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OBSTACLES EPISTEMOLOGIQUES

RELATIFS A LA N O T IO N DE LIMITE
Anka Sierpiriska
Institut Mathématique
Académie des Sciences de Pologne

ABSTRACT
The present paper is concerned with a research the direction , of which
was indicated by Guy Brousseau in his 1983. To discover the epistemo­
logical obstacles connected with mathematics to be taught at school and
to .elaborate didactical means to help the students to overcome them —
these are, briefly, two main problems of this research programme. In
this paper, the particular case of the notion of limit is considered and
only the first of the two above mentionned problems is dealt with : a list
of epistemological obstacles relative to the notion of limit is proposed ;
there are no proposals of didactical situations enabling the students to
overcome these.

RESUMEN
La investigaciôn que trata este articulo se situa dentro de la linea
de investigaciones indicadas por Guy Brousseau (1983). Descubrir los
obstâculos epistemolôgicos ligados a las matemâticas que se ensenan en la '
escuela y encontrar los medios didâcticos para ayudar los alumnos a
superarlos. Brevemente presen tamos aqui dos problemas principales de
ese programa de investigaciôn. Se trata del caso particular de la nociôn de
limite y el articulo toca solamente el primera de esos problemas : se
propone una lista de obstâculos epistemolôgicos relativos a la nociôn de
limite présentes todavia en los alumnos de hoy en dia ; no se proponen
situaciones didâcticas que permitirian a los alumnos de superar esos
obstâculos.

RESU M E
La recherche dont il est question dans le présent article se place dans la
voie des recherches indiquée par Guy Brousseau dans son (1983). Décou­
vrir les obstacles épistémologiques liés aux mathématiques à enseigner à
l’école et trouver les moyens didactiques pour aider les élèves à les

Recherches en Didactique des Mathématiques, Vol. 6, n°l, pp. 5-67, 1985.


6 Recherches en Didactique des Mathématiques
surmonter — voilà, brièvement, deux principaux problèmes de ce pro­
gramme de recherche. Ici, il s’agit du cas particulier de la notion de
limite et l’article ne touche qu’au premier de ces problèmes : on propose
une liste d’obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite pré­
sents encore chez des élèves d’aujourd’hui ; on ne propose pas les situa­
tions didactiques qui permettraient aux élèves de franchir ces obstacles.

Anka SIERPINSKA
Institut Mathématique, Académie de Pologne
U L Sniadeckich 8
00950 Varsovie Pologne
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 7

I. Introduction
La recherche dont nous allons rendre compte se donnait
pour but la mise en évidence d’obstacles épistémologiques
relatifs à la notion de limite. Nous rencontrerons donc
deux notions clés :
obstacles épistémologiques
limite.
En ce qui concerne la limite, il s’agit d’une notion topo­
logique, bien connue des mathématiciens, basée sur deux
notions : celle d’ensemble et celle d’application d’un espace
topologique dans un autre et qui obéit à la définition géné­
rale suivante :
si f : A —* Y est une application d’un sous-ensemble A
d’un espace topologique X dans un espace topologique Y et
Xç, est un point d’adhérence de A, alors on dit que y de Y
est'limite de f en Xç, si pour tout voisinage V de y dans Y il
existe un voisinage U de ^ tel que ^ A D ^ ^ ) c V.
La notion d’obstacle épistémologique, telle qu’elle est
actuellement utilisée dans les recherches en didactique des
mathématiques est beaucoup plus controversée et a donné
heu à plusieurs interprétations (Brousseau 1983, Duroux
1983, Glaeser 1984).
Pour notre part, nous retiendrons deux aspects de la
notion d’obstacle épistémologique selon G. Bachelard (Ba­
chelard 1938) :
— l’apparition des obstacles a un caractère inévitable.
Dans la citation célèbre où il introduit le terme « obstacle
épistémologique » Bachelard écrit :
« C ’est en termes d ’obstacles qu’il faut poser le pro­
blème de la connaissance scientifique. Et il ne s’agit pas
de considérer les obstacles externes, comme la complexité
et la fugacité des phénomènes, ni d ’incriminer la faiblesse
des sens et de l’esprit humain : c’est dans l’acte même de
connaître, intimement, qu’apparaissent, par une sorte de
nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles. C ’est
là que nous montrerons les causes de stagnation et même
de régression, c’est là que nous décèlerons des causes
d ’inertie, que nous appellerons obstacles épistémologi­
ques » (Bachelard 1938, p. 13).
8 Recherches en Didactique des Mathématiques

Ici, c’est le mot « nécessité » qui nous paraît le plus


important. Il souligne le fait que cela n’a pas de sens de
chercher à éviter les obstacles ; on doit buter contre l’obsta­
cle, en prendre conscience et ensuite le franchir pour pro­
gresser dans le développement de son savoir.
— La répétition de leur apparition dans la philogénèse et
l’ontogénèse des concepts. Cette idée n’est pas explicite chez
Bachelard, mais on peut trouver, par exemple, page 7 :
« Même chez l'homme nouveau, il reste des vestiges du
vieil homme. En nous, le 18e siècle continue sa vie
sourde ».
et page 17 :
« La notion d ’obstacle épistémologique peut être étu­
diée dans le développement historique de la pensée scien­
tifique et dans la pratique de l’éducation ».
Dans la conception qui va être utilisée ici de la notion
d’obstacle, c’est à ces deux aspects que nous ferons réfé­
rence en disant que, pour un concept mathématique déter­
miné il est possible de mettre en évidence des causes de
lenteurs et de troubles dans l’acquisition du concept qui :
1) sont spécifiques de ce concept et de lui seul,
2) sont telles que leur prise de conscience est indispensa­
ble pour le développement de ce concept.
C ’est l’ensemble de ces causes que nous appellerons obs­
tacle épistémologique relatif au concept mathématique en
question.
La seconde condition correspond évidemment au premier
aspect présenté plus haut. La première condition corres­
pond, elle, au second aspect, car, si on retrouve la manifes­
tation d’un comportement déterminé aussi bien dans l’his­
toire que chez les élèves d’aujourd’hui, on est fondés à y
voir un caractère spécifique du développement du concept
déterminé et non pas la seule marque des conditions de
l’enseignement, par exemple ses moyens et ses méthodes.
C ’est dans ce sens que, dans le cadre de notre recherche,
l’histoire joue le rôle d’un outil. Toutefois, l’étudè histori­
que ne s’effectue pas parallèlement à l’étude expérimentale.
Ces deux études sont en interaction. D ’une part, on peut
espérer que la connaissance des conditions historiques dans
lesquelles un obstacle a été reconnu et ensuite franchi nous
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 9

aidera à comprendre les sources et la nature d’un obstacle


analogue découvert chez les élèves ; d’autre part, il est
possible que la découverte et l’analyse des obstacles ou des
difficultés rencontrés chez l’élève d’aujourd’hui permette de
jeter quelque lumière sur les points de vue adoptés par des
mathématiciens du passé.
Avant de mettre en œuvre ce type d’analyse, nous allons
présenter un dispositif expérimental à travers lequel vont
être saisis des comportements d’élèves placés dans une si­
tuation d’élaboration d’une définition opératoire de la no­
tion de limite.

II. Organisation de l’expérience


Il s’agit essentiellement d’une étude de cas : on analyse le
travail de 4 élèves répartis en deux groupes de 2.
L’expérience s’est déroulée en deux étapes. Au cours de la
première, il s’agissait de préparer l’identification de la tan­
gente comme limite d’une sécante variable. Au cours de la
seconde, on posait le problème qui consiste à trouver l’équa­
tion de la tangente à la courbe y = sinx au point x = o.
Les deux paires d’élèves participaient à chaque étape, en
se transmettant des informations par le moyen de commu­
nications écrites, communications dont le contenu était éla­
boré en commun par les élèves de l’équipe.
Au cours de la première étape, l’une des deux équipes est
celle des Emetteurs, l’autre celle des Récepteurs. L’expéri­
mentateur va transmettre aux Emetteurs une certaine
conception de la tangente comme limite d’une sécante va­
riable, à l’aide d’un dispositif simple, sans recourir àl la
parole. La tâche des Emetteurs va consister à transmettre ce
qüi a été montré aux Récepteurs, par écrit, sans avoir le
droit d’utiliser de dessins. Une seule communication écrite
doit être préparée par les. deux Emetteurs.
Au cours de la deuxième étape on demande aux deux
équipes de résoudre en même temps le même problème.
Lorsque chacune a produit une solution qui lui semble
satisfaisante, on procède à un échange. Chaque équipe ana­
lyse et discute la production de l’autre équipe, puis les
quatre élèves se réunissent pour une discussion générale.
10 Recherches en Didactique des Mathématiques

Ce dispositif expérimental fait intervenir, au cours de la


première étape, une situation de communication avec inte­
raction entre élèves. Ce type de situation commence à être
d’un usage fréquent dans les études de didactique des
mathématiques. Il a déjà été présenté et analysé par de
nombreux auteurs notamment N . Balacheff et C. Laborde
(1985). L’expérimentateur est intervenu plusieurs fois pen­
dant les périodes de travail des élèves ; nous allons donner
quelques exemples de ces interventions.
Durant la première étape du côté des Emetteurs : les
élèves étaient très lents et il paraissait nécessaire de leur
suggérer de faire plus vite ou de commencer à écrire le
message en se mettant à la place des Récepteurs en imagi­
nant le type d’information qui aurait paru suffisante pour
dessiner une tangente à une courbe donnée en un point
donné.
Du côté des Récepteurs : au cours de cette partie de
l’expérience, il )\ a eu aussi deux phases : une première
phase au cours de laquelle les élèves essayaient de déchiffrer
le message, une seconde phase de conversation avec l’expé­
rimentateur.
Durant la seconde étape : l’expérimentateur entre de
temps en temps dans les salles où travaillent les élèves en
posant des questions casuelles du type : « Ça va ? »,
« Vous y arrivez ? » sans qu’il s’agisse d’une sollicitation de
réponse. Les élèves y voient néanmoins une demande d’ex­
plication à laquelle ils fournissent une réponse, ce qui ne
peut pas manquer d’avoir une influence sur leur conduite
ultérieure : une absence d’intervention peut être interprétée
par les élèves comme un accord de la part de l’expérimenta­
teur et signifier que leur réponse convient. Une interven­
tion, même brève, peut être importante du point de vue; de
la tâche : suggestion de calculer quelques valeurs du coeffi­
cient angulaire de la sécante variable au voisinage de zéro,
de nommer les coordonnées du point P d’intersection de la
sécante avec la courbe jc et yp et le coefficient par ap, de
disposer les valeurs qu’ils se proposent de trouver dans un
tableau.
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 11

2.1. Contraintes de la situation expérimentale


A. Dans un même groupe une seule solution doit être
formulée pour les élèves de l’autre groupe qui doivent soit
la comprendre et l’appliquer dans la résolution d’un pro­
blème (1ère étape), soit la comparer avec leur propre solu­
tion dans le cas où un même problème est résolu parallèle­
ment par les deux groupes (2ème étape).
B. Les élèves choisis pour participer à l’expérience repré­
sentaient un niveau semblable de réussite en mathématique
et ils étaient jugés « bons en maths » par leur professeur.
C. Ils n ’avaient pas encore rencontré la notion de limite à
travers un enseignement systématique en classe.
D . Le recours au passage à la limite est indispensable pour
résoudre le problème posé aux élèves dans la deuxième
étape ; il n’est pas possible de l’éviter à l’aide, par exemple,
d ’une manipulation d’expressions algébriques et l’affecta­
tion d’une donnée numérique à la variable d’une formule. Il
est peu probable en outre que les élèves devinent immédia­
tement la réponse, le graphique de la fonction sinus n’étant
que très grossièrement étudié en classe.
E. L’idée de la tangente a été transmise au cours de la
première étape par l’expérimentateur mais celui-ci s’est
contenté d’effectuer une manipulation sans explication
verbale.
P O U R Q U O I C E S C O N T R A IN T E S ?

Nous avons cherché à construire une situation qui pré­


sente des conditions favorables, d’une part, au début du
développement, dans l’esprit des élèves, d’un concept
mathématique (la limite) d’autre part, à une observation de
ce processus et à son analyse à l’aide d’un outil historique.
C ’est pour cela que nous avons décidé d’associer deux
élèves pour chacune des tâches proposées. Cette situation
oblige les élèves à débattre à propos de leurs idées et de
leurs productions. L’importance, pour le développement de
la pensée, d’une discussion en petit groupe est soulignée par
certains auteurs en psychologie. Par exemple, Skemp (1971)
souligne les points suivants :
1) Seule, la formulation des idées aide à leur clarification,
car « in so doing, we have to attach them (ideas) to words
12 Recherches en Didactique des Mathématiques

or other symbols which make them more conscious. A


problem clearly stated is half solved ». Le rôle de la formu­
lation dans le développement des concepts est largement
pris en compte dans les travaux de l’école Genevoise (Mu-
gny, Doise, Perret-Clermont, 1976) ainsi que dans les re­
cherches en didactique des mathématiques (Laborde 1981,
1982).
2) Dans une discussion chaque interlocuteur est obligé
de mettre en relation ses idées avec les idées de l’autre : il
doit accommoder ses propres schémas d’autrui pour pou­
voir assimiler ses idées, et il doit expliquer ses idées à l’autre
pour lui permettre le même type d’assimilation. Soulignons
au passage que, outre le bénéfice attendu sur le plan du
développement cognitif, l’expérimentateur peut largement
tirer parti d’une situation qui permet de transformer les
idées en observables.
3) Une discussion favorise l’apparition de nouvelles
idées.
4) Au cours d’une discussion autour d’une tâche com­
mune, l’enrichissement mutuel est largement favorisé au
niveau des idées : écouter quelqu’un, son opinion, sa solu­
tion... provoque l’apparition de nouvelles idées qui, sans
nous être communiquées par l’interlocuteur, ne nous se­
raient pas venues immédiatement à l’esprit. Ces idées, à leur
tour, peuvent provoquer le même effet sur l’interlocuteur
dans un processus d’interaction active, utile à chacun.
Soulignons enfin d’autres effets du dispositif de commu­
nication qui a été retenu au cours de cette expérience. Les
élèves sont obligés de formuler un seul message pour un
interlocuteur déterminé, l’autre groupe. Il faut donc se
mettre d ’accord, en particulier à travers un processus d’éva­
luation des thèses et des propositions, processus au cours
duquel apparaîtront des critères liés aux contraintes de l’ac­
tion : correction d’un point de vue « objectif », mathémati­
que, clarté des formulations du point de vue du récepteur
du message. Sans être en toute rigueur une situation de
validation, (Brousseau 1980, 1981, Balacheff 1982) on peut
s’attendre à la prise en compte d’une dimension « correc­
tion mathématique » du message.
Nous avons choisi pour conduire cette expérience des
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 13

élèves de niveau semblable afin de favoriser une certaine


forme de coopération intellectuelle. C ’est par l’observation
d’élèves engagés dans une tâche qui requiert une collabora­
tion que nous pouvons espérer avoir accès à des produc­
tions qui nous renseignent sur les modèles mobilisés par les
élèves. Cela permettra de faire des hypothèses sur les diffi­
cultés dans l’acquisition du concept de limite.
En plus d’une égalité de niveau, nous avons choisi des
élèves « bons en maths », dans le but d’éliminer autant que
possible les difficultés non intrinsèques à l’apprentissage des
débuts de l’analyse?
La condition C (voir supra) paraît raisonnable. Il s’agit
de se placer dans des conditions qui permettent d’observer
le développement du concept de limite à ses tous premiers
débuts, in Statu Nascendi, libre de tout l’impact qui pour­
rait résulter d’un enseignement où certains schémas sont
véhiculés d’avance par le langage du maître, par le choix des
exemples et des problèmes. Une des caractéristiques de
l’enseignement classique de la limite est une introduction
rapide de théorèmes relativement puissants qui permettent
de calculer des limites à l’aide de manipulations algébriques.
Cela procure, en général, une certaine satisfaction à l’ensei­
gnant, sans que soit assuré qu’il y ait compréhension du
fonctionnement de la notion.
La conjonction des deux condidons C et E (nous nous
sommes défendus des explications verbales lors de la pré­
sentation de la notion de tangente) place les élèves dans une
situation qui nous donne le droit de comparer le développe­
ment de la notion de limite pour eux et dans son histoire
propre.
Le choix du problème (condition D) a été guidé par une
hypothèse de Piaget (1975) selon laquelle l’apprentissage se
réalise par une accommodation de l’élève à une nouvelle
situation problème. Les contraintes de cette situation vont,
en particulier, jouer un rôle fondamental dans certaines
caractéristiques de la connaissance nouvelle. Le schéma qui
se déduit de cette position est donc le suivant : pour provo­
quer chez l’élève un processus d’apprentissage d’un concept
mathématique qui soit observable (en particulier au niveau
des obstacles propres à l’acquisition et à la manipulation du
14 Recherches en Didactique des Mathématiques

concept), on cherchera à proposer une situation-problème


pour laquelle un recours à des éléments du concept en
question soit indispensable à l’élaboration d’une solution.

2.2. Principes de l’analyse des productions des élèves


Le travail d’analyse qui permet d’avoir accès aux concep­
tions des élèves doit tenir compte des spécificités de forme
des productions disponibles et qui passent par l’expression
orale et écrite. Les élèves s’expriment dans un langage qui
est un mélange de langue naturelle et de langue symbolique.
Ce n ’est plus la langue de tous les jours, ce n’est pas encore
un discours formalisé. Nous le considérons néanmoins
comme une langue vivante au sens où il permet l’utilisation
des métaphores. En tenant compte de cette possibilité on se
gardera bien d’interpréter textuellement ce que les élèves
disent ou écrivent.
Nous allons utiliser, pour l’analyse du contenu des pro­
ductions des élèves, une « grille » construite sur une base
historique.

2.3. Dispositif
Pour la présentation matérielle de la première étape, le
dispositif utilisé a été le suivant :

La figure 1 représente un montage de la première plan­


che, montage qui est fait pour les Emetteurs.
Sur la figure 2 sont réunis les différents éléments qui vont
rentrer dans :
— la réalisation des quatre montages destinés aux Emetteurs :
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 15

. étiquettes (S) et @
. règle
. planches 1.2.3.4.
— l’ensemble des informations mises à la disposition des
Récepteurs.
. une planche.

Figure 2

2.4. La consigne
Nous détaillons ici la consigne pour les Emetteurs.
Pour la première étape elle est détaillée avant la présenta­
tion du dispositif :
« Je vous montrerai tout à l’heure, sans paroles, ce qu’est
la tangente à une courbe en un point. Votre tâche sera
d’écrire à vos collègues, en utilisant seulement des mots, ce
qu’est une tangente à une courbe en un point, de façon à ce
qu’ils soint capables, à partir de cette information, de dessi­
ner une tangente à une courbe donnée en un point donné
de cette courbe. Vous n’aurez pas le droit de vous servir de
dessins dans le message que vous allez écrire ensemble,
seulement des mots. Voici une feuille et un crayon ».
La présentation est effectuée de la façon suivante : l’épin­
gle portant la lettre S est fixe. L’épingle portant la lettre P est
placée dans la fente et déplacée le long de la courbe jusqu’au
16 Recherches en Didactique des Mathématiques

point S en restant toujours du même côté de P sur la


courbe. La posidon de la fente lorsque P = S est ensuite
dessinée avec une règle et un crayon. Le point P est ensuite
placé de l’autre côté du point S et la manipulation est
répétée. La manipulation est faite par l’un des élèves pour la
seconde planche. Il s’agit alors de vérifier si tous les détails
ont été perçus par les élèves et si le sens des actions est clair
pour eux. Le dessin figurant sur la dernière planche est un
cercle. O n demande alors aux élèves de dire comment ils
construisent une tangente à un cercle. La tangente est cons­
truite selon la manière indiquée par eux avant qu’une mani­
pulation soit opérée afin qu’ils constatent que les deux
méthodes permettent d’obtenir la même droite.-
Les deux étapes étaient séparées par une période de deux
semaines. Une semaine avant la deuxième étape a eu lieu
une phase de préparation d’environ une heure au cours de
laquelle :
1) l’expérimentateur s’est assuré que les élèves se sou­
viennent de la formule de passage des degrés en radians ;
2) les élèves ont eu l’occasion de se familiariser avec les
calculatrices qui devaient être mises à leur disposition au
cours de la deuxième étape.
Pour la seconde étape, la consigne extrêmement brève est
la suivante : trouver l’équation de la tangente à la courbe
y = smx, x e R a u point x = o.

III. D éroulem ent de l’expérience. Une première analyse


3.1. Première étape.
Au cours de cette étape on attend des élèves que la
présentation effectuée de la tangente ne soit pas prise à la
lettre mais soit considérée comme une représentation
concrète d’une notion mathématique et qu’ils cherchent à
communiquer les modalités de construction de la tangente
dans un langage mathématique adéquat.
En fait cela s’avère très difficile ; en effet, les élèves sont
bien capables de nommer les objets mathématiques dont ils
ont pu observer les représentations matérielles pendant l’in­
troduction, mais ils n’ont pas, a priori, dans leur répertoire
d’opérations mathématiques, celle qui correspondrait pour
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 17

une droite, au passage de la position sécante à la position


tangente. La chose s’avère d’autant plus difficile qu’il man­
que un système de repérage qui permettrait de déterminer
les positions des points et des droites. Cela s’exprime par la
naissance d’un doute sur le caractère déterministe du pro­
cessus en question : « Quand on arrivera au point S on
n’aura plus qu’un seul point, mais par un seul point on peut
mener beaucoup de droites ». Leur recours consiste à cher­
cher d’autres types de construction de la tangente, cons­
tructions qui vont emprunter aux concepts de centre de
courbure, rayons de courbure, auxquels ils ne peuvent ac­
céder de façon satisfaisante, c’est-à-dire à l’aide d’vme cons­
truction règle-compas. Vient alors une décision qui tranche
le débat : puisqu’on n’arrive pas à mathématiser le proces­
sus auquel on a assisté, décrivons-le tel quel, tel qu’on l’a
vu. Le débat qui va donc avoir lieu au cours de la formula­
tion du message va avoir pour enjeu la quesdon de l’ambi­
guité, ce qui aura pour effet de rejeter les mots courants
pour les remplacer par des expressions du langage mathé-
madque utilisés en classe. Le résultat ne sera pas un succès.
Les récepteurs ne comprendront pas du tout le message qui
leur sera transmis.

Emetteurs :
1) Recherche d ’une construction classique de la tangente à
une courbe*
Les élèves semblent manipuler (implicitement) l’idée sui­
vante :
Il faut trouver le centre de courbure au point donné,
dessiner la normale en ce point, la tangente est alors la
droite perpendiculaire à la normale. Cette conception géné­
ralise la construction de la tangente à un cercle ; elle leur a
été suggérée au cours de la présentation par la démonstra­
tion de l’équivalence, pour le cercle, de la tangente au sens
usuel et de la tangente au sens de la manipulation. On
retrouve les éléments de cette conception à travers les énon­
cés suivants :
* C e rta in e s ex p ressio n s des élèves se ro n t codées, le code étan t com posé d ’une
le ttre e t d ’u n chiffre.
18 Recherches en Didactique des Mathématiques

S.l. (Artur) « Ce peut être le centre de ce segment d’arc ».


Tout se passe comme si des segments de la courbe pou­
vaient être identifiés à des arcs de cercle, la tangente à la
courbe étant alors la tangente du cercle en un point donné.

Figure 3

5.2. (Janek) Le rayon de la courbe, ce serait « La plus petite


distance de tous les points de la courbe ».
S.2’ (Janek) Le rayon de la courbe, c’est « La plus petite
distance de la courbe par rapport au point de tangence ».
5.3. (Artur) Le centre de la courbe par rapport au point de
tangence se trouve dans l’intersection des médiatrices des
cordes qui passent par le point de tangence.

Figure 4

Toute les formulations reflètent une prise en charge assez


efficace des caractéristiques de l’exemple du cercle. Il ne
s’agit pas seulement de fournir une réponse qui réponde au
désir du maître selon le schéma : « S’il nous a montré le cas
du cercle c’est qu’il faut faire selon ce modèle. » Il y aura
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 19

rejet de ce modèle dès lors que S3 se sera révélé faux à


travers une vérification expérimentale.
O n sait que le cercle nommé osculateur a été un instrument
de travail effectif pour les mathématiciens qui ont cherché à
donner une définition opératoire de la tangente : Descartes
(1637) puis Leibniz. La difficulté se trouve alors déplacée du
côté d’une bonne définition du cercle osculateur.
L’expérimentateur intervient en invitant les élèves à com­
mencer à écrire le message. Ils sont donc amenés à demander
des précisions au sujet des moyens (au sens physique du
terme) qui seront mis à la disposition des récepteurs. O n va
alors passer d’une tentative de construction à un essai de
description de la manipulation.

2) Premier essai d ’une description mathématique


de la manipulation.
2.a Les élèves décident d’employer des expressions faisant
appel aü mouvement :
S.4. (Artur) Pour trouver la tangente à la courbe (k) en un
point S « il faut faire approcher le point P ( P e k) au point S
jusqu’au moment où ... ? ... Pour que là, il n’y ait plus
aucune ... C ’est impossible de déterminer d’une manière
précise dans ... dans cet endroit. »
A rtur constate le manque de précision de ses formula­
tions, mais elle peut être une conséquence du manque de
précision de la méthode. Devant les protestations de son
partenaire, il tente une précision : « C ’est comme si on
dessinait des droites par les points consécutifs (de la
courbe). » Au cours de la seconde étape, on retrouve cette
idée dans le dessin suivant :
20 Recherches en Didactique des Mathématiques

2.b. Le problème de l’unicité de la tangente :


Il se manifeste à travers quelques interrogations :
(Artur) •« En quoi cela consiste ? Pourquoi celle-là juste­
ment ? »
(Janek) « Justement, pourquoi celle-là et pas une autre ? Ce
point s’approche mais par un seul point on peut mener
beaucoup de droites ».
2. c. Artur répète la manipulation et la modifie un peu :
il continue à passer l’épingle avec l’étiquette P après avoir
déjà atteint l’épingle avec l’étiquette (S) :
S.5. (Artur) « C ’est peut-être le point où la direction (de la
droite) change ».
O n retrouvera cette idée, au cours de la seconde étape,
chez les deux autres garçons sous forme de « point
critique », « point limite » (G5).
La présentation utilisée par l’expérimentateur suggère en
effet une définition de la tangente analogue à celle de
d’Alembert selon laquelle la sécante devient tangente lorsque
deux points deviennent un seul et alors la tangente est la
limite de la sécante (d’Alembert, « Mélanges de littérature,
d’histoire et de philosophie », V, p. 245-246). J.L. Lagrange
trouvait cette définition non satisfaisante car, après que la
sécante soit devenue une tangente, rien ne l’empêche de
redevenir sécante de l’autre côté du point en question. (J.L.
Lagrange, Œuvres, VII, p. 325). Cet argument peut paraître
bizarre à première vue, mais la réaction des élèves prouve
que cette déviation dans la compréhension de la définition de
d’Alembert est effectivement possible et que les craintes de
Lagrange étaient tout à fait justifiées.

3) Les élèves recommencent à chercher une construction


classique.
3. a. Ils répètent dans une forme légèrement modifiée un
énoncé de type SI ce qui les amène à formuler une méthode
de construction, donc S3. « C ’est ce qu’on a déjà fait », ce
qui ne les empêchera pas d’y revenir dans un moment.
3.b. Finalement ces conceptions « classiques » seront
abandonnées : ce qui est vrai pour le cercle ne l’est pas pour
une courbe quelconque « dans un cercle c’est partout la
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 21

même chose, tandis qu’ici... » - autrement dit : dans un


cercle la courbure est constante.
L’expérimentateur va intervenir en soulignant le poids de
la contrainte de communication : « Essayez de trouver l’in­
formation suffisante pour que vos collègues puissent trou­
ver une tangente à une courbe en un point donné. Pensez
qu’est-ce qui vous aurait suffit à vous pour le faire. »
4) Deuxième essai d’une description mathématique : on
cherche un autre point de la tangente à part celui de tan­
gence, car si on a deux points on peut mener une droite qui
est bien déterminée.
4.a. Une première proposition qui est vite rejetée :
S.6. O n prend un point Q de la sécante dont la distance du
point S est constante et égale, par exemple, à la distance de
S à P j, où P1 est la position initiale du point variable P (voir
dessin ci-dessous).

Figure 6

4.b. Une deuxième proposition (conception « Leibni-


zienne »).
S.7. La tangente est déterminée par le point de tangence et
le point qui lui est « directement voisin » (Janek).
22 Recherches en Didactique des Mathématiques

O n peut trouver intéressant de comparer cette formula­


tion avec celle de Leibniz dans « Nova methodus promaxi-
mis et minimis, itemque tangentibus, quae nec fractos nec
irrationalis quantitates.,. » (Acta Eruditorum III 1684) qui
dit que : (Nous citons la traduction anglaise de Struik’s
Source Book) « We have only to keep in mind that to find
a tangent means to draw a line that connects two points of
a curve at an infinitely small distance, or the continued side
of a polygon with an infinite number of angles, which for
us takes the place of a curve. »
Il faut néanmoins souligner que pour Leibniz cela est une
remarque qui vient après l’exposé des règles algorithmiques
de la différentiation. C’est donc plus une illustration qu’un
point de départ.
Cela ne manquera pas, toutefois, d’amener les élèves à
chercher à mettre en œuvre une conception atomiste du
continu.
C l. Une courbe est composée de points juxtaposés infini­
ment proches les uns des autres.
Conception qui a pu jouer un rôle dans la difficulté
d’accepter l’unicité de la tangente comme limite de la sé­
cante variable :

« > • • •

• • • • . . . . «
» ..............................................
Figure 7

La mise en relation de la conception précédente avec le


modèle d’une tangente perpendiculaire au rayon est propo­
sée par A rtur :
S.8. (Artur) La tangente est une droite perpendiculaire à la
normale déterminée par deux points voisins de la courbe.
Il regrettera cette conception après avoir remarqué que
pour dessiner une droite perpendiculaire, il faudrait avoir
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 23

un troisième point entre les deux points voisins de la


courbe. Ce troisième point n’existe pas.
S.7. (Janek) La position initiale du point P ne joue aucun
rôle pour la position de la tangente « ce ne sont que les
dernières qui ont l’influence ».
(Mais il ne s’agit pas d’un nombre infini de positions de
la sécante au voisinage du point de tangence, tout dépend
de l’avant dernière position de la sécante avant de devenir
tangente).
Les conceptions S7 et S7’ sont des conceptions de Janek.
A rtur soulève quelques objections contre la considération
d’une seule « avant-dernière » position mais il est incapable
d’exprimer clairement ses doutes. Il exprime seulement son
mécontentement à l’aide d’un signe.
5) Ayant échoué dans leur recherche d’une construction
effective de la tangente (à l’aide d’une règle et un compas)
ainsi que d’une description mathématique de la manipula­
tion, les élèves décident de décrire les actions physiques de
l’expérimentateur. Pour ce faire, ils vont employer des ter­
mes abstraits à la place de mots désignant les objets effecti­
vement manipulés. Par ex. « point » à la place de « pointe
d’épingle » ou « courbe » au heu de « ligne ». Dans une
première tentative ils essayent de donner une « définition »
de la tangente mais se révèlent incapables, là encore, de
trouver une formulation qui les satisfasse complètement. Us
se résignent alors à donner une liste d’instructions à exécu­
ter pour tracer une tangente.
Regardons les définitions qui sont proposées par les deux
élèves composant la paire. Elles présentent une parue com­
mune :
« Une tangente, c’est une droite que l’on obtient en
menant le point P par l’intersection de la droite PS avec la
courbe », suivie de :
« Jusqu’à ce que les points P et S se superposent '» (Janek).
« Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de point commun » (Artur).
La proposition d’Artur représente une conception selon
laquelle la tangente est une droite qui touche la courbe mais
ne la coupe pas. Selon cette conception, il ne saurait y avoir
de tangente en un point d’inflexion. O n sait que l’utilisation.
24 Recherches en Didactique des Mathématiques

jusqu’au XVIIe siècle, d’une définition par généralisation à


une courbe arbitraire de la définition de la tangente du cercle
donnée par Euclide (Eléments, Livre III, déf. 2) a survécu
malgré le développement des méthodes de construction des
tangentes. Par exemple, Descartes (Juszkiewicz II, 1969,
p. 117) bien qu’ayant interprété la tangente comme position
limite de la sécante, n ’a pas utilisé cette interprétation pour
proposer une définition correspondante ; il refusait ainsi de
parler de tangente au point d’inflexion.
O n retrouve cette difficulté au cours de la deuxième
étape où l’un des récepteurs (Janek) va obstinément répéter
qu’il ne peut pas y avoir de tangente à la sinusoïde au point
(0,0) car « une tangente ça ne peut pas couper. »
Quant à Janek, il n’est pas satisfait de sa définition, elle
lui semble trop vague.
N e pouvant pas arriver à une formulation satisfaisante les
élèves décident d’écrire une liste d’instructions qui détaille­
rait la construction. C ’est cette liste d’instructions qui va
constituer :
Le message.
a) Premier point : « Trouver un point quelconque de la
courbe et le joindre avec le point S avec une droite. »
b) Deuxième point : « Faire tourner la droite autour du
point S de façon à ce qu’elle coupe la courbe dans ses points
consécutifs en direction du point S. »
L’expression « approcher le point P au point S » a été
rejetée probablement parce que « s’approcher » n’appar­
tient pas au langage mathématique utilisé en classe. « Faire
tourner » est, par contre, une expression utilisée en classe
lorsqu’on parle des rotations.
De même, ont été rejetées les formulations : « Conduire
la droite le long des points successifs », « s’approcher du
point S avec le point P », « faire tourner la droite PS de
façon à ce qu’elle coupe toujours la courbe en un point
jusqu’au point S ».
c) Troisième (et dernier) point : « Lorsque le point S
sera le point d’intersection suivant de là droite avec la
courbe alors la droite ainsi obtenue sera justement la tan­
gente à la courbe au point S ».
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 25

Au moment de la formulation de ce dernier point revient


la question de l’unicité de la tangente ainsi obtenue.
Apparaît une proposition d’écrire « lorsque le point S
sera le point suivant alors il faut arrêter le mouvement » à
cause de la possibilité de continuer et passer de la position
tangente de nouveau à la position sécante mais elle est
rejetée.
La vérification du message se fait de la manière suivante :
Un des élèves lit le message mot à mot et l’autre exécute
les instructions en faisant un effort pour les suivre à la
lettre.

Remarques relatives à la première étape, du côté des


Emetteurs, (aussi bien de leur point de vue que de celui de
l’expérimentation elle-même).
A. Les émetteurs n’ont pas le sentiment d’avoir réussi à
caractériser la tangente à une courbe, ni en termes de défi­
nition, ni en termes de construction. De leur point de vue,
répondre à la question posée consistait à fournir une cons­
truction d’une tangente à une courbe. Du point de vue de
l’expérience, on peut estimer que les objectifs essentiels ont
été atteints, en particulier si on considère l’expérience ac­
quise par les élèves à propos de l’étude de la tangente à une
courbe.
— ils ont eu à distinguer la notion générale de tangente à
une courbe de celle, plus particulière du cercle. L’analogie
simple entre cercle et courbe n’a pas fonctionné, elle n’a pas
pu servir à la production de la réponse : pour une courbe ce
n ’est pas pareil, tangente et courbe n’ont pas qu’un seul
point en commun et elles peuvent se couper une nouvelle
fois.
— au niveau de l’action, ils ont dû accepter que la tan­
gente soit le produit d’un processus dans lequel intervient
une sécante variable et sa position limite. Ce processus n’a
pas pu être formulé complètement en langage mathémati­
que. Ce n’était d’ailleurs pas le but de cette activité. Au
cours de la seconde étape on peut s’attendre à une plus
grande facilité de la tache demandée : les élèves disposeront
d ’un certain appareil analytique.
26 Recherches en Didactique des Mathématiques

B. Sur le plan strictement conceptuel, on peut ajouter la


remarque suivante :
— Les élèves ont soulevé la question de l’unicité de la
tangente. Ce n ’est pas courant à ce niveau de l’enseigne­
ment (15 ans). Nous ne sommes pas certains toutefois que
cela soit un produit de leur activité dans le cadre probléma­
tique fixé par la situation.

Remarques relatives à la première étape, du côté des


Récepteurs.
Les récepteurs n’ont pas du tout compris le message. Ils
ont interprété les « points consécutifs de l’intersection de la
droite avec la courbe » de la manière visualisée sur le dessin
suivant :

à 'intersection

Figure 8

L’expérimentateur a alors répété la manipulation, expli­


qué ce que les émetteurs voulaient dire en parlant des
« points consécutifs... » et a demandé aux récepteurs de
corriger le message. Ils ont alors suggéré d’autres « défini­
tions » de la tangente.
S. 10. (Jacek) « Une tangente », c’est une droite qui a un
point commun avec la courbe mais ne la coupe pas ».
Tomek n ’accepte pas cette définition et donne un contre-
exemple. Le comportement de Janek dans la deuxième
étape va montrer que cet argument ne valait pas grand
chose pour lui.
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 27

S.8’ (Jacek) « C ’est peut-être tout simplement une perpen­


diculaire... mais à quoi ? »
S. 10. (Tomek) « Une tangente, c’est une droite ayant le
moins possible de points communs avec la courbe en com­
paraison avec les autres droites passant par le point de
tangence ».
Aucun contre-exemple n’apparaît mais Jacek n’est pas
enthousiasmé par cette définition et comme Tomek ne dé­
fend pas son idée, on passe à une autre proposition.
S.9. (Jacek) « Faire pousser le point d’intersection dans la
direction du point S. Et alors ces deux points se superpose­
raient. Mais ici encore ... la notion des points consécu­
tifs... » (Cela ne lève pas le doute de Jacek).
C ’est alors que Tomek, après un long silence, apporte
une définition que l’on pourrait appeler « classique » parce
qû’elle ressemble à une définition en cours encore au
XVIIIe siècle et dérivée d’une proposition d’Euclide (Elé­
ments, Livre III, Proposition 16), à laquelle J.L. Lagrange
fait allusion dans sa « Théorie des fonctions analytiques
(seconde partie, article 108) : « Suivant les anciens géomè­
tres, une ligne droite est tangente d’une courbe,
lorsqu’ayant un point commun avec la courbe, on ne peut
mener par ce point aucune droite entre elle et la courbe ».
Cette idée est la suivante :
S. 11. (Tomek) « Si, par exemple, on prenait le point S et les
deux points les plus proches de S ».
Expérimentateur : « Il y a des points dans tout voisinage de

(Tomek) « N on, mais il s’agit de points infiniment proches


de S ».
L’expérimentateur va, naturellement, lui demander où il a
entendu parler de cela. La mention en avait été faite dans le
cours de physique sans que Tomek se souvienne avec préci­
sion du contexte. Constatons qu’il a replacé ce « souvenir »
dans un contexte mathématique pertinent.
« Supposons que nous ayons ici un arc comme celui-ci et
trois points : il dessine :

Figure 9
28 Recherches en Didactique des Mathématiques

« Bien sûr, ces grandeurs sont infiniment petites. Et alors


cette droite n’a qu’une seule position telle que ces points se
trouvent tous d’un seul côté de cette droite. Parce que si je
pousse tant soit peu dans une direction alors soit un des
points appartiendra à cette droite et l’autre non, soit on
aura une situation telle que l’un des points sera d’un côté de
la droite et l’autre de l’autre côté. »
Esprit de l’analyse !

T H É O R I E

DES FO NCTIO NS ANALYTIQUES.

SECONDE PARTIE.
ylppücniion de la Théorie a la Géoméirie et à la M écanij!.:.

;o8. L es opérations ordinaires de l’algèbre suffisent pour *.>. oudre


les problèmes de la théorie des courbes , qui ne consistent que dans
des rapports de lignes tirées d’une certaine manière er terminées aux
courbes ; mais la détermination des tangentes , des rayons de courbure.
des aires , £cc. dépend essentiellement des opérations relatives aux
for-ctipns.
Suivant les ar, cisns géomètres , une ligne droite est tangente d'une
courbe , lorscn'ayant un peint commun avec la courbe , on ne peut
mener par ce point aucune droite -entre elle et la courbe ; c’est
par ce principe qu’ils ont déterminé les tangentes dans le petit nombre
des courbes qu'ils ont considérées. Mais , depuis que , par l'application
ce l'algèbre à la géométrie , les courbes ont été soumises à l'analyse ,
on a envisagé les tangentes sous d ’autres points de vue; on les a regardées
comme des sécantes dont les deux peints d'intersection sont réunis ,
ou comme le prolongement des côtés infiniment petits de la courbe
considérée comme un poligone d’«na infinité de côtés , ou comme la
en-action du mouvement com posé, par.lequel la courbe peut être décrite;

J .- L . Lagrange, « T héorie des fonctions analytiques », p. 117

Extrait n° 1
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 29

3.2. Deuxième étape


Au cours de la deuxième étape, il est légitime de s’atten­
dre à des manifestations relatives à plusieurs ordres de
difficultés :
1) Des difficultés avec l’arithmétisation de la notion de
tangente. Celle-ci avait été introduite dans la première étape
à l’aide des seuls moyens géométriques sans aucun recours
analytique.
2) Des difficultés avec la résolution du problème de cal­
cul de la limite de la fonction f(x) = sin x/x en x = 0 ;
3) Des difficultés lors du retour au problème principal,
en effet le calcul de cette limite peut prendre beaucoup de
temps et éloigner les élèves de leurs déterminations initiales.
En fait, le problème s’est avéré plus difficile que cette
analyse seule pouvait le laisser prévoir.
Si les difficultés du premier genre étaient si graves c’est
peut-être aussi à cause de ce que, contrairement à nos
intentions, la conception de tangente comme droite qui
touche la courbe mais ne la coupe pas n’avait pas été
remplacée par celle suggérée par la manipulation au cours
de la première étape chez tous les élèves. Cela provoqua
dans une des équipes des discussions où Jacek refusait
absolument d’accepter l’existence de la tangente en ce point
de la sinusoïde. Tomek répétait : « Tangente - cela ne veut
pas dire qu’elle ne peut pas couper » et il refit la manipula­
tion. Finalement l’opposant a rendu les armes, mais bien à
contrecœur.
A d.2) L’idée de calculer quelques valeurs du quotient
différentiel au voisinage de zéro n’est pas venue des élèves ;
elle leur a été soufflée par l’expérimentateur. La prise de
conscience de la dépendance numérique de la position de la
tangente à partir des positions de la sécante était très faible.
Il y eut des difficultés pour écrire la formule générale du
coefficient angulaire de la sécante. Les désignations ap, Xp,
elles aussi, ont été proposées par l’expérimentateur.
A d.3) Dans une des équipes (Jacek et Tomek), après
avoir remarqué que les valeurs de sin x et de x s’approchent
les unes des autres lorsque x diminue et que « finalement ce
sera égal à un » ou que « cela tend vers un », les élèves se
30 Recherches en Didactique des Mathématiques

sont mis à formuler la solution et c’est alors que surgit un


problème inattendu : ils ont admis quelques valeurs de Xp
en degrés en les appellant « angles » et ils traduisaient ces
« angles » en radians pour calculer sin Xp et le comparer
avec Xp en radians (ils ne divisaient pas ces deux valeurs
l’une par l’autre). Mais ce langage en termes d’angles a
provoqué un malentendu : les élèves se sont mis à chercher
une valeur de x telle que sin xJ x tende vers 1.
Le déblocage s’est produit un peu par hasard, par suite
d’une intervention que l’expérimentateur, absent pour la
plupart du temps dans la salle, a faite, sans avoir conscience
du véritable problème des élèves.
En ce qui concerne l’expression d’un malaise concernant
l’insuffisance des moyens de conclure dès lors qu’on s’ap­
puie seulement sur un nombre fini de cas, on a pu la noter
ue chez un seul des élèves. Pour les autres, nous semble-t-
3 , les tables de valeurs, soit de la fonction x —» sin x/x, soit
de la fonction x —* sin x, justifiaient suffisamment le résul­
tat obtenu. Le problème de la valeur de cette justification a
été néanmoins soulevée lors de la discussion finale à laquelle
participait l’ensemble des élèves.
Dans la suite* nous allons rapporter plus en détail ce qui
s’est passé au cours de la seconde étape dans un des deux
groupes, là où les difficultés étaient les plus profondes, là
où sont apparues de nombreuses conceptions antagonistes.
Jacek et Tomek
Tomek essaie de construire la tangente en répétant la
simulation dont il a été témoin au cours de la première
étape. Jacek veut adapter ce qu’il sait de la tangente à un
cercle au cas de la tangente à une sinusoïde et se révolte
contre une tangente qui coupe la courbe, que lui propose
Tomek. Il s’écrie : « Est-ce que ça, ce sera une tangente ? !
Elle va couper maintenant ! N ’oublie pas ce que c’est
qu’une tangente ! Est-ce qu’une tangente peut couper ? ! »
Tomek explique calmement : « Tangente - cela ne veut pas
dire qu’elle ne peut pas couper... » « Une tangente est une
droite qu’on obtient en menant la sécante le long des points
consécutifs de la courbe jusqu’à la superposition du point
d’intersection avec le point de tangence ». « La sécante, elle
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 31

va comme ça, elle tourne, et ici, on a une situation in­


verse... Ce point est, pour ainsi dire, un point critique ».
Cette dernière idée évoque la conception S5 de Artur dans
la première étape.
Finalement, Jacek accepte d’envisager la droite proposée
par Tomek comme tangente.
Les élèves se mettent d’accord sur la forme de l’équation
de la tangente : y = ax.
Tomek formule le problème essentiel de leur tâche : - un
seul point de la droite cherchée est donné ; donc la
méthode de déterminer une droite par ses”deux points ne
peut pas être appliquée directement.
Plusieurs propositions apparaissent alors, dont deux pre­
mières sont aussitôt rejetées pour manque de qualités opé­
rationnelles :
1) Trouver un autre point de la tangente et trouver le
coefficient angulaire a de la tangente à l’aide d’un système
d ’équations ; (Jacek).
Visiblement les élèves cherchent une méthode algébrique
de détermination d’une tangente à une courbe. C ’est un fait
intéressant que la première méthode de construction de
tangentes qui ait jamais été publiée ait été justement une
méthode algébrique (Descartes, « Géométrie », 1637).
Cette méthode supposait une connaissance des racines mul­
tiples d’une équation s’appuyant sur la méthode des coeffi­
cients indéterminés (Juszkiewics II, 1976, p. 212). Cette
méthode algébrique est exposée encore de nos jours dans
des manuels où l’on veut introduire les équations des tan­
gentes aux coniques sans recours au calcul différentiel.
(Voir S6 p. 21).
2) La tangente est une droite qui est « le plus près possi­
ble des deux points infiniment proches du point de tan­
gence » (ce qui est une version revisée de la conception déjà
apparue au cours de la première étape. (Voir p. 27) ; (Ja­
cek).
y
y
Figure 10
32 Recherches en Didactique des Mathématiques

A une sollicitation, anodine à ses yeux, de l’observateur,


un élève répond par l’exposé d’une troisième conception.
3) Tomek : « a est le coefficient angulaire de la dernière
sécante ».
Exp. : « Q u ’est-ce que tu entends par là ? »
Tomek : « C ’est évident que l’angle d’inclinaison de cette
droite est plus grand que l’angle d’inclinaison de toute
droite qui coupe la sinusoïde. »
Jacek : « C ’est la valeur la plus petite possible. »
Tomek :« O n peut trouver le plus petit, c’est-à-dire le plus
grand angle d’inclinaison à l’axe des x qui, c’est-à-dire, que
cette droite couperait, couperait encore la courbe, et l’angle,
c’est-à-dire, je ne sais pas de combien, mais tout autre plus
grand angle serait, serait tout simplement la tangente. »
C ’est une conception intéressante. Nous en connaissons les
dangers. Il n’est pas exclu, en effet, qu’elle évolue en une
conception selon laquelle la limite d’une fonction et la borne
sup. ou mf. de l’ensemble de ses valeurs soient confondues.
L’expérimentateur suggère de disposer quelques valeurs
de Xp, de sin Xp et de sin Xp / Xp dans une table.
Les garçons se mettent à calculer. Ils choisissent les va­
leurs de Xp en degrés : 32°, 16°, 8°, 4°, 2°, 1°, 5°, les
convertissent en radians et calculent les sinus en se servant
d ’une calculatrice de poche TI-51. Au début, ils notent les
arrondis à deux chiffres après la virgule près, mais le fait
qu’à partir de x^ = 16° les arrondis de xj, et de sin x^ soient
égaux leur parait suspect et ils recommencent les calculs en
arrondissant avec 4 chiffres après la virgule. Voilà la table
obtenue par les élèves :
s in x
oin x_
xp P ap “ x
32° * 0,5583 0,5299
1 6 °* 0,2792 0,2756
8 ° » 0,1396 0,1392
4° « 0,0698 0,0698 x en r a d i
P
2 ° * 0,0349 0,0349
1 ° * 0,0175 0,0175
0,5°S r 0,0087 0,0087

Tableau n° 1
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 33

L’observation de la table conduit les élèves à une pre­


mière conception de limite qui n’a rien à voir, pour le
moment, avec le problème de la tangente :
GO. La limite est ce dont nous ne connaissons que des
approximations :
Tomek : « Regarde à quoi ça sera égal... tout ça sera égal
approximativement à un, tu ne trouves pas ? »
Jacek : « Incroyable ! Regarde, ici on a 3 chiffres égaux et
là - quatre ! »
Les élèves n’effectuent pas la division de sin Xp par Xp.
Tomek est amené à sa conclusion seulement en comparant
les valeurs de Xp et de sin Xp.
Ils remarquent que les différences entre les approxima­
tions de Xp et de sin Xp deviennent de plus en plus petites et
Jacek dit : « La différence devient de plus en plus petite et
finalement ce sera égal à un » (G l) et Tomek : « Cela va
tendre vers un » (G2).
Ensuite les élèves répètent les calculs comme pour se
rassurer. Jacek dit quelque chose qui, en fait, est une for­
mulation de la solution du problème : « Elle (la droite) sera
tangente quand a sera égal à un ». Cette expression est
certainement prématurée. Cela ne correspond pas à un ré­
sultat et sera oubliée quand les élèves vont s’embrouiller
dans un effort de formulation d’une solution.
Pour formuler une solution les élèves commencent à se
poser des questions sur le sens des symboles qu’ils ont
utilisé jusqu’alors. Par exemple après avoir appelé
« angles » les abscisses du point variable P, les deux élèves
ont quelques hésitations : ils cherchent un x tel que sin x / x
tende vers un.
L’expérimentateur entre dans la salle et entend Jacek
demander à son camarade : « Et pour quel angle ce sera
égal ? » N ’ayant pas entendu les discussions précédentes,
l’expérimentateur demande : « Est-ce que tu crois qu’à par­
tir d ’un certain endroit, sinus x sur x sera égal à un ? ». Et
alors Jacek répond :
G4. « N on, non, justement, cela tend vers un mais ne sera
pas égal à un ».
34 Recherches en Didactique des Mathématiques

( Deuxième étape : solution de Jacek et Tomek )

Siv\ xp a D _ ^ " ,X
P y

O. 52-9“5 ai» 32.°


if* 0,5 5 9 S
^z°
/|6* «?C\2V& o (a*i-s-e
0, À ^ x

4'X0,<H3& o .o e^
a° 0 ,0
/• zO f^ s O.CM 46" ^ 4 /
0 ffK®,00fy 0,008^

dU ta p a -+»----- P**ki*- t^= S^v r pu*Wd«


X = O iM- u>3j»üîjjvw U iouw^ A =.

fttwliW»». **, U vore* <y = . Po p*«*Wl«Wn.

<Wj<L ap d«{âj <L ^eJ*vo“ *


«M TOUMMt sijjniitj »jTo1^ >■j f ^ wîore*,

i^=-apx,a f**»«u*i e^,*4 -1. ft - *

Là, brusquement, Tomek revient à l’idée de la possibilité


de continuer le mouvement du point P sur la courbe après
avoir dépassé le point 0 :
Jacek : « Attends, attends. Ça tend vers l’unité sur ce
segment-là. Mais si nous déplaçions le point P encore plus
loin... ».
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 35

Tomek : « Mais c’est la même situation sauf qu’elle est à


l’envers ».
Jacek : « Alors le coefficient devrait rester le même. Donc
on a ici quelque chose comme ça : si nous allions par ici et
ici ça s’accroîterait progressivement alors qu’est-ce qui sera
ce point... limite ? Si là, ça tend vers l’unité et là ça s’éloi­
gne de l’unité ? »
Tomek : « Point limite ? »
Il ne faut peut-être pas s’étonner tellement de ce senti­
ment de symétrie chez les garçons. A partir de la termino­
logie qu’il a utilisée : « Ultimate ratio » mais aussi de « nas­
cent quantities » peut témoigner du fait que Newton avait
aussi ce sentiment de symétrie.
Le déblocage se produit à la suite d’une question que
pose l’expérimentateur : « Alors, vous avez déjà trouvé le
coefficient angulaire de la tangente ? » Les garçons répon­
dent que c’est égal à un et disent : « Alors il faut écrire
l’équation, tout simplement », et on a l’impression qu’ils
sont soulagés (ce qui peut vouloir dire aussi qu’ils se sentent
déchargés du devoir de prouver ce résultat).

A cet instant, leur solution contient, en plus de la table


que nous venons de présenter, le texte suivant : « Tend vers
l’unité » ajouté dans la troisième colonne de la table per­
pendiculairement aux lignes de la table, et en -dessous de la
table :
« La tangente à la courbe y = sin x au point x — 0 a son
coefficient angulaire égal 1 = ap. Il est représenté par la
r _ Sln X
formule Op = x . Après l’observation des données, nous
constatons que ap tend vers l’unité. D ’où l’équation de la
tangente s’exprime par la formule : y = OpX et comme a^, =
1, y = x ».
Après celà, les groupes échangent leurs solutions et dis­
cutent en paires.
36 Recherches en Didactique des Mathématiques

Voici la solution d’Artur et Janek à la deuxième étape :

y «•VA X a--_ a 'n

S\ o O
** A 0,6k
7 J\ oyt O filA k iS k

4 - ÏÏ 0 , 0 314 0 ,3 3 3 8 S S T
\ o o Jl

6 ^ X À Jo 0 b Os 4
2 4«ÿ> i ■** ^cLj *= 0 -fo Q. i °',£jk <r£w«M"i«
g ty a v tj 4o çiv\iA*<5i'4cj o j piM/Jra* (O,ûj ^ « s / ; ^ ^<= / « ;

^ - <*x+b b -O
^ = oy <x=A
a*x

Quand x prend les valeurs proches de zéro, alors a prend


les valeurs proches de 1. De là nous concluons que lorsque
x = 0 alors a = 1 c’est-à-dire que l’équation de la tangente
la sinusoïde au point (0, 0) est y = x parce que : l’équation
ft'

’une droite : y = ax + b b= 0 y = ax a = 1, y = x.
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 37

Jacek et Tomek ont remarqué que « les autres ont calculé


directement en radians ». Jacek dit que « c’est plus difficile
comme ça » mais Tomek dit que ce n’est qu’une question
d’habitude et d’entraînement. Appelant tt une « demi-
rotation » Jacek reconstitue la procédure d’Artur et Janek
de la façon suivante : « Ils ont commencé par une branche
reposant sur l’axe OX et ils l’ont soulevée. » Ce disant il a
fait le dessin que nous avons déjà reproduit (Fig. 5) Jacek
est d ’avis que le raisonnement d’Artur et Janek est exacte­
ment le même, mais Tomek juge leur solution comme étant
plus « générale » : « ils ont une forme de notation diffé­
rente », « ils ont calculé les quotients ».
Les élèves ne se posent pas de questions sur les différen­
ces dans la formulation de la solution, ils regardent surtout
la table des valeurs. C ’est elle qui fournit à la fois le résultat
et sa justification.
Finalement tous les quatre se rencontrent pour une dis­
cussion générale. La discussion tourne autour du reproche
d ’une idéalisation trop poussée, d’après Janek, des résultats
compris dans la table de Jacek et Tomek. Au fond, ce
reproche n ’est qu’un prétexte pour Janek : il s’agit de l’im­
possibilité de démontrer quoi que ce soit à l’aide des appro­
ximations. Tomek se défend :
Tomek : « Mais c’est évident que si c’était une table spé­
ciale, pour, je ne sais pas, un ordinateur, alors on pourrait
écrire même 15 chiffres après la virgule. »
Janek : « Comme ça, tu peux prouver même pour 90 de­
grés que c’est un, si tu arrondis bien. »
Cette discussion finale a montré aussi que la conception
G 1 il ne s’agit pas de s’approcher indéfiniment : le 1 est
atteint après un nombre fini de pas, nombre qui ne dépend
que de l’exactitude exigée ou possible (qui dépend, à son
tour, de la puissance de la calculatrice ou de l’ordinateur).

IV. Obstacles relatifs à la notion de limite.


Une deuxième analyse.
A partir de l’étude du développement historique de la
notion de limite et de l’analyse de l’expérience présentée
plus haut, nous pensons être en mesure de proposer une
liste d’obstacles relatifs à la notion de limite :
38 Recherches en Didactique des Mathématiques

1. « H orror Infiniti »
2. Obstacles liés à la notion de fonction
3. Obstacles « géométriques »
4. Obstacles « logiques »
5. L’obstacle du symbole.
Cette liste et la classification correspondante sont présen­
tées dans le tableau des obstacles :
Cauchy
*o

le t a b l e a u
■ZO —

o ST >
H 0 H 3
r S"
K

des
o bstacles
Obstad* du symbole

Re l a t i f s
A L>
n o t io n
de. l i m i t e

Tableau n° 2
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 39

L’ensemble d’obstacles qui nous paraît le plus important


est celui qui résulte du refus des ensembles infinis. Il s’agit
de :
1. « Horror Infiniti »
Cette expression renvoie à Georg Cantor :
« L’horreur de l’infini est une forme de myopie qui empê­
che de voir l’infini actuel, bien que, dans sa forme supé­
rieure cet infini nous ait créés et nous maintient, et dans ses
formes secondaires transformées il se manifeste tout autour
de nous et va jusqu’à habiter nos esprits i.
(Georg Cantor, Gesammelte Abhandlungen 1932).
O n trouve dans ce groupe, les refus du statut d’opération
mathématique pour le passage à la limite (1.1.-1.4.).
U s’agit de se convaincre du fait que :
1.1. Le passage à la limite est une méthode de démonstra­
tion suivant un schéma rigoureux qui élimine le problème
de l'infini. Cette conviction peut être établie sans que cela
empêche l’élève de tomber dans l’extrême opposé : de l'ap­
plication d’un schéma rigoureux à la liberté totale du choix
du raisonnement menant au résultat, pourvu que celui-ci
soit vrai. O n rencontre les trois formes suivantes :
1.2. Un raisonnement basé sur une instruction incomplète.
1.3. Le passage à la limite considéré comme la recherche de
ce dont nous ne connaissons que des approximations.
1.4. Pour donner une justification à un résultat, on ne
cherche pas à faire des démonstrations rigoureuses, il suffit
de trouver une formule qui décrive la situation donnée et qui
permet une vérification à postériori par un calcul simple.
O ù se manifeste l’élimination de l’infini ? Pour une induc­
tion incomplète il suffit d’avoir un nombre fini de cas pour
tirer une conclusion générale. Dans le cas de 1.3., on ne
s’occupe que d ’un nombre fini de termes de la suite, ceux
qui constituent les approximations. Pour cela, on élimine,
on pousse dans l’ombre presque tous les termes de la suite.
Nous placerons dans ce groupe deux autres obstacles, de
type « algébrique ».
1.6. Transférer automatiquement les méthodes d’algèbre
propre à manipuler les grandeurs finies à des grandeurs
infinies.
40 Recherches en Didactique des Mathématiques

1.7. Transférer les propriétés des termes d’une suite


convergente à sa limite — obstacle qui se manifeste essen­
tiellement dans le principe de continuité de Leibniz.
Nous placerons enfin, comme dernier exemple dans ce
groupe :
1.5. L’obstacle qui consiste à associer le passage à la limite
à un mouvement physique, à un rapprochement : « on
s’approche indéfiniment » ou « on s’approche de plus en
plus », alors que la notion de limite dans la théorie formelle
est conçue de façon « statique ». Alors que pour un « rap­
prochement illimité » l’infini potentiel suffit, la théorie for­
melle exige que l’on prenne en considération tous les termes
d’une suite, autrement dit, elle exige l’existence d’un en­
semble infini.
Dans l’histoire de la notion de limite les obstacles de ce
groupe ont tenu ferme jusqu’au milieu du 19e siècle : de la
méthode d’exhaustion jusqu’à Cauchy. L’horreur de l’infini
chez les Anciens Grecs s’exprimait même dans le mot choisi
pour désigner l’infini, apeiron, qui avait un sens péjoratif :
le chaos était apeiron, une ligne brisée était apeiron, un
mouchoir chiffonné était apeiron. Aristote dans sa « Physi­
que » disait que « . . . être infini est une privation ; ce n’est
pas une perfection mais une absence de limite... » (Rucker,
1982).
La définition de Weierstrass, libre des expressions faisant
appel aux intuitions géométriques et au « petitio
principii »1 dont était coupable la définition de Cauchy,
était le résultat de son travail sur l’arithmétisation des
mathématiques — programme qui consistait à fonder les
mathématiques sur la seule notion du nombre. C ’est au
cours de la seule année 1876 qu’ont été résolus, à la fois le
problème fondamental de l’arithmétisation — celui du sens
de l’expression « nombre réel » grâce aux travaux de Mé-
ray, Cantor, Dedekind et Weierstrass et celui de la formu­
lation d’une définition rigoureuse de la notion de limite. En
fait Weierstrass a corrigé l’erreur logique de Cauchy et
1. C e p e titio p rin c ip ii c o n s is te , g ro s so m o d o , e n la d é fin itio n de la lim ite d ’u n e
s u ite c o m m e u n n o m b r e réel e t la d é fin itio n d u n o m b re réel c o m m e lim ite d ’u n e
s u ite d e s n o m b r e s ra tio n n e ls .
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 41

résolu le problème de l’existence de la limite d’une suite


convergente en admettant la suite elle-même comme étant
le nombre ou la limite (Boyer, 1968, p. 606).
Il est bien vrai quoique paradoxal que l’on ne peut pas
comprendre la notion de limite sans avoir compris la notion
de nombre réel et les nombres réels, on ne les comprend
vraiment, qu’après avoir compris la notion de limite elle-
même. Mais cela ne saurait servir de fondement à une
définition.
Ce paradoxe ne peut pas être résolu sans que l’on accepte
l’existence des ensembles infinis, de différents ensembles
infinis en les acceptant comme « actuellement » et non pas
seulement « potendellement » infinis.
Passons plus en détail les obstacles de ce premier groupe.

Obstacles qui refusent au passage à la limite le statut


d’une opération mathématique»
Les élèves qui ont pris part à l’expérience n’ont pas pensé
avoir découvert une nouvelle opération mathématique ;
peut-être une nouvelle méthode de raisonnement, mais ce
n’est ni explicite ni clair.
Cette intuition d’un objet mathématique qui consiste à le
concevoir en tant que construction logique destinée à prou­
ver son existence se trouve non seulement dans le cas de la
notion de limite mais dans bien d’autres cas aussi, comme le
font remarquer R. Daval et G.T. Guilbaud (1945, p. 48) :
« Pour démontrer quoi que ce soit concernant les entiers il
a fallu adopter un mode de raisonnement calqué sur le
mode même de formation des entiers. De la même façon
qu’on peut parvenir à un entier quelconque par simple
répétition de la progression d’une unité, de même on peut
passer de T(O) à T(n). L’intuition de l’objet devient l’intui­
tion de la construction de l’objet ; le regard passe en effet
des objets à l’édifice logique. O n pourrait faire des remar-
ues analogues dans l’étude du continu, comme dans bien
3 ’autres domaines. Introduire l’opération de passage à la
limite par exemple, c’est encore adapter la méthode de
raisonnement à l’objet de raisonnement. »
42 Recherches en Didactique des Mathématiques

1.1. Le passage à la limite est une méthode de démonstra­


tion suivant un schéma rigoureux qui élimine le problème
de l’infini.
Nous voyons des manifestations de cet obstacle par
exemple dans la méthode d’exhaustion. C’était certaine­
ment une méthode pour faire des démonstrations, mais elle
ne définissait pas une nouvelle opération mathématique :
pour une grandeur concrète il fallait effectuer le raisonne­
ment de nouveau à chaque fois. En outre, notre opinion est
que dans cette méthode le problème de l’infini est éliminé.
Ce point ne fait d’ailleurs pas l’accord chez les historiens.
Boyer, par exemple, soutient que la méthode d’exhaustion
évacue l’infini des démonstrations grecques et que jamais les
mathématiciens grecs ne considéraient le processus dont il
est question dans cette méthode comme effectué littérale­
ment un nombre infini de fois, comme nous le faisons en
passant à la limite. Il est possible d’argumenter en sens
inverse en citant le lemme qui est à la base de cette méthode
dans lequel on a affaire à « une grandeur quelconque » qui
peut, bien sûr, être aussi petite qu’on veut. Quelle diffé­
rence avec le « pour tout epsilon... etc » de Weierstrass ?
Mais dire qu’Eudoxe acceptait l’infini serait en contradic­
tion avec l’aversion bien connue des mathématiciens grecs
envers l’infini, avec leur idée de rigueur en mathématiques
et avec la thèse d’Anaxagore qui dit qu’il est impossible
qu’un processus infini puisse être terminé, qui était en
cours à cette époque.
Le comportement des élèves montre bien qu’on peut
s’exprimer comme on s’exprime en faisant les démonstra­
tions par la méthode d’exhaustion sans qu’il soit question
d ’infini. Un des élèves dit : « Ça s’approche, ça s’approche,
ça s’approche et finalement ce sera égal à un ». Mais il
s’ensuit de la discussion générale, les quatre élèves réunis,
que ce « finalement » ne signifie pas l’infini ; il consiste
seulement à prendre autant de termes que l’exige le degré
d’exactitude demandé (voir p. 39).
1.2. Raisonnement basé sur une induction incomplète.
Les élèves observés ont traité le passage à la limite comme
un raisonnement par induction. Cela pouvait être le résultat
du choix du problème et du fait qu’üs avaient des calcula-
s _
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 43

trices à leur disposition. Avec l’expérience mathématique


dont disposaient ces élèves, le chemin pour trouver la limite
en x = 0 de la fonction x -> passe par une induction
incomplète basée sur des calculs numériques. Il s’agit natu­
rellement d ’un raisonnement insuffisant du point de vue
mathématique et l’enseignement se donne pour but d’en
convaincre les élèves, mais ce serait certainement une erreur
de leur défendre de s’en servir et de leur faire croire que les
mathématiciens ne s’en servent pas. Si, au XVIIIe siècle,
tant de découvertes ont été faites dans le domaine du calcul
différentiel et intégral, c’est justement grâce à la libération
des canons de la rigueur grecque, un emploi libre de l’in­
duction incomplète, l’infini et les grandeurs infiniment peti­
tes et infiniment grandes. Le perfectionnement des métho­
des, le traitement rigoureux des concepts, des opérations et
de leurs bases théoriques passait par une sorte de voie
expérimentale : en résolvant des problèmes concrets, les
mathématiciens élaboraient sans cesse de nouveaux schémas
de raisonnement mathématique. Ainsi, les raisonnements
inductifs se transformaient d’une part, en une science géné­
rale — l’heuristique — et d’autre part, ils devenaient des
méthodes mathématiques correctes, comme induction
mathématique, récursivité, interpolation (Juszkiewicz II,
1976). Rappelons ici la fameuse phrase de d’Alembert :
« Allez en avant, et la foi vous viendra ! »
Remarquons ici que, si nous acceptons le point de vue de
Lakatos sur le statut épistémologique des mathématiques,
nous ne saurions considérer ce qui s’est passé en analyse au
17e et 18e siècle comme quelque-chose d’exceptionnel. Il
s’agit bien d’une voie normale du développement des
mathématiques. O n y va de la conjecture à la preuve, à la
réfutation de la preuve ou de la conjecture, amélioration de
l’une ou de l’autre, etc. (Lakatos, 1976). Les mathémati­
ques sont une science quasi-empirique (par opposition à
une science euclidienne) : « Classical epistemology has for
two thousand years modelled its ideal of a theory, whether
scientific or mathematical, on its conception of Euclidean
geometry. The ideal theory is a deductive system with an
indubitable truth-injection at the top (a finite conjunction
44 Recherches en Didactique des Mathématiques

of axioms) — so that truth, flowing down from the top


through the safe truth-preserving channels of valid inferen­
ces, inundates the whole system. It was a major shock for
over-optimistic rationalism that science — in spite of im­
mense efforts — could not be organized in such Euclidean
theories. Scientific theories turned out to be organized in
deductive systems where the crucial truth value injection
was at the bottom — at a special set of theorems. But truth
does not flow upwards. The important logical flow in such
quasi-empirical theories is not the transmission of truth but
rather the retransmission of falsity — from special theorems
at the bottom (Karl Popper’s « special statements ») up
towards the set of axioms » (Lakatos 1978a).
1.3. Le passage à la limite est la recherche de ce dont nous
ne connaissons que des approximations.
Nous avons vu apparaître cet obstacle chez les élèves
(voir p. 33-GO) : au cours de la deuxième étape, après avoir
trouvé les approximations de quelques valeurs de sin x et de
x, un des élèves dit : « Regarde à quoi ce sera égal, tout cela
sera égal approcimativement à un, tu ne trouves pas ?» Et
une phrase de la solution de l’autre équipe : « Quand x
prend les valeurs proches de zéro, alors a prend les valeurs
proches de 1. De là, nous concluons que lorsque x = 0,
alors a = 1... ».
O n peut interpréter le fonctionnement de cet obstacle du
point de vue linguistique. Le passage à la limite correspon­
drait à un processus métonymique. Pour l’expliquer, nous
nous servirons d’une analogie.
Supposons qu’un triangle soit dessiné sur une feuille de
papier quadrillé. Appelons-le « T » :


v y

TV — /J
i i_
w .
T>

1 I
Figure 11
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 45

Q u ’en fait le processus métonymique ? Eh bien, il en fait


le triangle T ’. Le triangle T est « glissé de manière à être
en accord avec le rythme qu’impose le quadrillage. Car T
est une approximation de quelque chose. De quoi s’agit-il ?
Le rythme du quadrillage donne la réponse.
Supposons maintenant que l’on ait une suite numérique,
par exemple : .9, .99, .999, .9999, ... Il s’agit d’une suite
d’approximations dont il faut deviner le terme. Dans ce cas,
le rôle précédemment dévolu au quadrillage est joué par les
nombres entiers, certaines fractions, certains nombres irra­
tionnels « apprivoisés » (comme les racines carrées de 2 ou
3), et le glissement au nœud le plus proche, c’est justement
la recherche de ce dont nous ne connaissons que des appro­
ximations.
1.4. Pour justifier le résultat obtenu on ne demande pas de
faire des démonstrations rigoureuses ; il suffit de trouver
une formule qui décrit la situation donnée et qui permet
une vérification à posteriori par un calcul simple.
Nous avons affaire ici, non seulement à une élimination
de l’infini mais encore à la recherche d’une formule magi­
que que l’on pourrait ajouter aux formules déjà connues
pour résoudre ainsi tous les problèmes du même genre. Il
semble que les élèves observés croient en l’existence d’un
moyen de ce type lorsque, dans la deuxième étape, ils
justifient leur solution par : « Après l’analyse des don­
nées... » après quoi ils écrivent certaines formules et leurs
transformations qui ont pour but de déduire le résultat
(voir p. 33 et 35).
Nous retrouvons cet obstacle dans la méthode d’omis­
sion de certains termes de Fermat.
1.7. Transfert des propriétés des termes d’une suite à sa
limite.
Cet obstacle est l’essence même du principe de continuité
de Leibniz. Aucune preuve n’a été donnée et aucune objec­
tion n ’a été soulevée contre ce principe au cours du 18e siècle
1. N o u s e m p lo y o n s ce m o t p o lir d o n n e r u n e a s s o c ia tio n d ’id é e s avec le * glisse ­
m e n t d e ré fé re n c e » q u i a p p a r a ît d a n s la d é fin itio n d u p ro c e s s u s m é to n y m iq u e q u e
d o n n e L e G u e m (1 9 7 3 ). N o u s re n v o y o n s a u ssi à Z a w a d o w s k i (19 8 1 ) e t C a u ty
(1 9 8 4 ) p o u r l’e m p lo i d e s tr o p e s e t fig u re s d a n s le d is c o u rs m a th é m a tiq u e .
46 Recherches en Didactique des Mathématiques

et Cauchy a été le premier à vouloir le démontrer dans le


cas particulier des suites convergentes des fonctions conti­
nues. Et il l’a démontré malgré le contre-exemple de Four
rier existant depuis 1807 (cos x - cos 3x -I- cos 5x - ...).
Tout ceci semble bien mystérieux et incompréhensible. Un
moyen d’éclaircir ce mystère a été suggérée par Robinson
dans sa « Non-standard » analysis et menée à bout par
Lakatos (1976 et 1978b) d’une manière convaincante. La
raison pour laquelle on ne comprend pas les « erreurs » de
Cauchy est que l’on veut le considérer comme un précur­
seur direct de Weierstrass : « The gist of the solution sug­
gested by Robinson is that in the history of the calculus
from Leibniz to Weierstrass there were two rival theories of
the continuum. O n the one hand there was the now accep­
ted Weierstrassian theory and on the other there was the
Leibnizian theory of the continuum : the Archimedean
continuum extended to non-Archimedean one by adding
infinitesimals and infinitely large numbers. Leibniz’s theory
was the dominant one until the Weierstrassian revolution,
and Cauchy himself was completely in the Leibnizian tradi­
tion. What s^as revolutionary about Weierstrass theory was
that the known calculus could be fully explained and even
further developped with the Weierstrassian real numbers
only — the set of which was a mere skeleton of what
Leibniz regarded as the set of real numbers. Cauchy’s real :
« variables » ran through Weierstrassian real numbers and
infinitesimals and those numbers which differed from
Weierstrassian real numbers by infinitely large numbers
and/or infinitesimals ; the later Weierstrassian points were
finite Leibniz-Cauchy points deprived of their infinitesimal
neighbourhoods » (Lakatos 1978b, p. 47-48). De ce point
de vue Cauchy n’a pas fait d’erreur — il a tout simplement
démontré un tout autre théorème : « About transfinite se­
quences of functions which Cauchy-converge on the Leib­
niz continuum » (idem. p. 50). Quand Cauchy dit « soit
lim sn(x) = s(x) où sn(x) sont continues il veut dire que les
sn(x) doivent être définies et continues et la suite [ s^(x) ]
doit être convergente non seulement dans les points stan­
dard de Weierstrass mais aussi dans tous les points de
Cauchy c’est-à-dire que la suite sn(x) doit être définie pour
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 47

les indices n infiniment grands et sh(x) doivent être conti­


nues pour les n infiniment grands. L’exemple de Fourier ne
satisfait pas, bien sûr, cette condition. Et l’on comprend
bien pourquoi le principe de continuité de Leibniz parais­
sait évident et n’exigeait pas de preuve.
1.6. Transfert automatique des méthodes d’algèbre propres
à manipuler des grandeurs finies à des grandeurs infinies.
Cet obstacle a été remarqué par Galilée au début du 17e
siècle en liaison avec le paradoxe médiéval bien connu où il
s’agit de comparer le nombre de points sur les circonféren­
ces des cercles de rayon 1 et 2. Il a dit que les problèmes
apparaissent seulement « when we attempt, with our finite
minds, to discuss the infinite, assigning to it those proper­
ties which we give to the finite and limited ; but this I think
is wrong, for we cannot speak of infinite quantities as being
the one greater or less than or equal to another » (Galileo
Galilei, Two New Sciences, Henry Crew and Alfonso de
Salvio, trans.. New York : Macmillan 1914, p. 14 in
Rucker 1978, p. 5). i AR
Est-ce que l’écriture « °°.A.B. 2 ôo= » est symptôme
de cet obstacle ou pas ? Le langage algébrique cette écri­
ture, prise littéralement, est illégale.
N ous retrouvons la formule citée chez Wallis (Boyer,
1960) qui a introduit le symbole °° et s’en servait sans gêne
de cette manière. Euler, de même, utilise librement le sym­
bole 00 et calcule avec lui comme avec vin nombre ordinaire
sans expliquer une signification de ses calculs (Houzel et
al., 1976). Mais si chez Wallis nous pouvons encore parler
d’un emploi métaphorique de telles expressions, chez Eu­
ler, qui part d’une position formaliste délibérée, ces expres­
sions sont déjà lexicalisées, dans le cadre formel, et de tels
calculs sont bien légitimes dans la mesure où l’on est
conscient des limites d’applicabilité des lois propres au do­
maine des nombres finis dans un domaine plus large (ce
n ’était pas, malheureusement, le cas d’Euler).
Cet obstacle n’est pas tout à fait explicit chez les élèves
mais certains faits nous suggèrent qu’il existe et peut se
développer et se renforcer au cours d’un enseignement sys­
tématique. Il s’agit de la première proposition de solution
du problème dans la deuxième étape :
48 Recherches en Didactique des Mathématiques

Trouver un autre point de la tangente et déterminer son


équation à l’aide d’un système d’équations (voir p. 25).
Aussi le blocage qui a eu lieu chez Tomek et Jacek (voir
p. 27) pouvait provenir de la tendance des élèves à appli­
quer des méthodes d’algèbre pour justifier leur résultat.
1.5. Obstacle « physique ».
La question de savoir si une grandeur variable atteint ou
pas sa limite est bien symptôme de cet obstacle, d’une
interprétation trop littérale des expressions dites « dynami­
ques » employées à propos de la notion de limite. Du point
de vue de la définition de Weierstrass, par exemple, cette
question n’a pas de sens. Comme le dit si bien Boyer
(1960) : « Avec la notion de limite est liée non pas l’image
d ’un rapprochement mais seulement un état statique des
choses. Une question est, en fait, réduite à deux :
1) Est-ce que la variable y = f(x) a une limite quand x tend
vers a ;
2) Est-ce que cette limite est égale à f(a). Si oui, alors on
peut dire que la limite de la variable y en la valeur donnée
de x est égale à la valeur de cette variable pour la valeur
considérée de x mais non pas que f(x) atteint f(a) car cette
dernière expression n’a pas de sens. »
Il est curieux que cette question ait été posée encore
après Weierstrass ; dans plusieurs manuels du début du
siècle la condition selon laquelle une grandeur variable n’at­
teint jamais sa limite est posée explicitement et des recher­
ches récentes (Cornu 1983, Robert 1983) nous apprennent
qu’elle est importante pour les débutants en analyse. Dans
notre expérience un des élèves a proposé un énoncé de ce
type : « Ça tendra vers un mais ne sera pas égal à un » (G4,
p. 27). Il faut néanmoins souligner que cela avait été provo­
qué par l’expérimentateur.
Un deuxième groupe d’obstacles est celui des :
3. Obstacles liés au concept de la fonction.
L’apparition du concept général de fonction a été un
moment décisif qui a permis, au 19e siècle, une formulation
claire de la notion de limite libérée des intuitions géométri­
ques et physiques.
Dans les étapes constitutives de la rigorisation de la défi-
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 49

nition de limite on voit apparaître de plus en plus claire­


ment la notion de fonction. Nous illustrerons ceci avec les
définitions de d’Alembert, Cauchy et Weierstrass.
d’Alembert : « O n dit qu’une grandeur est la limite d’une
autre grandeur quand la seconde peut s’approcher de la
première plus près que d’une grandeur donnée, si petite
qu’on la puisse supposer, sans pourtant que la grandeur qui
approche puisse jamais surpasser la grandeur dont elle ap­
proche ; en sorte que la différence d’une pareille quantité à
sa limite est absolument inassignable » (Encyclopédie, arti­
cle « limite »).
Ici, premièrement, la notion de fonction n’apparaît pas ;
deuxièmement, il n’est pas question de nombres mais de
grandeurs ; troisièmement, il y a beaucoup d’expressions
non définies : « s’approcher », « différence entre les gran­
deurs », « inassignable ». Dans ce sens, le cercle est la
limite des polygones inscrits ou circonscrits et on n’a pas
besoin de réduire les choses aux circonférences, c’est-à-dire
aux nombres.
Cauchy : « Lorsque les valeurs successivement attribuées
à une même variable s’approchent indéfiniment d’une va­
leur fixe, de manière à finir par en différer aussi peu que
l’on voudra, cette dernière est appelée la limite de toutes les
autres. »
La relation fonctionnelle apparaît déjà comme une attri­
bution de valeur numérique. Mais on parle des valeurs
consécutives. Alors la définition ne concernerait que les
suites numériques ? Les quantificateurs sont implicites et il
y a toujours des expressions indéfinies. Que veut dire
« s’approcher indéfiniment » ? D ’après Lakatos, cette défi­
nition ne définit que la notion de convergence des suites
numériques : « Stricdy, Cauchy’s variables are sequences of
Weierstrassian reals. « A variable is a quantity which is
thought to receive successively different values ». His infi­
nite numbers are unbounded sequences of reals. The infini­
tely small quantities are sequences which converge (in the
Weierstrass sense) to zero (...). Although Cauchy dit not
explicitely use the notion of sequence for his variables, this
idea is implicit in his actual usage» (Lakatos, 1978b p.48).
50 Recherches en Didactique des Mathématiques

Ceci explique pourquoi Cauchy ne marque, pas le point


dans lequel on calcule la limite : comme il ne parle que de
suites, ce point est toujours l’infini.
Weierstrass : si, étant donné un nombre positif quelcon­
que 8 , il existe un r)o . tel que pour 0 < q < r}0, la
différence f(xQ ± q) - L est plus petite en valeur absolue que
8 alors L est la limite de f(x) pour x = Xq ».
Il n ’y a rien à ajouter, rien à supprimer.
2.1. L’obstacle observé chez les élèves est proche de celui
que nous avons vu dans la définition de Cauchy, car nous
avons ici la restriction aux suites de valeurs et la conception
du continu des élèves semble être plus proche du continu
de Leibniz-Cauchy que du continu de Weierstrass (voir
p. 21 et 22, S7, C l, S8, « points voisins », p. 27, « points
infiniment proches » et p. 33, GO pour les conceptions du
continu ; p. 24 (message, 2e point) et p. 24/1 pour la
conception de la variable comme une suite).
Autres aspects de cet obstacle :
2.2. L’attention est tournée exclusivement sur le côté rela­
tionnel de la fonction.
Quand on cherche la limite d’une fonction en un point, il
est important de savoir quel est son domaine et son co­
domaine, non pas pour savoir quelle est la valeur de la
fonction en ce point, si elle existe, ou est-ce qu’elle existe,
mais pour savoir quelle est la topologie de ces ensembles,
quel est le filtre des voisinages du point Xq, et quel est le
filtre des voisinages du point dont nous supposons qu’il est
la limite, et si l’image du premier, qui est une base de filtre,
engendre un filtre plus fin que le second. Mais si la fonction
est donnée par une formule du type y = f(x) alors l’atten­
tion est focalisée sur cette formule et les ensembles des
valeurs des x et des y restent dans l’ombre. C’est pour cela
que le calcul différentiel et intégral d’Euler et de Lagrange,
basé sur les fonctions données par une « simple expression
analytique » ne pouvait se développer que dans un domaine
très restreint.
2.3. Réduction aux fonctions monotones.
Très longtemps dans l’histoire, les conceptions de limite
ne s’appliquaient qu’aux fonctions monotones. Par exemple
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 51

celle d’Aline Robert (1983) portant sur des étudiants de


première année d’université.
2.4. La non-distinction de la notion de limite de la notion
de borne inf. ou sup.
Il faut distinguer la fonction de l’ensemble de ses valeurs.
Ceci est particulièrement difficile lorsqu’on parle, des suites,
car si une fonction est une suite, l’attention est tournée
avant tout vers l’ensemble de ses valeurs, les arguments
restent dans l’ombre. O n parle du domaine de définition
mais d’une manière différente que quand le cas des fonc­
tions à l’argument réel. L’indice « parcourt » l’ensemble des
nombres naturels et non pas « appartient à » l’ensemble des
nombres naturels. La distinction entre la fonction et l’en­
semble de ses valeurs est indispensable, elle doit être perçue
par les élèves bien que pas forcément verbalisée ou formulée
consciemment. Il faut qu’il soit clair que, par exemple, la
suite 1,1,1,1 ... a un nombre infini de termes et non pas -
un terme, et qu’elle n’est pas un ensemble dont 1 est le seul
élément. Dans la littérature on trouve des exemples d’er­
reurs qui peuvent être considérés comme des symptômes de
cet obstacle. Par exemple, le constat selon lequel la limite
de la suite
1
/ — si 10 ne divise pas n
an = Z”
\
' 1 si 10 diyise n
est égale à 1 ou que la suite .9, .99, .999, .9999, ... a deux
limites, 1 et 0 (Cornu 1983).
Cet obstacle est apparu très nettement chez les élèves
(voir p. 32).
3. Conception géométrique de la notion de limite.
Cet obstacle peut se manifester par :
3.1. Une idée géométrique de la différence entre une gran­
deur variable et une grandeur constante qui est sa limite.
Justement : « Grandeur » et non - « nombre ». Conception
du cercle comme limite des polygones inscrits ou circons­
crits serait un des symptômes de cet obstacle : plus le
nombre des côtés est grand, plus la forme du polygone
devient proche de la forme du cercle. Aussi, une idée de
52 Recherches en Didactique des Mathématiques

tangente comme limite de sécante variable où on se dit qu’à


un certain moment la position de la sécante diffère aussi
peu qu’on veut de la position de la tangente. C ’est bien la
conception de différence avec laquelle on a affaire dans la
méthode d’exhaustion. Le terme « différence » changeait de
sens avec le changement de la grandeur en question et ceci
peut être une des raisons pour lesquelles on avait tant de
mal à transformer cette méthode en un théorème général.
La notion de limite se rapporte aux fonctions dont les
valeurs sont des points et non des sous-ensembles d’un
espace topologique. Et le terme « différence » qui apparaît
sous de différents « habillages » dans les définitions de limite
doit être compris comme déterminé par la topologie de
l’espace. Par exemple, dans R, ce sera la valeur absolue de la
différence arithmétique : on demande que |f(x)-L|<e pour
tout nombre réel e > 0 donné à l’avance ; dans l’espace des
fonctions bornées 3 ^ (X —» IR) - la norme de la différence
des fonctions : on demande que
Itëi - Lll = SxPU x) - L(x)|<£ dans l’espace topologique gé­
néral Y cette différence sera déterminée par les voisinages :
on demande que f(x) e VL pour tout voisinage VL du point L,
donné à l’avance.
Dans la première étape un des garçons rejettait systémati­
quement l’expression proposée par l’autre : « s’approcher »
comme ambiguë ou non-mathématique. Cela peut manifes­
ter un sentiment nécessité de préciser ce qu’il faut compren­
dre par la différence entre les grandeurs.
3.2. Si aujourd’hui l’idée de limite est étroitement liée à
l’opération topologique de fermeture, dans l’intuition géo­
métrique elle est dans certaines situations plus proche de ce
qu’on pourrait appeler la « borne » d’un ensemble. Nous
dirions, par exemple, que, chez Archimède, le volume d’un
solide est la borne de la somme des volumes des disques qui
le remplissent avec une idée de volume qui n’est pas réduite
au nombre. Dans le même ordre d’idées, où les mathémati­
ciens se limitaient aux fonctions monotones, la limite borne
plutôt l’ensemble qu’elle n’appartient à sa fermeture. Les
sources de ce deuxième aspect de l’obstacle « géométrique »
sont dans le manque d’un concept bien formé du nombre
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 53

réel. Mais la notion du nombre réel ne devient claire


qu’après avoir bien compris la notion de limite (nous
l’avons déjà fait remarquer auparavant). O n ne saurait dire,
si la notion de limite a été précisée au 19e siècle grâce à la
définition du nombre réel, ou, au contraire, une définition
précise de la notion du nombre a été possible parce qu’on
avait compris la notion de limite et on voulait prolonger
l’ensemble des nombres.
Au sens où nous parlons ici, il est difficile de dire si les
intuitions 'des élèves sont plutôt géométriques ou plutôt
numériques. L’idée des élèves, dans la première étape a été
de construire la tangente par une généralisation du concept
de rayon. Il s’agissait de la recherche d’une construction
classique de la tangente et cela n’avait rien à voir avec la
notion de limite. En ce sens exprimer la limite comme « un
point où change la direction de la sécante », « point-
limite », « point-critique » n’est pas géométrique.
Mais on pourrait parler aussi d’une intuition géométrique
dans le cas de la manifestation de la conception suivante
(exprimée par l’un des élèves) : une position de la sécante
telle que tout changement de cette position fait qu’elle
touche ou passe par un des points infiniment proches du
point de tangence (voir p. 29 et 31, conception Sll). Aussi,
quand Jacek dit que la suite numérique obtenue dans la
seconde étape « tend vers » l’unité on peut penser à une
intuition géométrique — son professeur nous a signalé qu’il
a employé cette expression lors de l’étude de la fonction
tangente en disant que la fonction « tend vers l’infini lors­
que x croit vers M/2. L’image d’un approchement indéfini
de la courbe représentation graphique à l’asymptote devait
être très suggestive pour lui.
4. Obstacles « logiques ».
Au côté logique de la définition de la notion de limite
correspondent les obstacles suivants : effacement des quan­
tificateurs ou de leur ordre, et l’obstacle relatif au symbole
de l’opération de passage à la limite.
Effacement des quantificateurs ou de leur ordre.
Le manque des quantificateurs apparaît souvent là, où,
pour définir la notion de limite, on se sert de langue nam-
54 Recherches en Didactique des Mathématiques

relie et non symbolique. Encore Cauchy ne marquait pas


distinctement la dépendance entre le voisinage du point
auquel on calcule la limite et le voisinage du point qui est la
limite. En langue naturelle on ne fait pas bien attention à
l’ordre des mots et aux différences subtiles qui s’ensuivent.
U n autre problème lié avec l’ordre des quantificateurs
dans la définition de la limite est le suivant : la fonction
nous mène de l’axe de x à l’axe des y, tandis qu’en faisant
l’étude de la limite en un point de la fonction on va en sens
inverse. Cette nécessité de « regarder de l’axe des x sur l’axe
des y » est une difficulté qui est à la source de cet obstacle.
Les quantificateurs ne sont apparus nulle part chez les
élèves observés, peut-être peut-on parler d’un soupçon des
quantificateurs dans la discussion finale où il est question de
choix du nombre des termes par rapport à l’exactitude
demandée. Les garçons ne disent jamais que les valeurs de
la fonction sin x/x diffèrent aussi peut qu’on veut de 1 pour
les valeurs de x suffisamment proches de zéro ; ils disent
seulement que si x se trouve autour de zéro alors sin x/x se
trouve autour de 1 (p. 36) ou que la différence entre les
valeurs de x et sin x devient de plus en plus petite (p. 29,
Ad3).
Les quantificateurs dans la notion de limite ne s’imposent
pas d’une façon naturelle dans les problèmes où la limite
existe et dans lesquels on peut la deviner. Le rôle des
quantificateurs peut ressortir (comme dans l’expérience)
pendant une discussion sur l’exactitude mais il a une chance
de devenir plus clair grâce aux exemples de l’inexistence de
la limite.
Il faut bien souligner ici le seul apprentissage
« préventif » de la logique ne permettra pas de franchir ce
dernier obstacle « logique ». Il ne suffit pas de connaître les
quantificateurs et leurs propriétés pour s’apercevoir du rôle
que leur présence et leur ordre jouent dans la définition de
la notion de limite.
5. L’obstacle du symbole.
Le symbole de l’opération de passage à la limite a été
introduit seulement par Cauchy (Extrait n° 2). Q u’il ait
apparu si tard est assez facile à expliquer. Tant que le passage
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 55

à la limite n’était pas considéré comme une opération


mathématique à part, le symbole n’était pas nécessaire.
Pour Fermat, Newton, Leibniz et tant d’autres le passage à
la limite faisait partie d’autres opérations comme calcul des
fluxions, différentielles, intégrales, et dans ces cas-là on
employait le signe d’égaHté ou des expressions du discours
mathématique utilisées à propos des proportions.
Cauchy était obligé de donner un symbole à l’opération
de passage à la limite parce qu’il a admis la notion de limite
comme une notion de base, première par rapport aux no­
tions de dérivée, continuité, intégrale. Mais il quittait ainsi
le principe de « lumière naturelle » formulé par Descartes
car le sens d’une définition repose dans ses conséquences et
on était encore à cette époque assez loin de voir toutes ces
conséquences. Ce n’est qu’aujourd’hui que nous savons
dans combien de directions différentes s’est développée
l’analyse à partir de ces fondements.
L’histoire du développement du calcul différentiel et in­
tégral est marquée par une tendance à trouver un algo­
rithme universel qui permettrait de « résoudre les équations
infinies comme l’algèbre le fait par rapport aux équations
finies. » Newton croyait avoir trouvé cet algorithme, sa
conception de fonction étant restreinte à celles qui se lais­
sent développer en série. C ’était d’ailleurs l’argument avec
lequel il justifiait l’emploi du terme « analyse » — terme
que Viète utüisait auparavant pour désigner ce qu’on ap­
pelle aujourd’hui « algèbre ». Cauchy a suivi cette tendance
et c’est ainsi que l’opération de limite a été symbolisée
d’une façon qui souligne trop les ressemblances avec l’algè­
bre, cache les différences et peut mener à une perte de
signification.
Au cours de notre expérience, une des deux équipes n’a
utilisé aucun symbole spécifique alors que dans l’autre, les
élèves ont employé un signe d’égalité
ap = 1 au heu hm ap(x) =- 1.
x—>0
56 Recherches en Didactique des Mathématiques

Lorsqu’une quantité variable converge ver» une limite fixe, il est


souvent utile d'indiquer cette limite par une notation particulière:
e’est ce que nous ferons, mt plaçant l’abréviation
lim

devant la quantité variable dont il s’agit. Quelquefois, tandis qu’une


ou plusieurs variables convergent vers des limites fixes, «no exprès»
sinii qui renferme ces variables converge à la fois vers plusieurs limites
dillérenles les unes des autres. Nous indiquerons alors une quelconque
de ces dernières limites à l’aide de doubles parenthèses placée.» ' h
suite de l'abréviation lim, de miwiière à entourer l’expression que l'ort
considère. Supposons, pour fixer les idées, qu'une variable positive
ou négative, représentée par .r converge vers la limite o, et désignons
par A un nombre constant : il sera facile de s’assurer que chacune des
expressions
l i m A*, l i m s i n ,lr

a une valeur unique déterminée par l'équation


lim A * = i

lim sin a- — »,
tandis que l'expression
lim

admet deux valeurs, savoir, -h x , — oc, et

fini

une infinité de valeurs comprises entre les limites — i et -+- i.

A. Cauchy, « Cours d’Analyse », p. 26

Extrait n° 2
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 57

V. Quelques commentaires
1. Nous ne prétendons pas que l’analyse des obstacles
épistémologiques relatifs à la notion de limite que nous
venons de présenter soit définitive ou exhaustive. Il nous
semble probable, par exemple, que l’élaboration de
situations-problèmes permettant la prise de conscience et le
franchissement de ces obstacles par les élèves, leur expéri­
mentation en classe et leur analyse en interaction avec une
étude historique et philosophique des problèmes liés avec
l’infini surtout résulte en une remise en cause de cette liste,
sa modification, un approfondissement.
2. L’expérience a montré que des obstacles sérieux rela­
tifs aux notions du nombre et de l’infini restent à surmonter
chez les élèves malgré un enseignement systématique de ces
notions en classe.
3. A cause de l’importance fondamentale de la notion de
fonction dans la notion de limite, le franchissement des
obstacles qui lui sont liés a une signification toute particu­
lière. Le fait qu’ils ne soient pas surmontés chez de si bons
élèves oblige à porter une attention particulière à la notion
de fonction au début de l’enseignement de l’analyse.
4. Les deux points précédents indiquent déjà une direc­
tion de recherche future autour des problèmes de l’ensei­
gnement de l’analyse. Les concepts de base y sont nette­
ment interdépendants, ils s’« accrochent » les uns aux au­
tres, aussi faudrait-il chercher les obstacles relatifs non pas à
chacun des ces concepts séparément mais bien à tous ces
concepts ensemble, c’est-à-dire des obstacles relatifs au
champ conceptuel des débuts d’analyse. De même, il serait
insensé de séparer dans l’enseignement les notions de limite,
de continuité, de dérivée ou d’intégrale.
5. Le recours à l’intuition géométrique avait tenu ferme
très longtemps dans l’histoire et faisait un obstacle sérieux à
la formulation d ’une définition rigoureuse, autant en empê­
chant la détermination de ce qu’il faut comprendre par la
différence entre deux grandeurs que par un attachement de
la notion de limite à la notion de borne d’un ensemble,
conduisant à accepter comme limite d’une fonction dans un
point ce qui est le sup. ou l’inf. de l’ensemble des valeurs de
cette fonction au voisinage de ce point. Ceci indique la
58 Recherches en Didactique des Mathématiques

nécessité de garder une certaine réserve vis-à-vis des métho­


des démonstratives ou intuitives d’introduction des notions
de tangente ou de limite à l’aide de différentes représenta­
tions géométriques..En tout cas, il ne faut pas se contenter
de telles représentations.
6. La manifestation conjointe de nombreux obstacles
épistémologiques rencontrés dans l’histoire et chez des élè­
ves nous semble plaider pour la mise en place de cours
d ’histoire du développement des notions mathématiques
pour la formation des enseignants.
7. Cette remarque et la suivante sont en quelque sorte un
produit casuel de l’expérience.
Nous avons constaté que la notion de tangente est un
concept nouveau pour les élèves qui demandent le franchis­
sement de beaucoup d’obstacles. O n ne peut pas compter
sur le fait que l’interprétation de la dérivée comme le coeffi­
cient angulaire de la tangente puisse approcher cette notion
si elle est introduite d’abord comme limite de la suite de
quotients différentiels.
8. La manière dont les élèves se servent des calculatrices
est très naïve et montre que la question des calculs approxi­
matifs est complètement négligée dans l’enseignement. Il ne
semble pourtant pas inutile de rappeler la valeur formative
que peut avoir la pratique des calculs approchés pour l’en­
seignement des débuts d’analyse.

VI. Références.
Nous évoquerons ici les quelques travaux didactiques
portant sur la notion de limite qui nous ont été accessibles
et qui nous ont parus significatifs.
Schwartzenberger, Tall et Vinner travaillent depuis long­
temps sur l’enseignement de l’analyse. Leur hypothèse cen­
trale est que dans un processus d’apprentissage le sujet
construit des structures mentales qui peuvent fonctionner
selon d ’autres principes que ceux de la logique mathémati­
que. La structure mentale associée à un concept mathémati­
que donné (« concept image » - Tall et Vinner (1981) )peut
contenir une forme verbale utilisée par le sujet pour définir le
concept, certaines propriétés qui ne sont pas nécessairement
introduites par le maître ou le manuel, mais qui peuvent être
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 59

le résultat des observations propre du sujet (p.ex. « la sous­


traction diminue le résultat »), certaines images mentales
associées aux expressions utilisées par le maître pour intro­
duire le concept, certains schémas de résolution de problè­
mes, etc. Le « c.i. » évolue au fur et à mesure que le sujet
acquiert de l’expérience, rencontre de nouveaux stimulants
et mûrit. Le c.i. se rapporte aux structures cognitives qui
sont construites au stade des opérations formelles et il s’agit
là de structures réelles et non pas de leurs modèles. La thèse
essentielle de Vinner sur le processus psychologique du
développement des concepts est que les élèves moyens dans
l’enseignement secondaire ne considèrent pas la définition
mathématique comme critère ultime pour juger si quelque
chose est ou n’est pas un exemple spécifique d’une notion
donnée mais plutôt comme un « échafaudage » qui sert à
bâtir une structure mentale et qui est ensuite rejeté comme
inutile. Et ensuite, les exemples de la notion sont reconnus
ou construits intuitivement et non pas analytiquement par
l’élève.
Ces trois auteurs s’intéressent plus particulièrement à ces
éléments du c.i. qui sont en contradiction soit avec d’autres
pièces de ce c.i. soit avec la définition formelle. Tall et
Vinner (1981) Considèrent les éléments du premier genre
comme moins dangereux pour le développement des
connaissances de l’élève car il y a une chance qu’une appari­
tion simultanée des facteurs contradictoires se produise
dans l’esprit. Ceci provoque un réel conflit cognitif et la
nécessité de l’accomodation de la structure pour rétablir
l’équilibre. Par contre, les facteurs du c.i. qui ne sont en
conflit qu’avec la définition formelle risquent de ne jamais
>rovoquer de conflit cognitif et empêcher sérieusement
f ’apprentissage de la théorie formelle. Les élèves avec de tels
facteurs dans leur c.i. peuvent se sentir à l’aise avec leurs
interprétations des notions et considérer la théorie formelle
comme non-opératoire et même inutile.
Dans notre approche, c’est parmi ces derniers facteurs en
conflit que nous cherchons les obstacles épistémologiques.
Dans un travail antérieur Tall, Schwartzenberger (1978)
considèrent les conflits cognitifs entre la notion et l’ensem­
ble des représentations qui résultent du langage ou de la
60 Recherches en Didactique des Mathématiques

motivation employés pour l’introduire ou la décrire et aussi


les conflits éventuellement provoqués par deux concepts
mathématiques proches (p. ex. les nombres décimaux et les
fractions). De notre point de vue, on peut s’attendre ici à
de sérieux obstacles et ces, conflits seraient certainement
bienvenus comme moyens pour franchir ces obstacles, fran­
chissement qui nous paraît indispensable pour le développe­
ment ultérieur du savoir de l’élève.
Paradoxalement, l’approche didactique proposée par les
trois auteurs pour un enseignement de la notion de limite
cherche à éliminer les conflits : « a conflict-free approach ».
Ils avancent en particulier une argumentation selon laquelle
on refuse que les termes d’une suite soient égaux à sa limite.
Dans ce cas, le conflit est dû, selon eux, à l’emploi des
expressions « dynamiques » à propos de la notion de limite.
Ils proposent de les éviter et de mettre l’accent sur les
aspects numériques de la notion de limite : « quel que soit
le degré d’exactitude demandé, à partir d’un certain mo­
ment sn et s sont pratiquement indistincts ». Nous avons ici
affaire à un phénomène classique dont fait mention Bache­
lard : en voulant éviter un obstacle on tombe sur l’obstacle
opposé.
Dans ce qui suit, nous allons analyser rapidement quel­
ques travaux français sur la notion de limite dans l’enseigne­
ment.
Nous exposerons d’abord quelques éléments des résultats
obtenus par A. Robert et exposés dans sa thèse (1985).
A. Robert a essayé de déterminer les principaux types de
« modèles exprimés » de la notion de convergence des sui­
tes numériques chez les étudiants de première année d’étu­
des universitaires. O n suppose qu’il existe une forte corré­
lation entre ces modèles et les procédures employées par les
étudiants dans la résolution de certains problèmes sur les
suites numériques. Le terme « modèle exprimé » est défini
comme une « certaine composante de la conception de
convergence des suites numériques ; « modèles » — parce
qu’il s’agit des représentations de convergence qui se déve­
loppent dans l’esprit des élèves ; « exprimés » — parce qu’il
s’agit de l’expression écrite de ces représentations. Si nous
comprenons bien, il s’agit de ce que, sous l’influence de
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 61

l’enseignement et de l’apprentissage d’une théorie mathéma­


tique, se forme dans l’esprit de l’élève un certain modèle de
cette théorie. La thèse centrale est que ce modèle est rare­
ment juste, propre ou conforme à cette théorie. D ’où la
répétition de certaines erreurs, application de procédures
défectueuses dans la résolution des problèmes, etc. Ces
modèles ne sont pas directement observables. Ce qui se
laisse observer c’est l’expression verbale qui, provoquée par
une question, un problème ou une situation-problème bien
choisis, permet d’identifier ou de conjecturer le modèle
sous-jacent. Et c’est cette expression verbale qui semble être
appelée « modèle exprimé ».
Une enquête auprès plus de deux mille étudiants a permis
de déceler ces modèles exprimés, qui, après analyse, ont été
regroupés en 4 types :
1er type : modèles primitifs. Une suite convergente est une
suite monotone bornée ou une suite dont les termes sont
égaux à partir d’un certain ordre ou une suite qui ne dé­
passe pas un certain nombre — sa limite.
2e type : modèles dynamiques qui correspondent à l’emploi
des expressions liées à une évolution en temps ou espace.
3e type : modèles statiques qui correspondent à une traduc­
tion en langue naturelle de la définition en (e, N) souvent
avec l’emploi d ’un verbe désignant un état (« tout intervalle
aussi petit qu’il soit, contient tous les un à partir d’un
certain rang », ou « tous les termes doivent se trouver à
partir d’un certain rang dans un voisinage aussi petit qu’on
veut »).
4e type : modèles mixtes.
O n peut conjecturer que :
a) La présence des modèles primitifs est due au non-
franchissement des obstacles du deuxième groupe — liés à
une compréhension insuffisante du rôle de la notion de
fonction dans la notion de limite et peut-être aussi (« peut-
être » parce que la recherche ne portait que sur les suites
numériques) au non-franchissement des obstacles géométri­
ques (3) — ;
b) La présence des modèles dynamiques est due au non-
franchissement de l’obstacle 1.5 lié à l’inacceptation des
62 Recherches en Didactique des Mathématiques

ensembles infinis par suite de la non-distinction entre le


monde réel et l’univers du discours mathématique, le mou­
vement physique et une opération mathématique. Comme
nous l’avons déjà souligné, le seul emploi des expressions
dynamiques ne peut pas être considéré comme symptôme
unique de cet obstacle.
Dans les travaux d’A. Robert nous trouvons aussi une
typologie d’erreurs dans les résolutions des élèves. Voici ces
« catégories » d’erreurs :
1. négligence du fait de la variabilité de n ;
2. déformation ou omission de certaines hypothèses dans
les théorèmes ou définitions ;
3. appel aux procédures algébriques ou algorithmiques. Par
exemple : appel à-l’expression numérique de un (souvent
fausse) ou au moins à une expression explicite permettant
d ’appliquer un algorithme.
La dernière catégorie d’erreurs correspond bien à l’obsta­
cle « algébrique » 1.6. avec, peut-être, un soupçon de l’obs­
tacle 1.4. en ce qui concerne la croyance dans l’existence
d’une formule magique donnant la résolution du problème
d’une manière presque automatique (ou plutôt « auto-
mathique », Baruk, 1973). Il semble aussi que l’obstacle 5
lié au symbole de l’opération de passage à la limite favorise,
comme nous l’avons fait remarquer (p. 47) l’apparition de
ces erreurs.
L’obstacle 1.6. — transfert automatique des méthodes
d’algèbre propres aux grandeurs finies aux grandeurs infi­
nies peut bien être à la source de l’apparition des erreurs de
la première catégorie : « n » remplace l’infini et ^ n’est
autre qu’une grandeur constante, infiniment petite, lorsque
l’étudiant écrit :

lim un = Tf = 0
n—
La deuxième catégorie est trop large (elle semble du reste
contenir les deux autres) pour pouvoir la her à un obstacle
précis.
Les travaux de B. Cornu (1983) permettent de discuter
plus avant les obstacles à l’apprentissage de la notion de
limite.
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 63

Une remarque préliminaire : Toute comparaison directe


des deux listes est difficile du fait que la « jauge » par rapport
auquel les listes ont été faites n’est pas le même dans les deux
cas. B. Cornu avait choisi comme jauge la nouon numérique
de limite (au sens de Cauchy) tandis que dans notre recher­
che cette « jauge » est la nodon topologique.
Rappelons brièvement la liste de B. Cornu.
1er obstacle : « transpositon numérique ». Il s’agit d’un
obstacle hé à la « difficulté de se détacher du contexte
géométrique et cinémadque, pour travailler non plus sur les
grandeurs, mais sur les nombres », bref difficulté avec
l’arithmédsadon de la nodon de limite.
2e obstacle : « aspect métaphysique » de la nodon de limite
lié avec l’infini qui y entre en jeu. L’infini n’entrait pas dans
le domaine des mathémadques classiques et c’est pour cela
que ce concept aussi bien que le concept de limite sem­
blaient appartenir plutôt à la métaphysique, philosophie ou
la philosophie des mathémadques. D ’où la tendance à éva­
cuer l’infini des raisonnements mathémadques, tendance
qui est encore présente chez d’Alembert.
3e obstacle : les concepts de grandeur « infiniment petite »
et « infiniment grande ».
4e obstacle : « la limite... atteinte ou pas ? » (Cette quesdon
est, d ’après l’auteur, « source d’obstacles » mais il ne pré­
cise pas desquels).
5e obstacle : « autres obstacles ». L’auteur donne quelques
exemples soit en citant les élèves : « je pense que la conver­
gence est monotone et que la limite n’est pas atteinte », soit
en donnant une description en termes de difficultés : « la
difficulté de s’imaginer qu’une somme infinie peut être fi­
nie », le « problème « 0/0 ». »
La notion numérique de Cauchy était plutôt le commen­
cement que la fin de l’évolution de la nodon de limite et à
l’heure actuelle la nodon générale de limite ne nous oblige
plus à mesurer, à exprimer quoi que ce soit en termes de
nombres. O n pourrait même dire que, dans une certaine
mesure, la notion de limite a remplacé la notion du nom­
bre. Les ensembles fermés peuvent être définis à l’aide des
suites convergentes sans faire appel à la notion de distance.
64 Recherches en Didactique des Mathématiques

Aussi, du point de vue de la nation topologique dans lequel


nous nous plaçons dans notre recherche, ce ne sont pas les
difficultés liées à l’arithmétisation de la notion de limite que
nous considérons comme obstacle mais bien le manque
d’une détermination précise de ce qu’il faut comprendre par
la « différence » entre deux grandeurs (obstacles 2.1.) en
même temps que le fait de her la limite avec les « bornes »
d ’un ensemble et non avec sa fermeture (obstacle 3.2).
Au deuxième obstacle de B. Cornu correspondrait tout le
groupe d’obstacles nommé chez nous « horror infiniti ».
C ’est le groupe le plus important, il renferme les problèmes
liés à l’idée de constante infiniment petite, la question de
savoir si la limite doit ou ne doit pas être atteinte et aussi les
problèmes que l’auteur intitule « autres obstacles ».
Tous les obstacles, sauf le premier — « la transposition
numérique » — ont été retrouvés par l’auteur chez les
élèves. L’absence de ce premier obstacle chez les élèves est
expliqué par le fait que les enfants sont très tôt habitués à
utiliser les nombres pour résoudre les problèmes sur les
« grandeurs ». Pourtant, dans notre expérience, nous avons
observé cette « difficulté de se détacher du contexte géomé­
trique ».
Un autre type de travaux portant sur l’enseignement de la
notion de limite se place plutôt du côté de l’ingénierie
didactique et cherche à élaborer des séquences didactiques. Il
s’agit des travaux de J. Robinet (1983) et de C. et R.
Berthelot (1983). Dans l’un et dans l’autre des cas on « cher­
che. à construire des situations didactiques mettant en oeuvre
les résultats généraux sur les processus d’apprentissage et les
résultats propres à la didactique des mathématiques » (Robi­
net 1983). Bien que les résultats évoqués comme base théori­
que ne soient pas les mêmes dans les deux cas, il y a
cependant quelques convergences, comme, par exemple, la
théorie des situations didactiques de G. Brousseau. Dans les
deux cas aussi, dans le choix, l’élaboration et, il faut croire,
dans l’analyse a posteriori des séquences didactiques on
prend en compte les connaissances antérieures des élèves.
Mais leur rôle n’est pas regardé de la même façon : J.
Robinet les voit structurés en modèles exprimés (référence à
A. Robert - 1983) ou en modèles spontanés (B. C ornu-1980)
Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite 65

qui vont être un appui pour l’apprentissage ultérieur. C. et


R. Berthelot y voient des obstacles épistémologiques qu’il
va falloir franchir pour arriver à une connaissance nouvelle
et ils se réfèrent à Brousseau (1983) et Duroux (1983) pour
ce qui est de la notion générale d’obstacle et à Cornu (1983)
pour la liste d’obstacles à l’acquisition de la notion de
limite. Il faut remarquer cependant que ni ces modèles ni
ces obstacles n’interviennent d’une façon pertinente ni sur­
tout décisive dans l’élaboration des problèmes que l’on
propose aux élèves de résoudre. Ceci n’a d’ailleurs rien
d’ëtonnant. La raison en est la même que celle pour laquelle
cela n’a pas beaucoup de sens de s’interroger si ces séquen­
ces permettent de franchir les obstacles de notre liste. Elles
ne visent qu’à faire approprier aux élèves une certaine défi­
nition, plus ou moins formalisée de la notion de limite et on
pourrait tout au plus parler ici du franchissement ou non
des obstacles « logiques ». Nous maintenons que ces obsta­
cles sont loin d’être les premiers à être franchis dans le
processus d ’acquisition de la définition d’une notion à l’ac­
quisition de cette notion et d’ailleurs on peut se demander
si cette formalisation est vraiment nécessaire au niveau se­
condaire.
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