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Médecine d’Afrique Noire

Janvier 2011

Le cancer anal : aspects épidémiologiques, cliniques,


endoscopiques, histologiques et thérapeutiques
Sce de gastro-
DEBY GASSAYE, CAMENGO POLICE S.M, ATIPO IBARA B.I, IBARA J.R.
entérologie et de
médecine interne,
CHU Brazzaville, Congo

Résumé

Nous avons colligé au cours d’une étude rétrospective de 9 ans, 7 cas de cancer anal, dont 5 hommes
et 2 femmes avec un sex-ratio à 2,5. L’âge moyen des patients a été de 49 ans, avec des extrêmes
allant de 40 à 59 ans. La sodomie hétérosexuelle a été avouée par une patiente. Tous nos patients ont
pris de l’alcool avec une quantité moyenne de 75 g/jour et les extrêmes allant de 40 à 200 g/j. La Mots-clés :
durée moyenne entre le début des symptômes et le diagnostic du cancer a été de 8,1 mois avec des Cancer,
extrêmes allant de 3 à 24 mois. Les manifestations cliniques les plus constantes chez nos patients, ont anus,
été le saignement anal (n = 7), le ténesme (n = 7), la tumeur anale (n = 7), l’anémie (n = 7), l’altéra- épidémiologie,
tion de l’état général (n = 7). Les tumeurs ont été bourgeonnantes, saignant au contact (n = 5) et clinique,
ulcéro-bourgeonnantes (n = 2). L’analyse histologique a permis de montrer le carcinome épidermoïde histologie,
(n = 5), l’adénocarcinome (n = 2). L’extension tumorale a été ganglionnaire inguinal unilatéral (n = 3), traitement
ganglionnaire inguinal bilatéral (n = 2), ganglionnaire péri-rectal (n = 1) révélée par l’échographie
abdomino-pelvienne. Deux patients ont bénéficié d’une radiothérapie et de chimiothérapie (5-fluoro-
uracile et cisplatine) néo-adjuvante qui a été décevante. Tous nos patients ont bénéficié d’un traite-
ment chirurgical, qui a consisté en une amputation abdomino-périnéale avec colostomie définitive.
L’évolution a été marquée par le décès de tous les malades dans un délai moyen de 2 mois avec des
extrêmes allant de 1 à 3 mois.

Abstract

Anal cancer: epidemiological aspects, clinical, endoscopic, histological and therapeutics

We have collected during a retrospective study of 9 years, 7 cases of anal cancer, including 5 men and
2 women with a sex-ratio to 2.5. The average age of patients was 49 years with extremes ranging
from 40 to 59 years. Heterosexual sodomy was declared by a patient. All our patients have taken alco-
hol with an average of 75 g/day and ranging from 40 to 200 g/d. The average duration between onset
of symptoms and diagnosis of cancer was 8.1 months with extremes ranging from 3 to 24 months. The
clinical features most consistent with our patients were anal bleeding (n = 7), tenesmus (n = 7), anal Keywords:
cancer (n = 7), anemia (n = 7), alteration of the general state (n = 7). Tumors were bur-geoning, Cancer, anus,
contact bleeding (n = 5) and ulcerative budding (n = 2). The histological analysis has demonstrated epidemiology,
the squamous cell carcinoma (n = 5), adenocarcinoma (n = 2). The tumor extension was unilateral clinical, histology,
inguinal lymph node (n = 3), bilateral inguinal lymph node (n = 2), peri-rectal lymph nodes (n = 1) treatment
revealed by the abdomino-pelvic ultrasound. Two patients received radiotherapy and chemotherapy (5-
fluorouracil and cisplatin) neo-adjuvant, which was disappointing. All patients received surgical
treatment, which consisted of an abdomino-perineal amputation with colostomy final.
The evolution was marked by the death of all patients within an average of 2 months with extremes
ranging from 1 to 3 months.

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• Cancer... •

Introduction Les cancers de l’anus sont relativement rares, le registre d’admission, le dossier du malade,
et ne représentent que 2% par rapport à l’en- le registre d’endoscopie basse, le registre des
semble des cancers colorectaux [1]. Les résultats d’anatomie pathologique. L’analyse
signes cliniques sont polymorphes. Ils sont de statistique a été faite sur le logiciel Epi-info
diagnostic souvent tardif malgré une situation 3.3.2 avec seuil de significativité α = 0,05.
anatomique accessible [1]. Dans notre pays, la
gravité de ces cancers est attribuée au diag- Résultats
nostic souvent posé tardivement et rendant
difficile le traitement curatif. Tenant compte de
Huit mille cinq cent trente-deux malades ont
la rareté et de la gravité de ces cancers, nous
été hospitalisés, pendant la période d’étude,
avons mené une étude rétrospective dont le
dont 7 pour tumeur anale suspecte de mali-
but est celui de déterminer les caractéristiques
gnité soit une prévalence de 0,8‰. Il s’est agi
épidémiologiques, cliniques, endoscopiques,
de 5 hommes et de 2 femmes, d’âge moyen
histologiques et thérapeutiques.
de 49 ans avec des extrêmes allant de 40 à 59
ans. Le sex-ratio (H/F) a été de 2,5. La pro-
Patients et méthode
fession de nos patients a été chauffeur (n =
1), fonctionnaire (n = 1) et sans profession (n
Pendant une période de 9 ans, allant du 1er
= 5). La sodomie hétérosexuelle a été retrou-
janvier 2000 à décembre 2008, nous avons
vée dans 1 cas. Tous nos patients ont avoué la
réalisé dans le service de gastro-entérologie et
consommation d’alcool. La masse moyenne
médecine interne du CHU de Brazzaville, une
d’alcool ingéré a été de 75 g/jour avec des
étude rétrospective portant sur les patients
extrêmes variant de 40 à 200 g/jour.
hospitalisés pour tumeur anale suspecte de
malignité, confirmée à l’histologie. La collecte
La durée moyenne de la consommation d’al-
des données a été faite à l’aide d’une fiche
d’enquête individuelle à administration directe. cool était de 18 ans, avec des extrêmes allant
de 10 à 30 ans. Un patient a avoué la consom-
Les paramètres étudiés ont été les caractéristi- mation de tabac à raison de 30 paquets/
ques épidémiologiques, les manifestations cli- année. La sérologie VIH réalisée chez 5
niques, l’aspect macroscopique des lésions, patients après consentement éclairé a été
l’histologie, l’extension de la lésion et le traite- négative. La durée moyenne entre le début
ment. Les informations ont été recueillies dans des symptômes et le diagnostic a été de 8,1
mois avec des extrêmes allant de 3 à 24 mois.
Tableau I : Manifestations cliniques Les signes cliniques présentés par les patients
sont représentés dans le tableau I.
Signes cliniques Nb %
L’examen physique a permis de retrouver des
Saignement anal 7 100
Ténesme 7 100 métastases ganglionnaires dans 5 cas. Il s’est
Tumeur anale 7 100 agi de ganglions inguinaux unilatéraux (n = 3)
Anémie clinique 7 100 et de ganglions inguinaux bilatéraux (n = 2).
AEG 7 100 L’examen de la marge anale a permis de re-
Suintement anal 6 85,7 trouver une tumeur bourgeonnante saignant
Prurit anal 5 71,4
au contact (n = 5) et une tumeur ulcéro-bour-
Proctalgies 4 57,1
geonnante (n = 2).
Fièvre 3 42,9
La figure 1 montre l’aspect macroscopique

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d’une tumeur bourgeonnante de la marge ganglionnaires et l’autre ayant un adénocarci-


anale. nome du bas rectum étendu au canal anal. Le
L’hémogramme a confirmé l’anémie dans 6 traitement chirurgical a été réalisé chez tous
cas. Elle a été microcytaire et hypochrome. les patients. Celui-ci a consisté en une ampu-
L’anorectoscopie a permis de retrouver des tation abdomino-périnéale avec colostomie
lésions anales dans 5 cas, et une lésion anale définitive. Des ganglions péri-rectaux et ilia-
et du bas-rectum dans 2 cas. La taille des ques internes bilatérales ont été retrouvés en
tumeurs était supérieure à 5 cm. La coloscopie per opératoire chez tous les patients, lesquels
n’a pas retrouvé de tumeurs synchrones. ont nécessité un curage ganglionnaire. Après
L’échographie abdomino-pelvienne a été nor- chirurgie nos patients ont été classés au stade
male dans 6 cas. Elle a permis de révéler des T3N3 dans 2 cas, T3N2 dans 5 cas. La radio-
métastases ganglionnaires dans 1 cas. La chimiothérapie post opératoire n’a pas été
radiographie du thorax a été normale dans appliquée chez nos patients compte tenu de
tous les cas. La tomodensitométrie thoraco-
son coût et/ou de sa non-disponibilité à l’épo-
abdomino-pelvienne n’a pas été réalisée en
que à Brazzaville. L’évolution après traitement
raison de sa non disponibilité et/ou son coût.
a été marquée par le décès de tous les mala-
La répartition par sexe des lésions histologi-
des dans un contexte d’altération de l’état
ques est représentée dans le tableau II.
général et de dénutrition. Ces décès ont été
Le traitement a consisté à une radiothérapie
observés dans un délai moyen de 2 mois avec
associée à la chimiothérapie (5-fluorouracil et
des extrêmes allant de 1 à 3 mois
la cisplatine) avant le traitement chirurgical
dans deux cas. Il s’est agi d’un patient ayant
un carcinome épidermoïde avec métastases Discussions

Figure 1 : Cancer bourgeonnant du canal anal


La faible prévalence du cancer de l’anus dans
notre série confirme les données de la littéra-
ture [1-6]. La prédominance masculine du
cancer anal a été également décrite par cer-
tains auteurs [2, 4, 5, 6]. D’autres auteurs
trouvent une prédominance féminine du can-
cer anal [1, 3, 7]. Dans notre travail, le faible
échantillon, ne nous permet pas de nous pro-
noncer fermement sur la fréquence par rap-
port au sexe. Le cancer de l’anus survient à
partir de 40 ans, comme en témoignent les
études des auteurs [1-7].
L’homosexualité masculine, premier facteur
étiologique connu du cancer de l’anus [1, 2]
Tableau II : Répartition par sexe des lésions histologiques
n’a pas été avouée par nos patients, peut être
Histologie Homme Femme Total par honte, car cette pratique n’est pas tou-
Carcinome épidermoïde jours bien appréciée dans les milieux africains.
Bien différencié 2 1 3 La consommation d’alcool avec une quantité
Moyennement différencié 2 0 2 quotidienne de 75 g/j semble augmenter le
Adénocarcinome bien différencié 1 1 2 risque de cancer de l’anus. Le diagnostic du
Total 5 2 7 cancer de l’anus est posé tardivement chez

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nos malades. Ces derniers minimisent les pre- fréquente comme en témoignent les résultats
miers symptômes et ne se présentent en con- des auteurs [1, 2, 3, 5]. L’adénocarcinome du
sultation que lorsque ces signes deviennent canal anal retrouvé dans notre série a été dû à
bruyants surtout lorsqu’ils perçoivent la une extension anale du cancer du bas rectum.
tumeur anale. Souvent les malades sont trai- La radiothérapie base du traitement du cancer
tés à tort pour maladie hémorroïdaire. Le sai- anal [1], n’a pas été utilisée chez tous nos
gnement anal est le signe clinique le plus fré- malades à cause de sa non-disponibilité et/ou
quemment rencontré [1, 2]. Dans notre série, de son coût. La découverte per opératoire des
il est associé à la tumeur anale, au ténesme, à métastases ganglionnaires posent le problème
l’altération de l’état général. La présence des de la sous-évaluation de ces cancers faute de
ganglions inguinaux et péri-rectaux témoi- moyens diagnostiques performants tel que
gnent du stade avancé des cancers de l’anus l’échoendoscopie et la tomodensitométrie. La
au moment du diagnostic. Cette extension chirurgie à été mutilante chez tous les mala-
tumorale a été mieux évaluée en per opératoi- des. Le décès post opératoire traduirait la gra-
re. Le bilan d’extension du cancer limité à l’é- vité de ces cancers, qui ont été pris en charge
chographie abdomino-pelvienne et la radiogra- tardivement.
phie du thorax n’a permis de mettre en évi-
dence que les métastases ganglionnaires loco- Conclusion
régionales dans 1 cas. L’échographie endo-
anale et endorectale, plus sensible pour appré- Le cancer anal est une affection rare, dont le
cier l’extension en profondeur de la maladie diagnostic est souvent posé au stade tardif,
dans l’épaisseur des deux sphincters et de rendant difficile la réalisation d’un geste théra-
rechercher des adénopathies péri-rectales [2] peutique. La présence de saignement anal à
n’a pas été réalisée par manque de sonde partir de la quarantaine doit conduire à un
adaptée. La tomodensitométrie n’a pas été examen proctologique rigoureux à la recher-
réalisée du fait de son coût et de sa non-dis- che d’une pathologie tumorale, plutôt que de
ponibilité dans notre structure. Le carcinome retenir le diagnostic des hémorroïdes, qui est
épidermoïde est la lésion histologique la plus un diagnostic de facilité.
Références
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