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LIVRES OUVERTS

GUIDE PÉDAGOGIQUE
Marie-Hélène Estéoule-Exel et Sophie Regnat Ravier

• Présenter un choix de textes littéraires originaux choisis parmi ceux d’auteurs français et
francophones de tous les lieux et de toutes les époques, plus particulièrement du monde
contemporain.
• Faciliter l’accès au texte littéraire par des thèmes attractifs et variés (la mer, le voyage, la
table, le sport…).
• Offrir des propositions d’activités autour des textes littéraires pour mieux comprendre le
fonctionnement de l’écriture et donc mieux lire les textes.
• Faire connaître les cultures et les civilisations française et francophones.
• Donner à la littérature la place qu’elle mérite dans l’apprentissage de la langue française de
tous les jours.

Telles sont les ambitions de cet ouvrage.


Les textes peuvent être abordés du niveau A2 au niveau C2.

Marie-Hélène Estéoule-Exel, docteur ès lettres, est enseignante au Centre Universitaire


d’études Françaises de l’université Stendhal de Grenoble.
Sophie Regnat Ravier, agrégée de lettres classiques, est enseignante au Centre Universitaire
d’études Françaises de l’université Stendhal de Grenoble.

ISBN 978-2-7061-4554-4 (e-book PDF)


Le Livre de l’élève est disponible au format PDF
sous la référence 978-2-7061-4752-4
ISSN 0297-5718

www.pug.fr

Un Livre de l’élève est également disponible.


La collection ÉCRIT est placée
sous la direction scientifique d’Isabelle Gruca

Lectures d’auteurs (2e éd.). M. Barthe et B. Chovelon, 2014


Livres ouverts. Livre de l’élève. M.-H Estéoule-Exel et S. Regnat Ravier, 2008
Livres ouverts. Guide pédagogique. M.-H. Estéoule-Exel et S. Regnat Ravier, 2008
Le français par les textes A2-B1 (vol. 1). Livre de l’élève. M. Barthe, B. Chovelon et A.-M. Philogone, 2003
Le français par les textes A2-B1 (vol. 1). Corrigés des exercices. M. Barthe, B. Chovelon et A.-M.
Philogone, 2006
Le français par les textes B1-B2 (vol. 2). Livre de l’élève. M. Barthe et B. Chovelon, 2003
Le français par les textes B1-B2 (vol. 2). Corrigés des exercices. M. Barthe et B. Chovelon, 2006

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Conception maquette : Studio Bizart – bizart.design@wanadoo.fr


Mise en pages : Gex Mougin

Tous droits pour tous pays réservés.


© Presses universitaires de Grenoble, février 2008
15, rue de l’Abbé-Vincent – 38600 Fontaine
www.pug.fr

ISBN 978-2-7061-4554-4 (e-book PDF)


L’ouvrage papier est paru sous la référence ISBN 978-2-7061-1430-4

Le Livre de l’élève est disponible au format PDF


sous la référence ISBN 978-2-7061-4752-4

La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou
reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et,
d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation
ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause,
est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit,
constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
CHAPITRE 1

LA LANGUE FRANÇAISE
INVENTEZ DES MOTS !
CLAUDE DUNETON

COMPRENDRE
1) Le suffixe est l’élément situé derrière le radical pour former un mot dérivé.
Par exemple : jeter + -able = jetable, déménager + -ment = déménagement
Le suffixe peut changer la nature grammaticale du mot. Un verbe, selon le suffixe qu’on lui
accole, peut en effet devenir un nom ou un adjectif. On classe donc les suffixes selon qu’ils
peuvent former des noms, des adjectifs, des verbes ou des adverbes.
2) Les suffixes nominaux

Les suffixes adjectivaux

ANALYSER
1) Claude Duneton veut montrer que la fabrication des mots en français obéit à des règles
strictes, et que si l’on connaît ces règles, on peut mieux comprendre le sens des mots.
2) Claude Duneton applique les règles de construction des mots à un mot qui n’existe pas. Il
procède d’une manière très sérieuse, très académique, en inventant même l’origine latine du mot.
L’humour vient du décalage entre le discours et le choix du mot ramince. L’écrivain veut faire
comprendre la règle en amusant.

ÉLOGE DE LA LANGUE FRANÇAISE


JEAN-MARIE GUSTAVE LE CLÉZIO

COMPRENDRE
1) Il ne faut surtout pas apprendre des mots dans le dictionnaire.
2) On ne peut pas choisir sa langue parce que la langue est « une fatalité », « une nécessité
absolue ». La langue maternelle fait partie du corps, des sens, des sensations. Les mots sont
vivants alors que dans un dictionnaire, ils sont morts. Les sons des mots sont même présents par
les sons produits dans le corps de celui qui les prononce.
3) Jean-Marie Le Clézio n’aime pas les valeurs de puissance et d’arrogance que la langue
française peut porter.
4) La langue française doit être la langue de la liberté et de l’espoir, le lieu de protection et
d’asile pour ceux que menace l’industrialisation. Elle est aussi le lieu de mémoire.
5) Jean-Marie Le Clézio parle de la France qui doit rester une terre d’accueil, fidèle à ses valeurs
de liberté et de fraternité.

ANALYSER
1) Il y a deux phrases avec la même structure (« J’ai longtemps cru qu’on avait le choix de sa
langue » qui a un écho presque brutal dans « Puis, j’ai compris que je me trompais. On n’a pas le
choix de sa langue ») qui encadrent trois phrases exprimant le rêve de Jean-Marie Le Clézio (le
mot est repris trois fois) : apprendre à sa façon d’autres langues que le français. Dans les deux
paragraphes suivants, l’auteur exprime l’impression de plénitude que lui apporte la langue
française. Dans le premier paragraphe, on trouve plusieurs fois le mot « langue », puis une suite
de mots concrets puis abstraits (« la chair », « l’amour »), et enfin une répétition de la
construction « ce que ». La langue maternelle recouvre tout. Le paragraphe suivant reprend une
suite de mots adjectifs ou substantifs. On peut remarquer le jeu des allitérations de « du jour, du
jouir, de la jubilation […] jouant », puis la chute du paragraphe sur le mot mort. Encore une fois,
la langue remplit le corps et la vie de celui qui la parle.
2) Il n’y a qu’un verbe introducteur « je voudrais tant ». Toutes les propositions subordonnées
conjonctives, très longues, deviennent des exclamations ou des prières, ce qui donne plus de
force à tout le paragraphe.
3) La conclusion commence par une référence à la mort « une langue meurt » et se termine par
une référence à la vie ou plutôt au fait d’échapper à la mort (« survivre »). Les deux autres
phrases sont construites en parallèle entre « langues vieilles » et « langue […] si jeune ». Cette
construction donne une impression dramatique à la conclusion. Il s’agit bien d’une question de
vie et de mort. Jean-Marie Le Clézio utilise une métonymie : en parlant de la langue, il parle de
la France qui doit rester fidèle à ses idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité.

POURQUOI J’ÉCRIS
HENRI LOPÈS

COMPRENDRE
1) L’Afrique est le lieu de l’origine de l’Homme. La littérature africaine n’est écrite que depuis le
XXe siècle, auparavant, elle était essentiellement orale.

2) Henri Lopès va écrire sur l’Afrique, pas l’Afrique des voyageurs, celle de son paysage
intérieur, de son imagination, celle qui peut « transfigurer la réalité ».
3) La littérature, et donc les écrivains et les poètes, n’ont pas de pays. Leur art est universel.
4) N’être ni blanc ni noir, c’est n’appartenir à aucune des deux communautés et donc être dans la
solitude.
5) Il manipule les mots, cherche en quoi ils sont faits, il les épluche, dissèque leur chair, joue
avec, les palpe.
6) En général, on prie pour se racheter. Henri Lopès exprime le caractère sacré de l’écriture qui
pourrait lui permettre d’être sauvé.

ANALYSER
On peut distinguer quatre parties dans ce texte.
1) – Première partie : de « J’écris parce que je suis Africain » à « d’un pays métis ». L’écrivain
africain : un passé, un monde intérieur, un lieu de rencontre de toutes les littératures.
– Deuxième partie : de « J’écris pour décharger dans les mots mon envie » à « pour me soigner
». Être l’écrivain de l’amour, du désir, des émotions jusqu’à la folie.
– Troisième partie : de « J’écris parce que je ne sais pas » à « pour me comprendre ». Être
l’écrivain de l’apprentissage, de la connaissance.
– Conclusion : atteindre le sacré qui permet à l’écrivain d’être sauvé.
2) Il s’agit d’une écriture anaphorique où les mêmes mots se répètent en début de phrase. Cela
donne une impression de litanie, de prière. Il explorera tous les lieux d’écriture dans le monde et
en lui pour arriver à l’essentiel… le rachat de l’homme par l’écriture.
DANS LA GUEULE DU LOUP
KATEB YACINE

COMPRENDRE
1) Toute la famille de Kateb Yacine parle arabe, son père est un lettré et écrit des poèmes en
arabe, avec l’aide de sa mère.
2) Kateb Yacine va à l’école coranique où il apprend le Coran par cœur, en arabe.
3) Le français est la langue du colonisateur de l’Algérie. Le père est sûr que pour avoir un avenir,
il faut parler la langue française.
4) Kateb Yacine pense que la connaissance de la langue française va l’éloigner de sa langue
maternelle, l’arabe.
5) Le petit garçon est amoureux de sa charmante institutrice.
6) La mère veut partager, d’une manière un peu naïve, cette partie de la vie de son fils.
7) La langue arabe n’est plus la langue de communication entre la mère et le fils, et la complicité
entre les deux disparaît. L’écrivain comprend qu’en parlant en français il s’est éloigné pour
toujours de sa mère et de sa langue maternelle. Il utilise même le verbe perdre.

ANALYSER
1) L’écrivain emploie une métaphore aquatique, il se compare d’abord à un poisson puis à un
têtard (le petit de la grenouille, qui n’a pas encore de pattes). Il part de l’expression idiomatique
heureux comme un poisson dans l’eau, puis il file (il prolonge) la métaphore.
2) L’introduction est à l’imparfait, le temps du récit, puis Kateb Yacine introduit le présent pour
rendre le souvenir plus vivant. (« Et je la vois encore ») ou pour intervenir directement («
j’enrage à présent »). C’est pourquoi, il transcrit les paroles de sa mère au discours direct.
L’écrivain emploie également le futur qui marque ici à quel point le poète se retrouve dans son
souvenir de la scène. La phrase : « Ainsi se refermera le piège des Temps Modernes sur mes
frêles racines » marque ici un avenir certain comme une fatalité.
Le plus-que-parfait de la dernière phrase marque le fait définitivement passé par rapport au
présent.

DÉFENDRE TOUTES LES LANGUES


ÉDOUARD GLISSANT

COMPRENDRE
1) Édouard Glissant va expliquer que, même s’il écrit en français, sa langue est traversée par les
autres langues et la culture qu’elle porte. Car la langue ne se réduit pas à la présence des mots sur
la page blanche.
2) Il y a plusieurs raisons : certaines langues disparaissent là où il existe une langue nationale
plus répandue, d’autres parce qu’elles ne se renouvellent pas, d’autres encore car ceux qui la
parlent, peu nombreux, disparaissent.
3) Pour Édouard Glissant la langue (« dont on use ») sert à la communication et a donc tendance
à se standardiser, tandis que le langage est « le rapport aux mots qu’on construit en matière de
littérature et de poésie ».
4) En devenant une langue universelle standardisée, appelée « l’anglo-américain », simple langue
de communication, la langue anglaise perdrait « ses obscurités, ses faiblesses, ses triomphes, ses
élans, ses vigueurs, ses reculs et ses diversités elle […] cesserait d’être vivante et deviendrait une
sorte de code international, un espéranto. »
5) Un écrivain se construit non seulement dans sa langue mais aussi dans son propre langage de
créateur et d’artiste. Il construit son œuvre unique en relation avec les autres langues et donc les
autres cultures, et c’est à l’intérieur de son écriture que l’on peut retrouver la présence de la «
Poétique de la relation » telle que définie par Édouard Glissant.

ANALYSER
1) La phrase d’introduction est provocatrice. Le lecteur est devant une énigme qui l’encourage à
continuer sa lecture.
2) Des langues meurent alors que leur présence existe en chacun de nous, même si nous ne les
connaissons pas. Il faut donc les défendre contre la standardisation qui leur enlève toute vie,
comme on le constate déjà pour l’anglo-américain. Cette relation entre les langues n’est pas un
mélange mais un échange qui permet une meilleure relation avec le monde de tous les humains :
c’est le chaos-monde.
3) Le présent de l’indicatif établit un constat (« je ne peux plus écrire de manière monolingue »),
le futur de l’indicatif (« Je résumerai ceci ») apparaît comme une forme de discours académique
au service de la démonstration. La phrase hypothétique utilise l’imparfait et le conditionnel
présent dans la forme de l’irréel du présent pour exprimer le fait qu’il est encore possible et
urgent de défendre les langues du monde. L’impératif final insiste sur la nécessité impérieuse de
défendre les langues.
4) Édouard Glissant se place d’abord à la première personne comme sujet d’analyse et de
réflexion (« je parle et surtout j’écris », « je ne peux plus écrire », « Je résumerai », « je dis que
», « Je serais inquiet »). Puis, étendant l’expérience, il englobe le lecteur et tous les humains («
nous savons que nous écrivons »). Le « répétons-le » final à la première personne du pluriel
donne la parole, dans une sorte de nous de majesté, à Édouard Glissant, à son lecteur et à tous les
défenseurs des langues. Le « on » représente le constat mais aussi l’évidence (« c’est par cette
défense qu’on s’oppose à la standardisation »).
CHAPITRE 2

L’AMOUR
L’AMANT
MARGUERITE DURAS

COMPRENDRE
1) Les deux jeunes gens se rencontrent sur le bac qui traverse le fleuve.
2) La jeune fille est la fille d’une institutrice. Le jeune homme revient de Paris où il fait ses
études, tous les deux habitent à Sadec. Il est riche, il a une limousine, il fume des cigarettes
anglaises, il habite dans une grande maison aux balustrades de céramique bleue. Elle est blanche,
lui est chinois de la Chine du Nord.

ANALYSER
1) Les jeunes gens ne sont décrits que par certains éléments. Lui : il est élégant, il fume des
cigarettes anglaises, sa main tremble. Elle : elle porte un feutre d’homme et des chaussures
dorées, elle est belle d’après le jeune homme. C’est ainsi que l’on se souvient des personnes.
2) Marguerite Duras utilise le style indirect et le style indirect libre « Elle lui dit qu’elle ne fume
pas, non merci ». Cela donne plus de réalisme à la scène.
3) On trouve souvent les éléments suivant : la rencontre a lieu sur l’eau (Tristan et Yseult, le film
Titanic). Il y a souvent la transgression d’un tabou (dans Roméo et Juliette et West Side Story, il
s’agit de deux familles ennemies, dans Tristan et Iseult, Tristan aime la femme aimée par le roi
Marc), etc.
4) Le vocabulaire est très simple. Les phrases sont courtes, elliptiques, traduisant la timidité du
jeune homme, sa peur. Marguerite Duras choisit de décrire une rencontre intemporelle,
universelle. Le « je » a disparu.

COMPLAINTE AMOUREUSE
ALPHONSE ALLAIS

COMPRENDRE
X rencontre Y et tombe amoureux au premier regard, il avoue naïvement son amour mais elle ne
lui répond pas, méprisante. Amoureux fou et désespéré, il s’entête, et son amour grandit encore,
il l’idolâtre. Le silence de l’aimée le fait mourir d’amour.

ANALYSER
Voir, plaire, prendre, s’apercevoir, voir, plaire, dire, se taire, aimer, désespérer, opiniâtrer,
idolâtrer, assassiner.
que je vous ai vue/vous m’avez plu/qu’en vos yeux j’ai pris/vous vous êtes aperçue/que je vous
voie/que vous me plaisiez/que je vous le dise/que vous vous taisiez/que je vous aime/que vous
me désespériez/que je m’opiniâtre/que je vous idolâtre/que vous m’assassiniez.

POUR ALLER PLUS LOIN


L’imparfait du subjonctif ne s’emploie plus qu’à l’écrit. On ne le trouve jamais à l’oral. Pourtant,
les temps devraient obéir aux règles de concordance.
En théorie, lorsque la principale est à l’imparfait, au passé ou au conditionnel, il faut alors utiliser
soit l’imparfait soit le plus-que-parfait du subjonctif.
– il fallait qu’il te parlât gentiment.
– il fallait qu’il t’eût parlé gentiment.
– il faudrait qu’il te parlât gentiment.
– il faudrait qu’il t’eût parlé gentiment.
Les phrases ci-dessus sont grammaticalement exactes mais personne ne s’exprime plus comme
cela. Selon le dictionnaire Littré : « il est non seulement permis de mettre le présent du
subjonctif, mais la plupart du temps, cela vaut mieux que l’imparfait et est moins apprêté et
moins puriste ». L’usage préfère ne pas respecter la concordance des temps, et l’on dit :
– il fallait qu’il te parle gentiment.
– il fallait qu’il t’ait parlé gentiment.
– il faudrait qu’il te parle gentiment.
– il faudrait qu’il t’ait parlé gentiment.
À l’écrit, on retrouve cependant encore l’emploi du subjonctif imparfait à toutes les personnes
pour les auxiliaires avoir et être et seulement à la troisième personne du singulier pour les autres
verbes.
– Il avait parlé ainsi pour que nous eussions envie de réagir.
(avoir, toutes les personnes)
– Il vous a parlé/parla pour que vous fussiez rapidement prêts à réagir.
(être, toutes les personnes)
– Je lui ai parlé/parlai pour qu’il sût quoi faire.
(autres, troisième personne du singulier uniquement)
Pour les autres personnes, on préfère finalement changer la phrase afin de ne pas l’alourdir : cela
correspond à l’exercice d’écriture.
– Il désirait que vous l’aimassiez au premier rendez-vous.
(correct mais personne ne l’écrit).

JE SUIS CONTRE L’AMOUR


RÉJEAN DUCHARME

COMPRENDRE
1) Béatrice Einberg déteste l’amour, elle veut aimer sans aimer et donc imaginer un nouveau lien
amoureux qui ne la fera pas souffrir.
2) Béatrice Einberg décrit une rencontre amoureuse de roman à l’eau de rose ou de roman de
gare : de mauvais romans. La rencontre amoureuse est grotesque, les amoureux sont ridicules.

ANALYSER
On peut distinguer trois parties dans ce texte.
1) Première partie : utilisation des définitions du dictionnaire des synonymes. De mot en mot,
l’auteur en arrive à dire le contraire du premier mot : « Aimer veut dire […] souffrir. »
Deuxième partie : aimer sans souffrir. Réjean Ducharme utilise des phrases courtes, les verbes
sont au futur simple qui marque la volonté forte de l’héroïne. Le futur simple est catégorique,
non hypothétique. Il évoque l’avenir conçu au moment de l’énonciation. Tout le paragraphe est
marqué par la négation : « aucun », « sans » (quatre fois).
Troisième partie : description cinématographique. Réjean Ducharme décrit une scène de
rencontre de série télévisée à l’eau de rose ou de mauvais film d’amour. Dans les films les deux
héros sont d’un côté et de l’autre de l’écran et ils s’élancent l’un vers l’autre, au ralenti sur une
musique mélodramatique.
4) « Je te l’aime. Tu me l’aimes » : Réjean Ducharme imite les phrases que se disent, que
s’inventent les amoureux et qui sont parfaitement ridicules pour d’autres personnes que les
amoureux eux-mêmes. Le paragraphe est encadré par deux phrases de mépris, définitives : « Les
histoires d’amour me fatiguent », « Il ne faut pas se laisser aller à aimer. C’est comme se laisser
aller. » On peut remarquer aussi qu’à la fin de la dernière phrase, le verbe aimer disparaît.

ROMÉO & JULIETTE


OLIVIER CADIOT

COMPRENDRE
1) C’est un coup de foudre. Roméo et Juliette ne se connaissent pas, mais ils se reconnaissent.
2) Juliette parle la première : elle exprime son espoir, ses doutes et puis son bonheur.
3) Les éléments fréquents d’une rencontre amoureuse sont : la rencontre, le bonheur d’être
ensemble, la confusion des sentiments, le regard des autres.
4) On peut penser à Tristan et Yseult (« vaillant guerrier »), à Roméo et Juliette de Shakespeare,
(« o april night how fair and bright »), aux contes de fées (« le champion sur le cheval, le dragon
est mort »).

ANALYSER
1) On peut noter trois moments : la reconnaissance et ses interrogations, la confirmation, la
confusion des sentiments, les témoins du coup de foudre.
2) Les phrases « je souhaite qu’il vienne je doute qu’il réussisse » expriment les sentiments
confus de Juliette. Les mots sont insuffisants ; c’est pourquoi les amoureux se répètent, l’émotion
dépasse les paroles, la passion n’a pas assez de mots pour s’exprimer. Le dernier paragraphe
décrit également toutes les hésitations, mais en même temps la construction en chiasme montre à
quel point les sentiments des héros sont « tissés » les uns dans les autres. Le dernier vers montre
l’apaisement et l’universalité de la passion amoureuse : « c’est bien c’est comme ça exactement
encore ».
3) Les noms propres n’ont pas de majuscules car ils deviennent des noms communs. Roméo et
juliette représentent tous les amoureux et la scène représente toutes les rencontres amoureuses de
tous temps.
4) Les vers sont libres, sans majuscules ni ponctuation donnant une sorte de délire verbal d’une
grande confusion.

CONTE DE FÉES
ROBERT DESNOS

COMPRENDRE
Le conte de fées est une histoire merveilleuse imaginaire.

ANALYSER
On trouve plusieurs éléments toujours présents dans les contes :
– expressions du conte « il était une fois », « un homme, une femme qui, etc. » ;
– le temps des verbes est l’imparfait, le temps du récit intemporel ;
– la structure du conte est respectée. On trouve une situation initiale et une situation finale.
Le poème est un poème sur la fatalité et la rareté de l’amour. La structure du texte est en sablier :
quatre vers pour exprimer une règle générale, deux vers expriment la fatalité de l’amour non
partagé et un seul vers exprime l’émerveillement de l’amour partagé marqué aussi par le
pronominal « s’aimaient ».

LE VERBE AIMER
CLAUDE ROY

COMPRENDRE
1) Claude Roy veut illustrer la difficulté d’exprimer et de comprendre l’amour avec un seul mot.
2) Claude Roy explique que « L’amour a peur des mots » : on ne peut exprimer l’amour qu’en le
disant. Mais en le disant celui ou celle qui le dit, et celui ou celle qui l’entend, ne savent pas
exactement ce que cela signifie. Le mot amour a des sens très différents et même parfois
absolument contraires.
3) Il faut beaucoup de courage pour dire je t’aime car on ne sait jamais dans quel sens ces mots
seront compris.
4) C’est une expression familière : avouer à quelqu’un qu’on l’aime est une source de problèmes.

ANALYSER
1) On peut distinguer trois parties dans ce texte.
– Introduction : il est difficile d’exprimer l’amour, et il est difficile de comprendre l’expression
de l’amour.
– Première partie : les Eskimos ont plusieurs façons de nommer la neige. Pourtant il n’y a qu’un
seul mot pour désigner l’amour. Les langues européennes posent déjà entre elles des problèmes
de traduction mais le « je vous aime » peut vouloir dire beaucoup de choses parfois opposées.
– Conclusion : parfois, le verbe aimer veut dire aimer mais c’est si rare qu’il vaut mieux de ne
pas exprimer l’amour pour ne pas avoir de problèmes.
2) Claude Roy utilise les traductions littérales des langues européennes puis des phrases de
même structure à partir de « […] je vous aime peut vouloir dire » : « je désire », « j’ai besoin », «
j’ai envie ». La répétition des pronoms personnels de la première personne montre que l’amour
est un sentiment égoïste. Une autre structure apparaît à partir de « je vous aime prend aussi le
sens de » : ici, c’est une affirmation des relations cruelles qui existent dans l’amour.
3) Le passage du « vous » au « tu » vient après l’évocation de la souffrance que l’on peut donner
et recevoir quand on aime et est aimé. Cette situation d’une grande cruauté et brutalité est plus
marquée par l’intimité et l’absence de distance du « tu ».
4) Il s’agit d’une phrase courte comme une définition de dictionnaire, mais une définition
fabriquée, familière et même vulgaire. Elle marque la brutalité et la cruauté des rapports
amoureux.

JE-T-AIME EST SANS EMPLOIS


ROLAND BARTHES

COMPRENDRE
1) Il est impossible de détacher les trois éléments de la phrase. Je-te-aimer ne peuvent exister
séparément. Cette expression indissociable représente les deux personnes qui s’aiment et leur
amour.
2) Il s’agit d’une tentative de définir la phrase « je t’aime ».

ANALYSER
1) On peut distinguer deux parties dans ce texte.
– Première partie : le deuxième paragraphe est une suite de définitions négatives (« sans emplois,
sans nuances, sans ailleurs, n’est pas une phrase, hors dictionnaire »).
– Deuxième partie : dans le troisième paragraphe, la phrase « je t’aime » n’existe que quand elle
est prononcée, c’est à ce moment seulement qu’elle a une valeur et qu’elle donne du bonheur.
Roland Barthes met en avant le mot « jeté » au milieu du paragraphe en l’écrivant en italique
comme le mot-phrase « Je-t-aime ».
2) Roland Barthes emploie le vocabulaire savant de la linguistique pour tenter de définir
scientifiquement l’expression qui ne peut pas être analysée. Il introduit ce paragraphe par une
question qui renforce encore l’idée d’une recherche scientifique de définition.
3) « La jouissance ne se dit pas ; mais elle parle et elle dit je-t-aime. » Il s’agit d’une phrase en
trois éléments, composés de la même façon : sujet + verbe. Roland Barthes termine le texte d’une
façon sobre par la phrase-mot dite sans italique. C’est ainsi que la phrase existe sans pouvoir et
sans avoir besoin d’être définie.

POUR ALLER PLUS LOIN


Ce texte montre l’écriture spécifique de Roland Barthes dans sa syntaxe et sa ponctuation. Il
utilise des parenthèses, des tirets, des barres, deux points. On peut observer aussi le travail sur
l’énonciation avec des interventions de la première personne. La forme peut être celle de
l’aphorisme, du fragment. Il s’agit d’un discours d’idées mis en scène par son texte. Le choix du
fragment évite la synthèse et la conclusion formant ainsi un discours ouvert.
L’auteur Philippe Sollers a écrit : « Ai-je dit que Roland Barthes avait inventé l’écriture-
séquence, le montage flexible, bloc de prose à l’état fluide, la classification musicale, l’utopie
vibrante du détail? »
CHAPITRE 3

LA FEMME
CE QUE JE VIS D’ABORD, MOI, CE
FURENT SES PIEDS
MARIE-THÉRÈSE HUMBERT

COMPRENDRE
1) Le narrateur est la petite fille devenue adulte.
2) Cette scène se situe dans une île de l’Océan Indien (« la varangue », en « créole »).
3) Lydie est la future employée de maison appelée aussi bonne. Elle se présente pour être
engagée, après l’emménagement de la famille de la narratrice dans une nouvelle maison.
4) La petite fille croit être très malade et affaiblie par le chagrin d’avoir quitté sa maison. En
réalité, son appétit, sa gourmandise même, montrent qu’elle va bien.

ANALYSER
1) Le portrait commence par le bas : les pieds.
2) Les pieds de Lydie produisent sur la petite fille une impression de beauté et de force,
d’assurance (« Carrés », « trapus », « solides », « sans honte », « soudains », « rouge », « si
assurés de leur bon droit à être là », « une telle impression de force », « celles qu’ils portaient »).
Cette assurance est communicative, et la petite fille, qui croit dépérir depuis son déménagement,
« en est réconfortée ».
Cette affirmation de soi est confirmée par les paroles de la future bonne qui s’exprime au futur de
l’indicatif, empêchant ainsi en quelque sorte toute contestation possible de son futur état de
bonne.
3) Le récit est à la première personne, et le portrait suit le regard de l’enfant, s’attache aux détails
qui frappent la petite fille : d’abord les pieds, beaux et forts, le vernis rouge, puis la voix de la
bonne et enfin la bonne elle-même.
4) L’admiration que la petite fille éprouve pour ces pieds donne lieu à un éloge assez inhabituel
pour cette partie du corps (emploi d’un vocabulaire amoureux : « la seule vue de ses pieds […]
m’avait conquise », avec un effet de contraste amusant).

ÉCRIRE
Suite du texte de Marie-Thérèse Humbert
« […] Une belle fille bien charpentée. Un visage large et ouvert couronné d’une abondante
chevelure frisée. De grands yeux noisette. Le nez, plutôt mutin, s’ornait de taches de rousseur du
plus bel effet. La robe était à grosses fleurs rouges, la jeune personne qui la portait tenait à la
main un gros sac, visiblement bourré de ses effets, et de l’autre ses sandales, qu’elle avait sans
doute ôtées pour pénétrer dans la maison, soit par déférence, soit pour éviter de salir. Si nous ne
l’avions pas entendue venir, c’était à cause de ses pieds nus.
Et elle se tenait gravement là, dans l’encadrement de la porte. Tranquille, confiante. Ma
mère, plus tard, dirait souvent d’elle : « Cette fille-là, c’était une forteresse. Si nous avons
survécu à l’époque où René allait si mal, c’est beaucoup grâce à elle. »

CETTE ADORABLE PERSONNE, C’EST TOI


GUILLAUME APOLLINAIRE

COMPRENDRE
1) Le poème forme un dessin qui représente le buste d’une femme.

ANALYSER
1) « adorable », « exquis », « adoré ». L’impression qui se dégage est celle de plaisir et de
bonheur extrême suscités par l’image de la femme aimée.
2) Les mots sont disposés à l’endroit du corps qu’ils désignent.

POUR ALLER PLUS LOIN


Vous pouvez trouver d’autres calligrammes dans les œuvres suivantes :
• François Rabelais, « La dive bouteille », Pantagruel, Livre V (XVIe siècle).
• Guillaume Apollinaire, Calligrammes.
• Evelyne Wilwerth, Le livre des amusettes.
• Vous pouvez lire aussi un calligramme représentant un match de football dans le Livre de
l’élève, c’est un texte de Roland Dubillard, Livre à vendre, page 185.

FEMME NOIRE
LÉOPOLD SEDAR SENGHOR

COMPRENDRE
1) Le premier vers de chaque strophe est identique pour la première partie du vers : « Femme nue
». Dans la deuxième partie, on observe une alternance « femme noire »/« femme obscure ».
2) « Vêtue » souligne ici la nudité de la femme : le vêtement de la femme, c’est sa couleur et sa
beauté.
3) Vers 4 : « Et voilà qu’au cœur de l’Été ». Ce changement est la découverte par le poète de la
beauté de la femme.
4) Ta bouche (sa beauté, sa sensualité) inspire le chant qui sort de ma bouche.
5) Ces mots se rapportent à la femme noire.
6) Les éléments de ce texte qui évoquent l’Afrique sont la couleur noire et les mots « savane », «
tamtam », « des princes du Mali », « gazelle ».

ANALYSER
1) L’ombre : « ton ombre […] bandait mes yeux ». Cette ombre porte une douceur, une fraîcheur
qui contraste avec la lumière présente dans les deux derniers vers : « Et voilà qu’au cœur de l’Été
et de Midi, je te découvre », « foudroie », « l’éclair ». Le poète souligne ainsi le changement
survenu dans l’image de la femme : l’enfant ne voit d’abord en elle que la mère protectrice et
douce. La découverte de sa beauté et l’éveil du désir sont ressentis comme une brûlure violente
(elle est la Terre promise pour celui qui marche dans le désert : « du haut d’un haut col calciné
»), que viendront apaiser les caresses de la femme (troisième strophe).
2) « Fruit mûr à la chair ferme », « vin noir », « savane aux horizons purs, savane qui frémis », «
tamtam sculpté » : ces images font appel à différents sens, le goût, le toucher, l’ouïe, la vue. Elles
soulignent la sensualité de la femme dans le rapport amoureux.
3) « les perles sont étoiles » (vers 22), « les reflets de l’or rouge […] qui se moire » (vers 24), «
s’éclaire […] soleils prochains (vers 26) ».
Les mots choisis soulignent les connotations positives de la couleur noire, qui s’opposent à la
charge négative habituellement liée au noir dans la culture française. Ils évoquent le chatoiement,
la luminosité du corps féminin noir. Il y a une mise en valeur de la couleur noire.
4) La quatrième strophe évoque le thème traditionnel de la fuite du temps, qui voue la beauté de
la femme à sa destruction. Mais le poète, en célébrant la beauté de la femme, peut lui donner
l’Éternité. Elle ne sera pas oubliée.
Le poème se termine sur une image de vie, car les cendres du corps mort servent à « nourrir les
racines de la vie ». Les premiers et derniers vers se rejoignent (vers 2 : « ta couleur qui est vie »,
vers 3 : l’image de l’enfance), formant une boucle qui peut évoquer le cycle de la vie.
5) La couleur noire est mise en valeur :
– par le titre ;
– par la reprise de ce titre avec des variations ;
– par le rapprochement entre la beauté et la nudité (« femme nue, femme noire ») ; la femme
noire est belle en elle-même, elle n’a pas besoin d’autres parures que sa forme et sa couleur ;
– par l’évocation contrastée et inhabituelle de la couleur noire (voir réponse 3 d’Analyser).

POUR ALLER PLUS LOIN


• Sur le mouvement de la négritude, vous pouvez lire le texte d’Henri Lopès, et LE POINT
SUR… la négritude dans le Livre de l’élève page 17.
• D’autres poèmes de Léopold Sedar Senghor sur la beauté de la femme noire : Nuit de Sine,
To a dark girl.
LA COURBE DE TES YEUX
PAUL ÉLUARD

COMPRENDRE
1) Le poète s’adresse à la femme qu’il aime.
2) « tes yeux » (vers 1), « tes yeux », « vu » (vers 5), « tes yeux purs » (vers 14), « leurs regards
» (vers 15) : ces termes encadrent le poème.

ANALYSER
1) Le premier vers évoque les yeux puis le cœur, le dernier le sang (et donc en même temps le
cœur) puis les yeux. Le poème est donc encadré par ces vers formant une boucle, puisque le
poème se termine sur l’image par laquelle il commence.
2) Le poème est construit comme un cercle, ce qui peut s’expliquer par la forme arrondie des
yeux (voir le titre).
a. « courbe » (vers 1), « rond » (vers 2), « Auréole », « berceau » (vers 3), « Feuilles » (vers 6), «
Roseaux » (vers 7), « Ailes » (vers 8), « Bateaux » (vers 9), « couvée » (vers 11).
b. Le temps est perçu comme cyclique plutôt que linéaire. Le poème souligne la perpétuelle
renaissance (« Auréole du temps », « berceau nocturne », « Feuilles du jour », « mousse de rosée
», « couvée d’aurores »).
3) Les images employées convoquent la nature (« feuilles », « rosée », « roseaux »), le monde et
ses différents éléments (« Bateaux […] de la mer », « du ciel », « du vent », « de lumière »), le
cosmos (« la paille des astres »). Le temps et l’espace s’élargissent à l’infini.
4) « berceau », « éclos », « couvée d’aurores »
Les yeux de la femme, et, par eux, la femme aimée, participent à la création du monde (vers 3,
vers 6 à 12, vers 14). Elle fait naître la vie, et celle du poète (vers 4 et 5, vers 15).

ÉCRIRE
On peut aussi proposer aux étudiants un collage (de Jacques Prévert par exemple), leur suggérer
la première phrase, et leur demander d’écrire le portrait du personnage ou d’une partie de son
corps et éventuellement son histoire.

UNE SI LONGUE LETTRE


MARIAMA BÂ

COMPRENDRE
1) Ramatoulaye est choquée par cette demande en mariage qui est formulée comme une
obligation. Elle conteste le fait que ses sentiments ne soient pas pris en compte.
2) Tamsir souhaite ce mariage pour des raisons essentiellement financières : Ramatoulaye est une
chance pour lui parce qu’elle est dans une situation aisée et stable (« l’oasis convoitée », « pas de
charges supplémentaires », « le luxe », « l’abondance »), et Tamsir a besoin du revenu de ses
femmes. Le mariage avec Ramatoulaye représente la possibilité d’une promotion sociale.
3) La mort de Modou est trop proche, elle veut vivre avec un homme qu’elle aime et qu’elle a
choisi. Elle décrit et critique la polygamie.

ANALYSER
1) « Je ne serai jamais le complément […] Ma maison ne sera jamais pour toi » : le futur indique
ici le refus catégorique de Ramatoulaye quant à l’avenir qu’on veut lui imposer, c’est le futur tel
que Ramatoulaye le voit.
« tous les jours, je serai de tour ; tu seras ici dans la propreté et le luxe, dans l’abondance et le
calme » : il s’agit du futur tel que Tamsir le voit. Ramatoulaye utilise ici l’indicatif pour imiter le
discours de Tamsir : il est sûr d’épouser Ramatoulaye et ne se soucie pas de son consentement.
Cette assurance se traduit par l’emploi de l’indicatif, présent ou futur, qui nie toute possibilité de
contestation à son interlocutrice.
2) Elle se manifeste physiquement :
– par son regard. Elle regarde successivement les trois hommes présents en face d’elle au lieu de
baisser les yeux (voir la répétition du verbe regarder) ;
– par la voix qui éclate avec violence (voir l’opposition avec les mots brimades, silence).
Elle se manifeste aussi verbalement :
– elle emploie des phrases exclamatives, qui traduisent l’indignation ;
– Ramatoulaye reprend à Tamsir l’emploi de l’indicatif, et signifie ainsi, avec une même
assurance, son refus de ce mariage : « je ne serai jamais », « [tes rêves] ont duré quarante jours ».
Elle emploie l’impératif : c’est elle qui reprend la direction de sa vie : « vomis tes rêves ». (Voir
aussi la réponse 1 d’Analyser pour l’opposition des deux futurs de l’indicatif) ;
– on voit aussi des jeux d’opposition dans l’emploi du lexique pour souligner l’indignité de
l’attitude de Tamsir : « un foyer neuf » s’oppose à « le cadavre chaud ».
3) Pour Tamsir
– le mariage : « ma chance », « ton calcul », « une promotion » ;
– la conception du rôle de la femme : « hériter de la femme », « un objet que l’on se passe de
main en main », « en seigneur vénéré », « le complément de ta collection », « l’oasis convoitée »,
« je serai de tour », « conquérant ».
Il conçoit la femme comme un objet d’échange, de possession, une source de revenus. Sa
soumission semble évidente.
Pour Ramatoulaye
– le mariage : « un acte de foi et d’amour […] choisi. » (Le mot est répété trois fois).
Elle souligne l’importance du sentiment et de l’engagement, totalement absents de la conception
de Tamsir.
POUR ALLER PLUS LOIN
• Les numéros 117 et 118 et la revue Notre Librairie, consacrés aux Nouvelles écritures
féminines.
• Aminata Sow Fall, La grève des battù (1979).
• Werewere Liking, Elle sera de jaspe et de corail (1983).
• Calixthe Beyala, Tu t’appelleras Tanga (1988).

C’EST CELA, SA MÈRE. RIEN QUE CELA.


MAÏSSA BEY

COMPRENDRE
1) La mère est essentiellement la mère nourricière.
2) L’odorat est privilégié : répétition du mot « odeur », « parfums », « aigre », « coriandre », «
parfumant », « tenace » et « écœurante ».
3) Cette image reprend et amplifie l’image de la mère nourricière : la nourriture qu’elle distribue
est une manière de manifester son amour parce qu’elle ne peut le dire autrement. Elle aime
comme elle nourrit… en abondance.

ANALYSER
1) L’auteur emploie des phrases nominales et brèves. Elles donnent une impression
d’immédiateté de la sensation. Il écrit de manière très sensitive.
2) La reprise du mot odeur(s) rythme le texte comme un poème. En quelques touches, l’auteur
évoque un univers olfactif qui dit la vie avec sa mère.
Ces répétitions traduisent à la fois l’effort pour tenter de définir sa mère, définition tendre et
affective, et la prise de conscience que la vie de sa mère s’est réduite à « rien que cela ».

UNE MAUDITE VIE PLATE !


MICHEL TREMBLAY

COMPRENDRE
1) Cette langue est familière, populaire avec de nombreuses marques de français oral. Le
vocabulaire et les tournures syntaxiques ne sont pas celles du français classique.
2) Marie-Ange Brouillette est jalouse de la chance de Germaine Lauzon.
3) La jalousie se transforme en un sentiment de hargne contre Germaine Lauzon et en un
ressentiment contre la vie trop pauvre et ennuyeuse. La chance de Germaine Lauzon fait ressortir
plus cruellement la platitude de la vie quotidienne. L’exaspération s’accroît sous l’effet de
l’imagination : Marie-Ange Brouillette croit voir le comportement à venir de sa voisine.

ANALYSER
1) Les phrases sont exclamatives. Elles soulignent l’intensité de l’émotion, ici l’indignation et la
colère.
2) La colère de Marie-Ange Brouillette se traduit également par l’emploi du vocabulaire de la
colère et par la vigueur des images (« j’ai l’air d’un esquelette », qui s’oppose à « est grosse
comme une cochonne »), ainsi que par des répétitions et par l’emploi d’insultes et d’injures.
3) Les marques du français populaire et parlé du Québec sont les suivantes :
– la prononciation (« moé », « pis », « chus », « a’va ») ;
– la syntaxe avec la chute du sujet, du « ne » de la négation (« Est pas plus belle, pis pas plus fine
que moé ! », etc.) ;
– un lexique argotique (« tannée », « m’esquinter », « s’enfler la tête », « pantoute », etc.) ;
– un emploi erroné des mots (« sarcasses », « esquelette »).
4) Le comique tient d’une part à la mise en évidence d’une jalousie grossière et de la mesquinerie
qu’elle entraîne (« les miens sont plus propres que les siens »), et d’autre part à la langue
employée (déformations des mots, etc.)
La violence du texte vient du fait que, tout en faisant sourire, il fait ressentir la virulence du
ressentiment éprouvé. Le rejet de la vie « plate », le sentiment d’impuissance (la vie peut être
maudite, mais pas changée), le déchaînement sous l’effet de l’envie d’une véritable hargne à
l’égard de celle qui aurait une chance d’en échapper, ont conduit à l’avilissement, au
rabaissement systématique de Germaine Lauzon.

POUR ALLER PLUS LOIN


Un des romans les plus célèbres de la littérature québécoise pour son emploi du joual est Le
Cassé, de Jacques Renaud paru en 1964.

LES FEMMES SAVANTES


MOLIÈRE

COMPRENDRE
1) Ce texte traite de l’opposition entre « les femmes savantes », représentées par Armande et sa
mère, et Henriette, honnête femme, à propos du mariage en général et du sien en particulier.
Henriette parviendra-t-elle à réaliser ce mariage ?
2) Le sujet de leur discussion est le mariage. Armande vient d’apprendre que sa sœur Henriette
désire se marier et cherche à l’en dissuader.
3) Armande est portée sur les activités intellectuelles, mais avec excès et intransigeance. Elle
apparaît intolérante et orgueilleuse. Pour elle, le mariage est une chaîne, qui impose à la femme
des tâches vulgaires et l’empêche de développer son esprit.
Henriette est le personnage qui attire le plus la sympathie du spectateur par sa modération, son
bon sens, son humour. Pour elle, le mariage, s’il est bien assorti (s’il ne s’agit pas d’une union
contre sa volonté) est une relation faite de tendresse, dans laquelle la femme peut trouver son
épanouissement entre ses enfants et un mari aimant.

ANALYSER
1) On peut distinguer deux parties dans ce texte.
– Première partie : discussion entre les deux sœurs à propos du mariage (vers 1 à 26).
– Deuxième partie : Armande exhorte Henriette à renoncer au mariage pour se consacrer à la
philosophie (vers 27 à 53).
2) Le mariage est répugnant à cause des contraintes physiques et sexuelles qu’il implique pour la
femme. Le plaisir des sens est méprisable, il faut se consacrer uniquement à ceux de l’esprit (vers
10 à 15 ; vers 35 et 36 ; vers 47 et 48).
Une femme mariée mène une vie ennuyeuse et bornée, restreinte aux affaires du mariage et des
enfants (vers 29 à 31).
Elle perd sa liberté en se soumettant aux lois d’un homme (vers 30 et 43).
Son idéal est une vie consacrée à la philosophie et à l’étude, qui seule permet à la femme de
s’élever au-dessus d’une condition vulgaire et servile.
3) Les termes dépréciatifs sont : « vous claquemurer aux choses du ménage », « idole d’époux »,
« les bas amusements de ces sortes d’affaires », « aux lois d’un homme en esclave asservie ».
Les termes positifs désignant l’activité intellectuelle sont : « à de plus hauts objets élevez vos
désirs », « des plus nobles plaisirs », « les charmantes douceurs que l’amour de l’étude épanche
dans nos cœurs », « les beaux feux », « les doux attachements ».
Cette opposition est soulignée par des images qui opposent le haut et le bas, les sens et l’esprit, le
noble et le vulgaire.
4) Les expressions utilisées par Henriette pour définir sa conception des « suites » du mariage
sont reprises de manière péjorative par Armande (un mari : « un idole d’époux », des enfants : «
des marmots d’enfants », un ménage : « vous claquemurer aux choses du ménage »).
Inversement, le vocabulaire amoureux est détourné pour décrire l’attachement aux choses de
l’esprit (« les beaux feux », « les doux attachements », « les charmantes douceurs »).
5) Le personnage antipathique est Armande. Son goût pour la connaissance est si exclusif et
excessif qu’il en devient ridicule. Henriette, en revanche, se montre pleine de simplicité et de bon
sens (une « honnête femme »).
L’objet de la satire est le caractère exclusif de cette passion, qui semble écarter la femme du rôle
qu’elle doit tenir dans le foyer et qui la rend ridicule.
La source du comique est le ridicule d’Armande qui se manifeste dans ses excès de langage, avec
la dévalorisation systématique du mariage et des plaisirs amoureux, et la survalorisation de
l’étude (« Mariez-vous ma sœur, à la philosophie »).
Molière se moque des mœurs de son temps (ici, la préciosité), en poussant les traits à l’extrême
pour faire rire les spectateurs.
POUR ALLER PLUS LOIN
• sur la préciosité vue par Molière : Les Précieuses ridicules.
• sur l’éducation des femmes dans le théâtre de Molière : L’École des Femmes, Georges
Dandin.
CHAPITRE 4

LA MÉMOIRE
LE LIVRE DE MA MÈRE
ALBERT COHEN

COMPRENDRE
1) Ce sont des objets du monde de l’enfance.
2) Par cet inventaire des objets de l’enfance, l’auteur fait revivre brièvement un passé aimé et
disparu. Ces objets portent une forte charge affective parce qu’ils sont ce que la mémoire a sauvé
de l’oubli (voir le texte de Georges Perec page 84 du Livre de l’élève), mais aussi parce qu’ils
sont liés à la figure maternelle à laquelle, pour un instant, ils redonnent vie.
3) On peut distinguer les thèmes suivants : l’école, la chambre, les maladies, les sucreries, la
figure de la mère.

ANALYSER
1) Albert Cohen utilise l’imparfait dans l’énumération des souvenirs d’enfance et de la figure
maternelle, puis le futur et le présent (dans les deux dernières lignes) pour évoquer la disparition
de ce passé et la mort qui approche.
Avec l’emploi du futur dans la phrase « ô tout ce que je n’aurai plus » (après l’imparfait dans
l’énumération des souvenirs d’enfance), l’inventaire s’arrête sur l’évocation de la figure
maternelle que les souvenirs avaient « ressuscitée » ; l’auteur semble reprendre conscience de
son absence. La mort de sa mère et celle du passé l’amènent à envisager l’approche de la sienne
(voir la suite de l’énumération dont les termes reprennent l’image du temps enfui, dans les deux
dernières lignes).
2) L’auteur emploie essentiellement des phrases nominales, avec des énumérations.
3) Ce sont des phrases exclamatives. Le « ô » est une interjection utilisée pour traduire un
sentiment vif. Ici, il introduit une tonalité nostalgique, pour dire à la fois la douceur et le regret
douloureux de l’enfance perdue.
4) Les différents éléments de cet inventaire sont liés par des enchaînements sonores (exemple :
allitération en [k] : « chromos, conforts et confitures »), et par des enchaînements sémantiques :
– l’auteur nomme les différents objets liés à une thématique évidente : l’école (« cahiers neufs »),
la maladie (« tisanes ») ;
– le thème n’est pas exprimé mais sous-jacent à l’enchaînement (« sirop d’orgeat », « antiques
dentelles », « porcelaine ». Les différents mots sont implicitement reliés les uns aux autres par la
blancheur. De même, les mots « foires », « cirque », « rentrée » ont en commun d’être des
événements, festifs ou marquants) ;
– l’énumération se construit autour d’un même objet dont le nom est répété (« plume »).
5) La figure maternelle habite tout le texte : par ses gestes (« sourires de Maman », « baisers de
Maman »), mais aussi derrière les choses qui évoquent sa présence aimante et protectrice («
tisanes », « gâteaux ») ; le mot maman est répété à plusieurs reprises. Elle est celle qui soigne,
nourrit, rassure, apaise. On devine une enfance préservée, et le petit garçon devenu adulte
regrette ce confort rassurant.
6) L’émotion dans ce texte vient du rapprochement de l’enfance et de la mort. L’inventaire des
souvenirs montre l’attachement à l’univers intime de l’enfant, dont la mémoire n’a gardé que la
douceur, et à la figure maternelle, aimante et protectrice (voir, en particulier, l’emploi du mot «
Maman » terme affectif et mot d’enfant qui surprend dans la bouche d’un narrateur adulte et qui
se sent lui-même proche de la mort).

JE ME SOUVIENS
GEORGES PEREC

COMPRENDRE
Ils renvoient à l’époque de la Seconde Guerre mondiale et de l’après-guerre (années 1950).

ANALYSER
1) On peut distinguer les domaines suivants :
– éléments d’une histoire individuelle et personnelle (45 et 48) ;
– publicités (42) ;
– événements historiques (40) ;
– anecdotes, faits divers (39) ;
– objets du passé (47) ;
– vie culturelle, musique (41, 49, etc.)
2) Les souvenirs mentionnés ne sont pas explicités ; Georges Perec les présente comme si la
référence était évidente pour le lecteur (44). On peut remarquer qu’il emploie souvent l’article
défini qui désigne normalement quelque chose ou quelqu’un que le locuteur considère comme
connu (exemple : le Gaffiot).
L’auteur veut établir une connivence avec le lecteur, fondée sur des souvenirs communs et qui se
passe nécessairement d’explications.
3) La répétition du verbe en début de chaque phrase crée un effet d’inventaire, qui nivelle les
souvenirs et annule toute hiérarchie entre eux.
4) L’auteur restitue en vrac ce que la mémoire a sauvé de l’oubli : événements importants au
regard de l’Histoire, ou totalement insignifiants, mais qui constituent pourtant la trame de la vie
quotidienne. Il ne s’agit pas de raconter l’histoire d’une période, mais de la faire revivre, jusque
dans ses manifestations les plus humbles et quotidiennes.

APRÈS TROIS ANS


PAUL VERLAINE

COMPRENDRE
1) Le poète s’est déjà promené dans ce jardin. Cette promenade est un retour à un endroit déjà
connu, « après trois ans ». C’est un lieu chargé de souvenirs que le poète retrouve au gré de ses
pas.
2) Les mots suivants indiquent que le poète est déjà venu sur les lieux :
– le titre, « Après trois ans », annonce l’idée de retour sur un lieu du passé ;
– vers 5, « Rien n’a changé. J’ai tout revu » ;
– vers 7, « toujours » ;
– vers 9, « comme avant » (deux fois) ;
– vers 11, « connue » ;
– vers 12, « retrouvé ».
3) Le soleil fait briller, étinceler, les gouttes d’eau que la rosée a déposées sur les fleurs et semble
les couvrir de paillettes. L’expression « humide étincelle » signifie que les gouttes d’eau
étincellent sous les rayons du soleil. L’image repose sur une alliance de mots qui unit les
éléments contraires du feu et de l’eau.

ANALYSER
1) La description du jardin
a. Le poète décrit le jardin, ou plutôt suggère son atmosphère, en s’appuyant sur de nombreuses
notations sensitives qui font appel aux différents sens :
– la vue, « la porte étroite » (vers 1), « le petit jardin » (vers 2), et tous les éléments nommés
dans la description ;
– l’ouïe, « Le jet d’eau » (vers 7), « le murmure argentin » (vers 7), « la plainte » (vers 8) ;
– l’odorat, « Les roses » (vers 9), « l’odeur fade du réséda » (vers 14) ;
– le toucher, avec l’emploi du verbe palpiter (vers 9), « dont le plâtre s’écaille » (vers 14) ;
– on pourrait presque mentionner également le goût, avec l’emploi de l’adjectif « fade » (vers
14).
b. L’impression que ce jardin est vivant s’explique par l’insistance sur des caractéristiques liées à
la vie :
– le mouvement, tout le jardin semble agité par un mouvement très doux, en particulier dans la
troisième strophe (les roses palpitent, les lys se balancent, les alouettes vont et viennent). Le nom
de l’arbre (« tremble ») est en harmonie ici avec le mouvement général et annonce la palpitation
des roses. On peut aussi souligner l’emploi de l’adjectif « folle » pour qualifier la vigne, qui peut
entrer dans ce champ lexical, par l’agitation qu’il suggère ;
– la lumière, la présence du soleil qui éclaire le jardin et fait étinceler les fleurs (on peut
remarquer par ailleurs que l’étincelle est une lumière en mouvement).
– la personnification des éléments, qui donne vie aux éléments de ce jardin en les assimilant à
des êtres humains : la vigne folle, le murmure argentin du jet d’eau, la plainte du tremble, la
palpitation des roses (l’emploi du verbe palpiter est le plus marquant à cet égard parce qu’il
renvoie à l’image du cœur qui bat), l’emploi de l’adjectif orgueilleux et la forme pronominale se
balancer (plutôt qu’une forme passive), qui donne aux lys une vie propre, la relation de
connaissance entre les alouettes et le poète.
Une vie fragile et discrète semble donc animer ce jardin.
c. Alors que le poème décrit un lieu, son organisation repose essentiellement sur des indicateurs
temporels : emploi du participe passé actif « ayant poussé », qui marque l’antériorité, « toujours
», « comme avant » (répété dans le même vers). On pourrait éventuellement relever l’emploi de
la préposition « au bout de », qui a ici un sens spatial, mais qui peut être comprise dans un sens
temporel.
La promenade dans ce jardin est à la fois spatiale et temporelle, dans un lieu et dans un souvenir :
va-et-vient entre passé et présent (voir l’emploi des temps, présent et passé composé). Le poète
revient dans un lieu déjà connu et entretient l’illusion d’une permanence. Le jardin est un
symbole de la mémoire, du souvenir revisité.
2) Promenade entre présent et passé
a. L’idée de permanence : voir la réponse 2 de Comprendre, et au vers 8 « sa plainte
sempiternelle ». Ces mots renvoient aux éléments naturels de ce jardin : fleurs, eau, arbre,
oiseaux.
b. La dégradation par le temps est sensible au vers 1 : « la porte étroite qui chancelle », et dans la
quatrième strophe : « la Velléda dont le plâtre s’écaille», « Grêle ».
Ces mots se rapportent aux œuvres de l’homme.
c. On peut y voir une opposition entre d’une part, la vie de la nature qui poursuit son cycle et
entretient l’illusion d’une permanence (« rien n’a changé », une perception subjective du temps)
et d’autre part, la vie de l’homme voué à la mort ainsi que ses œuvres, dégradées par le temps
(perception objective du temps). Cette conscience de la destruction par le temps encadre le
poème (Vers 1 : « la porte qui chancelle » et les deux derniers vers). L’emploi de l’adjectif « fade
» s’inscrit également dans cette tonalité.
3) L’expression de la mélancolie se manifeste par :
– le motif de la plainte, porté ici par le « vieux tremble », et qui suggère une musique à la fois
douce et triste ;
– un même mélange dans les sentiments du poète, la douceur de l’attachement à un souvenir
qu’il croit avoir retrouvé et la tristesse de la conscience du temps irrévocablement révolu ;
– la rêverie qui est liée au caractère merveilleux de ce jardin habité par le souvenir.
Cette mélancolie s’exprime aussi à travers la musicalité de cette poésie.

L’ÉDIFICE IMMENSE DU SOUVENIR


MARCEL PROUST

COMPRENDRE
1) En goûtant par hasard une madeleine trempée dans du thé, le narrateur connaît un moment de
félicité : il cherche à s’expliquer la raison de ce sentiment. Plongeant en lui-même et renouvelant
plusieurs fois en vain l’expérience, il finit par découvrir que c’est le souvenir d’une saveur de
son enfance qui a resurgi.
2) Le point de départ de cette remontée du passé est la saveur de la madeleine.
3) On pourrait dire que le narrateur est plongé dans un état de béatitude (« ce qui se passait
d’extraordinaire en moi », « plaisir délicieux », « puissante joie »), en conservant la connotation
religieuse de ce terme, car le narrateur se sent élevé au-dessus de sa condition humaine (voir la
réponse 2 d’Analyser). Cet état contraste avec la médiocrité ressentie par le narrateur avant
d’avoir goûté la madeleine (« accablé par la morne journée »).
4) La sensation est le point de départ de l’expérience (la sensation des miettes de madeleine
trempées dans le thé), mais c’est à l’intelligence qu’il revient de comprendre et d’analyser ce que
la sensation n’a fait que pressentir. Elle seule va pouvoir faire coïncider le souvenir de la saveur
à l’image qui lui est associée et que le narrateur ne parvient plus à retrouver (« Certes, ce qui
palpite ainsi au fond de moi, ce doit être l’image, le souvenir visuel… »).
5) La saveur – et l’odeur – paraissent au narrateur des sens beaucoup plus fiables que la vue ;
elles sont plus « fidèles » et « persistantes », peut-être parce que moins sollicitées (« peut-être
parce que, en ayant souvent aperçu depuis […] d’autres plus récents ») ; elles se rattachent plus
directement au passé, à l’enfance.

ANALYSER
1) On peut distinguer les étapes suivantes :
– les circonstances de l’expérience (lignes 1 à 10) ;
– l’expérience elle-même et la joie qu’elle procure (lignes 10 à 16) ;
– les questions nées de cette expérience et les diverses tentatives pour y répondre (lignes 16 à 60)
;
– la résolution du mystère (lignes 61 à 78).
2) Le narrateur ne parvient à élucider le mystère de la joie apportée par la madeleine trempée
dans le thé qu’au prix d’efforts difficiles qui ressemblent à une véritable ascèse. Il insiste lui-
même sur l’idée d’effort :
– par l’accumulation de verbes à la première personne qui soulignent l’activité déployée par le
narrateur (« je recommence », « je veux essayer », « je rétrograde », « je retrouve », « je
demande », « j’écarte », « j’abrite », « je le force », « je fais le vide », « je remets en face de lui
») et son investissement dans cette recherche. Il s’efforce de varier les conditions pour renouveler
cette expérience ;
– par l’insistance sur l’effort, la répétition (« une tentative suprême », « dix fois il me faut
recommencer ») ;
– il souligne la difficulté de l’entreprise et la tentation de l’abandon (« et chaque fois la lâcheté
qui nous détourne de toute tâche difficile […] sans peine »).
Par ailleurs, la joie procurée par la saveur de la madeleine est décrite avec des termes qui
relèvent du vocabulaire mystique, comme le montrent les mots employés pour nommer cet état :
« plaisir », « puissante joie », « félicité ». Le plaisir procuré par cette expérience est quasi
surnaturel et élève le narrateur au-dessus de la condition ordinaire des hommes (« il m’avait
aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes […] illusoire »). Le narrateur insiste enfin
sur le caractère quasi magique de la boisson : « la vertu du breuvage semble diminuer »
(breuvage : boisson ayant des vertus particulières).
Ainsi, en raison de l’insistance sur l’effort et du caractère quasi spirituel de la quête du souvenir,
on peut dire que l’expérience vécue par le narrateur (celle de la mémoire involontaire puis de la
recherche du souvenir perdu et retrouvé) prend l’aspect d’une ascèse mystique.
3) « Chercher ? pas seulement, créer. Il est en face de quelque chose […] dans la lumière. »
4) La construction et le rythme de la dernière phrase sont marqués par :
– des effets de parallélisme (« après la mort des êtres, après la destruction des choses ») qui
rythment la phrase ;
– la mise en valeur de l’adjectif « seules », placé en avant et détaché, qui souligne la spécificité et
l’unicité des vertus de l’odeur et de la saveur ;
– le jeu d’opposition dans l’emploi des adjectifs (« frêles »/« vivaces », « immatérielles »/«
persistantes ») qui insiste sur le caractère miraculeux de ce phénomène de la mémoire. Cette
opposition est reprise dans la dernière phrase (« à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque
impalpable, l’édifice immense du souvenir » : « porter »/« fléchir » « gouttelette impalpable »/«
édifice immense »). Ce qui est le plus fragile, le plus intangible est ce qui survit à l’oubli ;
– la personnification de l’odeur et de la saveur (« fidèles », « comme des âmes », « se rappeler »,
« attendre », « espérer »). Elles apparaissent comme les gardiennes fidèles du souvenir.
CHAPITRE 5

LES CHOSES
ENFANCE
NATHALIE SARRAUTE

COMPRENDRE
1) La petite fille collectionne les flacons de parfum.
2) Le lecteur assiste à la toilette d’une poupée et même à la toilette d’un bébé.

ANALYSER
1) La narratrice décrit d’abord la découverte du flacon « Nous voici seuls », ensuite elle le
regarde « on va commencer par ». Puis elle fait la toilette du flacon en plusieurs étapes, qui sont
caractérisées par des verbes d’action, et articulées par « d’abord », « et puis là », « mais », «
Voici », « Après », « Alors ». Enfin, elle présente le flacon à la lumière.
Il s’agit donc d’une sorte de rite.
2) Le souvenir que la narratrice a de la scène est si vivant qu’elle le revit au présent.
3) La narratrice personnifie le flacon et lui parle comme à un enfant.
4) Le flacon est devenu un être vivant, presque sacré. La narratrice utilise le champ lexical du
monde des humains et donc de son monde à elle : « lambeaux », « nu, prêt pour la toilette », « je
le savonne », « je le rince », « je le sèche avec ma serviette », « avec un coin de la couverture de
mon lit », « Rien ne nous menace ».

LA CIVILISATION, MA MÈRE !
DRISS CHRAÏBI

COMPRENDRE
1) Le texte raconte la découverte du fer à repasser électrique par la mère du narrateur.
2) La mère utilise son fer à repasser électrique comme un fer ancien que l’on doit faire chauffer
sur un brasero (sur des braises) avant de l’utiliser.
3) La mère croit que le fil électrique branché sur la prise sert uniquement pour pendre le fer. Ce
fil est très long, et Nagib a peur que la mère ne le coupe sans le débrancher et ne s’électrocute.

ANALYSER
1) « le fer à repasser ne dit rien quand il mourut, ne poussa pas un cri de douleur. », « une
aisance enthousiaste ». La mère considère les objets comme des animaux qu’il faut dompter.
2) Notre mère avait reçu un nouveau fer à repasser électrique, elle l’a mis sur le brasero pour le
faire chauffer comme avec son ancien fer. La résistance électrique a probablement grillé, mais
notre mère a repassé le linge comme d’habitude. Puis, elle a voulu accrocher le fer par son fil
électrique qui lui semblait bien pratique mais un peu long. Elle s’est étonnée que les Européens
n’aient pas pensé à faire un fil plus court. Elle aurait probablement coupé ce fil si mon frère
Nagib n’avait caché les ciseaux. Elle aurait pu mourir électrocutée !

LE BRACELET CAOUTCHOUC BLOND


RÉGINE DETAMBEL

COMPRENDRE
1) Le bracelet de caoutchouc blond, plus habituellement appelé élastique, devient un nom propre
digne d’être décrit d’une manière scientifique comme un animal rare.
2) Le bracelet de caoutchouc blond est comparé d’abord à un lézard puis à un serpent.
3) On peut utiliser le bracelet de caoutchouc blond pour faire un garrot en cas de blessure, et
arrêter le sang qui coule. On peut l’utiliser pour lancer du papier et des petites pierres.

ANALYSER
1) L’auteur observe le bracelet de caoutchouc blond puis il décrit sa vie et sa mort. Il fait ensuite
des comparaisons, et enfin explique les différentes utilisations de ce bracelet.
2) Tous les sens sont évoqués : le toucher (« musculeux et tonique »), l’odeur (« des pneus tièdes
»), le goût (« amer »), l’ouïe (« Il est indescriptible, le bruit assourdi de l’Élastique mâché, le
petit choc sec d’émail quand les canines se rencontrent à travers lui et le transpercent »), la vue,
dans toute la description.
3) L’auteur utilise différents champs lexicaux.
– champ lexical du monde animal et plus particulièrement celui du serpent : « musculeux », «
serpent qui se mord la queue », « mue », « s’allonge », « s’étale », « c’est un ver », « sa mâchoire
se distend », « gober », « avale ». L’auteur fait des comparaisons avec l’orvet, le ver, le boa
constrictor, etc. ;
– champ lexical du monde minéral : « se craquelle », « papier », « pierres », « gravier » ;
– champ lexical du monde des humains : « mercerie », « serpentin », « pneus », « d’émail », «
canines », « phalanges de poing serré », « ressort », « garrot ».
4) Certaines phrases sont longues : elles rappellent par exemple l’élasticité de l’orvet ou le repas
du boa constrictor. D’autres phrases sont très courtes : « Le goût est amer. », « il ne mue pas, il
s’use. ». Parfois les verbes se succèdent : « il se décolore, se craquelle » ; Régine Detambel
choisit également des expressions spécialisées « il faut se rappeler », « D’où ses propriétés »
pour donner une impression de texte scientifique.
5) La dernière phrase exprime la rapidité de l’acte de lancer des petites pierres avec un élastique,
et le fait que cela se fait en se cachant, c’est un acte furtif car interdit à l’école.

LA BICYCLETTE
JACQUES RÉDA

COMPRENDRE
1) La scène se passe dans la rue, à six heures du soir, au moment du coucher du soleil.
2) La bicyclette est comparée à un oiseau, à un dragon fabuleux et ses roues à des soleils.
3) La bicyclette est capable et libre de s’envoler.

ANALYSER
1) « Un torrent de soleil », « des éclats palpitants », « des gouttes d’or », « Éblouissant », « le feu
du soir », « les grappes d’étincelles », « deux astres en fusion. » La lumière est d’abord liquide,
elle forme ensuite des étincelles, et devient solide mais encore en fusion. Le lecteur assiste à la
formation d’un astre. L’objet est mis en valeur : c’est un moment privilégié. Le lecteur vit la
métamorphose d’un objet par l’imaginaire du poète.
2) Il s’agit d’une parodie de poème fantastique. Jacques Réda utilise des vers de 13, 14 et 15
syllabes, très longs, pour donner une impression de majesté qui est contredite par leur
irrégularité, mais aussi par celle des rimes parfois même approximatives (-ange, -anche). La
première rime « soudain » est orpheline, elle ne rime avec rien. L’enjambement des deux
premiers vers marque la rapidité de la métamorphose.
3) C’est un alexandrin classique avec une césure à la sixième syllabe. Il est donc « de proportions
parfaites » comme le vélo ! Le mot « vélo » du registre familier donne une impression de
complicité et renforce aussi la parodie (un simple vélo devient un oiseau fabuleux).
4) « On voit », « On pense », « on dirait », « voudrait-on », « On devine » : le pronom personnel
indéfini donne une impression d’intimité avec le lecteur, puisque celui-ci peut faire partie de ce «
on ».
CHAPITRE 6

LA TABLE
BISCUITS
DENIS DIDEROT

COMPRENDRE
1) Ce texte réunit deux types de textes différents : une définition du dictionnaire et une recette de
cuisine.
2) Voici les différents termes culinaires et leur sens.
– battre : remuer vivement,
– délayer : mélanger un aliment (ici la farine et le sucre) à un liquide (les œufs battus),
– pâton : ici, c’est une petite quantité de farine qui reste dans la pâte sans se dissoudre. Ce mot
n’est plus utilisé dans ce sens. On emploie le mot « grumeau »,
– moule : récipient dans lequel on cuit les gâteaux,
– enduire : recouvrir entièrement,
– saupoudrer : couvrir d’une légère couche de poudre,
– glacer : couvrir d’une couche de sucre (qui ressemble à de la glace).

ANALYSER
1) On peut distinguer les parties suivantes :
– la définition du plat (première phrase) ;
– les indications pour la préparation.
2) Le mode employé est l’impératif. On peut aussi utiliser l’infinitif, mais il serait nécessaire de
modifier la place des pronoms.
3) On reconnaît l’écriture de la recette à l’emploi de l’impératif, à la fréquence des verbes (c’est
un texte injonctif : la recette indique ce qu’il faut faire) et à la mention des quantités. Il reste des
imprécisions : temps de cuisson, quantités approximatives (« plutôt moins que plus »).

RECETTE
GUILLEVIC

COMPRENDRE
1) Les éléments qui font de ce texte une recette sont l’emploi de l’impératif et la succession
d’ordres (texte injonctif).
2) Les ingrédients sont des éléments du paysage. Ils ne sont pas manipulables en réalité. Le
résultat obtenu est la description d’un paysage.
ANALYSER
1) Les trois premières strophes suggèrent une intervention humaine sur la nature (emploi de
l’impératif).
2) Un effet de surprise est créé par les deux derniers vers. À l’intervention demandée succède le
« Laissez-les faire ». C’est inattendu dans une recette dont le but est précisément d’ordonner des
actions.
3) Il préconise une absence d’intervention sur la nature ; il lui préfère la contemplation.

POUR ALLER PLUS LOIN


D’autres poètes ont composé des recettes poétiques ou fantaisistes. On pourra lire, par exemple :
• Raymond Queneau, Pour un art poétique.
• Jacques Prévert, Pour faire le portrait d’un oiseau.
• Tristan Tzara, Pour faire un poème dadaïste.

VIE ET ENGLOUTISSEMENT D’UN


GÂTEAU DOMINICAL
MICHÈLE ZAOUI

COMPRENDRE
1) Ce texte raconte la vie d’un gâteau, un bavarois à la framboise, depuis sa préparation en
pâtisserie jusqu’au moment où il doit être mangé lors d’un repas dominical. Le narrateur est le
gâteau lui-même, il raconte l’histoire à la première personne.
2) Les différentes étapes de sa vie racontées ici sont sa préparation dans le laboratoire de la
pâtisserie, sa nuit au réfrigérateur, son exposition en vitrine avant d’être acheté, l’achat par un
client, l’attente dans le réfrigérateur jusqu’au moment où il doit passer à table. L’étape suivante
sera son « engloutissement » par les convives.
3) Fait de mousse à la framboise, tout frais, il se sent plus léger, plus adapté au goût
d’aujourd’hui que les gâteaux d’autrefois, faits avec du beurre et donc plus riches.
4) Il se croyait différent, unique en son genre, et il découvre qu’il n’est pas le seul bavarois de la
pâtisserie et que d’autres, absolument identiques, attendent aussi d’être vendus.
5) Installé dans la partie supérieure du réfrigérateur, le bavarois a l’impression de trôner comme
un roi, ce qui correspond bien à l’image qu’il se fait de lui-même. Mais sa satisfaction est de
courte durée car il s’aperçoit rapidement qu’il est en compagnie de tous les différents plats du
repas dominical, et il est dérangé par des odeurs auxquelles il ne veut pas être mêlé.

ANALYSER
1) La fabrication du gâteau est comparée à la naissance d’un enfant (« je suis né »). En effet, il se
situe dans une lignée (« mes ancêtres », « mes frères ») ; il est nommé (« Je suis un bavarois à la
framboise ») ; on s’occupe de lui comme d’un bébé (« Mais je suis nu, et je n’ai pas le temps de
crier que déjà on m’habille, et je me surprends à aimer ça »).
2) L’auteur fait parler le gâteau comme s’il s’agissait d’une personne (« je suis né », « je suis nu
», « j’exulte », « J’ai des vapeurs », « je suis vexé », etc.)
Le bavarois est un gâteau très sophistiqué (« chantilly », « un ruban de satin rose », « une
étiquette mordorée ») ; il en éprouve de l’orgueil (« un prix qui me paraît sous-estimer ma valeur
», « pour mon honneur », « me préserver de cette confusion d’odeurs, et conserver ma saveur
intacte »).
Il se sent très supérieur aux autres produits vendus dans la pâtisserie : les gâteaux traditionnels («
on me préfère à mes ancêtres « tout au beurre »), le pain et les viennoiseries (« les vulgaires
pains, baguettes, ficelles, et la dérisoire viennoise »).
Voir aussi les réponses 4 et 5 de la partie Comprendre.
3) Les gâteaux sont représentés comme une petite société humaine, avec sa hiérarchie, ses codes,
ses habitudes (les gâteaux, comme les hommes, sont « endimanchés »). Au sein de cette société,
le bavarois connaît une ascension : en effet, dans la pâtisserie, il passe de « la paillasse de
l’arrière-boutique » (où se font toutes les pâtisseries) à la glacière où il est rangé avec ses égaux.
Puis, il est choisi pour figurer en vitrine dans la boutique. Enfin, acheté par un client, il va trôner
comme un roi en haut du réfrigérateur et c’est lui qui couronne le repas dominical. Sa venue à
table est annoncée comme un moment solennel (« Et maintenant, le gâteau »).
4) L’humour de ce texte tient au caractère décalé du point de vue, puisque c’est le gâteau qui
raconte l’histoire et qui en est le héros. Ce point de vue particulier crée un effet de surprise,
prolongé par la personnification qui permet à l’auteur de prêter au gâteau des qualités et des
défauts très humains avec le récit de sa naissance, mais aussi son habillage lors duquel il se
comporte comme une femme coquette (« j’exulte », « J’ai des vapeurs », expression précieuse et
désuète qui fait sourire ici, car elle s’appliquait à des femmes un peu maniérées quand elles se
sentaient sur le point de s’évanouir).
Par ailleurs, en utilisant ce point de vue, l’auteur présente une image décalée et ironique de la
société humaine : son goût pour la hiérarchie, ses jalousies (« je regarde avec envie l’élégante
glacière où minaudent les « commandés »), son mépris pour les classes jugées inférieures (« les
vulgaires pains », « la dérisoire viennoise »), son refus de se mélanger (« J’espère à cet instant,
pour mon honneur, que mon emballage saura me préserver de cette confusion d’odeurs, et
conserver ma saveur intacte. »)

ÉCRIRE AVEC DU SUCRE ET DÉVORER


L’ÉCRIT
PATRICK CHAMOISEAU

COMPRENDRE
1) Les éléments qui permettent de situer ce texte aux Antilles sont :
– les noms des confiseries ;
– la manière de nommer la mère (« Man Ninotte») ;
– l’emploi du mot « négrillon ».
2) Il commence à participer à la cuisine quand le sucre entre en jeu.
3) Dans toutes ces activités, l’enfant peut goûter la pâte et satisfaire ainsi sa gourmandise.
4) La chrysalide est l’état intermédiaire entre la chenille et le papillon. L’image peut s’expliquer
par :
– la forme allongée des bonbons ;
– l’état intermédiaire entre la pâte du bonbon et le résultat final qui est une merveilleuse surprise
pour l’enfant, comme peut l’être un papillon sortant de son cocon.
5) L’enfant ne sait pas lire (« analphabète ») ; en revanche il est capable d’apprécier le goût des
lettres en sucre.

ANALYSER
On peut distinguer deux parties dans ce texte.
1) – Première partie : la fabrication des gâteaux et confiseries (premier paragraphe) ;
– Deuxième partie : la finition des gâteaux (deuxième paragraphe), avec les décorations
d’Anastasie la Baronne (jusqu’à « circonvolutions blanches ») et les lettres en sucre.
2) L’auteur emploie des tournures de la langue parlée :
– « Man Ninotte », « Des madames de bonne famille » (on attendrait dames, madame étant
réservé à l’apostrophe ; cet emploi est fréquent dans le langage enfantin) ;
– « si ça vient ou si ça ne vient pas » : la tournure mêle l’interrogation directe (emploi du présent,
pas de verbe introducteur) et l’interrogation indirecte (présence de la conjonction si).
Il emploie également des métaphores très recherchées :
– « les chrysalides ardentes des bonbons » ;
– « les marmites au cuivre zébré du sucre cuir ».
3) L’auteur utilise des mots du champ lexical de la religion : « bénédiction » (2 fois), « le
négrillon avait reçu la grâce », « orthodoxe », « sa crème divine », « le mystère », « la joie », «
une atmosphère de baptême ».
L’emploi de ce champ lexical contribue à faire ressentir au lecteur l’extrême importance, le
caractère quasi sacré que prend pour le petit garçon cette préparation. Il nous fait adopter le point
de vue de l’enfant pour qui la préparation des gâteaux et des confiseries revêt la solennité, le
mystère, la joie d’une cérémonie religieuse.
4) L’écrit est doublement objet de désir dans ce texte : désir de satisfaire sa gourmandise d’une
part, car les lettres sur les gâteaux sont en sucre, mais désir aussi de satisfaire sa curiosité
intellectuelle car l’enfant aimerait pouvoir déchiffrer les mots qui restent mystérieux pour lui.
Ce double désir est présent dans l’expression « le mystère de l’écrire et la joie du manger. »
LA POMME DE TERRE
GEORGES BARBARIN

COMPRENDRE
1) L’auteur décrit très précisément les différentes étapes de la vie de la pomme de terre qu’il
présente comme un cycle.
2) La pomme de terre vieillit, se dessèche puis les germes (« filets blancs ») poussent, la plante
sort de terre, et des feuilles apparaissent, mais les pommes de terre elles-mêmes grossissent sous
la terre.

ANALYSER
1) La pomme de terre est d’abord décrite (culture, sorte, forme). Puis, l’auteur raconte le cycle de
vie de la pomme de terre.
– mots du champ lexical du monde des humains : « bonne fille », « en famille », « tribus », « font
excellent ménage », « familier », « douce », « pacifique », « vieillit », « indifférente », « se
ratatine », « la vie », « les yeux », « enfantement ».
– mots du champ lexical du monde animal : « couve », « nid ».
– mots du champ lexical du monde minéral : « terre », « champ », « sillon », « souterrain ».
– mots du champ lexical du monde végétal : « ombrage », « feuillu ».
La pomme de terre est un légume fabuleux qui fait partie de tous les mondes, qui appartient
même au monde fantastique des sorciers (« caribossue»).
2) Les premiers mots du vers 1 sont « La pomme de terre », le dernier mot du vers 9 est «
tubercules ». La pomme de terre est comme un monde qui se referme sur lui-même (de la pomme
de terre à la pomme de terre !) et dont la vie est un cycle perpétuel.
3) Le dernier vers rappelle la phrase finale de tous les contes de fées français : « ils vécurent
heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Ici, comme tout se passe dans des cycles sans cesse
recommencés, l’emploi du présent intemporel est plus juste que celui du passé simple.

LA SALADE
PIERRE DE RONSARD

COMPRENDRE
1) Ronsard explique que, pour faire une bonne salade, il faut se laver les mains, aller cueillir la
salade dans la campagne, revenir à la maison, laver la salade et préparer la sauce.
2) Le poète est malade, il a une fièvre qui revient fréquemment, et son disciple et ami part vivre à
la Cour.
3) La morale du poème est qu’il faut se contenter des choses simples de la vie.

ANALYSER
1) Dans ce poème de Ronsard, il y a trois parties.
– Première partie : explication de la préparation de la salade (jusqu’au vers 32).
– Deuxième partie : plainte des souffrances physiques du poète, et du départ de son ami et
disciple.
– Troisième partie : morale du poème (dernier vers « Car telle »).
2) Ronsard utilise l’impératif, mode fréquemment utilisé pour la recette de cuisine, mais il
emploie la deuxième personne du singulier. D’autre part, il choisit l’indicatif futur quand il
évoque le départ de son disciple (à partir des vers « Je m’en irai solitaire à l’écart/Tu t’en iras,
Jamyn, d’une autre part »). On comprend que la recette est un prétexte pour le poète, qui veut en
fait exprimer sa tristesse de perdre son ami et disciple.
3) Les vers sont des décasyllabes, vers de l’ode. Ici, le sujet semble bien modeste pour ce genre.
Mais la fin du poème et sa morale le justifient.
4) Il s’agit des vers 11 et 12 et des vers 41 à 46.

LE FROMAGE
MARC-ANTOINE GIRARD DE SAINT-AMANT

COMPRENDRE
1) Saint-Amant et ses amis sont réunis pour boire du vin et manger du Brie.
2) Ils se retrouvent dans une cave à côté de tonneaux de vin.
3) Le Brie est blanc à l’extérieur, plus jaune à l’intérieur, mou, assez grand, en forme de cercle.
4) Le fromage doit être bien fait (jaune et mou), et doit être mangé lentement.

ANALYSER
1) Saint-Amant utilise des vers courts (octosyllabes) et emploie des exclamations. Cela donne
une impression de vie et de gaieté. Le poème pourrait être mis en musique pour faire une
chanson.

LE PAIN
FRANCIS PONGE
COMPRENDRE
1) Quand on examine un pain (une baguette) de près, la croûte forme des sortes de chaînes de
montagnes. Francis Ponge les compare aux étoiles de la voûte céleste.
2) Un four à bois est un dôme sur le haut duquel viennent se fixer les braises du bois, comme de
petites étoiles.
3) Le pain qui était mou durcit et devient croûte et mie.
4) La consistance de la mie est élastique, sa couleur est pâle. Francis Ponge joue sur les
contrastes. Alors que la croûte est appréciée et louée par le poète, la mie est dépréciée avec des
adjectifs aux connotations morales : la mollesse de la pâte est ignoble, ce qui veut dire, au sens
étymologique, qu’elle n’est pas noble. La mie représente un monde étrange et peu attirant.
5) Dans la religion chrétienne, le pain est un aliment sacré, il représente le corps du Christ. Le
pain est brisé et partagé par le Christ lors du dernier repas avec ses disciples. Il est aussi symbole
du corps du Christ pendant la messe des Chrétiens. Ponge refuse une interprétation religieuse.
Pour le poète, le pain n’est pas une nourriture spirituelle, il faut simplement avoir du plaisir à la
manger.

ANALYSER
1) On peut diviser ce texte en quatre parties.
– Première partie : description de la croûte du pain.
– Deuxième partie : cuisson du pain dans le four.
– Troisième partie : description de la mie de pain.
– Quatrième partie : utilisation du pain.
2) Francis Ponge compare le pain et sa fabrication au monde et à sa création, depuis le magma
des volcans jusqu’à la création des montagnes.
3) Les champs lexicaux se rapportent à différents mondes.
– le monde minéral : « surface », « panoramique », « Alpes », « Taurus », « Cordillère des Andes
», « stellaire », « vallées », « crêtes », « ondulations », « crevasses », « plans », « dalles », «
sous-sol ». Les mouvements de la terre sont décrits par des substantifs aux sons en « r » en
alternance avec des sons en « l » pour donner un rythme faisant penser aux montagnes pointues
et aux vallées douces ;
– le monde végétal : « feuilles », « fleurs », « fanent ». Le son « f » donne une impression de
feuille qui bruisse quand on la touche, et qui devient poussière, comme le pain tombe en
poussière ;
– le monde animal et humain : « éructer », « éponges », « sœurs siamoises », « coudes », «
bouche ». On retiendra surtout le son « s » de « sœurs siamoises soudées », donnant une
impression d’imbrication des sons et des corps.
Le texte est surtout au présent de l’indicatif, temps intemporel : le poète décrit chaque pain
comme il est toujours. L’imparfait de « comme si l’on avait » marque une comparaison
hypothétique. Francis Ponge veut montrer que le pain ne ressemble plus à un simple paysage. Le
passé simple passif « fut glissé » montre la passivité de la pâte, et « s’est façonnée » montre que
la terre, comme le pain, a commencé par une matière molle, dont l’aspect a changé au gré des
éléments (la chaleur, l’érosion, etc.) avant de durcir.
4) Le premier paragraphe est composé d’une très longue phrase qui donne une impression de
zoom comme si l’on s’approchait de montagnes, venant du ciel (une vision panoramique). Le
troisième paragraphe est composé de deux phrases. La première est longue avec un rythme
binaire « lâche et froid », « feuilles » et « fleurs », faisant écho aux « sœurs siamoises ». La
seconde phrase plus découpée, est organisée autour de verbes d’action évoquant la
transformation du pain en poussière, représentée aussi par les trois points de suspension.
5) En écrivant « brisons-la », avec l’article défini, Francis Ponge joue avec l’expression «
brisons-là », c’est-à-dire arrêtons-nous de parler. Il ne veut parler que du bonheur d’une chose si
simple : partager et manger le pain.
6) Il s’agit d’une poésie en prose donnant une impression de simplicité, qui s’accorde avec le
choix du sujet.

POUR ALLER PLUS LOIN


Le texte Le pain illustre parfaitement le projet d’écriture de Francis Ponge. Le poète veut aller et
entraîner ses lecteurs de « l’objeu » (plaisir de jouer avec le langage) à « l’objoie » (plaisir
simple de jouir du monde). Ces deux mots-valises ont été fabriqués par Francis Ponge à partir
des mots objet, jeu et joie. Dans Le Carnet de Bois de Pins, il écrit : « Un monde nouveau où les
hommes à la fois et les choses connaîtront des rapports harmonieux, voilà mon but poétique et
ludique ».
Ce poème se trouve dans le recueil Le Parti Pris des Choses, œuvre de jeunesse mais publié en
1942. Dans ce recueil, Francis Ponge essaye de faire la description la plus minutieuse possible,
presque scientifique, des objets qu’il évoque. En même temps, il travaille l’aspect linguistique du
mot lui-même. Il étudie l’objet d’un côté et le mot qui le nomme de l’autre – ce qu’il appelle «
fonder (le mot) en réalité ». Le lecteur peut faire le rapprochement du projet de Francis Ponge
avec le « cratylisme », par référence au Cratyle de Platon où Socrate tente d’établir des
étymologies des mots ainsi « fondées en réalité ».
CHAPITRE 7

LA MER
DESCENTE VERS LA MER
ANDRÉE CHÉDID

COMPRENDRE
1) Simm va vers la mer pour s’apaiser, se ressourcer, trouver la force de sauver le jeune homme.
La mer apparaît comme un lieu de renaissance.
2) Simm veut entrer pleinement en contact avec la mer, retrouver un rapport primitif avec les
éléments. Il est dans l’eau comme l’enfant dans le ventre de sa mère.
3) Il éprouve une sensation de bien-être et d’apaisement, de plénitude.
4) Le sel est souvent un symbole de fraternité (le partage du sel).

ANALYSER
1) On peut nommer les différentes parties ainsi.
– Première partie : la descente vers la mer (jusqu’à « Simm entre dans la mer »).
– Deuxième partie : la renaissance dans la mer (jusqu’à « de calmes et d’ondes »).
– Troisième partie : la transmission de la vie par la parole (jusqu’à la fin).
2) Le présent de narration traduit un sentiment d’immédiateté. Il réduit la distance entre le
personnage du livre et le lecteur. L’emploi du futur à la fin du texte permet d’exprimer ce que
ressent Simm : la confiance pour ce qui arrivera ensuite, la certitude qu’il parviendra par la
parole à sauver le jeune homme.
3) Les mots choisis par Andrée Chédid (« le sel », « l’arbre », « le vent », « le bleu », « l’eau »)
sont des mots qui disent l’essentiel. Ils sont symboles de vie (eau, arbre), ils évoquent la beauté
du monde qui les entoure (bleu, eau). Ils permettent enfin de restituer pour le jeune homme
emmuré ce dont il est privé (air, vent) et ainsi de le garder en vie. Il s’agit de le faire naître une
seconde fois par le pouvoir des mots (voir en particulier tout le vocabulaire qui assimile la sortie
du jeune homme à une nouvelle naissance : « surgisse », « tienne debout sur ses deux jambes », «
neuf », « lavé », « débarrassé d’écorces », « naître »).

ICI LA MER
RENÉ FALLET

COMPRENDRE
1) La mer s’adresse aux hommes.
2) Le bleu et le vert font effectivement référence aux couleurs que peut prendre la mer, alors que
les couleurs rouge, noir et corail sont employées ici comme noms propres pour désigner
différentes mers.
3) La mer qui frappe aux portes des cafés du port est une mer mauvaise, déchaînée ; elle effraie
les marins qui la connaissent bien. Ils se signent pour se protéger et éloigner la mort.
4) La mer se compare à une « marchande de tapis ». Dans cette image, les tapis représentent les
vagues de la mer, et l’expression renvoie en fait aux inondations. Elle est particulièrement bien
choisie car les hommes essaient de chasser la mer (pour éviter qu’elle ne reprenne les terres
qu’ils ont prises sur elle), mais elle menace de revenir. De même, ils essaient de se débarrasser
des « marchands de tapis » trop insistants et les chassent sans ménagements (« à grands coups de
balai »).

ANALYSER
1) C’est la mer qui parle. Elle se donne des caractéristiques humaines :
– par ses actions (« Je vous ai vus », « je cache ») ;
– par les images qu’elle emploie (« je suis […] la mère Noël ») ;
– par ses caractéristiques (« Je suis très vieille », « je suis bien contente », « On me doit le
respect »).
2) La mer parle d’elle comme un lieu de baignade et de vacances, comme la mer qui offre ses
fruits en cadeaux (« la mère Noël »). Mais elle parle aussi de la mer déchaînée qui effraie les
marins, engloutit les bateaux et inonde les terres.
3) La phrase concentre toute une série d’images qui sont celles qui viennent souvent à l’esprit
lorsqu’on pense à la mer (les poissons, les baleines, etc.) Elle évoque tout l’imaginaire suggéré
par ce mot, qu’il soit lié aux légendes (« ses jardins engloutis »), à l’histoire (« ses trésors volés
au roi d’Espagne »), aux animaux et aux paysages marins, ou à l’histoire personnelle de chacun.
L’importance de cet imaginaire est soulignée par l’emploi des majuscules.
4) Voici les exemples que l’on trouve dans le texte.
a. Jeux sur les mots : le jeu sur les couleurs dans les premières phrases (voir la réponse 2 de la
partie Comprendre), « Je suis la mer, la mère Noël », « Celui qui le loupait [le Mont Blanc], il
tombait dans la vallée où broutaient les veaux marins », « J’arrive sur la pointe des vagues ».
b. Jeux sur les sonorités : « j’emporte les chapeaux […] les bateaux, fais claquer les drapeaux ! »
c. Situations ou images absurdes : « Ce serait drôle de voir […] les huîtres bailler dans les
théâtres ». Les huîtres baillent car elles ouvrent leur coquille.
d. Reprise humoristique d’éléments historiques : la fin du texte fait référence, de manière
humoristique, à la création de la Hollande et aux graves inondations que ce pays a connues.
Ces différents procédés créent un effet de surprise et une tonalité humoristique. L’humour repose
aussi sur le caractère un peu « cabotin » (qui cherche à se faire remarquer) de la mer.
5) On peut relever différentes formes de français oral : interjections (« ah ah ! », « et hop », «
Bon, bon »), mots de la langue familière (« loupait »), interpellation du lecteur par l’emploi de la
deuxième personne ou d’une apostrophe (« Mais attention »).
ET LA MER ET L’AMOUR
PIERRE DE MARBEUF

COMPRENDRE
1) Dans ce poème, l’auteur compare l’amour et la mer.
Ils ont en partage l’amertume (qui peut désigner à la fois la saveur amère et un sentiment de
tristesse et de déception), les turbulences, et le risque de faire naufrage et d’être englouti.
Par ailleurs, il y a un lien de parenté mythologique entre l’amour et la mer puisque la mère de
l’amour, Vénus ou Aphrodite, est née de l’écume de la mer.
Ce qui les différencie, c’est le feu, la brûlure qui caractérise l’amour ; c’est un élément contraire
à l’eau, mais elle ne peut éteindre ce feu-là.
2) Il s’adresse à la femme qu’il aime et qui n’est pas nommée ici. Elle ne répond pas à son
amour. Il faut comprendre « Ton amour » comme l’amour que je te porte.
3) L’amour est présenté comme une passion, au sens propre du terme, c’est-à-dire un sentiment
que l’on subit et qui cause de la souffrance. Il est assimilé à un feu qui brûle celui qui aime.

ANALYSER
1) On peut distinguer trois parties dans ce texte.
– Première partie (deux quatrains) : ressemblances entre la mer et l’amour.
– Deuxième partie (premier tercet) : différence entre la mer et l’amour.
– Troisième partie (deuxième tercet) : apostrophe à la femme aimée.
2) Le champ lexical de la mer et de l’eau : « la mer » (six fois), « s’abyme », « sans orage », « les
eaux » « l’eau » (quatre fois), « naufrage », « la mer de mes larmes ».
La comparaison développée par ces termes permet d’insister sur le caractère dangereux et
douloureux de l’amour. Il souligne l’absence de tranquillité.
3) L’amour est désigné par la métaphore du feu : enflammer (vers 7), le feu (vers 10, 11 et 14), «
un brasier amoureux » (vers 12), brûler (vers 13). Ces deux thèmes sont d’abord présentés
comme liés l’un à l’autre par la filiation (vers 10). Mais, à partir du vers 11, c’est l’opposition de
ces deux éléments qui est soulignée : « l’eau contre ce feu ». Dans les vers 12 et 14, l’auteur nous
montre que le combat est inégal, l’eau ne parvenant pas à éteindre ce feu.
4) La musicalité particulière de ce poème est due à la régularité et la fluidité des vers : les
alexandrins sont très réguliers, avec la concordance entre les unités syntaxiques et le vers, sans
enjambement, ni rejet, ce qui produit un rythme très égal. Par ailleurs, l’emploi de la
coordination « et » en premier mot du texte accentue l’impression de mouvement continu, de
fluidité.
La musicalité particulière de ce poème repose également en grande partie sur la répétition :
anaphores (vers 1 et 2 « Et la mer » ; vers 5 et 6 « Celuy qui craint »), répétition de mots (la mer,
le feu, l’amour), répétition de sons homophones (l’amer/la mer/la mère), allitérations en « m » et
assonances (les eaux, les maux avec la répétition de la voyelle accentuée).
5) La présence du locuteur se manifeste par l’emploi de la première et de la deuxième personne,
et le développement du thème lyrique de la passion amoureuse.
Cette présence peut paraître assez impersonnelle toutefois. La première et la deuxième personnes
n’apparaissent que dans la dernière strophe. Le poème s’apparente plus à un jeu littéraire sur le
thème de la passion amoureuse. (Voir les jeux sur les sonorités, la construction des vers, etc.)
6) Voir LE POINT SUR… le sonnet page 145 du Livre de l’élève.

OCEANO NOX
VICTOR HUGO

COMPRENDRE
1) Ce sont des phrases exclamatives.
2) Il s’adresse aux marins. Dans la dernière strophe, il s’adresse aux flots.
3) Il signifie triste, mais aussi funeste. On trouve, au vers 43, « sombrés », participe passé du
verbe sombrer qui signifie couler au fond de l’eau (pour un bateau).
4) Le vers 36 utilise le mot cendre au sens propre et figuré à la fois : les veuves remuent la
cendre du feu, mais aussi celle de leur cœur, car elles pensent à leur amour disparu en mer.
5) Ils ne sont pas enterrés au cimetière, aucune tombe ne porte la mémoire de leur nom.

ANALYSER
1) L’auteur utilise le champ lexical de l’obscurité.
– Sens propre : « nuit sans lune » (vers 5), « sombres étendues » (vers 14), « sombre océan »
(vers 30), « durant ces nuits » (vers 33), « marins sombrés dans les nuits noires » (vers 43), « le
soir » (vers 48).
– Sens figuré : « ombre », « noire », « sombre oubli » (vers 29 et 30), « vos noms d’ombre
couverts » (vers 21), « votre ombre disparue » (vers 31), « lugubres histoires » (vers 44).
On peut ajouter les mots qui renvoient à la profondeur de l’océan, et qui évoquent par là même
l’obscurité : « mer sans fond » (vers 5), « aveugle océan » (vers 6), « dans l’abîme » (vers 10).
Le champ lexical de l’obscurité renvoie ici une impression négative.
2) Ces mots latins (Oceano nox), empruntés au poète Virgile, peuvent être traduits par nuit sur
l’océan. La nuit peut ici être lue au sens propre puisque c’est pendant « une nuit sans lune » que
l’orage ou l’ouragan font sombrer les bateaux et leurs équipages.
Au sens figuré, plusieurs lectures sont possibles : la nuit est celle qui règne au fond de la mer, là
où la lumière n’entre pas. Par ailleurs, la nuit symbolise la mort, et les marins disparus
deviennent des ombres (vers 29 et 31). Enfin, elle symbolise l’oubli qui ensevelit définitivement
jusqu’au souvenir des marins (vers 21 et 28).
Ces différentes significations sont rassemblées dans les vers 28 à 30 qui sont placés au centre du
poème. Dans le vers 28, en employant une construction identique dans chacun des hémistiches,
le poète souligne la ressemblance entre la disparition des corps au fond de la mer et celle des
morts dans la mémoire. Ce parallélisme est repris au vers 30 (« sombre océan », « sombre oubli
»). C’est l’obscurité, avec ses sens propres et figurés, qui permet de rapprocher ces éléments.
3) Les vers 18 et 36, plus brefs, encadrent les trois strophes qui évoquent le souvenir fragile et
éphémère des marins chez les vivants.
– Vers 1 à 18 : le poète pleure les marins disparus,
– vers 19 à 36 : le poète évoque le souvenir éphémère des marins chez les vivants,
– vers 37 à la fin : le poète souligne l’effacement du souvenir, seule la mer connaît l’histoire
tragique des marins.
4) On peut relever trois emplois du verbe « savoir » dans des phrases négatives : « Nul ne saura »
(vers 10), « Nul ne sait » (vers 13), « Rien ne sait plus » (vers 38) avec une gradation dans la
négation, la dernière étant totale et définitive. Au vers 44, en revanche, le verbe savoir est
employé dans une phrase affirmative et exclamative : « que vous savez […] ! ». Seuls les flots de
l’océan savent le triste destin de ces marins et peuvent apporter une réponse à la question du
poète (vers 43, « Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ? »).
5) Il utilise différents procédés :
– emploi d’images violentes pour frapper l’imagination du lecteur (vers 13 à 15) ;
– jeu sur les contrastes (vers 2 et 3 : « partis joyeux » s’oppose à « évanouis », « courses
lointaines » à « morne horizon ») ;
– emploi de mots qui évoquent le malheur et la douleur (« dure et triste fortune », « pauvres têtes
perdues », « lugubres histoires ») pour susciter la compassion du lecteur.
Par ailleurs, il s’adresse directement aux marins morts (vers 13 à 15, etc.), et l’affectivité est très
marquée, en particulier dans le recours à l’exclamation et à une tournure faussement
interrogative (vers 43).
6) Ce poème évoque la disparition des marins en mer, mais aussi leur disparition dans la
mémoire de ceux qui les ont connus ou aimés. Plus rien ne subsiste d’eux puisqu’ils n’ont même
pas de pierre tombale.
Le poème qui leur est adressé constitue en quelque sorte le tombeau qui leur a manqué (le
tombeau est un monument funéraire, mais aussi une composition poétique en l’honneur de
quelqu’un).
CHAPITRE 8

LE VOYAGE
VOLKSWAGEN BLUES
JACQUES POULIN

COMPRENDRE
1) Ce texte décrit un véhicule : un minibus Volkswagen.
2) Le titre évoque un voyage nostalgique (le blues est à la fois une musique un peu triste et un
sentiment vague de tristesse).

ANALYSER
1) Le minibus est personnifié dans ce texte grâce aux moyens suivants :
– au premier paragraphe l’auteur emploie l’adjectif « vieux » pour qualifier le minibus ;
– au deuxième paragraphe le « Volks » est le sujet des verbes parcourir, traverser, voyager. Le
conducteur du minibus s’efface derrière la personne du véhicule, qui mène sa propre vie ;
– au troisième paragraphe l’auteur parle de « son âge », « ses habitudes », « ses manies », « il ne
voulait pas », « il n’aimait pas », « il aimait mieux », « il avait horreur » ;
– au quatrième paragraphe le « Volks » a une « vie » (voir toute la seconde partie de la phrase).
Il s’agit plus que d’un simple procédé. L’auteur fait de lui un personnage du roman à part entière
:
– par la manière de le nommer (« le vieux Volks »). La marque automobile devient prénom ou
diminutif affectueux, renforcé par l’adjectif « vieux », qu’on peut comprendre à la fois au sens
propre et avec sa connotation affective (terme de camaraderie) ;
– par la relation qu’il établit entre l’homme et « le vieux Volks » (« il l’aimait beaucoup ») ;
– par l’histoire dont « le vieux Volks » porte les traces (voir le deuxième paragraphe), il a son
caractère propre comme un vieil homme. Il est possessif, capricieux, il aime sa tranquillité, son
indépendance.
2) Le monde quotidien, dans son épaisseur concrète, est très présent dans l’écriture de Jacques
Poulin. Il se manifeste en particulier par le soin que prend l’auteur de nommer avec précision les
objets les plus humbles, pratiques, de ne pas négliger des détails techniques, de décrire les gestes
quotidiens les plus simples. Par exemple : la carrosserie du véhicule, les réparations, ses
faiblesses (« feuilles de tôle galvanisée », « rivets », « les ceintures de sécurité », « les essuie-
glace », etc.)
Parallèlement, la personnification du minibus introduit une autre dimension, en faisant du
véhicule un personnage avec un caractère, une histoire et non un simple objet de description
technique. Le texte bascule du côté du rêve, d’une perception surréaliste de la réalité.
Ce merveilleux naît aussi du mystère qui entoure le passé du vieux Volks : un véhicule marqué
par une vie nomade, qui porte les traces d’un passé inconnu. En témoigne aussi le choix de
l’auteur de laisser l’inscription en allemand sans traduction, comme pour préserver cette part
d’inconnu.
RÉVEIL EN VOITURE
GÉRARD DE NERVAL

COMPRENDRE
1) Le poète est en voiture de poste. Il vient de se réveiller.
2) Gérard de Nerval décrit le paysage qu’il voit défiler depuis la voiture.
3) On peut relever plusieurs mots marquant la comparaison : « ainsi que » (vers 2), « comme »
(vers 3), « ainsi que » (vers 7), « Comme » (vers 10).

ANALYSER
1) Ce texte comporte plusieurs comparaisons.
– Première comparaison : « Les arbres sur ma route/Fuyaient mêlés, ainsi qu’une armée en
déroute », les arbres ressemblent aux soldats d’une armée vaincue qui fuit dans le désordre
devant l’ennemi.
– Deuxième comparaison : « comme ému par les vents soulevés/Le sol roulait des flots de glèbe
et de pavés », le sol est comparé à une mer agitée par le vent.
– Troisième comparaison : « Des clochers conduisaient parmi les plaines vertes/Leurs hameaux
aux maisons de plâtre, recouvertes/En tuiles, qui trottaient ainsi que des troupeaux/De moutons
blancs, marqués en rouge sur le dos », les clochers ressemblent à des bergers dont les troupeaux
de moutons seraient les maisons blanches recouvertes de tuiles rouges (comme la marque sur le
dos pour identifier les moutons).
– Quatrième comparaison « la rivière/Comme un serpent boa, sur la vallée entière/Étendu,
s’élançait pour les entortiller », la rivière est comparée à un immense serpent qui s’avance pour
enserrer sa proie (les montagnes qui chancellent).
2) Les mots qui expriment le mouvement sont les suivants : « Fuyaient », « en déroute » (vers 2)
; « ému » (vers 3) ; « roulait » (vers 4) ; « conduisaient » (vers 5) ; « trottaient » (vers 7) ; «
chancelaient » (vers 9) ; « s’élançait » (vers 11).
Par l’emploi particulier de ce vocabulaire dans les images expliquées ci-dessus, l’auteur renvoie
l’impression d’un paysage en mouvement. Tout semble bouger autour du poète. En effet, les
sujets des verbes de mouvement sont tous des éléments du paysage. Or, celui qui se déplace en
réalité, c’est le poète et non le paysage. Mais il rend ainsi sensible l’impression de mouvement
que l’on ressent lorsque l’on regarde défiler un paysage depuis le moyen de transport dans lequel
on se trouve.
Ces images peuvent aussi s’expliquer par l’état à peine éveillé du poète. Par la place qu’elles
prennent dans le texte et par leur étrangeté, ces images semblent être la continuation de ses rêves
ou de ses cauchemars.
3) À la fin du vers 1, ainsi que dans les strophes 2 et 3 (vers 9 à 11), il faut continuer la lecture
sans marquer de pause pour comprendre le sens de la phrase. Le poète utilise des enjambements
pour allonger le rythme du vers. On peut voir dans cet allongement la volonté d’imiter le
mouvement ininterrompu de la voiture.
ÉCRIRE
1) Voici le texte d’Apollinaire dans sa totalité (« Il y a » in Poèmes à Lou). Il figure à l’origine
dans une lettre adressée par le poète à une femme qu’il aime. Il est en train, et part rejoindre son
régiment pendant la Première Guerre mondiale.

Il y a des petits ponts épatants


Il y a mon cœur qui bat pour toi
Il y a une femme triste sur la route
Il y a beau petit cottage dans un jardin
Il y a six soldats qui s’amusent comme des fous
Il y a mes yeux qui cherchent ton image
Il y a un petit bois charmant sur la colline
Et un vieux territorial pisse quand nous passons
Il y a un poète qui rêve au ptit Lou
Il y a un ptit Lou exquis dans ce grand Paris
Il y a une batterie dans la forêt
Il y a un berger qui paît ses moutons
Il y a ma vie qui t’appartient
Il y a mon porte-réservoir qui court qui court
Il y a un rideau de peupliers délicat délicat
Il y a toute ma vie passée qui est bien passée
Il y a des rues étroites à Menton où nous nous sommes aimés
Il y a une petite fille de Sospel qui fouette ses camarades
Il y a mon fouet de conducteur dans mon sac à avoine
Il y a des wagons belges sur la voie
Il y a mon amour
Il y a toute la vie
2) Voici le poème de Gérard de Nerval (extrait du recueil Odelettes), dont ont été extraites les
rimes :

Le relais
En voyage, on s’arrête, on descend de voiture ;
Puis entre deux maisons on passe à l’aventure,
Des chevaux, de la route et des fouets étourdi,
L’œil fatigué de voir et le corps engourdi.
Et voici tout à coup, silencieuse et verte,
Une vallée humide et de lilas couverte,
Un ruisseau qui murmure entre les peupliers,
Et la route et le bruit sont bien vite oubliés !
On se couche dans l’herbe et l’on s’écoute vivre,
De l’odeur du foin vert à loisir on s’enivre,
Et sans penser à rien on regarde les cieux…
Hélas ! une voix crie : « En voiture, messieurs ! »
L’USAGE DU MONDE ; LE POINT DE NON-
RETOUR
NICOLAS BOUVIER

COMPRENDRE
• Les deux textes
1) Les éléments qui permettent de situer géographiquement ces deux textes sont les indications
de lieu (« Route d’Ordu », « plage noire de la Caspienne »), ainsi que de manière plus imprécise,
« dans le ciel du côté de la Crimée ». Par ailleurs, certains mots sont évocateurs de l’Orient
comme le mot « babouche ».

• L’usage du monde
2) Il est en voyage et dans une voiture conduite à ce moment-là par son compagnon de route. Il
est dans un état de fatigue très profond.
3) Les pronoms employés (« on », « vous », « nous ») renvoient tous à l’auteur du récit et à son
compagnon. (Pour l’effet produit par cet emploi particulier des pronoms « on » et « vous », voir
la réponse 1 de la partie Analyser).
4) Les indications fournies par l’auteur (« Route d’Ordu », « Vingtième heure de conduite », «
Un peu plus tard ») évoquent un journal de voyage. Le titre et la présence de l’auteur dans le
récit font penser à un récit de voyage à travers le monde.

ANALYSER
• L’usage du monde
1) L’auteur emploie un présent, forme de présent de narration ici, puisque le texte a été écrit
après l’expérience décrite.
Par l’emploi des pronoms personnels et adjectifs possessifs, l’auteur manifeste sa présence dans
le texte de manière classique : « c’est mon tour » (et l’emploi du « nous » qui renvoie à l’auteur
et à son compagnon). Mais l’auteur emploie également le pronom « on » qui a ici une valeur
plutôt généralisante (il est relayé par le possessif « sa » : « sa tête ») et le « vous », qui renvoie ici
à l’auteur mais qui entraîne aussi une plus grande implication du lecteur.
L’emploi des temps et des pronoms donne une impression d’immédiateté, comme s’il s’agissait
moins de raconter un souvenir que de partager une expérience avec le lecteur. Le « je » se recule,
s’efface presque derrière un « on » plus discret, qui permet au lecteur d’entrer à son tour dans le
récit. L’emploi du « vous », là où on pourrait attendre une première personne, va dans le même
sens : l’auteur semble se déposséder de son expérience pour mieux la faire ressentir.
2) Le texte ne présente pas une description d’ensemble mais quelques mots précis et concrets qui
permettent de camper un paysage, des détails qui suggèrent une ambiance (« l’haleine chaude et
forte des buffles »). La description est sobre et procède parfois par énumération : « on voit dans
les brumes de l’aube un talus, des bosquets, un gué »). On plonge dans une ambiance, celle dans
laquelle l’auteur/narrateur s’éveille.
De même, le portrait de la bergère est plus suggestif que descriptif ; il s’agit plus d’une esquisse
que d’un portrait. La bergère est une silhouette, aperçue par la fenêtre et le lecteur la voit avec les
yeux du narrateur qui retient quelques détails frappants (« douze ou treize ans », « un fichu rouge
sur la tête et une pièce d’argent suspendue au cou »).
3) L’humour est perceptible dans la dernière phrase de la première partie du texte : « Ces deux
morts mal rasés l’intriguent énormément ». Le regard s’inverse dans cette phrase. C’est la
bergère qui regarde les deux hommes endormis et mal rasés, et qui se demande s’ils sont morts
ou vivants. L’humour vient de cette inversion du regard et de l’étonnement (les voyageurs qui
regardaient la bergère deviennent à leur tour objet d’étonnement) et du raccourci qui est opéré
dans l’expression « ces deux morts mal rasés ».
4) La légèreté est évoquée par les termes « un petit poisson », « la couleur de la fumée », « des
racines blanchies », « de menus éclats », « une douce pluie », « quelques barcasses ».
Le paysage décrit par le texte est lui-même dépouillé, fait d’un espace vide, ouvert (la plage de
sable, la mer, le ciel). Les couleurs s’estompent, on croirait presque voir une photo en noir et
blanc (« le sable noir », « Sa chair rose prend la couleur de la fumée », « des racines blanchies »).
L’écriture souligne ce dépouillement du paysage par sa recherche de simplicité (emploi du
présent, simplicité de la construction des phrases). Les mots choisis suffisent pour donner à voir
ou à sentir sans effet de style.

• Le point de non-retour
5) Modifications apportées par l’auteur :
– changement de temps, passage du présent à l’imparfait. La même scène est présentée avec plus
de distance ;
– les verbes à la première personne du pluriel sont moins nombreux (trois dans le récit, un seul
dans le poème). Il ne s’agit plus du récit d’une journée, mais d’un poème qui va restituer les
sensations et les sentiments d’une expérience vécue.
– le sujet s’efface encore un peu plus (voir ci-dessus le recul du « nous »), et un « tu » apparaît
par lequel le poète s’adresse à lui-même : il souligne la distance entre celui qui a vécu cette scène
dans le passé et le poète au présent, mais en même temps une compréhension intime.
– la recherche du dépouillement est plus accentuée dans le poème (« un petit poisson » devient «
un tout petit poisson »). Ce dépouillement extrême, cet effacement du moi débouche ici sur la
conscience de la mort qui viendra (« tu n’en reviendras pas »). Ce thème est annoncé par le titre :
le point de non-retour.
Ainsi, le poème intensifie ce qui est latent dans le texte : son style est bref, dense, presque
comme la simple notation de choses vues, derrière laquelle le poète semble vouloir s’effacer. De
même, les thèmes du dépouillement, de la mort, ou plus exactement de la perte de soi à travers le
voyage, sont repris ici avec une extrême densité. Le poème est marqué par une dualité chère à
Nicolas Bouvier, et qui est présente dans nombre de ses poèmes : le sentiment d’un bonheur
extrême ne peut être dissocié de la perte de soi (« la vie si égarante et bonne »), de la mort qui
vient et qui est acceptée (« va-t-en me perdre où tu voudras »). Et le voyage offre cette double
expérience de l’émerveillement et de la perte de soi.
EMPORTEZ-MOI
HENRI MICHAUX

COMPRENDRE
1) Ce poème évoque le voyage et la fuite.
2) On peut remarquer la répétition de l’impératif d’un verbe de mouvement (« Emportez-moi »)
suivi de différents compléments circonstanciels de lieux.
3) Ces mots introduisent des compléments circonstanciels exprimant le lieu (la destination), mais
aussi le moyen de transport.

ANALYSER
1) On peut trouver différents fils rouges permettant de relier les mots les uns aux autres. Les
compléments de lieux évoquent un voyage sur la mer dans la première strophe, qui fait penser
aux voyages lointains (dans le temps et l’espace) des conquistadors (« caravelle », « étrave », «
écume »).
Ils évoquent aussi un voyage dans un paysage d’automne et/ou d’hiver (« les feuilles mortes », «
la neige »), ainsi qu’un un voyage à l’intérieur de soi, à l’intérieur du corps humain. De lointain
et extérieur, le voyage se fait tout proche, interne, comme une plongée en soi-même.
2) Enchaînements reposant sur le sens :
– « Dans une vieille et douce caravelle », « dans l’étrave », « dans l’écume », trois termes qui
renvoient à la navigation sur mer ;
– « l’attelage d’un autre âge » (vers 5), ici, l’attelage peut annoncer les « quelques chiens réunis
» (vers 7). « d’un autre âge » reprend à la fois « caravelle » (bateau ancien), et « au loin »
(éloignement dans l’espace et le temps) ;
– « le velours trompeur » (vers 6) évoque à la fois la douceur de la neige et le froid dangereux,
mortel qu’elle représente. Le thème de la neige est repris vers 8 par celui des feuilles mortes ;
– « la troupe » reprend l’idée d’« attelage », des « chiens réunis » ; et « exténuée » annonce « les
feuilles mortes » ;
– dans la troisième strophe, les images renvoient au corps humain ; elles évoquent d’abord une
étreinte amoureuse (« les baisers », « les poitrines qui se soulèvent et respirent », « les tapis des
paumes et leur sourire » qui peuvent suggérer une caresse), puis une plongée à l’intérieur du
corps, avec l’emploi d’un vocabulaire toujours imagé (« les corridors des os ») mais plus
physiologique, voire médical (les os, les articulations).
Enchaînements reposant sur les sonorités :
Les mots semblent s’appeler aussi les uns les autres par des similitudes sonores : étrave/écume,
attelage/âge ; briser/baisers (assonances ou paronomases, c’est-à-dire des mots dont la sonorité
est proche mais le sens différent).
3) Le mouvement est traduit :
– par la répétition de l’impératif « Emportez-moi » ;
– par la rapidité du rythme qu’entraîne l’accumulation des compléments introduits par « dans »
et « sur », donc des espaces traversés ;
– par le recours à des mots qui évoquent le mouvement (« caravelle », « attelage ») ; mais le
mouvement est aussi celui de la respiration, du souffle annoncé par « l’haleine », et développé
dans le vers 10.
L’enfouissement appelé par le poète dans le dernier vers peut paraître contradictoire avec le
mouvement continu qui traverse ce poème et le désir d’être emporté. Mais cette chute appelle à
lire le poème différemment, en intériorisant le mouvement.
4) Dans le dernier vers, le passage de « Emportez-moi » à « enfouissez-moi » modifie la tonalité
du poème, car le verbe évoque une mise en terre. Il incite le lecteur à lire autrement la demande
du poète. Le désir de voyage lointain, d’être emporté, devient un désir de disparition pour lequel
le poète marque sa préférence (« ou plutôt »).
5) La mort connotée par le verbe enfouir est déjà suggérée dans le poème par des mots qui
l’annoncent : « perdez-moi » (vers 4), « la troupe exténuée des feuilles mortes » (vers 8), et le
thème de l’hiver avec « la neige » (vers 6), « sans me briser » (vers 9).
Ainsi, la mort est présente tout au long du poème. Le poète souligne la fragilité et la légèreté des
choses et de la vie humaine (« une vieille et douce caravelle », « l’écume », « l’haleine », « la
troupe exténuée des feuilles », « sans me briser ») et il est comme attiré par la douceur de la mort
(« le velours trompeur de la neige »).
L’étreinte suggérée dans la dernière strophe peut aussi être lue comme une image de cette
attirance vers la mort.
Ainsi, ce poème qui s’ouvre sur un rêve de voyage lointain et exotique se clôt sur un mouvement
contraire : plongée en soi et désir d’enfouissement. Il est intéressant de remarquer que cette
évolution est à l’image du parcours d’Henri Michaux qui, après de nombreux voyages lointains,
s’est tourné progressivement vers un voyage intérieur, grâce à l’écriture, au recours aux
hallucinogènes ou à la lecture des grands mystiques. On peut d’ailleurs noter que ce poème
appartient à un recueil intitulé Mes propriétés, paru dans L’Espace du dedans.
CHAPITRE 9

L’ART
NU DANS LE BAIN DE BONNARD
SOPHIE CALLE

COMPRENDRE
1) Sophie Calle a séparé les paroles des différentes personnes interrogées par des carrés noirs.
Ces personnes sont les conservateurs, les gardiens et autres permanents du musée, qui sont
passés devant le tableau de Bonnard quand il était accroché et à qui Sophie Calle demande de
décrire, et de dessiner le tableau absent.
2) Les personnes parlent surtout des couleurs.
3) Sophie Calle travaille sur la vie quotidienne et les souvenirs. Ici, elle essaye de mettre en
scène les différents souvenirs que les personnes ont des choses qu’elles côtoient sans cesse.

ANALYSER
1) La plupart des gens utilisent le verbe voir, et des verbes actifs au présent : « Il y a une femme
», « Elle prend toute la longueur », « Elle, c’est Marthe », « on distingue », « Je crois qu’on voit
», « je ne me souviens plus » ; le souvenir est donc vivant. On trouve aussi quelques verbes au
passé composé (« j’ai vu ») et des imparfaits qui décrivent la personne (« Elle était dépressive »).
Ce choix montre qu’il n’y a aucune recherche dans l’emploi des verbes introductifs.
Les adjectifs de couleur sont très nombreux, « On contemple la couleur » dit une personne : des
nuances du bleu au rose (« mauve », « parme »), mais aussi « orange », « des jaunes, des verts ».
Les « gris », « marrons », « blanc », « blanchâtre » sont liés à des impressions de tristesse ou à
une image de femme noyée (on pourrait penser à Ophélie dans Hamlet de Shakespeare).
2) Certaines phrases sont purement descriptives, le plus objectives possible (l’ensemble du
tableau est décrit), d’autres décrivent des éléments du tableau (les couleurs, des parties du corps
de la femme), d’autres sont très subjectives ou plus pédantes (référence à la vie de Marthe, la
femme du peintre Bonnard), d’autres sont critiques (« il manque l’idée »). Le vocabulaire peut
être un vocabulaire simple (« il y a une femme étendue dans sa baignoire »), ou savant (« comme
une source de lumière intérieure et sensuelle »).
Cet ensemble représente bien les différentes réflexions des personnes ayant ou n’ayant pas de
culture artistique que l’on peut entendre devant des tableaux dans les musées.

HENRI ROUSSEAU LE DOUANIER À


L’OCTROI DU POINT-DU-JOUR
JEAN TARDIEU
COMPRENDRE
1) Jean Tardieu essaye de se mettre à la place d’Henri Rousseau quand il peint pour comprendre
pourquoi et comment il crée.
2) Jean Tardieu fait parler Henri Rousseau, dit le Douanier.
3) Henri Rousseau va commencer un tableau.
4) Le peintre veut faire rentrer le monde dans « le vrai paradis » qui est le paradis de l’art.
5) Jean Tardieu rappelle que beaucoup de gens n’ont pas compris la peinture naïve du Douanier
Rousseau et se sont moqués de lui.
6) Henri Rousseau a peint avec une très grande précision, en utilisant même des reproductions
photographiques. Il voulait rivaliser avec la photographie.
7) Il s’agit de la description de l’un des autoportraits d’Henri Rousseau.

ANALYSER
1) Le vocabulaire est simple, naïf (« l’herbe veut être verte ») « sages […] comme des images »).
Il y a des énumérations qui servent à nommer le monde (« les maisons où l’on vit, les routes où
l’on marche », « la mariée comme une crème », « les branches aux feuilles nombreuses »), les
noms précis des arbres (« chênes », « peupliers », « acacias »).
2) « C’est le commencement, le monde est à repeindre, »
« m’attendent pour entrer dans leur vrai paradis. »
« je ne suis pas ici pour me moquer des choses ; »
« Et moi-même en veston la palette à la main »
« aux portes de l’octroi sous les drapeaux du jour »
« j’arrêterais pour vous les heures d’aujourd’hui.»
Les alexandrins, majestueux, disent l’essentiel de l’ambition et du processus de création du
peintre. Le peintre de l’éternité a l’ambition d’arrêter le temps. Ce qui donne au peintre un rôle
quasi divin, capable de repeindre le monde.
3) Les présents notent l’intemporel, à la fois le commencement du monde, mais aussi l’herbe
verte ou les maisons où l’on vit. Les conditionnels présents marquent ici, non pas la conséquence
d’une condition ou un fait irréel dans le présent, mais la fiction, comme les enfants qui jouent et
qui peuvent dire « je serais la maîtresse d’école » ou « tu serais un policier ». Cela illustre la
naïveté mais aussi la forte volonté du Douanier Rousseau d’arrêter le temps.

FEMMES D’ALGER DANS LEUR


APPARTEMENT
ASSIA DJEBAR
COMPRENDRE
1) D’après le poète Charles Baudelaire qu’Assia Djebar cite, le tableau de Delacroix montre la
grande tristesse des femmes enfermées, maudites, malheureuses, espionnées par une servante,
car elles n’ont pas la parole (« le son est de nouveau coupé »). Picasso libère les femmes de leur
corps, elles dansent, sont heureuses et puissantes (« olympienne », « la reine »). Si elles sont
nues, ce n’est pas une nudité simplement corporelle, Assia Djebar suggère que Picasso fait
référence au même mot arabe qui veut dire nue et dévoilée. La nudité est donc ici symbolique et
veut dire sans voile, c’est-à-dire libre.
2) Alors que la guerre d’Algérie commence en 1954, il a fallu que les hommes acceptent vers
1960, quand la guerre s’intensifie, d’avoir les femmes comme compagnes de combat. La guerre
suppose l’exposition des corps, et l’attaque d’autres corps. C’est pourquoi elle est toujours
considérée comme réservée aux hommes et comme un symbole de virilité.
3) Le lien entre le tableau et la guerre se fait dans le rapport au corps. Se dénuder sur la toile et
enlever le voile fait écho au fait de se dénuder pour combattre, perdre sa féminité pour devenir
une combattante.
4) Les femmes combattantes ont eu leur corps exposé mais aussi violé, torturé. Ces viols,
habituels en temps de guerre, ont libéré la parole des Algériens. Le peuple d’Algérie a pu
nommer ces tortures, et dire la souffrance des femmes, mais le silence est retombé. Le son a été
de nouveau coupé, et le regard interdit par les hommes sur le monde des femmes est un retour
aux temps des harems.
5) Assia Djebar espère une libération vraie. Son rôle d’écrivain est de rechercher « dans les
bribes de murmures anciens », les voix peu écoutées des femmes, et des moyens de reconstruire
leur parole. Il s’agit ici de son projet d’écrivain, et du fil rouge de son œuvre.

ANALYSER
1) On peut distinguer quatre parties dans ce texte.
– Première partie : la description du tableau de Picasso.
– Deuxième partie : les femmes dans la guerre d’Algérie.
– Trosième partie : le retour au harem après la guerre.
– Quatrième partie : l’espoir d’Assia Djebar, en conclusion.
2) Dans les quatre parties, il y a une introduction et une conclusion.
– La description du tableau de Picasso : introduction à Picasso (« Alors que débutait »),
description du tableau (introduit par le nom du peintre Picasso mis en valeur en début de phrase),
conclusion (« Car il n’y a plus de harem ») qui se termine par le mot essentiel « corps ».
– Les femmes dans la guerre : introduction historique (questions de l’historienne : « Il s’agit de
se demander »), paragraphe sur le rôle du viol (attaque du corps) dans la prise de parole qui est
un dévoilement (« Si le viol […] traumatisme par l’ensemble de la collectivité algérienne »).
– Le retour au harem : introduction (« Ce que les mots avaient dévoilé le temps d’une guerre »),
paragraphe sur le présent qui remet alors l’histoire dans le quotidien (« voilà que […] voilà que
[…] Revient alors »), paragraphe sur la parole coupée (« Revient alors le lourd silence », « fin au
rétablissement momentané du son », « Le son est de nouveau coupé », « silence s’étendant
alentour », « le son de nouveau coupé », « loi du silence », Conclusion « Mais »). C’est le retour
de la structure du sérail.
– Conclusion : même construction des deux phrases (« Je ne vois que dans les bribes […] celle-là
même que », « Je n’espère que de […] celle que »). Le texte se termine par une sorte de chiasme
: « une libération concrète et quotidienne des femmes. »

Les mots se font écho deux par deux : les substantifs « libération » et « femmes », et les adjectifs
« quotidienne » et « concrète ». En tissant ainsi ces éléments, Assia Djebar veut exprimer que le
combat des femmes est un combat de chaque jour et pas seulement en temps de guerre.
3) Picasso préside à un changement des temps. Il a donc, en 1954, une vision nouvelle, moderne,
qu’Assia Djebar veut intemporelle.
4) Ce sont des événements passés qui ont provoqué alors une prise de conscience qui a disparu à
la fin de la guerre.
5) Il s’agit du vœu que fait Assia Djebar sur la libération des femmes algériennes, mais aussi
l’expression de sa volonté de rassembler au cours de son œuvre les « bribes de murmures anciens
», qui peuvent rendre la parole aux femmes.
6) Elle utilise de nombreux adjectifs selon un rythme particulier, ternaire : « réveil des corps dans
la danse, la dépense, le mouvement gratuit », « hermétique, olympienne, soudain immense ».
Cela donne du mouvement à la description.
7) Il y a un parallèle entre les mots « dénudées » et « dévoilées », deux mots, deux réalités
différentes en français, traduits par le même mot en arabe usuel. Cela va permettre à Assia
Djebar de faire une variation autour du rapport des femmes algériennes à leur corps : « Un voile
se déchirait », « Ce que les mots avaient dévoilé », « révélation » (au sens premier d’enlever un
voile), « le dévoilement des mots ». Le dévoilement des femmes par Picasso représente
l’intuition du peintre sur la libération de la parole des femmes combattantes pendant la guerre.

POUR ALLER PLUS LOIN


Exposé au Salon de 1834, aussitôt acheté par Louis-Philippe, Femmes d’Alger dans leur
appartement d’Eugène Delacroix a suscité nombre d’opinions admiratives de Renoir (« Il n’y a
pas de plus beau tableau au monde »), de Cézanne (« ces roses pâles et ces coussins brodés, cette
babouche, toute cette limpidité, je ne sais pas moi, vous entrent dans l’œil comme un verre de vin
dans le gosier, et on en est tout de suite ivre »), et de Théophile Gautier (« les Femmes d’Alger
ne le cèdent, pour la finesse et le clair-obscur, à aucune production vénitienne »). Charles
Baudelaire voyait dans « ce petit poème d’intérieur, plein de repos et de silence, encombré de
riches étoffes et de brimborions de toilette […] un je ne sais quel haut parfum de mauvais lieu
qui nous guide assez vite vers les limbes insondés de la tristesse », et Victor Hugo estimait que
ces « Femmes d’Alger, cette “orientale” étincelante de lumière et de couleur, sont le type même
de laideur exquise propre aux créatures féminines de Delacroix ».
Près d’un siècle et demi plus tard, Assia Djebar fait remarquer que « si le tableau de Delacroix
inconsciemment fascine, ce n’est pas en fait pour cet Orient superficiel qu’il propose, dans une
pénombre de luxe et de silence, mais parce que, nous mettant devant ces femmes en position de
regard, il nous rappelle qu’ordinairement nous n’en avons pas le droit. Ce tableau lui-même est
un regard volé […] Ce regard-là, longtemps on a cru qu’il était volé parce qu’il était celui de
l’étranger, hors du harem et de la cité. Depuis quelques décennies – au fur et à mesure que
triomphe ça et là chaque nationalisme – on peut se rendre compte qu’à l’intérieur de cet Orient
livré à lui-même, l’image de la femme n’est pas perçue autrement par le père, par l’époux et,
d’une façon plus trouble, par le frère et le fils ». Rachid Boudjedra (écrivain) estime pour sa part
que « Delacroix portait sur cette réalité algérienne un regard de pacotille et de bimbeloterie.
Nous sommes en 1834. Le canon tonne et Alger est à feu et à sang. L’intimité de ce gynécée,
même si le tableau est – en soi – d’une très belle facture, a quelque chose de gênant et de faux ».

VIE DE JOSEPH ROULIN


PIERRE MICHON

COMPRENDRE
1) Joseph Roulin est facteur à Arles. Il rencontre Vincent Van Gogh qui est venu dans le Sud de
la France car il a lu des livres sur cette région. Il pensait qu’il serait moins pauvre, que les
femmes seraient plus gentilles. Il est aussi venu parce qu’il aime la couleur des ciels (vocabulaire
de la peinture). Joseph Roulin a 47 ans. Ils se voient pour la dernière fois à l’Hôpital d’Arles en
1889.
2) Pierre Michon décrit plus précisément Joseph Roulin. Il est « alcoolique et républicain », «
fort en gueule », « bon bougre ». Il a une grande barbe, il chante et il a l’air russe. Il décrit Joseph
Roulin selon son projet d’écrire sur les « vies minuscules », et met en valeur celui qui est
généralement ignoré, le modèle du peintre.

ANALYSER
1) Il y a une indétermination des personnages et un effet d’attente (comme dans le Nouveau
Roman). En même temps, les deux personnages sont dans une relation d’égalité, d’autant plus
que c’est le modèle qui est en première place (« L’un ») en opposition au peintre (« l’autre »).
2) Pierre Michon fait référence aux portraits connus de Louis XIV et d’Innocent X, qui
représentent le pouvoir. Il met ainsi au même niveau par une simple comparaison les
personnages illustres et l’humble Roulin, dans un rapport intertextuel, c’est-à-dire l’écho que fait
un texte dans un autre texte.
3) Le passé simple est le temps de la langue littéraire, des ouvrages savants, des biographies
comme l’imparfait du subjonctif (« pour qu’il le peignît »). Pierre Michon emploie l’imparfait
pour la description, et le présent pour rapporter les éléments de la biographie.
4) Pierre Michon introduit plusieurs éléments biographiques par « On croit », « On connaît », «
On sait », « On ne sait », « On est sûr », « On ne sait pas ». Le « on » représente l’imprécision, et
donc les limites des sources biographiques. Pierre Michon veut mettre l’accent sur le fait que le
public s’intéresse en général à des détails sans intérêt et ignore l’essentiel comme « On ne sait
pas ce qu’ils se dirent en dernier ».
5) Pierre Michon fait référence directement aux lettres que Van Gogh envoyait à son frère Théo,
et dans lesquelles il parlait du facteur : « Dans le peu qu’en écrit Van Gogh ». Le rythme des
phrases est binaire (« républicain et alcoolique », « fort en gueule et bon bougre »). Il précise
même l’imprécision de Van Gogh, en faisant un rapport critique entre ce qu’écrit Van Gogh sur
Joseph Roulin et la contemplation des portraits.

POUR ALLER PLUS LOIN


Pierre Michon applique ici à la lettre le conseil de Marcel Schwob, qui réclame qu’on donne
autant de prix à la vie d’un pauvre acteur qu’à la vie de Shakespeare, et qui termine par ces
lignes L’Art de la biographie : « Il ne faudrait sans doute point décrire minutieusement le plus
grand homme de son temps, ou noter la caractéristique des plus célèbres dans le passé, mais
raconter avec le même souci les existences uniques des hommes, qu’ils aient été divins,
médiocres, ou criminels. »
Gérard Macé, Nouvelle Revue française, juillet-août 1988
CHAPITRE 10

LE FOOTBALL
LIVRE À VENDRE
ROLAND DUBILLARD ET PHILIPPE DE CHERISEY

COMPRENDRE
1) L’auteur décrit la tribune d’un stade de football et le déroulement d’un match de football.
2) L’équipe de l’Olympique de Paris décrite par Roland Dubillard est composée de joueurs dont
les noms ont des origines diverses. Ils ressemblent à des noms arabe, grec, hollandais, polonais,
russe, suédois, espagnol, italien, américain, juif. L’équipe est à l’image de beaucoup d’équipes
de football en France. Les joueurs du football club de Pékin ont des noms qui ressemblent à des
noms chinois, mais Dubillard y mêle des jeux de mots : « Ping », « Pong », «Pang », « Tchin-
Tchin » (à votre santé), « Lao-Tseu » (le nom d’un philosophe chinois) ou « Dupong » (un nom
typiquement français qui sonne chinois avec un « g »), des onomatopées « Ho-Hu » et même un
mot qui se prononce de la même manière qu’une expression anglaise vulgaire : « Fu Kiu ».
3) Les deux calligrammes représentent les déplacements des joueurs de football lors d’un match
sur le terrain jusqu’au but.

ANALYSER
1) La description des tribunes est très minutieuse, presque mathématique. Elle donne
l’impression d’un jeu miniature. L’emploi du vocabulaire géométrique, la précision sur le
nombre des spectateurs : « 8 x 6 x 21 = 1 008 personnes » produisent un effet comique. Roland
Dubillard construit aussi un effet de zoom pour arriver sur le seul point de couleur « rouge » et la
phrase « c’était moi », le personnage principal.
2) Le calligramme permet aussi de décrire les différents jeux au pied et les passes des joueurs.
On peut comprendre leurs hésitations « à à à à à » et la longueur du tir au but «shooooooooot».
Il est drôle de voir un calligramme, utilisé plutôt par les poètes, montrant ici un match de
football.
3) La dernière phrase est très longue. Elle imite le chemin très long que parcourt le ballon suivi
du regard par la foule. Elle se termine par une allitération en « s », permettant presque d’entendre
siffler l’air traversé par le ballon.

PETIT PONT
JEAN-NOËL BLANC

COMPRENDRE
1) Le narrateur est un jeune joueur qui vient d’être engagé pour la première fois dans l’équipe du
Paris Saint-Germain (PSG), pour la finale de la Coupe des Coupes contre la Juventus de Turin.
2) Sur le terrain, les footballeurs français échangent des ballons, puis le jeune joueur reçoit le
ballon et part vers les buts en trompant un joueur italien.
3) Djelloul, Slimane, Vladi, Abdou, sont des footballeurs d’origine arabe, de pays de l’est et
d’Afrique. Ils pourraient représenter l’équipe de France telle qu’elle était composée quand elle a
gagné la Coupe du Monde en 1998, avec des joueurs black, blanc, beur (d’origine africaine,
européenne ou maghrébine). Le mot beur signifie arabe lu à l’envers, en verlan, puis, beur
devient rebeu, en suivant le même procédé.

ANALYSER
1) L’auteur décrit les différentes phases du match comme un reportage, comme une succession
d’actions, mais il les coupe avec des réflexions du jeune joueur sur le jeu des footbal leurs ou sur
le sien.
2) La langue, très simple, est utilisée dans des phrases ou des propositions courtes. Les phrases
commencent souvent par les noms des joueurs ou des pronoms personnels, ce qui donne un effet
d’action. Quand le jeune joueur intervient, les phrases commencent par le pronom « je »,
modifiant le point de vue. Il y a un effet de zoom qui isole ce joueur au milieu du stade. Jean-
Noël Blanc joue avec l’imparfait et le passé composé pour ralentir ou accélérer la description du
jeu. Le passé composé de la dernière phrase « Le stade a applaudi » marque l’action terminée.

LE PREMIER HOMME
ALBERT CAMUS

COMPRENDRE
1) Les enfants jouent dans la cour de l’école pendant la récréation.
2) Les élèves se partagent en deux équipes. Il n’y a pas d’arbitre.
3) Il est très bon joueur de football et donc aimé des mauvais élèves plus sportifs, mais il est
aussi bon élève et donc respecté par les bons élèves.
4) Pierre ne joue pas car sa santé est plus fragile.
5) Il est « mordu » de football et oublie l’école en jouant. Il se sent « roi de la cour et de la vie ».

ANALYSER
1) Le texte est composé de quatre parties : la description du terrain, le jeu, Jacques et Pierre, la
fin de la récréation et du jeu.
2) Albert Camus emploie l’imparfait pour marquer la répétition du passé. Il marque ici que les
jeux de football se répétaient à chaque récréation, montrant la passion du personnage pour le jeu.
3) Le terrain de jeu est décrit par une phrase longue, comme celles qui concernent les héros. Mais
dès que le jeu commence, les phrases deviennent courtes.

S COMME SPORT
ALBERT JACQUARD

COMPRENDRE
1) Albert Jacquard pense que le sport a perdu son premier sens qui était l’« amusement ».
2) Albert Jacquard estime que la seule compétition qui devrait exister est celle que l’on fait pour
se surpasser. D’après lui, on ne devrait jamais se préoccuper des résultats.
3) Albert Jacquard considère l’apprentissage, qu’il appelle « l’écoute de l’autre », comme
l’aspect le plus essentiel de la vie humaine.

ANALYSER
1) Albert Jacquard décrit les matchs avec un vocabulaire très fort (« vocifèrent », « sans-le-sou »,
« perdants », « minables »).
2) C’est le « moi » qui s’oppose au « moi ». Albert Jacquard met en valeur le « moi », mot qu’il
répète trois fois, par rapport à « X » et « Y », qui sont des lettres qui désignent des gens que l’on
ne connaît pas. Il utilise aussi les pronoms démonstratifs (« ceux ») ou indéfinis (« les autres »).
En opposition, il répète les pronoms personnels « je » et « moi ».
3) Il s’agit d’un paragraphe très fort. Albert Jacquard veut persuader son lecteur. Il introduit son
argumentation par une phrase exclamative et le mot « progrès ». Il emploie trois fois l’impératif
du verbe imaginer pour inciter le lecteur à penser autrement le sport. Il utilise le conditionnel
pour marquer l’irréel du présent, laissant une possibilité d’un changement d’attitude. Il choisit
des mots très forts (presque vulgaires) pour parler des supporters (« braillards avinés »), et
analyse en fin de paragraphe l’usage courant mais impropre du « on » comme « nous ».
SOMMAIRE
1. LA langue française
Claude Duneton, « Inventez des mots »
Jean-Marie Gustave Le Clézio, « Éloge de la langue française »
Henri Lopès, « Pourquoi j’écris »
Kateb Yacine, « Dans la gueule du loup »
Édouard Glissant, « Défendre toutes les langues »

2. L’AMOUR
• La rencontre amoureuse
Marguerite Duras, « L’amant »
Alphonse Allais, « Complainte amoureuse »
Réjean Ducharme, « Je suis contre l’amour »
Olivier Cadiot, « Roméo & Juliette »
• Définition
Robert Desnos, « Conte de fées »
Claude Roy, « Le verbe aimer »
Roland Barthes, « Je-t-aime est sans emplois »

3. LA FEMME
• Éloge du corps féminin
Marie-Thérèse Humbert, « Ce que je vis, d’abord, moi, ce furent ses pieds »
Guillaume Apollinaire, « Cette adorable personne, c’est toi »
Léopold Sedar Senghor, « Femme noire »
Paul Éluard, « La courbe de tes yeux »
• La condition féminine
Mariama Bâ, « Une si longue lettre »
Maïssa Bey, « C’est cela, sa mère. Rien que cela. »
Michel Tremblay, « Une maudite vie plate ! »
Molière, « Les femmes savantes »

4. LA MÉMOIRE
Albert Cohen, « Le livre de ma mère »
Georges Perec, « Je me souviens »
Paul Verlaine, « Après trois ans »
Marcel Proust, « L’édifice immense du souvenir »

5. LES CHOSES
Nathalie Sarraute, « Enfance »
Driss Chraïbi, « La civilisation, ma mère ! »
Régine Detambel, « Le Bracelet Caoutchouc Blond »
Jacques Réda, « La bicyclette »

6. LA TABLE
• Recettes littéraires
Denis Diderot, « Biscuits »
Guillevic, « Recette »
Michèle Zaoui, « Vie et engloutissement d’un gâteau dominical »
Patrick Chamoiseau, « Écrire avec du sucre et dévorer l’écrit »
• À table
Georges Barbarin, « La pomme de terre »
Pierre de Ronsard, « La salade »
Marc-Antoine de Saint-Amant, « Le fromage »
Francis Ponge, « Le pain »

7. LA MER
Andrée Chédid, « Descente vers la mer »
René Fallet, « Ici la mer »
Pierre de Marbeuf, « Et la mer et l’amour »
Victor Hugo, « Oceano Nox »

8. LE VOYAGE
Jacques Poulin, « Volkswagen Blues »
Gérard de Nerval, « Réveil en voiture »
Nicolas Bouvier, « L’usage du monde » ; « Le point de non-retour »
Henri Michaux, « Emportez-moi »

9. L’ART
Sophie Calle, « Nu dans le bain de Bonnard »
Jean Tardieu, « Henri Rousseau, le douanier à l’octroi du Point-du-Jour »
Assia Djebar, « Femmes d’Alger dans leur appartement »
Pierre Michon, « Vie de Joseph Roulin »

10. LE FOOTBALL
Roland Dubillard et Philippe de Cherisey, « Livre à vendre »
Jean-Noël Blanc, « Petit pont »
Albert Camus, « Le premier homme »
Albert Jacquard, « S comme SPORT »

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