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pratique

La pancréatite aiguë ou
la nécessité d’anticipation

La pancréatite aiguë, dont les principales étiologies sont la


­lithiase biliaire et l’abus d’alcool, est une maladie inflamma­
toire potentiellement létale, pour laquelle on note une augmen­
tation de l’incidence et une diminution de la mortalité. L’élimi­
nation de la cause, le support hémodynamique et respiratoire
et le traitement des complications sont les principaux axes de
traitement. La pancréatite aiguë sévère nécessite en outre une
Rev Med Suisse 2009 ; 5 : 1425-30
collaboration étroite entre chirurgiens, radiologues interven­
tionnels, gastro-entérologues et intensivistes. De nombreuses
F. Schwenter controverses subsistent quant à l’administration prophylactique
L. Buhler d’antibiotiques et le support nutritionnel. En résu­mé, l’antici­
pation dans le diagnostic, l’identification de la cause, la sévé­
T. Berney rité de l’atteinte et la réanimation sont indispensables à un
traitement optimal de cette maladie complexe.
P. Morel
Dr Frank Schwenter
Prs Leo Buhler, Thierry Berney
et Philippe Morel
épidémiologie et étiologies
Services de chirurgie viscérale et de
transplantation
Malgré une variabilité selon des critères diagnostiques, étio-
Département de chirurgie logiques et géographiques, l’incidence de la pancréatite aiguë
HUG, 1211 Genève 14 est en augmentation, passant de 33 à 44 par 100 000 adultes
frank.schwenter@hcuge.ch
leo.buhler@hcuge.ch par année entre 1994 et 2001 en Californie. Actuellement, les
thierry.berney@hcuge.ch Etats-Unis rapportent 200 000 admissions hospitalières par
philippe.morel@hcuge.ch année. Environ 80% des épisodes sont de gravité modérée et
20% d’évolution sévère, grevés d’une morbidité importante et
d’une mortalité constante au cours des dernières décennies,
estimées entre 5 et 20%.
Acute pancreatitis or the need of antici­ Les étiologies prédominantes de la pancréatite aiguë de l’adulte sont la lithiase
pation biliaire (40% des cas) et l’abus d’alcool (35% des cas), bien que la majorité de la
Acute pancreatitis is a potentially lethal in-
population présentant ces facteurs de risque ne développe jamais d’épisode de
flammatory disease with an increased inciden­
ce and a decreased mortality rate. The main pancréatite aiguë. Les autres étiologies sont métaboliques comme l’hypertrigly-
etiologies are biliary stones and alcohol abuse. céridémie et l’hypercalcémie, tumorales, médicamenteuses, infectieuses, trauma­
The therapeutic approach consists of the eli- tiques, génétiques ou auto-immunes (tableau 1).1 La pancréatite aiguë après une
mination of the cause, the hemodynamic and cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique (ERCP) représente en­vi­
respiratory supports and the treatment of the ron 2% de l’ensemble des pancréatites aiguës. Le risque d’une atteinte après ce
complications. Moreover, severe acute pan-
geste est évalué entre 2% et 7%. Enfin, environ 20% des cas sont idiopathiques.
creatitis requires a collaboration between
surgeons, radiologists, gastroentero­logists and
intensive care physicians. The administration
physiopathologie et complications
of prophylactic antibiotics and the early oral
nutritional support are still controversial. In La pathogenèse de la pancréatite aiguë est en relation avec l’activation inap-
summary, the anticipation in diagnosis, etio- propriée du trypsinogène en trypsine et au défaut d’élimination rapide de la
logy, classification of the severity and early trypsine active au sein du pancréas, entraînant une autodigestion de la glande
reanimation are needed for an optimal treat-
pancréatique et une réponse inflammatoire locale. Ainsi se réalise un cercle
ment of this complex disease.
­vicieux entretenant la cascade inflammatoire et pouvant se développer jusqu’à
un syndrome de réponse inflammatoire systémique (SIRS), une défaillance orga-
nique multiple (MOF) et le décès.
Les complications de la pancréatite aiguë comportent des manifestations
pancréatiques, péri-pancréatiques et systémiques. Les collections liquidiennes
s’observent chez 57% des patients hospitalisés pour pancréatite aiguë.2 Lors-

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Tableau 1. Etiologies de la pancréatite aiguë de nausées et vomissements. Le calendrier des douleurs
est différent de celui de la colique biliaire simple par son
Causes obstructives Causes génétiques caractère continu, mais peut évoquer un diagnostic diffé-
• Cholécystolithiase • PRSS1 (protease, serine 1) rentiel de cholécystite ou d’ulcère gastro-duodénal.
• Tumeur (tête du pancréas, • SPINK1 (serine protease inhibitor
ampoule de Vater, cholédoque, kazal type 1) Les signes vitaux et l’examen clinique sont en relation
duodénum) • CFTR (cystic fibrosis transmem- avec la sévérité de l’atteinte. Une tachycardie et une hy-
• Caillot sanguin brane conductance regulator) potension peuvent résulter d’une hypovolémie relative par
• Kyste cholédocien et cholédo-
chocèle Causes infectieuses
formation d’un troisième secteur. Une tachypnée reflète
• Diverticule duodénal • Bactéries-mycoplasma, legionella, l’inflammation diaphragmatique de continuité, la formation
• Crohn duodénal leptospira, salmonella d’épanchements pleuraux ou encore l’installation d’un état
• Virus-oreillons, coxsackie, VHB, de choc. Enfin, la présence d’un ictère est pathognomoni-
Causes toxiques CMV, varicella-zoster, herpes
• Alcool • Parasites-ascaris, cryptosporidium, que de l’origine biliaire d’une pancréatite. Quant à l’examen
• Venin de scorpion toxoplasma de l’abdomen, il peut ne révéler qu’une douleur à la palpa­
tion profonde épigastrique ou alors un franc péritonisme
Causes médicamenteuses Causes métaboliques
généralisé. De façon plus rare, il est possible de voir se dé­
• asparaginase, pentamidine, • Hypertriglycéridémie
azathioprine, stéroïdes, cytarabine, • Hypercalcémie velopper des zones d’ecchymoses autour de l’ombilic (signe
sulfaméthoxazole-triméthoprime de Cullen) ou au niveau des flancs (signe de Gray-Turner).
didanoside, furosémide, sulfa­- Auto-immun
salazine, mésalazine, sulindac, • Lupus érythémateux systémique Tests de laboratoire
mercaptopurine, tétracycline • Syndrome de Sjögren
opiacés, acide valproïque, L’amylase et la lipase sériques sont les tests de labora-
oestrogènes* Autres toire traditionnels dans le diagnostic de pancréatite aiguë.
• paracétamol, hydrochlorothia- • Traumatisme L’amylase augmente rapidement durant la phase aiguë et
zide, carbamazépine, interféron, • Grossesse
cisplatine, lamivudine, cyclopen­- • Ischémie sa concentration décline en deux ou trois jours, alors que
thiazide, octréotide, enalapril, la lipase peut rester élevée durant plus d’une semaine. La
phenformine, érythromycine, Causes controversées spécificité de l’amylase est inférieure à celle de la lipase
rifampicine** • Pancreas divisum
• Dysfonction du sphincter d’Oddi
puisqu’une hyperamylasémie peut se rencontrer dans des
Causes post-chirurgie pathologies abdominales extrapancréatiques. Une pancréa­
• ERCP Idiopathique tite aiguë peut également survenir en l’absence d’élévation
• Chirurgie abdominale de l’amylase.3
• Chirurgie cardiaque
Les tests hépatiques (ASAT et ALAT) indiquent en gé-
néral des taux pathologiques dans la pancréatite aiguë
* Plus de 20 case reports et une réexposition positive
** Entre 10 et 20 case reports avec ou sans réexposition ­biliaire alors qu’ils ne sont parfois que légèrement augmen­
tés lors de pancréatite alcoolique. Une méta-analyse a mon­
tré qu’un taux sérique d’ALAT supérieur à 150 IU/l avait une
qu’elles sont associées à une rupture du canal pancréati- valeur prédictive positive de 95% pour le diagnostic de
que, ces collections forment des pseudokystes qui se dé­ pancréatite aiguë biliaire.4 Enfin, un taux de triglycérides
veloppent sur plusieurs semaines. Ils sont caractérisés par supérieur à 1000 mg/dl est suggestif d’une pancréatite aiguë
un contenu constitué de liquide pancréatique et une paroi hypertriglycéridémique.
formée par du tissu de granulation. La nécrose pancréatique
par autodigestion, focale ou diffuse, est une autre compli- Imagerie
cation majeure de la pancréatite aiguë. Plus d’un tiers des L’échographie est l’examen présentant les meilleures
patients avec nécrose pancréatique développe une infec- sensibilité et spécificité dans le diagnostic de cholécysto-
tion du tissu nécrotique par translocation de micro-organis­ lithiase et d’obstruction biliaire se manifestant par une di-
mes intestinaux. L’inflammation locale et les pseudokystes latation des voies biliaires intra- et/ou extrapancréatiques.
pancréatiques peuvent avoir des répercussions vasculaires Cet examen peut être secondé dans la recherche de cho-
avec la formation de pseudoanévrismes de l’artère spléni- lédocholithiase par l’échographie endoscopique (EE) qui
que ou gastroduodénale ainsi que de thromboses de la est techniquement plus difficile mais dont les résultats in-
veine splénique ou porte. Enfin, les répercussions systémi­ diquent une sensibilité atteignant 96% et une spécificité
ques peuvent se présenter sous forme d’un choc hypovo- similaire à celle de l’ERCP.5
lémique, d’une insuffisance rénale ou d’un syndrome de Le CT-scanner avec produit de contraste oral et intra-
­détresse respiratoire de l’adulte. veineux offre une image directe du pancréas (figure 1) et
de ses manifestations inflammatoires, telles qu’œdème,
inhomogénéité parenchymateuse, infiltration de la graisse
diagnostic péripancréatique, collections liquidiennes, coulées extra-
Le diagnostic clinique de pancréatite aiguë repose sur la pancréatiques (figure 2), nécrose (figure 3), pseudokystes
présence de douleurs abdominales épigastriques d’appari- (figure 4), ascite et épanchement pleural.
tion brutale, augmentant en intensité en quelques heu­res et L’imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM)
pouvant durer plusieurs jours. Ces douleurs ont ­typiquement présente des performances similaires au CT-scanner et peut
une irradiation dorsale en raison de la localisation rétropé- s’avérer utile lors de contre-indication au scanner ou pour la
ritonéale du pancréas et sont fréquemment accompagnées réalisation d’une cholangiopancréatographie (MRCP). Pour

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Figure 3. CT-scanner montrant une nécrose pan-
Figure 1. CT-scanner montrant un pancréas normal créatique marquée par une absence de prise de
contraste et comprenant une partie du corps et la
queue du pancréas (flèche)

Figure 4. CT-scanner montrant la présence de


deux pseudokystes (flèches) marqués par une paroi
prenant le contraste et un contenu de densité liqui-
Figure 2. CT-scanner montrant un œdème pancréa- dienne
tique, une infiltration de la graisse péri-pancréati-
que ainsi qu’une coulée pancréatique (flèche) score APACHE II7 a l’avantage de pouvoir être répété à tout
moment de l’évolution de la maladie. A l’occasion d’une
cette indication particulière, il n’y a pas de recommandation réunion d’experts à Atlanta en 1992, une classification de
quant à la réalisation d’une EE plutôt que d’une MRCP et la gravité d’un épisode en modéré ou sévère a fait l’objet
le choix de l’examen dépend des éventuelles contre-indi- d’un consensus pour la désignation des différents paramè­
cations de l’un ou de l’autre et répond aux disponibilités tres à considérer (tableau 3).8 Plus récemment, la valeur de
et compétences de chaque centre. la protéine C réactive (CRP) s’est révélée être un marqueur
unique puissant dans la prédiction de l’évolution d’un
épisode de pancréatite aiguë.9
prédiction de la sévérité Enfin, différents scores ont été élaborés sur la base de
L’identification précoce de la sévérité de l’atteinte de l’imagerie, dont l’index de sévérité scanographique selon
pancréatite aiguë est nécessaire pour une prise de déci- Balthazar (tableau 4).10 Le score de Clavien prend en con­
sion thérapeutique adéquate. De multiples scores ont été sidération des paramètres cliniques, de laboratoire et sca-
proposés pour corréler un épisode de pancréatite aiguë nographiques.11 Le tableau 5 indique les sensibilité et
avec un pronostic de survie. Les scores de Ranson6 (ta- spé­cificité de différents scores pour la prédiction de la sé-
bleau 2) et de Glasgow regroupent différents paramètres à vérité de l’atteinte de pancréatite aiguë ainsi que les taux
l’admission et à 48 heures d’hospitalisation, alors que le de mortalité rapportés aux scores.12

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Tableau 2. Score de Ranson Tableau 5. Sensibilité, spécificité et prédiction
de la mortalité selon différents scores de la pan-
A l’admission créatite aiguë
Age L 55 ans
Glycémie L 10 mmol/l Sensibilité Spécificité
Leucocytes L 16 000/mm3
Lactate déshydrogénase L 350 IU/l Score de Ranson M 3 à 48 h 75-89% 54-71%
Alanine aminotransférase L 250 IU/l Score de Glasgow modifié M 3 à 48 h 45-75% 63-89%
APACHE II M 8 à 48 h 56-78% 52-64%
Dans les 48 heures après l’admission Index de sévérité CT 85% 98%
Hématocrite L 10% de baisse CRP L 150 mg/dl à 24 h 65% 73%
Calcémie l 2 mmol/l
Déficit de base L 4 mEq/l Score Taux de mortalité
Urée L 1,8 mmol/l
Ranson 0-2 points 3%
d’augmentation
3-4 points 16%
Séquestration liquidienne L6 l
5-6 points 40%
Pression partielle d’oxygène l 60 mmHg
7-8 points 100%
Sévère si M 3 critères
Index de sévérité CT 0-3 points 3%
4-6 points 6%
7-10 points 17%
Tableau 3. Critères d’Atlanta : définition de la sévé-
rité de l’atteinte de pancréatite aiguë, sans notion
pronostique mesures diagnostiques et thérapeutiques spécifiques. Un
apport liquidien agressif est souvent nécessaire de même
• Etat de choc avec pression artérielle systolique l 90 mmHg
– et/ou insuffisance respiratoire (PaO2 m 60 mmHg)
qu’un support respiratoire, une antalgie soutenue et un
– et/ou insuffisance rénale (créatinine L 177 micromol/l contrôle glycémique rigoureux. Une admission aux soins
après réhydratation) intensifs peut également survenir après quelques heures
– et/ou hémorragie digestive (L 500 ml en 24 heures) ou jours si l’évolution de l’atteinte n’est pas favorable, d’où
• Nécrose pancréatique et/ou pseudokystes et/ou abcès
• Score de Ranson M 3 la nécessité d’un suivi rapproché des patients avec une
• Score APACHE II M 8 pancréatite aiguë initialement modérée. Une fois les me-
Sévère si M 1 de ces critères sures de support ou de réanimation initiées, les démarches
diagnostiques sont rapidement entreprises, sous forme de
tests de laboratoire, d’une échographie abdominale et d’un
Tableau 4. Index de sévérité scanographique de la CT-scanner abdominal.
pancréatite aiguë selon Balthazar
Grade de la pancréatite aiguë sur le CT-scanner points
Cholangiopancréatographie rétrograde
abdominal sans contraste endoscopique
A Pancréas normal 0
La pancréatite aiguë biliaire montre une augmentation
B Œdème pancréatique 1
C Inflammation pancréatique et/ou infiltration de la graisse 2 de la sévérité de l’atteinte et une prédisposition au déve-
péripancréatique loppement d’une cholangite si l’obstruction biliaire n’est
D Une collection péripancréatique unique 3 pas rapidement levée. Plusieurs études randomisées ont
E M 2 collections péripancréatiques et/ou air rétropéritonéal 4
montré qu’une ERCP avec sphinctérotomie dans les 24 à
Degré de nécrose pancréatique sur le 72 heures de l’admission diminuait de façon significative
CT-scanner abdominal avec contraste
les complications liées à la pancréatite.13,14 L’ERCP permet
intraveineux
A Pas de nécrose 0 un retrait des calculs cholédociens, un drainage de la bile
B Nécrose m 30% du pancréas 2 infectée ainsi qu’une sphinctérotomie évitant l’impaction
C Nécrose entre 30% et 50% du pancréas 4 d’éventuels autres calculs dans l’attente d’une cholécys-
D Nécrose M 50% du pancréas 6
Sévère si somme des points M 6 tectomie. Afin de prévenir un nouvel épisode, il est recom­
mandé de pratiquer une cholécystectomie avec cholangio­
graphie peropératoire à l’occasion du même séjour hospi-
talier.
traitement
En regard de l’évolution qui peut être sévère, voire lé- Nutrition
tale, il paraît justifié d’hospitaliser tout patient présentant Lors de l’admission, le patient est gardé à jeun. S’il pré-
une pancréatite aiguë. Le traitement initial est un traitement sente des vomissements en raison d’une gastroparésie ou
de support sous forme d’une hydratation intraveineuse d’un iléus grêle paralytique en réponse à la réaction in-
adéquate et d’une antalgie efficace nécessitant souvent le flammatoire, l’utilisation d’une sonde nasogastrique (SNG)
recours aux opiacés. Malgré le dogme relatant une exacer- en aspiration est sans doute un confort supplémentaire.
bation potentielle de la pancréatite par la morphine par Par contre, en l’absence de tels symptômes, son indication
stimulation du sphincter d’Oddi, aucune étude n’a pu clai- est très controversée. Traditionnellement, l’utilisation d’une
rement objectiver cette hypothèse chez l’homme. En cas SNG était censée prévenir la stimulation pancréatique in-
d’atteinte sévère avec un patient en état de choc, la pre- duite par la distension gastrique et la sécrétion acide.
mière mesure à entreprendre est une réanimation avec ­Cependant, de nombreuses études n’ont pas montré de
prise en charge en milieu de soins intensifs, précédant les bénéfices, indiquant même une reprise alimentaire orale

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tardive et une durée d’hospitalisation prolongée par rap- biotique représente une indication chirurgicale manifeste
port aux patients sans SNG.15 Une nutrition entérale pré- avec néanmoins la recommandation d’un délai de deux
coce est actuellement considérée comme bénéfique16 et semaines au moins entre le diagnostic de l’apparition de la
peut être réalisée si nécessaire par une sonde nasojéjunale nécrose et le débridement chirurgical. En effet, une chirur-
ou nasogastrique. Bien que la sonde nasojéjunale fût long- gie précoce est associée à un taux de mortalité s’élevant
temps recommandée, une étude prospective randomisée jusqu’à 65%. L’attente recommandée permet non seule-
n’a pas mis en évidence de bénéfice de cette sonde par ment d’améliorer la condition générale du patient en vue
rapport à la SNG.17 Dans une situation catabolique aussi de la chirurgie mais également une meilleure démarcation
importante, il est essentiel d’assurer un apport calorique entre les zones viables et non viables du tissu nécrotique.
suffisant. Si la voie entérale est possible, elle est alors re- La technique de nécrosectomie la plus courante est la
commandée par rapport à la voie parentérale qu’il ne faut ­laparotomie avec débridement et mise en place d’un sys-
cependant pas négliger s’il s’agit de la seule voie d’accès tème de lavage en continu suivie d’une fermeture abdo-
afin d’assurer les apports énergétiques. minale ou de la technique «abdomen ouvert» avec panse-
ment à pression négative permettant des reprises chirurgi­
Antibiotiques cales plus aisées. Des approches minimalement invasives
La prophylaxie antibiotique dans la pancréatite aiguë a ont également été décrites, comme la rétropéritonéoscopie
été longtemps justifiée par la mortalité élevée due à l’in- combinée avec une irrigation postopératoire continue, une
fection de la nécrose pancréatique avec un taux de 40% à technique par trocart unique «LESS» (laparoscopic endoscopic
70%, en comparaison de la nécrose stérile présentant une single site surgery) ou encore par NOTES (natural orifice trans­
mortalité de 0% à 11%. Cependant, une telle approche en- luminal endoscopic surgery) avec une nécrosectomie per-orale
courage le développement de résistances bactériennes et transgastrique.
d’infections fongiques opportunistes capables d’entraîner
un taux de mortalité encore plus élevé.18 L’utilisation pro-
phylactique d’antibiotiques reste néanmoins controversée. conclusion
Une étude en double aveugle comparant des patients avec Le traitement optimal d’un patient présentant une pan-
une pancréatite aiguë sévère traités par ciprofloxacine et créatite aiguë nécessite une collaboration multidisciplinaire
métronidazole ou par placebo n’a pas montré de bénéfice entre l’urgentiste, le gastro-entérologue, le chirurgien, l’in-
de la prophylaxie antibiotique quant au développement tensiviste, le radiologue et l’infectiologue.
d’une nécrose pancréatique infectée.19 Une autre étude, L’anticipation reste le mot-clé de la prise en charge d’un
parue récemment, aboutit aux mêmes conclusions.20 Les patient avec pancréatite aiguë.
directives de l’American College of Gastroenterology ne recom-
mandent pas l’utilisation d’antibiotiques prophylactiques,21 Stratégie de recherche
alors que l’American Gastroenterology Association ne l’exclut pas
lorsque la nécrose comprend plus de 30% de la glande.22 Les données utilisées pour cette revue ont été identifiées par
Par contre, en cas de forte suspicion d’infection, ou lors une recherche Medline des articles publiés en anglais dans le
d’infection avérée, de développement d’un SIRS ou d’une domaine de la pancréatite aiguë. Les articles ont été inclus
MOF, un traitement antibiotique est clairement indiqué. dans la liste des références s’ils présentaient une approche
Du moment que l’infection de la nécrose pancréatique est originale pour chacune des sections principales de la revue.
Les mots-clés utilisés en combinaison pour la recherche
causée par une flore multiple, il paraît bénéfique de pro- étaient : «acute pancreatitis», «nutrition», «antibiotic», «sur-
céder à une ponction des collections, des coulées ou de la gery», «score», «necrosis», «pseudocyst», «infection».
nécrose sous contrôle d’imagerie avant l’instauration du
traitement. Il est ainsi possible d’obtenir un antibiogramme
et d’adapter le spectre antibiotique au besoin. Les anti-
Implications pratiques
biotiques bactéricides présentant la meilleure pénétration
tissulaire sont l’imipénem, les céphalosporines de troisiè-
Les lignes directrices de l’anticipation dans la prise en charge
me génération et la pipéracilline.23 d’un patient avec pancréatite sont :
Chirurgie > Détermination précoce de l’étiologie et de la sévérité de
Bien qu’un traitement conservateur occupe une place l’atteinte permettant une orientation optimale du patient en
grandissante dans la prise en charge de la pancréatite vue de la réanimation, des tests diagnostiques (laboratoire,
échographie et CT-scanner) et du traitement de la cause
aiguë, la chirurgie conserve toute son importance dans le
(ERCP dans les 72 heures d’un épisode de pancréatite aiguë
traitement spécifique de complications telles que les pseu­ biliaire)
dokystes ou la nécrose pancréatique infectée d’évolution
réfractaire. Tant que les kystes sont asymptomatiques, il > Nutrition entérale précoce per os ou par SNG
n’y a aucune indication chirurgicale. Par contre, lorsque ceux-
ci prennent du volume avec effet de masse sur les organes > Instauration d’une antibiothérapie en cas de forte suspicion
d’infection ou d’infection avérée
adjacents ou se manifestent par des complications, telles
que thromboses ou pseudoanévrismes, un traitement en- > Début du traitement après la réalisation d’une ponction des
doscopique ou chirurgical peut s’avérer nécessaire. La né- collections, des pseudokystes ou de la nécrose
crose pancréatique infectée réfractaire au traitement anti-

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