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Le raisonnement par récurrence

1 Introduction
Le raisonnement par récurrence est fondamental : il s’agit de faire la distinction entre la généralisation
abusive et la démonstration.
Tout le monde connaît, en effet, l’histoire de ce français débarquant en Angleterre et apercevant une fille
rousse. Il remonta aussitôt à bord et s’en repartit pour la France en notant sur son carnet « Toutes les Anglaises
sont rousses ».

Il est évidemment interdit de conclure une généralité à partir d’un seul exemple. Ainsi vous avez sûrement
vu fleurir sur vos copies des annotations en ce sens si vous vous êtes laissé aller à écrire des phrases comme :
« u1 = 2 et u2 = 8 donc on voit que les tous les termes de la suite (un ) sont pairs » ou bien comme
« v2 − v1 > 0 et v3 − v2 > 0 donc la suite (vn ) est croissante »

Pour autant vous avez pu surprendre votre professeur en ce qui peut ressembler à un flagrant délit de
généralisation. Qui n’a pas entendu son professeur affirmer :
n(n + 1)
« 1 + 2 + 3 + ··· + n = pour n entier »
2
« (u1 − u2 ) + (u2 − u3 ) + · · · + (un−1 − un ) = u1 − un pour n entier »
Ou pire encore :
« Si l’on considère la suite (un )n>0 telle que u0 = 2 et un+1 = un + 5 alors on voit que
u0 > 0, u1 = 2 + 5 > 0 . . . un = un−1 + 5 > 0 » ?

En effet le professeur de première énonce de tels résultats, mais ce qui se cache derrière les « . . . »n’est
pas une généralisation comme les autres, c’est une conséquence du principe de récurrence étudié en classe de
terminale.

Nous allons, ici, étudier le problème des tours de Hanoï (dont je propose une version en anglais, pour les
amateurs du genre) pour découvrir de manière concrète la motivation de la récurrence puis nous expliquerons
le principe mathématiques qui s’en dégage. Enfin j’indiquerai la manière correcte d’utiliser les démonstrations
par récurrence et pour les plus curieux une démonstration de leur validité.

2 Un problème célèbre : les tours de Hanoï


2.1 Les tours de Hanoï
Une planche de bois supporte trois tiges et sur l’une d’entre elles se trouvent sept anneaux de diamètres
décroissants : le plus large est en bas et le plus étroit se trouve en haut.
Le but du jeu est de transférer les sept anneaux sur une autre tige en respectant les règles suivantes :

 Règle 1 : On ne peut déplacer qu’un seul anneau à la fois. (Il s’agit donc de prendre l’anneau se trouvant

au sommet d’une tige pour le mettre sur une autre tige).

Règle 2 : Il est interdit de placer un anneau au dessus d’un anneau de diamètre inférieur.

On se pose les deux questions suivantes :


– Quel est le plus petit nombre de déplacements requis pour amener les sept anneaux sur une autre tige ?
– Si au lieu de sept anneaux, on en a n, quel sera alors le plus petit nombre requis pour déplacer les n
anneaux sur une autre tige ? (Ce nombre sera exprimé en fonction de n).

Je vous demande de réfléchir à ce problème avant de lire la suite. Tout d’abord on se demandera si sa résolution
est possible. Une fois cela effectué je conseille de relire l’énoncé et d’essayer de trouver la réponse.

1
2.2 Le problème original (proposé en anglais) : The tower of Brahma
In the great temple of Benares, beneath the dome which marks the center of the world, rests a brass plate
in which are fixed three diamond needles, each a cubit high and as thick as the body of a bee. On one of these
needles, at the creation, God placed sixty-four discs of pure gold, the largest disc resting on the brass plate, and
the others getting smaller and smaller up to the top one. This is the tower of Brahma. Day and night unceasingly
the priests transfer the discs from one diamond needle to another according to the fixed and immutable laws of
Brahma, which require that the priest on duty must not move more than one disc at a time and that he must
place this disc on a needle so that there is no smaller disc below it. When the sixty-four discs shall have been
thus transferred from the needle on which at the creation, God placed them to one of the other needles, tower,
temple, and Brahmans alike will crumble into dust, and with a thunderclap the world will vanish. Do we need
to rush to get our affairs in order ?

3 modélisation du problème des tours de Hanoï


3.1 Première étape
On commence par chercher à déplacer tous les anneaux d’une tour afin de la reconstituer sur une autre tige
et l’on voit que c’est possible.
Si vous le souhaitez, vous pouvez expérimenter le problème en cliquant sur ce lien.
Ou bien regarder le problème en action sur ce lien. On se rend compte après un peu de recherche qu’il est possible
d’arriver au résultat souhaité. Par contre dénombrer les déplacements nécessaires s’avère ardu. Si vous en êtes
à ce stade, relisez le problème et essayez de le résoudre dans l’optique du dénombrement avant de poursuivre la
lecture.

3.2 Deuxième étape


On essaye d’analyser les étapes du déplacement :
On s’aperçoit que l’on va être amené à effectuer deux fois de suite le même type de mouvement.

Etape 1 : je déplace mes six anneaux supérieurs sur une autre tige en respectant les régles.
Cela prend d6 déplacements au minimum.

Etape 2 : je déplace le septième anneau (le plus large) sur la troisième tige.
Cela prend 1 déplacement au minimum.

Etape 3 : je déplace à nouveau les six anneaux en respectant les régles, mais cette fois je les mets sur le septième.
Cela prend d6 déplacements au minimum.

On voit que l’étape 1 et l’étape 3 sont similaires.


Et l’on a

d7 = d6 + 1 + d6

en appelant dn le nombre de déplacements minimum nécessaires pour transférer une tour de n anneaux d’une
tige à l’autre.

Là est l’essentiel : pour résoudre le problème avec sept anneaux il suffit de savoir le résoudre avec
six anneaux.
Ainsi

d7 = 2d6 + 1 ce qui fait penser à . . . une suite définie par . . . récurrence !

Mais comme ce raisonnement ne dépend pas du nombre d’anneaux, on a aussi

d6 = 2d5 + 1 ce qui donne :


d7 = 2d6 + 1 = 2(2d5 + 1) + 1 = 22 d5 + 2 + 1

Mais de même :

d5 = 2d4 + 1 ce qui donne à nouveau :


d7 = 2 d5 + 2 + 1 = 22 (2d4 + 1) + 2 + 1 = 23 d4 + 22 + 2 + 1
2

2
On voit donc que d7 dépend de d6 qui dépend de d5 qui dépend de d4 qui dépend de . . . Il est donc évident que
d7 dépend de d1 et comme

d1 = 1 on a très envie d’écrire sans passer par toutes les étapes :


d7 = 2 + 25 + 24 + 23 + 22 + 21 + 1
6

27 − 1
=
2−1
= 27 − 1
= 127

On a encore très envie d’écrire que : pour tout n ∈ N,


2n − 1
dn = 2n−1 + · · · + 22 + 21 + 1 = = 2n − 1.
2−1
Bien sûr, ce qui apparait comme un simple raccourci pour sept anneaux devient une généralisation pour n
anneaux, puisque l’on prétend que ce qui est vrai pour sept peut l’être pour n’importe quel nombre n. Cette
généralisation a un nom : la démonstration par récurrence.
Mais avant d’étudier la démonstration par récurrence je tiens à rassurer les plus inquiets : la fin du monde
évoquée par le problème des tours de Brahma n’est pas pour demain, puisque :

64 =6 × 10 + 4
donc 264 = 210×6+4 = (210 )6 × 24
donc 264 ≈ (103 )6 × 24 ≈ 16 × 1018 (En effet, 210 = 1024 ≈ 103 )

Et qu’il faut bien reconnaitre (à supposer que les prêtres effectuent un déplacement par seconde) que 1019
secondes représentent beaucoup d’années.

4 La récurrence ou l’escalier des entiers.


Le principe de l’escalier : Si on est capable de passer d’une marche quelconque à celle immédiatement su-
périeure et que l’on se trouve sur une marche particulière, alors on peut atteindre n’importe quelle marche plus
haute.

L’erreur de raisonnement pointé en introduction serait de dire :


« je suis sur une marche d’un escalier donc je peux rejoindre n’importe quelle autre marche » : c’est faux,
puisque l’on n’a pas montré que l’on était capable de passer d’une marche à l’autre.
Par contre si on connaît la possibilité de passer d’une marche à celle immédiatement supérieure, alors cela
devient vrai.

En mathématiques cela s’appelle la démonstration par récurrence :


1. On considère une propriété dépendant d’un entier n que l’on appelle Hn .
2. Si H0 est vraie (c’est à dire si on est sur la première marche).
3. Si on a l’implication logique : Hk vraie implique Hk+1 vraie pour n’importe quel entier k (c’est à dire que
si on est sur une marche quelconque on peut passer à celle immédiatement supérieure).
4. Alors la propriété Hn est vraie pour tout n ∈ N (c’est à dire on peut aller à partir de la première marche
à n’importe quelle marche de l’escalier).

5 Preuve du principe de récurrence


Il existe une délicieuse démonstration de ce principe :
Raisonnons par l’absurde en supposant :
1. Que H0 vraie et que si pour n’importe quel entier k, la propriété Hk est vraie alors Hk+1 est vraie.
2. Que Hn n’est pas vraie pour tout entier n.
Tout d’abord :
Appelons A l’ensemble des entiers pour lesquels Hn est fausse :
A est alors une partie non vide de N.
Or toute partie de N possède un plus petit élément !

3
Nommons alors α le plus petit élément de A.
Ensuite :
Remarquons que si H0 est vraie c’est que 0 ∈ / A.
Ainsi α > 1 et l’on peut donc considérer l’entier α − 1.
Comme α est le plus petit élément de A, cela signifie que α − 1 n’est pas dans A.
Mais cela signifie que Hα−1 est vraie !
Concluons :
Mais l’hypothèse nous dit que si Hα−1 est vraie alors Hα est vraie également !
Ce qui contredit l’appartenance de α à A.
Ainsi les suppositions 1 et 2 de départ sont contradictoires.
Cela signifie que si l’hypothèse 1 est vraie alors on a obligatoirement la négation de l’hypothèse 2, c’est à dire :
la propriété Hn est vraie pour tout entier n.
Nous venons de démontrer que :
1. Si l’on a une propriété dépendant d’un entier n : Hn .
2. Si H0 est vraie.
3. Pour n’importe quel entier k, si on a l’implication logique : Hk vraie implique Hk+1 vraie.
4. Alors la propriété Hn est vraie pour tout n ∈ N.

6 Mise en oeuvre du raisonnement par récurrence


6.1 Résolution du problème des tours de Hanoï

Prouvons par récurrence que l’on peut toujours déplacer une tour d’anneaux :

Soit n ∈ N et soit Hn = {Une tour de n anneaux peut être déplacée}

– Si n = 1 on a un seul anneau et il est évident que l’on peut le déplacer.


– Soit k ∈ N, supposons que Hk soit vraie.
Considérons une tour de k + 1 anneaux.
D’après Hk je déplace une tour de k anneau sur une seule tige (je peux le faire en plusieurs étapes d’après
l’hypothèse de récurrence).
Alors je peux déplacer l’anneau du bas (le (k + 1)-ième).
En appliquant à nouveau l’hypothèse de récurrence je replace ma tour de k anneaux sur l’anneau du bas.
Donc on a bien déplacé une tour de k + 1 anneaux.
Donc Hk+1 est vraie.
– Ainsi nous avons démontré que :
quel que soit n ∈ N, l’assertion Hn = {Une tour de n anneaux peut être déplacée} est vraie.

Nous avons donc bien prouvé par récurrence que l’on peut toujours déplacer une tour d’anneaux.

Prouvons maintenant que le nombre minimal de déplacement est dn = 2n − 1 pour une tour de n anneaux.

Soit n ∈ N et soit Hn = {dn = 2n − 1}

– Si n = 1 on a un seul anneau et il est évident que le nombre minimal de déplacement est 1.


Comme 1 = 21 − 1 l’assertion H1 est vraie.
– Soit k ∈ N, supposons que Hk soit vraie.
Considérons une tour de k + 1 anneaux.
D’après la règle 1, si l’on veut déplacer l’anneau ak+1 il faut avoir déplacé préalablement les anneaux plus
petits et d’après la règle 2 il faut les placer sur une seule tige (afin de pouvoir poser ak+1 ).
D’après Hk supposée vraie il faut un minimum de dk = 2k − 1 déplacement pour cela.
Ensuite il faut déplacer ak+1 sur la tige libre.
Puis il faut remettre les k anneaux sur le k + 1-ième. C’est possible car ils sont tous plus petits que le
(k + 1)-ième. Il faut encore un minimum de dk = 2k + 1 déplacement pour cela car on applique encore
l’hypothèse de récurrence pour le déplacement inverse.
Finalement on a

dk+1 = dk + 1 + dk = 2dk + 1

4
Mais d’après l’hypothèse de récurrence

dk = 2k − 1

Donc
dk+1 = 2dk + 1
= 2 × (2k − 1) + 1
= 2k+1 − 2 + 1
= 2k+1 − 1

Donc Hk + 1 est vraie.


– Ainsi nous avons démontré que quel que soit n ∈ N,
l’assertion Hn = {dn = 2n − 1} est vraie.

Nous avons donc prouvé par récurrence que le nombre minimal de déplacements est 2n − 1 pour une tour de n
anneaux.

N.B. On peut mener les deux démonstrations précédentes simultanément, mais pour une initiation au raison-
nement par récurrence, j’ai préféré bien dissocier les deux raisonnements.

6.2 Exemple d’utilisations en mathématiques


6.2.1 Somme des n premiers entiers
n(n + 1)
Quelque soit n ∈ N∗ , montrons que 1 + 2 + · · · + n = .
2
n(n + 1)
Soit n ∈ N∗ et soit Hn = 1 + 2 + · · · + n =
2
– H1 est vraie puisque 1 = 1
– Soit k un entier naturel non nul, supposons Hk vraie. On a :

1 + 2 + · · · + k + (k + 1) = (1 + 2 + · · · + k) + (k + 1)
k(k + 1)
= + (k + 1)
2
k(k + 1) 2(k + 1)
= +
2 2
(k + 1)(k + 2)
=
2
Donc Hk+1 est vraie.
– Ainsi pour tout entier naturel n non nul, n, Hn est vraie.
La formule est ainsi démontrée par récurrence.

6.2.2 Simplification en cascade


Pn 1 1 1 1 1
Montrons que quelque soit n ∈ N∗, i=1 = + + ··· + =1−
k(k + 1) 1×2 2×3 n × (n + 1) n+1
( n )
X 1 1 1 1 1
Soit n ∈ N ∗ et soit Hn = = + + ··· + =1−
i=1
k(k + 1) 1×2 2×3 n × (n + 1) n+1

1 1 1
– On a = = 1 − donc H1 est vraie.
1×2 2 2
– Soit k un entier naturel non nul, supposons que Hk soit vraie.
1 1 1
On remarque que : = −
(k + 1)(k + 2) k+1 k+2

5
On a
k+1
X 1 1 1 1
= + + ··· +
i=1
k(k + 1) 1×2 2×3 (k + 1) × (k + 2)
 
1 1 1 1
= + + ··· + +
1×2 2×3 k × (k + 1) (k + 1)(k + 2)
 
1 1
= 1− + d’après Hk
k+1 (k + 1)(k + 2)
1 1 1
=1− + −
k+1 k+1 k+2
1
=1−
k+2
– Ainsi pour tout entier naturel n non nul, Hn est vraie.
La formule est bien démontrée par récurrence.

Comme c’est une démonstration facile on pourra rédiger ainsi :


1 1 1
Pour tout i ∈ N, on remarque que = − .
(i)(i + 1) i i+1
Donc pour tout n ∈ N∗ ,
n n  
X 1 X 1 1
= −
i=1
k(k + 1) i=1
i i+1
     
1 1 1 1 1 1 1
= − + − + ··· − + −
1 2 2 3 n−1 n n

Par récurrence évidente, on a :


n
X 1 1
pour tout n ∈ N∗ , =1−
i=1
k(k + 1) n+1

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