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LISTE DES ARTICLES SUR

LA NATURE ET LE REGIME JURIDIQUES DE LA CRYPTOMONNAIE

Références des articles Page

Nicolas MATHEY, « La nature juridique des


monnaies alternatives à l’épreuve du paiement »,
2
Revue de droit bancaire et financier, novembre-
décembre 2016.
Maxime JULIENNE, « Les crypto-monnaies :
régulation et usages », Revue de droit bancaire et 10
financier n° 6 , novembre-décembre 2018.
Mehdi BALI, « Les crypto-monnaies, une application
des blockchain technologies à la monnaie », Revue 16
de droit bancaire et financier, mars-avril 2016.
REVUE DE DROIT BANCAIRE ET FINANCIER - REVUE BIMESTRIELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016 Dossier

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La nature juridique des monnaies
alternatives à l’épreuve du paiement
Nicolas MATHEY,
professeur à l’université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité,
membre du CEDAG

1 - Les monnaies alternatives méritent-elles vraiment le nom de locales complémentaires a rendu quasiment sans objet cette
monnaie ? En quoi le droit des opérations et de services de paie- démarche.
ment éclaire-t-il l’analyse ? Pour tenter de répondre à ces ques- 4 - Instrument financier. – De ce point de vue, il serait sédui-
tions, il faut sans doute garder à l’esprit une distinction qui n’est sant, a priori, de voir dans les crypto-monnaies un instrument
pas toujours faite avec une clarté suffisante : la distinction de financier. Il s’agit d’une notion technique définie en droit fran-
l’unité monétaire et de l’instrument de paiement. Les monnaies çais à l’article L. 211-1 du Code monétaire et financier. Ce texte
alternatives présentent une double originalité de ce point de vue, dispose que « [l]es instruments financiers sont les titres financiers
ce qui conduit parfois à confondre les deux niveaux d’analyse. et les contrats financiers ». Les titres financiers, qui comprennent
En réalité, ce n’est qu’après avoir tenté d’éclaircir la nature des les valeurs mobilières, ne peuvent être émis que par l’État, une
monnaies alternatives, crypto monnaies et monnaies locales, personne morale, un fonds commun de placement, un fonds de
que l’on pourra proposer une analyse des instruments qui placement immobilier, un fonds professionnel de placement
permettent d’en faire usage notamment à des fins de paiement. immobilier ou un fonds commun de titrisation (C. mon. fin.,
De cette façon, la réflexion peut être menée sans qu’on ait art. L. 211-2). Sans entrer ici dans les détails, il apparaît que les
l’impression que la réponse soit contenue dans la question : le crypto-monnaies ne peuvent se rattacher à aucune des catégo-
droit du paiement permet de mettre à l’épreuve mais aussi de ries énumérées par cet article et par ces textes. En particulier, il
révéler la nature juridique des monnaies alternatives. apparaît clairement que les crypto-monnaies ne sont, à stricte-
C’est sans doute en raison d’une approche trop restrictive de ment parler, émises par personne, car il est impossible de consi-
la notion même de monnaie que la doctrine majoritaire en est dérer que les mineurs par exemple sont des émetteurs, et n’ont
venue à rejeter cette qualification lorsque la question s’est posée aucun sous-jacent, aucune référence dans l’économie réelle ou
en matière de monnaies alternatives (1). Une approche plus financière en-dehors d’elles-mêmes. Il est dès lors impossible de
large, et sans doute un peu moins légaliste, du phénomène rattacher les crypto-monnaies à la catégorie des instruments
monétaire pourrait inviter à reprendre le débat à son fondement financiers comme il est impossible de concevoir un titre finan-
(2). Il sera alors temps d’examiner la mise en œuvre des services cier sans émetteur ou un contrat financier sans objet.
de paiement utilisant des monnaies alternatives (3). Si, pour justifier la compétence de la SEC, les tribunaux améri-
cains ont pu retenir la qualification de contrat financier consti-
tuant une forme de titre financier (security au sens du 15 U.S.C.
1. La recherche d’une qualification § 77b), c’est dans un cadre conceptuel assez différent du nôtre
alternative mais aussi, surtout, après avoir considéré que les bitcoins
peuvent servir de monnaie 1. En réalité, il semble que, à suivre
2 - Concevoir les monnaies alternatives comme unités moné- la SEC, ce soient les contrats portant sur une crypto-monnaie qui
taires est loin d’être évident tant la doctrine semble hostile à cette pourraient être qualifiés de contrats financiers et non la monnaie
idée. Les qualifications proposées sont variées mais aucune ne elle-même ! Ce qui plaiderait finalement davantage en faveur de
semble réellement convaincante. Parmi les multiples qualifica- la qualification de monnaie.
tions disponibles, il faut bien reconnaître qu’il n’en est qu’une 5 - Indice. – Pourrait-on voir dans ces crypto-monnaies une
qui jusqu’à maintenant était écartée à une quasi-unanimité : c’est mesure ou un indice ? À nouveau, le doute est permis car alors
celle de monnaie. Si le point de départ de l’analyse est l’opinion il faudrait quelque chose en dessous, une réalité dont l’indice
largement admise que les monnaies alternatives ne sont pas des puisse être dérivé, dont il soit la représentation synthétique. Or,
monnaies, il faudrait alors leur trouver une autre qualification. à nouveau, il n’y a pas de sous-jacent dont le bitcoin ou toute
Pourtant, aucune autre qualification ne semble suffisamment autre crypto-monnaie puisse être dérivé.
satisfaisante pour convaincre une part significative des auteurs
6 - Biens divers. – Une partie de la doctrine a proposé d’y voir
car cela s’avère en réalité encore plus difficile que de tenter de
des biens divers... au sens du Code monétaire et financier
les rattacher à la catégorie monnaie. Cette question a été déjà
lorsqu’il traite des courtiers en biens divers 2. Cependant, cette
abordée par plusieurs auteurs et par les régulateurs. Les princi-
qualification ne donne pas de régime et ne fournit même aucun
pales conclusions dégagées peuvent être exposées rapidement.
critère relatif aux biens en question. C’est essentiellement le
fondement d’un régime applicable aux intermédiaires en bien
A. - Qualification relevant du droit financier
divers (C. mon. fin., art. L. 550-1 et s.). Cela ne résout en aucune
3 - La question n’a réellement été abordée sous cet angle que
pour les crypto monnaies. En effet, dès lors que ces monnaies et
1. SEC v. Shavers et al., 2013 US Dist. LEXIS 130781, ED Tex., Sept. 18, 2014.
notamment le bitcoin ont tendance à attirer des spéculateurs, il 2. V. F. Drummond, Bitcoin : du service financier au service d’investissement ? :
est assez naturel de tourner son regard vers les catégories du droit Bull. Joly Bourse 2014, §111, p. 249. – Comp. P. Pailler, Quelles règles pour
financier. L’absence de mouvement spéculatif sur les monnaies l’encadrement de la monnaie virtuelle ? : RISF 2014/4, p. 39.
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façon la question de la qualification du bien en question. Le que déplacer la question, il faut sans doute revenir à la question
même constat peut être fait face à la qualification de bien meuble fondamentale : les monnaies alternatives ne sont-elles pas
valorisable que le rapport d’information du Sénat retient au malgré tout de véritables monnaies dès lors qu’on constate
regard du droit civil 3. Que les monnaies alternatives soient un qu’elles servent effectivement à réaliser des paiements. Les
bien, un bien très particulier, personne ne prétend le contraire 4. monnaies alternatives sont sans doute des monnaies en construc-
Cela ne donne aucune indication sur la nature juridique de ces tion en marge de la théorie étatiste de la monnaie (A) mais il ne
biens et notamment sur leur éventuelle nature monétaire. semble pas exister de catégorie de rattachement qui corresponde
mieux à leur nature qu’exprime en particulier la reconnaissance
B. - Qualification relevant du droit bancaire et des de leur pouvoir libératoire (B).
services de paiement
7 - Faut-il alors se tourner vers les qualifications du droit A. - Des monnaies en marge de la théorie étatiste
bancaire et plus particulièrement du droit des services de paie-
11 - Rattachement à l’économie réelle : la monétisation. – Il
ment ? Ce serait assez naturel s’agissant de mécanismes qui
est indéniable que les monnaies alternatives ne présentent pas
permettent de réaliser des paiements.
nettement les traits caractéristiques que l’on attache traditionnel-
8 - Monnaie électronique. – Il serait alors tentant de retenir la lement à la monnaie. L’un des problèmes économiques soule-
qualification de monnaie électronique. En réalité, il est difficile vés par ces monnaies alternatives réside dans la création de
de retenir cette qualification pour les crypto-monnaies car elle richesses et la valeur sous-jacente à la monnaie. Sans exagérer
reposerait sur une ambiguïté du terme monnaie. En effet, ce qui l’importance de ce soubassement économique, il reste difficile
est désigné sous le terme monnaie n’est en réalité qu’une forme d’imaginer une monnaie durable dépourvue d’un support de
particulière de services de paiement. Il ne s’agit pas de monnaie, valeur minimum qui serait ainsi monétisé. Le rapport de la
à proprement parler. En effet, aux termes de l’article L. 315-1, I monnaie au territoire étant différent selon le type de monnaie
du Code monétaire et financier, la monnaie électronique est une alternative, la difficulté n’est évidemment pas de même ampleur.
valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique, Dans le cas des monnaies locales, il reste possible de trouver
y compris magnétique, représentant une créance sur l’émetteur, ce que monétise la nouvelle unité. En effet, elles sont souvent
qui est émise contre la remise de fonds aux fins d’opérations de rattachées à une autre monnaie et reposent sur un territoire dont
paiement et qui est acceptée par une personne physique ou l’économie locale peut être considérée comme étant tout à la fois
morale autre que l’émetteur de monnaie électronique. Ainsi que le fondement et la bénéficiaire de la nouvelle monnaie 5. Pour
le précise un peu plus loin le même texte, les unités de monnaie les crypto-monnaies, cela devient beaucoup plus difficile. Dans
électronique constituent une créance incorporée dans un titre. le cas du bitcoin, par exemple, que monétise-t-on ? Un auteur
Prétendre retenir la qualification de monnaie électronique relève justement que « le réseau bitcoin est un lieu de dépense
suppose qu’au préalable les unités incorporées au titre soient en tout genre dont l’arrimage au monde « réel » demeure problé-
bien de la monnaie : c’est la question et non la réponse ! En matique » 6. La déterritorialisation est totale dans ce cas 7.
outre, il reste difficile d’identifier un véritable émetteur de crypto- Au plan juridique, le fait que les monnaies alternatives soient
monnaie, ce qui rend encore plus acrobatique l’affirmation concurrentes des monnaies étatiques suscite naturellement un
d’une créance contre celui-ci. Enfin, si émission il pourrait y trouble qui se traduit d’ordinaire par le refus de la qualification
avoir, elle n’aurait pas lieu contre remise de fonds. Cela fait tout monétaire. Pour explicable qu’elle soit, cette réaction ne semble
de même beaucoup d’obstacles pour que la qualification de pas justifiée qu’il s’agisse des crypto-monnaies ou des monnaies
monnaie électronique puisse continuer à être sérieusement envi- locales.
sagée. Ce n’est finalement que s’il est juridiquement possible de
retenir la qualification de monnaie pour les monnaies alterna- 1° Les crypto-monnaies
tives qu’elles pourraient être utilisées sous forme de monnaie
électronique. Le même préalable doit être posé avant de pouvoir 12 - Les crypto-monnaies posent certainement des questions
envisager l’application des règles relatives aux services de paie- plus complexes que les monnaies locales de ce point de vue,
ment. surtout en raison de leur déterritorialisation, mais il n’est pas
9 - Instrumentalisation des qualifications. – Ces tentatives ont possible d’écarter la qualification de monnaie aussi facilement
souvent pour finalité de fonder la compétence de l’AMF ou de que le prétend l’opinion doctrinale dominante. En effet, la quasi-
l’ACPR pour pouvoir réguler les monnaies alternatives, et surtout totalité des auteurs ayant abordé la question de la nature des
les crypto-monnaies. Cette instrumentalisation des qualifications crypto-monnaies, c’est-à-dire concrètement du bitcoin, a rejeté
n’est sans doute pas tout à fait illégitime mais elle aboutit à des la qualification de monnaie. Les arguments sont toujours les
propositions peu convaincantes si ce n’est au prix d’une distor- mêmes et sont assez simples à résumer.
sion excessive des catégories qui ne prend pas assez en compte Cette approche peut non seulement apparaître assez étroite-
la nature du phénomène à qualifier. La solution la plus juste ne ment positiviste et étatiste mais elle est aussi et surtout fondée sur
peut pourtant surgir que d’une tentative lucide et modeste à la une confusion qu’il faut sans doute dissiper afin de reprendre
fois de revenir à la nature des choses et en l’espèce à la nature l’analyse de manière un peu plus ouverte : la confusion entre
monétaire des monnaies alternatives. monnaie et monnaie ayant cours légal.
13 - Approche positiviste. – L’argument positiviste résulte d’un
2. La reconnaissance de la nature choix méthodologique. Ce n’est pas le mien mais, a priori, il n’est
pas illégitime dès lors qu’il s’agit d’un positivisme cohérent et
monétaire des monnaies alternatives
10 - Si aucune des qualifications proposées n’emportent réel- 5. V. J.-Ph. Magnen, D’autres monnaies pour une nouvelle prospérité : Mission
lement la conviction, qu’elles soient inadaptées ou ne fassent d’étude sur les monnaies locales complémentaires et les systèmes d’échange
locaux, rapport remis à C. Delga, 8 avr. 2015.
6. L. Desmedt, Le bitcoin et les crypto-monnaies. Nouveaux modèles, questions
3. Ph. Marini, F. Marc, Rapport d’information sur les enjeux liés au développe- persistantes : RISF 2014/4, p. 7, spéc. p. 11.
ment du Bitcoin et des autres monnaies virtuelles, p. 28. 7. Sur les rapports complexes et ambigus qu’entretiennent monnaie et territoire
4. M. Bali, Les crypto-monnaies, une application des block chain technologies V. N. Dodd, The Social Life of Money : Princeton 2014, p. 210 et s. et not.
à la monnaie : RD bancaire et fin. 2016, étude 8, n° 14-17. p. 226 sur la déterritorialisation.
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cela peut justifier de passer assez rapidement sur ce point. Pour contrairement à ce que semble penser la doctrine dominante
l’essentiel, il consiste à relever que seul l’euro est reconnu par mais sans doute la forme historique primitive de l’institution
la Code monétaire et financier. En effet, l’article L. 111-1 du monétaire 14.
Code monétaire et financier affirme clairement que la monnaie 17 - Par ailleurs, un tel exclusivisme est peu compatible avec
de la France est l’euro. Cette affirmation émanant de la loi elle- la circulation internationale des monnaies 15. S’il est vrai que
même ne semble guère laisser de place à une autre forme de l’euro est la monnaie de la France, il n’est pas possible d’en
monnaie. La clarté et la simplicité de l’argument pourraient déduire que c’est la seule monnaie utilisable dans notre pays. En
sembler trancher définitivement la question. effet, il est possible et licite de recourir à une monnaie étrangère
14 - Conception étatiste de la monnaie. – À vrai dire, cet argu- tel que le Dollar ou le Franc suisse comme monnaie de compte,
ment n’a qu’une portée limitée mais il est toutefois intéressant que ce soit pour les opérations internes comme pour les opéra-
de relever qu’il traduit aussi, et surtout, une vision très étatiste de tions internationales 16, ou comme monnaie de paiement,
la monnaie. On prétend en effet déduire de ce que l’euro est la lorsqu’il s’agit d’un paiement international 17. Les monnaies
monnaie de la France qu’il n’existe pas d’autre monnaie au étrangères autres que l’euro ont donc une existence juridique,
regard du droit français. Sans doute s’agit-il d’un étatisme à elles peuvent circuler et être utilisées afin de réaliser des paie-
plusieurs dans la mesure où l’euro est surtout la monnaie ments et l’article L. 111-1 du Code monétaire ne peut y faire
commune à un certain nombre d’États membres de l’Union obstacle. Il est vrai que les monnaies alternatives et notamment
européenne mais ce qui est important ici c’est le lien entre recon- les crypto-monnaies présentent une particularité par rapport aux
naissance de l’existence d’une monnaie et souveraineté. La monnaies étrangères dans la mesure où elles sont totalement
souveraineté monétaire implique une forme de monopole ou déterritorialisées mais le constat qui vient d’être fait suffit à
d’exclusivité qui ne tolère donc aucune concurrence. Cette admettre que la portée de l’argument étatiste ne peut être que très
vision est réductrice et, à ce titre, contestable. limitée et ne suffit pas à écarter la qualification de monnaies
15 - Il est toutefois assez étonnant qu’elle ne soit guère contes- appliquées aux monnaies alternatives, notamment aux crypto-
tée. La doctrine semble d’ailleurs s’entendre très largement sur monnaies.
ce point. Les citations sont nombreuses en doctrine qui tiennent 18 - Monnaie et cours légal. – À vrai dire, il semble que la
pour acquise l’idée que le bitcoin n’est pas une monnaie légale. conception étatiste dominante se traduit sur le terrain juridique
Résumant l’opinion de la doctrine dominante, un auteur écrit par une confusion entre monnaie et cours légal. Explicitement
ainsi « [t]out le monde est au clair désormais sur ce point : non ou implicitement, l’absence de cours légal des monnaies alter-
le bitcoin n’est pas une monnaie, au sens juridique du terme » 8. natives est souvent décisive pour leur refuser la qualification de
De même, un représentant de la Banque de France a pu affirmer monnaie 18. Si cette assimilation des notions de monnaie et de
sans hésitation lors d’une audition parlementaire que « [c]onsi- cours légal est courante, et constitue le prolongement de l’argu-
dérer le bitcoin comme une monnaie est un abus de langage, il ment étatiste, elle n’en reste pas moins contestable.
ne relève pas du Code monétaire » 9. À strictement parler, « [l]e cours légal est l’obligation faite aux
16 - Le propos a une certaine cohérence mais il présente un créanciers d’accepter telle monnaie pour leur règlement » 19. Le
caractère circulaire ou pour le moins étroitement étatiste et posi- refus des pièces de monnaie ou des billets de banque ayant cours
tiviste. Il est vrai que « la théorie étatiste de la monnaie permet légal en France est sanctionné par une peine d’amende 20. Au
d’affirmer que le bitcoin n’est pas une monnaie légale, pour la sein de la zone euro, et notamment en France, les pièces et les
simple raison qu’aucun État ne le définit comme telle dans son billets mis en circulation par la Banque centrale européenne et
ordre juridique » 10 mais il est tout aussi juste de relever les les banques centrales des États membres sont les seuls à avoir
limites de cette approche. En effet, la théorie étatiste de la cours légal dans ces États membres 21.
monnaie ne permet sans doute pas d’exclure la qualification de Certains voient là un argument pour rejeter la qualification de
monnaie appliquée aux crypto-monnaies. Avec Mme Cordion- monnaie des crypto-monnaies. La Banque de France elle-même
Condé, et à la suite de M. Rémy Libchaber, on peut considérer a lié les deux idées dans son document remarqué de novembre
que « [s]ans nier le pouvoir souverain des États de définir leur 2013, écartant la qualification de monnaie et relevant que « le
unité monétaire, il faut dénoncer la confusion commise par les bitcoin ne peut être qualifié de monnaie ayant cours légal dans
partisans de la théorie étatiste... » : « le fait d’observer que c’est la mesure où il est possible de le refuser en paiement sans contre-
souvent l’État qui crée la monnaie ne peut pas signifier qu’en venir aux dispositions de l’article R. 642-3 du Code pénal... » 22.
droit, il n’y ait que l’État qui puisse la créer » 11. En réalité, il n’y Autrement dit, dès lors qu’elles n’ont pas cours légal, les crypto-
a aucune nécessité à donner autant d’importance à l’interven- monnaies sont disqualifiées : elles ne seraient purement et
tion de l’État 12. Celle-ci s’explique surtout par les facilités qu’elle
donne au fonctionnement de la monnaie et par les circonstances
14. V. notamment, M. Laine, La monnaie privée : RTD com. 2004, p. 227.
de l’histoire et ne s’impose pas par une nécessité logique 13. La
15. V. sur la monnaie dans les relations internationales, C. Kleiner, La monnaie
monnaie privée n’est pas une contradiction dans les termes dans les relations privées internationales : LGDJ 2009, Bibl. dr. privé t. 516.
16. Cass. 1re civ., 10 mai 1966 : Bull. civ. I, n° 277 ; JCP G 1966, II, 14871, note
J.-Ph. Lévy ; D. 1966, p. 497, note Ph. Malaurie. – Comp. avec le nouvel
8. M. Roussille, Le bitcoin : objet juridique non identifié : Rev. Banque et droit article 1343-3 du Code civil qui traduit de manière approximative cette juris-
2015, n° 159, p. 27. – V. dans le même sens, J. Lasserre-Capdeville, Le prudence.
Bitcoin : JCP E 2014, act. 25. – Th. Bonneau, Le Bitcoin, une monnaie ? : 17. Cass. com., 27 avr. 1964 : Bull. civ. III, n° 209.
Banque et droit 2015, p. 8. – H. de Vauplane, Bitcoin : Monnaie de singe ou 18. V. not. M. Roussille, Le bitcoin : objet juridique non identifié, préc. – H. de
monnaie légale ? L’analyse juridique : Rev. Banque juillet-août 2013, p. 79. Vauplane, Bitcoin : Monnaie de singe ou monnaie légale ?, art. préc.
9. D. Beau (Banque de France), audition Commission des finances « Enjeux liés 19. F. Grua, N. Cayrol, Monnaie. – Monnaie légale : JCl. Civil Code, App.
au développement des crypto-monnaies de type bitcoin », janv. 2014. art. 1235-1270, fasc. 10, n° 3.
10. L. Corbion-Condé, De la défiance à l’égard des monnaies nationales..., 20. C. pén., art. R. 642-3. – Cass. 1re civ., 5 févr. 2002, n° 00-11.588 : JurisData
art. préc., n° 8. n° 2002-012935 ; D. 2002, p. 1128, note J.-P. Gridel ; D. 2003, p. 336, obs.
11. L. Corbion-Condé, De la défiance à l’égard des monnaies nationales, préc., H. Synvet qui voit dans l’activité d’émission de la monnaie un service public
n° 9. – V. également, R. Libchaber, thèse préc., n° 57 et s. – M. Bali, art. préc., relevant du domaine régalien.
n° 20. 21. Cons. UE, règl. (CE) n° 974/98, 3 mai 1998, concernant l’introduction de
12. Sur l’absence de nécessité de donner un rôle central à l’État V. R. Libchaber, l’euro : JOCE n° L 139, 11 mai 1998, p. 1.
thèse préc., n° 57 et s. 22. Banque de France, Les dangers liés au développement des crypto-monnaies :
13. V. R. Libchaber, thèse préc., n° 59. l’exemple du bitcoin : Focus n° 10, 5 déc. 2013.
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simplement pas des monnaies. Il y a là un raccourci contes- ainsi révéler la nature de ces phénomènes, semble-t-il, inclas-
table 23. Si certaines monnaies ont cours légal, celles qui n’ont sables.
pas cours légal ne cessent pas pour autant d’être des monnaies. Les auteurs abordent rarement la question sous cet angle et
Tout au plus peut-on dire que ce ne sont pas des monnaies lorsqu’ils le font, comme Mme Corbion-Condé qui se demande
légales mais pas davantage. si « [l]e bitcoin est... maintenant un moyen de paiement au sens
Si la conception étatiste de la monnaie liée au critère réducteur juridique de l’analyse fonctionnelle de la monnaie », c’est pour
de l’absence de cours légal n’est donc guère convaincante, il reconnaître que « [l]a quasi-instantanéité et l’irréversibilité des
reste juste que « la monnaie virtuelle ne remplit qu’imparfaite- transactions en bitcoins... militent en faveur de la reconnaissance
ment les trois fonctions classiques de la monnaie » 24. Il faut de sa fonction de paiement » 30. Pourtant, toujours selon cet
cependant ajouter qu’elle remplit en revanche assez bien une auteur, « la seule constatation que le bitcoin assure juridique-
quatrième fonction qui est peut-être la plus déterminante : celle ment la fonction de paiement... sans remplir la fonction
de moyen de paiement. Son imperfection, si on tient absolument
d’évaluation révèle les limites de l’analyse juridique fonction-
à reprendre ce terme, tient à ce qu’elle n’est dotée de pouvoir
nelle, transposition en droit de l’analyse économique instrumen-
libératoire que si elle est conventionnellement dotée de ce
tale de la monnaie » 31.
pouvoir 25.
24 - Cependant, bien que la fonction de paiement soit révéla-
2° Les monnaies locales trice de l’existence d’une monnaie, il faut sans doute autre chose
que la seule reconnaissance de la fonction de paiement pour
19 - Les monnaies locales complémentaires sont également qu’une monnaie s’impose comme telle. S’il est permis de consi-
des monnaies même si elles présentent des particularités. Il est dérer que la monnaie n’est pas par essence une création de l’État,
intéressant de relever que ces imperfections n’ont pas semblé
elle ne peut être détachée de la société et de la vie sociale 32 :
suffisantes pour écarter la qualification de monnaie.
l’existence d’une monnaie est « le fruit d’une croyance et d’une
20 - Des monnaies privées voire des monnaies légales. – Avec foi sociale et, comme telle, une réalité sociale » 33.
la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie
sociale et solidaire 26, il est permis de dire qu’en France les 25 - Si le pouvoir libératoire est un caractère essentiel d’une
monnaies locales complémentaires sont effectivement devenues monnaie, il ne suffit pas que deux personnes admettent ce
des monnaies légales ou tout au moins assimilées à une monnaie pouvoir, dans leur relation particulière, pour qu’une monnaie
légale. En revanche, elles ne devraient toujours pas avoir cours apparaisse. Dans la mesure où la monnaie est une institution
légal. Cela illustre le fait qu’une monnaie peut exister voire être sociale, il faut encore qu’une communauté, dont la taille peut
une monnaie légale sans pour autant avoir cours légal et ce alors être très variable, accepte généralement le paiement au moyen
même qu’elle n’est pas une monnaie étrangère mais finalement de ce bien. Cela suppose que chacun accepte par ce moyen le
une simple monnaie privée. Ce constat réduit grandement la paiement des dettes parce qu’il sait, ou, à vrai dire, parce qu’il
portée de l’argument usuel utilisé pour s’opposer à la qualifica- croit, que d’autres accepteront à leur tour qu’il se libère de sa
tion de monnaie des crypto-monnaies. propre dette à leur égard par ce même moyen : J’accepte des
euros en paiement de la dette de mon client parce que je sais
B. - Le pouvoir libératoire des monnaies qu’à mon tour, je pourrais éteindre ma dette à l’égard de mon
alternatives fournisseur en lui remettant des euros. À nouveau, ce n’est pas
là une idée totalement neuve mais elle reste rare au sein de la
21 - En réalité, avant même la consécration par la loi, ce qui fait doctrine notamment juridique. Malgré le grand retentissement
la monnaie, c’est l’acceptation par une communauté d’un bien
de la thèse de M. R. Libchaber, peu de lecteurs ont relevé
comme moyen de se libérer d’une dette. Juridiquement, cela vise
l’importance de cette approche exprimée dans certains passages.
le pouvoir libératoire de la monnaie, entendu comme « son apti-
En effet, selon cet auteur, « [i]l ne peut y avoir de monnaie que
tude à éteindre une dette » 27. Autrement dit, c’est la reconnais-
sance du pouvoir libératoire attaché au transfert d’un bien maté- pour autant que les individus d’un groupe social apprécient les
riel ou immatériel qui devrait être le critère déterminant de la valeurs au moyen d’une unité, et à condition que cette unité n’ait
qualification de monnaie. pas de référent matériel strict » 34. L’auteur ajoute un peu plus
loin, « tout objet [peut] devenir un moyen de paiement efficace,
22 - Accordant beaucoup, sans doute un peu trop, d’impor-
pourvu qu’il soit consensuellement entendu qu’il peut éteindre
tance à la monnaie comme unité de compte et au rôle d’évalua-
des dettes » 35. L’existence d’une monnaie révélée par le pouvoir
tion 28, les doctrines économiques, juridiques et même sociolo-
giques n’ont pas suffisamment prêté attention à la fonction libératoire attaché à un bien ne repose en dernier ressort que sur
fondamentale de la monnaie qui est d’éteindre une dette, c’est- la confiance, c’est-à-dire sur une croyance sociale.
à-dire de réaliser un paiement 29. 26 - L’acceptation générale d’un moyen de paiement comme
23 - L’analyse de l’utilisation des monnaies alternatives, crypto- monnaie trouve parfois des échos en droit des services de paie-
monnaies et monnaies locales, aux fins de paiement pourrait ments notamment à travers l’exception de réseau limité qui
permet ainsi aux chèques cadeaux ne pas être considéré comme

23. V. M. Bali, art. préc., n° 20-21.


24. P. Pailler, Quelles règles pour l’encadrement de la monnaie virtuelle en 30. L. Corbion-Condé, De la défiance à l’égard des monnaies nationales, préc.,
France : RISF 2014/4, p. 39, spéc. p. 41. spéc. n° 12.
25. V. infra 2, A. 31. L. Corbion-Condé, De la défiance à l’égard des monnaies nationales, préc.,
26. L. n° 2014-856, 31 juill. 2014, art. 16 : JO 1er août 2014. spéc. n° 13.
27. F. Grua, N. Cayrol, Monnaie. – Monnaie légale : J.-Cl. Civil Code, App. 32. V. d’ailleurs sur ce thème, N. Dodd, The Social Life of Money : Princeton
art. 1235-1270, fasc. 10, n° 6. 2014.
28. V. J. Hamel, Recherches sur la théorie juridique de la monnaie : Les cours du 33. L. Corbion-Condé, De la défiance à l’égard des monnaies nationales, préc.,
droit 1938-1939. spéc. n° 14-15. – V. également, R. Libchaber, thèse préc., n° 80.
29. V. A. Testart, Moyen d’échange/moyen de paiement. Des monnaies en géné- 34. R. Libchaber, thèse préc., n° 80.
ral et plus particulièrement des primitives : Aux origines de la monnaie, ss dir. 35. R. Libchaber, thèse préc., n° 81, V. également n° 83 : « Toute chose peut
d’A. Testart : éd. Errance 2001, p. 11. – R. Pellet, Droit financier public : coll. servir à payer, du moment qu’elle fait l’objet d’un consensus, éventuellement
Thémis : PUF 2014, not. p. 35 et s. limité à un tout petit groupe d’hommes ».
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services de paiement 36. Cependant, en définitive, la question de la fiabilité de la technologie qui assure la sécurité des transac-
essentielle est finalement moins juridique que sociologique. tions. Concrètement, il s’agit de la blockchain qui permet
Cette question avait été négligée depuis des décennies en raison d’authentifier de manière extrêmement fiable mais décentrali-
de l’ampleur prise par le monopole étatique de la création moné- sée les transactions : grâce à ce registre décentralisé retraçant
taire mais elle restait cachée dans les plis de l’institution. De ce l’ensemble de l’historique des transactions depuis l’origine du
point de vue, la vertu des monnaies alternatives est de lui redon- système, constituant une forme de mémoire monétaire 44, les
ner une visibilité bien plus que de renouveler radicalement la crypto-monnaies présentent une grande sécurité qui est au
théorie de la monnaie. Avec le bitcoin en particulier, nous redé- fondement de la confiance des utilisateurs. Si l’avenir des crypto-
couvrons que « money is money simply because it is accepted monnaies reste assez discuté, celui de la blockchain semble très
as money » : « la monnaie est la monnaie simplement parce prometteur que ce soit pour sécuriser des transactions, pour assu-
qu’elle est acceptée comme monnaie » 37. Par conséquent, « la rer la gestion des droits d’auteur, la publicité de certains droits
monnaie n’est pas une chose, mais simplement la croyance que tels que la publicité foncière. Dans le même mouvement, la mise
les autres vont l’accepter comme monnaie » 38. en avant de l’innovation remarquable que constitue le block-
27 - Il est remarquable d’ailleurs que le développement des chain pourrait contribuer à refonder la confiance dans les crypto-
monnaies alternatives peut apparaitre comme le reflet de la monnaies qui utilisent cette technologie.
défiance à l’égard des monnaies traditionnelles émises par les 30 - Au plan théorique une question mérite sans doute d’être
souverains monétaires 39. L’évolution du bitcoin au cours de la posée : peut-on concevoir une monnaie fondée sur rien d’autre
crise, notamment pendant les épisodes les plus dramatiques des que la confiance dans la technologie mise en œuvre ? Sociolo-
crises chypriote et grecque, peut être regardée comme un indi- giquement voire anthropologiquement est-ce concevable ? C’est
cateur du degré de confiance dans les monnaies étatiques. En sans doute ici que se trouve la principale difficulté, le principal
entrant, même modestement, en concurrence avec celles-ci les obstacle à la reconnaissance des crypto-monnaies comme des
crypto-monnaies permettent d’exprimer l’affaiblissement de la monnaies à part entière. C’est pour cela que M. Supiot relève
confiance des utilisateurs. notamment qu’« [e]n dépit des fantasmes contemporains de
28 - La monnaie repose sur la confiance : ce constat, qui n’est monnaie autoréférentielle, il n’y a pas et il ne peut y avoir de
pas nouveau 40, pose alors la question de l’autorité fondant cette monnaie sans un tiers garant de sa valeur » 45. La cryptographie
confiance. La monnaie étatique repose sur la confiance que l’on sera-t-elle suffisamment solide pour inspirer la confiance et se
peut avoir dans l’autorité centrale 41 : la monnaie existe par la constituer tiers garant des échanges ? ou faudra-t-il ajouter une
confiance que les utilisateurs placent dans l’émetteur de celle- couche institutionnelle pour fonder cette confiance ? Cela ne se
ci. Les monnaies locales obéissent à une logique un peu diffé- commande pas. Seule l’évolution à venir nous le dira et elle est
rente dans la mesure où elles sont largement décentralisées et imprévisible.
fondées sur un réseau local d’échange même si elles sont 31 - Acceptation sociale de la monnaie. – La vraie difficulté
souvent adossées à une monnaie étatique. Par conséquent, la réside donc dans l’ampleur de l’acceptation sociale des
confiance dans ces monnaies locales est très largement fondée monnaies alternatives. À vrai dire, sur ce point le présent reste
sur la vigueur de l’économie locale structurée par un système encore peu concluant et l’avenir incertain. L’expérience des
d’échange local de biens et de services. C’est particulièrement monnaies locales complémentaires est assez contrastée. Nées
évident dans l’expérience argentine où les monnaies complé- pendant des périodes de crises, ces monnaies connaissent parfois
mentaires ont été adossées aux systèmes de troc mis en place en un recul important lorsque la situation économique est stabili-
temps de crise mais la même idée est au fondement de sée ; de manière générale, leur pérennité n’est jamais facile à
nombreuses expériences européennes et notamment fran- assurer. Les volumes restent souvent très limités pour l’instant.
çaises 42. Cependant, les promoteurs de ces projets semblent penser que
29 - En revanche, les crypto-monnaies reposent sur un type de les circonstances actuelles, la remise en cause d’une certaine
confiance très différent des monnaies étatiques en raison de leur forme d’économie et de consommation mais aussi le soutien des
fondement technologique : elles reposent sur une forme de collectivités locales sont des facteurs qui peuvent contribuer à
confiance, voire de foi, dans la cryptographie 43. Elle n’est pas la réussite des monnaies locales complémentaires au XXIe siècle.
rattachée à une valeur économique particulière, ce qui leur Le manque de données chiffrées ne permet pas encore de confir-
donne souvent un caractère spéculatif, mais dépend uniquement mer ce pronostic malgré la multiplication des projets depuis
quelques mois.
32 - Quant aux crypto-monnaies, leur diffusion reste égale-
36. C. mon. fin., art. L. 521-3. – CE, 24 avr. 2013, n° 35957 : JurisData n° 2013- ment assez limitée. Cela s’explique notamment, d’une part, par
007989 ; RD bancaire et fin. 2013, comm. 147, obs. F.-J. Crédot et Th.
Samin ; D. 2013, pan. p. 2423, note H. Synvet ; JCP E 2013, p. 1662, n° 5,
l’organisation de la rareté inhérente en particulier au bitcoin. En
obs. J. Stoufflet ; Banque et droit 2013, p. 15, note Th. Bonneau. effet, « les bitcoins étant détenus à plus de 80 % par moins de
37. V. notamment, Katsuhito Iwai, Forum Does Bitcoin have a future : Cornell, 5 % des utilisateurs, ces derniers préfèrent les conserver dans
avr. 2014. l’attente d’une augmentation de la valeur » 46. Autrement dit, la
38. S. Bourgeois-Gironde, Le Bitcoin, entre représentation naïve et innovation
thésaurisation nuit à l’usage de la monnaie comme moyen de
théorique : Rev. Banque 2015, n° 159, p. 23.
39. V. L. Corbion-Condé, De la défiance à l’égard des monnaies nationales au paiement. Cela peut, en outre, induire des tendances spécula-
miroir du bitcoin : RD bancaire et fin. 2014, dossier 13.
40. V. notamment, M. Aglietta, A. Orléan, La Monnaie entre violence et
confiance : Odile Jacob 2002. 44. Sur les rapports de la monnaie et de la mémoire, N. R. Kocherlakota, Money
41. V. S. Bourgeois-Gironde, art. préc. is memory : Journal of Economic theory Vol. 81, n° 2, p. 232-251. – W.J.
42. V. J.-Ph. Magnen, D’autres monnaies pour une nouvelle prospérité, préc., Luther, J. Oslon, Bitcoin is Memory : Journal of Prices & Markets, 3(3), 2015 :
spéc. n° 19 et s. 22-33, pour une application de l’idée au Bitcoin.
43. V. S. Bourgeois-Gironde, art. préc., p. 24. – V. également, S. Mignot, Le 45. A. Supiot, Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du Droit :
bitcoin : nature et fonctionnement : Banque et droit 2015, n° 159, p. 10, Seuil 2005, coll. Point Essai, p. 159. Comp. avec, A. Orléan, La monnaie auto-
selon qui « sa valeur n’étant assurée par aucun État, elle est basée unique- référentielle : réflexions sur les évolutions monétaires contemporaines :
ment sur la confiance des utilisateurs à son égard... ». – M. Bali, art. préc., M. Aglietta, A. Orléan (dir.), La monnaie souveraine, p. 359 et s., qui consi-
n° 22. – V. N. Dodd, op. cit., not. p. 362 sur le projet des concepteurs de dère qu’il ne peut exister de monnaie purement contractuelle.
Bitcoin de se dispenser de la confiance pour fonder leur monnaie et le rôle 46. CESE, avis, Nouvelles monnaies : les enjeux macro-économiques, financiers
de substitut qu’est appelé à jouer la cryptographie. et sociétaux : rapport présenté par P.-A. Gailly, avr. 2015, p. 20.
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tives souvent relevées et critiquées. D’autre part, l’acceptation voit dans les crypto-monnaies une représentation de valeur qui
des crypto-monnaies par les fournisseurs reste très variable. remplit les fonctions de la monnaie mais n’a pas cours légal 51.
Certains commerçants qui avaient déclaré accepter le paiement 35 - Plus encore, la CJUE a jugé que les opérations d’échange
en bitcoin ont finalement renoncé mais d’autres les ont parfois de devises traditionnelles contre des unités de la devise virtuelle
remplacés. Cette instabilité de la communauté acceptant le bitcoin, et inversement, constituent des prestations de services
bitcoin comme moyen de paiement fragilise l’institutionnalisa- fournies à titre onéreux au sens de la directive 2006/112/CE rela-
tion de celui-ci et sa reconnaissance comme une monnaie tive au système commun de TVA mais que ces opérations sont
parfaite. La situation actuelle est donc peu claire mais on ne peut exonérées de TVA en vertu des dispositions concernant les
plus méconnaitre le constat que les monnaies alternatives, opérations portant sur « les devises, les billets de banque et les
locales ou crypto-monnaies, tendent désormais à être acceptées monnaies qui sont des moyens de paiement légaux » 52. Dans
comme moyen de paiement dans des opérations d’échange cette décision, la CJUE rappelle, d’une part, que les notions
économique alors que seules les monnaies étatiques semblaient maniées sont des notions autonomes du droit de l’Union et,
pouvoir remplir ce rôle il y a encore quelques années. d’autre part, que les exceptions énoncées dans la directive de
2006 sont d’interprétation stricte. Elle rappelle, ensuite, que les
33 - Deux évolutions seront plus particulièrement à surveiller. exceptions doivent toutefois être interprétées au regard des
D’une part, au plan quantitatif, il faudra être attentif à l’évolution objectifs de la directive et plus particulièrement, en l’espèce, des
des volumes des paiements réalisés en monnaies alternatives ; exonérations : autrement dit, il faut tenir compte des difficultés
ce n’est que si un instrument est utilisé de manière suffisamment liées à la détermination de la base d’imposition ainsi que du
large qu’il peut acquérir le statut de monnaie à part entière. Il est montant de la TVA déductible. Dès lors que les opérations liti-
donc très vraisemblable que certaines monnaies s’imposeront gieuses sont des opérations financières portant sur une devise
davantage que d’autres, qui disparaitront. D’autre part, au plan virtuelle servant à réaliser des paiements de manière analogue
qualitatif, il faudra examiner les usages sociaux de ces nouvelles aux devises traditionnelles, le bitcoin peut être considéré comme
monnaies. À ce jour, les monnaies alternatives sont principale- entrant dans le champ de l’exonération de l’article 135, 1, e).
ment utilisées pour payer le prix de biens ou de services. Elles Dès lors qu’il est « constant que la devise virtuelle « bitcoin » n’a
sont donc essentiellement engagées dans les échanges pas d’autres finalités que celle de moyen de paiement et qu’elle
marchands et parfois, pour les crypto-monnaies, objet de spécu- est acceptée à cet effet par certains opérateurs », elle est assimi-
lation. Cependant, pour apparaître pleinement comme une lable à de la monnaie : c’est le sens de la référence au e) de
monnaie, il faudrait sans doute qu’elles soient utilisées aussi l’article 135, 1 de la directive. Il s’agit là d’une décision impor-
comme pour réaliser des paiements sans échange : il serait ainsi tante bien qu’elle ait été rendue dans un domaine très particu-
très révélateur de la nature monétaire de ces instruments qu’ils lier, le droit fiscal, et en interprétant des notions autonomes du
puissent servir à acquitter l’impôt, ce qui est le cas à Brixton avec droit communautaire. Son réalisme est évident et tout à fait
la Brixton Pound, ou réparer un préjudice. convaincant bien au-delà de son domaine d’application immé-
diat. La prise en compte de la fonction de paiement a très oppor-
34 - En définitive, il n’est pas impossible de reconnaître la tunément été mise en avant par la Cour dans sa motivation. C’est
qualité de monnaie aux crypto-monnaies de type bitcoin. Les suffisamment rare pour être relevé. Et, plus remarquable encore,
crypto-monnaies peuvent être de véritables monnaies mais dès lors que cette fonction est prise en considération, la quali-
simplement elles ne sont pas des monnaies ayant cours légal. fication s’en trouve fortement orientée. Autrement dit, dès lors
Peut-être s’agit-il d’« une « monnaie » imparfaite » 47 mais il ne que la fonction de paiement est relevée, la qualification de
semble plus possible de rejeter cette qualification de manière monnaie est difficile à écarter.
aussi nette. Il serait ainsi permis de considérer qu’« [u]ne Pour conclure sur ce point, les monnaies locales sont certaine-
monnaie qui n’a pas cours légal, mais qui a acquis le statut de ment des monnaies légales mais sans cours légal tandis que les
monnaie dans une communauté, deviendrait une monnaie non crypto-monnaies, encore dans une zone incertaine, sont des
officielle » 48. Bien qu’elle ait été largement perdue de vue par monnaies en germe, en devenir ou imparfaites. Elles présentent
une doctrine quasi unanime, cette idée n’est pas nouvelle ; elle des caractéristiques qui leur donnent vocation à être de véri-
serait même assez ancienne. La Cour suprême du Canada a ainsi tables monnaies privées, également sans cours légal ; elles ont
clairement considéré en 1938 que « money as commonly under- un statut qui pourrait être celui d’une monnaie internationale
stood is not necessarily legal tender. Any medium which by prac- sans assise territoriale. Leur fondement en dernier ressort restant
tice fulfils the function of money and which everybody will très fragile, elles ne sont pas assurées de réussir. Si l’avenir reste
accept in payment of a debt is money in the ordinary sense of the difficile à prédire, ces premières analyses peuvent déjà avoir
words even although it may not be legal tender » 49. Des déci- quelques conséquences juridiques.
sions récentes vont également dans ce sens. La BaFin allemande
a ainsi qualifié, en août 2011 puis dans une notice d’orientation 3. Les monnaies alternatives comme
en juillet 2013, le bitcoin de Rechnungseinheiten, c’est-à-dire
d’unité de compte, assimilée ainsi à une monnaie, au regard du instrument de paiement
droit allemand, constituant une forme d’instrument financier 50. 36 - Dès lors que les monnaies alternatives révèlent bien un
Quant au GAFI, son analyse des risques de blanchiment liés à phénomène monétaire, elles peuvent être appréhendées à
l’usage des crypto-monnaies prend appui sur une conception qui travers le droit des services de paiement. Il faut pour cela iden-
tifier les instruments de paiement disponibles (A) avant de tenter
d’esquisser les grandes lignes du statut des opérateurs (B).
47. P. Pailler, Quelles règles pour l’encadrement de la monnaie virtuelle en
France : RISF 2014/4, p. 39, spéc. p. 41.
48. M. Lacoursière, L’encadrement juridique de la monnaie virtuelle au Canada : 51. GAFI, Virtual Currencies Key Definition an Potential AML/FCT, juin 2014,
RISF 2014/4, p. 21, spéc. p. 25. – V. également, M. Bali, art. préc. n° 22. p. 4.
49. Re Alberta Statutes – The Bank Taxation Act... [1938] SCR 100. – V. A. 52. CJUE, 5e ch., 22 oct. 2015, aff. C-264/14, Skatterverket c/ David Hedqvist :
Testart, op. cit. JurisData n° 2015-023733 ; Europe 2015, comm. 516, obs. A.-L. Mosbruc-
50. BaFin. – Comp. avec SEC v. Shavers et al., 2013, préc. ker.
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A. - Les instruments de paiement disponibles toutes les formes d’instruments de paiement qui permettent le
paiement en euro. Il est vrai cependant que les plateformes de
37 - À nouveau, il faut distinguer les monnaies locales, qui font crypto-monnaies n’offrent pas toujours des services pouvant être
l’objet d’une réglementation spéciale, issue de la loi n° 2014- qualifiés de services de paiement au sens de l’article L. 314-1,
856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, II du Code monétaire et financier. Parmi les opérateurs du
et les crypto-monnaies. secteur, un certain nombre d’entre eux propose essentiellement
38 - Monnaies locales complémentaires. – Aux termes de une plateforme de trading ou un service d’intermédiaire entre
l’article L. 311-5 du Code monétaire et financier, les titres de vendeurs et acheteurs. En revanche, les services de transfert de
monnaies locales complémentaires peuvent être émis et gérés crypto-monnaie, par virement par exemple, sont des services de
par une des entreprises du secteur de l’économie sociale et soli- paiement dès lors que l’on admet qu’ils portent sur une devise
daire dont c’est l’unique objet social. Ces titres peuvent être émis acceptée pour le paiement d’un bien ou d’un service. De la
sur support papier ou dématérialisés. Lorsqu’ils sont établis sur même façon, il serait possible d’admettre l’émission de monnaie
support papier, il faut à nouveau distinguer selon que les titres électronique contre la remise de Bitcoin par exemple : l’opéra-
sont convertibles ou non. La loi permet à une entreprise de tion serait alors naturellement soumise aux articles L. 525-1 et
l’économie sociale et solidaire des titres sur support matériel, suivants du Code monétaire et financier. Si le bitcoin lui-même
notamment sous forme de billets, à condition que ceux-ci ne n’est pas de la monnaie électronique, il peut constituer des fonds
soient pas remboursables, ce qui les fait échapper aux disposi- remis en contrepartie de l’émission de la monnaie électronique
tions applicables aux services de paiements. Cette restriction dès lors qu’on accepte de le qualifier de monnaie. Ces qualifi-
peut être pratiquement contraignante car elle a pour consé- cations sont en définitive bien plus satisfaisantes que celles
quence d’empêcher le rendu de monnaie 53. Ces dispositions imaginées jusqu’à maintenant par la plupart des auteurs ayant
reprennent en réalité la solution suggérée par l’ACPR en 2013 abordé la question. C’est sans doute qu’elle correspond mieux
qui considérait que les monnaies locales corporelles n’étaient à la nature des choses. Dès lors que les crypto-monnaies sont des
pas soumises à la réglementation bancaire dès lors qu’elles monnaies permettant de réaliser des opérations de paiement, les
n’étaient ni remboursables, ni fractionnables et ne donnaient lieu instruments qui réalisent ces opérations sont naturellement des
à aucun rendu de monnaie 54. Les contraintes qui pèsent sur ce instruments de paiement.
type de monnaies locales sont gênantes mais elles sont la condi-
tion nécessaire pour les faire échapper au droit des services de B. - Le statut des opérateurs
paiement et laisser leurs émetteurs en dehors du statut de pres-
tataire de services de paiement 55. 40 - Dans le prolongement des analyses précédentes, il devient
En revanche, sont de véritables instruments de paiement, les possible d’esquisser les grandes lignes du statut applicable aux
instruments convertibles ainsi que les instruments dématériali- opérateurs. Il convient une dernière fois de distinguer le cas des
sés. Dans ce cas, les titres de monnaies locales complémentaires monnaies locales et celui des crypto-monnaies.
peuvent être soumis aux règles applicables aux services 41 - Le statut légal des émetteurs de monnaies locales. – Aux
bancaires de paiement, en cas de délivrance de formules de termes de l’article L. 311-6 du Code monétaire et financier, les
chèques, ou aux règles applicables aux services de paiement ou émetteurs de titres de monnaies locales complémentaires sont
à la monnaie électronique. Il en est de même lorsque l’instru- soumis au statut bancaire lorsque l’émission ou la gestion de ces
ment est dématérialisé et prend la forme de monnaie scripturale titres relèvent des services bancaires de paiement, ce qui vise la
ou électronique. Lorsque l’émission de monnaie locale a lieu délivrance de formules de chèque, ou au statut des prestataires
contre la remise de fonds, il s’agira de monnaie électronique : de services de paiement ou de monnaie électronique lorsqu’elles
la question est alors de savoir si ce dispositif permet d’émettre de relèvent des services de paiement au sens de l’article L. 314-1
la monnaie électronique libellée en monnaie locale si les fonds ou de la monnaie électronique au sens de l’article L. 315-1. Cela
remis sont quant à eux libellés en euro. Cela modifierait la struc- implique que certains émetteurs échappent de plein droit à la
ture même de la monnaie électronique. Il faudrait peut-être réglementation bancaire, tandis que d’autres bénéficient d’une
considérer qu’il y a alors une conversion dans la monnaie locale exemption et que d’autres encore y sont soumis.
concomitamment à l’émission de la monnaie électronique. Certaines entreprises du secteur de l’économie sociale et soli-
Parmi les monnaies locales complémentaires, on peut citer daire peuvent émettre de la monnaie locale sans aucun agrément
l’exemple de la SoNantes, monnaie créé par la Caisse de crédit ni exemption. Il en est ainsi de l’émission d’instruments de paie-
de Nantes et qui n’a donné lieu à aucune émission de billet et ment non convertibles.
reste totalement dématérialisée. Son organisation est un peu plus En revanche, d’autres émetteurs devraient se soumettre à la
élaborée que celle de beaucoup d’autres monnaies locales car réglementation bancaire. Ainsi, une entreprise de l’économie
elle a nécessité la création d’une chambre de compensation pour sociale et solidaire qui souhaite émettre de la monnaie locale
permettre le règlement simplifié des opérations de paiement complémentaire sous forme de billets convertibles serait en prin-
entièrement dématérialisées. Elle comprend la possibilité d’obte- cipe soumis à la législation bancaire à moins de bénéficier d’une
nir une carte de paiement SoNantes. exemption (C. mon. fin., art. L. 511-7, II). Il en sera de même des
39 - Crypto-monnaies. – D’une certaine façon, la question établissements émettant une monnaie locale convertible sous
paraît plus simple lorsque l’attention se porte sur les crypto- forme scripturale (C. mon. fin., art. L. 521-3) ou électronique (C.
monnaies. Dès lors qu’elles permettent de réaliser des paiements mon. fin., art. L. 525-6). Dans ces deux derniers cas, le Code
et constituent en cela des monnaies, elles peuvent emprunter monétaire et financier prévoit une exception dite de réseau limité
qui permettra dans certains cas aux émetteurs de monnaies
locales d’échapper aux statuts d’établissement de paiement ou
53. V. R. Zanolli, Le nouveau cadre juridico-légal des MLC après l’adoption de d’établissement de monnaie électronique. Si l’émetteur exempté
la loi ESS, avancée et incertitude : Rapport Mission monnaies locales complé- n’est pas soumis au statut bancaire, les instruments émis reste-
mentaires, Deuxième partie, p. 63.
ront quant à eux soumis aux règles du Code monétaire et finan-
54. ACPR, Les monnaies locales : Revue de l’ACPR 2013, n° 14, p. 14. – V. la
jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, Cass. com., 6 juin 2001, cier 56.
n° 99-18.296 : JurisData n° 2001-009961 ; Bull. civ. IV, n° 111.
55. V. R. Zanolli, art. préc., qui parle de droit infra bancaire pour les titres rele-
vant de l’article L. 311-5 du Code monétaire et financier. 56. V. R. Zanolli, art. préc.
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42 - Le statut des plateformes de crypto-monnaies. – Dès lors que l’activité de change/conversion des crypto-monnaies en
que les crypto-monnaies peuvent être qualifiées effectivement devises ayant cours légal entre dans le champ de la réglemen-
de monnaies, il est logique que les opérateurs soient considérés tation bancaire 59. La difficulté vient de l’originalité du système
comme des prestataires de services de paiement, alors même totalement décentralisé mis en place. Cela s’éloigne considéra-
qu’il n’y aurait pas nécessairement de mouvement libellé en blement du schéma traditionnel. Pour autant, il n’est pas impos-
monnaie ayant cours légal. Il s’agit du prolongement logique des sible de voir, avec Mme Pailler, dans la crypto-monnaie « un
analyses précédentes qui proposent de qualifier les crypto- système de paiement électronique sans intermédiaire » 60. Cette
monnaies de monnaies pouvant donner lieu à des opérations de analyse permet de dépasser l’obstacle de la qualification moné-
paiement au sens du Code monétaire et financier. Cela rejoint taire et de mettre en évidence la vraie question de la sécurité des
l’analyse proposée par certaines institutions qui ont eu à transactions qui peut conduire à se demander si le statut de pres-
connaître de la question. Ainsi, la cour d’appel de Paris a-t-elle tataire de service de paiement ou d’établissement de monnaie
confirmé le jugement du tribunal de Créteil qui avait considéré électronique est bien adapté au regard des risques présentés par
qu’une plateforme ayant une activité d’intermédiation pour le ces activités. Ce n’est pas le lieu d’entreprendre cette étude mais
paiement de transactions en bitcoins ne pouvait invoquer le droit il sera permis de regretter qu’elle n’ait pas été engagée lors de la
au compte 57. Sans réellement prendre parti sur la nature des discussion de la deuxième directive service de paiement 61.
Bitcoins et sur la nature des opérations en cause, cette décision 43 - Conclusion. – Bien que l’avenir des crypto-monnaies
tend à considérer les opérations sur les crypto-monnaies comme soient des plus incertains et que les perspectives des monnaies
des services de paiement. Dans le même ordre d’idées, l’ACPR locales, bien que réelles, restent limitées, les questions soulevées
a adopté une position énonçant que « dans le cadre d’une opéra- par les monnaies alternatives ouvrent de nombreuses et stimu-
lantes perspectives. Parmi elles, il ne faut pas négliger l’intérêt
tion d’achat/vente de bitcoins contre une monnaie ayant cours
renouvelé pour l’étude de la monnaie, phénomène économique
légal, l’activité d’intermédiation consistant à recevoir des fonds
et social essentiel mais étonnamment négligé. Au plan techno-
de l’acheteur de bitcoins pour les transférer au vendeur relève
logique, l’invention du système de la blockchain suscite déjà de
de la fourniture de services de paiement » 58. Le paradigme
nombreuses initiatives en dehors du domaine monétaire ; il se
monétaire qui invite à qualifier les crypto-monnaies de monnaies
peut que ce soit là la véritable innovation ! Les manifestations
véritables, les opérations sur ces monnaies de services de paie-
pathologiques des monnaies alternatives restent encore assez
ment, ou de monnaie électronique, et les établissements de pres- limitées mais elles pourraient devenir plus nombreuses si le
tataires de services de paiement, ou d’établissement de monnaie phénomène se développait : les premières analyses menées par
électronique le cas échéant, est bien plus cohérent que la posi- les institutions et la doctrine auront alors largement identifié les
tion de la Banque de France qui considère que la qualification voies possibles. Cependant, si les régulateurs et les juges
de moyen de paiement ne peut être retenue tout en considérant souhaitent disposer d’outils cohérents et porteurs de solutions
concrètes et cohérentes, ils devraient davantage porter leur atten-
57. CA Paris, pôle 5, ch. 6, 26 sept. 2013, n° 12/000161 : JurisData n° 2013- tion vers le paradigme monétaire.
024887 ; JCP 2014, 1091, note critique Th. Bonneau ; RD bancaire et fin.
2014, comm. 3, note Th. Samin et F.J. Crédot. – Comp. avec P. Pailler, Mots-Clés : Instrument de paiement - Monnaies alternatives
Quelles règles pour l’encadrement de la crypto-monnaie en France : RISF
2014/4, p. 39, spéc. p. 40, qui remarque que s’il est possible que le gestion-
naire de la plateforme exécute des opérations de paiement « encore faut-il 59. Banque de France, Les dangers liés au développement des crypto-monnaies :
qu’il encaisse véritablement les fonds provenant de l’acheteur et verse les l’exemple du bitcoin, préc.
fonds au profit du vendeur, activité qui n’est pas nécessairement caractéris- 60. P. Pailler, art. préc., spéc. p. 42.
tique pour la plate-forme de conversion, mais plutôt pour l’établissement de 61. Comp. avec les propositions Outre-Atlantique, V. Jamet, La « bitlicence » –
paiement associé ». Perspective nord-américaine d’un cadre juridique pour un « bitgeneration »
58. Position ACPR, n° 2014-P-01. encore en devenir : RISF 2014/4, p. 12.

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Les crypto-monnaies : régulation et usages
Maxime JULIENNE,
agrégé des facultés de droit,
professeur à l’université d’Angers

Dans sa conception originaire, le Bitcoin prétendait échapper à l’emprise du système bancaire ainsi qu’au
pouvoir du législateur étatique. Les crypto-monnaies tendent malgré tout à se « normaliser », même si leur
nature originale et la complexité de leurs modalités de détention imposent de repenser ou d’adapter un certain
nombre de règles et de mécanismes.

1 - Si le juriste se sent parfois démuni face aux crypto-monnaies, données relatives à la transaction précédente (en vertu de laquelle
c’est d’abord en raison de leur abstraction extrême et de la elle a acquis les Bitcoins) et de l’adresse du destinataire ; celui-ci
profonde originalité de leurs modalités de détention, sur lesquelles pourra à son tour initier une transaction, en utilisant cette fois sa
il n’est peut-être pas inutile de revenir. On raisonnera pour cela sur clé privée (celle qui correspond à l’adresse de destination de la
la plus célèbre d’entre elle, le Bitcoin, tout en sachant qu’il en transaction précédente) : c’est parce qu’il sera seul à disposer de
existe des centaines d’autres (ex. Ether, Ripple, LiteCoin, etc.). Le cette clé privée, et donc à pouvoir utiliser les Bitcoins, que le desti-
Bitcoin, dont la capitalisation totale avoisine les 70 milliards nataire en sera devenu « titulaire » 5.
d’euros, repose tout entier sur la cryptographie – d’où l’appellation 3 - Chaque transaction est accompagnée de la clé publique de
de crypto-monnaie. Le « protocole Bitcoin » est un logiciel libre, l’initiateur, à l’aide de laquelle certains membres du réseau (les full
sur lequel reposent une multitude de programmes, appelés wallets, nodes) vont vérifier la validité de sa signature, s’assurant par-là qu’il
permettant de stocker et de transférer des unités de crypto-monnaie est bien détenteur de la clé privée à laquelle sont associées les
(ex. Electrum, Bitcoin Core, Copay, etc.). Ces logiciels unités qu’il prétend dépenser. Les transactions ainsi validées sont
commencent par générer une « clé privée », suite aléatoire de ensuite regroupées sous forme de « blocs », liés les uns aux autres
caractères alphanumériques 1, dont ils dérivent ensuite une en utilisant là encore la cryptographie : chaque bloc contient le
seconde valeur, la « clé publique ». Les propriétés mathématiques résultat de la fonction de hachage des données composant le
de l’algorithme utilisé pour ce faire impliquent que cette clé précédent, de sorte que si l’on modifiait les données d’un bloc, sa
publique peut toujours être calculée en partant de la clé privée, valeur de hachage – que l’on peut toujours recalculer – ne corres-
tandis que l’inverse est impossible – d’où l’appellation de crypto- pondrait plus à celle figurant au bloc suivant, ce qui permettrait de
graphie à clés asymétriques 2. La clé publique fait enfin l’objet déjouer la fraude. La vérification des transactions peut être effec-
d’opérations successives de « hachage » dont le résultat, toujours tuée facilement à l’aide de n’importe quel ordinateur, mais n’est
compris entre 27 et 34 caractères, constitue une « adresse » 3. pas rémunérée. L’ajout de nouveaux blocs, que l’on appelle le
2 - Il est à première vue difficile de comprendre comment ces « minage » (mining), est une opération plus lourde : elle impose de
chiffres, qui peuvent être générés à l’infini ou presque, instantané- résoudre un problème mathématique complexe qui suppose une
ment et sans frais, peuvent se voir reconnaître la moindre valeur. immense puissance de calcul et l’emploi d’un matériel spécifique.
C’est qu’en réalité, celle-ci ne réside pas dans les clés elles-mêmes, Sa rentabilité vient de ce qu’elle est rétribuée par la création ex
mais dans des unités – qui ne sont autres que les Bitcoins – dont nihilo de nouveaux Bitcoins (actuellement 12,5 par bloc, soit
elles sont le vecteur. Leur nombre est limité par le code informa- presque 45 000 euros) jusqu’à ce que soit atteinte la limite de 21
tique, et plafonné en tout état de cause à 21 millions. Ces unités millions d’unités évoquée plus haut. C’est ainsi, par validation des
sont pour ainsi dire « réparties » entre l’ensemble des clés privées, transactions et ajout de blocs, que se construit la blockchain,
dans des proportions reconnues par les membres de réseau, et registre public retraçant la création des unités par minage et leur
circulent de l’une à l’autre en leur étant successivement associées. circulation subséquente.
Le nombre d’unités ainsi liées à une adresse peut varier du tout au
4 - Si l’on en revient au titulaire des Bitcoins, on s’aperçoit qu’il
tout. Celles que l’on génère sur son ordinateur ne sont au départ
que des coquilles vides auxquelles ne correspond aucun Bitcoin, ne « détient » rien, n’est titulaire d’aucun « compte » auprès d’un
mais leur valeur peut ensuite croître sans limite au gré des transac- tiers conservateur et que son « portefeuille » ne recueille à propre-
tions 4. Pour recevoir des Bitcoins, il faut communiquer son adresse ment parler aucun actif. Seules y figurent des clés auxquelles les
à la personne dont on attend un versement. Celle-ci initiera le trans- membres d’un réseau décentralisé reconnaissent le pouvoir d’asso-
fert en signant, à l’aide de sa clé privée, un ensemble composé des cier un nombre donné d’unités à une nouvelle adresse (et donc à
une nouvelle clé privée). Lorsqu’on utilise un logiciel comme Elec-
trum ou Copay, la clé est stockée sur le disque dur de l’ordinateur,
1. Le logiciel génère un nombre entier au hasard, qui est ensuite exprimé en base
58 (chiffres et lettres) et non en base 10 (chiffres de 0 à 9). Ex. :
5Jd4kDBTJnDmQwLv94gjWheWwsrvmRMGfLj438BBLdRtw4axSAy. 5. En pratique, chaque utilisateur dispose d’une multitude de clés privées, et il est
2. Que l’on retrouve dans les instruments de signature électronique tels que PGP recommandé de n’utiliser chaque adresse qu’une seule fois. Il est ensuite
(sur lequel, V. M. Julienne, L’acte juridique immatériel, signature et authenti- possible d’initier un transfert unique portant sur des Bitcoins reçus grâce à diffé-
cité à l’heure de l’acte électronique, in L’immatériel et le droit : Institut Varenne, rentes adresses. Les données relatives à cette transaction mentionneront cette
2017, p. 73, n° 9 et s.). diversité d’origines (multiple inputs) mais il y aura un envoi unique vers une
3. Ex. 1BFW79d584dt2RXDBTsqBjnYeLWtgRjVhk. seule adresse (single output). Inversement, il est possible de transférer vers une
4. Ex. l’adresse 16ftSEQ4ctQFDtVZiUBusQUjRrGhM3JYwe correspond à pluralité d’adresses (multiple outputs) les unités reçues à l’aide d’une seule
168.000 Bitcoins, soit environ 600 millions d’euros. adresse (single input). 1
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généralement sous forme cryptée de sorte qu’un mot de passe est relève ou non de la réglementation des services de paiement ou des
nécessaire pour y accéder. À cette réserve près, elle peut être libre- services d’investissement, se pose celle des opérations dont il peut
ment recopiée, transférée ou pourquoi pas stockée dans un être l’objet, de leur légalité et de leur mise en œuvre pratique. C’est
« coffre-fort numérique » (C. poste et com., art. L. 103). La clé peut dire qu’il faut examiner les crypto-monnaies du double point de
également être imprimée sur papier, soit directement en tant que vue de leur régulation (1 ) et de leurs usages (2 ).
suite de caractères alphanumériques soit sous forme d’un QR code,
sans pour autant qu’il y ait « incorporation » du Bitcoin dans le titre,
ni même « représentation » du premier par le second, car la clé 1. La régulation des crypto-monnaies
peut toujours être dupliquée ou utilisée indépendamment du
7 - Le champ de la réglementation bancaire et financière étant
support papier. Certains logiciels (dits deterministic wallets) dispen-
sent même d’avoir à conserver les clés privées, puisqu’ils largement défini par son objet (argent et instruments financiers), les
permettent de les reconstituer à partir d’une douzaine de mots aléa- crypto-monnaies et les activités dont elles sont le support en
toires placés dans un ordre précis (ex. locomotive, gendre, pois- auraient naturellement été justiciables si ces qualifications avaient
son...). Cette suite de mots, à la fois nécessaire et suffisante pour pu leur être appliquées. Telle n’est cependant pas le cas. La caté-
utiliser les Bitcoins, peut n’être stockée nulle part si ce n’est dans gorie des instruments financiers, tout d’abord, regroupe des actifs
le cerveau de l’utilisateur. qui, tous, se rattachent aux droits personnels lato sensu : titres de
capital, titres de créance et contrats financiers (C. mon. fin.,
5 - En dépit de ce que cette évanescence peut avoir d’inquiétant,
art. L. 211-1). Or, comme on l’a relevé à propos du Bitcoin, celui-ci
les crypto-monnaies ont su séduire un nombre grandissant d’entre-
ne correspond à aucune de ces notions puisqu’il est généré auto-
prises et de particuliers. Le succès initial du Bitcoin tenait à
matiquement par un programme informatique et ne confère de
l’engouement que l’on peut avoir pour une telle innovation tech-
droit contre personne en particulier 9. Les crypto-monnaies se
nique, à l’adhésion que peut susciter la philosophie libertaire dont
singularisent ici radicalement, non seulement à l’égard des valeurs
elle est porteuse et au degré d’anonymat qu’elle offre à ses utilisa-
mobilières, mais aussi des « jetons » (tokens) offerts dans le cadre
teurs. Les crypto-monnaies n’ont cependant attiré le grand public
d’ICO, dont certains sont émis par une entité dotée de la person-
qu’à partir du moment où leur valeur a explosé, et où l’on y a vu
nalité morale et confèrent un droit contre cette dernière (qu’il
des supports d’investissement particulièrement attractifs. Ces
s’agisse d’un droit d’accès à un service, d’un droit politique ou d’un
instruments n’étant adossés à rien de précis ni garantis par
droit financier). Ceci implique que les activités liées aux crypto-
personne, leurs détenteurs s’exposent à des risques certains d’illi-
monnaies ne constituent pas des services d’investissement, puisque
quidité et de dépréciation. Mais ils disposent en contrepartie d’un
ceux-ci portent, par définition « sur les instruments financiers
instrument d’échange à la fois souple et peu coûteux, tout en
énumérés » par la loi (C. mon. fin., art. L. 321-1). C’est pourquoi
s’offrant l’opportunité de profiter d’une nouvelle envolée des cours.
les plateformes sur lesquelles elles s’échangent ne sont pas des
Aussi n’est-il pas surprenant qu’une multitude d’entreprises aient
systèmes multilatéraux de négociation dont l’exploitation suppo-
pris pour objet les activités liées à ce nouveau type d’actifs, qu’il
serait un agrément (C. mon. fin., art. L. 424-1) 10.
s’agisse d’assurer une simple intermédiation, de conserver les clés
privées pour le compte de tiers, de procéder à des achats/ventes 8 - Cet agrément retrouve en revanche son utilité lorsqu’il s’agit,
pour compte propre ou encore de structurer des instruments finan- non pas de faire circuler les Bitcoins eux-mêmes, mais d’offrir la
ciers les prenant pour sous-jacent. Dans la pratique, beaucoup de conclusion de contrats financiers qui en prennent le cours pour
détenteurs de crypto-monnaies ne les ont pas acquises en partici- sous-jacent (et qui se négocient non seulement de gré à gré mais
pant au « minage » décrit plus haut, mais en les achetant sur une aussi sur certains marchés organisés 11). Outre-Atlantique, la
plateforme d’échange (ex. Kraken, Paymium, Coinbase, etc.). Ces Commodity futures trading commission (CFTC) a considéré en
dernières permettent à leurs clients d’ouvrir un compte sur lequel 2015 que des contrats de swap et d’option prenant pour sous-
seront versés des euros (eux-mêmes convertis en unités de monnaie jacent le Bitcoin constituaient des contrats financiers, et ordonna
électronique) destinés à l’achat de crypto-monnaies. Les clés la cessation d’activités d’entreprises offrant leur souscription sans
privées sont alors conservées par la plateforme, qui en garantit la être dûment enregistrées 12. Sans surprise, l’AMF reconnut égale-
sécurité ; mais l’utilisateur peut fort bien initier un transfert sur une ment la qualification de contrats financiers, et donc d’instruments
adresse dont il contrôle directement la clé privée. financiers (C. mon. fin., art. L. 211-1, III), à des options prenant le
6 - On voit ainsi que les crypto-monnaies, initialement destinées Bitcoin pour sous-jacent 13. Outre qu’elle confirme incidemment
à circuler hors du système bancaire classique et à demeurer hors la licéité du Bitcoin 14, la décision implique que ces contrats ne
de portée du législateur, se trouvent pour partie aux mains d’inter- peuvent être proposés que par une entreprise agréée en qualité de
médiaires « peu ou prou assimilables à des établissements finan- prestataire de services d’investissement et qu’ils tombent potentiel-
ciers traditionnels » 6. Les pouvoirs publics ont vite compris que ces lement sous le coup de l’interdiction d’adresser « des communi-
acteurs étaient le « seul point émergé de cette économie paral- cations à caractère promotionnel à des clients susceptibles d’être
lèle » 7, sans pour autant savoir quelle qualité leur reconnaître et non professionnels » (C. mon. fin., art. L. 533-12-7) 15. Tout ceci
à quel statut les soumettre. On s’est en revanche assez peu intéressé
aux crypto-monnaies en tant qu’objets de contrats civils et 9. Les mêmes raisons conduisent à écarter la qualification de « monnaie électro-
commerciaux, ce qui est sans doute regrettable dans la mesure où nique », laquelle représente « une créance sur l’émetteur » (C. mon. fin.,
il est de plus en plus fréquent que leurs détenteurs cherchent à les art. L. 315-1).
employer à des fins diverses (paiement, donation, apport, garan- 10. M. Rousille, Le Bitcoin : objet juridique non identifié : Banque et droit 2015,
n° 159, p. 77, spéc. p. 81.
tie, etc.), et où leur originalité déjoue bien souvent les cadres de
11. D. Marteau, Le lancement des contrats à terme sur Bitcoin : quelles consé-
pensée habituels 8. Derrière la question de savoir si le Bitcoin quences ? : Banque janv. 2018, n° 815, p. 116.
12. CFTC Order : Coinflip, Inc., 17 sept. 2015. – Sur cette décision, V. A. Sotiro-
poulou et D. Guégan, Bitcoin and the challenges for financial regulation : Capi-
6. A. Sotiropoulou, Brèves réflexions sur la réglementation des monnaies virtuelles : tal Market Law Journal, vol. 12, n° 4, p. 466, spéc. p. 471.
BJB 2018, n° 4, p. 224. 13. AMF, Analyse sur la qualification juridique des produits dérivés sur crypto-
7. F. Drummond, Bitcoin : du service de paiement au service d’investissement ? : monnaies, 22 févr. 2018. – V. P. Pailler, Les dérivés sur crypto-monnaie sont des
BJB 2014, n° 5, p. 249. – V. également M. Rousille, Crypto-actifs : le modèle contrats financiers : RD bancaire et fin. 2018, alerte 23.
de régulation en jeu : BJB 2018, n° 2, p. 73. 14. Puisque la licéité d’un contrat financier suppose celle de son sous-jacent, V.
8. V. Bitcoin et autres crypto-monnaies : ce que le notaire doit savoir : Bull. Cridon A. Gaudemet, Les dérivés, thèse : Economica, 2010, préf. H. Synvet, n° 138 et
Paris, 15 avr. 2018, n° spécial. – V. également P.-A. Conil, Le notaire et le Bitcoin 230.
ou l’heureuse rencontre du notariat traditionnel et des nouvelles technologies : 15. Sur ce texte, V. P. Pailler, Interdiction de la publicité relative à certains contrats
2 JCP N 2018, 302. financiers hautement spéculatifs et risqués : RD bancaire et fin. 2017, alerte 12.
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ne renseigne guère sur la nature de cette crypto-monnaie, dont type of cryptocurrency » 20. La cour d’appel de Paris avait jugé dès
l’AMF suggère seulement qu’elle serait un « actif financier par 2013, qu’une entreprise sur le compte bancaire de laquelle tran-
nature », sans pour autant constituer un instrument financier. sitait les fonds provenant d’opérations d’achat de Bitcoin offrait en
9 - Il existe, de même, un consensus relativement large pour refu- réalité un service de paiement requérant un agrément 21. L’ACPR
ser au Bitcoin la qualification de monnaie ou de devise 16. Régu- a rapidement suivi dans la même voie en affirmant que « l’activité
lateurs et doctrine invoquent, au soutien de cette position, trois d’intermédiation consistant à recevoir des fonds de l’acheteur de
arguments principaux. Le premier tient à ce que les unités moné- Bitcoins pour les transférer au vendeur de Bitcoins relève de la four-
taires classiques seraient par essence fongibles, tandis que les niture de services de paiement » soumis à son agrément 22. Sa
unités de crypto-monnaies seraient des corps certains dont on peut commission des sanctions a, du reste, rappelé – condamnation à
retracer le parcours depuis leur origine jusqu’à leur titulaire l’appui – que les plateformes d’achat-vente de Bitcoin devaient se
actuel 17. Il est vrai que si la monnaie classique, sous ses formes plier aux obligations de lutte contre le blanchiment 23.
fiduciaire et scripturale peut être suivie grâce aux numéros de 11 - On notera tout de même que l’ACPR évoque l’échange de
billets et à la chaîne des écritures comptables, la traçabilité du Bitcoins « contre une monnaie ayant cours légal » et insiste sur la
Bitcoin est infiniment supérieure, en ce qu’il est assez aisé de cibler réception et le transfert de « fonds » en euros. Il n’est pas sûr, dès
certaines unités identifiées (dont on sait, par exemple, qu’elles ont lors, que la même réponse serait donnée à propos de plateformes
été volées), afin d’en entraver l’utilisation. Cela étant, l’argument telles que Binance, qui permettent seulement de convertir des
peut être relativisé, et ce pour deux raisons. D’abord, il est possible crypto-monnaies entre elles (ex. Bitcoin contre Litecoin). De
de recourir à des services destinés à empêcher le suivi des unités même, il n’y aurait rien d’évident à considérer que la conservation
(ex. Bitcoin-fog), et ces dernières sont de facto traitées comme des de crypto-monnaie par les plateformes constitue une réception de
choses fongibles dans l’immense majorité des transactions. Ensuite, « fonds remboursables du public », soumise au monopole des
il existe d’autres crypto-monnaies dont le protocole tend justement établissements de crédit. Le législateur entretient d’ailleurs cette
à renforcer la fongibilité des unités en limitant leur traçabilité, telles ambiguïté lorsqu’il vise « tout instrument contenant sous forme
que Monero ou Zcash. La seconde raison qui conduit à refuser la numérique des unités de valeur non monétaire pouvant être
qualification de monnaie tient à l’affirmation, par le Code moné- conservées ou être transférées dans le but d’acquérir un bien ou
taire et financier, selon laquelle « la monnaie de la France est un service, mais ne représentant pas de créance sur l’émetteur »
l’euro » (C. mon. fin., art. L. 111-1), et non le Bitcoin ou une autre (C. mon. fin., art. L. 561-2, 7 bis) : c’est reconnaître que les crypto-
crypto-monnaie. De là on glisse imperceptiblement au troisième monnaies remplissent certaines fonctions de la monnaie, tout en
argument, le plus fondamental : la monnaie serait pas essence une niant qu’elles en aient la nature. La directive (UE) 2018/843 adopte
émanation de l’autorité publique, seule à même de lui insuffler un le même parti lorsqu’elle définit les monnaies virtuelles comme des
véritable pouvoir libératoire, corollaire du cours légal dont les valeurs « qui ne possèdent pas le statut juridique de monnaie ou
crypto-monnaies, précisément, sont dépourvues. d’argent, mais qui sont acceptées comme moyen d’échange [...] ».
Un auteur l’explique en soulignant que si la remise de Bitcoins peut
Les crypto-monnaies ne produire un effet de « règlement », il ne s’agit pas pour autant d’un
devraient pas permettre de véritable « instrument de paiement », faute d’emporter transfert de
monnaie scripturale 24. L’argument pourra paraître excessivement
contourner les règles applicables légaliste, mais il n’est cependant pas démenti par l’approche socio-
aux paiements. logique de la monnaie : car si certains commerçants ou prestataires
déclarent accepter les paiements en Bitcoin, ils restent rares ; et
10 - Un courant doctrinal fait valoir, en sens contraire, que la leurs prix sont tout au plus exprimés en crypto-monnaie, par
monnaie ne se caractérise pas tant par son origine que par ses fonc- conversion d’un montant initialement fixé en euros 25. Or, ainsi
tions, et soutient que les crypto-monnaies sont potentiellement à que le souligne M. Libchaber, « une monnaie ne se borne pas à
même de les remplir, en tant qu’elles permettent la réalisation de rendre des services : elle doit également avoir une substance qui
paiements 18. La CJUE a d’ailleurs reconnu que la conversion de en garantisse la nature monétaire », laquelle substance « se recon-
devises en Bitcoin constitue une prestation de service (et non la naît principalement à son autonomie, c’est-à-dire à sa capacité à
vente d’un bien) exonérée de TVA en tant qu’elle porte sur des permettre des évaluations par la seule référence à son nom [...] » 26.
instruments de paiement 19. C’est encore sous de tels traits que le
Bitcoin a fait sa première apparition dans une opinion dissidente
émise par un juge à la Cour suprême des États-Unis le 21 juin
2018 : « what we view as money has changed over time [...] 20. Wisconsin Central Ltd. V. United States, 585 U.S. (2018), J. Breyer (Dissenting).
– V. également SEC V. Shavers, 2013 WL 4028182 (E. D. Tex. Aug. 6, 2013) :
perhaps one day employees will be paid in Bitcoin or some other « Bitcoin is a currency or form of money ».
21. CA Paris, 26 sept. 2013, n° 12/00161, SAS Macaraja c/ SA Crédit industriel et
commercial : JurisData n° 2013-024887 ; RD bancaire et fin. 2014, comm. 3,
– A. Gaudemet, Loi Sapin 2 : miscellanées de droit financier : BJB 2017, n° 2, obs. F. J. Crédot et Th. Samin ; JCP E 2014, 1091, note Th. Bonneau ; Dr. & patr.
p. 113, spéc. IV. avr. 2014, n° 235, p. 44, obs. H. de Vauplane.
16. M. Rousille, art. préc. note n° 10, spéc. I. – C. Kleiner, Bitcoin, monnaie étran- 22. Position de l’ACPR relative aux opérations sur Bitcoin en France n° 2014-P-01.
gère et indexation : quelle équation, Mél. Joël Monéger : LexisNexis, 2017, 23. ACPR, Comm. des sanctions, 30 mars 2017, n° 2016-05 (Lemon Way) : RD
p. 239, spéc. II. – V. plus nuancée, P. Pailler, Quelles règles pour l’encadrement bancaire et fin. 2017, comm. 106, obs. N. Mathey.
de la monnaie virtuelle en France ? : RISF 2014/4, p. 39, spéc. II, A. 24. Th. Bonneau, Analyse critique de la contribution de la CJUE à l’ascension juri-
17. M. Rousille, art. préc. note n° 10, spéc. II, 1.3. – Rappr. L. Desmet, Le Bitcoin dique du Bitcoin, Mél. Blanche Sousi : Banque éd., 2016, p. 295, n° 20 : « Le
et les crypto-monnaies : nouveaux modèles, questions persistantes : RISF, Bitcoin ne permet pas de faire circuler la monnaie scripturale. Il n’est donc pas
2014/4, p. 7, spéc. p. 11. un moyen de paiement au sens des textes en vigueur ». – Rappr. D. Marteau,
18. G. Bourdeaux, Propos sur les « crypto-monnaies » : RD bancaire et fin. 2016, art. préc. note n° 11, p. 118 : le Bitcoin « n’est à ce jour qu’un mode de règle-
étude 39. – N. Mathey, La nature juridique des monnaies alternatives à l’épreuve ment, à l’instar du troc ».
du paiement : RD bancaire et fin. 2016, étude 41. – M. Bali, Les crypo- 25. J.-P. Landau et A. Genais, Les crypto-monnaies, Rapport au ministre de l’Écono-
monnaies, une application des blockchain technologies à la monnaie : RD mie et des Finances, 4 juill. 2018, p. 15 : « la fonction d’unité de compte ne
bancaire et fin. 2016, étude 8, n° 18 et s. laisse aucun rôle pour les crypto-monnaies. Aucun exemple de contrats (de
19. CJUE, 22 oct. 2015, aff. C-264/14, Skatteverket c/ David Hedqvist : JurisData vente ou de prêt) libellés en crypto-monnaies n’est recensé à ce jour ».
n° 2015-023733 ; Banque et droit 2015, p. 55, obs. P. Storrer ; RDC 2017, 26. M. Libchaber, note ss Cass. 1re civ., 13 avr. 1999, n° 97-12.453 : D. 2000,
p. 54, obs. J. Huet. p. 365. 3
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12 - Le Bitcoin apparaît en définitive comme un « objet juridique ment abstraction faite de sa nature monétaire ou non. Mais en
non identifié » 27, pouvant servir de moyen d’échange mais est-on certain ? L’usage d’une monnaie alternative ne devrait pas
demeurant essentiellement recherché en tant que support d’inves- permettre de contourner les règles d’ordre public encadrant la
tissement et de spéculation. Nombre d’auteurs ont par conséquent réalisation des paiements, et notamment les « interdictions du paie-
suggéré de soumettre les personnes offrant de réaliser des place- ment en espèces de certaines créances » posées par le Code moné-
ments en crypto-monnaie au statut des intermédiaires en « biens taire et financier (C. mon. fin., art. L. 112-6 et s.). Il est clair en effet
divers » (C. mon. fin., art. L. 550-1 et s.) 28, dont l’activité est qu’en prohibant l’utilisation des pièces et billets, le législateur a
soumise au contrôle de l’AMF, notamment quant à leurs commu- entendu imposer le recours au chèque ou au virement, ce qui
nications à caractère promotionnel et aux contrats types proposés devrait aussi exclure l’usage de crypto-monnaies à l’égard
à leurs clients 29. Mais pour compréhensif qu’il soit, ce régime desquelles ces notions sont dépourvues de sens 35. L’application
suppose tout de même que le professionnel mette en avant le de ces textes supposerait sans doute de reconnaître que les crypto-
rendement financier du Bitcoin, ce qui n’est pas le cas des plate- monnaies ne sont pas réductibles à un banal objet de troc, et l’on
formes d’échanges ou des services de portefeuille numérique, qui a dit plus haut les réticences que cela pouvait susciter. Mais n’est-ce
restent généralement neutres à cet égard. Face à telle impasse, pas en définitive la meilleure manière d’en encadrer l’usage ? Cela
n’est-il pas temps de construire un régime propre à ces opérateurs, suffirait, à droit constant, à limiter le montant pouvant être réglé en
plutôt que de les soumettre à des dispositions qui ont été conçues Bitcoin, ainsi que le demande Tracfin 36, et à éviter que des opéra-
en contemplation des activités bancaires et financières tradition- tions importantes, telles que l’achat d’un immeuble, soient réglées
nelles ? Certains États ont ainsi créé ex nihilo un statut destiné aux en Bitcoin 37.
personnes se livrant à des services relatifs aux crypto-monnaies :
14 - Ce parti pourrait même conduire à interdire totalement
tel est le cas en particulier de l’État de New York, où fut instaurée
l’utilisation des crypto-monnaies dans l’ordre interne : car alors
en 2015 la BitLicence, agrément couvrant une large gamme d’acti-
l’accipiens qui consentirait à en recevoir n’accepterait pas une
vités (change, achat-vente pour compte propre, réception, trans-
dation en paiement, autorisée par l’article 1342-4, mais bénéficie-
mission et stockage pour compte d’autrui, etc.) 30. En France, un
rait d’un authentique paiement, dont l’article 1343-3 affirme qu’il
rapport remis au ministre de l’Économie et des Finances à l’été
« s’effectue en euro » à l’exclusion de toute autre monnaie. La cour
2018 appelle de ses vœux l’adoption d’une Euro BitLicence appli-
cable à l’ensemble des opérateurs, donnant lieu à un agrément d’appel de Metz a récemment rappelé que « la clause obligeant le
unique mais soumettant à des obligations variables en fonction de débiteur à payer en monnaie étrangère est nulle et de nullité abso-
la réalité des métiers exercées par chacun 31. La spécificité tech- lue car portant atteinte au cours légal de la monnaie » 38, et la solu-
nologique de ces activités justifierait donc la création d’un nouveau tion pourrait fort bien s’étendre au Bitcoin. En somme, « depuis
statut – comme cela est envisagé en matière d’ICO 32 – tout en l’entrée en vigueur de l’article 1343-3 du Code civil, [une crypto-
faisant passer au second plan les divisions traditionnelles de la monnaie] ne peut plus servir que de mesure de valeur » 39, c’est-
matière – selon un mouvement que l’on observe également dans à-dire jouer le rôle d’une monnaie de compte et non d’une
le financement participatif 33. C’est dire que les crypto-monnaies monnaie de règlement. Encore faudrait-il qu’il existe une « relation
bousculent les schémas de pensés habituels, et cela se vérifie aussi directe » entre le Bitcoin et l’objet du contrat ou l’activité de l’une
lorsqu’on les confronte au régime des opérations civiles et des parties (C. mon. fin., art. L. 112-2), et cela réduirait de toute
commerciales dont elles peuvent être l’objet. façon à néant ou presque l’utilité de cette monnaie, dont on a vu
qu’elle ne constitue pas un étalon de valeur stable 40. Un tel rigo-
risme semblerait toutefois en porte-à-faux avec l’attitude des
2. L’usage des crypto-monnaies pouvoirs publics, dont le but n’est pas de prohiber les crypto-
monnaies, mais au contraire de profiter des retombées écono-
13 - Le premier emploi auquel se destine le Bitcoin est évidem-
miques que peut générer leur développement, ce qui suppose d’en
ment le paiement, mais il demeure en pratique d’un usage extrê-
sécuriser l’usage et non de l’interdire.
mement réduit 34. Au plan juridique, d’ailleurs, de puissants
obstacles pourraient en brider le développement. Cette crypto- 15 - Outre le paiement, les crypto-monnaies se prêtent potentiel-
monnaie n’ayant pas cours légal, il faut tout d’abord que la dette lement à tous types de contrats civils et commerciaux, mais leur
acquittée ait elle-même pour objet des Bitcoins ou, si elle porte sur nature incertaine et leurs modalités de détention ont cependant de
des euros, que le créancier consente spécifiquement à les recevoir. quoi dérouter ceux qui voudraient s’y prêter. Ainsi, lorsqu’on
Cette manifestation de volonté suffirait, dit-on, à valider le paie- s’interroge sur la possibilité d’apporter en société des unités de
crypto-monnaie, on se heurte d’emblée à une difficulté de quali-
fication, puisque le régime de l’apport varie selon qu’il a lieu en
27. M. Rousille, Le Bitcoin : objet juridique non identifié : Banque et droit 2015, numéraire ou en nature. Cette difficulté a déjà été soulignée par
n° 159, p. 77.
l’AMF, sans toutefois que cette dernière ne se prononce clairement
28. F. Drummond, Bitcoin : du service de paiement au service d’investissement ? :
BJB 2014, n° 5, p. 249. – P. Pailler, Quelles règles pour l’encadrement de la sur le parti à prendre 41. La doctrine penche généralement pour la
monnaie virtuelle en France ? préc. note n° 16, spéc. II, B.
29. H. Bouthinon-Dumas, L’évolution du régime applicable aux intermédiaires en
biens divers : BJB 2017, n° 5, p. 352, spéc. II. 35. Th. Bonneau, Analyse critique de la contribution de la CJUE à l’ascension juri-
30. A. Sotiropoulou et D. Guégan, Bitcoin and the challenges for financial regula- dique du Bitcoin, préc. note n° 24, n° 16 : les Bitcoins « ne peuvent pas rele-
tion, préc. note n° 12, spéc. p. 475. – V. Jamet, La « bitlicence », perspective ver du concept de virement ». – V. également Ph. Théry, La propriété monétaire
nord-américaine d’un cadre juridique pour un « bitgeneration » encore en deve- numérique : les Bitcoins : JCP G, hors série déc. 2017, p. 40, n° 14 : « Le Bitcoin
nir : RISF 2014/4, p. 12. n’est pas davantage de la monnaie scripturale. Il n’existe, faute de compte,
31. J.-P. Landau et A. Genais, Les crypto-monnaies, préc. note n° 25, p. 58 et s. aucun chèque ni virement [...] ».
32. Projet de loi PACTE, art. 26 créant un Chapitre propre aux « émetteurs de 36. M. Quéméner, Les monnaies virtuelles : risques et préconisation de Tracfin :
jetons ». RLDI, n° 108, oct. 2014, p. 33, spéc. p. 35.
33. L’ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 avait repris la distinction entre 37. Sur la question, V. C. Houin-Bressand, Autres contrats portant sur la crypto-
services d’investissement et opérations de banque en régissant différemment monnaie : le notaire face aux enjeux et aux risques : Bull. Cridon Paris, préc.,
la souscription de titres financiers (L. 547-1 et s.) et l’octroi de prêts (L. 548-1 p. 13.
et s.), mais la création d’un statut unique est à l’étude (E. Rogey, La Commis- 38. CA Metz, 6 avr. 2017, n° 15/01665 : LEDB mai 2017, p. 3, obs. J. Lasserre-
sion européenne pose la première pierre du crowdfunding européen : BJB 2018, Capdeville.
n° 3, p. 154, spéc. I, B). 39. C. Kleiner, Bitcoin, monnaie étrangère et indexation : quelle équation ? Mél. Joël
34. J.-P. Landau et A. Genais, Les crypto-monnaies, préc. note n° 25, spéc. p. 10 : Monéger : LexisNexis, 2017, p. 239, spéc. p. 250 (l’auteur refuse toutefois la
« l’utilisation des crypto-monnaies dans les paiements reste infinitésimale par qualité de monnaie au Bitcoin).
rapport aux monnaies officielles [...] le Bitcoin représente, en effet, 0,2 % du 40. V. n° 11.
4 volume des transactions au sein de la zone euro. » 41. AMF, Risques et tendances, n° 15, 2014, p. 62.
REVUE DE DROIT BANCAIRE ET FINANCIER - N° 6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018 - © LEXISNEXIS SA Études

qualification d’apport en nature, soit qu’elle nie totalement le permet de transférer les unités à une adresse « multi-signatures »,
caractère monétaire du Bitcoin 42, soit qu’elle le reconnaisse tout qui n’autorise le déblocage des fonds qu’à l’aide d’au moins deux
en concédant que l’absence de cours légal interdit d’y voir du clés privées : celle du tiers convenu et, selon les cas, celle du
« numéraire » 43. On peut toutefois s’interroger sur la pertinence constituant ou celle du créancier 48. On pourrait même automa-
du régime qui en découle, et qui se caractérise principalement par tiser entièrement la réalisation de la garantie grâce à un smart-
la nécessité de faire intervenir un commissaire aux apports. Le contract 49, c’est-à-dire en intégrant dans la blockchain un ordre
travail de ce dernier ne risque-t-il pas de s’avérer inutile, dans la de transfert alternatif : soit vers l’adresse du débiteur lorsque la dette
mesure où la cotation du Bitcoin sur les plateformes d’échange est remboursée à l’échéance, soit vers celle du prêteur dans le cas
permet d’en connaître aisément la valeur à un moment donné, et contraire. Mais s’il est aisé de vérifier la réalisation d’un paiement
où sa forte volatilité empêche d’en anticiper l’évolution de manière lui-même opéré en crypto-monnaie, dont les données sont libre-
fiable 44 ? ment accessibles par consultation de la blockchain, l’usage d’un
chèque ou d’un virement imposera de se référer aux données
Le Bitcoin se situe à mi-chemin bancaires des intéressés, et supposera donc l’intervention d’un
entre une véritable monnaie et tiers 50. Le smart contract devra encore tenir compte de la possi-
un banal objet de troc. bilité d’un paiement subrogatoire réalisé par un garant ou un codé-
biteur, qui ne devrait pas entraîner le déblocage des actifs grevés
16 - La constitution de garanties assises sur des crypto-monnaies mais un transfert de la garantie elle-même. De manière plus géné-
est elle aussi envisageable, mais tout aussi épineuse. Il est douteux, rale, il convient de ne pas exagérer la portée d’un tel dispositif, qui
tout d’abord, qu’une telle sûreté puisse bénéficier du régime des peut automatiser un certain nombre d’opérations dans les faits,
garanties financières, qui ne s’applique qu’aux instruments finan- mais sans garantir leur bien fondé en droit 51. Le smart contract ne
ciers, aux créances et aux « sommes d’argent » (C. mon. fin., dispense ni de l’exigence d’écrit posées par le Code civil (C. civ.,
art. L. 211-38). Sous l’empire du droit commun, la question se art. 2336) – étant précisé que peut revêtir la forme électronique
déplace : à supposer même que l’on accepte de voir dans le Bitcoin entre professionnels (C. civ., art. 1175) – ni du respect des règles
une véritable monnaie, l’originalité de ses modalités de détention encadrant l’exécution forcée, même lorsqu’elles paraissent inadap-
n’en interdirait pas moins de recourir au nantissement de compte tées (ex. nécessité d’une estimation par expert lors de l’attribution
(C. civ., art. 2360) ou au nantissement de monnaie scripturale 45, au créancier « à défaut de cotation officielle du bien sur un marché
sauf éventuellement à ce que les unités soient détenues via une
organisé au sens du code monétaire et financier », (C. civ.,
plateforme auprès de laquelle le constituant disposerait d’un
art. 2348, al. 2).
« compte ». En dehors de ce cas, c’est vers le nantissement de
meubles incorporels qu’il conviendra de se tourner, c’est-à-dire 18 - Le Bitcoin peut enfin constituer l’objet d’une libéralité. Cette
vers le régime du gage (C. civ., art. 2355, al. 5). Ce dernier présente dernière serait naturellement soumise à réduction et à rapport, pour
toutefois une lacune de taille, car il n’est pas certain qu’il permette le calcul duquel on exclura sans doute l’article 860-1 propre à la
de conjurer la volatilité des crypto-monnaies au moyen d’une donation d’une « somme d’argent ». La forte volatilité du Bitcoin
clause « d’arrosage » : celle-ci n’est en effet prévue que dans pourrait conduire à privilégier la donation-partage, laquelle ne
quelques régimes spéciaux hors desquels sa validité demeure donne pas lieu à rapport et permet de figer la valeur des biens au
sujette à caution 46. On déconseillera en tout cas la mise en place jour de l’acte pour le calcul de la réserve 52. L’acte devra en prin-
d’une sûreté sans dépossession, en raison des difficultés que pose- cipe être reçu par-devant notaire (C. civ., art. 931), bien que les
rait sa réalisation. Faute de régime qui lui soit propre, le Bitcoin crypto-monnaies se prêtent au don manuel par transfert sur une
devrait se voir transposer les modalités de saisie des valeurs mobi- adresse contrôlée par le gratifié (voire par remise du support où
lières (CPC exéc., art. R. 231-1). Si le débiteur recourt aux services figurent les clés privées). Quant au legs, il ne devrait pouvoir porter
d’un intermédiaire détenant ses clés privées, on pourrait charger que sur des unités dont le de cujus est effectivement titulaire, à la
ce dernier de vendre les actifs saisis ou de les attribuer au saisissant, différence d’un legs de sommes d’argent qui grève potentiellement
comme le ferait un teneur de compte classique. Si en revanche le l’ensemble de l’actif successoral (C. civ., art. 785, al. 2). Il pourra
débiteur gère lui-même ses clés et refuse de les communiquer, il
prendre la forme olographe sans que les clés privées n’aient à être
sera pratiquement impossible d’appréhender les unités de crypto-
recopiées par le testateur, puisqu’il est admis que ce dernier peut
monnaie. Ni l’attribution judiciaire ni le pacte commissoire ne
« préciser le détail de la chose léguée dans [...] un autre écrit non
seraient ici d’un quelconque secours, impuissants qu’ils sont en
testamentaire sans que cet acte joint n’ait à satisfaire au formalisme
eux-mêmes à transférer la possession des actifs en cause.
de l’article 970 du Code civil. » 53 Il devrait donc suffire de recou-
17 - Le plus sûr est par conséquent de mettre en place une garan- rir à un document contenant les clés privées ou, pour plus de
tie avec dépossession par transfert sur une adresse contrôlée par le
sûreté, de désigner le support où elles figurent, de la même manière
créancier ou par un tiers convenu (voire par remise du support de
que l’on peut léguer des titres en renvoyant à un document qui en
stockage des clés), étant précisé que la fongibilité relative de
certaines crypto-monnaies pourrait faire échec au transfert de
propriété prévu par l’article 2341 du Code civil 47. La technologie
blockchain présenterait même un intérêt particulier, en ce qu’elle 48. Dans le protocole Bitcoin, les adresses multi-signatures commencent par un 3,
et non par un 1 comme les adresses classiques.
49. Rappr. M. Mekki, Les mystères de la blockchain : D. 2017, p. 2160, n° 21 et s.,
42. C. Houin-Bressand, Autres contrats portant sur la crypto-monnaie, préc. note qui évoque l’exécution d’une garantie à première demande.
n° 8, p. 17. – X. Vamparys, Blockchain et droit des sociétés : JCP E 2018, 1200. 50. C. Zolinsky, Blockchain et smart contracts : premiers regards sur une techno-
43. G. Bourdeaux, Propos sur les « crypto-monnaies », préc. note n° 18, spéc. logie disruptive : RD bancaire et fin. 2017, dossier 4, qui distingue selon que
n° 25. les conditions d’exécution « sont définies par d’autres écritures dans la block-
44. R. Sochon, La révolution technologique du Bitcoin et des ICO : un casse-tête chain » ou « par des évènements extérieurs à la blockchain », auquel cas il est
pour les commissaires aux comptes : LPA 31 janv. 2018, p. 4. – V. également « nécessaire de recourir à un tiers de confiance qui vérifie la réalisation de
AMF, Risques et tendances, préc. note n° 41, p. 66. l’événement. ». – V. également Th. Douville et Th. Verbiest, Blockchain et tiers
45. V. Avant-projet Capitant 2017, art. 2366-1. de confiance : incompatibilité ou complémentarité ? : D. 2018, p. 1144.
46. M. Julienne, Les gages spéciaux : modèles pour le droit commun ? : D. 2016, 51. B. Dondero, Les smart contracts : JCP G 2017, p. 19, n° 38 et s., hors-série.
p. 1266, n° 16. – Comp. C. Houin-Bressand, art. préc. note n° 37, p. 16, favo- 52. En ce sens, P.-A. Conil, Le notaire et le Bitcoin, préc. note n° 8 : JCP N 2018,
rable à la validité de la clause dans un nantissement de Bitcoins. 302.
47. Rappr. M. Rousille, art. préc., p. 79 : « le dépôt en Bitcoin n’est pas un dépôt 53. JCl. Civil, art. 970, Testament olographe, écriture, 2017, n° 36, par A.-M.
irrégulier, le prêt non plus. ». Leroyer et S. Mazeaud-Leveneur. 5
Études © LEXISNEXIS SA - REVUE DE DROIT BANCAIRE ET FINANCIER - N° 6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018

établit le détail 54. Les mêmes raisonnements devraient permettre accès au mot de passe qui en permet la lecture ; il suffira pour cela
de recourir à un testament authentique sans que le testateur et le de placer ledit mot de passe dans un « coffre-fort numérique » en
notaire n’aient à dicter et à donner lecture des clés privées dans leur autorisant sa communication aux personnes par ailleurs désignées
intégralité (C. civ., art. 972). S’il destine ses unités à plusieurs léga- comme légataires 56. ê
taires, le testateur prendra soin de les répartir au préalable sur
diverses adresses, afin d’éviter toute indivision 55. Il veillera enfin Mots-Clés : Crypto-monnaie - Bitcoin - Régulation
à ce que les légataires soient à même d’accéder aux clés, c’est-à-
dire, si elles sont stockées sous forme cryptée, à ce qu’ils aient

56. Lorsque les Bitcoins sont détenus via une plateforme, il est inutile de transmettre
54. Cass. req., 11 déc. 1923 : DP 1924, 1, 189 : legs portant sur « des valeurs repré- les codes d’accès du de cujus au légataire (V. pourtant, L. Broyer, art. préc. note
sentant, au cours du jour, 90.000 fr., dont mes légataires trouveront la descrip- n° 8, p. 8). Celui-ci devra simplement s’adresser à l’intermédiaire muni d’une
tion dans les papiers que je laisserai à mon décès, et qui se trouveront dans une attestation notariée afin de solliciter le transfert des actifs, comme il s’adresse-
enveloppe à leur nom. ». rait au teneur du compte auquel figurent des titres légués. L’utilisation de ces
55. En ce sens, L. Broyer, Legs et donation de Bitcoins : pour le notaire, conseiller codes s’apparente d’ailleurs à une signature électronique n’ayant nullement
et innover : Bull. Cridon Paris, préc. note n° 8, p. 7, spéc., p. 9. vocation à être mise en œuvre par un tiers.

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REVUE DE DROIT BANCAIRE ET FINANCIER - REVUE BIMESTRIELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - MARS-AVRIL 2016 Études

8
Les crypto-monnaies, une application des
block chain technologies à la monnaie 1
Mehdi BALI,
docteur en droit, avocat au barreau de New York

Une crypto-monnaie est l’enfant de deux techniques, les réseaux pair-à-pair (P2P) et de la cryptographie. Elle
n’est qu’une illustration particulière des block chain technologies, c’est-à-dire la construction d’une base de
données décentralisée qui valide, enregistre tout type de transferts entre ses membres et est accessible à tous,
parties à un transfert ou tiers 2. Juridiquement, les crypto-monnaies sont des véritables monnaies pour autant
que la qualification de monnaie ne soit pas ouverte qu’en faveur des monnaies étatiques. Cela invite à repenser
le rôle des pouvoirs publics qui devient un contrôle des activités de conversion des crypto-monnaies en
monnaies étatiques plutôt que de création monétaire.

1 - Voici à quoi ressemble une transaction à l’aide de la plus


célèbre des crypto-monnaies, le bitcoin par laquelle A envoie à B
et C respectivement 75,28 et 4,91 bitcoins.

2 - Dans cette transaction en date du 29 juillet 2011 3, l’utilisa- tration particulière des block chain technologies, c’est-à-dire la
teur A (13Ebd[...]3Wxe dans l’extrait ci-dessus) a 80,19 bitcoins. construction d’une base de données décentralisée qui valide, enre-
Il en remet 75,28 à B (1A8Kqe[...]zdUs) 4 et 4,91 à l’adresse gistre tout type de transferts entre ses membres et est accessible à
(AN6a8Au [...] 4S), qui peut être la sienne ou celle d’un autre utili- tous, parties à un transfert ou tiers 6.
sateur. C’est à ce moment-là que l’on comprend mieux un des La base n’est pas statique, mais dynamique, car en permanence
aspects révolutionnaires des crypto-monnaies : A vient de transfé- de nouvelles opérations sont enregistrées. Elle est décentralisée
rer l’équivalent d’un peu moins de 1000 € à B gratuitement peu dans le sens où elle n’est pas tenue par une seule personne, tout un
importe où B se trouve. Le 17 novembre 2015, 12 millions d’euros, chacun pouvant la sauvegarder sur son propre ordinateur, y avoir
soit 30000 bitcoins ont fait l’objet d’une transaction contre le paie- accès et la modifier dans le respect de certaines règles. À l’inverse,
ment de 4 centimes d’euros. Quiconque a fait des virements inter- les fournisseurs de service de courriel tels que Gmail, Yahoo ou
nationaux ou a eu recours aux services de Western Union Hotmail sont des services centralisés dans la mesure où ils
comprend immédiatement l’attrait et le danger de cette technolo- imposent à leurs utilisateurs de s’authentifier auprès du serveur mail
gie en particulier pour l’industrie du transfert d’argent. Il en va de et connaissent en temps réel leur identité virtuelle et les informa-
même pour le commerce électronique et traditionnel. En effet, si tions qu’ils échangent. Au contraire, avec une block chain, il est
A paye un vendeur B en bitcoins pour les biens achetés, celui-ci possible à n’importe quelle personne dotée d’un accès à l’internet
n’aura pas à s’acquitter des frais de carte bancaire auprès de son de voir en permanence l’ensemble des transactions qui se sont
fournisseur de terminaux de paiement (en général 2 à 3 % de la déroulées de la création de la block chain au moment de la consul-
transaction). A ne doit pas nécessairement saisir l’adresse publique tation. On comprend mieux l’intérêt immédiat pour toutes les
de B, car cela est fastidieux. Il lui suffit juste de scanner le QR code opérations juridiques qui requièrent la tenue d’un registre public
de B avec son smartphone pour effectuer le règlement 5. (conservation des hypothèques, registre du greffe).
3 - Une crypto-monnaie est l’enfant de deux techniques, les Enfin, on parle de transfert, car le mot est générique. Il peut recou-
réseaux pair-à-pair (P2P) et la cryptographie. Elle n’est qu’une illus- vrir des valeurs comme dans le cas des crypto-monnaies 7, mais
également tout élément dont on souhaite l’enregistrement comme
des titres financiers 8 ou de propriété 9 et même des diplômes 10.
1. L’auteur souhaite remercier Olivier Fruchart pour son aide précieuse dans la
phase de documentation de ce travail et Patrick Barban pour ses commentaires
précieux. Les idées développées dans cet article sont celles de l’auteur et 6. Nous reviendrons plus en détail sur cette technique dans un article à venir.
n’engagent en rien Proskauer Rose LLP. 7. Pour une liste exhaustive des crypto-monnaies actuellement en circulation, V.
2. Nous reviendrons plus en détail sur cette technique dans un article à venir. site internet : http://mapofcoins.com/.
3. Hash complet de la transaction : 4ec1076748e9c57972a334bdce5465eca 8. UBS emploie cette technologie pour les opérations interne de trading. Pour plus
34334e3bc5d5d2cec6d75c09b4a9d35. d’information, V. site internet http://www.ft.com/cms/s/2/eb1f8256-7b4b-
4. En date du 20 octobre 2015, cela représente 674 €. 11e5-a1fe-567b37f80b64.html#axzz3qRZiTTRk.
5. Ceci est mon QR code au cas où un lecteur généreux ou maladroit souhaite- 9. Le gouvernement du Honduras s’est lancé dans un ambitieux projet d’enregis-
rait m’envoyer un paiement ! trement de titres fonciers à l’aide de cette technologie. Pour plus de détails, V. 1
Études REVUE DE DROIT BANCAIRE ET FINANCIER - REVUE BIMESTRIELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - MARS-AVRIL 2016

4 - Encadrer les block chains, et en particulier les crypto- La block chain n’est que l’enchaînement de blocs d’information
monnaies, n’est pas chose aisée dans la mesure où la technologie qui ont la forme suivante :
est nouvelle et peu facile d’accès. Ceci explique la cacophonie
réglementaire à laquelle on assiste quant à ce qu’est une crypto-
monnaie. Elles ont été assimilées à des biens 11, des monnaies Block #387330
privées 12 voire des services de paiement 13. Certains États les ont
bannis, tandis que l’Équateur cherche à les prendre pour modèles Nombre de transactions 1485
en vue de créer une nouvelle monnaie nationale dans un pays où
Nombre total de bitcoins 38.222,06451731
le dollar a cours légal.
transférés
En France, les régulateurs ont eu une approche prudente et ont
abordé cette thématique sous l’angle de la criminalité et de la lutte Nombre de bitcoins transfé- 4.153,76036301
contre le blanchiment 14 tandis que le Sénat y a plutôt vu une rés à des personnes autres
opportunité de croissance 15. La doctrine sur la question est assez que l’expéditeur[1]
succincte et tend à assimiler une crypto-monnaie à des unités de
compte digitales, ce qui n’est pas totalement exact. Hash du bloc précédent 00000000000000000595
Comme les crypto-monnaies représentent une valeur, on peut (#387329) cb35c10cb47efe32caba1773
concevoir d’innombrables transactions à titre onéreux qui reposent f0955800405d4c6f79d6
sur elles avec la nécessité éventuelle d’en altérer le régime pour
tenir compte de cette dimension particulière. Toutefois, avant de Merkle Root b5058af01451be965f5a5b
répondre à cette question plus lointaine, il faut d’abord s’intéres- 923118ade17e4b1eb88e
ser au problème plus immédiat de la nature technique des crypto- 90bf0a10fc7b2db42dbc6b
monnaies (A), étape préalable à celle de la nature juridique (B). Frais totaux de transaction 0.2716368 BTC

1. La nature technique des crypto- Numéro de bloc 38733

monnaies Cible à atteindre 79,102,380,900.23


5 - Fondamentalement, les crypto-monnaies ne font que tenir un Clé de cible (nonce) 3122803744
registre de transactions (A) qui partagent la même nature en raison
de leur caractère informatique (B). Récompense de minage 25 BTC
A. - Les crypto-monnaies, un réseau insérant des Liste des transactions [liste non reproduite]
transactions dans un bloc
Un SPV ne stocke qu’un sommaire du bloc (header) qui n’est
6 - Le réseau de la plus populaire des crypto-monnaies, le bitcoin formé qu’une partie des informations se trouvant dans le bloc. Il
inclut deux types de nœuds (node). En premier lieu, les nœuds inté- s’agit de la version du protocole bitcoin utilisée, le hash du bloc
graux (full node) sauvegardent l’intégralité des transactions et sont précédent, la racine Merkle (Merkle Root), l’heure à laquelle le bloc
au nombre d’un peu moins de dix mille. Ils ont la mémoire de la a été miné, la cible à atteindre et la clé de cible (nonce). Ce sont
totalité de la block chain. En second lieu, les nœuds de paiement les nœuds du réseau qui traitent chacune des transactions.
simplifié, NPS (simplified payment verification node) n’incluent que
l’en-tête des blocs qui constituent la quasi-totalité des nœuds du B. - Les éléments d’une transaction entre deux
réseau et prennent la forme le plus souvent de portefeuille électro- utilisateurs d’une crypto-monnaie
nique.
7 - Admettons les deux transactions suivantes dans lesquelles Z
a 4 bitcoins, A et B, 0 :
site internet : https ://uk.news.yahoo.com/honduras-build-land-title-registry- ‰ T n° 000079, Z en faveur de A, 4 bitcoins (CléPub Z, Signature
using-bitcoin-technology-162701917.html#ca9hqrJ.
10. Pour lutter contre les falsifications de diplôme, l’école d’ingénieurs ESILV n’offre Z et Adresse A)
désormais que des diplômes identifiés à l’aide d’un numéro et enregistrés dans ‰ T n° 000045, A au bénéfice de B, 3 bitcoins (CléPub A, Signa-
une block chain dédiée. Pour plus d’information, V. site internet, http:// ture A et Adresse B) et A au profit d’A, 1 bitcoin (CléPub A, Signa-
blockchainfrance.net/2016/01/01/lesilv-ecole-pionniere-en-france-sur-la- ture A et Adresse A).
blockchain/.
11. C’est le cas des pays suivants : Argentine, Australie, France, Norvège (V. site Ces deux exemples montrent qu’une transaction nécessite trois
internet, http://www.loc.gov/law/help/bitcoin-survey/). éléments, la clé publique de l’expéditeur, sa signature et l’adresse
12. Brésil, Nouvelle-Zélande (V. site internet préc.). du destinataire, qui n’est que le hash de sa clé publique, c’est à dire
13. Allemagne (V. site internet préc.). le produit de son passage à la moulinette d’une fonction cryptogra-
14. L’ACPR déclare dans un communiqué de presse que « le développement du
Bitcoin, et plus largement des monnaies virtuelles, le nombre d’alertes, en parti-
phique. En outre, par définition, une transaction à l’aide d’une
culier criminelles, constatées notamment aux États-Unis, les risques de fraude crypto-monnaie est à somme nulle, c’est-à-dire que les avoirs déte-
et de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme particulière- nus par l’expéditeur doivent être égaux au nombre de fonds
ment élevés s’agissant d’un instrument qui se prévaut de l’anonymat [...] » envoyés aux destinataires. Ceux-ci peuvent inclure l’expéditeur s’il
(ACPR, Comm. de presse rel. aux opér. bitcoins en France, 29 janv. 2014 (V.
site internet : https ://acpr.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/acp/Com-
ne souhaite pas envoyer toutes ses unités de crypto-monnaies à une
munication/ Communiques%20de%20presse/20140129-Communique- personne comme dans l’exemple de la transaction n° 000045
ACPR-position-bitcoin.pdf)). L’AMF se demande si les monnaies virtuelles sont ci-dessus.
un risque ou une opportunité (AMF, Cartographie 2014 des risques et tendances À l’issue de ces deux opérations, Z, A et B ont respectivement 0,
sur les marchés financiers et pour l’épargne, juill. 2014, p. 59 (V. site internet : 1 et 3 bitcoins. Le deuxième transfert est à somme nulle dans le sens
http://www.amf-france.org/technique/multimedia ?docId=workspace ://
SpacesStore/b87033f5-ecbf-41f1-8236-ee44c91df3c7_fr_1.3_rendition)). V. où A est obligé de s’envoyer à lui-même le bitcoin restant de son
également, Tracfin, L’encadrement des monnaies virtuelles, juil. 2014, p. 1 (V. solde initial. Si l’on se concentre sur la deuxième transaction, A a
site internet, http://www.economie.gouv.fr/ files/ mentionné le nombre de bitcoins à transférer et l’adresse du desti-
rapport_monnaiesvirtuelles_web.pdf). nataire (qui est le hash de sa clé publique, ici celle de B) et signe
15. Rapp. inform. Sénat, La régulation à l’épreuve de l’innovation : les pouvoirs
publics face au développement des monnaies virtuelles, juill. 2014 (V. site inter- l’ordre d’opérer à l’aide de sa clé privée.
2 net : http://www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-767-notice.html). 8 - Informatiquement, les étapes suivantes ont été réalisées :
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‰ Le portefeuille de A, un SPV (a « simplified payment verification puissance de calcul, le gain étant partagé entre les membres à
node ») requiert des nœuds intégraux du réseau une liste de toutes hauteur de leur contribution respective. En outre, le protocole
les transactions pour lesquelles A est le destinataire. inclut également la possibilité de frais d’opéré pour chaque tran-
Ceux-ci répondent en envoyant le sommaire des blocs concer- saction inscrite dans la block chain (transaction fee). Cette autre
nés et des blocs suivants ainsi qu’un élément d’identification de source de rémunération a été envisagée pour pérenniser l’usage du
l’existence de la transaction (Merkle path). bitcoin en offrant aux mineurs une source de gain autre que la
‰ Le SPV isole les transactions dans lesquelles figure l’adresse de récompense de minage, qui cessera lorsque le 21e million de
A. Il s’avère qu’il n’y en a qu’une, à savoir T n° 000079. Est d’abord bitcoins aura été découvert.
vérifiée l’absence d’erreur dans l’adresse mentionnée dans la tran- À l’heure actuelle, les frais de transfert sont gratuits sauf pour les
saction en la comparant à la clé publique de A. Si les deux ne transactions qui ne respectent pas une de ces trois conditions (taille
correspondent pas, l’opération échoue faute de crédit suffisant, Z supérieure à 1000 bytes, montant inférieur à 0,01 bitcoin et faible
ayant simplement envoyé les bitcoins à un autre utilisateur. Enfin, priorité). Ces exigences visent d’abord à protéger le réseau contre
le nœud contrôle l’authenticité de l’ordre de transfert en faveur de une attaque de saturation (1 million de transactions d’un montant
B en comparant la signature de A à sa clé publique. Si le résultat de 0,000001 bitcoin) et permettent l’ouverture du réseau à tous (la
est négatif, un message d’erreur est retourné. S’il est positif, la tran- majorité des transactions font moins de 1000 bytes). Ensuite, elles
saction est validée. Elle est alors diffusée aux nœuds intégraux qui rendent attractif le minage de blocs (celui-ci faisant 1 Mo, il auto-
ne la retransmettent qu’après avoir vérifié notamment que l’expé- rise 1000 opérations de 1000 bytes). Enfin, elles renforcent l’inté-
diteur, A, dans l’exemple précédent, a bien été le destinataire d’un grité du réseau, car les transactions à haute priorité sont celles qui
envoi de bitcoins non dépensés et que ce sont ceux-là mêmes qui ont un nombre élevé de confirmations. Un bloc rejoint la block
sont l’objet de la transaction. chain toutes les dix minutes environ. Dans une transaction
‰ Cette transaction est regroupée avec d’autres dans le pool des commerciale, il faut donc patienter au moins dix minutes pour être
transactions à traiter. Elle rejoindra la block chain une fois qu’elle sûr qu’une transaction a intégré un bloc. Il faut attendre au moins
aura été inscrite dans un bloc qui l’aura intégrée. 6 confirmations, c’est-à-dire que 6 autres blocs ont été placés à la
9 - Dans les exemples précédents, nous n’avons évoqué que les suite du bloc incluant la transaction poursuivie, pour être certain
adresses à signature unique. Toutefois, quand la signature est qu’elle ait intégré la block chain.
multiple, il est permis de couvrir un grand nombre d’opérations de 12 - En un peu moins d’une heure, un commerçant est sûr que
la pratique bancaire et commerciale. son client l’a réglé et les fonds sont immédiatement disponibles
Pour réaliser un séquestre, il suffit qu’A envoie les bitcoins à une prêts au réemploi. En mettant les crypto-monnaies en perspective
adresse à signature multiple à laquelle sont associées plusieurs avec les payements traditionnels par virement ou par carte bleue,
signatures, la sienne, celle de B et celle de C, séquestre, la règle on comprend mieux leur impact. Elles sont plus rapides (une
étant que les fonds attachés à cette adresse ne sont transférables heure), sans recours à des chambres de compensation (donc moins
que si au moins deux des trois signatures sont présentes. Cela coûteuses), inviolables et fiables (pas d’ordre de virement qui
couvre la situation où il n’y a pas de mésentente et celle où le n’arrive pas). Comme toute technique, elle demeure soumise à
séquestre est obligé d’intervenir et de trancher en faveur de l’un ou l’erreur humaine : le vol ou la communication de la clé privée à un
de l’autre. Si le séquestre juge qu’A mérite les fonds, sa signature tiers, qui peut alors user des unités de valeur liées à cette clé.
et celle de A suffiront pour réaliser le transfert. S’il décide en faveur Techniquement, une crypto-monnaie est donc une unité numé-
de B, il faudra la signature du séquestre et celle de B 16. rique qui est transmise d’adresse à adresse et dont tous les membres
Pour réaliser les effets d’un compte joint, A acheminera les du réseau ont potentiellement accès à un registre central, la block
bitcoins à une adresse multiple à laquelle sont associées deux chain, qui retrace chacune des transactions. Juridiquement, les
signatures, la sienne et celle de B, la règle étant que les fonds atta- conséquences sont particulièrement riches.
chés à cette adresse ne sont transférables que si une des deux signa-
tures est présente. Si l’on veut reproduire les effets d’un compte
indivis, la condition devient la présence impérative des deux signa- 2. La nature juridique des crypto-
tures. monnaies
10 - Un bloc ne sera répertorié dans la block chain que si ceux
qui proposent son introduction, les mineurs, sont en mesure de 13 - Dans la jeune littérature consacrée à cette question, on lit
résoudre un puzzle mathématique. Celui-ci consiste à déterminer que les crypto-monnaies, et le bitcoin en particulier, ne seraient pas
quel nombre (nonce) ajouté aux identifiants de chaque transaction une monnaie (B) 19, mais tous les auteurs s’accordent à leur recon-
passé à la moulinette d’une fonction hash a pour résultat un naître la qualité de bien, du moins pour le bitcoin (A).
nombre se trouvant dans un ensemble de valeurs. Plus cet espace
est réduit et plus le puzzle est difficile à résoudre et inversement. A. - Les crypto-monnaies, un bien
Le protocole bitcoin inclut un processus de réduction automatique
14 - Une crypto-monnaie est-elle un bien ? Un bien est une chose
de l’espace cible pour tenir compte de l’augmentation de la puis-
susceptible d’appropriation privée ou publique. Une crypto-
sance de calcul des mineurs. Ces derniers vont devoir laborieuse-
monnaie, et en particulier le bitcoin, n’est qu’un élément d’un logi-
ment essayer chaque nombre jusqu’à identifier le nonce, d’où la
ciel libre, c’est à dire dont le code source est accessible à tous 20.
métaphore du mineur, qui creuse jusqu’à trouver le précieux mine-
Elle est une chose intangible qui a une valeur déterminée en fonc-
rai. L’heureux élu obtient en contrepartie 25 bitcoins 17, soit l’équi-
tion de l’offre et la demande sur des plateformes d’échange 21
valent de 10 000 € au cours actuel.
comme tout bien dans le commerce. Une crypto-monnaie est
11 - Toute une économie s’est greffée autour du minage au point également susceptible d’appropriation qu’elle soit privée ou
qu’il existe des équipements dédiés (asic hardware) 18 et des
coopératives de mineurs (mining pool) afin d’avoir une plus grande
19. H. De Vauplane, Bitcoin, monnaie de singe ou monnaie légale ? : Rev. Banque,
juill.-août 2013, p. 79. – M. Roussille, Le bitcoin : objet juridique non identifié :
16. Un séquestre peut être également réaliser sans utiliser des adresses à signature Banque et droit, janv.-févr. 2015, p. 27. – D. Guinier, Le cas bitcoin : paradoxes
multiple en envoyant des fonds à C, qui les transférera à l’un ou à l’autre en fonc- et processus d’une crypto-monnaie : Exp. syst. infor., févr. 2015, p. 56, spéc.
tion de la survenance d’une condition ou de l’échéance d’un terme suspensif. p. 58.
17. Ce montant est divisé par deux tous les 200000 blocs environ. 20. Contra M. Roussille, Le bitcoin : objet juridique non identifié, op. cit., p. 29.
18. Pour des exemples, V. site internet 21. Pour les plateformes françaises, V. paymium. Pour les principales plateformes
http://www.topbitcoinmininghardware.com/. étrangères, V. coinbase, btc-e ou okcoin. 3
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publique. En effet, l’exclusivité est une des caractéristiques tradi- dernier point n’est pas abordé par la doctrine fiscale. Quand l’achat
tionnelles du droit de propriété 22. Sous cet angle, une crypto- pour revendre est occasionnel, la catégorie des BNC prend logi-
monnaie est un bien, puisque la cryptographie assure que seul le quement le relais 31.
bénéficiaire d’un transfert précédent est autorisé à utiliser à son tour D’après la Cour de justice de l’Union européenne 32, le négoce
les unités de la crypto-monnaie. À l’aide de la clé privée, il y a bien de bitcoin n’est pas soumis à la TVA, car au sens de la directive
une relation d’exclusivité qui s’établit entre ces dernières et leur TVA 33, il n’est pas un bien. Étant une prestation de service, il est
détenteur. Ils sont disponibles à son adresse publique et seul lui au une activité exemptée, parce qu’il serait un moyen de paiement 34,
moyen de sa clé privée peut en faire usage, c’est-à-dire les trans- « la devise virtuelle « bitcoin » [n’ayant] pas d’autres finalités que
férer à nouveau. Dès lors qu’une unité de crypto-monnaie est celle de moyen de paiement et qu’elle est acceptée à cet effet par
susceptible d’appropriation, celle-ci peut être publique ou privée certains opérateurs » 35.
en fonction de la nature de la personne propriétaire. La qualification est opportune, car elle n’assujettit pas l’activité
15 - Une crypto-monnaie est un bien avec les qualités suivantes. de change de bitcoins à la TVA. Toutefois, elle ne rend pas compte
Il est meuble et intangible. Un auteur s’est interrogé sur le carac- de la nature du bitcoin. Cela contribue à brouiller les cartes quant
tère consomptible du bitcoin 23. Toutefois, cette question ne se à son régime, puisqu’il est qualifié de moyen de paiement, alors
pose pas vraiment dans la mesure où le détenteur d’une crypto- qu’il échappe au champ d’application de la directive sur les
monnaie quelle qu’elle soit ne fait que la transférer en vue de services de paiement. On ajoutera laconiquement qu’il s’agit d’une
s’acquitter d’une obligation qu’il a contractée ou en exécution autre illustration de l’autonomie du droit fiscal. Il aurait été plus
d’une intention libérale (donation). Il ne l’utilise donc pas à propre- judicieux de l’assimiler à un moyen de paiement légal dans le sens
ment dit. Une crypto-monnaie est également un corps certain, car où l’usage du bitcoin n’est pas prohibé par la loi.
elle est rattachée à un numéro de transaction déterminée. En outre, Si l’on admet qu’une crypto-monnaie est un bien, alors la porte
l’existence de la block chain permet de retracer les différents trans- vers la qualification plus ambitieuse de monnaie est ouverte.
ferts relatifs à une unité d’une crypto-monnaie de sa création
jusqu’à la dernière transaction dont elle a fait l’objet et ce quasi- B. - Les crypto-monnaies, véritable monnaie
ment en temps réel.
16 - Une crypto-monnaie pourrait recevoir la qualification de 18 - Dans l’arrêt précédent, la Cour reconnaissait indirectement
bien divers 24 pour autant qu’il existerait une plateforme en faisant que le bitcoin était une monnaie, puisqu’en opposant les devises
la promotion et promettant la réalisation d’un profit 25. Ce n’est pas traditionnelles aux devises virtuelles 36, elle les mettait sur un
tant les réticences d’un vendeur de crypto-monnaies à mettre en même plan. Elle insistait pour ce faire sur l’aspect de moyen de
avant son côté spéculatif qui ferme cette voie 26 que sa psycholo- paiement du bitcoin 37.
gie. Les opérateurs de crypto-monnaie les considèrent avant tout Si une crypto-monnaie est un instrument de paiement, elle a donc
comme des monnaies, même si elles sont volatiles. Ceux qui un des attributs de la monnaie. Toutefois, est-elle également un
souhaitent tirer avantage de cette dimension le feront à travers des instrument de compte et constitue-t-elle une réserve de valeur ?
instruments financiers exposés à cette volatilité et dans ce cas, le Dans le cadre de la plus populaire des crypto-monnaies et comme
régulateur les encadre à l’aide de la notion de contrat financier 27. l’a compris la Cour de Justice de l’Union Européenne, le bitcoin est
17 - Étant un bien, la fiscalité des crypto-monnaies est assez clas- un instrument d’échange dans la mesure où de nombreuses tran-
sique. Elles font partie de la succession du défunt 28 dont la règle sactions se font à l’aide de bitcoins 38. Il est également un instru-
d’évaluation des biens à son ouverture soulève quelques difficul- ment de compte dans une certaine mesure, car les biens et les
tés dans la mesure où leur volatilité peut conduire à des variations services échangés dans une transaction le sont en bitcoins, même
à la hausse comme à la baisse au jour de la liquidation. Ceci est de si indirectement les deux parties à au transfert gardent en tête le
nature à grever d’une charge indue soit la succession (déprécia- coût dans une devise particulière 39.
tion), soit les finances publiques (appréciation). L’achat régulier La principale difficulté réside dans l’application du concept de
pour revendre d’une crypto-monnaie est une activité commerciale. réserve de valeur à un objet volatile. Cependant, ce n’est pas un
Elle relève de l’imposition aux BIC 29 de même que la revente par réel problème dans la mesure où ce que l’on entend par réserve de
un mineur des unités de crypto-monnaie qui lui ont été remises au
titre de sa participation au minage d’un bloc 30, voire de la percep-
pour l’achat de biens ou de services, il ne sera pas imposé. Il n’est pas certain
tion d’une fraction des commissions de transaction. Toutefois, ce que cet oubli soit intentionnel.
31. R. Vabres, Le statut fiscal de la « monnaie virtuelle » en droit français, préc.,
p. 46.
22. Sur le sujet, V. en particulier, Fr. Zenati, Essai sur la nature juridique de la 32. CJUE, 5e ch., 22 oct. 2015, aff. C-264/14, Hedqvist : JurisData n° 2015-
propriété. Contribution à la théorie juridique du droit subjectif, thèse Lyon, 1981, 023733 ; Europe 2015, comm. 516, note A.-L. Mosbrucker.
p. 541 et s. 33. Cons. CE, dir. 2006/112/CE, 28 nov. 2006, relative au système commun de taxe
23. M. Roussille, Le bitcoin : objet juridique non identifié, op. cit. sur la valeur ajoutée, art. 14, 16 : JOUE n° L 347, 11 déc. 2006, p. 1.
24. Fr. Drummond, Bitcoin : du service de paiement au service d’investissement ? : 34. Ibid., art. 135 (e).
Bull. Joly Bourse, 2014, §111j1, p. 249. – P. Pailler, Quelles règles pour l’enca- 35. CJUE, 22 oct. 2015, préc., n° 52.
drement de la monnaie virtuelle ? : Rev. int. serv. fin., oct.-déc. 2014, p. 39. – 36. Ibid., n° 53 : « Par conséquent, il y a lieu de conclure que l’article 135, para-
M. Roussille, Le bitcoin : objet juridique non identifié, préc., p. 30. graphe 1, sous e), de la directive TVA vise également les prestations de services,
25. C. monét. fin., art. L. 550-1, II : « Est également un intermédiaire en biens divers telles que celles en cause au principal, qui consistent en l’échange de devises
toute personne qui propose à un ou plusieurs clients ou clients potentiels traditionnelles contre des unités de la devise virtuelle « bitcoin », et inverse-
d’acquérir des droits sur un ou plusieurs biens en mettant en avant la possibi- ment, effectuées contre le paiement d’une somme correspondant à la marge
lité d’un rendement financier direct ou indirect ou ayant un effet économique constituée par la différence entre, d’une part, le prix auquel l’opérateur
similaire ». concerné achète les devises et, d’autre part, le prix auquel il les vend à ses
26. M. Roussille, Le bitcoin : objet juridique non identifié, préc. clients ».
27. C. monét. fin., art. D. 211-1. V. également, P. Pailler, Quelles règles pour l’enca- 37. Ibid., n° 52.
drement de la monnaie virtuelle ? : Rev. int. serv. fin., préc., p. 42. – R. Houben, 38. On peut citer Dell, Namecheap et des sites qui permettent de convertir des
Bitcoin : there are two sides to every coin : Rev. dr. com. belge, févr. 2015, bitcoins en cartes cadeaux à dépenser dans la plupart des grandes enseignes.
p. 139, spéc. p. 143. Pour une liste exhaustive, V. site internet : https ://bitcoin.fr/depenser-ses-
28. BOI-ENR-DMTG-10-10-20-10, 11 juill. 2014, § 10. V. également, R. Vabres, bitcoins/.
Le statut fiscal de la « monnaie virtuelle » en droit français : Rev. int. serv. fin., 39. V. R. Ali et a., The economics of digital currencies : Bank of England, 3rd
oct. – déc. 2014, p. 48. – Th. Guillebon, Quel régime fiscal pour les bitcoins ? : Quaterly Bulletin, 2014, p. 5. D’ailleurs, la première transaction commerciale
Dr. fisc. 2015, n° 38, act. 514, p. 3. en bitcoins affectant l’économie réelle a été l’achat de deux pizzas pour 10000
29. BOI-BIC-CHAMP-60-50, 11 juill. 2014, § 730. bitcoins le 22 mai 2013 (dc79b6d28309783a0aa2b47be2037626fbd19d93
30. Cela signifie que la rémunération au titre d’une participation au minage n’est ad1338d187c 27df0a1d5e1a4) environ 25 dollars à l’époque, aujourd’hui
4 pas imposable et que si le mineur ne vend pas ses bitcoins, mais qu’il les utilise l’équivalent de 4 millions.
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valeur, ce n’est pas une stabilité de la valeur dans le temps, mais neté » 47. Toutes ces approches témoignent d’un cadre intellectuel
plutôt l’existence d’un médium portant une valeur au cours du fortement influencé par la théorie étatique de la monnaie qui
temps. En effet, nul ne contestera cette qualité à la monnaie d’un postule que la monnaie est une créature du système juridique 48,
État connaissant une hyperinflation, alors que par définition, sa alors qu’historiquement elle est un processus privé qui apparaît
valeur varie grandement d’un mois à l’autre, voire même d’un jour pour rendre compte des transactions entre commerçants 49. « La
sur l’autre. En outre, dans le cas du bitcoin, s’il a été très volatile monnaie procède nécessairement de la société, et habituellement
au cours des années 2011 à 2013, depuis, il s’est considérablement mais non pas obligatoirement du pouvoir politique » 50.
stabilisé. En effet, si l’on prend comme indicateur son cours contre Ce que tous ces auteurs veulent dire est qu’en réalité les crypto-
le dollar, on observe qu’à certaines périodes de 2015, celui-ci a monnaies, et le bitcoin en premier lieu, ne sont pas des monnaies
fluctué autant que celui de l’or contre la même devise 40. publiques, mais qui a prétendu le contraire ? Quand bien même
on l’affirmerait, serait-ce si irraisonné lorsque l’on observe
19 - Alors que le bitcoin remplit les critères traditionnels d’une qu’appliqué à l’euro, le concept de monnaie publique perd de sa
monnaie, la doctrine unanime s’accorde à dire que le bitcoin et par rigueur, voire de sa pertinence ? En effet, nous sommes dans la
extension toute crypto-monnaie n’en est pas une 41. On invoque situation d’une monnaie sous le contrôle d’une institution, le
l’absence de pouvoir de libération universel qui ne serait réservé système européen des banques centrales au cœur duquel se trouve
qu’à l’euro. On ajoute également des arguments de nature textuelle la banque centrale européenne (BCE) en charge de la politique
tels que l’article L. 111-1 du Code monétaire et financier selon monétaire. Or, la BCE est indépendante du pouvoir politique et
lequel « la monnaie de la France est l’euro », sa sanction pénale, l’Union européenne n’est pas un État à proprement parler, mais
l’article R. 642-3 du Code pénal qui punit d’une contravention de plutôt une confédération d’États en route vers une fédération selon
deuxième classe « le fait de refuser de recevoir des pièces de la définition consacrée 51. Dès lors, ne peut-on pas dire que l’euro
monnaie ou des billets de banque ayant cours légal en France selon n’est pas une monnaie publique et ce d’autant plus que la BCE
la valeur pour laquelle ils ont cours » 42 et ses conséquences civiles dispose d’une personnalité juridique dont les textes fondateurs se
à travers la procédure des offres réelles et consignations de sont bien gardés d’en préciser la nature 52 ?
l’article 1257 et 1258 du Code civil 43. 21 - Battre monnaie n’est plus une prérogative du souverain, sa
Ces arguments n’emportent pas la conviction. En effet, le pouvoir sanction est largement érodée, les systèmes alternatifs de monnaie
de libération universelle est rogné par les pouvoirs publics. Ainsi, privée comme les systèmes d’échanges locaux se sont multipliés
les résidents fiscaux français ne sont pas autorisés à faire des paie- et leur validité a été reconnue en justice sans que ceux qui y
ments en espèces supérieurs à 1000 € lorsqu’ils traitent avec un prennent part ne soient coupables de travail clandestin 53. Sous cet
professionnel (C. monét. fin., art. L. 112-6, I et art. D. 112-3) sous angle, les crypto-monnaies, parce qu’elles reposent sur l’internet
peine d’amende administrative 44, ce dernier pouvant également ne font que généraliser cet usage à la planète tout entière. Elles
refuser les paiements en chèque et carte bancaire. De plus, la sanc- conduisent à repenser la définition de la monnaie et éclairent son
tion pénale de l’article R. 643-3 ne s’applique qu’aux espèces et pouvoir universel de libération sous un autre angle. Fondamenta-
lement, celui-ci ne tire pas sa force d’arguments de texte ou du
pas à la monnaie scripturale (chèque) ou électronique (carte
souverain, mais dans la confiance des utilisateurs de cette
bancaire). En outre, même pour les espèces, le créancier est libre
monnaie.
de refuser un paiement si le débiteur n’a pas fait l’appoint (C.
Celle-ci a deux sources. La première, obsolète, est la confiance
monét. fin., art. L. 112-5). La sanction n’est pas non plus dissuasive,
en la capacité du souverain à honorer la contre-valeur du papier
puisque le contrevenant s’expose à une peine d’amende allant
monnaie (un billet de banque de 10 francs or permettait à son
d’une vingtaine d’euros jusqu’à 150 euros en cas de retard de paie- propriétaire d’aller à la Banque de France et de littéralement obte-
ment (C. pén., art. L. 131-13). Cela veut nécessairement dire que nir de l’or contre remise du billet jusque dans les années 1910) 54.
ce principe n’a pas vraiment la force qu’on lui prête, sa sanction La deuxième, toujours d’actualité, est la confiance dans la
pénale et civile n’ayant en réalité qu’une vertu comminatoire 45. monnaie, c’est-à-dire sur la valeur d’échange que les individus
20 - Ces arguments révèlent surtout l’assimilation en doctrine de attribuent à la monnaie (un billet de 10 € me permet d’acheter un
toute monnaie à la monnaie publique comme le montre notam- bien qui de l’avis général vaut ce montant). Dès lors, que les habi-
ment la référence répétée au cours légal. Pour tous ces auteurs, la tants d’un pays doutent de la valeur de leur monnaie, que l’État le
monnaie est un « bien, d’une nature complexe et très particulière, veuille ou non, cette monnaie n’aura de fait plus cours légal. À ce
qui tire sa valeur, non pas de ses caractéristiques physiques ou de moment, les autorités publiques décident, soit la création d’une
ses qualités intrinsèques, mais de l’autorité de l’État et de la nouvelle monnaie, soit l’élargissement du cours légal à des
confiance qu’elle inspire » 46. Cette définition est traditionnelle monnaies réputées plus solides comme l’a fait le Zimbabwe avec
dans la mesure où elle s’insère parfaitement dans les approches le dollar américain, le rand sud-africain et le huan.
historiques qui font de la monnaie « une institution de droit public, 22 - Ce que les crypto-monnaies réalisent n’est qu’une nouvelle
un mécanisme régalien, étatique, un attribut de la souverai- étape dans les relations entre monnaie et confiance. Le passage des
monnaies étalons aux monnaies fiduciaires traduisait un déplace-

40. V. site internet, https ://btcvol.info/.


41. H. De Vauplane, Bitcoin, monnaie de singe ou monnaie légale ? : Rev. Banque, 47. J. Carbonnier, Droit civil, vol. 2. Les biens, les obligations, op. cit., n° 671,
juill.-août 2013, p. 79. – M. Roussille, Le bitcoin : objet juridique non identifié, p. 1527.
art. préc. – Th. Bonneau, Le bitcoin, une monnaie ? : Banque et droit, janv.-févr. 48. G. Fr. Knapp, Staatliche Theorie des Geldes : Von Dunder and Humboldt, Leip-
2015, p. 8. – J. Lasserre Capdeville, Le bitcoin : JCP E, 2014, act. 25. – L. zig, 1905, p. 1 : « Das Geld ist ein Geschöpf der Rechtsordnung ».
Desmedt, Le bitcoin et les crypto-monnaies : nouveaux modèles, questions 49. M. Laine, La monnaie privée : RTD com., 2004, p. 227, spéc. p. 229.
persistantes : Rev. inter. serv. fin., 2014, vol. 4, p. 7, spéc. p. 11. – R. Houben, 50. R. Libchaber, Recherches sur la monnaie en droit privée : LGDJ 1992, n° 62,
Bitcoin : there are two sides to every coin, préc., p. 141. p. 63.
42. V. par ex., H. De Vauplane, Bitcoin, monnaie de singe ou monnaie légale ?, 51. Cl. Bluman et L. Dubois, Droit institutionnel de l’Union européenne : LexisNexis,
préc., p. 80. – M. Roussille, Le bitcoin : objet juridique non identifié, préc., p. 28. 2013, 5e éd., n° 103 et s., p. 88 et s. Pour une analyse plus constitutionnaliste,
43. J. Carbonnier, Droit civil, vol. 2. Les biens, les obligations : PUF 2004, n° 688, V. E. Zoller, Droit constitutionnel : PUF 1999, 2e éd., n° 16, p. 30. Même si l’on
p. 1562. peut s’interroger sur la pertinence d’une telle définition à l’heure où l’on parle
44. CGI, art.1840 J et C. monét. fin., art. 112-7 qui punissent d’une peine d’amende de Brexit et où le souverainisme connaît un regain de succès.
pouvant aller jusqu’à 5 % du montant du dépassement. 52. TFUE, art. 282.
45. J. Carbonnier, Droit civil, vol. 2. Les biens, les obligations, op. cit. 53. CA Toulouse, 17 sept. 1998, Evans c/ Ministère public. V. également, A. Supiot,
46. J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil. Les obligations, t. 3. Le rapport Les mésaventures de la solidarité civile : Dr. social 1999, n° 1, p. 64.
d’obligation : Sirey 2015, 9e éd., n° 114, p. 116. 54. M. Laine, La monnaie privée, préc., p. 228. 5
Études REVUE DE DROIT BANCAIRE ET FINANCIER - REVUE BIMESTRIELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - MARS-AVRIL 2016

ment de la source de la confiance du matériau dans lequel une 23 - Comme les crypto-monnaies sont des instruments de l’inter-
monnaie était frappée à l’autorité émettrice. L’avènement des net, elles sont très réfractaires aux réglementations nationales. Dès
crypto-monnaies signifie le passage à un système où la confiance lors, sauf à envisager une forme de coopération internationale, le
puise sa source non plus dans l’autorité d’une tierce partie, l’État, régulateur ne peut se limiter qu’à encadrer les activités permettant
mais dans une technique réputée inviolable, la cryptographie. Cela d’aller et venir entre crypto-monnaies et monnaies traditionnelles :
n’est rien d’autre qu’une autre illustration du technicisme du plateforme d’échange, service de portefeuille électronique. Il est
monde moderne où l’informatique bouleverse à grande vitesse des d’autant plus armé pour le faire que cette mission est très semblable
équilibres traditionnels. L’essence de la monnaie puise sa source au contrôle de l’activité bancaire ou des services d’investissement.
dans la confiance que les tiers lui attribuent. Cela ne fait que recon- On ne peut que se rallier à cet auteur qui au lendemain de l’intro-
naître en droit une définition économique de la monnaie selon duction de l’euro se demandais si « à moins que d’attribut de la
laquelle « money is accepted as money by everybody in the souveraineté de l’État, la monnaie ne soit devenue un simple
economy simply because it is accepted as money by everybody moyen d’exercice. On serait ainsi passé, d’une mission de création,
else in the economy. It is indeed a pure « social entity » whose exis- à une mission de réglementation » 58 non plus de la monnaie, mais
tence owes nothing to the « technology and preferences » of the
des activités gravitant autour.
economy » 55. Cette approche a été consacrée par le Groupe
d’action financière (GAFI) 56, qui définit les crypto-monnaies, et en Ce résultat est d’autant plus intéressant qu’il se heurte à une
particulier le bitcoin comme une monnaie n’ayant pas (encore ?) tendance monétaire contemporaine qui cherche à restaurer le rôle
cours légal 57. du Prince dans le contrôle de la création monétaire au nom de la
démocratie et de la souveraineté nationale. Ce mouvement
s’exprime dans les débats actuels en France sur la sortie de la zone
55. K. Iwai, The boostrap theory of money, a search theoretic foundation of mone- euro. À cette demande de démocratie indirecte par la médiation
tary economics, Structural Change and Economic Dynamics, Déc. 1996,
p. 451, spéc. 469. « Dans une économie donnée, la monnaie n’est acceptée de l’État, les crypto-monnaies opposent une démocratie directe :
en tant que monnaie par chaque individu, que parce qu’elle est acceptée par la création et l’utilisation par les internautes de leurs propres
tous les autres. C’est un pur objet social dont l’existence ne doit rien à la tech- monnaies.
nologie et aux préférences d’une économie donnée » (trad. libre).
56. Le Groupe d’action financière (GAFI) est un organisme intergouvernemental Mots-Clés : Crypto-monnaies - Block chain - Bitcoin - Monnaies
créé en 1989 par les Ministres de ses états membres. Les objectifs du GAFI sont virtuelles
l’élaboration des normes et la promotion de l’efficace application de mesures
législatives, réglementaires et opérationnelles en matière de lutte contre le blan-
chiment de capitaux, le financement du terrorisme. Pour plus d’information, V.
http://www.fatf-gafi.org/fr/aproposdugafi/.
57. FATF/GAFI, Virtual Currencies Key Definitions and Potential AML/CFT, June 58. J.-M. Bruguières, Qu’est-ce que la monnaie ? : JCP E 2001, p. 1905, spéc.
2014, p. 6. p. 1908.

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