Bruneau, Renahy UNE PETITE BOURGEOISIE AU POUVOIR

81(3(7,7(%285*(2,6,($832892,5
6XUOHUHQRXYHOOHPHQWGHV«OXVHQPLOLHXUXUDO
,YDQ%UXQHDX1LFRODV5HQDK\
/H6HXLO_m$FWHVGHODUHFKHUFKHHQVFLHQFHVVRFLDOHV}
Qr_SDJHV¢

,661
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Poitiers - - 195.220.223.38 - 19/09/2018 06h47. © Le Seuil
,6%1
$UWLFOHGLVSRQLEOHHQOLJQH¢O
DGUHVVH

KWWSVZZZFDLUQLQIRUHYXHDFWHVGHODUHFKHUFKHHQVFLHQFHV
VRFLDOHVSDJHKWP

3RXUFLWHUFHWDUWLFOH

,YDQ%UXQHDX1LFRODV5HQDK\m8QHSHWLWHERXUJHRLVLHDXSRXYRLU6XUOH
UHQRXYHOOHPHQWGHV«OXVHQPLOLHXUXUDO}$FWHVGHODUHFKHUFKHHQVFLHQFHVVRFLDOHV
QrS
'2,DUVV

'LVWULEXWLRQ«OHFWURQLTXH&DLUQLQIRSRXU/H6HXLO
k/H6HXLO7RXVGURLWVU«VHUY«VSRXUWRXVSD\V
/DUHSURGXFWLRQRXUHSU«VHQWDWLRQGHFHWDUWLFOHQRWDPPHQWSDUSKRWRFRSLHQ
HVWDXWRULV«HTXHGDQVOHV
OLPLWHVGHVFRQGLWLRQVJ«Q«UDOHVG
XWLOLVDWLRQGXVLWHRXOHFDV«FK«DQWGHVFRQGLWLRQVJ«Q«UDOHVGHOD
OLFHQFHVRXVFULWHSDUYRWUH«WDEOLVVHPHQW7RXWHDXWUHUHSURGXFWLRQRXUHSU«VHQWDWLRQHQWRXWRXSDUWLH
VRXVTXHOTXHIRUPHHWGHTXHOTXHPDQLªUHTXHFHVRLWHVWLQWHUGLWHVDXIDFFRUGSU«DODEOHHW«FULWGH
O
«GLWHXUHQGHKRUVGHVFDVSU«YXVSDUODO«JLVODWLRQHQYLJXHXUHQ)UDQFH,OHVWSU«FLV«TXHVRQVWRFNDJH
GDQVXQHEDVHGHGRQQ«HVHVW«JDOHPHQWLQWHUGLW
Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)

Ivan Bruneau et Nicolas Renahy
GUY SIÉ, leader de la liste d’opposition à Fleury-d'Aude (Languedoc-Roussillon) en 2008. L’association

des « compétences » comme mode de légitimation des prétentions à l’exercice du pouvoir municipal.
48
Une petite bourgeoisie au pouvoir

Sur le renouvellement des élus en milieu rural
La sociologie rurale française, avant de se « désagré- professions de techniciens ou d’encadrement, se distin-

ger1 » au début des années 1980, avait tendance à guaient par une perception alternative « de l’espace
prendre pour objet central la paysannerie et les agricul- campagnard, du devenir du village, des usages de la
teurs et s’intéressait peu aux autres groupes sociaux 2. nature7 ». Les travaux sur les migrations de certaines
Les études ruralistes ne mentionnaient l’existence catégories de la « petite bourgeoisie nouvelle » vers les
d’une notabilité rurale (châtelain, grands propriétaires campagnes en voie de désertification, dans le sud de la
fonciers, curé, médecin, notaire, instituteur) que pour France en particulier8, attiraient également l’attention
en souligner le déclin depuis la fin du XIX e siècle3 sur des groupes non agricoles.
et la réduire, dans une perspective fonctionnaliste, La recherche présentée ici renoue avec cet intérêt
à un rôle d’« intermédiaire » entre « société locale » pour les catégories moyennes et supérieures de la struc-
et « société globale »4. Quelques travaux d’historiens ture sociale des mondes ruraux, encore trop souvent
ou de sociologues se sont néanmoins démarqués de réduits aux professions de l’agriculture. Cette enquête
cette posture et ont mis l’accent sur la présence d’une sur la petite bourgeoisie rurale, réalisée en Bourgogne
petite bourgeoisie rurale et sur les relations entre les et sur un territoire qui n’a pas été concerné par les
personnes instruites – et/ou passées par la ville – et « exodes utopiques9 » des années 1970, répond au souci
les ruraux alentour5, inscrivant ainsi le monde agricole de procéder à une analyse fine de la stratification sociale,
dans une structure sociale plus large. Ainsi Patrick qui paraît d’autant plus nécessaire que les zones rurales
Champagne s’était-il intéressé à la consommation ont été touchées, comme les espaces urbains, par des
culturelle et estivale de la « petite bourgeoisie locale6 », transformations structurelles importantes. On pense
soit les « quelques salariés de la fonction publique en particulier à la forte augmentation des effectifs de
installés au village, comme l’employé des postes […] l’enseignement secondaire et du nombre d’enseignants
ou l’instituteur », qui partent en vacances l’été. Dans consécutive aux politiques scolaires mises en œuvre
ces mêmes années 1970, Jean-Claude Chamboredon dans les années 1960 et 1970 et à l’instauration du
analysait la façon dont les instituteurs, avec d’autres « collège unique ». Cette évolution de longue durée
1. Susan Carol Rogers, « Natural histories: et empiristes s’enfermaient de concert, 4. Henri Mendras, Sociologie de la plage », Actes de la recherche en sciences
the rise and fall of French rural studies », quoique pour des raisons différentes, campagne française, Paris, PUF, « Que sociales, 2, mars 1975, p. 21-24.
French Historical Studies, 19(2), 1995, dans ce ghetto labouré » (Michel Robert, sais-je ? », 1959, p. 72-73. 7. Jean-Claude Chamboredon, « La dif-
p. 381-397. Sociologie rurale, Paris, PUF, coll. « Que 5. Maurice Agulhon, La République au fusion de la chasse et la transformation
2. Michel Robert fait ce constat en forme sais-je ? », 1986, p. 6). village. Les populations du Var de la Révo- des usages sociaux de l’espace rural »,
de bilan en 1986 : « Pendant vingt ans, 3. Daniel Halévy, La Fin des notables. lution à la IIe République, Paris, Seuil, coll. Études rurales, 87-88, 1982, p. 233-260.
la sociologie rurale a été une sociologie Tome II : La République des ducs, Paris, « L’univers historique », 1979 [1re éd., Plon, 8. Danièle Léger et Bertrand Hervieu, Le
des agriculteurs : il semble que c’était le Grasset, 1937 ; Eugen Weber, La Fin des 1970), p. 255 ; Pierre Bourdieu, « Célibat Retour à la nature. « Au fond de la forêt…
noyau de sa spécificité, et que tout ce terroirs. La modernisation de la France et condition paysanne », Études rurales, l’État », Paris, Seuil, 1979.
qui n’était pas paysan était hors sujet rurale. 1870-1914, Paris, Fayard, 1983 5-6, avril-septembre 1962, p. 32-136. 9. Ibid.
ou, pire, banal et déjà connu. Marxistes [1re éd. 1976]. 6. Patrick Champagne, « Les paysans à la
ACTES DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES numéro 191-192 p. 48-67 49

a très probablement modifié la structure sociale de (personnellement et familialement) et, plus globalement,
zones rurales relativement pauvres et les rapports des évolutions structurelles qui modifient les contours
entre groupes sociaux, mais les modalités concrètes des groupes sociaux. L’expression de « petite bourgeoisie
et localisées de ces processus n’ont pas été étudiées. rurale » ne vise donc pas à dénoncer15, mais à mieux
Parallèlement, cette analyse de la petite bourgeoisie comprendre les dynamiques collectives et les recomposi-
rurale et des positions qu’elle occupe vise aussi à contri- tions à l’œuvre dans certaines régions de l’espace social.
buer à une sociologie contextualisée des strates intermé- La recherche [voir encadré « Une enquête inscrite dans
diaires de la structure sociale. La sociologie des « classes un collectif de recherche », ci-contre] a été menée dans
moyennes » a fait l’objet de recherches récentes, souvent le Germanois16, une zone rurale très peu peuplée
dans une perspective stratificationniste à une échelle (12 habitants au km²), isolée de toute agglomération
macro10. De façon agrégée et décontextualisante, Louis moyenne ou grande (la plus proche, de 25 000 habitants,
Chauvel identifie par exemple quatre classes moyennes, est distante de 60 km). Elle a porté plus précisément
toutes affectées – mais inégalement – par la « menace du sur deux communes : Fontenay (1 000 habitants) d’une
déclassement11 ». D’autres travaux récents complexifient part et Saint-Germain-en-Bourgogne (6 000 habitants)
les analyses surplombantes en mettant en évidence les d’autre part, qui est à la fois le chef-lieu du canton de
« petits déplacements sociaux12 » qui se produisent au Saint-Germain, un « pôle d’emploi de l’espace rural »
sein de fractions de classes singulières, comme chez ces au sens de l’INSEE, et le centre d’une communauté de
« petits-moyens13 » de la banlieue parisienne pavillonnaire communes réunissant les six cantons du Germanois
en quête de stabilisation, ou chez ces salariés de l’indus- depuis 2004. Le point d’entrée est l’analyse des luttes
trie d’État qui, appartenant aux fractions supérieures pour l’accès au pouvoir politique local, qui sont le plus
des classes populaires, accèdent au pouvoir local souvent étudiées dans des grandes villes ou leurs exten-
dans les limites que leur assigne une élite bourgeoise14. sions périurbaines17, ou – au pôle opposé du continuum
Les aspirations de la petite bourgeoisie rurale sont, établi par Daniel Gaxie et Patrick Lehingue18 – dans
pour leur part, à la fois autorisées et bornées par la de petites communes rurales19. Dans des communes
configuration sociale dans laquelle elles émergent et rurales de taille intermédiaire, comme Saint-Germain
prennent sens. Les cadres et membres des profes- et Fontenay, ces luttes ne peuvent être réduites ni à
sions intermédiaires susceptibles d’être dominants une « spécification […] de la concurrence politique
dans l’espace rural ne pourraient occuper les mêmes centrale20 », ni, à l’inverse, à la seule expression des
positions dans un espace urbain caractérisé par une « intérêts pratiques des habitants du village21 ». Dans
plus grande concentration de membres des classes ce type de configuration, elles apparaissent comme le
supérieures et un plus large éventail de professions à produit complexe et instable de la diversité des ressources
forts capitaux économiques et culturels. Les logiques sociales et politiques mobilisées par les fractions visibles
de distinction observées chez les enquêtés, qu’elles des catégories médianes de la structure sociale locale. En
soient consuméristes (logement, véhicule, pratiques effet, au-delà de la comparaison des deux communes et
culturelles, fréquentation régulière du monde urbain, de leurs différences, qui concernent aussi bien la consti-
etc.) ou relationnelles (émerger dans un espace local, tution des listes que la définition des enjeux, l’enquête
faire partie « des gens qui comptent », etc.), ne peuvent ethnographique nous a conduits à interroger les rapports
être analysées indépendamment de la pente sociale entre les formes prises par les compétitions politiques
ascendante dans laquelle chaque individu se trouve pris locales et les espaces sociaux dans lesquels elles prennent
10. Pour une synthèse, voir Serge Bosc, 1995) », Politix, 83, 2008, p. 49-74. gue et Frédéric Sawicki (dir.), Mobilisations 101-102, 1986, p. 231-269 ; Jean-Louis
Sociologie des classes moyennes, Paris, 15. Ce n’est pas l’objet de ce texte, mais électorales. Le cas des élections muni- Briquet, La Tradition en mouvement. Clien-
La Découverte, coll. « Repères », 2008. mentionnons le fait que penser relation- cipales de 2001, Paris, PUF, CERAPS/ télisme et politique en Corse, Paris, Belin,
11. Louis Chauvel, Les Classes moyennes nellement la structure sociale à partir CURAPP, 2005, et notamment les cha- 1997 ; Nicolas Mariot et Florence Weber,
à la dérive, Paris, Seuil, 2006. d’enquêtes localisées conduit à mener pitres consacrés aux villes de Lille, Rennes « “Honneur à notre élu”. Analyse ethnogra-
12. Bernard Lahire, « Petits et grands parallèlement une ethnographie réflexive. et Rouen, et aux communes périurbaines phique d’une coutume post-électorale en
déplacements sociaux », La Culture des Un certain nombre de propriétés com- de l’agglomération lilloise. Voir aussi Éric Dordogne », Politix, 45, 1999, p. 21-37 ;
individus, Paris, La Découverte, 2004, munes avec nos enquêtés a engagé une Agrikoliansky, Jérôme Heurtaux et Brigitte Sébastien Vignon, « Des maires en cam-
p. 411-470. forme de familiarité avec certains, liée à Le Grignou (dir.), Paris en campagne. Les pagne. Les logiques de (re)construction
13. Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier nos propres origines petites-bourgeoises. élections municipales de mars 2008 dans d’un rôle politique spécifique », thèse de
Masclet et Yasmine Siblot, La France des Voir Nicolas Renahy, « Mondes ruraux et deux arrondissements parisiens, Belle- doctorat en science politique, Amiens,
« petits-moyens ». Enquête sur la banlieue classes populaires », mémoire pour l’habi- combe-en-Bauges, Éd. du Croquant, 2011. université d’Amiens, 2009.
pavillonnaire, Paris, La Découverte, coll. litation à diriger des recherches, Nantes, 18. Daniel Gaxie et Patrick Lehingue, 20. Daniel Gaxie, La Démocratie représen-
« Textes à l’appui », 2008. université de Nantes, 2011. Enjeux municipaux. La constitution des tative, Paris, Montchrestien, coll. « Clefs »,
14. Violaine Girard, « Une notabilisation 16. Les noms de lieux et de personnes ont enjeux politiques dans une élection muni- 1993, p. 17.
sous contrôle : la trajectoire d’un maire été modifiés, afin de respecter l’anonymat cipale, Paris, PUF/CURAPP, 1984. 21. Ibid., p. 18.
rural face à un professionnel de la poli- des enquêtés. 19. Voir notamment : Marc Abélès, « Le
tique sur la scène intercommunale (1971- 17. Voir Jacques Lagroye, Patrick Lehin- degré zéro de la politique », Études rurales,
50
Une enquête inscrite

dans un collectif de recherche
Cette enquête a débuté en amont des élections cette enquête collective regroupe une quinzaine
municipales et cantonales de mars 2008. Elle associe de chercheurs et doctorants. La plupart des enquêtes
plusieurs types d’observations : réunions publiques sont menées sur la même région rurale, le Germanois
pendant la campagne, réunions de conseils municipaux (qui constitue pour tous un terrain d’enquête inédit),
et communautaires, manifestations festives (14 Juillet) permettant d’explorer le renouvellement de la structure
ou revendicatives (suite à la fermeture du service sociale d’une vaste zone rurale, tandis que quelques
de maternité d’un hôpital). Nous avons par ailleurs membres de l’équipe travaillent sur des terrains
réalisé plus d’une trentaine d’entretiens auprès de comparatifs. Sur les postulats liminaires de l’enquête,
candidats ou d’élus, d’agents administratifs de munici- nous renvoyons à l’article de Gilles Laferté1. Nous
palités ou de la communauté de communes, de remercions Denis Lépicier, Violaine Girard et Thibault
responsables associatifs, économiques et syndicaux. Marmont pour la mise à disposition ou la constitution
Nos investigations ont également bénéficié de de bases de données statistiques.
la connaissance accumulée par l’ethnographie collective
dans laquelle elle s’inscrit. Intitulée « Encadrement 1. Gilles Laferté, « Des archives d’enquêtes ethnographiques
et sociabilité des mondes ruraux » et dirigée par Gilles pour quoi faire ? Les conditions d’une revisite », Genèses, 63,
Laferté (financements ANR, INRA, Région Bourgogne), 2006, p. 25-45.
51
place. Pour ce faire, nous avons adopté une approche L’affirmation d’un nouveau groupe social
diachronique, attentive aux évolutions de la structure
sociale locale et des positions occupées dans cet espace Malgré (ou du fait de) sa distance aux agglomérations,
social singulier par les élus et prétendants depuis les Saint-Germain joue pendant les décennies 1950-1970
années 1970. Elle enseigne que les pratiques politiques le rôle de centre économique et administratif, comme
observées en 2008 et les ressources distinctives qui d’autres petites villes ont pu le jouer pour des villages
s’affrontent lors de ces élections s’inscrivent dans la environnants : coopérative céréalière, présence de
continuité d’un processus caractérisé par une modifica- plusieurs petites industries, de nombreux commerces,
tion de la morphologie sociale de ces populations rurales d’une antenne des chambres départementales de
et par une transformation significative de la composition commerce et d’agriculture, d’un tribunal d’instance, de
des conseils municipaux. Ce double mouvement se lycées (généraux public et privé, professionnel, agricole),
matérialise par la conquête des positions de pouvoir d’un hôpital. Un nouveau lycée est construit au début
politique par les représentants d’une petite bourgeoisie des années 1970, un nouvel hôpital au début des années
rurale, qui tirent profit d’une redistribution des diffé- 1980 : tandis que la mise en place de « l’État social »
rentes espèces de capitaux. La sociologie des élus locaux s’achève, la fonction publique renouvelle la structure
rend ainsi visibles les nouvelles formes de hiérarchisation de l’emploi local. Ainsi, dans les années 2000, avec la
sociale dans un espace rural donné, telles qu’elles sont réduction de l’activité industrielle dans le canton, l’hôpi-
révélées par les luttes politiques et ceux qui les incarnent. tal public devient le premier employeur de la commune…
L’évolution des PCS des conseillers municipaux de avant de lui-même entamer sa restructuration (ferme-
la vaste zone enquêtée collectivement montre que les ture des services de maternité et de chirurgie en 2009).
différenciations sociales dans l’accès au pouvoir local Le début des années 1980 marque une forme d’apo-
sont très importantes. Dans un large espace organisé gée. La commune atteint un maximum de popula-
tion de 7 500 habitants en 1982 et ne cesse par la
autour de la ville de Saint-Germain (6 000 habitants),
au sein duquel les PCS sont inégalement réparties suite de se dépeupler. Les différentes infrastructures
[voir tableau 1, p. 54], les agriculteurs représentent, en régionales, autoroute puis ligne TGV, contournent
2001, 35,8 % des élus des plus petites communes et le vaste plateau du Germanois. Pour de nombreux
enquêtés, cette période constitue un moment charnière
sont absents des « pôles d’emploi ruraux ». À l’inverse,

plus on s’éloigne de ces pôles, plus la représentation au sens où, alors que l’activité battait son plein, de
des employés, professions intermédiaires et cadres est nombreuses opportunités de développement écono-
faible [voir tableau 2, p. 55]. Ces différenciations se sont mique ont été « ratées ». L’époque est aussi marquée
accrues entre 1983 et 2001 avec la baisse du poids par la crise de l’emploi : le taux de chômage dans la
des agriculteurs. L’exemple de Saint-Germain montre commune, qui était de 3,4 % en 1975, monte à 7,4 % en
que cette relation entre l’évolution de la structure 1982, pour atteindre 10,8 % en 1990. C’est également
sociale de la population et la composition des conseils en 1982 que les indépendants (artisans, commer-
municipaux successifs est suffisamment constante çants, chefs d’entreprise, [voir tableau 3, p. 56]) sont les
pour permettre l’affirmation d’un nouveau groupe plus représentés parmi les actifs de la ville (12,5 %).
social sur la scène publique locale. Les deux élus qui se Depuis, leur proportion a chuté de moitié. La part
succèdent à la mairie de Fontenay entre 1983 et 2008 des classes populaires est importante et remarquable-
incarnent également ce déplacement des lignes de force ment constante (employés et ouvriers constituent les
au bénéfice des représentants d’une petite bourgeoisie deux tiers des actifs entre 1982 et 2006). Les cadres
rurale. Au-delà des luttes qui les opposent, la compa- et professions intellectuelles supérieures, pour leur
raison de leurs trajectoires sociales révèle une ascen- part, représentent entre 5 et 7 % des actifs, tandis
sion dans l’espace local reposant sur un ensemble de que le poids des professions intermédiaires augmente
propriétés convergentes. Pour autant, comme le montre dans les années 1980 avant de se stabiliser à 18 %.
l’analyse des élections de 2008, la scène politique Ces catégories socioprofessionnelles acquièrent
constitue aussi un espace où s’actualisent les petits un rôle politique majeur au cours des années 1990
décalages entre positions sociales. Si le capital scolaire [voir tableau 4, p. 57]. Si depuis les années 1970 les
et les « compétences22 » professionnelles structurent les catégories populaires sont toujours très peu repré-
oppositions, la configuration germanoise met surtout sentées au conseil municipal de la ville (de zéro à six
en évidence l’inégale capacité des candidats à conver- employés, un ou deux ouvriers au maximum et le plus
tir leurs ressources sociales en une maîtrise pratique souvent aucun), l’équilibre politique entre groupes
des techniques de mobilisation politique. sociaux se joue entre indépendants d’une part, cadres
22. Afin d’éviter toute confusion, les propos des enquêtés insérés dans le corps du texte sont placés en italiques.
52
et professions intermédiaires d’autre part. Dans les du secteur public ne coïncide pas systématiquement
années 1970, l’élite politique locale est formée d’agri- avec une orientation politique de gauche (à l’exception
culteurs, d’artisans et commerçants, des professions de la période 1989-1995, la commune reste à droite
libérales et chefs d’entreprise. Mais dès cette période, sur toute la période). Le déclin économique et social
tout en étant toujours représentées, ces professions de la commune se perçoit avec l’évolution de la profes-
masculines liées à la détention d’un patrimoine coexis- sion, des postes et de la surface sociale des maires
tent avec un salariat qualifié (cadres, employés et profes- successifs25 et à travers le moindre prestige de certaines
sions intermédiaires). Ce dernier est présent sur toute professions de la catégorie d’employés (d’employé
la période du fait des fonctions administratives, indus- de banque à aide-soignante pour les extrêmes).
trielles et bancaires de la commune, mais son poids ne Mais auparavant, la construction d’un nouveau
cesse de croître, et les élus se féminisent lentement à lycée en 1972 (collège et lycée sont alors séparés), qui
partir de 1983. Les indépendants, majoritaires dans a accompagné le mouvement dit de « démocratisation »
les années 1970 (14/23 en 1971 ; 13/23 en 1976), sont scolaire, a conduit à un important recrutement d’ensei-
ensuite définitivement minoritaires (14/29 en 1983 ; gnants formés au cours des « années 1968 ». Si un
10/29 en 1989 ; 5/29 en 1995 ; 5/30 en 2001), tandis grand nombre d’entre eux rejoignent la section locale
que leur spécialisation se modifie (un photographe du Parti socialiste, les investissements partisans des
et un assureur apparaissent ainsi en 1983). enseignants et des autres représentants de cette petite
Cette montée des classes moyennes salariées et bourgeoisie rurale ne se limitent pas au PS. Jusqu’au
diplômées, quelque peu masquée entre 1965 et 1989 milieu des années 1990, le jeu politique à Saint-Germain
par la reconduction du même maire, André Mignot, reste principalement structuré autour des oppositions
agriculteur, devient évidente quand une liste socialiste entre les responsables locaux du PS, du RPR et de
remporte les municipales le temps d’un mandat, en l’UDF, qui incarnent ce renouvellement du personnel
1989. Dix conseillers sur 29 sont alors cadres, quatre politique. Dans certains cas, l’engagement dans la
sont membres des professions intermédiaires, essen- compétition municipale est conforté par les relations
tiellement dans le secteur public (cinq professeurs, le nouées avec les membres des strates supérieures de
directeur de la Maison des jeunes et de la culture, le l’espace social local (fréquentation des chirurgiens de
directeur du Centre d’aide par le travail ; deux institu- la ville, sociabilités construites au Lions Club, etc.), au
teurs, un contrôleur des impôts). Si la mairie repasse cours d’un processus de notabilisation qui légitime les
ensuite à droite, le poids des salariés du public reste ambitions politiques. Ces aspirations sont autorisées
central malgré le renouvellement des trois quarts par la distance que prend alors la bourgeoisie locale
des conseillers et leur rajeunissement. Ce sont ainsi à l’égard des luttes municipales. La défaite du maire-
eux qui constituent la majorité du vivier des adjoints sénateur en 1989, président de la coopérative céréa-
au maire depuis 1989. lière et de plusieurs organisations départementales,
Généralement située en 197723, la « rupture » au symbolise l’effacement d’un type de notables26 trans-
sein des élites locales françaises (fort renouvellement du posant sur la scène politique des formes de domina-
personnel politique des communes urbaines, émergence tion personnalisée construites dans l’espace agricole
des fonctionnaires) est donc à Saint-Germain plus local. Par la suite, l’économie céréalière n’ayant eu de
lente et tardive. Comme pour les maires des petites cesse de se concentrer, la coopérative a été intégrée à
communes du sud de la France étudiées par Marie- un groupe régional et la bourgeoisie agricole semble
Françoise Souchon-Zahn, on observe sur la période un avoir surtout investi les lieux garantissant la réussite
« renouvellement régulier d’une ampleur sans excès24 », de ses entreprises27. Toutefois, si cet éloignement
au cours duquel l’augmentation de la part des salariés crée des opportunités d’accès au pouvoir municipal,
23. Marie-Françoise Souchon-Zahn, « Les thérapeute qui dirige la section locale PS 27. La bourgeoisie agricole concentre son et chefs de petites entreprises paraissent
nouveaux maires de petites communes. mais ne brigue aucun autre mandat que action dans le syndicalisme et le contrôle quant à eux se détourner d’un espace poli-
Quelques éléments d’évolution (1971- la mairie ; Jean-Paul Duclos, maire depuis de la Chambre d’agriculture, ou privilégie tique qui leur apporte une reconnaissance
1989) », Revue française de science poli- 1995, conseiller général depuis 1988, les stratégies visant à maximiser la réus- moindre en regard de l’appartenance à des
tique, 41(2), 1991, p. 197-234. conseiller régional de 1998 à 2002, infor- site économique (exploitations de terres en réseaux qui valorisent la réussite profession-
24. Ibid., p. 199. maticien « technico-commercial » plusieurs Europe de l’Est, interventions sur les marchés nelle (club des entrepreneurs, association
25. André Mignot, maire de 1965 à 1989, fois licencié, un temps embauché par Mignot à terme des céréales). Et ce, contrairement de commerçants, Rotary ou Lions Club,
sénateur de 1971 à 1989 (Républicain indé- à la coopérative au début des années 1980. aux décennies 1930-1960 où le contrôle de aéro-club, etc.). Sur les chefs d’entreprise
pendant, puis membre du Parti républicain 26. Christian Le Bart, « Administration la politique municipale par les agriculteurs du Germanois, voir Baptiste Giraud, « La
dans l’UDF créée à la fin des années 1970), et pouvoir local », in Antonin Cohen, Ber- était lié à l’importance de l’activité foncière, reconfiguration des mécanismes sociaux
conseiller régional de 1974 à 1986, agricul- nard Lacroix et Philippe Riutort (dir.), Nou- voir Marie-Claude Pingaud, « Chronologie et et politiques de construction d’un groupe
teur président de la coopérative céréalière, veau manuel de science politique, Paris, formes du pouvoir à Minot (Côte-d’Or) depuis patronal local », communication au Congrès
dirige et finance le club de foot… ; Philippe La Découverte, coll. « Grands repères 1789 », Études rurales, 63-64, 1976, p. 191- de l’AFSP, Strasbourg, septembre 2011.
Rousselot, maire de 1989 à 1995, kinési- manuels », 2009, p. 299-310. 203. Les professions libérales, commerçants
53
54
Tableau 1
Répartition des actifs par PCS au recensement de 1999
Canton Commune
France EDR* Germanois**
de St-Germain de St-Germain
Agriculteurs exploitants 2,5 8,6 10,4 4,2 2,2
Artisans, commerçants, chefs

6,4 8,4 7,8 8,0 8,1
d’entreprise
Cadres 12,1 5,4 4,3 3,8 5,5
Professions intermédiaires 22,1 16,0 14,2 17,1 17,8
Employés 29,9 26,9 26,4 28,3 30,7
Ouvriers 27,0 34,7 36,9 38,6 35,7
Total 100 100 100 100 100
Sources : INSEE, RP 1999.

* EDR : Espace à dominante rurale (INSEE).
** Soit cinq cantons très peu densément peuplés (de 1 600 à 3 300 habitants) et celui de Saint-Germain (12 000 habitants).
Tableau 2
PCS des élus de la zone d’enquête selon les catégories d’espaces ruraux (%),
1983-2001
(3 arrondissements administratifs autour de 3 bourgs de 4 000 à 6 000 habitants, 200 communes)
Couronnes des pôles

Pôles d’emploi ruraux Autres communes rurales
d’emploi ruraux
1983 1989 1995 2001 1983 1989 1995 2001 1983 1989 1995 2001
Agriculteurs 2,8 0,0 0,9 0,0 31,3 21,7 15,7 10,7 48,3 42,1 37,1 35,8
Artisans, commerçants,
14,8 9,3 10,7 4,8 8,4 7,2 6,0 6,0 9,7 10,7 11,5 7,0
chefs d’entreprise
Autres personnes sans
4,6 6,5 6,3 4,8 1,2 2,4 7,2 3,6 5,2 5,6 3,9 4,3
activité professionnelle
Cadres 28,7 29,9 25,9 18,1 7,2 3,6 9,6 4,8 2,7 4,6 6,3 4,0
Employés 15,7 14,0 17,9 28,6 9,6 13,3 21,7 23,8 7,2 9,1 11,5 12,9
Ouvriers 3,7 4,7 5,4 9,5 18,1 15,7 12,0 13,1 10,9 7,1 6,0 9,2
Professions
19,4 19,6 17,9 14,3 13,3 16,9 12,0 8,3 3,2 3,8 4,7 6,2
intermédiaires
Retraités 10,2 15,0 15,2 17,1 10,8 18,1 15,7 29,8 12,9 17,0 17,2 18,9
Inconnu 0,0 0,9 0,0 2,9 0,0 1,2 0,0 0,0 0,0 0,0 1,8 1,6
Total 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100
Sources : Archives préfectorales, tiré de Thibault Marmont, « En quête de compétences. Le personnel politique local et l’intercommunalité en milieu
rural », thèse de sociologie, Dijon, université de Bourgogne, 2007, annexe 10.
55
56
Tableau 3
CSP/PCS des actifs ayant un emploi, commune de Saint-Germain, 1968-2006
Ancienne nomenclature 1968 1975 Nouvelle nomenclature 1982 1990 1999 2006
Agriculteurs exploitants 2,4 0,2 Agriculteurs exploitants 1,7 1,9 2,2 1,8
Patrons industrie et commerce 9,8 7,7 Artisans commerçants CE 12,5 8,6 8,1 6,2
Professions libérales et cadres

7,1 5,9 Cadres et PIS 4,8 6,9 5,5 6,9
supérieurs
Cadres moyens 10,0 13,2 Professions intermédiaires 14,9 18,0 17,8 18,2
Employés 15,3 17,8 Employés 23,5 24,3 30,7 29,4
Ouvriers 40,8 44,3 Ouvriers (dont agricoles) 42,7 40,3 35,7 36,8
Salariés agricoles 3,6 1,0
Sources : INSEE, RP 1999 et 2006 ; Base de données communales du recensement de la population (BDCOM) – 1990 – (1990) [fichier électronique],
INSEE [producteur], Centre Maurice Halbwachs (CMH) [diffuseur].
Tableau 4
CSP/PCS des conseillers municipaux de la commune de Saint-Germain, 1971-2001
Ancienne nomenclature 1971 1977 Nelle nomenclature 1983 1989 1995 2001
Agriculteurs exploitants 1 4,3 1 4,3 Agriculteurs exploit. 3 10,3 1 3,4 1 3,4 0 0
Patrons ind. et commerce 8 23,8 7 30,4 Artisans, comm., CE 6 20,7 6 20,7 2 6,9 3 10,3
Prof. lib. et cadres sup. 8 34,8 7 30,4 Cadres et PIS 9 31,0 10 34,5 8 27,6 10 34,5
Cadres moyens 3 13,0 5 21,7 Prof. intermédiaires 5 17,2 4 13,8 12 41,4 7 24,1
Employés 3 13,0 2 8,7 Employés 1 3,4 3 10,3 1 3,4 6 20,7
Ouvriers 0 0 0 0 Ouvriers 0 0 2 6,9 1 3,4 0 0
SP 0 0 1 4,3 SP 2 6,9 3 10,3 4 13,8 1 6,9
Retraités non renseigné 0 0 0 0 Retraités non renseigné 2 17,2 0 0 0 0 2 0
Total 23 100 23 100 Total 29 100 29 100 29 100 29 100
Part des femmes 1/29 2/29 Part des femmes 6/29 9/29 8/29 13/29
Sources : Données préfectorales, Archives départementales, et base de données des élus municipaux 1971-2001, fonds Thibault Marmont, archives
INRA-MSH Dijon. Les retraités ont été classés en fonction de leur profession antérieure.
57
il est aussi le produit d’une redistribution des ressources origine sociale et appartenance professionnelle),
sociales mobilisables dans le jeu politique local, qui ces concurrents ont tous deux connu une ascension
s’accompagne d’une réévaluation des prétentions sociale fondée sur la réussite scolaire et des aspirations
et des pratiques politiques. Saisir les mécanismes à culturelles qui les conduisent par exemple à participer
l’œuvre dans ce processus implique de prolonger l’ana- ensemble à la création de la Maison des jeunes et de la
lyse des positions sociales occupées par les membres culture du village à la fin des années 1970. Ils incarnent
de cette petite bourgeoisie rurale. chacun à leur façon l’accession d’une petite bourgeoisie
rurale aux postes de pouvoir sur la scène locale.
Né en 1941, d’extraction ouvrière, titulaire de
Ce qui fait le groupe
la première partie du bac, Bernard Kuhnen passe
Le processus de renouvellement des élites politiques rapidement le concours PTT et devient technicien
locales s’est manifesté dans d’autres bourgs de la zone par formation interne. Il intègre l’école d’officiers
d’enquête, traduisant une recomposition de l’impor- lorsqu’il est appelé pour la guerre d’Algérie. De retour à
tance respective des capitaux économiques et culturels Fontenay au début des années 1970 (d’abord nommé en
dans l’accès au pouvoir municipal. C’est notamment région parisienne, il obtient alors sa mutation à Saint-
ce que l’on observe à Fontenay, où la compétition Germain), il s’investit localement et devient trésorier
politique, au cours des années 1980 et 1990, oppose de plusieurs associations. On peut lire son ascension
deux concurrents dont les trajectoires et les positions sociale locale comme une tentative de « rattrapage » de
sociales, dès lors qu’elles sont inscrites dans l’espace sa trajectoire interrompue avec l’échec au bac. Après
local, apparaissent relativement proches. un premier mariage en région parisienne, Bernard se
remarie à la fille d’un ouvrier établi de la commune
Deux concurrents, une « même » (conseiller municipal). Ses trois enfants ont tous effec-
ascension sociale dans l’espace local tué des formations rapides post-bac (ou de rattrapage :
À Fontenay, commune ouvrière de 1 000 habitants préparatrice en pharmacie pour l’aînée ; infirmier pour
qui jouxte Saint-Germain, en voie de désindustria- les cadets). Bernard Kuhnen, exemple type de la petite
lisation depuis trente ans, deux maires successifs se bourgeoisie d’exécution29, dit avoir toujours travaillé
sont disputé la municipalité entre 1983 et 2001. De « pour la commune, pas pour des fins personnelles ou
1945 à la fin des années 1970, la compétition munici- pour un parti30 », tandis qu’il présente son concurrent
pale voyait toujours deux listes s’opposer et emporter comme un « arriviste » qui lui a « tiré dans les pattes ».
successivement la mairie, l’une « d’intérêt commu- Plus jeune de neuf ans, Patrice Alteri s’inscrit
nal », l’autre explicitement positionnée à gauche. Mais, quant à lui dans la première génération des militants
dans tous les cas, c’était un membre de l’encadrement de la « gauche paysanne », pour lesquels la reprise
usinier (contremaître ou cadre) qui était élu maire. de l’exploitation familiale a été envisagée (et parfois
Comme à Saint-Germain, une rupture est percep- très tardivement) à la suite d’une socialisation initiale
tible à partir du début des années 1980. Ce n’est pas valorisant la réussite scolaire et la découverte d’autres
ici la bourgeoisie indépendante qui décline, mais le univers culturels31. Après l’obtention du brevet (en
monde des cadres industriels, au moment où l’usine 1968) et d’un bac D’ à Dijon au début des années
entre en restructuration. Les deux maires qui vont 1970, Patrice prépare un BTS à Nancy pendant deux
se succéder ont en effet un profil différent de leurs ans, connaît une expérience dans l’enseignement
prédécesseurs. Bernard Kuhnen, maire de 1983 à pendant un an puis exerce la fonction d’animateur
1995, est fils d’un OS de l’usine métallurgique du en tant qu’objecteur de conscience avant la reprise
village, et technicien PTT. Chef de file de la « liste de l’exploitation. Son frère aîné, titulaire d’un bac C,
d’intérêt communal », il s’oppose à Patrice Alteri, s’établit un temps en usine, puis fait ensuite carrière
qui conduit une « liste d’union de la gauche » et sera dans la banque. Patrice est marié à une dessinatrice
élu à la mairie en 1995 (réélu en 2001 et 2008). Ce industrielle salariée d’un cabinet d’architecte, fille
petit agriculteur28 a succédé à ses parents en 1977, d’un technicien de l’usine du village (lui aussi ancien
avant de militer à la Confédération paysanne. Au-delà conseiller municipal). Leurs trois enfants travaillent
de ce qui les différencie (positionnement politique, dans les milieux socio-éducatifs et de la culture.
28. Il n’a jamais exploité plus de 70 hec- fractions de la petite bourgeoisie. Voir en amont, que « la vraie politique, c’est Hervieu, Nonna Mayer, Pierre Muller, Fran-
tares, ce qui, dans cette zone de spécia- « La bonne volonté culturelle », in La Dis- la politique de la commune ». çois Purseigle et Jacques Rémy (dir.),
lisation céréalière, constitue une petite tinction. Critique sociale du jugement, 31. Voir Ivan Bruneau, « Recomposition Les Mondes agricoles en politique. De la
surface. Paris, Minuit, coll. « Le sens commun », syndicale et constructions des collectifs fin des paysans au retour de la question
29. Au sens où l’entendait Pierre Bour- 1979, p. 365-431. militants. À partir d’une enquête sur la agricole, Paris, Presses de la FNSP, 2010,
dieu, dans son analyse des différentes 30. Dans le même entretien, il déclare, Confédération paysanne », in Bertrand p. 217-240.
58
59
DEVANT LE LOCAL DE CAMPAGNE. La reconnaissance locale comme condition d’éligibilité (Fleury-d’Aude, 2008).
Comparé à Bernard Kuhnen, Patrice Alteri correspond main-d’œuvre évolue. Jusqu’alors, l’entreprise possédait
plutôt au modèle de la petite bourgeoisie culturelle32 un patrimoine qui dépassait largement la fonction
en ce qu’il s’inscrit dans une forme d’avant-gardisme productive, elle était propriétaire de l’école commu-
politique et éducatif. Alors que ses parents, catholiques nale, des logements ouvriers, de certaines routes du
pratiquants, se situent à droite de l’échiquier politique, village, de la coopérative alimentaire, ce qui lui permet-
il devient objecteur de conscience dans l’animation tait de contrôler la formation et le renouvellement d’une
culturelle à vingt ans, puis milite dans un syndicat main-d’œuvre localisée. À l’abandon de cette politique
agricole faiblement implanté dans le département, s’ajoute une crise industrielle sévère à partir des années
intervient ensuite ponctuellement comme enseignant 1980 : l’industrie se retire à la fois comme employeur
au lycée agricole et préside aujourd’hui une associa- principal et comme régulateur des rapports sociaux
tion de « recherche d’emplois nouveaux » pour les dans le village34. Cette évolution a pour conséquence
chômeurs de longue durée. Clairement identifié à de laisser libre un espace de pouvoir, qui permet aux
gauche de l’échiquier politique suite aux campagnes petites bourgeoisies d’exécution et culturelle d’émerger.
municipales successives (sans être encarté), sa visibilité Les élus enquêtés, au-delà des deux maires de
croissante dans l’espace local est le corollaire de ses Fontenay, présentent très majoritairement une autre
aspirations culturelles. Aujourd’hui sénateur suppléant caractéristique biographique commune : le passage
d’un élu socialiste, vice-président de la communauté de par la ville, qui qualifie et qui, pour certains, leur
communes entre 2008 et 2011, deux fois candidat aux assure une position professionnelle. Cette formation
cantonales contre le maire de Saint-Germain, Alteri urbaine est d’autant plus notable lorsqu’elle se déroule
est devenu une figure de l’opposition locale. Au conseil à la fin des années 1960 ou au début des années 1970,
municipal, il s’entoure notamment de représentants de dans un moment d’intense politisation des expériences
l’ancienne élite ouvrière de l’usine (ouvriers qualifiés sociales. Concernant Patrice Alteri, la présence les
week-ends d’un frère aîné établi en usine qui conteste
et OS militants à la retraite) et de représentants de la
les positions politiques paternelles lors des réunions de
petite bourgeoisie cultivée (instituteurs, architecte),
famille, la socialisation politique au sein de la structure
tandis que les principaux alliés de Kuhnen au conseil
locale du Mouvement rural de la jeunesse chrétienne,
municipal étaient employés du public (Telecom, CEA,
puis au lycée à Dijon et à l’université de Nancy, les

hôpital) ou artisans.
sociabilités entretenues au sein de la Confédération
paysanne constituent autant d’expériences qui struc-
Le cumul d’un capital scolaire
turent progressivement les modalités de sa pratique
et d’une expérience urbaine
professionnelle agricole et son engagement extra-
Si ces deux personnages s’opposent donc sur plusieurs professionnel. Il cherche alors à importer localement
points, notamment en termes de trajectoires et d’aspi- des pratiques apprises ailleurs, et c’est ainsi qu’il
rations professionnelles, leurs rapports respectifs à la s’implique fortement dans l’action socio-éducative.
scolarisation les rapprochent en même temps qu’ils L’investissement associatif permet donc d’accéder à un
les distinguent localement au sein de leur génération. statut d’encadrant local des classes populaires lorsque
Les deux maires successifs de Fontenay détiennent un la profession n’intègre pas ce rapport social.
capital scolaire relativement important, au vu de leurs Mais le passage par la ville peut aussi être l’occasion
cohortes de naissance et du contexte rural. Rappelons d’éprouver une position dominée dans la structure
qu’au début des années 1960, seuls 7,2 % de fils d’OS professionnelle, que l’investissement dans l’espace
et 8,4 % des fils d’agriculteurs accèdent en France à public local va chercher à compenser. Ainsi, Bernard
l’enseignement secondaire long ou supérieur33. Dans Kuhnen peut valoriser son ascension profession-
une commune où, en 1982, encore 64 % des actifs nelle dans les PTT (il termine sa carrière en tant que
sont ouvriers, on comprend que l’école a largement « technicien-chef »), mais il est toujours dans la crainte
contribué à l’extraction des classes populaires d’une d’une mutation liée aux restructurations successives
petite élite. Cette élite n’est alors plus formée par et de son administration. Lui y échappe (il est d’ailleurs
pour l’usine. Au cours des années 1970, la gestion de la fort vraisemblable que sa fonction de maire a favorisé
32. Que Pierre Bourdieu qualifiait de 33. Claude Grignon, L’Ordre des choses, et CEG, et s’opposaient aux CET (centres nettement moindre que les élèves de CET).
« petite bourgeoisie nouvelle » (voir La les fonctions sociales de l’enseignement d’apprentissage avant 1960) qui recru- 34. L’usine, qui appartenait initialement
Distinction…, op. cit., p. 409-421), et que technique, Paris, Minuit, coll. « Le sens taient à l’issue de la dernière année d’école à un groupe national, embauchait encore
l’on redéfinit comme « petite bourgeoisie commun », 1971, p. 64. L’enquête a eu lieu primaire et préparaient au CAP. Ces CET 400 personnes en 1979. Elle a depuis
culturelle » tant du fait de sa pérennisation en 1965 : Grignon entend par enseignement représentaient une « école du peuple », ou, connu de multiples changements d’en-
que du prolongement de ses principes secondaire long ou supérieur les « lycées plus précisément, de « l’élite des réprou- seignes, appartient actuellement à un
de différenciation à l’égard de la petite classiques et modernes » qui menaient au vés » (élite en regard des apprentis « sur groupe international, et ne compte plus
bourgeoisie d’exécution. baccalauréat en recrutant dans les CES le tas » qui ont un taux de réussite au CAP qu’une cinquantaine de salariés.
60
sa mutation à Saint-Germain à un moment donné), bourgeois qui, comme nous allons le voir un peu plus
mais ce n’est pas le cas de sa femme qui travaille loin, entretient une forte conflictualité interne (légiti-
aujourd’hui à plus de 100 km de son lieu de résidence. mité à représenter, concurrence élective). Mais cette
conflictualité est une manière d’entretenir la distance :
Visibilité dans l’espace local on se bat entre « gens qui comptent », on se dénie le
et encadrement des classes populaires droit à représenter, mais cela ne fait qu’entretenir les
Être bachelier, avoir passé quelques années à l’uni- délimitations du groupe. C’est notamment dans les
versité, compléter sa formation à Paris au sein de la réunions des conseils municipaux que s’actualise cette
fonction publique sont des propriétés distinctives dans distance au populaire. À Fontenay comme à Saint-
l’espace local. L’investissement sur la scène municipale Germain, nous avons ainsi pu observer – de manière
représente alors l’une des dimensions d’un processus de très classique – la monopolisation des prises de parole
notabilisation qui s’inscrit dans une ascension sociale et des fonctions centrales par les personnes les plus
intergénérationnelle. Cependant, certains enquêtés dotées en capitaux culturels, les élus appartenant aux
peuvent aussi jouer d’une autochtonie et fonder leur classes populaires étant généralement relégués à un
notabilisation sur une histoire familiale localisée. À rôle d’assentiment ou de témoignage. Si ces derniers
Fontenay, Alteri bénéficie ainsi de son alliance avec restent sur leur « quant-à-soi36 » et ne s’autorisent pas
une famille d’extraction ouvrière, modèle de l’ascension à contredire le maire ou ses principaux adjoints en
intergénérationnelle propre à un système paternaliste séance, ils peuvent regretter l’absence de personnes
qui est aussi modèle d’honorabilité dans l’espace villa- jugées mieux à même de le faire. Six jours avant le
geois. Son beau-père, technicien formé au sein de premier tour des élections municipales, une élue qui
l’usine, et qui a vécu enfant dans les cités ouvrières du ne se représente pas, ouvrière d’usine retraitée et figure
village, s’impliqua énormément dans la vie paroissiale, populaire « de gauche » à Fontenay, explique ainsi :
et fut conseiller municipal. À Saint-Germain, le maire
actuel est lui aussi un « enfant du pays » qui a grandi « Moi, je vais vous dire une chose. J’ai été sept
ans, et bien je suis bien contente d’être partie de
dans un village à cinq kilomètres du bourg. Son père
là-dedans !
était petit viticulteur, sa mère tenancière du café du – Ah bon ?
village, et il attribue au fait d’avoir très tôt aidé sa mère – Il ne faut pas croire que ça se passe bien…
au café son aisance avec les milieux populaires et son Au contraire, moi je voudrais qu’il y en ait de
prime apprentissage de la politique (cf. infra). Mais de l’opposition.
telles ressources familiales ne jouent que réactualisées – Ah oui ?
– Ah oui, je voudrais, moi ! Faut qu’il y ait un petit
et ajustées aux stratégies de notabilisation. Il s’agit alors
peu de piment ! Qu’est-ce que vous voulez ? On
d’intégrer les cercles de la bourgeoisie locale. Les « gens arrive, on est tous du même bord, Patrice il expose
qui comptent » sont ainsi des gens qui sont vus mais son truc… Qu’est-ce que vous voulez faire ? Rien
aussi des « gens qui se voient », dans les espaces liés à du tout !
leurs fonctions (conseils municipaux ou communau- Un ami, également ouvrier retraité, acquiesce :
taires, conseil d’administration du lycée ou de l’hôpital, – Ben comme ça faisait avec le Kuhnen ! Le maire,
groupe d’action économique), dans des lieux voués au il avait décidé, et ça suivait. »
seul entretien du groupe par la sociabilité (dîners entre

notables, Tennis Club), dans des espaces à la vocation Les oppositions internes
assistancielle avérée (associations de bienfaisance type à la petite bourgeoisie rurale
Lions Club ou d’aide aux chômeurs), ou destinés à
l’animation culturelle (MJC), ou plus récemment à Pour cette nouvelle petite bourgeoisie rurale, la scène
la défense des services publics avec l’Association de politique locale constitue donc un espace d’affirmation
défense de l’hôpital public de Saint-Germain (présidée commune. Elle est aussi devenue un espace où s’actua-
par un vétérinaire retraité puis par l’intendant du lycée). lisent les différenciations internes, tant par la confron-
Les fonctions d’assistance aux classes populaires tation des pratiques politiques que par les tentatives
permettent dans le même temps d’entretenir une de reconversion des « compétences » professionnelles
distance au populaire. C’est en référence à un « degré qui les sous-tendent. Car le capital scolaire n’est pas
d’intellectualité35 » que s’opère la notabilisation. Cette la seule ressource de notabilisation. D’autres voies
distance, perceptible dans l’habitat, les pratiques d’accession au pouvoir local existent, comme le montre
culturelles, fonde l’appartenance au groupe des petits- le cas du maire et conseiller général de Saint-Germain.
35. C. Grignon, L’Ordre des choses…, op. cit., p. 48. 36. Alf Lüdtke, « Le domaine réservé : affirmation de l’autonomie ouvrière et politique chez les ouvriers d’usine en
Allemagne à la fin du XIXe siècle », Le Mouvement social, 126, 1984, p. 29-52.
61
« Être un gestionnaire, moi je crois

savoir de quoi on parle, j’ai un master
en management d’entreprise. »
Fabrice Maillard, leader de la liste d’opposition
à l’élection municipale de Saint-Germain-en-Bourgogne en 2008.
« Pour être élu dans une zone comme

Saint-Germain, il faut être présent
sur le terrain, le reste c’est du cinéma. »
Jean-Paul Duclos,
conseiller général du canton de Saint-Germain,
maire de Saint-Germain réélu en 2008.
62
L’autochtonie comme ressort municipal à Mourot, j’allais aux dépouillements,

d’une pratique politique routinisée bon, moi j’ai été vraiment très, très tôt passionné,
oui… […] J’ai chez moi une enveloppe sur chaque
Jean-Paul Duclos est conseiller général du canton de élection depuis l’âge de 14-15 ans. »
Saint-Germain depuis 1988 (il n’avait que 36 ans) et
maire de la commune de Saint-Germain depuis 1995. Quatre mois après sa troisième élection à la mairie, le
Le 9 mars 2008, la liste qu’il conduit remporte l’élec- 15 juillet 2008, Jean-Paul Duclos explique comment
tion municipale dès le premier tour et, une semaine il a constitué sa liste et mené sa campagne. Il décrit,
plus tard, il est élu conseiller général pour la quatrième plus généralement, les éléments constitutifs d’une
fois, en devançant au second tour le maire de Fontenay, pratique politique dont l’efficacité est attestée par
Patrice Alteri. C’est encore contre Alteri qu’il remporte ses victoires électorales.
en janvier 2011 la présidence de la communauté de
communes. Cette série de victoires électorales fait suite « Vous avez eu peur à un moment donné pendant
la campagne ?
à plusieurs échecs professionnels.
– J’ai été, bon, moi je suis toujours très méfiant
Titulaire du baccalauréat au début des années 1970, et toujours sur le qui-vive hein, mais on sentait
ce fils de la petite bourgeoisie indépendante (père quand même qu’il y avait un courant porteur de
vigneron, mère cafetière à Mourot, petit village situé par les réalisations qui ont été effectuées, et puis
à cinq kilomètres de Saint-Germain) suit une forma- bon j’ai quand même pas mal de relais et je connais
tion en informatique dans une école privée à Paris beaucoup de gens […].
– Mais quand vous dites “j’avais pas mal de relais”,
et commence sa carrière professionnelle en région
c’était qui, c’est qui les “relais” ?
parisienne en tant que vendeur de systèmes infor- – C’est les présidents d’association. Moi je connais
matiques, tout en maintenant ses liens avec sa région tout le monde ici, y a une manifestation, les trois
d’origine. À 24 ans, en 1976, il adhère au RPR (au quarts des gens, je les connais. Oui, moi j’ai une
moment de la création du parti) et en fonde la section bonne mémoire et je suis très présent partout, euh,
germanoise, puis est élu conseiller municipal dans son donc je vois beaucoup de monde, quoi. Donc ça
c’est important et ça permet d’avoir des retours,
village natal l’année suivante, avant d’être à nouveau
de savoir un peu ce qui se passe… Bon, en faisant
élu conseiller municipal en 1983, mais cette fois-ci le tri parce que avec l’expérience on sait ce qui
dans le bourg centre. Il est alors embauché en tant est crédible ou pas. Il faut y passer beaucoup de
qu’informaticien dans la coopérative céréalière de temps, être présent partout, voilà quand on est
Saint-Germain par le maire (et président de la coopé- absent c’est là qu’on tape dans le dos du maire “ah
oui il est pas là, il est jamais là”, bon, “il est encore
rative), mais l’expérience ne se révèle pas concluante
pas là” ou je sais pas, quoi. Donc faut occuper
et il se voit contraint de quitter son emploi. Deux le terrain, quoi. La campagne, ça se fait pas les
autres embauches (à 30 puis à 200 km de son lieu de deux derniers mois, là je suis déjà en campagne
résidence) aboutissent également à des licenciements, pendant six ans. Ça veut dire que j’étais omnipré-
il ne parvient pas à convertir son capital scolaire sur sent tout le week-end [festivités du 14 Juillet],
la scène professionnelle locale. C’est finalement son j’étais partout et l’opposition, elle a disparu, j’ai
vu zéro élu tout le week-end, à toutes les manifes-
élection à la mairie en 1995 et le cumul des indemnités
tations, sur les six : zéro. […] Voilà, donc là un
qui lui permettent d’abandonner cette quête, peu grati- week-end comme ça je vois mille personnes […],
fiante, d’une activité professionnelle correspondant moi je sers mille mains moi, donc euh… ça c’est
à ses aspirations. Durant la campagne électorale de important, quoi. »
2008, ces déconvenues professionnelles sont l’objet de
moqueries de la part de ses adversaires, qui en profitent Jean-Paul Duclos semble effectivement « omnipré-
aussi parfois pour souligner que le maire ne connaît sent ». Comme nous avons pu le constater, il se rend
plus les réalités du monde du travail. Si l’assise de à toutes les réunions, ne manque jamais le marché du
Jean-Paul Duclos ne peut s’expliquer par sa trajectoire samedi matin, et assiste, chaque semaine, à plusieurs
professionnelle, qui aurait plutôt tendance à constituer manifestations sportives et culturelles. La période de la
un stigmate, c’est dès lors sa pratique politique qui campagne électorale n’introduit donc pas de coupure
apparaît déterminante. Il la présente comme l’abou- avec ses activités en temps « ordinaire ». Il confie tenir
tissement d’une « passion », acquise dès l’adolescence. des fiches personnelles qu’il actualise en fonction des
informations récoltées sur telle relation familiale ou
« Mon père n’était pas élu, mais disons très amicale. De la même façon qu’il a classé et archivé
passionné de politique […]. C’est quelqu’un qui
depuis l’adolescence les documents relatifs à chaque
lisait beaucoup, qui lisait entre autres Le Figaro,
donc très au fait de la vie politique nationale et scrutin, cet autodidacte de la profession politique
internationale, quoi, une bonne école pour moi. complète régulièrement sa cartographie des paren-
[…] Ah mais moi j’allais aux réunions de conseil tèles, des situations familiales et des affinités électives,
63
dans une démarche analogue à celle du petit-bourgeois avant le premier tour de l’élection est politiquement
d’exécution collectionneur de timbres évoqué par Pierre hétérogène ; des Germanois clairement étiquetés à
Bourdieu37. « Occuper le terrain », « serrer des mains » droite côtoient des candidats connus pour leur engage-
contribue à entretenir un capital politique qui mobilise ment au PS. En réalité, comme le reconnaît quelques
ainsi constamment les ressources de l’autochtonie38. mois plus tard en entretien Fabrice Maillard, la tête de
Dans cette petite ville, le maire est régulièrement liste, « en gros, c’est le “tout sauf Duclos” qui se met en
nommé « le Jean-Paul », une expression stabilisée qui place » au début de l’année 2008. La personnalisation
tend à réduire la distance sociale et symbolique entre des rapports politiques « se retourne » contre le maire,
l’élu et ses administrés. Duclos ne cherche pas seule- plusieurs candidats évoquent un conflit personnel pour
ment à maintenir des relations d’interconnaissance. justifier leur présence sur cette liste. Au-delà, ceux qui
L’exercice de ses « mandats de proximité », comme il sont à l’initiative de cette coalition dénoncent l’extrême
les qualifie, s’accompagne d’un travail de personnali- concentration du pouvoir – à l’exception de deux ou
sation des rapports politiques et sociaux, qui implique trois adjoints, « on n’entend jamais » les conseillers
notamment d’« être précis » dans la gestion des interac- municipaux – ainsi que le clientélisme du maire, qui
tions39. Contrairement aux élus pour qui la visibilité ferait notamment « passer par lui toutes les attributions
locale entre dans un processus d’embourgeoisement de logements sociaux41 ». Pendant la réunion publique
synonyme de distanciation d’avec les classes populaires, du 4 mars 2008, la liste d’opposition propose une
il n’a de cesse de prolonger son inscription dans les image inversée. C’est d’abord le collectif que l’on met
rapports sociaux localisés afin de toujours faire de son en scène, et le choix de la tête de liste est présenté
autochtonie un capital40, quitte à rester en marge du comme l’émanation des réunions préparatoires. Ce
champ politique départemental et régional. Alors que le sont ensuite les compétences individuelles qui sont
maire de Fontenay est aujourd’hui sénateur suppléant, valorisées, ces compétences étant associées aux
professions exercées et aux connaissances accumulées
Jean-Paul Duclos ne fut que très peu de temps conseiller
dans différents secteurs (« l’entreprise », l’éducation,
régional, de 1998 à 2000 (il démissionna suite au vote
la culture, l’agriculture, etc.).
de la loi sur le cumul), il ne préside aucune commission
Chantal Guillebot fait partie du petit groupe qui a
du conseil général et n’a pas renouvelé son inscription
pris l’initiative de cette réunion. Candidate sur une liste

partisane lors de la création de l’UMP en 2002. Le
« de gauche » en 2001, elle siège au conseil municipal
capital d’autochtonie ne vaut que dans un espace local,
depuis 2004 et occupe la deuxième place sur la liste
au-delà duquel il devient un handicap. À l’inverse, dans
d’opposition en 2008. Comme Fabrice Maillard, la tête
un territoire où les classes populaires sont majoritaires
de liste, elle travaille dans la préfecture d’un départe-
mais très peu représentées, c’est se maintenir à distance
ment voisin, où elle exerce la fonction d’inspectrice de
de celles-ci en ne jouant que de son capital culturel qui
l’Éducation nationale. Ainsi, les deux principaux repré-
constitue un handicap lors des élections locales. C’est
sentants de l’opposition municipale ne travaillent pas à
ce que montre la trajectoire professionnelle et politique
Saint-Germain, ce qui sera d’ailleurs relevé par l’équipe
de Chantal Guillebot. Cette dernière connaît deux
sortante, mais cette extériorité (partielle) est aussi le
échecs électoraux consécutifs en 2008, en tant que
produit d’une réussite professionnelle qui les autorise
candidate suppléante de Patrice Alteri aux cantonales
en retour à s’engager dans l’espace public local.
et membre de la liste d’opposition à Jean-Paul Duclos Chantal Guillebot n’est pas originaire du Ger-
aux municipales. manois, elle a vécu son enfance et sa jeunesse en
région parisienne. Titulaire d’une licence de sciences
Réussite professionnelle et mobilisation de l’éducation au début des années 1970 (obtenue à
de la « compétence » dans le jeu politique local l’université Paris 8), elle passe ensuite le concours
En 2008, le mode d’exercice du pouvoir politique de l’École normale, avant d’être nommée institutrice
incarné par Jean-Paul Duclos pèse sur la formation dans une école de Seine-Saint-Denis. Parallèlement,
de la liste d’opposition municipale et sur ses logiques et jusqu’au début des années 1980, Chantal milite au
de démarcation. La liste constituée quelques semaines Parti communiste dans ce même département, comme
37. P. Bourdieu, La Distinction…, op. cit., et pouvoir municipal en milieu rural, Paris, sonnes que j’ai vues. » 41. Ce que le maire nous a en partie
p. 404. L’Harmattan, 2010, p. 115-139. 40. Jean-Noël Retière, « Autour de l’autoch- confirmé : « Les gens des HLM, ils vien-
38. Sur la mobilisation de l’autochtonie par 39. Début mars 2008, au cours d’une tonie. Réflexions sur la notion de capital nent ici quoi [à la mairie], ils viennent me
les élus des petites communes rurales, voir réunion publique à Fontenay pendant la social populaire », Politix, 63, 2003, p. 121- voir pour leur logement, donc après ils
Thibault Marmont, « Devenir “amateur” en campagne pour l’élection cantonale, Jean- 143 ; Nicolas Renahy, « Classes populaires s’en rappellent. »
politique. Les ressources politiques des Paul Duclos affirme à son auditoire : « Je et capital d’autochtonie. Genèse et usages
élus ruraux », in Sylvain Barone et Aurélia note tout, je peux vous dire combien de d’une notion », Regards sociologiques, 40,
Troupel (dir.), Battre la campagne. Élections fois je suis venu à Fontenay et les per- 2010, p. 9-26.
64
Luptate ex eum ex
REPAS DE LA LISTE RASSEMBLEMENT POUR AGIR (Fleury-d’Aude, 2008). Les réunions publiques consti-
tuent des moments de mise en scène du collectif et d’affirmation des principes de démarcation à l’égard
des listes concurrentes.
REPAS DES ANCIENS (Fleury-d’Aude, 2008). Dans ce type de configuration sociale, la détention de
capitaux distinctifs, culturel ou économique, et la visibilité d’une réussite professionnelle ne suffisent pas
à assurer l’élection, les principaux candidats doivent également travailler à réduire la distance sociale,
ce qui suppose une maîtrise pratique des échanges dans différentes situations.
65
sa mère et son mari. Elle s’installe en Bourgogne en scolaires, et ce dans un espace où elle est la seule
1992, à l’âge de 44 ans, quelques mois après avoir femme à prendre régulièrement la parole. En effet,
divorcé. Elle est d’abord affectée à l’école primaire la compétence statutaire apparaît ici d’autant plus
d’une petite commune du Germanois, avant de prendre distinctive que les échanges verbaux ne concernent
en 1994 la direction de l’école maternelle de Saint- en réalité qu’une minorité de conseillers, le maire et
Germain. Elle occupe ensuite le poste de conseillère son adjoint aux finances (cadre du secteur public)
pédagogique sur le secteur jusqu’en 1999, puis réussit le pour la majorité (composée de 23 élus), soutenus
concours d’inspecteur de l’Éducation nationale. Cette par la secrétaire générale des services, et les quatre
ascension au sein de l’institution scolaire conforte sa membres de l’opposition auxquels ils s’adressent
position sociale dans l’espace local, au cours d’une principalement.
période également marquée par la rencontre de son Si le fait de mobiliser, dans la compétition politique,
second mari, doté d’un fort capital culturel. Né dans des connaissances et des savoir-faire initialement
la région au début des années 1950, titulaire d’une acquis, affirmés et confirmés dans la sphère profes-
licence d’histoire de l’art, ce dernier a exercé le métier sionnelle ne constitue pas un phénomène récent, il
de luthier et facteur de vielles à roue dans le canton faut en analyser les significations et les implications
de Saint-Germain jusqu’à la fin des années 1980, dans les différentes configurations étudiées. Dans le
avant de devenir professeur des écoles. Germanois, le recours à ce registre de légitimation
En 2008, parallèlement à l’élection municipale, politique n’est pas sans relation avec l’effacement
Chantal se présente également à l’élection canto- progressif de certaines catégories sociales, les profes-
nale, en qualité de suppléante du candidat Patrice sions libérales en particulier, qui n’avaient pas (ou à
Alteri. Quelques jours après le premier tour, Chantal un degré moindre) à attester de leurs capacités à gérer
nous explique qu’elle « représente socialement une commune. Sur ce terrain d’enquête, le renou-
quelque chose » : vellement du personnel politique s’est probablement
accompagné d’une « dénaturalisation » des préten-
« Je représente quand même quelque part, je
tions à l’exercice du pouvoir politique et de la diffu-
dirais socialement, quelque chose qui peut être
une image du Germanois actuel et une ouverture,
sion d’une contrainte de justification, et ce d’autant
c’est-à-dire que à la limite peut-être que des gens plus lorsque les espaces de validation des capaci-
qui… peut-être que des gens venant de la région tés sont extérieurs à l’espace local et les réussites
parisienne peuvent à un moment trouver sur un professionnelles en partie soustraites au regard des
territoire une opportunité de reconstruire une vie, habitants de la commune, comme c’est le cas pour
reconstruire une carrière. C’est peut-être aussi
Patrice Alteri et Chantal Guillebot. Par ailleurs, la
une ouverture qu’il faut, qu’il faut proposer, c’est
pourquoi on s’inscrivait dans une complémenta- valorisation des parcours professionnels sert ici de
rité [avec Patrice Alteri] : vingt ans de vie sur le contrepoint aux échecs professionnels du maire, dont
territoire germanois, j’y ai travaillé, j’y ai construit on laisse entendre qu’ils étaient annonciateurs de
une carrière, j’y ai construit une famille, j’ai pas son incapacité à enrayer le déclin de la ville. Pour
du tout la même, j’ai pas la même crédibilité que
autant, si ces ascensions professionnelles confortent
celle de Patrice, en revanche bon, je propose une
autre crédibilité qui est donc une connaissance
les positions occupées dans l’espace social local,
des services de l’État. » elles peuvent aussi conduire à un éloignement des
milieux populaires. En 2008, Chantal, inspectrice,
Patrice Alteri, Chantal Guillebot et Fabrice Maillard se n’est plus au contact des élèves et des parents d’élèves
connaissent, s’apprécient et fondent leur engagement des écoles primaires du Germanois ; Fabrice a certes
politique sur des principes de démarcation analogues. grandi dans un quartier populaire de Saint-Germain,
En effet, tous trois mettent en avant leurs « compé- mais il a quitté la ville entre 1991 et 2007 et a surtout
tences » respectives pour justifier leur commune fréquenté des cadres et chefs d’entreprise au cours de
opposition au leadership exercé par Jean-Paul Duclos. son évolution professionnelle. Par conséquent, dans
Ainsi, Fabrice Maillard, gérant d’une PME qui a ce cas précis, les réussites professionnelles de ceux
obtenu il y a peu un master en « Management des qui cherchent à incarner « la compétence » ne peuvent
entreprises », mobilise ses connaissances en écono- empêcher le maire d’entretenir ses relations dans les
mie pour s’opposer aux choix budgétaires du maire quartiers populaires, où il recueille habituellement
lors des différentes séances du conseil municipal le plus de suffrages.
observées après l’élection de 2008. Au sein de ce
conseil, où l’opposition ne compte que six élus, Dans des bourgs tels que Saint-Germain et Fon-
Chantal s’appuie sur sa « connaissance des services de tenay, l’accès à des fonctions politiques semble
l’État » et intervient prioritairement sur les questions aujourd’hui être conditionné à la détention d’un capital
66
scolaire42. Ce ne sont plus, comme dans les années populaires, les oppositions entre membres de cette
1950-1970, années de croissance des économies locales, petite bourgeoisie ont essentiellement pour enjeu
les élites économiques (comme les gros indépendants, les tentatives de redéfinition des pratiques clienté-
les professions libérales, les chefs d’entreprise ou laires en vigueur dans la période antérieure 43. Or,
leurs représentants) qui occupent les lieux d’exercice à la différence des indépendants et professions
du pouvoir politique local, mais bien les représentants libérales, qui bénéficiaient des relations personnali-
d’une petite bourgeoisie rurale renouvelée, cadres et sées construites dans l’exercice même de leur profes-
membres des professions intermédiaires dotés d’un sion44, les membres de cette petite bourgeoisie rurale
capital culturel relativement important. À l’encontre ne peuvent s’appuyer sur un même type d’interactions
des représentations d’un monde rural exclusivement sociales pour constituer et entretenir des réseaux
agricole et maintenu à l’écart des évolutions consta- d’interconnaissance. Ce travail de conversion se révèle
tées dans les zones urbaines, le rôle de l’État paraît ici d’autant plus délicat que le déclin de l’économie du
essentiel dans l’émergence de nouveaux mécanismes Germanois et la restructuration des services publics
de différenciation sociale et dans la redéfinition des tendent à fragiliser ou à éloigner les espaces profes-
chances d’accès aux positions dominantes. Comme sionnels qui portent les aspirations politiques. Ainsi,
dans les espaces urbains, les formes prises par les au-delà des effets de contextes singuliers, et quelle
luttes politiques sont déterminées par les apparte- que soit l’échelle d’analyse adoptée, la recherche des
nances sociales des élus et prétendants, par les rapports évolutions de la structure sociale ne peut faire l’éco-
différenciés au populaire qu’elles induisent et les nomie d’une périodisation fine des rapports entre
pratiques de gestion de la distance sociale qu’elles capital économique et capital culturel. Si la petite
contribuent à stabiliser. bourgeoisie qui émergea dans les années 1970 a pu
Mais ce renouvellement du personnel politique depuis se donner une consistance dans des espaces
local accentue l’importance du travail de conversion publics locaux tels que celui du Germanois, c’est tout
des ressources sociales en savoir-faire politiques. autant du fait de sa pérennisation propre que de la
En effet, dans une configuration caractérisée par la reconfiguration des rapports entretenus entre classes
faiblesse des structures de représentation des classes populaires et détenteurs du capital économique.
42. Nous avons constaté le même phéno- rurales de la Somme. Voir « Les élus des campagne…, op. cit., p. 189-224. « Socio-histoires », 2003, p. 31-45.
mène sur la scène intercommunale, nos petites communes face à la “démocratie 43. Jean-Louis Briquet, « La politique au 44. Sur le cas des médecins, voir
observations rejoignant les résultats de d’expertise” intercommunale. Les “semi- village. Vote et mobilisation électorale Yves Pourcher, « Tournée électorale »,
l’enquête menée par Sébastien Vignon professionnels” de la politique locale », dans la Corse rurale », in Jacques Lagroye L’Homme, 119, 1991, p. 61-79.
sur les communautés de communes in S. Barone et A. Troupel (dir.), Battre la (dir.), La Politisation, Paris, Belin, coll.
67

Bruneau, Renahy UNE PETITE BOURGEOISIE AU POUVOIR

Transféré par

Informations du document

Titre original

Copyright

Formats disponibles

Partager ce document

Partager ou intégrer le document

Options de partage

Avez-vous trouvé ce document utile ?

Ce contenu est-il inapproprié ?

Droits d'auteur :

Formats disponibles

Bruneau, Renahy UNE PETITE BOURGEOISIE AU POUVOIR

Transféré par

Droits d'auteur :

Formats disponibles

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)

GUY SIÉ, leader de la liste d’opposition à Fleury-d'Aude (Languedoc-Roussillon) en 2008. L’association

Une petite bourgeoisie au pouvoir

La sociologie rurale française, avant de se « désagré- professions de techniciens ou d’encadrement, se distin-

ACTES DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES numéro 191-192 p. 48-67 49

Une enquête inscrite

sont absents des « pôles d’emploi ruraux ». À l’inverse,

Répartition des actifs par PCS au recensement de 1999

Agriculteurs exploitants 2,5 8,6 10,4 4,2 2,2

Artisans, commerçants, chefs

Cadres 12,1 5,4 4,3 3,8 5,5

Professions intermédiaires 22,1 16,0 14,2 17,1 17,8

Employés 29,9 26,9 26,4 28,3 30,7

Ouvriers 27,0 34,7 36,9 38,6 35,7

Total 100 100 100 100 100

Sources : INSEE, RP 1999.

Couronnes des pôles

CSP/PCS des actifs ayant un emploi, commune de Saint-Germain, 1968-2006

Professions libérales et cadres

Employés 15,3 17,8 Employés 23,5 24,3 30,7 29,4

Salariés agricoles 3,6 1,0

CSP/PCS des conseillers municipaux de la commune de Saint-Germain, 1971-2001

Agriculteurs exploitants 1 4,3 1 4,3 Agriculteurs exploit. 3 10,3 1 3,4 1 3,4 0 0

Employés 3 13,0 2 8,7 Employés 1 3,4 3 10,3 1 3,4 6 20,7

Ouvriers 0 0 0 0 Ouvriers 0 0 2 6,9 1 3,4 0 0

SP 0 0 1 4,3 SP 2 6,9 3 10,3 4 13,8 1 6,9

Retraités non renseigné 0 0 0 0 Retraités non renseigné 2 17,2 0 0 0 0 2 0

Total 23 100 23 100 Total 29 100 29 100 29 100 29 100

puis au lycée à Dijon et à l’université de Nancy, les

seul entretien du groupe par la sociabilité (dîners entre

« Être un gestionnaire, moi je crois

« Pour être élu dans une zone comme

L’autochtonie comme ressort municipal à Mourot, j’allais aux dépouillements,

pris l’initiative de cette réunion. Candidate sur une liste

Vous aimerez peut-être aussi