EPIDEMIOLOGIE DES CANCERS DU TUBE DIGESTIF
AU BURKINA FASO :
APPORT DE 8000 ENDOSCOPIES EFFECTUEES AU CENTRE HOSPITALIER
NATIONAL SANOU SOURO (CHNSS) DE BOBO DIOULASSO
A.SAWADOGO*, P.D.ILBOUDO**, G.DURAND*, M.PEGHINI*,
D.BRANQUET***, A.B.SAWADOGO *, I. OUEDRAOGO
RESUME
Les auteurs rapportent les données d’une étude rétros-
pective de 7 ans dont le but était de décrire le profil épi-
démiologique et anatomo-pathologique des cancers du
tube digestif (CTD) au BURKINA FASO.130 CTD ont
été découverts chez 90 hommes et 40 femmes avec un
sex-ratio de 2,25, au cours de 8000 endoscopies diges-
t ives hautes et basses effectuées de janvier 1992 à
décembre 1998 au CHNSS de Bobo-Dioulasso. L’âge
moyen des malades était de 51,5 ans.
Le cancer gastrique 94 cas soit 72,3 % des CTD était la
localisation la plus fréquente devant les cancers recto-
colique 17 cas (13 %), œsophagien 16 cas (12,3 %) et
duodénal 3 cas (2,4 %).
L’apport de l’endoscopie et peut-être la modification du
régime alimentaire en milieu urbain expliquent cette
grande fréquence de découverte des CTD au Burkina
Faso.
Mots-clés : CTD, épidémiologie, Burkina Faso.
INTRODUCTION
Les cancers du tube digestif (CTD) sont de fréquence
variable suivant les continents et les races. En Afrique, leur
incidence a été longtemps sous-estimée. On constate que,
depuis le développement de l’endoscopie digestive, des cas
de CTD sont de plus en plus notifiés. Au Burkina Faso, des
études antérieures réalisées au Centre Hospitalier National
Yalgado Ouédraogo (CHNYO) de Ouagadougou (1, 7, 17)
évaluent l’importance des CTD dans ce centre. A Bobo-
Dioulasso, deuxième ville du pays, aucune étude n’a été
réalisée. Nous rapportons donc les CTD diagnostiqués par
l’endoscopie digestive haute et basse au cours des 7 der-
nières années au Centre Hospitalier National Sanou Souro
* Service de Médecine Interne au CHNSS.
** Service de Gastro-Entérologie du CHNYO.
(CHNSS) de Bobo-Dioulasso. Le but de ce travail étant de
décrire le profil épidémiologique et anatomo-pathologique
des CTD dans un pays d’Afrique Noire.
MALADES ET METHODES
L’unité d’endoscopie digestive du CHNSS est le centre de
référence qui reçoit les malades en provenance des divers
services hospitaliers du même centre, des formations sani-
taires périphériques et des cliniques privées de la ville.
Notre étude était rétrospective et a analysé 8000 comptes-
rendus d’endoscopies digestives hautes et basses réalisées
de janvier 1992 à décembre 1998 et exploité les résultats
des examens anatomo-pathologiques. Les comptes-rendus
comportent l’état civil du malade, l’indication, le service
demandeur, le diagnostic endoscopique et parfois anatomo-
pathologique. Des biopsies per endoscopiques étaient fai-
tes chaque fois qu’une lésion paraissait suspecte de mali-
gnité. Les fragments de biopsie ont été fixés au formol à
10 % et adressés au Service d’Anatomie Pathologique de
l’Institut de Médecine Tropicale du Service de Santé de
l’Armée de Marseille pour analyse.
Ont été inclus, les malades ayant un diagnostic anatomo-
pathologique de tumeur maligne digestive.
Les variables étudiées étaient l’âge, le sexe, le siège de la
tumeur et le type histologique. Au total 130 CTD ont été
colligés.
RESULTATS
Etude globale
De janvier 1992 à décembre 1998, nous avons colligé 130
CTD au cours de 8000 endoscopies digestives hautes et
basses soit 1,62 % des malades vus en endoscopie.
Ces cancers ont été découve rts chez 90 hommes et
40 femmes avec un sex-ratio de 2,25.
*** Service d’Anatomie Pathologique de l’Institut de Médecine Tropicale
du Service de Santé des Armées à Marseille France.
Médecine d'Afrique Noire : 2000, 47 (7)
343
L’âge moyen des malades était de 51,5 ans (extrêmes 21-
76 ans).
Les cancers du tractus digestif supérieur (CTDS) ont été
notés dans 113 cas soit 86,9 % des CTD et les cancers
colo-rectaux dans 17 cas soit 13,1 % des CTD.
Les cancers du tractus digestif supérieur
Les cancers œsophagiens
Ils ont été découverts dans 16 cas soit 12,3 % des CTD. Il
s’agissait de 11 hommes et de 5 femmes le sex-ratio étant
de 2,2. L’ â ge moyen était de 49,7 ans (extrêmes 26-
70 ans), le maximum de fréquence étant observée dans la
tranche d’âge de 61 à 70 ans (37,5 %).
Les localisations étaient les suivantes : tiers supérieur
2 cas, tiers moyen 9 cas, tiers inférieur 5 cas.
Les cancers épidermoïdes toujours invasifs représentaient
11 cas soit 68,75 %. Chez 5 malades (31,25 %) il s’agissait
d’un adénocarcinome.
Les cancers gastriques
Ils ont concerné 94 malades soit 72,3 % des CTD et
82,2 % des CTDS. L’homme était le plus touché 66 % des
cas, le sex-ratio étant de 1,9. L’âge moyen était de 56,5 ans
(extrêmes 21 et 76 ans). La tranche d’âge de 51 à 70 ans
était la plus touchée (60,6 %).
Les localisations étaient les suivantes : sous cardiale 4 cas,
fundique 11 cas et antro-pylorique 79 cas soit 84,04 % des
localisations.
L’examen histologique montrait 82 fois la présence d’un
adénocarcinome soit 87,23 % des formes histologiques
(invasif 80 cas et superficiel 2 cas). Les autres types histo-
logiques étaient les suivants : léiomyosarcome 3 cas, lym-
phomes malins non hodgkiniens 8 cas et une tumeur ayant
correspondu à des métastases d’une tumeur hépatique.
Les cancers duodénaux
Ils ont été mis en évidence chez 3 personnes. Ils étaient
tous des hommes avec un âge moyen de 49 ans (extrêmes
27 et 60 ans).
Il s’agissait de deux adénocarcinomes et d’un lymphome
malin non hodgkinien.
Les cancers colo-rectaux
Ils ont concerné 17 malades soit 13,1 % des CTD. Il
s’agissait de 10 hommes et de 7 femmes. L’âge moyen
était de 51 ans avec des extrêmes allant de 23 à 65 ans.
Médecine d'Afrique Noire : 2000, 47 (7)
A.SAWADOGO, P.D.ILBOUDO, G.DURAND, M.PEGHINI,
D.BRANQUET, A.B.SAWADOGO , I. OUEDRAOGO
Les localisations étaient rectales 10 fois (58,82 %), sigmoï-
diennes 2 fois, coliques gauches 3 fois et coliques transver-
sales 2 fois.
La distribution en fonction du type histologique était la
suivante : 15 adénocarcinomes (88,23 %) et 2 carcinomes
épidermoïdes peu différenciés.
DISCUSSION
Limites
Les données que nous rapportons peuvent ne pas refléter la
situation dans la population générale. Les résultats ana-
tomo-pathologiques de certains patients n’ont pas pu être
obtenus. De plus notre méthodologie de travail ne nous a
pas permis de recenser toutes les informations notamment
les antécédents et les lésions pré-cancéreuses. Nous
n’avons donc pas pu rechercher une liaison entre l’intoxi-
cation alcoolo-tabagique et le cancer de l’œsophage par
exemple ni étudier la filiation adénome/cancer colorectal.
Malgré ces limites, cette étude a permis d’apprécier les
principales caractéristiques épidémiologiques et anatomo-
pathologiques des CTD au CHNSS.
Les cancers de l’œsophage
La fréquence des cancers de l’œsophage est fa i ble au
Burkina Faso. Nous ne rapportons que 16 cas soit 12,3 %
des CTD sur 8000 endoscopies effectuées en 7 ans. Ce
constat avait déjà été fait par GUE (7) et TRAORE (17) à
Ouagadougou qui avaient noté respectivement 3 cas en 2
ans et 4 cas en 8 ans.
Nos chiffres restent en accord avec la littérature qui montre
une prévalence faible du cancer de l’œsophage en Afrique
de l’Ouest : 61 cas en 5 ans au Sénegal (13) et 25 cas en 3
ans au BENIN (9).
Par contre d’importantes séries ont été rapportées chez les
noirs d’Afrique du Sud avec 240 cas en 10 ans dans un hôpi-
tal de Pretoria (18) et au Soudan avec 226 cas en 7 ans (3).
La fréquence du cancer de l’œsophage augmente ave c
l’âge dans notre série : la moyenne d’âge étant de 49,7 ans
avec une prédominance dans la tra n che d’âge de 61 à
70 ans. PEGHINI et al. (13) trouvent une moyenne d’âge
comparable à la nôtre au SENEGAL soit 48 ans. Celles
rap p o rtées dans les séries africaines de l’Est (3) et de
Madagascar (14) semblent supérieures à la nôtre avec res-
pectivement 55 et 57 ans.
EPIDEMIOLOGIE…
Le cancer de l’œsophage touche plus souvent l’homme que
la femme. Dans notre étude, le sex-ratio est de 2,2 en
faveur de l’homme. KODJOH (9) au Bénin tro u ve un
chiffre de 6,25. La différence entre les sexes pourrait s’ex-
pliquer par les habitudes alimentaires. Les hommes
consommeraient plus d’alcool et de tabac que les femmes.
Ces deux vices étant les principaux facteurs incriminés
dans la genèse du cancer de l’œsophage (5, 9).
Le cancer de l’œsophage était dans 68,75 % des cas un
c a rcinome malpighien épiderm o ï d e. CORNET (5) et
PEGHINI (13) ont noté respectivement 86,6 et 91 % de cas
de cancers épidermoïdes. La muqueuse malpighienne est
l’origine habituelle des cancers œsophagiens et ceci expli-
que que le carcinome épidermoïde ou épithélioma malpi-
ghien spinocellulaire soit donc le type histologique le plus
rencontré.
Les cancers gastriques
Ils occupent la première place avec 94 cas soit 72,3 % des
CTD. La prédominance du cancer gastrique en Afrique a
été noté par de nombreux auteurs. Ainsi KADENDE (8) au
Burundi, PEGHINI (13) au Sénégal et TRAORE (17) au
Burkina ont noté des fréquences respectives de 53,19, de
54,14 et de 48,45 % des CTD. L’importance des cancers de
l’estomac dans notre pays et selon la plupart des auteurs
(8, 13, 17) est liée au régime alimentaire d’une part et aux
lésions précancéreuses d’autre part. Les salaisons, les fritu-
res et les fumaisons sont des facteurs favorisants du cancer
gastrique (13). La conservation par le froid semble être un
facteur expliquant la baisse de l’incidence de ce cancer
dans les pays industrialisés (6, 13, 16). En milieu urbain
africain, on peut espérer que la raréfaction de la conserva-
tion des aliments par le sel et la fumée, et la banalisation
de la conservation par le froid puissent réduirent sensible-
ment l’incidence de ce cancer (13). L’ â ge moyen de
diagnostic a été de 56,5 ans. Il se rapproche de celui de
Madagascar (14) qui est de 57 ans. Il est supérieur à celui
de CISSE (4) au Mali, de OLU (12) au Nige ria et de
TRAORE (17) à Ouagadougou qui ont noté respective-
ment un âge moyen de 51,51,53 et de 48 ans. Le sex-ratio
était de 2 comme à Dakar (13) et à Pretoria (18). La loca-
lisation antro-pylorique était la plus fréquente 84,04 % des
cas. Comme dans la plupart des pays africains la prédomi-
nance de l’adénocarcinome a été notée dans notre étude
avec 82 cas soit 87,23 %. Au Burundi, KADENDE (8) a
observé 54 % de localisation antrale et 78 % d’adéno-
344
carcinome. TRAORE (17) au Burkina observait au CNYO
76,59 % de localisation antrale et 89,39 % d’adénocarci-
nome.
Les cancers duodénaux
Seuls les cancers duodénaux accessibles à l’endoscopie ont
été colligés. Nous n’avons pas noté de particularité épidé-
miologique chez nos trois malades.
Les cancers colo-rectaux
Le cancer colo-rectal est classiquement rare en Afrique
inter-tropicale. Il est pourtant loin d’être exceptionnel et
d ’ i m p o rtantes séries ont été publiées : 62 cas en Côte
d’Ivoire en 12 ans (2), 258 cas retrouvés au Sénégal en
15 ans dans une étude rétrospective (10), 71 cas sur 3000
endoscopies basses effectuées en 5 ans à Dakar (13) et
81 cas à Madagascar sur 8 ans (15). Au Burkina Faso nous
rapportons 17 cas sur 800 endoscopies basses en 7 ans au
CHNSS et TRAORE (17) rap p o rte 25 cas en 8 ans au
CHNYO. Nous nous accordons avec PEGHINI (13) pour
dire que de nos jours, les habitudes alimentaires en milieu
urbain se sont modifiées, s’accompagnant d’un appauvris-
sement de l’alimentation en fibres végétales. Le dévelop-
pement des techniques d’investigation associé à ce change-
ment de comportement permettent de penser que le cancer
recto-colique sera de plus en plus fréquemment retrouvé en
Afrique. Au Burkina, l’activité en endoscopie digestive
basse est cependant faible. Elle pourrait rendre compte de
ce faible taux de cancers colo-rectaux diagnostiqués au
Burkina. L’âge moyen de diagnostic a été de 51 ans. Il est
comparable à celui trouvé par PEGHINI au Sénégal (13)
soit 50 ans et reste supérieur à celui noté par TRAORE à
Ouagadougou (17) soit 49 ans.
La localisation rectale est prédominante. Elle est de 58,82 %
dans notre étude. Elle avait déjà été constatée par PEGHINI
(14) qui attribue cette fréquence élevée de la localisation
rectale aux explorations incomplètes du colon.
Comme NGUEMA au Gabon (11) PEGHINI au Sénégal
(13) et TRAORE au Burkina (17), nous avons noté une
prédominance de l’adénocarcinome.
CONCLUSION
Ce travail montre que les CTD ne sont pas ra res au
Burkina Faso. 130 CTD ont été découverts en 7 ans par
Médecine d'Afrique Noire : 2000, 47 (7)
345
l’endoscopie dans une seule formation sanitaire. Le cancer
gastrique est le cancer digestif le plus fréquent. L’apport de
l’endoscopie et peut être la modification du régime alimen-
taire en milieu urbain expliquent cette grande découverte
des CTD.
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