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Introduction
Nous avons compris qu’« acheter, c’est voter » ». La première manche est
gagnée, mais nous sommes loin d’avoir remporté la partie. Il est encore
temps de faire des gestes concrets pour améliorer le sort de la planète, mais
je crois que pour y arriver, nous devons nous reprogrammer. Plutôt que de
devenir des consommateurs plus verts, devenons des consommateurs plus
intelligents. C’est ce que je vous propose dans ce livre.
Mais tout d’abord, permettez-moi de vous parler un peu de ma mère, de
mon frère et du savon à lessive…
II : De quelle couleur est votre
consommation verte ?
Ma mère a toujours utilisé du savon de marque Tide ; c’était son savon à
lessive. Il faut dire qu’avec deux garçons qui salissaient leurs vêtements
plus vite qu’elle ne pouvait les laver (j’étais le pire des deux), elle avait
besoin d’un détergent digne de confiance. Et justement, elle avait une
confiance aveugle en son Tide.
Ma mère est la cliente de rêve de tout fabricant. Les concurrents de Tide ont
beau l’inonder de coupons de réduction, elle continue d’acheter son Tide au
prix courant. Elle ne bronche pas non plus devant les publicités vantant les
mérites de produits supposément plus efficaces que les siens. On n’a même
jamais réussi à la convaincre d’acheter un autre produit en lui donnant des
échantillons gratuits ! Rien ne peut y faire : ma mère est une consommatrice
d’une fidélité inébranlable.
Les multinationales dépensent des fortunes pour convaincre les
consommateurs de changer de marque de produit. C’était certainement le
cas pour les fabricants de savon à lessive durant les années 1970 et 1980.
Pourtant, tous ces millions ont été inefficaces auprès de ma mère. Sachant
cela, vous aurez probablement de la difficulté à croire qu’elle n’utilise plus
de Tide aujourd’hui. C’est pourtant vrai.
C’est arrivé le jour où mon frère lui a expliqué que son détergent contenait
des surfactants synthétiques, comme le sulfonate d’alkylbenzène, le
nonylphénol et la diéthanolamine. Les surfactants, lui a-t-il expliqué,
servent notamment à rendre le savon plus efficace, en réduisant la tension
des molécules d’eau ; les fibres des textiles s’imbibent d’eau plus
facilement. Les surfactants peuvent également servir à déloger la saleté ou à
éviter qu’elle se redépose sur les vêtements.
Au cours du processus de leur fabrication, ces surfactants émettent, dans
l’environnement, des substances potentiellement cancérigènes et des
toxines qui s’attaquent au système reproducteur de l’être humain. Règle
générale, ils se biodégradent très lentement, ce qui signifie qu’ils menacent
la qualité des écosystèmes et la santé humaine longtemps après leur
utilisation.
Cette nouvelle a fait son chemin dans la tête de ma mère. Quelques
semaines plus tard, pour la première fois, elle n’avait pas de savon Tide
dans son panier d’épicerie. Elle avait acheté un détergent biodégradable,
fait de produits non synthétiques. Il coûtait beaucoup plus cher, était
présenté dans un emballage peu attirant, mais elle avait le sentiment de faire
le bon choix pour l’avenir de ses enfants et de ses futurs petits-enfants.
Mon frère aura donc réussi là où toutes les campagnes de publicité ont
échoué. Comment cela a-t-il pu se produire ? Bien sûr, vous allez me
répondre qu’une maman est prête à tout pour protéger l’avenir de ses
enfants. Mais il y a plus. Que s’est-il passé pour que ma mère, une
consommatrice bien ancrée dans ses habitudes et jusque-là peu sensible à la
question de l’environnement, change de cap à l’écoute des conseils de mon
frère, un consommateur ultra-conscientisé ? Eh bien, c’est grâce à Leonardo
DiCaprio. Que vient faire cette vedette du Titanic dans cette histoire ? Elle
explique, en partie, comment l’épidémie verte s’est propagée dans notre
famille… Mais avant que je vous dise comment, il est essentiel de définir
quel type de consommateur vous êtes.
D’un point de vue écologiste, les consommateurs ont longtemps été divisés
en deux groupes distincts. D’un côté, il y avait les écologistes en sandales,
les hippies et les granos, pour qui « consommer vert »est un mode de vie.
De l’autre, il y avait le reste de la population, soit des consommateurs aussi
enthousiastes qu’insouciants.
Aujourd’hui, le portrait est beaucoup plus nuancé. Entre les consommateurs
les plus radicaux et les autres, il y a toute une gamme de « verts » ».
Beaucoup plus de consommateurs, sans être des écologistes purs et durs,
sont préoccupés par l’environnement et par les conditions de travail des
employés qui ont fabriqué les produits qu’ils achètent. Et de plus en plus,
cette nouvelle préoccupation oriente leurs décisions d’achat. Pour y voir
clair, voici les 6 types de consommateurs : le radical, l’engagé,
l’écofashion, le conscientisé, l’indifférent, puis le consommateur exclu.
Malgré leur côté un peu caricatural, vous vous reconnaîtrez sûrement dans
l’un d’eux.
1. Le consommateur radical
Test éclair
2. Le consommateur engagé
Qui lit les rapports annuels de responsabilité sociale d’entreprises ? Qui sait
faire la différence entre matière recyclée, recyclée postconsommation,
recyclée postindustriel ou de source mixte ? Qui investit 100 % de ses
REER dans les fonds éthiques et durables ? Nul autre que le consommateur
engagé.
Moins radical, il veut du confort et de la qualité. Le consommateur engagé
se situe dans la classe des 25-45 ans, possède un diplôme universitaire et
gagne un revenu supérieur à la moyenne. Il représente environ 10 % des
consommateurs. La plupart des consommateurs engagés sont de nouveaux
convertis ou des consommateurs radicaux qui se sont « ramollis » ».
Au quotidien, le consommateur engagé conduit une voiture hybride ou une
petite voiture à faible consommation d’essence. S’il n’a pas de voiture, il
est abonné à un système de partage de véhicules, par exemple
Communauto. Dans les deux cas, la voiture n’est pas son principal mode de
transport. Ainsi, si vous fréquentez le moindrement les pistes cyclables,
vous avez de bonnes chances de l’apercevoir au volant d’un vélo bien
équipé pour la ville, voire avec un moteur électrique. Cela dit, il fréquente
également les transports en commun, même s’il a les moyens d’avoir une
voiture.
Une caractéristique intéressante du consommateur engagé est sa grande soif
d’information à teneur écologique ; il passe beaucoup de temps à se
renseigner sur les produits qu’il consomme. À son avis, les étiquettes sont
une source intéressante de renseignements, mais incomplète. Il visite les
sites Internet des entreprises, à la recherche d’une politique de
développement durable, d’un code d’éthique ou d’une politique
environnementale. Il fouille les sites d’ONG pour trouver des rapports
indépendants portant sur les conditions de travail dans les usines des sous-
traitants. Il s’assure de la véracité des arguments avancés et il soupçonne de
maquillage vert tout argument non fondé.
Si l’entreprise et son produit correspondent à ses valeurs, le consommateur
engagé est prêt à payer de 10 à 15 % plus cher. Comme le radical, il réussit
bien à faire les « écogestes » qu’il considère élémentaires : composter,
toujours trimballer sa tasse à café et sa gourde, imprimer recto verso sur du
papier recyclé, acheter des produits équitables et biologiques, favoriser les
producteurs locaux, manger moins de viande, utiliser des sacs réutilisables,
habiter dans une maison certifiée Novoclimat ou LEED, etc. Cela dit,
lorsqu’il oublie sa tasse réutilisable, il ne se prive pas de café.
Test éclair
3. Le consommateur écofashion
Test éclair
4. Le consommateur conscientisé
La majorité des consommateurs (55 %) sont des consommateurs
conscientisés. Ce consommateur a beau être aussi largement représenté, il
n’est pas si facile à reconnaître. Il ne fait pas partie d’un groupe d’âge
particulier, et son revenu n’a aucun impact sur sa façon caractéristique de
consommer. De plus, au cours des dernières années, le consommateur
conscientisé a pris une place grandissante, au point de devenir majoritaire.
C’est vrai non seulement au Québec, mais aussi en Amérique du Nord, en
Europe et même en Asie. À cet effet, nul autre que Len Sauers, vice-
président au développement durable de Procter & Gamble, confirme le
constat de cette tendance. Et il sait de quoi il parle : son entreprise, une des
plus importantes au monde, investit plus de 350 millions de dollars par
année en études et sondages de toutes sortes pour comprendre ce que les
consommateurs désirent.
En substance, le consommateur conscientisé n’est pas prêt à payer plus cher
ni à acheter un produit moins performant. Par contre, à prix égal et à qualité
égale, il préférera systématiquement le produit le plus vert.
Pas très adepte du compost – du moins, pas encore –, le consommateur
conscientisé est fier de dire qu’il recycle et qu’il apporte ses sacs
réutilisables à l’épicerie. Toutefois, le fait qu’il est conscientisé ne le rend
pas pour autant enclin à modifier ses habitudes. Il lui arrive d’acheter des
produits biologiques ou équitables, mais ce n’est pas un choix
systématique. Par ailleurs, le suremballage, juge-t-il, est un mal nécessaire
sur lequel il n’a, hélas, pas grand pouvoir. De plus, à ses yeux, les différents
écolabels s’équivalent.
Prenons un exemple précis. Il n’achètera pas une plus petite voiture, à
moins que le prix du litre d’essence ne monte en flèche. Et si les hybrides et
autres voitures électriques sont trop chères pour lui, il sera toutefois prêt à
en reconsidérer l’achat lorsqu’elles seront plus abordables et plus
répandues.
De toute évidence, les consommateurs conscientisés le sont à des degrés
plus ou moins importants. Ils ont eu un impact significatif ces dernières
années – le déclin des sacs en plastique en sont la preuve. Cependant, ils ont
aussi été les premières victimes du maquillage vert, quoiqu’ils ne le seront
plus bientôt. C’est qu’ils deviennent de plus en plus critiques, voire
cyniques, par rapport aux arguments « verts » visant à les convaincre
d’acheter certains produits apparemment inoffensifs pour l’environnement.
Test éclair
Êtes-vous un consommateur conscientisé ?
Si vous répondez oui à ces quelques affirmations, c’est que vous êtes un
consommateur conscientisé.
1) Vous savez que vous devriez composter vos résidus domestiques, mais
c’est trop compliqué et vous n’avez pas de jardin.
2) Acheter un produit vert est un luxe que vous vous payez de temps en
temps.
3) Vous achetez du papier-sanitaire recyclé.
4) Vous recyclez vos déchets avec assiduité.
5) Les voitures hybrides sont trop chères.
5. Le consommateur indifférent
À le voir conduire son Hummer (ou rêver d’en conduire un), on serait porté
à croire que le consommateur indifférent se fout totalement des impacts
environnementaux de ses habitudes de consommation. Or, ce serait trop
simpliste de penser ainsi. En fait, bien qu’il soit conscient que ses choix
peuvent avoir des conséquences néfastes sur l’environnement, il ne cherche
pas à connaître ou à comprendre ces dernières. À plus forte raison, il ne
s’en porte aucunement responsable.
Si la plupart des indifférents ne peuvent pas vraiment défendre leur mode
de vie (d’où leur absence du débat public), il y a des exceptions. Ainsi, le
consommateur indifférent peut parfois être très informé. Capable alors de
bien s’exprimer, il aime remettre en question le discours dominant. Les
changements climatiques existent, reconnaîtra-t-il, mais sont-ils réellement
causés par l’homme ? Friand de théories du complot, il ne cherche pas de
preuves scientifiques, mais des contre-arguments qui sèment le doute.
De toute évidence, il déteste les discours moralisateurs des écolos et il se
méfie des produits « vertueux » et des écolabels. Dans certains cas, il peut
être fataliste. « De toute façon, il est trop tard pour agir, nous sommes
condamnés », dira-t-il.
Test éclair
Une des tactiques les plus fréquemment utilisées pour annoncer le côté vert
des produits est le piège du compromis caché. En fait, 57 % des produits
écolos sur le marché entrent dans cette catégorie. Il y a donc fort à parier
qu’il s’en trouve un quelque part dans vos armoires. Pour bien comprendre
comment cela fonctionne, imaginez la dernière fois où vous avez voulu
convaincre votre conjoint ou vos enfants d’acheter quelque chose. Vous
avez sans doute mis en valeur certains aspects de l’objet convoité, en
omettant d’en mentionner d’autres…
Ce que vous lui avez dit : « Chérie, tu vas adorer l’iPad. Il te permettra de
stocker tous les livres que tu veux. Plus besoin de te soumettre à des choix
déchirants avant de partir en voyage ! »Ce que vous ne lui avez pas dit :
« Ce nouveau gadget coûte une petite fortune. Il occupera toutes mes
soirées. Bonne chance pour mettre la main dessus ! » »
Maintenant que vous avez compris le modus operandi du compromis caché,
voyons comment cela s’applique au marketing vert…
D’abord, le produit doit détenir un minimum de caractéristiques
écologiques pouvant laisser croire qu’il constitue un choix plus
responsable. Citons l’exemple des annonces de véhicules qui parcourent
plus de 1 000 km avec un seul plein, sans faire mention de la capacité du
réservoir.
Voici d’autres exemples éloquents. Vous achetez du savon à lessive vous
permettant de laver à l’eau froide (donc un savon plus écologique) mais qui
renferme une liste de produits chimiques plus longue que ne peut en
contenir la boîte ! Ou alors, un concessionnaire automobile vous vend un
véhicule utilitaire sport (VUS) hybride, mais qui consomme plus qu’une
automobile, tout simplement parce qu’il est plus gros ! Prenez également
quelques minutes pour observer votre ordinateur ou encore votre téléviseur.
Il y a de fortes chances qu’il soit inscrit quelque part que votre appareil est
à haute efficacité énergétique. Ce qu’on ne vous dira pas, c’est qu’il est
fabriqué avec des matières tellement dangereuses (mercure, plomb,
cadmium) que vous pourriez en faire un cocktail pour empoisonner votre
pire ennemi !
Le consommateur n’est pas le seul à tomber dans le piège. En fait, il arrive
régulièrement que les spécialistes du marketing qui tendent ce piège en
soient eux-mêmes des victimes. En toute bonne foi, ils croient que, parce
qu’un produit est fait d’une ressource renouvelable, il est nécessairement
« bon »pour l’environnement. L’interprétation du piège du compromis
caché est toutefois un sujet de débat dans la communauté d’experts en
développement durable. On pourrait dire que le compromis caché
s’applique à tous les produits, puisque leur transformation a nécessairement
un impact sur l’environnement. Édouard Clément, coordonnateur technique
au Centre interuniversitaire de recherche sur l’analyse du cycle de vie des
produits, procédés et services (CIRAIG), affirme que ce piège s’applique
seulement lorsque les caractéristiques secondaires sont mises de l’avant au
détriment de l’impact principal. Par exemple, affirmer qu’un véhicule est
recyclable à 80 % est une information secondaire quand on sait que la
consommation de carburant représente l’impact le plus important.
2. Le piège de la non-pertinence
Bien sûr, vous me direz que les fabricants doivent bien commencer quelque
part et qu’ils ne peuvent pas devenir entièrement verts du jour au
lendemain ; ils font déjà un effort, vous avez raison. Toutefois, comme nous
l’avons vu avec les « faux » bâtiments LEED, il faut faire la différence
entre deux types de mensonges verts. Alors que certains fabricants plus ou
moins verts sont véritablement engagés dans une démarche de
développement durable, d’autres mettent de l’avant les caractéristiques
écologiques de leur produit, sans pour autant tenter d’améliorer leurs
procédés de fabrication.
Cela nous amène au prochain piège : la non-pertinence. Seulement 4 % des
produits posent ce piège. Cependant, c’est celui dans lequel les
consommateurs tombent à tout coup…
Prenez les gras trans qu’on retrouve dans la nourriture. Une étude menée à
la fin des années 1990 a démontré que ce type de gras, fabriqué de façon
industrielle et qui se retrouve dans la margarine, le shortening ou les fritures
commerciales, risque grandement de provoquer des maladies
cardiovasculaires. Les géants de l’alimentation se sont alors mis à étiqueter
systématiquement leurs produits. Comme pour le cholestérol dans les
années 90, tout était devenu « sans gras trans » », même le pop-corn et
d’autres produits qui n’en ont jamais eu ! Je vois venir le jour où nous nous
mettrons de la crème solaire sans gras trans…
Le même phénomène est apparu en matière d’environnement. Par exemple,
les produits qui prétendraient de nos jours ne pas contenir de CFC
(chlorofluocarbures) n’auraient aucun mérite. Ce gaz réfrigérant, connu
sous la marque Fréon et également utilisé dans les aérosols, a été
progressivement interdit partout dans le monde au cours des 20 dernières
années afin de lutter contre la destruction de la couche d’ozone ! Son
utilisation est désormais illégale dans la plupart des pays. Pourtant, cet
argument (« ne contient pas de CFC ») est encore présent, notamment sur
certains réfrigérateurs et sur des mousses isolantes.
Les antibiotiques dans le poulet sont un autre excellent exemple. Depuis
que la vente de volailles biologiques gagne des parts de marché, on a vu
ressurgir, sur les produits industriels, les mentions « animaux nourris sans
antibiotiques »ou « sans hormones » ». Cette pratique est pourtant interdite
au Canada depuis plus de 30 ans ! Ne soyez pas dupes devant ces produits :
le fait de se conformer aux lois et règlements qui sont en vigueur en matière
environnementale ne confère aucune vertu écologique ou morale
supplémentaire aux entreprises qui s’en félicitent indûment, de manière
ostentatoire.
Il faut toutefois être prudent, surtout dans un contexte de mondialisation des
marchés. Tous les pays n’ont pas adopté les mêmes normes et règlements.
L’Europe, par exemple, est souvent plus sévère que le Canada ou même
l’Amérique du Nord. C’est le cas pour les phtalates. Ce composé chimique
retrouvé principalement dans le plastique est interdit dans les jouets et les
articles de bébé, et ce, sur tout le territoire de l’Union européenne. Le
Canada, quant à lui, demande seulement à ce que, sur l’étiquette, soit
indiqué « peut contenir des phtalates » ». Or, un produit sur lequel il serait
écrit « sans phtalates » », que ce soit interdit ou non, empêcherait toute
ambiguïté. À condition, bien sûr, que cette mention soit vraie.
Parlant de vérité, qui nous dit que ce qui est inscrit sur l’étiquette est bel et
bien vrai ? Dans l’univers des écolabels, il y a des certifications connues et
reconnues, par exemple Energy Star. Il y a aussi toute une gamme
d’étiquettes qui sont le fruit de l’autoproclamation, c’est-à-dire que c’est le
fabricant lui-même qui décide de s’afficher écologique, sans l’intervention
d’un organisme certificateur indépendant. Il devient alors très difficile de
vérifier ses prétentions. Tel livre est imprimé à l’encre végétale ? Allez
donc savoir ! De même, la majorité des shampooings dits « organiques » ne
sont soumis à aucune certification véritable, du moins valable, qui puisse
nous garantir leur vertu écologique.
Et si on vous dit qu’une peinture est faible en COV (composé organique
volatil), en quelle quantité exactement ? L’absence de preuves empêche les
consommateurs de prendre des décisions éclairées. Et selon Terra Choice,
c’est le cas pour le quart des produits qui s’affichent verts.
Par exemple, vous êtes-vous déjà demandé ce qui se cache derrière la
fameuse mention « biodégradable » ? Ma tante Jeannette, oui. Et la réponse
qu’elle a obtenue est ahurissante. Le produit nettoyant qu’elle achète depuis
toujours pour son plancher de bois franc a récemment changé d’étiquette.
La formule va désormais comme suit : biodégradable. À la fois heureuse de
faire sa part pour l’environnement, mais inquiète de savoir si son nettoyant
est aussi performant qu’avant, elle appelle au numéro 1 800 inscrit sur
l’emballage.
« Votre nouveau produit est biodégradable ? Qu’est-ce qui a changé ?
demande-t-elle. Silence au bout du fil. De toute évidence, le préposé n’avait
pas été informé de ce changement.
— Ce n’est pas notre produit, a-t-il fini par répondre. Il faudrait
communiquer avec notre fournisseur pour le savoir. »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Jeannette tombe cette fois sur le directeur du
marketing.
« Notre produit était déjà biodégradable. De nos jours, ce genre
d’information fait vendre, alors nous l’avons ajouté, explique le directeur
en question.
— Je comprends, mais ce n’est pas ce que je vous ai demandé. Je veux
savoir ce qui fait que le produit est biodégradable ? demande alors ma tante,
avec insistance.
— Ça, je ne peux pas vous le dire, madame. C’est un secret industriel »,
ajoute-t-il sans rire.
Un secret industriel ! En réalité, beaucoup de produits sont biodégradables.
Le problème, c’est de savoir en combien de temps. Un couvercle de
plastique aussi est biodégradable, mais au bout de 400, voire 1000 ans ! Les
produits véritablement biodégradables doivent avoir été testés au préalable,
selon des normes reconnues, pour que nous puissions être assurés de leur
performance réelle, comme nous le sommes avec le test de biodégradabilité
de la série 301 de l’OCDE.
L’autre cas classique du piège d’absence de preuves réfère à l’utilisation du
mot « recyclé » ». Dans les faits, le gouvernement fédéral réglemente
depuis 2008 l’emploi du terme « recyclé » ». Le Bureau de la concurrence a
publié un guide exigeant, entre autres choses, que les entreprises fassent
seulement « des déclarations qui sont étayées et vérifiées » »[vi].
Il a donné un an aux fabricants pour se conformer. Pourtant, c’est encore le
far west. L’usage du ruban Möbius n’est pratiquement jamais validé par une
partie externe. Alors, rien ne prouve au consommateur en magasin que le
produit qu’il a en main est bel et bien recyclé, du moins suffisamment pour
en arborer légitimement la mention. La prochaine fois que vous irez à
l’épicerie, remarquez à quel point il est fréquent de voir le logo propre aux
produits recyclés ou les mentions « fait de carton recyclé »et « contient des
matériaux recyclés » ».
Heureusement, il y a des exceptions. Certaines certifications tiennent
compte de la nature du contenu recyclé. C’est le cas notamment des papiers
et du bois portant la certification FSC (Forest Stewardship Council).
Ainsi, lorsque le ruban de Möbius est accompagné du logo FSC (et de son
numéro d’identification), vous pouvez être certain de la teneur en fibres
recyclées de ce produit.
4. Le piège de l’imprécision
5. Le faux label
Ce piège est rare, mais il est le plus amusant. Imaginez des cigarettes
biologiques, du charbon propre ou des mines antipersonnel
biodégradables… Ai-je besoin de poursuivre les explications ? Certains
produits, de par leur nature, ne pourront jamais être verts. Ainsi, les mines,
biodégradables ou non, continueront à tuer des gens, et les cigarettes
causeront toujours le cancer, même faites de tabac bio ! Quant au charbon
propre, c’est probablement le plus grand oxymoron jamais inventé !
Vous pensez que j’exagère avec mes mines antipersonnel biodégradables ?
Eh bien, le ministère de la Défense britannique a trouvé l’idée tellement
lumineuse qu’il a appuyé financièrement l’entreprise d’armement BAE
Systems pour développer des mines biodégradables. Il a même proposé ses
propres idées d’armement écoresponsable. Par exemple, il a demandé que
son argent serve aussi à développer des ogives plus silencieuses ! Mieux
encore, le projet s’attaquera au plomb contenu dans les munitions des
soldats, un problème particulièrement gênant, car il contamine les sols et les
eaux souterraines des champs de tir, sans parler des cimetières dans les
zones de guerre !
S’il est vrai que des ogives plus silencieuses amélioreraient les conditions
de travail des soldats et que des mines biodégradables éviteraient de faire
des victimes, des décennies après la fin des conflits, ce genre de réflexion
est une perversion morale et éthique d’une démarche de développement
durable.
Un Hummer hybride n’est pas, pour ainsi dire, un pas dans la bonne
direction ; un engin de deux tonnes ne sera jamais un moyen de transport
efficace en ville. Des cigarettes sans goudron ne créeront pas moins de
dépendance à la nicotine. Un hamburger fait de viande biologique,
accompagné d’une poutine faite avec du fromage de production locale et
équitable, n’en sera pas moins riche en gras et en sel.
Le piège du moindre des deux maux vous est tendu par ces fabricants dont
le produit même est néfaste.
Comme pour plusieurs pièges que nous avons vus, une question importante
se pose : où doit-on tracer la limite ? C’est peut-être évident avec la
cigarette, la malbouffe et l’armement, mais qu’en est-il de produits plus ou
moins superflus, par exemple une cravate ? En soi, la cravate n’a aucune
fonction utile. Elle a une fonction très limitée d’apparat. Même faite de
tissu biologique et équitable, la cravate sera toujours aussi superflue.
Imaginez le nombre d’hectares de champs de coton qu’on pourrait
reconvertir en habitat naturel si on cessait complètement la production de
cravates.
À mon avis, le piège du moindre des deux maux en cache un autre : le
besoin mal défini. Je crois que l’être humain est très habile à se convaincre
de consommer un produit « néfaste » », quelle que soit la raison qu’il
invoque. Je reviendrai abondamment sur cette question dans les prochains
chapitres.
7. Le mensonge
Vous êtes probablement découragé devant tous ces pièges, surtout lorsque
les études de Terra Choice affirment que presque tout les produits utilisent
l’une ou l’autre de ces techniques. Comment faire des choix
écoresponsables éclairés ?
La solution va vous surprendre. C’est du moins la réaction qu’ont eue tous
ceux à qui je l’ai présentée au cours des dernières années. Je ne parle pas
d’un effet mirobolant, mais plutôt d’un effet surprenant tant cette solution
est simple, et tant il ne s’agit que de faire preuve de gros bon sens. On dirait
que, en tant que consommateur, nous avons été conditionnés à manquer de
jugement. Vous êtes encore plus confus ? Parfait ! C’est le but.
Dans le prochain chapitre, vous verrez comment il vous est possible de
vous réapproprier votre gros bon sens. Cela vous permettra, notamment, de
mieux identifier les pièges du maquillage vert et de faire des choix plus
écoresponsables. Vous aurez également des exercices à faire lors de votre
prochaine sortie. Petit à petit, vous comprendrez pourquoi je parle du
« secret de la consommation responsable » ». Quand avous aurez percé ce
secret, votre relation par rapport au magasinage, aux produits de
consommation et au prix payé sera complètement transformée. C’est le
changement que provoque la pensée du « cycle de vie » », le secret de la
consommation responsable.
IV : Le secret de La consommation
responsable
Avez-vous commis une ou plusieurs de ces erreurs ?
1. Imprimer sur du papier recyclé.
2. Acheter de la vaisselle biodégradable.
3. Vous abonner à la facturation en ligne.
4. Remplacer vos ampoules incandescentes par des fluocompactes.
5. Favoriser l’achat local.
Si vous avez commis une de ces erreurs, c’est que vous êtes probablement
engagé dans une démarche de développement durable (si c’est dans le cadre
de votre travail) ou, à tout le moins, vous êtes conscient de l’empreinte
environnementale de vos gestes quotidiens à la maison.
Bon, je l’admets, j’y vais un peu fort en qualifiant ces gestes d’erreurs. Je
ne les remets pas en question. Je tiens plutôt à vous montrer que,
malheureusement, ils ont, dans certaines situations, pour effet d’augmenter
l’impact négatif de votre empreinte globale sur l’environnement ! Et ces
exemples ne sont que la pointe de l’iceberg. Avant d’aller plus loin,
revenons sur chacun de ces gestes pour comprendre pourquoi et dans
quelles situations ils peuvent avoir un effet contraire à celui que vous
recherchez.
Parler d’achat local est un autre sujet complexe. Après tout, qu’est-ce qu’un
achat local ? Est-ce favoriser un producteur québécois ? Si oui, s’agit-il
aussi de circonscrire la provenance d’un produit en la limitant à une
distance de, par exemple, 300 km ? Selon quels critères établit-on cette
distance ?
Est-ce en fonction de sa valeur (en dollars) pour le consommateur, de la
quantité de matériaux engagée (en kilogrammes) ou du nombre d’emplois
créés ? Par exemple, est-ce que du chocolat, des vêtements ou même le
sucre pourraient être considérés comme des produits locaux ? Aux
dernières nouvelles, nous ne produisons ni cacao, ni coton, ni canne à sucre.
Rassurez-vous, mon but n’est pas d’entrer ici dans ce genre de détails. Pour
les besoins de la cause, rallions-nous au consensus général voulant qu’un
achat local consiste à favoriser les produits made in Quebec. Je dis « les
besoins de la cause » », car il s’agit bien d’une cause.
Loin de moi l’idée de décourager les gens d’acheter des produits locaux. Je
souhaite plutôt déboulonner plusieurs arguments environnementaux en
faveur de l’achat local.
La croyance veut que plus un produit vient de loin, moins il est écologique.
Le transport est sans contredit une source importante d’émissions de gaz à
effet de serre. Cependant, de nombreuses études montrent que le transport
n’est souvent pas la principale source d’émissions de GES. S’il y a une
chose que vous devez retenir, c’est que la distance entre le lieu de
production et le lieu de consommation n’est pas un indicateur fiable du
bilan carbone d’un produit.
Prenez la production d’un sapin de Noël. Qu’est-ce qui contribue le plus au
réchauffement du climat entre un sapin naturel et un sapin artificiel ? Le
sapin naturel est produit au Québec, tandis que le sapin artificiel vient de la
Chine. Alors, lequel a la plus faible empreinte de carbone ?
C’est la question que mon équipe et moi chez ellipsos nous sommes posée à
la suite d’un article paru dans un journal. Pour y répondre, nous avons
investi cinq mois de travail afin de réaliser une étude comparant les deux
produits dans les moindres détails.
Nous avons vite compris que la vraie question n’était pas de savoir lequel
des deux arbres était le plus « vert »(sans jeu de mots !), mais bien combien
de temps faut-il conserver le sapin artificiel avant que ce choix devienne
plus avantageux ? En effet, puisqu’il faut acheter un nouvel arbre naturel
chaque année, ce n’est qu’une question de temps avant que l’impact
cumulatif de ce dernier dépasse celui du sapin artificiel. Bien sûr, nous ne
savions pas encore s’il était question de moins de un an ou de plus de 100
ans.
La réponse est aujourd’hui bien connue, puisque les résultats de l’étude ont
été rapportés dans les médias. Ils révèlent qu’on doit utiliser le sapin
artificiel plus de 21 ans pour qu’il devienne la meilleure option. Or, peu de
gens le font. En moyenne, un sapin artificiel est utilisé six fois seulement.
C’est pourquoi nous avons conclu que le sapin naturel est préférable. Il
faudrait réussir à changer radicalement les habitudes des gens pour que le
sapin en plastique prenne le dessus.
Et la provenance dans tout ça ? Étonnamment, le transport de l’arbre
artificiel entre la Chine et Montréal représente 8 % des impacts sur les
changements climatiques. En revanche, le transport de l’arbre produit au
Québec représente la presque totalité des impacts du sapin naturel. Il faut
dire que le moyen de transport joue un rôle important. Le sapin artificiel
parcourt une très grande distance… en bateau. En comparaison, un
kilomètre en camion contribue beaucoup plus aux émissions de gaz à effet
de serre.
Ce n’est pas le pire. Nous avons découvert que le principal impact associé
au transport du sapin naturel ne vient pas de tous ces kilomètres parcourus
en camion. Il vient de vous. Le fait de prendre votre voiture pour vous
rendre l’acheter chez le détaillant et revenir à la maison contribue quatre
fois plus aux émissions de gaz à effet de serre que tout le transport en
bateau du sapin artificiel.
Difficile à croire, n’est-ce pas ? C’est pourtant vrai.
Cette situation se retrouve surtout dans l’industrie alimentaire. Plusieurs
études confirment que, lorsqu’il s’agit de faire son marché, la provenance
des aliments est un piètre indicateur de l’empreinte carbone[viii]. Ce n’est
toutefois pas une raison pour ignorer cette information. Si le transport est
secondaire, l’étape de la production domine généralement toutes les
catégories d’impacts. Par conséquent, les méthodes de production, les
technologies utilisées, la source de production de l’électricité, l’accessibilité
à l’eau et tout un éventail d’autres critères peuvent jouer un rôle mille fois
plus grand sur la performance environnementale d’un aliment.
Par ailleurs, si le transport d’un produit a un impact secondaire sur
l’environnement, l’étape de la production domine généralement toutes les
catégories d’impact. Par conséquent, les méthodes de production, les
technologies utilisées, la source de production de l’électricité, l’accessibilité
à l’eau et tout un éventail d’autres critères peuvent jouer un rôle mille fois
plus grand sur la « performance environnementale » d’un aliment. Tous ces
facteurs peuvent varier significativement d’un pays à l’autre, d’où
l’importance de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
Exercice
Cet exercice dure de un à cinq jours, selon la fréquence de vos
achats. Au cours de vos prochaines sorties, que ce soit pour acheter
un café près du bureau, du lait au dépanneur ou un jean, vous devrez
regarder attentivement comment les produits vous sont présentés.
Soyez attentif aux affirmations sur l’emballage. Si possible, posez
des questions au personnel du magasin. À la maison, visitez le site
Web du fabricant des produits que vous avez achetés, même le lait.
Voyez s’il y a une section « développement durable »,
« environnement » ou « responsabilité sociale » et consultez
l’information disponible.
Le but de cet exercice n’est pas de porter un jugement sur le produit ou le
fabricant – pas tout de suite. Il ne consiste qu’à prendre connaissance de
l’information disponible. Comment est-elle présentée ? Est-elle facilement
accessible ? Semble-t-elle crédible, et pourquoi ? Est-ce que le personnel est
en mesure de répondre à vos questions ? Évidemment, il est possible de
consacrer beaucoup de temps à un tel exercice. Si vous en faites l’effort,
vous en retirerez certainement beaucoup de satisfaction, car vous
découvrirez des choses qui vous échappaient à propos de vos marques
préférées. Si vous manquez de temps, faites au moins l’exercice à partir
d’un ou deux produits que vous avez déjà à la maison et que vous achetez
fréquemment.
« Dessine-moi un poisson ! »
« Pour moi, émettre tous ces produits chimiques dans l’air n’a rien de bon.
Le smog dans nos villes n’apporte rien de bon non plus. Je ne vois rien de
bon dans le fait de polluer les rivières des pays en développement afin
qu’un consommateur puisse se procurer un produit à meilleur prix dans un
pays développé. Ces choses sont fondamentalement mauvaises, que vous
soyez un environnementaliste ou non. »
Cette déclaration n’est pas celle de David Suzuki, mais de Lee Scott, alors
qu’il était président de Walmart. Elle faisait partie d’un discours
déterminant prononcé en novembre 2005 et diffusé dans toutes les
succursales de Walmart, soit dans le monde entier.
Ce discours n’était pourtant pas le début de l’aventure de la réduction de
l’empreinte environnementale du plus important détaillant du monde. Il faut
en effet se reporter deux années plus tôt, environ, pour découvrir l’origine
de ce changement. C’est au cours d’un voyage de plongée sousmarine au
Costa Rica que tout a commencé.
Rob Walton, fils du célèbre fondateur de Walmart, Sam Walton, était en
voyage avec un ami, Peter Seligmann, le cofondateur du Conservation
International, une des plus importantes ONG environnementalistes de
Washington. Ce voyage de plongée aux allures de vacances n’était
d’ailleurs pas un pur hasard, puisque les deux hommes étaient devenus amis
après un safari qui a marqué Rob Walton. Ce dernier avait alors été
profondément touché par ce qu’il avait vu, au point de vouloir aider son ami
Peter Seligmann à protéger les habitats sauvages menacés, et ce, par
l’entremise de l’entreprise familiale (Walmart), qui possède des centaines
de millions de dollars.
De cette rencontre est née une amitié qui les a menés au Costa Rica. Au
cours de ce voyage, Peter Seligmann a montré à Rob Walton comment les
bateaux de pêche détruisaient les magnifiques zones côtières, qui abritent
une des plus riches biodiversités marines.
Voulant protéger ce trésor mondial, Rob Walton a offert à son ami de
financer à coup de millions son organisation afin de lui donner les moyens
d’intervenir. Peter Seligmann l’a regardé dans les yeux, puis il lui a
répondu : « Ce qu’il faut, c’est changer la manière dont fonctionne toute
l’industrie. Si tu veux vraiment faire une différence, sers-toi de l’influence
de ton entreprise. »
Quelques semaines plus tard, les deux hommes étaient dans le bureau de
Lee Scott. Ils lui ont expliqué comment Walmart pouvait être – devait être –
la locomotive d’une transformation sans précédent. Après tout, se disaient-
ils, qui d’autre que Walmart peut avoir un tel impact ?
Vous le savez sans doute déjà : le meilleur déchet est celui qu’on ne produit
pas. Autrement dit, le recyclage, c’est bien ; la réduction à la source, c’est
mieux.
Exercice
À l’heure actuelle, il est vraiment difficile de faire des choix éclairés. Nous
prenons nos décisions en fonction des caractéristiques du produit plutôt que
de sa performance. D’autant qu’il faut bien l’admettre : on a beau faire tous
les efforts pour s’informer de manière responsable avant d’acheter un
produit, l’information complète demeure bien cachée. En comparaison,
retracer de l’argent sale dans des paradis fiscaux est un jeu d’enfant.
C’est seulement lorsque la performance environnementale et sociale du
cycle de vie sera disponible et transparente que nous pourrons faire des
choix vraiment éclairés. C’est ce que Daniel Goleman entend par
« transparence radicale ». « La transparence écologique devient radicale
quand son analyse comprend l’ensemble du cycle de vie du produit et
l’éventail complet de ses conséquences à chaque étape » », précise l’auteur.
Il ajoute – et c’est à mon avis la condition sine qua non pour que la
transparence radicale change réellement tout – que « l’information doit être
présentée aux consommateurs de manière compréhensible » ».
Pas parfaite. Simplement com-pré-hen-sible.
Autrement dit, l’information environnementale doit être claire, simple et
complète. Elle ne doit pas ressembler aux étiquettes présentant la valeur
nutritionnelle des aliments. Elle doit, au contraire, être aussi évidente que le
prix, une information qui a le mérite d’être facilement comparable.
C’est exactement le rôle que jouent les étiquettes carbone. Ingénieur
bénévole, Gontran Bage, formé par Al Gore pour donner des conférences
sur les changements climatiques dans le cadre du Projet climatique Canada,
dit toujours : « Au Québec, nous avons deux chiffres sur notre facture, le
prix et le nombre de Air miles. En France aussi il y a deux chiffres, le prix
et le poids carbone ». En effet, lorsque vous recevez votre coupon de caisse
à la sortie d’un Leclerc, l’équivalent français d’un lGA au Québec, deux
prix figurent au bas. Le premier est le total, présenté en euros ; le second est
le prix environnemental, présenté en kilogrammes de CO2. Ce bilan
carbone représente l’addition des calculs réalisés à l’aide de l’analyse du
cycle de vie de chaque produit. Toutefois, ce n’est qu’à la caisse que le
client découvre son coût total.
Tesco, un autre détaillant européen, anglais celui-là, a une approche plus
intéressante encore : l’étiquette carbone est présentée pour chacun des
produits. Avec cette information, vous pouvez modifier le contenu en
carbone de votre panier d’épicerie au moment de choisir vos produits.
Non seulement l’information est-elle plus précise, mais elle est en train de
faire école un peu partout dans le monde occidental, de l’Europe aux États-
Unis en passant par le Japon. Pourquoi ? L’étiquette carbone de Tesco est
certifiée par un organisme indépendant, le Carbon Trust.
S’il est vrai que l’étiquette carbone nous donnera un plus grand pouvoir
comme consommateurs, elle créera une vague comparable à un tsunami
pour les fabricants. Comprenez que, depuis des décennies, ces derniers se
battent au sujet d’un critère qui leur essentiel : le prix. Certains se
démarquent ensuite par le choix de l’emballage, la qualité de leur produit
ou d’autres facteurs distinctifs. Chose certaine, depuis toujours, les
fabricants ont eu un certain contrôle sur ce qui les distingue de leur
concurrent. Or, ce n’est plus le cas avec l’arrivée des étiquettes carbone.
Pour la première fois, les fabricants doivent divulguer une information au
sujet de laquelle ils n’arrivent pas à savoir dans quelle mesure ils se
distinguent de leurs concurrents. Le risque est réel. En effet, quel message
envoie le fabricant dont le bilan carbone est trois fois plus élevée que celle
de la moyenne des produits de ses compétiteurs ?
Personne ne veut se retrouver dans cette situation. Toutefois, pour améliorer
son bilan carbone, il ne suffit pas d’installer des ampoules éconergétiques,
comme vous l’avez vu. Cela peut prendre plusieurs années à une entreprise
pour revoir ses procédés, adopter des politiques sociales et
environnementales, travailler de concert avec ses fournisseurs pour intégrer
la comptabilité environnementale et sociale à ses pratiques de gestion.
Pendant ce temps, les concurrents aussi ont intérêt à s’améliorer.
La bonne nouvelle, du moins pour les fabricants qui vendent leurs produits
au Québec, c’est que les étiquettes carbone n’ont pas encore atterri sur nos
tablettes. Les premiers à obtenir ladite étiquette vont donc profiter de la
visibilité des leaders : les médias parleront d’eux et le public les associera
plus facilement aux étiquettes carbone chaque fois qu’il en sera question
dans l’actualité. Ils auront surtout une longueur d’avance sur les autres pour
réduire leur impact négatif sur l’environnement. C’est un double incitatif
qui permettra de créer un effet domino. L’économiste John
Perkins, auteur du best-seller Confessions of an Economic Hit Man, le dit :
« le marché est assez démocratique. Nous, les consommateurs, décidons
quelles entreprises vont réussir et lesquelles vont échouer. »
Pour sa part, Daniel Goleman croit que cette transparence créera un
nouveau paysage concurrentiel. « La transparence radicale offre la
possibilité d’utiliser le potentiel latent du libre marché pour stimuler les
changements que nous devons faire, en donnant aux consommateurs et aux
dirigeants les données qui permettent de prendre de meilleures décisions. »
En ce qui me concerne, je crois qu’il s’agit du moyen le plus efficace qui
soit pour sortir de notre immobilisme, convaincre les entreprises de se
préoccuper de leur performance environnementale et sociale, et modifier
durablement les comportements des consommateurs. Bref, c’est le meilleur
moyen pour sauver l’humanité.
J’y crois tellement que j’ai décidé d’y consacrer toutes mes énergies. Avant
de fonder mon entreprise, ellipsos, j’avais envisagé plusieurs moyens pour
« changer le monde » ». J’avais d’abord choisi d’étudier le droit, à
l’université, dans l’espoir de faire une carrière en droit de l’environnement.
Après deux ans, j’ai cependant compris qu’en tant qu’avocat, je défendrais
les entreprises fautives, ou alors je fournirais à ces dernières les arguments
pour polluer légalement. Par la suite, je me suis impliqué dans une ONG
environnementaliste. Or, je suis de nature conciliante, la contestation n’était
pas pour moi.
Plus tard, j’ai compris que l’activisme était la pierre angulaire du
changement. Il permet de sensibiliser les consommateurs à leur pouvoir et
oblige les dirigeants à rendre des comptes. Mais cela fait plus de 40 ans que
les Greenpeace, World Wildlife Fund et autres Sierra Club dénoncent la
situation. Leurs positions sont soutenues par des recherches scientifiques de
plus en plus consensuelles. Malgré cela, peu de choses ont changé. Nous
continuons d’extraire des ressources non renouvelables, de détruire des
habitats naturels et de rejeter des milliards de tonnes de produits toxiques
dans l’air, l’eau et le sol, et ce, chaque jour.
Cela dit, il est tout à fait possible de renverser rapidement l’effet destructeur
de l’être humain sur la planète. Pour cela, il faut montrer au consommateur
le coût réel de ce qu’il achète. Les étiquettes carbone sont un premier pas
très important dans cette direction, et Walmart pourrait bien faire le
deuxième.
Par une froide journée d’octore 2005, j’ai rencontré Gregory Norris. Il était
assis à ma droite, agissant comme modérateur de la conférence. Il était
calme et affichait un sourire rassurant. J’en avais bien besoin : mes mains
étaient froides et moites ; elles tremblaient de nervosité. C’était la première
fois que je donnais une conférence sur l’analyse du cycle de vie. Comme si
cela n’était pas assez stressant, le public devant moi avait de quoi
m’intimider davantage : j’étais au deuxième Forum canadien sur l’ACV,
organisé par le CIRAIG.
Dans le petit monde international de l’ACV, Greg Norris fait figure de
pionnier. Professeur à l’Université Harvard et à l’Université d’Arkansas, il
est un des chercheurs qui ont contribué de manière importante à
l’avancement de la méthodologie en question.
Plus tôt dans la journée, Greg avait présenté le projet auquel il travaillait :
Earthster, un logiciel pour retracer les impacts sociaux et environnementaux
du cycle de vie d’un produit. Contrairement aux autres logiciels pour
l’ACV, celui-ci se veut simple et accessible ; j’entends par là qu’il est à
code source libre (open source). En 2005, cette caractéristique était
novatrice en matière d’ACV, surtout quand on sait que les banques de
données ont coûté des fortunes à développer, que le processus est long et
complexe et que les données doivent être vérifiées par des experts
indépendants pour s’assurer de leur qualité et de leur représentativité.
Gregory Norris propose de démocratiser tout ça. Avec son outil, les
industriels peuvent avoir accès à toutes les données de la banque Earthster.
Ils peuvent aussi ajouter leurs propres données. Mieux, ils peuvent
personnaliser leur ACV en invitant leurs fournisseurs à ajouter leurs
données dans le logiciel en ligne. Le concept s’inspire directement de la
communauté Wikipédia.
Combien de fois avez-vous assisté à une conférence scientifique et été
ébahi ? Cela a été ma réaction après l’allocution de Gregory Norris. Sa
présentation fut pour moi un moment révélateur. À mon étonnement,
plusieurs de mes collègues n’étaient pas impressionnés. Des défis
importants, voire insurmontables, les rendaient sceptiques quant à son outil.
« Ce n’est pas fiable. Qui va vérifier si les données fournies par les usagers
sont vraies ? »demandait l’un d’eux. « C’est une banque de données
canadienne financée par le gouvernement qu’il nous faut, pas un logiciel
open source » », affirmait un autre. « Ça ne peut marcher que s’il y a des
milliers d’entreprises qui participent. C’est irréaliste ! » concluait un autre.
Ces commentaires sont courants. Ce sont les mêmes qu’on entendait à
propos de l’encyclopédie en ligne Wikipédia, au début des années 2000. Or,
10 ans plus tard, aucune encyclopédie n’est aussi précise, à jour et complète
que Wikipédia. Et c’est gratuit. Selon moi, vu la vitesse à laquelle évoluent
les chaînes d’approvisionnement, l’approche d’Earthster est le seul moyen
de produire des informations complètes, mises à jour en temps réel et à coût
dérisoire. C’est le futur.
Et le futur est en voie de se concrétiser. En effet, Gregory Norris n’a pas
chômé depuis ce temps. Il est devenu un des proches conseillés de Walmart.
Il est aussi un des membres fondateurs du Sustainability Consortium. Mais
avant de vous parler du rôle de Greg, de son outil et de ce consortium, je
vous ramène à Bentonville, au siège social de Walmart.
En juillet 2009, le nouveau PDG de Walmart, Mike Duke, a annoncé un
projet ambitieux, le Walmart Sustainability Index. « Aujourd’hui, je vais
vous présenter une nouvelle initiative d’envergure, qui va réduire les coûts,
améliorer la qualité et donner aux consommateurs les produits dont ils ont
besoin pour économiser et mieux vivre au XXIe siècle. Et, au passage, faire
de nous une meilleure société. »
Si vous avez encore des doutes sur les motifs de Walmart, rappelez-vous
qu’à ce moment nous étions en pleine crise financière mondiale. Ça prenait
du cran ! En effet, jamais une entreprise comme Walmart n’aurait lancé en
grande pompe une démarche environnementale si elle avait eu pour
conséquence d’augmenter les coûts en période de grande incertitude
économique. Impossible.
« Aujourd’hui, reprend Mike Duke, nous annonçons que nous allons
prendre les devants dans la création du Sustainability Index. Ce dernier va
rendre la chaîne d’approvisionnement plus transparente, stimuler
l’innovation et, ultimement, fournir au consommateur l’information dont il
a besoin pour évaluer la durabilité d’un produit. »
Pour lancer cet outil, le détaillant ne s’est pas tourné les pouces. À
l’automne de la même année, les quelque 100 000 fournisseurs de Walmart
ont chacun reçu un formulaire de 15 questions touchant à l’énergie et au
climat, aux types de matériaux choisis, à l’origine des ressources naturelles
et aux différentes communautés.
Walmart a par ailleurs appuyé et financé un consortium d’universitaires
appelés à travailler de concert avec les fournisseurs, les détaillants, les
ONG et les gouvernements du monde entier, pour développer « une banque
de renseignements sur le cycle de vie des produits, soit des matières
premières jusqu’à l’élimination » », a précisé le PDG. Vous l’aurez deviné,
Greg Norris est un de ces universitaires, et l’organisation indépendante est
le Sustainability Consortium.
Le pouvoir d’achat présent autour de la table de ce consortium a de quoi
impressionner. Outre les ONG, il y a 52 membres issus des plus grandes
multinationales de la planète, comme Procter & Gamble, PepsiCo, SC
Johnson, Unilever, General Mills, Disney, HP, Dell, Cargill, Monsanto et
BASF, pour ne nommer que celles-là.
Toujours à l’automne 2009, Earthster participait à un projet pilote avec sept
produits vendus chez Walmart. Décidément, les étoiles sont en train de
s’aligner pour cet outil d’ACV jugé par certains comme étant
« irréaliste » », « pas fiable »et « utopique » ». Avec le poids de Walmart et
de ses 100 000 fournisseurs, le rêve de Greg Norris est pourtant en voie de
se concrétiser.
Impressionné ? Attendez, le meilleur est à venir. Si je dis que l’entreprise
Walmart sera associée au XXIe siècle comme Ford le fut pour
l’automatisation et la Révolution industrielle (nos petits-enfants
apprendront peut-être le « Waltonisme »dans leurs livres scolaires
électroniques ?), c’est parce que le Sustainability Index ne sera pas exclusif
à Walmart. Elle va le partager avec tous ses concurrents !
Vous avez bien lu. Walmart est en train de se bâtir un avantage
concurrentiel sans précédent et le rendra accessible à tous. Malgré ces
quelque 100 000 fournisseurs, Walmart ne vend tout de même qu’une
infime fraction de tout ce qui se produit dans le monde. Bien que réelle, son
influence a des limites.
De plus, si Walmart veut que le jeu en vaille la chandelle pour ses
fournisseurs, elle doit éviter que ces derniers ne doivent remplir un
questionnaire différent pour chacun de leurs clients… Mieux encore,
comme les prix, les données doivent être comparables d’un fournisseur à
l’autre. C’est aussi vrai pour les concurrents de Walmart. Petit à petit va se
construire un savoir-faire en matière d’analyse du cycle de vie, qui va
rendre la comptabilité environnementale aussi courante et naturelle que la
comptabilité financière dans les entreprises.
Avec les étiquettes carbone, le Sustainability Index et Earthster, nous
pouvons désormais croire que la transparence radicale dont parle Daniel
Goleman est à nos portes. Comment tout cela se traduira-t-il sur les
étagères, pour vous et moi ? Ce n’est pas encore clair, mais pas besoin
d’attendre trois ou quatre ans avant de le découvrir, surtout que Walmart
n’est pas la seule entreprise à vouloir mieux informer le consommateur.
Je vous ai dit plus tôt que la transparence écologique allait tout changer.
J’affirmais qu’elle permettrait de renverser rapidement les effets
destructeurs de l’être humain sur la planète. Eh bien, je vous ai menti.
Nous limiter à l’aspect environnemental des produits ne nous permettra pas
de créer une société durable. Fondamentalement, le problème n’est pas
d’ordre environnemental. La planète pourrait très bien se passer de nous,
tandis qu’au contraire, nous ne pourrions pas nous passer de mère Nature.
En fait, notre problème est essentiellement humain.
Attention ! Je ne suis pas en train de vous dire qu’on devrait faire
disparaître l’être humain de la surface de la Terre. Au contraire, je crois
qu’il faut le mettre au centre de la consommation écoresponsable. Les
ouvriers comme Yilmaz et Mehmetça, les deux cousins turcs, continueront
à souffrir si la « révolution du prix »se limite à présenter le bilan carbone.
Les pressions sur les écosystèmes continueront à s’amplifier si on continue
de souscrire à des conditions de travail misérables et à des salaires de crève-
la-faim. Et les entreprises ne retireront pas tous les bénéfices d’une
démarche de développement durable si elles le font pour les écosystèmes.
D’ailleurs, malgré tous ses efforts en matière d’étiquette environnementale,
Walmart reste largement critiquée parce qu’elle n’intègre pas aussi bien la
dimension sociale dans sa démarche de développement durable. J’ai espoir
que cela change, principalement grâce à l’analyse sociale du cycle de vie
des produits que nous consommons.
Exercice
Un outil extraordinaire peut vous aider dès aujourd’hui à faire des choix
plus éclairés. Il s’appelle GoodGuide. L’idée est celle de Dara O’Rourke.
Vous ne le connaissez pas, mais vous avez déjà entendu parler de son
travail. C’est lui qui a mis Nike dans l’eau chaude à la fin des années 1980.
Il avait montré, dans les médias du monde entier, les conditions de travail
misérables dans les ateliers des fournisseurs du géant de la chaussure sport,
qui embauchaient même de jeunes enfants.
GoodGuide contient un listage de plus de 70 000 produits de consommation
courante, de vos céréales à vos produits de beauté, en passant par les
boissons et les produits laitiers. Chaque produit a été évalué à l’aide de
nombreuses sources de données ; certaines sources étant publiques et
disponibles sur le site des producteurs, et d’autres étant privées, y compris
des banques de données d’analyse du cycle de vie. Une note sur 10 a été
attribuée, 10 étant le niveau le plus écoresponsable. Il est même possible de
voir comment la note a été attribuée à partir de trois indicateurs que vous
pouvez consulter : la santé et la nutrition, la qualité de l’environnement et
l’impact social. C’est très impressionnant, mais ce n’est pas tout.
Vous pouvez, bien entendu, consulter GoodGuide en ligne, gratuitement. Ce
n’est toutefois pas pratique lorsque vous êtes en magasin. C’est pourquoi
vous pouvez aussi télécharger une application sur votre cellulaire. Elle
permet d’utiliser la caméra de l’appareil comme numériseur (scanner) !
Désormais, si vous êtes dans un rayon d’épicerie et que vous hésitez entre
deux produits, il vous suffit de soumettre leurs codes-barres à votre
numériseur (scanner) portatif et de comparer les résultats. Rien de moins !
J’ai essayé l’outil en question, et c’est vraiment bien fait. Toutefois, il n’est
pas réaliste de faire tous ses achats en passant au numériseur (scanner)
chaque produit : c’est long. Je vous propose donc de suivre l’exemple de
Daniel Goleman. Quand il a découvert ladite application numérique, il a
réuni cinq de ses amis pour une soirée GoodGuide. Son concept était
simple : étant donné qu’ils étaient très fidèles à leurs marques, tous les cinq
devaient dresser une liste exhaustive des principaux produits qui se
trouvaient dans leurs armoires. Ensuite, ils ont passé la soirée à comparer
leurs produits à l’aide de GoodGuide.
Pour une soirée du genre, il est souhaitable que chacun apporte son
ordinateur portable ou son cellulaire intelligent ; l’exercice est alors moins
long. À la fin de la soirée, vous aurez identifié les produits que vous devez
dorénavant éviter d’acheter. Vous aurez même trouvé par quels produits les
remplacer. Le fait d’être plusieurs vous permet de comparer plus facilement
les produits et d’échanger vos appréciations personnelles. Bon magasinage !
VII : Quelle est la proportion de
corruption dans votre rouge à lèvres ?
Qu’y a-t-il de plus local qu’une tomate produite au Québec ? C’est la
question que s’est posée Catherine Benoît qui, dans le cadre de son doctorat
à l’UQAM, cherchait à comparer, en utilisant la méthodologie de l’analyse
du cycle de vie (ACV), les impacts sociaux d’un produit local par rapport à
un produit importé.
Ses résultats sont surprenants. Il y a moins de « local » dans la tomate du
Québec qu’elle a étudiée que dans un chocolat made in Quebec. Au moins,
le chocolat a une excuse : le cacao ne pousse pas ici et c’est un produit
transformé.
Comment donc une tomate qui pousse ici peut ne pas faire travailler des
Québécois ? Catherine a découvert que la tomate commence sa vie dans un
laboratoire en France, spécialisé dans le développement de semences de
tomates. À l’aide de croisements et de sélections des meilleurs plants, les
chercheurs « conçoivent »des tomates parfaites. Couleur parfaite. Fermeté
parfaite. Forme parfaite. Grosseur parfaite. Chair parfaite. Bref, la tomate
vendue dans toutes les épiceries de nos jours.
La semence parfaite est ensuite envoyée en Chine où des milliers de
travailleurs la font pousser pour en récolter les graines ; c’est l’usine à
semences. Une fois récoltées et séchées, elles retournent en France où elles
sont traitées. De là, elles sont envoyées aux quatre coins du globe. Celles
destinées au
Québec n’arrivent cependant pas au Québec. Pas tout de suite. Elles se
rendent avant chez un agriculteur, en Ontario, dont le travail consiste à
mettre les semences en terre et à les faire germer dans ses serres. Ce n’est
qu’ensuite qu’elles prennent un camion en direction d’un producteur
québécois. L’aventure n’est pas terminée pour autant. Jusqu’ici, la tomate
« québécoise » a fait travailler des Français, des Chinois et des Ontariens.
Une fois au Québec, elle fait travailler des Québécois, bien sûr, mais aussi
des. Mexicains et des Guatémaltèques qui la cueillent de leurs mains.
Quand je vous disais que l’origine du produit à l’épicerie était un mauvais
indicateur, en voici une nouvelle preuve.
Ce qui est fascinant lorsqu’on parle avec Catherine, c’est qu’elle nous fait
réaliser à quel point aucun produit – aucun – n’est 100 % d’origine locale.
Du moins, pas du point de vue du cycle de vie. En effet, l’essence qui a
servi à faire tourner le moteur d’une machine dans une usine du Québec
vient probablement du Moyen-Orient ou du golfe du Mexique ; le coton des
vêtements des employés a été produit en Asie ; le café qu’ils ont bu vient de
Colombie.
La meilleure illustration de cette réalité m’a été fournie par la chanteuse
Judi Richards.
Catherine l’a compris lorsqu’elle recueillait les données pour son analyse
sociale du cycle de vie de la tomate. Au Québec, les travailleurs mexicains
et guatémaltèques ont des conditions de travail différentes de celles des
Québécois. Parmi les Québécois, il y a les travailleurs permanents, qui
travaillent un maximum de 40 heures par semaine. Puis, il y a les étudiants
qui travaillent à un salaire moindre, à raison de 15 à 20 heures par semaine.
En comparaison, les travailleurs immigrants sont exploités : ils travaillent
60 heures par semaine, à un salaire inférieur !
Votre réflexe est certainement de condamner cette situation. Pas Catherine,
qui s’est gardée de porter un jugement et qui a respecté sa démarche
scientifique. Afin de valider les données, elle s’est rendue sur place pour
interroger les travailleurs. Elle ne s’attendait pas du tout aux commentaires
qu’elle a recueillis : les Mexicains et les Guatémaltèques ne se plaignaient
pas de leurs trop longues heures de travail ; ils se plaignaient de ne pas
pouvoir en faire plus !
« Il faut se mettre à leur place, explique Catherine. Imaginez que vous
partiez loin de chez vous parce qu’il n’y a pas de travail dans votre coin.
C’est un voyage que vous êtes prêt à faire à condition que vous puissiez
faire un coup d’argent ; pendant votre séjour à l’étranger, votre objectif est
d’en faire le plus possible. Vous acceptez alors toutes les heures
supplémentaires qu’on vous offre. Vous êtes loin de votre famille, de vos
enfants. Plus vite vous pouvez repartir, mieux c’est.[xvi] »
Par ailleurs, l’agriculteur qui embauche les travailleurs saisonniers de
l’étranger ne peut pas offrir à ces derniers le même salaire qu’il offre aux
Québécois, car il doit investir du temps pour remplir la paperasse, payer
leur billet d’avion, les nourrir et les loger. S’il le fait, c’est uniquement
parce qu’il manque de main-d’œuvre locale prête à faire ce travail, dur
physiquement, et à être payée au salaire minimum.
« Les marchés savent tout à propos du prix et rien à propos des coûts. »
Cette citation prend tout son sens lorsqu’on pense à la notion des
externalités, c’est-à-dire les coûts qui ne sont pas reflétés dans le prix payé
par le consommateur. Qui paye ? Vous, moi, la société, les habitants des
pays pauvres et, surtout, les générations futures. Bref, les autres.
Voici quelques exemples d’externalités :
^ les frais médicaux engagés pour les personnes hospitalisées aux prises
avec des problèmes respiratoires, les jours d’alerte au smog ;
^ les coûts de maintien d’une armée au Moyen-Orient pour assurer à
l’Occident un approvisionnement en pétrole ;
^ la perte du potentiel de revenus de la pêche pour les générations futures,
causée par la surpêche ;
^ les coûts, payés par les gouvernements, pour la décontamination des sols
après la fermeture d’une mine ;
^ les subventions aux agriculteurs pour les mauvais rendements de plus en
plus fréquents ;
^ les coûts associés au nettoyage, à la perte de revenus et à la perte de
valeur des propriétés à la suite du déversement accidentel de millions de
tonnes de pétrole dans le golfe du Mexique – dont BP est responsable ;
^ les dépenses engagées pour les infrastructures et le fonctionnement des
usines de filtration des eaux.
Bien sûr, les entreprises paient des taxes qui servent à éponger certains de
ces coûts. Toutefois, les taxes qu’elles versent sont largement insuffisantes
pour tout payer. Au surplus, les dépenses de l’État n’incluent même pas le
coût relatif à la perte de capacité des générations futures de tirer des
revenus des ressources, comme c’est le cas en Gaspésie, où il faudra
sacrifier une génération ou deux avant de pouvoir travailler à nouveau dans
la forêt.
Ces dépenses de l’État n’incluent pas non plus les frais à payer pour la
gestion des problèmes laissés derrière, comme les déchets radioactifs des
centrales nucléaires, dont on ne sait toujours pas quoi faire. Or, c’est là, à
mon avis, l’effet le plus pervers des externalités : un héritage empoisonné
(achetez maintenant, payez demain) aux générations futures. De fait, c’est
comme si vous transfériez à vos petits-enfants le solde de toutes vos cartes
de crédit. Je pense sincèrement que les marchés fonctionneraient mieux si
on pouvait inclure tous ces coûts cachés dans le prix. C’est d’ailleurs une
des hypothèses fondamentales de la plupart des théories économiques.
Malheureusement, les entreprises ont intérêt à faire payer à d’autres le
maximum de coûts que la société est prête à assumer. Par conséquent,
chaque fois qu’une réglementation émerge pour internaliser un de ces coûts
– en obligeant, par exemple, les usines à filtrer leurs eaux usées –, les
marchés cherchent des moyens de la contourner. C’est inévitable.
Il faut souligner que ces mêmes entreprises achètent elles aussi, à un prix
illusoire, des produits ou services de leurs fournisseurs. Or, un prix de cette
nature limite souvent la volonté de toute direction d’entreprise d’adhérer à
une démarche de développement durable, d’autant que la perception
générale en cette matière consiste à croire qu’être vert, ça coûte cher !
Personne n’est contre la vertu… sauf si elle coûte cher !
En effet, une des grandes difficultés consiste à faire accepter à un patron
une dépense pour un produit écoresponsable, même s’il est plus cher que le
produit courant. D’ailleurs, une collègue prénommée Andréanne, qui est
responsable du développement durable d’une grande boîte, m’a déjà confié
qu’il en coûterait 60 000 $ de plus à son entreprise pour acheter du papier
recyclé. Le remède est difficile à avaler, d’autant qu’Andréanne est peut-
être justement aux prises avec un prix illusoire. Or, je le répète, nous
n’utilisons pas un bon indicateur pour nos décisions d’achat, car le prix
d’achat est un critère faussé, qui ne donne pas une idée du vrai coût.
Voici un autre exemple éloquent. Combien vous coûte votre auto ? Environ
295 $ par mois ? Faux. Le prix d’achat d’une voiture n’est qu’une fraction
de son coût réel. En réalité, il faut aussi tenir compte de l’essence, de
l’entretien, des réparations, des assurances, des enregistrements, des
taxes… alouette. Selon le CAA-Québec, posséder une voiture ne vous coûte
pas 295 $ par mois comme veut nous le faire croire la pub du constructeur,
mais plutôt 683 $ par mois ! Même à 683 $, on n’a pas mentionné, par
exemple, le temps perdu dans les bouchons de circulation ni le coût des
soins de santé liés au smog. C’est pourquoi il faut, une fois de plus, élargir
ses horizons à l’aide de la pensée du cycle de vie.
2.Comment se mesure-t-elle ?
Ici, il est souhaitable d’être assez précis. Selon le produit ou le service, vous
devez trouver une unité commune à tous les produits comparables. On
l’appelle X unité fonctionnel. Par exemple, pour un éclairage suffisant, il
faut 200 lux de lumière entre 9 h et 17 h, durant toute l’année.
Nous savons que la durée de vie fait varier considérablement le coût. Mais
attention ! La durée de vie d’un produit ne se limite pas nécessairement à sa
durée avant de briser ou de devenir obsolète, mais bien à la durée de son
utilité.
En effet, nous avons vu, dans l’exemple de la peinture, que la durée de vie
fait fluctuer les coûts, notamment les coûts d’entretien et d’utilisation,
lorsqu’il y en a. Dans le cas d’un système d’éclairage, supposons que le
modèle qui nous intéresse a une durée de vie de 15 ans, avec un
remplacement des lampes tous les ans. Pour le puits de lumière, sa durée de
vie serait plutôt de 25 ans. Il faut aussi tenir compte de l’entretien des joints
de calfeutrage tous les cinq ans.
Vous devez enfin trouver toutes les variables possibles qui pourraient
influer sur le coût par « unité fonctionnelle » ».
^ Combien de lampes faut-il pour fournir les 200 lux requis ?
^ Combien de puits de lumière, et de quelles dimensions, faut-il pour
fournir les 200 lux requis ?
^ Quel sera l’impact des puits de lumière sur les pertes et les gains de
chaleur au cours d’une année ? On peut calculer le coût de ces pertes et
de ces gains en prenant en compte les systèmes de chauffage et de
climatisation en place. Ce calcul peut aussi orienter le choix des fenêtres,
leur orientation, etc.
^ Est-ce que le prix de l’électricité pourrait fluctuer au cours de la durée
de vie du produit ? Si oui, il serait approprié d’en tenir compte et d’en
prévoir les fluctuations. Mais qui peut vraiment prédire combien coûtera
un kilowattheure dans cinq ans ? Si cela influe beaucoup sur le coût
total, il serait peut-être intéressant de faire des scénarios en prenant un
prix relativement conservateur et un autre plutôt optimiste.
^ Y a-t-il d’autres variables indirectes qui peuvent influer sur le coût ? Dans
le cas des puits de lumière, il s’avère que oui. Les études ont démontré
que le taux d’absentéisme diminue d’au moins 15 % dans les bureaux
éclairés avec de la lumière naturelle. On remarque aussi une hausse de la
productivité. Ainsi, en prenant en compte les salaires des employés, on
peut rendre un investissement qui semble être un coût injustifié en des
économies très intéressantes[xvii].
Pour identifier votre besoin, vous devez trouver la fonction du produit. Cela
vous permettra de faire une meilleure comparaison des options qui s’offrent
à vous. C’est également un bon moyen de découvrir si vous êtes victime de
ce que j’ai appelé le « syndrome de l’exception »dans mon premier livre.
Le syndrome de l’exception est un cas classique d’un besoin mal défini. Par
exemple, vous avez acheté un véhicule utilitaire sport (VUS) pour
remorquer votre roulotte jusqu’au terrain de camping. En réalité, vous
n’avez besoin de cette puissance de remorquage que deux fois par année.
Ainsi, 99 % de vos déplacements pourraient se faire avec une voiture de
taille moyenne, qui consomme de 25 % à 35 % moins de carburant.
Plusieurs produits à usage (quasi) unique ont le même défaut. Par exemple,
combien d’outils s’empoussièrent, depuis des années, dans votre garage ?
Le rouleau à gazon que vous avez acheté pour poser votre tourbe n’a été
utile qu’une seule fois. Mesdames, ne riez pas : combien de paires de
chaussures n’avez-vous portées qu’une ou deux fois ?
La spécialisation à outrance est un vrai fléau. En effet, il nous faut
maintenant un cuissard aux propriétés antiseptiques et des chaussures à cale
pour aller en vélo chercher du beurre au dépanneur. Quand j’étais jeune, je
n’avais qu’un habit de neige pour passer l’hiver. Aujourd’hui, les enfants en
ont un (parfois plus) pour l’école, un autre pour faire de la planche à neige,
en plus d’un manteau plus habillé pour les sorties… Idem l’été : des
lunettes de soleil foncées pour le plein soleil, d’autres plus grises pour ciel
variable, une troisième paire dotée de verres plutôt clairs pour les matins
brumeux, et une dernière paire aux couleurs violacées pour la sortie entre
amis, le soir. J’exagère à peine !
Il faut donc apprendre à distinguer la fonction primaire (par exemple, se
protéger du soleil) de la fonction secondaire (bien paraître) d’un produit et
chercher à répondre à un maximum de situations avec un seul produit.
Une fois qu’on sait que le besoin est réel, il faut voir si on ne peut pas le
contourner. Souvenez-vous : le meilleur déchet est celui qu’on ne produit
pas. C’est là la première règle des 3RV : réduire, réutiliser, recycler,
valoriser. À cet effet, il existe plusieurs moyens de réduire intelligemment
sa quantité de déchets. Je trouve le cas de Sylvain et Chantal très inspirant.
Sylvain et Chantal sont des consommateurs engagés typiques. Mi-trentaine,
deux filles de trois et cinq ans, ingénieurs, ils habitent à Montréal, et ce,
dans un duplex (dont ils sont propriétaires), notamment parce qu’en faisant
ce choix, ils contribuent à densifier l’occupation du territoire et à lutter
contre l’étalement urbain. Cela leur permet aussi de n’avoir qu’une petite
voiture, la plupart de leurs déplacements de proximité s’effectuant à pied, à
vélo et en transport en commun.
Comme la majorité des consommateurs engagés, Sylvain et Chantal ont
transformé leurs habitudes de consommation progressivement. D’ailleurs,
l’arrivée de leurs enfants a contribué à leurs premiers questionnements en
matière de consommation responsable : cette crème est-elle assez douce
pour la peau de mon enfant ? Les biberons que nous avons achetés
contiennent-ils du bisphénol A (BPA) ? Ce jouet fait en Chine et acheté au
magasin à 1 $ a une forte odeur de plastique : contient-il des phtalates ou,
pire, du plomb ? Ainsi, assez vite, ils se sont aperçus que leurs enfants sont
exposés à des milliers de produits potentiellement toxiques ou cancérigènes,
s’attaquant au développement du cerveau, des organes reproducteurs et au
système endocrinien. Tout ce qu’ils mettent dans leur bouche est désormais
inspecté par les nouveaux parents qu’ils sont, en particulier les aliments.
C’est ainsi que Sylvain et Chantal ont fait le choix du bio. Fruits, légumes,
viandes, pizzas, lait, yogourt : toute nourriture qui entre dans la maison doit
être issue de l’agriculture biologique. Mais comprenez-moi bien : ils ne sont
pas des radicaux du bio. Devant leurs amis, rien ne transparaît. Si vous les
recevez à dîner, ils ne vous imposeront pas leur orientation (ou philosophie)
alimentaire. Par exemple, ils ne se priveront pas d’un bon repas hot-dog-
poutine-cheeseburger mangé sur le bord de la route, dans un Roi de la
patate – même si ce « festin » contient des OGM, des gras trans et assez de
gras et de sel pour achever un cardiaque.
Cela dit, un jour, Sylvain a découvert l’ACV. Il a fait des liens qu’il n’avait
jamais faits auparavant. Entre autres choses, il a réalisé que, pour obtenir 1
kg de viande de bœuf biologique, il faut entre 6 et 15 kg de céréales
(biologiques !). Il a aussi compris que la vraie efficacité vient de la
réduction à la source. « Si je peux remplacer un repas de viande par
semaine par un repas végétarien, j’évite d’un coup tous les impacts en
amont » a-t-il conclu. Il n’en fallait pas plus pour que Chantal et lui
revoient leur menu hebdomadaire.
Cette décision peut paraître banale, mais elle est majeure. Sylvain et
Chantal aiment la viande ; ils ne s’en cachent pas. Et ne leur parlez pas de
devenir végétariens. Ils ont donc préféré adhérer à l’idée de Graham Hill,
fondateur du portail Treehugger.com, qui prône le végétarisme à temps
partiel. Le nom le dit : le but n’est pas d’éliminer toute la viande de son
régime, mais d’en réduire la fréquence et la quantité[xviii].
Depuis ce temps, la famille est passée de un à trois repas végétariens par
semaine. Du fait que la viande biologique coûte cher, l’argent économisé en
achetant plutôt de la viande non biologique leur permet de se payer des
petites gâteries, comme un bon vin. bio. Sylvain et Chantal savent
également que ce type de régime est mieux pour leur santé, pour la planète
et pour l’avenir de leurs enfants.
Évidemment, on ne peut pas tout réduire à la source. C’est pourquoi vous
devez vous informer de la manière dont les produits que vous consommez
termineront leur vie. Par exemple, j’ai récemment acheté des draps certifiés
équitables et biologiques de la marque fibrEthik. Le propriétaire,
MarcHenri Faure, avait remarqué que ses concurrents vendaient le plus
souvent leurs draps dans des sacs de plastique non réutilisables. Pour éviter
un tel sort, il a fait d’une pierre deux coups en demandant à son fournisseur
de coudre les retailles de tissu pour en faire des sacs qui serviront à
transporter les draps. Marc-Henri a conçu le sac de manière à ce qu’il soit
esthétique et pratique, avec des poignées, bien sûr. Une fois les draps
« déballés », le sac en question peut servir de sac réutilisable pour les
emplettes.
En somme, une règle claire s’impose : si vous ne pouvez pas mettre le
produit au recyclage, évitez le plus possible de l’acheter, de le consommer,
bien que l’ACV ait fait la démonstration qu’il y avait des exceptions…
Mais cela reste des exceptions.
4. Est-il sain ?
Plusieurs des produits durables de nos grands-parents étaient faits avec des
produits toxiques. Par exemple, certaines personnes conservent le vieux
sapin de Noël en plastique de leur enfance. Cet effort est louable, surtout
lorsqu’on sait que pour être plus avantageux qu’un sapin naturel sur le plan
environnemental, un sapin artificiel doit servir pendant plus de 21 ans.
C’est vrai pour un sapin fabriqué aujourd’hui, mais il y a 30 ans, le
processus de fabrication du plastique autorisait encore la présence de
plomb.
Vous savez maintenant qu’il est facile de tomber dans le panneau lorsqu’on
cherche des matériaux sains, naturels et écologiques. Cependant, une vérité
doit triompher : il faut éviter les substances toxiques qui ne se dégradent
pas dans l’environnement.
Bien sûr, ce n’est pas toujours possible. Un ordinateur ne peut pas être fait
en peau de banane, du moins pas encore. Mais est-il normal qu’une chaise
contienne des dizaines de composantes toxiques ? Non. Heureusement,
d’autres chaises, non toxiques celles-là, existent.
Kathy et moi avons choisi, récemment, d’investir dans du mobilier de
meilleure qualité. Pour réussir à payer la différence de prix avec les
meubles bon marché, nous en avons acheté moins. Chaque décision est
donc plus réfléchie. Pour éviter les effets de mode, nous favorisons les
matériaux « nobles », comme le bois, le cuir.
C’est ainsi que nous avons remplacé la chaise haute de bébé en plastique
Evenflow, trouvée dans une vente de garage, par une chaise en bois de la
marque norvégienne Stokke. Solide et issue d’une forêt certifiée FSC, la
chaise s’assemble très facilement et se nettoie comme un charme. Mieux,
elle est multifonctionnelle, c’est-à-dire qu’elle s’adapte tout au long de la
vie de l’enfant, pour finalement devenir une chaise d’adulte. Son look épuré
et ses lignes originales en font une chaise qu’on a envie de mettre en valeur
(on ne peut pas en dire autant des grosses chaises hautes en plastique). Son
prix est évidemment le double, voire le triple d’une chaise bas de gamme,
mais son prix de revente est excellent. Et tout le temps et l’énergie épargnés
en nettoyage de la nourriture tombée dans les craques des chaises en
plastique, cela vaut tout l’or du monde.
Un dernier commentaire sur la toxicité. Si vous êtes prêt à chercher un peu,
tentez de voir si toute la chaîne de fabrication du produit est saine. En effet,
du papier recyclé peut fort bien avoir été blanchi au chlore…
6.Est-il performant ?
7.Est-il abordable ?
8.Est-il multifonctionnel ?
La toute première analyse du cycle de vie que j’ai réalisée, dans le cadre
d’un cours à l’École polytechnique, visait à comparer l’utilisation de
biodiesel avec du diesel dans les autobus d’une municipalité fictive. Mon
équipe et moi avions conclu, comme toutes les autres équipes de la classe,
que le biodiesel était plus avantageux. Toutes les équipes, sauf une, faut-il
préciser.
L’ACV démontrait les avantages du biodiesel, notamment sur les
changements climatiques. Toutefois, les analystes de cette équipe à contre-
courant avaient calculé quelle superficie de territoire serait nécessaire pour
faire pousser le maïs qui entre dans la production du biodiesel, si tous les
véhicules diesel de la province étaient convertis au biocarburant. La
réponse était extrêmement troublante : de la Montérégie à la Gaspésie, il
faudrait couvrir toutes les terres agricoles de maïs destiné à « nourrir » des
camions ! Pas très durable, pour le dire simplement.
Le cas était fictif. N’en tirez pas de conclusions autres que l’importance de
se poser la question suivante : qu’arriverait-il si tout le monde faisait
comme moi ?
Emmanuel Cosgrove est responsable de la certification LEED for Homes. Il
ne s’occupe que des maisons, et non pas des bâtiments commerciaux ou
industriels. Sa maison a été la première à être certifiée platine en Amérique
du Nord, ce qui lui a valu le titre de « Maison la plus verte »à la une de la
section « Mon toit »dans La Presse. Un jour, il m’a confié qu’il a certifié des
maisons beaucoup plus écologiques que la sienne en termes de choix des
matériaux et de technologies propres. Elles n’avaient cependant pas obtenu
la prestigieuse certification platine parce qu’elles étaient toutes bâties en
périphérie d’une ville, contribuant ainsi à l’étalement urbain et à
l’utilisation de la voiture. L’autre situation qu’il rencontre souvent, ce sont
les « ecoMcMansion »ou « écochâteaux » », ces bâtiments gigantesques de
3 500 à 5 000 pieds carrés, destinés aux familles de 4 personnes.
Ironiquement, les propriétaires de ces premières maisons LEED sont des
environnementalistes qui veulent bien faire, mais si tous vivaient comme
eux, ce ne serait pas durable.
Exercice
Ces neuf questions peuvent vous servir à faire des choix plus
écoresponsables. Pour qu’elles vous soient utiles en tout temps, mémorisez-
les ou prenez-les en note. Vous pouvez aussi télécharger un aide-mémoire
que vous trouverez sur le site www.le-grandmensongevert.com
Il est temps, maintenant, de les mettre à l’épreuve. Pour cet exercice, pensez
au prochain achat important que vous songez faire. Pas nécessairement un
gros achat, juste un produit que vous envisagez acheter cette semaine. Vous
l’avez trouvé ?
En pensant à ce produit, répondez aux 9 questions suivantes et voyez
comment elles vous aident à savoir s’il s’agit d’un choix écoresponsable ou
non.
Pour être vraiment utiles, ces neuf questions doivent être mises en contexte.
C’est ici que les choses se corsent le plus souvent et que l’ACV devient
utile. D’où la complémentarité de ces questions avec les étiquettes carbone
et le Sustainability Index.
Par mise en contexte, j’entends le fait de comparer les produits. Encore une
fois, la notion de fonction du produit est essentielle. Comme pour l’exemple
du pot de peinture dans la section sur l’analyse des coûts du cycle de vie, il
faut comparer des pommes avec des pommes.
Le jeu des comparaisons permet aussi de relativiser l’ampleur de la
décision que vous êtes sur le point de prendre. Par exemple, dans notre
étude sur le sapin de Noël, notre conclusion n’était pas tout à fait celle que
les médias ont titrée, c’est-à-dire que le sapin naturel est plus vert que le
sapin artificiel. Ceux qui se sont donné la peine de lire la nouvelle jusqu’au
bout ont découvert que la conclusion suggérait plutôt de choisir l’arbre qui
vous convient le mieux, parce qu’il s’agit d’un débat futile si on le compare
à d’autres gestes quotidiens.
En effet, nous avons calculé qu’en remplaçant 20 à 50 kilomètres de voiture
par année au profit du covoiturage, du transport en commun ou, mieux
encore, de la marche, vous compenseriez les émissions de GES associées
aux deux types d’arbres. Imaginez si vous le faisiez toute l’année !
Pas besoin de toujours faire des calculs d’ACV pour comparer des produits.
À preuve, un incident cocasse dont j’ai été témoin. Je vous décris la scène
telle que je l’ai vue. La vieille dame fait la file derrière moi, à la caisse du
supermarché. La jeune femme devant moi se fait demander par la caissière
si elle veut un sac en plastique. Il se trouve qu’elle en veut un. La vieille
dame lui lance alors, d’un ton accusateur : « Vous n’avez pas encore réalisé
que vous polluez la planète avec vos sacs qui vont au dépotoir ? ! »
Je me suis alors retourné pour vérifier si cette dame avait bien ses sacs
réutilisables : elle les avait. Mais elle avait aussi dans son panier une
bouteille d’eau. Cette bouteille contient probablement plus de plastique que
des dizaines de sacs en plastique ! Était-elle bien placée pour critiquer la
cliente ? Qui est bien placé pour faire de genre de critique ?
Pour comparer rapidement, il existe plusieurs petits trucs que les analystes
en ACV ont développés. L’un d’eux consiste à déterminer si le produit est
actif ou passif. On dit d’un produit qu’il est actif s’il consomme de
l’énergie ou des matériaux durant sa phase d’utilisation, comme une
ampoule. Souvent, pour les produits actifs, l’étape qui génère le plus
d’impacts est celle de l’utilisation. Attention ! Les vêtements, même s’ils ne
se branchent pas, font partie de cette catégorie, puisqu’on doit les laver
durant leur phase d’utilisation, et que cela nécessite de l’eau, de l’énergie et
du savon à lessive.
Un produit passif, à l’inverse, ne consomme pas d’énergie ou de matériaux
durant sa vie utile, par exemple une chaise. Dans ce cas, la majorité des
impacts se produisent en amont, soit à l’étape de production ou d’extraction
des ressources.
Une autre règle utile consiste à différencier les moyens de transporter les
produits que nous consommons. Voici ces moyens de transport dans l’ordre,
soit du plus écologique au plus polluant : cargo, train, camion, avion. Vous
trouverez d’autres trucs et conseils sur le site : www.legrandmensongevert.com
Vous et moi avons un rôle à jouer en tant que consommateurs. Soit. Mais il
est utopique de croire qu’on peut évaluer chaque achat qu’on fait.
D’ailleurs, ce n’est pas l’objectif de ce présent ouvrage. En fait, le but n’est
pas d’être parfait – personne ne peut y arriver – mais plutôt d’être
conscient. Ainsi, un moyen que je trouve intéressant pour décider où
investir mes efforts de recherche est d’évaluer si le produit en vaut la peine.
Pour cela, j’utilise trois catégories.
1. Les produits à fort impact unique sont ceux qui coûtent cher. On pense
évidemment au choix d’une voiture, d’une maison ou d’un voyage.
2. Les produits à impact répété sont les produits abordables qu’on achète
fréquemment. Cela peut inclure tout un éventail de produits de
consommation courante, comme les produits de beauté, les produits
ménagers et les denrées. On peut aussi y inclure un achat unique qui
nécessitera des achats récurrents, comme une tondeuse (essence).
3. Les produits à faible impact sont ceux qui ne coûtent pas cher et qu’on
achète rarement, par exemple du papier d’emballage ou des verres. Les
services entrent dans cette catégorie.
Pour plus d’information sur cette étude et pour une mise en contexte
10. [x]
quant au rôle de la nature auprès de nos enfants, je vous recommande le
livre : LOUV, Richard (2005). Last Child in the Woods: Saving Our
Children from Nature-Deficit Disorder, Algonquin Books, 336 pages.
Catherine Benoît fait aussi valoir ceci : « D’un autre côté, les
16. [xvi]
longues heures du travail migrant agricole ne rencontrent pas toujours les
normes de l’Organisation internationale du travail. Ces normes ont été
développées pour s’assurer que les salariés aient des conditions de travail
saines et durables. C’est la conformité à ces conventions qui est évaluée
dans la dimension sociale. »