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PANCREATITE ET GROSSESSE

J. MEDARHRI, B. LEKEHAL, M. EL OUNNANI, A. IKKEN, M. ECHERRAB,


M. AMRAOUI, A. ERROUGANI, A. BENCHEKROUN, R. CHKOFF, S. BALAFREJ*

RESUME INTRODUCTION

La pancréatite aiguë associée à la grossesse est une L’association pancréatite aiguë et grossesse est rare. Quatre
a ffection grave et de diagnostic diffi c i l e. Nous rap - cents cas ont été rapportés de 1818 à nos jours. Le diagnos-
portons un cas de pancréatite aiguë survenue chez une tic est difficile, souvent de découverte opératoire voire
patiente de 33 ans à 34 semaines de gestation, avec un même nécropsique.
décès foetal. La pancréatite aiguë gravido-puerpérale Nous rapportons ici l’observation d’une pancréatite aiguë
reconnaît un certain nombre de facteurs étiopathogéni- au cours d’un état gravidique en insistant sur les difficultés
ques communs aux autres pancréatites aiguës. diagnostiques et la gravité du pronostic materno-foetal de
La pathologie lithiasique apparaît de façon particulière- cette affection.
ment évidente. C’est à partir d’étude récente portant
sur la physiologie biliopancréatique que le rôle favora- OBSERVATION
ble de la grosse sse sur la lithogènese a pu être
démontré. Les écueils diagnostiques que suscite cette Mme S.S. âgée de 33 ans, mariée, primigeste, nullipare,
a ffection sont nombreux. Les moyens modernes de enceinte de 34 semaines, ayant comme antécédent patholo-
réanimation médi-cale ont contribuer à améliorer le gique une bulbogastrite secondaire à une prise d’aspirine
pronostic de la pan-créatite aiguë, mais sa survenue qui a été confirmée par une fibroscopie il y a un an. La
pendant la grossesse assombrit d’avantage celui-ci fait patiente a été admise dans le service le 09/03/95 pour des
retard diagnostique et thérapeutique. é p i ga s t ra l gies intenses à irra d i ation postéri e u re ave c
vomissements bilieux sans ictère. L’examen retrouvait une
Mots clés : Pancréatite, Grossesse, mort foetale in-utero. patiente avec un état général peu altéré, fébrile à 38°, et
une TA à 12 mm Hg de maxima. L’abdomen présentait une
SUMMARY sensibilité épiga s t rique mais sans vésicule palpable ni
Acute pancreatitis and pregnancy hépatosplénomégalie. L’examen obstétrical objectivait une
grossesse non évolutive de 34 semaines. A cette étape, le
Acute pancre atitis during preg n a n cy is a seri o u s diagnostic d’une péritonite par perforation d’ulcère a été
condition and diagnosis is often difficult. The authors évoqué vu les antécédents de bulbogastrite. L’ASP n’a pas
report the case of a 33 years old woman in the 34 week mis en évidence de pneumopéritoine mais quelques
of her pregnancy, in wich the outcome was fatal for a niveaux hydro-aériques de type grêlique, une radio de tho-
child. The cause of pancreatitis during pregnancy has rax a montré un épanchement pleural ga u ch e. L’ é ch o -
been attributed to many factors, chiefly cholelithiasis. A graphie a objectivé un pancréas augmenté de taille, une
number of recent studies have shown the relationship vésicule biliaire lithiasique a paroi fine, la VBP était de
existing between the role played by preg n a n cy in calibre normal et une absence de l’activité cardiaque foe-
predisposing to galbadder disease wtih lithiasis. Many tale. Le bilan biologique montrait une hyperleucocytose à
d i agnosis erro rs are made in this condition. Th u s 25.10(3)/mm(3), une hémat o c rite à 37%, une acidose
m o d e rn tre atment methods have improved the pro - métabolique avec une réserve alcaline à 16 meq/l, une note
gnosis in acute pancreatitis but, when it occurs during d ’ i n s u ffisance rénale avec une urée à 1,14 g/l et une
pregnancy, diagnostic delays often lead to a gloomy créatinine à 23 mg/l, l’amylasémie était 208 UI/l, et l’amy-
outlook. lasurie était 2086 UI/l, le bilan hépatique, le bilan lipidique
* Service des urgences chirurgicales viscérales professeur S. BALFREEJ -
CHU - IBN SINA (RABAT)
22, Rue El Brihi, 3ème étage, n°8 RABAT.

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ainsi que le bilan de la coag u l ation était normaux. La DISCUSSION


tomodensitométrie (TDM) était en faveur d’une pancréatite
aiguë avec coulées pancréatiques, péripancréatiques et à L’incidence de l’association pancréatite aiguë et grossesse
distance (Fig. n°1) est difficile à évaluer, tantôt surcôtée si l’on se contente
d’un diagnostic biologique (1/3800 grossesse), tantôt sous
Figure 1 : TDM à l’admission : Aspect d’une
estimée si l’on tient en compte seulement les formes graves
pancréatite aiguë avec coulées de nécrose
(1/11467 grossesse) (3, 4).
pancréatiques, peri-pancréatiques et à distance
Néanmoins, cette association connaît un certain nombre de
prédispositions physiologiques et éthiopathogéniques. Au
cours de la grossesse, la sécrétion biliaire augmente en
quantité et en qualité : Teneur en triglycérides et en choles-
térol (5). La progestérone entraîne une hypotonie des voies
biliaires et une hypertonie du sphincter d’oddi. L’ensemble
de ces facteurs favorise la survenue de lithiase biliaire qui
est de loin l’étiologie la plus fréquente des pancréatites
aiguës au Maroc.
Il semble exister une relation de cause à effet entre pan-
créatite aiguë et état gravidique. Plusieurs théories sont
évoquées : lithiasique (6, 7, 8), mécanique (7, 8) (compres-
sion des canaux pancréatiques par l’utérus gravide), sécré-
Un traitement symptomatique était instauré. toire (6,9), métabolique (8, 9, 10) (hypertriglycéridémie),
Le 10/03/95 la patiente entrait spontanément en travail et endocrinienne (7, 8, 11, 12) (hyperparathyroïdie), vasomo-
accouchait par voie basse d’un mort-né, macéré. trice (8, 9) (préeclampsie, hématome rétroplacentaire) et
L’évolution s’était faite vers la normalisation clinique et médicamenteuse (13, 14, 15) (diurétiques, cyclines).
biologique, cependant, le contrôle scannographique du L’ â ge de surve nue ne présente pas de part i c u l a rités en
11/04/95 a objectivé la persistance d’une coulée de cytos- dehors d’un pic de fréquence à la 3ème décennie. La pan-
téatonécrose péri-colique gauche et la présence d’un volu- créatite est rare au 1er et 2ème trimestre (12%), alors qu’el-
mineux faux kyste du pancréas à développement corporéo- le est fréquente au 3ème trimestre (50%) et en post partum
caudal mesurant 13 x 9 cm de diamètre (Fig. n°2) et qui (37%).
n’a pas régressé sur une T.D.M. faite 4 mois plus tard. Un Le diagnostic positif est difficile car la symptomatologie
drainage échoguidé du faux kyste a été tenté mais devant clinique est trompeuse et non spécifique, et l’examen est
son échec la patiente était opérée le 19/01/96 et a bénéfi- gêné par l’utérus gravide. Le dosage de l’amylase dans le
ciée d’une anastomose kysto-gastrique et d’une cholécys- sang et les urines peut contribuer au diagnostic quoique son
téctomie, les suites opératoires étaient simples. augmentation puisse se voir même dans une pathologie
extra-pancréatique, d’où l’intérêt de doser l’isoamylase
Figure 2 : TDM de contrôle : Faux kyste
pancréatique. Le reste du bilan biologique (urée, glycémie,
corporeo-caudal du pancréas de 13/9 cm
calcémie...) intervient plus dans le pronostic que dans le
diagnostic positif. L’ASP réalisé au-delà du 3ème trimestre
permet d’éliminer une urgence chirurgicale et objective
rarement des calcifications pancréatiques ou biliaires. La
radiographie du thorax recherche un épanchement pleural
gauche (16). L’échographie abdominale, bien qu’elle soit
r é a l i s able au lit de la malade, anodine pour le fo e t u s ,
ex p l o re ra rement le pancréas contra i rement aux vo i e s
b i l i a i res (17, 18). La tomodensitométrie ab d o m i n a l e,
réalisable à partir du 3ème trimestre permet une analyse
fine du pancréas, du tissu péri-pancréatique et permet de

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guider une ponction ou un drainage percutané de l’abcès. d’un déclenchement de travail, en cas de mort foetale on
Le diagnostic différentiel varie en fonction de l’âge gesta- laissera l’accouchement se faire par voie basse, en cas de
tionnel : avec des affections gravidiques, grossesse extra- souffrance foetale aiguë une césarienne ou un déclenche-
utérine (19) au 1er trimestre, hématome rétro-placentaire et ment artificiel de l’accouchement peut être nécessaire pour
rupture utérine (16, 20) au 3ème trimestre, pelvi-péritonite préserver la viabilité du foetus, dans ces circonstances les
et embolie amniotique (8) en post partum. Et avec d’autres risques de la prématurité paraissent inférieurs aux dangers
affections chirurgicales aiguës de l’abdomen (appendicite auxquels doit faire face l’enfant s’il devait demeurer in
aiguë, cholecystite aiguë, ...) ici le dosa ge de l’activité séri- utéro.
que de l’amylase est d’un grand secours et ce n’est que de-
vant une amylasémie normale ou modérément augmentée Le pronostic maternel dépend du type anatomique de la
que le dosage de la lipase sérique peut alors être détermi-
pancréatite aiguë qui est très réservé quand elle est nécro-
nant.
tico-hémorragique, du moment de sa survenue par rapport
Le traitement, essentiellement médical, ne diffère en rien
à l’âge gestationnel qui est réservé dans les formes surve-
de celui institué en dehors de la grossesse, une place pri-
nant au cours du travail ou dans le post-partum immédiat,
mordiale est donnée à la réanimation à la phase initiale de
du score de ranson avec une mortalité à 100% lorsqu’il
la maladie.
dépasse 7. La mortalité maternelle est de 20 à 50% (21). Le
Le traitement chirurgical n’intervient qu’en cas de doute pronostic foetal est fonction de la gravité de la maladie
diagnostique, d’abcès ou de faux kyste de pancréas, ou maternelle et des complications associées et est dominé par
pour la cure de la lithiase vésiculaire. Il semble que lors- la souffrance foetale aiguë, l’avortement et la mortalité in
qu’un geste chirurgical est nécessaire, le 2ème trimestre utéro. La mortalité foetale voisine 15 à 25% (8).
semble être la période de choix du risque d’avortement au
premier trimestre d’une part et du volume important de CONCLUSION
l’utérus au 3ème trimestre d’autre part. L’attitude à prendre
vis-à-vis du foetus n’est pas codifié, la décision d’extrac- La pancréatite aiguë au cours de la grossesse est une asso-
tion foetale dépend de l’âge gestationnel, des conditions ciation rare, de diagnostic difficile et de pronostic redou-
locales et des données du monitorage foetal. Dans le cas ou table aussi bien pour la mère que pour le foetus.
une intervention chirurgicale sur lésions bilio-pancréati- Les auteurs insistent sur l’intérêt d’un diagnostic précoce.
ques s’impose et si le foetus est vivant il faut essayer par Le dosage de l’amylase sanguine et urinaire doit être facile
traitement symptomatique d’atteindre la 32ème semaine, surtout en cas de troubles endocriniens (hyperparathyroï-
car l’anesthésie, l’acte opératoire peuvent être à l’origine die) ou du métabolisme lipidique (hypertriglyceridémie).

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