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Le 22 Fevrier 2012
L’analyse du texte
« Je ne sais pas ce qui se passe depuis quelques semaines, s’étonna monsieur Chambron,
dépité. Votre enfant a pourtant de bons résultats... et dans tous les domaines ! »
Je m’étais préparé au sermon, mais je ne m’attendais pas à un tel désarroi de sa part.
J’espérais secrètement que notre entrevue ne s’éternise pas car rien n’était prêt à la maison
pour le dîner. Et puis le chauffage devait déconner à plein tube dans cette école. On
distinguait parfois la buée sortir de la bouche de Chambron.
À moins que ce ne soit les fenêtres plutôt que le chauffage ? Des fenêtres en bois, dont la
peinture n’en finissait pas de buller pour se couvrir d’une multitude de cratères offerts à la
poussière et à la crasse. Décidément trop vieux ce bâtiment.
À sa posture, je devinais la légèreté de ses pensées. Les yeux perdus au-delà de la désolation
des châssis de fenêtres, il laissait ses rêves flâner dans les branches nues, escorté par les
sifflements lancinants de l’hiver, son vent glacé, sa lumière bleutée...
« Ce n’est pas comme s’il s’était trompé, comme ce satané David Espelette, un des élèves de
ma femme au collège, qui a dessiné un carré quand on lui demandait un hexagone ! En CM2,
vous vous rendez compte ? Où peut-il bien avoir été cherché cela ?! »
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Chambron palabrait seul depuis sans doute un petit moment. Si je m’étais égaré en chemin, je
ne m’étais heureusement pas assoupi.
« Bref, là, c’est tout autre chose. Lucas a refusé, par deux fois, de suivre les consignes ! ».
Chambron ne criait pas, non. Mais sa voix était bien trop aigüe pour un représentant de la
gent masculine. Stridente, voilà, c’était le qualificatif le plus juste. Pour en éviter le
désagrément, je n’écoutais pas vraiment. La curiosité l’emportait sur l’attention. Je spéculais
intérieurement : qu’avait bien pu faire mon fils pour mettre son professeur dans cet état ?
Surtout à son âge !
Lucas se demandait-il la même chose ?
Pas vraiment, en fait. Il paraissait désormais absorbé par l’inventaire muet des piles de
dossiers posées à même le sol, sous les fenêtres. Il remua pour se gratter le côté du nez puis
reprit sa pose, calme, apaisante...
« Je ne m’explique pas ce comportement. Je l’assimilerais presque à de la rébellion ! Un
enfant qui m’a tant habitué à être discipliné, et rigoureux ! »
J’ajoutais en moi-même, non sans orgueil : « Et si brillant ! ».
Lucas n’avait cure des compliments. Ni des remontrances d’ailleurs. Les fournitures de
bureau du plan de travail de Chambron le captivaient en cet instant. Tentait-il de comprendre
la logique de leur ordonnancement ? Ou n’était-il simplement pas là, avec nous ?
J’étais perplexe devant sa capacité à vivre alternativement entre deux mondes séparés
hermétiquement. Pour lui, tout était possible dans le sien, mais rien d’imaginaire,
d’hypothétique, ni de surnaturel n’était envisageable dans le nôtre. Je l’aimais comme ça et
me demandais encore combien d’années cela durerait avant qu’il ne devienne adulte et
accepte de vivre dans la réalité.
Chambron attira mon attention en s’éclaircissant la voix, entre deux phrases, je suppose.
Comme je me demandai quand il se déciderait à me dire ce qui s’était passé, il se décida.
« La semaine dernière, voyez-vous, une des activités portait sur l’expression orale et la
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capacité à s’approprier un récit. Répartis en groupes de 5, nous devions écouter la narration
d’un conte pour enfant, le début tout au moins. “Retrouvailles avec mon balai”, ajouta-t-il en
aparté. Il était alors demandé à chacun d’inventer la suite puis de la raconter au groupe. Il
s’agit en fait d’un exercice destiné à assimiler les idées d’un texte, à développer l’imagination
et enfin à s’essayer aux premières notions de la prise de parole en public ? »
« Retrouvailles avec mon balai ? me demandai-je, de plus en plus anxieux. Qu’est-ce que cela
pouvait bien donner comme histoire ? »
Face au suspense insoutenable entretenu par mon interlocuteur, j’imaginais le pire.
« Il ne lui a quand même pas dit de se... le balai... ?! Nooon ! Impossible ! Je débloque ! »
L’idée m’était apparue si choquante que je n’avais pas réussi à l’exprimer dans sa totalité,
même par la pensée.
Avais-je souri à cette idée saugrenue ? Mes yeux peut-être ? Toujours est-il que Chambron
m’avait pris sur le fait : j’étais tout à coup de meilleure humeur.
« Qu’y a-t-il de drôle dans ce que je vous expose ? s’insurgea-t-il.
— Le balai..., me risquai-je avant de me reprendre, euh, non... la prise de parole en public !
— Ah oui... Eh bien, il n’a absolument rien compris au texte ! Au lieu de narrer la joie
ressentie par le balai et sa propriétaire – le titre évoque pourtant sans équivoque des
retrouvailles, insista-t-il – votre fils nous a concocté une fable des plus rocambolesques ! »
« Et c’est alors qu’il refusa catégoriquement de tenir compte de mes remarques. Je dus faire
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face à son effronterie : il s’est obstiné à ne pas vouloir changer un iota de sa version des plus
discutables ! »
Lucas avait levé les yeux au ciel, las des perturbations que causait, dans son monde
imaginaire, cette banale mésaventure de la réalité.
Et l’autre qui repartait dans ses reproches extravagants ! Je ne voyais pas bien où il voulait en
venir. Sans doute le mauvais moment à passer serait-il plus long que prévu. Pauvre Lucas, en
train de se morfondre, contraint de louper « C’est pas sorcier », son émission favorite.
C’était moi que Chambron avait perdu à présent. J’appréciais les dessins accrochés au mur,
derrière lui, et laissais vagabonder mon imagination soudainement stimulée par leur chaos de
couleurs primaires. Comme une mobylette pétaradante reprenant son élan après un virage, le
monologue de mon hôte se ragaillardit.
« Et aujourd’hui, pas plus tard que cette après-midi, il renouvelle son exploit en refusant
d’habiller “Popotin”, notre mascotte ! Cela n’est-il simplement pas inacceptable ? »
Pas mécontents d’être enfin sortis de là, Lucas et moi avancions en direction du parking
construit à l’écart de l’école pour plus de sécurité.
Lucas jouait au foot avec un caillou, singeant les commentateurs par diverses voix de fausset
se mêlant aux vivats de supporters factices. Il levait les bras au ciel pour implorer un geste
divin, dessinait de la main la trajectoire d’un ballon en direction d’une cage de but
imaginaire, ou invectivait un arbitre invisible qui faisait bien de le rester vu la rage simulée
sur les traits du joueur que Lucas incarnait.
« Comme le spectacle de tous ses jeux me manquerait dans quelques années ! » pensai-je.
Mais le balai et l’ours se rappelèrent à moi. Je devrais aborder le sujet avec lui. Me restait à
déterminer le moment le plus propice ?
Je lui passai la ceinture de sécurité tant bien que mal en évitant les plis de son blouson, en me
disant qu’une fois la voiture en mouvement, il plongerait, comme à son habitude, dans un
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calme olympien, obnubilé par les champs et la multitude d’insectes qu’il rêvait d’y capturer.
Ce serait sans doute le bon moment. Je mis le contact. Et après quelques manœuvres, nous
fûmes sur la route.
« Au fait, il ne m’a pas raconté cette histoire de balai, lançais-je innocemment. Ça parlait de
quoi ? »
Les yeux de Lucas apparurent dans le rétroviseur que j’avais malicieusement positionné à
cette fin avant de mettre le contact.
« Oui, mais encore ? Faudra bien que tu me racontes pour que je comprenne ce qui s’est
passé avec monsieur Chambron. »
« C’était une dame qui chassait les araignées avec son fidèle balai. Puis un jour, elle achète
un aspirateur et n’a plus besoin de son balai. Alors, elle le range dans un placard et elle
l’oublie... puisqu’elle a acheté un aspirateur. »
Je restais sur ma faim.
« Et puis quoi ? Qu’est-ce qu’il devient son balai ? » demandais-je, impatient de percer les
mystères que Chambron n’avait su m’exposer. Il faut avouer que j’avais tout fait pour que
l’entrevue ne s’éternise pas : aucune question et uniquement des « oui », « bien sûr », « vous
avez raison »...
« Eh bien dix ans plus tard son aspirateur tombe en panne et donc elle a besoin de faire le
ménage alors elle repense à son balai et retourne le chercher dans le placard... »
Il s’était tu pour s’émerveiller devant un vol d’étourneaux virevoltant comme un seul homme.
Je le laissais profiter du spectacle avant de l’importuner de nouveau. C’est que je voulais
connaître la fin de l’histoire moi !
« Et alors, elle le retrouve son balai ?
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— Oui, forcément, dans le fond du placard ! »
Oups, j’avais posé une question idiote. Mais je n’avais pas l’intention de baisser les bras.
« Et alors ?
— Ben, elle est contente de retrouver son balai. Elle lui parle en lui disant qu’il lui a manqué
et qu’elle est heureuse de le retrouver... puisqu’elle en a besoin pour faire le ménage.
Plus tard, remis de mes émotions, j’allumai le four, déballai une pizza bon marché et envoyai
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mon fils enfiler son pyjama. Nous allions nous consoler de cet épisode peu glorieux de son
cursus scolaire naissant avec un film d’animation mettant en scène des jouets qui parlent. Il
fallait au moins ça !
J’avais déjà découpé la pizza, l’avait déposée sur la table basse du salon lorsque Lucas se
lança à la recherche du DVD dans la pile qui trainait au sol, éparpillée par la paresse
qu’inspire souvent la corvée de rangement. Depuis ma place attitrée sur le canapé, je tendis le
bras en me contorsionnant pour atteindre, du bout des doigts, le bouton de la télécommande.
La télévision se mit sous tension et afficha la chaîne par défaut.
Dans l’entremise, Lucas trouva le film.
Alors qu’il l’insérait dans le lecteur et que je tentais d’empoigner cette satanée
télécommande, trop éloignée pour être facilement accessible, mais bien trop proche pour que
je consente à me lever, la voix de l’ingénieur météorologue résonna dans les haut-parleurs de
la télévision : « ... ce sera un grand soleil aux quatre coins de l’hexagone... ».
Lucas leva les yeux vers moi, je fis machinalement de même, comme illuminé suite à ce que
nous venions d’entendre. Et, sans nous concerter, nous libérâmes toutes nos contrariétés dans
un jouissif éclat de rires complice en nous remémorant la femme de Chambron et son élève
de CM2, ce satané David Espelette !
Eurêka ! Nous savions maintenant ce que Chambron se demanderait encore longtemps : où
David Espelette avait-il bien pu chercher cela !
Exercice :
1. Lisez bien le conte humoristique court ci-dessus !!!
2. Observer-le, et quelles sont les phrases du conte à la page 1, trouvez-les !!
3. Identifiez le SN sujet et le SV en soulignant chacune de ces phrases !!
4. Postez vos réponses par le lien dans le Besmart !!
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