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La réception des normes

conventionnelles du
droit du transport
dans les états de la
CEMAC
Jean-Claude Ngnintedem*

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Résumé
L’une des particularités majeures du droit de transports est d’être un droit conventionnel,
dominé par la recherche permanente de son uniformisation. Par essence, il est considéré
comme un droit «self-executing». Toutefois, il est établi qu’en dépit de ce caractère, le droit
international du transport ne vaut que s’il s’appuie sur des droits nationaux ou régionaux.
Son efficacité est donc tributaire de la volonté de ses sujets. A ce propos justement, le
législateur communautaire CEMAC choisit très souvent de mettre en berne cette volonté,
imposant par le truchement de son droit dérivé, des conventions pour lesquelles les Etats de
la sous-région n’ont point marqué leur volonté à être partie. Si cette démarche a l’avantage
de garantir l’application uniforme du droit des transports internationaux dans la
sous-région, elle présente cependant l’inconvénient de mettre à l’épreuve le principe du
consensualisme. Pour cerner les difficultés pratiques résultant de cette situation un peu
particulière, cette étude propose de distinguer deux étapes dans le raisonnement. Une
première étape qui consiste à dégager le principe de base qui gouverne la réception du
droit international dans l’ordre interne. Une seconde étape qui s’attache à identifier les
particularités de la réception du droit conventionnel du transport dans les Etats de l’Afrique
centrale. L’application du droit international du transport dans la sous-région est alors, soit
consentie, soit imposée.

Faciliter les échanges ne nécessite pas seulement de disposer d’infrastructures


adéquates de transport, ni même d’un secteur professionnel compétent et com-
pétitif pouvant offrir des services de transport de qualité1; encore faut-il disposer
d’un cadre juridique qui contribuera efficacement à gouverner leur exploitation.
Ce cadre est de tout temps exposé aux influences des règles régissant le commerce

* Maı̂tre de Conférences-HDR, Université de N’Gaoundéré (Cameroun). Email: ngnintedem


jeanclaude@yahoo.fr. Cet article est publié en accord avec la rédaction du mensuel Le
Droit Maritime Français, suite á sa premiére publication au DMF n 771 - Spécial Afrique - de
juillet-août 2015 p. 577.
1
M.H. Juhel, ‘Préface’ in J. Grosdidier de Matons, Facilitation du commerce et du transport en
Afrique subsaharienne : un recueil des instruments juridiques internationaux, Document de travail
SSATP n 73F (Mai 2004).

! The Author (2015). Published by Oxford University Press on behalf of UNIDROIT. All rights reserved.
For Permissions, please email journals.permissions@oup.com
Unif. L. Rev., Vol. 20, 2015, 325–360
doi:10.1093/ulr/unv018
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international, notamment aux conventions internationales sur le transport.


Celles-ci constituent du reste, la source principale de la législation, et leur récep-
tion dans le droit interne des Etats est apparue comme un préalable nécessaire à la
participation au commerce international dominé par une rude compétition.
L’émergence des normes juridiques qui ne sont plus exclusivement rattachées à
un ordre juridique national mais plutôt à un dialogue solidaire, né des intérêts
matériels communs entre les Etats et provenant des liens que « la civilisation
technique a forgé »2 les oblige, en vue de leur participation au commerce interna-
tional, à recourir aux conventions internationales, devenues le «mode d’expres-
sion»3de cette internationalisation du droit. En effet, loin des attitudes de défiance
ou de méfiance d’autrefois entre Etats, s’est établi aujourd’hui une foi et une
confiance plus affirmées à l’égard de règles conventionnelles dont ils ont progres-

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sivement et parfois de manière significative, influencé le contenu, la finalité et les
mécanismes4.
La convention internationale sur le transport est donc le produit de la négocia-
tion, c’est-à-dire des discussions et des consultations organisées au plan bilatéral
ou multilatéral, en vue d’arriver à un consensus ou à un accord qui s’inscrit dans
le cadre de la coopération normale entre Etats et obéit à des règles d’ordre gén-
éral5. Sur un plan purement terminologique, et partant du principe qu’elle peut
suivant une jurisprudence bien établie, prendre des formes variées et se présenter
sous des dénominations diverses6, une convention internationale renvoie à tout
engagement international d’un Etat contenu dans un traité, une convention ou un
accord, la pratique offrant une possibilité d’interchangeabilité entre les expres-
sions dès lors qu’elles sont utilisées en tant que termes génériques7. Plus précise, la
convention de Vienne de 1969 indique à son article 2 parg.1.a. que « l’expression «
traité » s’entend d’un accord international conclu par écrit entre Etats et régissant le

2
P. Daillier, M. Forteau et A.Pellet, Droit international public (8e éd., LGDJ-Extenso éditions, 2009)
48, para 5.
3
L’expression est de P. Jestaz, Les sources du droit (Dalloz, 2005) 1.
4
La réglementation du transport maritime est une illustration particulière de cette méfiance qui a
conduit à la revendication d’un nouvel ordre maritime international. Cf. J-C. Ngnintedem, ‘Le
nouvel ordre maritime international et les pays en voie de développement: bilan d’une participa-
tion à l’œuvre normative internationale’ (2005) 23 Annuaire de droit maritime et océanique, 121;
J. Zeh Ondoua, Les pays du Tiers-monde et la réglementation internationale des transports maritimes
entre Etats. De l’OMI à l’OMC : contribution à l’étude de l’évolution du processus d’élaboration des
normes internationales (Thèse, Lille II, 1997); P. Buirette-Maurau, La participation du tiers monde à
l’élaboration du droit international (LGDJ, 1983). En participant directement à la négociation
d’une convention, l’Etat peut légitimement espérer pouvoir influencer son contenu. En ce sens
voir G. de Lacharriere, La politique juridique extérieure (Economica, 1983) 27 et seq.
5
G. Geamänu, ‘Théorie et pratique des négociations en droit international’ (1980) 166 RCADI 375;
D. Carreau, Traité International (Dalloz, 2010), para 37 et seq.
6
Aff. de la délimitation maritime et des questions territoriales entre le Qatar et Bahreı̈n, Arrêt, 1er
juillet 1994, [1994] Rec CIJ 120. Il faut relever qu’en doctrine, les termes désignant une règle
conventionnelle ont la même signification juridique en droit international qui, peu formaliste,
laisse toute liberté aux parties quant à l’appellation donnée à leurs engagements. La pratique révèle
à cet effet, que les mots « traité », « convention » ou « accord » sont interchangeables et sont
souvent employés en tant que termes génériques.
7
Daillier et al (n 2) 136, para 63 ; P.F. Gonidec, ‘Note sur le droit des conventions internationales en
Afrique’ (1965) 11 AFDI 866, 868.

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droit international, qu’il soit consigné dans un instrument unique ou dans deux ou
plusieurs instruments connexes, et quelle que soit sa dénomination particulière ».
Cependant, parler des règles conventionnelles en matière de transport oblige à
ne pas se limiter aux seules règles écrites et à faire référence aux règles coutumières
qui de toute évidence occupent une place importante dans l’ordre international
parce qu’elles couvrent plusieurs aspects8. Il demeure malheureusement que les
règles coutumières ressortissent du domaine du fluctuant, parce qu’on peut aussi
bien discuter de leur existence, de leur signification, que de leur opposabilité à
l’égard de tel ou de tel sujet de droit international.
Justement, la notion de sujet de droit international9 est au cœur des critères de
création et d’application de la convention internationale. En effet, l’adoption
d’une convention internationale a pour épicentre les Etats, générateurs du droit

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international en leur qualité de jus legiferandi et en même temps, ils en sont le
sujet. L’Etat est donc le parangon naturel de la personnalité juridique internatio-
nale. C’est la cellule de base sur laquelle se construit le droit international10. Cela
se comprend aisément parce que le jus contrahendi est exclusivement réservé aux
Etats, la conclusion des règles conventionnelles constituant évidemment, un de
leurs attributs en tant que sujets de droit international. Il s’agit, observe D.
Carreau « d’une des prérogatives attachées à la personnalité juridique »11 de
l’Etat. Fort de cette logique et cela pendant longtemps, le droit international ne
connaissait que les rapports entre Etats ou les organisations internationales. Il
n’était donc pas a priori soutenable qu’il s’applique directement dans les rapports
entre des personnes privées sauf dans le cas des state contracts, c’est-à-dire « des
contrats conclus entre un Etat d’un côté, une personne privée étrangère de l’autre, en
vue le plus souvent de la réalisation d’un investissement sur le territoire de l’Etat » 12.
Cet écran étatique omniprésent a connu une évolution depuis que la CPJI a
élevé l’individu au rang de sujet de droit international en lui reconnaissant le droit
de recevoir directement des droits et de devenir destinataire des obligations par
l’opération d’un traité entre Etats13. Il s’agit d’une évolution considérable et
décisive du droit international14. Expliquant cette évolution, P. Weil fait

8
C’est le cas dans le transport effectué par mer où tout ce qui n’est pas couvert par la convention de
1982 sur le droit de la mer reste assujetti aux règles coutumières.
9
Sur sa définition cf G. Distefano, ‘Observations éparses sur les caractères de la personnalité
juridique internationale’ (2007) 53 AFDI 105 et seq.
10
H. Gaudemet-Tallon, ‘Pluralisme en droit international privé : richesses et faiblesses (Le funam-
bule de l’arc-en-ciel)’ (2006) 312 RCADI 29.
11
Carreau (n 5) para 4.
12
P. Mayer, ‘Le phénomène de la coordination des ordres juridiques étatiques en droit privé’ (2007)
327 RCADI 75.
13
Le caractère direct de cette reconnaissance doit être relativisé en ce sens que les compétences de
tout autre sujet sont attribuées par les États directement ou indirectement par le truchement de
règles de droit international, créées elles aussi par les États.
14
Comme l’observe la doctrine, cette « promotion de l’individu comme sujet de droit international
peut cependant s’accompagner d’un déclin de son rôle de citoyen, en tant qu’il est sujet passif au
lieu d’être sujet actif ». Cf. S. Sur, ‘Progrès et limites de la réception du droit international en droit
français’, in Droit international et droits internes-Développements récents. Colloque de Tunis
(Pedone, 1998) 227.

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remarquer qu’au jour d’aujourd’hui, les sujets de droit international ne peuvent


plus être seulement les Etats et les organisations internationales, mais également
les personnes privées15, dans la mesure où très souvent, « l’objet même d’un accord
international, dans l’intention des parties contractantes, [peut]être l’adoption, par
les parties de règles déterminées, créant des droits et obligations pour les individus, et
susceptibles d’être appliquées par les tribunaux nationaux »16. Cette catégorie est
donc assujettie au droit international privé considéré comme « un droit spécial,
applicable aux personnes privées impliquées dans des situations juridiques interna-
tionales » 17. A l’évidence, le corpus normatif comporte de plus en plus de normes
provenant d’engagements internationaux, et l’applicabilité ordinaire de ces
normes aux particuliers est de plus en plus développée18. C’est d’ailleurs le lot
des transports qui par leur nature constituent une activité du commerce inter-

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national. La corrélation ainsi établie entre le transport et son caractère interna-
tional est si étroite que le transport maritime par exemple « est presque devenu
synonyme d’international »19. Aussi, l’existence d’un élément d’extranéité conforte
l’intervention du droit international fondé sur un rapprochement entre les Etats.
L’ambition est non seulement de faire disparaitre les problèmes de droit inter-
national privé en terme de conflit de lois, ou du moins certains d’entre eux, mais
et surtout de bâtir la relation de transport sur des principes communs. Cette
démarche se justifie par plusieurs considérations.
Tout d’abord, la diversité des lois locales susceptibles de s’appliquer à une
opération internationale peut, non seulement constituer un obstacle au dével-
oppement des échanges internationaux, mais également être source d’insécurité
juridique. Ensuite, la diversité des lois nationales potentiellement en conflit face à
une opération aussi complexe que le transport, susceptible d’être rattaché à plu-
sieurs ordres juridiques20 différents, se double en pratique de la difficulté de
déterminer, parmi celles-ci, celle qui aura vocation à régir la situation en cause.
Même si la tentation est de recourir au droit international privé dont la mission
première est de désigner la loi applicable aux rapports juridiques privés débordant

15
P. Weil, ‘Problèmes relatifs aux contrats passés entre un Etat et un particulier’ (1969) 128 RCADI
185. Dans la même logique E. Roucaunas précise que « les situations se multiplient où l’individu, la
personne privé peut être pris comme sujet à statut différencié du droit international dont la
présence constitutive à titre individuel . . . permet au droit international de se renouveler et
d’adapter ses institutions par rapport à des besoins évident » in ‘Facteur privés et droit interna-
tional public’ (2002) lire tome 299 RCADI 390.
16
Affaire de la compétence des tribunaux de Dantzig, CPIJ, avis du 3 mars 1928, série B, p. 18,
para 15.
17
P. Mayer, Droit international privé (6ème éd., Montchrestien, 1998).
18
Sur (n 14) 227 et 94.
19
J. Robert, Eléments d’une politique des transports maritimes (Eyrolles, 1973) 1.
20
L’ordre juridique se définit come « un ensemble organisé et structuré de normes juridiques
possédant ses propres sources, doté d’organes et de procédures aptes à les émettre, à les interpréter
ainsi qu’à en faire constater et sanctionner, le cas échéant, les violations ». Cf. G. Isaac et M.
Blanquet, Droit communautaire général, 8ème éd., Arman Colin, 2001, p.130. Pour ce qui est de
leur coordination, voir P. Mayer, Le phénomène de la coordination des ordres juridiques étatiques
en droit privé, RCADI, tome 327, 2007.

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le cadre du droit privé national21, il demeure de l’avis de Bailly-Hascoët et Legros,


que «sa complexité est bien connue et les subtilités de ses mécanismes en font un droit
savant peu accessible aux praticiens du transport international »22. Or, il faut à la
fois rechercher une efficacité économique en éliminant les handicapes aux
échanges23 et une sécurité juridique qui suppose l’application d’une même
règle prévisible entre opérateurs de transport. La démarche du droit uniforme
de source internationale24, fondée sur une volonté commune des Etats, apparait à
cet effet comme un instrument privilégié du droit du commerce international,
branche du droit à laquelle se rattache le droit du transport. Selon R. David, le «
droit international vrai » doit nécessairement dépasser les contingences locales et
découler de sources internationales25. Ceci est d’autant plus juste qu’ « il existe une
tendance moderne à l’unification des législations civiles »26 et le modèle conven-

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tionnel est apparu indispensable pour y parvenir27.
Prenant cette forme, le principe de l’exécution de bonne foi des règles conven-
tionnelles, impose préalablement, à moins qu’elles soient self-executing28, leur
réception par l’ordre juridique interne dont « le concours est nécessaire pour que

21
F. Majoros, Le droit international privé, 2eme éd. Que sais-je, PUF, 1981, p.7.
22
V. Bailly-Hascoët, C. Legros, «Corridors de transport et construction du statut juridique de
l’entrepreneur de transport multimodal» in Les corridors de transport, (sd) Y. Alix, éd. EMS
Management et Société, Océanides, 2012, p.156. Dans le même sens lire B. Oppetit, Le droit
international privé, un droit savant, RCADI, tome 234, 1992.
23
Est significatif à cet égard le préambule de la convention de vienne 1980 sur la vente internationale
de marchandises qui énonce : « Estimant que l’adoption de règles uniformes applicables aux
contrats de vente internationale de marchandises et compatibles avec les différents systèmes
sociaux, économiques et juridiques contribuera à l’élimination des obstacles juridiques aux
échanges internationaux et favorisera le développement du commerce international ».
24
Sur la question des sources lire B. Oppetit, « La notion de source du droit et le droit du commerce
international», Arch. Phil. Dr., Sirey, 1982.
25
R. David, Droit du commerce international, Réflexions d’un comparatiste sur le droit interna-
tional privé, Paris, Economica, 1987, n 36. Reconnaissons cependant qu’une telle unification peut,
dans certaines circonstances, rapprocher les Etats au point de faire disparaitre les problèmes de
droit international privé ou du moins certains d’entre eux, même s’il reste à craindre qu’ils se
réintroduisent par le biais des divergences d’interprétation de la loi, surtout lorsque l’unification
n’a pas été accompagnée d’une unification des organes juridictionnels. C’est d’ailleurs, nous
semble-t-il le critère fondamental de distinction de l’unification opéré par le biais d’une conven-
tion internationale et celle faite à travers l’intégration communautaire.
26
G. Ripert, op. cit., p.585. Le doyen Rodière précise que pour parvenir à une réelle uniformisation
internationale, « il faut franchir un autre stade : il faut que les législations nationales s’alignent les
unes sur les autres et le mieux est encore qu’elles s’alignent les unes et les autres sur les conventions
internationales ; à un degré plus avancé encore que, les normes internationales soient intégrées
dans l’ordre interne». Cf R. Rodiere, Traité Général de droit maritime : Introduction, l’armement
(ses gens, ses auxiliaires, limitation de responsabilité), éd. Dalloz, 1976, n 38, p.71.
27
Le caractère international des opérations de transport oblige à faire recours à la forme conven-
tionnelle des règles les régissant, sans qu’il soit nécessaire de faire une distinction des modes de
transport. L’une des raisons profondes réside dans l’impérium étatique, la convention internatio-
nale correspondant mieux que toute autre source du droit international au consentement de l’Etat
à être lié. Le législateur CEMAC y fait abondamment recours. C’est ainsi que l’essentiel des textes
réglementant les opérations de transport prennent le nom de Convention.
28
Les conventions self-executing sont celles qui créent des droits et des obligations dans le chef des
particuliers. Cf. G. Guillaume, « L’introduction et l’exécution dans les ordres juridiques des Etats
des résolutions du conseil de sécurité des Nations-Unies prises en vertu du chapitre VII de la charte
», Revue internationale de droit comparé, Vol. 50, n 2, avril-juin 1998, p.540.

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le droit international puisse atteindre ses propres finalités pratiques »29. En effet, D.
Ruzié, citant un avis de la CPJI du 21 février 1925, observe que « l’Etat qui a
valablement contracté des obligations internationales est tenu d’apporter à sa législa-
tion les modifications nécessaires pour assurer l’exécution des engagements pris »30.
L’autorité juridique virtuelle des traités ainsi définie dans le pacta sunt servanda se
matérialise dans la plupart des conventions internationales31 sous la forme
impérative. Cette démarche trouve sa justification en ce que d’une part, les jur-
idictions internationales, à l’exclusion de celles communautaires, garantes de
l’applicabilité du droit international ne sont pas compétentes pour connaitre
des litiges relatifs aux droits des personnes privées. Et d’autre part, une règle
régissant les rapports entre particuliers n’existe en tant que droit positif 32 doté
d’impérativité, que dans la mesure où elle appartient à un ordre juridique sus-

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ceptible de la mettre effectivement en œuvre. Il résulte de ces deux éléments que «
l’introduction permettra aux normes conventionnelles de s’imposer effectivement,
comme n’importe quelle autre norme du droit interne »33. On convient donc que
lorsque la règle conventionnelle, émanation du droit international, s’occupe des
droits et obligations des individus, son exécution s’articulera à la fois sur le
système international et les ordres juridiques internes au sein desquels la conven-
tion internationale est conduite à s’appliquer compte tenu des caractéristiques
propres au droit international.
Comment va s’opérer cette introduction ? Très curieusement, si cette question a
été très souvent étudiée dans les travaux consacrés au droit international public34,
il n’en a pas toujours été ainsi pour les règles conventionnelles régissant les

29
Giuseppe Sperduti, Le principe de souveraineté et le problème des rapports entre le droit inter-
national et le droit interne, RCADI, 1976- IV, vol. 153, p.532.
30
D. Ruzie « Les procédés de mise en vigueur des engagements internationaux pris par la France »,
JDI 1974, p.562.
31
Le droit communautaire CEMAC matérialise cette exigence dans une formule qui prend d’ailleurs
la forme impérative à l’article 10 de la convention régissant l’UEAC : « Les Etats membres
apportent leur concours à la réalisation des objectifs de l’UEAC en adoptant toutes les mesures
internes propres à assurer l’exécution des obligations découlant de la présente convention. Ils
s’abstiennent de toute mesure susceptible de faire obstacle à l’application de la présente conven-
tion et des actes juridiques pris pour sa mise en œuvre ».
32
C’est-à-dire « cette partie du droit qui est expressément créée par des procédés de création
extériorisés et préétablis à cette fin », v R. Ago, « Droit positif et droit international», AFDI,
vol.3, 1957, p.16.
33
P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, op. cit., n 150, p. 256.
34
Cf H. Triepel, Les rapports entre le droit interne et le droit international, RCADI, 1923, Vol. I,
pp. 73-121 ; H. Kelsen, Les rapports de système entre le droit interne et le droit international
public, RCADI, 1926-IV, Vol. 14, pp. 227-331; J. Hostert, « Droit international et droit interne
dans la convention de vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 », Ann. franç. dr. international,
1969, vol. 15, pp. 92-121 ; E. Van Bogaert, « Les antinomies entre le droit international et le droit
interne », Revue Générale de Droit International Public, 1968, pp.346-360; G. Sperduti , Le
principe de la souveraineté et le problème des rapports entre le droit international et le droit
interne, RCADI, 1976-IV, vol 153, pp 319-410 ; D. Ruzie, « Les procédés de mise en vigueur des
engagements internationaux pris par la France », Journal du droit International-Clunet, 1974, pp.
562 et s. Pour le droit Africain : P.F. Gonidec, « note sur le droit des conventions en Afrique»,
Annuaire français de droit international, vol. 11, 1965, pp.866-885; N. Mouelle Kombi, « Les
dispositions relatives aux conventions internationales dans les nouvelles constitutions des Etats
d’Afrique francophone », Revue Juridiques et Politiques 2003-1, pp. 5-31.

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Réception dans les Etats des normes conventionnelles de droit de transport 331

relations entre particuliers pourtant soumises à des modalités particulières de


réception. En effet, pour une question aussi importante dont l’énoncé commande
toute la cohérence du système juridique placé sous l’égide de l’Etat, on ne trouve
presque pas de réponse dans la plupart des ouvrages et travaux consacrés au droit
du transport, soit que la question a été traitée par prétérition, soit elle se présente
comme une évidence35.
Quoiqu’il en soit, la réponse commande de rechercher la méthode; encore faut-
il s’entendre sur le sens de l’expression « méthode ». Epistémologiquement, la «
méthode est un ensemble ordonné de manière logique de principes, de règles, d’étapes
permettant de parvenir à un résultat ». Ainsi considéré, il n’est pas certain de l’aveu
de Madame Taxil, « que l’on puisse réellement identifier de méthodes cohérentes et
catégorisées en matière d’intégration par les Etats du droit international dans leur

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propre système. La diversité et le pragmatisme règnent »36. La sémantique illustre
d’ailleurs cette variété puisqu’il est courant d’utiliser de manière quasi-
indifférente les termes d’intégration, d’incorporation, d’exécution, d’application
ou encore d’adaptation pour marquer la réception du droit international dans le
droit interne. Du reste, le droit international n’impose aucune méthode, si ce n’est
celle d’exécuter les obligations de bonne foi. Cette obligation conduit donc à
l’insertion ou à la transposition de la règle conventionnelle dans l’ordre juridique
interne. Il va donc de soi que la seule ratification ou adhésion à une convention
internationale ne suffit plus, mais encore faut-il qu’elle s’applique effectivement
car, telle est sa finalité. Le silence du droit international commande un recours au
système choisi par chaque pays. A cet effet justement, selon que l’Etat se rattache à
la mouvance moniste ou dualiste37, la règle d’ordre externe pénètre plus ou moins

35
En effet, interrogeant la doctrine à ce propos, le professeur P. Bonassies, précise que « les résultats
d’une telle analyse sont quelque peu décevants », in « Les conventions de droit maritime privé et le
problème de l’effet direct des traités », ADMO, Tome XXVI, 2008, n spécial (sd) Patrick
Chaumette en l’honneur des Pr. Jean-Pierre Beurier et Yves TASSEL, p. 476). Dans la doctrine
de droit maritime, rares sont les auteurs qui se sont penchés sur la question spécifique de l’effet
direct ou non direct des conventions internationales de droit maritime. Seul de doyen Rodière
consacrant de brefs développements à la question, renvoie au droit public (R. Rodiere, Traité
général de droit maritime. Affrètements et transports, t1, Dalloz, 1967, n 79, p.136). La doctrine
contemporaine ignore totalement la question. C’est le cas de : M. Remond-Gouilloud, Droit
maritime, 2ème éd. Paris, Pédone, 1993; A. Vialard, Droit maritime, Puf, 1997 ; J.P. Beurier
(sd), Droits maritimes, Dalloz –Action, 2009/2010.
36
B. Taxil, « Méthode d’intégration du droit international en droit interne », 3eme congrès de
l’AHJUCAF sur l’Internalisation du droit, internalisation de la justice, Ottawa, 21-23 juin 2010,
p.104.
37
Nonobstant l’intérêt juridique du regroupement autour des deux grands systèmes, il demeure de
nos jours, qu’il est purement théorique et peut être dépassé car, si « les logiques de rapport
diffèrent, les effets du droit international peuvent finalement être semblables, qu’il s’agisse
d’une simple « insertion » [monisme] ou d’une réception avec adoption de mesures complémen-
taires internes [dualisme] » (B. Taxil, « Méthode d’intégration du droit international en droit
interne », 3eme congrès de l’AHJUCAF sur l’Internalisation du droit, internalisation de la justice,
Ottawa, 21-23 juin 2010, p.104). En pratique, la mise en œuvre des deux théories est moins
éloignée qu’il n’y parait dans un environnement de pluralisme juridique mondial, c’est-à-dire
dans l’environnement d’un droit qui se fabrique et s’applique à différents niveaux, les rapports de
système ne pouvant immuablement être réduits à l’une ou l’autre de ces figures algébriques (J-S
Berge « De la hiérarchie des normes au droit hiérarchisé : figures pratiques de l’application du droit
à différents niveaux », JDI (clunet) n 1, janvier 2013, doctr. 1, n 4). Même dans les pays dualistes,
le droit international est considéré comme part of the law of the land, tandis que le droit

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332 Jean-Claude Ngnintedem

facilement dans l’ordre interne suivant les procédures de réception constitution-


nellement établies. Toutefois, bénéficiant d’une force de pénétration spécifique du
fait de leur caractère self-executing, les conventions de droit du transport sont
d’application immédiate et directe, parce qu’elles entendent régir les relations
privées à moins que la convention elle-même ne contienne une disposition qui
fait obstacle à un tel effet, notamment l’exigence d’un nombre suffisant de rati-
fications pour son entrée en vigueur38. En conséquence, les règles convention-
nelles relatives au droit du transport, émanation des volontés concertées des
Etats39, doivent « être perçues comme un droit propre de chaque Etat membre,
tout autant que le droit national »40, leur caractère d’ordre public ou de jus strictum
«obligeant le juge à les appliquer sans égard au droit national »41 dès lors qu’elle est
entrée en vigueur.

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La seule difficulté qui demeure est de pouvoir montrer que l’Etat dont le
ressortissant invoque la convention est effectivement partie à cette dernière. La
difficulté s’agrandit lorsque ladite convention entre dans l’ordre interne d’un Etat
par l’entremise du droit communautaire, tel que le droit CEMAC par exemple. En
effet, une fâcheuse tendance a été développée par le législateur CEMAC, consis-
tant à soumettre au moyen de textes de droit dérivé communautaire, les Etats
membres à des conventions internationales sans se soucier de la ratification pré-
alable ou concomitante de ces conventions internationales par lesdits Etats42.
Cette démarche somme toute discutable présente cependant l’avantage de
rendre obligatoire dans les Etats membres, la règle internationale à travers le
droit communautaire43.
Dans la présente étude, il s’agit précisément d’examiner le potentiel de récep-
tion des conventions de droit du transport dans les Etats de l’Afrique centrale,
notamment au travers des mécanismes internes constitutionnellement consentis,

constitutionnel des Etats qui se réclament du monisme prévoit des procédures formelles d’intro-
duction des normes internationales dans le droit interne (P. Daillier et A. Pellet, Droit interna-
tional public, 6e éd., Paris, LGDJ, 1999, p. 95. Dans le même sens B. Beignier et S. Mouton, « La
constitution et la convention européenne des droits de l’Homme, rang et fonction », Recueil
Dalloz, 2001, Chron. 1636 et s). En réalité précise S. Sur, «le monisme n’est en pratique qu’une
modalité ou une variante du dualisme» (S. Sur, op. cit., 1998, p.228).
38
Cette exigence est si prohibitive que certaines conventions qui ont certes été adoptées et publiées
n’ont jamais pu entrer en vigueur vis-à-vis d’aucun Etat. C’est le cas notamment de la convention
de Vienne de 1991 sur la responsabilité de l’exploitant de terminaux portuaire, de la convention de
1980 sur le transport multimodal international.
39
M. Kamto, La volonté de l’Etat en droit international, RCADI, tome 310, 2004, p. 23.
40
J-M. Ntoutoume, « La force obligatoire des conventions internationales de droit économique et
communautaire », in Le juge de cassation à l’aube du 21ème siècle, Acte du premier congrès de
AHJUCAF, Marrakech, 17 au 19 mai 2004, p.125.
41
W. Müller, « Problème du champ d’application des règles de la Haye et de Visby », DMF, 1978,
p.323.
42
M. Ndende, « La construction du droit des transports maritimes en Afrique », in Etudes de droit
maritime à l’aube du XXIe siècle, Mélanges offerts à P. Bonassies, éd. Moreux, 2001, p.259.
43
J-C. Ngnintedem, « La réglementation des transports en zone CEMAC : un modèle d’intégration
sous-régionale », Cahiers Juridiques et Politiques –FSJP, Université de N’gaoundéré, 2008-1,
p. 164.

Unif. L. Rev., Vol. 20, 2015, 325–360


Réception dans les Etats des normes conventionnelles de droit de transport 333

et propres à chaque Etat (I) et les mécanismes communautaires qui s’imposent


aux Etats membres du fait de l’intégration sous-régionale (II).

I- Une réception voulue ou consentie


Il est établi que le droit international ne vaut que s’il s’appuie sur des droits
nationaux. Son efficacité est donc tributaire de la volonté de ses sujets, « chaque
Etat faisant usage de son autonomie constitutionnelle dans la détermination des
règles et des procédures de sa pratique du droit des traités en fonction de la nature
de son régime politique et de ce qui semble le plus conforme à ses traditions historiques
et à ses mœurs juridiques44». A ce propos justement, dans les Etats de l’Afrique
centrale, c’est le droit public interne qui fixe les modalités d’expression du con-
sentement de l’Etat à être lié par une règle conventionnelle. Mais au-delà, il crée

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un ordonnancement juridique auquel sera soumis l’instrument conventionnel
auquel l’Etat a accepté de se soumettre sans qu’il soit besoin de distinguer
selon qu’il s’agit d’une convention de droit international public ou privé. Il ne
suffit donc pas que l’instrument international soit marqué du sceau de son ac-
ceptation (A), mais encore faut-il qu’il trouve une place dans l’ordonnancement
juridique du récepteur pour produire son plein effet (B).

A- Modalités d’expression du consentement


Conformément au droit classique des conventions internationales, la règle con-
ventionnelle ne devient parfaite qu’après la ratification et la publication. Cette
dernière condition n’est singulièrement requise que si la convention est « de
nature à affecter, par son application, les droits ou les obligations des particuliers »
45
. Du reste, l’article 11 de la convention de Vienne de 1969, organisant les modes
d’expression du consentement à être lié par une convention internationale précise
que « le consentement d’un Etat à être lié par un traité peut être exprimé par la
signature, l’échange d’instruments constituant un traité, la ratification, l’accepta-
tion, l’approbation ou l’adhésion, ou par tout autre moyen convenu ». Comme on
peut le constater, le droit international est permissif et laisse le choix de l’instru-
ment qui marque la volonté à chaque Etat. A cet effet, le droit interne des Etats est
le seul référent qui indique l’expression du consentement à être lié par une con-
vention internationale. Aussi, une formule, régulièrement contenue dans le dis-
positif constitutionnel des Etats de l’Afrique centrale permet, non de les résumer,
mais de les présenter : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés, ou approuvés,
ont, dès leur publication. . .. » 46. Le législateur constitutionnel a ainsi créé un
mécanisme de réception formelle et conditionnelle du droit conventionnel. A

44
N. Mouelle Kombi, op.cit., 2003-1, p.7.
45
D. Ruzie, op. cit., p. 564.
46
Cette formule qui est une reprise de l’article 55 de la constitution française de 1958, se retrouve à
l’article 45 de la constitution camerounaise du 16 janvier 1996, à l’article 184 de la constitution
congolaise du 20 janvier 2002, à l’article 72 de la constitution centrafricaine du 5 décembre 2004 et
à l’article 221 de la constitution tchadienne du 15 juillet 2005.

Rev. dr. unif., Vol. 20, 2015, 325–360


334 Jean-Claude Ngnintedem

côté, une autre technique, longtemps non codifiée, réglemente aussi l’expression
de la volonté d’un Etat à être lié par une convention internationale fut-elle de
droit privé: il s’agit du mécanisme de la « continuité législative» consécutivement à
la «substitution d’un Etat à un autre dans la responsabilité des relations inter-
nationales. . .»47. De façon plus illustrative qu’exhaustive, nous distinguerons la
ratification et les procédures voisines (1) de la notification de succession (2).

1 - La ratification ou l’adhésion
Mode traditionnel d’expression du consentement à être lié, la ratification, l’ap-
probation et l’acceptation traduisent une même réalité juridique sur le plan inter-
national. Elles s’assimilent à l’adhésion avec la seule nuance que ce dernier
mécanisme est une option réservée par le droit international aux Etats non sig-

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nataires d’une convention et leur permettant de devenir ultérieurement parties
contractantes. Au fait, la dénomination de l’expression du consentement importe
peu, car précise P. Reuter, « tout se réduit aux intentions des Etats, pourvu que ces
intentions aient une clarté suffisante au regard de la pratique habituelle 48». Ainsi, la
ratification est définie comme « l’acte par lequel l’autorité étatique la plus haute,
détenant la compétence constitutionnelle de conclure les traités internationaux, con-
firme le traité élaboré par ses plénipotentiaires, consent à ce qu’il devienne définitif et
obligatoire et s’engage solennellement au non de l’Etat à l’exécuter»49. Cette com-
pétence est dévolue dans l’ensemble des constitutions des Etats de l’Afrique cen-
trale au «treaty making power», en l’occurrence le Chef de l’Etat50. Ce pouvoir
n’est cependant pas sans contrôle. Il est soumis dans certaines hypothèses51 à une
lourde procédure interne nécessitant l’accord formel du pouvoir législatif et par-
fois le nihil obstat du pouvoir judiciaire52. Cette exigence supplémentaire observe
D. Carreau, « relève de l’idéal démocratique et de la réalisation d’un Etat de droit

47
Art. 2 al b de Convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités de 1978.
48
P. Reuter, Introduction au droit des traités, PUF, 1985, p.56.
49
P. Daillier, M. Forteau, A.Pellet, op. cit., n 77, p.153.
50
Article 43 de la constitution camerounaise du 18 janvier 1996, art. 178 de la constitution con-
golaise du 20 janvier 2002, art. 69 de la constitution centrafricaine du 5 décembre 2004, article 113
de la constitution gabonaise du 19 aout 2003, art. 219 de la constitution tchadienne du 15 juillet
2005, et art. 39 de la constitution équato-guinéenne du 17 janvier 1995.
51
Cameroun art. 43, Centrafrique art.69, Congo art. 178, République de Guinée Equatorial art. 63,
Gabon art. 114, Tchad art. 219. Quelle que soit la formule utilisée pour matérialiser ces hypothèses,
le point commun réside dans la répartition constitutionnelle des domaines entre la loi et le
règlement, ou mieux encore, entre le parlement et l’exécutif. Ainsi toute convention qui traite
d’une question relevant du domaine de la loi, avant toute ratification, est soumise à l’habilitation
préalable du parlement. Il faut ajouter à cette catégorie, les questions éminemment importantes
pouvant affecter l’intégrité territoriale de l’Etat ou les finances.
52
Ce nihil obstat se manifeste par le contrôle de constitutionalité de la convention qui, à l’occasion,
peut donner lieu à une modification constitutionnelle pour la mettre en harmonie avec la con-
vention internationale et faciliter ainsi son applicabilité dans l’ordre interne. A ce propos, l’article
44 de la constitution camerounaise précise : « Si le Conseil Constitutionnel a déclaré qu’un traité
ou accord international comporte une clause contraire à la constitution, l’approbation en forme
législative ou la ratification de ce traité ou de cet accord ne peut intervenir qu’après la révision de la
constitution ».

Unif. L. Rev., Vol. 20, 2015, 325–360


Réception dans les Etats des normes conventionnelles de droit de transport 335

élevé : la représentation nationale doit pouvoir exercer son contrôle et refuser que le
pays ne soit soumis à des obligations inopportunes»53.
Quelle que soit la modalité54 requise par le droit interne, aucune obligation de
ratification n’est imposée aux Etats au regard du droit international. Toutefois,
reconnait la CJPI, « la convention sauf dans des cas exceptionnels, ne lie qu’en vertu
d’une ratification»55. Ceci signifie en réalité que la convention n’a de conséquence
à l’égard d’un Etat qu’avec sa ratification56, conditionnant ainsi son entrée en
vigueur vis-à-vis de ce dernier, car ce n’est qu’à partir de cette date critique qu’elle
va produire ses effets. Elle n’est donc pas « une simple formalité mais un acte
d’importance essentielle»57 même si dans certain cas, elle ne suffit pas à rendre
obligatoire la règle conventionnelle à l’égard de l’Etat. C’est le lot des conventions
de transport pour lesquelles, l’entrée en vigueur est soumise à la ratification ou à

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l’adhésion de tous les Etats ou du moins de celle d’un nombre suffisamment
représentatif d’entre eux. Ce nombre est généralement exprimé, suivant le vœu
de l’article 24 de la Convention de Vienne de 1969, dans le corps de la conven-
tion58. Bien entendu, la convention étant définitive après la signature, la ratifica-
tion ne peut porter que sur le corps du texte pris comme un tout homogène. Ainsi,
précise D. Carreau, la loi parlementaire d’autorisation, ne saurait apporter aucun
amendement sur le texte de la convention et « s’il en allait ainsi, la situation créée
s’analyserait en un refus de ratification suivi d’une offre de réouverture de négocia-
tion»59. Néanmoins, la ratification ou l’adhésion peut être assortie de réserve,
définie par l’article 2 §1er (d) de la Convention de Vienne de 1969. Elle «
s’entend d’une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation,
faite par un Etat quand il signe, ratifie, accepte ou approuve un traité ou y adhère, par
laquelle il vise à exclure ou à modifier l’effet juridique de certaines dispositions du
traité dans leur application à cet Etat». Ce fut par exemple le cas de la France et de
l’Angleterre qui, au moment de la ratification de la Convention de Bruxelles de
1924 sur l’unification de certaines règles en matière de connaissement, ont for-
mulé des réserves suivant lesquelles leur engagement ne liait pas leurs colonies ou
pays sous mandat. Cette flexibilité de la convention, consécutive aux réserves,

53
D. Carreau, op. cit, 2010, n 43.
54
Les modalités ici tiennent au délai, à la procédure interne de ratification et à la forme de
ratification.
55
CPJI, 10 septembre 1929, affaire de la compétence de la commission internationale de l’Oder, Rec.
CPJI, série A, n 23, p. 20.
56
Analysant l’incidence de la ratification, la doctrine se demande si en Afrique centrale, « le simple
renvoi à une convention internationale est la condition suffisante de son application ?». Cf. E.
Kitio, « La responsabilité du transporteur aérien en zone CEMAC : étude d’une malheureuse
politique d’intégration juridique sous-régionale », Juridis Périodique, n 87, 2011, p.90.
57
CPIJ, 1er juillet 1952, aff. « Ambatielos», Rec. CPJI, p.23.
58
A cet effet, la convention internationale sur le droit de la mer de 1982 exigeait soixante (art. 308
al.1), la convention de vienne de 1991 sur la responsabilité des exploitants de terminaux portuaire
exigeait six (art. 22 al.1) qui n’ont jamais pu être réunies, la convention de Hambourg de 1978
exigeait vingt (art. 30 al.1)), la convention de Varsovie de 1955 exigeait cinq (art. 37 al.2), con-
vention de Montréal du 28 mai 1999 exigeait trente (art.53 al.6), convention de Rotterdam du 11
décembre 2008 exige vingt (art.94 al.1).
59
D. Carreau, Op. cit, 2010, n 45.

Rev. dr. unif., Vol. 20, 2015, 325–360


336 Jean-Claude Ngnintedem

présente l’avantage d’ouvrir son application à un cercle plus élargi de contractants


même s’il reste à craindre qu’elle engendre une hétérogénéité de régime pouvant
déteindre sur sa finalité qui n’est rien d’autre que l’application uniforme de la
règle conventionnelle. D. Carreau fait observer qu’il est toujours «souhaitable
d’obtenir la participation du plus grand nombre possible d’Etats, quitte à ce qu’il
en résulte un morcellement du régime conventionnel et une diminution de sa qualité
intrinsèque »60.
Mais, le contexte technique dans lequel le consensus abouti à l’adoption de la
convention peut amener à exclure toutes réserves. Il en alla ainsi par exemple de la
convention de 1982 sur le droit de la mer pour laquelle, les négociations ayant
contribué à son adoption, étaient le fruit d’un compromis qui sans être celui des «
marchands de bestiaux 61» avaient aboutis à la technique du «pakage deal », et dont

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une éventuelle réserve risquait de compromettre l’équilibre. Aussi, dans
l’hypothèse où elle serait admise, le droit positif exige qu’elle ne soit en aucun
cas « incompatible avec l’objet et le but »62 de la convention car, relève pertinem-
ment la Cour de Cassation française63, l’existence d’une réserve est de nature à
affecter le droit des particuliers. En conséquence, il est toujours utile, avant l’ap-
plication dans l’ordre interne d’une convention internationale de savoir si tel ou
tel Etat a émis des réserves. C’est ce que s’est malheureusement refusé de faire la
Cour suprême du Cameroun dans un arrêt du 26 janvier 199564. Par cette déci-
sion, la Haute juridiction rendait applicable devant le juge camerounais65, une
60
Ibid, n 57.
61
L’expression est empruntée à J. Sweeney qui, pour dépeindre l’ambiance des négociations ayant
abouti à la convention de Hambourg de 1978 n’a pas hésité à utiliser les expressions du genre
«marché de tapis » ou «compromis de marchands de bestiaux » pour qualifier le compromis ainsi
obtenu. Cf. « Les règles de Hambourg, le point de vu d’un juriste anglo-saxon », DMF, 1979, p.328.
62
Article 19 (c) de la convention de Vienne de 1969.
63
Civ. 1er, 11 juillet 2006, affaire « Agent judiciaire du trésor c/ Tunisian Sea transport », DMF 2008,
n 696, obs. P. Bonassies. En l’espèce, le navire tunisien Jerba ayant perdu à la mer dans les eaux du
port de Rouen, le 24 janvier 2002, environ 800 billes de bois, le Préfet maritime de Cherbourg a mis
en œuvre des moyens importants pour surveiller et enlever ces billes. L’armateur ayant constitué
un fonds de limitation, la Cour d’appel de Rouen, dans une décision du 5 septembre 2002, a
déclaré ce fonds opposable à l’Etat. Pour elle, la réserve faite par la France dans sa ratification de la
Convention de 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes (réserve
où elle déclarait «se réserve(r) le droit d’exclure l’application des alinéas (d) et (e) de l’article 2 de la
Convention»), n’était pas une véritable réserve, mais seulement une indication que la France s’était
réservée pour l’avenir la possibilité de ne pas appliquer les dispositions en cause. Par un arrêt du 11
juillet 2006, la Cour de cassation a censuré la décision du 5 septembre 2002, considérant, à l’exact
opposé de cette décision, que la réserve faite par la France constituait non pas une simple déclara-
tion d’intention, mais « une décision unilatérale visant à exclure l’application du texte (en cause) ».
64
CS. Cameroun, arrêt n 57/cc du 26 janvier 1995, aff. Cie d’Assurance Maritime c/CAMSHIP et
autres (inédit). Pour une plus ample analyse, voir J-C. Ngnintedem, « Le juge camerounais à la
recherche de la loi applicable en matière de transport maritime de marchandises », Juridis
Périodique, n 62, 2005, p.31.
65
Marquant ainsi un revirement par rapport à sa propre jurisprudence, certes ancienne, et contenu
dans un arrêt du 22 janvier 1963 (BACS n 8, p 574) dont le principale attendu est ainsi formulé : «
Sur le second moyen ; attendu en sa première branche qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir en
violation de l’article 10 de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924, laquelle régirait le transport
maritime litigieux, fait application de l’article 229 du Code de commerce interdisant au capitaine
le chargement sur le tillac – en pontée – sans le consentement par écrit du chargeur ; mais attendu
d’une part que la Convention de Bruxelles a été déclarée expressément inapplicable à aucune des
colonies, possessions, protectorats ou territoires d’outre-mer se trouvant sous la souveraineté ou

Unif. L. Rev., Vol. 20, 2015, 325–360


Réception dans les Etats des normes conventionnelles de droit de transport 337

convention pour laquelle, les réserves formulées par la France et l’Angleterre,


assurant la tutelle coloniale au moment de sa ratification, rendaient pourtant
inapplicable au Cameroun. Seul le mécanisme de la succession législative, lui-
même inopérant en l’espèce, aurait pu justifier son application.

2 - Mécanisme de continuité législative


Au lendemain de l’acquisition de leur souveraineté internationale à la faveur de la
décolonisation66, les Etats de l’Afrique centrale ont trouvé dans leur berceau des
conventions internationales conclues par les puissances coloniales. La question
qui s’est posée était de savoir si ces conventions, à l’élaboration desquelles ils n’ont
pas participé ou du moins donné leur consentement à être lié67 s’imposaient à
eux. La première esquisse de réponse aurait bien pu reposer sur un principe

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fondamental hérité du droit romain des obligations et applicable en droit inter-
national : pacta tertiis nec prosunt nec nocent68. Mais pour des raisons évidentes
d’homogénéité dans la continuité des Etats au-delà de la décolonisation, le droit
international contemporain, en admettant une succession dans le temps, c’est-à-
dire la variabilité dans « le domaine de validité temporel des ordres étatiques »69,
reconnait une atteinte à ce principe. La matérialité de cette reconnaissance s’est
principalement traduite sur un plan purement législatif, dans la convention de
Vienne du 22 août 1978 sur la succession d’Etats en matière de traité. Le seul
intitulé de cette convention permet de comprendre qu’un Etat, par les méca-
nismes de succession, peut être assujetti à un texte conventionnel pour lequel il
n’a pas marqué sa volonté, heurtant ainsi directement le principe du consensua-
lisme qui est pourtant la conséquence directe de la souveraineté dans l’ordre
international. Heureusement, elle n’est toujours pas entrée en vigueur faute de
ratifications suffisantes. Toutefois, d’un point de vue doctrinal, deux principes
dominent la question : soit l’Etat nouveau fait «table rase », soit il procède à

l’autorité de la France, et d’autre part, que le transport en pontée est hors des prévisions de ladite
Convention ». Pourtant explique M. Canivet, dans les pays de la civil law, « le revirement de la
jurisprudence se fonde sur un changement dans le contenu ou l’esprit de la législation », in « Le
juge entre le progrès scientifique et mondialisation », RTD civ, 2005, Chron.
66
Comme explique la doctrine, la décolonisation apparaı̂t comme un phénomène à la fois contin-
gent et caractéristique du milieu du XXème siècle. Sa réalisation entraı̂ne une mutation politique
permanente dans les structures de la société internationale, à savoir l’apparition de nouveaux
Etats. Ces Etats accèdent à une vie internationale propre qui se substitue aux anciens rapports de
dépendance qui liaient leurs territoires à une autorité étatique métropolitaine. Parce que l’indé-
pendance représente une révolution politique, la naissance des nouveaux Etats a masqué certains
éléments de continuité juridique. Cf. J-C Gautron « Sur quelques aspects de la succession d’Etats
au Sénégal », AFDI, vol. 8, 1962. P. 836.
67
Ces Etats ne pouvaient pas marquer leur volonté à être lié, parce qu’au moment de l’entrée en
vigueur desdites conventions, ils ne disposaient pas de l’aptitude à être des sujets de droit
international.
68
Pour une bonne compréhension des implications de l’effet relatif des traités, lire, J. Dehaussy,
Travaux de la Commission du Droit international des Nations Unies. In: AFDI, volume 10, 1964,
pp.501-504 et spéc. p.502.
69
H. Kelsen, Théorie pure du droit, Traduction française de la 2nd éd. par Ch. Eisenmann, Paris,
Dalloz, 1962, p.442.

Rev. dr. unif., Vol. 20, 2015, 325–360


338 Jean-Claude Ngnintedem

la « continuité absolue ». Une fois encore, aucune des deux règles ne l’emporte
absolument en droit positif d’autant plus que si le droit tente de poser des règles,
la pratique est encore fluctuante.
Il est donc difficile de répondre de façon définitive à la problématique de la
continuité législative. Le professeur Gonidec suggère de faire des recherches sur la
pratique des différents Etats afin de dégager quelques conclusions générales70.
Sous réserve d’une telle recherche, une distinction doit être faite en tenant compte
du caractère du traité en cause. Ainsi, si les traités à caractère politique très
accentué sont intransférables (art. 11 et 12 de la convention de vienne de
1978), la situation n’est pas la même pour des traités territoriaux dont la transfér-
abilité est justifiée par le principe de l’intangibilité des frontières quoique post-
coloniales71. Cette même transférabilité est dévolue aux conventions-lois qui «

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créent un régime juridique uniforme pour un nombre d’Etats plus ou moins con-
sidérable, l’idéal étant leur application à tous les Etats composant la société inter-
nationale » 72. Dans ce dernier cas, une pratique de succession automatique tend à
se consacrer dans certaines constitutions. C’est dans cette logique que la consti-
tution camerounaise de 1961 formulait déjà un principe qui a été repris à l’article
68 de la constitution du 18 janvier 1996 : « la législation résultant des lois et
règlements applicables dans l’État fédéral du Cameroun et dans les États fédérés à
la date de prise d’effet de la présente constitution reste en vigueur dans ses dispositions
qui ne sont pas contraires aux stipulations de celle-ci tant qu’elle n’aura pas été
modifiée par voie législative ou réglementaire »73.
Même dans cette hypothèse du maintien de l’ordre existant avant l’acquisition
de la qualité de sujet de droit international, qui n’est pas sans rappeler le méca-
nisme civiliste de la stipulation pour autrui74, les Etats africains se réservent le
droit, soit d’adhérer formellement aux conventions, afin de manifester leur con-
sentement à être lié par ledit instrument, soit de dénoncer ou d’abroger les
déclarations. Pour favoriser le plein épanouissement d’un tel mécanisme, le
dépositaire de la convention prend souvent l’initiative de saisir le nouvel Etat
pour lui demander de lui confirmer « qu’il se considère comme étant toujours lié par
l’instrument » dont il est le dépositaire. Cette démarche, sous-tendue par un
principe général de droit public international qui veut que chaque Etat ait le
70
P.F. Gonidec, op. cit., p.880
71
CIJ, 10 octobre 2002, arrêt au fond sur la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le
Nigéria, Rec. 2002, p. 205
72
P.F. Gonidec, op. cit., p. 881.
73
Pour une analyse du principe posé à l’article 68 de la constitution camerounaise du 16 janvier
1996, lire G. B. Dzeukou, « L’application au Cameroun du droit d’origine étrangère : le cas du droit
français », Annales de la FSJP de l’Université de Dschang, tome 14, n spécial « Cinquantenaire des
indépendances et de la réunification du Cameroun », 2010, pp. 61-86.
74
Cette règle, institution typique du droit interne, a été consacrée par la convention de Vienne de
1969 (art 36), mais son existence demeure pour le moins controversé en droit international. Cf. D.
Carreau, Op. cit, 2010, n 131. Si on la retient comme élément de justification pour fonder la
succession législative, il faut simplement à notre sens convenir que pour produire son plein effet, le
consentement du bénéficiaire de la stipulation est un préalable nécessaire, parce que c’est ce
consentement qui détermine le jour de la naissance du droit au profit du bénéficiaire. Le jour
de l’adhésion au traité par le stipulant est de ce fait sans conséquences pour le bénéficiaire.

Unif. L. Rev., Vol. 20, 2015, 325–360


Réception dans les Etats des normes conventionnelles de droit de transport 339

droit, en principe, de définir la situation juridique qui le concerne75, a été mise en


œuvre par le dépositaire de la convention de Bruxelles du 24 août 1924 pour
l’unification de certaines règles en matière de connaissement. En effet, au lende-
main de son indépendance, interrogé par le gouvernement belge au sujet de sa
position à l’égard de la convention de Bruxelles du 24 août 1924 dont il est le
dépositaire, le gouvernement du Cameroun, faisant application du principe sus-
cité, a répondu par note verbale du 20 janvier 198376 que la «République Unie du
Cameroun » n’est pas partie à cette convention. Cette pratique, au demeurant
appréciable, tendrait tout de même à prouver que la succession n’est pas
automatique.
De manière générale, expliquent J. Cambacau et S. Sur, « l’Etat successeur, s’il
n’est pas automatiquement tenu par les traités qu’a conclu l’Etat prédécesseur, a

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normalement vocation à lui succéder, au sens civiliste du mot cette fois, et à reprendre
pour son compte la participation au régime conventionnel, suivant les modalités
particulières à chaque situation ; aux principes d’intransférabilité et de variabilité
spatiale de l’ordre juridique se combine donc, dans une mesure qu’il faut préciser,
celui de l’acceptation sélective par l’Etat successeur de l’ordre juridique conventionnel
établi par le prédécesseur »77. Il s’ensuit qu’en matière de transport, les lois et
décrets français antérieurs à l’indépendance et qui n’ont pas été remplacés par
un nouveau texte ou dénoncés, restent applicables au Cameroun78. Le transport
aérien est particulièrement illustratif de cette déduction, une disposition perti-
nente de la convention de Varsovie du 12 octobre 1929, traduisant une telle
succession. En effet, suivant son article 40, la Convention pour l’unification de
certaines règles relatives au transport aérien s’applique aux « colonies, protectorats,
territoires sous mandat ou à tout autre territoire soumis à la souveraineté ou à
l’autorité, ou à tout autre territoire sous suzeraineté » de l’Etat ratifiant à moins
de déclarations contraires au moment de la signature ou du dépôt de la ratifica-
tion ou de l’adhésion. A défaut d’une telle réserve et étant donné que l’accès à
l’indépendance n’entraı̂ne pas automatiquement une modification du droit civil
interne, même dérivant d’une convention de droit uniforme, il semble que les
Etats devenus indépendants, si la convention de Varsovie s’est appliquée sur leurs
territoires avant leur indépendance, restent parties à ladite convention.
Cette situation juridique aurait bien pu être simplement comprise si n’étaient
intervenus le protocole de la Haye du 28 septembre 1955 et la convention addi-
tionnelle de Guadalajara de 1964 dont l’objectif était la modernisation pour le

75
Nguyen Quoc Dinh, P. Dallier et A. Pellet, Droit International Public, 6e éd, Paris, LGDJ, 1999,
p.289 et s.
76
Ref n 004/ Dipl. SAT. 15.
77
J. Cambacau et S. Sur, op. cit., p.438.
78
A cet effet, le Décret du 16 avril 1924 fixant le mode de promulgation et de publication des textes
réglementaires au Togo et au Cameroun (J.O.T.C., 15 juin 1924, n 99, p. 265) imposait comme
condition de cette application, la promulgation locale préalable. Et l’article 2 du même texte
ajoutait spécifiquement que « Les lois, décrets et règlements en vigueur en France ne peuvent
être rendus exécutoires au Cameroun que par décret ». Pour une grande analyse Cf. G. B. Dzeukou,
op. cit. n 6.

Rev. dr. unif., Vol. 20, 2015, 325–360


340 Jean-Claude Ngnintedem

premier et la refonte de la convention initiale pour le second79. Les deux modi-


fications compliquaient la situation juridique internationale en ce que les pays se
partageaient désormais entre ceux reconnaissant le texte initial de Varsovie, ceux
appliquant les règles de Varsovie amendées par le protocole de la Haye et ceux
appliquant la seule convention de Guadalajara. C’est la situation que vont trouver
les nouveaux Etats de l’Afrique centrale au moment de leur indépendance.
L’essentiel de ces pays a adhéré à la convention initiale de Varsovie de 1929 et à
son protocole de 195580. Seul le Tchad ne suit pas le mouvement, mais au con-
traire, il va adhérer avec le Gabon à la convention complémentaire de Guadalajara
en 1971.
Plus pragmatique, la convention de Chicago de 1944 ne s’est pas encombrée du
voile d’incertitude consécutif à une éventuelle succession législative. En effet,

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suivant une pratique de l’Organisation de l’aviation civile internationale
(OACI), aucun des nouveaux Etats n’a été considéré comme soumis à la conven-
tion relative à l’aviation civile internationale du 7 décembre 1944 tant qu’il n’y
avait pas consenti expressément. L’explication d’une telle exigence est simple. Elle
réside dans la particularité que la convention de 1944 formule un code interna-
tional de l’aviation civile en même temps qu’elle établit la charte de l’Organisation
de l’Aviation Civile81. Ainsi en adhérant à la convention, l’Etat adhère en même
temps à l’OACI. Or, l’adhésion à une organisation internationale est toujours
l’objet d’une décision individuelle prise sur la demande de l’Etat intéressé, même
si ce dernier faisait déjà partie de celle-ci à titre de membre associé ou
d’observateur82.

B- L’incidence de l’entrée dans l’ordre juridique


interne d’une convention internationale de droit du
transport
Plusieurs méthodes ont souvent été utilisées pour résoudre le problème de l’in-
cidence de l’entrée dans l’ordre juridique interne des normes conventionnelles83.
L’essentiel des constitutions africaines notamment, des pays de la CEMAC, con-
sacre le système qui donne la préférence à la règle conventionnelle. Cette
79
Comme l’explique la doctrine, le protocole de la Haye s’était efforcé de repenser certaines règles de
responsabilité trop favorables au transporteur et surtout d’augmenter les plafonds de réparation.
Le texte complémentaire de 1964 venait quant à lui combler une lacune du système de Varsovie, en
assimilant le transport de fait au transporteur contractuel. Cf. Ph. Delebecque, « La convention de
Montréal du 28 mai 1999 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien
international ou le nouveau droit du transport aérien », JDI, 2005, p.264
80
Cameroun 21 août 1961, Congo 05 janvier 1962, Gabon 15 février 1969, Guinée équatoriale 20
décembre 1988.
81
R.H. Mankiewicz, «Les nouveaux Etats et les Conventions de Droit aérien », AFDI, vol. 7, 1961.
p. 752.
82
P.F. Gonidec, op. cit., p.880
83
Une première méthode consiste à donner la priorité à l’application de la loi nationale. Une seconde
méthode considère la règle conventionnelle comme une disposition législative car, explique-t-on,
la convention doit être approuvée par le législateur et, en cas d’antinomie avec la loi, il est fait
recours à la règle de la disposition la plus récente.

Unif. L. Rev., Vol. 20, 2015, 325–360


Réception dans les Etats des normes conventionnelles de droit de transport 341

préférence, analysée en termes de primauté de droit international, est traduite


dans une formule assez souvent simple : « Les traités ou accords internationaux
régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure
à celle des lois ».
La constitution clarifie ainsi au profit de la supériorité du traité, les relations de
hiérarchie s’établissant entre les traités et les lois internes sans qu’il soit besoin de
distinguer entre les traités de droit public et de droit privé ou même celui insti-
tuant une communauté économique. A ce propos justement, N. Mouelle Kombi
affirme que « les engagements internationaux, dont la supériorité sur les lois est
affirmée, couvrent toutes sortes d’instruments conventionnels quelles que soient leurs
dénominations particulières, qu’il s’agisse d’instruments bilatéraux ou multilatér-
aux, de conventions interétatiques ou passées avec des organisations internationales,

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et quels que soient, par ailleurs, leur objet et leur but » 84. La primauté ainsi con-
sacrée (1) n’est pas sans conséquence dans l’ordonnancement juridique interne
des Etats (2).

1 - La primauté de la règle conventionnelle


La constitutionnalisation de la primauté est en réalité une formulation de la
représentation hiérarchisée et quasi-mécanique, sous la forme pyramidale, d’un
ensemble de sources de droit agencées les unes par rapport aux autres, fondée sur
une théorie élaborée par le célèbre juriste autrichien Hans Kelsen85. Cette image
de la pyramide, dans sa simplicité, continue à orienter la réflexion et à symboliser
la rationalité de la structure de l’ordonnancement juridique pour autant qu’elle
suggère, dans les sociétés fondées sur les principes de la démocratie, que la légit-
imité des organes situés aux niveaux inférieurs découle plus ou moins directe-
ment de l’investiture démocratique des organes du sommet86. C’est ce qui justifie
par ailleurs qu’elle soit constitutionnellement consacrée. Dans le même temps nul
n’ignore que l’édifice est de plus en plus contesté87, ce d’autant plus qu’il se trouve
soumis à des influences profondes qui affectent son évolution88. De toutes parts,
les évolutions se font en effet sentir et obligent à s’interroger sur la pertinence
d’une vision aussi caricaturale que tenace de l’ordre juridique Kelsénien89. Plus
encore, s’il faut admettre que la représentation hiérarchique de l’ensemble des
sources ait encore quelque réalité, il resterait à pouvoir placer chaque source à sa
place, sans quoi on ne voit guère pourquoi il faudrait continuer à s’en tenir à un

84
N. Mouelle Kombi, op. cit., p.26-27
85
H. Kelsen, op. cit., 1962, pp. 430-449.
86
Ch. Autexier, « L’hétérogénéité du droit communautaire dérivé », RIDC, Vol. 34, n 2, Avril-Juin
1982, p.337.
87
A ce propos lire P. Amselek, « Réflexion critique autour de la conception Kelsénienne de l’ordre
juridique », RDP, 1978, pp.5-19. A l’opposé de la contestation lire M. Troper, « La pyramide est
toujours débout », RDP, 1978, pp. 1523-1536.
88
F. Terre, Introduction générale au droit, Précis Dalloz, 4ème éd., 1998, n 151, p. 167.
89
N. Nolfessie, « La hiérarchie des normes ressuscitées par le conseil d’Etat », RTD civ, 1999, Chron.
P.232.

Rev. dr. unif., Vol. 20, 2015, 325–360


342 Jean-Claude Ngnintedem

modèle aussi artificiel qu’implacable. Au cœur de ce raisonnement, le pluralisme


des sources et des ordres juridiques. En effet, la cohabitation d’un ordre interne
avec plusieurs ordres internationaux ne rend-t-elle pas vaine la conception pyr-
amidale des sources? L’illustration parfaite est la coexistence entre les droits in-
terne et international dont le droit du transport est particulièrement friand. Vue
sous cet angle il devient évident que la primauté n’est plus le fondement de l’ordre
juridique assurant la liaison cohérente des règles les unes avec les autres. Tout au
plus, elle constitue, plus modestement, un simple mode parmi d’autres de réso-
lution des conflits de normes : constitution/traités internationaux, traité/lois in-
ternes90 qui au demeurant est sans grand intérêt. C’est pourquoi, il faut la
dépasser pour ne regarder avec pertinence, du fait la pluralité des sources, tout
au moins pour ce qui est du transport, que la concurrence entre les normes

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conventionnelles une fois entrée dans l’ordonnancement juridique interne.
Pour saisir cette question, il faut partir de l’évidence qui voudrait qu’aucune
norme conventionnelle ne soit considérée isolément et qu’il n’y ait pas de hiér-
archie entre les différentes normes conventionnelles. Cette logique est non seule-
ment ancrée dans les réalités sociales mais encore, cristallise une évolution
permanente des différentes conventions internationales91. Sous ce prisme, deux
situations sont envisageables.
Tout d’abord, la concurrence est consécutive à l’existence de plusieurs conven-
tions successives traitant des mêmes questions, mais présentant parfois une
incompatibilité ne fusse-t-elle que philosophique. Cette succession est très sou-
vent guidée par la volonté de substitution d’une réglementation entièrement ou
partiellement nouvelle à un texte antérieur; la finalité étant d’atteindre le plus
grand degré d’unification des règles conventionnelles. Ce fut le cas entre la con-
vention de Bruxelles de 1924 et celle de Hambourg de 1978, la seconde ambition-
nant de se substituer à la première. Malheureusement pour, des considérations
politiques92, cet objectif n’a pas été atteint, suscitant ainsi du fait de l’existence des
législations parallèles, une insécurité juridique. Consacrant conséquemment une
solution à ce conflit, l’article 31 (1) de la convention de Hambourg précise qu’« au
moment où il deviendra État contractant à la présente Convention, tout État partie à
la Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de
connaissement, signée à Bruxelles le 25 août 1924 (Convention de 1924), notifiera
au Gouvernement belge, en sa qualité de dépositaire de la Convention de 1924, qu’il
dénonce ladite Convention, en déclarant que la dénonciation prendra effet à la date à
laquelle la présente Convention entrera en vigueur à son égard ». Cette solution,
malheureusement pour satisfaisante qu’elle puisse paraı̂tre, présente cependant,
90
Sur la question lire M. Sall, « Les règles du droit international et leur articulation avec le droit
interne », Communication du conseil d’Etat du Sénégal au colloque de Ouagadougou du 24 au 26
juin 2003, in Les cahiers de l’Association Ouest Africaine des Hautes Juridictions Francophones,
2003, p. 301 et s; B. Beignier et S. Mouton, op. cit., p. 1636 et s.
91
P. Daillier, M. Forteau, A.Pellet, op. cit., n 171, p.293
92
A ce propos lire J-C Ngnintedem, « Le nouvel ordre maritime et les pays en voie de développement
: bilan d’une participation à l’œuvre normative internationale », Annuaire de Droit Maritime et
Océanique, T. XXII, 2005, pp. 121-152.

Unif. L. Rev., Vol. 20, 2015, 325–360


Réception dans les Etats des normes conventionnelles de droit de transport 343

l’inconvénient de n’être opérationnelle que si un Etat accepte d’être lié par la


susdite convention. Or, de très nombreux Etats de tradition maritime ont refusé
d’adhérer à la convention de Hambourg alors même qu’ils avaient participé aux
négociations ayant abouti à son adoption; ce qui laisse entrevoir que la solution ne
peut être que négociée. C’est d’ailleurs dans cette logique que s’inscrit la conven-
tion de Rotterdam de 2009 désormais ouverte à la ratification des Etats qui entrera
en vigueur à l’issue de la vingtième ratification. Les Etats concernés devront alors
dénoncer les conventions qui les liaient jusque-là, qu’il s’agisse des Règles de La
Haye, des Règles de La Haye Visby (HVR) ou encore des Règles de Hambourg
(article 89 Convention de Rotterdam). Comme le précisé opportunément le
Professeur Delebecque, cette « convention est appelée à régir les transports mari-
times du 21ème siècle et à rétablir l’uniformité qui fait tant défaut à la matière»93.

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Ensuite, la difficulté est encore plus grande lorsque la concurrence est le fait de
l’adoption d’un protocole modificatif. A ce sujet justement, il est constant que
l’évolution dans l’application des règles conventionnelles est intimement liée à
celle de la société internationale qui autorise au cours de la vie d’une convention,
qu’elle puisse subir des modifications au moyen de protocoles. C’est le cas de
nombreuses conventions de droit du transport notamment, la convention
de Bruxelles de 1924 et ses deux protocoles modificatifs, la convention de
Varsovie de 1929 et ses protocoles94. Dans cette situation, la concurrence qui
en réalité, n’est que la conséquence de ces modifications est généralement le
fait des Etats. En effet, adhérant à une convention de base, ils refusent très souvent
d’adhérer au protocole ou vice versa. Ils créent ainsi des situations de « fausse
concurrence » dès lors que pour eux, le protocole n’est plus compris comme une
convention internationale jointe à un traité principal et portant sur des questions
mineures. Et pourtant, il fait corps avec le texte principal pour lequel il est censé
apporter des modifications. Or, en adhérant aux seules modifications sans
adhérer à la convention initiale, ne devrait-on pas radicalement considérer que
l’Etat en cause a marqué son refus d’adhérer à la susdite convention, dès lors qu’il
refuse de souscrire aux principes de base qui gouvernent l’objectif et le but de la
convention? Est-il d’ailleurs légalement possible pour un Etat d’adhérer à la con-
vention sans ratifier en même temps, les amendements qui sont déjà entrés en
vigueur ? Le questionnement est d’autant plus justifié que traditionnellement, une
fois l’amendement entré en vigueur, le texte amendé de la convention se substitue
définitivement à la disposition originaire, tout au moins en ce qui concerne les
Etats qui adhèrent ultérieurement à la convention. Pour dire les choses comme
elles devraient l’être, la solution ne dépend que des seules dispositions de la

93
Ph. Delebecque, « Les règles de Rotterdam », http://acopm.ma/communications/exposes/202-
amlog.html
94
Comme l’explique la doctrine, le protocole de la Haye s’était efforcé de repenser certaines règles de
responsabilité trop favorables au transporteur et surtout d’augmenter les plafonds de réparation.
Le texte complémentaire de 1964 venait quant à lui combler une lacune du système de Varsovie, en
assimilant le transport de fait au transporteur contractuel. Cf. Ph. Delebecque, « La convention de
Montréal du 28 mai 1999 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien
international ou le nouveau droit du transport aérien », JDI, 2005, p.264.

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344 Jean-Claude Ngnintedem

convention initiale ou de son protocole. La convention de Chicago de 1944, nous


semble-t-il, use d’une telle procédure. En effet, son article 94 (2) énonce « qu’un
Etat quelconque qui n’a pas ratifié lesdits amendements, cesse ipso facto d’être
membre de l’Organisation et partie à la Convention ». Dans la pratique de
l’OACI, on observe néanmoins que l’Etat qui adhère à la Convention n’est pas
tenu de ratifier les amendements entrés en vigueur avant cette ratification95. La
raison principale étant que les Etats de par leur souveraineté, c’est-à-dire de leur
qualité à se considérer comme un « être qui n’a rien en droit au-dessus de lui »96
sont libres de souscrire ou non des engagements internationaux. Toutefois, dès
lors que l’objectif de l’ensemble des conventions relatives au droit privé du trans-
port est l’unification des règles, singulièrement de la responsabilité, il semble
opportun de recourir aux mécanismes les obligeant, au moment où ils marquent

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leur consentement à être lié, de souscrire à toutes les modifications intervenues
avant une telle adhésion. C’est en ce sens qu’est formulé l’article 95 (2) de la
convention de Rotterdam de 2008 qui dispose que: « tout instrument de ratifica-
tion, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion déposée après l’entrée en vigueur
d’un amendement à la présente convention sera réputé s’appliquer à la convention tel
qu’elle aura été amendée», qui de ce fait sera immédiatement applicable.

2 - L’effet direct des conventions de droit du transport


L’effet direct des conventions pose le problème de leur application d’office par les
juges. Il arrive très souvent que la convention elle-même résolve la difficulté en se
déclarant, soit supplétive, soit complémentaire. Si ces hypothèses sont envisage-
ables pour les questions de droit public contenues dans les conventions uniformes
de droit du transport, elles sont à exclure pour ce qui est du droit matériel c’est-à-
dire, celles des conventions, qui à la manière d’une loi interne, réglementent sur le
fond le transport, sans se borner à déterminer la loi nationale qu’il faudra con-
sulter pour connaı̂tre la solution applicable. En réalité, reconnaı̂t la doctrine, « une
fois entrées dans l’ordre national, les conventions internationales doivent relever du
même statut procédural que les lois internes et par conséquent, la question procédur-
ale de leur application d’office par le juge n’appelle pas de réponse spécifique, distincte
de celle que le droit judiciaire commun réserve aux autres normes» 97.
Voir les choses ainsi, c’est considérer qu’une fois entrée dans l’ordre interne, il
n’y a plus de hiérarchie entre la convention internationale et une loi interne
réglementant la même matière, et que le juge appréciera celle qu’il lui conviendra
d’appliquer. Une telle flexibilité n’est pas admissible, nous semble-t-il, pour deux
raisons : d’une part, elle ruinerait parfaitement la hiérarchie entre le droit inter-
national et le droit interne et, d’autre part, elle renierait le fondement obligatoire
du respect des engagements internationaux par les Etats. Ainsi, « l’absence

95
R.H. Mankiewicz, op. cit., p.756.
96
Ibid.
97
M-L Niboyet-Hoegy, note sous Civ 1er , 4 décembre 1990, Sté Coveco et autres, RCDIP, 1991, p.
558.

Unif. L. Rev., Vol. 20, 2015, 325–360


Réception dans les Etats des normes conventionnelles de droit de transport 345

d’application d’office par les tribunaux parait être, en droit international public,
assimilable à une violation des engagements internationaux»98 par l’Etat qui, au
demeurant, ne saurait se soustraire à la responsabilité qu’il encourt à cet égard, en
invoquant une disposition de droit interne. Dans cette mesure, le juge n’étant en
réalité qu’un organe de l’Etat, il doit éviter de mettre en péril ou en difficulté l’Etat
dans le respect de ses engagements internationaux99. Dans la même logique et
nettement favorable à l’application directe des conventions internationales de
droit privé, H. Batiffol précise que « dès lors que le traité est régulièrement
publié, les tribunaux doivent l’appliquer, au besoin d’office et sans que les parties
aient à réclamer l’application »100. En le faisant, le juge éviterait du reste, de subir
les reproches «de n’avoir pas exploré, toutes les potentialités d’un système juridique
dont la complexité, les incertitudes et la relativité ne sont pas niables »101.

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Malheureusement l’afflux continu des conventions internationales en matière
de transport plus que dans les autres domaines, n’est pas de nature à rendre
cette tâche aisée.
Il est cependant difficile de reconnaı̂tre d’une manière générale l’application de
ce principe à toutes les conventions sur le droit du transport. A cet effet, une
distinction subtile doit être faite entre les conventions en spécifiant suivant qu’il
s’agit des conventions de droit privé, des conventions techniques ou des conven-
tions de droit public. En réalité, au-delà des textes, les conventions de droit privé
de transport intéressent avant tout, les opérateurs de transport et, à ce titre,
justifient que leur soit reconnu un effet direct. Et même si l’Etat signataire était
appelé à intervenir, observe P. Bonassies, « ce ne serait point pour donner un effet
aux dispositions de la convention, lesquelles, dans l’intention de ses rédacteurs,
s’appliquent à l’évidence de plein droit »102. Cette situation doit cependant être
nuancée pour ce qui est des conventions de droit public dont l’essentiel des
dispositions s’adressent aux Etats, et l’on ne peut certainement pas leur
reconnaı̂tre un effet direct. C’est le cas dans la convention 1982 sur le droit de
la mer, de l’article 3 qui prescrit à «tout Etat le droit de fixer la largueur de sa mer
territoriale ». Cette délimitation est donc de la compétence exclusive des Etats. En
conséquence, tant qu’elle n’est pas faite par l’Etat, aucun droit direct ne peut
naı̂tre de ce texte pour un particulier. Il en sera de même pour les conventions
techniques dont l’objectif est de déterminer les règles techniques de gestion de
l’activité de transport et dont les rédacteurs imposent souvent aux Etats de donner
plein effet à leurs dispositions. C’est le cas de l’article 1er de la convention
COLREG de 1972, qui énonce que les parties s’engagent « à donner effet aux

98
J. P. Remery, obs. sous Cass. Com, 25 mai 1993, RCDIP, n 82 (3) Juillet-septembre 1993, p.463.
99
J. Lemontey, Intervention au Comité français de droit international privé, le 23 novembre 1990, in
Travaux du comité 1990-1991, p. 32.
100
H. Batiffol, « Circonstances et modalités d’application du droit international par le juge national
», in Mélanges Pierre Hébraud, éd. Université des sciences sociales de Toulouse, 1981, p.29.
101
G. Cornu, «Les principes directeurs du procès civil par eux-mêmes », in Etudes offertes à P. Bellet,
Litec, 1991, p.90.
102
P. Bonassies, op.cit., 2008, p.478.

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346 Jean-Claude Ngnintedem

règles et aux annexes qui constituent le règlement international ». Cette convention


qui définit les règles de barres et de route et dont la mise en œuvre doit être sous-
tendue par une législation nationale, n’est en réalité pas une convention qui
s’impose directement, dans la mesure où il faut attendre un texte national l’intro-
duisant dans l’ordre interne, pour qu’elle soit applicable. La réglementation du
transport aérien, en l’occurrence celle instituée par la convention de Chicago de
1944 est encore particulièrement illustrative de cette distinction car, formée de
normes, de recommandations et de procédures. Analysant ce texte, la doctrine fait
d’ailleurs observer que « s’il est clair que les normes figurant dans les annexes ont
force obligatoire, cela ne signifie pas pour autant que les Etats leur reconnaıˆtront
nécessairement ce caractère dans leur droit interne. Souvent, en effet, le droit dérivé
des organisations internationales [OACI] n’occupe qu’une place modeste dans la

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hiérarchie des normes et se voit dénier tout effet direct »103. En conséquence, « les
normes adoptées par l’OACI constituent des recommandations s’adressant aux Etats
et ne sont pas directement applicables en droit interne »104. Ceci nous permet de dire
que ces normes n’auront d’effet direct que si elles sont au préalable incorporées
dans un texte de droit interne.
Au total, le principe de l’effet direct est intimement dépendant de la volonté des
rédacteurs des différentes conventions qui doivent l’exprimer dans le traité. B.
Audit fait observer à cet effet que « la question est résolue suivant un critère
rédactionnel »105. Mais, à défaut d’une telle précision, ce principe « parait devoir
s’imposer»106.

II- La réception imposée par le mécanisme du droit


communautaire et des clauses contractuelles
Dans la pratique du droit communautaire, l’intégration emporte le dessaisisse-
ment dans les Etats, de certaines de leurs compétences au profit d’un organe dont
la volonté s’impose à eux. Aussi, du seul fait d’avoir signé le Traité constitutif, les
Etats membres consentent à des degrés plus ou moins accentués, un transfert de
souveraineté nécessaire à la réalisation des objectifs qui dominent le regroupe-
ment communautaire, « les limitations de la souveraineté des Etats ne se présumant
pas»107. Ils ont ainsi accepté que leur parlement soit dessaisi, au profit d’un organe
supranational, du pouvoir d’édicter les normes applicables aux relations écono-

103
J-F. Dobelle, « Le droit dérivé de l’OACI et le contrôle du respect de son application», Ann. franç.
Dr. international, vol.4, 2003, p.458.
104
Cour Administrative d’appel de Paris, arrêt du 10 février 1998, cité par J-F. Dobelle, op. cit., p.458.
105
B. Audit, Droit international privé, 4e éd., Paris, Economica, 2006, n 52.
106
P. Bonassies, op. cit., 2008, p.484.
107
CH. Chaumont, Rapport sur communauté européenne et légitimité, colloque du 20 septembre
1980, Senat, n 15, cité par Ch. Autexier, op.cit., 1982, note n 5. A ce propos la doctrine précise
que les abandons de souveraineté au profit de l’union sont toujours âprement négociés et limités à
ce qu’exige sa construction. Cf H. Gaudemet-Tallon, op. cit., 2006, p.30.

Unif. L. Rev., Vol. 20, 2015, 325–360


Réception dans les Etats des normes conventionnelles de droit de transport 347

miques qui se tissent sur leur territoire108. Du reste, avec le développement crois-
sant des organisations d’intégration109, la souveraineté des Etats subit des assauts
et ne «se résout désormais qu’en une série de compétences permettant seulement aux
Etats de participer à l’élaboration collective de décisions auxquelles ils ne pourront
plus se soustraire»110. Même leur pouvoir de traiter est menacé au profit de l’entité
communautaire qui en sa qualité d’organisation d’intégration économique est de
plus en plus reconnue apte à adhérer à certaines conventions internationales.
Subsidiairement, ne sommes-nous pas en train d’assister au sacre de la compé-
tence internationale des organisations sous-régionales en matière de traité?111
Cette question induit une autre, celle de savoir si l’abandon de souveraineté du
fait de l’intégration communautaire, peut être poussé jusqu’à déposséder les Etats
de leur prérogative de choisir ou non d’adhérer à une convention internationale?

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La question est d’autant plus pertinente qu’il est unanimement admis en droit
international que l’adhésion ou ratification est la condition sine qua non de la mise
en œuvre du droit international112. Au regard de la méthode empruntée pour la
construction du droit du transport en Afrique centrale, la réponse113 semble être
affirmative, offrant ainsi la possibilité à l’entité communautaire d’intégrer dans le
droit des Etats, par ses mécanismes propres, les conventions internationales114.
Les Etats membres se voient ainsi imposer de manière permanente des conven-
tions pour lesquelles ils n’ont pas marqué leur volonté à être lié.

108
Ndiaw Diouf, « Actes uniformes et droit pénal des Etats signataires du traité de l’OHADA : la
difficile émergence d’un droit pénal communautaire des affaires dans l’espace ohada », ohadata
D-05-41.
109
Pour un bref aperçu du développement des organisations d’intégration en Afrique, v M. Konate,
« L’ohada et les autres législations communautaires, UEMOA, CEMAC, CIMA, OAPI, CIPRES
etc. », Jurifis info, n 6, 2010, p.2 (www.jurifis.com).
110
M. Merle, « Le pouvoir réglementaire des organisations internationales», Ann. franç. dr. inter-
national, 1958, p.360.
111
Partant de l’exemple du droit de transport aérien et favorable à la consécration de la compétente
extérieure de la communauté européenne, la doctrine précise « qu’elle lui permet de s’engager
dans une politique aérienne internationale » au profit bien entendu des Etats de l’U E. Cf. L.
Grard, « L’Union européenne et le droit international de l’aviation civile », Ann. franç.dr. inter-
national, vol. 49, 2003, p.494.
112
E. Kitio, op. cit., 2011, p.94.
113
L’union Européenne, tout au moins pour ce qui est du droit des transports aériens, a répondu
sans détour par l’affirmative. C’est ainsi que la Commission a réussi, à travers un recours en
manquement contre huit Etats membres de l’Union, au motif que les traités bilatéraux conclus
avec les Etats-Unis étaient en contradiction avec certains principes de droit communautaire, à
faire dire au juge que les Etats membres ne sont plus compétents pour négocier les traités aériens
bilatéraux. Aussi, le Conseil dès le 5 juin 2003, a admis dans son principe le « paquet de relations
extérieures », qui met en place deux outils juridiques de nature à garantir l’unité dans la repré-
sentation de l’UE. Le premier, dit «mandat horizontal», crée une superposition dans les compé-
tences avec les Etats membres. Le second, dit «règlement de procédure», met en place des
mécanismes tendant à éviter que les Etats ne négocient des clauses incompatibles avec le droit
communautaire. Sur l’ensemble de la question. Cf. L. Grard, op. cit., p.498-499.
114
On ne doit cependant pas conclure hâtivement à l’aptitude de cette construction à se substituer
totalement à la vision traditionnelle des Etats souverains. A cet effet H. Kelsen adjurait de
renoncer « à l’habitude profondément enracinée de défendre au nom de la science du droit,
c’est-à-dire en invoquant une autorité objective, des postulats politiques qui n’ont qu’un caractère
essentiellement subjectif, même s’ils se présentent en toute bonne foi comme l’idéal d’une reli-
gion, d’une nation ou d’une classe », in Théorie pure du droit, op. cit., p.XV.

Rev. dr. unif., Vol. 20, 2015, 325–360


348 Jean-Claude Ngnintedem

Potentiellement, la situation est la même lorsque la réception du droit inter-


national est imposée par les parties à un contrat de transport international. Le
droit international privé auquel n’échappe pas le droit du transport, combiné avec
le droit des contrats, offre la possibilité aux parties, dans la détermination de la loi
qui sera applicable à leur relation de transport, de renvoyer à une convention dont
l’Etat du for est un Etat tiers par référence au vocabulaire du droit international.
Pour mieux rendre compte de cette réalité dans la CEMAC, et en fonction des
finalités recherchées, il nous semble utile d’analyser cette intégration imposée en
tenant compte de ce qu’elle est permanente (A) ou circonstancielle (B).

A- Une réception indirecte permanente


Elle se matérialise en pratique par une intégration du droit international dans le

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droit national au travers du droit communautaire. En effet, les instruments inter-
nationaux ont largement inspiré le législateur de la CEMAC au point où il a choisi
d’en faire des éléments de droit dérivé communautaire. L’explication peut être
recherchée dans le fait qu’en zone CEMAC, la réglementation des transports vise à
favoriser la participation des pays de la sous-région au commerce international.
Ceci est d’autant plus vrai, qu’ « aucun Etat ne peut véritablement s’ouvrir au
monde et participer au commerce international sans se doter d’une législation appro-
priée»115. On en déduit que l’un des objectifs de la réglementation des transports
dans la zone CEMAC tient à la volonté des Etats de cette zone de s’ouvrir et de
participer au commerce international, dont la spécificité impose l’élaboration
d’un arsenal juridique adapté, pour répondre aux exigences du développement
économique. Encore que, comme l’observe à juste titre O. Mefiro, «sans une réelle
organisation des transports, il est assez difficile pour un pays en développement de
mener à bien son programme économique dans la mesure où c’est la flexibilité des
échanges entre régions qui justifie la bonne gestion d’une économie»116. Or, fort de
leurs faiblesses économiques, ces Etats ont pris conscience de ce que cette par-
ticipation passe par une recherche communautaire des solutions appropriées aux
problèmes entravant le développement du transport, compte tenu de la dynami-
que des réformes qui se sont manifestées au plan international. En tout cas, il est
très souvent question, dans ces réglementations, d’unir les énergies pour défendre
les intérêts et tirer profit des initiatives de la CNUCED117. Bien plus, les Etats de la
zone CEMAC entendent traduire dans leur réglementation des transports, une
adaptation collective des règles nationales aux règles internationales, et à un degré
plus avancé encore, un alignement des règles communautaires aux règles

115
M. Ndende, « La construction du droit des transports maritimes en Afrique », RCTAM, n 1, 2004,
p.91.
116
O. Mefiro, Vers la maı̂trise spatiale de la circulation des flux de marchandises dans les PED : le cas
du Cameroun, Thèse, Université d’Aix - Marseille II, 1989, p.3.
117
Dès sa création la CNUCED avait reçu pour mission, de rechercher des solutions internationale-
ment acceptables aux problèmes du commerce international et du développement. A ce propos
voir, J-C. Ngnintedem, « La réglementation des transports en zone CEAC: un modèle d’inté-
gration sous-régionale », Revue Scapel, n 2, 2006, p.72.

Unif. L. Rev., Vol. 20, 2015, 325–360


Réception dans les Etats des normes conventionnelles de droit de transport 349

internationales. L’expression de cette volonté d’adaptation s’est traduite dans de


nombreux pays, par des initiatives d’adhésion ou de ratification des conventions
internationales118 dans le secteur du transport. Pour ceux des Etats qui ont refusé
de se prêter au jeu international de la ratification ou de l’adhésion, la législation
communautaire CEMAC les y soumet par une intégration desdites règles dans le
corpus de la règle communautaire. Pour arriver à cette fin, trois techniques ont été
utilisées : le renvoi (1), l’inspiration(2) et la reproduction (3).

1 )- L’intégration par la technique de renvoi


Dans cette démarche, le législateur supranational procède à un renvoi pur et
simple pour ainsi créer une cohérence substantielle entre le texte de renvoi et le
texte de référence119. L’harmonisation est donc parfaite puisque les mêmes règles

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s’appliquent aussi bien aux questions relevant de la convention internationale
qu’à celles relevant du droit communautaire. Analysant cette logique, le
Professeur Ndendé, considère la situation comme une incohérence de notre
droit communautaire. Aussi affirme-t-il à propos du code de la marine march-
ande de la CEMAC que « par ses dispositions, ce code soumet, en effet, le Etats de
l’Afrique centrale à un certain nombre de conventions internationales -au premier
chef desquelles figurent les règles de Hambourg- sans se soucier de la ratification
préalable ou concomitante de ces conventions par lesdits Etats. Si cette difficulté ne
concerne pas les pays comme le Cameroun qui a adhéré à la convention de Hambourg
depuis le 21 septembre 1993, il en va autrement pour la totalité des autre pays » 120. Il
termine son observation en s’interrogeant sur le point de savoir si, pour remédier
à cette situation, il ne faudrait pas considérer qu’il s’agit d’une sorte de ratification
ou adhésion « collective et implicite ». Or, il est évident que si l’adhésion à une
convention internationale peut être collective, elle ne saurait être implicite car, il
s’agit pour chaque Etat de marquer expressément par le dépôt des instruments de
ratification ou d’adhésion, sa volonté à être lié par un instrument international ou
communautaire121. Parlant d’une adhésion collective, les organisations régionales

118
M. Ndende, op. cit., 2001, p. 259.
119
La cohérence ici découlera simplement de ce que le renvoi emporte une édiction concomitante
entrainant une sorte de promulgation nouvelle, dans l’ordre de renvoi, des règles auxquelles il est
renvoyé. A ce sujet lire N. Mojfessis, « Le renvoi d’un texte à un autres », in Les mots de la loi,
Economica, 1999, pp. 55 -72, spec. 60.
120
M. Ndende, op. cit., 2001, p. 259.
121
Cette démarche n’a pas été éludée au Cameroun lorsqu’il s’est agi du traité OHADA qui a été
approuvé par une loi du 5 juin 1995 puis ratifié par un décret présidentiel du 4 octobre 1996. Le
traité OHADA révisé le 17 octobre 2008 n’est entré en vigueur au Cameroun qu’après le dépôt des
instruments de ratification auprès du gouvernement sénégalais qui en est le dépositaire conven-
tionnel. Il en a été de même pour le traité CEMAC, le président de la République du Cameroun
ayant été autorisé à ratifier les actes constitutifs du traité de N’djamena du 16 mars 1994, par une
loi n 98/010 datée du 14 juillet 1998. Dès la promulgation de cette loi, un décret n 98/274 du 23
octobre 1998 du chef de l’Etat a effectivement ratifié les actes constitutifs de la CEMAC. Au-delà
du traité constitutif, ce sont les actes subséquents qui ont été tous ratifiés à savoir l’additif au traité
et les trois conventions du 5 juillet 1996. Dans la même logique, le traité CEMAC révisé du 25 juin
2008, les nouvelles conventions du 25 juin 2008 régissant l’Union Economique de l’Afrique
Centrale (UEAC), l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC), le Parlement

Rev. dr. unif., Vol. 20, 2015, 325–360


350 Jean-Claude Ngnintedem

d’intégration économique, c’est-à-dire les ensembles « constitués d’Etats souver-


ains d’une région donnée qui ont compétence sur certaines matières régies par la
Convention » 122, parce que dotées d’une personnalité juridique distincte de celle
de leurs membres123, ont vocation à devenir sujets de droit international. En cette
qualité, l’essentiel des conventions internationales contemporaines de droit du
transport leur offre la possibilité de devenir parties. C’est le cas notamment de la
convention de Montréal du 28 mai 1999 sur le transport aérien et du protocole de
2002 à la convention d’Athènes de 1974 relative au transport par mer des passa-
gers et de leurs bagages. L’Union Européenne a su bénéficier des ressorts de la
liberté d’adhésion que lui offraient lesdites conventions124 pour faire des conven-
tions sus-évoquées, des accords mixtes, c’est-à-dire ceux « qui lient à la fois
l’Union et les Etats membres»125.

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C’est dans cette logique, nous semble-t-il, que s’inscrit la formule utilisée à
l’article 4 du Code de l’aviation civile de la CEMAC « auxquels les Etats de la
Cemac font partie ». On peut déduire de cette formule que l’entité régionale
adhérera en tant que telle parce qu’au moins un des Etats en fait partie : le
Cameroun. Pour autant, si une telle adhésion fait de la CEMAC un sujet de
droit international, elle n’en fera pas un acteur direct du droit international126
parce que l’opposabilité à son égard des normes issues de la convention de droit
de transport objet de son adhésion, suppose une intervention préalable d’une
autre personne juridique internationale, les Etats membres. C’est d’ailleurs à ces
derniers que sera imputée la violation éventuelle des normes conventionnelles.

communautaire ainsi que les nouvelles conventions du 30 janvier 2009 régissant la Cour de Justice
Communautaire et la Cour des comptes, ont également été ratifiés.
122
Article 53 de la convention de Montréal du 28 mai 1999.
123
A ce propos voir G. Isaac et M. Blanquet, Droit communautaire général, 8è éd., Armand-colin,
2001, p.30.
124
Par une Décision 2001/539/CE du Conseil du 5 avril 2001 concernant la conclusion par la
Communauté européenne de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au
transport aérien international (convention de Montréal) (Journal officiel n L 194 du 18/07/
2001 p. 0038 – 0038) l’UE a adhéré à la convention de Montréal du 28 mai 1999. Désormais,
la Convention de Montréal est mise en œuvre à l’égard des Etats membres de l’UE par les
dispositions du règlement n 889/2002 du 13 mai 2002, JOCE L 140, 30 mai 2002, suite à une
adhésion de l’entité communautaire à la convention de 1999. Il en a été de même pour le
protocole de 2002 à la convention d’Athènes de 1974. Pour cette dernière, la Commission dans
une communication du 25 mars 2002 sur l’amélioration de la sécurité des bateaux à passagers
dans la Communauté, a proposé d’instaurer un régime de responsabilité uniforme pour les
passagers maritimes dans les Etats de l’Union. Dans ce but, elle a souhaité une introduction à
l’échelle européenne d’un règlement relatif à la responsabilité des transporteurs maritimes de
passagers en cas d’accident, lequel règlement, parce que le nouveau régime international d’indem-
nisation institué par le protocole de 2002 à la convention d’Athènes de 1974 est satisfaisant,
transposerait ledit régime en droit communautaire. Cela a été fait par le règlement (CE n 392/
2009 du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relatif à la responsabilité des trans-
porteurs de passagers par mer en cas d’accident (JO L 131 du 28.5.2009).
125
O. Dubos, « Juridictions américaines et juridictions françaises face à l’article 33 de la convention
de Montréal : un dialogue de sourds ? », JDI (Clunet) n 4, oct. 2012, var.4, n 15.
126
Seule la réunion des deux conditions fait de l’organisation d’intégration économique, un acteur
juridique dans les relations internationales. Sur la question de l’acquisition de la qualité d’acteur
juridique dans les relations internationales, lire P. Daillier, « Les communautés européennes et le
droit de la mer », Revue Générale de Droit International Public, 1979, p. 450.

Unif. L. Rev., Vol. 20, 2015, 325–360


Réception dans les Etats des normes conventionnelles de droit de transport 351

Pour dire vrai, l’acte d’adhésion de l’organisation régionale d’intégration écono-


mique dans l ’échelle de valeur des actes communautaires, doit être considéré
comme une directive127 transposant les règles internationales dans l’ordre com-
munautaire afin de lui permettre de bénéficier des effets attachés à la réglementa-
tion communautaire, notamment son « affirmation comme droit propre de chacun
des Etats membres »128. En tout cas, parce qu’il s’agit d’un instrument de réalisa-
tion d’un objectif communautaire, cette directive liera tous les Etats quant aux
résultats à atteindre, tout en leur laissant en même temps la compétence quand à
la forme et aux moyens pour les atteindre129. C’est pourquoi, en marquant sa
volonté à être liée en tant que sujet de droit international, l’entité communautaire
doit inciter en fixant un délai130, les Etats membres dans une action coordonnée à
marquer une adhésion individuelle. Celle-ci se traduira pour chaque Etat par un

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dépôt des instruments d’adhésion à la convention si possible simultanément avec
les autres Etats de la communauté. Cette adhésion individuelle est d’autant plus
important que non seulement, la convention internationale ne créée davantage
d’obligations qu’entre les Etats, mais et surtout, seul leur « consentement donne vie
à la règle [conventionnelle] obligatoire»131.
Du reste, du fait des principes fondamentaux du droit communautaire, c’est-à-
dire de l’ensemble des principes qui servent à régler les rapports entre l’ordre
juridique communautaire et les ordres juridiques nationaux, notamment l’applic-
abilité immédiate, l’effet direct et la primauté du droit communautaire, les juges
nationaux se voient imposer l’application des textes internationaux pour lesquels
leurs Etats n’ont point marqué une volonté à être liés. Cette logique aurait pu être
considérée comme un malheureux fait de l’histoire législative si elle ne s’étendait
pas à la réglementation de presque tous les modes de transport. On en conclut
donc que c’est la traduction d’une certaine philosophie dans la construction du
droit du transport en zone CEMAC.
En effet, la même démarche a été suivie pour ce qui est du droit du transport
aérien pour lequel, dans un souci d’inscrire les dispositions de son droit « dans le
cadre des conventions, traités et accords internationaux auxquels les Etats de la
CEMAC font partie », le législateur communautaire de 2000, dans les dispositions
énoncées aux articles 189 et 195 du Code de l’aviation civile de la CEMAC prévoit

127
Cette valeur est consécutive au fait qu’il s’agit d’un acte d’accomplissement d’une de ses missions
à savoir l’uniformisation du droit dans l’espace intégré. A ce titre, il incombera aux Etats de mettre
leur droit en conformité avec la directive dans le délai qui leur aura été imparti par celle-ci afin
qu’elle produise des effets au profit des particuliers. Sur l’ensemble de la question lire, Lamy droit
économique, 2010, n 82-91, pp.30 et 31.
128
Giuseppe Sperduti, op. cit., 1976- IV, vol. 153, p.353.
129
J. Megret, « La spécificité du droit communautaire », RIDC, Vol. 19, n 3, 1967, pp. 565-577 et
spéc. p.578 ; J. Dutheil de la Rochere, op. cit., 1998, pp. 579-581.
130
L’UE par exemple par une décision du conseil du 24 juin 2003, demandant aux Etats de marquer
leur adhésion au protocole de 2002 à la convention d’Athènes de 1974, leur a fixé un délai butoir
avant la fin de l’année 2005, créant ainsi une obligation communautaire quant à l’adhésion audit
protocole.
131
R. Ago, « Droit positif et droit international », Annuaire français de droit international, vol. 3,
1957, p.18

Rev. dr. unif., Vol. 20, 2015, 325–360


352 Jean-Claude Ngnintedem

que le contrat de transport de marchandises par air et la responsabilité du trans-


porteur de personnes sont régis par « les dispositions de la Convention de Varsovie
du 12 octobre 1929 ou de toute convention ou protocole la modifiant ou la remplaçant
», c’est-à-dire, suivant la doctrine dominante132, la convention de Montréal du 28
mai 1999. Malheureusement, le renvoi ainsi opéré risque de générer une autre
difficulté qui puiserait alors sa source dans les dispositions de l’article 24 de la
convention de Montréal qui, prévoyant une « escalator clause», autorise l’OACI,
soit de sa propre initiative, soit à la demande d’un tiers des Etats parties à la
Convention, de notifier aux pays signataires, tous les cinq ans, une révision des
limites de responsabilité133. Le renvoi des articles 189 et 195 du Code de l’aviation
civile de la CEMAC, peut-il rendre obligatoire à tous les Etats de l’Afrique cen-
trale, l’application de l’article 24 de la convention de Montréal au regard de son

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enjeu sur le calcul du montant de la limitation de la responsabilité du transporteur
aérien des personnes et de leurs bagages ? La réponse ne peut qu’être négative pour
deux raisons : d’une part, parlant de la notification de la révision, l’article 24 alinéa
2 susvisé ne traite que des «Etats parties». D’autre part, l’article 53 al. 2 du même
texte énonce clairement que « pour l’application de l’article 24, les mentions faites
d’« une majorité des Etats parties » et d’« un tiers des Etats parties » ne s’appliquent
pas aux organisations régionales d’intégration économique ». Or, l’article 24 a été
mis en œuvre, tout au moins pour la première fois le 30 juin 2009, soit six ans
après l’entrée en vigueur de la Convention et rendu applicable depuis le 30
décembre 2009, soit six mois après sa notification aux Etats. La conséquence a
été de provoquer un relèvement substantiel des limites de réparation en matière
de transport aérien de voyageurs et de marchandises134. En l’état actuel, deux
modalités de calcul du montant de la limitation de la réparation sont applicables
dans les Etats de la CEMAC : le montant fixé par la convention du 28 mai 1999
applicable à ceux des Etats qui, certes, n’ayant pas ratifié la convention de
Montréal, l’ont reçue par les mécanismes de droit communautaire (Congo,
Gabon, République centrafricaine et le Tchad) ; et ceux qui, l’ayant reçue par la

132
E. Kitio, op. cit., 2011, p. 89 et s ; R. Nemedeu, « Qu’en est-il après l’entrée en vigueur le « 5 »
novembre 2003 de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport
aérien international, signée à Montréal le 28 mai 1999 ? », Juridis Périodique, n 77, 2009, p.
96 et s ; G. Ngamkan, « La nouvelle législation des transports aériens au Cameroun : une percée
législative formidable ou un texte de trop dans notre arsenal juridique ? », Ramatrans, n 4, avril
2012, p. 20 et s ; M. Ndende, « La problématique de la sécurité des transports aériens dans les Etats
d’Afrique centrale », Ramatrans, n 4, avril 2012, p. 10 et s.
133
Sur cette difficulté supplémentaire générée par l’article 24 de la convention de Montréal dans le
droit de transport aérien des pays africains, Cf E. Kenguep « L’impact de la mise en œuvre de
l’article 24 de la convention de Montréal sur le droit des transports aériens en vigueur dans
l’OHADA et la CEMAC », Revue de Droit et de Jurisprudence CEMAC, n 01/2eme trimestre
2012, pp. 163-181.
134
Les nouvelles limites à prendre en compte pour les Etats parties à la convention de Montréal sont
désormais passées de 100 000 à 113 100 DTS en cas de mort ou de lésion subie par le voyageur (art.
21 § 1) ; de 4150 à 4 694 DTS en cas de retard subi par le passager (art. 22 § 1) ; de 1000 à 1 131 DTS
en cas de destruction, perte, avarie ou retard subi par les bagages (art. 22 § 2) ; de 17 à 19 DTS par
kilo en cas de destruction, perte, avarie ou retard subi par des marchandises (art. 22 § 3). Cf. E.
Kenguep, op. cit., p.167.

Unif. L. Rev., Vol. 20, 2015, 325–360


Réception dans les Etats des normes conventionnelles de droit de transport 353

volonté du législateur communautaire, ont également marqué leur volonté à être


lié par lesdites règles, à l’exemple du Cameroun.
Visiblement, le législateur de l’Afrique centrale en choisissant la technique de
renvoi pour rendre obligatoire les conventions internationales, non seulement n’a
pas pris toute la mesure d’un tel mécanisme, mais et surtout n’a apporté aucune
garantie de respect des conventions internationales par les Etats de la sous-région.

2 )- L’intégration par la technique d’inspiration


Dans cette hypothèse, le législateur communautaire s’abstient de reproduire lit-
téralement les règles internationales. Il s’en inspire simplement. Ce qui est gén-
érateur, de l’avis de G. Ngamkan, de quelques dissonances par rapport à la
convention portant droit uniforme et isole quel que peu les pays de l’Afrique

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centrale du reste des Etats contractants135. Pour autant, cette technique présente
un grand avantage car, dans une telle occurrence, le législateur n’a aucunement
imposé la convention internationale dans l’ordre interne, mais s’en est inspiré
pour élaborer son propre droit. C’est le cas de l’article 10 du Code de la marine
marchande de la CEMAC qui, inspiré de la convention de Londres de 1965 sur la
facilitation du trafic maritime international, précise que : « Sous réserve des docu-
ments et justifications complémentaires qui pourraient être demandés par les auto-
rités maritimes ou portuaires, pour des raisons de sécurité seulement, les navires
entrant dans un port d’un Etat membre ou en sortant, sont astreints à la production
des documents retenus par la Convention de Londres du 9 avril 1965, visant à
faciliter le trafic maritime international à savoir : une déclaration générale, une
déclaration de la cargaison, une liste d’équipage, une liste des passagers, la déclara-
tion des provisions de bord, la déclaration des effets de l’équipage, la déclaration
maritime de santé». A l’évidence, inspirée par la convention de Londres de 1965, le
législateur communautaire fourni une liste détaillée des documents de sécurité,
exigés pour un transport maritime. Il n’oblige pas les Etats à mettre en œuvre
ladite convention, mais de faciliter l’exécution des règles édictées par cette con-
vention au moyen de leur propre droit.

3 )- L’intégration par la technique de reproduction


Dans la technique de reproduction, le législateur communautaire se borne, dans
certains cas, à reproduire obséquieusement, les dispositions d’une convention
internationale. Cette technique présente l’avantage d’éviter tout décalage entre
les dispositions internationales et les dispositions communautaires. C’est le cas de
la convention des Nations unies du 24 mai 1980 sur le transport multimodal
international de marchandises et la convention inter-Etats de transport multi-
modal de marchandises en UDEAC. En effet, cette dernière est une copie intégrale
de la première, qui du reste n’a pas connu de succès au plan international. En

135
G. Ngamkan, « L’intégration des règles de Hambourg dans les législations maritimes africaines :
l’exemple des pays de l’Afrique centrale », Juridis périodique, n 43, 2000, p.110.

Rev. dr. unif., Vol. 20, 2015, 325–360


354 Jean-Claude Ngnintedem

reproduisant la convention internationale, le législateur communautaire impose


aux Etats membres, au titre de norme communautaire, une convention pour
laquelle ils n’ont aucunement marqué leur volonté à être liés. Le risque majeur
c’est de générer une situation conflictogène, singulièrement dans un espace inté-
gré où il y a concurrence entre les ordres communautaires, la convention inter-
nationale reproduite étant reçue, non es qualité mais, en tant que droit
communautaire136. Pourtant, explique M. Delmas-Marty, « en dépit des appa-
rences, il n’est plus possible aujourd’hui de méconnaıˆtre la superposition des normes
nationales, régionales et mondiales. . .Ces réalités nouvelles font évoluer le droit vers
des systèmes interactifs complexes et fortement instables. Plus que d’un défaut
du droit, c’est d’une mutation qu’il s’agit, dans la conception même de l’ordre
juridique »137. Dans la même logique, J. Dutheil de la Rochère fait observer

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qu’au vu de la « multiplicité des acteurs et des systèmes [. . .] reflet direct de la
globalité et de la pluralité du monde juridique contemporain [i]l est illusoire de
chercher à y introduire un ordonnancement strict, tout au plus peut-on songer à
des mécanismes de coexistence »138. Pour conclure que : « [s]’il y a incompatibilité
entre le droit communautaire et le droit international, la solution serait donc poli-
tique »139, en raison de « la multiplicité des acteurs et [de] l’obligation de concilier
tous les points de vue »140. Ce raisonnement s’applique mutatis mutandis aux
relations entre les droits communautaires africains.
Pour bien appréhender les enjeux de la reproduction législative et l’éventualité
d’un conflit qu’elle peut engendrer, supposons un transport routier de march-
andises avec pour point de départ Moundou (Tchad) et celui d’arrivée Douala
(Cameroun). Pour la réalisation dudit transport, les parties se sont servies d’une
lettre de voiture CEMAC. Au cours de ce voyage, les marchandises sont avariées.
Aux fins de réparation des dommages subis, les parties saisissent le juge camer-
ounais en sollicitant l’application respectivement de la Convention Inter-Etats de
transport routier de marchandises diverses (CIETRMD) et l’Acte Uniforme por-
tant contrat de transport de marchandises par route (AUCTMR), toutes deux
étant des normes à effet direct et d’application immédiate. Face à une telle situ-
ation, quelle règle de conflit sera retenue pour désigner le texte applicable ? La

136
Or on aurait bien pu imaginer que la CEMAC puisse booster l’entrée en vigueur de la convention
de 1980 en suscitant une adhésion de tous les Etas membres.
137
M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit : le relatif et l’universel, Paris, Le seuil, 2004, p.
7
138
J. Dutheil de la Rochere, « Protection des droits fondamentaux et prévention du terrorisme.
Relations entre droit international et droit de l’Union européenne en question », in : La
France, l’Europe et le Monde, Mélanges en l’honneur de Jean Charpentier, Paris, Pedone, 2009,
pp. 316 et 319. Corroborant cette analyse, la doctrine relève que les « relations entre les pratiques
multilatérales globales et régionales sont empreintes de concurrence, de compétition, d’ignorance
et d’absence de dialogue, mais plus récemment aussi de coopération [. . .] la complexité reste une
caractéristique majeure des relations entre les accords régionaux « ». Cf. M. Albaret « Les formes
régionales du multilatéralisme : entre incertitudes conceptuelles et pratiques ambiguës », in :
Bertrand BADIE / Guillaume Devin (sd.), Le multilatéralisme. Nouvelles formes de l’action
internationale, Paris, La Découverte, 2007, pp. 50-51 et 52.
139
J. Dutheil de la Rochere, Ibid., p. 317.
140
Ibid., p. 318.

Unif. L. Rev., Vol. 20, 2015, 325–360


Réception dans les Etats des normes conventionnelles de droit de transport 355

difficulté est d’autant plus grande que le point de départ et le point de livraison
sont situés dans deux Etats membres de la CEMAC et de l’OHADA. Plus sérieux
encore, les deux textes sollicités ont le même objet. On aurait bien pu s’accom-
moder des dispositions de l’article 10 du traité OHADA qui consacre la primauté
des règles OHADA sur les textes de droit interne en vigueur dans les Etats mem-
bres. Or, l’article 10 ne s’applique qu’en cas de concurrence entre une règle de
droit national et une règle OHADA et, n’a donc pas vocation à régir les conflits
entre le droit OHADA et le droit communautaire sous-régional, rien ne justifiant
une quelconque supériorité du droit OHADA sur le droit communautaire. En
conséquence, la solution ne peut être recherchée qu’en application des principes
de droit international. De l’examen de ces principes, il découle que la règle gen-
eralibus specialia derogant est à exclure d’entrée de jeu, dans la mesure où les deux

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instruments se veulent tous spéciaux et contiennent des dispositions de fond pour
l’essentiel identiques. Cette identité d’objet réduit également la portée de la règle
de l’efficacité maximale proposée par la doctrine sur les conflits de
Conventions141. Le principe lex posterio priori derogat semble dès lors le plus
indiqué pour la résolution des conflits éventuels entre la CIETRMD et
l’AUCTMR. En réalité, l’on pourrait se fonder sur le fait que les Etats concernés,
en adhérant ultérieurement à l’OHADA d’une part, et en adoptant un texte avec
un objet identique au premier, ont volontairement voulu se soumettre aux dis-
positions postérieures, plus actuelles et plus modernes. En prenant appui sur cette
approche, l’on proposera qu’au regard des deux éléments que sont l’identité des
parties à ces deux textes d’une part et l’identité de l’objet des deux instruments
d’autre part, l’application des dispositions de l’AUCTMR soit retenue, au détri-
ment de celles des conventions sous-régionales antérieures. Toutefois, dans cer-
tains cas, il faudrait retenir une application complémentaire, dans la mesure où,
compte tenu des dispositions supplémentaires de droit privé ou de droit public
qu’ils renferment, la CIETRMD, tout en ayant un domaine plus élargi que celui de
l’AUCTMR142, participe de l’impératif de la construction communautaire
CEMAC.
Concrètement, et bien que chacun des systèmes d’intégration revendique sa
différence et fonctionne de manière autonome143, « la solution la plus efficace

141
F. Majoros, Les conventions internationales en matière de droit privé. Abrégé théorique et traité
pratique II. Partie spéciale I : Le droit des conflits de conventions, Paris, A. Pedone, 1980, p. 21 et s.
Selon cet auteur, en cas de conflit entre Traités réglementant une des matières rattachées au critère
de l’efficacité maximale, sera chaque fois désignée applicable, parmi les dispositions concurrentes,
la disposition conventionnelle dont la mise en œuvre assure un maximum d’efficacité, toujours en
conformité avec les finalités de la réglementation.
142
J-A. Batouan Bouyoum, Le droit Ohada sur le transport des marchandises par route: approche
critique, prospective et coparative, these en cotutelle, Université de Nantes-Université de
Yaoundé II, SOA, 2007, p. 208.
143
Lire à ce propos, J. Fipa Nguepjo, Le rôle des juridictions supranationales de la CEMAC et de
L’OHADA dans l’intégration des droits communautaires par les Etats membres, Thèse, Université
Panthéon-Assas, 2011, pp.54 et s. La doctrine fait d’ailleurs remarquer que cette autonomie est si
marquée que « l’ordre juridique de la communauté expose un ordre juridique étranger, c’est-
à-dire non national » et en conséquence, il ne forme pas un tout avec le droit national, mais une
masse juridique différente qui n’est pas en même temps du droit national même si elle est

Rev. dr. unif., Vol. 20, 2015, 325–360


356 Jean-Claude Ngnintedem

aux éventuels conflits entre les Conventions CEMAC et les Actes Uniformes OHADA
doit être d’origine institutionnelle. Elle peut passer par une adhésion ou une ratifi-
cation expresse par la CEMAC des actes uniformes OHADA qui viendraient se
substituer aux dispositions contraires contenues dans ses précédentes règles matéri-
elles »144. Ainsi l’OHADA deviendrait un instrument de technique juridique au
service des entités communautaires. Dans cette perspective, on assisterait à un
renforcement du caractère obligatoire des actes uniformes dans le territoire des
Etats membres de la CEMAC, indépendamment des engagements pris en vertu
des traités et des actes dérivés du droit communautaire145. Par une telle approche
nous semble-t-il, on sortirait des approximations de la solution négociée, matéri-
alisée dans l’accord de coopération institutionnelle entre la CEMAC et l’OHADA
de 2001146.

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B- Les mécanismes particuliers de réception: la volonté
des parties au contrat de transport
Le principe de base, tel que nous l’avons déjà souligné, c’est l’application d’office
d’une convention internationale de droit privé, singulièrement des transports, dès
lors qu’elle est entrée dans l’ordre juridique interne d’un Etat au moyen de sa
publication. Ceci offre donc le droit de revendiquer l’application des conventions
internationales y compris celles qui n’ont pas été régulièrement ratifiées par l’Etat
(1). En même temps on peut se demander si cette application peut être écartée par
la volonté des parties, ou mieux s’il entre dans les pouvoirs des particuliers de se
soustraire à l’application des conventions qui sont de nature à affecter leurs droits
et obligations sans compromettre les engagements internationaux de l’Etat (2).

1 )- Le renvoi contractuel à une convention non


ratifiée par l’Etat
La démarche classique, en droit international privé, pour déterminer le droit
applicable à un litige, consiste à identifier parmi les dispositions des ordres jur-
idiques avec lesquels une relation entretient des liens, celui ou ceux qui fourniront

étroitement liée à celui-ci. Cf. J. Barmann, « Catégories et autonomie du droit communautaire »,


Revue internationale de Droit comparé, vol. 26, n 1 Janvier-Mars 1974, p.40.
144
J-A. Batouan Bouyoum, op.cit., p. 208.
145
J. Mouangue Kobila, « Les rapports entre la cour de justice de la CEMAC et la cour commune de
justice et d’arbitrage de l’ohada », in M. Fau-Nougaret (Sd), op. cit., p. 375.
146
Il faut dire à ce sujet qu’un accord de coopération institutionnelle a été conclu entre la CEMAC et
L’OHADA en 2001 afin de se donner des facilités mutuelles dans la mesure du possible de nature à
favoriser les missions de chaque partie. A cet effet, l’article 4 dudit accord prescrit d’accorder de
larges facilités d’accès à tous documents, études, informations produits par l’une des parties et
susceptibles d’intéresser l’autre partie, ainsi que leur l’exploitation le cas échéant. Sur la pertinence
de cet accord V G. Taty, « Pluralité des juridictions régionales dans l’espace francophone et unité
de l’ordre juridique communautaire : problématiques et enjeux», Communication à la rencontre
inter-juridictionnelle Cours de Justice « UEMOA, CEDEAO, CEMAC, OHADA, Cotonou
(République du Benin), 2008 (inédit)

Unif. L. Rev., Vol. 20, 2015, 325–360


Réception dans les Etats des normes conventionnelles de droit de transport 357

la réglementation147. Cette démarche procède des conflits de lois. Cependant, en


matière de contrats internationaux, notamment maritimes, on laisse aux parties le
libre choix du droit applicable à leur contrat. Comme l’explique C. Legros, «
l’autonomie de la volonté se justifie ici par le caractère disponible des droits en jeu
et ce, d’autant plus que ces contrats sont le plus souvent conclus entre profession-
nels»148. Sous le couvert d’une telle liberté, les parties peuvent même retenir une
loi dépourvue de tout lien objectif avec leur opération149. Ainsi, si le connaisse-
ment renvoie expressément à une convention lui donnant effet, fut-elle sans lien
effectif avec le rapport contractuel en cause, « l’effet souverain de la volonté des
parties »150, exprimé dans la «clause Paramount», oblige le juge à l’appliquer.
En admettant que le Cameroun ne fût pas partie à la convention de Bruxelles de
1924, supposons un transport maritime international de blé entre la France et le

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Sénégal assuré par un transporteur camerounais au moyen d’un connaissement
dans lequel les parties ont désigné cette convention comme loi applicable en cas de
litige. A l’arrivée à Dakar les marchandises sont avariées. Le juge du lieu du
domicile du transporteur est saisi, c’est-à-dire le juge camerounais. La loi nor-
malement applicable est celle du for saisi, en l’espèce la convention de Hambourg
à laquelle a adhéré le Cameroun. Mais elle ne trouvera pas à s’appliquer, les parties
ayant désigné la convention de Bruxelles comme seule loi applicable à leur rap-
port contractuel. Ainsi, par le mécanisme de l’autonomie de la volonté, les parties,
tout au moins le temps de l’exécution de leur contrat, imposeront au juge saisi
l’application d’une convention à laquelle l’Etat n’est pas partie.
Si les parties désignent une loi apparemment sans lien avec l’opération envisa-
gée, c’est sans doute qu’elles la connaissent et que cette loi leur paraı̂t juste
et adaptée au regard de leur rapport juridique151. Ce peut être aussi parce que
la loi désignée présente l’avantage d’être neutre par rapport à leurs systèmes

147
Y. Lequette, « L’évolution des sources nationales et conventionnelles du droit des contrats inter-
nationaux », in L’évolution contemporaine du droit des contrats, Journées René Savatier du 24-25
octobre 1985, p. 186 et s.
148
C. Legros, « Les conflits de normes en matière de contrat de transports internationaux de march-
andises », JDI (Clunet), n 3, 2007, doctr.7, n 11.
149
La convention de Hambourg de 1978 reconnaissant cette grande liberté aux parties dans la
désignation du juge du for compétent précise, qu’il s’agira de celui de « tout autre lieu désigné
à cette fin dans le contrat de transport par mer ». Il est donc possible aux parties d’élire un juge qui
ne soit localisé ni dans l’Etat de départ de la marchandise, ni dans celui d’arrivée, ni même qui
corresponde au lieu d’établissement de l’une des parties au contrat. Cf. C. Legros, op. cit., n 12.
150
M. Remond Gouilloud, Droit maritime, éd. Pédone, 1993, n 517, p.336. Le célèbre arrêt du 5
décembre 1910 rendu par la cour de cassation dans l’affaire de l’Américan Trading Compagny (S.
1911. 1. 129, note Lyon-Caen) fut le point de départ de cette théorie. A l’occasion de cette affaire,
la Cour affirma dans un attendu de principe que « la loi applicable aux contrats (. . .) est celle que
les parties ont adoptée, que si entre personnes de nationalité différente la loi du lieu où le contrat
est intervenu est, en principe, celle à laquelle il faut s’attacher, ce n’est qu’autant que les con-
tractants n’ont pas manifesté une volonté contraire (. . .) ». La volonté est donc désormais promue
au rang de premier critère pour déterminer la loi applicable à un contrat.
151
G. Branellec, La coexistence des règles applicables au contrat de transport international de
marchandises par mer : contribution à l’étude de l’uniformité du droit, Thèse, Université de
Bretagne Occidentale, 2007, n 933, p.516.

Rev. dr. unif., Vol. 20, 2015, 325–360


358 Jean-Claude Ngnintedem

économiques et juridiques respectifs152. Cette liberté, laissée aux parties, repose


sur l’idée que leur choix n’est jamais arbitraire ou capricieux.
La seule limite à cette grande liberté est le respect imposé aux parties des dis-
positions impératives édictées par l’Etat auquel se rattache le contrat: la loi choisie
par les parties s’impose à elles, ce qui permet d’éviter toute tentative de fraude
dans le choix de la loi applicable. Le Doyen Savatier souligne à ce sujet que les
parties ne peuvent écarter les dispositions à venir qui seraient applicables aux
contrats en cours, ni réaliser un « métissage »153 du contrat en empruntant les
règles applicables à des législations différentes. De manière générale, on en déduit
qu’il y a fraude à la loi lorsque «les parties ont volontairement modifié un rapport de
droit dans le seul but de le soustraire à la loi normalement compétente»154. La
jurisprudence, notamment française est dans le même sens155.

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Au-delà du droit maritime, ce mécanisme de réception imposé par les parties
tend à se cristalliser de manière conventionnelle. C’est ainsi qu’en Europe, la
Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles
offre la possibilité aux parties à son article 3-1, de soumettre le fond du contrat à
des lois qui normalement ne devraient pas être appliquées. Il apparaı̂t ainsi que cet
instrument conventionnel laisse une grande liberté de choix aux parties, afin que
celles-ci optent pour des règles parfaitement appropriées à l’opération qu’elles
projettent156. Ainsi par exemple, la France qui n’est certes pas partie à la conven-
tion de Hambourg pourrait, malgré une forte opposition de sa jurisprudence157,
voir son application assurée par ses juges. En effet précise à juste titre P.Y. Nicolas,
les règles de Hambourg de 1978 seraient applicables en France « à défaut de
l’application de la convention de Bruxelles de 1924, lorsqu’elles sont intégrées dans
un droit étranger désigné par la règle de conflit de lois du juge français »158, notam-
ment la convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations con-
tractuelles. Cette convention favorise ainsi un dépeçage du contrat avec pour
finalité de «faire respecter l’autorité des lois en vigueur dans les divers pays avec

152
P. Lagarde, « Les contrats dans le projet suisse de codification du droit international privé »,
Annuaire suisse de droit international, 1979, p.74.
153
R. Savatier, Cours de droit international privé, 2ème éd. 1953, n 414, p. 310.
154
H. Gaudemet-Tallon, op. cit., 2006, p.276.
155
En effet, par un arrêt du 4 février 1992, dans une œuvre de discipline au regard des fraudes
auxquelles la « clause Paramount » aboutissait, la Cour de cassation a précisé que les parties qui
soumettent leur contrat à une convention internationale « ne peuvent écarter celles des prescrip-
tions auxquelles, si la Convention internationale était applicable de plein droit, il ne saurait être
dérogé à peine de nullité». Cass. Com. 4 février 1992, DMF, 1992, p.289, note Lemaı̂tre, cité par M.
Remond Gouilloud, op. cit., 1993, n 520, p.339.
156
Ce dépeçage autorisé est soumis à certaines limites. D’abord, et c’est classique, il ne doit pas
permettre de porter atteinte à l’autorité de la loi. Ensuite, le dépeçage ne doit pas ruiner la
cohérence du contrat. Sur ce point Cf. F. Rigaux, « Examen de quelques questions laissées ouvertes
par la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles », Cahier de droit
européen, 1988, p. 318.
157
La jurisprudence française, à plusieurs occasions, a réaffirmé l’inapplicabilité de la convention de
Hambourg par le juge français, faute de ratification par la France : T. com. Marseille, 5 oct. 2004,
BTL 2005, p. 103 ; CA Paris, 19 janv. 2006, Juris-Data n 2006-313773, BTL, 2006, p.281.
158
P.Y. Nicolas, DMF 1999, p. 739, cité par C. Legros, op. cit., n 2

Unif. L. Rev., Vol. 20, 2015, 325–360


Réception dans les Etats des normes conventionnelles de droit de transport 359

lesquels le contrat international présente des liens étroits»159, c’est-à-dire dans le cas
d’une opération de transport, le pays dans lequel le transporteur a son établisse-
ment principal au moment de la conclusion du contrat, lorsque ce pays est celui
dans lequel est situé le lieu de chargement ou de déchargement ou l’établissement
principal de l’expéditeur (art4§4 convention de Rome)160.
Les conventions internationales de transport ainsi reçues étant d’application
directe et immédiate, on peut se demander si les parties ne peuvent pas aussi par
leur seule volonté s’y soustraire au mépris des engagements internationaux des
Etats.

2 )- L’exclusion par les parties de l’application des


conventions internationales

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A l’évidence, la réponse peut être recherchée dans le texte de la convention elle-
même. Le caractère d’ordre public attaché à la convention rend cette éventualité
impossible. Or, toutes les dispositions d’une convention internationale de droit
du transport ne sont cependant pas d’ordre public, ce qui ouvre droit à une
analyse selon que la disposition en cause est ou non d’ordre public. A cet effet
précise J. P. Remery, celles qui le sont, par ce seul fait, « s’imposent au juge comme
aux parties. Il en résulte que pour ses dispositions, ni le juge ni les parties n’ont de
pouvoir de ne pas tenir compte de la convention. La convention est donc toujours
applicable d’office sans que le juge ait de questions à se poser, il doit en respectant le
principe de la contradiction faire conclure les parties sur ces questions et sa décision
encourt cassation s’il ne le fait pas» 161. A l’inverse, celles qui ne le seraient pas,
peuvent évidement être écartées par les parties. Au soutien de cette seconde
branche de notre analyse, au titre de droit comparé, nous pouvons convoquer
l’article 12 (3) du NCPC français en vertu duquel, « le juge ne peut changer la
dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d’un accord
exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifica-
tions et points de droits auxquels elles entendent limiter le débat». Cette règle
n’a-t-elle pas vocation à s’appliquer aux situations générées par les conventions
internationales ? La réponse ne peut qu’être affirmative au regard de la jurispru-
dence de la haute juridiction française.
Toutefois, la question reste entière car, il faut encore s’interroger pour savoir si
les règles conventionnelles en cause sont d’ordre public. A ce propos, I.K. Diallo
affirme que « le caractère impératif est une des particularités essentielles des con-
ventions sur le transport, caractère qu’on infère des dispositions même de ces textes et
unanimement admis en doctrine »162. Une terminologie très variée traduit ce
159
P. Lagarde, « Le dépeçage dans le droit international privé des contrats », Rivista di diritto
internazionale privato e processuale, 1975, p. 652.
160
S. Chatillon, Droit des affaires internationales, coll. Gestion internationale, éd. Vuibert, 1994,
p.199.
161
J. P. Remery, Op. cit., 1993, p.467.
162
I.K. Diallo, Les conflits de lois en matière de transport international de marchandises par mer,
Thèse, Université de Paris, 1987, p.143.

Rev. dr. unif., Vol. 20, 2015, 325–360


360 Jean-Claude Ngnintedem

caractère : règles d’application immédiate, règles de police, règles d’ordre public


international, normes fixant leur propre domaine d’application. Cependant, si les
conventions internationales de droit matériel de transport sont d’ordre public,
toutes leurs dispositions ne le sont pas. Justement, analysant les conventions
internationales sur le transport de marchandises par mer, le Doyen Rodière fait
observer que certaines conventions de droit maritime ne sont pas globalement
d’ordre impératif, seules leurs dispositions concernant « les obligations et la
responsabilité du transporteur maritime »163 le sont. Aussi devait-il ajouter, « les
parties ne peuvent pas donner compétence à une loi qui diminuerait les
garanties du chargeur en faveur de qui sont prises les dispositions impératives de
la convention »164. C’est dans ce sens qu’ont été formulées les dispositions de
l’article 23 de la convention de Hambourg, lesquelles frappent de nullité toute

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stipulation contractuelle qui, directement ou indirectement, dérogerait à ses dis-
positions sur les points où les dérogations ne sont pas permises, en l’occurrence
les obligations et la responsabilité du transporteur maritime. Or l’ensemble de la
convention au regard de son intitulé ne traite précisément que de la responsabil-
ité. Ce qui bien sûr rend globalement impérative la convention, d’autant plus que
le législateur de 1978, à l’article 29, malgré le caractère lapidaire de sa formule,
précise qu’ «aucune réserve à la présente convention n’est autorisée ». Il faut donc en
déduire que la convention de Hambourg de 1978 doit être appliquée chaque fois
que le rapport contractuel rentre dans son champ d’application, puisqu’elle est
obligatoire par ce fait pour le juge en tant que traité. Toutefois, elle pourrait être
écartée si elle entre en conflit avec les « dispositions obligatoires d’une autre con-
vention multilatérale déjà en vigueur à la date de la présente Convention et se
rapportant à des questions traitées dans lesdits articles, à condition que le différend
intéresse exclusivement des parties ayant leur établissement principal dans des États
parties à cette autre convention ». De même, à moins qu’il s’agisse de clauses
d’aggravation de la responsabilité du transporteur, les parties ne peuvent déroger
à ses dispositions. On ne peut pas en dire autant de la convention de Montréal de
1999. L’article 49 de ce texte interdit certes, « les clauses contractuelles antérieures
au dommage par lesquelles les parties dérogeraient aux règles de la présente conven-
tion soit par une détermination de la loi applicable, soit par une modification des
règles de compétence ». Mais pour donner à cette disposition son caractère impér-
atif, il est nécessaire de le combiner avec l’article 47 qui prohibe, en tout état de
cause, les clauses tendant à exonérer le transporteur contractuel ou de fait de leur
responsabilité en vertu de la convention ou à établir une limite inférieure à celle
qui est fixée par celle-ci. Il ne s’agit donc pas d’une convention globalement
impérative. Seules ses dispositions sur la responsabilité du transporteur sont
d’ordre public sans que pour autant leur nullité entraı̂ne celle du contrat tout
entier, la clause prohibitive étant seule affectée de nullité.

163
R. Rodiere, Traité général de droit maritime : affrètement et transport, TII, Dalloz, 1968, n 788,
p.430.
164
Ibid., n 788, p.431.

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