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HELB - HAUTE ÉCOLE LIBRE DE BRUXELLES - ILYA PRIGOGINE

CATÉGORIE TECHNIQUE

Matilde Landeta
LA GRAND-MÈRE DU CINÉMA MEXICAIN

Travail de fin d’études présenté par Maria HERMOSILLO en vue de l’obtention du diplôme de
Bachelier(ère) en Techniques de l’image - Techniques de la cinématographie

Promoteur : Sébastien ANDRES

ANNÉE ACADÉMIQUE 2017 – 2018


AOÛT 2018
SOMMAIRE

1. Remerciements

2. Introduction

3. Qui est Matilde Landeta? Ses débuts dans le cinéma

4. La place de la femme dans l’âge d’or du cinéma mexicain

5. Analyse de La Negra Angustias (Matilde Landeta, 1949)

6. Interview : Patricia Diaz

7. Conclusion

8. Bibliographie

9. Annexes
REMERCIEMENTS

Je voudrais remercier mon père, pas seulement pour son aide pour réaliser ce travail écrit en me donnant
des informations et pistes par rapport à Matilde, mais aussi pour me soutenir tout au long de mes études,
pour toujours croire que j’étais capable d’atteindre mon but. Le remercier aussi pour sa « présence »
quand j’en avais besoin, malgré la distance. Je tiens à remercier aussi ma mère pour tout son support à
tout moment. Merci aussi à Anne et Gauthier Franchimont, et toute leur famille, ma famille de cœur. Ils
ont été toujours très accueillants avec moi et m’ont toujours aidée et soutenue. Merci parce qu'arriver dans
un tout nouveau pays sans rien connaitre n'est jamais facile.
Je voudrais remercier également mon promoteur Sébastien Andres pour ces retours et conseils. Merci
aussi au directeur de l’école, Dominique Standaert, et à mes professeurs de l'HELB qui m'ont toujours
incitée à faire plus que ce dont j'étais capable. Merci aussi à Patricia Diaz qui m’a accordé l’interview et
m’a donné des archives avec des photos et vidéos de Matilde.
INTRODUCTION

Depuis toute petite déjà, j’ai toujours entendu des histoires à propos de Matilde Landeta, une des
premières réalisatrices du cinéma mexicain. Étant la tante de ma grand-mère, j'ai beaucoup entendu parler
d'elle, de ses histoires. Et tout ce qu’on me racontait sur elle, a toujours été très présent au long de ma vie.
Matilde est morte quand j’avais 4 ans, et donc je n’ai jamais eu l’opportunité de vraiment la rencontrer et
de parler avec elle. De là viens une partie de ma curiosité à son encontre et mon envie de faire mon
mémoire sur elle, sur sa vie et sur ses films.
En plus de l’être pour moi, c’est une figure très importante de l’histoire du cinéma mexicain. Elle a été
une inspiration pour beaucoup de femmes, travaillant dans le cinéma ou pas. On l’appelle “la grand-mère
du cinéma mexicain”.

Dans ce travail de fin d’études, je vais parler de l'arrivée de Matilde au cinéma, grâce en grande partie à
son frère, Eduardo Landeta, un acteur de l’époque. C’est lui qui a amené Matilde sur ses tournages, et qui
a aussi toujours soutenu son envie d’être réalisatrice. J’ai aussi décidé de citer plusieurs phrases et
anecdotes racontées par Matilde lors de ses interviews pour pouvoir mieux comprendre quel était son état
d’esprit.

Matilde a travaillé en tant que script et assistante à la réalisation dans une septantaine de films. Elle a
réalisé son premier film à l’âge de 39 ans, âpres avoir hypothéqué sa maison, vendu sa voiture et
emprunté de l’argent à sa famille pour pouvoir le produire.
Son ambition de devenir réalisatrice a été compliquée pour une seule raison : elle était une femme. C’est
pour cela que dans le chapitre 4 je voudrais parler de la place de la femme dans le cinéma mexicain de
cette époque, et parler de femmes comme Maria Félix, Adela Sequeyro, ou Dolores del Rio, entre autres,
toutes des icônes du cinéma mexicain.

Les thèmes des films de Matilde portaient sur la représentation des femmes fortes et des protagonistes
réalistes dans un monde patriarcal. Dans le chapitre 5 je ferai une analyse de son film La Negra
Angustias. Un film qui parle d’une pauvre mulâtresse du nom d’Angustias, qui rejoint la révolution
mexicaine à ses débuts et est devenue colonel dans l’armée zapatiste.

J’ai pu contacter Patricia Diaz, réalisatrice colombienne qui travaille et donne des cours de cinéma à
Londres. En 1989, elle a eu la chance de rencontrer Matilde, qui était en train de chercher un financement
pour produire son 4éme et dernier film Nocturno a Rosario. Patricia a réalisé un court-métrage
documentaire sur sa vie. Dans le chapitre 6, vous trouverez l’interview que j’ai pu avoir avec elle.

Et pour finir, je voudrais conclure en parlant de nos temps contemporains, j’y analyse la place de la
femme dans le cinéma mexicain de notre époque, et quel pourrait être son avenir.

Toutes mes sources sont des textes, articles, films et références en espagnol et en anglais. J’ai fait de mon
mieux pour bien interpréter et traduire toutes ces informations. Pour les termes, phrases ou mots non
traduits ou qui ont un contexte difficile à comprendre pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire et la
culture mexicaines, j’ajoute des notes en bas de page pour expliquer et/ou complémenter l’information.
QUI EST MATILDE LANDETA? SES DÉBUTS DANS LE CINÉMA

Matilde est née à Mexico le 20 septembre 1910. Elle est orpheline de mère dès l’âge de 3 ans. Avec ses
frères, ils vont aller vivre à San Luis Potosi chez leur tante et leur grand-mère. À l’âge de 15 ans, Matilde
a été placée dans un monastère de sœurs dominicaines à Mexico, elle est donc restée à Mexico depuis ce
moment là et jusqu’à sa mort. À cette époque même dans une ville comme Mexico, il était difficile de
voir des films étrangers. Lors d'un voyage aux États-Unis, elle a eu l'occasion de voir le film Old San
Fransisco (Alan Crosland, 1927). Sa passion pour le cinéma a commencé à ce moment là.

Depuis toute petite, elle était intéressée par les arts du spectacle, elle raconte dans une interview qu’elle
jouait au théâtre avec ses frères. “Je faisais tout, directrice, comédienne, et celle qui frappait ceux qui
n’apprenaient pas leurs dialogues!”. “Depuis petite je voulais être celle qui dirigeait et réalisait”1.
Elle raconte aussi dans son interview avec Patricia Diaz, les jours de la révolution mexicaine quand elle
avait 6 ou 7 ans. Le manque d’approvisionnement obligeait sa famille à stocker au sous-sol des sacs de
haricots, de riz, des boisons, etc. Un jour, on arrive chez elle avec des sacs de riz, et au moment de les
décharger, le riz tombe du sac : très vite une foule de femmes et d’enfants se précipite et se bat pour
quelques grains de riz. Cela a causé une terrible impression chez Matilde: elle a réalisé qu’il y avait des
gens qui n’avaient pas à manger. C’est à partir de là que elle commence à réaliser les différences sociales,
et qu'elle se rapproche un peu des idées de gauche. On pourra retrouver cette composante sociale dans
tous ses films, par le biais desquels elle a toujours essayé de faire connaître ce qui se passe dans son pays.

Sa passion pour le cinéma a été soutenue surtout par son frère, Eduardo Landeta, comédien connu à
l’époque. En 1931 Matilde rencontre le journaliste de cinéma Carlos Noriega Hope2, qui engage son frère
Eduardo pour un rôle secondaire dans Mano a mano (Arcady Boytler, 1932). Elle rend visite à son frère
au Foro Nacional3 lors du tournage. “Quand j’y étais pour la première fois je me rappelle avoir pensé
“ceci est mon monde et ici je reste”“4.
Au cours d’une de ses visites, Miguel Zacarias5 lui propose un travail en tant que maquilleuse ce qu'elle
accepte. Mais rapidement Zacarias voit que Matilde était capable de plus et lui offre un travail en tant que
script. Elle commence donc vraiment dans ce métier dans le film El prisionero 13 (Fernando de Fuentes,

1
My Filmmaking, My Life Court-métrage documentaire (Patricia Diaz, 1990)
2
(1896 - 1934) Journaliste et écrivant, il a aussi écrit le scenario pour des films comme Santa (Antonio
Moreno,1932) et Una vida por otra, (1934).
3
Foro nacional, studio de cinéma à l'époque
4
My Filmmaking, My Life, op. cit.
5
(1905 - 2006) Réalisateur, producteur et écrivant mexicain.
1933). Elle a travaillé aussi avec le réalisateur Fernando de Fuentes dans le tournage d’El compadre
Mendoza (1933) et Vamonos con Pancho Villa (1936).

À cette époque, le fait que les femmes portaient des pantalons était désapprouvé, les femmes devaient être
toujours bien habillées avec des robes ou jupes. Matilde, étant une script girl, devait être capable de
bouger confortablement et être à l'aise. “Je suis allée parler avec une tante, qui était très religieuse et
conservatrice, et je lui demande de me faire des pantalons. Quand j’ai commencé à les porter, j’ai été fort
critiquée, on m’appelait de tous les noms dans la rue. Même mes collègues le désapprouvent, un d’entre
eux a même osé couper mon pantalon lors d’un tournage.” Raconte Matilde dans son interview avec
Patricia Diaz.
À cette époque, la façon dont laquelle fonctionnait habituellement le système de ”promotion” dans le
cinéma, était d’abord être script et puis assistant à la réalisation. Pour cela, il fallait démontrer qu’on avait
autorité et qu’on se faisait entendre, et puis on pouvait éventuellement passer à la réalisation proprement
dite. Tout cela avec le Syndicat des Travailleurs de la Production Cinématographique du Mexique. La
promotion d’assistante réalisateur que Matilde avait sollicitée a pourtant été refusée plusieurs fois par le
syndicat, à cause de sa condition de femme dans une société encore extrêmement patriarcale.

“Je demandais une promotion pour passer de script à assistante à la réalisation, mais on m’a refusé car je
suis une femme. Un jour après avoir quitté une assemblée, furieuse, je suis allée au vestiaire d'Anita
Guerrero et je lui ai dit: "Prends-moi une moustache, un chapeau et un des manteaux des garçons", j'ai
mis la moustache, j'ai caché mes cheveux dans le chapeau, j’ai mis le manteau, un manteau qui était
énorme, et je suis rentrée dans le forum en criant "Je suis là, je suis là ! Je suis l’assistante à la réalisation,
parce que je suis un homme" tout le monde rit, le caméraman me photographiait habillé en homme, j'étais
sympa.”6. Même si ça a été difficile pour Matilde à l’époque, elle raconte ses histoires avec joie et ironie.

Elle a collaboré en tant que script dans environ 60 à 70 films pendant 12 ans. Elle devint donc la première
femme à être script, et bientôt la plus demandée et mieux payée, ce qui finira par lui ouvrir les portes de la
réalisation. En 1945, après avoir dû démontrer de quoi elle était capable, et après être allée parler au
syndicat, Matilde devint assistante à la réalisation. Elle travaillera à ce poste sur 14 films en 3 ans. (voir
image 2)

6
My Filmmaking, My Life, op. cit.
Les années 40 sont considérées comme l’âge d’or du cinéma mexicain. Cet âge d’or est en réalité un
énorme flux de capitaux étrangers. Cela s’est matérialisé lorsque le RKO7 a fondé la moitié des
installations des Estudios Churubusco8 en 1945. Les techniciens mexicains ont été formés à Hollywood,
la Warner Bros a fourni du capital et de l’équipement et 20th Century Fox faisait des coproductions avec
les Estudios Churubusco. Des centaines des films ont été produits, comme des versions en espagnol des
films de guerre hollywoodiens par exemple. Au milieu de cette industrie, Matilde Landeta commence à
progresser. Parmi les réalisateurs célèbres du cinéma mexicain avec qui Matilde a collaboré, on trouve
Emilio “indio” Fernandez, Roberto Gavaldón, Julio Bracho, parmi d’autres. Elle a travaillé dans des films
comme Flor Silvestre (Emilio Fernandez, 1943), Maria Candelaria (Emilio Fernandez, 1944), films de
première catégorie.

Elle réussit à réaliser son premier film en 1948, intitulé Lola Casanova, basé sur le roman homonyme de
Fransisco Rojas Gonzales9. Le film retrace l'histoire d'une femme créole qui va vivre avec un Indien pour
aider la communauté indienne dans ses relations avec la société. Il a été filmé dans les studios de
l'Estudios Churubusco. Pour le faire, Matilde hypothèque sa maison et vend sa voiture pour créer sa
propre maison de production, avec son frère Eduardo, appelée TACMA S.A. De C.V. Elle est ainsi
capable de produire son film, parce qu’aucun autre producteur ne faisait confiance au travail d’une
femme. Cependant, les compagnies de distribution ont boycotté son film, une fois le tournage fini. Elle
est aussi victime de sabotage, puisque qu’elle se fait voler un rouleau de négatifs de scènes qu’elle ne
pourrait jamais filmer à nouveau, raconte Matilde à Patricia dans son interview. Landeta ne put diffuser
son film pendant une longue année, avant qu’il ne soit enfin autorisé à faire sa première. Elle put montrer
son film, mais il fut présenté comme un film de série B, un mardi pendant la semaine de Pâques, sans
préavis ni publicité. Au cours de sa vie, elle n’a pu réaliser que 4 long-métrages. En 1949, le film La
Negra Angustias, basé aussi sur un roman de Rojas Gonzales. En 1951 le film Trotacalles, basé sur un
script de Luis Spota10, où elle aborde la question de la prostitution, avec les comédiennes Miroslava et
Elda Perlata11, (ce film a été un succès au box-office) et en 1992 son dernier film, Nocturno a Rosario.

7
RKO Pictures était une société américaine de production et de distribution de films. C'était l'un des cinq
grands studios du Golden Age d'Hollywood.
8
Estudios Churubusco est l'un des studios de cinéma les plus anciens et les plus importants d'Amérique
latine situé dans le quartier de Churubusco à Mexico. Il est toujours en service.
9
(1904 - 1951) Écrivain mexicain, ethnologue et scénariste. En particulier, il s'est distingué en tant qu'auteur
d'essais, d'histoires et de romans. Il a eu le Prix national de littérature en 1944.
10
Luis Mario Cayetano Spota Saavedra Ruotti Castañares (1925 - 1985), écrivain et journaliste mexicain
autodidacte, auteur de plus de 30 livres.
11
(1932) actrice de grande personnalité à l'âge d'or du cinéma mexicain, journaliste, professeur et éditeur.
Après cela, Matilde a eu des problèmes avec le syndicat, et les producteurs ont coupé court à sa carrière.
Pendant 40 ans, elle a juste pu réaliser 110 court-métrages de 30 minutes pour la télévision américaine,
une série d’histoires pour enfants appelées Howdy Doody. Pendant cette période, elle a également
enseigné le cinéma à “El insitituto cinematografico”, la première école de cinéma officielle au Mexique,
dirigée par Clandestino Gorostiza, et a enseigné l’histoire du cinéma à “la Academia Andrés Soler” de
Mexico.

Elle a également fondé la Sala Tlalpan, pour diffuser le cinéma mexicain. Elle a été en charge des scripts
au “Banco de guiones”12 de la “SOGEM” (Société Générale des Écrivant du Mexique) et a écrit les
scénarios pour trois films. L’un d’entre eux, El Camino de la Vida (Alfonso Corona, 1957) a reçu le prix
Ariel, dans la catégorie du meilleur argument.
En 1991 elle réalise son quatrième et dernier film, Nocturno a Rosario, avec Ofelia Medina13, sur la vie
de Rosario de la Peña, muse de Manuel Acuña14. Pour le faire, elle a du vendre ses trois films précédents
à l’Espagne.
Matilde est morte paisiblement dans son lit, le 26 janvier 1999, à l’âge de 89 ans à cause d’une maladie
due à son grand âge.
Elle a reçu toute une série d’hommages au cours de sa vie et après sa mort. En 1975, elle a été reconnue
pour son film La Negra Angustias dans la catégorie "Women Directors" pour l’année internationale de la
femme. Ceci a été sa première reconnaissance. En 1987, le festival italien du cinéma féminin a rendu
hommage à Landeta et a mis à l’affiche ses films. Les prix Ariel ont donné un prix honorifique pour
“Lifetime Achievement” en 1992. À Mar de Plata, Argentine, elle a reçu un hommage du Festival de la
femme et du cinéma en 1993. (voir image 3)
En 2004, l’ ”Associación Cultural Matilde Landeta” a été créée pour décerner des bourses annuelles aux
scénaristes.

12
Banque de scripts
13
María Ofelia Medina Torres (née le 4 avril 1950) est une actrice mexicaine, chanteuse et scénariste de
films mexicains.
14
Manuel Acuña Narro (1849 - 1873) était un poète mexicain qui s'est développé dans l'atmosphère stylisée
et romantique de l'intellectualisme mexicain de l'époque.
LA PLACE DE LA FEMME DANS L’AGE D’OR DU CINÉMA MEXICAIN

Pour pouvoir comprendre le contexte de la société dans laquelle se trouvait Matilde, j’aimerais parler de
la place des femmes dans le cinéma de cette époque.
Ce chapitre pourrait être divisé en deux ; je commencerai par parler de la femme devant la camera, c’est-
à-dire la représentation des femmes mexicaines dans les films des années 30, 40 et 50. Je discuterai
ensuite de la femme derrière la camera, des femmes qui ont travaillé dans l’industrie cinématographique,
soit en tant que comédiennes ou comme productrices ou réalisatrices.

Avant, pendant et âpres la révolution mexicaine, le cinéma était un moyen de communication de masse,
de propagande, accessible à tout le public, surtout celui qui ne savait pas écrire ni lire. C’était alors parfait
pour transmettre des nouvelles formes idéologiques sur la famille, la nation et la différence de sexes. Le
pouvoir mexicain et ses opposants le voient comme l’outil idéal pour l’instruction du peuple autant qu’un
moyen de le manipuler.

Tout d'abord, quelle était la représentation de l'homme dans les films de cette époque là? Selon Joanne
Hershfield dans son texte “ La moitié de l’écran : les femmes dans le cinéma de l’âge d’or” 15 , l'homme
est représentés de 3 manières:

- Celui de la classe inférieure et violente, le pachuco16, représentant tout ce qui ne va pas au Mexique. On
y lit une répulsion envers la classe inférieure et envers ses racines indigènes, son adoption d’influences
étrangères (spécifiquement des États-Unis), ses vêtements et gestes, son attitude machiste et sa
propension à la violence.
- Le travailleur à la conscience morale, il est fort mais soumis lorsqu’il s’agit de l’autorité de la classe
supérieure.
- Et celui qui met son pays devant lui, qui se soumet et promeut même l’idéologie autoritaire et patriarcale
du pays.

Pour les femmes, les archétypes sont encore plus limités et manichéens. On peut ainsi trouver seulement
deux “catégories” de femmes représentées dans les films pré-révolutionnaires qui présentaient ces trois

15
Joanne Hershfield (2010), La mitad de la pantalla : La mujer de la época de oro. 127 - 151.
16
Définition de Jeune homme mexico-américain, appartenant à un gang de quartier ou en difficulté avec la
loi.
types d’hommes : la “buena” (la bonne femme), soumise et dévoué à la maison et à son mari, ou la
“mala” (la mauvaise femme), et sa propension à se déshonorer la nuit dans les cabarets.

À l’ère post-révolutionnaire, commencent à se produire au Mexique des films tels que Santa (Antonio
Moreno, 1931) (premier film sonore au Mexique), Salon Mexico (Emilio Fernandez, 1949) et Distinto
Amanecer (Julio Bracho, 1943), où les femmes sont “cabareteras”17 et ce sont elles qui supportent
économiquement la famille, ce qui met en conflit le rôle de l’homme.

Comme l’explique Joanne dans son texte, la décennie des années quarante fut un moment où la position
sociale des femmes fut redéfinie dans les discours post-révolutionnaires sur le nationalisme. D’une part,
les femmes ont été activement impliquées dans la révolution mexicaine et, même après la guerre,
beaucoup de ces femmes ont continué à faire partie de la population active. Mais d’un autre côté, la
révolution n’a pas fondamentalement changé la structure patriarcale de la société mexicaine, les femmes
continuent d’être opprimées dans de nouvelles formes de représentation culturelle, soit la “virgen” (la
vierge, avant la buena) soit la “puta” (la pute, avant la mala).

Cette représentation des femmes a toujours été liée à des représentations mythologiques-historiques. D’un
côte on a la Malinche18 qui est la mère (du métis) et aussi la Chingada19, la Pute. De l’autre, on a la
Vierge de Guadalupe20, qui est la mère (du fils de Dieu) et la Vierge.

Dans de nombreux récits mexicains, la femme est décrite à la fois comme une personne passive, soumise
(vierge), une marchandise échangée entre les hommes pour être soit la concubine, épouse, fille ou femme
de chambre ; ou comme destructrice et négative, tentante, “mangeuse d’hommes” (dit Sandra Messinger
Cypess dans La Malinche in Mexican Literature).

17
Danseuse de cabaret.
18
Également appelée Malinzin (en nahuatl), était une femme amérindienne, originaire d'une
ethnie nahua du Golfe du Mexique et devenue esclave d'un cacique maya du Tabasco. Offerte en avril 1519 à
des conquistadors espagnols, elle devint la maîtresse de leur chef, Hernán Cortés, avec qui elle eut un fils, et assuma
auprès de lui un rôle déterminant dans la conquête espagnole du Mexique en tant qu’interprète, conseillère et
intermédiaire. De nos jours, au Mexique, La Malinche est une figure très vivace qui représente différents aspects
contradictoires : elle est à la fois le symbole de la trahison, la victime consentante et la mère symbolique du peuple
mexicain moderne. (Voir image 4)
19
"Qui est le Chingada? Tout d'abord, c'est la Mère. Pas une mère de chair et de sang, mais une figure
mythique, La Chingada est l'une des représentations mexicaines de la maternité…" Octavio Paz (1950) Le
labyrinthe de la solitude. 31
20
La Virgen de Guadalupe est une des invocations de la Vierge Marie, "... Le catholicisme mexicain se
concentre sur le culte de la Vierge de Guadalupe. En premier lieu: c'est une Vierge indienne; ensuite: le lieu de son
apparition (avant l'Indien Juan Diego) est une colline qui était autrefois un sanctuaire dédié à Tonantzin, "notre
mère", déesse de la fertilité chez les Aztèques ..." Octavio Paz (1950) Le labyrinthe de la solitude. 35.
Cette représentation qui est donnée aux femmes mexicaines dans les films a toujours été la même, elle a
seulement été modernisée au fil des ans. Mais ce déséquilibre du pouvoir dans la société mexicaine n’est
pas seulement entre les femmes et les hommes, mais aussi entre les races et les classes.
Par exemple, dans Enamorada (Emilio Fernandez, 1946), avec Maria Félix et Pedro Armendáriz, un de
ses objectifs était de représenter comment étaient les relations entre les différentes classes sociales. Le
film raconte l’histoire d'amour entre le révolutionnaire mais pauvre José, et Beatriz, une jeune femme de
la haute société. En raison de tout ce qui les différencie, en particulier l’économique, Beatriz ne devrait
pas l’aimer lui mais celui qui lui est dévolu, un étranger.
La place qui a été donnée aux indigènes dans la société mexicaine est similaire au traitement des femmes.
Dénigres, exclus, autant dans le cinéma que dans le reste de la société. Mais ce n’est pas un sujet que
j’aborderai largement.

Il y a quelques films qui ont proposé de nouvelles représentations et positions aux femmes mexicaines,
comme Rio Escondido (Emilio Fernandez, 1948) et Maria Candelaria (Emilio Fernandez, 1944), mais
ces films n’ont pas pu intégrer ces nouveaux rôles dans une évolution de paradigme narratif parce qu’ils
ont refusé ou ont échoué dans le changement des structures historiques et psychiques fondamentales qui
ont soutenu le patriarcat mexicain.

De retour au cinéma des “cabareteras” (Les filles de la Malinche, comme Ramirez Berg21 les appelle), une
forme du nouveau genre urbain a été créé à cette époque appelée "cinéma de arrabal22". Cela représente
une figure féminine du style "séduite et abandonnée". Ce nouveau genre propose un réalisme accidenté et
subit l’influence de la musique populaire tropicale comme le danzón cubain, la rumba et le mambo
brésilien. Les femmes représentées dans ces films étaient censées rendre compte de la femme qui
travaillait et dont la position sociale et le pouvoir économique défiaient la position masculine
traditionnelle de supériorité.

Ces femmes ont également été décrites comme des “bonnes femmes” dont la plupart sont forcées de
mener une “mauvaise vie” par la force des circonstances qui échappaient à leur contrôle. La
représentation typique, encore une fois, était celle d'une femme qui n'avait pas d'autre choix pour gagner
sa vie que d'être une prostituée ou une danseuse dans un bordel. Si elles avaient le soutien économique de
leur mari, leur place était à la maison; ou comme dernière alternative, au couvent.

21
Ecrivant mexicain.
22
Par exemple, l'un des titres plus célèbres de ce genre, nosotros los pobres (Ismael Rodriguez, 1947)
À ce moment là, il y avait une certaine contradiction, autant pour les hommes que pour les femmes, vu
que la femme occupait une place de plus en plus importante dans la société. Mais le discours du
gouvernement ne cessait pas de donner la priorité à la perpétuation des valeurs féminines traditionnelles
de la maternité, de la chasteté et de l'obéissance. Néanmoins, comme le dit Joanne, "les films produits
pendant les périodes présidentielles d'Ávila Camacho23 et Miguel Alemán24 ont exposé un monde
consumé par le désir de transformation sociale". Pendant le gouvernement de Miguel Aleman plus de 100
films se sont produits, et pas seulement avec ce genre de sujets de “cabareteras”.

Comme exemple on peut citer Distinto amanecer (Julio Bracho 1943). Le film raconte l'histoire de Julieta
(avec Andrea Palma), qui travaille comme danseuse pour soutenir son frère aîné et son mari. L'intrusion
d'un vieil ami de Julieta dans leur vie, Octavio (avec Pedro Armendáriz), menace la fragile stabilité de la
famille. Julieta doit alors affronter un dilemme, entre continuer dans un mariage sans amour avec son
mari, ou s'échapper avec Octavio. Cela conduit à un certain questionnement sur les positions idéologiques
des femmes mexicaines de cette époque. Mais même si le film offre un “choix” aux femmes, il ne va pas
au-delà des limites du récit cinématographique classique. Cependant, ce film propose un changement dans
les conditions sociales et économiques, puisque c'est généralement l'homme qui fournit de l'argent à sa
famille, il a une certaine supériorité sur la femme. Des travailleuses comme Julieta, qui peuvent soutenir
financièrement leur famille, et parfois beaucoup mieux que les hommes: leur position sociale avait
réellement changé. Cela a également mis en évidence les craintes sociales concernant l'effondrement de la
famille traditionnelle mexicaine en raison des changements dans le rôle social et économique des femmes.
Ce n’était pas évident d’accepter que la femme prenait un rôle de plus en plus important.

D’un autre côté, Il semble aussi que la représentation d'une femme qui travaillait comme prostituée pour
subvenir aux besoins de sa famille était une excuse morale pour l'existence de la prostitution en général.
Pour certaines des femmes représentées dans les films mentionnés ci-dessus, elles étaient encore de
“bonnes femmes” qui étaient simplement forcées de devenir des prostituées. Dans d'autres films comme
Crepúsculo (Julio Bracho, 1944), La mujer sin alma (Fernando Fuentes, 1943) et La devoradora
(Fernando de Fuentes, 1946), les "mauvaises femmes" représentées sont des femmes courageuses et
puissantes, mais représentées comme "sans sentiments", des femmes cruelles et remplies d’esprit de
vengeance, sans scrupules.

23
Fut président du Mexique de 1940 à 1946
24
Fut président du Mexique de 1946 à 1952
Il est aussi important de remarquer que la représentation physique de la femme dans les films de cette
époque était toujours celle d’une femme plutôt avec des caractéristiques européennes, grande, mince et
avec une couleur de peau blanche. En niant d’une certaine façon l'existence des femmes indigènes.

En conclusion, nous pourrions dire que la femme était l’une des figures principales qui ont influencé le
pays à travers ses hommes, mais que la plupart du temps elle est passée inaperçue en raison du manque
d’intérêt pour sa participation active dans la société. Mais même si la représentation des femmes dans les
films des années 1940 était celle d'une “bonne” femme ou d'une “pute”, il y a aussi des moments où ce
récit s'effondre, et il arrive alors que le spectateur se questionne sur les structures narratives et sociales qui
placent les femmes dans des positions ambiguës de “bonne” ou de “pute”.

Dans la deuxième partie de ce chapitre, je voudrais parler des femmes qui étaient de l'autre côté de
l'écran, des femmes qui, comme Matilde, se sont battues pour obtenir la place qu'elles occupent
maintenant dans l'histoire du cinéma mexicain.

Adela Sequeyro
Elle est née à Veracruz en 1901. En 1923, elle commence sa carrière comme actrice dans le cinéma
mexicain, et en 1933, elle joue un rôle principal dans le film El Prisionero 13 (Fernando de Fuentes,
1935). Adela a formé une société avec d'autres techniciens de l'industrie avec qui elle a produit son
premier film intitulé Mas allá de la muerte. Après avoir eu des problèmes avec certains membres de
l'entreprise, Adela a quitté et a fondé une autre société appelée Carola, et a commencé sa courte carrière
en tant que réalisatrice. Adela a écrit, réalisé et joué dans son film La Mujer de Nadie, 1937. Son
deuxième film, Diablillos del Arrabal, a subi une perte de financement dévastatrice, qui la laisse dans
l’impossibilité de payer sa dette de production. Après plusieurs tentatives ratées de reprendre sa carrière
en tant que réalisatrice, elle a pris sa retraite en 1943. Elle est donc considère, avec Matilde, une des
premières femmes réalisatrices et productrices du Mexique.

María Félix
Elle apparaît dans son premier film en 1942, et est devenue la plus célèbre star mexicaine l'année suivante
pour sa performance dans le personnage de Doña Barbará dans le film La vengeuse. Dans plusieurs de ses
rôles comme La mujer sin alma (Fernando de Fuentes, 1943), La Devoradora (Fernando de fuentes,
1946) et La Mujer de Todos (Bracho, 1946), María a répété le rôle stéréotypé de la femme puissante mais
“mauvaise”. Son autre personnage était aussi celui de la femme humble et féminine, dans des films
comme Rosaura, dans Rio Escondido, et dans Enamorada (Fernández, 1946).
Maria est maintenant une icône du cinéma Mexicain, appelé “la femme la plus belle du Mexique”
admirée pour être une femme indépendante, sensuelle, et qui a eu du succès. Le contraire de la plupart des
rôles qu'elle a joué. Elle a cherché à attirer l'attention sur les questions d'inégalité entre les sexes, de viol
contre les femmes (physiquement, psychologiquement et aussi vis-à-vis de leurs droits).
"Je représente la Mexicaine victorieuse qui ne se laisse pas faire." Dans son interview dans "La Tocada"
en 1996. "Ceci est un monde d'hommes, fait par et pour les hommes, nous le voyons dans tous les faits de
la vie. Ce qui me surprend, est que les femmes se laissent battre, elles sont bêtes, moi j'ai été très
maltraitée, mais que dans les films, mais c'est pour ça que je sais ce que c'est. Mais dans ma vie privée,
jamais."
María a été comédienne dans une cinquantaine de films et a contribué avec les meilleurs réalisateurs de
l'âge d'or du cinéma mexicain. Elle est décédée en avril 2002 à Mexico.

Dolores del Rio


Elle a commencé sa carrière d'actrice dans le cinéma muet hollywoodien et a obtenu un rôle important
dans le film de Raoul Walsh What Price Glory en 1926. Elle a également travaillé dans une trentaine de
films à Hollywood.
Le premier film mexicain dans lequel Dolores a travaillé a été dans María Candelaria, par Fernández, où
elle interprète l'histoire tragique d'une jeune femme indienne qui est lapidée par son propre peuple.

Mimi Debra
Actrice, en 1917 elle crée la boite de production Azteca Film avec Enrique Rosas. Sur les 17 films
réalisés dans le pays cette année-là, six ont été produits par Azteca Film et trois d'entre eux ont été écrits
par Debra. Elle a également réalisé et produit son seul film, La Tigresa (1917). L'année suivante, Azteca
Films fait faillite, laissant Debra dans le noir jusqu'à son retour en 1931 avec son rôle dans le premier film
parlant du cinéma mexicain, Santa, où elle joue un rôle secondaire.
ANALYSE DE LA NEGRA ANGUSTIAS (MATILDE LANDETA, 1949)

Les histoires que Matilde racontait dans ses films étaient des histoires des femmes exceptionnelles. Des
femmes qui ont agi et fait des choses inhabituelles pour leur temps.
Dans ce chapitre, j'analyserai son deuxième film, puisque c'était le plus controversé des films qu’elle a
fait. Ce film a déjà été analysé par plusieurs critiques, et a été acclamé pour son message révolutionnaire
et pour sa grande qualité esthétique.

La Negra Angustias (1949 / 81 minutes / chef operateur: Jack Draper, Monteuse: Gloria Shoemann,
Casting : Maria Elena Marques, Eduardo Arozamena et Augustin Isunza). (Voir image 5)

Le film est basé sur le roman de l'écrivant Francisco Rojas Gonzales qui en 1944 a remporté le Prix
national de littérature pour le meilleur roman ethnographique basé sur un personnage actuel. Matilda base
deux de ses 4 films sur son travail. (Lola Casanova, 1948, son premier film, et La Nagra Angustias).
Dans le roman de Francisco, le personnage principal, Angustias Farrera, est inspiré par la colonelle
Remedios Farrera, qui a formé ses troupes et fait partie de l’armée zapatiste dans l'état de Guerrero.
Matilde a eu l'occasion de la rencontrer et de lui parler avant de tourner son film.

Il y a deux sentiments qui dominent tout au long du film, l'un est la colère et l'autre est l'ironie. La colère
est présente surtout dans le personnage principal, Angustias, qui est une personne qui a depuis l'enfance
beaucoup de colère contre la figure masculine. Comme Eli Bartra l'explique dans son texte "Que tan negra
es La Negra Angustias ?"25, L'ironie était une façon de faire face a la colère, pas seulement dans ce film
mais aussi dans plusieurs œuvres/films faites par les femmes mexicaines à cette époque là.
Dans le film, Angustias, parie du début à la fin pour la Révolution pour défier l'ordre patriarcal et élitiste
qui cause les inégalités sociale, de genre et ethnique dans le pays. Au début du film, le para-texte suivant
est montré:

"Nous vivons dans l'année de 1903. Cet épisode est un cri de rébellion de la classe la plus opprimée et
appartient au Mexique d'hier. C'est seulement un fait de la Grande Révolution, cette secousse qui a donné
lieu à la réintégration d'une nationalité respectable et respectée qui élève aujourd'hui sa structure
définitive sur la base de la justice et de l'équité. "

25
Eli Bartra “¿Qué tan negra es La Negra Angustias?”, Mexique, 2010.
Ce texte semble résumer les résultats “positifs” de la cause révolutionnaire, le fait qu'elle soit écrite au
présent et non au subjonctif (ce qui se serait passé si la Révolution avait triomphé), est complètement
ironique puisqu'elle semble être une critique directe de la structure nationale créée après la révolution, car
il n'y avait ni justice ni équité présentes. Nous pourrions donc analyser ce film comme un désir de voir ce
mouvement atteindre son but, et réaliser ce qui a été dit dans le para-texte.

Angustias est une mulâtresse. Sa mère est morte en lui donnant naissance, et son père, un homme noir
connu pour être un bandit justicier qui vole les riches pour donner aux pauvres (Comme Chucho el
Roto26). Il a été emprisonné pendant plusieurs années. Angustias est restée aux soins de Crescencia, une
"curandera"27 considérée avec malveillance dans son village.

Dans une scène, Angustias, étant enfant, voit une chèvre mourir en donnant naissance à une chevrelle, la
laissant orpheline et fragile dans un troupeau dominé par les chèvres mâles. Angustias non seulement
s’identifie avec cette chèvre qui est née jaune, ce qui la rend différente des autres (Angustias étant mulâtre
ne s'identifie pas avec les autres femmes, plus conformes à la blancheur et aux manières européennes). La
métaphore continue puisqu’elle se projette dans cette chevrelle, qui, comme elle, perd sa mère à la
naissance. Pour elle, "les mâles sont mauvais et tuent les femelles", et cette intuition se voit confirmée par
cette scène parmi les chèvres. Dès son jeune âge, Angustias est donc prête à briser ce stéréotype qui place
les femmes dans un rôle passif.
Peu de temps après, le père d’Angustias (“El Negro” Anton Farrera), après avoir purgé sa peine, revient la
chercher et l'emmène vivre avec lui, (cette scène est aussi un exemple de la contradiction propre à la
société patriarcale de cette époque, où le père est à la fois toujours “absent” et pourtant incontournable,
comme le dit Octavio Paz dans “Le labyrinthe de la solitude”).

Pendant 8 ans, Angustias prend soin de lui, lui fait a manger, nettoie la maison, etc. Son père lui racontait
des histoires de voleur justicier, en luttant contre l'oppression que le pays a vécu sous le régime de
Porfirio Diaz28, laissant dans Angustias ces idées d'aider les pauvres, de se battre pour eux, une lutte où
“les pauvres sont moins pauvres et les riches moins riches”. Idées révolutionnaires qui sont irréalistes
dans les yeux d'Anton, qui dit clairement “quel dommage que je sois si vieux et que tu sois une femme”.

26
Chucho el Roto était un célèbre bandit du XIXe siècle au Mexique, qui a volé les riches pour donner aux
pauvres, c'est le Robin Hood de la littérature mexicaine
27
Se réfère à une femme qui guérit, qui utilise des herbes et des prières pour exorciser ou guérir des maladies
ou des "maux" piégés dans le corps, aussi appelé Shaman ou sorcier. Plus courant en Amérique latine.
28
Dirige le Mexique de 1876 à 1911, instaurant un régime autoritaire nommé « Porfiriato ». Autoritaire, il
gouverne sans partage le pays pendant 34 ans jusqu'à la révolution mexicaine de 1911 qui le contraint à l'exil en
France, où il meurt en 1915.
Matilde montre le passage du temps dans cette scène avec un champ-contre champ de Angustias qui
écoute Anton (champ Angustias qui regarde curieuse son père, contre-champ de son père déjà vieux qui
raconte ses exploits, champ d’Angustias, maintenant une jeune femme, toujours avec une expression de
curiosité et d'admiration en écoutant son père).

Plus tard, Angustias rencontre Rito Reyes, qui veut l'épouser. Le père de Rito va alors demander la main
d'Angustias à Antón, qui demande à son tour à Angustias si elle veut épouser Rito. Angustias refuse,
Anton accepte la décision de sa fille et dit au père de Rito “c’est elle qui décide” en réfutant ainsi la
tradition selon laquelle le père devait choisir l'avenir de sa fille. Elle décide ce qu'elle veut, et son père
respecte ses décisions.

Cependant, cet événement a pour conséquence un certain rejet des femmes du village à l’encontre
d’Angustias, l'appelant "marimacha"29 pour ne pas avoir voulu épouser Rito. Elles remettent en question
sa sexualité (dans le roman, ils disent même qu'elle est lesbienne), pour elles et les hommes de la ville
cette attitude est inhabituelle. Elles voient Angustias comme quelqu'un de différent, ce qui représente
pour eux une menace pour l’”identité féminine” des femmes du village, et elles la rejettent, au point qu'ils
la lapident même et l'accusent d'avoir chez elle de mauvais esprits. Elle va ensuite chez Crescencia, la
“curandera” avec laquelle elle a vécu avant, et qui fait une "limpia"30 pour faire d'Angustias une “vraie
femme”. Mais juste après le “nettoyage spirituel”, Angustias vole le couteau de son père pour se défendre
de “El Coyote” un homme qui l’assaille à chaque fois que la protagoniste va chercher de l'eau. Elle se fait
alors justice de sa propre main lorsqu’elle tue El coyote, ironiquement avec l'arme qui représente le
pouvoir de l'homme dans la société. Landeta utilise des gros plans pour montrer la peur d'Angustias d'être
capturée pour le crime qu'elle a commis.

Angustias s'enfuit après ce qu’il s'est passé, et par malchance elle rencontre un groupe de bandits et de
violeurs qui la capturent pour l'emmener auprès de Don Efrén (leur chef) (voir image 6). Là, elle est
brièvement soumise à nouveau, insultée et harcelée. Elle parvient à s'échapper grâce à l'aide de
Huitlacoche qui, faisant partie du groupe de bandits, décide de leur tourner le dos et d'aider Angustias.
Quand ils s'échappent, ils arrivent finalement à une ville appelée Mesón del Maíz, qui est le lieu où El
Negro, le père d'Angustias, était connu pour ses actes courageux. Une nuit, alors qu'ils jouaient des

29
"Garçon manqué" en français.
30
Terme utilise pour définir ce qui font les "Curanderas", c'est le fait de "guerir" une personne.
corridos31 parlant d'El Negro, Angustias reconnaît la musique et prend le courage de se déclarer devant
eux comme la fille de "El Negro". Profitant de sa renommée, elle demande le respect et la reconnaissance
de son statut, et s'installe comme colonelle. Elle encourage les hommes à rejoindre la révolution, comme
son père à son heure. Landeta montre le changement dans les expressions d'Angustias dans un gros plan
avec une légère contre-plongée, où elle est d'abord triste, nostalgique, et change pour une expression de
courage, de décision. Les hommes la reconnaissent comme la fille de "El Negro" et aussi comme leur
nouvelle colonelle. Landeta utilise des plans généraux suivis de très gros plans pour illustrer les différents
individus du village (où on peut voir des indigènes, des pauvres, etc), et montrer la diversité et la force de
la nouvelle troupe révolutionnaire de la protagoniste. Les gens se lèvent, et Matilde nous montre aussi des
plans d'insert de sacs de riz, qui sont coupés avec des couteaux par les hommes d'Angustias, laissant
tomber les grains et les gens de la ville les ramassant avec une expression de bonheur et de soulagement.
Cette scène symbolique fait pour moi un certain rappel à la scène que Matilde a vue quand elle était
petite, celle dont je parle au chapitre 3. Elle vole aux riches pour donner aux pauvres, mais cette fois-ci les
rôles sont inversés, au lieu de mettre un homme en tant que colonel et justicier, c’est une femme, et elle
sera suivie par d’autres. Quel que soit son sexe, ils ne posent pas de questions à ce sujet ni ne contestent
son autorité.

La protagoniste demande alors des nouveaux vêtements, dans lesquels elle pourrait se sentir plus à l'aise.
Des vêtements qu'elle va utiliser pendant le reste du film : une chemise serrée et une jupe de charra32. Ce
qui est curieux parce que contrairement à elle, les femmes courageuses du cinéma de cette époque
portaient des pantalons et non des jupes, même l’Angustias du roman, qui ne porte une jupe qu’avant de
devenir colonelle, mais pour le reste de l'histoire elle utilise des pantalons. Angustias assume une nouvelle
identité féminine, qui est aussi courageuse, dominante et autoritaire. Une identité qui porte toujours une
jupe et ne dit jamais de mauvais mots, contrairement à l'Angustias de la vie réelle, qui selon Matilde usait
volontiers d’un langage châtié.

Maintenant, avec sa troupe d'hommes, Angustias est partie pour rencontrer l'armée zapatiste33 (voir image
7), mais sur le chemin, ils rencontrent Don Efrén “El Picado”, le même qui précédemment a capturé et
harcelé Angustias. Ceci est une scène rare dans les films de cette époque, parce que Landeta place la
protagoniste dans un rôle de juge qui condamne les hommes abuseurs des femmes, et c'est pourquoi elle

31
C'est une ballade mexicaine, qui est généralement basée sur un incident ou un événement historique, pour
Landeta "c'est l'histoire mise en musique"
32
Vêtements mexicains traditionnels, généralement avec de nombreux ornements. Vêtements rustiques.
33
Armée organisée et dirigée par le général Emiliano Zapata dans l'état de Morelos, au sud du Mexique. Il
est devenu l'un des premiers initiateurs de la révolution mexicaine.
condamne Efrén à la castration, pour "rendre justice à tous les femmes qui ont souffert à cause de lui",
selon Angustias. Pour cette scène particulière, et bien qu'il y ait toujours une présence musicale tout au
long du film, Landeta utilise la musique diégétique de Graciela Amador "Hay un Lirio" avec les voix du
trio Los Panchos34, dans un nouvel élan d'ironie, car cette musique romantique ne correspond pas à la
scène. Et avec cela, nous pouvons dire qu’elle défie l'image idéalisée et romancée du Mexique qui
transpirait de tous les pores des grands films de l'époque. Dans cette scène où la colère et l'ironie sont
mélangées, la réalisatrice utilise un plan d’ensemble qui montre le protagoniste en bas d'une colline tandis
que d'autre part on voit au premier plan un maguey35, considéré comme un symbole phallique, derrière
lequel est faite la castration de Don Efrén. Ce prélèvement du sexe masculin, qui pour Angustias est
l'initiateur du crime contre les femmes, est effectué afin que “les hommes soient moins mauvais”, comme
il est dit par Angustias.

Nous pouvons remarquer que tous les hommes qui font partie des troupes d’Angustias, et la plupart des
hommes des villages, sont habillés exactement de la même manière, à mon avis, comme s'ils
représentaient un même archétype d'homme. Et ce à l'exception du Huitlacoche, d’El coyote/Don Efrén et
du professeur d’Angustias, qui représentent sans doute différents "types" de personnalités masculines.
Respectivement, un l’aide et lui est fidèle ; un autre est un homme violent, agressif, “macho” ; et le
dernier, un homme blanc, efféminé mais macho, raciste et malinchista36. (Comme je l'ai expliqué dans le
chapitre précédent, ce sont des représentations typiques de la masculinité dans les films et les livres
mexicains). Et les femmes sont également représentées d'une manière soit soumise “bonne femme” ou
“mauvaise femme”, comme les prostituées. Angustias est la seule qui agit différemment, sauf quand elle
tombe amoureuse de son professeur (scène dont laquelle je parlerai prochainement).

Il y a aussi une scène où Angustias est dans un bar avec sa troupe, où il y a des prostituées qui à un
moment donné se font agresser. Angustias répond en demandant à ce qu’elles soient reconnues et
respectées, parce qu'elles supportent "la peste et la brutalité des hommes". À travers tout cela, Landeta
présente dans le film une femme pensante, avec une voix et une opinion, qui n’a pas peur de dire ce
qu’elle pense, et non celle d'une femme soumise et romantique.

La préoccupation et la remise en question des rôles culturellement assignés aux genres sont très marquées
dans ce film. Il est clair qu'Angustias recherche une équité et une égalité sociale. Atteindre l'équité entre

34
Est un trio musical romantique mondialement connu pour ses boléros.
35
Est un genre de plantes de la famille des Asparagaceae. Aussi appelé Agave, on fait la tequila et le mezcal
avec cette plante.
36
Celui qui a une préférence ou un engouement pour la culture étrangère (non-mexicaine).
les sexes à tous les niveaux, ce qui était aussi l'objectif assumé de Matilde. Bien que la colonelle ait un
rôle supérieur à celui de ses hommes, elle les traite tous de la même manière, et les éduque également à
l’aide du même discours d'égalité et d'équité. Surtout Huitlacoche, qui reste à ses côtés jusqu'à la fin.

Plus tard, il y a une scène dans laquelle Angustias capture et cherche à punir un autre homme, appelé
Uribe. Pendant cette scène, la femme de l’accusé intervient et supplie Angustias de le libérer. Si au début
elle refuse, elle accepte finalement quand la femme lui dit que s'il n'est pas libéré, cela laissera orphelin
l'enfant qu'elle porte dans son ventre. La protagoniste est sensibilisée, se rappelant comment elle était
presque orpheline quand elle était enfant, et se souvenant aussi de la chèvre jaune. Pour cette scène,
Landeta utilise un mouvement de caméra qui va de plan poitrine au très gros plan pour nous montrer la
réaction sentimentale d'Angustias à ce sujet. Matilde montre comment la relation entre le protagoniste et
les autres femmes est, montrant la maternité comme le moteur fondamental qui conduit les femmes et
avec lequel elles peuvent s'identifier les unes avec les autres.

Par la suite, la protagoniste cherche à être alphabétisée (montrant ici aussi un peuple qui ne sait ni lire ni
écrire), pour se démarquer en tant que révolutionnaire mais aussi pour comprendre les messages qui ont
été émis par le gouvernement. C'est là qu'elle rencontre le professeur Manuel, qui est présenté par sa
mère.

Angustias tombe amoureuse de son professeur et, pour attirer son attention sur elle, change radicalement
sa façon d'être et de s'habiller, c'est le seul moment où elle trahit et contredit ses idées. Elle revient au
système traditionnel des genres, se montre plus faible et montre ses sentiments envers quelqu'un qui
finalement ne lui correspond pas et la méprise pour être mulâtre. Le professeur lui dit même que le
mélange entre eux serait qu’un “croisement absurde”. Le comportement de l'enseignant est timide et
efféminé, une manière d'être très différente des hommes révolutionnaires, mais cela ne l’empêche pas
d'être macho et d’avoir un regard méprisant pour la classe populaire. Cependant, il y a encore un
renversement de rôles, car Angustias, une paysan dure devenu colonelle, est celui qui se déclare à lui, un
maître, urbain, délicat et blanc, “dominé” par sa mère. Encore une fois, une certaine ironie apparaît ici
quant à la façon dont les scènes d'amour étaient généralement représentées dans les films de l'époque : les
rôles sont dans le film complètement inversés.

Pendant quelques instants, Angustias quitte complètement sa cause révolutionnaire, semble désemparée et
avec le cœur brisé refuse de continuer à se battre. Huitlacoche, fidèle et amoureux d'elle, reste à ses côtés.
Mais on parvient à tuer celui-ci, et Angustias, qui voit que son ami est mort, réalise sa propre trahison de
la cause. Elle retourne donc au mouvement révolutionnaire après sa déchéance romantique. Ceci Landeta
le montre en gros plan pour accentuer la réaction d'Angustias, qui fait une transition rapide de femme
triste à femme forte. Le film se termine avec Angustias qui décide de continuer son odyssée
révolutionnaire. Ici Matilde montre comment le temps passe avec un fondu enchaîné, et les troupes
d'Angustias circulant d'un côté à l'autre du pays, au son de la protagoniste criant: "Vive la révolution, vive
le Mexique!".

Dans le roman, la fin est très différente. Landeta a reconnu que la fin de Rojas Gonzales l’insatisfait
"parce que dans le roman, la femme déjà alphabétisée est réduite au silence par le discours patriarcal de la
nation" dit Matilde. Dans le roman, Angustias enlève Manuel et l'emmène à Mexico, où elle l'épouse. Plus
tard il assume un rôle de mari tyrannique et infidèle qui utilise le fait qu'Angustias est une colonelle pour
obtenir un emploi dans le gouvernement, et Angustias finit avec un fils de Manuel, vivant abandonné dans
une "casa menor"37, "emprisonné" par son amour impossible, chantant, heureuse, à son fils, en changeant
ses couches. Un final qui est complètement contradictoire avec les idéaux révolutionnaires de la
protagoniste au début de l'histoire.

En ce qui concerne le discours “racial”, Landeta et Rojas semblent sauver la figure du mulâtre et
l'incorporer dans leurs récits, bien que le Mexique soit une société qui semble nier l’existence des afro-
mexicains et des natifs. Ce fut le troisième film des années 40 à avoir un protagoniste mulâtre, mais le
premier dans lequel celui-ci elle est une héroïne.

Dans le film, Landeta parvient à faire qu’Angustias reconnaisse son identité raciale après que Manuel lui
ait fait savoir à quel point le mélange entre eux serait ridicule selon lui. La protagoniste demande à
Huitlacoche de lui apporter un morceau de miroir, allégorie de son identité fragmentée, pour voir
pourquoi Manuel l'a rejeté. Angustias reconnaît sa noirceur comme un obstacle à l’amour d'un professeur,
alphabétisé et blanc. Avec un plan poitrine, Landeta capture la conversation entre Huitlacoche et
Angustias, en montrant à nouveau leur côté noble, mais fait de Huitlacoche le plus lucide, qui lui
conseille de se réveiller de cette illusion car "devant les yeux de Dieu nous sommes tous de la même
couleur". Il lui dit qu’elle doit parvenir à voir que Manuel n'est pas un des siens, qu'il a une âme "noircie"
parce qu'il déteste les inférieurs et cherche l'amitié des riches, et qu'elle a une âme "blanche" pour se
battre pour ceux qui n’en ont pas.

37
En Amérique Latine, une casa menor ou une casa chica est une maison où une "querida (femme
maintenue)" est reléguée par un homme marié qui ne vit pas avec elle.
Landeta a essayé avec ce film de briser les catégories rigides de genre et de race qui étaient présentes dans
la société des années 40, montrant à son public l'exploration d'autres réalités possibles et une autre identité
féminine et raciale dans laquelle est inclus le mulâtre. Ses films, avec une touche de “féminisme en
avance sur son temps”, sauvent les voix des marginalisés ou les transforment en personnages visibles
qu'Angustias représente et défend dans le contexte de la Révolution. Elle montre une femme qui est
contre la violence et l'inégalité en général, qui est forte et non soumise, et qui agit à ce sujet.

En ce qui concerne la distribution de ce film, dû au fait que Matilde avait déjà eu beaucoup de problèmes,
dans une interview, elle dit: "Je ne voulais pas que le film soit sorti par l'association des producteurs
mexicains, alors je suis allée voir mon ami Gabriel Alarcon, propriétaire d’une chaîne de théâtres à travers
le pays, et nous avons convenu que la première du film serait faite à Monterrey. J’ai pris personnellement
en charge la publicité et tous les aspects de la première. Le film a été un succès auprès du public et des
critiques, mais certains pays comme le Pérou, la Bolivie et Cuba l'ont interdit au prétexte qu'il était trop
"révolutionnaire". (Voir image 8)
INTERVIEW AVEC PATRICIA DIAZ

J’ai fait une interview avec Patricia Díaz, réalisatrice d'origine colombienne qui vit et travaille à Londres.
En 1989, elle a eu l'occasion de rencontrer Matilde et, en 1990, elle est allée au Mexique et a réalisé un
court-métrage sur elle et ses films, dans lequel elle a eu plusieurs interviews avec Matilde et d'autres
réalisatrices mexicaines comme María Novaro et Marcela Fernandez-Violante. Voici une partie de cette
interview:

Maria - J'ai vu ton court-métrage sur Matilde, pourquoi as-tu décidé de faire ce travail sur elle et ses
œuvres?

Patricia - J'ai rencontré Matilde lors d'un festival à Paris en 1989, où elle a reçu une mention honorable et
a été interviewée à plusieurs reprises. À mon retour à Londres, je travaillais à cette époque sur une série
de mini documentaires pour la télévision anglaise, j’ai donc proposé à cette chaîne de télévision de faire
un chapitre sur Matilde au Mexique. Le projet a été accepté et c'est comme ça que nous sommes partis.

Matilde a été très généreuse avec nous, elle nous a accueillis chez elle et nous avons fait plusieurs
interviews, un peu comme celles du documentaire. Elle était très calme, conviviale et joyeuse, elle nous a
emmené rencontrer sa famille à San Luis Potosí, et plus tard, quand l'émission a été diffusée à Londres,
elle est venue nous rendre visite et était ici avec nos amis et notre famille, nous avons passé un très bon
moment.

Par la suite, c'était un programme qui ne se diffusait qu’une seule fois et maintenant ne peut être vu que
sur mon site. À l'époque il a été sélectionné dans certains festivals et a eu une mention honorable lors d'un
festival à San Antonio, au Texas.

Maria - Que penses-tu de son parcours et de son travail? Dis-moi un peu plus comment elle était.

Patricia - Matilde, ce qu’elle avait, c’est qu’elle était la pionnière du cinéma dans son pays, et elle était
aussi celle qui a commencé à faire ces changements difficiles dans cette industrie. Elle me racontait à quel
point le processus était difficile et épuisant : être une script, passer à l'assistanat et enfin être réalisatrice.
Elle devait lutter avec le cliché d'être une femme, contre tous les hommes du syndicat qui ne la prenaient
pas au sérieux. Je me souviens qu'elle a dit, je pense qu'elle le dit dans le documentaire aussi, comment
une fois ils ont coupé le pantalon qu'elle a laissé dans son casier, parce que les gars voulaient se rebeller
sur le fait qu'elle avançait et qu'elle voulait être réalisatrice. C'était très intéressant de la rencontrer et de
lui parler. Vraiment les choses qu'elle a endurées en tant que femme dans un pays comme le Mexique à
son époque étaient très difficiles. Puis aussi, elle regrettait de ne pas pouvoir continuer à faire des films,
car son rêve était de faire des films jusqu'à sa mort, et elle le ressentait comme un échec dans sa vie.

Quelque chose de très difficile était aussi la question financière. Je ne sais pas si ta famille le sait mais
elle a mis la fortune familiale en danger, et c'est très dangereux de faire des films est très coûteux et
risqué. Elle a dû hypothéquer la maison et tout, heureusement ils n'ont pas tout perdu.

En ce qui concerne ses films, je pense qu'ils sont très intéressants dans le sens où les histoires de ses films
tournent autour d'une femme, quelque chose qui n'était pas commun à cette époque où les histoires
tournaient autour des hommes. Cela rompt également avec les stéréotypes de la représentation des
femmes à cette époque, Angustias, par exemple, est une mulâtresse, volontaire et courageuse. Je
l'admirais beaucoup parce qu'elle osait rompre avec ces stéréotypes à un moment et à un endroit où c'était
très difficile.

Maria – Pour parler un peu du présent, je suis encore étudiante et je n'ai pas encore fait grand chose dans
le monde du cinéma, mais pour ce que j’ai pu vivre en tant que Latina en Europe et au cinéma -et peut-
être es tu d’accord avec moi, étant colombienne en Angleterre- je pense que, en général, ça a été difficile
d'avoir une certaine crédibilité. Nous avons un accent, une façon de nous exprimer et de voir la vie
différemment des gens du pays où nous nous trouvons. Cela a été difficile pour moi, mais j'ai appris à
faire face. Est-ce que tu peux me dire comment a été ton expérience dans le cinéma en Europe, en tant
qu'étrangère et aussi en tant que femme, par rapport à ton expérience en Colombie?

Patricia - Je suis d'accord avec toi, ce n'est pas facile, on perd beaucoup de choses lorsque on arrête de
vivre dans notre pays. Nous perdons des relations, on vit loin des événements familiaux. Moi je sens
comme si je vois tout ce qui se passe dans mon pays depuis la périphérie, et je ne me sens plus très
colombienne comme avant. Mais je crois aussi que l'on gagne beaucoup de choses. C'est un équilibre, on
apprend à créer une certaine perspective sur les choses. J'ai acquis de la sagesse, j'ai appris d'autres
langues, j'ai fondé une famille ici aussi. Il y a aussi le fait de vouloir faire quelque chose pour notre pays,
et j'estime que le fait de voir mon pays de loin crée une certaine objectivité au moment de vouloir faire un
travail artistique en Colombie.

Ça, c’est au plan personnel. Maintenant, dans le monde professionnel, les choses sont très différentes ici
et en Amérique latine. Il y a encore des difficultés pour les femmes mais pas autant qu'en Colombie. J'ai
travaillé dur mais j'ai créé mon réseau de contacts ici et j'aime ce que je fais.
Je pense qu'il y a un problème dans des pays comme le Mexique ou la Colombie, c’est que de nombreux
étudiants ou jeunes professionnels ont le rêve de quitter leur pays natal pour aller à Hollywood pour
réussir, un peu comme Iñárritu ou Cuaron. Maintenant, il est vrai que les grandes plates-formes comme
Netflix ont fait que les choses changent dans nos pays. Grâce à cela il y a eu une grande augmentation
dans la production, que ce soit des séries ou des films, ce qui est bon. Mais alors, tu regardes le contenu et
c’est toujours la même chose, il faut suivre une certaine formule pour être acceptée ou pour que ce soit un
succès. Ce modèle détermine beaucoup ce qui peut ou ne peut pas être produit, et détermine également le
contenu, qui peut être dit ou non sur la réalité.

La représentation de certains groupes ethniques, tels que la représentation des femmes, ou même la
représentation des noirs dans le cinéma hollywoodien, a toujours un certain schéma. Par exemple,
combien de documentaires as tu déjà vu sur l'avortement ou le viol en Amérique latine? C'est un sujet qui
peut intéresser beaucoup de personnes. Mais, qui pourrait être intéressé à le produire ou à le distribuer?
Par exemple, Netflix, ils seront intéressés par beaucoup de choses, mais cela ne les intéressera pas. Bien
sûr il y a des exceptions, des films indépendants qui ont réussi à exceller ou à faire des choses nouvelles
et différentes.

Je crois que les femmes ne sont toujours pas suffisamment représentées dans le monde du cinéma et ma
génération a très peu réussi à changer cela. Et je pense, qu'il est temps que votre génération déclare avec
conviction ce qui nous appartient, comment nous sommes représentées dans le cinéma, et comment cette
représentation est reçue et appréciée par le spectateur, par la société immédiate. Il est important de
commencer à y réfléchir car ce qui est affiché à l'écran est une manipulation totale. Il n'y a rien qui n'ait
été pensé et manipulé en général, et nous devons en être conscients et ne pas répéter les schémas et les
stéréotypes. Je pense que nous devons faire plus pour être entendues et respectées, et si le cinéma est un
moyen de rompre avec les modèles et de faire entendre la voix, je pense que les cinéastes de votre
génération devraient le faire. Il faut que plus de femmes racontent leurs histoires, des histoires qui les
concernent.
CONCLUSION

Faire ce travail de fin d’études a été très enrichissant. Je me suis immergée complètement dans l'histoire
cinématographique de mon pays et d'une certaine manière je me suis connectée plus avec mes racines et
mon histoire familiale. Je réalise comment était Matilde et sa vie, elle est pour moi une femme de
caractère, très courageuse et audacieuse pour son temps.

Actuellement, je pense que les personnages féminins du cinéma mexicain ont acquis une grande force,
avec des histoires attachantes et puissantes qui vont au-delà de la recherche d'amour ou d'un couple (ce
qui était le cas à un moment donné), pour explorer des sujets tels que l’enrichissement personnel ou même
professionnel, ou surmonter l'adversité.

Parmi les cinéastes exceptionnels, nous avons des icônes comme bien sûr Maria Novaro, qui a commencé
sa carrière en tant qu'assistante réalisatrice d'Alberto Cortés dans Amor a la vuelta de la esquina (1984).
Lola (1989) est son premier long métrage, suivi par Danzón (1991). Son travail est bien connu au
Mexique et à niveau international également.

Je voudrais citer aussi quelques jeunes réalisatrices comme Natalia Beristain, Yulene Olaizola, Elisa
Miller, Mariana Chenillo, Claudia Saint-Luce, entre autres, cinéastes qui ont contribué à renforcer et à
élargir avec leurs histoires l'univers thématique et esthétique du cinéma mexicain. Ce sont des
réalisatrices reconnues dans les festivals nationaux et internationaux, qui, depuis la fiction ou le
documentaire, ont réussi à capter l'attention du spectateur avec leurs propositions d’un regard sur
l'histoire, une réflexion sur la violence, les conflits familiaux ou les processus de deuil face à la perte.
Sur les 162 films réalisés en 2016, 49 étaient des productrices; 37 réalisés par des réalisatrices et 34 autres
scenarios écrites par des femmes.

En ce qui concerne mon interview avec Patricia, j'ai décidé de parler de son expérience en tant que Latina
vivant en Europe. Pour moi c’est un point fort que nous avons en commun. L’Amérique latine et l’Europe
sont très différentes dans l’histoire et aussi au cinéma, et il m'intéressait de savoir quelle était son
expérience et si elle avait regretté d’avoir quitté la Colombie. Même si nous venons de différentes
générations et que nous venons de différents pays, c'est un problème important pour moi, car maintenant
que j'ai presque terminé mes études et je me pose la même question. J'aimerais faire des films dans mon
pays et y contribuer. Mais le statut pour les femmes n’est pas facile au Mexique. D’une certaine manière
nous sommes toujours coincées dans le même cliché selon lequel les femmes ne sont pas vraiment prises
au sérieux autant comme les hommes. Nous vivons dans un pays où les questions telles que l’avortement
clandestin ou le fait qu’une femme ne peut pas voyager ou sortir la nuit seule sans risquer d'être tuée ou
violée, ne sont pas réglées. Et pour cela je pense que nous avons encore un long chemin à parcourir.
J'aime mon pays, et j'aimerais un jour pouvoir y retourner et pouvoir faire ce que j'aime sans crainte.

En ce qui concerne le cinéma, on peut dire qu’il y a plus d'opportunités qu'il y a 70 ans, et que l’on aborde
de plus en plus les problèmes réels, avec la comédie et l'humour noir des mexicains bien sûr. On a quand
même réussi à rompre avec certains stéréotypes et formes de représentation, le machisme en général, que
ce soit sur le plateau ou dans la représentation à l'écran, n'est plus toléré comme avant. Oui, il est
important de prendre en compte que les choses ont changé depuis l'époque d'or.
BIBLIOGRAPHIE

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Bartra, Eli (2012) How Black is La Negra Angustias?. Third Text.

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Diaz, Patricia (1990): My filmmaking, My life : Matilde Landeta, (https://www.patricia-diaz.com/).

Hershfield, Joanne (2010): La mitad de la pantalla: La mujer en el cine mexicano de la epoca de oro.
Antalogia la mitad de la pantalla.

Huaco-Nuzum, Carmen (1987): Matilde Landeta. An Introduction to the Work of a Pioneer Mexican
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Murillo Tenorio, I. (2013): De la revolución a la pantalla : La representación de la mujer revolucionaria


en La Negra Angustias de Matilde Landeta (Thèse de master). Universidad autónoma de Queretaro,
Mexique.

Paz, Octavio (1950): Laberinto de la soledad Octavio Paz. Fondo de Cultura Economica.

Villalobos Graillet, José Eduardo (2016): Las paradojas de la mexicanidad sobre el género y el mestizaje
en la adaptación cinematográfica La negra Angustias de Matilde Landeta y en la novela de Francisco
Rojas González. Cincinnati Romance Review.
ANNEXES

Image 1. Matilde Landeta, Photographe inconnu.

Image 2. Matilde Landeta, 1940, localisation et


photographe inconnu.
Image 3. Matilde Landeta pendant une interview à Mexico en 1985, photographe
inconnu.

Image 4. "Doña Marina (La Malinche) par


Diego Rivera, 1940
Image 5. Affiche de La Negra Angustias.

Image 6. Extrait de La Negra Angustias.


Image 7. Extrait de La Negra Angustias.

Image 8. L'équipe du tournage de La Negra Angustias, avec la réalisatrice Matilde Landeta au milieu et, à
cote à droit, Maria Elena Marquez, qui a joue le rôle principale.

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