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Eric-Emmanuel Schmitt
Dossier préparé et rédigé par Catherine Marchasson
DOSSIER PEDAGOGIQUE
Variations Enigmatiques
Eric-Emmanuel Schmitt
Eric-Emmanuel Schmitt
Né en 1960, normalien, agrégé de philosophie, docteur, Eric-
Emmanuel Schmitt est devenu un des auteurs les plus lus et les
plus représentés en France, Belgique, Suisse, comme à l’étranger.
On trouve ses livres traduits dans 35 langues et plus de 40 pays
jouent régulièrement ses pièces.
Eric-Emmanuel Schmitt s’est d’abord fait connaître au théâtre
avec La Nuit de Valognes (1991), Le Visiteur (1993), un triomphe
qui lui valut trois Molière en (1994), Golden Joe (1995), Variations
Enigmatiques (1996), Le Libertin (1997), Milarepa (1997),
Frédérick ou le Boulevard du Crime (1998), Hôtel des deux
mondes (1999), Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran (1999), Petits crimes conjugaux
(2003), L’Evangile selon Pilate (2004), etc. Ses pièces ont été récompensées par plusieurs
Molière et le Prix de l’Académie Française en 2000.
Une brillante carrière de romancier, initiée par La Secte des Egoïstes absorbe toute son
énergie depuis L’Evangile selon Pilate (2000) livre lumineux dont La Part de L’autre (2001)
se veut le côté sombre. Depuis, on lui doit Lorsque j’étais une œuvre d’art (2002), une
variation fantaisiste et contemporaine sur le mythe de Faust.
Les récits de son Cycle de l’Invisible ont rencontré un immense succès aussi bien en
francophonie qu’à l’étranger, aussi bien sur scène qu’en librairie. Milarepa sur le
boudhisme, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran sur le soufisme qui lui valut en 2004 le
Grand Prix du Public à Leipzig, le Deutscher Bücherpreis, Oscar et la dame rose sur le
christianisme et L’enfant de Noé (2004) sur le judaïsme sont dévorés par des millions de
lecteurs de toutes les générations.
En octobre 2005, sa nouvelle fiction Ma vie avec Mozart sort simultanément dans plusieurs
pays de la Corée à la Norvège, en passant par la Grèce, l’Italie, la Suisse, la France, la
Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Autriche et la Suède.
Il vit à Bruxelles.
En 2006 il réalise son premier long métrage Odette Toulemonde (Sortie le 7 Février 2007
sur les écrans) qui donne naissance à Odette Toulemonde et autres histoire, recueil de 8
nouvelles.(Parution le 1er Novembre 2006).
Catherine Marchasson
4. Langages dramatiques
a) Stichomythie en prose
b) Récits
c) Silences
d) Les corps
e) Lettres
II – Temps et lieux
1. Décor
a) Un lieu unique
b) Ouvertures
c) Le portail
2. Rösvannöy
a) Réalisme
b) Vivre loin des hommes
c) Une solitude relative
d) La beauté du monde
3. Nobrovsnik
a) L’autre Norvège
b) La magie du nom
c) La tentation du départ
4. Le temps humain
a) Unité de temps
b) Durées
c) Journées
d) Un temps si court
5. Saisons
1. L’entretien
a) Qui questionne ? Qui répond ?
b) Fausses questions, vraies questions
c) Les réponses : clichés, mensonges, vérités
2. Znorko
a) La posture du misanthrope
b) Autosatisfaction
c) Portraits contradictoires
d) L’homme sensible et pudique
e) L’écrivain
3. Eric Larsen
a) Transparence et compassion
b)Larsen contre Znorko
c) L’instabilité de l’être
2. La mort
a) Passion fatale
b) L’impossible héroïsme
3. Ecrire
a) S’aimer par correspondance
b) Les mensonges de l’écriture
c) « L’écriture ou la vie »
VI – Analyses d’extraits
1. L’ouverture du dialogue
a) Une ouverture qui donne quelques informations et suscite le
questionnement, installe des attentes
b) Dramatisation à outrance
c) Des personnages énigmatiques
2. La rencontre amoureuse
a) Le récit, plutôt ordinaire, d’une situation banale
b) Un amour paradoxal
c) La vérité existe-t-elle ?
Annexes
Introduction
a) Ouverture
c) Trois révélations
a) La quête de la vérité
b) Qu’est-ce qu’aimer ?
Pour mener Znorko sur ce chemin, cette quête qui motive sa venue,
Larsen a pris des détours, soulevé des contradictions. Comment un
misanthrope tel que Znorko, solitaire, peut-il parler aussi bien des
hommes ? Les hommes, Znorko refuse d’en parler. Revenant docilement
au livre, évitant toute question personnelle, Larsen propose : « Revenons
à votre livre. Parlez-nous de votre conception de l’amour. » (p. 143) Le
débat est lancé qui se poursuivra jusqu’à la fin, d’abord lié au présent
de Znorko, aux dames qu’il reçoit, passant par le détour d’une fable,
arrivant à la passion d’Hélène et Abel (Héloïse et Abélard ?), à la
justification de la séparation, à la condamnation sans appel, par Abel
c) Vérité et paradoxe
Il n’est pas aussi aisé d’y voir clair dans le jeu de Larsen, tout au
moins à la lecture, même si le dramaturge parsème le texte de
didascalies qui doivent nous mettre sur la voie. Alors, reprenons le
dialogue du début, tel le lecteur de roman policier recherchant les
indices qui auraient dû lui permettre, à lui aussi, de percer le mystère.
Nous nous doutons bien que ce journaliste, dont le magnétophone
ne tourne pas, cache un secret que Znorko voudrait bien percer : « Que
faites-vous ici ? Vous êtes le premier journaliste à réussir à faire marcher
un magnétophone sans prise ni piles. » (p. 151) L’embarras passager de
Larsen stimule l’imagination du spectateur. S’il est attentif, il doit
percevoir son ironie en face de la « révélation » de Znorko : « Larsen
marque ostensiblement sa surprise ». Znorko, perdu dans ses souvenirs,
ne s’aperçoit de rien, pas plus qu’il ne s’étonne de la réaction de
surprise échappant à Larsen à l’affirmation de la laideur d’Hélène
Metternach. Un peu plus tard, pourtant, ignorant tout encore du mariage
de Larsen, il constate ses réactions enflammées et s’en amuse :
« Ecoutez, monsieur le journaliste, je trouve que vous prenez les choses
bien à cœur. Vous vouliez de l’inédit, je vous en donne. Vous devriez
vous réjouir au lieu de vous mettre dans cet état. » (p. 165).
Plus loin, Znorko, tout à son chagrin, n’entend pas les mots qui
échappent encore à Larsen, et préparent le spectateur à la révélation
finale : « Cela me fait vraiment plaisir de vous recevoir. Depuis le
temps… » (p. 189) L’écrivain ne retient pas l’information implicite sur la
date de la mort d’Hélène Metternach ; il n’entend que la joie de briser –
enfin – la solitude.
a) Affrontements, accalmies
b) Accords et désaccords
la frayeur de Larsen en lui proposant à boire, jouant sur les mots d’une
manière irritante : « Rien de tel qu’un petit godet pour déglutir la
glotte. » (p. 141). Larsen, plus tard, se venge, parodiant le ton et
reprenant la phrase, quand Znorko est terrassé par la douleur. (p. 168)
Cet humour agressif est aussi une armure, une manière de voiler ses
sentiments intimes qu’il ne veut surtout pas révéler à ce journaliste. Il
rit de l’ardeur avec laquelle Larsen défend Hélène Metternach. Puis il
est « décontenancé ». Mais il se ressaisit et décide « d’en rire ». Les
didascalies y insistent : « Amusé », « Znorko éclate de rire » et soudain
« abasourdi » quand Larsen, voulant couper court à cette comédie a
lancé tout de go : « C’est ma femme ». (p. 167).
Une fois déjà, au début du dialogue, Znorko avait caché derrière
ses éclats de rire l’émotion sincère que lui cause la nouvelle du succès
de son livre. Mais il se reprend aussitôt, « goguenard ». (p. 136)
L’humour de Znorko est une extériorisation de sa pudeur.
4 – Langages dramatiques
a) Stichomythie en prose
b) Récits
c) Silences
d) Les corps
Les mots n’existent pas sans les corps, dont le langage oscille entre
instinct, spontanéité irrationnelle et contrôle de soi. On peut espérer
qu’ils disent mieux que les mots la vérité que l’on cherche, celle de
l’autre. Le texte écrit, par le biais des didascalies, nous donne quelques
indications. Le reste est l’affaire du metteur en scène, de l’acteur.
Le corps de Znorko traduit sans nuance ses émotions, sa colère et
sa souffrance, incontrôlable, celle qui le fait trembler : « C’est comme
si Znorko venait de recevoir un coup de poignard. Il chancelle. » (p.
181). Il traduit aussi tout simplement la fatigue de ce grand corps
malade, qu’on aurait cru solide comme un roc : « Epuisé, il se laisse
tomber sur le sofa. » (p.196)
e) Lettres
avancer sur le chemin de la vérité d’autant mieux que les mots ne sont
pas dissociés des corps. Mais il évoque en même temps constamment une
autre forme d’échange, plus distante, moins spontanée, et pourtant
porteuse de vérités qu’on n’aura jamais fini d’explorer, la
correspondance, la littérature
II – Temps et lieux
1 – Décor
a) Un lieu unique
b) Ouvertures
c) Le portail
2 - Rösvannöy
a) Réalisme
d) La beauté du monde
Cet homme sensible, qui choisit la solitude par défaut, parce que
l’union de deux êtres est à jamais incomplète, nous le retrouvons quand
il décrit son île, sur laquelle ouvre largement la baie : « Et puis il y a la
mer, le ciel, la prairie, ces grandes pages blanches qui s’écrivent sans
moi. » (p. 142) On ne peut trouver de mots plus simples, plus universels,
moins pittoresques pour dire l’humilité de l’homme face à la nature qui
n’a aucunement besoin de lui pour exister. Dans la contemplation des
nuages, dont la didascalie initiale avait d’emblée marqué la présence, il
faut chercher autre chose que la banale misanthropie.
3 – Nobrovsnik
a) L’autre Norvège
b) La magie du nom
c) La tentation du départ
Les deux lieux, l’île et la petite ville, sont à nouveau séparés. Mais
l’opposition n’est pas si nette, ni dans le passé ni dans le futur. Chacun
des deux hommes est enfermé, l’un dans la solitude entourée d’eau,
l’autre dans le quotidien, ce que Znorko nomme la « vulgarité ». La
même nuit les attend maintenant l’un et l’autre et sans doute la même
attente du courrier.
4 – Le temps humain
a) Unité de temps
b) Durées
c) Journées
Ces deux hommes, en quête d’un passé qui se révèle peu à peu
hypothétique, cherchent des repères. Deux dates ponctuent ainsi la
conversation, celle du mariage, « le 7 avril, il y a douze ans » ; celle de
la mort, « Un mardi. Le mardi 21 mars » (p. 192). Cette extrême
précision ne laisse pas d’échappatoire, on doit croire à la réalité du fait,
dans sa brutalité.
En revanche, le moment de la rencontre n’est pas précisément
daté. C’était « il y a quinze ans », en un lieu qui n’est pas non plus
clairement déterminé. L’incertitude demeure : ces faits sont-ils réels,
inventés, réécrits ?
Il y a ces jours, décisifs, et tous les autres jours, dont il faut
pourtant s’emparer pour vivre, pour se donner l’illusion de dominer le
temps. Ainsi Znorko utilise-t-il l’itération, pour marquer une répétition
qui n’est pas celle de la routine conjugale, mais celle de la passion puis
de l’écriture : « Hélène et moi, nous pensons continuellement l’un à
l’autre… nous écrivons tous les jours… nous nous racontons tout… » (p.
171). Larsen s’est glissé ensuite dans cette contrainte et cette attente :
« Plusieurs fois par semaine. Presque tous les jours. » (p. 193)
Chacun d’eux est obsédé par le temps. Leurs récits sont emplis de
notations temporelles qui fixent les faits, du moins voudraient-ils le
croire.
d) Un temps si court
Le présent est une tromperie et voilà que le passé est sans cesse
réécrit, d’abord par Znorko qui ment au journaliste, raconte à sa façon
les cinq mois d’amour et les quinze ans de bonheur dans la séparation.
Puis il faut réécrire les douze ans de mariage et enfin les dix ans d’une
correspondance illusoire. Dans sa rage, Znorko affirme : « Rentrez chez
vous et dites-lui que je ne veux plus entendre parler d’elle, que je
reprends le temps, le soin, les soucis dont je l’ai honorée… » (p. 180).
Le futur ne peut, dans ces conditions, être encore envisagé. Au
début, Larsen déclare attendre la mort de Znorko pour décider vraiment
de sa valeur littéraire. Un temps, le départ est envisagé. Plus loin il est
question du bac qui va bientôt repasser. Tout ceci ne dit rien de
l’avenir, jusqu’à la chute dernière qui fait espérer un peu : « Je vous
écrirai ».
5 – Saisons
1 – L’entretien
La vérité des faits peu à peu se fait jour. Quant à la vérité des
êtres, elle est beaucoup plus difficile à trouver. Pour en approcher, il y
a les actes, les paroles, et le croisement des portraits et autoportraits
qui jalonnent le dialogue et, tout provocateurs qu’ils soient parfois,
permettent d’avancer.
2 - Znorko
a) La posture du misanthrope
b) Autosatisfaction
c) Portraits contradictoires
e) L’écrivain
3 – Erik Larsen
a) Transparence et compassion
baisser les yeux. Vous, vous avez évité l’intimité pour ne jamais vous
cogner à vos limites. » (p. 174)
c) L’instabilité de l’être
a) Noms
deux êtres. Le créateur d’Eva est Erik Larsen. On peut poursuivre le jeu
onomastique et voir les larmes dans Larmor, intimement liées à l’amour,
« amor ».
Znorko, enfin libéré du secret qu’il s’était imposé, fait son portrait.
D’emblée il se contredit car, à peine a-t-il affirmé, se reprenant
d’ailleurs aussitôt, que son admiratrice est une « très belle femme »,
qu’il en donne une image pour le moins paradoxale : « Dès que je
l’aperçus, je sentis quelque chose de familier s’échapper d’elle. L’avais-
je déjà vue ? Non. Mais à force de la regarder, je finis par trouver
l’origine de ce sentiment de familiarité : il venait de sa laideur » (p.
160) Znorko développe, justifie cette vision d’Hélène face à Larsen
sidéré qui commente, plus loin : « Je suis moins compliqué que vous :
j’ai trouvé Hélène Metternach splendide dès que je l’ai aperçue. » (p.
161) Premier désaccord : Znorko confond l’autre, Hélène, et l’effet
produit sur lui, l’image aussi qu’il souhaite donner de lui, bon cœur au
regard apitoyé. Sa sincérité ne fait aucun doute, pas plus que celle
d’Aurélien dans le roman d’Aragon dont l’incipit est resté célèbre : « La
première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide ».
aux deux hommes, qui sonne comme un avertissement qu’ils n’ont pas
vraiment reçu non plus : « Nous nous adressons des mots d’amour, mais
qui sommes-nous ? A qui dis-tu : je t’aime ? » (p. 178)
Le plus émouvant, ce sont les lettres non envoyées, dans lesquelles
elle crie sa souffrance, et dit ce qui doit rester secret et le reste jusqu’à
sa mort. Elle existe vraiment, dans cette douleur que ni l’un ni l’autre
ne savent. Larsen donne une explication psychologique que l’autre ne
conteste pas, qui la rapproche sans doute encore de lui : « J’imagine
que, comme tous les passionnés, elle avait une prédisposition intime
pour le malheur. » (p. 167)
a) Fable étiologique
b) Une passion
C’est cet aveu qui fait basculer le récit dans la peinture d’une
passion dévastatrice, récit dont les interruptions distantes, ironiques de
Larsen, ne parviennent pas à atténuer la puissance, le pouvoir de
fascination. Que peut-il ressentir à entendre ces mots qui disent le désir
fou d’une fusion totale des deux êtres dans le corps l’un de l’autre ? Ici,
on comprend vraiment que le paradoxe n’est pas là pour choquer
gratuitement, mais pour faire bien sentir la nature de la passion
amoureuse, même s’il n’emploie pas le terme. L’oxymore est constant,
obsessionnel, associant douleur et caresse des corps. Les deux êtres
s’épuisent en étreintes amoureuses qui toujours ont une fin et renvoient
chacun à sa solitude. « Tout ce qu’il y a de détresse dans l’amour, c’est
avec elle que je l’ai découvert. […] Nous étions deux. A jamais. Et le
souvenir demeurait d’un moment où j’avais cru sortir de moi, une
amertume triste et capiteuse, comme un parfum de magnolia qui
alourdit un soir d’été… Le plaisir n’est qu’une manière d’échouer dans
sa propre solitude. »
Cet amour, Znorko le présente, presque humblement, comme le
début véritable de son existence, mais aussi comme une fin, la perte de
tout ce qui n’était pas lui, l’impossibilité de vivre. « naissance,
métamorphose, tension intolérable, mort » sont les mots qui en
marquent les étapes. Plus loin, atterré par la découverte du mariage
d’Hélène, il emploie pour la première fois le terme et revient sur la
force destructrice du lien qui les a unis : « Notre passion était
foudroyante… de nature à ne laisser que des cendres. » (p.. 171)
Entre les deux hommes, une autre différence se fait jour au fur et à
mesure du récit. Quelques gestes esquissés par Larsen, repoussés
brutalement ou gentiment par Znorko, laissent pressentir que l’un
n’éprouve pas de gêne au contact du corps d’un autre homme, au
contraire de l’autre qui affirme : « Excusez-moi, je ne supporte pas le
contact d’un homme. » (p. 186)
Puis, on apprend qu’il s’est glissé dans la peau d’Hélène pendant
dix ans, qu’il a écrit à un autre homme des lettres parfois très érotiques.
Znorko, abasourdi, en cite un passage. Larsen, en s’identifiant à Hélène,
2 – La mort
a) Passion fatale
Néanmoins, la mort prend une autre forme, plus moderne, celle qui
hante les peurs contemporaines, le cancer. Il apparaît une première fois
par un détour, lorsque Larsen, souhaitant montrer à Znorko qu’il connaît
les failles de sa misanthropie cynique, lui parle des sommes énormes
qu’il verse à la recherche contre le cancer.
Et, soudain, Larsen annonce la mort d’Hélène et sa parole, en dépit
des termes modernes – « diagnostic, médecin, hôpital, aide-soignante » -
peu nombreux finalement, ramène au mythe, à l’impossibilité de vivre
sans l’être aimé, même si son nom n’est pour l’instant pas prononcé.
C’est, d’ailleurs, pour que son image reste éternellement belle et jeune
qu’elle renonce à prévenir son amant. Hélène est bien l’héroïne
tragique, mythique de cette pièce. N’est-elle pas morte, d’ailleurs, le
jour du printemps : « … et puis, ce matin-là, dans une aube qui, pour la
première fois, montrait la steppe verte, jaunissante, les brins d’herbe
qui appelaient le soleil, elle s’est endormie définitivement. » Tristan lui
aussi mourait loin d’Iseult la blonde, près d’une autre Iseult dont il
n’avait pas voulu toucher le corps.
b) L’impossible héroïsme
La mort rôde aussi sans cesse autour des deux hommes. Cette façon
d’accueillir ses visiteurs à coups de fusil, même si elle vise à effrayer,
3 – Ecrire
Puis la passion rend les mots inutiles, exige l’union des corps.
L’amant alors impose la séparation et la substitution des mots aux corps.
Mais Larsen n’a pas mieux que Znorko su qui était Hélène, il n’a pas
senti cet amour pour un autre, le bonheur qu’il lui donnait, la souffrance
aussi, malgré la cohabitation. Les « murailles de verre » sont
« opaques », qui séparent deux époux.
Le constat est pessimiste. La réflexion bute sur une aporie et doit
se résoudre à l’idée commune de l’incommunicabilité, de l’impossibilité
c) « L’écriture ou la vie »
a) Sons
b) La mélodie cachée
a) Enigmes
b) Thème et variations
Larsen nous l’a dit, la mélodie cachée d’Elgar, ici, c’est Hélène et
toute la pièce déroule des variations sur quelqu’un qui n’est pas là.
VI – Analyses
- Informations
Il faut bien que, le plus tôt possible, le spectateur sache à qui il a
affaire. L’obscurité dans laquelle est maintenant plongée la salle
l’empêche de regarder son programme. Tout naturellement, l’un des
deux personnages, le visiteur, s’adresse à l’autre avec courtoisie, et
nous apprenons qu’il s’agit de « Monsieur Znorko ». Celui-ci s’enquiert
de l’identité de l’intrus, à qui il a pourtant accordé un rendez-vous qu’il
prétend avoir oublié. Le nom du second personnage est donc
immédiatement connu.
Le statut de propriétaire de l’un est marqué avec insistance dans
ses propos avec l’emploi récurrent de l’adjectif possessif. Il parle de
« son propre portail en bois » ; utilise ensuite plusieurs termes allant
dans le même sens : « ma maison, chez moi, mon invité ». Il ne laisse
pas entrer n’importe qui dans cette sorte de sanctuaire qu’est son
bureau. Il faut attendre encore un peu pour apprendre sa fonction, sa
stature d’écrivain, Prix Nobel de littérature. Les livres qui tapissent le
bureau nous y préparent.
Quant à Larsen, c’est après avoir essuyé l’ironie virulente de
Znorko concernant son patronyme, qu’il pense à terminer de se
présenter. C’est en tant que « journaliste à la Gazette de Nobrovsnik »
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Variations Enigmatiques
Eric-Emmanuel Schmitt
Dossier préparé et rédigé par Catherine Marchasson
Les premiers mots de Larsen avertissent que Znorko vit dans une
île, dont le bureau, à la fois clos et ouvert sur le large, est une sorte de
mise en abyme. La clôture inhérente à l’île est encore renforcée par la
référence au portail, immédiate, qui protège Znorko, bien qu’il en
prenne peu de soin. A la fin d’ailleurs, ce portail de bois sera « fusillé »,
à changer, ou à enlever, s’il accepte l’ouverture demandée par Larsen.
La fermeture du lieu est encore renforcée par la référence réaliste à
l’éloignement de la terre ferme : « une heure de bateau ». A cette
distance, Larsen ajoute les « trois cents kilomètres » qui séparent
encore de ce lieu la ville dont il est originaire, « Nobrovsnik », qui publie
une Gazette. Où situer une île dont le nom est donné dès le début,
« Rösvannöy » ? Loin, dans un pays du Nord. Bientôt nous apprendrons
qu’elle se trouve en Norvège, près du Cercle polaire.
Ces indications spatiales situent avec insistance l’action dans un
lieu coupé du reste du monde, îlot, bureau, plateau, qui rapproche deux
êtres géographiquement éloignés ; éloignement géographique qui
préfigure l’opposition des deux hommes et ce lieu circulaire renforce la
puissance du huis clos, contraignant les personnages à s’affronter, à
aller au bout de l’entretien. D’ailleurs, il faut bien attendre l’heure du
prochain bac dont on entendra la corne au moment du dénouement.
Tout commence à « seize heures », heure du rendez-vous, et
s’achève à la nuit.
- Questions, attentes
Un homme entre, terrorisé car on vient de lui tirer dessus :
l’énigme est vite résolue puisque son agresseur avoue aussitôt. Mais le
mystère s’installe : pourquoi tirer sur quelqu’un à qui il a accordé un
rendez-vous ?
Le même homme affirme détester les journalistes, mais il a
accepté d’en recevoir un. Pourquoi celui-ci particulièrement ?
Avons-nous appris quelque chose sur l’action, puisque l’intrigue
policière s’achève à peine commencée ? Non, le dialogue entre les deux
hommes est bien mal engagé et pourrait tourner court. Ils ne se
connaissaient pas auparavant. Comment un conflit pourrait-il naître,
permettre de nouer une action, une tension ?
b) La dramatisation à outrance
in medias res qui permet d’entrer sans délai dans une action déjà
lancée. Pourtant, la dramatisation est immédiate, immédiat le contraste
entre les deux personnages. Son corps juvénile, sa frayeur opposent
d’emblée Larsen à Znorko, dont l’allure, le comportement signifient
qu’il contrôle la situation. Déjà, il se pose en manipulateur, l’auteur
précisant dans la didascalie ce qu’il attend de l’acteur : « Après avoir
profité un instant du désarroi d’Erik Larsen, il arrête brusquement la
musique ».
- Larsen
Il n’y a, au premier abord, rien d’énigmatique en lui. Il est
clairement la victime innocente, naïve même, dont l’agression initiale a
quelque chose de révoltant. L’auteur veut que transparaisse « quelque
chose de très vif et très doux lié à la jeunesse » dans le jeu de l’acteur.
En effet, le premier échange traduit cette dualité puisque Larsen,
passée la surprise initiale, sait répondre aux provocations de Znorko,
montrant donc sa vivacité, sa faculté d’adaptation, une certaine
obstination. La douceur de ses traits, de son comportement, le lecteur
peut l’imaginer. Comme tout un chacun, naïvement, il donne son
identité quand on lui demande brutalement : « Qui êtes-vous ? ». Le
personnage maltraité injustement par la star capricieuse gagne aussitôt
la sympathie du spectateur.
Pourtant, il recèle déjà sa part de mystère, dont il joue en
annonçant qu’il sait pourquoi Znorko lui a accordé ce rendez-vous. Et
l’insistance sur son patronyme, sur le « s » qui fait bien « Larsen », nom
aux connotations sonores bien intéressantes, que Znorko répète lui aussi
plusieurs fois pour s’en moquer, suggère une fonction que ni le
spectateur ni l’écrivain ne peuvent pour l’instant définir. Plus loin,
Larsen se plaira à revenir sur l’ironie de Znorko, dont il est lui-même la
victime, puisque ce nom est aussi celui de la femme qu’il aime,
maintenant qu’elle a épousé celui dont il se moquait.
- Znorko
Tout au contraire de Larsen, l’écrivain suscite d’emblée
l’antipathie du spectateur. Il veut déplaire, choquer, c’est manifeste.
Il se met en scène, posant au « démiurge » manipulateur. Ses
commentaires provocateurs sur son manque de précision au tir, sa
politesse affectée quand il débarrasse Larsen de son manteau, ses
dénégations à propos du rendez-vous sont autant de manières de se
rendre désagréable et opaque. Serait-il prêt à tout pour le plaisir de
surprendre, de déstabiliser ?
Contre Larsen, il déploie une ironie mordante, opposant sa
petitesse à la création, supposant à cet homme une interrogation
existentielle, philosophique sur la nature humaine. L’humour est
cinglant dans l’opposition entre les « étoiles muettes et innombrables »,
« un univers hostile, au mieux indifférent » et le « squelette fessu et
grelottant » qu’est Larsen. L’ironie laisse place à l’insulte ouverte quand
il qualifie de « syllabes stupides » sa réponse naïve. Elle s’exprime
ensuite dans la comparaison entre le nom, « Erik Larsen » et les œuvres
de Kant et Platon. L’ironie pourrait attirer la sympathie du spectateur,
d’autant qu’il a le sens de la formule amusante notamment quant il use
de la métaphore : « l’œuvre de Kant ou de Platon me semble un mauvais
soufflé métaphysique auprès de la consistance de ce s… ». Mais on peut
être révolté par cet abus d’une position dominante.
la nature paradoxale du récit, qui cache sans doute des vérités sur
l’homme et la femme de ce couple étrange.
b) Un amour paradoxal
c) La vérité existe-t-elle ?
Annexes
Tristan et Iseut
L’épisode de l’épée (Béroul)
La mort des amants (Thomas)
Le misanthrope
Molière, Le Misanthrope
Dostoievski, Le sous-sol
Camus, La chute
Littérature et musique
Proust, Un amour de Swann – La sonate de Vinteuil