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ses parents se sont noyés

quand il était enfant. Aujourd’hui, pris


en otage au Cameroun, il affronte
une autre épreuve
En août 2012, en pèlerinage à Tokombéré, où vécut Baba Simon,
le premier prêtre camerounais, le père Georges et un diacre camerounais
célèbrent l’eucharistie en présence d’un jeune Français de Garches.

Le chemin de croix
En guise de ciboire, un panier tressé par des paroissiens. Georges Vandenbeusch
voulait vivre sa foi comme un Africain. Il officiait dans le nord du Cameroun, à
la frontière avec le Nigeria, où, en février, les Moulin-Fournier, avec leurs quatre
enfants, ont été pris en otage durant deux mois. Mais le père Georges ne voulait

du Pere Georges
pas abandonner ses fidèles. Il a été enlevé dans la nuit du 13 au 14 novembre par
des islamistes radicaux des sectes nigérianes Boko Haram et Ansaru. Orphelin à
7 ans, scout à 12, joueur de rugby et montagnard confirmé, le père Georges, 42 ans,
1,82 mètre, présente, aux dires de ses amis, toutes les caractéristiques d’« un homme
qui ne se laissera pas abattre ». Il devient le septième otage français dans le monde.
Il avait choisi de rester. Partir
resté en connaissance de cause », explique
le père Hugues de Woillemont, vicaire

était prudent mais aurait donné un


­général du diocèse de Nanterre.

signal d’abandon à la population


Le père Georges n’est pas une tête
brûlée. Sa grande expérience de la mon-
tagne lui fait appréhender le risque avec
Pa r J acq u e s D u p l e s s y e t G u i l l a u m e d e   M o r a n t calme. En février dernier, le père Nicolas
Le Bas est au Cameroun avec Georges
au moment de l’enlèvement de la famille
e père Georges Vandenbeusch, 42 né le 22 octobre 1971 à Meudon, a été re- étonnamment mûre. Au collège, il tisse des Moulin-Fournier. « L’ambassadeur de
ans, enfourche sa moto pour rendre cueilli par ses grands-parents paternels, amitiés durables. Depuis peu, l’institut France et l’attaché militaire sont venus
visite aux familles dont beaucoup dans la même ville à l’ouest de Paris. Le Notre-Dame, devenu mixte, accueille ses le voir à Maroua. Le militaire lui a dit
vivent dans un dénuement total. garçon est inscrit à l’institut Notre- premiers garçons. « Il fallait trouver une que les risques étaient partout. Il ne lui
Curé depuis septembre 2011 de la Dame, un établissement catholique qui activité très physique qui puisse aussi sou- a pas donné la consigne de partir, même
paroisse de Nguetchewé, dans l’ex- mène les enfants de la maternelle au der un groupe, poursuit Michel Bes. Nous s’il le lui conseillait. » Depuis ce rapt, le
trême nord du Cameroun, c’est lycée. « A la rentrée scolaire 1979, une avons décidé de lancer une équipe de prêtre prenait des précautions. Il ne cir-
ainsi qu’il se déplace. Ses jour- dame est venue me parler de son petit- rugby. » Pour Georges, ce sport est un culait plus de nuit. Dans une lettre à ses
nées commencent par la fils », raconte Michel Bes, son ancien prof ­révélateur. Il devient capitaine de l’équipe, amis en France, il raconte aussi qu’il se
messe de 5 h 45, puis il se plonge dans d’éducation physique. La grand-mère et et sa détermination sur le terrain impres- barricade le soir au presbytère à cause
l’immensité des problèmes à régler. Le son mari veillent désormais à l’éduca- sionne. « C’était un costaud de 1,82 mètre. des voleurs. « Mais il voulait rester, té-
prêtre se bat pour l’éducation des jeunes tion de Georges, dont les parents sont Il valait mieux ne pas se trouver sur son moigne le père Le Bas. Partir, c’était en-
filles. Des familles témoignent qu’il paie morts dans un accident au cours de l’été. chemin, il jouait efficace ! » témoignent lever le risque pour soi, mais donner un
parfois les frais de scolarité pour les plus François Malissin et Rodolphe Denis, signal d’abandon à la population. Il vivait
pauvres, sans distinction de religion. Et Le drame s’est produit dans la nuit du deux amis de jeu. Autre camarade d’école, normalement, sans paranoïa. »
puis il y a l’afflux des réfugiés, dans cette 20 août 1979, en Corse. Jean-Louis Van- Antoine Loyer, lui aussi devenu prêtre, se Ces précautions n’auront pas suffi.
région déstabilisée par le conflit armé qui denbeusch, 36 ans, ingénieur commer- souvient de sa maxime favorite : « Je bour- Peu après 23 heures, dans la nuit de mer- La coupure de presse de
agite le Nigeria tout proche. « Le père cial, et sa femme, Janine, 38 ans, ont loué rine au début et j’accélère à la fin. » credi, une quinzaine d’hommes armés, « Nice-Matin », le 21 août
Georges les aide comme il peut. Son un voilier pour faire le tour de la Corse. arrivés à moto, investissent la mission 1979, qui annonce la
­action est aussi appréciée par les musul- Ils naviguent au large d’Ajaccio avec leur Après des études d’histoire, il entre au catholique de Nguetchewé. Les terro- noyade accidentelle de
mans que par les chrétiens », raconte le fils unique. Soudain, l’hélice se bloque. séminaire d’Issy-les-Moulineaux. Là, il ristes se rendent d’abord chez les trois ses parents. En janvier Dans le même
père Nicolas. D’énormes problèmes sani- Paniqués, les plaisanciers se jettent à crée l’équipe de ballon ovale, car il a religieuses qui y vivent. « Les bandits 1989, à Rome, avec les temps, les négociations
taires se posent au quotidien. Il y répond l’eau. Seul le petit garçon de 7 ans de- aussi la religion du rugby. Pour rien au leur ont réclamé de l’argent, raconte le chefs de patrouille des pour obtenir la libéra-
avec efficacité. Georges Vandenbeusch, mande un gilet de sauvetage. A la nage, monde il ne manquerait la lecture du père Henri Djongyang. Elles ont dit non, les spécialistes perplexes, car scouts d’Europe. Georges tion du prêtre ont déjà
Georges regagne le rivage. journal spécialisé « Midi olympique ». car elles n’en avaient pas. Du coup, ils ­Ansaru, apparue en janvier 2012, est est debout. Amoureux commencé. François
L’église de la mission Seul. On retrouvera le corps Son acolyte de l’époque, Antoine Loyer, sont repartis vers la maison du père, à une faction dissidente de Boko de la montagne où il se Hollande a clairement
catholique de de sa mère, jamais celui de se souvient : « C’était vigoureux, le sémi- moins de 100 mètres. » Haram. ­Aucune coordination entre sent « plus proche laissé entendre qu’il
Nguetchewé où le père son père. L’épreuve aurait pu naire. Les comptes se réglaient sur le ter- Le père Georges a juste le temps de les deux groupes n’est connue. Boko de Dieu », ici au s’appuierait sur les au-
Georges s’était installé il le détruire, elle va au contraire rain. Mais ce qui était surprenant chez prévenir l’attaché militaire de l’ambas- Haram avait revendiqué l’enlève- Grand-Saint-Bernard, torités camerounaises
y a deux ans. le construire, lui donnant une lui, c’était sa douceur et sa délicatesse. Il sade de France, avec son téléphone por- ment de la famille Moulin-Fournier en février 2009. pour les pourparlers.
La chambre-bureau du grande force intérieure. était aussi puissant physiquement qu’hu- table, avant que ses agresseurs ne en février 2013, et Ansaru détenait Les réseaux du prési-
père, d’où il a été arraché L’enfant, jusqu’alors ré- mainement. » Ordonné prêtre en 1998, il défoncent la porte à coups de pierres. Ils Francis Collomp depuis décembre 2012. dent Paul Biya ont permis la libération
par ses ravisseurs. servé, révèle une personnalité devient vicaire à Rueil-Malmaison, puis fouillent la maison mais échouent à ouvrir Les cinq mosquées de Nguetchewé ont des Moulin-Fournier. Christine Robi-
George Vandenbeusch responsable des vocations pour le dio- le coffre-fort. « Comme la population était condamné unanimement l’enlèvement chon, ambassadrice de France au Came-
se déplaçait à moto. cèse. Nommé curé de la paroisse Saint- alertée, ils ont décidé de repartir avec lui », du père Georges. roun, s’est rendue samedi à Maroua, le
Jean-Baptiste, à Sceaux, en 2002, il y poursuit le père Henri. Un témoin ra- La nouvelle du rapt a déclenché une chef-lieu de la région de l’extrême nord,
restera jusqu’à son départ pour le Came- conte que le curé a été poussé pieds nus mobilisation tant en France qu’au Came- pour évoquer le dossier avec le gouver-
roun comme prêtre « fidei donum », un par ses ravisseurs qui criaient : « Avance ! roun. Jeudi soir, une veillée de prière a neur. Elle a aussi demandé aux Français
échange entre les diocèses de Maroua et Avance ! » Il est embarqué de force sur réuni 500 personnes à l’église de Sceaux de quitter la région, « devenue dangereuse
de Nanterre. une moto en direction du Nigeria. Ses ra- dont Georges Vandenbeusch fut le curé après l’enlèvement du prêtre français ».
Georges est arrivé au Cameroun en visseurs emportent aussi quelques objets, jusqu’à son départ en Afrique. « Quand Tous ses amis sont persuadés qu’il re-
septembre 2011. Depuis, la situation s’est dont son ordinateur portable. Une valise on se dit au revoir au Cameroun, on dit : viendra. Le père Didier Berthet, directeur
dégradée, mais le prêtre a fait le choix de contenant un chéquier à son nom a été “On reste ensemble.” Georges, on reste du séminaire d’Issy-les-Moulineaux, qui
partager la vie de ceux qu’il est venu ser- retrouvée un peu plus tard sur la route ensemble dans cette épreuve », a déclaré a été séminariste avec lui, le connaît bien.
vir, malgré les risques qu’il connaît bien. menant à la frontière nigériane. une de ses anciennes ouailles, Catherine « C’est un homme qui ne se laisse pas
« C’est difficile pour tout le monde, et pour Soublin, qui lui a rendu visite au Came- abattre. Il a une résistance physique re-
moi aussi », avait-il confié il y a quelques Son enlèvement serait le résultat roun. Le même soir, une autre veillée de marquable et une grande capacité à en-
jours à l’évêque du diocèse de Maroua, d’une opération conjointe de membres des prière se tenait dans sa paroisse au Ca- caisser. Il est maître de lui-même, animé
venu une nouvelle fois le mettre en garde. sectes nigérianes Boko Haram et Ansaru, meroun. Sur Facebook, la page « Soutien par une force spirituelle qui lui permettra
« Un berger n’abandonne pas son trou- selon un communiqué des ravisseurs dif- au père Georges » compte vite plus de de traverser cette épreuve comme les
peau quand il traverse des épreuves. Il est fusé le vendredi. Cette déclaration laisse 16 000 abonnés. autres épreuves de sa vie : tête haute. » n

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