du Soleil,
est un théiste. L'homme qui ne va pas au-delà des
processus naturels, qui en reste au contraire aux phé-
nomènes isolés, de même que celui qui ne lève jamais
le regard vers le Soleil, mais ne regarde que ce que le
Soleil produit pour lui sur terre, est un naturaliste.
Celui qui cherche ce qu'il peut y avoir de meilleur en
son âme, le cherche en le faisant se déployer dans ses
propres intuitions est comme le poète intuitiviste qui
chante la Lune et dont l'âme est stimulée par la douce
lueur argentée de la Lune ; on peut comparer cet
homme à la Lune. De même qu'on peut mettre en
rapport la lumière de la Lune avec l'imagination créa-
trice, de même on peut mettre en relation au plan
occulte l'intuitiviste, tel qu'on l'entend ici, avec la
Lune.
88 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

Il y a encore pour finir une quatrième réalité. Elle


n'existe, à vrai dire, qu'en un seul élément. Lorsque
l'être humain ne s'en tient pour ainsi dire en ce qui
concerne toute vision du monde qu'à cela seul dont
il peut faire l'expérience sur lui-même, autour de
lui-même ou en lui-même : c'est l'anthropomor-
phisme.

Anthropomorphisme

Cela correspond à la Terre, lorsque l'on considère


celle-ci en tant que telle, indépendamment du fait
qu'elle soit entourée du Soleil, de la Lune ou d'une
autre planète. De même que nous pouvons consi-
dérer la Terre pour elle-même, nous pouvons aussi,
en ce qui concerne les visions du monde, ne prendre
rien d'autre en considération que ce que nous pou-
vons trouver en nous-mêmes en tant qu'êtres hu-
mains. Alors naîtra l'anthropomorphisme qui est si
répandu dans le monde.
Si l'on va au-delà de ce qu'est l'être humain, de
même que, pour expliquer le phénomène de la Terre,
on doit aller au-delà, jusqu'au Soleil et à la Lune — ce
que la science actuelle ne fait pas — on en vient à
devoir reconnaître que trois choses sont justifiées
côte à côte : le théisme, l'intuitivisme et le natura-
lisme. Car ce qui correspond à la vérité n'est pas de
s'en tenir avec insistance à l'un de ces sons, mais de
les faire résonner ensemble. Et de même que notre
corporéité étroite est placée avec le Soleil, la Lune et
la Terre de nouveau au sein des sept planètes, de
même l'anthropomorphisme, de par sa qualité de
vision du monde la plus immédiate, est placé au sein
de ce qui peut former l'accord entre le théisme,
TROISIÈME CONFÉRENCE. 89

l'intuitivisme et le naturalisme, et cet accord lui-mê-


me dans l'accord que font entendre ensemble les sept
tonalités de l'âme. Et ces sept tonalités de l'âme pren-
nent des nuances différentes selon les douze signes
du Zodiaque.
Vous le voyez, du point de vue du nom — et à vrai
dire seulement du point de vue du nom — ce n'est pas
une vision du monde qui est vraie, mais 12 + 7 =
19 + 3 = 22 + 1= 23 visions du monde qui sont justi-
fiées. Nous avons vingt-trois noms qui se justifient
pour des visions du monde. Mais tout le reste peut se
produire du fait que les planètes correspondantes se
promènent dans les douze constellations du Zo-
diaque de l'esprit.
Et maintenant essayez, à partir de ce qui vient
d'être exposé, de devenir sensibles à la tâche qu'a la
science de l'esprit pour instaurer la paix au sein des
différentes visions du monde, pour instaurer la paix à
partir de la connaissance que les visions du monde
sont d'une certaine manière explicables dans leurs
rapports, dans leurs interactions réciproques, mais
qu'aucune d'elles ne peut conduire à l'intérieur de la
vérité, si elle reste unilatérale ; qu'il faut au contraire
pour ainsi dire éprouver intérieurement en soi-même
la valeur de vérité des différentes visions du monde
pour trouver, si l'on peut dire, son juste rapport avec
la vérité. De même que vous pouvez penser le cos-
mos physique : le Zodiaque, le système des planètes,
le Soleil, la Lune et la Terre ensemble, la Terre pour
elle-même, de même vous pouvez penser un univers
spirituel : l'anthropomorphisme ; le théisme, l'intuiti-
visme, le naturalisme ; la gnose, le logisme, le volon-
tarisme, l'empirisme, la mystique, le transcendanta-
lisme, l'occultisme ; et tout cela se déplaçant dans les
douze constellations du Zodiaque spirituel. Cela
90 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE. COSMIQUE.

existe ; seulement, cela existe spirituellement. Autant


il est vrai que le cosmos physique existe physique-
ment, autant il est vrai que cela existe spirituellement.
Dans la moitié du cerveau que l'anatomiste trouve
sous son scalpel, dont on peut dire qu'elle est en
forme de demi-sphère, agissent surtout les actions du
cosmos de l'esprit qui émanent des nuances supé-
rieures. Par contre il existe une partie invisible du cer-
veau qui n'est visible que si l'on considère le corps
éthérique ; il est davantage sous l'influence de la par-
tie inférieure du cosmos de l'esprit. (Voir le schéma
p. 91). Mais comment a lieu cette influence ? Disons
que chez l'un il en est ainsi que pour son logisme il
est axé sur le sensualisme, pour son empirisme il est
axé sur le mathématisme. Alors ce qui naît de cette
façon produit des forces qui agissent sur son cerveau
et cette partie supérieure de son cerveau est alors
particulièrement active et l'emporte sur les autres.
Une infinité de nuances d'activités du cerveau nais-
sent du fait que le cerveau nage pour ainsi dire dans le
cosmos spirituel et que les forces agissent de cette
façon sur le cerveau comme nous avons pu l'exposer
à l'instant. Les cerveaux humains sont réellement
aussi divers et variés qu'ils peuvent l'être selon les
combinaisons qui découlent de ce cosmos spirituel.
Ce qui se trouve dans cette partie inférieure du
cosmos spirituel, cela n'agit pas même sur le cerveau
physique, mais sur le cerveau éthérique.

Lorsqu'on parle de tout cela, la meilleure impres-


sion que l'on puisse en retirer, c'est que l'on dise :
cela ouvre votre sens de ce que le monde a d'infini, de
ce que le monde a de qualitativement grandiose, de la
possibilité que l'on puisse en tant qu'homme exis-
ter en ce monde sous une forme infiniment variée.
TROISIÈME CONFÉRENCE. 91

Vraiment, rien qu'à considérer cela, nous pouvons


déjà nous dire : il ne manque vraiment pas de possibi-
lités que nous puissions être différents dans les diffé-
rentes incarnations que nous avons à accomplir sur
terre. Et on peut aussi être persuadé que celui qui
considère ainsi le monde en vient précisément par
une telle façon de considérer le monde à se dire : vrai-
ment, comme le monde est riche, comme il est gran-
diose ! Quel bonheur de participer toujours plus
largement, toujours davantage, de façon toujours
plus variée à son existence, à ses actions, à son effort
pour atteindre un but !

Cerveau physique

Partie invisible
du cerveau
IV

Berlin, 23 janvier 1914

Nous nous sommes intéressés à des nuances pos-


sibles de la vision du monde, à des tonalités de la
vision du monde, etc. qui peuvent prendre place dans
l'âme humaine et je voudrais, comme je ne peux vrai-
ment que faire ressortir quelques points de vue pris
dans le vaste champ que couvre ce thème, faire
ressortir l'un de ces points de vue par un exemple
particulier.
Supposons qu'un homme vive dans le monde
d'une façon telle que soient contenues dans ses dis-
positions les forces particulières qui le déterminent à
faire agir sur soi la nuance de la vision du monde de
l'idéalisme. Je veux donc dire qu'il rend agissante en
lui-même la nuance de la vision du monde de l'idéa-
lisme. Supposons qu'il en fasse un facteur détermi-
nant de sa vie intérieure par le fait qu'en son âme
renvoie pour ainsi dire à l'idéalisme et se nourrisse de
ses forces la tonalité de la vision du monde que j'ai
appelée hier la mystique, la tonalité de Vénus. C'est
pourquoi on dirait, si l'on voulait utiliser les sym-
boles de l'astrologie, que la configuration spirituelle
d'un homme dont les dispositions spirituelles se-
raient telles que nous venons de les décrire serait que
Vénus se trouve dans le Bélier.
Je remarque expressément, afin que ne se produise
aucun malentendu, que ces configurations sont à vrai
dire encore beaucoup plus importantes dans la vie
que les configurations de l'horoscope extérieur, mais
qu'elles ne coïncident pas, par exemple, avec le ciel
de naissance, l'horoscope extérieur. Car ce qui se
passe, c'est que l'influence accrue qui s'exerce sur une
94 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

âme du fait que la mystique se trouve dans le signe de


l'idéalisme, que cette influence, donc, attend le mo-
ment favorable où elle peut saisir l'âme, afin de faire
sortir avec un maximum d'intensité ce qui peut naître
par le fait que la mystique se trouve dans le signe de
l'idéalisme. Il n'est pas nécessaire que ces influences,
qui arrivent à se manifester du fait que la mystique se
trouve dans le signe de l'idéalisme, se manifestent
précisément au moment de la naissance ; elles peu-
vent se manifester avant la naissance et aussi après.
Bref, on attend le moment propice à ce que puissent
être insérées de la meilleure façon ces facultés dans
l'organisme humain, selon ce que permet la configu-
ration interne des organes.
Donc le ciel de naissance de l'astrologie habituelle
n'entre pas ici en ligne de compte. Mais on peut dire
que telle âme est constituée de telle façon que, spiri-
tuellement parlant, Vénus est dans le signe du Bélier,
la mystique dans le signe de l'idéalisme. Or les forces
qui naissent de cette façon ne perdurent pas pendant
toute la vie. Elles se transforment, c'est-à-dire que
l'homme vient à être exposé à d'autres influences, à
d'autres tonalités de l'âme. Supposons qu'un homme
évolue de façon telle qu'au cours de sa vie il entre
dans la tonalité de l'empirisme, que pour ainsi dire la
mystique se soit avancée jusqu'à l'empirisme et que
l'empirisme soit dans le signe du rationalisme.
Vous voyez d'après le dessin d'hier que dans la
figuration symbolique, si l'on va de l'intérieur vers
l'extérieur, l'empirisme vient faire suite à la mystique
comme le Soleil à Vénus. L'âme s'est avancée, en ce
qui concerne sa tonalité, jusqu'à l'empirisme et s'est
en même temps placée dans le signe du rationalisme.
Dans la vie de l'âme, ceci s'exprime sous la forme que
cette âme se modifie dans sa vision du monde. Ce
QUATRIÈME CONFÉRENCE. 95

qu'elle a produit, peut-être précisément si elle était


une personnalité disposant de beaucoup de forces à
l'époque où la mystique chez elle était dans le signe
de l'idéalisme, elle va le modifier, le faire évoluer vers
une autre nuance de la vision du monde. Ses affirma-
tions, ses paroles seront autres, lorsque la tonalité de
la vision du monde de la mystique aura évolué vers
l'empirisme et que celui-ci se sera placé dans le signe
du rationalisme. Mais de ce que je viens d'exposer
vous pouvez déduire aussi que les âmes humaines
peuvent avoir tendance à modifier le signe et la tona-
lité de leur vision du monde. Pour cette âme, la
tendance de la modification est pour ainsi dire déjà
donnée. Supposons que cette âme veuille poursuivre
cette tendance dans la vie. Elle veut avancer de l'em-
pirisme à la tendance suivante de l'âme, au volonta-
risme. Et si elle avançait aussi dans les signes du Zo-
diaque, elle arriverait au mathématisme. Elle passerait
à une vision du monde qui, dans cette figuration
symbolique, forme un angle de 60° avec la première
ligne où la mystique était dans le signe de l'idéalisme.
Et une âme de cette nature donnerait alors forme, au
cours de la même incarnation, à un édifice mathéma-
tique du monde imprégné de volonté, fondé sur la
volonté.
Mais une chose s'avère alors — et je vous prie d'en
tenir compte — il s'avère que deux configurations as-
trales qui sont situées de cette façon au cours du
temps se gênent alors, ont l'une sur l'autre une in-
fluence défavorable lorsqu'elles forment un angle de
60°. En astrologie physique, c'est une configuration
favorable ; en astrologie spirituelle, ce que l'on ap-
pelle la position du sextil est défavorable. Ceci s'ex-
prime de la façon suivante : cette dernière position -
le volontarisme dans le mathématisme — rencontre
96 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

dans l'âme un obstacle très marqué, si bien qu'elle


n'arrive pas à se former tout à fait, parce qu'elle ne
trouve pas de points d'appui du tout, dans la mesure
où l'intéressé ne présente absolument pas de dispo-
sitions pour ce qu'est la mathématique. C'est en cela
que s'exprime ce qu'il y a de défavorable dans la posi-
tion du sextil qu'il n'y a pas du tout de dispositions
pour la mathématique. Donc la position : volonta-
risme dans le signe du mathématisme ne peut pas se
former. La conséquence en est alors qu'il n'est pas
non plus tenté que la tonalité de l'âme avance de
cette façon. Mais, comme l'âme en question ne peut
pas faire maintenant ce chemin qui va vers le volonta-
risme dans le mathématisme, elle accomplit un re-
tournement par rapport à la position qui est main-
tenant la sienne — l'empirisme dans le rationalisme -
et cherche une issue, et alors elle se place en opposi-
tion à la direction qu'elle peut encore tenir. Une
QUATRIÈME CONFÉRENCE. 97

âme de cette nature n'avancerait donc pas au vo-


lontarisme, comme l'indique la ligne en pointillé
dans le dessin, mais avec le volontarisme, elle se
placerait en opposition à son empirisme dans le ratio-
nalisme.

Ceci se produirait dans le signe du dynamisme. Le


volontarisme se trouverait en opposition au ratio-
nalisme dans le signe du dynamisme. Et au cours de
sa vie, une âme de cette nature aurait comme confi-
guration possible pour elle de défendre une vision du
monde qui s'appuie sur une pénétration particulière
de forces, de dynamisme dans le monde, pénétra-
tion imprégnée de volonté ; la volonté — la volonté
imprégnée de force. Dans l'astrologie spirituelle, les
choses sont, là encore, autres que dans l'astrologie
physique ; dans l'astrologie physique, l'opposition
a une tout autre signification que dans l'astrologie
spirituelle. Ici, l'opposition provient de ce que
l'âme ne peut continuer sur un chemin qui est défa-
vorable ; elle bascule alors dans la position op-
posée.
98 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

Je viens ici de vous décrire au tableau les expé-


riences faites par l'âme de Nietzsche au cours de sa
vie. Si vous tentez de comprendre son chemin dans
ses premières oeuvres, il s'explique par la position de
la mystique dans le signe de l'idéalisme. De cette
époque sont issus : La naissance de la tragédie et les
Considérations intempestives articulées en quatre parties :
David Strauss, l'homme de conviction et l'écrivain ; De l'utilité
et de l'inconvénient de l'histoire pour la vie ; Schopenhauer
éducateur; Richard Wagner à Bayreuth. C'est la mystique
dans le signe de l'idéalisme. Puis l'âme avance. Arrive
une deuxième période. C'est dans cette époque que
se situe la genèse de Humain, trop humain ; Aurore; Le
gai savoir. Ici l'empirisme se trouve dans le signe du
rationalisme. Dans la troisième période, issus de la
position d'opposition, se situent les écrits qui se fon-
dent sur la volonté de puissance, sur la volonté péné-
trée de force, de puissance : Par-delà le bien et le mal ; La
généalogie de la morale ; Le cas Wagner ; Le crépuscule des
dieux ; L'Antéchrist ; Ainsi parlait Zarathoustra.
Vous voyez qu'il y a une légalité interne entre le
cosmos spirituel et la façon dont l'être humain se
trouve au sein de ce cosmos spirituel. On peut dire,
en se servant des symboles de l'astrologie — mais ils
signifient maintenant autre chose : pour Nietzsche, il
en fut ainsi qu'à un certain moment de sa vie, Vénus
se montra dans le Bélier, mais que, lorsque cette
configuration passa pour son âme au Soleil dans le
signe du Taureau, il ne put continuer, il ne put venir
avec Mars dans le signe des Gémeaux, mais se mit en
opposition avec cette position, donc se plaça avec
Mars dans le signe du Scorpion. Sa dernière période
philosophique est caractérisée par le fait qu'il était
placé avec Mars dans le signe du Scorpion. Or on ne
supporte cette configuration — celle que l'on trouve
QUATRIÈME CONFÉRENCE. 99

en pénétrant dans les positions inférieures, au-des-


sous de la ligne qui va de l'idéalisme au réalisme (voir
schéma p. 96) — que si l'on se plonge dans une vision
du monde spiritualiste, l'occultisme ou autre ; sinon,
ces configurations ne peuvent qu'agir en retour de
façon défavorable sur l'être humain lui-même. D'où
le destin tragique de Nietzsche. On supporte les
configurations supérieures lorsqu'on est en mesure
de trouver sa place dans le monde de façon adéquate
par les circonstances extérieures. Ce qui est situé
au-dessous de la ligne qui va de l'idéalisme au
réalisme, on ne le supporte que si l'on se plonge
entièrement dans la science de l'esprit, ce que
Nietzsche n'a pas pu faire. Par l'expression « trouver
sa place dans le monde à l'extérieur », je veux dire, par
exemple, trouver sa place par l'éducation, par les
conditions extérieures de la vie ; elles entrent en ligne
de compte pour tout ce qui se trouve au-dessus de la
ligne qui va de l'idéalisme au réalisme. Une vie médi-
tative, une vie dans l'étude et la connaissance de la
science de l'esprit entre en ligne de compte pour tout
ce qui se trouve au-dessous de la ligne qui va de
l'idéalisme au réalisme.
Pour mesurer la portée de ce qui a été esquissé ici
dans ces conférences, il faut connaître la chose sui-
vante. Il faut être au clair sur ce qu'est au fond dans
l'expérience humaine la pensée, la façon dont la pen-
sée se situe dans l'expérience humaine.
Le matérialiste grossier de notre époque trouve
adapté à ce qu'il recherche de dire que le cerveau
forme la pensée, ou plutôt que le système nerveux
central forme la pensée. Pour celui qui perce les
choses à jour, cela est tout aussi vrai qu'il serait vrai
d'estimer, quand on regarde dans un miroir, que c'est
le miroir qui a fait le visage que l'on voit. Or il ne fait
100 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

pas du tout le visage, non, le visage est à l'extérieur


du miroir. Le miroir ne fait que refléter le visage, le
renvoie. Je l'ai même déjà expliqué à diverses reprises
dans des conférences publiques. Il en va tout à fait pa-
reillement de ce dont l'homme fait l'expérience sous
forme de pensées. Faisons maintenant abstraction
d'autres contenus de l'âme. L'expérience de pensée
qui est active, réelle, en l'âme, lorsque l'être humain
fait l'expérience de la pensée, naît tout aussi peu par
le cerveau que l'image du visage est produite par le
miroir. Le cerveau n'agit en réalité que comme appa-
reil réflecteur ; ainsi il renvoie l'activité de l'âme et
rend celle-ci visible à elle-même. Le cerveau a réelle-
ment tout aussi peu à voir avec ce que l'être humain
perçoit comme pensées que le miroir a à voir avec
votre visage lorsque vous voyez votre visage dans le
miroir.
Mais il y a autre chose. Quand il pense, l'être hu-
main ne perçoit que la dernière phase de son activité
pensante, de son expérience vécue pensante. Pour ex-
pliquer cela, je voudrais de nouveau prendre l'exem-
ple du miroir. Supposez que vous vous placiez là et
que vous vouliez voir votre visage dans un miroir. Si
vous n'avez pas de miroir sur place, vous ne pouvez
pas voir votre visage. Vous pouvez regarder droit
devant vous aussi longtemps que vous voudrez, vous
ne verrez pas votre visage. Si vous voulez le voir, il
vous faut travailler un matériau quelconque pour
faire en sorte qu'il devienne un miroir. C'est-à-dire
que vous devez d'abord travailler ce matériau afin
qu'il puisse produire l'image réfléchie. Quand vous
avez fait cela et qu'ensuite vous regardez, vous voyez
votre visage. L'âme doit faire avec le cerveau la même
chose que celle que ferait un homme avec le miroir.
L'activité pensante de perception de la pensée
QUATRIÈME CONFÉRENCE. 101

proprement dite est précédée d'une activité qui, si


vous voulez par exemple percevoir la pensée « lion »,
met tout d'abord très profondément en vous les
parties du cerveau en mouvement, si bien que celles-
ci deviennent un miroir pour la perception de la pen-
sée « lion ». Et celui qui transforme d'abord le cerveau
en miroir, c'est vous-même. Ce que vous percevez
finalement comme pensées, ce sont des images reflé-
tées ; ce que vous devez tout d'abord préparer pour
qu'apparaisse l'image-reflet correspondante, c'est une
partie quelconque du cerveau. C'est vous-même qui,
avec l'activité de votre âme, amenez le cerveau à la
structure et à la faculté qui lui permettent de refléter
ce que vous pensez sous la forme de la pensée. Si
vous voulez remonter jusqu'à l'activité qui constitue
le fondement du penser, c'est l'activité qui, à partir de
l'âme, agit sur le cerveau et exerce son activité dans le
cerveau. Et lorsque vous accomplissez dans le cerveau
une activité précise à partir de l'âme, alors il se pro-
duit dans le cerveau un phénomène de reflet tel que
vous percevez la pensée « lion ». — Comme vous le
voyez, il faut d'abord qu'il y ait au départ un élément
psycho-spirituel. Il faut que celui-ci travaille sur le
cerveau. Alors le cerveau devient par cette activité
psycho-spirituelle un appareil réfléchissant qui réflé-
chit la pensée. Tel est le phénomène réel qui pour
beaucoup de gens reste aujourd'hui confus, si bien
qu'ils ne peuvent absolument pas le comprendre.
Celui qui progresse un peu dans l'activité de per-
ception occulte peut distinguer les deux phases de
l'activité de l'âme. Il peut suivre en pensée qu'il lui est
nécessaire, lorsqu'il veut penser une chose quel-
conque, non seulement de saisir la pensée, mais de la
préparer ; c'est-à-dire qu'il doit préparer son cerveau.
Lorsqu'il l'a préparé au point qu'il exerce son action
102 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

de reflet, alors il a la pensée. Lorsqu'on veut faire des


recherches occultes de façon à pouvoir se représenter
les choses, on a toujours la tâche non pas de se repré-
senter tout de suite les choses, mais d'abord d'exercer
l'activité qui prépare le moment de la représentation.
C'est ce qu'il est extrêmement important de prendre
en compte. Nous devons considérer ces choses, parce
que c'est seulement si nous les considérons que nous
avons devant nous le mode d'action véritable de la
pensée humaine. C'est maintenant seulement que
nous savons comment travaille l'activité de l'homme
qui pense. Tout d'abord, cette activité du penseur
saisit en un endroit quelconque le cerveau, ou encore
le système nerveux central, exerce une activité, met
en mouvement d'une manière ou d'une autre, disons-
le par exemple ainsi, les atomes, leur donne des mou-
vements quelconques. De ce fait, ils deviennent un
appareil réflecteur et la pensée est réfléchie et prend
pour l'âme la forme consciente de cette pensée pré-
cise. Il nous faut donc distinguer deux phases : tout
d'abord est issu de notre être psycho-spirituel le tra-
vail fait sur le cerveau ; puis se produit la perception,
après que le travail préparatoire sur le cerveau a été
fait par l'âme pour cette perception. Chez l'homme
tel qu'il est habituellement, le travail sur le cerveau
reste tout à fait dans l'inconscient ; il n'en perçoit que
le reflet. Chez l'homme qui fait des recherches
occultes, c'est un fait réel que l'on doit éprouver tout
d'abord la préparation. On doit éprouver que l'on
doit tout d'abord déverser cette activité de l'âme et
préparer le cerveau afin qu'il accepte de vous fournir
la représentation de la pensée.
Ce que je viens d'exposer se produit constamment
pour l'être humain entre le réveil et l'endormisse-
ment. L'activité pensante travaille tout le temps sur
QUATRIÈME CONFÉRENCE. 103

le cerveau et fait ainsi du cerveau pour toute la durée


de veille un appareil réfléchissant les pensées. Mais il
ne suffit pas que soit ainsi élaboré en nous par l'acti-
vité de pensée uniquement ce que nous élaborons
nous-mêmes. Car c'est là, aimerait-on dire, une acti-
vité bien limitée, qui est exercée par notre être psy-
cho-spirituel. Lorsque nous nous éveillons le matin,
que nous sommes éveillés toute la journée, que nous
nous endormons de nouveau le soir, l'activité psy-
cho-spirituelle qui va avec le penser consiste en ce
que cette activité travaille pendant toute la journée
sur le cerveau et que par là le cerveau devient un
appareil réflecteur. Mais il faut tout d'abord que le
cerveau existe ; ensuite, l'activité psycho-spirituelle
peut graver ses petites inscriptions gravées, pour ainsi
dire consigner dans le cerveau ses notes et ses traces
gravées. Il faut donc que le cerveau soit là dans sa
forme principale, dans sa masse principale. Mais cela
ne suffit pas pour notre vie d'homme.
Notre cerveau ne pourrait pas être travaillé par le
travail quotidien de la vie si tout notre organisme
n'était pas préparé de manière à être le fondement de
ce travail quotidien. Et ce travail qui prépare à l'être
humain son organisme se fait à partir du cosmos. De
même que nous travaillons chaque jour, depuis le
moment où nous nous éveillons jusqu'à celui où
nous nous endormons, à inscrire — pour employer
une expression commune — dans notre cerveau ce
que nous y gravons, ce qui fait de lui un appareil
réflecteur pour les pensées quotidiennes, de même, là
où nous ne pouvons pas effectuer nous-mêmes ce
travail de gravure, c'est-à-dire nous donner à nous-
mêmes une forme, il faut qu'une forme nous soit
donnée à partir du cosmos. De même que dans le
cerveau nos petites pensées travaillent et gravent
104 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

leurs petites inscriptions, de même il faut que la tota-


lité de notre organisme soit édifié à partir du cosmos
selon le même modèle d'activité pensante. Et il l'est,
parce que la même réalité qui travaille en nous à gra-
ver ces petites inscriptions est présente dans le
cosmos, imprégnant de toutes parts ce cosmos de
flux faits d'activité de pensée. Ce qui par exemple
nous apparaît finalement sous forme d'idées, cet
idéalisme que nous avons est présent dans le cosmos
spirituel sous la forme de l'activité qui produit l'idéa-
lisme et cela peut agir sur un homme de manière à
préparer tout son organisme de façon telle qu'il a
précisément tendance à l'idéalisme. De même les
autres nuances sont introduites en l'être humain à
partir du cosmos spirituel agissant dans les tonalités
et les signes.
L'être humain est construit selon les pensées du
cosmos. Le cosmos est le grand penseur qui, jusqu'au
dernier de nos ongles, grave en nous notre forme de
la même façon que notre petit travail de pensée grave
pendant la vie de tous les jours les petites inscriptions
dans le cerveau. De même que notre cerveau — du
moins pour ce qui est des petites parties, où peuvent
être gravées des inscriptions — est sous l'influence du
travail de la pensée, de même notre être tout entier
est sous l'influence du travail de la pensée cosmique.
Que signifie cela ? Pour ce que j'ai exposé ici en
prenant l'exemple de Nietzsche, cela signifie que, par
son incarnation précédente, Nietzsche était préparé
dans son karma de façon telle qu'à un certain mo-
ment, en raison de son incarnation précédente, les
forces de l'idéalisme et de la mystique — qui agis-
saient conjointement, parce que la mystique était
dans le signe de l'idéalisme — agirent sur toute sa
constitution corporelle de façon telle qu'il fut tout
QUATRIÈME CONFÉRENCE. 105

d'abord en mesure de devenir un idéaliste mystique.


Puis la configuration stellaire se modifia de la façon
qui a été indiquée.
Nous sommes pensés à partir du cosmos. Le cos-
mos nous pense. Et de même que dans notre petit
travail quotidien de pensée nous gravons de petites
inscriptions dans notre cerveau et que viennent en-
suite à notre conscience les représentations lion,
chien, table, rose, livre, vers le haut, vers le bas, à gau-
che, à droite, qui sont les reflets de ce que nous
préparons auparavant dans le cerveau, c'est-à-dire de
même que, par le travail effectué sur le cerveau, nous
percevons finalement le lion, le chien, la table, la rose,
le livre, vers le haut, vers le bas, écrire, lire, de même
les êtres des hiérarchies des mondes agissent de la
façon suivante : ils accomplissent la grande activité de
pensée qui grave dans le monde des choses plus im-
portantes que nous avec notre petite activité quoti-
dienne de penseurs. Et ainsi, il se produit que non
seulement naissent les petites inscriptions minus-
cules qui se reflètent ensuite une à une sous la forme
de nos pensées, mais que nous sommes nous-mêmes
dans notre être tout entier ce qui apparaît cette fois
aux êtres des hiérarchies supérieures sous la forme de
leurs pensées. De même que les petits processus qui
se déroulent dans notre cerveau reflètent nos petites
pensées, de même, tandis que cela se grave dans le
monde, nous reflétons les pensées du cosmos. Lors-
que les hiérarchies du cosmos pensent, elles nous
pensent, par exemple, nous, les hommes. De même
que nos petites pensées viennent des petites parti-
cules de notre cerveau, de même les pensées des
hiérarchies viennent de ce que font les hiérarchies et
dont nous faisons partie, nous aussi. De même que
les particules qui se trouvent dans notre cerveau sont
106 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

pour nous les appareils réflecteurs que nous mode-


lons tout d'abord pour en faire les instruments de
nos pensées, de même nous, petits êtres, nous
sommes ce que les hiérarchies du cosmos préparent
pour leurs pensées. Donc, en un certain sens, nous
pouvons dire que nous pouvons avoir de nous-
mêmes à l'égard du cosmos le même sentiment
qu'une particule du cerveau aurait à l'égard de nous-
mêmes. Mais nous sommes en tant qu'âme et esprit
aussi peu ce qu'est notre cerveau que les entités des
hiérarchies supérieures sont, bien sûr, « nous ». C'est
pourquoi nous sommes autonomes par rapport aux
entités des hiérarchies supérieures. Et nous pouvons
dire ceci : d'une certaine façon nous sommes leurs
serviteurs, afin qu'elles puissent penser par nous ;
mais nous sommes en même temps des entités auto-
nomes qui ont en elles-mêmes leur existence propre,
de même que d'une certaine façon même les parti-
cules de notre cerveau ont leur vie propre.
Ainsi nous trouvons le lien qui unit la pensée hu-
maine et la pensée cosmique. La pensée humaine est
le régent du cerveau ; la pensée cosmique est un ré-
gent d'une nature telle que nous faisons partie avec
tout notre être de la tâche qu'il lui incombe d'ac-
complir. Seulement, comme en raison de notre karma
il ne peut pas toujours tourner vers nous toutes ses
pensées de la même façon, il faut que nous soyons
construits selon sa logique. C'est pourquoi nous
avons, nous, les hommes, une logique d'après la-
quelle nous pensons et c'est pourquoi les hiérarchies
spirituelles du cosmos ont elles aussi leur logique. Et
leur logique consiste en ceque nous avons dessiné
sous la forme d'un schéma (p. 96). De même que,
lorsque nous pensons par exemple : « le lion est un
mammifère », nous réunissons deux concepts pour
QUATRIÈME CONFÉRENCE. 107

en former un jugement, de même les hiérarchies su-


périeures du cosmos pensent ensemble deux choses,
la mystique et l'idéalisme : Que la mystique appa-
raisse dans l'idéalisme ! Pensez ceci tout d'abord sous
la forme d'une activité de préparation accomplie par
le cosmos : Que la mystique apparaisse dans l'idéa-
lisme ! — ainsi retentit le «fiat » créateur, le Verbe créa-
teur. Pour les êtres des hiérarchies spirituelles, l'acte
de préparation consiste en ce que soit saisi un
homme tel qu'il corresponde à son karma que se
forment en lui les dispositions à devenir un idéaliste
mystique. Alors est renvoyé dans les hiérarchies du
cosmos le rayonnement de ce que nous appellerions,
pour nous, une pensée et qui est, pour elles, l'expres-
sion d'un être humain qui est un idéaliste mystique,
qui est leur pensée, après qu'elles se sont préparé
pour elles-mêmes ce jugement cosmique : Que la
mystique apparaisse dans l'idéalisme !
Nous avons pour ainsi dire retracé la réalité inté-
rieure du Verbe cosmique, du penser cosmique. Ce
que nous avons retracé en un schéma et qui est la
logique cosmique, cela nous représente comment a
lieu le penser des hiérarchies spirituelles du cosmos,
par exemple : Que l'empirisme apparaisse dans le
signe du rationalisme ! etc. Essayons une fois d'avoir
présent à l'esprit ce qui peut être pensé de cette ma-
nière dans le cosmos. Il peut être pensé ceci : Que la
mystique apparaisse dans le signe de l'idéalisme !
Qu'elle se transforme ! Que naisse l'empirisme dans
le signe du rationalisme ! Résistance. Ce qui viendrait
si l'on continuait serait un jugement cosmique faux.
La pensée se trouve déroutée — nous avons un « faux
penser » corrigé, de même que nous vérifions la
justesse d'une pensée. Il faut qu'apparaisse le troi-
sième point de vue : le volontarisme dans le signe du
108 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

dynamisme. Le résultat de ces trois jugements pro-


noncés au cours des temps dans les mondes cosmi-
ques apparaît dans l'homme « Nietzsche ». Et sous
forme de pensée du cosmos, il rayonne en retour vers
lui.
C'est ainsi que parle la somme des hiérarchies
spirituelles dans le cosmos. Et notre activité de pen-
sée humaine en est un reflet, un petit reflet. Des
mondes ont le même rapport à l'esprit ou aux esprits
du cosmos que notre cerveau à notre âme. C'est ainsi
que nous pouvons plonger nos regards dans ce que
nous ne devrions, à vrai dire, regarder qu'avec une
sorte de respect, une sorte de crainte sacrée. Car avec
ce genre de choses, nous nous trouvons placés devant
les mystères des individualités humaines. Nous ap-
prenons à comprendre que — si je puis m'exprimer en
images — les yeux des entités des hiérarchies supé-
rieures effleurent les diverses individualités humaines
et que les individualités sont pour elles ce que sont
pour nous les caractères individuels d'un livre que
nous lisons. C'est ce que nous n'avons le droit de
regarder qu'avec une crainte sacrée. Nous tentons
d'écouter l'activité de pensée du cosmos.
Il faut qu'à notre époque le voile qui recouvre un
secret de cette nature soit soulevé jusqu'à un certain
point. Car les lois qui ont été indiquées ici comme les
lois des pensées du cosmos sont actives en l'être
humain. Et les connaître peut avoir sur nous cet effet
que nous comprenions la vie et que, comprenant
cette vie, nous apprenions à nous connaître nous-
mêmes, à nous connaître de façon telle que nous
sachions — même s'il faut que nous soyons placés
dans la vie pour telle ou telle raison d'une manière
qui a quelque chose d'unilatéral — que nous faisons
partie d'un grand tout, car nous sommes des
QUATRIÈME CONFÉRENCE. 109

membres au sein de la logique de penseur du cosmos.


Et la science de l'esprit nous conduit à percevoir ces
rapports en profondeur ; elle nous indique par là tout
autant comment comprendre en quoi nos dispo-
sitions ont un caractère unilatéral et comment nous
rendre plus universels grâce aux connaissances qu'ap-
porte la science de l'esprit. Alors nous trouverons la
disposition intérieure qui est nécessaire à notre épo-
que précisément.
À notre époque où chez un grand nombre des
esprits qui donnent le ton il n'y a pas la moindre trace
d'une compréhension des faits qui ont été évoqués
ici, nous sommes témoins que les hommes sont
malgré tout sous l'influence de ces faits, mais qu'ils ne
savent pas vivre sous l'influence de ces faits. Mais, par
là même, ils produisent un effet qui rend nécessaire
de rétablir l'équilibre. Prenez l'exemple de Wundt,
dont je vous ai parlé hier dans la conférence. Ce qu'il
a d'unilatéral est produit par une configuration très
précise. Supposons que Wundt puisse jamais se
frayer un chemin jusqu'à la compréhension de l'an-
throposophie, il saisirait ce qu'il y a d'unilatéral en
lui-même, au point de se dire : eh bien, par le fait que
je suis là, avec l'empirisme, etc. je suis en mesure de
faire du bon travail dans certains domaines. Je reste
dans ces domaines et je complète le reste par la
science de l'esprit. — Il en viendrait à un jugement de
ce genre. Mais il ne veut rien savoir de la science de
l'esprit. Que fait-il pour cette raison ? Alors qu'il
pourrait produire de bonnes choses, en étant pro-
ductif dans la configuration qui est précisément la
sienne, Wundt fait de ce qu'il peut produire grâce à
cette configuration une philosophie d'ensemble,
alors qu'il pourrait produire des choses plus grandes,
bien plus grandes, et même qui seules seraient utiles
110 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

s'il s'arrêtait de philosopher et faisait des expériences


à propos de certains phénomènes psychiques — ce
qu'il sait faire —, et étudiait la nature des jugements
mathématiques — ce qu'il sait également faire —, au
lieu d'amalgamer tout cela en un pot-pourri philoso-
phique, car là, il serait sur la bonne voie.
Mais il faut dire cela de beaucoup de gens. C'est
pourquoi, de même que la science de l'esprit doit
susciter l'état d'esprit qui porte à connaître comment
la paix doit être instituée entre les visions du monde,
de même elle doit, d'un autre côté, souligner avec
netteté les empiètements auxquels se livrent des per-
sonnalités de notre époque, au lieu de s'en tenir à ce
que la configuration rend nécessaire ; ils causent ainsi
des dommages importants, du fait qu'ils exercent une
influence ayant force de suggestion par des juge-
ments qui sont portés sans qu'il ait été tenu compte
de leur configuration à ce moment-là. Tout ce qui est
unilatéral et veut se faire passer pour un tout doit être
refusé de façon rigoureuse. Le monde ne peut pas
être expliqué par un homme qui a des dispositions
pour une chose ou pour une autre. Et lorsqu'il veut
l'expliquer par celles-ci et fonder une philosophie,
cette philosophie a des effets négatifs et il incombe à
la science de l'esprit la tâche de refuser l'orgueil de
cette prétention qui usurpe dans le monde la position
d'un tout. Moins il y a dans le monde de compréhen-
sion et de dispositions intérieures pour la science de
l'esprit, plus l'attitude unilatérale que nous avons
caractérisée se manifestera avec force.
Nous voyons par là que la connaissance de l'es-
sence de la pensée humaine et de la pensée cosmique
peut précisément nous amener à percevoir vraiment
la signification et la tâche de la science de l'esprit à
notre époque et à percevoir en elle ce qui peut la
QUATRIÈME CONFÉRENCE. 111

mettre dans le rapport qui est juste avec d'autres


courants d'esprit, comme on dit, en particulier avec
des courants philosophiques de notre époque. Il
serait souhaitable que des connaissances du genre de
celles que nous avons tenté de nous rendre plus
proches dans ces conférences s'inscrivent très pro-
fondément dans les coeurs et les âmes de nos amis,
afin que la marche du courant spirituel anthroposo-
phique dans le monde devienne tel qu'on s'engage
dans une direction précise, authentique. Si l'on tient
compte de cela, on s'apercevra toujours plus que
l'être humain reçoit sa forme de ce qui vit en lui en
tant que pensées cosmiques.
Un tel exposé fait aussi apparaître comme plus
profonde qu'elle n'apparaîtrait sinon une pensée
comme celle de Fichte qui dit : la philosophie que
l'on a dépend de l'homme que l'on est. Oui, vrai-
ment, la philosophie que l'on a dépend de l'homme
que l'on est ! Que Fichte, dans les débuts de l'incarna-
tion où il vécut sous la forme de Fichte, ait pu dési-
gner comme le ressort fondamental de sa philoso-
phie : « Notre monde est le matériau rendu sensible
de notre devoir », montre, de même que les mots
cités plus haut qu'il a prononcés plus tard, que son
âme a changé de configuration dans le cosmos spiri-
tuel, c'est-à-dire combien son âme avait des formes
riches, si bien que les hiérarchies spirituelles pou-
vaient les modifier pour penser, grâce à elles, des
pensées variées pour elles-mêmes. On pourrait dire
des choses semblables à propos de Nietzsche, par
exemple.
Bien des aspects de l'observation du monde appa-
raissent, précisément lorsqu'on place devant son âme
des choses comme celles qui ont été caractérisées
dans ces quatre conférences. Ce que nous pouvons
112 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

en retirer de meilleur est à vrai dire que par ces choses


nous plongeons toujours plus profondément nos
regards dans la structure de l'univers, que nous plon-
geons nos regards tout en sentant et ressentant. Si
seulement pouvait être atteint par ce cycle de confé-
rences ce seul résultat que le plus grand nombre pos-
sible de vos âmes se dise : c'est sûr, si l'on veut plon-
ger dans le monde spirituel, c'est-à-dire dans le
monde de la vérité et non dans le monde de l'erreur,
il faut se mettre en chemin pour de bon ! Car il faut
prendre en compte beaucoup, beaucoup de choses
sur ce chemin pour parvenir aux sources de la vérité.
Et s'il pouvait me sembler au début que surgisse ici
ou là une contradiction, que je n'aie pu comprendre
ici ou là telle ou telle chose, je vais quand même me
dire que le monde n'est tout de même pas là pour
être compris par tout degré de compréhension hu-
maine et que je préfère devenir un homme qui cher-
che plutôt qu'un homme qui adopte toujours face au
monde l'attitude qui consiste à se demander : Qu'est-
ce que je peux comprendre ? Qu'est-ce que je ne peux
pas comprendre ? — Quand on devient un homme
qui cherche, quand on s'engage sérieusement sur le
chemin de la quête, on se familiarise avec cette réalité
que, pour acquérir quelque compréhension du mon-
de, on doit rassembler les impulsions venues de di-
rections les plus variées. Alors on désapprend totale-
ment cette attitude qui se place par rapport au monde
à la manière de celle-ci : Est-ce que je comprends
ceci ? Est-ce que je ne le comprends pas ?, mais on
cherche et on cherche et on continue à chercher. Les
pires ennemis de la vérité sont les visions du monde
achevées et qui tendent à un achèvement, qui préten-
dent assembler quelques pensées et croient avoir le
droit de construire avec quelques pensées un univers.
QUATRIÈME CONFÉRENCE. 113

Le monde est une réalité infinie, qualitativement et


quantitativement. Et ce sera une bénédiction que se
trouvent ici et là des âmes qui veuillent avoir une vue
claire au sujet de l'unilatéralité pleine de suffisance
qui apparaît à notre époque de façon aussi terrible et
qui prétend être un tout. Je voudrais dire ceci que
j'exprime en ayant le coeur qui saigne : le plus grand
obstacle à la connaissance du fait qu'un travail de pré-
paration de l'activité pensante est accompli dans le
cerveau, que le cerveau est transformé de ce fait en un
miroir et réfléchit la vie de l'âme — fait dont la
connaissance jetterait une lumière infinie sur beau-
coup d'autres connaissances physiologiques — le plus
grand obstacle à la connaissance de ce fait est la phy-
siologie qui à notre époque a perdu le sens et qui
parle de deux sortes de nerfs, les nerfs moteurs et les
nerfs sensitifs. J'ai déjà évoqué la chose dans bien des
conférences. Pour produire cette théorie qui hante
toute la physiologie, il fallait réellement que la
physiologie ait perdu tout sens commun. Et pour-
tant, c'est aujourd'hui une théorie reconnue sur toute
la terre qui fait obstacle à toute connaissance véritable
de la nature de la pensée et de la nature de l'âme.
Jamais on ne pourra connaître la pensée humaine tant
que la physiologie constituera un tel obstacle à la
connaissance de la pensée. Mais nous sommes par-
venus à de tels sommets qu'une physiologie déso-
rientée constitue l'introduction de tout manuel de
psychologie et rend l'ouvrage dépendant d'elle. Par là
on se barre en même temps la route qui conduit à la
connaissance de la pensée cosmique.
On n'apprend à connaître ce qu'est la pensée dans
le cosmos qu'à partir du moment où l'on ressent ce
qu'est la pensée en l'être humain ; où l'on se ressent
dans la vérité de cette pensée qui, en tant que pensée,
114 LA PENSÉE HUMAINE ET LA PENSÉE COSMIQUE.

n'a rien à voir avec le cerveau, si ce n'est qu'elle est


elle-même le maître de ce cerveau. Mais lorsqu'on a
connu en soi-même la pensée dans son entité en
tant que pensée humaine, on se sent déjà avec cette
pensée au sein de la réalité cosmique et notre
connaissance de la véritable nature de la pensée hu-
maine s'élargit aussi à la connaissance de la véritable
nature de la pensée cosmique. Lorsque nous appre-
nons à connaître de façon juste ce que nous pen-
sons, alors nous apprenons aussi à connaître
comment nous sommes pensés par les puissances
du cosmos. Oui, nous acquérons même la possibilité
de jeter un bref regard sur la logique des hiérarchies.
Les différentes parties constitutives des jugements
des hiérarchies, les concepts des hiérarchies, je vous
les ai écrits. Les concepts des hiérarchies se trouvent
dans les douze signes du Zodiaque de l'esprit, dans
les sept tonalités de la vision du monde, etc. Et ce que
sont les hommes, ce sont des jugements du cosmos
qui découlent de ces concepts. C'est ainsi que nous
nous sentons au sein de la logique du cosmos, c'est-à-
dire, pour prendre la chose dans sa réalité, dans la
logique des hiérarchies du Cosmos, nous nous
sentons en tant qu'âmes placés dans le sein de la
pensée cosmique, de même que nous sentons la
pensée que nous pensons placée dans le sein de notre
vie de l'âme.
Méditez cette idée : «Je pense mes pensées et je
suis une pensée qui est pensée par les hiérarchies du
Cosmos. Ma réalité éternelle consiste en ce que le
penser des hiérarchies est une réalité éternelle. Et
lorsqu'une catégorie des hiérarchies m'a pensé jus-
qu'au bout, je suis remis — de même que la pensée
de l'homme est remise par le maître à l'élève -
d'une catégorie à l'autre, afin que celle-ci continue
QUATRIÈME CONFÉRENCE. 115

de me penser dans mon être éternel, vrai. C'est ainsi


que je me sens à l'intérieur du monde de pensées du
cosmos. »
Ainsi s'achève ce bref cycle de conférences.
117

L'CEUVRE ÉCRITE DE RUDOLF STEINER


TITRES DISPONIBLES

1) Introduction aux oeuvres scientifiques de Goethe


(1883-1897), partiellement publiées dans Goethe :
Traité des Couleurs (T 1973) et Goethe : La métamor-
phose des Plantes, (T 1992).
2) Une théorie de la connaissance chez Goethe (1886),
(EAR 1985).
3) Goethe, père d'une esthétique nouvelle (1889), (T
1979).
4) Vérité et science (1892), (EAR 1982).
5) La philosophie de la liberté (1894), (EAR 1983), (S
1986), (N 1993).
6) Nietzsche, un homme en lutte contre son temps
(1895), (EAR 1982).
7) Goethe et sa conception du monde (1897), (EAR
1984).
8) Le christianisme et les mystères antiques (1902), (EAR
1985).
9) Réincarnation et karma. Comment le karma agit
(1903), (EAR 1982).
10) Théosophie (1904), (EAR 1989), (T 1976).
11) Comment acquérir des connaissances sur les mondes
supérieurs ou l'initiation (1904), (T 1989). Comment
parvient-on à des connaissances des mondes supé-
rieurs ? (N 1993). L'initiation (EAR 1992).
12) Chronique de l'Akasha (1904), (EAR 1981).
13) Les degrés de la connaissance supérieure (1905), (EAR
1985).
14) L'éducation de l'enfant à la lumière de la science spiri-
tuelle (1907), (T 1989).
15) Science de l'occulte (1910), (T 1976), (EAR 1993).
16) Quatre drames-mystères (1910-1913). Edition bilingue,
(T 1991). L'épreuve de l'âme (Deuxième drame-
mystère. Traduction seule), (TA 1983).
17) Les guides spirituels de l'homme et de l'humanité
(1911), (EAR 1984).
18) Le calendrier de l'âme (1912). Édition bilingue (EAR
1987). Id., traduction seule (TA 1991).
19) Un chemin vers la connaissance de soi (1912), (EAR
1983).
20 seuil
il du monde spirituel (1913), (EAR 1983).
21 Les énigmes de la philosophie (1914), (EAR 1991).
22 Douze harmonies zodiacales (1915). Edition bilingue,
(T 1966).
23) Des énigmes de l'âme (1917), (EAR 1984).
24) Noces chymiques de Christian Rose-Croix (1917),
(EAR 1981).
25) 13 Articles sur la tripartition sociale (1915-1921) dans
le volume : « Fondements de l'organisme social ». Cf.
ci-dessous n° 27.
26 L'esprit de Goethe (1918), (EAR 1979).
27 Fondements de l'organisme social (1919), (EAR 1975).
28 Autobiographie (1923-1925), (EAR 1979).
29 Données de base pour un élargissement de l'art de
guérir selon les connaissances de la science spirituelle.
En collaboration avec le Dr Ita Wegman (1925), (T
1985).

EAR) : Éditions Anthroposophiques Romandes, Genève.


N) : Éditions Novalis, Montesson.
S): Société anthroposophique, Branche Paul de Tarse, Illfurth.
T) : Triades Éditions, Paris.
TA) : Les Trois Arches, Chatou.
ÉDITIONS NOVALIS
f :

Collection oeuvres de Rudolf Steiner


— La philosophie de la liberté (1893-1918).
— Otto Palmer : Rudolf Steiner s'exprime sur sa «Philosophie
de la liberté» (1894-1925).
— Comment parvient-on à des connaissances des mondes supé-
rieurs? (1904-1905).
— Les trois perspectives de l'anthroposophie. Trois conférences
(1923).

Collection Sources européennes :


— Johann Wolfgang Goethe : Entretiens d'émigrés alle-
mands (dont Le Conte), (1795). Avec un essai de Rudolf
Steiner (1918) et une documentation sur les « sources » de
Goethe.
— Édouard Schuré : Théâtre choisi I. Le drame sacré d'Eleusis
(1889-1898). Suivi de deux conférences de Rudolf Steiner
(1911-1912 .
— Novaliis vu par ses contemporains (1792-1815).

Collection Horizons d'aujourd'hui :


— Almut Bockemühl, Le temps du mourir.

— Rudolf Steiner : Théosophie.


— Rudolf Steiner : Les limites de la connaissance de la nature.
Huit conférences (1920).
— Édouard Schuré : Théâtre choisi II et III.
— Paul-Henri Bideau : Qui est Rudolf Steiner ?
— Henning Kôhler : L'énigme de la peur.
Dans ce bref cycle de conférences, en seulement quatre
heures, Rudolf Steiner convie le lecteur à un prodigieux
voyage.
Le fil conducteur, le thème de fond — l'essence de la
pensée — renvoie tout d'abord aux fondements épisté-
mologiques de la démarche de l'anthroposophie, et en
particulier à La philosophie de la liberté publiée vingt et un
ans plus tôt (1893). Dans la première conférence est
posée sans concession l'exigence d'une pensée réelle,
laquelle doit déjà être atteinte, conquise, car ce que
nous appelons communément « pensée » n'est souvent
que le fruit de l'assemblage des mots et non un penser
proprement dit.
La fin de la quatrième conférence apportera une sorte
de réponse cosmique : ce que l'homme fait avec ses
pensées est à l'image de ce que les hiérarchies spiri-
tuelles font avec l'être humain. On entrevoit alors que
les lois de la réincarnation, du karma, les lois d'une
haute « astrologie spirituelle », sont liées à l'activité des
hiérarchies selon les mêmes processus que nos pensées
le sont à notre activité pensante.

Christian Lazaridès

ISBN : 2-910112-07-1.

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