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LA PROCREATION MEDICALEMENT ASSISTEE (PMA)

ET LA PROBLEMATIQUE DES MATERNITES DU 3ème ÂGE AU CAMEROUN


Par David NGOUAH BEAUD

Juriste – Consultant

Une Camerounaise sexagénaire, a accouché mercredi 31 octobre, à 8h41 au Chracerh (Centre hospitalier
de recherche et d’application en chirurgie endoscopique et reproduction humaine), d’une fille de 2 kg
700. Primipare à 62 ans, après une longue quête infructueuse ponctuée notamment par le recours à la
pharmacopée traditionnelle et une prise en charge spirituelle, elle aura enfin pu trouver satisfaction au
sein de ce centre hospitalier spécialisé, où elle suivait un traitement contre l’infertilité, achevé par une
Fécondation in vitro (Fiv).

Au lendemain de cet accouchement, Cameroon Tribune nous rapportait l’évènement ainsi que les
propos de la mère, enchantée et émue par l’arrivée de son bébé qu’elle a prénommé Marie, en
référence au personnage chrétien éponyme. Cet aboutissement, confirme, s’il en était encore besoin, le
savoir-faire médical de l’équipe qui l’aura prise en charge. Et cette journée de mercredi l’aura
particulièrement démontré par la survenance dans le même hôpital de Ngousso, de trois autres
naissances résultant d’autres patientes, vraisemblablement plus jeunes que notre sexagénaire.

Sans dire que la pratique se vulgarise, ce qui au demeurant reste improbable étant donné le coût élevé
de sa prise en charge (au moins 1 million de francs), le recours à la PMA est une procédure qui se répand
significativement sur notre territoire. On observe qu’à travers le pays et plus particulièrement dans la
ville de Douala, de nombreuses autres formations médicales, peut-être par souci de préserver
l’anonymat des parturientes, produisent plus discrètement les mêmes résultats. C’est dire si le
phénomène prend pied chez nous.

Si l’on est légitimement en droit d’applaudir avec des batteries bruyantes, lorsqu’il s’agit de sortir de
jeunes femmes des difficultés d’une stérilité injuste et frustrante, le ralliement à ce type de thérapie se
doit d’être plus circonspect lorsqu’elle s’adresse à des femmes du troisième âge, comme la sexagénaire
mère de la petite Marie, ou de plus âgées encore. Dans ces circonstances, le recours à cette technique
médicale est un dilemme. Car, au-delà de la satisfaction qu’elle pourrait donner aux personnes
autrement restées stériles, elle draine de nombreux questionnements qui relèvent du domaine de la
médecine, mais aussi de ceux de la morale et de l’éthique.

Plus prosaïquement, la procréation assistée si l’on y prend garde, risque de chambouler nos repères
symboliques, nos représentations de la famille et de la parenté, de l’enfant, de l’être humain et de sa
valeur intrinsèque. Le cas des grossesses des femmes du troisième âge nous permet d’aborder cette
problématique par le biais de trois préoccupations immédiates, sans exclure que d’autres puissent être
évoquées : celle de la dangerosité médicale de la PMA appliquée aux femmes trop âgées d’une part ;
celle de l’intérêt et du développement harmonieux de l’enfant à naître de parents en âge avancé d’autre
part ; et enfin celle de l’impact psycho social de l’écart générationnel subséquent à ce type de
maternité.
D’abord pour ce qui est de la dangerosité, il est admis, jusque dans les circonstances de grossesses
spontanées, que la période de gestation reste très risquée pour la femme enceinte au-delà d’une limite
d’âge variant selon les personnes, mais que les statistiques fixent dans la moyenne des quarante ans. Ce
n’est pas tant le protocole de la PMA qui fait problème, que l’état de grossesse qui en résulte pour toute
femme après le franchissement de l’âge fixé par son horloge biologique. Au nombre des complications
délétères pouvant survenir dans ces circonstances, les spécialistes évoquent les pathologies telles que
le diabète, l’hypertension artérielle, la pré-éclampsie ainsi que l’éclampsie…Le tout, sans exclure les
risques fœtaux de malformation, de fausse couche et de prématurité du bébé. Aléas qui se décuplent
après le franchissement de la ménopause. Nonobstant ces périls, certaines sont disposées en toute
conscience du danger à braver ces incertitudes pour satisfaire leur désir de procréation. Ce
comportement obsessionnel ne causerait pas grande gêne si ses répercutions restaient confinées à la
seule personne de la femme engagée. Il relèverait alors du seul domaine de la liberté pour chacun de
disposer de son corps selon sa volonté. Mais si ce principe philosophique peut être évoqué dans des
situations particulières (en occident il fait débat par exemple pour ce qui est du suicide assisté ou
euthanasie), il ne peut être allégué dans les circonstances que nous relatons. Car le processus
d’évolution de la grossesse aboutit à la naissance d’un être humain disposant d’une personnalité
distincte de celle de la mère. Personnalité qui se singularise in utéro, bien antérieurement à
l’accouchement. De ce fait, le décès de la femme enceinte des suites d’une PMA mal vécue, implique
celui de deux personnes, dont l’une (le fœtus), n’aura pas consenti à courir le risque délétère inhérent à
l’application de cette technique à une mère au profil inapproprié.

La deuxième considération que nous annoncions est celle de la prise en compte de l’intérêt et du
devenir d’un enfant, lorsqu’il doit naître de parents trop vieux pour conduire son éducation jusqu’à un
terme convenable. Indiscutablement il convient d’intégrer l’espérance de vie des parents dans tout
projet de maternité. Car le risque de placer l’enfant précocement en situation d’orphelin est d’autant
plus élevé que les parents sont d’un âge avancé. Outre cela, bien avant d’avoir disparu, ces derniers
peuvent aussi cesser d’être en mesure d’assumer pleinement la fonction parentale, du fait du déclin de
leurs aptitudes physiques et intellectuelles accompagnant leur vieillissement. Alors qu’un enfant a le
droit d’avoir des parents, et idéalement des parents qui soient à la hauteur de la tâche. C’est pourquoi
les aspirantes à la maternité ne devraient pas pouvoir placer la satisfaction de leur obsession d’enfanter
avant l’intérêt de l’enfant convoité, s’il devait naître dans des circonstances qui d’avance se présentent
comme préjudiciables à son épanouissement.

Une troisième considération est celle de l’impact psycho social du fossé générationnel subséquent. Bien
que la profondeur de ce fossé puisse impacter les parents autant que l’enfant, il est plus handicapant du
point de vue de ce dernier, parce qu’il constitue pour lui un repère psychologique déterminant pour son
éducation et la construction de sa personnalité. Cette différence d’âge ne devrait être ni trop courte ni
trop grande, au risque de compromettre sa soumission à l’autorité parentale, s’il est disproportionné.
C’est aussi le lieu d’évoquer la gêne qui peut résulter du regard oblique et culpabilisant que la société
réserve aux individus qui se retrouvent dans cette posture. On devine aisément que pour un enfant,
avoir à présenter à ses camarades une maman qui a plutôt l’âge de leurs « mamies », n’est certainement
pas enthousiasmant. Inversement en sera-t-il pour une femme âgée, de voir ses congénères prendre son
enfant pour son petit-fils ou sa petite-fille. C’est probablement pour de telles raisons, que certaines
législations ont eu à cœur de limiter cet écart dans les rapports parentaux. C’est le cas du droit
helvétique de l’adoption, lequel prescrit que la différence d’âge entre parents et enfant ne devrait pas
dépasser 45 ans. La législation camerounaise relative à la même matière s’est plutôt préoccupée à
l’inverse au minimum requis, qu’elle a fixé à 15 ans entre l’adoptant et l’adopté (loi n° 84/4 du
04/O7/84).

Pour conclure, la procréation médicalement assistée est un univers bien trop sensible pour être laissée
aux seules mains des médecins, ou aux entiers désidératas de leurs patientes quand bien même leur
désir d’enfant tournerait à la lubie dangereuse. Le vide juridique et législatif existant en la matière au
Cameroun devrait préoccuper. Car dans de similaires conditions, on a observé ailleurs que des
gynécologues-obstétriciens se sont bâti une réputation internationale et une fortune, en
instrumentalisant la permissivité ou le vide de la législation de leur pays en matière de procréation
assistée. Ils ont ainsi pu transformer leurs cliniques en destination pour le tourisme médical de vieilles
fortunées en mal de maternité. C’est le cas du Dr Antinori, médecin italien qui a longuement défrayé la
chronique, rendu mondialement célèbre pour avoir fait accoucher une dame de 72 ans. Loin d’en
prendre exemple, il conviendrait plutôt de s’en effrayer. Car la tentation est trop forte pour que l’ego ou
le goût du lucre ne conduisent l’habile praticien à la cécité morale. Et partant, qu’il se considère non plus
comme un facilitateur, mais plutôt comme un créateur de vie. Dérive qui le place dans une posture en
conflit avec la nature, sinon avec Dieu. Ne laissons pas qu’au Cameroun se développe un fossé entre la
«faisabilité médicale» et la «responsabilité éthique». Attelons-nous dès à présent à encadrer cette
activité médicale par une législation appropriée à la protection de nos valeurs. /.

Yaoundé, le 09 novembre 2018

David NGOUAH BEAUD, Juriste - Consultant

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