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La demande d’assurance

Alexis Direr

1 I NTRODUCTION

L’assurance prend des formes variées en fonc-


tion des risques assurés. Afin d’offrir les contrats
les plus appropriés à chaque risque, les assu-
reurs adaptent leurs caractéristiques : les mo-
dalités et le degré de couverture, les critères de
tarification, etc. Ces contingences ne doivent ce-
pendant pas masquer un mécanisme commun sur
lequel ces assurances sont fondées : la réduction
de l’incertitude par la technique de mutualisa-
tion des risques.
Dans ce chapitre et les suivants, nous nous in-
téressons aux caractéristiques essentielles d’un
marché de l’assurance en nous débarrassant des
particularités qui différencient chaque sous-secteur
du marché. Cette abstraction fait l’objet d’un
champ d’étude, la microéconomie de l’assurance.
Elle nous permet de nous concentrer sur quelques

1
questions essentielles dont parmi d’autres : quels
sont les bénéfices de l’assurance pour les mé-
nages ? Existe-t-il un niveau optimal d’assurance ?
Pourquoi les contrats n’assurent que très rare-
ment l’intégralité des risques encourus ? Quelles
formes prennent les contrats d’assurance avec
couverture incomplète ? Quels sont les effets de
la concurrence (ou son défaut) sur les caractéris-
tiques des contrats ? Comment la demande d’as-
surance varie avec la richesse des individus ? L’al-
location des risques qui résulte de l’équilibre de
marché est-elle optimale ?
Ce chapitre et les suivants suppose un bagage
minimal en microéconomie du consommateur,
que le lecteur pourra trouver dans tout manuel
de premier cycle universitaire sur le domaine
1.

Le plan du chapitre est le suivant. Dans une deuxièm


section, nous présentons l’équilibre du marché
de l’assurance et le degré de couverture du risque
choisi par les assurés. Puis nous étudions dans
une troisième section les déterminants de la cou-
verture optimale et en particulier les effets de

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la richesse sur la demande d’assurance. La qua-
trième section étend le modèle d’assurance dans
différentes directions : le cas d’un contrat multi-
risque ou celui d’un marché avec plusieurs types
d’assurés. Le chapitre se clôt par une annexe
dans laquelle les principaux concepts de la mi-
croéconomie du risque utilisés dans ce chapitre
sont rappelés.
2 L A COUVERTURE OPTIMALE DU RISQUE
Le cadre d’analyse

Pour répondre aux questions posées dans l’in-


troduction, nous devons au préalable poser un
cadre d’analyse adapté aux spécificités du mar-
ché de l’assurance. Nous étudions dans ce cha-
pitre un modèle de demande d’assurance en fai-
sant abstraction des défaillances de marché sus-
ceptibles de distordre l’allocation des risques entre
les ménages et les assureurs. Outre un niveau de
concurrence éloigné du cas polaire de la concur-
rence pure et parfaite, la principale défaillance
de marché affectant le secteur des assurances est
l’asymétrie d’information entre les assurés et les

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assureurs sur les risques de sinistre ou les efforts
de prévention. Nous repoussons aux chapitres 6
et 7 l’analyse économique de ces échecs de mar-
ché et ses implications sur la réglementation du
secteur.
Nous supposons que les agents font face à un
risque de sinistre (l’incendie de son habitation,
un accident automobile, un problème de santé,
...) qui se manifeste par l’apparition possible de
deux états de la nature : un état sans sinistre et
un second avec sinistre. Ils s’assurent contre ce
risque en choisissant un contrat d’assurance leur
garantissant une indemnité en cas de réalisation
du sinistre. Les notations du modèle sont les sui-
vantes :

— L : le montant de la perte monétaire en cas de


survenue du sinistre ; par exemple le montant
des réparations à neuf d’une voiture en cas
d’accident ;
— π : la probabilité de survenue du sinistre ; 1−
π est donc la probabilité que le sinistre ne
surviennent pas ;
— C : la couverture, soit l’indemnité que l’assu-
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reur verse à l’assuré au titre de la compensa-
tion partielle ou complète de la perte ;
— p : le prix de l’assurance, soit d’un euro de
couverture C ;
— pC : la prime d’assurance ou le produit du
prix de la couverture par la couverture ;
— u(W ) : la fonction d’utilité des individus dé-
finie sur leur richesse W ;
— W0 : la richesse initiale (certaine) des indivi-
dus, avant la survenue éventuelle du sinistre ;
— W1 = W0 − pC : la richesse finale si le sinistre
ne survient pas, après déduction de la prime
d’assurance ;
— W2 = W0 − pC − L +C : la richesse finale en
cas de sinistre, après déduction de la prime
d’assurance, de la perte et ajout de l’indem-
nité ;
— B : le bénéfice espéré d’un assureur sur chaque
contrat vendu.

L’assurance du risque peut être complète si la


couverture compense exactement la perte : C =
L, ou incomplète si l’indemnité est inférieure à
la perte C < L. Nous excluons a priori le cas

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de "sur-assurance" C > L, interdit par la loi et
seulement possible en cas de fraude à l’assu-
rance. Dans le premier cas l’assurance compense
à parité le risque puisque l’individu obtient le
même niveau de richesse que le sinistre survienne
ou non2 :
W2 = W0 − pC − L +C = W0 − pC = W1

Dans le second cas (C < L), une incertitude ré-


siduelle pèse sur la richesse finale selon que le
risque se réalise ou non. Le profit espéré d’un
assureur sur chaque contrat vendu est la diffé-
rence entre ses recettes et ses dépenses espérées.
Il est fonction du prix proposé et du niveau de
couverture :
B = pC − πC
avec pC la prime d’assurance encaissée et πC le
transfert moyen vers l’assuré soit l’indemnisa-
tion C pondérée par la probabilité de survenue
du risque π. Nous privilégions dans la suite des
hypothèses simples :

— h1. Il existe seulement deux réalisations pos-


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sibles du risque : la survenue d’un sinistre ou
son absence.
— h2. Tous les individus sont identiques (avant
réalisation du risque) : même niveau de ri-
chesse W0, même fonction d’utilité U, perte
potentielle L et probabilité de perte π.
— h3. Concurrence pure et parfaite sur le mar-
ché. Il existe un grand nombre d’assureurs
qui se concurrencent en choisissant le prix
qui maximise leur profit étant donné le prix
proposé par les autres assureurs. Les assurés
et les assureurs partagent la même informa-
tion sur les risques individuels.
— h4. Absence de frais de gestion des contrats.
L’établissement des contrats, leur vente, et la
gestion des sinistres se font sans coût pour
l’assureur.
— h5. Les assureurs proposent le même contrat
d’assurance (p,C) dans lequel ils fixent le prix
p de manière à maximiser leur profit espéré.
— h6. Les consommateurs choisissent le niveau
de couverture C qui maximise leur espérance
d’utilité U(W1,W2) = (1−π)u(W1)+πu(W2)

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3 avec u(W ) et u(W ) l’utilité respectivement
1 2
sans et avec sinistre satisfaisant u0(W ) > 0 et
u00(W ) < 0.

Un certain nombre de ces restrictions seront le-


vés dans la suite. Par exemple, la section ?? s’éman
cipera de l’hypothèse h1 et examinera le cas de
deux réalisations possibles du sinistre.
Les décisions sont partagées : aux assureurs la
fixation du prix p et aux individus le choix de la
couverture C. Les assureurs sont supposés neutres
face au risque puisqu’ils maximisent la valeur
espérée de leur profit alors que l’hypothèse de
concavité globale de l’utilité (u00(W ) < 0) im-
plique que les individus éprouvent de l’aversion
pour le risque (voir en annexe pour une défini-
tion formelle de l’aversion pour le risque). Sans
cette hypothèse fondamentale les ménages ne
souhaiteraient tout simplement pas s’assurer contre
les risques. Les hypothèses h1 à h6 pourraient
être relâchées avec des conséquences sur l’allo-
cation du risque entre les individus. Les consé-
quences de certaines déviations sont traitées dans
la dernière section du chapitre et dans les cha-
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pitres suivants.
La demande optimale d’assurance

Étant donné le prix p, l’assuré choisit le niveau


de couverture maximisant son utilité espérée sous
une double contrainte de budget, une dans l’état
avec sinistre, l’autre sans sinistre :

 max U(W1,W2) = (1 − π)u(W1) + πu(W2)


W1,W2,C

 s.c. W1 = W0 − pC
W2 = W0 − pC − L +C


(1)

Ce système à trois inconnues (W1, W2 et C) est


résolu en substituant les richesses terminales W1
et W2 dans la fonction objectif U :
max (1 − π)u(W0 − pC) + πu(W0 − pC − L +C)
C

Nous annulons ensuite la dérivée en C et obte-


nons après réarrangement des termes le niveau
optimal de couverture C∗ 4 :

1 − π u0(W1∗) 1 − p
0 ∗ = (2)
π u (W2 ) p

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avec W1∗ = W0 − pC∗ et W2∗ = W0 − pC∗ − L +
C∗ les richesses terminales optimales. Il reste à
boucler le modèle en déterminant le prix d’équi-
libre de l’assurance. Sous l’hypothèse de concur-
rence pure et parfaite, les assureurs ne peuvent
dévier du prix d’équilibre compatible avec la
nullité du profit. Si le profit d’équilibre était stric-
tement positif, un assureur pourrait capter toute
la demande en proposant un prix légèrement in-
férieur à la concurrence, ce qui est incompatible
avec le concept d’équilibre. Si le profit était né-
gatif, aucun assureur ne souhaiterait vendre de
contrats. La condition de profit nul est : B =
pC − πC = 0 ou encore
p=π (3)
Le prix par unité de couverture est égal à la fré-
quence des sinistres. Nous parlons de prix actua-
riel de l’assurance. Nous retrouvons également
la prime pure pC = πC présenté dans le chapitre
1 qui dépend de la fréquence du sinistre et sa
gravité. La prime pure est parfois également dé-
finie comme l’indemnisation espérée E(I) avec
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I un transfert aléatoire égal à la couverture C en
cas de sinistre et 0 sinon.
La demande d’assurance est simple à dériver dans
ce contexte. Remplaçons l’égalité (3) dans l’équa-
tion d’optimalité (2). Nous obtenons :
u0(W1∗)
0 ∗ =1
u (W2 )

A l’optimum, la demande de couverture conduit


à l’égalité des richesses terminales W1∗ = W2∗ =
W0 − πC∗, ou encore à la couverture complète
du risque C∗ = L. Nous obtenons le résultat de
référence suivant :
Proposition 2.1. Sous les hypothèses h1 à h6, le
prix d’équilibre de la couverture est égale à la
probabilité de sinistre ; les individus choisissent
la couverture couvrant intégralement la perte.
Un individu risquophobe a toujours intérêt à sous-
crire à la couverture intégrale. Supposons qu’il
économise sur la prime et souscrive une cou-
verture incomplète impliquant W1 > W2. L’achat
d’une unité supplémentaire de couverture réduit
sa richesse de p euros et son utilité espérée de

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p(1 − π)u0(W1) dans l’état sans sinistre et de
pπu0(W2) dans l’état avec sinistre. En contrepar-
tie, il reçoit un euro supplémentaire en cas de
sinistre, ce qui augmente son utilité espérée de
πu0(W2). Le bilan de l’opération est favorable si
p(1 − π)u0(W1) + pπu0(W2) < πu0(W2), ou en-
core si u0(W2) > u0(W1), ce qui est vérifié en rai-
son de la décroissance de l’utilité marginale de
l’agent. Un individu rationnel a donc toujours
intérêt à choisir l’assurance complète.
Le résultat d’assurance complète ne prévaut ce-
pendant que dans un cas idéal. Des frictions comm
la présence de frais de gestion ou une concur-
rence imparfaite l’invalident. Les frais de ges-
tion réduisent le bénéfice de l’assureur. Celui-ci
doit donc relever la prime au-dessus de son ni-
veau actuariel pour maintenir un profit positif.
Soit τ le taux de frais supporté par l’assureur en
proportion des indemnités versées et λ le taux
de frais qui s’applique sur les primes collectées.
Le profit espéré de l’assureur net des frais de
l’assureur est :
B = pC − πC − λ pC − πτC

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Les frais appliqués aux indemnités τC ne sont
supportés que pour la fraction des aux agents si-
nistrés et sont donc multipliés par π la probabi-
lité de sinistre. La condition de profit nul B = 0
implique un prix supérieur à la fréquence des si-
nistres soit :
1+τ
p= π >π (4)
1−λ

Une concurrence imparfaite sur le marché de


l’assurance conduirait au même résultat puisque
les assureurs profiteraient de leur pouvoir de mar-
ché pour augmenter la prime et faire un profit
positif. Dans les deux cas l’équation d’optima-
lité (2) implique :
u0(W1∗) π 1− p
0 ∗ = <1 (5)
u (W2 ) 1 − π p

L’utilité marginale étant décroissante, W1∗ > W2∗,


ce qui signifie que la perte mord dans la richesse
de l’assuré ou en d’autres termes que celui-ci
choisit une assurance incomplète. En effet W0 −
pC > W0 − pC − L +C implique une indemnisa-
tion inférieure au montant de la perte : C∗ < L.
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La condition d’optimalité (2) indique également
qu’une hausse du prix de l’assurance réduit la
demande d’assurance de l’individu. 5
Proposition 2.2. En présence de frais de gestion
ou quand la concurrence est imparfaite, le prix
d’équilibre de la couverture est supérieure à la
probabilité de sinistre. Les individus choisissent
une couverture inférieure à la perte.
Nous voyons donc que le résultat d’assurance
complète est un résultat fragile qui ne sera gé-
néralement pas valide dans la réalité.
L’analyse graphique

Nous pouvons représenter les résultats précédents


sous forme graphique dans le plan des richesses
terminales W1 en abscisse et W2 en ordonnées.
La double contrainte budgétaire de l’individu dans
le système (1), une par état de la nature, peut se
simplifier en supprimant C du système :

1 1− p
W2 = L − W0 − W1
p p
Cette relation indique de combien l’agent peut
accroître (réduire) sa richesse avec sinistre W2
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en diminuant sa richesse sans sinistre W1. Cet
arbitrage transite par le choix de la couverture.
Relever la couverture conduit l’individu à bé-
néficier d’un W2 plus élevé mais dans le même
temps à payer une prime plus chère qui réduit
richesse W1. Cette contrainte sur les choix pos-
sibles de richesses terminales forme une droite
dans le plan (W1,W2) de pente négative égale à
−(1 − p)/p (figure 2). Se déplacer de la gauche
vers la droite sur la ligne budgétaire signifie une
indemnisation plus faible.
La droite à 45 degrés W1 = W2 correspond à la
pleine assurance puisque l’assuré obtient un ni-
veau de richesse indépendant de la survenu du
sinistre. La zone au-dessus de cette droite satis-
fait W1 < W2 et implique une sur-compensation
du risque, ce que nous excluons a priori. Tous
les points de la droite budgétaire correspondent
implicitement à une valeur précise de la couver-
ture C. Deux points méritent particulièrement
l’attention. Le point a égalise les richesses ter-
minales W1 et W2 puisqu’il est sur la droite à
45 degrés. Il fournit une assurance complète à

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Contrainte budgétaire de l’agent dans l’espace des
richesses terminales

Note : la droite de pente négative indique les couples de


richesse terminale atteignables en fonction du niveau
de couverture implicite C ; la droite à 45 degrés indique
les points de pleine assurance pour lesquels W1 = W2 ;
le point a fournit une assurance complète à l’assuré, le
point b aucune assurance.
l’agent caractérisée par une indemnité C égale
à la perte L. Au point b l’agent ne paie pas de
prime et subit intégralement la perte en cas de
sinistre. Il correspond à l’absence totale d’assu-
rance (C = 0). En pratique, l’agent sélectionnera
un niveau de couverture compris entre 0 et L soit
un point entre a et b sur le graphique.
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Nous faisons appel à la notion de courbe d’in-
différence pour déterminer graphiquement quel
niveau de couverture l’agent choisit. Une courbe
d’indifférence représente l’ensemble des couples
de richesse (W1,W2) qui maintient l’utilité espé-
rée à un niveau constant noté V :
U(W1,W2) = (1 − π)u(W1) + πu(W2) = V

Différencions totalement cette relation et déri-


vons la pente locale de la courbe d’indifférence :
dW2 1 − π u0(W1)
=− 0
) (6)
dW1 π u (W2

La pente est négative puisque la richesse dans un


des deux états doit être réduite si celle de l’autre
état augmente à utilité espérée constante (figure
2). Une courbe d’indifférence qui s’éloigne de
l’origine signifie un niveau plus élevé d’utilité
espérée puisque l’agent détient plus de richesses
dans les deux états possibles. Dans la figure 2,
l’utilité espérée de chaque courbe d’indifférence
satisfait V0 < V1 < V2.

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Courbes d’indifférence de l’agent

Notes : chaque courbe d’indifférence trace les couples


(W1,W2) maintenant un niveau d’utilité espérée constant
et égal à V0, V1 ou V2 avec V0 < V1 < V2.
La condition de couverture optimale (2)
1 − π u0(W1∗) 1− p
− 0 ∗ =−
π u (W2 ) p

assure l’égalité des pentes de la courbe d’indif-


férence (côté gauche de l’égalité) et de la droite
budgétaire (côté droit). Nous retrouvons graphi-
quement cette relation d’optimalité en choisis-
sant la courbe d’indifférence la plus élevée tan-
gente à la contrainte budgétaire de l’agent (fi-

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Choix de couverture de l’agent

Notes : le point a fournit une assurance complète à


l’assuré ; le point b correspond à la situation sans as-
surance ; le point c est le choix de couverture qui maxi-
mise l’utilité de l’agent.
gure 2).
Supposons que le prix p de l’assurance augmente.
Deux effets éventuellement contradictoires in-
terviennent sur la demande de couverture, un
effet prix toujours négatif et un effet revenu au
signe ambigu. La hausse du prix décourage la
demande. Simultanément, une assurance plus chèr
réduit le revenu réel de l’assuré en termes de
quantité de biens achetables dans les deux états
de la nature. La section 3 montre qu’une baisse

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du revenu (ou de la richesse) le conduit à ac-
croître sa demande d’assurance si l’aversion ab-
solue pour le risque est décroissante avec le re-
venu (ou la richesse selon le contexte). L’effet
total est par conséquent ambigu dans ce dernier
cas. L’analyse graphique suivante illustre le cas
d’une sensibilité nette négative au prix. La droite
budgétaire pivote autour du point de non assu-
rance puisque les richesses terminales sont in-
sensibles au prix si l’agent ne contracte pas d’as-
surance (le point b dans la figure 2).
La nouvelle égalité des pentes marginales de la
droite budgétaire et de la courbe d’indifférence
conduit l’agent à réduire sa couverture. Graphi-
quement, le point optimal d’assurance c se rap-
proche du point de non assurance b dans la fi-
gure 2.
Sous l’hypothèse de concurrence parfaite et d’ab-
sence de frais de gestion, le prix d’équilibre est
le prix actuariel (p = π). La pente de la droite
budgétaire est −(1− p)/p = −(1−π)/π. L’agent
s’assure complètement. Graphiquement, la tan-
gence entre la courbe d’indifférence et la droite

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Révision du choix de couverture en cas de hausse
du prix de l’assurance

Notes : le point a fournit une assurance complète à


l’assuré ; le point b correspond à la situation sans as-
surance ; le point c est le choix de couverture avant la
hausse du prix ; le point c’ est le nouveau choix de cou-
verture qui maximise l’utilité de l’agent.
budgétaire se réalise à l’intersection avec la droite
d’assurance parfaite (figure 2). Nous retrouvons
graphiquement le résultat analytique de la sous-
section précédente.

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Le choix de couverture avec prix actuariel

Notes : le point a est optimal et fournit une assurance


complète (C = L) avec prix actuariel (p = π) ; le point
b correspond à la situation sans assurance (C = 0).

3 L ES DÉTERMINANTS DE LA DEMANDE DE COU -


VERTURE

Ayant dérivé la demande optimale de couver-


ture, nous pouvons analyser ses déterminants.
Nous nous intéressons en particulier à l’influence
de la richesse sur la demande d’assurance, au
rôle de la taille de la perte et de la probabilité du
sinistre.

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L’influence de la richesse sur la demande d’assurance

La plupart des biens et services sont dits nor-


maux : leur consommation par les ménages s’ac-
croît avec le revenu ou la richesse. Cette pro-
priété est-elle partagée par la demande d’assu-
rance ? Partons de la condition d’optimalité (2).
Après réarrangement des termes :
− p(1−π)u0(W0 − pC∗)+(1− p)πu0(W0 +(1− p)
(7)
Pour isoler l’effet de la richesse sur la demande
de couverture, nous différencions la relation en
C∗ et W0 :
[p2(1 − π)u00(W1) + (1 − p)2πu00(W2)]dC
+[−p(1 − π)u00(W1) + (1 − p)πu00(W2)]dW0 = 0
Après réarrangement des termes, la richesse ré-
duit la demande d’assurance si :
dC p(1 − π)u00(W1) − (1 − p)πu00(W2)
= 2 00 2 00
<0
dW0 p (1 − π)u (W1) + (1 − p) πu (W2)
(8)
ou encore si le numérateur est positif :
p(1 − π)u00(W1) − (1 − p)πu00(W2) > 0 (9)
Il existe deux cas. Si le prix est actuariel (p = π),
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l’assurance est complète. Comme C∗ = L, la de-
mande de couverture ne dépend pas de la ri-
chesse. Si le prix est supérieur au prix actuariel,
on sait que C∗ < L et W1∗ > W2∗. Le signe de (8)
est alors ambigu. D’un côté une richesse plus
élevée permet d’acheter plus de couverture ; de
l’autre la perte affecte moins la situation de l’in-
dividu car la richesse joue un rôle tampon qui
protège l’assuré contre les conséquences finan-
cières du sinistre. L’effet qui l’emporte dépend
de la fonction d’utilité. Pour le voir, reprenons
la condition de couverture optimale (2) :
(1 − p)πu0(W2∗)
p(1 − π) =
u0(W1∗)
Après substitution dans la condition (9) :
(1 − p)πu0(W2∗) 00 ∗ 00 ∗
0 ∗ u (W1 ) − (1 − p)πu (W2)>0
u (W1 )
nous obtenons :
u00(W1∗) u00(W2∗)
(1 − p)π[ 0 ∗ − 0 ∗ ] > 0
u (W1 ) u (W2 )
Nous reconnaissons la mesure d’aversion abso-
lue pour le risque d’Arrow-Pratt (voir l’annexe) :

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−u00(W )
A(W ) = 0 (10)
u (W )
La condition de couverture décroissante avec la
richesse se réécrit :
(1 − p)π[A(W1∗) − A(W2∗)] < 0 (11)

ce qui est satisfait seulement si A(W1∗) < A(W2∗).


Comme W1∗ > W2∗ (car par hypothèse p > π, la
couverture est incomplète), la demande de cou-
verture se réduit avec la richesse si l’aversion
absolue pour le risque est décroissante avec la
richesse. Les études empiriques qui s’intéressent
à cette question montrent effectivement que A(W )
est généralement décroissant avec la richesse,
ce qui indirectement valide notre modèle d’as-
surance dans lequel la demande de couverture
décroît avec la richesse. L’effet tampon de la
richesse l’emporte ici sur l’effet traditionnelle-
ment observé dans les autres marchés d’une de-
mande croissante avec la richesse.
Ce résultat amène deux remarques importantes.
Premièrement, la relation ne signifie pas que les
ménages aisés vont contracter nécessairement moi

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d’assurance que les autres ménages. Leurs biens
assurés étant généralement de plus grande va-
leur, la couverture peut malgré tout être crois-
sante avec la richesse.
Deuxièmement, cette relation met en exergue le
rôle de l’auto-assurance comme substitut de l’as-
surance formelle. Il est ainsi possible, au moins
pour les risques qui ne sont pas trop grands, d’uti-
liser son épargne comme une protection contre
un risque de perte futur, ce qui sera le cas si
l’individu est prudent (voir à ce sujet l’annexe).
Dans le cadre de notre modèle, l’épargne ac-
croît W0 et permet bien de réduire la demande
de couverture. Le recours à l’assurance reste ce-
pendant dans la majorité des cas une solution
préférable car l’auto-assurance implique la per-
sistance d’un aléa sur la richesse de l’agent et
nécessite d’immobiliser des liquidités.
L’influence de la taille de la perte sur la demande de
couverture

Les individus font face à des risques variés. Cer-


tains comme la destruction du logement par le
feu ou un séisme, conduisent à des pertes ma-
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jeures mais apparaissent avec une probabilité faible
D’autres, comme le vol de bagages ou la casse
d’un téléphone sont plus fréquents mais aux consé-
quences incomparablement moins graves. Nous
nous demandons dans cette section contre quel
type de risque un individu souhaite en priorité
se protéger.
Afin d’étudier l’influence de la taille de la perte
sur la demande d’assurance, nous procédons comm
dans la précédente section. Nous différencions
la condition d’optimalité (7) en C et L. Après
réarrangement des termes, nous obtenons une
relation croissante entre la perte et la couver-
ture :
dC∗ (1 − p)πu00(W2∗)
= 2 00 ∗ 2 00 ∗ >0
dL p (1 − π)u (W1 ) + (1 − p) πu (W2 )

Ce résultat est intuitif. Plus le sinistre a des consé-


quences graves pour l’individu, plus celui-ci sou-
haite se couvrir. La question de savoir si la cou-
verture optimale s’accroît plus ou moins vite que
la taille de la perte a également un intérêt. L’agent
souhaite-t-il un reste à payer L − C plus faible

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ou plus élevé quand une large perte survient ?
La réponse dépend de la fonction d’utilité. Il est
possible de montrer que la couverture croît plus
vite que la perte (dC∗/dL > 1) si l’agent est suf-
fisamment prudent (voir l’annexe pour la notion
de prudence) i.e. u00(W ) croît suffisamment ra-
pidement avec la richesse. 6 Nous analysons de
même l’influence de la probabilité d’apparition
du sinistre en différenciant la condition d’opti-
malité (7) en C∗ et π, soit :
[p2(1−π)u00(W1)+(1− p)2πu00(W2)]dC∗ −[pu0(W

Nous obtenons une relation croissante entre la


perte et la couverture :
dC∗ pu0(W1)(1 − p)u0(W2)
=− 2 00 2 00
>0
dπ p (1 − π)u (W1) + (1 − p) πu (W2)

L’individu réclame une couverture plus élevée


pour les risques plus fréquents. Ce résultat n’est
cependant valable qu’à prix donné de l’assurance.
Une fréquence plus élevée accroît l’indemnisa-
tion espérée du point de vue de l’assureur. Il est
alors probable que celui-ci révise son prix à la
Retour au site 28 / 37
hausse. Nous savons également que si le prix
s’établit au niveau actuariel (p = π), la couver-
ture optimale est égale à la perte quelle que soit
la probabilité de sinistre.
Nous avons vu que sous quelles hypothèses, l’agen
demandait une assurance complète à l’équilibre
du marché. Nous pouvons toutefois nous deman-
der dans quelle mesure ce résultat résiste à un
relâchement des hypothèses du modèle de base.
Nous avons déjà remarqué qu’une concurrence
imparfaite ou des frais de gestion conduisait à
une assurance incomplète. Dans la suite nous
nous intéressons au rôle joué par d’autres hy-
pothèses constitutives du modèle de base.
4 C ONCLUSION

Les individus font face à de nombreux risques


risques dans différents contextes (l’habitat, le trans
port, le travail, la santé, ...) pouvant affecter leur
niveau de vie, parfois gravement. La plupart de
ces risques peuvent être considérablement ré-
duit par la technique de mutualisation des risques
qu’exploitent les compagnies d’assurance. Cette

Retour au site 29 / 37
technique leur permet de vendre des contrats d’as-
surance spécifiant un niveau d’indemnisation en
cas de sinistre en échange d’une prime. Nous
commençons par dériver le contrat d’équilibre
dans le cas sans frictions, c’est à dire avec concur-
rence parfaite et en l’absence de frais de gestion.
Bien que simpliste, ce modèle délivre le résul-
tat remarquable que des individus éprouvant de
l’aversion face au risque acquièrent un contrat
couvrant intégralement le coût du sinistre, de
facto supprimant les conséquences financières
du sinistre. Ce résultat se généralise au cas avec
plusieurs niveaux de risque ou quand les assu-
rés diffèrent par leur probabilité de sinistre dès
lors que les assureurs disposent de la même in-
formation sur les risques que les assurés.
Nous montrons dans ce contexte que la richesse
de l’individu a une influence ambiguë sur sa de-
mande de couverture. Sous des hypothèses rai-
sonnables cependant, la richesse est défavorable
à la demande d’assurance puisque l’individu peut
piocher dans ses ressources pour amortir les ef-
fets d’un sinistre sur son niveau de vie.

Retour au site 30 / 37
Dans la réalité, les individus sont rarement as-
surés intégralement. La théorie rend compte as-
sez naturellement de ces défauts d’assurance et
en propose différentes explications. De fait, l’in-
troduction de la moindre friction dans le modèle
de référence fait tomber le résultat d’assurance
complète. La présence de frais de gestion ou la
concurrence imparfaite ont pour effet d’élever la
prime commerciale au-dessus de la prime pure
(ou la prime égale à l’indemnisation espérée).
Les individus continuent de s’assurer mais leur
demande de couverture est inférieure au coût du
sinistre. Dans le cas de niveaux multiples de si-
nistres, l’assurance incomplète prend la forme
d’une franchise, c’est à dire d’une absence d’in-
demnisation des premiers euros du sinistre. Si
les deux parties du marché estiment différem-
ment les risques de sinistre, une sous-assurance
des risques négligés par les individus peut être
observé.
Si les assureurs font face à des clients qui dif-
fèrent par leur probabilité de sinistre, la concur-
rence pousse les assureurs à proposer des contrats

Retour au site 31 / 37
dont la tarification reflète les risques propres de
chaque catégorie de risque. Ce faisant, l’alloca-
tion des risques par le marché se réalise au dé-
triment des individus exposés aux plus grands
risques. Les primes payés par ces derniers pou-
vant atteindre des niveaux potentiellement très
élevés, la différenciation des risques par le mar-
ché peut poser problème. Une réponse réglemen-
taire possible est d’interdire le conditionnement
de la prime sur la base des caractéristiques ob-
servables comme le sexe des assurés. C’est gé-
néralement le cas en assurance santé où les in-
égalités face au risque de santé sont extrême-
ment hétérogènes au sein de la population. De
plus, le revenu étant corrélé positivement avec
la santé, ces deux phénomènes peuvent aboutir
à des différences d’accès aux soins. C’est pour-
quoi de nombreux pays ont mis en place une
gestion publique de l’assurance santé financée
par des cotisations indépendantes du risque de
santé. Aux Etats-Unis où l’assurance santé est
principalement déléguée au marché, la réforme
de 2010 Patient Protection and Affordable Care

Retour au site 32 / 37
Act interdit aux assureurs de différencier les primes
en fonction du sexe ou des conditions pré-existante
de santé. Des restrictions similaires existent en
France pour les complémentaires santé gérées
par le secteur privé.
Dans de nombreuses situations, les assurés dis-
posent cependant d’une meilleure connaissance
de leur risque que les assureurs. Les analyses
présentées dans ce chapitre ne peuvent s’appli-
quer directement. Les conséquences sur les contrat
et l’allocation des risques par le marché sont
l’objet du chapitre suivant.

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N OTES

1 Par exemple Etner et Jeleva (2014).


2 Ainsi,l’objet premier de l’assurance n’est
pas d’éviter le risque mais de le compenser. L’as-
surance complète ne signifie pas que l’assuré est
intégralement compensé pour la perte monétaire
puisqu’il doit continuer à payer la prime d’assu-
rance.
3 Voir l’annexe pour une présentation succinte

de l’espérance d’utilité.
4 Lacondition du second ordre du problème
de maximisation est vérifiée dès lors que la fonc-
tion d’utilité u est concave.
5 Si p augmente, le ratio des utilités margi-
nales doit diminuer, ce qui ne peut se réaliser
que si l’écart entre W1∗ et W2∗ s’accroît.
u”(W2 )
6 La condition dC
dL > 1 est équivalente à u”(W1 ) >
θ −θ π
1−θ π > 1, ce qui est vérifié si u”(W2 ) est suffisam-
ment inférieure à u”(W2) ou si l’utilité marginale
est suffisamment croissante.

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