LES ULCERES GASTRIQUES ET DUODENAUX
A BRAZZAVILLE A PROPOS DE 728 CAS
J - R. IBARA, A. IKOUROU, A. ITOUA-NGAPORO
RESUME
Nous avons rapporté dans ce travail 728 cas d’ulcères
gastriques et duodénaux prouvés par endoscopie en 24
mois.
L’ulcère au CONGO touche l’homme entre 20 et 40 ans,
volontiers marié et sans emploi, sous l’influence de cer-
tains facteurs alimentaires (épices, alcool) médicamen-
teux (aspirine) et psychogènes (stress). Il se manifeste
par une symptomatologie classique mais d’interpréta-
tion difficile par les patients. Il siège surtout sur le duo-
dénum au niveau de la face antérieure où il se présente
le plus souvent sous forme ronde.
Mots-clés : ulcère gastrique - Ulcère duodénal -
Endoscopie - Epidémiologie - Clinique. Brazzaville -
Congo.
SUMMARY
We reported 728 cases of gastric and duodenal ulcer
endoscopically proved during a 24 - months period.
In Congo, ulcer affects mainly male subjects between
20 and 40 years old, often married and unemployed. It
is linked to food (spices, alcohol), drugs (aspirin) and
way of life (stress). The symptoms are well - known
but hardly explained by the patients. Ulcer is often
located in the anterior portion of duodenal tract where
it appears with a circular aspect.
Key-Words : gastric ulcer - duodenal ulcer - endoscopy
epidemiology symptomes - Brazzaville - Congo.
INTRODUCTION
Deux facteurs importants ont contribué à l’amélioration de
la connaissance de la maladie ulcéreuse au cours de ces
dernière années : l’apparition des fibroscopes souples au
début des années 1970 qui ont amélioré les conditions de
diagnostic (9) et l’utilisation des antagonistes des
Service de Gastroentérologie et de Médecine Interne
Centre Hospitalier et Universitaire
BP 32 - Brazzaville - Congo
récepteurs H2 à l’histamine qui ont considérablement chan-
gé le profil évolutif de la maladie (9, 14). Longtemps
considérée comme rare en Afrique, la maladie ulcéreuse a
vu sa fréquence augmenter depuis la dotation de nombreux
centres africains en endoscopes (2, 3, 7, 11, 13, 15, 16, 17).
Cependant il n’existe pas d’étude congolaise basée sur
l’endoscopie.
Nous avons mené une étude prospective par voie endos-
copique sur les patients hospitalisés et ambulatoires. Le but
de ce travail était de décrire les aspects épidémiologiques,
cliniques et endoscopiques des ulcères gastriques et duo-
dénaux à Brazzaville.
PATIENTS ET METHODES
Patients
De novembre 1988 à octobre 1990, soit 24 mois, 2393
sujets symptômatiques ont été endoscopés. On y comptait
1214 hommes et 1179 femmes ; les âges extrêmes étaient
de 13 à 82 ans et l’âge moyen était de 32 ans chez les hom-
mes et 40 ans chez les femmes. Un tiers des patients étaient
hospitalisés et deux tiers externes.
Les critères d’inclusion étaient les suivants : un âge d’au
moins 12 ans, un ulcère confirmé en endoscopie. Les critè-
res d’exclusion étaient les cancers gastriques après confir-
mation histologique.
Méthodes
Le recueil des données était prospectif, les patients étant
inclus dans l’étude au fur et à mesure de leur arrivée. Tous
les patients ont fait l’objet d’un interrogatoire qui recueil-
lait les données cliniques et épidémiologiques et d’un
examen endoscopique ; l’endoscopie était réalisée par le
même endoscopiste avec un endoscope de marque olympus
type GIF Q 10 à fibres souples, à vision axiale.
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Plusieurs variables étaient étudiées. Six variables concer-
naient la description des sujets (sexe, âge, résidence, caté-
gorie socio-professionnelle, statut matrimonial,
antécédents familiaux d’ulcère) ; huit variables décrivaient
les signes fonctionnels ( brûlures, crampes, pesanteur, dou-
leurs abdominales, nausées, vomissements, hématémèse,
mélaena) ; six variables rapportaient l’histoire de la mala-
die (ancienneté de la poussée, fréquence journalière, durée
de la douleur, ancienneté de la maladie, fréquence annuel-
le, complications) ; quatre variables les facteurs déclen-
chants éventuels (salicylés, anti-inflammatoires non stéroï-
diens, corticoïdes, stress) ; trois variables les habitudes
alimentaires (alcool, tabac, épices) ; quatres variables
décrivaient l’aspect endoscopique (siège, localisation,
aspect, nombre d’ulcère).
c) Répartition selon l’âge : La courbe des âges s’étale de
15 à 75 ans pour l’ulcère duodénal et de 20 à 76 ans pour
l’ulcère gastrique.
La moyenne d’âge pour l’ensemble des ulcères est de
27,30 ans ; Celle de l’ulcère duodénal de 38,30 ans et cel-
les de l’ulcère gastrique 41,33 ans. On note aussi bien chez
l’homme que chez la femme une fréquence maximale qui
se situe entre 20 et 49 ans pour l’ulcère duodénal, entre 30
et 59 ans pour l’ulcère gastrique.
d) Répartition selon le niveau socio-économique
Plusieurs groupes ont été individualisés : Les chômeurs
représentent 48,57 %, les agriculteurs, ouvriers et artisans
22,30 %, les élèves et étudiants 12,60 %, les cadres moyens
8,33 %, les cadres supérieurs 8,20 %

RESULTATS e) Le statut matrimonial

Nous avons noté 74,67 % de cas chez des patients mariés ;
Ils concernent les données épidémiologiques, cliniques et les célibataires représentent 20,33 % ; les divorcés et les
endoscopiques. veufs 5 %.

1 - Données épidémiologiques f) Répartition selon les facteurs de risque ulcérogène.

a) Fréquence : Sur 2393 sujets vus en endoscopie 728
ulcères gastriques et duodénaux ont été dépistés soit une
fréquence de 30,42 %.
Ces ulcères se répartissent de la manière suivante :
Ulcères gastriques 82 cas soit 11,26 % et ulcères duodé-
naux 646 cas soit 88,74 %.
b) Répartition selon le sexe : La prédominance masculine
est nette (Tableau I) : 412 hommes (56, 59 %) contre 316
femmes (43, 41 %) soit un sex-ratio de 1,30.
Tableau I : Répartition des patients selon le sexe.
La consommation d’alcool est notée chez 18 % des patients ;
plus de 37 % consomment des épices (piments) ; près de
16 % sont des fumeurs ; le stress est rencontré chez près de
25 % des patients ; la consommation d’anti-inflammatoires
non stéroïdiens est notée chez 46 % des patients et celle des
corticoïdes chez près de 5 %.
2- Données Cliniques
Les antécédents familiaux d’ulcère ont été retrouvés chez
23 patients.
Les symptômes ayant conduit à la réalisation de l’endosco-
pie sont représentés dans le Tableau II.

Sexe Ulcère gastrique Ulcère duodénal Total Tableau II : Répartition des symptômes
Hommes 62 350 412
Symptomes Nb de patients %
Femmes 20 296 316
Sex-ratio 3,1 1,18 1,30 Douleur Ulcéreuse Typique 195 26,78
Douleur Atypique 318 43,68
En fonction du siège, la répartition est la suivante : Troubles Dyspeptiques 19 2,60
Pour l’ulcère gastrique 62 hommes et 20 femmes avec un
Douleurs Abdominales 37 5,09
sex ratio de 3,1 ;
Pour l’ulcère duodénal 350 hommes contre 296 femmes Nausées - Vomissements 27 3,71
soit un sex ratio de 1,18. Hémorragie Digestive 132 18,14

Médecine d'Afrique Noire : 1993, 40 (7)

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Il apparaît que les douleurs atypiques (brûlure, simple
pesanteur, dans l’hypochondre droit ou gauche) sont les
plus fréquentes : 43,68 %.
Les douleurs typiques (crampe ou faim douloureuse ryth-
mée, périodique, à prédominance nocturne) sont présentes
chez 26,78 % des patients.
L’endoscopie est réalisée dans 18,14 % des cas pour hé-
morragie digestive le plus souvent révélatrice (96 cas) dont
70 cas spontanés, dans 26 cas les patients avouant avoir
ingéré des produits gastrotoxiques. Dans les 36 autres cas
l’ulcère était connu et l’hémorragie une complication
évolutive.
En ce qui concerne l’histoire de la maladie nous avons noté
que près de 74 % des patients ont eu plusieurs épisodes
douloureux par an ; les premiers symptômes ont été res-
sentis au moins depuis 2 à 3 ans dans près de 56 % des cas,
5 ans dans 17 %, 1 an dans 23 %, quelques mois dans 4 %;
l’épisode qui avait conduit à la réalisation de l’examen,
évoluait depuis plus de 7 jours dans plus de la moitié des
cas ; la fréquence journalière est variable et la douleur
durait plus de 24 heures dans plus de la moitié de cas.
3- Données endoscopiques
3.1 Aspects topographiques :
- Ulcères gastriques 82 cas ; les ulcères sont localisés
surtout sur la petite courbure 44 cas. 32 cas dans la
région antropylorique et 6 cas sur le moignon gastrique.
- Ulcères duodénaux 646 cas ; la face antérieure est le siè-
ge de prédilection, 364 cas soit 56,34 %, 81 cas soit
12,53 % siègent sur la face postérieure, 56 cas soit
8,67 % sur le toit du bulbe, 45 cas soit 6,96 % sur le
plancher du bulbe.
Aussi bien pour l’ulcère gastrique que duodénal, l’ulcère
révélé par l’endoscopie est souvent unique. Nous avons
noté 35 cas de Kissing ulcer au niveau duodénal.
3.2 Aspects macroscopiques
Quelle que soit la localisation, le type rond prédomine
(42,62 %) ; l’ulcère est irrégulier dans 28,08 %, linéaire
dans 13,63 % et salami dans 10,62 %.
DISCUSSION
Ce travail est la première étude Congolaise décrivant les
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caractères épidémiologiques, cliniques et endoscopiques
d’une large population de sujets atteints d’ulcère prouvé
endoscopiquement. En l’espace de 24 mois, 728 ulcères
gastriques et duodénaux ont été dépistés et représentent un
peu plus de 30 % des endoscopies effectuées dans le même
temps. L’incidence réelle des ulcères gastriques et duodé-
naux est difficile à déterminer. Notre étude n’a concerné
que des sujets symptômatiques ; les sujets asymptôma-
tiques et les sujets symptômatiques ne consultant pas, n’ont
pas été pris en compte. Nos résultats ne peuvent être éten-
dus à l’ensemble du territoire ; cependant notre étude a le
mérite de se dérouler à Brazzaville, la plus grande ville
cosmopolite du pays et au Centre Hospitalier et Univer-
sitaire, le plus grand centre du pays. Il ne nous a pas été
possible de comparer nos résultats avec une population de
contrôle ou de référence ; ce qui nous aurait permis peut
être de noter des différences significatives dans le statut
matrimonial par rapport à l’ensemble de la population
générale et dans la prévalence des facteurs de risque ulcé-
rogène par rapport à un groupe de patients sans ulcères.
Les hommes sont plus touchés que les femmes. Cette
prédominance masculine est observée dans toutes les étu-
des africaines avec un sex ratio variable d’une série à une
autre (7, 11, 12, 16, 17). Suivant la localisation le sex radio
est plus élevé pour l’ulcère gastrique (un peu plus de 3)
que pour l’ulcère duodénal (un peu plus de 1). Ces chiffres
sont différents de ceux rapportés en Europe (5) où le radio
est proche de 1 pour l’ulcère gastrique et 2 à 3 pour l’ulcè-
re duodénal avec des variables selon les tranches d’âge.
Les sujets avec ulcère gastrique sont plus âgés ; celui-ci est
rare avant 30 ans, la moitié des patients ont entre 40 et
49 ans, avec une moyenne d’âge de 41,33 ans. Ce pic de
fréquence survient plus tôt qu’en Europe (5, 6) où l’espé-
rance de vie est très élevée, mais il est comparable à celui
de la plupart des autres pays d’Afrique (2, 11, 12, 16, 17).
L’ulcère duodénal est au Congo comme dans les autres
pays d’Afrique (2, 4, 7, 11, 12, 16, 17) une affection des
sujets jeunes ; plus de la moitié de nos patients ont entre 20
et 40 ans avec une moyenne d’âge de 38,30 % ans. En
Europe l’incidence maximale se situe autour de 50 ans (5).
L’analyse du profil socio-économique fait ressortir une
prédominance de la maladie chez les sujets sans emploi
tant pour l’ulcère gastrique que pour l’ulcère duodénal.
Médecine d'Afrique Noire : 1993, 40 (7)
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Notre étude ne s’étant déroulée qu’en milieu urbain et
compte tenu du phénomène d’exode rural, on peut penser
qu’il s’agit dans la plupart des cas des sujets partis de la
campagne vers la ville à la recherche d’un emploi. Ces
mutations socio-culturelles entraîneraient des situations de
conflit, des problèmes d’adaptation et une modification du
régime traditionnel pouvant générer un stress ulcérogène.
Nos constatations rejoignent celles de NDJITOYAPNDAM
(12) mais sont différentes de celles de DUFLO (7) qui
dénombre plus de 50 % de fonctionnaires parmi les ulcé-
reux, et de YANGNI-ANGATE (17) qui retrouve 38,75 %
de salariés. En France, Bernades (5) trouve plus d’actifs
parmi les ulcéreux duodénaux par rapport à la population
française et Poynard (14) constate que les sujets avec
ulcère gastrique sont plus souvent des agriculteurs.
Concernant le statut matrimonial la plupart de nos ulcèreux
sont mariés quelle que soit la localisation de l’ulcère (gas-
trique ou duodénal). Cette constatation est à rapprocher de
celle du statut socio-économique où se pose le problème du
stress, de l’urbanisation et de l’emploi.
Cette étude met en évidence l’influence de certains facteurs
favorisants ou déclenchants, alimentaires, médicamenteux
ou psychogènes. La plupart des plats traditionnels congo-
lais sont préparés à base de piment ; ce condiment est
retrouvé dans la plupart des cas. A cela il faut peut être
prendre en compte l’irrégularité de l’alimentation consti-
tuée par le repas journalier unique et plus lourd. La con-
sommation d’alcool est également notée avec une grande
fréquence. Tous ces facteurs identifiés comme irritants de
la muqueuse gastroduodénale et pouvant jouer un rôle
ulcérogène doivent faire encore l’objet d’une étude appro-
fondie dans nos milieux. Les arguments avancés pour leur
rôle sont encore peu convaincants comme l’ont fait remar-
quer avant nous certains auteurs (5, 7, 11, 14, 16). La con-
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Médecine d'Afrique Noire : 1993, 40 (7)
J - R. IBARA, A. IKOUROU, A. ITOUA-NGAPORO
sommation de tabac dont la responsabilité est solidement
établie en Occident (1) n’apparaît pas comme un problème
préoccupant. Les salyciles et les anti-inflammatoires sont
fortement consommés en automédication.
Ces médicaments produiraient un affaiblissement des
défenses de la muqueuse (8, 10) et pourraient favoriser,
réactiver ou compliquer l’ulcère.
Les données cliniques dans notre étude confirment les
caractéristiques séméiologiques connues (11, 12, 14). Com-
me partout ailleurs, c’est le symptôme épigastralgie qui
prédomine et conduit au diagnostic de l’ulcère. Mais si
dans certaines séries (2, 7, 16, 17) la douleur ulcéreuse est
typique dans plus des 3/4 des cas, dans notre étude les dou-
leurs épigastriques paraissent souvent plus vagues, moins
bien localisées, moins bien rythmées et moins bien périodi-
ques. Ceci est vrai quel que soit le niveau socio-économi-
que et pas uniquement imputable aux difficultés d’un
interrogatoire précis. Nous avons noté par ailleurs dans
notre étude un pourcentage assez important de complica-
tions hémorragiques révélatrices de l’ulcère.
Les constatations endoscopiques sont celles classiquement
décrites dans la littérature (9). La prédominance de la
localisation duodénale est également notée ; de même que
la prédominance du type rond, de la face antérieure et de la
lésion souvent unique.
CONCLUSION
Au terme de cette étude prospective, nous pouvons dire que
la maladie ulcéreuse gastrique et duodénale est fréquente à
Brazzaville en milieu hospitalier. Il nous paraît nécessaire
de compléter cette étude hospitalière par une étude de la
population générale en vue de déterminer l’incidence réelle
de l’ulcère au Congo et d’apprécier son profil évolutif.
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