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Études photographiques

28 | novembre 2011
J.M.Cameron / Discours critiques/ Photographies de
l'Inconscient

Épouses des hommes et épouses de l’art


La “question de la femme” dans les années 1860 et les photographies de
Julia Margaret Cameron
Brides of Men and Brides of Art: The ‘Woman Question’ of the 1860s and the
Photographs of Julia Margaret Cameron

Anne McCauley
Traducteur : Marine Sangis

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3219
ISSN : 1777-5302

Éditeur
Société française de photographie

Édition imprimée
Date de publication : 21 novembre 2011
Pagination : 6-50
ISBN : 9782911961281
ISSN : 1270-9050

Référence électronique
Anne McCauley, « Épouses des hommes et épouses de l’art », Études photographiques [En ligne],
28 | novembre 2011, mis en ligne le 03 mai 2012, consulté le 01 mai 2019. URL : http://
journals.openedition.org/etudesphotographiques/3219

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Propriété intellectuelle
Épouses des hommes et épouses de l’art 1

Épouses des hommes et épouses de


l’art
La “question de la femme” dans les années 1860 et les photographies de
Julia Margaret Cameron
Brides of Men and Brides of Art: The ‘Woman Question’ of the 1860s and the
Photographs of Julia Margaret Cameron

Anne McCauley
Traduction : Marine Sangis

Dans une version de sa pièce satirique Freshwater, inspirée par la vie de sa grand-tante
Julia Margaret Cameron, Virginia Woolf prête à la photographe cette lamentation exaltée 
: « Mes sœurs avaient la beauté pour elles ; moi j’avais du génie. Elles ont toutes épousé
des hommes. Moi j’ai épousé l’art1. » Si cette affirmation en dit long sur les conflits
refoulés que vivait Woolf elle-même, tiraillée entre l’attrait pour la beauté physique et la
maternité (incarnées par sa sœur Vanessa), et la conscience de la supériorité de son génie
littéraire2, cette dichotomie entre la vie d’une femme qui épouse un homme mortel et
celle qui se consacre à son art a également structuré les débats sur le rôle de la femme
depuis les balbutiements du mouvement féministe jusqu’aux discussions actuelles sur la
garde des enfants. Le familial est opposé au professionnel, le privé au public, le plaisir
physique à l’intellectuel, la passivité à l’activité.
Quant à Julia Margaret Cameron, il s’avère particulièrement épineux de déterminer dans
quel camp la situer. Parce qu’elle est la moins belle des célèbres sœurs Pattle et la seule
dont l’héritage consiste en une œuvre riche et créative, sans doute pourrait-elle
correspondre à la vision de Woolf. Si sa conversion à la photographie en 1863 – à
quarante-huit ans, âge où la plupart des femmes ménopausées cessent de s’identifier à
des procréatrices – pourrait passer pour originale de nos jours, elle est d’autant plus
radicale à une époque où la respectabilité des femmes écrivains et artistes est l’objet de
soupçons3. Espérant compenser les pertes engendrées par la plantation de café familiale à
Ceylan et payer des précepteurs à ses deux plus jeunes fils4, Cameron réalise vite que tirer
profit de son activité prend plus de temps que prévu. On sait maintenant qu’elle a

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commercialisé son œuvre comme l’aurait fait un photographe professionnel. Son


enregistrement de 508 épreuves au dépôt légal entre 1864 et 1875, sa participation à des
expositions et le fait qu’elle sollicite ses amis pour de brefs articles de presse confirment
ce qu’elle admet dans une lettre de 1866 à Sir John Herschel : « je prends désormais la
photographie pour quelque chose de plus sérieux qu’un divertissement5 ».
Cameron correspond également à la description de la femme active, pugnace et
dynamique dans sa façon de s’atteler à la production de ses photographies.
D’innombrables mémoires évoquent sa manière de bousculer des hommes d’État et des
universitaires d’Oxford, âgés et distingués, afin de les faire poser à son idée. Le
développement d’un style totalement inédit, conjuguant flous et très gros plans, est aussi
l’expression d’un tempérament prêt à braver les normes d’une technique établie. Ses
lettres foisonnent d’aveux rappelant qu’elle n’a pas eu de professeur, qu’elle a travaillé
seule, déplacé de lourdes charges, surmonté d’énormes obstacles et ébloui le public 6. Si
elle n’a jamais prétendu être un génie, elle ne se conforme certainement pas au
stéréotype de la femme victorienne, modeste et effacée.
Pourtant, à bien regarder ses œuvres, on peine d’abord à les identifier aux créations d’une
personne si obstinée et peu conventionnelle. Taxée « d’adoratrice de héros » par le
professeur d’Oxford Benjamin Jowett, Cameron ignore les défauts personnels et physiques
des grands hommes de son entourage et les transforme en sages éthérés ou en titans
michelangelesques. Lorsqu’elle passe aux sujets féminins, elle écarte les femmes de plus
de vingt ans ou dénuées d’une beauté sculpturale tennysonienne (quelques images font
exception comme celles de Lady Elcho en sibylle de l’Ancien Testament (voir fig. 1) et de
Sarah Groove dans sa quatre-vingt-quatorzième année, prises en 1865). Si les descriptions
d’alors vantent le charme et l’intelligence de bien des épouses de ses célèbres modèles,
elles ne sont pas conviées devant l’objectif. On ne trouve ni Emily Herschel, ni Emily
Tennyson, pas plus que Jane Carlyle souffrante ou qu’Alice Taylor7. On n’y voit pas non
plus les célébrités féminines et les femmes de lettres [bluestockings] qui ont croisé le
parcours de Cameron ou celui de ses amis, telles Florence Nightingale (correspondante
assidue de Benjamin Jowett), la fameuse romancière George Eliot (à qui Cameron,
admirative, expédie une série de photographies en 1871), la féministe Barbara Smith
Bodichon (amie de Dante Gabriel Rossetti), l’auteurede romans Geraldine Jewsbury
(confidente de Jane Carlyle) ou leur aînée Elizabeth Gaskell. À un moment où, selon William
Rossetti, les ateliers de portraits commerciaux tels Elliot and Fry, sollicitent Christina
Rossetti pour ajouter son portrait à une série dédiée aux femmes célèbres comprenant « 
mademoiselle Jean Ingelow et mademoiselle Charlotte Riddell » (deux romancières
populaires8), Cameron ignore ostensiblement la plupart des modèles féminins mariés,
célèbres et d’âge “mûr” (c’est-à-dire au-delà de trente ans).
Même au sein de sa propre famille, son attention maternelle et photographique se porte
principalement sur ses cinq fils plutôt que sur son unique fille ou sur ses sœurs. Les rares
images de sa fille mariée, Julia – son homonyme –, montrent la femme de Charles Norman
ou la mère des six enfants auxquels elle a donné naissance entre 1860 et sa mort en
couches en 1873 (voir fig. 2). La belle allure déclinante des sœurs de Cameron – Sara
Prinsep, l’hôtesse réputée de Little Holland House, l’hypocondriaque Maria Jackson et
Virginia Lady Somers, célèbre pour sa beauté – est à peine immortalisée (elle aurait pris
en 1867 des photographies de Somers qui n’ont pas été identifiées et seule une vue de
profil de l’invalide Maria Jackson prise en extérieur a survécu). Chaque fois que l’un de
ses fils déserte le nid familial, elle déplore sa perte, se plaignant en 1870 d’en souffrir d’un

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« manque maladif9 ». Sa fille aînée, préoccupée par sa propre famille, peut apparemment
prendre soin d’elle-même10.
Quand Cameron photographie des sujets féminins, elle ne montre jamais des femmes mais
des personnages littéraires, bibliques ou mythologiques. Sa typologie féminine se
compose d’images poétiques et idéalisées de jeunes femmes mélancoliques et stoïques
dont les destins sont déterminés par des hommes : la Vierge Marie en adoration devant
son bel enfant ou endeuillée devant le présage de sa mort (comme dans “Blessing and
Blessed”, fig. 3), l’infortunée Juliette en compagnie de Frère Laurent qui lui transmet la
potion soporifique fatale, Marguerite priant à l’autel pour trouver conseil avant de
recevoir la visite nocturne de Faust et d’empoisonner sa mère par mégarde, la reine
Guenièvre retirée au couvent en repentance de son amour adultère pour Lancelot (voir
fig. 4). Ses sources littéraires contemporaines sont les récits épiques et les poèmes de
ses amis Alfred Tennyson, Coventry Patmore et Robert Browning, et seules deux séries
connues ont été inspirées par les auteures George Eliot et Christina Rossetti (ou ponctuées
de leurs citations)11. Fait révélateur, lorsqu’elle évoque Adam Bede d’Eliot, elle ne
retient pas le personnage positif et fascinant de Diana, la prédicatrice méthodiste, mais
privilégie la figure belle mais déchue de Hetty qui cède aux avances d’un hobereau local
peu scrupuleux, au prix de sa vertu, voire de sa vie12 (voir fig. 5). Les nombreux romans
sociaux des décennies 1850 et 1860 traitant du sort des filles célibataires et des
gouvernantes ne font pas non plus l’objet d’illustrations photographiques.
On peine également à trouver chez Cameron un intérêt pour “la question de la femme”
qui mobilise la presse dans les années 186013. Pendant la décennie qui précède,
l’expansion industrielle, l’émergence dans l’Europe de 1848 d’aspirations à l’extension des
droits et du vote, les débats sur la légitimité de l’esclavage aux États-Unis et
l’accroissement démographique du nombre de femmes célibataires poussent des petits
groupes d’hommes et de femmes britanniques – souvent des quakers ou des dissidents
religieux – à réclamer davantage de droits pour les femmes. Leur objectif initial n’est pas
l’instauration du suffrage féminin, mais l’abrogation des lois restreignant le divorce et
limitant les droits des femmes mariées à l’autonomie et à la propriété foncière. La
fameuse pétition de 1856 adressée par Barbara Leigh Smith à la chambre des Lords et à la
chambre des Communes pour l’édiction d’une loi sur la propriété foncière de la femme
mariée, recueille 29 000 signatures dont celles de Jane Carlyle, Elizabeth Gaskell, Elizabeth
Barrett Browning et Harriet Martineau14. La loi ne sera promulguée après amendement
qu’en 1870 et aura suscité des débats houleux au cours de la décennie dans laquelle
s’inscrit l’activité photographique de Cameron. D’autres sujets controversés, tels
l’amélioration de l’accès des femmes à l’éducation et au travail, la bonne formation des
infirmières et des gouvernantes, le droit de vote féminin et l’abrogation des lois sur les
maladies contagieuses semblant légitimer la prostitution et punir les femmes exploitées
plutôt que leurs clients, sont constamment abordés dans les pages de Macmillan’s
Magazine, Edinburgh Review et Cornhill Magazine qui garnissent la bibliothèque
des Cameron.
Se pourrait-il que Cameron, avec ses images fantasques de jeunes filles coupées du monde
contemporain, ait tourné le dos à son propre sexe et comptât parmi ces intellectuelles
reconnues niant toute spécificité “féminine” à leurs œuvres ? Faut-il la comparer à
George Eliot qui, comme Sandra Gilbert et Susan Gubar l’affirment, « démontre son
intériorisation de la définition – propre à la culture patriarcale – de la femme en tant
qu’“autre”, par sa culpabilité constante face à la désapprobation de la société, sa

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préférence avouée pour les amitiés masculines, son antiféminisme féminin et sa


présomption autodépréciative que l’assujettissement des femmes est, de toutes les formes
d’injustice, la dernière à intéresser sa pratique artistique15 » ?
Je voudrais défendre l’hypothèse que les photographies de Cameron déterminent une
position au sein du débat sur le rôle des femmes qui n’est ni féministe ni antiféministe
selon l’acception moderne de ces termes, mais qui répond néanmoins à la question de ce
que devrait être la relation entre les sexes telle que débattue dans les années 1860.
L’absence de manifeste explicite ou d’un contenu traitant directement du statut des
hommes et des femmes dans l’œuvre de Cameron n’implique nullement qu’elle ignore la
condition contestée des jeunes filles qui sont ses modèles favoris et sa propre position
radicale en tant que femme photographe. À l’instar d’Eliot, ses méthodes sont subtiles et
progressives et aspirent à enseigner par l’exemple et non la polémique.
Carol Armstrong et Carol Mavor ont déjà attribué un caractère “féministe” et maternel
aux photographies de Cameron en pointant le rejet marqué des normes stylistiques des
négatifs et des épreuves des années 1860 et l’adoption d’une sensualité tactile, floue,
privilégiant la proximité du gros plan, définie comme féminine16. Particulièrement
inspirée par les écrits de Julia Kristeva, Mavor voit dans les tirages de Cameron des
enfants « griffés de sexuel et imprimés de chair » nés d’une mère courageuse que sa
propre descendance a quitté17. Tout en soutenant que « l’investissement de Cameron dans
son “art” est aussi érotique que photographique18 », Armstrong persiste à interpréter les
dégoulinures, les taches, les égratignures et les empreintes digitales marquant les plaques
de verre comme typiquement féminines. Cameron n’abandonne pourtant pas
unilatéralement et systématiquement les méthodes de sensibilisation au collodion
humide et de fixation de riches épreuves albuminées (elle se plaint d’ailleurs de ses négatifs
abîmés et des imperfections de ses couches de collodion 19). Et les critiques souvent citées
dénonçant son style radical ne sont pas déterminées par le genre de leurs auteurs mais
par leur place au sein du champ esthétique (membres de la confrérie préraphaélite,
poètes idéalistes et une large part du public apprécient et achètent ses épreuves20).
Compte tenu du danger à distinguer dans la tactilité et le confus l’expression du “féminin”,
mon analyse s’éloigne de la manipulation de l’appareil, des plaques et du papier par
Cameron pour se concentrer sur le choix de ses sujets et des liens qu’ils entretiennent avec
les discours tenus sur la nature des hommes et des femmes au sein de son cercle d’amis.
Laissant de côté les désirs psychologiques et personnels qui peuvent avoir inconsciemment
motivé ses performances chorégraphiques et techniques devant et derrière l’appareil
photographique, je voudrais que l’on reconnaisse à Cameron non pas seulement des actes
émotionnels et maternels mais des ambitions intellectuelles qui s’inscrivent dans le débat
politique, les questionnements religieux et la réforme sociale – souvent minimisées par les
recherches féministes. Je ne soutiens pas ici que les convictions de Cameron rejoignent
celles de ses amis et modèles qui écrivent sur la “question de la femme”, tels Annie
Thackeray, Alfred Tennyson, Henry Taylor et Benjamin Jowett, pour ne citer que les plus
célèbres ; on peut aimer ses amis pour leur sens de l’humour et détester leurs avis politiques.
Toutefois, les opinions des plus proches d’entre eux sont très cohérentes et se démarquent
de celles d’autres groupes plus ou moins radicaux. Le fait même que le statut des femmes
soit si fortement controversé, au point d’investir les correspondances privées et la presse
quotidienne, me paraît plus révélateur encore. Les discussions sur la détresse des femmes
célibataires, des veuves et des épouses maltraitées affectent la vie de tous les foyers, où les

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mères comme Cameron doivent trouver des partis avantageux à leurs fils et de l’argent pour
pallier les revenus déclinants de leurs maris âgés.
S’il est aisé de démontrer que bien des hôtes de Cameron sur l’île de Wight se débattent
alors autant avec la question du rôle des sexes qu’avec celle de la nature de la foi
religieuse (je ne prétends pas que la division des genres soit leur principal sujet de
réflexion), il est plus ardu de concevoir l’impact de ces préoccupations sur la production
photographique de Cameron. Il faut regarder ses photographies comme des utopies, des
fictions élaborées au nom de “l’art” ou de la “beauté” et non comme les expressions
délibérées d’une pensée sociale. Même dans le cas d’œuvres qu’elle considère et présente
comme des “portraits”, le modèle est transformé via le costume, l’éclairage et la pose en
une figure idéale et transcendante plus proche de la vision synthétique de la peinture que
de la carte de visite qui leur est contemporaine. L’analyse de la signification de ses
photographies doit toujours tenir compte du refus conscient chez Cameron de ce que la
plupart des spectateurs d’alors et d’aujourd’hui considèrent comme l’essence du
photographique : son effet de réalité. Le monde fictif de Cameron ressemble à bien des
égards à celui de Tennyson, son idole, tous deux tirant des prodiges de la trivialité et
projetant sur leurs héros et héroïnes, ce qu’ils estiment faire défaut à leurs propres vies.
Dans un premier temps, il est utile d’étudier ces héros qu’elle est censée adorer. Les
récents écrits sur Cameron, particulièrement ceux dus à des femmes, tendent à isoler ses
sujets féminins de ses représentations masculines. Les hommes apparaissent le plus
souvent dans des portraits avec leur nom inscrit sur le montage des images (et dans les
listes des ventes de Cameron), ou bien comme des personnages plutôt gauches dans les
illustrations de Idylls of the King ou d’autres récits. Alors qu’elle fait fréquemment
figurer des jeunes femmes ensemble, les hommes ne posent pas en groupe, même si
l’anecdote veut qu’elle ait reçu les visites de nombreux étudiants d’Oxford qui lui auraient
servi de modèles. Évitant les types physiques jeunes, beaux et virils, elle privilégie les plus
âgés (tel son mari, de vingt ans son aîné), les malades (tel Philip Worsley qu’elle soigne et
photographie avant sa mort), les célibataires et les cléricaux. Un nombre surprenant de
veufs fraîchement endeuillés se compte parmi les modèles et amis de Cameron : Robert
Browning (dont la chère Elizabeth meurt en 1861, voir fig. 6), Henry Longfellow (dont la
seconde épouse périt accidentellement en 1861) et Thomas Carlyle (photographié en 1867
un an après le décès de Jane). À l’exception d’un rare ami proche de son époux depuis
l’époque de son service civil aux Indes, son idéal masculin consiste en des poètes, des
humanistes, des musiciens et des artistes : des hommes d’esprit plus que de chair (hormis,
peut-être, son neveu, le vigoureux artiste Val Prinsep qu’elle montre gonflant ses biceps
devant l’objectif).
Les modèles masculins de Cameron se détachent sur des fonds sombres et brumeux, tels
des êtres de sentiments : sensibles, passionnés, intelligents, parfois tourmentés. De fait, si
l’on s’attarde sur l’expression des visages et la position des têtes, on constate que les
sujets masculins de Cameron sont mis en scène suivant la même partition émotionnelle
que les femmes. La plupart sont enjoints à tourner la tête de trois quarts et à diriger leur
regard hors champ ; seulement un quart d’entre eux sont de profil, ou fixent l’objectif ou,
plus rarement, orientent clairement leur regard vers le haut ou le bas21. Alors que les
écrits de Charles Kingsley et Tom Hughes (modèle et ami de Cameron) exhortent à une
“virilité chrétienne”, aucun signe dans les portraits de Cameron ne témoigne de ce
mélange de moralité individuelle et d’intérêt social pour les sports de plein air et les
corps sains définissant l’idéal masculin de ces auteurs22.

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Les modèles féminins de Cameron sont les compagnes idéales de ces hommes. Leurs
portraits privilégient la mise en scène de leurs pensées à celle des actes commis
déterminant leur sort (suicide, séduction sexuelle ou encore meurtre, avec la parricide
italienne Beatrice Cenci). Ces poses sont en partie le résultat des longs temps d’exposition
dont Cameron a la réputation, rendant l’enregistrement d’expressions dramatiques ou
des mouvements trop contraignant, voire impossible. Dès le milieu des années 1860, il est
possible de se procurer du collodion plus rapide, mais Cameron semble ne pas en avoir
acheté. Son intérêt se porte sur la complexité psychologique de la jeune femme
contemplant des événements à venir, hors champ, en quête de la voie à suivre. Cameron
évite en général de donner à ses images des titres évoquant des figures féminines
maléfiques ou fatales telles Lilith ou Méduse – très prisées dans les œuvres
contemporaines de Dante Gabriel Rossetti et de Frederic Leighton. Lorsqu’elle se tourne
vers le thème très en vogue et vivement contesté à l’époque victorienne de la femme
déchue – la Marguerite de Goethe, la Guenièvre de Tennyson ou la Hetty de Eliot –, c’est
pour la montrer chargée de remords et déjà punie par la culpabilité ou la honte.
Les “sujets de fantaisie” féminins de Cameron (tels qu’on les appelle alors) auront été
assimilés par les spectateurs victoriens à un genre bien connu de textes et d’images : les
livres et les illustrations adressés principalement aux jeunes femmes et décrivant des
personnages féminins, fictifs ou historiques, dont les vies doivent être étudiées comme
des leçons de bonne (ou de mauvaise) conduite. Dans cette perspective, elle aura pu
s’inspirer des œuvres de la célèbre Anna Jameson, connue de nos jours pour ses premières
publications sur l’iconographie chrétienne ou sur la peinture italienne, mais aussi
féministe de premier plan et instigatrice de la pétition de 1856 pour l’extension des droits
des femmes mariées23. Par exemple, son livre de 1832 Characteristics of Women :
Moral Poetical, and Historical [Caractéristiques des femmes : sur le plan moral,
poétique et historique], constamment réimprimé au cours du siècle, analyse les héroïnes
des pièces de Shakespeare afin d’offrir différents modèles aux jeunes femmes. Dans le
prologue, sous la forme d’un dialogue entre son alter ego et un homme critiquant son
projet, elle explique son objectif : « illustrer la variété des métamorphoses auxquelles le
personnage féminin peut se prêter, ainsi que leurs causes et leurs conséquences […] Il me
semble que la condition des femmes dans la société actuelle est inadaptée et leur fait
injure. Leur éducation telle que pratiquée de nos jours se fonde sur des principes erronés
et tend à accroître considérablement la somme de souffrances et d’erreurs du côté des
deux sexes24 ». Lorsque son interlocuteur lui demande pourquoi elle n’a pas opté pour la
satire dans ce livre, elle défend ainsi sa démarche : « mais pour adoucir le cœur par le
biais d’images et d’exemples exposant des sentiments bienveillants et généreux ; pour
montrer combien la souffrance a parfait et discipliné l’âme humaine ; pour révéler tout le
bien pouvant résider dans le mauvais ou le perverti, tout l’espoir qu’il reste aux
désespérés […] Ô, si je pouvais parvenir à cela25 ». Sélectionnant des héroïnes
shakespeariennes parce qu’elles sont « des individus complets dont les âmes et les cœurs
sont mis à nu devant nous26 », Jameson les regroupe en catégories exemplaires : passion et
imagination (Ophélie et Juliette), intellect (Portia dans Le Marchand de Venise),
affection (Cordelia dans Lear et Desdémone dans Othello) et histoire (Blanche de Castille,
Catherine d’Aragon ou Lady Macbeth). Dans l’esprit des albums victoriens populaires
dédiés aux beautés d’Angleterre, l’édition de 1848 de son livre est illustrée de vignettes
présentant de jolies filles en buste dont les visages expressifs et les gestes symbolisent
cette typologie (fig. 7).

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Pour Jameson, attirer l’attention des femmes sur leurs devenirs possibles et sur la façon
dont elles devraient gouverner leurs vies est un acte fondamentalement politique, une
manière d’éveiller les jeunes filles gâtées des classes supérieures, soucieuses avant tout de
bals et de mariages, à une conscience accrue d’elles-mêmes et de leur apport à la société.
Dans son article de 1842, “‘Woman’s Mission’ and Woman’s Position” [“La mission de la
femme” et la place de la femme], qui fait suite à la lecture de récents rapports sur les
ouvrières et leur situation critique, elle appelle à une meilleure éducation pour les
femmes et remarque : « plutôt que de calculer le peu ou le beaucoup que nous pouvons
faire, il me semble que nous devrions toutes, selon la variété des dons que Dieu nous a
accordés, donner le meilleur de nous-mêmes et en faire l’offrande honorable sur l’autel
de l’humanité, pour qu’il y brûle et éclaire27 ». De nos jours, l’objectif paraît très modeste,
fidèle à l’idéal de la femme chrétienne au service du monde, mais ces propos sont
typiques de nombreux écrits sur la question de la femme à l’époque de Cameron.
La prise de conscience que les femmes des classes moyennes, les plus jeunes surtout, ont
besoin de modèles de comportement différents de ceux des romans de salon frivoles et
sentimentaux est partagée par les fondatrices zélées des nouveaux magazines féministes des
années 1860. Conçu en 1858 par Barbara Smith Bodichon et Bessie Parkes comme une
tribune dédiée aux questions féminines, TheEnglish Woman’s Journal présente une
série d’articles intitulée “Gallery of Illustrious Italian Women” [Galerie de femmes italiennes
illustres], qui comporte des portraits de poétesses de la Renaissance et d’artistes célèbres28.
De même, Victoria Magazine (créé en 1864 par Emily Faithfull comme un prolongement
de ses autres publications féminines lancées à Londres en 1860) juxtapose des articles sur la
nécessité de collèges pour les femmes à une analyse savante et approfondie du personnage
d’Ophélie (en décembre 1871) défendant son innocence contre les attaques de critiques
allemands contemporains (non cités) dénonçant sa faiblesse29.
Si la prédilection de Cameron pour les personnages littéraires féminins commence à
évoquer autre chose qu’une obsession pour les visages ovales et les regards absents, son
attachement aux jeunes filles poétiques de Tennyson peut aussi s’entendre comme
l’expression de sa foi en ce que ces figures féminines ont à nous apprendre. Un article
anonyme du Victoria Magazine paru en 1873 et consacré à “Gareth and Lynette” (une
section de Idylls of the King de Tennyson que Cameron illustre en 1874-1875), évoque des
critiques récentes reprochant au poète d’avoir perdu son temps avec de vieilles légendes
alors qu’il aurait été mieux avisé d’aborder des sujets modernes. L’auteur affirme cependant
que le problème est que les gens ne lisent pas le poète lauréat pour son « éthique implicite » 
: « il a délaissé l’appel de l’art pour l’art, pour l’appel plus noble de l’art pour l’Homme30 ».
L’assimilation des contes de “gentes damoiselles et nobles chevaliers” de Tennyson à des
critiques à peine voilées des comportements contemporains apparaît en 1859 dans les pages
du Macmillan’s Magazine, un journal sensible à la question des femmes qui publiera le
compte-rendu de Coventry Patmore sur les photographies de Cameron en 1866 et le propre
poème de Cameron en 1876. Dans “Moral Aspects of Tennyson’s Idylls” [Les aspects moraux
des Idylles de Tennyson], publié en 1859, John Malcolm Ludlow décrit le poème entier
comme une leçon sur l’amour et ses maux. Au-delà de sa condamnation de l’adultère,
Tennyson est « un poète chrétien et il sent que même ces apparentes arabesques de fantaisie
débridée doivent renfermer un évangile31 ». L’idée reliant toutes ces histoires
entremêlées est celle de « la réforme par l’amour, l’amour foisonnant au-delà de tout
pêché, en d’autres termes, le véritable évangile de la rédemption christique 32 ». Ludlow
juge critique l’impact des œuvres de Tennyson sur les jeunes personnes « tremblant[es]

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au seuil de la maturité, alors que tous les sens se sont épanouis, lorsque les fantasmes
sont prêts à s’embraser en passions33 ».
Loin d’opposer les sujets tennysoniens et les héroïnes littéraires au concept de la “femme
moderne”, les militants victoriens de la cause des femmes s’emparent de leur complexité et de
leur gravité et se montrent sensibles à leurs malheurs. En revanche, ils exècrent le genre de
femmes caricaturé dans l’article controversé de Eliza Lynn Linton, “The Girl of the Period” [La
fille du moment], publié en 1868 dans le Saturday Review34 : « une créature qui se teint les
cheveux et se maquille, pour qui la vie n’est qu’amusement, le luxe sans borne l’unique but et
dont la robe mobilise toute la pensée et l’intelligence en son pouvoir ». Elle imite la demi-
mondaine, parle argot et voit dans le mariage un troc légal la dotant en argent, maison et titre.
Selon Linton, son antithèse est le « vieil idéal anglais, jadis le plus beau, le plus modeste, le plus
essentiellement féminin au monde », qu’un dessin satirique publié dans le Punch représente
astiquant le sol d’une église avec dévotion (fig. 8). Bien que cet article soit taxé
“d’antiféministe” et paraisse dans une tribune clairement opposée aux militants des droits des
femmes, les critiques empreintes de nationalisme que Linton fait de la coquette moderne à la
française ne contredisent nullement les attaques contre les filles frivoles et obsédées par le
mariage publiées dans les pages du English Woman’s Journal. De Jameson à Nightingale, les
auteurs ne proposent pas que les femmes adoptent les manières ou les métiers des hommes
(objet d’attaques et de caricatures faciles), mais qu’on leur reconnaisse le don de ce que
Nightingale appelle dans son article de 1852, “Cassandra”, « la passion, l’intelligence et l’activité
morale35 ».
Si Cameron parle peu dans ses lettres des débats publics sur le rôle des femmes, elle est
entourée de gens profondément engagés dans cette “question de la femme”. De son cercle,
Anne Thackeray est sans doute celle qui frôle le plus le militantisme. Fille de l’écrivain
éponyme, elle est placée sous la protection de Cameron à la mort de son père en 1863 (fig. 9).
Son premier contact avec des idées féministes radicales remonte à 1854, date d’une visite à son
amie Barbara Smith durant laquelle la jeune femme de dix-sept ans aurait été frappée
d’entendre Mary Howitt proposer de faire siéger les femmes au Parlement36. Quand Cameron
l’adopte, elle a déjà écrit des articles à teneur sociale et des nouvelles, publiés dans le Cornhill
Magazine de son père, ainsi que le roman intitulé The Story of Elizabeth (en 1863, année
de ses vingt-six ans)37. Son article “Toilers and Spinsters” [Travailleuses et célibataires] de
1861 est inspiré par la Société pour la promotion et l’emploi des femmes. Créée deux ans plus
tôt, cette institution qui a fondé en 1860 une école de commerce pour femmes, place les jeunes
filles des classes moyennes les plus humbles comme apprenties dans des magasins de couture
ou encore de photographie. Thackeray s’attache à démontrer que les filles célibataires ne sont
réputées ternes et maussades qu’en raison de stéréotypes injustes et que l’indépendance des
femmes, et non plus exclusivement le mariage, devrait être un objectif recevable : « Maison,
mari, fils, filles, ces liens sacrés sont agréables, sans être ni uniques, ni les seuls biens sacrés de
la vie38. »
Partisane d’une éducation plus poussée pour les filles et d’une meilleure formation pour les
jeunes femmes domestiques, Thackeray écrit un autre article en 1865, “Heroines and
Grandmothers” [Héroïnes et grand-mères], où elle se désole de voir des auteures
contemporaines produire des romans mélancoliques. Saluant les joyeuses héroïnes de Jane
Austen, elle déplore que leurs héritières modernes soient « morbides, constamment
préoccupées d’elles-mêmes, butées et ingrates devant les merveilles et bienfaits d’un monde
qui n’est pas moins beau aujourd’hui qu’il y a cent ans39 ». Elle dut reconnaître dans les
photographies prises par Cameron cette même année des figures rachetées par la célébration

Études photographiques, 28 | novembre 2011


Épouses des hommes et épouses de l’art 9

de leur beauté naturelle, plutôt que des portraits de femmes brimées, à l’instar des per
sonnages de Jane Eyre et de Lucy Snowe (dans Villette de Charlotte Brontë) qu’elle
déplore dans les récits. Dans un compte-rendu des travaux de Cameron publié dans le Pall
Mall Gazette en 1865, Thackeray fait en effet l’éloge de « cette indescriptible présence
d’une sensation de naturel et d’un sentiment véritable » dans ses portraits et ajoute qu’« il
est difficile de croire que ces gens à l’aspect si calme et noble sont de même race que les
hommes et les femmes que nous avons l’habitude de croiser dans nos albums de
photographies ou dans ceux de nos amis40 ». Les modèles atemporels de Cameron expriment
des sentiments d’amour inspiré, de dévotion, de courage et d’abnégation, qui montrent ce
que les hommes et les femmes pourraient devenir s’ils étaient libérés des contraintes
imposées par les mœurs victoriennes et les obligations quotidiennes.
De tous les modèles de Cameron, si Annie Thackeray est l’intellectuelle la plus encensée,
bien des jeunes filles qui en passent par son atelier sont exceptionnellement douées et bien
éduquées. Christina Catherine Fraser-Tytler, l’un des modèles de la photographie Rosebud
Garden of Girls prise en 1868, écrivait enfant de la poésie et se lance dans une longue
carrière littéraire en 1870 avec la publication de A Rose and A Pearl. D’autres très jeunes
modèles telles Daisy Bradley et Agnes Weld trouvent aussi leur voie dans l’écriture41. Filles
de professeurs d’Oxford, de poètes, de ministres ou d’autres relations littéraires et
artistiques de Cameron, toutes ces enfants et adolescentes sont choisies pour leurs boucles
ou leurs fossettes mais parlent un anglais châtié et récitent les vers entendus à la maison
lorsqu’elles se détendent entre deux séances de pose. Cameron les a représentées en “belles
damoiselles” mais également pour elles-mêmes, sous leurs véritables noms, tels qu’elle le
faisait pour ses modèles masculins – même si les critiques modernes ont oublié leurs
identités et mis l’accent sur leur attrait physique. Tenant compte des possibilités alors
offertes aux femmes sur le plan éducatif et professionnel, les modèles photographiés par
Cameron pourraient être surnommés “nobles hommes et femmes célèbres42”, ce qui
rendrait ainsi plus perceptibles les stéréotypes sexuels qui ont longtemps marqué
l’interprétation de ses sujets.
Les amis de Cameron apprécient certainement les dons intellectuels des épouses, des
filles et des talentueuses adolescentes qui fréquentent leurs maisons, mais pas au point de
désirer faciliter le divorce, de faire entrer les femmes à Oxford et Cambridge, ou de les
voir adopter des rôles ou des comportements sociaux “masculins”. Il est probable
qu’Alfred Tennyson ( fig. 10), ami proche et voisin de Cameron qui s’inspire
constamment de ses poèmes, s’entretienne avec celle qu’il appelle familièrement “Julia”
de la relation idéale entre les sexes, au cours de leurs longues promenades. Cameron
sélectionne d’ailleurs le poème narratif de Tennyson The Princess : A Medley (1847),
qui exprime clairement ses positions au sujet de la place des femmes pour l’inclure dans
ses albums photographiques Idylls of the King and Other Poems de 1874-1875. Il est
impossible de savoir pourquoi elle annexe ce poème à des albums où dominent les
légendes arthuriennes43, mais ce geste témoigne de son intérêt pour l’allégorie et peut
aider à comprendre la tournure des réponses que Cameron (et Tennyson) apporte(nt) aux
questions contemporaines sur les droits des femmes.
Le poème de Tennyson se compose d’un bref récit situé dans le présent (juste avant la
révolution de 1848 et au plus fort du mouvement chartiste) qui encadre un long conte
projeté dans un passé indéfini, médiéval et chevaleresque. Le narrateur anonyme du récit,
un étudiant d’Oxford passant ses congés d’été avec cinq camarades dans la demeure
gothique de l’un de leurs amis, commence par lire un vieux livre décrivant une reine

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Épouses des hommes et épouses de l’art 10

guerrière qui soulève immédiatement des réflexions sur les écarts entre le présent
technologique, où les filles hurlent à la moindre décharge électrique, et la courageuse
“héroïne” du conte ancien. Réunis sur la pelouse, les garçons ainsi qu’un groupe d’amies
et de simples connaissances féminines se mettent à débattre de la possibilité de
l’existence d’une telle femme à leur époque. Tennyson oppose les jeunes hommes
excluant sans vergogne les filles de leur conversation sur le trimestre scolaire et doutant
qu’aucune femme puisse jamais égaler un noble chevalier, à Lilia, opiniâtre mais jolie,
sans doute une petite sœur, “mi-femme mi-enfant” qui proteste en affirmant : « ces
femmes se comptent maintenant par milliers, mais la norme les écrase / ce n’est qu’une
question d’éducation, rien de plus / ce sont vous les hommes qui en êtes responsables,
combien je vous hais tous44 ». Les protagonistes masculins persistent à écarter Lilia qu’ils
qualifient d’« irascible », de « bouton de rose serti de petites épines sauvages », mais
décident d’inventer une histoire dans laquelle elle devient « une grande princesse d’un
mètre quatre-vingts, majestueuse, héroïque et homicide », retirée pour fonder une
université exclusivement féminine. Le narrateur et ses amis incarnent alors un prince et
ses troupes lancés dans l’invasion et la conquête de cette citadelle féminine. Ce conte est
structuré comme un pot-pourri dont chacun des sept garçons récite un chapitre. Après
les révisions de Tennyson pour la troisième édition en 1850, les personnages féminins de
l’assemblée se voient confier les chants de vers rimés entre chacun des chapitres du
conte.
Dans les deux niveaux de l’histoire, la voix de Tennyson demeure difficile à interpréter
car il cultive un ton légèrement moqueur tant dans ses descriptions des garçons, égotistes
et agressifs, que dans celles des filles, rigides et académiques, conservant dans leur
nouvelle université féminine toute la plate pédanterie et la belligérance qui caractérisent
les institutions d’enseignement supérieur victoriennes dominées par les hommes. Dans
les scènes d’ouverture, le prince et ses camarades sont dépeints comme des antihéros
comiques revêtant des tenues féminines pour pénétrer dans l’université ; une “féminité”
factice qui décrédibilise l’introduction de la princesse Ida en érudite masculinisée,
entourée de livres et de beauté divine.

« Assise à une table, près d’un grand livre et de feuilles,


Deux léopards tapis au pied de son trône,
Toute la beauté sous une enveloppe féminine
La Princesse : plus ressemblante à l’être
D’une planète claire tout près du Soleil
Qu’à celui de notre terre d’homme.
De tels yeux illuminent son visage,
Et tant de grâce et de force émanent
Depuis son front baissé, et sans cesse
La traversent de l’extrémité de ses longues mains,
Jusqu’à ses pieds45. »

La droiture d’Ida et son refus du mariage, contre les vœux de son père qui l’a fiancée au
prince lorsqu’elle était enfant, passent tout de suite pour des postures artificielles et
exagérées qui s’opposent à l’intérêt des femmes.
Dès le début, Tennyson construit le personnage d’Ida à partir de stéréotypes masculins,
alors que le prince apparaît comme ayant « des yeux bleus, un doux visage / un
tempérament amoureux […] / de longues boucles blondes, comme celles d’une fille » et se
vêt d’une robe jusqu’à ce que son genre soit révélé dans le livre IV46. Le prince est tout en
sentiments et tremble au contact d’Ida jusqu’au tournant du conte où il la sauve des flots

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d’une rivière tandis qu’elle s’enfuit en apprenant sa véritable identité sexuelle. Le prince
devient alors plus fort et plus viril et Ida commence à douter de la sagesse de la guerre, du
meurtre et de la vengeance pour s’ouvrir à la douceur, la caresse, la maternité, le soin,
l’amour et finalement le mariage. Tennyson glisse la leçon prévisible de ce conte dans la
bouche du prince convalescent et de nouveau affaibli – mais seulement après avoir
manifesté sa bravoure sur le champ de bataille. Devant Ida transie et soupirante, il
explique que la relation idéale entre les sexes est celle qui en accorde les forces
complémentaires :

« Car la femme n’est pas un homme ébauché,


Mais un être différent : si nous la rendions semblable à l’homme,
Il faudrait voir mourir l’amour et ses suavités.
Son harmonie n’est pas un même son répété,
Elle est l’accord de deux sons qui se ressemblent sans se confondre.
Avec le temps, cependant et de longues années,
Le compagnon et la compagne sont destinés à se rapprocher de plus en plus.
Lui, il croîtra en douceur et en élévation morale
Sans perdre les muscles qui se tendent pour lutter :
De son côté, elle acquerra plus d’ampleur d’intelligence,
Sans perdre ses instincts de mère,
Sans que la pensée étouffe en elle les grâces enfantines.
[…]
L’un apporte ce qui manque à l’autre,
Et tous deux enveloppés l’un dans l’autre,
Pensant et voulant l’un dans l’autre,
Ils produisent à deux l’être unique et parfait,
Le cœur à deux battements dont la palpitation fait la vie47. »

Cette fusion du masculin et du féminin en un seul être symbiotique préserve le concept


populaire conférant à la femme pureté angélique, altruisme et sensibilité émotionnelle
mais en même temps des aptitudes intellectuelles considérées comme fondamentalement
masculines. Avec le glissement affectif de chacun des personnages vers une sensibilité
partagée, Tennyson semble appeler les hommes et les femmes à se transformer eux-mêmes.
Néanmoins, en conclusion, Tennyson conserve le point de vue normatif octroyant aux
hommes le devoir d’instruire les femmes et donc au prince d’éduquer la princesse. Il
demeure le prétendant d’Ida et l’homme qui lui révèle des idéaux qu’elle avoue avoir eus
sans jamais les avoir crus réalisables48.
Le poème de Tennyson est d’abord accueilli par la critique comme une satire des
intellectuelles, certainement en raison de l’échec du projet universitaire d’Ida et de sa
reddition par amour. Dans les notes d’une édition ultérieure, le poète écrit que « le
public n’a pas saisi le glissement » qui l’a déterminé à éditer le poème et à y inclure des
intermèdes lyriques témoignant de sa sympathie pour le progrès des femmes. Dans
l’édition de 1908, Hallam Tennyson remarque que son père « avait conscience que la
femme devait s’instruire plus sérieusement qu’auparavant afin d’accomplir la lourde
tâche qui l’attendait, quand bien même elle n’aurait pas été destinée à devenir une
épouse ou une mère. Plutôt que viser la simple réussite sociale, il lui fallait cultiver son
intelligence – et non seulement sa mémoire –, le plus fort de son imagination, sa
spiritualité innée et son penchant pour la pureté, la noblesse et le beau. Alors, et alors
seulement, servirait-elle le progrès de l’humanité ; alors, et alors seulement, les
hommes continueraient-ils à la respecter49 ». C’est très certainement cette foi dans la
nécessité du progrès des femmes qui pousse Tennyson à soutenir la pétition d’Emily

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Épouses des hommes et épouses de l’art 12

Davies présenté au Parlement en 1867, Memorial respecting Need of Place of


Higher Education for Girls [Mémoire sur la nécessité d’un lieu dédié à l’éducation
supérieure des filles] et signé par 521 institutrices.
L’intérêt photographique de Cameron pour The Princess participe de son projet plus
vaste formé au début des années 1870 qui rend hommage aux plus grands poèmes de
Tennyson, en particulier à Idylls of the King. Après avoir publié en 1874 un album
commercial original regroupant treize épreuves albuminées (dont douze illustrent des
scènes de Idylls) et des extraits manuscrits du poème reproduits lithographiquement,
elle décide l’année suivante d’y ajouter un volume comprenant des illustrations
d’autres poèmes tels Mariana, Maud, The May Queen, The Beggar Maid et The
Princess. Dans l’exemplaire conservé dans les collections de la George Eastmann
House, la première et l’unique image, où figure la princesse elle-même, est
accompagnée de ces vers manuscrits : « Elle se tenait / parmi ses suivantes, plus haute
d’une tête / le dos contre un pilier. » Cet ajout confirme le parti pris de la
composition qui décrit la seconde rencontre du prince et de la princesse (et non la
première, citée plus haut, où elle est assise), lorsqu’elle se distingue à nouveau par sa
haute taille et les deux léopards jouant à ses pieds. Exceptionnellement proche de la
lettre du texte, Cameron a rehaussé son modèle central à l’aide d’un tabouret et simulé
les fauves avec des peaux de léopards sous-exposées – si bien confondues avec le pied
délicat de la princesse que la photographe, ou un collectionneur ultérieur, a jugé bon
de retoucher à l’encre la sandale sur l’épreuve (fig. 11). Le regard frontal et
l’arrogance inexpressive du personnage central évoquent avec justesse les descriptions
masculines de la princesse dans le poème, « pleine d’une fierté vaine » (selon Cyril, l’un
des compagnons du prince), « au sourire hautain » et « imposante comme le Jugement
dernier ou comme un tombeau » (aux yeux d’un aubergiste)50.
La photographie de Cameron, où l’on voit Ida protéger son corps d’un livre ancien au
format exagéré qui symbolise ses études impressionnantes, tente d’exprimer le respect
et le pouvoir que Tennyson accorde à la princesse, un être qui mérite d’être racheté de
ses excès. Hallam Tennyson rappelle que « le poète qui l’a créée la considérait comme
l’une des plus nobles de ses héroïnes. Plus l’homme ou la femme ont de force, plus ils
tiennent du lion ou de la lionne indomptée, plus ils ont de grandeur à se laisser
dompter. À la fin, nous voyons cette femme-lionne soumettre ses parts d’humanité à ce
qui lui est le plus essentiel et reconnaître son véritable rôle dans l’ordre du monde et
face à Dieu51 ». Même si le modèle de Cameron n’atteint pas la grâce et la beauté
décrites par Tennyson, la photographe organise la scène et place son appareil de sorte
à rendre hommage à une femme droite, à qui seul l’élan maternel fait défaut (elle le
trouve au terme du poème) pour devenir ce que Cameron elle-même aspire à être : une
femme forte, intelligente, courageuse, mais également affectueuse.
Cameron intègre deux autres photographies liées à The Princess. Proches de ses
portraits en buste de femmes costumées pris dans les années 1860, elles sont plus
surprenantes quant au choix des citations associées. Plutôt que d’illustrer le récit
principal, elles renvoient aux chansons des femmes composant les interludes entre les
chapitres. L’une des deux, accompagnée des vers suivants : « ô écoute ! entends ! Si fine et
claire / et toujours allant plus fine et plus claire52 ! », représente une femme ménestrel
accompagnant vraisemblablement le chant des vers situés entre les livres III et IV53(
fig. 12). Ils évoquent la nostalgie du passé et la permanence de l’amour sous la forme

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Épouses des hommes et épouses de l’art 13

d’un écho fantomatique flottant dans un ciel crépusculaire, mais n’ont pas de lien direct
avec le récit ni avec le statut des femmes.
Une composition similaire mais d’un point de vue plus éloigné, présente un second
modèle, May Prinsep, qui fixe l’objectif tout en prétendant gratter sa mandoline (les
lèvres serrées, ne chantant donc pas non plus, fig. 13). Dans ce cas, le costume fluide de
type renaissant coïncide avec la place de la chanson dans le récit telle que précisée sur le
carton de montage par l’inscription du deuxième vers du célèbre Tears, Idle Tears, joué
à la harpe par l’une des suivantes de la princesse au début du livre IV. Néanmoins,
l’instrument s’avère aussi inadéquat que le jeu de Prinsep, car Tennyson souligne que la
chanteuse « achève avec une telle passion que la larme / qu’elle vient de chanter, tremble
et tombe, perle fragile / perdue dans son sein54 […]  ». Pour ces deux photographies
associant femmes et instruments, Cameron semble avoir sélectionné des épreuves
antérieures qu’elle a légendées avec les paroles des chansons populaires tirées de The
Princess, peut-être dans le but d’attirer l’attention du public55.
L’insertion de photographies inspirées de The Princess dans des albums consacrés à
l’origine à Idylls of the King témoigne de la sympathie de Cameron pour le sujet du
poème et de sa plus vaste reconnaissance comme une œuvre audacieuse bien que
problématique56. Mais que pense-t-elle exactement de son message ? De tempérament
passionné, tant dans son amour pour ses fils que dans sa générosité envers ses amis, sans
doute admet-elle avec Tennyson qu’Ida doit apprendre les valeurs du cœur. Dans le même
temps, entourée de jeunes femmes intelligentes et elle-même auteure et artiste, elle est
certainement sensible aux revendications qui poussent Ida et ses amies à fonder une
université féminine.
La question d’une éducation supérieure pour les femmes qui est au cœur du poème de
Tennyson en 1847 continue d’être débattue dans les années 1860. Benjamin Jowett,
professeur de grec à l’université d’Oxford, principal du collège de Balliol, ecclésiastique
libéral et l’un des modèles de Cameron, ainsi que l’un des plus proches amis de Tennyson,
est professionnellement concerné par la réforme de l’éducation à propos de laquelle il
écrit un article en 186757 (voir fig. 14). Il s’avère aussi un commentateur éclairé de la
question de l’éducation des femmes. De 1860 jusqu’à sa mort en 1893, il est un ami intime
de Florence Nightingale – personnalité très recluse mais active réformatrice du domaine
sanitaire –, son mentor et son confesseur religieux. Il est impossible de savoir s’il aborde
avec Cameron les mêmes questions qu’avec Nightingale liées à la politique, à Oxford ou au
rôle des femmes. Cependant, en mai 1861, alors qu’il séjourne chez les Tennyson, il écrit à
Nightingale qu’il convient avec elle de la position terriblement injuste des femmes dans le
monde, mais que la solution est complexe :
« Il y a tant de sources de noblesse dans le caractère des femmes que je ne doute pas que
l’on puisse faire bien plus pour les ennoblir davantage. Mais aujourd’hui les meilleures
d’entre elles souffrent plus que toutes de l’état dégénéré de la religion et sont nourries ou
se nourrissent de lubies catholiques ou méthodistes […] on entend souvent dénoncer
l’éducation misérable des femmes ou exiger des informations plus fiables. Mais je doute
que pour la majorité des femmes un changement dans le domaine de l’éducation
produise le moindre bien ; un esprit subalterne formé intellectuellement et gavé
d’informations est parfaitement inutile et désagréable. La “douce créature” qui ne sait
rien est de loin préférable58. »
Peu après que l’université de Cambridge a ouvert à titre expérimental ses examens
d’études secondaires aux femmes en 1865, Jowett approuve une pétition visant à étendre

Études photographiques, 28 | novembre 2011


Épouses des hommes et épouses de l’art 14

le principe à Oxford. En 1868, il incite aussi Nightingale à signer la pétition présentée au


Parlement par John S. Mill et Henry Fawcett réclamant l’octroi du droit de suffrage aux
femmes et le contrôle par les femmes mariées de leur propriété foncière59. Un mois plus
tard, il ajoute dans une autre lettre que le travail de mademoiselle Anna Jemima Clough,
initiatrice de cours préparatoires aux examens pour les femmes dans le nord de
l’Angleterre puis fondatrice du conseil pour la promotion de l’éducation supérieure des
femmes, « mérite soutien et encouragement60 ».
À partir de 1873, Jowett décrète cependant qu’une université de femmes ne doit pas
tenter de reproduire le cursus des institutions masculines traditionnelles. Dans une lettre
à son amie Lady HenriettaMaria Stanley, épouse du député du parti progressiste Edward
John Stanley et connue pour son franc-parler, il commente ses efforts pour fonder le
Girton College : « cela ne correspond pas à mon idéal d’une bonne éducation pour les
femmes. Je craindrais que le travail ne soit trop dur pour elles et qu’elles se
découragent bien vite en étant jetées dans une compétition inégale avec les hommes 61 
». En 1879, après la publication dans Nineteenth Century de l’article de Lady Stanley
“Personal Recollections of Women’s Education” [Souvenirs personnels sur l’éducation
des femmes], il explique : « je tends toujours à croire que puisque les hommes et les
femmes diffèrent, leur éducation devrait différer en certains points et que la femme
ordinaire ne peut, à son avantage, travailler intellectuellement autant que l’homme
ordinaire62 ».
Henry Taylor, qui est avec Tennyson l’un des modèles les plus assidus de Cameron,
rejoint Jowett dans l’idée que les femmes méritent d’être éduquées, mais sont
intrinsèquement différentes dans leur tempérament comme dans leurs compétences (
voirfig. 15). En 1870, il publie une réponse au livre de John Stuart Mill The
Subjection of Women [De l’assujettissement des femmes], paru l’année précédente
mais rédigé en 1861. Taylor n’est pas un commentateur régulier des questions
féminines63, mais il s’intéresse vivement à la politique et connaît Mill depuis les
années 1820, période de leur engagement commun dans une société benthamite
londonienne promouvant le débat et l’action sociale64. Sa réponse à l’appel de Mill
pour le droit de vote des femmes et l’égalité des sexes devant la loi débute par une
critique de la logique et de l’argumentation partisane de Mill, mais repose sur sa
propre croyance dans la nature fondamentale des écarts de compétences déterminés
par le genre (et la race). Mill associe le statut des femmes de son époque à celui des
esclaves avant leur affranchissement et attribue leur échec dans les domaines
commerciaux et artistiques comme dans la vie publique à leur manque d’éducation et
d’ambition plus qu’à des différences d’ordre “naturel”. En retour, Taylor conteste
cette conception de la “nature” et souligne (dans un esprit darwinien) que la nature «
 renonce à l’égalité entre les races et entre les individus dès leur venue au monde et
quelle que soit leur volonté d’échapper à leur destinée. 65 ».
Tout en adoptant les lieux communs de l’ère victorienne sur la supériorité de l’empathie
et de la sensibilité féminines, Taylor se garde bien de critiquer l’intelligence des femmes,
mais défend contre Mill l’existence de tels écarts de tempérament. Il remarque que « les
femmes sont – à juste titre, je pense – généralement censées avoir une perception plus
fine que les hommes du caractère masculin ; pour la plupart, elles ont une plus grande
estime de la bonté des hommes ; et, à la fois plus humbles et clairement conscientes de
leur propre incompétence à juger de politique comme des questions politiques, on
pourrait attendre d’elles primo, qu’elles s’enquièrent de l’assistance dont elles ont besoin

Études photographiques, 28 | novembre 2011


Épouses des hommes et épouses de l’art 15

et secundo, qu’elles sachent où la trouver66 ». Bien entendu, cela pourrait aboutir à leur
exploitation par des politiciens corrompus acheteurs de votes. Taylor poursuit sur la
disposition des femmes pour diverses professions, admettant qu’il puisse y avoir des
femmes d’église, des avocates, des médecins ou des politiciennes ainsi que le propose Mill.
Mais, il en conclut que leur échec à accéder aux plus hauts rangs des domaines dans
lesquels elles pourraient déjà exercer (« tels la science, l’art et la littérature »), laisse
supposer qu’il y a plus qu’un manque de formation ou qu’un préjugé entravant leur
succès : « pour ma part, si je ne nie pas catégoriquement l’égalité intellectuelle [entre les
sexes], je vois quelque raison d’en douter67 ».
Mill imagine une société future dans laquelle les femmes dotées des mêmes droits et
d’une meilleure éducation pourraient progresser, faire progresser leurs enfants et mêmes
leurs maris. Plus de liberté pour davantage d’individus mieux éduqués génèrerait un
peuple plus heureux et vertueux. Fidèle à sa foi aristocratique et colonialiste en l’élite et
en une gouvernance hiérarchisée, Taylor lui objecte que la patience, l’humilité et la
charité nées de l’inégalité engendrent une indépendance plus authentique : « il n’y a pas
en réalité d’indépendance plus pure que celle de l’homme qui, satisfait de son propre sort,
se satisfait aussi de reconnaître la supériorité en l’autre, qu’elle procède de l’inné, du
social ou de l’extrinsèque68 ».
Constamment méfiant devant la position radicale de Mill sur un ensemble de questions
dont celle du sort du gouverneur colonial Edward John Eyre que Mill souhaite voir juger
pour sa brutale répression des émeutes de 1865 en Jamaïque 69, Taylor, à l’instar de
Tennyson, de Jowett et de bien des membres du cercle de Cameron, défend le droit
paternaliste des hommes anglais à régenter leur maison et leur empire. Il n’en convient
pas moins que les femmes ont certainement plus de talents naturels et de droits à
l’éducation que les sujets noirs de Caraïbes. S’il est possible de soutenir que des êtres à la
peau noire, déplacés sous des climats chauds ou affectés à la domesticité des maisons
londoniennes sont intrinsèquement différents, dans leur niveau de civilisation, de leurs
bienveillants protecteurs britanniques (Cameron elle-même pointera, dans une lettre de
Ceylan datant de 1876, « la primitive simplicité des habitants70 »), les amis de la
photographe doivent en revanche admettre que les femmes intelligentes et actives que
sont leurs épouses ou leurs filles se sont révélées capables de gérer leur propriété
foncière, de publier des livres et de fréquenter l’université. Toutefois, à l’heure où Taylor
rédige sa réponse à Mill, l’ultime contrôle de la sphère publique demeure aux mains d’un
million cinq cent mille hommes, propriétaires ou respectables locataires ressortissant des
classes laborieuses, dont la moitié vient juste d’accéder au droit de suffrage avec le
passage controversé de la loi de réforme de 1867. Confrontés aux incertitudes que suscite
le vote de ces nouveaux citoyens de condition inférieure, peu d’intellectuels se réjouissent
d’ajouter le sexe faible au pêle-mêle électoral.
La position de Cameron au sein des débats sur l’éducation et les droits des femmes qui se
multiplient dans les années 1860 se situe quelque part à droite des appels véhéments de
Mill pour l’égalité des femmes et néanmoins, au vu de sa production et de ses ventes de
photographies, à gauche de l’avis de Taylor sur l’infériorité de la femme dans les
domaines artistiques. Plutôt que de prêcher des changements d’ordre public ou législatif,
Cameron défend une position tennysonienne et surtout chrétienne. En encensant les
hommes qui osent témoigner de sentiments tendres et les femmes qui suivent le Christ en
plaçant les autres avant elles-mêmes, elle façonne un monde “féminisé” dans lequel
hommes et femmes agissent ensemble pour un bien supérieur. Ses gros plans très

Études photographiques, 28 | novembre 2011


Épouses des hommes et épouses de l’art 16

personnels de femmes sérieuses et contemplatives, inspirés de personnages bibliques,


historiques ou littéraires, invitent les spectatrices à rendre leurs esprits aussi beaux que
leurs visages qui, selon la théorie physiognomonique, révèlent leurs âmes. Et ainsi que le
remarque Anna Jameson dans sa défense de l’iconographie de la Vierge contre les attaques
présumées des protestants, même les images de la Vierge (telles celles produites par
Cameron) pourraient servir à la « reconnaissance d’une force supérieure et plus douce que la
forte poigne et la puissance qui fait le droit71 ». Tant les hommes que les femmes
bénéficieront de ce rééquilibrage idéal des sexes72.
Pour Cameron, le fait même de prendre des photographies s’accorde avec les idéaux
comportementaux qu’elle a forgés pour elle et pour les autres. Ses lettres narrent son
apprentissage et sa maîtrise du médium à la façon d’un pèlerinage qui la conduit de
l’obscurité de l’échec à l’éclat de ses succès. La lumière, qu’elle prétend adorer en 1866 « 
telle une véritable parsie vénérant le soleil73 », est une substance divine révélant ce
qu’elle célèbre comme « cette terre verte et ensoleillée ». Son devoir ne consiste pas
uniquement à soigner les malades, à donner aux nécessiteux, à soutenir ceux qui
souffrent, mais également comme elle l’écrit en 1866 à « surprendre l’œil par
l’émerveillement et la joie74 ». La photographie la sauve non seulement du pêché de
paresse, mais lui offre un médium qui lui permet d’enseigner, de guider et de « créer en
un instant le trésor impérissable que représente un portrait fidèle75 ».
Néanmoins, le travail assidu de Cameron en tant que photographe professionnelle d’un
genre nouveau (le métier est considéré comme masculin) fait contrepoids à sa quête
d’images rédemptrices, moralisantes et empreintes d’une beauté sensuelle (des traits
traditionnellement identifiés à la féminité, mais revisités par le mouvement d’Oxford ou
encore par les écrits de Tennyson76). En réussissant remarquablement à la fois comme
“épouse de l’art” et comme “épouse de l’homme”, Cameron dépasse les attentes de ses
pairs : elle a trop de bonté, trop de générosité, trop d’abnégation, trop d’attention
maternelle, trop de ferveur religieuse, mais en même temps elle travaille trop, expose
trop ses créations, sollicite trop d’éloge. Elle surpasse les femmes comme les hommes, y
compris son vieil époux. Sa réponse à la question de la femme, exprimée dans son œuvre
mais jamais consciemment résolue dans son esprit, consiste à esquiver les limites
socialement imposées au comportement des femmes pour leur préférer l’expression
photographique d’un idéal “cœur à deux battements” vibrant à l’unisson.

NOTES
1. Virginia W OOLF, Freshwater, trad. E. Janvier, Paris, Éditions des femmes, 1981, p. 106. Cette
réplique dite par Madame Cameron se trouve dans la version de la pièce de 1923.
2. L’attitude de Woolf à l’égard de sa grand-tante telle qu’elle apparaît dans cette pièce est
généralement perçue comme significative des tentatives de la génération de Bloomsbury de se
distinguer des excès idéalistes et émotionnels de ses pères de l’ère victorienne. À ce titre, voir
Diane Filby GILLESPIE, The Sisters’ Arts : The Writing and Painting of Virginia Woolf and Vanessa
Bell, Syracuse (NY), Syracuse University Press, 1988, p. 67. Natasha Aleksiuk perçoit au contraire
de l’ironie dans les photographies mises en scène par Cameron qui lui permet de reconnaître en

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Épouses des hommes et épouses de l’art 17

Cameron et Woolf des critiques des catégories de genre et de classe, voir Natasha ALEKSIUK, “‘A
Thousand Angels’ : Photographic Irony in the Work of Julia Margaret Cameron and Virginia
Woolf”, Mosaic, juin 2000, p. 125-142. Je n’adhère cependant pas à ces deux visions et vois
davantage une sympathie chez Woolf pour l’art et l’excentricité anti-victorienne de sa grand-
tante Julia. Dans une lettre à Vita Sackville-West datée du 19 juillet 1926, alors qu’elle enquête sur
la vie de sa grand-tante, elle écrit : « je pourrais passer une vie entière à m’occuper d’elle », Vita S
ACKVILLE-WEST et Virginia WOOLF, Correspondance, Paris, Stock, 1985, p. 178.
3. À partir des années 1860, les femmes artistes commencent à recevoir davantage de soutien de
la part des critiques et des écrivains reconnaissant la nécessité pour nombre d’entre elles de
subvenir à leurs besoins. Toutefois, dans son analyse des descriptions de femmes artistes dans la
fiction populaire victorienne, Bronwyn Rivers a révélé que dans la plupart des romans l’artiste
finit par intégrer son travail à ses devoirs d’épouse. Cf. Bronwyn RIVERS, Women at Work in the
Victorian Novel : The Question of Middle Class Women’s Employment, Lewiston (NY), Mellen
Press, 2005, chap. 4. La photographie, qui jouit à l’ère du collodion de la réputation de profession
pour artistes ratés et entrepreneurs cupides, est une occupation encore moins respectable pour
les femmes de la classe moyenne même si des écrivains tels que Charles Dickens en parle
(Household Words) comme un moyen approprié pour ces femmes d’avoir une source de revenus.
4. Lionel Tennyson, dans une lettre du 20 janvier 1868 à Henry Dakyns, son ancien tuteur,
raconte : « Encore une chose, Madame Cameron a dû se séparer de trois de ses fils, partis pour
l’Inde ou Ceylan, depuis votre dernier passage. Le premier a rejoint sa plantation de café à Ceylan
qui a d’ailleurs engendré des centaines de livres de dettes à verser aux courtiers chaque année et,
depuis le départ d’Ewen, des milliers de livres par an. » Robert PETERS (dir.), Letters to a Tutor :
The Tennyson Family Letters To Henry Graham Dakyns (1861-1911), Metuchen (NJ), Scarecrow
Press, 1988, p. 104.
5. Julia Margaret Cameron à John Herschel, le 28 janvier 1866, Lettres et documents de Sir John
Herschel, Londres, The Royal Society [identifiés sous “Correspondance Herschel” dans les notes
suivantes], no 13082. On trouvera des analyses des activités commerciales de Cameron et de ses
enregistrements au dépôt légal chez Philippa WRIGHT, “Little Pictures : Julia Margaret Cameron and
Small-Format Photography”, in Julian COX et Colin FORD (dir.), Julia Margaret Cameron  : The
Complete Photographs, Los Angeles, J. Paul Getty Museum, 2005, p. 81-94 et appendices A et B.
6. Par exemple, elle insiste dans une lettre à Herschel datée du 28 janvier 1866 sur le fait qu’elle a
soulevé « des choses lourdes – des draperies – sans parler de tous les déplacements que j’ai dû
faire seule », Correspondance Herschel, op. cit., no 13082.
7. George Du Maurier est montré avec sa femme Emma en 1874, mais elle ne pose jamais seule.
Nombre d’épouses de ses modèles masculins, bien connues de Cameron, peuvent avoir refusé de
poser pour des questions de vanité, mais on peut aussi supposer qu’elles n’y sont pas conviées, ne
correspondant pas à sa conception du noble et du beau.
8. Journaux de William Rossetti, date du 20 mars 1867, collection Angeli-Dennis, bibliothèque de
l’université de Colombie britannique, collections spéciales et division des archives de l’université,
microfilmés par Precision Micrographic Services, 1995. William Rossetti a prétendu que sa sœur
ne voulait pas poser. Cameron a pu photographier Christina Rossetti en 1867, mais cette épreuve
n’a pas été identifiée et ne figure pas sur les registres des ventes publiques. Cf. Colin F ORD, “
Geniuses, Poets and Painters : The World of Julia Margaret Cameron”, in J. COX et C. FORD (dir.),
Julia Margaret Cameron : The Complete Photographs, op. cit., p. 24.
9. Julia Margaret Cameron à John Herschel, le 6 février 1870, Correspondance Herschel, op. cit., n
o14110. Elle ajoute que “sa Julia” était à Reigate avec ses cinq enfants.
10. La relation de Cameron avec sa fille évolue au fil des années et reflète son besoin de conserver
un contrôle maternel sur ses enfants et de les infantiliser. D’après Victoria Olsen, Cameron adore
sa première-née et lui écrit des lettres pleines d’affection (et de réprimandes) jusqu’à son mariage

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Épouses des hommes et épouses de l’art 18

en 1859. Comme le révèle leur lecture, Cameron a une idée très conservatrice des écarts de
convenance entre les activités physiques des garçons et celles des filles. Par exemple, elle écrit
dans une lettre d’Inde du 7 avril 1845 adressée à Julia qui vit en Angleterre avec ses frères : « Mon
trésor, tu dois te rappeler que ce n’est pas parce que tu es avec des garçons que tu dois t’agiter
comme le font ton cher Cameron et ton frère Eugène. Mon vœu le plus cher est que ton petit
cœur se réjouisse toujours et que ta vie soit toute de joie et de rires, mais tu peux rester sage
même dans les plus heureuses de tes humeurs, comme tu l’étais constamment ici dans tes jeux les
plus gais. » (Cameron Papers, Getty Research Institute, boîte 1, dossier 8). Lorsque Julia semble
désobéir à sa mère (en prolongeant par exemple en 1856 une visite chez son futur mari Charles
Norman), Cameron lui reproche son manque d’amour. Même si ce sont Julia et Charles Norman
qui lui offrent en 1863 son premier appareil photographique, les relations avec la famille Norman
semblent être froides vers la fin des années 1860. Victoria Olsen remarque que les Norman ne
sont jamais mentionnés comme invités de Freshwater, bien que dans une lettre inédite du
15 août 1869 adressée à son ami de Boston, Sam Ward, Julia Norman indique qu’elle envoie ses
enfants dans un hôtel à Freshwater pour les vacances (Ward Papers, Houghton Library, Harvard
University, bMS AM 1465, dossiers Norman). Après la mort de sa fille en 1873, Cameron avoue à
Sir William Gregory : « J’essaie de me relever et d’espérer – et la perspective du retour de mon fils
Hardinge me fait vraiment l’effet d’une aube après une longue nuit noire, car le départ de mon
Benjamin, de mon plus jeune fils, Henry Herschel Hay, m’a été plus douloureux encore que la
mort de ma fille. Cela peut paraître anormal, mais c’est naturel pour moi ; même si je chérissais
beaucoup ma fille, mon plus jeune fils est resté si proche de moi lors de mes plus rudes épreuves. 
» Lettre du 8 janvier 1874, citée dans Victoria OLSON, From Life : Julia Margaret Cameron and
Victorian Photography, New York, Palgrave Macmillan, 2003, p. 230. Sur Cameron et sa fille, voir
ibid., p. 64-67, 99-100, 104-105 et 230.
11. Le poème écrit en 1858 par Christina Rossetti, Advent [Avent], est cité sur le carton de
montage de plusieurs épreuves de The Minstrel Group, voir J. C OX et C. FORD ( dir.), Julia Margaret
Cameron : The Complete Photographs, op. cit., cat. 1099. Cependant, cette association de Mary
Ryan et des sœurs Keown a peu à voir avec le thème religieux du poème et les vers inscrits sur le
carton, « Nous chantons une douce chanson heureuse et frappons aux portes du Paradis »,
semblent être un ajout ultérieur sans lien clair avec les personnages représentés. Kate Keown,
vêtue du même costume italianisant, réapparaît dans une épreuve comprenant l’inscription
“Mignon” (ibid., cat. 985). Toutefois, Cameron connaissait les Rossetti et Christina rapporte dans
une lettre datée du 4 juin 1866 à son frère William : « Madame Cameron est passée un jour (à
Londres, bien sûr) avec un portfolio de ses magnifiques photographies dont elle a gentiment
offert cinq exemplaires à Maman, Maria et moi-même. Maria et moi lui avons rendu visite en
retour à Little Holland House où nous avons vu le gigantesque Val, M. Watts, Mme Dalrymphe et
entrevu Browning, et Madame Cameron bien entendu. On m’a conviée à Freshwater Bay et on
m’a promis que j’y verrais Tennyson si je venais ; mais le projet est dans l’ensemble incertain et je
n’ose y songer sans un pur plaisir. » Le trac de Christina a certainement empêché la séance de
pose aussi. Anthony H. HARRISSON (dir.), The Letters of Christina Rossetti, Charlottesville (VA),
University of Virginia Press, 1997, vol. 1, p. 274.
12. Cameron a inscrit sur le carton de montage d’une version de cette épreuve conservée à la
Royal Photographic Society un extrait du chapitre 9 dans lequel Eliot révèle la vanité d’Hetty et
sa superficialité : « Et chaque fois qu’Adam passait quelques semaines éloigné de la Ferme du
Manoir ou paraissait vouloir résister à son amour comme à une folie, Hetty avait soin de l’attirer
de nouveau dans ses filets, par de petits airs de douceur et de timidité, comme si elle était si
chagrine de sa négligence. Mais épouser Adam, c’était une tout autre affaire / voir Adam Bede »
George ELIOT, Adam Bede, trad. F. D’albert Durade, Paris, Julliard, 1991, p. 111.

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Épouses des hommes et épouses de l’art 19

13. On peut trouver une bonne sélection de textes traitant de la question de la femme à cette
période dans Patricia HOLLIS (dir.), Women in Public, 1850-1900, Documents of the Victorian
Women’s Movement, Londres, George Allen & Unwin, 1979.
14. Sur la vie et les activités de Smith comme militante féministe, voir Sheila R. H ERSTEIN, A Mid-
victorian Feminist, Barbara Leigh Smith Bodichon, New Haven, Yale University Press, 1985. Les
sources divergent quant au nombre de signatures recueillies par la pétition pour la loi sur la
propriété foncière des femmes mariées. Christine Bolt évoque 3 000 signataires à Londres et
26 000 dans l’ensemble du pays, Christine BOLT, The Women’s Movement in the United States and
Britain from the 1790s to the 1920s, Amherst (MA), University of Massachusets Press, 1993, p. 99.
15. Cité dans Deirdre DAVID, Intellectual Women and Victorian Patriarchy : Harriet Martineau,
Elizabeth Barrett Browning, George Eliot, Ithaca (NY), Cornell University Press, 1987, p. 178.
David expose les sentiments ambivalents de nombre de femmes écrivains vis-à-vis du
mouvement des femmes des décennies 1850 et 1860.
16. Carol A RMSTRONG, “Cupid’s Pencil of Light : Julia Margaret Cameron and the Maternalization
of Photography”, October, no 76, printemps 1996, p. 114-141. Carol MAVOR, Pleasures Taken :
Performances of Sexuality and Loss in Victorian Photographs, Durham, Duke University Press,
1995, p. 44-64.
17. C. M AVOR, Pleasures Taken : Performances of Sexuality and Loss in Victorian Photographs,
op. cit., p. 44.
18. C. ARMSTRONG, “Cupid’s Pencil of Light : Julia Margaret Cameron and the Maternalization of
Photography”, art. cit., p. 140.
19. Elle consulte Herschel dès ses débuts à propos des “accidents” qui surviennent sur ses
plaques : « de la lumière continue de pénétrer dans l’appareil, le film s’enlève de ma plaque par
certains climats, la plaque n’est pas régulièrement recouverte par la pellicule, une rayure se
reproduit sur l’une des faces de chacune des plaques de verre quand je les sors du bain, une
épreuve très bien tirée vire souvent au vert ». Lettre à Herschel, 20 mars 1864, Correspondance
Herschel, op. cit., no 12523. Dans une lettre datée du 6 février 1870, elle se plaint de la perte d’un
grand portrait de Herschel du fait d’un « réseau d’alvéoles insidieux survenu quand les
craquelures du vernis et du film sont apparues sur l’ensemble de la plaque et que les cloques se
sont formées et que toute la tête a disparu ». Elle apprend alors à retoucher les zones craquelées
au noir de fumée, Correspondance Herschel, op. cit., no 14110. Le flou résultant des longues
expositions, aggravé par le réglage des objectifs et de la chambre, est intentionnel (du moins
après ses tout premiers mois d’apprentissage du médium), mais bien d’autres anomalies
marquant ses négatifs ne le sont pas nécessairement. Dans certains cas, elle tire des épreuves à
partir de négatifs au collodion rayés, cloqués, craquelés parce que l’image est belle en soi et
impossible à dupliquer.
20. William Rossetti, pour ne citer qu’un critique systématiquement favorable, compare dans “Mr
Palgrave and Unprofessional Criticism on Art” la pratique de la critique à celle de la
photographie et remarque : « Dans l’art de la photographie comme dans celui de la critique,
exceptionnelles sont les productions qui – à l’instar des surprenantes et magnifiques
photographies picturales de Mme Cameron visibles chez Colnaghi – recréent presque un sujet, le
placent sous un éclairage nouveau et inattendu, agrandissent le beau et suppriment ou ignorent
le médiocre, et transfigurent autant le sujet que le procédé de reproduction lui-même en quelque
chose de quasi plus grand que ce que nous en connaissions. C’est le style le plus grandpour la
photographie comme pour la critique, mais il participe indubitablement d’une nature
envahissante et dévorante, telle qu’elle modifie sinon déforme les objets représentés et nous
incite à réfléchir à l’opérateur et à la façon dont il a procédé autant qu’aux objets eux-mêmes. »
William Michael ROSSETTI, Fine Art, Chiefly Contemporary, Londres, Macmillan, 1867, p. 333-334.

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Épouses des hommes et épouses de l’art 20

21. Le portrait d’Herschel intitulé “The Astronomer”[ L’astronome] conservé à la Royal


Photographic Society à Londres est inhabituel dans sa représentation du modèle recevant
l’inspiration divine des étoiles, voir J. COX et C. FORD ( dir.), Julia Margaret Cameron : The Complete
Photographs, op. cit., cat. 677. Le regard levé est également rare dans les images de femmes ; on le
remarque surtout dans la posture de Mary Hillier pour La Madonna Esaltata [La Vierge exaltée]
conservée dans l’album Overstone du J. Paul Getty Museum à Los Angeles, voir ibid., cat. 54, ou The
Nativity, voir ibid., cat. 90.
22. Pour une étude des débats sur la virilité chrétienne dans l’Angleterre victorienne, voir
Norman VANCE, The Sinews of the Spirit : The Ideal of Christian Manliness in Victorian Literature
and Religious Thought, Cambridge (RU), Cambridge University Press, 1985. Vance décrit les
réactions qu’ont suscitées les portraits du Christ peints par les membres de la confrérie
préraphaelite, notamment les protestations de Carlyle devant l’allure éthérée et papiste du Christ
de Holman Hunt dans Light of the World (1854). En revanche, les représentations d’un Christ à la
musculature excessive, comme dans Jesus Washing Peter’s Feet (1852), sont considérées comme
trop matérialistes et grossières.
23. Sur la vie de Jameson, voir Clara T HOMAS, Love and Work Enough : The Life of Anna Jameson,
Toronto, University of Toronto Press, 1967.
24. Anna JAMESON, Characteristics of Women, 2e édition, Londres, Saunders and Otley, 1833, p. 7-8.
25. Ibid., p. 16-17.
26. Ibid., p. 21.
27. A. J AMESON, “Woman’s Mission and Woman’s Position”, in Memoirs and Essays, New York,
Wiley and Putman, 1846, p. 130.
28. “Gallery of Illustrious Women”, The English Woman’s Journal, août 1858, p. 4. Un second
article consacré aux artistes italiennes paraît dans les numéros de novembre et décembre 1858.
29. Edward ROSCOE, “Ophelia”, Victoria Magazine, décembre 1871, p. 119-145.
30. C.A.L.G., “Gareth and Lynette”, Victoria Magazine, février 1873, p. 312-313.
31. John Malcolm L UDLOW, “Moral Aspects of Tennyson’s Idylls”, Macmillan’s Magazine,
novembre 1859, p. 65.
32. E. ROSCOE, “Ophelia”, art. cit., p. 67.
33. Ibid., p. 67.
34. Elizabeth LINTON, “The Girl of the Period”, Saturday Review, 14 mars 1868, p. 340. Sur l’impact
de cet essai et sur la vie de Linton, voir Elizabeth K. H ELSINGER, Robin Lauterback SHEETS et William
VEEDER,The Woman Question : Defining Voices, 1837-1883, New York, Garland Publishing, 1983,
chap. 6.
35. Florence NIGHTINGALE, Cassandra, Old Westbury (NY), Feminist Press, 1979, p. 25.
36. Carl Ray WOODRING , Victorian Samplers : William and Mary Howitt, Lawrence, University of
Kansas Press, 1952, p. 180.
37. La carrière d’Anne Thackeray Ritchie est l’objet d’un regain d’intérêt dans les études récentes
sur les femmes écrivains de l’ère victorienne. Pour une analyse approfondie de ses essais non
romanesques, voir Manuela MOURAO, “Delicate Balances : Gender and Power in Anne Thackeray
Ritchie’s Non-Fiction”, Women’s Writting, vol. 4, no 1, 1997, p. 73-91. Les seules biographies
existantes sur Ritchie sont : Henrietta GARNETT, Anny : A life of Anne Isabella Thackeray Ritchie,
Londres, Catto and Windus, 2004 et Winifred GERIN, Anne Thackeray Ritchie : A Biography,
Oxford, Oxford University Press, 1981.
38. Anne THACKERAY, Toilers and Spinsters and Other Essays, Londres, Smith, Elder and Co., 1874,
p. 24, d’abord publié dans le Cornhill Magazine en mars 1861.
39. Anne THACKERAY, “Heroines and Grandmothers”, Cornhill Magazine, mai 1865, p. 640.
40. Joanne Lukitsh attribue l’article non signé du Pall Mall Gazette à Thackeray et analyse sa
relation avec Cameron, voir Joanne LUKITSH, “The Thackeray Album : Looking at Julia Margaret

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Épouses des hommes et épouses de l’art 21

Cameron’s Gift to Her Friend Annie Thackeray”, Library Chronicle of the University of Texas at
Austin, vol. 26, no 4, 1996, p. 32-61.
41. Margaret Louisa “Daisy” Bradley publie son premier roman en 1887 et continue de mener une
carrière active au XXe siècle, voir Martha S. VOGELER, “Woods [née Bradley], Margaret Louisa
[Daisy]”, in Oxford Dictionary of National Biography, 2004. Agnes Weld a publié ses souvenirs du
cercle Tennyson : Agnes WELD, Glimpses of Tennyson and Some of His Relations and Friends, 1902,
Londres, Williams and Norgate, 1903, ainsi qu’un récit de voyage : Sacred Palmlands or, the
Journal of a Spring Tour, Londres, Longmans, Green, 1881.
42. La phrase s’inspire du titre de la première étude de l’œuvre de Cameron, voir Virginia WOOLF
et Roger FRY, Victorian Photographs of Famous Men and Fair Women by Julia Margaret Cameron,
Londres, Hogarth Press, 1926.
43. Elle a sans doute connu le poème après sa publication car son ami John Herschel lui écrit le
26 août 1853 : « Je lis pour la première fois […]La Princesse de Tennyson. Cela me donne une bien
plus haute idée de lui qu’auparavant », Cameron Papers, Getty Research Institute, boîte 1,
dossier 12.
44. Alfred TENNYSON, The Princess and Maud, Londres, Macmillan, 1908, p. 6.
45. Ibid., p. 23-23.
46. Ibid., p. 11.
47. Joseph M ILSAND, “La poésie anglaise depuis Byron, Alfred Tennyson”, La Revue des deux
mondes, t. XI, juillet 1851, p. 359-360.
48. Le ton paternaliste du poème se retrouve en conclusion, où l’auteur revient, dans le récit
cadre, à une méditation sur l’état de l’Angleterre et sur la menace d’une révolution venue de
France. Tennyson laisse entendre que la Grande-Bretagne peut échapper à l’agitation sociale
grâce aux largesses de notables éclairés, tel le père de son camarade de classe qui a ouvert son
jardin aux paysans des alentours et tente de les éduquer. La relation entre hommes et femmes est
donc paradigmatique de celle de l’élite et des “paysans-enfants”, où chaque parti bénéficie de la
collaboration.
49. Hallam TENNYSON, “Notes”, in A. TENNYSON, The Princess and Maud, op. cit., p. 268.
50. A. TENNYSON, The Princess and Maud, op. cit., p. 46 et 51 et 18.
51. H. TENNYSON, “Notes”, in A. TENNYSON, The Princess and Maud, op. cit., p. 246.
52. Comme c’est souvent le cas des citations qu’elle inscrit sur les montages, la transcription de
Cameron ne conserve pas exactement la ponctuation et l’orthographe du poème. Je donne ici le
texte tel qu’il est reproduit dans J. COX et C. FORD (dir.), Julia Margaret Cameron : The Complete
Photographs, op. cit., p. 479.
53. Il y a au moins deux variantes de cette épreuve, l’une apparaît dans l’édition miniature de
Idylls of the King and Other Poems, voir J. COX et C. FORD (dir.), Julia Margaret Cameron : The
Complete Photographs, op. cit., cat. 1183 et l’autre, une vue plus statique sans harpe africaine,
n’est pas intégrée aux volumes reliés, voir ibid., cat. 1184.
54. A. TENNYSON, The Princess and Maud, op. cit., p. 60.
55. Nous savons que Tennyson appréciait ces vers également. James Thomas Knowles note le
27 octobre 1872 qu’au cours d’une conversation, Tennyson a affirmé que Tears, Idle Tears et
Come down, O Maid étaient ses vers les plus parfaits, Cecil Y. L ANG et Edgar F. S HANNON Jr (dir.),
Tennyson Letters, Oxford, Clarendon Press, 1990, vol. 3, p. 36.
56. Dans son examen des premières critiques du poème avant et après les changements des
années 1850, Edgar F. Shannon Jr remarque qu’elles sont plutôt favorables au début, contre l’avis
de Lounsbury qui prétend que le poème n’a pas été compris. Quelques critiques reprochent à
Tennyson le mélange maladroit entre passé et présent, idéal et réalité et voient dans ce poème
une pure satire. Shannon passe en revue les réponses de Tennyson aux critiques ainsi que ses

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Épouses des hommes et épouses de l’art 22

modifications visant à éclaircir son point de vue moral, E. F. S HANNON Jr, Tennyson and the
Reviewers, Cambridge, Harvard University Press, 1952, p. 97-139.
57. Jowett collabore aux réformes des cursus à Oxford entre 1847 et 1850 et à leur ouverture aux
sciences et aux sciences sociales. Sur la vie de Jowett, voir les souvenirs de l’un de ses premiers
étudiants, Lionel A. TOLLEMACHE, Benjamin Jowett : Master of Balliol, Londres, Edward Arnold,
1895.
58. Jowett à Nightingale, le 11 mai 1861, in Vincent Q UINN et John P REST (dir.), Dear Miss
Nightingale – A Selection of Benjamin Jowett’s Letters to Florence Nightingale 1860-1893, Oxford,
Clarendon Press, 1987, p. 6-7.
59. Jowett à Nightingale, avril 1868, ibid., p. 141.
60. Jowett à Nightingale, le 25 mai 1868, ibid., p. 145.
61. Evelyn ABBOTT et Lewis CAMPBELL (dir.), Life and Letters of Benjamin Jowett, M.A., Master of
Balliol College, Oxford, Londres, John Murray, 1897, vol. 2, p. 158.
62. Ibid., p. 159.
63. Dans un article publié en 1849, Taylor conseille les hommes dans le choix de leur épouse et se
prononce en faveur de la prise en compte pragmatique des intérêts financiers, du rejet de
décisions à court termes prises sur des critères physiques ou résultant de passions éphémères et
exprime son inquiétude à l’égard des aptitudes fanstasques et spirituelles des femmes, Henry T
AYLOR, “Of Choice in Marriage”, Notes from Life, reproduit dans The Works of Sir Henry Taylor,
Londres, C. Kegan & Paul, 1878, vol. 4, p. 73. Le lien de Taylor avec Mill ainsi que ses critiques
antérieures du texte On Representative Government apparaissent dans une lettre adressée à Mill
le 28 mai 1861, ibid., vol. 5, p. 305-314. Certains arguments et démonstrations présents dans
l’essai de Taylor sur les femmes publié en 1870 sont déjà là (dont l’allusion au contentement des
Allemands à l’égard de leurs propres inégalités entre les classes sociales), bien qu’ils soient
rassemblés ici pour soutenir l’extension progressive du droit de vote et l’autonomie des colonies.
Comme l’admet Taylor, « je suis moins disposé que vous à être mécontent du contentement
comme finalité, moins enclin à me contenter du mécontentement comme moyen », ibid., vol. 5,
p. 309.
64. Taylor critique la rigidité, le dogmatisme et l’abstraction froide de Mill dans les chapitres de
son autobiographie relatant les années 1820. Cf. H. TAYLOR, Autobiography of Henry Taylor,
1800-1873, Londres, Longmans, Green and Co., 1885, vol. 1, p. 78-80.
65. H. T AYLOR, “Mr. Mill on the Subjection of Women”, Fraser’s Magazine, février 1870, p. 147.
Manifestement, si tous étaient “les plus aptes” il n’y aurait pas d’évolution des espèces.
66. Ibid., p. 149.
67. Ibid., p. 162.
68. Ibid., p. 164.
69. Jeff Rosen a montré comment les photographies que Cameron prend d’Eyre et d’autres
membres et partisans du comité de défense d’Eyre (Carlyle, Taylor, Tennyson, Thoby et Val
Prinsep), de même que ses études de réfugiés et explorateurs abyssiniens, reflètent son
assimilation d’une vision du monde colonialiste autant que les angoisses inhérentes à cette
vision. Les incohérences percent entre la charité chrétienne ou personnelle pour les populations
pauvres et opprimées, et le soutien national pour les politiques tendant à nier l’autonomie de ces
mêmes peuples. Jeff ROSEN, “Cameron’s Photographic Double Takes”, in Julie F. CODELL et Dianne
SACHKO M ACLEOD (dir.), Orientalism Transposed : The Impact of the Colonies on British Culture,
Londres, Ashgate, 1898, p. 158-186.
70. Lettre du 20 novembre 1876, Cameron Papers, Getty Research Institute, boîte 1, dossier 10.
71. A. JAMESON, Legends of the Madonna as represented in the Fine Arts, forming the Third Series
of Sacred and Legendary Art, Londres, Longman, Brown, Green & Longmans, 1852.

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Épouses des hommes et épouses de l’art 23

72. Pour certains auteurs des années 1860, le mariage symbiotique, où chaque partenaire coopère
selon sa force, incarne le modèle de la société idéale. Voir par exemple Sheldon A MOS, Difference
of Sex as a Topic of Jurisprudence and Legislation, Londres, Spottiswoode and Co., 1870.
73. Lettre du 28 janvier 1866, Correspondance Herschel, op. cit., n o 13082.
74. Lettre du 18 février 1866, ibid., no 13092.
75. Lettre du 20 avril 1866, ibid., no 13411.
76. Nous n’avons pas abordé dans cet article les débats théologiques sur la nature du Christ et de
Marie (et donc sur les rôles des hommes et des femmes), mais ils forment un contexte
supplémentaire au travail de Cameron. Tout en encourageant la substitution de l’héroïsme
chrétien à celui des anciens Grecs, Charles Kingsley n’en est pas moins conscient des dangers de
l’effémination qu’engendrent l’adoration et la représentation d’un Christ docile. Ruskin a aussi
traité de la problématique de la figuration du Christ comme de la description plus satisfaisante de
la Vierge et des anges dans Modern Painters. Pour une analyse pertinente de ce sujet – que l’on
pourrait avec intérêt appliquer à l’iconographie religieuse de Cameron –, voir Sue Z EMKA,
Victorian Testaments : The Bible, Christology, and Literary Authority in Early-Nineteenth-
Century British Culture, Stanford, Stanford University Press, 1997 (le chapitre 3, en particulier).

RÉSUMÉS
Dans les années 1860, la question d’un statut social et légal approprié aux femmes est vivement
débattue au Parlement et discutée dans les pages de la presse populaire. En aplanissant dans ses
portraits les différences physiques et affectives entre hommes et femmes, Julia Margaret
Cameron livre une vision modérée des rôles de chaque sexe correspondant aux positions de ses
amis Annie Thackeray, Alfred Tennyson, Henry Taylor et Benjamin Jowett. Partisans de
l’éducation des femmes sans pour autant encourager le suffrage féminin, les membres du cercle
de Cameron renvoient par leurs choix à la conclusion du poème de Tennyson The Princess,
dans laquelle un couple idéal fonctionne de façon symbiotique. La conception qu’a Cameron de
son travail comme photographe professionnelle s’accorde aussi avec des positions développées
dans les pages de nouveaux magazines “féministes” dont le English Woman’s Journal qui
incite les jeunes filles à s’engager dans des œuvres sociales utiles et à imiter les héroïnes du passé
qui ont amélioré l’état du monde extérieur autant que celui de leurs sphères domestiques.

During the 1860s, the question of the appropriate legal and social status of women was hotly
debated in parliament and argued on the pages of the popular press. Julia Margaret Cameron, by
flattening out the physical and affective differences between men and women in her portraits,
reflects a moderate view of the roles of both sexes that is consistent with the positions of her
friends Annie Thackeray, Alfred Tennyson, Henry Taylor, and Benjamin Jowett. Advocating
education for women but stopping short of supporting female suffrage, members of Cameron’s
circle echoed Tennyson’s conclusion in The Princess, in which an ideal couple functioned
symbiotically. Cameron’s conception of her work as a photographer also was consistent with
positions elaborated on the pages of new ‘feminist’ magazines such as The English Woman’s
Journal, which encouraged girls to engage in useful social work and emulate heroic women of
the past who improved the condition of the outside world as well as their domestic spheres.

Études photographiques, 28 | novembre 2011


Épouses des hommes et épouses de l’art 24

AUTEURS
ANNE MCCAULEY
Anne McCauley occupe la chaire David H. McAlpin de professeur d’histoire de la photographie et
d’art moderne au département d’art et d’archéologie de l’université de Princeton. Elle a
beaucoup écrit sur la photographie du XIXe siècle et du début du XXe siècle, ainsi que sur le
mécénat et les collections d’art américain de la première partie du XXe siècle. Sa dernière
publication “Fawning Over Marbles : Robert and Gerardine Macpherson’s Vatican Sculptures and
the Role of Photographs in the Reception of the Antique”, est parue dans l’ouvrage Art and the
Early Photographic Album dirigé par Stephen Bann (New Haven, Yale University Press, 2011). Elle
écrit actuellement un livre sur la photographie moderniste américaine et la Première Guerre
mondiale. ANNE MCCAULEY is the David H. McAlpin Professor of the History of Photography and
Modern Art in the Department of Art and Archaeology at Princeton University. She has written
widely on nineteenth- and early twentieth-century photography, as well as early twentieth-
century American art collecting and patronage. Her most recent publication is ‘Fawning Over
Marbles: Robert and Gerardine Macpherson’s Vatican Sculptures and the Role of Photographs
in the Reception of the Antique,’ in Art and the Early Photographic Album, ed. Stephen
Bann(Yale University Press, 2011). She is currently writing a book on American modernist
photography and World War I.

Études photographiques, 28 | novembre 2011

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