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Africanistes
Urbain-Faublée Marcelle, Faublée Jacques. Charmes magiques malgaches. In: Journal de la Société des Africanistes, 1969,
tome 39, fascicule 1. pp. 139-149;
doi : https://doi.org/10.3406/jafr.1969.1445
https://www.persee.fr/doc/jafr_0037-9166_1969_num_39_1_1445
PAR
M. URBAIX-FAUBLÉE et J. FAUBLÉE
Les Européens, dès qu'ils ont pris contact avec les Malgaches, ont constaté
l'importance de la magie bénéfique ou maléfique, matérialisée dans des objets protecteurs
ou néfastes. Il n'y a pas lieu de reprendre, ici, les indications sommaires des auteurs
des xvne et xvnie siècles 5, et nous prendrons comme point de départ les débuts de
la christianisation du Centre de Madagascar e. Avant 1833, \V. Ellis rapporte en
Grande-Bretagne un charme destiné à écarter ou à détruire les missionnaires
protestants 7. Inutile de préciser qu'il ignore les éléments qui forment ce charme, comme
les rites et la consécration censés lui donner sa puissance. En 1867, il mentionne
toujours des charmes magiques, sans ajouter de précisions 8. J. Sibree et les missionnaires
publiant I' Antananarivo Annual 9 étudient attentivement le paganisme des Mérina
du Centre de l'île. Ils consacrent leurs recherches aux sampi protecteurs du royaume
plus qu'aux charmes familiaux ou individuels, faciles à dissimuler aux autorités
politiques et religieuses.
Durant la même période commence l'exploration des autres régions de
Madagascar. Dans les provinces et les terres basses, des voyageurs puis des fonctionnaires,
collectionnent des objets magiques. Travaillant en milieu difficile, sinon hostile, ces
hommes choisissent des spécimens typiques, spectaculaires, sans pouvoir réaliser de
véritables enquêtes ethnographiques 10.
1. Charles Renel. Les amulettes malgaches, Ody et Sampy. Bulletin de l'Académie malgache, nouv. série, II,
1915, p. 29-281.
2. H. M. Dubois. Monographie des Betsileo, Paris, Institut d'Ethnologie (Trav. et Mém., 34), 1938, p. 977-1019
particulièrement p. 992-1019. Malgré le titre, cet ouvrage traite de l'ensemble de Madagascar, et peut ainsi être
classé dans les synthèses.
3. Dans les travaux de détail, nous plaçons aussi bien des ouvrages d'ensemble, avec de brefs passages sur les
charmes magiques, et des monographies locales. Nous citons seulement quelques exemples : H. Rusillon.
Paganisme, Paris, 1929, p. 57-61, plus figure de la couverture ; Le Barbier. Note sur le pays des Bara-Imamono
Bull, de l'Acad. malg., nouv. série, III, 1916-1917, p. 88-89, le manuscrit de base donne quelques détails
supplémentaires ; Ralph Lintont. The Tanala. A hill tribe of Madagascar, Chicago, Field Museum of Natural History,
publication 317, Anthr. Ser., XX, 1933, sur les chaimes, p. 201 ss., fig. p. 205 ; Raymond Decary. L'Androy :
essai de monographie régionale, t. II, Paris, 1933, p. 163-170.
4. Jorgen Ruud. Taboo. A Study of Malagasy Customs and Beliefs. Oslo, New York, Oslo University Press.
Humanities Press, i960, in-8°, vin-326 p., carte et pi. hors texte, figures dans le texte, notes, index, bibliographie.
Que des Norvégiens ou des institutions Scandinaves publient maintenant des ouvrages en français ou en anglais
ne doit pas faire négliger les volumes en norvégien, particulièrement ceux de J. Ruud et de Lars Dahle.
5. L'ensemble des ouvrages anciens est réuni, sous forme de transcription ou de traduction, dans : A. et G. Gran d-
didier. Collection des ouvrages anciens concernant Madagascar, vol. I-IX, Paris, 1903-1920.
6. Sur cette période, on trouve des renseignements dans tous les volumes d'histoire de Madagascar, comme ceux
de Grandidier et H. Deschamps. Des ouvrages de détail permettent de compléter ces travaux d'ensemble :
Ludvig Munthe. Les origines des deux premières traductions du Nouveau Testament malgache. Création de
l'orthographe et textes de base. Thèse de Doctorat de 3e cycle soutenue devant l'Université de Paris en 1964 ; Otto Chr.
Dahl. Les Débuts de l'orthographe malgache, t. à p., Oslo, Universitetsforlaget, 1966, in-8°, 52 p., extrait de Norské
Videnskaps-Akademi I Oslo, II, Hist.-Filos. Klasse, nouv. série, n° 9.
7. VV. Ellis. History of Madagascar, 1833, II, texte et fig., p. 476-477.
8. VV. Ellis. Madagascar revisited, 1867, p. 271, cité dans G. Mondain. Des idées religieuses des Hovas...
9. J. Sibree. Madagascar, the great African Island, 1880, p. 292-295 ; J. Sibree. Madagascar et ses habitants,
traduction française, 1873, P< 388-394 ; une collection complète de Г Antananarivo Annual se trouve à la
bibliothèque du Musée de l'Homme, à Paris.
10. A. et G. Grandidier, ouvrage cité note 4, p. 139, pi. XV et XVI ; Louis Catat. Voyage à Madagascar, i8Sç-
i8ço, Paris, 1895. Ce volume montre bien les conditions de travail : passage rapide, dans un grand nombre de lieux ;
CHARMES MAGIQUES MALGACHES I4I
Alfred Grandidier, n'ignorant pas les limites imposées à ses travaux par les
difficultés signalées, complète la collecte d'objets par la réunion de manuscrits provenant
d'autochtones 1. Durant la même période, le R. P. François Callet recueille, lui aussi,
des documents écrits, qu'il complète par des enquêtes directes 2. Essayant de réunir
toutes les traditions du pays mérina, ce chercheur ne s'attache pas particulièrement
aux charmes magiques. Ses informateurs, comme ceux des missionnaires protestants,
le renseignent plutôt sur les sampi, symboles de la royauté, que sur les udi (ody), liés
à des pratiques privées 3. Nous reviendrons sur cette œuvre capitale qui semble avoir
été ignorée de Vig 4.
Aux recherches intensives, approfondies, de Vig, poursuivies pendant vingt ans
dans un village et ses environs, par un homme inspirant confiance, maniant aisément
la langue locale 6, il est bon de comparer les enquêtes extensives, étendues à toute
l'île, de C. Renel e. Au début de ce siècle, ce dernier, directeur de l'enseignement à
Madagascar, ayant reçu une formation classique d'historien des religions, est appelé
acquisition d'objets de transport facile pour exposition ou don à un musée. Le travail publié ne comporte pas
l'inventaire de la collection ethnographique donnée au Musée d'ethnographie du Trocadero, devenu depuis Musée
de l'Homme. Objets de cette collection, enregistrée sous le n° 91-45, dans Jacques Faublée, Ethnographie de
Madagascar, Paris, 1946, p. 110, 112, pi. face p. 152, p. 166. Des spécimens de la collection Bastard, enregistrée
au même musée sous le n° 99-59, figurent dans le même ouvrage, p. 106-107, 165, et dans Maurice Bessox. Le
totémisme, Paris, 1929, pi. XXXVIII. Les autres pièces reproduites sur la même planche, proviennent des collectes
de Le Barbier, également publiées dans J. Faublée, ouvrage cité, p. 107-108, 165-166. Dans le travail du
collecteur, signalé note 3 p. 140, il n'est pas fait mention de cette collection. Bastard a recueilli des charmes
magiques, parmi les prises de guerre suivant un combat contre un prince sakalave. Il n'était donc pas question
qu'il questionne fuyards, blessés, ou mourants.
1. Ces manuscrits ont été utilisés en partie par A. et G. Grandidier dans l'ouvrage cité, aux pages mentionnées.
L'un de nous a consulté l'exemplaire de cette collection appartenant à l'Académie malgache, à Tananarive. Un
autre exemplaire se trouve au Musée de l'Homme. Nous n'avons obtenu jusqu'ici (30-IV-1969) que la
communication de quelques photocopies, sans obtenir de voir ces documents.
2. Sur l'œuvre du R. P. François Callet l'ouvrage essentiel est : Alain Délivré. Interpretation d'une tradition
orale. L 'histoire des rois ďlmerina (Madagascar), thèse de Doctorat de 3e cycle présentée à la Faculté des Lettres
et Sciences humaines de l'Université de Paris en 1967.
3. Quand il n'y a qu'une différence légère entre l'écriture traditionnelle et une transcription adoptée dans les
milieux scientifiques, nous ne donnons qu'une transcription. Écrire sampi là où l'orthographe officielle du
malgache est sampy, conservant le -y en usage au xvne siècle, lors de l'installation de Français à Madagascar, ne devrait
pas créer de difficultés. Par contre, nous sommes tenus à éviter la lettre о pour transcrire и (ou du français) et 0.
Quand nous employons deux transcriptions, la première est normale, la seconde, entre parenthèses, est usuelle à
Madagascar.
4. Pour le détail des éditions de l'ouvrage de F. Callet, intitulé Tantara ny andriana eto Madagascar, nous
renvoyons à l'ouvrage de A. Délivré signalé note 2. La première édition du tome I, de 1S73, est très rare. La
seconde édition de ce volume a été tirée seulement à quarante exemplaires. La rareté des éditions anciennes explique
que L. Vig n'ait pas connu cette œuvre quand il rédigeait son catalogue de charmes. Nous renvoyons à la
réédition de 1908, moins rare.
Des traductions partielles ont été publiées, à diverses reprises, dans le Bulletin de V Académie malgache. Cette
institution a entrepris, en 1953, d'éditer une traduction intégrale signée G. S. Chapus et E. Ratsimba. Des erreurs
et même de graves contre-sens imposent d'avoir recours au texte malgache. Ainsi, à la p. 101 de l'édition de 1908,
sont notés les rapports de la calebasse sacrée avec le devin par les graines tnpisikidi, tandis que la « traduction »
est : « les sorciers emploient aussi une calebasse » (p. 186). Il y a donc confusion entre le personnage honorable,
honoré, qu'est le devin mpisikidi ou le magicien umbiasa (ombiasa ou ombiasy). et le sorcier mpamusavi ou mpa-
tnuriki (mpamosavy, mpamoriky), personnage dangereux, ciaint mais méprisé, exécuté sans jugement quand il est
découvert. Pour prendre un second exemple qui terminera cette note : à la page 113 de l'édition de 1908 on lit
« le devin créateur de remèdes ; les charmes contre les maladies provoquées par les esprits ancestraux ». Il s'agit
donc du devin qualifié par L. V13 de « théologien », par Weber, auteur d'un dictionnaire remarquable, de « docteur
en médecine et en théologie ». Les charmes qu'il compose amènent le bien ou la guérison. Pourquoi, puisqu'il est
question de guérison, avoir fait précéder ce chapitre, en 1953 (p. 209) de la mention, en titre « Les sorciers » ?
5. Les corrections proposées par О. С Dahl, généralement justifiées, toujours valables, ne mettent pas en doute
la connaissance du malgache par L. Vig.
6. C. Renel, ouvrage cité note 1, p. 140.
142 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
à inspecter les instituteurs de tout Madagascar. En onze années de tournées, avec
la collaboration de son adjoint malgache Ramarohetra, il recueille des documents
nombreux, mais sommaires. Par exemple, il donne une enumeration de charmes
contre : les intempéries, les animaux, les ennemis, à nouveau les animaux et le feu 1.
Sa mention « ody valala — nom générique de ces ody » est incompréhensible pour
des non-malgachisants. Udi 2 signifie « charme magique », et valàla « criquet
migrateur ». Il est donc question de charmes qui écartent ces acridiens. Rien n'indique leur
composition, les rites de préparation et de consécration, les interdits à respecter
pour que chaque udi garde sa puissance. Il n'y a pas non plus de formule d'évocation.
Son ignorance de la langue malgache gênait C. Renel. Il cite, entre autres, un charme
« odi-fanony afo — pour empêcher le feu 'de détruire la maison ou le village », sans
se rendre compte qu'il répète « odi-fanony » et « odi-tony », car fannni est un dérivé
de la racine Utni ou tuhi 3 ; c'est le charme qui « calme » le feu, la foudre ou l'orage
comme les efforts des ennemis ou des voleurs. Ailleurs, Renel traduit ЫЫ par
« bête » tandis que ce mot désigne toute créature non humaine ou surhumaine, bête,
monstre, génie ou divinité 4. Nous avouons ne pas comprendre comment Renel ose
critiquer le malgache classique, peut-être incompris de son entourage malgache, des
écrits du père Callet 5.
Les informateurs de Renel, tenant à être bien notés, manifestent leur
connaissance des charmes bénéfiques, et craignent de montrer qu'ils connaissent des
sortilèges e. Il y a d'ailleurs une certaine ambiguïté : le charme favorable aux voleurs est
mauvais pour la victime. Celui qui fait gagner un procès intenté à tort peut être
considéré comme illicite. Ces remarques critiques ne doivent pas amener à sous-esti-
mer l'œuvre de Renel. Son travail porte, non seulement sur les udi, mais aussi sur
les sanipi et les sources mythiques des pouvoirs magiques, en utilisant les textes du
Père Callet.
Les enquêtes suivantes ont été perturbées par la confusion entre magicien
guérisseur et sorcier empoisonneur. L'un et l'autre, accusés, soit de sorcellerie ou
d'empoisonnement d'une part, soit, d'autre part, d'exercice illégal de la médecine, ont
souvent maille à partir avec la justice. Les charmes confisqués, après avoir servi de pièces
à conviction, sont détruits ou recueillis dans des collections. Il arrive cependant que
des fonctionnaires de formation scientifique se livrent à des recherches approfondies
sur les objets qu'ils trouvent 7. Durant la même période, des missionnaires, durant
leurs longs séjours, poursuivent les recherches de leurs prédécesseurs 8.
siècle plus tôt. Voir également J. Faublée. Présages et divination à Madagascar, dans La divination, études
recueil ies par A. Caquot et M. Leibovici, Paris, P. U. F., 1968, t. 2, p. 373-391, avec note bibliographique. Les planches,
entre les p. 384-385, figurent la confection d'un udi, avec introduction du sable mis en contact avec les graines
divinatoires, et un charme protecteur de village portant des figures divinatoires. Voir également, pour un exposé
sommaire de la divination : J. Faublée. Ethnographie de Madagascar, p. 109-113. Dans le même volume, charme
avec gravure de sikidi : fig. p. 107, n° 32-6-27, légende p. 166. Cet objet est un don Decary comme la planche n° 33-
1-2, p. 115, légende p. 167.
Un ouvrage de M. R. Decary, qui confirme les études de Vig, vient d'être publié par les soins du
C. U.L. O.V. : La divination malgache par le sikidy. Paris, Geuthner, 1970.
1. Ici encore, nous n'indiquons que les pages les plus importantes : p. 17-18, 95-96, 133-138.
2. P. 145-146.
3. P. 31, 50-51, fig. entre p. 18 et 19.
4. P. 68-70. La prohibition du mensonge est exceptionnelle.
5. P. 65. Sur la question des interdits, voir l'ensemble de l'ouvrage : J. Ruud. Taboo. A Study of Malagasy
Customs and Beliefs, Oslo, New York, i960, vin-326 p., avec carte, figures, planches et index.
6. Charme permettant de violer des interdits : p. 142-145.
7. P. 156-157. Le mot sikidi, appartenant aux parlers du centre de Madagascar, répond au mot dialectal sikili,
plus proche du modèle arabe. Normalement en malgache, c'est d qui évolue en /, mais le passage de l à d est
possible dans des emprunts.
8. P. 143, 156. En tenant compte de la mutation normale -mb- -v-, on retrouve dans vonimbazaha, nom d'une
perle, le mot vazaha, « étranger de teint clair »,
9. P. 69.
10. P. 82, 95.
11. P. 94-95 et note 74 de О. С Dahl, p. 167. La question n'est pas tranchée : pourquoi ajouter lahy à satnpi ?
12. Un spécimen traditionnel de charme est celui contre les attaques des crocodiles, p. 31, 50-51, fig. entre p. 18
et 19, déjà signalé note 3. L'efficience du charme vient du respect des interdits qui ont un aspect archaïque.
Pans toutes les langues dites « indonésiennes », il est facile de constater une tendance à l'évolution des consonnes
146 ' SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
«... arracher quoi que ce soit qui puisse ... gêner en chemin, tuer les animaux... ». Ce
respect des plantes qu'on ne doit pas arracher, des animaux qu'on ne doit ni frapper,
ni tourmenter, ni tuer 1, loin d'être étranger à la tradition malgache, se trouve dans
des contes anciens. Une meilleure connaissance des traditions magiques éclaire
d'ailleurs ces récits. Dans un cycle de contes, Imahakà est présenté comme un farceur,
escroc, bandit et meurtrier. Ici, Imahakà est un charme qui rend les femmes folles
d'amour 2. De même, des contes mentionnent l'usage divinatoire d'un bâton. Ici
encore, ce bâton sert à des prédictions, provoque la hantise et permet de réaliser de
véritables miracles 3. L'emploi de vanneries inachevées est également un trait
archaïque important 4.
Les informateurs de ceux qui étudient la magie malgache révèlent les sortilèges à
travers les charmes prétendus licites protégeant de ces sortilèges 5. Convertis au
christianisme, des habitants du Vakinankàratra ayant, en une certaine mesure,
changé de personnalité, avouent à Vig leur connaissance de maléfices, qui incluent,
outre les symboles de la mort et de l'enterrement, de véritables poisons e. La
préparation d'un sortilège puissant peut dicter jusqu'à un sacrifice humain. Avec des
documents précis, Vig confirme que la sorcellerie est pratiquée aussi bien par des
hommes que par des femmes, tandis que magie blanche et divination par le sikidi
sont l'apanage des hommes 7. Sorcier ou sorcière ont comme compagnons chat
sauvage et hibou 8. La confiance des informateurs envers Vig, leur pasteur, ne les
empêche pas d'affirmer que la magie noire leur vient des sorciers du Betsiriri à
l'Ouest 9.
En théorie, le magicien umbiasa, comme le devin mpisikidi, sont des personnages
honorables, bien connus, qui diffèrent du tout au tout du sorcier ou de la sorcière
mpamusavi ou mpamurik. Démasqué, sorcier ou sorcière est tué sans jugement, lyn-
occlubives vers leur correspondante continue. Ainsi, d devient /, tandis que p se transforme en /. Ceci nous amène
à considérer fadi « interdit », du malgache des hautes terres, comme mieux conservé que fali de l'ouest, qui a le
même sens. Le dayak de Bornéo conserve le p- ancien, tandis que le -d- a déjà évolué en -l- : pâli. Il en est de même
du malais p-em-ali (P. Favre. Dictionnaire tnalais-français, t. II, p. 111 a) avec maintien d'un infixe -eut-. Dans
The Maori- Polynesian Comparative Dictionary, Edward Trege ar a admis (p. 472 a-473 b) une parenté entre p-om-ali
indonésien et le tapu maori de Nouvelle-Zélande, proche du tabu des Fidji, qui a donné le français tabou. Pour
nous, cette parenté est évidente, en admettant des phénomènes de sonorisation et d'assourdissement et
déplacement des consonnes dans le mot : dans padi, forme ancienne de fadi malgache, on retrouve le p de tapu. Le -d-
est une sonorisation du t- de tapu, à moins que ce t ne soit l'assourdissement du d.
Nous nous demandons si les mots malais obat et hobat (diet, cité, I, p. 32-33, 181-182), comportant les consonnes
b et t, signifiant aussi bien médicament que charme magique, ne pourraient pas être rattachés à tabu, avec
inversion de consonnes. Si l'on admettait cette hypothèse, interdits et charmes seraient associés dès l'origine.
1. P. 73.
2. P. 30. Contes cités dans tous les recueils.
3. P. 52. Le conte bara figure dans J. Faublée. Récits bara. Paris, Institut d'ethnologie, 1947, p. 416-417, 436-
437.
4. P. 140. L. Vig traduit raritsiltefa par « vannerie inachevable ». L'un de nous a noté, chez les Bara, raritsiefa
« vannerie inachevée ». Le glissement de sens vient-il de la disparition du -h- marquant l'inaccompli ? ou bien le
symbolisme est-il différent ? J. Faublée. Les esprits de la vie à Madagascar, voir ce mot à l'index.
5. L. ViGj contre sorcellerie : p. 23-27, 33. Le nombre 7 combat les mauvais sorts : p. 21, 55-56.
6. P. 112-124. Le maléfice tandruk-usi (p. 112-116) «corne de chèvre» est associé au jeudi et au dimanche,
bemurik (p. 117, note 93 p. 169) signifie «beaucoup» : be, «de sortilèges» vurik, ou «au grand sortilège» (la
mutation v-m ou in-v est normale). Le mot tranu-vuruna (p. 119), s'il désigne bien le brancard couvert utilisé pour
transporter le cadavre, s'applique à toutes sortes de catafalques. Il est employé pour la maisonnette dominant
la tombe de certaines familles princières. Tranu-vuruna « la maison » ou « la demeure de l'oiseau » rappelle l'ancienne
conception de l'âme humaine sous l'image d'un oiseau.
7. P. 123-124.
8. P. 111-112.
9. P. 122.
CHARMES MAGIQUES MALGACHES 147
ché par les femmes à coups de pilons à riz. Seulement soupçonné, il est soumis à une
ordalie. Notons cependant le glissement fréquent, presque obligatoire, entre
magicien et sorcier. Pour combattre ce dernier, le magicien doit connaître les sortilèges.
Aborder cette question impose d'abandonner nos concepts et notre vocabulaire
d'Européens du xxe siècle. Nous distinguons le voleur du soldat, tandis qu'un
Malgache du xixe siècle ne faisait pas de différence entre une razzia et une guerre royale
qui lui donnait le même butin. Dans l'esprit des soldats et des brigands, les charmes
qui les rendent forts, ou endorment leurs adversaires, ou encore mettent le
désaccord entre les défenseurs du village, sont employés légitimement г. Pour les
victimes, ce sont des sortilèges.
L'emploi détermine le caractère licite ou non d'un charme. Les qualités d'orateur
assurent prestige ou considération 2, comme le gain des procès. La notion d'être « lié,
attaché, entravé » est exprimée par fatura{na), dérivé de la racine fàtutra. Sans tenir
compte de la finale instable ou fluctuante (na), les sons de ce dérivé sont identiques à
ceux de l'arbuste fatum. Des fragments de son bois servent à entraver la parole de
l'adversaire 3. La « calebasse muette » était bien bouchée comme le devait être la
bouche de l'accusateur ou du défenseur, selon la circonstance *. Il s'agissait d'agir et
de gagner à tout prix, que le possesseur du charme ait tort ou raison, soit coupable
ou innocent. Un discours du chef ou du délégué du souverain ne prend de valeur que
s'il est approuvé par le peuple. En France « qui ne dit mot consent ». A Madagascar,
qui ne dit mot manifeste ainsi son désaccord, ou même son opposition. Un charme
magique contraint les sujets à suivre l'avis du prince par une approbation unanime 5.
Ceux qui veulent échapper aux corvées et aux impôts supplémentaires estiment que
ce charme est un sortilège. Son emploi, même par un grand du royaume, dans l'intérêt
prétendu du pays, ne leur paraît pas licite.
Les charmes sont conçus pour des buts variés. Ceci se comprend. Le vocabulaire
malgache correspond à des concepts étendus. Par exemple, la signification de àdi
couvre « dispute, discussion, procès » comme « combat, bataille, guerre et meurtre » 6.
Le mot àdi comprend aussi bien les luttes humaines que les combats entre taureaux.
Les uài servent pour les taureaux qui mènent le troupeau comme aux hommes qui
se battent pour les femmes 7. Les malgachisants considéraient jusqu'ici la boxe
malgache, avec usage des pieds, comme une distraction, presque un sport. Vig
décrit des rivalités violentes, sanglantes, parfois même meurtrières, où les femmes
sont un simple enjeu à la merci du vainqueur.
Les auteurs qui ont décrit la vie à Madagascar parlent peu de l'activité sexuelle.
Vig montre son importance pour les Malgaches de jadis. Notons d'abord les ressem-
blances entre les charmes de combat, assurant le succès à propos des femmes, et des
udi qui provoquent l'amour, considéré comme une lutte avec des rivaux ou avec la
femme *. Ceci donne un caractère ambigu à la plupart des udi d'amour. Le même
charme peut servir à un mari qui tient à garder sa femme et au séducteur qui veut
l'attirer. L'opposition à la séduction domine en de rares cas 8, surtout quand il y a
souhait de fécondité 3. Ce désir d'avoir des enfants passe pour normal à Madagascar.
L'enquête de Vig montre, au contraire, le souci d'éviter les naissances, soit pour
des femmes indépendantes *, soit dans des familles nobles 5, en employant des
procédés qui dépassent souvent le cadre de la magie, basés sur la connaissance de la
conception •.
Ce n'est pas dire que la liberté sexuelle soit totale. Vig note la réserve absolue
qui existe entre père et fille, mère et fils, l'horreur de l'inceste 7, et l'obstacle
constitué par les limites entre classes sociales 8. Des charmes assurent l'inefficacité de ces
dernières prohibitions.
Provoquant la rupture des règles, ils sont assimilés aux sortilèges, comme les udi
qui mènent la femme à la folie amoureuse •. Cette technique magique semble liée aux
plus anciennes traditions, car elle se trouve associée au thème folklorique de la fille
orgueilleuse, refusant toutes les demandes des hommes, jusqu'à la chute finale 10.
Vig a étudié, il y a plus de cinq générations, la magie et la sorcellerie encore
vivantes, accompagnées de sacrifices humains u, et de luttes de devins 12. Des paysans
cultivaient encore le chanvre, non pour obtenir des fibres textiles, mais comme
stupéfiant conduisant à la hantise et aux phénomènes de possession 13. Comme nous
l'avons signalé, des magiciens gardaient souvenir des temps anciens durant lesquels
des graines complétaient les udi, avant l'importation de perles de verre.
L'ouvrage de Vig montre que la distinction habituelle entre magie bénéfique et
sorcellerie, loin d'être nette, est arbitraire. La vannerie raritsi{h)éfa, d'aspect
maléfique ici, est gage de vie chez les Bàra, tribu du sud de Madagascar ". De même,
l'opposition de la magie à la religion est, en général, trop poussée. Le magicien place
dans un charme de fécondité le lézard andrungu et le papillon lulu, proches des
puissances totémiques de vie 1S. Il utilise les charmes de vie qui viennent de divinités ",
1. P. 106. Sur l'eau « qui remonte », nous utilisons les notes de nos missions de 1956, 1958 et 1965.
2. P. 117. Voir référence, note 15, p. 148.
3. Le dictionnaire Weber, publié sans nom d'auteur, porte le titre : Dictionnaire malgache-français rédigé selon
l'ordre des racines par les missionnaires catholiques de Madagascar et adapté aux dialectes de toutes les provinces.
Ile Bourbon (La Réunion), 1853.
4. P. 35-42, note 23 p. 163, 102-104, 157-158. Voir référence de la note 15, p. 148.
5. P. 160-161.