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Revue Philosophique de Louvain

Par une blessure engendré... Introduction à la notion d'appel chez


Jean-Louis Chrétien
Benoît Thirion

Abstract
The aim of this article is to present Jean-Louis Chretien's conception of "subject". His description of the constitution of the
"subject" has its origin in the notion of call. For him, the "subject" appears like an identity which is formed by the other's call. It is
a call that is carried by the word which produces a wound in the ego, where the self is formatted in itself. (Transl. by J. Dudley).

Résumé
L'objectif de cet article est de présenter la conception du «sujet» proposée par Jean-Louis Chrétien. La description de la
constitution du «sujet» telle que Chrétien la formule prend ses racines dans l'élucidation de la notion d'appel. Pour l'auteur, le
«sujet» apparaît comme une identité qui est forgée par l'appel de l'autre. C'est à un appel, médiatisé par la parole, qu'il revient
de provoquer dans le «moi» une blessure, lieu de la formation du «soi» en tant que tel.

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Thirion Benoît. Par une blessure engendré... Introduction à la notion d'appel chez Jean-Louis Chrétien. In: Revue
Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 100, n°4, 2002. pp. 742-761 ;

https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_2002_num_100_4_7450

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Par une blessure engendré...
Introduction à la notion d'appel chez Jean-Louis Chrétien*

Ouverture

Dans* la pensée phénoménologique française, la question de l'appel


se situe au cœur d'une réflexion sur le sens de la donation, entendue
comme constituant le «sujet». Si l'entreprise d'un Jean-Luc Marion1
consiste à dégager la figure du sujet comme adonné, qui succède au sujet
moderne, à Y ego transcendantal husserlien et au Dasein heideggerien,
celle de Jean-Louis Chrétien, tout en s'y apparentant sur le fond, s'en
détache sur le plan formel. Cet auteur nous offre en effet à penser la
subjectivité en des termes souvent moins académiques que son collègue
parisien. Utilisant une langue admirable, qui n'économise pas le recours
régulier à des formules poétiques et à un style dont Heidegger avait le secret,
c'est à une véritable fête du langage que Chrétien nous convie. C'est sans
doute pour une part ce qui explique une certaine réserve actuelle à son
égard. En outre, la collocation par Chrétien de registres divers n'a pas
manqué d'éveiller les soupçons de certains, tel Dominique Janicaud, dans
son célèbre pamphlet Le tournant théologique de la phénoménologie
française2.
Afin de présenter la pensée de Chrétien, notre article propose de
commencer par scruter la question de l'appel chez cet auteur. Il est

* Cet article reprend, tout en les prolongeant dans une direction particulière, des
réflexions déjà esquissées dans la seconde partie de notre ouvrage intitulé L 'appel dans la
pensée de Jean-Louis Chrétien. Contexte et introduction, Paris, L'Harmattan (coll.
L'Ouverture Philosophique), 2002. Ces réflexions se veulent avant tout descriptives ou
«monstratives» avant de se présenter comme «critiques».
1 Cf. le diptyque de J.-L. Marion, Réduction et donation. Recherches sur Husserl,
Heidegger et la phénoménologie, Paris, P.U.F. (coll. «Epiméthée»), 1989, et Etant donné.
Essai d'une phénoménologie de la donation, Paris, P.U.F. (coll. «Epiméthée»), 19982.
Marion parle d'adonné pour désigner ce qui succède au «sujet».
2 Combas, Ed. de L'Eclat (coll. «Tiré à part»), 1991. Voir en particulier les pp. 20
et 51-54. Nous nous permettons d'insister sur la prudence avec laquelle Janicaud s'avance
dans la critique allusive qu'il adresse à Chrétien. Il ne faut pas y voir d'abord une
entreprise animée par un souci de déconstruction, mais bien par une volonté de clarification
méthodologique.
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phenomenologiquement pertinent, selon lui, de commencer par porter son


attention à la phénoménalité de l'appel afin de dégager la figure d'un
«sujet» constitué par le don3. D'emblée, nous pouvons affirmer que le
«sujet» que nous entrevoyons chez Jean-Louis Chrétien est foncièrement
marqué par l'altérité qui le constitue et à laquelle il consent. C'est en
donnant sa parole à l'autre que le «sujet» accède à sa requête. Si le
«sujet» est altéré par l'autre, c'est dans l'espace de sa parole, portée par
une voix — ce qui scelle son caractère corporel. Ce «sujet» est capable
d'une histoire dans la mesure où la parole qu'il profère traduit toujours
son origine, l'appel qui le convoque. La traduction n'est jamais adéquate;
c'est un temps ouvert à l'avenir qu'elle offre au «sujet». Le «sujet» n'est
véritablement tel que parce que l'autre qui l'appelle l'engendre au don,
lieu véritable de la reconnaissance de l'autre. En se donnant, le «sujet»
ne fait pas qu'un acte d'abandon. A travers le don qu'il fait de lui-même,
il donne ce qu'il a reçu, ne le recevant que par ce don. De surcroît, c'est
par le don que le «sujet» accède à la véritable ipséité. Il n'est un «soi-
même» qu'à être pro-existant, qu'à exister pour un autre, qui est la source
première et immémoriale de son être.
Pour parvenir à ce résultat, il faut commencer par décrire l'appel,
selon la voie proposée par Jean-Louis Chrétien. Elle revient à
s'interroger successivement et logiquement (1) sur la première manifestation
phénoménale de l'appel, (2) sur le fait que l'appel engendre ce qu'il appelle,
(3) sur le rôle de la parole «médiatrice» dans la communication et la
réception de l'appel.

1. Première apparition du sujet: la rencontre du beau

Selon Chrétien, la rencontre que l'homme fait du monde est placée


sous le signe de l'excès, du débordement et de la «transgression du soi
sur lui-même»4, ardeur qui est tout autant emplie d'un «tremblement
d'incertitude». Le beau est l'excès originaire qui affecte l'homme dans
sa rencontre du monde, de sorte que l'homme se tient debout mais

3 Cf. S. Bongiovanni, Identité et donation. L'événement du «je», Paris-Montréal,


L'Harmattan (coll. «La philosophie en commun»), 1999, p. 25.
4 J.-L. Chrétien, «Retrospection», in L'inoubliable et l'inespéré, Paris, Desclée de
Brouwer (coll. «Philosophie»), 20002, p. 170 (nous citons ce chapitre «Retrospection» et
le reste de l'ouvrage I.I.).
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tremblant face à lui. Le rapport au beau est «comme un existential,


comme une dimension essentielle de l'existence humaine»5.

1.1. L'origine du mot «beau»


Le beau lance le premier appel. Il est en son fond vocatif: de lui-
même il s'adresse directement à quelqu'un. En quoi peut-on poser cette
affirmation? Le point de départ de Chrétien est une méditation sur
l'origine du mot grec kalon (beau)6. A partir d'une réflexion sur Platon,
l'auteur établit un lien entre les choses belles {ta kala) et l'appel (kalein).
Dans le Cratyle, Platon recherche «l'origine des paroles»7. Les
pensées humaine et divine ont appelé les différentes choses par leurs noms.
Selon Platon8, «ce que fait to kaloun, ce qui appelle, ce sont ta kala, des
beautés. Il est donc juste de dire la pensée belle, en tant que d'elle, et de
son œuvre, la beauté tire son nom. Le mot "beau" n'est pas premier,
mais il répond et correspond au premier appel, celui de la pensée conçue
comme puissance de l'appel et de la nomination. [...] L'origine du mot
"beau", kalon, ne constitue pas une étymologie parmi d'autres, elle est
l'origine même du langage. [...] Beau, kalon, est ce qui vient d'un appel,
kalein, qui en lui continue d'appeler»9.
L'appel a deux sens fondamentaux: d'une part, il signifie «lancer un
appel, héler, interpeller», d'autre part il consiste à «donner un nom,
nommer»10. Ces deux sens peuvent fusionner11. Initialement, le platonisme
entendait l'appel au second sens. La tradition néoplatonicienne ultérieure
reprendra, pour sa part, le premier sens. «Du même fait, le caractère exact

5 «Retrospection», pp. 172-173.


6 Cf. J.-L. Chrétien, L'appel et la réponse, Paris, Minuit (coll. «Philosophie»),
1992, p. 16 (nous citons A.R.). J. de Gramont laisse pour sa part «en suspens la thèse de
l'auteur [...] selon laquelle le beau est l'appel par excellence», L'entrée en philosophie.
Les premiers mots, Paris, L'Harmattan (coll. «L'Ouverture philosophique»), 1999, p. 67,
note 123. Nous ne partageons pas entièrement ce point de vue.
7 A.R., p. 16.
8 Cf. Platon, Cratyle, 416 c-d, pp. 99-100, in Œuvres complètes. Tome V. 2e
partie. Cratyle (éd. et trad. L. Méridier), Paris, Les Belles Lettres («Collection des Universités
de France»), 1968.
9 A.R., p. 17.
10 A.R., p. 17.
11 A.R., pp. 17-18. P. Claudel (cf. Art poétique, in Œuvre poétique, Paris, Gallimard
(coll. «Bibliothèque de la Pléiade»), 1967, p. 178) et M. Heidegger (cf. Acheminement vers
la parole (trad. J. Beaufret, W. Brokmeier, F. Fédier), Paris, Gallimard (coll. «Tel», n. 55),
1976, pp. 21-24 — Gesamtausgabe. I. Abteilung verôffentlichte Schriften 1910-1976. Band
XII. Unterwegs zur Sprache, Francfort, Klostermann, 1985, pp. 16-19) sont évoqués comme
représentants de cette tendance à rassembler les deux sens de l'appel.
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ou inexact de cette étymologie au regard de la philologie perd tout poids.


La dérivation verbale ne fait que renvoyer à une corrélation éidétique, à
un rapport de fondation, lequel se dit en elle sans pour autant en
dépendre»12. L' étymologie ne prend son sens que dans la mesure où l'on
est attentif à l'entrelacs essentiel du fondement et du fondé. Elle est un
index vers une relation plus essentielle que celle de différents mots entre
eux. Chrétien affirme qu'«en donnant son nom à la beauté, l'appel
désigne ce qui lui est essentiel, la nature même de sa manifestation.
Penser la beauté depuis l'appel implique que l'adresse par elle à nous
lancée ne forme pas un trait contingent, qui se surajouterait à son essence,
mais la définisse en elle-même. Son en soi est d'être pour l'autre, afin
de le recueillir. Est beau ce qui appelle en se manifestant et se manifeste
en appelant. Que le beau par lui-même nous attire, nous mette en
mouvement vers lui, nous émeuve, vienne nous chercher là où nous sommes
afin que nous le recherchions, tel est son appel et notre vocation»13.
Le beau est foncièrement vocatif. Il nous convoque, nous attire vers lui.
Sa manifestation est l'appel qu'il nous lance. Chrétien considère
d'emblée le beau comme communicatif : il se répand et se donne de lui-même.
Mais cet appel, cette communication, cette diastole14, sans être pure
libéralité ni pur épanchement sans retour, est ce qui au contraire, à même
le mouvement de manifestation de la beauté, renferme la possibilité d'un
retour. Comment décrire phénoménologiquement ce mouvement de
manifestation du beau?
Chrétien s'est efforcé de décrire «comme de façon nue, l'événement
où la beauté nous atteint et suscite notre irréparable réponse, sans laquelle
elle n'aurait pas sa résonance, ni son avenir»15. L'examen de cette
question va nous livrer les éléments phénoménologiques décisifs pour
comprendre, en une première approche comment le soi est tout d'abord généré
par une altérité qui s'adresse à lui.

1.2. La rencontre du beau. Un prototype de la rencontre de l'autre


A la beauté appartient «qu'elle se manifeste et se donne à voir elle-
même, loin d'être seulement manifestée ou offerte par une puissance et

12 A.R., p. 18.
13 A.R., p. 19. Nous soulignons.
14 Cf. A.R., p. 19.
15 J.-L. Chrétien, L'arche de la parole, Paris, P.U.F. (coll. «Epiméthée»), 1998,
19992, p. 106 (cité désormais A.P.).
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dans un espace qui ne seraient pas siens»16. Chrétien saisit la beauté dans
sa phénoménalité propre, sans en faire un index vers un ailleurs quel qu'il
soit (l'idée, Dieu, la lumière). Sans cela, on en viendrait à identifier la
beauté «à l'idée, à Dieu, à la lumière ou au vrai, expressément ou
implicitement»17 et à outrepasser sa consistance phénoménale. La beauté
génère l'espace de son propre dévoilement et de sa propre
manifestation18. Il en va de même du temps de sa manifestation19. L'homme ne lui
donne pas son rythme mais il le reçoit d'elle20. Le «sujet» n'est pas
d'emblée le centre donateur et pourvoyeur du sens du beau. Il est insuffisant
de ne mettre en avant que notre être dans la rencontre du beau. Cela en
supprimerait «ce qu'il a d'insoutenable et d'effroyable»21. Il faut éviter
l'erreur de jugement consistant à faire descendre le beau, de sa
transcendance, dans l'immanence de nos facultés22. Par contre, le décentrement
en faveur de l'être du beau «déchiffre dans l'effroi que suscite le beau la
réponse qui marque l'inadéquation de toute réponse»23. L'activité du
«sujet» ne peut répondre de façon plénière à la manifestation du beau.
L'effroi est la mesure inadéquate qui lui répond.
Le beau lui-même possibilise sa reconnaissance par le «sujet»24.
L'altérité qu'est la beauté inclut, au creux de son être, la condition à
laquelle le «sujet» la reconnaît et la rencontre. Dans un premier temps,
nous dirons que, sans un consentement à la blessure25 provoquée par
l'autre, ce qui est initialement «moi» le demeure et ne peut se conquérir
comme authentique soi-même26. La plénitude de l'autre demeure la sienne
et non celle du «sujet».
Toutefois, cela ne doit pas faire oublier que dans la véritable
rencontre de l'autre, deux mouvements sont en jeu: celui par lequel

16 L'effroi du beau, Paris, Cerf (coll. «La nuit surveillée»), 1987, p. 26 (nous
citerons cet ouvrage E.B., d'après la réédition inchangée publiée en 1997). Cf. A.P., p. 108.
17 E.B., p. 26. Cf. A.P., p. 109.
18 Cf. A.P., p. 108: «L'apparition du beau ne prend pas place, elle donne lieu».
19 E.B., p. 27: «[...] son apparition a lieu dans un kaïros, dans un instant de faveur
et d'appropriation».
20 Cf. E.B., p. 27.
21 E.B., p. 27.
22 Cf. E.B., p. 28.
23 E.B., p. 28.
24 Cf. A.R., p. 21.
25 Cf. E.B., p. 32.
26 Les derniers mots font librement référence à M. Heidegger, Ce qui fait l 'être-
essentiel d'un fondement ou «raison» (trad. H. Corbin), in Questions I et //, Paris,
Gallimard (coll. «Tel», n. 156), 1968, p. 158.
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«je m'avance par lui prévenu et précédé» mais aussi celui où je suis
«prévenu par moi-même, par tout ce qui de moi s'est offert et ouvert
avant toute initiative, par la nudité délibérée de mon propre visage»27.
Dans la rencontre de l'autre, il y a un don de soi, un abandon et une
générosité qui précèdent toute initiative. Ce qui rend ce don possible, c'est la
proximité de l'autre qui m'altère d'une façon neuve, inédite par rapport
à la situation dans laquelle il ne venait pas à moi28. Certes, le moi demeure
voulant et décidant de lui-même. Mais dès que l'autre s'approche, il le
force à revoir cette volonté et cette décision. L'irruption de l'autre fait que
jamais le moi ne peut se rejoindre tel que le veut son vouloir initial29.
Loin de n'être que le lieu de passage d'un don qui disposerait du moi pour
se répandre, le moi initialement blessé est le site dans lequel le don se
donne, donnant le moi à lui-même, l'appelant à donner ce don à son tour.
L'autre engendre un «moi» donnant, ce qui est le trait propre de sa
plénitude30.
La prise au sérieux de l'altérité de l'autre brise la conception d'un
sujet qui se donnerait à lui-même son autonomie31. Deux attitudes
semblent envisageables face à l'autre: le moi veut soit s'en emparer pour le
posséder, soit «l'accueillir en le laissant être et déployer jusqu'en nous
ce qu'il est»32. Si la rencontre de l'autre ne laisse pas le moi indemne, il
faut tout au moins réserver à ce moi la possibilité d'une libre adhésion à
l'autre. Le refus reste envisageable, sans pour autant que la
non-reconnaissance de l'autre le soit. L'altérité n'est véritablement constituante que
dans la mesure où elle est consentie. Chrétien n'envisage qu'allusivement
le cas du refus de la place de l'autre dans la constitution du «sujet».
Pas plus, il n'approche clairement la structure du «moi» préalable à
l'irruption de l'autre. Cette dernière question ne semble pas devoir se
poser car l'autre est depuis toujours ce qui apparaît comme constituant et
excédant le moi33.

27 E.B., p. 24.
28 Cf. E.B., p. 22.
29 Dans l'ordre de la présentation, on peut sans doute y voir un lointain écho
«inversé» de la relation blondélienne «d'inadéquation» entre volonté voulante et volonté
voulue. Toutefois, à la suite de Blondel, Chrétien propose de penser un sujet «brisé» et
blessé par l'autre.
30 Cf. E.B., p. 23.
31 L'autonomie est dès lors toujours reçue, pour un auteur comme Chrétien.
32 E.B., p. 29.
33 II faut nuancer et penser que cette question ne peut être résolue par la
philosophie seule. L'appel au récit mythique serait dans ce cadre déterminant. Cf. notamment I.I.,
pp. 17-23, 34 et 39-46.
748 Benoît Thirion

L'autre appelle une réponse de la part du moi. Mais ce que son appel
donne à entendre n'est entendu que dans l'acte par lequel nous lui
répondons en nous offrant à lui. Cette offrande n'est pas un dû, mais un don,
une «faveur» que nous recevons et qui nous change. Dans la proximité
de l'autre, nous découvrons notre propre insuffisance et l'effondrement
de notre autarcie. «La plénitude du proche ne vient pas me combler,
combler un vide qui eût d'avance été en moi, et à son exacte mesure, mais
ouvrir un vide qui n'était pas, et me blesser d'une blessure que par moi-
même je ne pourrai ni fuir ni guérir»34. Le moi ne renferme pas
d'emblée et par lui-même un vide, un creux, ou un néant que l'autre aurait à
combler35. C'est l'autre qui creuse cet espace et y prend la place que le
moi altéré lui donne. Le «moi initial» n'est pas un sujet «habité» d'une
négativité par laquelle il serait ouvert à l'autre par lui-même. Dès lors, le
moi n'est jamais vraiment simplement moi mais est toujours déjà un soi.
Toujours déjà, en effet, l'autre creuse en moi le lieu de sa manifestation
et de son apparition, toujours déjà, le moi répond à l'autre qui l'appelle,
sans jamais pouvoir se refermer sur lui-même. Le moi répond de façon
immémoriale, défaillante et inadéquate à l'appel de l'autre. Ce qui est
reçu, ce qui se donne dans l'expérience de la rencontre creuse l'intention
du moi et lui demande de s'y conformer. C'est à la chose même que
l'intention doit se mesurer et non l'inverse. L'autre n'a pas à être soumis
aux catégories du moi.

1.3. L'originarité de l'appel et sa destination


L'appel de la beauté est originaire. La rencontre du beau, son
événement consiste en ce que «dans le visible retentisse un appel de
l'origine, appelant à l'origine. Cet événement forme la singulière
condescendance de l'origine, tournée d'emblée vers nous et nous convoquant»36.
Dès lors qu'est en cause le fait que l'appel fasse droit à une
revendication de l'origine, viole-t-on le principe selon lequel le beau n'est pas
«l'instrument» d'un principe supérieur (l'idée, la lumière, Dieu)? Selon
la conception platonicienne, l'appel est soumis à la loi de la
réminiscence37. Proclus affirme: «Puisque la beauté convertit toutes choses vers

34 E.B., p. 24.
35 Nous nuancerons et éclaircirons cela au point 2, infra.
36 A.R., pp. 19-20.
37 Chrétien a exposé cette théorie, aux côtés d'autres pensées, dans un chapitre
intitulé «L'immémorial et la réminiscence», in I.I., pp. 15-64.
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elle-même, les met en mouvement, fait qu'elles soient possédées du divin,


et les rappelle à elle par l'intermédiaire de l'amour, elle est ce qui
suscite l'amour»38. L'appel originaire, l'appel de ce qui est premier à
retourner vers ce qui est premier, est conçu comme un rappel. Le récit mythique
nous apprend que l'âme incarnée doit se ressouvenir de la beauté
intelligible qu'elle «a toujours déjà vue dans un passé absolu, et oubliée dans
sa vie terrestre»39. Le rappel du beau diffère toutefois de son premier
appel, lancé quand nous le contemplions face à face. Il est un appel qui
se rappelle lui-même à nous en nous appelant à nous-mêmes40. Mais se
retrouver soi-même n'est possible qu'en retrouvant le beau. Seul l'amour
du beau donne à notre être sa consistance propre, et seul l'amour peut
nous permettre d'en revenir au beau. En suscitant l'amour, la beauté
enclenche un mouvement de retrouvailles avec soi-même par le moyen
de retrouvailles avec elle. Elle nous convie à sa manifestation pour que
nous devenions nous-mêmes.
L'amour ne répond à l'appel de la beauté qu'à se dire dans la
résonance de la voix. Le sujet naît à la parole dans la mesure de
l'interpellation que lui lance la beauté. Cette interpellation est pensée dans le registre
de la parole. Mais, «pour que cette voix visible soit vraiment une voix
qui nous parle, pour que dialogue il y ait, il faut toutefois que ce vis-à-
vis du regard et des choses se brise, et se brisant, renvoie au-delà de lui-
même, il faut que le souffle de cet échange lui vienne de l'invisible, et
que rien des choses ni de nous n'y suffise»41. La rencontre des choses
belles est le lieu d'une réciprocité, où nous ne sommes pas seuls face à
elles. Elles ouvrent un espace d'échange et de dialogue seul possibilisé

38 Proclus, Théologie platonicienne. Livre I (éd. et trad. H. D. Saffrey, L. Westerink),


Paris, Les Belles Lettres («Collection des Universités de France»), 1968, 1, 24, p. 108. Cité
dans A.R., p. 20. Voir aussi l'expression de Chrétien selon laquelle l'événement du beau
«non seulement met en jeu toutes les dimensions de l'homme, mais le requiert tout entier,
et le rappelle à soi en le rappelant à l'au-delà de soi», E.B., p. 70.
39 A.R., p. 20. Cf. aussi I.I., pp. 46-47. L'insistance y est placée sur le rappel à soi,
par une attention à Yéros. Remarquons que Chrétien insiste, dans le chapitre dont ces
pages sont extraites, sur l'articulation entre le récit mythique et la réflexion philosophique
dans la description de la mémoire.
40 Cf. A.R., p. 20. Pour M. Heidegger, l'appel de la conscience appelle
pareil ement à soi-même. Cf. Être et temps (trad. E. Martineau), Paris, Authentica, 1985, §56,
pp. 272-274. Les indications de pages correspondent à celles de l'édition allemande de
1976, reprises en marge du texte de Gesamtausgabe. I. Abteilung: verôffentlichte Schriften
1914-1970. Band H. Sein und Zeit, Francfort, Kiostermann, 1977, et en marge de la
traduction d'E. Martineau.
41 A.R., p. 49.
750 Benoît Thirion

par «l'invisible». La rencontre du monde ne se fait pas à la seule


condition d'être soi-même placé face au monde ou en son sein, mais exige
essentiellement un excès dont provient sa source, qui est son avenir
même.
Le beau, dans l'effroi de sa manifestation, génère une réponse
amoureuse de la part du «sujet». L'amour permet au moi d'actualiser sa
relation à l'être et de s'accomplir lui-même42. Le beau jette son dévolu sur
le moi par l'amour qu'il suscite en lui. L'amour devient l'organe par
lequel le «sujet» a accès à la connaissance de l'être et des idées.
«L'amour naît de la force même avec laquelle le beau se manifeste, et
devient pour nous non seulement l'idée la plus directement accessible,
mais l'idéalité même des idées, la lumière en qui nous avons accès aux
idées et à l'Être. Saisie du plus lumineux par ce qui en nous lui répond,
l'amour est par sa nature même puissance de discernement et acte de
lucidité. En se tournant vers la lumière, lui-même devient lumineux»43.
La beauté ou l'altérité est considérée comme génératrice de l'amour qui
est la condition selon laquelle s'effectue la connaissance du «sujet».
Ce dernier est dès lors engendré dans son moment épistémique par
l'altérité qui le constitue et à laquelle il consent. L'amour du «sujet» n'est
pas un désir d'identification à un objet, mais un accueil et un
consentement fait à un don personnel à l'infini. «L'amour va-t-il vers l'aimé pour
se confondre avec lui, ou va-t-il vers l'amour pour l'accueillir et le
donner sans fin? [. . .] L'alternative n'est brisée que si l'au-delà de la personne
est lui-même personnel à l'infini, que si la lumière dans laquelle apparaît
la personne est celle-là même de l'amour qui la fait être elle-même à
jamais, que si l'amour lui-même est une personne»44. Cette conception
suggère la prise en compte critique d'un appel venu de la hauteur d'une
transcendance et de ses conséquences pour le «sujet».

2. Deuxième apparition: l'appel crée le «sujet»

En contexte chrétien, contrairement au platonisme, l'appel est


considéré comme créateur de ce qui répond, ce qui en modifie radicalement la

42 Cf. E.B., p. 52.


43 E.B., p. 53.
44 J.-L. Chrétien, La voix nue. Phénoménologie de la promesse, Paris, Minuit (coll.
<Philosophie»), 1990, p. 344 (nous citons V.N.).
Par une blessure engendré. .. 75 1

portée45. Le caractère vocatif de la beauté se dit ici de Dieu lui-même.


L'appel de Dieu est un appel créateur qui constitue tout étant46. L'étant
est appelé à faire retour vers son origine en lui répondant par son être.
«Moi-même», c'est-à-dire en tant que «sujet», suis par mon être tout
entier la première réponse à cet appel de Dieu. Si le «moi» ne peut
répondre de cette première réponse, s'il n'en est ni responsable ni
irresponsable, elle forme la matrice qui rend toutes ses réponses concrètes
possibles. L'appel divin, comme l'appel du beau, ménage par lui-même
les conditions de possibilité de sa réception. Mais jamais la réception,
qui est réponse à l'appel, ne peut être dite adéquate. Il y a toujours un
retard de la réponse sur l'appel47. Où cet appel atteint-il le «sujet» et
selon quelle modalité?
L'appel venu de la hauteur du divin appelle ce qui n'est pas48,
le néant. Soit l'appel de Dieu est un appel créateur radical, et le néant qu'il
appelle à être et à l'être est radical, soit il est destiné au «sujet» en tant
qu'il est déjà constitué. C'est en tant que ce qui est constitué n'est pas que
l'appel l'aborde: «[...] l'appel ne fait pas appel à une possibilité préalable
en nous de l'écouter, comme si c'était nous qui appelions l'appel.
Il apporte avec lui sa propre possibilité, c'est-à-dire celui qui écoute.
Le rien seul en nous vient à l'appel»49. L'appel est ce qui constitue le
«sujet»50: c'est dans l'appel que se situent les conditions de son
advenue et de sa reconnaissance. A ce stade, il n'y a pas de «sujet»
proprement dit qui soit constitué avant que d'entendre l'appel. C'est l'appel qui
ouvre l'espace de sa manifestation et qui génère ce qui peut l'entendre.
L'appel n'est toutefois rendu effectif que dans la première réponse
hésitante qui lui est adressée. Le néant qualifie cette incommensurabilité voire
cette impossibilité de la réponse à même laquelle l'appel se donne.
L'appel n'est reçu que dans la défaillance responsive51 à même laquelle

45 Cf. A.R., pp. 25-27.


46 Chrétien utilise le terme «être» (A.R., p. 27) pour désigner les choses crées. Pour
éviter toute confusion, nous préférons employer le mot «étant».
47 Ce retard de la réponse est par exemple formulé dans V.N., p. 7, et dans
L antiphonaire de la nuit, Paris, L'Herne (coll. «Méandres»), 1989, p. 28 (nous citons
'

A.N.). Cf. Aussi J.-L. Marion, Etant donné. . ., p. 398.


48 Cf. A.R., p. 33.
49 A.R., p. 33.
50 Chrétien stipule le risque de «dilution» du sujet répondant, cf. A.N., pp. 36-37.
Ce risque est de faire du «sujet» un pôle sans consistance propre, tout accaparé par l'autre
et sans autonomie.
51 Nous empruntons ce dernier terme à la «Retrospection», p. 178.
752 Benoît Thirion

le «sujet» est constitué52. Le principe d'après lequel le «sujet» se reçoit


de l'appel et est constitué par lui n'a pas encore livré de façon phéno-
ménologiquement précise le mode de donation de l'appel. Quel est ce
lieu de défaillance qui reçoit l'appel et lui répond?

3. Un «sujet de parole»

3.1. Une parole qui porte l'altération


Pour scruter les modalités selon lesquelles l'appel se rend présent au
«sujet», il faut vérifier la thèse suivante: l'appel se donne à même notre
voix altérée53. L'appel requiert une réponse vocale54, et il donne la voix
à elle-même en l'altérant, cette altération étant constitutive de la réponse.
Le «sujet» — jusqu'ici défini comme constitué par une altérité qui le
blesse au plus intime de lui-même — prend des traits concrets. L'appel
ne s'adresse «pas à un pur ego transcendantal»55, dégagé de toute forme
d'engagement concret dans le monde, mais à un «sujet de parole». «Nous
n'entendons l'appel que dans la réponse, dans une voix par lui altérée,
portant à la parole cette altération qui la donne à elle-même comme ne
s 'appartenant pas, et endurant de façon insubstituable sa propre
déshérence»56. C'est dans la réponse que se donne l'appel57. On peut dire la
voix altérée dans le sens où, si nous parlons nous-mêmes, ce n'est pas à
partir de nous-mêmes. La parole montre la constitution du sujet par
une altérité à laquelle il consent au plus profond de lui, et que la voix
«traduit».

52 L'aspect selon lequel le don constitue celui à qui il est donné rapproche entre
elles les pensées de Chrétien et de Marion. Ce dernier nomme «adonné» ce «que l'appel
fait succéder au "sujet" comme ce qui se reçoit entièrement de ce qu'il reçoit», Etant
donné..., p. 369. Le titre de «sujet» n'est donc peut-être pas tout à fait adéquat. Nous
n'utilisions cependant pas le terme d'adonné car il est le fruit d'un parcours philosophique
différent de celui de J.-L. Chrétien: J.-L. Marion en fait le «successeur» du sujet moderne.
Ceci n'est pas, à nos yeux, suffisamment explicite chez Chrétien, bien que sous certains
traits, l'appelé de l'appel se rapproche fortement de l'adonné au risque d'être un «sujet»
sans consistance. Nous verrons cependant quelle solution Chrétien propose à cette
question.
53 Cf., entre autres, J.-L. Chrétien, Lueur du secret, Paris, L'Herne (coll.
«Bibliothèque des mythes et des religions», n. 5), 1985, pp. 7-8, A.R., p. 36 et A.N., p. 98.
54 Cf. A.R., p. 37.
55 A.R., p. 11.
56 A.R., p. 38. Nous soulignons.
57 Cf. J-L. Marion, Etant donné. . ., p. 396.
Par une blessure engendré. . . 753

La réponse à l'appel est une traduction58 et non pas une


correspondance59. Si «toute pensée radicale de l'appel implique que l'appel ne soit
entendu que dans la réponse»60, la réponse ne donne pas à entendre
l'appel de façon plénière et adéquate. Il y a toujours un excès de l'appel sur
la réponse, exprimé en termes de traduction. Toute traduction est en
défaut par rapport à ce qu'elle traduit61. Cette caractéristique de la voix,
et donc du «sujet», l'ouvre à une histoire, à une temporalité ouverte sur
un avenir. C'est le caractère traductif de la voix, de pair avec sa
détermination comme réponse à l'appel, qui ouvre, selon Marion, l'historicité
de l'adonné62. Chrétien prend en compte cette perspective en stipulant
l'importance de «l'incarnation» dans la formation d'une histoire63.
Le «sujet» engendré par l'autre a donc la possibilité de se temporaliser.
La voix charnelle scelle le caractère narratif de la prise de conscience de
l'être intimement appelé du «sujet».

3.2. Une voix qui porte l'esprit


Comment l'appel se donne-t-il en dernière analyse? A même la voix
charnelle. «La précession du verbe sur moi-même est condition de mon
humanité, et donc de ma corporéité comme humaine, de ma possibilité
de porter l'esprit par tout mon corps en portant ma voix. La forme la plus
"empirique" de l'appel est aussi la plus " transcendantale" . Elle réside
dans notre être appelé par le Logos, par la parole qui parle en tous et que
nul ne détient»64. [...] Nous sommes appelés avant que de paraître au

58 Sur ce thème, nous renvoyons à J.-L. Chrétien, «La traduction irréversible», in


J.-L. Marion (éd.), Emmanuel Lévinas. Positivité et transcendance, Paris, P.U.F. (coll.
«Epiméthée»), 2000, pp. 309-328.
59 Point sur lequel Chrétien affirme se séparer de Heidegger. Le philosophe allemand
estime en effet que «l'homme ne parle que dans la mesure où il correspond à la parole»
{«Der Mensch spricht nur, in dem er der Sprache entspricht»), Acheminement vers la
parole, p. 37, Gesamtausgabe. Band XII., p. 30. Cf. «Retrospection», p. 174. Chrétien
reconnaît avoir commencé sa critique de Heidegger dans L'antiphonaire de la nuit et
l'avoir prolongée dans L'appel et la réponse (cf. A.R., pp. 39-41).
60 A.R., p. 42.
61 Cf. A.N., pp. 33 et 41-42: «La réponse ayant à traduire et à se traduire elle-même,
ne saurait être pleine correspondance». Cf. aussi «Retrospection», p. 174 et A.R., pp. 88-89.
62 Cf. J.-L. Marion, Etant donné..., pp. 407 et 417-418.
63 Cf. I.I., pp. 102-103.
64 A.R., p. 99. Nous soulignons. J. Laurent a bien montré comment la voix incarne
le Logos et peut être le lieu de la rencontre du monde (cf. «La voix humaine {De anima,
II, 8, 420 b 5 — 421 a 3)», in G. Romeyer Dherbey, C. Viano (éd.), Corps et âme. Sur le
De anima d'Aristote, Paris, Vrin (coll. «Bibliothèque d'histoire de la philosophie»), 1996,
pp. 181, 186 et 187).
754 Benoît Thirion

monde65, avant que d'être nous-mêmes sinon en cet appel, avant que de
naître [...] Cet appel de la parole, les autres n'étant eux-mêmes, comme
moi, que des porte-parole, est la véritable voix intérieure: il est plus
intime à ma voix que ma voix elle-même, et ne cesse de l'être pour autant
que ma voix toujours répond. Mais cette voix intérieure n'a jamais été une
"voix" présente au fond de l'esprit ou de la conscience, elle a toujours
résonné dans le monde, là où nous sommes»66.
L'intériorité spirituelle la plus profonde est portée par la parole.
L'appel qui affecte le «sujet» au plus intime de lui-même ne se donne
que dans la modalité la plus empirique du langage. L'esprit actualise sa
relation au monde en se faisant voix portant le monde. Quand le «sujet»
pense être touché au plus intime par une voix intérieure, ce n'est que
parce que sa voix a porté cet appel à la parole. Dès lors, la voix devient
le site de manifestation et de donation de l'appel. La parole vocale est la
manifestation d'une ouverture intérieure à plus que soi et à d'autres que
soi. C'est à même l'ouverture intérieure à l'autre que la possibilité de
parler est donnée. Et c'est à même la parole proférée que l'appel peut
être connu. C'est une parole propre au «sujet» qui dit la faille ouverte en
lui par l'autre. Le «sujet» est d'emblée dépossédé de soi, mais ce n'est
que dans un mouvement de soi qu'il peut dire que l'autre l'excède et
prévient sa naissance.
L'appel constitue le soi en tant qu'il rend ensemble possibles son
intimité spirituelle et sa corporéité. Interloqué par l'appel, le soi se
ressent comme convoqué par lui, ce qui permet sa propre identification67.
Le «sujet» accède à son ipséité dans la mesure de la reconnaissance de
l'autre dont l'appel le précède68. Mais l'appel n'est reconnu que parce
qu'il est porté au monde par la voix69. L'autre voix donne notre voix à

65 Ce trait est proche de ce que J.-L. Marion désigne comme la facticité de


l'interloqué qui se reçoit de l'appel: «Nul d'entre les mortels n'a jamais vécu, ne serait-ce qu'un
instant, sans avoir déjà reçu un appel et s'être découvert interloqué par lui. Ou, ce qui y
revient strictement, jamais un mortel n'a vécu, ne fût-ce qu'un instant, sans se découvrir
précédé par un appel déjà là», «Le sujet en dernier appel», in Revue de Métaphysique et
de morale, XCVI, n. 1 (1991), p. 89 (nous soulignons), repris dans Etant donné. . ., p. 372.
66 A.R., p. 99. Nous soulignons.
67 Cf. J.-L. Marion, «Le sujet en dernier appel», pp. 87-88 et Etant donné. . ., p. 370.
Mais l'identification échappe d'emblée à l'interloqué, d'après Marion.
68 Cf. J.-L. Marion, «Le sujet en dernier appel», p. 94.
69 Pour J.-L. Marion, la voix, définie comme réponse à l'appel, «ne dit rien d'autre,
ni rien de plus que littéralement ce que l'appel a dit le premier», «Le sujet en dernier
appel», p. 95. Le terme «littéralement» de Marion doit être, nous semble-t-il, être pris avec
beaucoup de précautions dans le cas de Chrétien, car comme nous l'avons signalé supra,
Par une blessure engendré. . . 755

elle-même, avant que nous ne nous en avisions. L'autre voix nous


précède gracieusement70.
Une question surgit aussitôt: «C'est moi qui suis appelé,
assurément, mais, comme disait Plotin, qui moi»?71 Chrétien considère le corps
comme appelé de l'appel. Quelle est sa place dans la conception du
«sujet»?

3.3. La corporéité du «sujet»


Chrétien se demande si l'on peut faire du corps, «qui tout entier
porte la voix, l'appelé de l'appel»72. Il répond que «de l'appel de
l'origine, le corps toujours est le répondant, et peut-être plus encore la
réponse, avec le surcroît de toute réponse»73.
En quoi le corps s'offre-t-il «à un appel qui d'emblée
l'excéderait»?74 Les réflexions menées jusqu'ici à propos de la voix n'impliquent-
elles pas que l'appel rencontre le «sujet» alors qu'il est déjà constitué,
contrairement à ce que nous avons entrevu auparavant? L'analyse de la
sensibilité, qui est le lieu de la première présence au monde, est
déterminante pour comprendre qui est l'appelé de l'appel. Il s'agit de savoir
si la sensibilité précède «tout appel et toute réponse» ou si, «même
muette encore», elle ne fait pas toujours que répondre «à l'appel des
choses»75. Sentir, c'est toujours en même temps se sentir. Si tel est le
cas, une alternative se présente, entre les termes de laquelle il faut
choisir: (1 ) l' auto-affection de soi dans la sensation de l'autre est-elle
fondamentale, de sorte que primerait, dans la sensation de l'autre, une
autosensation? L'autre n'est-il qu'une façon de parler de moi-même et n'est-il
que le fruit de ma propre immanence? (2) Ou bien plutôt ne me sens-je
moi-même que par l'autre, de sorte que je ne serais, en tant que corps,
constitué et donné à moi-même que par lui?

la voix traduit toujours l'original, original qui ne se donne que dans la traduction. Certes,
on pourrait parler, pour nouer les deux lectures, d'une traduction littérale, mais cela serait
au détriment de la «polyphonie» de la réponse, propre à la pensée de Chrétien: nous ne
répondons jamais seuls à l'appel, mais toujours avec d'autres, voire avec tous.
70 Nous paraphrasons J.-L. Marion, «Le sujet en dernier appel», p. 95: «La grâce
donne le moi à soi, avant que le je s'en avise. Ma grâce me précède».
71 A.R., p. 62.
72 A.R., p. 12.
73 J.-L. Chrétien, De la fatigue, Paris, Minuit (coll. «Philosophie»), 1996, p. 15
(nous citons D.F.). Cf. aussi «Retrospection», p. 179.
74 A.R., p. 101.
75 A.R., p. 139 pour les trois expressions citées.
756 Benoît Thirion

Dans le De anima, Aristote explique que l'intellect n'est «capable


de se penser lui-même»76 que lorsqu'il pense effectivement les
intelligibles. Il en résulte que «l'esprit ne peut se penser lui-même qu'en
pensant autre chose que soi»77. Dès lors, en ce qui concerne la sensibilité, il
est toujours besoin d'autre chose que nous-mêmes pour sentir. La
sensibilité n'est pas reflexive, elle ne consiste pas en une auto-affection de
moi par moi, ni en une sensation de la sensation78, mais elle est
transitive: elle requiert l'altérité d'un objet pour s'effectuer. Dès lors, «nous
ne sentons que l'autre, et si nous nous sentons nous-mêmes, ce ne sera
qu'à l'occasion et qu'en dépendance de cette sensation de l'autre, et non
par une réflexivité de la chair qui la constituerait originairement»79. Il n'y
a pas de sensation de soi, ni de sensation tout court sans la mise en jeu
d'une altérité. L'autre est ce qui donne la sensibilité et la sensation à
elles-mêmes. La plus insignifiante sensation met en jeu le rapport à
l'autre. Sur le plan de la constitution, cela signifie qu'il n'y a pas de
«sujet» avant ou sans l'autre. Le «sujet» commence par être interpellé
par l'autre, par le monde. Cette interpellation possibilise sa constitution,
même corporelle80. Avant de s'affirmer, la sensibilité doit consentir au
monde. Actualisant une leçon fondamentale de Thomas d'Aquin, Chrétien
suggère que le consentement, le oui à l'autre rend alors seul possible le
retour réflexif à soi81. Le «sujet» consent à l'altérité jusque dans sa cor-
poréité, qui devient condition de toute réflexivité.
Du toucher sensible au contact spirituel, la distance semble
infranchissable. Et pour cause, l'histoire de la pensée considère le second
comme un contact avec l'infini. Qu'est-ce qui permettrait de passer du
toucher sensible au toucher spirituel? Seul Y amour le permet, d'après
Jean-Louis Chrétien: «seule une pensée de l'amour [. . .] donne à la chair
toute sa charge d'esprit et conduit le toucher à sa possibilité la plus
haute»82. L'amour est la possibilité la plus accomplie du toucher.

76 Aristote, De l'âme (trad. J. Tricot), Paris, Vrin (coll. «Bibliothèque des textes
philosophiques»), 1934, III, 4, 429 B, 9, p. 176.
77 A.R., p. 141.
78 Cf. Aristote, De l'âme, II, 5, 417 A, 2-3, p. 95: «[...] pourquoi, des organes
sensoriels eux-mêmes n'y a-t-il pas de sensation [...]»?
79 A.R., p. 142.
80 Cf. A.R., p. 142.
81 Cf. A.R., p. 145, où Chrétien réfléchit le principe de Thomas d'Aquin, Summa
contra gentiles. Vol. Il (éd. C. Pera, P. Marc, P. Caramello), Rome, Marietti, 1961, II, 57
(n. 1333), pp. 182-183 : «l'homme ne peut sentir sans un sensible extérieur» («[...] non
potest homo sentire absque exteriori sensibili [...]»).
82 A.R., p. 151.
Par une blessure engendré. . . 757

Cet amour s'enracine nécessairement dans la sensibilité physique.


L'amour ou encore le toucher spirituel est pensé par Chrétien selon une
transitivité irréductible: il est «mouvement vers l'autre, comme le plus
haut mouvement vers l'autre, et non comme retour sur soi»83. Le soi n'est
ouvert à ce toucher que parce que sa chair tout entière écoute. Et cette
écoute est sa réponse propre. Sur le plan philosophique, la pensée du
contact spirituel implique que le corps ne fasse jamais que répondre à
l'appel qui lui est donné d'entendre dans ses actes de toucher ou dans ses
sensations les plus infimes. L'idéalité de l'amour se transforme ici en
réalité et concrétude de l'amour. Le passage de la réalité de l'amour à son
idéalité est celui de la transition du fini à l'infini. Si l'amour peut nous
rapporter à l'idée, c'est d'abord parce que, réellement, il lie le «sujet» au
monde.
Le corps, s'il est ce que l'appel appelle est toujours, par sa
sensibilité, ouvert au surcroît de l'appel. Dans le toucher se joue déjà la réponse
à l'appel. Le corps du «sujet», dans son activité la plus élémentaire,
répond à l'appel. Par conséquent, l'appel ne le trouve pas constitué
comme un «sujet» autonome et retiré dans l'autarcie d'une quelconque
auto-affection. Il n'est que parce que l'appel de l'autre le donne à lui-
même en se donnant lui-même «dans le moindre contact»84. Le corps
n'est pas absolument premier, mais il se reçoit, dans la sensation, de
l'autre. Et cette sensation de l'autre n'est à son faîte qu'à être amoureuse.
L'amour seul est digne de la sensibilité: ce n'est que lorsque la
sensibilité se fait amour qu'elle peut devenir le lieu dans lequel est donné au
«sujet» ce qu'il y a de plus haut et de plus idéal. L'incarnation de
l'homme possibilise le contact amoureux avec l'idéal. L'extase
amoureuse n'est pas un pur «jeu de l'esprit» mais s'enracine dans la sensation
de ce qu'il y a de plus matériel et de plus corporel pour le ramener à
l'esprit.

3.4. Un «sujet» responsif et donnant


Le «sujet» engendré par une altérité à laquelle il consent
amoureusement est un «sujet» qui donne. C'est par la parole que le «sujet»
donne. Voyons les différentes modalités de ce don.

83 A.R., p. 152.
84 A.R., p. 154.
758 Benoît Thirion

3.4.1. La promesse
La promesse comporte la dimension d'un don: «[. . .] je ne peux
donner une parole qu'en recevant de celui qui la reçoit, par l'acte même où il
la reçoit, un appel à la tenir, c'est-à-dire un appel à être et à devenir —
car on n'est soi qu'en le devenant — moi-même. [. . .] Je ne puis répondre
de ma parole que là où l'autre répond d'elle: elle devient vraiment mienne
parce que l'autre se fie à elle ou se défie d'elle, elle n'est plus la parole
flottante du virtuel, mais la parole incarnée de la promesse — livrée, délivrée
à l'autre»85. Le «sujet» engendré et constitué par l'altérité est sujet de don.
Mais il ne peut donner que s'il reçoit de l'autre un appel, une requête à tenir
la parole qu'il donne. Le don doit véritablement être reçu pour mériter le
nom de don. Sans quoi il n'est qu'abandon, simple Gelassenheit. Le don
de la parole est un acte du «sujet», acte au sein duquel il reçoit toujours
de l'autre la condition de sa réalisation. L'authenticité de la promesse tout
comme l'inauthenticité d'une parole non tenue sont rendues possibles par
l'autre et non d'abord par le «sujet». Dans la promesse néanmoins, l'autre
appelle le «sujet» à lui-même. En elle, c'est l'autre qu'il découvre
l'appeler. Mais il est essentiel de remarquer que «c'est là, et seulement là, où
je réponds, que ma parole devient proprement mienne, d'une propriété
traversée par l'autre, et par là seulement insubstituable, une propriété de
transit et d'exode»86. La parole donnée est celle qui appartient au «sujet», bien
que ce dernier soit traversé et «altéré» ; elle est propre au «sujet», dès lors
qu'il répond à l'appel de l'autre, mais sans qu'il soit par elle purement et
simplement dépossédé. Pour Chrétien, le mouvement de la parole du
«sujet» est initié par l'autre qui appelle, autre dans lequel le «sujet» trouve
sa liberté et son autonomie. Une subjectivité donnée par l'autre ne sera
jamais une subjectivité autarcique et autonome pure. Le «sujet» de la
parole n'est pas premier mais d'emblée dépossédé par l'autre, ce qui est la
condition de son identification comme «soi». Le «soi» n'est jamais soi
pour soi, mais pour l'autre il est pro-existant. Dans la promesse, le sujet
répond de lui-même en répondant à l'autre voire pour l'autre.

3.4.2. La prière
L'intérêt d'une caractérisation phénoménologique de la prière
— c'est-à-dire d'une caractérisation qui s'opère «indépendamment de

85 V.N., pp. 156-157. Nous soulignons. Cf. aussi A.P., pp. 151-152.
86 D.F., p. 155.
Par une blessure engendré. . . 759

toute position d'existence de celui auquel il [l'homme qui priel


s'adresse»87 — est principalement de mettre en évidence les
conséquences d'une telle parole adressée à un tout autre sur la détermination
du «sujet». De ce que le «sujet» s'adresse à Dieu, il en résulte que
«[...] la béance du destinataire a brisé son cercle, a ouvert en lui une
faille qui l'altère. Un autre s'est silencieusement introduit dans le
dialogue de moi avec moi-même, et l'a radicalement brisé. Ma parole rejaillit
sur moi-même et m'affecte, comme le ferait assurément toute parole
mienne que j'entends toujours aussi, mais elle m'affecte tout autrement
de ne m'être pas destinée, d'avoir en elle un tout autre destinataire que
moi»88. La prière dit simultanément quelque chose de l'autre (Dieu) et du
«sujet»89. Elle apprend à ce dernier qu'il n'est pas l'origine de tout don90.
La prière doit passer par l'autre, doit se faire adresse à l'autre pour
apprendre quelque chose au «sujet» sur lui-même91.
L'adresse orante à Dieu se fait au vocatif, de sorte que le «sujet»
est totalement exposé à celui à qui il s'adresse. Or, cette exposition totale
de soi ne peut se réaliser que dans la voix «indissolublement spirituelle
et charnelle»92. La voix scelle le fait que les conditions de la prière sont
toujours reçues de celui auquel elle est adressée. Il y a une circulation du
souffle et de la voix dans la prière. «Le souffle que nous prenons pour
demander est déjà un souffle reçu»93. Dès lors, il y a con-spiration de
l'homme et de Dieu dans la prière. Lorsque l'homme prie, il remet son
souffle à Dieu par sa parole. Par ce mouvement de don, le «sujet» orant
se reçoit. Le don de la voix est ce qui permet au «sujet» d'être
pleinement «soi». Plus encore, la voix est le lieu de la rencontre de celui auquel
elle s'adresse. «La voix montre l'invisible qui appelle, convoque et
rassemble»94. De façon encore plus générale, c'est «le temps d'un arrêt,
dans le recueillement de la parole, que l'âme, en suspens, rencontre le
monde»95. La parole portée par la voix est le lieu à même lequel le
«sujet» rencontre l'autre.

87 A.P., p. 27.
88 A.P., p. 29.
89 Cf. A.P., p. 30.
90 Cf. A.P., p. 30.
91 Cf. A.P., p. 31: «la première fonction de la parole dans la prière est une
manifestation de soi devant l'autre invisible, qui devient manifestation de soi à soi par
l'autre [...]».
92 A.P., p. 46.
93 A.P., p. 42.
94 A.P., p. 48.
95 J. Laurent, «La voix humaine...», p. 187.
760 Benoît Thirion

3.4.3. Le don: lieu d'une ipséité et d'un retour à l'origine


Si la parole n'ajoute rien au monde, il ne «devient proprement
monde [qu'] en venant à la lumière de la parole»96. Sans être créé par
la parole du «sujet» (mais par celle de Dieu) le monde est renouvelé par
elle et donné en elle: sa voix qui donne est dès lors capable d'offrir le
monde. Or, la parole humaine est essentiellement un merci, selon
Chrétien. La parole remercie, qu'elle soit poétique, philosophique ou
théologique. La voix dit merci pour le monde en l'offrant et en s'offrant.
Ce «merci» se dit dans un chant, capable «[...] d'offrir le monde à Dieu
parce que son propre chant peut être le chant même du monde, au sens
"subjectif" aussi bien qu' "objectif" du génitif»97. Au sens subjectif,
notre parole est chant du monde en ce qu'elle délivre la parole muette
du monde. Il faut que le monde se fasse déjà voix que pour que le
«sujet» puisse le porter par et en sa voix. Le monde est aussi l'objet du
chant, il est ce qui est porté par la parole. «Le monde lui-même est lourd
de parole, il appelle la parole et notre parole en réponse, et il n'appelle
qu'en répondant lui-même déjà à la Parole qui l'a créé»98. De façon
générale, «un chant qui offrirait le monde à la lumière de son origine,
qui l'illuminerait de l'offrir, et qui s'illuminerait lui-même d'être le lieu
où il en vient à s'offrir, tel est l'horizon de la parole humaine, et déjà
du souffle que nous prenons et rendons. [...] Nos voix ne vivent que
d'une telle aspiration, et en même temps s'y brisent et s'y taisent enfin,
quand elles ne se transforment pas, à force d'échouer à proférer ce oui
dans toute sa plénitude, en voix qui maudissent, ou ne parlent que
d'elles-mêmes, ce qui est la première malédiction, et la dernière aussi»99.
La voix à même laquelle le «sujet» entend l'appel à aller vers l'origine
inspire son origine, expire vers l'origine et aspire à l'origine bref,
conspire avec elle. Mais cette conspiration est aussi le risque de ne
pouvoir pleinement répondre, et dès lors, celui d'échouer et de se heurter
malheureusement à sa propre finitude.

96 A.P., p. 166.
97 A.P., p. 169.
98 A.P., p. 175. Si le monde a une telle voix, l'appel qui le constitue peut y être
discerné, et la structure d'appel peut être dite vraie de tout existant en tant que tel, comme le
propose E. Gabellieri, «De la métaphysique à la phénoménologie: une "relève"?», in
Revue philosophique de Louvain, XCIV, n. 4 (1996), p. 643.
99 A.P., pp. 197-198.
Par une blessure engendré. .. 761

4. Envoi

II y a «du sujet», il y a avènement du «sujet» dès lors qu'une voix


se reconnaissant comme intimement blessée et altérée par un appel,
consent100 à cette altération et à l'autre qui l'altère, et se laisse engendrer
par lui en donnant ce qu'elle reçoit. Alors s'ouvre pour le «sujet» une
histoire, alors existe le «sujet», alors seulement le «moi» est en mesure
d'être reconnu comme «je». Ce n'est qu'à se laisser engendrer
amoureusement par l'autre dans la résonance de sa parole que naît un «sujet»
capable de rencontrer le monde, rencontre marquée du sceau de la fini-
tude, bien qu'ouverte au et par le surcroît de l'autre...

Institut supérieur de philosophie Benoît Thirion,


Place du Cardinal Mercier, 14 Aspirant du F.N.R.S.
B - 1 348 Louvain-la-Neuve

Résumé. — L'objectif de cet article est de présenter la conception du


«sujet» proposée par Jean-Louis Chrétien. La description de la constitution du
«sujet» telle que Chrétien la formule prend ses racines dans l'élucidation de la
notion d'appel. Pour l'auteur, le «sujet» apparaît comme une identité qui est
forgée par l'appel de l'autre. C'est à un appel, médiatisé par la parole, qu'il revient
de provoquer dans le «moi» une blessure, lieu de la formation du «soi» en tant
que tel.

Abstract. — The aim of this article is to present Jean-Louis Chretien's


conception of "subject". His description of the constitution of the "subject" has
its origin in the notion of call. For him, the "subject" appears like an identity
which is formed by the other's call. It is a call that is carried by the word which
produces a wound in the ego, where the self is formatted in itself. (Transi, by
J. Dudley).

100 La question du consentement exige beaucoup de prudence de la part de la


philosophie et demanderait à être examinée de très près.

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