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RÉFLEXIONS AUTOUR DE
CONTRADICTIONS
Camille Jenn
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Camille JENN*
The article sets out and analyses Heinrich von Kleist’s difficult and traumatic
relationship with France in his writings and his biography. What one can observe is a
sort of oscillation between radical critique and the reactivation of French influences
on his work. Although political and historical events bring him to a pessimistic
view of History and he is deeply critical of Napoleon’s political and military action
in Germany and Prussia, one can detect – behind this layer of propaganda –
reminiscences of French influences in his writings (whether it be novels or dramas),
such as the structuring role of Rousseau and Helvetius in Kleist’s poetical motives.
* Camille JENN est Maître de Conférences à l’université de Reims (URCA), 25, avenue
Albert-Ier, F-94210 LA VARENNE-SAINT-HILAIRE ; courriel : jenngastal@gmail.com
1. Les œuvres de Kleist sont citées dans l’édition suivante : Helmut Sembdner
(Hrsg.) : Heinrich von Kleist. Sämtliche Werke und Briefe. Zwei Bände, München : Carl
Hanser Verlag, 1993 (Band I : Gedichte, Dramen ; Band II : Erzählungen und Anekdoten,
Kleine Schriften, Briefe).
2. Heinrich von Kleist : Sämtliche Werke und Briefe. Zweiter Band, p. 262-291 et
p. 446-462.
3. Ibid., p. 587 : « ich könnte nach Paris gehen und die neueste Philosophie in dieses
neugierige Land verpflanzen ».
4. Ibid., p. 504, lettre à Wilhelmine von Zenge, début 1800 : « Auch noch ein Amt
steht mir offen, ein Amt, […] von dem freilich als Bürger des Staates nicht, wohl aber als
Weltbürger weiterschreiten kann – ich meine ein akademisches Amt. »
1. Kleist en France
5. Kleist fait état de ce projet d’un « plan de vie » dans une série de lettres, en parti-
culier à l’intention d’Ulrike von Kleist : par ex., lettre de mai 1799 : Kleist (n. 1), Band II,
p. 489 : « So lange ein Mensch nicht im Stande ist, sich selbst einen Lebensplan zu bilden,
so lange ist und bleibt er unmündig, er stehe nun als Kind unter der Vormundschft seiner
Eltern oder als Mann unter der Vormundschaft des Schicksals. »
6. La recherche ne tarit pas à propos de l’analyse de cette « Kant-Krise ». Il est néan-
moins possible de distinguer deux tendances fondamentales : d’une part, celle qui conteste
la thèse de la lecture par Kleist des écrits de Kant et d’une possible influence de la philo-
sophie critique de Kant ; d’autre part, celle qui pose l’hypothèse d’une influence de Kant
sur Kleist, que ce soit de manière directe (Kleist aurait lu la Critique du Jugement), ou
indirecte (Kleist aurait lu un ouvrage de vulgarisation sur Kant). Dans le premier cas, se
reporter à : Ernst Cassirer (qui défend la thèse d’une influence de la philosophie fichtéenne
du Moi absolu) : Heinrich von Kleist und die Kantische Philosophie, Berlin 1919. Pour la
seconde hypothèse, se reporter à Ludwig Muth : Kleist und Kant. Versuch einer Interpreta-
tion, Köln 1954. Jochen Schmidt récapitule clairement les données du problème dans son
récent ouvrage : Jochen Schmidt : Heinrich von Kleist. Die Dramen und Erzählungen in
ihrer Epoche, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2003.
wirrung, so läßt sie sich vergüten, und schützt mich vor einer andern, die
vielleicht unwiderruflich wäre.7
La crise kantienne déclenche une réaction de fuite, devant lui-même
et devant les responsabilités sclérosantes que la société prussienne et
la vie sociale de la petite ville de Francfort sur l’Oder exigent d’un von
Kleist. Kleist se dirige vers la capitale européenne des sciences et des
techniques, avec la mission plus ou moins officielle d’en ramener des
connaissances techniques utiles à sa carrière au service de l’État prus-
sien. Mais il semble avoir à peine fréquenté les salons, les cours d’uni-
versité, ni n’avoir été en contact avec les personnalités scientifiques
en vue, telles que Laplace, Monge, Lalande : sa correspondance reste
très vague sur le sujet.8 À Paris, Kleist a peut-être simplement croisé
Wilhelm von Humboldt et a été en contact avec quelques officiels prus-
siens. Kleist semble partir à la recherche d’un « sens » en donnant Paris
comme but à son voyage, alors même que la crise kantienne vient de
lui faire découvrir la contingence. Or, il est remarquable que Kleist
confère à sa destination le caractère sinon d’un « impératif », du moins
d’un « non-choix » qui augure mal de sa rencontre avec la capitale fran-
çaise et induit une relation antagoniste :
Ach, Wilhelmine, wir dünken uns frei, und der Zufall führt uns allgewal-
tig an tausend feingesponnenen Fäden fort. Ich mußte also nun reisen, ich
mochte wollen oder nicht, und zwar nach Paris, ich mochte wollen oder
nicht.9
Sa correspondance parisienne, premier exercice littéraire, tou-
jours adressée à des femmes, s’inspire de Rousseau et de sa critique
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10. Ibid., p. 685, lettre du 16 août 1801 à la jeune sœur de Wilhelmine, Luise von Zenge.
11. Ibid., p. 686, lettre à Luise von Zenge.
12. Ibid., p. 660, lettre du 18 juillet 1801 à Karoline von Schlieben.
13. Ibid., lettre du 26 octobre 1803 à Ulrike, p. 737.
14. Se reporter à la biographie de Jens Bisky : Kleist. Eine Biographie, Berlin : Rowohlt,
2007, p. 205-207.
15. Kleist, de retour à Berlin, convoqué au cabinet du Roi, est sommé de s’expliquer. Il
relate l’entrevue dans la lettre du 24 juin 1804 à Ulrike (n. 1, p. 738) : « Jene Einschiffungs-
geschichte z. B. hätte gar keine politischen Motive gehabt, sie gehöre vor das Forum eines
Arztes weit eher, als des Kabinetts. »
16. Kleist utilise pour la première fois cette expression pour caractériser l’arbitraire
de sa situation personnelle soumise à la politique expansionniste de Bonaparte, lorque, en
1802, il envisage de s’intaller en Suisse (n. 1, Band II, p. 719) : « Mich erschreckt die bloße
Möglichkeit, statt eines Schweizer Bürgers durch einen Taschenspielerkunstgriff ein Fran-
zose zu werden. »
17. La Bataille d’Iéna et Auerstedt, le 14 octobre 1806, apporte aux troupes prus-
siennes une défaite historique : Christopher Clark : Histoire de la Prusse 1600-1947, Paris :
Perrin, 2006 (22009).
18. Kleist (n. 1), Bd II : lettres p. 776-788.
19. Jean Ruffet : Kleist en prison, Paris : L’Harmattan, 1991.
20. Kleist (n. 1) : Bd II, lettre de juin 1807 à Marie von Kleist, p. 782.
21. Kleist (n. 1) : Band I : Amphitryon, p. 245-320 ; La Famille Schroffenstein, p. 49-152.
22. Kleist (n. 1) : Bd II, lettre à Rühle, novembre 1805, p. 760-761.
23. Littérateur et secrétaire à la Cour de Vienne, Collin fait paraître ses Chants patrio-
tiques en 1809 et entretient des relations privilégiées avec le Burgtheater. Kleist le flatte
dans sa lettre du 20 avril 1809, dans l’espoir d’une publication de son drame patriotique et
d’une ouverture pour sa carrière littéraire (Kleist, n.1, Bd II, p. 824).
24. Kleist (n. 1), Bd II, lettre de l’automne 1807 à Marie von Kleist, p. 796.
25. Ibidem, p. 379.
26. Kleist (n. 1), Bd I : Die Hermannsschlacht, I/3, p. 544, Hermann : « Wenn sich der
Barden Lied erfüllt,/ Und, unter einem Königsszepter,/ Jemals die ganze Menscheit sich
vereint,/ So läßt, daß es ein Deutscher führt, sich denken,/ Ein Britt’, ein Gallier, oder wer
ihr wollt ;/ Doch nimmer jener Latier, beim Himmel !/ Der keine andre Volksnatur/ Ver-
stehn kann und ehren, als nur seine. »
27. Se reporter à la correspondance de l’hiver puis du printemps 1811, à l’intention
du Chancelier Hardenberg, à propos de la censure du quotidien les Berliner Abendblät-
ter : 3 décembre 1810, 22 février 1811, 10 mars 1811, 6 juin 1811 : Kleist (n. 1), Band II :
p. 844-869.
28. Kleist (n. 1), Bd I : Die Hermannsschlacht, V/13, vers 2216-2220, p. 612.
29. Wolfgang Wittkowski : Nationalismus oder für eine bessere Gesellschaft ? Goethe,
Schiller, Kleist, Oldenburg 1995, p. 26-27.
30. Barbara Vinken, dans son récent ouvrage, à caractère quasi pamphlétaire, consacré
à La Bataille d’Hermann de Kleist, tire des conclusions beaucoup plus radicales à propos
des positions politiques et métaphysiques de Kleist et de sa vision profondément pessi-
miste de l’Histoire : « Kleist zeigt mit seiner Hermannsschlacht, dass in den Adern der
Germanen nur römisches Blut fließt […]. Römer und Germanen, Deutsche und Franzo-
sen sind trotz der nationalistischen Stereotypen seiner Zeit nicht grundsätzlich verschie-
den, sondern schlicht dieselben, brüderlich entzweit in der Geschichte ein und derselben
Gewalt. » : Barbara Vinken : Bestien. Kleist und die Deutschen, Berlin : Merve Verlag, 2011,
p. 42 et 46.
31. Gérard Laudin (dir.) : Berlin 1700-1929. Sociabilités et espace urbain, Paris :
L’Harmattan, 2009.
32. Christian Moser : Verfehlte Gefühle. Wissen, Begehren, Darstellen bei Kleist und
Rousseau, Würzburg : Königshausen und Neumann, 1993.
33. Sophie Audinière : Matérialistes français du XVIIIe siècle, Paris : Perrin, 2006, p. 105.
35. Jochen Schmidt : Heinrich von Kleist, Studien zu seiner poetischen Verfahrensweise,
Tübingen : Niemeyer, 1974.
36. Kleist (n. 1), Bd II : lettre à Pfuel, juillet 1805, p. 757.
37. Kleist (n. 1), Band I, on trouve cette précision de Sembdner, dans une note à la
page 928 : Kleist et Falk auraient travaillé à la création de « la future comédie allemande » :
« das künftige Lustspiel der Deutschen ».
38. Par exemple, La Marquise d’O…, dans : Kleist (note 1), Band II, p. 143 : « um der
gebrechlichen Einrichtung der Welt willen ».
39. Kleist (n. 1), Band I : Amphitryon, ein Lustspiel nach Molière, III, 2, p. 320, vers 2361.
C’est le dernier mot – l’ultime réplique – de la pièce.
40. Kleist (n. 1), Band II (correspondance), p. 770.