Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
F\LM
GRATU\T
"MANDA1D'ARRE1
• CON1RE UN
--- Ul HERCHEUR"
' SA1'IAPROOUC110
NS
a peur d'e
Loïc Le Ribault?
2 inventions de trop!
CARME : la rénovation de la police scientifique
OSER QIRE
Qui a peur
de
Loïc Le Ribault?
LoYe Le Ribault
Qui a peur
de
Loïc Le RibauLt?
Imprimé en Belgique
1. Fondée par Pierre Lance et Michel Bogé, 6 rue Montbrun, 75014 Paris.
2. Richard Bach, Illusions ou le Messie RécaLdtrant, Paris, Flammarion, 2001.
insuLtait Loïc et ses clients en février 2004 (voir: www.poLitiquedevie.net).
ainsi que ses gardiens de prison et autres policiers: tous ces gens-là Lui ont
offert ces dernières années une excellente formation militaire de Guerrier de
la Lumière; certes, Loîc Le Ribault fait profession de mécréantisme le plus
radicaL, ceLa ne L'empêche pas de savoir que les Anges veillent sur lui ...
Et ceLa ne l'empêche pas non plus d'assumer son rôLe ici-bas désormais,
même s'il râLe: transmettre son savoir, aider les jeunes chercheurs créatifs et
indépendants et dire non aux imbéciles, tout en montrant que La puissance
spirituelle de la créativité inspirée permet des inventions - ici Le G5 - dont
la force intrinsèque se rit, à la fin, des obstacles du cerveau reptilien. C'est
un lourd programme de travail pour les années qui viennent. Bon courage
Loïc, nous sommes avec toi.
Voilà quelques-unes des raisons qui m'on conduit à proposer à Loïc de
rejoindre le bureau de Politique de Vie: j'y recrute des Guerriers de Paix qui
ont un minimum d'expérience de la prison, car le travail de recadrage péda-
gogique des politiques, hauts-fonctionnaires et magistrats que nous y
menons a besoin d'âmes fortes ...
Ce sont ces mêmes raisons qui me donnent aujourd'hui le grand plaisir de
Lui offrir cette préface à ce livre qui aura a mes yeux cette belle valeur: réta-
blir la vérité d'un homme et son honneur. Merci à ses lecteurs de lui faire un
beau succès.
Ah j'oubliais! Loïc est un homme attendrissant: il se méfie certains jours
des femmes comme de la peste. Moi, je les adore, les vénère, les admire et
tente d'en aimer une pour les aimer toutes en m'abandonnant à leurs
beautés. Nous aurons donc encore un peu de chemin à faire ensemble pour
réconcilier ces deux énergies, la féminine et la masculine, réconciliation si
bien symbolisée par Le G5: G, comme Gnose, 5 comme le Pentagramme, image
de L'homme entier inscrit dans le cercle et reLié au cosmos. La vie est belle.
Christian Cotten,
psychosociologue, psychothérapeute,
président de Politique de Vie, auteur
de Mafia ou Démocratie, Prophétie pour
une VIe République (Louise Courteau
Éditrice).
JE]
il ,
1 i 1
r-'i 'r-IBl-----=:'-
1
1
t_ ..! 1
1 IIr
l:-:J J L:
Ambiance
Eté 1989, 15 heures 32.
Enfin, le feu passe au vert.
Et cet imbécile, là, devant moi, qui ne démarre pas!
Qu'est-ce qu'il fait? Il trie ses timbres?
Avance, Pépé!
Ah, quand même! .. ,
C'est que je suis pressé, moi!
J'ai rendez-vous avec une jeune fille.
Depuis Arcachon, par l'autoroute, j'ai roulé très vite. Avec quelques
pointes à plus de 200 km/h, mais les gendarmes m'ont prévenu qu'il n'y avait
pas de radar sur mon itinéraire.
Une jeune fille extrêmement jolie, paraît-il.
Et maintenant, dans la ville, je me traîne.
En plus, j'ai une rage de dents à hurler. J'en mordrais mon volant!
Et puis, cette nuit, je n'ai dormi que trois heures. Couché à minuit (sans
électricité: j'ai, comme d'habitude, oublié de payer l'E.D.F.), on m'a réveillé
pour aller décrocher à l'aube un pendu qui, à première vue, n'avait pas l'air
de s'être suicidé tout seul. Le pauvre marinait au bout de sa corde depuis au
moins quinze jours, en pleine chaleur ... La joie .. .
Vers midi, je rentrais me changer, mission accomplie, quand le téléphone
de bord a sonné. On m'appelait à 400 kilomètres d'où je me trouvais, pour la
jeune fille.
Alors j'ai fait demi-tour.
Sans avoir le temps de me changer.
Sans avoir le temps d'embrasser mon père qui se meurt à l'hôpital.
Sans avoir le temps de consoler ma mère qui se désespère.
Sans avoir le temps de passer payer l'E.D.F.
Sans avoir le temps de voir le contrôleur fiscal qui m'attend de pied ferme
depuis des semaines.
Sans avoir le temps de passer chez le dentiste.
Et je pue, en plus.
]n
1 QUI A PEUR] DE Loïc LE RIBAULT?
Oublier celui qui pleure dehors: pour l'instant, il ne m'est pas utile.
Ne pas penser qu'eLLe, elle n'avait que vingt ans. ELLe en aurait eu cent
que, pour moi, le problème serait techniquement identique.
le chien continue à gueuler et me déconcentre: qu'on l'éloigne!
S'interdire toute émotion.
Se souvenir qu'on a le cœur cuirassé.
Vite, vite, maîtriser le frémissement de pitié qui viendrait tout gâcher.
Plus tard, seulement, on pensera à l'aspect humain de cet évènement.
On y pensera longtemps.
On y pensera souvent.
Mais, pour l'instant, seule compte la chasse éperdue aux indices.
Un gendarme s'agenouille d'un côté du corps et moi de l'autre. Le second
prend des notes, des photographies et des enregistrements au magnétoscope.
Curage des ongles. Tamponnement des mains. Passage de l'aspirateur
portatif. Léger essuyage de la plaie béante et nouveau tamponnement.
Prélèvement des cheveux sur chaque tempe et sur le sommet du crâne. Bien
d'autres choses, encore. La routine, quoi.
Voilà. En ce qui concerne la victime, c'est terminé. Du moins jusqu'à l'au-
topsie.
Maintenant, il convient d'explorer les lieux.
Toujours à genoux ou à plat ventre. Millimètre par millimètre; ça peut
durer des heures.
Dieu, qu'il faut chaud, dans cette combinaison de plastique!
La porte s'entr'ouvre et une main tend une bouteille de jus d'orange
glacé: les gendarmes, dehors, ont pensé à nous mais se gardent bien de
pénétrer dans la pièce, pour ne pas polluer les lieux.
Petite pause rafraîchissement. On en profite pour fumer une cigarette
dont les cendres sont recueillies dans la boîte à couvercle que je promène
toujours avec moi: rien en effet, dans cette pièce - pas même les cendriers
- ne doit être modifié avant que nous ayons fini.
Autour de nous, des bibelots, un aquarium, un ours en peluche, des
photos de famille, toutes ces petites choses insignifiantes et précieuses qui
faisaient le monde et sans doute le bonheur de la victime; tous ces petits
trésors devenus pour moi simples pièges à indices, bouts de souvenirs que je
~~ vais scruter, décortiquer, démonter, explorer sans pudeur.
- "'--' La porte s'ouvre.
Entrée de Duschmol. En uniforme! Sans képi! Avec sa tête pleine de
cheveux, sa vareuse remplie de fibres, ses godillots couverts de grains de
sable et ses mains pleines de doigts! Il dit :
Ambiance 0[
«Je viens voir les lieux!»
Mais pour qui se prend-t-iL, ce fossile galonné?
«Vous n'avez rien à faire ici en uniforme! Enfilez la tenue de terrain ou
sortez immédiatement! Pour l'instant, vous poLLuez!»
Exit Duschmol, re-vexé. Ses hommes rigolent. Il est vraiment trop con.
Deux heures plus tard, je découvre enfin quelque chose.
La victime était blonde, son fiancé châtain clair, le chien gris. Or, collé
par une goutte de sang, près du paillasson, je vois un cheveu très noir.
Surtout, ne pas le perdre. Se concentrer dessus. Le fixer. L'hypnotiser,
presque, malgré les yeux fatigués.
«Un tamponnoir! Vite!»
Un gendarme ouvre une petite boîte en plastique transparente, enlève la
peLLicule qui protège l'adhésif, sort le tamponnoir et me tend l'objet à demi
sorti de la mousse noire sur laqueLLe il reposait.
Je le saisis avec une pince et l'approche du cheveu.
Paf!
Je l'ai eu!
Vite, je remets le tamponnoir sur lequel le cheveu est capturé dans la
petite boîte que me tend le gendarme.
Peut-être appartient-il au meurtrier? Ou à un simple ami du couple?
Chasse en aveugle ...
A nouveau, la porte s'entr'ouvre. C'est un des gendarmes en faction devant
la porte.
«Monsieur Le Ribault! Le téléphone pour vous, dans votre voiture. J'ai
décroché. On vous attend au bout du fiL. Qu'est-ce que je dis?»
«Qui c'est?»
« L'hôpital de La Teste.»
« Dites que j'arrive. »
Je me lève. Mes genoux craquent d'être restés si longtemps torturés. J'ai
quarante trois ans, je vieillis ...
«Mais vous n'allez pas sortir comme ça! », crie le gendarme en tendant le
doigt.« Attendez, je recule votre voiture!»
Je regarde mes jambes. Ma combinaison est maculée de sang jusqu'aux
genoux. Et, dehors, il y a la foule des villageois et la presse. C'est pas un
spectacle pour eux.
«Prenez la communication pour moi.»
Je me contente de passer la tête par l'entrebaîLLement de la porte.
J0 QU I~ PEU-~ DE Loïc LE RIBAULT?
Avec le juge, nous allons boire une bière bien fraiche. Une vraie, comme
dans le Nord, avec plein de mousse.
Puis, un peu décompressés, nous nous rendons tous deux à la morgue.
Une morgue comme toutes les autres. Avec des couloirs sinistres, des
lumières crues, les éclats métalliques des portes des frigos et une table à
dissection.
Le légiste est prêt.
Je le remercie pour ses calmants contre ma rage de dents.
Normalement, on commence par explorer l'abdomen et on finit par la tête,
mais comme j'ai une longue route à faire et qu'en ce cas précis seule la gorge
m'intéresse, il m'a attendu pour commencer le travail.
«J'y vais ou vous voulez le faire vous-même?», me demande-t-il genti-
ment.
Je suis très sensible à cette délicate attention, signe de confiance et de
respect.
En plus, aujourd'hui, c'est facile: il suffit de découper le cou.
Mais, pour la première fois, ma main s'arrête.
Le scalpel reste suspendu.
Je sens que je vais donner le coup de bistouri de trop, celui qui fait fran-
chir la frontière du monde d'où l'on ne revient jamais: celui de l'insensibilité
absolue.
La nausée monte.
«Non, merci, allez-y ... Je ne peux pas ... »
Terrible aveu: le dégoût vient de triompher!
Le légiste effectue seulles prélèvements et les place dans des bocaux. Je
peux partir. D'ailleurs, je connais la suite: une vie réduite à des schémas et
à des chiffres. Cerveau, 1430 grammes; cœur, 220 grammes; pas d'anoma-
lies, le cadavre est mort en bonne santé ... Dommage, simplement, qu'un
salaud ait fait irruption dans sa vie ... 5
Au fond de mon âme, quelque chose vient de casser.
C'est un moment que j'attends depuis longtemps.
D'ailleurs, ce n'est pas un moment.
5. Deux jours après les faits, deux gitans furent arrêtés après l'agression d'une vieille dame dans une ville
proche du viLLage où la jeune fiLLe avait été égorgée. Le plus jeune avait quinze ans, le plus vieux dix-
neuf. Les analyses révélèrent que le cheveu que j'avais prélevé sur le sol appartenait au plus vieux des
gitans. Le plus jeune avoua qu'arrivés au centre du village, ils s'étaient garés sur la place et avaient choi-
si une maison au hasard. Ils avaient sonné. La jeune fiLLe leur avait ouvert. Ils l'avaient aspergée de gaz
lacrymogène, étaient entrés, le «vieux» lui avait appuyé un couteau sur la gorge et lui avait demandé de
l'argent, affirmant que sinon il la tuerait. La jeune fille avait dit qu'il n'oserait pas. Il avait osé. Puis tous
deux étaient partis avec ... 13€ en poche.
]0
[ iUI A PEUR] DE Loïc LE RIBAULT?
:0
L'IMMENSE SOLITUDE
DU CHERCHEUR
'--------- ---ir-- -------J
, __ _ . ~~ .....J
Il 1
0 ~rL
1
1
(--1 (-.---"1 '
1
l ,
L _ -'
l,
1
" L_
III
L ___ ~ L~ ___ J
électrique, je peux sur ma gauche distinguer l'arc des côtes et, sur ma droite,
l'extrémité supérieure des fémurs.
Nous passons la matinée à dégager les ossements et c'est triomphant qu'à
l'heure du repas nous regagnons Le Logis familiaL, portant dans un sac le
produit de notre collecte.
A dater de cette aventure, je suis pris de passion pour les os: je ne rêve
(presque) plus que d'une chose: reconstituer un squelette complet pour
pouvoir l'étudier à mon aise; il faut dire qu'à l'époque je veux devenir chirur-
gien.
Pendant mes vacances à Saint-Jacut-de-la-Mer6, berceau de la famille, je
ne manque jamais une visite au cimetière. Tandis que mes parents se
recueillent sur les tombes des ancêtres, je furète, le nez collé au sol, à la
recherche du moindre fragment osseux un peu intéressant. Dans les allées,
j'en trouve toujours, mais de très petite taille, broyés, difficilement identi-
fiables. Sauf, parfois, une dent que j'emporte comme un trésor, cachée au
fond de ma poche. C'est en patrouillant du côté de la fosse commune qu'un
beau jour je découvre enfin la mine: dans un coin, les employés du cimetière
jettent les fleurs fanées, les vases brisés et autres résidus de tendresses
anciennes. Mais au cours de leurs opérations de nettoyage, il leur arrive de
découvrir quelques pièces de choix: côtes intactes, tibias et même fémurs
entiers, qu'ils déposent avec le reste. l'aubaine!
Je prends alors l'habitude de me rendre au cimetière muni d'un grand
cabas où j'entasse sans relâche le produit de mes rapines. Bientôt, chagrinés
de voir leur bambin transformer La maison en ossuaire, mes parents me prient
- affectueusement mais fermement - de laisser reposer en paix les restes
des Jaguins innocents. N'empêche, le pli est pris.
Pire: je deviens contagieux!
Christian, mon meilleur ami, à qui j'ai à de multiples reprises montré ma
collection macabre, a senti s'éveiller en lui une vocation identique. Il n'at-
tend que l'occasion de pouvoir l'assouvir, et ceUe-ci se présente enfin.
Il en a gardé jalousement le secret et ne m'a rien dit, par peur de la
concurrence. Il faut dire que c'est une occasion unique: on déménage le
vieux cimetière de Meaux! On exhume donc les vieux squelettes pour les
ranger dans des boîtes neuves, et les proies sont là, à portée de main, aban-
données la nuit à toutes les convoitises ...
Ne pouvant résister à la tentation, Christian se rend un soir dans Le cime-
tière à La tombée de la nuit. Alors qu'il est à genoux, commençant à peine
son tri, une main s'abat sur son épaule:
UN PARCOURS SINUEUX
Vient ensuite le baccalauréat et l'heure du choix de mes études supé-
rieures.
Que faire?
Car si je briLLe en lettres et en sciences naturelles, ma nuLLité en mathé-
matiques 7 et en physique est exemplaire. La faculté des sciences m'est donc
7. A cinquante-sept ans, deux fois docteur, je compte encore sur mes doigts ...
]0
1 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBA ULT?
COUP DE FOUDRE
... amoureux des patelles.
Les patelles, tout le monde les connaît: ce sont des coquillages en forme
de chapeau chinois qu'on voit comme endormis sur les rochers à marée basse
(Fig. 1 - voir cahier photos) . On les appelle aussi berniques.
Elles et moi nous nous connaissions depuis que j'étais tout gosse, enfant
breton galopant sur les grèves de Saint-Jacut. Mais nous ne nous fréquen-
tions pas plus que des voisins de H.L.M. qui se croisent au coin des ascen-
seurs.
C'est à l'âge de quinze ans que je connais le coup de foudre. Le vrai, l'au-
thentique, brutal et douloureux: je viens de glisser sur du goëmon qui m'a
précipité au fond d'une de ces flaques d'eau que la mer laisse comme un
témoignage derrière elle chaque fois qu'elle se retire.
C'est une très belle flaque, profonde de près d'un mètre, emplie d'une eau -;-t
L::'::"I '
limpide.
LA MAGIE VERTE
Un jour de 1970, Yann Morel, un étudiant qui termine sa thèse sur les
argiles, vient me voir et me dit:
«Tu devrais essayer le M.E.B .... »
«Le quoi?»
«M.E.B.: Microscope électronique à balayage. Ils viennent d'en recevoir
un au B.R.G.M.15 d'Orléans.»
« Et à quoi ça sert, cette bête-là?»
«A grossir 10000, 20000, 30000 fois! Je m'en suis servi pour mes
argiles; ça devrait t'aider pour tes sables. Regarde ... »
Et Yann ouvre le manuscrit de sa thèse, illustré de photographies extraor-.
dinaires: les plaquettes d'argile d'un millième de millimètre atteignent cinq
ou six centimètres sur les clichés! ElLes ont une netteté et un relief incoya-
bles ... Avec cet instrument, peut-être pourrais-je enfin déchiffrer mes hiéro- FI ~
glyphes? En tout cas, je pourrai au moins les grossir et mieux les admirer..
«Mais comment faire pour essayer le M.E.B. ?»
16. Ce sont ces fleurs de silice qui. des années pLus tard, s'avéreront être en grande partie constituées de
siLicum organique. grâce auqueL Le G5 verra Le jour.
17. Dans La suite de cet ouvrage, Les sommes seront toujours converties en euros.
Squelettes, palettes & grains de sable 0[
L'EXOSCOPIE DES QUARTZ
J'entreprends donc de recréer artificiellement certaines contraintes subies
par les grains dans divers environnements naturels: je les baigne dans l'eau
douce, les enferme dans le congélateur familial, les projette les uns contre
les autres avec de l'air comprimé pour imiter le vent, les torture à l'acide
fluorhydrique ou à la soude ...
Je teste également leur comportement dans différents environnements
réels.
Ainsi, pour déterminer la vitesse d'acquisition de certains caractères sur
les plages marines, ai-je découvert un procédé très simple. D'abord, j'ai cons-
truit une série de minuscules cages grillagées, un peu semblables aux anciens
garde-manger anti-mouches, mais de dix centimètres de côté seulement. Tous
les matins, je sélectionne quelques grains, les nettoie à la soude, les lave à
l'eau distillée, les décape aux ultra-sons, puis les enferme dans les cages que
je vais déposer sur la plage la plus proche. Le soir, je reviens chercher mes
prisonniers, les sèche et recherche ensuite au M.E.B. les caractères acquis
dans la journée. J'ai ainsi la surprise de constater que certains de ces
derniers peuvent apparaître (ou disparaître) en l'espace d'une seule marée.
Les grains de sable se modifient donc et vieillissent en douze heures sur les
plages!
Je commence ainsi à identifier l'origine et la signification de certains
microcaractères.
Un matin, alors que je vais poser mes cages sur la plage, je croise des
touristes, étonnés de me voir les bras chargés d'un matériel si étrange.
«Qu'est-ce que c'est? », demandent-ils fort aimablement.
«Des cages à sable. Voyez, les grains sont dedans. Tous les matins, je les
dépose ici, au même endroit, et je les récupère le soir pour voir s'ils se sont
modifiés dans la journée ... »
«Ah, ah! ... Comme c'est intéressant. .. », disent les touristes. «Excusez-
nous, mais nous sommes pressés ... Bon courage!»
Et ils s'enfuient à toutes jambes. C'est vrai qu'ils ont l'air brusquement très
pressés. Beaucoup plus qu'au moment où je les ai rencontrés. Peut-être vien-
nent-ils de se souvenir qu'ils avaient un rendez-vous urgent?
Mon travail terminé, les cages bien amarrées, je reviens sur la dune où '--
stationne ma voiture. A côté d'elle, deux gendarmes attendent.
« Bonjour », dit le premier. «Alors, on se promène?»
«Non, non. Je travaille ... »
] 0~~~~ DE Loï c LE RIBAULT?
«C'est bien, ça, jeune homme. Et qu'est-ce que vous faites de beau?»
«Ben, je suis aLLé poser mes grains de sable sur la plage. Je viendrai les
récupérer ce soir, bien entendu ... »
« Oui ... bien sûr ... Et vous faites ça souvent?»
«Ah, tous les jours! Sans exception! Sinon, vous comprenez, ça fausse-
rait tout! ... »
«NatureLLement ... On ne prend jamais assez soin des grains de sable,
n'est-ce pas? Faut dire qu'il y en a si peu ... Au fait, vous ne voudriez pas
venir avec nous à La brigade, pour nous expliquer votre travail? Parce que
l'adjudant, c'est un mordu des sables, ça lui plaira sûrement de discuter avec
vous ... »
Ils sont très aimables, à la gendarmerie, mais j'ai bien du maL à leur
prouver que je suis relativement sain d'esprit.
Ensuite, la confiance établie, j'étale sur un bureau quelques-uns des
clichés de M.LB. qui ne me quittent jamais.
L'émerveillement d'enfant que je vois alors briller dans le regard des
gendarmes est pour moi un bonheur immense. Pourtant, je connais aujour-
d'hui les spectacles insoutenables que les yeux de certains d'entre eux
avaient dû contempler. Yfaire encore naître la joie n'était pas le moindre des
miracles, mais je l'ignorais encore ...
En 1971, j'ai réuni plus de six cents clichés de grains de sable réalisés au
M.E.B.
Mes amis ont disparu les uns après les autres: que voulez-vous faire
d'amusant avec un type de vingt-deux ans qui passe son temps derrière un
microscope à observer des grains de sable? Et puis à quoi ça sert? Alors qu'il
y a tant de choses intéressantes à faire dans les boîtes de nuit, dans les
cinémas et sur les terrains de football? Les sables, ça n'est vraiment utile que
pour se rôtir au soleil sur les plages ...
Je peux interpréter certains microcaractères, mais pas la majorité.
Surtout, je ne comprends par les règles qui régissent leur apparition ou leur
modification.
Un beau jour, je classe Les photographies selon l'origine des grains (fluvia-
tiles, marins, glaciaires, etc.), puis étale chaque «famiLLe» sur le plancher de
la salle à manger.
Ensuite, grimpé sur une chaise, je me mets à les contempler.
Cette observation immobile dure des heures.
Ensuite, je grimpe sur la table.
Je constate alors que certains clichés vus de loin présentent des simili-
tudes d'aspect, mais difficiles à définir. Ce sont des orientations de lignes,
SqueLettes, paLettes & grains de sabLe 0[
de groupes de ponctuations, des escadrilles d'ovales, des amas de nébulo-
sités, des éclats de luminosité.
Descendu de ma table, je classe mes nuages par catégories, puis me mets
à réfléchir.
Comment tout cela peut-il s'expliquer?
Soudain, en un éclair, je comprends tout!
Eurêka! J'ai trouvé la clef de l'énigme!
C'est simple: tout n'est que question de concentration de silice dissoute
dans l'eau, physique des chocs, polissage des histoires anciennes, exploita-
tion des traces les plus vieilles par les nouvelles, activité des micro-orga-
nismes!
Il suffit désormais d'en définir les lois avec rigueur.
C'est ainsi que naît l'exoscopie, officiellement définie 18 comme la
«méthode de détermination de l'histoire sédimentaire des grains de sable par
étude de leur surface au microscope électronique à balayage 19 .» (Fig. 11 à
18- voir cahier photos)
Six mois plus tard, je peux présenter ma première communication à
l'Académie des Sciences. Elle s'intitule «Présence d'une pellicule de silice
amorphe à La surface de cristaux de quartz des formations sableuses». J'ai
alors 24 ans.
Cet article sera suivi de nombreux autres et de deux livres qui, dans les
milieux scientifiques, obtiennent beaucoup de succès. Les critiques spécia-
Lisés sont unanimes pour saLuer ma découverte: «Lok Le Ribault est un pion-
nier», lit-on dans la Revue de Géographie Physique et de Géologie Dynamique.
«Parmi les utilisateurs du microscope électronique en sédimentoLogie, c'est le
chercheur qui aboutit aux résultats Les plus passionnants».
Après la parution de mon second livre, en 1977, un professeur de géologie
écrit: «La publication de cet ouvrage fait pLus, pour Le maintien du français
au niveau de langue scientifique internationale, que tous les discours offi-
ciels ».
J'ignore alors que le succès constitue un lourd handicap lorsqu'on commet
trop jeune ce péché dans le milieu universitaire français.
Jusqu'en 1972, je partage mes journées entre Paris, où je suis étudiant à
l'Institut de Géographie et surveillant de demi-pension au lycée Montaigne,
et Orsay, où je suis chercheur sous contrat à durée limitée à la FacuLté des
Sciences.
EU
18. «Dictionnaire de Géologie», page 114, éditions Masson, Paris, 1980.
19. Voir «La mémoire des grains de sable» sur Le site www.loic-Le-ribauLt.ch
1 ~J ~~ A P"WR] DE Loïc LE RIBAULT?
TOTAL
C'est alors que des compagnies pétrolières commencent à s'intéresser à
moi.
Ces dernières, en effet, sur tous leurs territoires d'exploration, réalisent
des forages grâce auxquels elles espèrent découvrir l'or noir. Pour cela, il est
important de déterminer les environnements ayant existé dans le passé à un
endroit donné, et différentes approches sont utilisées pour cela: analyse des
microfossiles 20 , des pollens 21, des argiles, etc. Mais s'il n'y a ni microfossiles,
ni pollens, mais seulement des grains de sable, comment faire? Car personne,
à l'époque, ne sait retracer l'histoire de ceux-ci. Sauf moi. Les pétroliers
comptent donc sur moi pour ce travail.
C'est ainsi que je suis contacté par Fina, Elf, Shell et Total.
C'est cette dernière qui semble la plus intéressée. En effet, la compagnie
vient d'acheter un M.E.B. Pas pour l'utiliser, non, simplement pour le montrer
aux émirs arabes; ça présente bien dans un laboratoire, on a l'air d'être à la
pointe du progrès avec ça, même si on n'a pas la moindre idée de ce qu'on
pourrait bien faire d'un engin pareil. Alors, si un type bizarre a, lui, inventé
une méthode qui risque de rentabiliser cette machine, le prix d'acquisition
du malade mental ne représente rien par rapport à celui de l'appareil ...
Dans un premier temps, naturellement, Total me teste. Pour cela, elle
m'envoie le professeur Bernard Kübler, sédimentologue réputé de l'Université
20. MicropaLéontoLogie.
21. PaLynoLogie.
]0r QUI A p!..~1 DE Loïc LE RIBAULT?
22. MateLot Sans SpéciaLité, c'est-à-dire sachant simpLement lire, écrire et compter.
23. Section de Surveillance du Site, chargée de surveiller (très approximativement) la pollution pouvant
être due aux sous-marins atomiques dans La Rade de Brest et ses environs.
] 0i QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
... PATELLES
GRAINS DE SABLE ...
1
Fig. 8: Détail du cliché précédent (x 1 000 fois).
Une Diatomée apparaît dans une dépression de la
surface du grain.
______________________________________1
Fig. 16: FLeur de silice orthogonaLe sur un grain de dune
LittoraL (x la 000 fois).
,'--' (O~----glll!
l
i ~Jn~-
l
1
' LJ
JI',
1
~ i' 1
1
0".1 L___ o_
: ! !'------~
,- o L --
1
_--.-J ---)
,
LES FONCTIONNÂTRES
J'ai le plus grand respect pour les fonctionnaires. Les vrais. Ceux qui
consacrent leur temps au service d'autrui, comme c'est leur devoir. C'était le
cas de mes parents, pour lesquels enseigner était un sacerdoce.
Mais je nourris un mépris abyssal, mammouthesque, envers ceux qu'on
appelle les « hauts» fonctionnaires qui polluent tous nos ministères et s'en-
dorment à la tête de notre administration.
Ceux-là, je les appelle les jonctionnâtres, qui sont aux fonctionnaires ce
que le bleuâtre est au bleu outremer.
En 1973, je suis chercheur et entends bien le rester. Mais la masse de mes
correspondants scientifiques (des centaines) démontre à quel point la créa-
tion d'un service public spécialisé en microanalyse est une nécessité. Encore
nail à l'époque, je suis sûr que l'Etat va bondir sur cette rare occasion de
créer enfin quelque chose d'utile.
C'est mal connaître les fonctionnâtres.
Mon projet est simple: lancer un laboratoire public équipé de M.E.B. et
de microsondes, animé par une équipe pluridisciplinaire de haut niveau, qui
soit à la disposition de tous ceux auxquels la microanalyse peut être utile,
que les clients soient des industriels, des universitaires ou des particuliers.
Mon dossier sous le bras, je commence donc ma tournée des ministères.
Je les contacte tous, sauf peut-être le ministère des Anciens Combattants.
Bientôt, l'administration française est littéralement pavée de mes dossiers,
comme l'enfer l'est, paraît-il, de bonnes intentions.
Puis j'attends une réponse. En vain. Je ne reçois pas même un simple
accusé de réception ...
Invité en 1979 à faire aux Etats-Unis une tournée de conférences,
j'évoque mon projet au cours d'un congrès à Washington, en faisant part de
mon découragement face à l'inertie que je rencontre en France.
Une semaine plus tard, alors que je suis à l'université de Tempe, en
Arizona, me parvient une proposition de réaliser immédiatement aux U.S.A.
le laboratoire de mes rêves.
Une semaine!
-; 0 [ 1
QUI A PEU R DEL 0 Ï C LE RI BAU l T ?
Alors que, depuis six ans, j'attends une réaction des fonctionnâtres de
mon propre pays!
Cette proposition, décidément, est bien alléchante.
Néanmoins, une fois de plus, mon esprit de contradiction me pousse à
faire ce qui s'avérera dans l'avenir être la plus grosse bêtise de ma vie: je
refuse!
De retour en France, je lance une ultime offensive auprès de tous les orga-
nismes scientifiques supposés être concernés par mon projet.
A la direction du C.N.R.S. qui, en 1973, avait refusé ma candidature parce
que j'étais trop jeune, un barbon centenaire gélifié derrière un gigantesque
bureau m'informe que je suis désormais trop vieux pour intégrer le bazar qu'il
représente.
Je pars en claquant la porte.
Au ministère de la Recherche, on me fixe rendez-vous. Venu tout exprès
de Bordeaux, à mes frais, je tombe sur un lapin: le fonctionnâtre que je
devais rencontrer a été appelé à l'extérieur pour une entrevue que sa secré-
taire qualifie d'importante. D'où je conclue que la mienne ne l'est pas.
25. 24 ans pLus tard, ils déLibèrent sans doute toujours, puisqu'au moment où j'écris ces Lignes je n'ai tou-
jours pas reçu Les conclusions de La fameuse Commission des sages.
26. Centre d'Applications et de Recherches en Microscopie Electronique.
Ainsi naquit le LA.R.M.E. O[
C'est pourtant en ces tristes pâturages qu'il me faut aller quérir l'argent
dont j'ai besoin pour réaliser mon rêve. Sur des crédits, il ne faut point
compter: je ne suis précisément pas crédible. Or, chez ces gens-là, Monsieur,
on ne prête pas. Surtout à un farfelu qui, loin d'exploiter les terres de ses
ancêtres, un patrimoine immémorial ou un commerce classique et honorable,
veut innover! Inventer, quoi! Qui prétend faire quelque chose que personne
d'autre n'a encore jamais fait! C'est pas sérieux, ça, pas bordelais du tout.
Ici, on ne mise que sur les valeurs éprouvées, éculées, traditionnelles. Si
encore ce jeune homme était riche ...
Mais voilà: riche je ne suis précisément point, ayant hérité de mes
parents une tare dont je suis particulièrement fier: le mépris absolu de l'ar-
gent. Comment des gens supposés intelligents peuvent-ils attacher la
moindre importance à ce qui n'est après tout qu'une simple convention issue
de cerveaux pervertis? Si, depuis des siècles, la Civilisation avait utilisé la
valeur intellectuelle et humaine des gens comme étalon plutôt que celle de
l'or, l'être humain ne serait plus depuis longtemps Le chalnon manquant entre
le singe et L'Homme. Il serait enfin L'Homme.
N'empêche qu'il m'en faut, du pognon! Et beaucoup ...
A L'époque, en 1981, Le capital d'une société anonyme est au minimum de
15000 €. Pour avoir La majorité dans ma propre société, iL me faut donc
réunir au moins 9 000 €. Or, en grattant mon squeLettique compte en
banque, je n'en découvre que 1 500.
Je résouds donc d'empLoyer Les grands moyens. Je vends mes meubLes, ma
Citroën Traction Avant à laquelle je tiens tant, huit vieux sabres de collec-
tion et un fusil de chasse. De l'ensemble, je tire 7 600 €. Total: 9 100.
Mais ça ne suffit pas, il me faut beaucoup pLus pour commencer à faire
fonctionner le laboratoire: seLon mes prévisions, au moins 46000 €27!
Le LE. P.M.E. 28 a bien promis de me prêter 11 500 € pour m'installer, mais
ce très prudent organisme ne concède cette faveur qu'à condition que j'ap-
porte auparavant moi-même une somme équivalente. Autrement dit, pour
obtenir mes 11 500 €, il est indispensable que j'en possède déjà ... 11 500!
La quadrature du cercle, quoi.
Surtout qu'avec les autres banques, c'est Le même principe. Qui se
ressemble s'assemble, dit-on, et surtout Les Larrons dans Les foires. On veut.
bien me prêter n'importe combien, à condition que je donne des garanties au
moins identiques, et si possibLe supérieures.
Je décide aLors de brûler mes vaisseaux. 53
27. Je précise que cette estimation s'avérera héLas totaLement erronée. Je l'avais Laborieusement calcuLée
sur un vieux cahier d'écoLier, après avoir tenté d'apprendre La gestion dans un livre de poche deux mois
avant de me lancer dans la grande aventure.
28. Crédit d'Equipement aux Petites et Moyennes Entreprises.
Car j'ai un trésor de guerre. Un vrai. 150 pièces d'or découvertes par un
oncle après la guerre dans une maison en ruines. Je dispose aussi d'une
centaine de pièces féodales en argent que j'ai trouvées dans un vieux pot de
grès chez un brocanteur peu curieux 29 , que je m'empresse d'échanger à un
numismate averti contre des louis d'or. L'ensemble représente à l'époque
environ 30000 €, en espèces sonnantes et trébuchantes soigneusement
enfermées dans un petit (mais lourd) sac de toile.
Muni de ce sac, je commence alors mon porte à porte.
Dans la première banque, à la vue du pactole, ~Y!Ux du banquier s'al-
lument comme ceux d'un pédophile à la sortie d'une école primaire. Sur-le-
champ, il me propose un découvert de 15 000 €. Je signe les papiers, ouvre
un compte et m'en vais, mon petit sac à la main.
Dans la seconde officine, l'usurier répand les pièces sur son bureau et ses
doigts crochus tâtent le métal brillant. Rassuré, il m'offre un découvert de
12000 €. Il est moins généreux que le précédent, mais j'accepte quand
même, ouvre un second compte et repars, mon petit sac sous le bras.
Dans la troisième banque, le grigou de service soupèse la bourse avec des
gestes obscènes, l'entrouvre, flaire et ses narines se mettent à palpiter. Il
salive, tel la mouche verte devant l'étron fumant. Cette fois, l'offre est de
14000 €. J'accepte et m'en vais, guilleret, muni d'un troisième compte,
serrant bien fort mon sac d'or sur le cœur.
Maintenant, j'ai 41 000 € de découvert autorisé.
Finalement, quand on possède un peu d'or, ça ne semble pas trop difficile
de trouver de l'argent. Je raconte mon expérience à quelques amis chefs d'en-
treprises qui la trouvent excellente. Ils m'empruntent mon sac, qui commence
à faire le tour de l'Aquitaine avec un succès inespéré. Je ne sais combien de
fois il est utilisé, mais je crains qu'à la longue, à force d'être ainsi prome-
nées, mes pièces ne finissent par se transformer en un petit tas de poussière
d'or.
Ayant récupéré mon sac, je vais un beau matin visiter une quatrième
banque. Là, tout le hall est de marbre, de cuivre et de bois patiné. Des
vitraux diffusent une lumière tamisée propice à la digestion des crocodiles.
Celui qui me reçoit a l'œil d'un bleu de glace. Il ne soupèse pas le sac, ne le
flaire point ni ne tripote les pièces. Sans barguigner, il m'offre 15 000 € de
découvert. Quand j'ai accepté, il m'ouvre un compte puis saisit simplement
mon sac en disant: « Bien entendu, nous conservons votre or en garantie ... »
B C'est donc orphelin de mon trésor que je quitte la dernière banque.
Mais je dispose désormais de 56 000 € de découvert.
PREMIERS PAS
C'est mon père (Fig. 21) qui trouve les locaux. Ils sont situés en plein
centre de La Teste, tout près d'Arcachon. Signe sans doute prémonitoire,
cette maison de dix pièces est l'an-
cienne gendarmerie de la ville, jouxtant
à l'époque la maison de passe locale.
L'immeuble appartient à un médecin,
qui s'empresse de me le louer, car il faut
tout refaire, y compris la charpente
rongée par les termites. Il convient en
outre d'aménager les salles pour y
accueillir les microscopes électroniques
et autres engins indispensables à l'exer-
cice de ce nouveau métier: prestataire
de service en microanalyse.
Les travaux durent trois mois, Fig. 21: Mon père.
jusqu'au début de décembre 1981.
J'ai acheté à E.D.F. un vieux M.E.B. réformé âgé de onze ans pour la
modique somme de 4.500 €30. Stocké sous une bâche pendant les travaux,
il a beaucoup souffert car, alors que le toit n'est pas encore refait, il s'est mis
à pleuvoir de façon diluvienne. Des nappes d'eau descendent les escaliers à
ciel ouvert et, pour monter au premier étage, il faut jouer les saumons
remontant le courant.
Lorsque la dernière tuile est en place, je soulève la bâche. C'est une cata-
strophe! Le M.E.B. est complètement rouillé ... On dirait une vieille chau-
dière! Pendant des jours, avec l'aide de quelques amis, je le démonte
30. Je revendis trois ans plus tard ce même microscope, complètement usé, à G.D.F. pour 4 500 €, preu-
ve de la bonne gestion des entreprises publiques ...
;J[QVIAPEUR] DE Lo ï c LE RIBA ULT?
morceau par morceau, chaque pièce est grattée, nettoyée et polie. Ouand
l'appareil est remonté, il brille comme un sou neuf. Mais va-t-il marcher?
Contact!
Du premier coup, il se met à ronronner comme un chat.
Nous sommes à Noël 1981.
Le LA.R.M.E. commence à vivre... [:'
(Fig. 22)
Le 2 janvier 1982, le premier client
sonne à la porte. C'est un géologue qui l".
vient analyser quelques fragments de t
roche. Les affai res com mencent! Je le
reçois dans mon bureau, au premier
étage. En descendant au laboratoire,
trahi par les escaliers encore glissants, il
fait une chute spectaculaire. La cheville
foulée et la peau arrachée par le crépi du LL_ _ ..L.r........ (.'
Fig . 22: Logo du C.A.R.M.E.
mur, il souffre atrocement. Je ne le
reverrai jamais.
Ensuite, six mois durant, je ne vois pas un seul client, ce qui ne m'em-
pêche pas de continuer à provoquer des chutes spectaculaires.
A cette époque, les microscopes électroniques doivent boire de l'azote
liquide pour se rafraîchir.
Ce gaz liquéfié est à une température de près de deux cents degrés au-
dessous de zéro, et donc livré dans des bouteilles spécialement conçues pour
ce genre de transport. Lorsque le livreur apporte une bouteille pleine, il veille
soigneusement à ce que l'ancienne qu'il reprend soit totalement vide, pour
éviter tout accident. Si ce n'est pas le cas, on jette le reliquat d'azote, qui
se vaporise immédiatement en un épais brouillard. Bien entendu, l'opération
a lieu dehors, à l'air libre, en prenant grand soin de ne pas se renverser de
produit sur les pieds ou les mains: en effet, un liquide à une température
aussi basse brûle la peau par choc thermique aussi gravement que de l'eau
bouillante.
Ce jour d'été 1982, te livreur doit arriver avec la bouteille neuve, et je
viens de constater que l'ancienne contient encore une quantité non néglige-
able d'azote liquide. Il faut donc que je la vide.
Ouelle mouche me pique à cet instant?
Car, au lieu d'effectuer l'opération dans le minuscule jardinet du
LA.R.M.E., je trouve plus pratique de vider tout simplement la bouteille dans
le caniveau, devant la porte. Or, il vient tout juste de tomber une averse
orageuse, brève mais abondante.
Ainsi naquit le LA.R.M.E. 0[
L'azote se répand sur l'asphalte trempé.
En une seconde, toute la rue devant le laboratoire se couvre d'une couche
de verglas qui, par endroits, dépasse le centimètre!
C'est La tuile, car le C.A.R.M.E. est en plein centre ville! Autrement dit,
des gens vont sûrement passer par là. A pied, en vélo, en patins à roulettes,
que sais-je encore ... et il est certain que ces malheureux ne vont pas un
instant - mais alors, pas un seul! - se douter qu'une rue entière vient, en
une seconde, de se transformer en patinoire!
A la mi-août.
En plein après-midi.
Sur les bords du bassin d'Arcachon.
La catastrophe, bien sûr, est limitée sur quelques mètres.
Mais quels mètres! C'est bien simple: je contemple une banquise!
Je ne vois qu'une solution.
Vite, je jette un œil à gauche, puis à droite.
Personne à l'horizon.
En un éclair, je m'engouffre dans le laboratoire, ouvre un robinet d'eau
chaude, déniche un seau, l'emplis d'eau brûlante, puis sors en trombe de mon
antre.
Plaf!
L'eau, lancée sur la chaussée, commence à faire fondre la glace, mais la
température est tellement au-dessous de zéro qu'elle gèLe à son tour ...
Je n'ai fait qu'aggraver les choses.
D'un bond, je suis dans l'atelier, saisis un burin et un marteau, puis sOrs
comme une fusée.
Immédiatement, je commence à attaquer La plaque de verglas.
C'est ce moment que choisit une dame âgée pour tourner l'angle de La rue.
Elle arrive en droite ligne vers moi, claudiquant mais aLerte, appuyée sur sa
canne: clopotop ... clopotop ...
Pour l'instant, elle marche sur le trottoir. Mais j'imagine ce qui va se
passer si elle décide de descendre sur La chaussée ...
Terrorisé, je m'avance vers elle:
«Permettez, Mââdââme, que je vous aide ... »
C'est une vieille teigne:
«Pourquoi? », me lance-t-elle. «Vous me prenez pour une infirme?»
Et, pour m'éviter, eLLe descend du trottoir.
Un instant plus tard, elle gît, le nez dans le caniveau. Elle n'a pas grand
chose, à part une immense blessure d'amour propre et queLques bleus.
~I ~ li_~! A PE~ DE Loï c LE RIBAULT?
31. Les microsondes électroniques (ou microsondes de Castaing, du nom de leur inventeur) sont des appa-
reils qui, comme les M.E.B., permettent non seulement d'atteindre des grandissements importants, mais
aussi de réaliser des analyses chimiques quantitatives très précises sur les échantillons (ou les portions
d'échantillons) étudiés. De plus, la gamme des éléments chimiques identifiables est plus étendue (notam-
ment en ce qui concerne les éléments dits légers) que celle accessible par les micro-analyseurs à disper-
sion d'énergie couplés à répoque sur les M.E.B.
Ainsi naquit le C.A.R.M.E. 0[
de cette somme, considérant avec ma logique très personnelle que je ne
possède rien et qu'en conséquence il est impossible de me saisir quoi que ce
soit en cas de faillite.
Intellectuellement, ces six premiers mois sont merveilleux. Riches, au vrai
sens du terme, puisqu'en l'absence de clients, je peux enfin me livrer exclu-
sivement à ce qui m'a tant manqué depuis mon départ de l'université: la
recherche. Et la recherche qui me plaît, puisque je suis le patron.
Le patron de peu de choses, en réalité. Car nous ne sommes encore que
deux: moi, à la fois Président-Directeur Général, personnel administratif,
personnel scientifique et secrétaire, et Madame G., femme de ménage et
(encore un signe prémonitoire) femme de gendarme. A l'époque, je ne peux
imaginer que le C.A.R.M.E., quelques années plus tard, comptera jusqu'à
trente-trois employés.
En attendant, sans personnel et sans clients, je peux laisser mon esprit
vagabonder en liberté. Le monde de l'infiniment petit m'est grand ouvert et
je m'y plonge avec délices.
De ces plongées dans l'invisible, l'œil rivé à la magie verte de l'écran fluo-
rescent, je ramène d'innombrables trésors, embryons de tous les secteurs
d'activité qui, plus tard, feront la célébrité du C.A.R.M.E. Et dont beaucoup,
d'ailleurs, sont encore aujourd'hui inexploités: dans la gangue de ces toutes
premières explorations sommeillent encore des diamants bruts.
Mais le meilleur a toujours une fin, et les clients commencent à arriver.
En vérité, il est grand temps, car mes réserves financières fondent comme
neige au soleil. J'ai le chèque facile, mais les banquiers, eux, ont les yeux
pointés sur mon compte et ce qu'ils constatent ne les réjouit guère.
L'un de mes premiers clients n'est pas des moindres, puisqu'il s'agit
d'I.B.M. Et 1.B.M. me propose de former du personnel C.A.R.M.E. pour
analyser des composants électroniques à sa demande et sur contrat annuel
renouvelable. J'accepte. 1.B.M. devient ainsi non seulement un client fidèle,
mais une société amie, qui fait tout pour aider au développement de mon
laboratoire et me sert en quelque sorte de locomotive. Dans le monde indus-
triel, être fournisseur d'1.B.M., c'est un peu comme être fournisseur de la
reine pour un Anglais.
Bientôt, c'est le C.E.A.32 qui frappe à ma porte.
Fort de ces deux références en or, soutenu par la presse intriguée par ce
petit laboratoire unique au monde en son genre, le C.A.R.M.E. démarre.
Bientôt, je vois défiler les échantillons les plus variés et les demandes les
plus étonnantes; on dirait que Prévert passe les commandes:
LA RENOVATION DE
LA POLICE SCIENTIFIQUE L _)
PRINCIPAUX PERSONNAGES
Une mort violente, c'est toujours la fin brutale d'un être humain.
Mais, pour certains hommes, elle frappe les trois coups d'une pièce dans
laquelle chacun joue un rôle bien précis: la Scène du Crime, ballet macabre
dont la victime tient la vedette.
Apparemment inaccessibles à tout sentiment humain, insensibles aux
larmes, aux cris et au sang, on les retrouve toujours sur les lieux d'un homi-
cide ou d'un suicide douteux:
Les magistrats, maltres de l'enquête; le procureur est responsable de
celle-ci jusqu'à ce qu'il s'en désaisisse au profit d'un juge d'instruction. Ce
dernier forme avec son (ou sa) greffier(ère) un couple indissociable en toutes
circonstances, le (la) greffier(ère) servant à son seigneur et maltre de secré-
taire, pense-bête, poisson-pilote, confident(e) et bonne à (presque) tout
faire. Comme des époux, c'est pour la vie que juge et greffier(ère) sont unis,
qu'ils s'adorent ou se haïssent.
Les enquêteurs, policiers ou gendarmes chargés de recueillir les témoi-
gnages et d'élucider l'affaire. Sur les lieux, certains font les constatations,
prennent des photographies, tracent les plans des lieux, etc.
Le médecin de garde, venu constater le décès et qui ne s'attarde guère,
car les médecins normaux n'aiment pas fréquenter les morts.
Le médecin légiste (qu'on appelle tout simplement le légiste), pour
lequel au contraire les cadavres constituent la clientèle, se déplace parfois
sur les Lieux du crime avant de regagner son sinistre royaume, La morgue où,
plus tard, il autopsiera la victime.
Les garçons de morgue, qui attendent que chacun ait fini son travail
pour emballer et emporter le corps. Leur mission est d'assister Le Légiste Lors
des autopsies, de préparer Le matériel puis de réparer au mieux les cadavres
ou ce qu'il en reste après ceLLes-ci.
Et puis, dans les cas très difficiles ou désespérés, on appelle l'expert de
terrain 33 , le spécialiste en morts violentes, dernier recours avant l'échec.
33. Qu'il convient de ne pas confondre avec Les experts classiques, désignés par Le magistrat instructeur
pour effectuer si nécessaire certains travaux utiLes à L'enquête. IL existe des experts de ce type en tous
domaines: baListique, comparaison d'écriture, psychiatrie, psychoLogie, etc.
] 0li.0O: A PEUR ! DE Loïc LE RIBAULT?
34. Edmond Locard (1877-1966), créateur du laboratoire de criminalistique de Lyon, jeta les bases de la
police scientifique moderne.
La rénovation de la police scientifique 0
force - constituait une reposante facilité. Les experts eux-mêmes, souvent
sans compétence particulière (il n'existe aucun contrôle ou examen pour l'ob-
tention du titre d'expert), que leurs conclusions floues n'engageaient pas, et
qui conduisaient fréquemment à des contre expertises tout aussi nébuleuses
débouchant sur une confortable incertitude. Les jurés, supposés être un
échantillonnage représentatif de la population - donc sans culture scienti-
fique -, confrontés jusqu'alors à données simples: l'aveu, les témoignages
humains, les rapports des enquêteurs, le cornaquage du président de la Cour,
les plaidoiries des avocats. Les accusés coupables, qui pouvaient se reposer
entièrement sur le talent oratoire de leur avocat en l'absence de preuve
matérielle et revenir sur leurs aveux.
Il n'y avait finalement que les innocents injustement accusés et leurs
avocats que cette situation indisposait.
Autrement dit, en révolutionnant le système, j'allais bouleverser prati-
quement toute l'institution judiciaire. Et indisposer tout le monde.
D.S. T.
La D.S.T. 35 est le service de contre-espionnage français.
Une de ses missions consiste à se documenter sur toutes les entreprises
nationales susceptibles d'intéresser, pour une raison quelconque, les pays
étrangers. C'est aussi d'informer les responsables scientifiques et écono-
miques sur la façon de se protéger contre les risques d'espionnage et de
pillages intellectuel et technologique.
Le C.A.R.M.E., qui travaille beaucoup pour l'armée, fait évidemment partie
des organismes à hauts risques. Certains des dossiers que je détiens feraient
le bonheur de bien des espions.
C'est pourquoi, dès le début de 1982, un inspecteur de l'antenne régio-
nale de la D.S.T. vient frapper à la porte de mon bureau. Il a pour cela deux
excellentes raisons: la première consiste à accomplir son travail d'informa-
tion; la seconde est un problème à me soumettre.
L'ASPIRINE DE LA POLICE
La D.S.T., en effet, vient de «neutraliser» un agent de renseignement
étranger, et a découvert sur lui deux produits suspects, dont l'un se présente ~
sous forme de comprimés blancs portant sur une face le dessin d'un mortier
de pharmacien, et sur l'autre l'inscription Métaspirine.
36. Ce travail me vaudra une rarissime lettre officielle de remerciements du directeur de la D.S.T., datée
du 30 juillet 1982, qui dit: « Monsieur, vous avez bien voulu faire procéder dans votre Centre à ranalyse
de deux produits saisis dans une affaire de Contre-Espionnage traitée par ma Direction. Les résultats obte-
nus ont apporté des indications précieuses sur un moyen discret de communication employé par un agent
de renseignement étranger neutralisé en France. La connaissance de ce procédé "d'écriture secrète" met,
par ailleurs, mes Services en mesure de détecter de nouveaux agissements susceptibles de porter attein-
te à notre Défense. Je tiens à vous exprimer ici toute ma gratitude pour votre collaboration et je vous
transmets au nom de la Direction de la Surveillance du Territoire mes remerciements les plus vifs. (...»)
La rénovation de La poLice scientifique
LA MAIN TENDUE
Enchantée des résultats que je lui ai procurés dans ces affaires et
plusieurs autres, la D.S.T. commence à diffuser dans le milieu judiciaire des
informations sur les performances du C.A.R.M.E. et, de bouche à oreille, les
premiers travaux me sont confiées par des magistrats embarrassés par des
affaires impossibles à résoudre par les moyens traditionnels ou gâchées par
les laboratoires de police.
Dès 1983, la preuve est faite que le C.A.R.M.E. peut rendre service non
seulement aux industriels en détresse, mais aussi aux magistrats et aux
enquêteurs de la police et de la gendarmerie.
Car que trouve-t-on sur les lieux d'un crime? De tout. N'importe quoi.
L'écume matérielle de vies brisées à un moment donné par un évènement
brutal et imprévu dont le lieu du crime recèle toujours des traces qu'il
convient de découvrir puis d'exploiter. Le travail d'un enquêteur est intellec-
tuellement très proche de celui d'un géologue: à partir des éléments qu'il
découvre, essayer de déterminer les conditions qui régnaient dans un envi-
ronnement donné à un moment donné dans un passé plus ou moins lointain.
Or, au C.A.R.M.E., je dispose déjà d'une équipe pluridisciplinaire dont les
membres sont spécialisés en géologie, sédimentologie, métallurgie, biologie,
chimie, œuvres d'art et électronique.
Conscient de l'importance que représente un tel potentiel intellectuel,
j'adresse le 10 novembre 1983 une lettre au professeur Ceccaldp7 pour lui
proposer ma collaboration. Il me répond fort aimablement en ces termes:
«Aucun laboratoire de. police n'étant en France doté d'un microscope électro--
nique à balayage, ni d'une microsonde, il serait souhaitable d'envisager votre
collaboration technique à l'étude de problèmes spécifiques».
Fort de cet encouragement, j'écris le 13 janvier 1984 à Gaston Defferre 38
pour lui proposer d'effectuer «des analyses de poussières, de sols, d'osse-
El
37. Directeur du laboratoire de la préfecture de pDlice de Paris.
38. Ministre de l1ntérieur.
J r ; QUI A PEUR] DE Loïc LE RIBAULT?
Le F.B.I.
Tandis que la police française ignore mes offres, le F.B.I. 40 , lui, prête dès
1985 une grande attention à mes travaux, essentiellement en exoscopie.
On sait que l'exoscopie permet de retracer l'histoire d'un grain de sable,
et même de déterminer dans certains cas sa provenance géographique avec
précision, puisqu'il est mathématiquement impossible de trouver deux grains
en tous points identiques.
42. John McPhee-«Irons in the Fire»-Ed. FarraT; Strauss & Giroux, New York, 1998. Lextrait (traduit de l'an-
glais) reproduit ici a été publié dans le quotidien «New Yorker». On le trouve aussi sur le site internet
«www.amazon.com».
] 0L~~~~ DE Loïc LE RIBAULT?
phénomène s'est produit, parce que Le seuL endroit du monde que je puisse
identifier comme origine de ces grains, c'est La vaLLée de la Bekàa, au Liban,
et bien entendu le F.B.!. n'a aucune affaire criminelLe au Liban. Je ne sais
donc pas d'où provient cet échantillon.»
Après que les géoLogues du F.B.!. eurent fini de lire le rapport, quelqu'un
dit:
«Il faut qu'on parLe avec cet homme.» ( ... )
Le Ribault amena avec lui un interprète à l'Académie du F.B.!., à Quantico,
en Virginie.
Avec un microscope éLectronique à baLayage, il étudia les quartz prove-
nant du cadavre de Camarena - des quartz ordinaires, à l'exception de ceux
d'origine rhyolitique. Il les grossit jusqu'à dix mille fois, et lut les traces à
Leur surface. L'eau dissout le quartz, lentement mais sûrement. L'eau qui s'in-
filtre dans Le sol dissout une partie des cristaux de quartz, et lorsque les soLu-
tions riches en silice s'évaporent, le quartz se recristallise. A très forts gran-
dissements, il est possible de voir les micro-cristaLLisations, et les différentes
formes de celles-ci racontent différentes histoires. Si elles sont présentes
partout sur les grains, cela signifie que celui-ci fut déposé dans de l'eau. Si
eLLes sont présentes au sommet du grain à teL ou tel endroit, cela signifie
qu'il était sur l'escarpement d'une montagne. «Il prenait un seul grain et
vous disait l'endroit où il s'était déposé, combien de temps il était resté en
place, et d'où il venait», poursuit Rawalt. «Il tient aussi compte de la soLu-
bilité du quartz et regarde les différentes parties de sa surface pour déter-
miner à quel point elles ont été érodées par l'eau. Avec son expérience, il
peut vous dire le type de facteurs auxquels il a été soumis dans l'environne-
ment, et donner ses conclusions. La connaissance de la façon dont le quartz
se dissout et recristallise est la base de toute sa méthode, l'exoscopie.»
Pendant la semaine que Le Ribault passa à Quantico, on Lui soumit des
échantillons de terre fournis par la D.E.A. de Mexico - tous négatifs.
Enfin, devant son microscope électronique à balayage, observant un grain
devenu gros comme une carte provenant d'un autre échantillon, Le RibauLt
dit:
«Il vient d'un endroit où un massif rhyolithique domine une vallée.»
RawaLt dit: «Ca, on le sait déjà.»
Car on avait donné à Le RibauLt trois échantillons que Rawalt avait
prélevé dans la forêt de Primavera, ainsi que de la terre trouvée sur le corps 75]
de Camarena. Sur une carte, Rawalt montra à Le Ribault où il avait préLevé
les échantillons. Le Ribault dit: «Vous y êtes, mais pas tout à fait. Vous êtes
approximativement à la bonne hauteur dans le parc, et approximativement
au bon endroit de la zone en pente dans laquelle ce grain de quartz s'est
sédimenté. Le type de dépôt et la profondeur sont exacts. Vous y êtes, mais
JO l~ PEUR 1 DE Loïc LE RIBAULT?
pas exactement. Ces grains viennent d'un endroit où l'eau coulait vers le
nord. A l'endroit où le corps a été enterré, l'eau coulait vers le sud.» Le
Ribault poursuivit: «Ce sable d'origine rhyolitique a été déposé dans un
milieu aquatique. A une profondeur d'approximativement quatre à cinq pieds.
La cristallographie montre qu'il venait d'une berge. La pente de celle-ci est
inférieure à dix degrés. Cet endroit est ombragé. Quand vous y retournerez,
cela pourra vous aider de savoir que le massif d'où proviennent ces sables est
situé à quatre mille pieds au-dessus de l'endroit où le corps a été enterré»
Plus tard, j'apprendrai que la localisation que j'avais indiquée correspon-
dait à une ferme appartenant à Rafael Caro Quintero, un des parrains mexi-
cains de la drogue. C'est effectivement là que Camarena, après avoir été
enlevé, avait été conduit puis torturé des heures durant sous l'attentive
surveillance médicale du Docteur Humberto Alvarez, chargé de lui adminis-
trer régulièrement de la lidocaïne pour lui soutenir le cœur pendant son
martyre. Cette séance, d'ailleurs, avait été enregistrée par les bourreaux et la
bande magnétique, désormais, est en possession du F.B.!. Puis Camarena, qui
n'était plus qu'une plaie sanglante, avait été enterré à proximité du ranch,
dans des sédiments contenant des quartz rhyolitiques. C'est en se rendant
compte du danger que représentait la présence de son cadavre à côté de leur
résidence que les trafiquants, trois semaines plus tard, décidèrent de le
transporter à cent cinquante kilomètres de là, à l'endroit où finalement on
l'avait découvert.
L'histoire dramatique de Camarena et l'importance de l'analyse des grains
de sable pour la résolution de cette affaire sont racontées dans le film The
Drug War de Brian Gibson (1989).
Le 2 avril 1990, le Docteur Alvarez fut enlevé à Guadalajara par des agents
états-uniens et transporté aux Etats-Unis. L'instruction dura deux ans.
Le 14 décembre 1992, le tortionnaire fut acquitté, faute de preuves: Le
cadavre de Camarena était trop putréfié pour révéler la présence éventuelle
de lidocaïne... et Alvarez s'envola par le premier vol à destination du
Mexique.
Libre.
BAVURE?
L'homme a essayé de braquer une banque, mais l'alerte a été donnée et.
pistolet au poing, il n'a eu que le temps de sauter dans son Alfa Roméo, pour-
suivi par la ex des gendarmes.
Maintenant, les deux véhicules foncent dans la campagne, la ex talonnant
l'Alfa.
Soudain, sur une ligne droite, apparaît un semi-remorque roulant dans le
même sens que les deux adversaires. Surpris, le voleur ralentit impercepti-
blement, ce qui donne l'occasion au conducteur de la ex d'arriver du côté
gauche à hauteur du pilote de l'Alfa. Le gendarme qui se tient à côté du
chauffeur dégaine son arme pour contraindre le fuyard à s'arrêter.
A cet instant surgit une voiture en sens inverse.
Pour éviter une collision frontale, le conducteur de la ex rétrograde, se
rangeant derrière l'Alfa.
Voyant dans cette manœuvre une chance de salut, le voleur se rue en
avant. déboîte et se trouve face à la voiture qui s'approche. Surpris, il freine,
dérape et l'Alfa percute violemment un poteau télégraphique en ciment.
Quand les gendarmes et les témoins s'approchent de la carcasse, le truand
est immobile: un angle du capot. après avoir défoncé le pare-bise, lui a
perforé le front. le tuant sur le coup.
l'accident ne fait aucun doute mais, compte tenu des circonstances, le
procureur ordonne une autopsie.
Convoqué pour officier sur le corps d'un individu dont les causes de la
mort ne posent a priori aucun problème, le légiste travaille détendu en discu-
tant avec les gendarmes.
Examinant le crâne de son patient, il a un sursaut, relève la tête et se
râcle la gorge:
«Il s'agit bien d'un accident de voiture, n'est-ce-pas? », laisse-t-il tomber.
«Ben oui! », répond le chœur des gendarmes.
«Ah bon? Parce que ce que je vois là, moi, c'est un magnifique orifice
d'entrée de balle ... Et ici, voyez, c'est le trou de sortie ... »
La foudre s'abattant dans la salle d'autopsie ne provoquerait pas un choc
plus violent sur l'assistance.
«Une balle? », gémissent les gendarmes. «Mais d'où vient-eLLe?»
E «D'une arme à feu ... », répond le légiste avec un humour qui ne remporte
pas le succès qu'il mérite.
«Mais on n'a pas tiré! », protestent les gendarmes.
«Moi, je veux bien vous croire », concède le légiste. «De toute façon, ce
n'est pas mon problème. Tout ce que je peux vous dire, c'est que le coup de
La rénovation de la police scientifique 0r
feu a été tiré à bout touchant ... comme un suicide, quoi ... ou un coup de
grâce!» Et il éclate d'un rire tonitruant qui ne rencontre aucun écho.
Bien entendu, une instruction est immédiatement ouverte.
Rapidement, celle-ci fait apparaître un certain nombre d'éléments:
- Lors de l'accident, le truand tenait à la main un pistolet automatique de
calibre 9 mm. Cette arme a tiré, puisqu'il manquait une cartouche dans le
chargeur et qu'une douille percutée a été découverte sur le plancher de l'Alfa.
Mais quand le truand a-t-il tiré? Longtemps avant les faits? Pendant la pour-
suite? S'est-il suicidé pour ne pas être pris?
- Aucun des témoins de l'accident (de paisibles jardiniers) n'a entendu le
moindre coup de feu. Mais quand ils sont arrivés près du véhicule accidenté,
celui-ci était déjà entouré par les gendarmes.
- Ceux-ci étaient équipés du pistolet automatique réglementaire Mac 50,
de même calibre que celui du truand: 9 mm.
- Enfin, il apparaît qu'il manquait une munition de dotation à un des
gendarmes, précisément celui qui se tenait à la droite du chauffeur de la CX!
L'homme ne peut préciser à quelle date s'est produite cette perte éminem-
ment regrettable, dont il prétend ne pas s'être rendu compte. D'ailleurs,
s'agit-il d'une perte?
Bref, la situation est assez tendue. Disons-le clairement: le problème est
de savoir si le truand n'a pas été victime d'une bavure.
Et si ce n'est pas une bavure, qu'est-ce que ça peut bien être?
Des expertises classiques sont donc confiées à un laboratoire de police.
Six mois plus tard, elles n'ont toujours pas abouti. Car comment trancher
entre un suicide, un accident et une bavure quand:
- Les munitions sont de même calibre;
- Le tir est à bout touchant;
- Le projectile meurtrier, traversant le crâne de part en part, s'est perdu
dans la nature?
Le juge se mord les doigts, les gendarmes sentent peser sur eux de lourdes
suspicions et la famille du truand hurle à l'assassinat.
C'est alors que, fortuitement, le juge entend parler du C.A.R.M.E.
Sans grand espoir, il vient me confier son problème.
«L'affaire, malheureusement, est ancienne}), lui expliqué-je. «Sinon, la 81
découverte de la vérité serait d'un simplicité enfantine.»
Et je lui indique les opérations auxquelles j'aurais procédé:
- Prélèvements sur les mains du truand pour y rechercher des résidu de tir
éventuels.
~ [ 1 QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
- Même opération sur Les mains de tous les gendarmes, afin de déterminer
si L'un d'entre eux - et si oui Lequel - a tiré.
- Prélèvements à L'intérieur du canon de l'arme de chaque gendarme, pour
savoir si l'une d'entre eLLes a tiré récemment.
- Comparaison des résidus de tir éventueLLement présents sur Les mains
d'un des suspects avec Les résidus existant sur les plaies de La victime, afin
d'étabLir un lien, si toutefois iL existe.
Malheureusement, maintenant, il n'y a sans doute pLus grand chose à
faire: Les armes ont été nettoyées par les «balisticiens» de La poLice, qui les
ont en outre utiLisées pour réaliser des tirs d'essais totalement inutiLes en ce
cas précis. D'autre part, aucun préLèvement n'a été effectué sur les divers
témoins du drame, pas pLus que sur La victime qui, d'ailleurs, est enterrée
depuis maintenant six mois. Les vêtements de celle-ci n'ont même pas été
saisis ...
Il ne reste que l'Alfa, stockée dans un garage, à se mettre sous la dent.
«Et ça, est-ce que ça pourrait vous être utiLe? », demande le juge en
sortant un bocal à confiture de sa serviette de cuir.
Or, «ça », c'est un préLèvement du cerveau du truand réaLisé Lors de L'au-
topsie, que le juge a pris soin de saisir officiellement, à tout hasard.
Cet échantillon va peut-être permettre de sauver La situation. Car Lors-
qu'une baLLe traverse un corps, eLLe Laisse sur son passage une multitude de
fragments microscopiques qui caractérisent sa composition. Or, les balles du
truand étaient chemisées en nickel, et celles des gendarmes en Laiton.
Je prélève queLques échantilLons du cerveau, notamment autour de l'ori-
fice d'entrée du projectile.
La réponse du M.E.B. est sans équivoque: tous les fragments métaLLiques
découverts dans le cerveau sont composés de nickel. La balLe qui a tué le
truand provient donc de sa propre arme.
Mais comment démontrer qu'il a Lui-même utilisé son pistolet, et que
personne ne l'y a contraint?
En conséquence, le juge décide d'approfondir les recherches.
Sur la crosse du pistolet du truand, je découvre des particuLes de bois
correspondant au bois du volant de L'Alfa. Au plafond de celle-ci, je recueille
des résidus de tir et, sur le volant, des particules dont la composition est
identique à celle de la crosse de l'arme, ainsi que de magnifiques traces de
frottement.
Dès lors, on peut reconstituer les faits: pendant la poursuite, tout en
conduisant, le truand tient son pistolet à la main. Lorsqu'il déboîte pour
doubler le camion, surpris par le véhicule arrivant en face, il freine, dérape,
mais ne lâche pas son arme. Quand l'Alfa heurte le pylône, le pistolet frappe
La rénovation de la police scientifique 10 [
violemment le volant, et sans doute le truand crispe-t-illes doigts. Le coup
part alors, le tuant instantanément alors que le capot parachève le travail.
Il ne s'agit donc ni d'un suicide, ni d'une bavure, mais d'un simple acci-
dent.
Cinq mois après la remise de mon rapport au juge, les experts de la police
rendent le leur; ils concluent ... qu'il leur est impossible de conclure!
L'infiniment petit, sous toutes ses formes, commence à parler au labora-
toire pour résoudre des affaires criminelles de plus en plus nombreuses.
HISTOIRE D'EAU
En ce joli début d'après-midi d'été, la séduisante Madame Albus téléphone
à la gendarmerie du village. Elle est inquiète, car son mari, parti tôt le matin
à la pêche, n'est pas rentré déjeuner, contrairement à son habitude.
Or, Madame Albus n'est pas n'importe qui. Agée d'une trentaine d'années,
elle a épousé voici quelques mois Henri, un des plus gros industriels de la
région. Un des plus riches, aussi. C'est, .nul n'en doute, un vrai mariage
d'amour, comme le prouve la bonne quarantaine d'années qui sépare les deux
jeunes mariés, et les soins attentifs dont Madame Albus entoure son époux,
récemment victime d'une sévère crise cardiaque.
Ils vivent dans ce qu'au village on appelle le «Château », magnifique
bâtisse du dix-huitième siècle située à la sortie du bourg, flanquée d'un
immense étang dans lequel, d'ailleurs, Monsieur Albus a donné aux
gendarmes l'autorisation de pêcher à leur guise. Lui préfère la pêche en mer,
quoiqu'il ne dédaigne pas de temps à autre taquiner le brochet dans sa pièce
d'eau. L'océan, d'ailleurs, est à peine à dix kilomètres de la propriété.
Madame Albus, elle, très sportive, s'adonne à l'équitation avec passion à
longueur de journée et pratique assidûment la course à pied en solitaire tous
les matins.
Les gendarmes, connaissant bien l'industriel, savent qu'une fugue n'est
pas envisageable. Or, aucun accident n'a été signalé SUT leur territoire.
«Où est-il allé à la pêche? », demande l'adjudant.
«Comme d'habitude, je suppose », répond Madame Albus. «Sur la plage
des Courlis. Je serais bien allée vérifier, mais ma voiture est en panne: .. »
«Ne vous inquiétez pas, Madame. Nous allons aller voir. J'envoie une
patrouille de suite et je vous tiens au courant.» 83
Vingt minutes plus tard, les gendarmes aperçoivent effectivement la
Jaguar de l'industriel garée sur le parking face à la plage des Courlis.
Cent mètres devant, sur la plage en faible pente, ils distinguent un corps
allongé, parallèle à la ligne d'algues que la mer a laissée en se retirant. On
] 0L~ PEU ROE La Ï C LE RIB A U LT ?
est à marée basse, et le corps est celui d'Henri Albus, sans vie. Son matériel
de pêche est à côté de lui; les cannes ne sont même pas montées: il a dû
être victime d'une crise cardiaque dès son arrivée sur place, ou se noyer,
surpris par une vague, car il ne savait pas nager.
Une fois la veuve informée et le corps rapatrié à son domicile, le médecin
de famille conclut logiquement à la mort natureLLe et délivre le permis d'in-
humer.
Quelque chose, pourtant, tracasse l'adjudant. mais il ne sait pas quoi.
Le flair, sans doute, ce fameux flair qui décèle si souvent des anomalies
que le cerveau ne peut anaLyser.
Quand il rentre à la brigade, il se rend compte qu'il a oublié de restituer
à la récente veuve le matériel de pêche de feu son époux. Mais il n'y a guère
d'urgence, ça peut attendre à demain. Il s'empare donc de la canne et de La
boîte à pêche et va les ranger dans son bureau. C'est alors qu'il comprend ce
qui le titille, dans cette histoire.
Il se trouve que L'adjudant est devenu l'ami intime du juge d'instruction,
pêcheur comme lui, comme lui nordiste expatrié dans le Sud, tous deux
phiLatélistes, amateurs de bonne chère et de bon vin, fouineurs de brocantes
et dotés d'épouses qui, ô miracle, s'entendent comme larrons en foire. En
public, bien sûr, le juge et le gendarme se vouvoient, mais en privé ils se
tutoient.
Ce jour-là, c'est comme ami que L'adjudant téléphone au juge:
« Luc? Ici Gérard. Tu sais qu'Albus est mort?»
«Oui, je l'ai entendu dire. Une crise cardiaque au bord de la plage, c'est
ça ?»
«Oui ... C'est du moins ce que dit le médecin ... »
«Ouh là là! Tu m'inquiètes ... Tu n'es pas d'accord?»
«Disons que pour L'instant. ce n'est pas du juge dont j'ai besoin, mais
plutôt du pêcheur ... »
«Du pêcheur?»
«Oui. J'aimerais te montrer quelque chose à la brigade ... »
«J'arrive. »
Un quart d'heure plus tard, le juge est dans le bureau de l'adjudant qui
lui dépose sous le nez le matériel d'Albus.
«Quoi?», s'étonne Le juge. «Tu me déranges pour me montrer une canne
à pêche?»
«Eh oui ... Et quelLe sorte de canne, d'après toi?»
la rénovation de la police scientifique 00 [
«Mais tu le sais aussi bien que moi, voyons! Une canne à lancer avec un
bas de ligne en fit d'acier et un hameçon double, c'est pour pêcher le brochet
au vif!»
«Exact. Et tu en as souvent pêché en mer, toi, des brochets?»
«Bon Dieu! Tu veux dire que c'est le matériel qu'avait Albus quand on l'a
retrouvé sur la plage?»
«Exactement, Monsieur le juge. Et je trouve ça bizarre. Pas toi?»
Le juge trouve ce phénomène si étrange qu'il ordonne une autopsie. A
tout hasard.
Celle-ci, pourtant, ne révèle rien de particulier, si ce n'est la présence
d'eau dans les poumons de la victime et l'évidence d'un magnifique infarctus.
Autrement dit, selon toutes probabilités, Albus a eu un malaise sur la plage,
est tombé à l'eau puis est mort d'un infarctus en se noyant. Rien de bien
exceptionnel.
Pourtant, cette histoire de canne tracasse le juge, qui adresse au
C.A.R.M.E. un prélèvement de l'eau découverte dans les poumons d'Albus.
C'est fou ce que parfois l'eau peut parler!
Une fois celle-ci séchée par évaporation sur des supports métalliques, j'in-
troduis ceux-ci dans le M.E.B. et j'ai le grand plaisir d'y découvrir une multi-
tude de Diatomées.
Les Diatomées sont des algues microscopiques dont on connalt plusieurs
milliers d'espèces, et qui sont un des constituants du plancton végétal des
eaux fluviales et marines. Leur ornementation souvent magnifique permet
d'identifier chaque variété, elle-même spécifique d'un environnement qu'elles
permettent de définir avec une grande précision: salinité de l'eau, tempéra-
ture moyenne, degré d'agitation du milieu, turbidité, profondeur, etc. (Fig. 9
à 12 - voir cahier photos)
Or, les Diatomées que je vois sur mon écran sont toutes, sans exception,
des Diatomées Lacustres!
En outre, les grains de sable minuscules qui sont entrés dans les poumons
d'Henri Albus sont également des quartz typiques des étangs.
Pourtant, l'industriel est supposé s'être noyé sur une plage marine ...
Il y a donc un problème.
Celui-ci sera facilement résolu en procédant à l'analyse des vêtements de
la charmante épouse.
EI[
Car ses chaussures portent encore de magnifiques grains de sable de plage
marine en tous points identiques à ceux de l'endroit où son mari a été décou-
vert.
] 0LQU~_~ ~E~
__ DE Loïc LE RIBAULT?
CHAMPIGNONS MORTELS
Vêtue de son tablier bleu à carreaux, la vieille femme est partie, comme
tous les jours de l'automne, cueillir des champignons en forêt. C'est son seul
plaisir, et eUe fait profiter tous ses voisins du produit de ses patientes explo-
rations.
C'est le soir qu'on la retrouve au milieu des fougères, morte écrasée, son
panier renversé à côté d'elle et sa cueillette répandue sur le sol.
Une chose, une seule, est évidente: compte tenu de l'endroit où se trouve
le corps, seul un véhicule tout terrain a pu écraser la malheureuse avant de
prendre la fuite.
Les enquêteurs ramassent soigneusement tous les champignons, le panier,
et le corps est transporté à la morgue.
Au laboratoire, où les vêtements ont été transportés par hélicoptère, un
examen méticuleux du tablier me permet de découvrir de minuscules écailles
de peinture bleue.
Immédiatement informés de ce résultat, la gendarmerie décide une explo-
ration de tous les 4 X 4 bleus des environs, soit une trentaine.
Le surlendemain, tous les véhicules sont examinés un par un sur un pont
hydraulique dans le garage de la gendarmerie.
Et une des voitures semble avoir des choses à dire: sous son plancher, elle
86 porte des traînées de sang (mais est-ce du sang humain ?), des touffes de
poils blancs (mais s'agit-il de cheveux humains?) et même un fragment de
tissu bleu qui pourrait correspondre au tablier de la malheureuse vieille
dame. Le tout est saisi par les gendarmes qui, sur mes conseils, effectuent
en outre des prélèvements de la boue qui macule le dessous du véhicule.
La rénovation de la poLice scientifique [
NUIT DE NOËL
Bip ... Bip ... Bip ...
Le cri de l'Eurosignal!
Il est trois heures du matin, ce 25 décembre.
C'est l'urgence de Noël, comme tous les ans... La gendarmerie me
demande à 150 kilomètres de chez moi. Pour une fois, ce n'est pas trop loin
et le temps est doux.
En avant.
Sur l'autoroute, il n'y a pas foule. Seulement des camions, espagnols pour
la plupart. On se fait des appels de phare pour se saluer. Un peu de chaleur
humaine en flash. Ils vont vers leur port, je roule vers mon énigme.
Puis ce sont les petites routes de campagne, les traversées de villages
ponctués de fenêtres encore illuminées par la fête. Ici, des gens réveillon-
nent encore. Sur les places désertes, des sapins enguirlandés de Lumières
multicolores clignotent pour moi tout seul.
Cinq heures.
Voilà, j'y suis.
C'est une petite rue très étroite, à la sortie du village, juste en bordure
des champs. A gauche, la maison du drame, neuve, qui détonne avec celles
que j'ai vues dans le centre du bourg. Le style jeune cadre arrivé, ou nouveau
riche. La maison qui veut en imposer, mais ne supporterait pas une bonne
tempête bretonne. Une maison en carton.
Dans le jardin, des silhouettes à képi circulent et toutes les fenêtres du
rez-de-chaussée sont illuminées.
La victime était sûrement d'une rare beauté. D'ailleurs, elLe reste très
belle, même dans la mort, vêtue d'une robe de soirée noire très déshabillée,
couverte de bijoux magnifiques. Et pas en toc ... Elle glt au pied du sapin, El[
au milieu de nombreux petits paquets-cadeau défaits et de bouquets de
rubans. La soirée a dû commencer dans la joie et la tendresse ... Mais un
couteau de boucher briLLe d'un éclat gLacé juste à côté de La main droite de
la victime, dont la narine gauche est ensanglantée.
JU
~r, ~~-
LA BOULE DE NEIGE
Dans le petit monde judiciaire, ces exploits vont rapidement faire boule
de neige.
Bientôt, il ne se passe guère une journée sans qu'un magistrat ne m'ap-
pelle pour me demander mon aide. Pour la D.G.G.N. qui, grâce au capitaine
Laval, a découvert le C.A.R.M.E., celui-ci représente une fantastique oppor-
tunité pour redorer son blason bien terni.
La rénovation de la police scientifique 0[
Du jour au lendemain, la D.G.G.N. fait passer le message à toutes ses
unités de recherches et, dans les affaires difficiles, saisit La moindre occasion
d'informer les juges que désormais la gendarmerie travaille en collaboration
étroite avec un laboratoire de haute technologie susceptible de résoudre
scientifiquement les problèmes les plus épineux.
44. Ce troisième principe avait déjà été énoncé par Locard ... mais jamais expLoité depuis sa mort!
JO L~_~U~ DE Loïc LE RIBAULï?
Le troisième message
concerne la Non Pollution de la
Scène de Crime par ces spécia-
listes eux-mêmes. Puisque
tout homme modifie l'environ-
nement dans lequel il évolue,
les spécialistes de terrain
doivent donc être revêtus
d'une combinaison intégrale
en plastique (non pelucheuse),
porter un calot et des gants de
chirurgien, et avoir enfilé des
Fig. 23: Un ingénieur du C.A.R.M.E. en tenue de terrain avec
une valise P.P.M. Derrière lui, le véhicule d'intervention. couvre-chaussures en plas-
tique. (Fig. 23)
Je décris ensuite et explique l'utilisation du tamponnoir, petit ustensile
tout simple que j'ai inventé, composé d'une pastille d'aluminium d'un centi-
mètre de diamètre munie d'une queue de préhension et recouverte d'un
adhésif double-face, lui-même protégé par une pellicule jetable qu'on enlève
juste avant l'utilisation du tamponnoir (fig.24 à 28).
Cette dernière enlevée, il suffit de promener le tamponnoir sur n'importe
quel type d'objet ou de corps pour y recueillir toutes les particules superfi-
cieLles qui s'y trouvent, y compris celles invisibLes à l'œil nu. Conçus pour
être introduits ensuite directement dans le M.E.B., les tamponnoirs évitent
tout risque de pollution entre L'instant du prélèvement et celui de leur étude
au laboratoire. Une des
principales applications
du tamponnoir est la
recherche de résidus de
tir (traces de poudre,
éléments de munition,
etc.) sur les mains d'un
cadavre ou d'un suspect.
Le brevet du tamponnoir
est déposé le 4 mars
198645 •
45. Enregistré à l'Institut National de la Propriété Industrielle sous le n° 8603121, et ensuite officielle-
ment accordé avec la mention «Aucune antériarité n'a été relevée» (ce qui signifie que le tamponnoir
constitue bel et bien une innovation méritant un brevet accordé au nom de l'Etat). Nous reviendrons plus
tard sur le sort que l'Etat français réserve aux brevets qui le dérangent ...
La rénovation de la police scientifique [J [
i
1
1
N.B.
Les tamponnoirs, ainsi que leur principe et
leurs applications, sont protégés par un brevet
déposé le 4/3/86 sous le n° 86.03121.
Fig. 25: Le TAMPONNOIR - Description du tamponnoir dans Le «ManueL de terrain» du C.A.R.M.E (1986).
r -~
,. R~PU8L1aU" FRANÇAISE
fNSTITUT NATIONAL
••
DE lA 'ADPAI~TE INDUSTRIElLE
@ ~ d. publication:
-----......
&a"............... ...
~
8603121
BREVET D'INVENTION 81
8 Porto~'" prifivemen1: ,.; umponMnMtn flat8mmtnt de panicul•• en 'particulier pouf dt_ 11'II11yt•• microecopi-
qUH.
@ D... cio clip6, , ...... 1986. @ Rifirence •• d"lIutre. documents n.-ioftauJil appa-
rani... :
@ Priorit':
...
.la @ ua~ d.. docvrnonll chio cio.. '" raoport cio
1 rwchordIt : @ lltuIoiroial :
o
"
~
Il)
en
. Il) @ M.od...irelal: Cabinel Jean·lM Th4bIIIt.
N
CI:
II.
EJ
Fig. 27: Le TAMPONNOIR - Page de couverture du brevet déposé Le 4 mars 1986 et officieLLement
enregistré sous Le n° 86 03121.
La rénovation de la police scientifique Qr
2595470
r AVIS DOCUMENTAIRE
1
A_il 'tabti lU vu dl.. r"pport d. 'fCh... ,~t . ItQuei fil'. b.1 l'obit' d'.uCur\t (':Itor.'vuictftl. ni du .'''''l'IdIUf',
Ncfft,"'~.
CoM'orlNmtm. l'.,tic .. 19 M la loi n· 18·1 du 2 .. .witt 1108 tfI04it'h.l'.. ls dowmt"Uiitt cin ,.. '''!MnU
dt ," In dt fi ttthNqut Qui ptvvent t,rr Doris ln eotnfcHr&tion POUl 'DD,tcil' la br...,ct.billtf Ct ~itwln"Qn
lU tet.1d dt. t.igrN:es dl ncUWlul' ., 'CS'lc1i'yi•• ,,,,,,tII.i,, •.
Fig. 28: Le TAMPONNOIR - Demière page de mon brevet indiquant clairement (et officieLLement)
qu'«AUCUNE ANTERIORITE N'A ETE RELEVEE».
LA VALISE P.P.M.
Conscient de l'immense dénuement dans lequel pataugent les enquêteurs,
j'invente dans la foulée (décembre 1985) une petite mallette que je baptise
Valise P.P.M.46, contenant tous les
accessoires et instruments indispen-
sables pour réaliser dans d'excel-
lentes conditions les prélèvements
sur le terrain (Fig. 29 à 31).
LE VEHICULE D'INTERVENTION
Au début de 1987, considérant que 80 % des affaires au moins pourraient
être quasiment résolues sur le terrain si des techniciens très qualifiés se
rendaient sur place avec un minimum de matériel d'analyse, je conçois un
véhicule d'intervention.
Celui-ci est un tout terrain Mercédès 230 à châssis long (fig. 23 et 32).
Spécialement aménagé, il est équipé de multiples casiers de rangement, d'un
évier, d'un réfrigérateur, d'une réserve d'eau, d'une table de travail et de
lumières additionneLLes. Le matériel embarqué est impressionnant: un laser
de terrain états-unien (le premier introduit en France), un microscope
optique, une loupe binoculaire, un groupe électrogène, une provision de
valises P.P.M., des masques anti-odeurs, des révélateurs de drogue et d'ex-
BILAN
De 1983 à 1991, le C.A.R.M.E. étudiera environ mille cinq cents affaires
judiciaires avec un pourcentage de réussite de 93 %48.
Mais, dès la fin de 1985, on peut considérer que la rénovation de La police
scientifique française est accomplie. La justice passe ainsi de la terrifiante
religion de l'aveu à celle des preuves matérielles.
Il est intéressant de noter que ce travail considérable fut réalisé par un
homme seul, à ses frais, sans qu'il en coûte un centime au contribuable.
Et non moins intéressant de
préciser que le ministère de
l'Intérieur fit dépenser au
même contribuable 26 millions
d'euros pour copier ce que j'of-
frais gratuitement à l'Etat
français .,.
Très vite, le C.A.R.M.E.
devient le faire-valoir de la
gendarmerie.
EJ
Fig. 36: Inauguration des nouveaux Locaux du LA.R.M.E. (5 avril
1987). Arrivée de Jacques Valade, le ministre de la Recherche
(qui tend la main), du préfet, du commissaire de police, du
maire, du conseiller généraL, etc.
La renova
- tl'on de la police scientifique 0[
1 /Ir_L'l,- 1----
r...r.-... .... Jo... .-011'-.;...... ....".
.<.
cf,-~."./J'ê.JJ..-, .... -- .-.-....; '7"'< "-/ ."t......
k. ?-~e".-<. L't,... "'- t<. ç,(,. 4....., h'
.,..e~~.
d euxièm e
•
ar 1 e
METIER :
EXPERT EN MORTS VIOLENTES
L
f' i Iq~ 1
r D - ,-
1
1 U~Dr,J-
1 \_...J
il!
L_j l ___..________..__._.__..._.
lin
L_=-:____
l
I
,~
INITIATIONS 1
LE PREMIER CADAVRE
Sept heures du matin. Des policiers sonnent à ma porte, et me demandent
d'aller sur le terrain suite à la découverte du cadavre d'un homme tué par un
coup de feu à quelques kilomètres à peine du laboratoire.
Ce jour-là, deux gendarmes terminent leur stage de formation chez moi,
et logent dans un hôtel proche de mon domicile. Je demande aux policiers
s'ils voient un inconvénient à ce que je les emmène avec moi sur les lieux.
Ils appellent le commissaire par la radio de bord et me le passent:
«Aucun inconvénient», ricane le brave homme. «Plus on est de fous, plus
on rit!»
Munis de tout le matériel indispensable, nous nous entassons en voiture
et, plein gaz, fonçons vers l'objectif.
Tout en conduisant, je réfléchis. Je vais enfin voir un cadavre «en place»
et, d'après l'expérience photographique que j'ai, un homme tué d'un coup de
fusil de chasse en pleine tête offre un spectacle impressionnant. Or, c'est
précisément de cela qu'il s'agit. Comment vais-je réagir?
10 QUI A PEURI DE Loïc LE RIBAULT?
Surtout que mes stagiaires sont persuadés que je suis blasé depuis long-
temps, blindé contre toutes les horreurs. Ils sont ravis:
«On a une de ces chances! Un affaire sur le terrain juste pendant le
stage! Quel pot! C'est tout de même mieux que la théorie! On a hâte de voir
comment vous procédez ... »
Ouais ... Pourvu seulement que le grand spécialiste ne tombe pas dans les
pommes ... C'est ça qui ferait bon effet, tiens!
Nous arrivons en plein centre d'une petite ville. Un policier en uniforme
garde l'entrée d'un jardin au milieu duquel on distingue une vieille maison
de bois aux volets écaillés. Près d'elle, trois hommes vaquent à des occupa-
tions mystérieuses. Dans la voiture de police, la radio diffuse en crachottant
des messages sybillins et des appels codés.
Mes stagiaires frétillants ont déjà sorti le matériel du coffre et piaffent
d'impatience.
Ma foi, quand faut y aller ...
Les trois policiers en civil entourent une forme allongée sur laquelle je
n'ose encore poser le regard. Les poignées de main sont chaleureuses; moi,
je transpire à grosses gouttes.
Un des hommes s'accroupit près du cadavre.
«y a pas longtemps qu'il est mort», dit-il. «Regardez, il est encore tout
mou! »
Il saisit la main de la victime, la soulève puis la lâche. Elle retombe sur
le sol, flasque, avec un écœurant bruit mat. Je ne me sens pas très bien.
Patelles ... où êtes-vous, chères patelles?
Imperturbable, l'inspecteur continue:
«Il a pris la décharge en pleine tête. A bout portant. Regardez comme les
plombs sont bien groupés ... »
D'une main expérimentée, il soulève la tête du cadavre et pointe un index
sur la blessure. Ce n'est pas appétissant, et je me sens blêmir à vue d'œil.
Mais les regards des témoins, heureusement, sont tous braqués sur le corps.
«Bon, alors qu'est-ce que vous faites dans un cas comme ça? Parce qu'on
se demande si c'est vraiment un suicide ... »
Adossé au mur dans une posture qui se veut décontractée, les yeux appa-
remment indifférents fixés sur le fusil qui glt à côté du corps, j'explique:
«Facile: il suffit de tamponner les mains. Si on trouve des résidus de tir,
c'est qu'il a utilisé une arme à feu. Et puis, bien sûr, il faut faire les prélè-
vements conservatoires: cheveux, curage des ongles, saisie de l'arme et des
vêtements ... la routine, quoi!»
«Vous nous montrez?})
Initiations BD [
C'est seulement à cet instant que je me rends compte que, dans ma main,
je tiens celle du cadavre! La colère l'a emporté sur la répulsion ...
Il m'est ensuite facile de tamponner l'autre main, les vêtements, et d'ar-
racher les cheveux de la victime.
Qui s'était bel et bien suicidée.
LA PREMIERE AUTOPSIE
Plusieurs dizaines de cadavres plus tard, je n'ai toujours pas assisté à la
moindre autopsie.
En vérité, cela ne me manque guère. Car si dans l'esprit du grand public
une autopsie est une sorte d'opération au cours de laquelle on observe les
blessure~ de la victime, la réalité est très différente. En effet, tout est mis
en œuvre pour déterminer les causes exactes de la mort; ceci exige l'explo-
ration complète du corps qui, par conséquent, est méticuleusement
disséqué 49 des pieds à la tête, éviscéré, mesuré, décortiqué, chacun des
organes principaux pesé. Puis le cadavre est recousu après avoir été rendu
plus ou moins présentable dans la mesure du possible.
C'est dire que j'envisage sans enthousiasme ma première autopsie.
Un soir que je dîne avec des amis au restaurant, la gendarmerie appelle:
on me réclame pour assister à l'autopsie d'un homme qui vient d'être tué
d'une balle à sanglier en pleine tête.
Trois heures après, je me gare devant un grand hôpital de Vendée. Ce qui
me rassure, c'est que le légiste est le célèbre Professeur R.; il tiendra certai-
nement à officier lui-même, ce qui m'évitera d'accomplir personnellement les
prélèvements dont j'ai besoin. C'est donc d'un pas (relativement) léger que
je descends à la morgue qui, comme c'est la tradition, se cache dans les sous-
sols, au fin fond d'un couloir peint d'un gris cafardeux éclairé par des
lumières blafardes.
Dans la salle d'autopsie attend une équipe du genre de celles qui vont me
devenir bientôt si familières: le juge et son greffier, deux gendarmes (dont
un photographe) et, en blouse blanche, le garçon de morgue et deux légistes.
Il y a aussi, le visage nettement plus pâle que les autres, un tout jeune
homme qui m'est présenté comme étant un magistrat stagiaire.
Au centre de la pièce trône une sorte de table d'opération nickelée munie
de robinets à l'une de ses extrémités et percée en son centre d'un orifice pour
l'écoulement du sang. Tout autour, une collection d'instruments barbares et
scintillants, des bocaux, des flacons et des chiffons garnissent les paillasses
49. Ou du moins devrait l'être. Malheureusement, les autopsies bâclées sont légion, et sources d'erreurs
judiciaires ou d'affaires rendues à jamais insolubles.
Initiations 0
en fal'ence blance. De grandes poubelles ouvertes montent la garde aux
quatre coin~ de la salle.
La main largement tendue, le plus âgé des légistes vient à ma rencontre
et se présente:
«Professeur R. Je suis très heureux de faire votre connaissance. J'ai telle-
ment entendu parler de vos méthodes!»
«Très honoré, Professeur. Comme tout le monde, je connais vos exploits! »
Agé d'une soixantaine d'années, de petite taille, rondouillard, le crâne
aussi dégarni que le mien, il est souriant et d'un abord sympathique. Ce qui
frappe en lui, c'est l'acuité de son regard.
Les mondanités échangées, il fait un signe. Aussitôt, le garçon de morgue
s'approche et me tend une blouse immaculée, des couvre-chaussures et des
gants de chirurgien.
Mais qu'est-ce que ça veut dire?
Satisfait, le professeur déclare:
« Comme je sais que vous insistez pour que rien ne soit touché avant que
vous n'ayez effectué vos prélèvements, je vous ai attendu, évidemment. Et
puis j'aimerais tant que vous me montriez comment vous procédez! ... »
Hein?
Diable! Même dans mes prévisions les plus pessimistes, je n'avais pas osé
imaginer un tel scénario! ...
Le drame!
Le professeur claque des doigts.
J'entends un roulement assourdi et une civière apparaît, poussée par le
garçon de morgue. Un drap blanc recouvre le corps qui y repose. Le tissu est
imprégné de sang au niveau de la tête. La civière est rangée le long de la
table nickelée et, d'un geste brusque, le garçon retire le drap.
Le spectacle est horrible, car la balle a arraché la moitié du visage.
A mes côtés, j'entends comme un souffle:
«Beurk! », fait le stagiaire, verdâtre, qui ne se sent pas bien. Il chancelle.
Je le recueille dans mes bras et le conduis dans la petite pièce mitoyenne
prévue dans toutes les morgues pour ce genre de situations. Elle est équipée
d'un lit pliant et de deux fauteuils. J'allonge le stagiaire et lui tapote la joue.
Il ouvre un œil vitreux.
«Excusez-moi », murmure-t-il, «mais c'est ma première autopsie ... »
«Vous en faites pas, mon vieux », lui dis-je d'un ton rassurant. « Une
faiblesse, ça peut arriver à tout le monde! ... »
Et, du coin de l'œil, je vérifie l'ameublement. Le lit, hélas, est à une seule
place, et celle-ci est désormais occupée. Moi, dans quelques minutes, il
] Q1 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT ?
LA PREMIERE EXHUMATION
Au printemps 1982, on découvre dans un chemin de campagne le corps
d'une jeune fille assassinée, le crâne éclaté.
Au cours de l'enquête, plusieurs suspects sont interrogés, chez qui les
gendarmes saisissent divers instruments susceptibles d'avoir été utilisés pour
commettre le crime. Mais aucun indice matériel n'est découvert sur ceux-ci
(la microanalyse n'est pas encore connue des enquêteurs), les suspects sont
laissés en liberté et les objets saisis déposés au greffe du tribunal en l'at-
tente de jours meilleurs.
Trois ans s'écoulent, pendant lesquels l'enquête ne progresse pas d'un
pouce.
En 1985, un nouveau juge est nommé. Frais émoulu de l'Ecole de la
Magistrature, où il a suivi ma conférence annuelle, il me contacte pour me
demander d'étudier tous ces outils heureusement conservés sous plastique.
10 1 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?
Sur une barre de fer je découvre de minuscules traces de sang, ainsi que
des fragments de cheveux aux extrémités écrasées. Si ces cheveux appar-
tiennent à la victime, cela signifie évidemment que le propriétaire de la barre
de fer est le coupable. L'affaire se trouverait ainsi résolue.
Hélas, nous ne possédons aucun échantillon de cheveux de la jeune fille.
L'analyse comparative est donc impossible.
Il faut exhumer le corps.
C'est ma première exhumation et, comme j'ai personnellement réalisé les
analyses, je ne peux me soustraire à l'obligation d'y assister.
Il a été convenu que toutes les opérations seraient effectuées dans l'en-
ceinte même du cimetière.
Comme l'affaire a fait grand bruit dans la région, je conseille de dresser
une grande tente militaire au-dessus de la tombe. En effet, le cimetière se
trouve en plein milieu d'un village, et de nombreuses fenêtres peuvent servir
de postes d'observation pour des journalistes en mal de scoop.
L'exhumation est fixée à six heures du matin.
Le veille, je couche chez le juge, qui est devenu un ami.
Quatre heures: petit déjeuner.
Quand il apporte le café fumant et les croissants, je trouve qu'il fait une
drôle de tête. J'ai l'impression qu'il veut me parler, mais qu'il n'ose pas. Enfin,
il se décide:
«Tu sais, le légiste qui devait faire l'exhumation avec toi. .. »
«Oui, eh bien?»
«Ben ... il est tombé malade hier soir. .. »
«C'est pas grave. Tu disposes bien d'un autre légiste ici, non?»
«Oui ... Mais il est en vacances au Maroc ... »
Je sais maintenant ce qu'il va me demander! Autant lui faciliter la tâche:
« Autrement dit, il ne reste que moi pour faire le boulot?»
«Ben voilà ... C'est ça! Hier soir, je n'ai pas osé te le dire, pour ne pas
t'empêcher de dormir ... »
Brusquement, le café a comme un goût amer. Mais après tout, bah, main-
tenant j'en ai vu d'autres, et puis un cadavre de trois ans, il ne doit plus en
rester grand-chose.
En route! Une cinquantaine de kilomètres à faire, en suivant les deux
voitures des gendarmes chargés de l'enquête, au son des cassettes de
marches militaires dont je suis toujours pourvu.
Dans le village, toutes les rues menant au cimetière sont barrées par des
gendarmes mobiles. A l'intérieur de celui-ci, la tente kaki est dressée et des
gendarmes en treillis s'affairent. Quelques officiers papotent dans un coin.
Initiations 00 [
Sous la tente, en présence du maire, les fossoyeurs achèvent de sortir le
cercueil et le posent sur des tréteaux. A côté, les gendarmes placent une
table de bois pour que je puisse installer mon matériel. Tout près, un adju-
dant prépare l'inévitable machine à écrire.
Ce qu'il y a de remarquable chez les gendarmes de base, c'est que, lors-
qu'ils organisent quelque chose, on peut être assuré que tout sera impecca-
blement exécuté, exactement au moment demandé (ou en avance, mais en
tout cas jamais en retard). Ils excellent également dans l'improvisation, le
manque chronique de crédits dont ils souffrent en ayant fait des champions
du « Système D».
Maintenant, l'employé des pompes funèbres, armé d'un villebrequin,
dévisse le couvercle du cercueil.
C'est à moi.
Tandis que j'enfile ma blouse, je distingue dans le cercueil une masse
brunâtre, comme de la sciure de bois. Je m'approche. Non, ce n'est pas de la
sciure, mais des milliers d'asticots morts, desséchés, qui recouvrent le corps
sur une dizaine de centimètres d'épaisseur. Comme par miracle, un gendarme
me tend un balai. Hélas, je n'ai jamais été très doué pour les travaux ména-
gers, les pailles sont raides et je suis trop vigoureux: dès le premier coup,
des nuées d'asticots projetés en l'air s'abattent sur les spectateurs qui
refluent en désordre.
Le linceul de plastique blanc apparaît enfin. La fermeture à glissière, bien
sûr, est complètement rouillée. Je force. Et, d'un seul coup, l'odeur atroce
envahit la tente. Cette fois, tout le monde sort, le temps de laisser les
miasmes se dissiper et, surtout, de mettre les masques en gaze qui permet-
tront de travailler dans les moins mauvaises conditions possibles.
Retour sous la tente.
D'un geste brusque, j'ouvre la totalité du linceul.
Ce que je vois, d'abord, c'est le crâne, totalement décharné, couleur
d'ivoire patiné, luisant d'humidité et dont la mâchoire pend en un énorme
baîLLement. Tout seul, dérangé par la lumière, un minuscule vermisseau
rampe désespérément sur le front de la victime. Il donne une étrange impres-
sion de panique, se presse et gagne bientôt l'ombre protectrice de l'orbite
gauche.
Le corps n'est plus qu'un squelette habillé d'un tailleur de couleur désor-
mais indéfinissable, tragiquement paré de bijoux magnifiques. 1
Depuis la mort de leurs parents, dix ans plus tôt, ils habitent la même
maison entourée d'un jardin, dans une célèbre station balnéaire des bords de
l'Atlantique.
Mais, s'ils vivent sous le même toit, c'est en étrangers. Pire, en ennemis.
Les portes de communication sont condamnées, le couloir muré en son
milieu, et deux sorties indépendantes ont été aménagées. Chacun vit dans
un camp retranché.
Jean, trente-six ans, et Alain, de deux ans son cadet, sont célibataires.
Lorsque j'arrive sur les lieux, il est 7 heures 15 minutes.
Le cadavre de Jean gît, allongé sur le ventre, dans un passage d'à peine
un mètre de large bordé d'un côté par un des murs de la maison et de l'autre
par un tas de bois de six mètres de long sur deux de haut. Sous son corps,
on distingue l'extrémité du canon et de la crosse d'un fusil de chasse disposé
en diagonale (Fig. 39); ça ressemble à un suicide classique, et le travail ne
sera sans doute pas long.
Î
I l 1 _________
PORTRAIT -ROBOT
Août, 4 heures du matin.
Ce n'est ni le couinement rageur de l'Eurosignal, ni le bourdonnement du
réveil. C'est donc le téléphone, c'est-à-dire une urgence locale.
Effectivement, un touriste vient d'être abattu sur l'autoroute à quinze
kilomètres à peine de chez moi, et la S.R. me demande d'aller sur les lieux.
Lorsque j'arrive, vingt minutes plus tard, deux motards gardent un break
505 Peugeot garé sur la bande d'arrêt d'urgence. A l'intérieur, cinq enfants
dorment. Appuyée à la carrosserie, une femme pleure. Une ambulance vient
d'emporter le corps de son mari.
Ce sont des Marocains qui rentraient de vacances.
D'après ce que dit la femme, leur voiture a été prise en chasse plusieurs
kilomètres en amont par un véhicule qui les a forcés, avec une queue de
poisson, à s'arrêter à l'endroit où nous nous trouvons actuellement. Là,
l'agresseur est sorti de sa voiture, un pistolet à la main, puis a ouvert la
porte du break. Le mari a vite saisi un couteau de cuisine pour se défendre
mais, avant qu'il n'ait eu le temps de s'en servir, l'homme lui a tiré cinq coups -;;t
de feu dans le ventre avant de remonter dans son véhicule et de s'enfuir. ~
Il s'agit donc d'une affaire à la fois difficile et sensible: comment
retrouver le meurtrier dans le flot de voitures qui déferle à cette époque, et
s'agit-il d'un crime raciste?
Sans attendre l'arrivée de la S.R., qui vient de beaucoup plus loin que moi,
je me mets au travail et, à la lueur du réverbère sous lequel stationne la
voiture, je commence à explorer la 505 et ses environs immédiats, à la
recherche du moindre indice. Tout ce que je trouve, c'est, dans le vide-poche
du véhicule, un couteau ensanglanté. Tiens? Contrairement à ce que prétend
la femme, la victime aurait-elle eu le temps de se défendre?
Bientôt, la S.R. est sur place.
Le jour se lève.
En ligne serrée, les gendarmes fouillent, le nez au sol, et découvrent deux
douilles. Celles-ci permettent de déterminer que l'arme utilisée par le meur-
trier est un pistolet automatique de calibre 11,43. Le préféré du milieu ...
Lorsque les constatations sur place sont terminées, la famille est
transportée à la gendarmerie locale ainsi que le break, afin que je puisse
examiner ce dernier à fond dans le confort du garage de la brigade.
C'est là que me rejoint le capitaine en début d'après-midi. Tout sourire, il
tient un papier à la main:
«On a demandé à la femme de dresser un portrait-robot du tueur», dit-il.
«Tenez, le voilà.»
Et il me tend le document.
Je reste bouche bée: on jurerait moi, sans les lunettes! (Fig. 40)
«Amusant, hein? », rigole le capitaine.
«Mmmmouiii ... »
«On va faire un tapissage 50 • Acceptez-vous d'y participer?»
«Bien sûr!»
50. le Tapissage consiste à présenter à un témoin une série de personnes présentant une ressemblance
avec un suspect tel qu'il l'a décrit. Généralement, les figurants sont des policiers ou des gendarmes parmi
lesquels on a glissé un authentique suspect.
Témoignages humains 0[
Après avoir enlevé mes bésicles, je me glisse parmi les autres participants,
tous en civil, et j'attends.
Bientôt, la veuve fait son apparition. Immédiatement, sans sommation,
elle se jette sur moi, griffes dégaînées, en criant:
«C'est lui! C'est lui! Assassi n ! »
Avant qu'elle ne commette sur ma personne des dommages irréparables,
le capitaine stoppe son élan vengeur, lui explique que je ne peux en aucun
cas être le meurtrier de son mari, mais qu'il serait très utile de savoir avec
certitude si je ressemble vraiment beaucoup à celui-ci.
Elle réfléchit un moment, puis laisse tomber:
«Oui, il lui ressemble beaucoup. Mais il est encore plus gros ... »
Bien élevés, les gendarmes font des efforts surhumains pour ne pas
éclater de rire tandis que, vexé comme un pou, je retourne me cacher dans
le garage.
Pendant que je continue mon travail, les enquêteurs poursuivent le leur.
Il s'agit maintenant pour eux d'obtenir une description du véhicule du meur-
trier. Ils conduisent donc la femme dans le parking de la gendarmerie afin de
voir si, par hasard, la forme ou la couleur d'une des voitures présentes
évoquerait quelque chose pour la malheureuse.
Quelques minutes plus tard, le capitaine réapparaît dans le garage. Il a
une lueur malicieuse dans les yeux.
«Excusez-moi de vous déranger, Monsieur Le Ribault, mais pourriez-vous
venir un instant avec moi?»
Sur le parking, la femme est en arrêt devant une voiture, immobile comme
un pointer devant une remise de bécasse.
Et cette voiture, naturellement, c'est la mienne!
Et voilà, ça continue!
«Elle reconnaît formellement votre véhicule », dit le capitaine. «Même
forme, même couleur ... Qu'est-ce que vous dites de ça?»
«Prrrfffmmmouiiignnn ... », fais-je, sans oser m'engager davantage.
Un gendarme de la S.R. me pousse alors du coude et s'esclaffe, en agitant
son énorme index sous mon nez:
«Hé, hé! Vous correspondez trait pour trait au portrait-robot ... Votre r--nJ
voiture est identique à celle du tueur ... Nous, forcément, on comprend main- ~~
tenant pourquoi vous étiez sur les lieux avant nous! ... ça ne vous suffit donc
plus, les cadavres des autres? Mai ntenant, vous produisez vous-même?»
Et il éclate d'un rire tonitruant. On a beau savoir que les gens plaisan-
tent, certaines situations sont quand même parfois gênantes. De plus,
] 0[ QUI A ;;uR DE Lo ïc LE RIBAU LT ?
comme tous les timides camouflés, j'ai une regrettable tendance à rougir
quand je suis mal à l'aise.
«Et en plus vous rougissez? Mmmm ... Mauvais pour vous, ça, Monsieur
l'Expert! », continue le gendarme.
Charitable, le capitaine vole à mon secours:
«Heureusement, le numéro ne correspond pas. Ce matin, la femme nous
a indiqué que la plaque du véhicule de l'agresseur commençait par les chif-
fres 2345. La vôtre, c'est par 7018 ... »
La solution de l'affaire va permettre d'éclaircir à la fois le déroulement des
faits et l'énigme me concernant.
Tout d'abord, il apparut que le sang maculant le couteau trouvé dans le
véhicule de la victime n'était pas le sien. J'en déduisis logiquement que
celle-ci avait eu le temps de blesser son agresseur avant de succomber. Or,
les traces sanglantes sur l'arme montraient que celle-ci avait été plongée très
profondément dans le corps. Des recherches furent donc entreprises par la
gendarmerie pour savoir si quelqu'un du milieu (le fameux 11,43 ... ) n'avait
pas récemment reçu un coup de couteau dont la gravité l'obligeait à garder
le lit.
C'est ainsi qu'elle retrouva le meurtrier, déjà plusieurs fois condamné pour
homicides et évadé.
Quand il fut arrêté, on eut la surprise de constater qu'il ne me ressemblait
en rien: il mesurait à peine 1,65 mètre, était mince et arborait une splen-
dide crinière de cheveux bruns!
Quant à sa voiture, il s'agissait d'une 505 Peugeot gris métallisé, offrant
effectivement certaines ressemblances avec ma Mercédès 190 de même
couleur. Mais son numéro d'immatriculation ne commençait pas par 2345,
comme l'avait affirmé la femme: c'était 5432; personne n'avait songé que les
Arabes lisent de la droite vers la gauche!
La malheureuse épouse était donc une excellente observatrice.
Elle ne s'était finalement trompée que pour décrire le meurtrier.
Traumatisée par la mort de son mari que l'ambulance venait juste d'emporter,
elle ne m'avait pas quitté des yeux tandis que je travaillais sur le bord de
l'autoroute. Finalement, mon image et celle du tueur s'étaient confondues
dans son souvenir.
C'est donc bien ma description qu'elle avait donnée aux gendarmes, qui
établirent un portrait-robot qui était bien Le mien!
Et c'était aussi une menteuse, car elle ne pouvait ignorer que son mari
avait utilisé son couteau, ce qu'elle s'était bien gardée de révéler ...
Témoignages humains 0[
LA ROllS
Nous revenons d'une reconstitution en province.
Deux voitures de gendarmerie se suivent: une Estafette RenauLt, dans
laquelle je me trouve, et une 305 Peugeot où s'entassent le chauffeur, l'ad-
judant, un O.P.J.5i, le juge et son inévitable greffier.
Soudain, dans un village, surgit en face de nous une RoLLs des années
cinquante. Vision irréelle que celle de cette œuvre d'art après notre sordide
périple au sein des marécages. La Rails ralentit, car il est impossible de se
croiser tant la rue est étroite.
Qui va passer?
Le rêve ou la justice?
L'autorité cède le pas pour mieux contempler le rêve.
Qui passe, étincelant, silencieux, royal, nous éclaboussant au passage de
boue plébéienne. Bon prince, le chauffeur remercie les gendarmes en les
saluant.
En me retournant, je vois les têtes de tous les occupants de la 305 tour-
nées vers la merveille qui glisse à l'horizon.
Or, dans l'affaire qui nous occupe à ce moment-là, il se trouve que les
témoignages humains jouent un rôle capital. Je décide donc de faire une
expérience.
Le soir même, nous avons une réunion de synthèse. J'attaque dès le
début:
«Vous avez tous vu la RoLLs, dans le village?»
«Bien sûr! », dit le chœur. «Quelle bagnole!»
« Et de quelle couleur était-elle?»
«Noire! », lance le juge.
«Ah non, permettez », proteste l'O. P.J. «Elle était claire. Beige, je crois.»
«Pas du tout», ricane l'adjudant. «Je l'ai bien regardée: elle était
rouge! »
«Parfaitement! », renchérit le greffier, pour une fois en désaccord avec
«son» juge. «L'adjudant a raison: elle était rouge! »
Alors, le chauffeur de l'Estafette prend la parole:
«Vous êtes tous des nuls, sauf vot' respect, M'sieur le juge! Quand on a
vu la RoLLs, Loïc m'a dit: "Regarde bien sa couleur, je vais tous les coi ncer ce
soir à la réunion. Mais j'ai besoin de ton témoignage". Et j'peux vous affirmer
une chose: c'est qu'elle était bleu foncé, la bougresse! »
LA VOIX DU SANG
L'œil peut pourtant être un instrument extraordinairement efficace, quand
il est bien utilisé par des spécialistes entraînés, aussi bien sur le terrain
qu'en laboratoire. La localisation et la morphologie des traces de sang
permettent en effet souvent de déterminer la position d'un corps et d'objets
divers tels qu'ils se trouvaient ou ont été déplacés au moment des faits.
Le message que j'avais fait passer en gendarmerie était clair: sur une
scène de crime, photographier toutes les traces de sang en vue générale, puis
réaliser une macrophotographie de chacune de celles-ci, et enfin saisir systé-
matiquement tous les objets ensanglantés.
Les résultats ne se firent pas attendre.
semble donc être exclue. Mais pourquoi diable le meurtrier a-t-il pris soin de
panser sa victime?
A tout hasard, j'effectue sur les mains de celle-ci les prélèvements qui me
permettront plus tard de savoir avec certitude si elle a ou non mis elle-même
fin à ses jours. Mais je ne crois guère à cette version.
Pendant ce temps, les gendarmes explorent les autres pièces. Une excla-
mation me fait sursauter, tandis que je range mon matériel:
«Ah ben ça, alors!»
Le cri vient de la salle de bains, où je me précipite ventre à terre.
Là, le spectacle est effectivement étonnant: de grosses gouttes de sang
maculent le carrelage tout autour du Lavabo et consteLLent aussi l'émail de
ceLui-ci. Sur une chaise, on voit une serviette de toilette imbibée de sang,
soigneusement pliée. Et, sur la tablette, un paquet de pansements est ouvert,
des pansements du même type que celui posé sur la tempe de Monsieur
Martin! L'assassin est-il donc venu dans la salle de bains avec sa victime pour
la soigner? Ou bien le meurtrier était-il lui-même blessé?
L'analyse hématologique permettra de trancher cette question, et je
réalise les prélèvements indispensables quand une nouvelle exclamation
retentit, venant cette fois de la cuisine.
Où un gendarme, grimpé sur une chaise, contemple Le dessus du buffet.
Des traces de doigts y sont imprimées dans la poussière, et l'une d'entre eLles
est ensanglantée. Une boîte rectangulaire repose à proximité. Elle a été
déplacée très récemment, comme le prouve son «ombre» dépourvue de pous-
sière visibLe juste à côté d'elLe.
De ses mains gantées, le gendarme saisit la boîte et l'ouvre. A l'intérieur,
un chiffon qui, lui aussi, porte des traces de doigts sanglants! Quant à l'objet
enveloppé dans le morceau de tissu, c'est tout simplement un révolver de
calibre 8 mm. Le barillet est garni, mais une des munitions a été percutée et
le canon sent encore la poudre brûlée. Sans aucun doute, c'est l'arme du
crime. Mais pourquoi le meurtrier ne l'a-t-il pas laissée dans la chambre?
Pourquoi a-t-il pris le soin de replacer le révoLver au-dessus du buffet? En
tout cas, le coupable est un familier; sinon, comment aurait-il pu soup-
çonner la présence d'une arme à cet endroit?
Continuant notre exploration, nous découvrons encore dans la cuisine
quelques gouttes de sang qui jalonnent un cheminement entre ceUe-ci et la
salle de bains, ainsi qu'une trace de doigt sanglant sur une chaise placée près
du buffet. Il devient désormais presque certain que le meurtrier a été blessé.
Mais comment? Et par qui? Car il n'existe nulle part de trace de lutte ...
Devant la difficulté du problème, et selon mes principes des prélèvements
conservatoires, nous saisissons l'arme, bien sûr, mais aussi tous les objets
ensanglantés: la literie, les vêtements, les serviettes, Le paquet de panse-
La voix du sang 0[
ments et le pyjama de Monsieur Martin, dont le corps fait en outre l'objet de
prélèvements multiples au cours de son autopsie.
C'est le laboratoire qui, une fois de plus, permet de résoudre l'énigme en
une semaine, car:
- Toutes les traces de sang proviennent du sang de Monsieur Martin;
- le révolver découvert sur le buffet de la cuisine est bien l'arme qui a
tiré le projectile retouvé dans la tête de la victime;
- le coup de feu a été tiré par quelqu'un qui se trouvait dans le lit,
puisque des résidus de poudre parsèment le montant de celui-ci au niveau où
se trouvait la tête de Monsieur Martin, ainsi que le côté droit de l'oreiller;
- Des gouttes de sang arrondies, traduisant un écoulement vertical depuis
la blessure, ont été retrouvées sur l'épaule droite et la cuisse droite du
pyjama;
- Sous les pieds de la victime, une trace sanglante en forme d'étoile
correspond exactement à une trace de morphologie identique observée sur le
sol de la salle de bains, devant le lavabo: Monsieur Martin a donc marché
pieds nus sur cette dernière;
- Deux empreintes digitales de la victime ont été formellement identifiées
sur la boite de pansements recouverte d'un emballage plastique lisse;
- Pas la moindre trace de sang n'a pu être relevée sur les vêtements pliés
à côté du lit.
Avec tous ces éléments, il est désormais possible de reconstituer les
derniers instants de Monsieur Martin.
Ce soir-là, pour une raison indéterminée, il est fatigué de vivre.
Alors, il se déshabille, plie soigneusement ses vêtements puis enfile son
pyjama. Ensuite, il va chercher son vieux révolver d'ordonnance qui
sommeille sur le haut du buffet de la cuisine et, allongé confortablement
dans son lit, se tire une balle dans la tempe.
Mais il ne meurt pas sur le coup et la blessure saigne. Monsieur Martin,
qui pense sans doute s'être raté et regrette peut-être son geste, se rend dans
la salle de bains et applique un pansement sur la plaie. Puis, s'aidant d'une
chaise, il retourne ranger son révolver dans sa boite et replace le tout en QI-
haut du buffet. ~l
Ensuite, tout étant en ordre, il se recouche, éteint sa lampe de chevet et
met ses bras au chaud sous les draps bien lissés.
Puis, tranquillement, Monsieur Martin est mort.
- r Q UI
--' L.: L
A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
_-.J
LES BALANCES
C'est un après-midi de juillet. A deux pas, on entend le bruit de la mer et
les cris des enfants qui jouent sur la plage.
Après avoir exploré les lieux du crime, j'ai apporté tout mon matériel au
commissariat, et observe attentivement les vêtements de la suspecte. Car on
la soupçonne vivement d'avoir assassiné à coups de couteau un petit vieux
de 92 ans qui vivait en lisière de la forêt.
Elle est seule avec moi, cuvant l'alcool dont elle est imbibée, tandis que
j'ai les yeux rivés aux oculaires du microscope. Toutes les dix minutes, un
policier en tenue passe la tête par la porte entr'ouverte pour vérifier que tout
se passe bien, car la femme a la réputation - apparemment justifiée -
d'être parfois assez violente.
Soudain, sur les chaussures, je vois la première tache de sang. Minuscule.
Puis une autre. Et une autre encore ... En tout, j'en compte vingt-deux ...
Je siffle entre mes dents.
Elle sursaute:
«Qu'est-ce qu'il y a.? Pourquoi tu siffles?»
«Parce que tes chaussures parlent ... »
«Comment ça, elles parlent, mes chaussures? Ça cause pas, une
godasse! »
«Mais si, mais si! Tiens, elles sont en train de me raconter que tu t'es
trouvée tout près d'un homme qui saignait ... »
Elle n'en revient pas:
«Elles disent ça, mes chaussures?»
«Eh oui! Elles précisent même que c'était un vieil homme ... »
«Et puis? Et puis?», demande-t-elle, subitement très inquiète.
«Elles racontent aussi que ça se passait à la lisière d'une forêt ... et. ..
attends ... attends ... ,:lles disent aussi que c'était la nuit ... »
La femme commence vraiment à paniquer:
« Et qu'est-ce qu'elles disent encore?»
« Ben ... c'est ennuyeux ... Elles prétendent maintenant que tu tenais un
grand couteau à La main ... »
La femme se lève d'un bond, furieuse:
1301 «Elles sont dégueulasses, ces grolles! C'est des balances! Elles disent
'---' quand même pas l'heure, des fois?»
«Attends, je vais leur demander ... »
C'est cet instant précis que choisit le policier, ponctuel, pour passer la
tête à la porte. La femme l'apostrophe:
La voix du sang llJ r-
LE PIERROT
Il disait l'avoir simplement giflée, peut-être un peu fort, puis avoir -
mais en vain - tenté de la ranimer.
C'était un grand modeste.
En effet, quand, quelques heures après le drame, je pénètre dans leur
deux-pièces, il y a des éclaboussures de sang sur tous les murs, et même au
plafond. Les meubles en sont comme laqués de rouge.
Je constate notamment dix-sept traces d'impacts de tête sur les cloisons,
sur l'armoire (dont la porte a été brisée sous la violence du choc), sur le
convecteur électrique (descellé) et sur l'évier, où le col de cygne, brisé net,
porte une grande mèche de cheveux. Et partout, partout, du sang ... Je ne
sais où poser mon carnet de notes, et c'est un poLicier qui doit écrire sous
ma dictée; ça a été un vrai carnage.
Mais c'est vrai qu'il a tenté de la ranimer.
En lui tailladant la plante des pieds avec un cutter, pour qu'elle se réveille
enfin.
Au mur de la chambre à coucher, un poster représente un Pierrot aux yeux
tristes sur un nuage bleu tendre.
Et l'un des yeux du Pierrot pLeure une grosse Larme de vrai sang.
1',-
"
L'exoscopie des quartz fut utiLisée avec succès dans un grand nombre d'af-
faires, dont voici deux exempLes choisis parmi des dizaines.
DELIT DE FUITE
Il n'existe que deux moyens légaux pour occire son prochain avec en
poche un permis de tuer en bonne et due forme: la chasse et l'automobile.
Mais le délit de fuite, lui, est sévèrement puni.
Dans cette difficile affaire, la puce a été mise fi l'oreille des gendarmes
par un garagiste appelé à changer le pare-brise d'une Mercédès. C'était un
pare-brise feuilleté, portant la trace d'un violent impact dont la forme et la
taille évoquaient irrésistiblement celles d'une tête humaine. En outre, il avait
semblé au garagiste distinguer quelques cheveux enchâssés dans des fissures
du verre; mais l'homme avait déjà rendu le véhicule à son propriétaire et jeté
le pare-brise, non sans avoir toutefois soigneusement noté le numéro
d'immatriculation de la voiture.
' r , - - - --
, 1 QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULi?
lB
,Lb-~
Cl
,D- Il'1 11',--
, ,_____LU' 1
l' U ,L- U'
I 1 r-l 1 (----1
1~ _ _ _ ,,___..Ji I, __.,J
L:: __ ~1 1
1
OPERATIONS DE SAUVETAGE
52. Gauche et droite dont Les gouvernements, d'ailleurs, seront parfaitement unis dans Leur Lutte contre
Le C.A.R.M.E. dix ans durant ...
1;1
53. L'Evènement du jeudi, 30 août au 5 septembre 1990, page 42.
54. MichèLe RudLer, docteur en pharmacie, nommée directrice du Laboratoire de La préfecture de poLi-
ce (entre autres) en 1985. Elle dut quitter ses fonctions dix ans plus tard pour cause de muLtiples
infractions au code de procédure pénaLe et surtout pour enrichissement personnel dans le cadre de
ses fonctions publiques, selon un rapport de la Cour des Comptes.
le niveau du C.A.R.M.E. Les conséquences ne vont pas tarder à se faire sentir
à partir de 1988, où la P. l.5. lâche sur les scènes de crime ses l.5.C. 55 et la
gendarmerie ses T.I.C. 56 , copies bâclées des spécialistes de terrain qu'aupa-
ravant j'entraînais personnellement avec soin et passion. Ceux-ci, sans
formation, vont accumuler les négligences et les erreurs.
Dès 1989, le ministère de l'Intérieur envoie des émissaires dans tous les
palais de justice de France afin de placer sa nouvelle marchandise, avec un
message très clair: ne plus donner de travail au C.A.R.M.E. La plupart des
magistrats cèdent au chant des sirènes étatiques: la police sait se faire si
persuasive ...
A partir de cette époque, je commence donc à rencontrer sur le terrain des
l.5.C. et des T.I.c., car certains magistrats, qui ont compris le danger que
représentent ces malheureux dépourvus de formation, m'appellent parfois
pour contrôler leur travail ou réparer des gâchis évidents.
LE CADAVRE DE BEGLES
Un procureur bordelais a un jour une excellente idée: à la première affaire
difficile, il décide d'appeler d'abord les l.5.C. ou les T.I.c., puis, seulement
après, de faire appel au C.A.R.M.E.
Si, dans ces conditions, je trouve des indices oubliés, c'est bien la preuve
que le C.A.R.M.E. est le meilleur.
Informé de ce petit jeu, je sais pertinemment ne rien risquer et attends
avec impatience la première confrontation .
Elle se produit en janvier 1990.
A Bègles (près de Bordeaux), on vient de découvrir auprès du fleuve un
cadavre décomposé partiellement enterré.
Le procureur fait appel à l'Identité judiciaire de Bordeaux, qui s'empresse
de dépêcher sur les lieux le l.5.C. de service.
Celui-ci observe longuement les vestiges du corps, gratouille la terre sur
un mètre carré, puis déclare gravement:
«A première vue, je ne vois rien d'anormal. .. ça doit être une mort natu-
relle. Mais, pour plus de sûreté, j'assisterai moi-même à l'autopsie ... »
Le lendemain, le magistrat reçoit une double confirmation orale du légiste
et du l.5.C.: aucun doute, le cadavre est bien mort de mort naturelle. IL ne
présente aucune trace de violence apparente, et son état de décomposition
empêche toute investigation plus approfondie. IL y a juste un problème: les
mains et un pied du corps ont disparu, mais tout laisse supposer que ces
«OSCAR»
Une affaire très connue des milieux judiciaires dans laquelle le C.A.R.M.E.
ridiculisa une fois de plus les laboratoires de police est celle d' «Oscar ».
Ce surnom avait été donné à un cadavre non identifié découvert dans le
centre de la France, enterré et enveloppé dans une couverture de laine.
Le corps avait été confié au laboratoire de police de Paris, auquel le
magistrat instructeur avait donné pour mission de déterminer la date
approximative de l'inhumation et, plus généralement, de rechercher tous les
indices permettant d'aider à l'identification de la victime.
Quelques mois plus tard, le laboratoire rend ses conclusions: l'homme est
mort de sept coups violents portés à la tête, mais les «scientifiques}) de la
police ne peuvent en dire plus.
Etonné d'un tel mutisme cadavérique, le magistrat décide de saisir le
C.A.R.M.E.
Je dois attendre quelques semaines avant de recevoir le crâne de la
victime (seule partie du squelette conservée), qui a été perdu et est finale-
ment retrouvé enfoui dans un placard du laboratoire de Paris. Lorsque je
reçois l'objet, je suis stupéfait: le crâne est d'un blanc immaculé, propre
comme un sou neuf! Renseignements pris, les «spécialistes» de la police,
incommodés par l'odeur, l'ont bouilli avant d'entamer les analyses!
Autrement dit, j'ai très peu de chance de découvrir le moindre indice permet-
tant d'aider à son identification.
Plusieurs semaines de travail minutieux aboutiront pourtant aux conclu-
sions suivantes:
- «Oscar» a été enterré très exactement six mois avant sa découverte;
- Son crâne porte effectivement la trace de sept coups extrêmement
violents;
Opérations de sauvetage 0[
- Ceux-ci ont été portés à l'aide d'une pelle du type pelle pliante de
l'armée états-unienne;
- Celle-ci était de couleur bleu ciel;
- les faits n'ont pas eu lieu à l'endroit où le cadavre a été découvert, mais
à vingt kilomètres au sud-ouest de celui-ci;
- la couverture dans laquelle il était enveloppé a été fabriquée en
Belgique;
- l'homme était âgé de quarante-quatre ans;
- C'était un grand fumeur de cigarettes brunes;
- Il travaillait dans un profession liée au monde de l'automobile (il était
très probablement ferrailleur) ;
- Il habitait dans le sud-est de la France, en bordure de la Méditerranée.
Ainsi parla « Oscar» au C.A.R.M.E., «Oscar» pourtant resté muet dans le
laboratoire de police ...
FIONA JONES
l'après-midi du 14 août 1989, Fiona Jones, jeune anglaise de vingt-six
ans, quitte Elincourt pour rejoindre à bicyclette Compiègne, distante de dix-
huit kilomètres.
Elle n'y parviendra jamais.
Deux jours plus tard, la gendarmerie retrouve, à six kilomètres du point
de départ de Fiona, la carte magnétique qui lui permettait d'ouvrir sa
chambre d'hôteL. Puis sa montre et son collier. A proximité, ils relèvent des
traces de lutte et, à demi cachée dans les herbes, une chaussure.
Il s'agit d'un mocassin de marque Arcus, bicolore (vert et parme), de poin-
ture 44 et d'un prix d'environ 76 €.
Cette chaussure, neuve, semble avoir été très récemment déposée à l'en-
droit de sa découverte. Si c'était l'agresseur qui l'avait perdue?
Un autre indice va permettre aux enquêteurs de resserrer l'étau: dans
l'après-midi du 14 août, à l'endroit précis où les indices ont été découverts,
deux témoins ont vu démarrer en trombe une Volkswagen Golf blanche ancien
modèle. l'un d'eux assure même que la voiture était immatriculée dans l'Oise.
Mille cinq cents Golf sont alors contrôlées par les gendarmes dans la seule
région de Compiègne.
Quant à la chaussure, ils apprennent que ce modèle vert-parme a été mis
sur le marché en janvier 1989, et que deux cents paires seulement de poin-
ture 44 ont été vendues jusqu'en août.
Mais comment remonter jusqu'à l'acheteur?
~...JU1 r_ QUI A
_ ~ DE Loïc LE RIBAULT?
57. On sait pourtant (du moins les vrais spécialistes savent) que plus un objet est sale, plus il porte d'in-
formations, donc plus il est susceptible de livrer des indices ...
58. Partie qui n'avait méme pas été explorée par le laboratoire de la police ...
Opérations de sauvetage JlJ [
Il rentre alors chez lui, enfile une autre paire de chaussures, boit un Coca
et saisit un couteau.
Quand il revient dans le chemin de terre, il trouve Fiona en larmes et se
dirige vers elle; elle lève le bras droit pour se protéger. IL la frappe alors de
son couteau et rabat les sièges de sa voiture où il enfourne le vélo et le corps
de sa victime.
Ensuite, il se met en quête de son mocassin perdu.
Soudain, un bruit se fait entendre: un tracteur approche.
Affolé, Blancke monte dans sa voiture et s'enfuit à toute allure. C'est en
faisant irruption sur la route départementale 142 qu'il est remarqué à cet
instant par des témoins.
Ensuite, il se débarrasse du vélo en le jetant dans un canal, puis va cacher
le corps de Fiona dans la forêt.
Enfin, tranquillement, il rentre chez lui ...
LE T.S.C. HARGNEUX
«Je ne comprends vraiment pas pourquoi on vous a fait venir! », grogne
le T.S.C. de l'identité judiciaire de Périgueux. «Tout le travail a déjà été fait,
ici ! »
D'un doigt, il désigne sur les murs quatre traces circulaires criblées d'im-
pacts, preuves indubitables de quatre coups tirés par une arme à feu avec des
cartouches de chasse.
«Et voilà quatre étuis vides », poursuit-il, toujours furieux en désignant
les objets qu'il a trouvés et introduits dans des sacs de plastique transparent.
«Eh oui, je comprends! Mais que voulez-vous, quand un juge m'appelle,
j'arrive. Alors, je vais faire un petit tour dans la maison.»
«Mais c'est ici, dans cette pièce, que ça s'est passé! Pas ailleurs! Et
d'ailleurs, j'ai jeté un œil dans toutes les pièces, y a rien d'anormal!»
«Oh, je n'en doute pas, mais il faut bien que je justifie mes honoraires,
n'est-ce pas?»
En compagnie d'un magistrat qui est en stage au C.A.R.M.E., je passe donc
dans la pièce voisine, où l'armoire exhibe la trace d'un magnifique cinquième
coup de feu.
Je suis mort de rire.
J'appelle le T.S.c.:
« Eh! Venez voir! J'en ai trouvé un autre!»
Il déboule comme un taureau furieux, croyant à une plaisanterie et stoppe
net, ahuri, devant les preuves de son incompétence.
«Vous ne direz rien au juge, hein? », souffle-t-il.
Opérations de sauvetage nr
UL
«Mais non, ne vous inquiétez pas. IL n'y a pLus qu'à retrouver La cinquième
cartouche ... »
«Mais iL n'y a pas de cinquième cartouche! J'ai fouillé part... euh,
enfin ... presque partout ... »
«Même dans La poubelle?»
«Bon Dieu! La poubelLe! Je n'y ai pas pensé! »
ElLe était bien dans la poubeLLe.
CRISE D'IDENTITE
«C'est Là qu'on a trouvé Le cadavre», dit l'inspecteur de Mérignac
(Gironde).
C'est une toute petite maison, habitée par un céLibataire qui y recevait
souvent des marginaux pour passer Le temps et la soLitude devant quelques
bouteilles de vin.
Le poLicier poursuit:
«Comme vous pouvez Le constater, une bonne partie de La maison a brûLé,
notamment La pièce où était le corps. L'autopsie a montré qu'il portait de
nombreuses bLessures, sans doute des coups de couteau. On dirait qu'iL a été
torturé. Le probLème, c'est qu'on ne sait pas qui c'est. On ne retrouve pas Le
propriétaire de La maison, c'est peut-être lui La victime ... Mais le corps est
carbonisé, il n'est pas reconnaissabLe. Il y tout de même queLque chose d'in-
téressant: à L'autopsie, on a constaté qu'il portait une doubLe prothèse de la
hanche. Mais on ne sait pas si c'était le cas du propriétaire ... IL ne fréquen-
tait aucun de ses voisins. Le T.S.C. de L'identité judiciaire a fouillé avant
qu'on enLève Le corps, mais il n'a rien trouvé qui puisse nous aider ... C'est
pour ça que Le juge vous a fait appeLer.»
«Bon, eh bien je vais commencer par regarder un peu partout.»
L'expérience m'ayant montré que Les poubelles et le haut des armoires
étaient souvent riches en gibier d'analyses, mais n'ayant pu découvrir aucune
poubeLLe, je me rabats sur L'unique armoire de la maisonnette.
D'où je reviens, deux minutes pLus tard, avec une grande enveloppe conte-
nant Les radios récentes d'une double prothèse de La hanche réaLisées sur un
monsieur dont Le nom -est celui du propriétaire de La maison ...
CRAMEZ LE C.A.R.M.E !
,
1
L_._ (-------------i 1
1 j J
L. _ _ ._______ -.J
o 1 ri-~:._J _
n ~!
Pour m'éliminer, tous les moyens (y compris et surtout les plus déloyaux)
vont être utilisés. Le but à atteindre sera le même, mais les approches diffé-
rentes.
Il y eut la politique des flics et, bien sûr, la célèbre tac-tac-tac-tactique
des gendarmes.
59. Service de Coopération Technique International de la Police. Etrange organisme mi-étatique et mi-privé
qui permet au ministère de L'Intérieur de faire du commerce d'exportations de toutes sortes dans Le monde
entier.
60. Siège du ministère de L'Intérieur.
JLl~"L-_
QUI _ _ ' DE Loïc LE RIBAULT?
A PEUR
61. Arabie Saoudite, Belgique, Espagne, Inde, Indonésie, Maroc, Mexique, Monaco, etc.
Le livre noir des «flics en blanc» 0[
OU IL EST DEMONTRE QU1EN FRANCE LE RIDICULE NE
TUE PAS LA PO LICE
Alors que, depuis la dernière guerre, la police scientifique avait totale-
ment déserté la scène médiatique, rien qu'entre 1983 et 1987 mes travaux en
criminalistique font l'objet de centaines d'articles de presse6 2, tant en
France qu'en Belgique, Hollande, Grande-Bretagne, Brésil, Suisse, Japon,
Espagne, etc. Et ce n'est qu'en 1986 qu'on commence à voir apparaître
quelques déclarations des responsables de la P.T.S. française, muets depuis
quarante-trois ans.
Car, malgré le lancement en 1985 du fameux PLan de rénovation de La
poLice technique et scientifique, les L.I.P.S. ne sont toujours pas équipés de
M.E.B. A cette époque, il est donc de bon ton de critiquer systématiquement
La microanalyse et les techniques du C.A.R.M.E.
Par contre, en 1987, les premiers appareils arrivent dans les laboratoires
d'Etat pour qui, du coup, La microanalyse et ses applications deviennent La
vitrine.
La démonstration de cette volte-face unique dans l'histoire des sciences
et des techniques, preuve absolue de malhonnêteté intellectuelle, est fournie
par la comparaison de ces quelques extraits de documents et de déclarations
officiels émanant du ministère de l'Intérieur:
Sur la micro analyse :
- 1986: La microanalyse n'est «pas fiabLe, et d'ailleurs La police a aban-
donné cette technique depuis dix ans ».
- 1987: «La microanalyse est L'arme absolue contre le crime parfait».
Sur l'exoscopie:
-1986: «L'exoscopie n'est d'aucune utiLité en criminalistique».
- 1987: «Grâce au M.E.8., on peut déterminer la provenance d'un grain de
sable».
Sur l'analyse des cheveux:
- 1986: «Le M.E.B. ne permet pas d'identifier les cheveux».
- 1987: «Grâce au M.E.B., on peut désormais identifier Les cheveux».
Sur l'étude des résidus de tir:
- 1986: «Le M.E.B., inadapté pour l'étude des résidus de tir, n'est pas utili-
sable en balistique ».
- 1987: «Le M. E. B., qui permet d'identifier Les résidus de tir, constitue l'ins-
trument idéal en balistique ».
68. Responsable de la sous-direction à la police technique et scientifique, devenu plus tard directeur cen-
tral de la police judiciaire.
69. Le Journal du Dimanche, 20 septembre 1987.
70. France Soir, 23 octobre 1987.
71. Qui doit ètre particulièrement soigné, puisqu'il n'est toujours pas publié en juin 2005 ...
72. En fait, loin de mettre au point un laser révolutionnaire, le ministère de I1ntérieur achètera tout sim-
pLement aux Etats-Unis une série de lasers de terrain pour en équiper tous Les S.R.P.J. (coût: environ
300 000 €). Ceux-ci, malheureusement, ne seront JAMAIS UTILISES, faute de formation des enquèteurs
et surtout à cause de leur ignorance des formules secrètes des révélateurs que j'avais mis au point. Merci
encore, généreux contribuabLes français ...
JO 1 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?
88. Travail effectué grâce au matériel de la société Phograco de la Teste, mis à ma disposition par son
président Daniel Lafond .
.89. Michèle Rudler s'étant notamment avérée incapable d'indiquer le groupe sanguin de la victime ...
90. Cette récupération s'effectua dans une ambiance assez orageuse, d'autant que les gendarmes
avaient découvert que les pièces à conviction - et notamment les vêtements - étaient tout simple-
ment posés sans protection ... sur le sol du laboratoire de police!
Le livre noir des «flics en blanc» 0[
séance si pénible qu'une des infirmières présentes ne pourra y assister
jusqu'au bout.
De retour au laboratoire, je fais ensuite photographier les yeux de quatre
employés 91 dont la teinte est identique à celle des yeux de l'enfant.
Ces regards sont alors «greffés» sur le visage de la victime, ce qui me
donne quatre portraits étonnamment différents. Quel peut bien être celui qui
rend le mieux l'expression qu'avait la petite fille de son vivant?
En recevant ces clichés, le procureur décide donc avec sagesse d'utiliser
seulement le premier de la série, celui où l'enfant avait les yeux fermés. C'est
lui qui sera diffusé (en noir et blanc ... ) dans toute la France avec, au dos,
une fiche signalétique rédigée par la gendarmerie et qui comporte une
énorme erreur: il y est indiqué que la victime avait les yeux noirs! Comme
d'habitude,la gendarmerie n'a pas pu s'empêcher de commettre une bourde.
Malgré cela, le procureur fait reproduire le cliché sous forme d'une affiche
tirée à 125 000 exemplaires, placardés dans toutes les gendarmeries, dans
des édifices publics et 17 000 bureaux de poste.
Immédiatement, le ministère de l'Intérieur réagit dans Le Parisien du
15 septembre. Pour me féliciter de cette «première» technique? Du tout; le
communiqué précise que «La direction de la police scientifique de Paris a fait
savoir qu'eLLe n'avait pas du tout apprécié la décision du Parquet de Blois de
demander à un laboratoire privé de Bordeaux de reconstituer par ordinateur un
portrait-robot de la fiLLette» !
Ce qui prouve combien en France la justice est indépendante ... Mais cela
ne suffit pas. IL faut prouver que la pauvre police, elle aussi, a du matériel.
Et du bon.
C'est le commissaire Loiez qui est envoyé au charbon. Dans Le JournaL du
Dimanche du 20 septembre 1987, il gémit lamentablement: «Nous aussi,
nous aurions pu faire ce travail. Si bien sûr on nous L'avait demandé 92 ».
Insensible à cette détresse, le procureur me charge de poursuivre ma
mission.
Car on ignore tout de la malheureuse: D'où vient-eLLe? Qui est-elle? Et qui
sont ses parents?
Ce dernier point est capital. Car les multiples morsures observées sur le
corps de l'enfant sont non seulement d'origine humaine, mais plus ou moins
anciennes. Ce détail horrible prouve que, depuis des mois et peut-être même
91. Ludovic Fehrenbach, Linda Di Maggio et Jean-Marie Grafeille. Je me souviens plus de mon quatrième
«modèle».
92. Les responsables de la police dite scientifique en profitent d'ailleurs pour annoncer leur dernière
invention: le Vidéographe à Lecture Laser (le «II.LL»), qui permet de faire le même travail que celui que
vient de rêaliser le C.A.R.M.E. Dix-huit ans plus tard, personnne n'a encore vu cet appareil rêvolutionnai-
re. Et pour cause: il n'a jamais existé ...
~ n ~~ EUR DE Loïc LE RIBAULT?
.-
---'-':-----'---------~
1 1 -i-'
......L '_ _'_ '
Fig. 43: Affaire GREGORY. Projet d'ordonnance n03 (anaLyse de La fameuse
«Lettre du corbeau») du juge Simon.
Le livre noir des « flics en blanc» i 0[
Celles-ci portent sur l'analyse des vêtements de Grégory, la recherche des
itinéraires suivis par l'enfant, l'examen de la «lettre du corbeau» par analyse
d'images, la recherche de la provenance des cordelettes et la détermination
de l'endroit d'immersion de la victime.
J'attends plusieurs mois Les ordonnances définitives, qui ne me parvien-
dront jamais.
Tout simplement parce que, informés de la décision du juge, le ministère
de l'Intérieur et la D.G.G.N. intervinrent (séparément, mais simultanément)
auprès du Parquet pour que le magistrat ne saisisse le C.A.R.M.E. sous aucun
prétexte.
Il devenait dès lors impossible de résoudre l'affaire, car compte tenu des
affrontements ayant opposé la police et la gendarmerie tout au long de l'en-
quête, il était évident que des expertises confiées à la police auraient donné
raison à la thèse policière, et des analyses soumises à la gendarmerie
conforté la thèse gendarmique ...
La preuve?
En 2005, l'exploration des scellés permettrait probablement encore de
résoudre l'énigme. Mais ils ne sont toujours pas ouverts ... et ne le seront
jamais!
s'avérera prophétique quatre ans plus tard: «Ces nouvelles méthodes d'inves-
tigation offrent à la France la possibilité de réduire le retard accumulé dans le
domaine de la police technique et scientifique. » Et lance aussi une idée qui,
hélas, fera rapidement son chemin:« La gendarmerie a là une excellente carte
à jouer, c'est une occasion à saisir et cela paraît répondre à son souci actuel. »
Même les cerveaux engourdis de la Direction générale de la gendarmerie
vont comprendre ce message venu de la base.
Troisième phase:
Six mois plus tard, en octobre 1987, mon texte réapparait dans la Revue
d'études et d'informations de la gendarmerie nationale.
Mais il a subi de bien étranges modifications.
Tout d'abord, dans cette revue, il est d'usage que les auteurs signent leur
article. Ce qui n'est étrangement pas le cas pour celui du n° 153 consacré à
la microanalyse. C'est même le seul qui ne soit pas signé. Ni par moi, ni par
Roland Méthais. Pourtant, il n'y a pas de doute: c'est bien mon texte.
Mais sa lecture attentive révèle de très surprenantes modifications par
rapport à l'original.
On constate notamment les censures suivantes (car c'est bien de cela qu'il
s'agit) :
- Toute la première partie rédigée par Roland Méthais, sans doute jugée
trop élogieuse à mon égard, a disparu;
b
-- La région géO;raPhiqUe. - la rfgioa siognIphique.
U tes.
Fig. 45: a) Mon texte de 1985. Le passages censurés par la gendarmerie en 1987 est surlignés en gris.
b) Mon texte «revu» par les censeurs de la gendarmerie en octobre 1987.
r-
a b
4_ œUVRES D'ART ET:OBJETS DE 4° ŒUVRES D'ART ET
COLLECTION: DE COLLECTION.
Dans ce domaine, tout un secteur Dans ce domaine. tout un secteur
d'a,c tlvité du C.A.R.M.e. est déjà en d'actÎ\;té existe:
place au service des experts et des '"'""" LA nlimi$mati~ ~t rorfèuretW
collectionneurs. Les mêmes activi-
tés peuvent directement s'étendre
au service du système judiciaire et
concernent en particulier : 1 ~I
- La numismatique et l'orfèvre-
_
Fig. 46: a) Mon texte de 1985. Le passage censuré par la gendarmerie en 1987 est surligné en gris.
J
b) Mon texte «revu» par Les censeurs de la gendarmerie en octobre 1987.
~:J ~IA--;wRJ DE Lo ï c LE RIBAU LT ?
r
a
:m
1
etc.
_ _~J
Fig. 47: a) Mon texte de 1985. Le passage censuré par la gendarmerie en 1987 est surligné en gris.
b) Mon texte «revu» par Les censeurs de la gendarmerie en octobre 1987.
a
- dans l'étui: permet de vérifier
b
- dtuU 1étui; pelllld de Wrir_
1
que la pollution de l'étui est bfën que la pollution d. l'&ui est bim due
due (ou non) au tir d'une balle du (ou 110ft) au tU d.'"une balle du mime
même type que celle impliquée
type que ceDe impJiquêe da.. aa 1
dans un meurtre.
meurtre.
Afin de faciliter la recherche n0-
tamment des résidus de tir (sur les
mains et/ou les vêtements d'un ~ MtTALWRGlE...
suspect ou d'une victime), le
C.A.R.M.E. a mis au point un petit Dans le dGmaiM de la criminalta-
appareil baptisé" tamponnoir .. (fi-
gure 1), composé d'un support d'a-
luminium recouvert d'adhésif
double-fac9. Il suffit de promener le
tamponnoir SUT la surface à étudier
pour collecter ainsi en quelques
secondes un échantillonnage des
particules présentes, puis d'intro-
duire le tamponnoir (spécialement
conçu pour cela) dans le M.E.B. ;
quelques minutes plus tard, l'ob-
servation directe et l'analyse des
particules éventuellement présen-
tes permet de donner les premiers
résultats. Ce procédé a déjà été uti-
lisé à de nombreuses reprises, no-
tamment dans le cadre de
procédures de flagrant délit ou la
rapidité des réponses revêt un inté-
rêtcapital.
3. MÉTALLURGIE:
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ ,1
Fig. 48: a) Mon texte de 1985. Le passage censuré par la gendarmerie en 1987 est encadré en gris.
b) Mon texte «revu» par Les censeurs de La gendarmerie en octobre 1987.
Quatrième phase:
I~ Tout tranquillement, mon texte poursuit son chemin, loin de mes yeux.
Jusqu'au 24 décembre 1990, où j'achète un livre intitulé Gendarmerie -
Unités spécialisées d'un certain Gilbert Picard (éditions Hermé, 1990). Au fil
des pages, je vais découvrir dans cet opuscule commandité par la gendar-
merie des perles d'un rare orient; je vais ainsi apprendre:
Le livre noir des «flics en bla ne» 0[
- Que le c. P. P.J. «est aussi un laboratoire où l'on met au point de nouvelles
méthodes d'investigations. (. .. ) Les gendarmes du CP.P.J. qui ont créé cette
méthode sont partis d'un principe très ancien (sic), mais très simple (sic). (... )
Ces théories ont été échaffaudées par le professeur Locart93 responsable du
laboratoire de police scientifique de Lyon. Elles ont été repn'ses (sic) par le
professeur Leribaud (sic) responsable du CA.R.M.E. à la Teste, près de
Bordeaux. Le CP. P.J. a affiné ces idées (sic) et surtout considérablement
amélioré les techniques de travail (sic»).
Il y a ainsi parfois dans la vie d'un chercheur des moments où les mots
manquent pour traduire le dégoût; c'est le cas lors de la découverte d'une
trahison, d'un mensonge, d'une contre-vérité soigneusement bâtie, cons-
truite par des médiocres pour s'attribuer les mérites des découvertes d'autrui.
Mais, après tout, avant que la direction générale de la gendarmerie, ne tire
la couverture à elle, il faut bien reconnaître que ma naïveté avait tissé celle-
ci et paré le lit du viol ...
C'est entre les pages 288 à 296 que le pillage devient encore plus
flagrant: en effet, le chapitre Microanalyse s'avère tout simplement être mon
fameux texte de 1987 remis à Roland Méthais et émasculé comme on l'a vu
en octobre 1987.
Le plagiat est d'ailleurs à ce point servile qu'on y retrouve même la bavure
de ciseaux (ou devrais-je dire de photocopie) qui prive une phrase de tout
sens.
Enfin, puisque tout bijou mérite un écrin, ce chapitre est illustré par un
cliché qui, à lui seul, est un aveu: au-dessus de la légende «pour relever les
indices, les gendarmes "se déguisent" en chirurgiens », on voit sur une photo-
graphie deux prétendus spécialistes de terrain revêtus de la tenue que je leur
ai appris à utiliser à côté desquels trône la fameuse valise «P.P.M.» du
C.A.R.M.E. (Fig. 49) Or, cette valise est extraite du lot des quinze exemplaires
offerts par moi au c.P.P.J. de --=os;;;;:-- --
Fontainebleau le 12 février
1987 à 12 h 30! A l'époque, la
direction générale de la
gendarmerie prétendait ne pas
avoir les moyens d'assumer
cette somptueuse dépense. Le
colonel Marchal, accompagné
du gendarme Libert, s'était
déplacé en personne au
C.A.R.M.E. pour prendre
livraison du cadeau. C'est
Fig. 49: Pour relever les indices, les gendarmes «se dégui-
beau, la reconnaissance ... sent» en chirurgiens. Photo n030 dans le livre de Gilbert
Picard (1990, éditions Hermé).
--- - -- --
93. Avec un «t» final au lieu d'un «d»
] 0E~ DE Loïc LE RIBAULT?
Dans son prologue, Gilbert PICARD avait précisé: «Je n'ai pas ( ... ) hésité
à inclure de Larges extraits de cours mis à ma disposition. Il m'a sembLé inutiLe
de réécrire ou d'interpréter des textes parfaitement clairs et précis. C'est notam-
ment Le cas pour différents éLéments du chapitre relatif au Centre de perfec-
tionnement de La police judiciaire ».
D'ailleurs, dans les remerciements qui figurent à la fin de l'ouvrage, on
trouve effectivement les noms du lieutenant-colonel Bedou, commandant le
c.P.P.J., ainsi que celui du chef d'escadron Masselin.
Ces messieurs ont sans doute oublié que, trois ans durant, je suis venu
(gratuitement, cela va sans dire), faire toutes les six semaines une confé-
rence à leurs stagiaires à Fontainebleau?
Se souviennent-ils même de m'avoir, imprudemment peut-être, remercié
par écrit en 1988 sur la page de garde d'une plaquette de présentation de cet
organisme quasi inconnu, le jour où ils m'offraient une fort jolie médaille
(Figures 50 et 51)? L'avers de celle-ci porte la mention «Gendarmerie
- Recherches criminelles» et elle ne fut tirée, paraît-il, qu'à 80 exemplaires.
Il .,,'.:eArfaQu(.T'"
~4 eo-~;':'-" A. ü<--ç,
"!fl-f
.,,-f· ...
L'ALLIANCE POLICE-GENDARMERIE
A la fin de 1988, pour la première fois, la gendarmerie s'allie officielle-
ment avec la police pour lutter contre moi.
C'est à l'occasion du Premier Salon de la Police et des Enquêtes
Scientifiques, qui se tient à Lille du 4 au 13 novembre.
Informé (par hasard) de cette manifestation, j'adresse le 22 août à Jack
Zimmermann, directeur de la foire, une lettre dans laquelle je lui demande un
dossier d'inscription afin d'obtenir un stand pour le C.A.R.M.E.
Le 2 septembre, je reçois la réponse suivante:
« ( .. .) J'ai le regret de vous faire savoir qu'en accord avec le ministère de
l'Intérieur et le Préfet de Police de Lille, ce salon ne comportera aucune parti-
cipation à caractère commercial, et nous ne pouvons, par conséquent, répondre
favorablement à votre requête. ( ... )>>
Ce coup bas ne passe pas inaperçu de la presse, qui s'en étonne: « (. .. )
Le CARME de Lore Le Ribault ( ... ) est le grand absent de la Foire de Lille.
OfficieLLement, le CARME n'a pas voulu investir 97 dans un stand. En fait, il
sembLerait qu'iL n'ait pas été invité. Les gendarmes de Lille Lui auraient proposé
d'exposer ses recherches sous Leurs couleurs, mais leur direction aurait
refusé 98. »
A la Foire de liLLe, il n'y eut donc pas de Guerre des Polices, mais alliance
entre la gendarmerie et la police pour abattre un ennemi commun coupable
d'indépendance.
D'ailleurs, les articles de presse prouvent que le C.A.R.M.E. ne pouvait pas
participer à cette manifestation ridicule. Pour une raison toute simple: Pas
plus la police que la gendarmerie n'avait la moindre innovation à exposer.
Rien. Le désert. Sauf, bien sûr ... la microanalyse et les techniques du
C.A.R.M.E., les valises P.P.M.99, les tamponnoirs, la théorie du gel des lieux,
celle des prélèvements conservatoires, la tenue des techniciens de terrain, le
laser de terrain, etc.
Oh, bien sûr, il y eut quelques bavures, telles que ceLLe de la publication
du cliché montrant le véhicule d'intervention du C.A.R.M.E. présenté comme
appartenant à la police nationale. Mais, dans l'ensemble, ce fut une mani-
festation assez réussie.
Et puis, objectivement, c'est vrai qu'il y eut innovation: comme décor de
scène de crime, la gendarmerie avait choisi un escalier, tandis que la police,
eLLe, avait préféré une chambre à coucher ...
LES CHAROGNARDS
En avril 1989, j'avais créé à Plouvorn (Finistère) une annexe du C.A.R.M.E.
appelée C.A.R.M.E.-Bretagne, équipée d'un M.E.B. tout neuf et dont le rôle
était de traiter les affaires régionales. Le laboratoire marchait très bien, à la
grande satisfaction des enquêteurs et des magistrats bretons.
Quelques jours après la publication de l'article de France Soir relatant mes
résultats obtenus dans l'étude des documents de la célèbre affaire Seznec, je
suis convoqué par le procureur de Morlaix; il me demande des explications
sur mes conclusions, me montre le dossier de l'affaire, exhibe les expertises
de l'époque et m'assure qu'elles sont inattaquables.
J'en prends bonne note, bien résolu à n'en tenir aucun compte et à pour-
suivre comme je l'entends mes travaux sur cette affaire.
Dans les semaines qui suivent cette entrevue, le nombre des affaires
confiées à C.A.R.M.E.-Bretagne se met à décliner de façon vertigineuse.
~ Bientôt, il n'yen a plus une seule.
98. Ce qui est parfaitement exact. Du fond du cœur, je remercie ici les gendarmes de liLLe. Mais leur
D.G.G.N., tremblante de trouille, ne voulut tout simplement pas créer d'incident avec ses nouveaux amis
du ministère de l'intérieur.
99. Nombreuses preuves photographiques publiées dans la presse.
Le Livre noir des «flics en bLanc» no [
Hasard?
Ou preuve que, soixante-dix ans après les faits, l'affaire Seznec dérange
encore la justice française?
C.A.R.N.E-Bretagne, privé de travail, ferme ses portes au printemps 1991.
Lors de la création du laboratoire, je m'étais porté caution personnelle des
investissements100 pour un montant total de 215 000 €.
Quand il ferma ses portes, je me trouvai dans l'impossibilité de régler
cette somme, d'autant que les 215000 €, avec les frais, les intérêts et
toutes ces sortes de choses, étaient devenus 260 000 €.
La société de liesing propriétaire du matériel mit donc la totalité de celui-
ci aux enchères.
Oh, pas des enchères publiques. Des enchères feutrées, discrètes, très
discrètes, confidentielles, si confidentielles même que seule ... la gendar-
merie se porta acquéreur!
Tout mon matériel fut ainsi acquis par la D.G.G.N. pour la somme de
34000 €!
C'est ainsi que naquit le fameux I.R.e.G.N. (Institut de Recherches
Criminelles de la Gendarmerie Nationale): grâce aux dépouilles du C.A.R.M.E.
Ce comportement est sans doute à l'origine de l'abréviation dont la
gendarmerie a affublé ses spécialistes de terrain, les T.I.e. : par analogie avec
les tiques, dangereux parasites qui vivent et prospèrent en pompant le sang
de leur hôte ...
LA MORT DU C.A.R.M.E.
ORAISONS FUNEBRES
Suite aux pressions de toutes natures exercées par le ministère de
l'Intérieur et la D.G.G.N. sur les magistrats et à la lâcheté de ceux-ci, le
C.AR.M.E. est condamné à mort dès 1990, à moins d'y injecter des capitaux
dont je ne dispose pas pour renouveler tout le matériel et développer les
nouvelles recherches que j'ai en tête.
Je cède donc la présidence du laboratoire à un financier supposé appli-
quer ce programme de sauvetage. Mais le premier soin du nouveau Président-
Directeur général est de me flanquer à la porte puis, une semaine après sa
prise de fonction, de s'enfuir à l'étranger en laissant purement et simplement
mourir le laboratoire. Au point qu'il est permis de se demander s'il ne remplit
100. Un M.E.B .• un mêtalliseur. un microanalysateur-X. un microscope optique haut de gamme, une loupe
binoculaire, etc.
ï n 1 1
QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
HOMMAGES
Finalement, en dix années sacrifiées au service d'une justice qui ne le
méritait pas, ce sont un assassin, un truand et un perceur de coffres qui
m'ont rendu les plus beaux hommages.
Le premier est en garde à vue dans un commissariat, muet comme une
carpe. Tandis que je pose devant lui ma valise « P.P.M. », l'homme jette un œil
sur le logo du LA.R.M.E. dont elle est frappée puis, désabusé, dit aux poli-
ciers:
« Si c'est le LA.R.M.E. qui arrive, pas la peine de se fatiguer, les gars;
j'avoue! »
ri
--- LI
;'
L .. J j
1
liS. Les autorités françaises prétendirent Que le nuage radioactif s'était scindé en deux en arrivant au
niveau des frontières de la France, une partie allant vers la Grande-Bretagne et l'autre vers l'Espagne. On
sait maintenant que c'est faux, et que la vérité avait été déLibérément cachée à La population, sans aucun
souci des risques Que cette rétention d'information faisait courir à celle-ci (eau et aliments pollués, etc.).
116. Le Ribault Expertises
117. Voir rubrique «Affaire d'Etat» sur le site www.loic-le-ribault.ch
Affaires d'Etat 0[
Robert Boulin, qui s'est officiellement suicidé, fut en réalité ligoté et
violemment frappé avant d'être tué. Les pièces à conviction -les pLus impor-
tantes furent officiellement détruites au printemps 1987 par la responsable
des laboratoires de police;
Stavisky, qui s'est officiellement suicidé, s'est pourtant beaucoup agité
après sa mort;
Aucun scellé de l'affaire Grégory n'a été étudié, et ce de façon délibérée;
Un innocent (Jean-Pierre Pineau) a été incarcéré neuf mois à cause de
fausses preuves fabriquées contre lui par la police pour discréditer le
C.A.R.M.E. ;
le magnat de la presse Robert Maxwell, qui s'est officiellement suicidé,
fut battu comme plâtre avant d'être jeté à l'eau.
J'aurais ainsi à étudier sur une courte période toute une série d'affaires
françaises et étrangères qui, directement ou indirectement, plongeront dans
l'embarras les crocodiles qui nous gouvernent.
Police et gendarmerie m'avaient cru enterré avec le C.A.R.M.E., et consta-
tent que c'était une erreur. Tout seul dans mon bureau avec juste une secré-
taire, je continue à être un emmerdeur! Pire: je m'occupe maintenant d'af-
faires d'Etat dont on aurait tant aimé que je me tienne éloigné ...
Désormais, ce n'est plus la peau du C.A.R.M.E. qu'il faut: il n'existe plus.
C'est celle de son fondateur.
Pour cela, tous les moyens de basse police vont être employés.
D'autant que j'ai commis un crime inimaginable, à l'occasion de quoi la
police française dévoile son vrai et peu appétissant visage.
,.,
QUE LA BETE MEURE!
«La plainte qu'il (L. Le Ribault) dépose me fait tout de même penser à
une piqûre de fourmi sur le dos d'un éléphant»119 ricane Foll, sûr de son
impunité.
N'est-il pas rassurant de vivre dans un pays où la police n'hésite pas à
déclarer froidement à la presse qu'elle s'estime au-dessus des lois, et s'arroge
le droit de spolier qui bon lui semble (la fourmi) au nom de la Raison d'Etat
(L'éLéphant) ?
Pourtant, pas un journaliste ne relève l'énormité de ces deux déclarations
qui seraient inconcevables dans un pays démocratique.
Mais la France, justement, est devenue un Etat policier, et je vais m'en
rendre compte rapidement, car la police et la gendarmerie vont attaquer par
tous les moyens légaux et surtout illégaux à leur disposition.
LA CENSURE
En 1991, Europe n° 1 me contacte pour une émission de la sene
Découverte consacrée aux tueurs en série et programmée de 18 h 15 à 19 h
le 12 août; les animateurs ne voient en effet personne d'autre en France qui
connaisse le sujet et qu'ils puissent inviter. Considérant que l'aspect scienti-
fique n'a rien à voir avec les problèmes juridiques qui m'opposent à l'époque
avec la police et la gendarmerie, j'indique aux organisateurs qu'il serait inté-
ressant d'inviter le colonel Napora (D.G.G.N.) et Olivier FoLL
La veille de L'émission, Europe n° 1 me confirme ma participation et me
demande de rester auprès du téléphone le lendemain, puisque l'émission est
en direct.
Le 12 août à 18 h 15, on présente les intervenants. Il y a bien FoU. Il y
a bien Napora. Mais je ne suis pas mentionné! Furieux, je téléphone à l'ani-
mateur qui m'indique qu'effectivement je n'interviendrai pas, Foll s'y étant
opposé à cause du procès qui m'oppose au ministère de l'Intérieur12o •
En mai 1992, dans une interview121 accordee au journaliste Philippe
Pierre-Adolphe, Foll déclare tout ignorer de l'origine de l'application de la
microanalyse en criminalistique: il croit se souvenir que ce sont les
Israéliens, ou peut-être les Canadiens. A moins que ce ne soient les
Allemands? Ou les Etats-uniens, après tout?
En 1994, France Inter souhaite que je sois l'invité de son émission «Le
Bouillon de Onze Heures» consacrée à la rénovation de la police technique et
scientifique, qui doit être diffusée le 2 mars. On me demande si je souhaite
« L'AGITE»
La police, traumatisée par ma plainte au sujet des tamponnoirs, va me
demander réparation.
Le 25 mai 1992, ceLa fait deux ans et cinq mois que le justice n'a pas
tranché mon différent avec le ministère de l'Intérieur au sujet de la contre-
façon pourtant évidente des tamponnoirs.
Ce jour-là, brusquement réveillé, l'Agité 123 réclame à corps et à cris des
sanctions exempLaires contre moi.
Compte tenu du fait (je cite) que mon attitude «a été sources de tracas
et de désordres pour les services du ministère de l'Intérieur124 », il demande
que le tribunal:
- Prononce la nuLLité de mon brevet «pour défaut de nouveauté et d'acti-
vité inventive»;
- Ordonne La radiation à mes frais de L'inscription de mon brevet à
l'L N. P.L ;
- Me condamne à lui verser, à lui, L'Agité, 1 € «à titre de dommages inté-
rêts pour procédure abusive»;
LE BREVET GOMMÉ
Première phase: mon brevet sur les «tamponnoirs», déposé le 4 mars
1986, m'est accordé par l'Institut National de la Propriété Industrielle sous
le numéro 86 03121. Il est accordé parce que le rapport de recherche (qui
m'a coûté fort cher) n'a relevé aucune antériorité. Document officiel s'il en
fut. (Voir figure 29)
Deuxième étape: immédiatement, la police, au mépris de la loi (mais la
police française ne s'est-eLLe pas toujours estimée au-dessus de la loi?) se
met à fabriquer des contrefaçons de mes tamponnoirs.
Troisième étape: en avril 1991, je tiens enfin la preuve matérielle de ces
contrefaçons policières (dans le cadre de l'affaire Dominique Dayau), et porte
plainte contre le ministère de l'Intérieur en mai 1991.
Quatrième étape: Gérard Longuet, ministre de l'Industrie, des Postes &
Télécommunications et du Commerce Extérieur (Ouf, rien que ça ... ) lance avec
l'Institut National de la Propriété Industrielle une campagne de lutte natio-
nale contre les contrefaçons.
Cinquième étape: Je saute sur l'occasion, et, le 24 juillet 1994, félicite
Gérard Longuet de son initiative en lui demandant son appui dans mon
action judiciaire contre le ministère de l'Intérieur.
Sixième étape: le 30 septembre 1994, le ministre me répond, au mépris
de la vérité, qu'il ne peut m'aider, compte tenu du fait que «la brevetabilité
de votre invention se heurte à une sérieuse antériorité qui vous avait été
signalée dans le rapport de recherche» (! ! !). (Figure 52)
Ce qui constitue certainement un des plus magnifiques exemples d'escro-
querie prouvée dans toute l'histoire des sciences et des techniques.
Que la bête meure! 0r
r ~~~/:f~.
~~
.,.g-~dJT~
~~~S"~
CAB.CPR/422
MonsIeur.
Voua avez bien VO\du me tan part dU c:orteI'IIIIUx ~ YOU8 oppœe au mlnlatère de
1'Irüri1U. noIammenI au sujet d'actes que vous jugez c:onInIfaIsanIB de VdI9 brevet II" 86 03
121. Vous m'Intonnaz que VCIUI BVaz salai la jœIIca de ce conflit 81 c'est effeçUyement œ
trbunaI de gmnde lnBtance que relève 111\ lIIJge de celle 1'IIIIUI9.
Or. dans le ces que vous m'avez 8OUrnIs. cela ne s'impoee pas il r4vldenoe. En
partlc:uUer. la breVeIabIIIIé de VdI9 irMmIIon se heurte il une 8IIrIeuse anddotké ~ 'IOUS avait
été aIgneIée dans le rapport de rscIIeIche. D/I8 lote, eN IIIlJ1buna1 8pIè8 lIIIOIr éI6 inI8 en
pœaesaIon de tous Iee éIémenIa de !ail et de droit panlnenta. poImJ elaIuer sur la contrefaçon
et pronoooer le œ. échéant leeoondamnadonequi e'~
Les 11198U1'98 ~ pnIYues par la 101 du 5 février 1l1i4 ne me paraissent pas
applicables en respèce, aucune IrhrvenUon de la douane ou des ClftIcIeI8 de police judiçiaIre
n'élant possIJIe et tee tala repIOChés ne sembI8nt pas de natun! pénale.
LA CONDAMNATION
Certains magistrats courageux, scandalisés de la mauvaise qualité des
prestations de la police et de la gendarmerie, osaient encore me faire
travailler sur des affaires difficiles.
Mais les magistrats ne sont pas maîtres des paiements: C'est le Tésorier El[
Payeur Général (le «T.P.G. ») qui règle les experts. Jusqu'à présent, je n'avais
eu aucun problème: mes honoraires étaient généralement réglés dans les
deux mois suivant ma facturation. Mais, brutalement, presque du jour au
lendemain, les IP.G. connurent tous ensemble, à travers toute la France,
-, r
..J~
1 QUI A PEUR ] DE Loïc LE RIBAULT?
L'EXCLU
On parle beaucoup d'exclusion, ces temps-ci. Surtout dans les salons pari-
siens. Parce que les exclus, les vrais, n'ont pas, eux, l'occasion de parler de
leur terrible expérience.
Moi, exclu d'Etat, exclu officiel, estampillé en quelque sorte, je suis
encore en mesure de le faire. Et mon exclusion, totale, préméditée, calculée,
fut d'autant plus difficile à supporter que j'avais, un moment, connu une
certaine gloire.
IL est désormais loin, le temps où, pour moi, voyager était devenu une
seconde nature, une simple formalité: vérifier que j'avais tous mes papiers,
les cartes de crédit, le chéquier, un peu d'argent liquide et sauter dans la
Mercédès; ou bien passer un rapide coup de fil à l'agence de voyage pour
réserver les billets d'avion et retenir un hôtel.
Maintenant, chaque déplacement est périlleux, angoissant, et devient une
véritable expédition, calculée avec le plus grand soin. IL faut que je m'y
prenne bien longtemps à l'avance.
Tout d'abord, je dois déterminer si le voyage est ou non vital. Entendez
par là qu'il doit, à coup sûr, me rapporter quelque chose. Et plus de la gloire,
maintenant. Pour moi, ce stade est depuis longtemps dépassé. Non. De l'ar-
gent, tout simplement. Et pas n'importe lequel: des espèces sonnantes et
trébuchantes, puisque je n'ai plus de chéquier.
Et pas n'importe quand, non plus: tout de suite! Sinon, comment rentrer?
Quelques précautions élémentaires doivent être prises:
L'heure du rendez-vous doit être fixée tôt, le matin ou en début d'après-
midi, afin d'éviter l'obligation d'inviter le client au restaurant. A moins, bien
entendu, qu'il ne m'ait préalablement assuré que c'était lui qui régalait,
auquel cas c'est toujours un repas de gagné. IL y a désormais des jours où ça
Br
n'est plus à négliger.
L'équipement: comme je n'ai plus qu'un costume, le choix est très vite
fait.
~ O:our GU!] DE Lo ï c LE RIBAU LT?
POKER
Cette fois-là, mon client m'a adressé les billets d'avion et invité à
déjeuner dans un grand hôtel près d'Orly, où il m'attend.
Je retrouve la faune des habitués d'Aïr Inter, hommes d'affaires en
costume-cravate, after shave et attaché-case. Avant, déjà, je ne les aimais
pas: esclaves des ratios et intoxiqués des performances financières, leur
bouche ne déverse que des chiffres comme celle de la sorcière du conte qui
crachait des crapauds. Morne vie de morts-vivants.
J'ai 15 € en poche. C'est largement suffisant, puisqu'une navette gratuite
fait la liaison régulière entre l'aéroport et l'hôtel où m'attend mon client.
le repas est exceLLent; pour le prix, d'ailleurs, c'est la moindre des choses.
A table, nous discutons de son affaire. J'établis un devis et, au moment du
digestif, il met la main à sa poche pour me régler une avance de 800 €.
Je vois la vie en rose.
Soudai n, le client blêmit et dit:
«J'ai oublié mon portefeuille!»
«Mon Dieu! », fais-je, réellement catastrophé.
«Avec tous mes papiers, mes cartes de crédit, mon chéquier et le
liquide! »
Dans ces cas-là, il faut avoir des nerfs d'acier. Car ce drame signifie:
1. Que je rentrerai sans argent;
2. Que je dois payer la note du restaurant;
3. Que je n'en ai pas les moyens;
4. Que je dois donc rester à Paris;
5. Que je n'en ai pas non plus les moyens;
6. Que je dois établir un plan d'urgence.
Seule solution: la fuite en avant.
«Du moment que votre portefeuille n'est pas volé, ce n'est pas grave! »,
dis-je d'une voix apparemment ferme.
«Non, certes, mais c'est ennuyeux », se navre le client. «C'est moi qui
vous invitais à déjeuner, et ... »
«Mais ne vous en faites pas, allez! Ce coup-ci, l'addition sera pour moi,
vous paierez la prochaine fois ... »
«Je suis vraiment désolé! »
«Mais non, ne vous tracassez pas!»
Je jette un coup d'œil sur ma montre et ajoute: «Excusez-moi un instant,
il faut que je téléphone.»
r-
Voyages sur Le fil du rasoir
Ol
«Non. Figurez-vous que ce soir j'ai rendez-vous ici même avec un autre
client. C'était la raison de mon coup de téléphone de tout à l'heure ... un
imprévu ... »
«Oh, mais alors, dans ce cas, je vous propose quelque chose ... »
Touche? Le bouchon frémit à la surface de l'onde ...
« Oui? »
«Ecoutez: j'habite à une heure de voiture d'ici. Je rentre chez moi main-
tenant, et je reviens vous apporter ce que je vous avais promis.»
Re-poker:
«Non, pensez-vous, ce n'est pas la peine! Vous m'enverrez un chèque!»
«Ah non, j'y tiens! Si vous refusez, vous me vexeriez! »
Ferré! Gagné!
Le client se lève et s'en va ventre à terre en disant:
«A tout de suite!»
Deux heures après, exactement, il est de retour et honore ses engage-
ments.
Victoire!
Maintenant, je peux faire un geste. Faut que je me détende. Il est dix-
huit heures.
«Vous prendrez bien l'apéritif?»
«Mais votre rendez-vous de ce soir?»
«Oh, figurez-vous que mon client vient de se décommander! Pas de
chance ... »
Cette fois, c'est en liquide que je règle avec du vrai argent la note qui
m'est présentée par le barman.
Alors mon client dit:
«Vous êtes donc seul, ce soir?»
« Eh oui (soupir)! ... »
«En ce cas, permettez-moi de vous inviter à dîner ... »
«Si vous insistez ... »
«J'insiste! »
Nous faisons un exceLlent repas, au cours duquel mon client se révèle un
hôte charmant et cultivé. Il s'absente juste un bref instant entre deux plats.
Nous nous séparons vers vingt-trois heures, et je le raccompagne à la
porte de l'hôtel.
Après l'avoir salué, alors que je demande ma clé à la réception, l'hôtesse
me dit:
Voyages sur le fil du rasoir [
LES LUNETTES
Bon, ce coup-ci, je suis paré.
Enfin, paré ... facile à dire. Disons paré comme pouvait l'être Surcouf au
moment de prendre le Kent à l'abordage... Le costume est repassé, la
chemise est fraîche et les souliers cirés. Dans une poche, j'ai même 75 €:
une fortune! Et un billet d'avion pour Paris, payé par le client.
Le luxe, quoi.
Le seule chose qui ne va pas, ce sont mes lunettes.
Depuis longtemps déjà j'aurais dû les changer, puisque ma vue a baissé,
mais je n'en ai pas les moyens. Les branches sont tordues et leurs extrémités
ont perdu leur protection. Le métal nu s'accroche férocement derrière mes
oreilles, mais je m'y suis fait.
Non, ce qui m'ennuie, c'est le verre tribord. Epris d'indépendance, il mani-
feste depuis quelque temps une envie de liberté qui le fait jaillir sans somma-
tion de la monture à la moindre occasion.
Ce verre, c'est mon talon d'Achille.
Parce qu'enfin, comment voulez-vous négocier sérieusement un brevet de
4 500 000 € si, à la moindre poignée de main, votre verre de lunettes saute
à la figure de votre interlocuteur?
Avant de partir, j'ai donc collé ce maudit verre à la Super-GLu, serré les vis
et les boulons.
A l'aube, je vérifie le travail: le verre est coincé et bien coincé, l'animal.
Je ne crains rien. Je vous le dis: je suis paré.
Dans l'avion, tout se passe bien: pas un incendie, pas d'alerte à la bombe,
pas de panne de moteur, même pas une turbulence.
Entre Orly et Paris, c'est le rêve: le taxi accepte qu'on fume dans son
carrosse!
A l'entrée de l'immeuble où j'ai rendez-vous, une hôtesse m'attend. Elle
me guide vers l'ascenseur. Celui-ci, dans un souffle, me propulse sans ennui
au vingt-cinquième étage. Là, un appariteur me conduit chez le Patron.
Le bureau est immense, un vrai hall de gare avec meubles anciens, tapis
d'Orient, vue sur la Seine, tout le tralala.
~ l;~ E PEUR ] DE Loïc LE RIBAULT?
LES CROCS
198 En mai 1995, la santé n'est guère florissante: je paie brutalement le prix
de dix ans sans trève ni repos au service de la justice.
La machine s'est déglinguée d'un seul coup. Il faut dire que je l'ai bien
malmenée. Elle renâcle, la sale bête, au moment même où j'ai le plus besoin
d'elle pour tenter de refaire surface.
Voyages sur le fil du rasoir nfL
U
La patte tralne, séquelle d'une vieille chute, le cœur proteste, les rares
artères encore en fonction s'engorgent.
En une année, j'en ai pris dix. Bien tassées.
Mais le pire, ces sont les dents.
J'ai bien commencé à me faire ravaler les mandibules, juste avant mon
éjection du C.A.R.M.E. Le travail, comme toujours, a été impeccablement
réalisé par Philippe, mon ami dentiste. Les frais sont importants, mais je
bénéficie de la Sécurité Sociale et de la Mutuelle du C.A.R.M.E.
Ce que j'ignore, c'est que, sur ordre du nouveau propriétaire ou par pure
méchanceté, le Directeur général, que le diable l'emporte et l'estrapadouiLLe,
a résilié sans tarder toutes mes protections sociales.
Il me faut donc acquitter la note du dentiste à titre personnel. Par
manque de fonds, je ne peux en régler que les deux tiers. Et je me jure de ne
jamais remettre Les crocs chez Philippe avant d'avoir apuré cette dette.
Or, pendant ce temps-là, les microbes, eux, ne chôment pas. En rangs
serrés, travailleurs ardents, ils attaquent sans relâche ce qui me reste de
gencives.
Je souffre le martyre durant quelques mois, puis, un beau jour, la douleur
cesse comme par enchantement.
Je me crois guéri.
C'est une erreur.
J'ai bien remarqué que certaines quenottes semblent bouger un peu, mais
je n'imagine pas qu'elles sont carrément en révolte: elles ont tout simple-
ment choisi la liberté. .
Un jour, lors du déjeuner, tandis que je ronge une cuisse de lapin, ce qui
me semble une esquille d'os tombe dans mon assiette. Mais cet os me paralt
étrange. Chez moi, c'est une déformation professionnelle: un truc bizarre, il
faut que je l'observe. Et ce que je vois, au fond de mon assiette, c'est une
incisive. Mais pas une incisive de lapin. Non. Une incisive humaine. Une des
miennes.
Rapidement, je quitte la table pour introduire l'objet dans un pilulier
empli d'alcool, avec une étiquette mentionnant la date et l'heure de la chute.
Plus tard, ce sera peut-être utile pour des études au M.E.B., si toutefois j'en
retrouve un un jour, puisque je connais toutes les caractéristiques de l'échan-
tiLLon: âge du propriétaire, habitudes alimentaires, lieu d'habitation, etc.
Quelques semaines plus tard, au dlner, je suis surpris de sentir sur ma
langue un objet dur et arrondi qui me semble ne pas être à sa place dans le
potage que je déguste à cet instant. Discrètement, je recueille la chose dans
ma serviette et l'examine du coin de l'œil (nous avons des invités à table).
Cette fois-ci, c'est une molaire!
J
[OUI A PGil DE Loïc LE RIBAULT?
Elle rejoint aussitôt l'incisive sur une étagère, dans un autre pilulier muni
d'une étiquette portant une autre date.
Le mois suivant, en croquant ma tartine matinale, une douleur abomi-
nable me vrille le maxilaire droit. Une exploration prudente m'apprend qu'une
autre molaire semble vouloir s'évader.
Or, il se trouve que cette dent est une velléitaire, une indécise, torturée
entre son attachement à moi et son désir d'indépendance. Pendant quinze
jours, elle ne manque pas une occasion de se rappeler à mon bon souvenir
en me sciant les nerfs à chaque repas.
Elle ne tombe toujours pas, mais branle de plus en plus.
Alors, je décide de prendre le taureau par les cornes.
L'exécution est fixée au petit matin.
Sur la table, devant moi, j'étale une serviette sur laquelle je dispose un
verre, une bouteille de rhum, un briquet, un paquet de cigarettes, un
mouchoir et un troisième pilulier déjà revêtu de son étiquette, cette fois
datée d'avance.
Ainsi, bien sûr, qu'une paire de tenailles.
J'allume une cigarette que je termine consciencieusement.
J'avale cul-sec le verre de rhum.
J'empoigne les tenailles.
Comme je la surprends au réveil, la molaire n'a pas le temps de souffrir. .
Crac!
Je la tiens une seconde devant mes yeux, puis la jette dans le pilulier.
Lorsque quelques semaines plus tard j'ose raconter cette histoire à
Philippe, je crois qu'il va m'étrangler.
Mais, après tout, on a sa fierté ou on ne l'a pas!
o
""--. r'-- -~
i
1 r-'18t=+1'1__~
1i i
J
1
1
1
lY!ii" , l'
1 1
"
, i
J
\..+~ ......- . ,
~ 1' I 1'-
1 Il
L_ _ _ _
, r-) 1 r ---~---"
q uatrième l
art i e l_ ... _._......__
. - - - - - - - _._ - - - - - - - --
LA BOMBE «G5 »
r---- --.J
• 1
L.___ __ ~
La bombe «G5» ] 0
HISTORIQUE
En 1957, Norbert Duffaut (Fig. 54), chimiste
organicien de l'Université de Bordeaux, réussit à
synthétiser une molécule d'organo-silicié, stabi-
lisée avec de l'acide salicylique. C'est la première à
usage thérapeutique, dite G1 (pour Première
Génération). Cette molécule ne pouvant être
utilisée par les patients allergiques aux salicylés
(c'est-à-dire à l'aspirine), Duffaut met au point le
G2, stabilisé avec de l'acide citrique.
G1 et G2 vont rapidement être appliqués en
médecine sous l'appellation de DNR (pour Duffaut
Norbert Remède). Fig. 54: Norbert DUFFAUT
o
1 QUI A ~ DE Loï c LE RIBA UL T?
126. Méthode d'électrothérapie utilisant les propriétés des champs éLectriques réguLés. En gros, cette
méthode consiste à utiLiser un courant continu hautement stabiLisé.
La bombe « G5 » 00[
diaire des acides organiques qu'ils sécrètent) et d'actions mécaniques et/ou
chimiques diverses caractéristiques du milieu sédimentaire dans lequel ils
évoluent.
Afin d'étudier plus précisément le rôle des micro-organismes dans le cycle
du silicium, je mets au point en 1975 un procédé permettant de récolter les
dépôts de silice dus à leur action dont on saura ultérieurement qu'ils contien-
nent un pourcentage important d'organo-siliciés.
C'est au cours de ces expériences que je découvre fortuitement l'efficacité
thérapeutique de ces molécules.
A l'époque, en effet, je souffre depuis dix ans d'un psoriasis considéré
comme incurable qui affecte mes deux mains.
Amené à extraire des sables une solution très riche en silicium organique
pour l'étudier au microscope électronique, je suis obligé de malaxer celle-ci
avec ma main droite. Deux jours plus tard, je constate avec surprise que le
psoriasis a totalement disparu sur celle-ci, alors qu'il affecte toujours ma
main gauche. Intrigué, cherchant un lien de cause à effet, je trempe aussitôt
cette dernière dans une solution identique de silicium, avec l'obtention d'un
résultat aussi spectaculaire, également deux jours plus tard.
Dès cette époque, je commence donc à m'intéresser au rôle du silicium
organique dans le traitement des affections cutanées.
Le 29 octobre 1978, alors que je suis employé par Total, Sud-Ouest
Dimanche me consacre une page entière à propos de l'exoscopie, intitulée
«un univers dans un grain de sable ». L'article est illustré de plusieurs photo-
graphies, dont une me représente travaillant au M.E.B. Le 14 novembre, un
exemplaire de celle-ci me revient, postée par un expéditeur anonyme et
annotée du commentaire suivant: «Avec votre appareil, photographiez un
morceau de chair cancéreuse 100 000 fois et vous serez stupéfait du résultat,
croyez-moi» .
Ce message me touche profondément. Je me sens coupable d'avoir Le
privilège d'utiliser mon luxueux matériel pour m'amuser à regarder des grains
de sable, alors qu'il serait sans doute plus utile en recherche médicale.
Je me mets alors vraiment au travail et entre en contact avec des méde-
cins auxquels je fournis des solutions de silicium organique naturel pour
traiter des maladies de peau. Le produit que je leur donne, extrait des sables
siliceux, peut historiquement être qualifié de G3 (troisième génération d'or-
gano-siliciés à usage thérapeutique).
Avec surprise, nous constatons rapidement que les patients traités pour
des affections cutanées se déclarent soulagés de leurs douleurs articulaires,
ressentent un mieux-être général, et que pour ceux atteints d'affections
virales Les résultats des analyses de sang prouvent une guérison parfois spec-
taculaire!
] 0l QUI A PEUR DE LOÏC LE RIBAULT?
127. Constat établi le 1er juillet 1987 (référence MBLjMB) à Cadillac-sur-Garonne (33410).
128. Le titre du manuscrit était « Les tribulations d'un Découvreur Non Reconnu ». Je l'ai publié en 2003
et on peut le consulter sur mon site internet personnel « www.loic-le-ribault.com ».
=0l QUI A PEUR ! DE Loïc LE RIBAULT?
LES PROPRIETES DU G5
Après utilisation par plusieurs centaines de milliers de patients, on peut
aujourd'hui résumer ainsi les principales caractéristiques du G5:
- Son efficacité est prouvée par des tests officiels et de multiples témoi-
gnages de médecins et de patients, étayés par des documents de tous ordres
(analyses de sang, radios, photographies, etc.);
- Il est assimilable par l'organisme humain et par celui des autres mammi-
fères;
- IL ne présente aucune toxicité;
- Il joue un rôle important dans la restructuration des fibres d'élastine et
de coLLagène, dans les stades précoces de la minéralisation osseuse et dans
le métabolisme général de l'organisme;
- Il possède la propriété de traverser le derme et l'épiderme pour diffuser
ensuite dans l'ensemble de l'organisme, et en particulier dans les organes ou
parties du corps souffrant d'agressions diverses ou de dysfonctionnement;
- Il est compatible avec toute thérapie à laquelle sont éventuellement
soumis les patients avant ou pendant son utilisation;
- C'est un anti-inflammatoire;
- IL accélère les processus de cicatrisation;
- IL renforce les défenses immunitaires de l'organisme;
- Il ne provoque aucun effet secondaire, même après utilisation durant
plusieurs années consécutives;
- C'est un «anti-douleur », dont l'action est souvent perceptible au bout
de quelques minutes seulement, notamment en cas de douleurs articulaires,
de brûlures ou de piqûres d'origines diverses (guêpes, méduses, moustiques,
etc.).
La bombe « G5» 00[
Pour tenter d'expliquer comment une molécule unique peut à elle seule
traiter La pLupart des affections, je ne peux que me borner à émettre une
simpLe hypothèse: des études scientifiques prouvent que tout désordre de
l'organisme provient au moins en partie d'un déséquilibre électrique cellu-
Laire. Or, la molécuLe de G5 est chargée à l'extrême en ions positifs et néga-
tifs instables.
Le G5 pourrait donc intervenir dans l'organisme pour rétablir la polarité
des cellules déficientes, libérant selon les cas des ions positifs ou négatifs.
Il serait en quelque sorte un rééquilibrant ionique de l'ensemble de l'orga-
nisme, dont l'action donnerait ou contribuerait à donner aux cellules de
celui-ci l'énergie nécessaire pour lutter contre tous les types d'agressions
dont il est victime.
L'OFFENSIVE
Au printemps 1995, devant le mutisme obstiné du ministère de La Santé,
je décide de lancer le pavé dans la mare.
Depuis le début de l'année, de nombreux patients commencent à venir à
mon domicile pour se faire soigner, alertés par le bouche à oreille. Bientôt,
je suis obligé d'installer des chaises dans l'entrée de la maison. Je ne fais
jamais payer les consultations, seulement le produit que je fabrique moi-
même, mais dont je dois acheter les ingrédients de base. Le G5 que j'ai stocké
dans des jerricans de dix litres est fourni aux patients dans des bouteilles de
récupération (prélablement ébouillantées) récupérées chez des voisins et des
amis. Outre le liquide, je propose aussi du gel, conditionné dans de petits
pots achetés en pharmacie.
Un jour, se présente à la porte de ma maison un individu portant un grand
sac de sport de m~rque Adidas. Il se présente: c'est le patron d'un très grand
laboratoire pharmaceutique d'Etat. Une fois entré, il pose son sac sur la table
et l'ouvre. Je suis tétanisé: il contient 1 500 000 € en espèces, qu'il m'offre
pour acheter mes brevets. Il est très clair: cet achat est destiné à étouffer
purement et simplement le G5, qui est trop efficace pour être commercialisé!
Je refuse, évidemment, et flanque l'individu à la porte, devant laquelle l'at-
tend une énorme et rutilante Mercédès.
Mais la venue de ce requin prouve que la situation est grave. Il est plus
qu'urgent de faire quelque chose.
Je contacte Bernard Lastéra, un journaliste de Sud Ouest que je connais.
Souffrant, il m'adresse à un de ses colLègues avec lequel j'ai déjà travaillé à
Br
plusieurs reprises: Jean-Michel Graille.
Jean-Michel est un homme passionné, d'une honnêteté scrupuleuse, dont
l'esprit curieux toujours en éveil s'intéresse notamment aux faits divers et à
] 0~I A ~ DE Loïc LE RIBAULT?
129. J'avais fait La connaissance de Maguy (Fig. 58) deux ans pLus tôt, à répoque où, travaiLLant chez des
huissiers depuis trente-trois ans, eLLe y occupait Les fonctions de premier clerc. Par La suite, devenue amie
très proche de ma mère et de moi-même, eLLe sera appeLée à vivre (presque) chacun des épisodes de mon
aventure. SeLon les circonstances, on la verra arborer un air revêche à décourager le plus agressif des
créanciers, ou le sourire d'une gamine qui vient de voLer des confitures. D'Antigua à Gradignan et de Jersey
à La Suisse en passant par L1rlande, eLle visitera mes terres d'exil sans jamais trahir ma confiance.
La bombe « G5» [
déjeuner. Elle est effondrée mais affronte l'horreur avec beaucoup de courage.
Pauvre Maman ... Je ne lui aurai rien épargné des conséquences dramatiques
de mes absurdes combats ... Maguy, alertée, vient la soutenir et l'emmène
chez elle. Dernière vision de Maman quittant son «chez elle », toute courbée,
en larmes, appuyée sur sa canne, au milieu de ses meubles démontés, de ses
bibelots mis en caisses, pour se réfugier dans la petite Peugeot 205 qui la
conduira dans une maison certes amie, mais qui n'est pas la sienne ...
le soir, à 19 heures 30, tout est fini. Mes dossiers sous le bras (c'est tout
ce qui me reste désormais), je quitte notre nid désert et ses chauds souve-
nirs pour aller rejoindre Maman et Maguy.
Dès le lendemain de notre expulsion, les patients ont découvert l'adresse
de Maguy et commencent à envahir sa maison pour s'y faire soigner, trans-
mettant eux-mêmes mes nouvelles coordonnées à leurs amis. En nous héber-
geant, Maguy n'a pas hérité seulement de Maman, d'Ix-le-Chien et de moi,
mais aussi de mes patients, et en deux jours sa salle à manger se transforme
en salle d'attente, tandis que je soigne les malades dans une des chambres.
Pendant une semaine, nous restons chez Maguy, qui s'est débrouillée pour
nous trouver une location meublée dès le début d'août - un exploit en été
sur le Bassin d'Arcachon -, ce qui me laissera un mois pour chercher une
maison vide où installer nos meubles, stockés pour l'instant dans un dépôt,
à l'initiative de l'huissier. le vampire m'a affirmé que je pourrai les récupérer
sur simple demande, qu'il ne les a entreposés là que pour me rendre service.
Brave bête ...
le 2 août, nous emménageons donc à Biganos, au n° 4 de la rue de la
Verrerie. Au matin du 3, des patients attendent déjà à la porte!
Heureusement, il fait très beau, et ce temps magnifique, par miracle, durera
deux mois; mes clients peuvent donc attendre leur tour dans le jardin, tandis
que je traite leurs prédécesseurs dans les trois chambres. l'ambiance évoque
irrésistiblement celle qui devait régner dans la cour de l'hôpital de
lambaréné au temps du Docteur Schweitzer. Maman, dans la salle de séjour,
contemple, ravie, l'agitation qui pourtant perturbe sa tranquillité. Un jour,
pris par plusieurs urgences simultanées, j'oublie dans ma chambre un patient
pendant cinq heures! Bourrelé de honte, je me précipite enfin, et découvre
mon client qui dort paisiblement sur le couvre-lit. RéveiLLé, il se déclare
enchanté, enfin débarrassé des douleurs qui le torturaient depuis des années.
Pendant ce temps, Ix-le-Chien patrouille partout et recueille à longueur de
journée profusion de caresses.
Bientôt, la demande est telle que l'approvisionnement en récipients pose
un problème, d'autant que le pharmacien de la Teste, chez qui j'achetais mes
pots pour le gel, a reçu injonction de l'Ordre des pharmaciens de la Gironde
de cesser de m'en vendre; le nombre de bouteilles fournies par les voisins
devient également insuffisant. J'appeLLe donc à la rescousse Jacky, commer-
La bombe «GS» r
L
LA BOMBE
Ce jour-là, je n'ai même pas le temps d'acheter le journal. Je ne prendrai
connaissance de l'article que tard dans la nuit car, dès sept heures du matin,
une foule compacte se presse dans le jardin, débordant même dans la rue où
une queue se forme rapidement comme devant une épicerie aux pires
moments de l'occupation allemande. L'horreur!
Ni Jean-Michel ni moi n'avions prévu une telle réaction. Pour une raison
toute simple: en février 1986, Bernard Lastéra avait publié un premier.article
sur le silicium organique qui, quoique moins développé que celui de Jean-
Michel, exposait déjà en détail les applications thérapeutiques de la molé-
BI
cule. Or, à l'époque, je n'avais reçu que six appels téléphoniques et deux ou
trois lettres. Avec Jean-Michel, nous estimions donc, neuf ans plus tard,
qu'une centaine de contacts constituerait un score honorable.
JO Œ"UI A P_EUR! DE Lo ïc L E RI B AU LT?
L'EXPERIENCE DE BIGANOS
Une heure plus tard, nous emménageons à l'hôtel Les Bo,'ens, toujours à
Biganos. Les chambres sont confortables, il y a un grand hall d'entrée qui
peut servir de salle d'attente, un immense parking et un restaurant.
Dès le lendemain, le parking se remplit.
Des amis, tous anciens patients, sont venus m'aider. Outre Maguy
(évidemment!), la troupe se compose des fidèles Jacky et Denis, de Jean-
Pierre, Alain, Laetitia et Jocelyne, qui se chargent de l'accueil, de la vente
du G5, des prises de rendez-vous et du tri du courrier qui compte chaque jour
plusieurs centaines de lettres.
Jacky et Denis ont trouvé un fabriquant de bouteilles et de pots qui
commence à nous approvisionner, mais de façon encore insuffisante. En
attendant que le problème soit réglé, ils ont déniché une mine inépuisable
EH
(ou presque) de bouteilles dans le supermarché de Biganos, où ils vont tous
les matins littéralement écumer les stocks disponibles d'eau minérale de
toutes marques en flacons d'un demi-litre. Au troisième jour de ce manège,
] F PEUR] DE Loïc LE RIBAULT?
mois de juin) eût atteint une telle ampleur et qu'il tenait, avant de s'engager
à mes côtés, à vérifier lui-même les résultats que j'obtenais «sur le terrain ».
Marcel est aussitôt mis à rude épreuve. Incrédule, il assiste à la prise d'as-
saut de L'hôtel par les patients, à La ronde des chambres; il vit à mon rythme
épuisant et, de par sa formation, m'est d'une aide précieuse pour l'interpré-
tation des dossiers médicaux, des analyses de sang et des radios apportés par
les malades bourrés d'espoir. Dès le premier jour, il a la chance de voir des
patients handicapés depuis des années, perclus de douleurs, sortir des cham-
bres sans leurs cannes, sans leurs béquilles, criant leur joie dans le hall d'at-
tente. DéLire de ma part? Mensonge? Affabulation? Que non ... De telles
réactions, des résultats si rapides, sont devenus mon lot quotidien, mais
Marcel n'a pas encore l'habitude. Qu'importe, il la prendra. Un des plus beaux
souvenirs que je partage avec lui concerne précisément le dernier patient de
sa première journée aux Boïens:
Gaston, figure haute en couleur de Biganos, arrive à l'hôtel soutenu par
un ami, appuyé sur ses deux cannes anglaises, incapable de plier les genoux.
Il se traîne dans une des chambres et s'affale sur une chaise:
«J'peux plus marcher! Depuis des années! Vous croyez que vous pouvez
m'aider? »
«On ne sait jamais, je ne peux rien promettre. De toute façon, nous
serons fixés dans quelques minutes ... »
«Oui », murmure Marcel, qui étudie Les radios. «On peut toujours
essayer ... »
Nous Lui appliquons des cataplasmes sur Les articulations des hanches et
sur les genoux:
«Et maintenant, on attend un quart d'heure ... »
Pendant que le produit agit, Gaston demande à Marcel:
«D'où venez-vous? Vous n'avez pas l'accent du Sud-Ouest ... »
«Je suis Allemand.»
«Ah ça, c'est bien! Un Allemand qui travaille avec un Français! Vous êtes
moins cons que de notre temps! Moi, tout ce que je sais des Allemands, c'est
qu'on se faisait la guerre ... Saloperie! J'étais dans Les sous-marins, en ce
temps-là. Sur le Casablanca ... »
«Moi aussi », dis-je, «j'étais dans la Royale. Enfin ... juste Le temps du
service ... »
«ALors, on se tutoie?», demande Gaston. «Entre anciens matafs ... »
«D'accord, Gaston!»
Il se tâte La hanche avec précaution, puis Les genoux:
« Dis donc, ton truc ... on dirait que ça chauffe ... »
10[Q~ ~!l DE Loï c LE RI BAULT?
genoux, sur lesquels j'applique sans tarder des cataplasmes, comme d'habi-
tude. Puis on attend, comme toujours. «ça chauffe ... », dit Emilie au bout
de cinq minutes, comme tout le monde. Et cinq nouvelles minutes plus tard,
comme je m'y attendais, elle recommence à plier les genoux ... Dans le quart
d'heure qui suit, Emilie fait toute seule le tour de la table.
A midi, alors que je traite un patient, Maguy ose frapper à la porte. C'est
sûrement pour une raison grave, car je ne supporte pas - ou alors très, très
mal - qu'on me dérange quand je travaille.
«Quoi? »
«C'est le Monsieur avec qui tu as vu une cliente ce matin ... »
« Et alors?»
«Il attend dans le hall. Il voudrait que tu viennes tout de suite. Il dit qu'il
n'yen a pas pour plus d'une minute et que c'est très important ... »
« Bon, j'arrive! »
Je m'excuse auprès de mon patient.
«Venez voir! », dit le neveu en m'entraînant derrière lui.
Nous approchons tout doucement du jardin aux sapinettes. Emilie est là.
Elle se promène toute seule dans une allée.
Sans canne ...
ça, nous pourrions tous deux satisfaire nos passions mutuelles en nous
entraidant.
Comme toujours, il a raison. Mais, pour réaliser un tel projet, il faut de
l'argent. Beaucoup d'argent! Or, je commence à en avoir pour la première fois
de ma vie. Je l'ai soigneusement mis de côté, car mon objectif premier était
de créer tout simplement un laboratoire de recherches, ce qui n'est pas non
plus donné. Désormais, mon objectif devient donc le Centre de SiLicothérapie.
Bouteille par bouteille132 , le projet prend forme comme pierre par pierre,
quittant rapidement le stade de l'utopie pour devenir une réelle possibilité.
A la mi-décembre, j'ai engrangé 300 000 €, somme déjà suffisante pour envi-
sager un emprunt pour la réalisation du Centre. Mes dépenses sont limitées
à l'achat des ingrédients pour fabriquer le G5, à l'acquisition des bouteilles
et des pots, à la location des chambres d'hôtel et à la nourriture de mon
équipe de volontaires.
En ce qui me concerne, après trois ans de misère absolue, les seules fantai-
sies que je m'octroie sont l'achat d'une paire de lunettes neuve (l'ancienne
tenait grâce aux miracles conjugués du scotch, de la super-glu et de trom-
bones), d'une parka de l'armée allemande, d'un blouson de cuir et d'une vieille
Citroën BX (3 000 €); j'ai aussi prélevé sur mes réserves 18 000 € pour récu-
pérer mes meubles toujours saisis par Landreau-La-Sangsue. 4 500 € ont
également servi à aménager un local où Jacky et Denis, infatiguables,
mettent le G5 en bouteilles avant de le livrer aux Bo'iens dans leur vieille
camionnette Dyane que l'afflux sans cesse croissant de commandes contraint
à effectuer désormais plusieurs rotations quotidiennes. Un jour, sous les
poids joints de l'âge et de son chargement, le châssis du courageux véhicule
cède en son milieu: les phares scrutent le ciel tandis que l'arrière se dresse
vers les nuages. Le G5 ne peut évidemment rien pour elle, et la Dyane expire
sans un bruit, aussitôt remplacée par un Combi Volkswagen plus robuste.
L'équipe a pris son rythme.
Je me lève à sept heures et, toilette faite, me rends à la salle à manger
où Marcel me rejoint pour le petit déjeuner. Nous étudions le programme de
la journée, puis j'apporte son plateau à Maman qui m'attend dans son lit sur
lequel Ix-Le-Chien, voluptueusement instaLLé, espère un morceau de crois-
sant.
Les consultations débutent à neuf heures, au moment où Maguy, revenant
de la poste où elle est allée chercher le courrier, prend sa place à l'accueil.
Vers onze heures, Jacky et Denis apportent la première livraison de produit,
parfois agrémentée d'un rapide apéritif dans ma chambre. A treize heures,
nous déjeunons en commun avec les membres de l'équipe, puis les consulta-
132. Chacune était vendue à L'époque 52 € Le Litre, frais d'expédition compris, ou 49 € prise sur pLace.
Depuis, j'ai réussi â faire tomber Le prix à 38,11 € .
La bombe «G5 » O~·
livraison des commandes passées par leur bureau, leur commissariat ou leur
brigade. Des médecins ou des infirmières attachés à des sociétés de tailles
diverses font de même, ainsi que des soigneurs et des kinésithérapeutes de
clubs sportifs. Comme on sait maintenant que le G5 peut être utilisé en tant
que produit à usage vétérinaire, je commence à recevoir aussi des chiens, des
chats et des oiseaux, avec des résultats aussi spectaculaires que pour les
humains.
Mais je n'obtiens toujours aucune réaction des autorités médicales fran-
çaises ...
A la fin décembre 1995, Antenne 2 se présente aux BOl'ens pour réaliser
un reportage. Dans celui-ci, qui est diffusé le jour même au cours du journal
télévisé, je déclare ouvertement que je fais de l'exercice illégal de la méde-
cine, que j'ai traité des milliers de patients, et que l'expérience de Biganos,
unique dans l'histoire de la médecine, prouve «que Les malades préfèrent être
guéris illégalement que souffrir ou mourir dans le respect des lois ».
Le lendemain, dès l'aube, c'est l'affolement.
C'est par centaines que les patients affluent. L'embouteillage est tel que
le Combi ne peut se frayer un passage dans la foule pour livrer son charge-
ment. Le spectacle est indescriptible: comme le hall d'entrée est bondé à
craquer, les gens se massent devant l'hôtel et crient pour obtenir du produit.
D'une seconde à l'autre, la situation peut devenir incontrôlable et un acci-
dent grave se produire.
Je décide de faire appel à la police municipale, qui m'envoie une blonde
sculpturale en uniforme dont la seule vue ramène le calme. Très maîtresse
d'elle-même, douée d'un sens certain de l'organisation, elle distribue des
cartons dotés d'un numéro et se charge d'appeler les clients par ordre d'ar-
rivée. Bientôt, une file bien ordonnée s'allonge devant la réception où sont
entassées les bouteilles de G5.
Pendant ce temps, imperturbable, je poursuis ce qui est devenu une
routine: sauter de chambre en chambre pour traiter les patients qui ont eu
la sagesse de prendre rendez-vous. En un mois et demi, sur les moquettes de
l'hôtel, j'ai usé jusqu'à la corde, au sens propre du terme, les semelles d'une
paire de chaussures!
Je l'ai rencontré deux ans auparavant, alors qu'il disait avoir troqué le
pistolet-mitrailleur et le battle-dress contre la calculette et le costume-
cravate. Amené à moi par une relation commune, il avait essayé - en vain,
naturellement - de négocier des tableaux de valeur que j'avais expertisés
pour des clients souhaitant s'en séparer.
Nous avions sympathisé, son passé supposé prestigieux mais malheureux
m'inspirant la compassion que je réserve à tous les chiens battus. Il préten-
dait d'ailleurs l'avoir été à cause de moi, suite à un de mes passages (authen-
tique, celui-là) au Mexique qui avait laissé de mauvais souvenirs à certains
trafiquants de drogue. Envoyé peu de temps après mes exploits dans cette
lointaine contrée, il disait avoir été arrêté, emprisonné et sauvagement
torturé pendant deux mois avant d'être rapatrié quasiment mourant en
France. C'était possible, après tout.
Je devrais pourtant me méfier; comme beaucoup de faux-jetons et de
traîtres qui ont croisé ma route, Borie présente le symptôme caractéristique
du syndrome de Judas: il trimbale partout avec lui une Bible qu'il consulte
ostensiblement. C'est très mauvais signe ...
De cette entrevue, il ressort que je suis un génie qu'on doit protéger
malgré lui, qu'aveuglé par mon admirable souci de soigner mon prochain j'ou-
blie mes propres intérêts et que je me vautre dans l'illégalité telle sanglier
dans sa bauge.
Selon ces messieurs, la seule solution consiste à ce que je mette immé-
diatement un terme à mes coupables activités aux Boïens et les laisse monter
une société (dans laquelle j'aurais bien évidemment des parts) chargée de la
vente du G5 dans un cadre parfaitement légal. Toutefois, comme il convient
que l'aspect scientifique noble soit soigneusement séparé des répugnantes
activités commerciales, dont ils se chargeraient personnellement, mon nom
n'apparaîtrait pas, mes parts étant «portées» par un homme de toute
confiance, Borie par exemple, qui s'engagerait par écrit à me les céder à ma
première demande. Trente pour cent du chiffre d'affaires me seraient versés
tous les mois à titre de royalties pour financer mes recherches et créer mon
Centre.
Mais cette société doit impérativement être créée aujourd'hui même, car
la loi (à laquelle mes interlocuteurs semblent attacher une émouvante dévo-
tion) n'accorde que trois mois pour officialiser une activité après le début de
celle-ci. Or, j'ai commencé - comme le prouvent les articles de presse -
très exactement le 8 octobre 1995, et nous sommes le 8 janvier 1996.
Borie m'encourage vivement à signer le contrat (dont je m'étonne
d'ailleurs qu'il soit déjà rédigé), insistant lourdement sur le sérieux du trio
sur lequel, il le répète, il a pris tous les renseignements nécessaires. Ille jure
sur sa fausse croix de guerre.
La bombe « G5» 0[
J'accepte donc.
Le soir même, la société S.L.D.!. est créée. Les parts sont réparties équi-
tablement (20 %) entre Isnard (gérant), Ferrière, Desage, Condon et Borie
(qui, comme convenu, «porte» mes parts).
La vérité, c'est que je suis tombé entre les pattes d'escrocs dont le seul
objectif est de s'enrichir à mes dépens, et le plus vite possible. Avec moi, ce
n'est pas difficile: si je n'obtiens pas un jour le Prix Nobel de médecine, je
partirai largement favori pour celui de la naYveté.
La société se met alors aussitôt au travait.
Celui-ci est simple, en vérité: il consiste à récupérer tous les chèques que
j'ai engrangés «illégalement» pour les transformer en chèques «légaux»
conformes aux exigences des services fiscaux.
Scrupuleusement, je remets au gérant pour environ 380 000 € en chèques
et 150 000 € de commandes. Il a été en effet décidé que ce sera désormais
la société qui se chargera d'expédier le produit aux clients, tandis que je
m'occuperai des patients souffrant d'affections graves.
Il apparaît toutefois que les chèques posent un grave problème: tous sont
libellés à mon nom!
Isnard les renvoie donc aux clients, accompagnés d'une lettre signée de
ma main leur demandant d'en refaire un, mais cette fois à l'ordre de la
société ..
Et ça marche dans 90 % des cas.
Tant et tant de chèques arrivent que les Deux Clowns ne suffisent pas à
la tâche et doivent appeler quatre collaborateurs en renfort. Dans la seule
soirée du 12 janvier, ils engrangeront ainsi plus de 120 000 €. Ce ne sont
pas les malades qui les intéressent, loin de là: c'est le pognon (le mien ... ),
et lui seuL!
Mais les Clowns font pire: Contrairement à ce qu'ils m'ont promis, ils ne
me communiquent pas les lettres des patients qui demandent des renseigne-
ments pour une maLadie grave ou sollicitent un rendez-vous. Ils s'en
moquent, des gens en détresse. Seul l'argent facilement gagné les intéresse.
Alors, sans que j'en sois informé, le courrier sans réponse s'accumule, s'ac-
cumule sans trève dans les corbeilles à papier ...
Je suis même si confiant que, le 19 janvier, j'organise une soirée pour
l'anniversaire de ma mère, à laquelle participent sans vergogne les Deux
Clowns et Borie. De vrais amis sont là aussi, qui couvrent ma mère de
cadeaux, et parmi eux Marcel, qui souhaite encore travailler avec moi.
Br
Toujours aussi délicat et sachant que Maman parle allemand, il a recopié «die
Lorelei», me fait lire la poésie puis la lui récite, assis près d'elle. Je réali-
serai seulement plus tard pourquoi il a choisi ce texte: une fois de plus, avec
] O ---U;I A ~ DE L oï c LE RIBAULT?
sa clairvoyance habituelle, Marcel a compris bien avant moi que j'écoute des
sirènes et cours à ma perte 135 •••
Dès le lendemain, Borie entreprend à mon insu Marcel de façon si insi-
dieuse qu'il réussit à le décourager de marcher à mes côtés, me faisant perdre
mon meilleur collaborateur scientifique. Je deviens ainsi totalement isolé
intellectuellement.
A la même époque, Desage décide brusquement de se rendre aux Antilles
avec Condon et deux de ses collaborateurs. La raison avancée est double:
négocier pour Condon l'achat d'un hôtel en Martinique puis se rendre à
Antigua où il prétend avoir ses entrées et dont le gouvernement se serait
déclaré vivement intéressé par le G5.
Au bout d'une dizaine de jours, Desage est de retour, la langue chargée
de bonnes nouvelles et l'haleine de senteurs exotiques.
Toute l'équipe peut admirer les plans de l'hôtel, situé face au fameux
rocher du Diamant, et lire le contrat signé avec un négociateur du gouver-
nement antiguais stipulant que Monsieur Loribo (sic) est prêt à apporter son
expérience technique à la société Sydamol SLD (re-sic) pour implanter une
unité de fabrication à Antigua. Je manifeste un certain étonnement quant à
la façon dont Desage orthographie non seulement le silanol, mais même mon
nom.
«Qu'importe! », assure Desage, impérial. «En vérité, le Premier ministre
se fout complètement du sina ... sida ... sicanol, comme tu appelles ton truc.
Ce qui l'intéresse, figure-toi, c'est le C.A.R.M.f. ! Quand on lui en a parlé, il
a tout de suite percuté. Je vais même te dire: il a téléphoné devant nous au
F.8.1. ! Hein? C'est pas vrai?»
« Euh ... C'est exact! », confirme mollement un de ses collaborateurs.
«Et au F.B.I. », poursuit Desage, «on lui a dit qu'on te connaissait bien
et que tout le monde serait heureux de recommencer à travailler avec toi ... »
Aussi étrange que cela puisse paraître, cette affirmation me donne à
penser que Desage dit la vérité, car je téléphone de temps à autre au F.B.I.,
juste pour dire bonjour, et pas plus tard qu'en novembre dernier le directeur
du laboratoire m'a effectivement proposé de venir travailler avec lui en me
disant que je serais beaucoup plus heureux aux U.S.A. qu'en France. Si j'avais
su alors à quel point cet homme avait raison ... Je sais aussi qu'Antigua
souhaite redorer son blason, son image de marque ayant été légèrement
ternie par quelques histoires de drogue.
Dans les heures qui suivent se tient une bien étrange réunion (à laquelle
on a «oublié» de me convier), au cours de laquelle - sans m'en avoir
135. Die Lorelei est, si je me souviens bien, une poésie de Heinrich Heine racontant l'histoire de la Sirène
du Rhin, qui attirait sur les rochers les mariniers séduits par ses charmes, causant ainsi leur perte.
Labombe«G5» O[
averti - Borie se défait de mes parts de la société! En un trait de plume,
SLDI devient propriété en parts égales (25 %) d'Isnard, Ferrière, Desage et
de l'omniprésent Condon. La destruction du contrat signé avec moi et qui
engage la société à mon égard (dont seul Borie détenait un exemplaire ... )
va compléter le travail: sans le savoir, je n'ai plus aucun droit de regard sur
l'entreprise.
Mais ça, je l'ignore, et pour éviter le scandale les escrocs doivent m'éloi-
gner au plus vite, et le plus loin possible.
Pendant ce temps, Maguy s'occupe toujours de ma mère et de moi: elle
vient de nous trouver une belle maison près du golf de Gujan Mestras; il ne
reste plus qu'à y emménager, Landreau-Le-Vampire ayant été payé.
C'est dans la joie que nous préparons la maison: pour la première fois
depuis sept mois, Maman et moi allons enfin nous retrouver «chez nous », au
milieu de nos souvenirs et de nos meubles - ou du moins ce qu'il en reste ...
La veille du jour fixé pour l'installation des meubles, il fait très mauvais
temps sur Arcachon, mais sans plus.
Le matin, je me rends paisiblement à notre nouvelle maison pour les
derniers préparatifs en écoutant la radio de la voiture. On annonce que, la
nuit dernière, une sorte de cyclone très localisé a ravagé une partie de Gujan
Mestras, aux environs du golf, sur un trajet restreint de quelques kilomètres
de long sur cinq cents mètres de large.
En arrivant à l'entrée du lotissement, j'ai la surprise de voir quelques pins
couchés le long de la route et des pompiers occupés à scier les troncs de ceux
qui encombrent les voies de circulation. Au fur et à mesure que je progresse,
les pins abattus sont de plus en plus nombreux, quelques-uns sont même
tombés sur des maisons sans gros dégâts apparents. Sauf une, la pauvre, qui
devait être située au cœur même du cyclone: la haie qui borde le terrain a
été arrachée et six arbres, pas un de moins, ont été déracinés, dont un
baigne dans la piscine, un second bloque la porte d'entrée et les quatre
autres reposent carrément sur le toit en partie effondré. N'écoutant que mon
bon cœur, je m'apitoie sur le sort du propriétaire ou du locataire malheureux.
C'est à cet instant seulement que je me rends compte que le locataire,
c'est moi! Je n'avais pas reconnu notre nouvelle maison, à laquelle je ne suis
pas encore habitué et qui d'ailleurs a singulièrement changé de physionomie
au cours de la nuit... La catastrophe, une de plus! L'habitation la plus
ravagée, c'est évidemment la mienne, qui sera d'ailleurs le soir même la
vedette du reportage télévisé consacré au mini-cyclone gujanais.
L'emménagement est donc remis à la semaine suivante.
Vers le 5 mars, c'est excité comme un électron que Desage me rend visite
dans ma nouvelle maison: il vient de téléphoner au Premier ministre
d'Antigua. Celui-ci est d'accord pour la création immédiate du C.A.R.M.E.
JO [~~_':EU_~J DE Loïc LE RIBAULT?
Celui qui part sent l'appel du voyage, celui qui reste ne sent que l'avant-
goût de la solitude ...
Le trajet Bordeaux-Fort-de-France est assuré par Air Liberté. Quand je
prends mon billet, l'employée me demande une pièce d'identité et je lui tends
fièrement le document tout neuf établi par la police municipale de Gujan.
Elle fronce les sourcils:
«Mais ce n'est pas une carte d'identité, ça!»
«Non, mais ça en fait office ... »
«Je ne crois pas. Je vais me renseigner ... »
Consulté, un fonctionnaire de la police de l'Air et des Frontières confirme
mes dires et me demande:
«Vous restez en Martinique?»
«Oui, bien sûr ... »
«Vous n'avez aucune intention de partir à l'étranger?»
«Oh non, voyons! », dis-je d'un air offusqué.
Le policier se tourne vers l'employée d'Air Liberté:
« Monsieur a raison; puisqu'il ne quitte pas la France, il est parfaitement
en règle avec la possession d'un tel document.»
Renfrognée, l'employée refuse de céder complètement:
«Bon, bon ... Puisque c'est comme ça, j'enregistre Monsieur. Mais je dois
dégager la responsabilité de la compagnie ... »
«Dégagez, Mademoiselle, dégagez, mais donnez-moi mon billet, c'est tout
ce que je vous demande!»
J'embarque enfin, muni - Ubu n'est pas mort! - d'un très officiel
Certificat de passager en situation irrégulière (sic) ! ...
Arrivé à Fort-de-France, je me rends directement à l'hôtel Méridien de
Trois-Ilets, où Desage m'a retenu une chambre.
Le lendemain, un nommé Jean-Marie, dont j'ignore tout, demande à me
voir. Il m'informe que tout est prêt pour moi à Antigua, que je disposerai
d'une maison meublée de sept pièces, d'une voiture et d'un compte en
banque déjà ouvert. Il y a juste un petit problème: le gouvernement ne peut
pas m'envoyer d'avion, et ce n'est évidemment pas possible que je prenne un
vol normal sans passeport. Le seule solution, c'est d'y aller par bateau ... Le
prix de mon voyage maritime (750 €) a été réglé d'avance par Condon et le
bateau (dont l'homme me donne la description et le nom) m'attendra au port
à 19 heures précises le mercredi suivant. .
«Seulement? »
«Oui, le bateau est en croisière jusque là.»
]0 QUI A PEUi J DE Loïc LE RIBAULT?
A 19 heures pile, je suis sur le port de Trois-Ilets. Mon bateau est à quai;
c'est un énorme catamaran dont le mât fait plus de vingt mètres de haut. Son
équipage, composé de deux personnes, m'accueille chaleureusement et ne me
pose aucune question. Sans doute ont-ils l'habitude de prendre en charge des
passagers avides de discrétion, plus pressés de quitter un port pour rejoindre
l'asile espéré que de faire la conversation. Une heure à peine après notre
départ, le diner (une tarte au thon) est servi sur la plage arrière. Le comman-
dant a jugé en effet qu'il était préférable de manger le plus tôt possible, car
il n'est pas certain que nous puissions le faire plus tard: la mer grossit rapi-
dement et du très mauvais temps est annoncé. .
«('est rare en cette saison », dit-il. «J'espère que tu as le pied marin?»
Oui, je l'ai. Heureusement. La tempête nous prend à l'entrée du Canal de
la Dominique. Elle ne nous quittera pas jusqu'à l'arrivée à Antigua, vingt et
une heures plus tard au lieu des quatorze prévues, avec des vagues si grosses
qu'on ne peut se déplacer qu'à quatre pattes: Impossible de cuisiner et même
de faire du café. On se contente d'engloutir des bananes.
La nuit, nous admirons une magnifique comète 136 qui, haut dans le ciel,
sur notre droite, semble nous accompagner tout au long de notre voyage. Il
parait que ça porte chance ...
C'est donc optimiste que je vais me coucher, au moment où la mer se
déchaîne vraiment. Les vagues s'écrasent sur le pont avec un bruit de
tonnerre. Allongé sur ma couchette, en plein sommeil réparateur, je reçois
une trombe d'eau qui s'engouffre par l'écoutille située juste au-dessus de
moi. Je n'ai plus un poil de sec, les draps sont à tordre. Vite, je vérifie mes
documents, mon seul bien matériel en ce monde. Par chance, ils sont intacts.
Je les mets à l'abri dans la penderie. Pas la peine d'essayer de me rendormir
ensuite. Autant monter sur le pont. ..
Dans l'après-midi du 25 mars, l'lle d'Antigua apparait à l'horizon, toute
verte au bout du chemin que nous traçons à grand peine dans la mer en furie.
Je ne la quitte pas des yeux. Je sens que ce qui m'attend n'est pas ce qu'on
m'a promis, mais je sais aussi que, pour moi, ce pays est celui du salut. C'est,
en tout cas, celui où je bâtirai peut-être ma nouvelle' vie.
Nous quittons enfin les eaux territoriales françaises, eaux ennemies pour
moi. Le sinistre pavillon tricolore claque à la poupe du catamaran et je lui
tire la langue. Adieu, la France! Et pas sans rancune ...
Mes marins ne sont encore jamais venus à Antigua. Ils ne connaissent
donc pas Falmouth et se dirigent en vérifiant sans cesse les coordonnées qui
s'inscrivent sur les écrans de la passerelle. A 16 heures, nous sommes exac-
BJ
tement à l'entrée de la baie recherchée, au fond de laquelle on distingue une
136. La comète de Hyakutake qui, cette nuit-là, croisait à 16 millions de kilomètres de la Terre.
2
! QUI A PEURI DE LD ÏC LE RIBAULT?
propose de me rappeler dans deux jours. En tout cas, une chose est certaine:
il ne m'attendait pas! Desage m'a donc menti ...
Autant considérer ces deux jours de délai comme des vacances inatten-
dues. Mes premières depuis des années ...
l'ennui, c'est que, comme d'habitude, je n'ai pas sur moi le moindre
centime, ou plutôt, ici, le moindre cent. Fabienne m'offre de prendre les
chambres à sa charge: je La rembourserai quand je pourrai. Elle a aussi Loué
une voiture, et nous partons tous deux expLorer Antigua.
Je découvre avec un émerveillement d'enfant la forêt tropicale, les plages
fabuleuses, l'arsenal restauré d'English Harbour, les villages aux minuscules
maisons de bois multicolores, nous dégustons des fruits aux noms étranges
et des poissons grillés. Pour la première fois depuis quarante ans, je prends
un bain de mer et Fabienne me donne une leçon de natation. Surtout, nous
découvrons l'incroyable gentillesse des Antiguais et leur amour de la
musique, nous pestons contre l'état effroyable des routes et cette maudite
manie de conduire à gauche. Comme tout le monde, nous saluons les conduc-
teurs que nous croisons. Tout au long de nos promenades, chèvres, chevaux
et vaches nous contemplent d'un air paisible. Eclairs de bronze des oiseaux-
mouches, traits d'émeraude des lézards verts et toujours ce ciel si bleu! ...
Je suis heureux.
Pas pour longtemps. Car au jour convenu le secrétaire du Premier ministre
appelle effectivement, mais pour me demander pourquoi je suis à Antigua et
ce que j'attends de lui. C'est la meilleure! Je lui explique mon odyssée. A
l'évidence, il ne comprend pas la situation mais ne fuit pas la discussion. Très
occupé, il lui est impossible de me rencontrer avant dix jours, mais si j'ai un
problème grave je ne dois pas hésiter à l'appeler.
Est-ce que par hasard on se serait moqué de moi? Où sont le Premier
ministre, la maison de sept pièces, le passeport diplomatique et la voiture?
Quant au compte en banque, je n'y ai jamais réellement cru ...
Toute la journée, je tente de joindre Desage au téléphone. En vain. Même
chose le lendemain. Je finis par l'avoir enfin tard le soir, en me faisant passer
pour quelqu'un d'autre. la conversation est brève mais instructive:
«Tu n'as rien à faire à Antigua!» hurle, hystérique, le grand homme d'af-
faires. «Je ne t'ai pas demandé d'y aller! Tu dois rentrer tout de suite!»
Et il raccroche.
Fabienne a tout préparé pour assurer ma survie pendant une dizaine de
238 jours: elle a donné l'empreinte de sa carte de crédit à l'hôtel pour que je
puisse régler les chambres en partant, de l'argent liquide qu'elle me remet
dans une enveloppe et prolongé la location de la voiture. En étant économe,
je peux facilement tenir deux semaines. Après tout, j'ai déjà survécu dans des
conditions infiniment plus précaires au cours des trois années passées! ...
La bombe « G5}) 0[
Le 3 avril, j'accompagne Fabienne à l'aéroport.
Je ne sais pas quand je la reverrai.
Quelques minutes plus tard, je suis seul à Antigua, à huit mille kilomètres
de chez moi, dans un pays où je ne connais personne. Et de surcroît sans
papiers, immigrant plongé dans la plus totale illégalité.
Mission: survivre!
MISSION: SURVIVRE!
Rentré à l'hôtel, je décide de faire un investissement considérable,
compte tenu de mes disponibilités financières: je dépense 50 $ EC m pour
faire photocopier quelques exemplaires de mon dossier «G5)} en anglais et,
tôt le lendemain matin, vais les déposer bien en vue sur le pont des plus
luxueux bateaux amarrés dans le port de Falmouth. Je pars du principe tout
simple que les propriétaires sont riches (c'est certain), âgés (pour la plupart)
et donc probablement affectés de magnifiques rhumatismes, de splendides
arthrites et de maux providentiels que l'argent, pour l'instant, ne leur permet
pas de soulager.
Puis je m'installe à la terrasse de la marina pour craquer encore 25 $EC
dans un somptueux petit déjeuner. Dans la demi-heure qui suit, un proprié-
taire sort de son yacht, tenant à la main un exemplaire de mon rapport, et
se dirige en boitillant vers le bar. A peine assis, il commence à feuilleter le
document avec un intérêt manifeste. Quelques minutes plus tard, un capi-
taine orné d'une casquette blanche à ancre dorée le rejoint, tenant lui aussi
un de mes dossiers. Avec les infinies précautions qu'exigent les douleurs qui
lui vrillent les lombaires, il prend place à côté de son collègue. La conversa-
tion s'engage:
«Ah, tiens, John, vous aussi vous avez reçu ce truc-là?)}
«Oui, mon cher Steve. Etonnant, n'est-ce pas?)}
«Oh, vous savez, moi je ne crois plus aux faiseurs de miracles! Avec le
pognon que j'ai laissé chez les toubibs depuis vingt ans, j'aurais pu m'acheter
un voilier deux fois plus gros que mon Golden Hawk138 !»
«Pfff! ... Moi aussi, mon pauvre Steve ... Faut pas rêver ... »
Ben si, justement, faut rêver! Je suis là, moi! C'est le moment d'inter-
venir. Je m'approche d'eux:
«Excusez-moi, Messieurs, mais je vois que vous avez reçu ce docu-
ment ... »
137. Le dollar East Caribbean est une monnaie utilisée dans toutes les Caraïbes britanniques. Sa valeur
est d'environ 0,30 € .
138. Lequel, soit dit en passant, doit frôler les trente mètres de long.
l
1 1~ ~ ~PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
.... "
PASSAGE EN FRANCE
Le secrétaire du Premier ministre est convaincu par mes explications et
accepte de présenter officiellement le «dossier G5» aux autorités concernées
pour l'obtention des agréments médicaux. J'ai trouvé mon appui à Antigua!
Tout se met en place, mais les réponses officielles ne seront évidemment
pas données avant plusieurs semaines. Dans l'immédiat, je n'ai plus rien à
faire. Le plus urgent, c'est de me faire refaire un passeport et de ramener dans
l'ile tous les documents qui sont restés en France et me font crueLLement
J 0~ A !EU~ DE Loïc LE RIBAULT?
défaut. Après tout, je n'étais venu origineLLement ici que pour une durée de
quatre jours .. .
Grâce aux petites fioles de G5 et à mes consultations, j'ai maintenant
assez d'argent pour acheter mon billet d'avion, mais aucun papier d'identité
me permettant de quitter le pays. Je vais donc au consulat de France faire
une déclaration de perte de mon passeport (supposé avoir été égaré sur la
plage) et, muni une fois de plus d'un document provisoire, cours acquérir le
précieux billet de retour.
C'est le 15 avril 1996 que j'atterris à Bordeaux via Paris. Le contraste avec
les Caraïbes est saisissant: tout ici parait si gris, si triste... Le plus
choquant, c'est l'agressivité latente ou exprimée qu'on rencontre à chaque
minute dans les rues et les magasins. Aucune joie de vivre. J'avais oublié
l'ambiance pesante, presque désespérée, du pays. Pour tout dire, j'avais
oublié la France! Les retrouvailles sont moroses.
Heureusement, Maman, Maguy et Ix-Le-Chien sont là, qui m'entourent de
toute leur affection. Partout, dans la maison, elles ont exposé les petits
souvenirs et les cartes postales que je leur ai envoyés de la Martinique et
d'Antigua.
Jé dois faire ma demande de passeport à la mairie. A l'Etat Civil, on m'in-
forme que je dois attendre trois semaines avant de pouvoir disposer du
précieux document. C'est trop. J'ai déjà réservé mon billet de retour pour Le
2 mai, et nous sommes le 24 avril! A côté de l'employée de l'Etat Civil, une
dame de la mairie prête L'oreille à notre conversation. Elle s'empare du formu-
laire et demande:
«Le Ribault, c'est bien votre nom?»
« Oui ... »
«Vous êtes le Le RibauLt?»
«Non, non ... Le Ribault, seuLement. .. »
«Ce n'est pas ce que je veux dire ... Etes-vous le Le Ribault qui a inventé
ce merveilleux médicament dont on parle tant?»
«Oui, c'est moi ... »
La dame lève Les bras au ciel. Elle a L'air toute émue:
«Mon Dieu! Moi qui vous cherche depuis si Longtemps! Et vous êtes
pressé? »
Je lui explique les raisons de l'urgence et mon inquiétude de rester trop
E l
244i longtemps en France, au risque d'être arrêté d'une seconde à L'autre. La dame
s'insurge:
«Ah non! Pas question! On a besoin de vous! Vous n'êtes pas un crimineL,
tout de même! Je m'occupe personnellement de votre passeport. Est-ce que
demain soir, ça irait?»
La bombe « G5» li,Lr
Là-bas, très loin, Maman aussi attend. Elle ne croit plus que je reviendrai
un jour. Surtout, elle ne croit plus qu'elle me reverra ... Comme il m'est
impossible de rentrer en France, je décide de la faire venir dans l'île.
Maman a 85 ans; elle n'a jamais pris l'avion. Elle ne s'est jamais déplacée
en dehors de l'Europe. Elle est fatiguée. Son moral est miné par toutes les
trahisons dont j'ai été victime, et qu'elle connaît. Seuls nos vrais amis vien-
nent encore la voir pour tromper sa solitude: Maguy, bien sûr, présente jour
et nuit et qui couche désormais à la maison, et puis bien sûr Didier, Jocelyne,
Jacky et quelques très rares autres ...
Aura-t-elle la force de supporter le voyage? Aura-t-eLLe même seulement
envie de venir?
Quand je lui téléphone, un soir, pour lui dire que je l'attends, c'est une
explosion au bout du fil! Elle pleure, Maman, eLLe sanglote, mais de joie,
cette fois!
«Tu n'as plus qu'à préparer tes bagages ... )}
«Ils sont prêts depuis un mois!»
«Oh oui! », ajoute Maguy en fond sonore. «Et les miens aussi!»
«Il te faut aussi un passeport ... »
«Je l'ai, depuis trois semaines!»
«Et puis, il faudrait que tu passes une visite médicale, pour être sûre de
bien supporter le voyage ... »
«Je l'ai passée la semaine dernière: aucun problème!»
«Il y a Ix, aussi! Faut trouver quelqu'un pour garder le chien ... »
«On s'en est occupées. Alai n139 est prêt à l'accueillir chez lui le temps
qu'il faudra!»
Sacrée Maman! Elle a tout préparé! Je suis sûr qu'il ne manque pas un
bouton de guêtre!
Le départ est fixé au 9 juin.
Le Sand Haven est mobilisé: Maman et Maguy ont chacune une chambre
réservée au rez-de-chaussée, donnant directement sur la plage; une infir-
mière est prévue pour aider Maman à s'habiller tous les matins, Peter lui
cuisinera ce qu'elle aime.
Quand l'énorme Boeing 747 atterrit, je suis taraudé d'inquiétude. Pourvu
que le voyage se soit bien passé!
B Soudain, je la vois, si petite, si fragile en haut de la passerelle. Maguy est
à ses côtés. On l'aide à descendre. Une voiture la conduit jusqu'à l'aéroport
pour les formalités d'entrée dans le pays.
«On visite! Parce que ... on va te dire ... l'arrivée à Antigua, c'est pas
terrible ... Je suis un peu inquiète ... Est-ce que toute l'île est comme ça?»
Je comprends son désappointement et son angoisse: avant d'atterrir, les
avions passent au-dessus d'une gigantesque carrière dont on ne peut pas dire
qu'eLLe donne du pays un avant-goût souriant.
Direction: le Sud, via le centre du pays, puis la forêt tropicale (Fig. 63),
la traversée de Saint John's (Fig. 64 à 67) et enfin l'arrivée à l'hôtel en
longeant Dicldnson Bay.
Enchantée de cette première
visite, les yeux emplis de
paysages nouveaux, Maman est
maintenant rassurée: je ne suis
pas prisonnier dans un désert de
pierres, mais dans une île de
toute beauté. L'accueil chaleu-
reux de Paul et Peter achève de la
tranquilliser.
Fig. 63: La forêt tropicaLe. Le dîner se passe dans la joie
des retrouvailles; elles me racon-
tent la France et moi les Caral'bes.
Pour sa première nuit tropi-
cale, Maman s'endort sereine: son
fils est en sécurité.
Le lendemain matin, à l'heure
du petit déjeuner, les deux
chiennes attitrées de l'hôtel arri-
vent par la plage et entrent dans
Fig. 64: SaLon de coiffure.
lOC----J
sa chambre Lui faire La fête,
comme si eLLes avaient reçu un
message d'Ix-Le-Chien qui, tous
Les matins, vient ainsi saLuer sa
patronne.
Commence aLors un mois qui
restera dans ma mémoire comme
un des pLus beaux de ma vie.
Maman veut tout voir, tout! Fig. 65: Epicerie.
Ses immenses yeux bLeus ne sont
pas assez grands pour admirer ce
qu'elLe découvre, pour graver
dans sa mémoire Les moindres
recoins du pays qu'a choisi son
fiLs. Elle n'est pLus fatiguée,
Maman! Elle ne craint pLus Le
soLeiL! OubLié, Le régime! Mieux:
eLLe s'est mise à apprendre L'an-
gLais et fait des progrès évidents
jour après jour. Quand eLLe
partira, eLLe sera capable de
soutenir une conversation ... ELLe, Fig . 66: La cathédrale de Saint John's.
qui protestait en France Lorsque son chauffeur du moment franchissait un
peu trop vite un cassis minuscule, supporte avec allégresse les effroyabLes
routes d'Antigua, rit au passage des terrifiants ralentisseurs briseurs d'amor-
tisseurs, s'esclaffe quand La voiture se désagrège de nid de pouLe en nid d'au-
truche, applaudit aux coups de frein désespérés que je donne pour éviter
L'âne baladeur, la vache rêveuse ou le cheval bucolique. Séduite par La poLi-
tesse des habitants, eLLe salue joyeusement de la main piétons et automobi-
listes, découvre le punch mais préfère Le porto, dévore les crevettes grilLées,
déguste Les saveurs nouvelles du Red Snapper140, du King Fish 141 et de
l'espadon.
Maman vit. ELLe vit intensément ...
Tous les trois, nous visitons les endroits que je connais, et beaucoup que
je découvre avec eLLes. C'est cramponnée à mon bras qu'eLLe fera la dernière
grande promenade à pied de sa vie à Devil's Bridge, émerveillée par Les vagues
en furie sautant au travers du tabLier de pierre. Chaque maison créole en bois
peinte de couleurs vives attire ses commentaires, un baobab montant La
garde au détour d'une route mérite un arrêt impératif. Les nuances de la mer
J'ai demandé une chaise roulante pour que Maman puisse gagner sans
fatigue le 747 qui attend sur la piste, comme une énorme baleine échouée.
La chaise est bien là, mais personne n'a été prévu pour pousser le véhicule.
On m'autorise donc à l'accompagner jusqu'au pied de la passerelle, puis dans
la carlingue. Beaucoup de gens attendent derrière nous, et je ne peux m'at-
tarder longtemps. Nos adieux sont brefs. Nos yeux sont mouillés. J'ai le senti-
ment terrible que je ne reverrai jamais Maman.
Maintenant, je suis certain qu'elle aussi savait qu'elle venait de rassem-
bler ses dernières forces pour embrasser son fils en exil.
Rassurée. elle allait pouvoir s'endormir l'âme en paix.
VIE QUOTIDIENNE
Me voici seul à nouveau. Encore plus seul qu'avant.
Quand donc recevrai-je les autorisations des autorités antiguaises?
C'est en songeant à cela que, pensif, je regagne un soir l'hôtel en longeant
la plage.
A l'horizon, le soleil écarlate s'apprête à plonger dans la Caraïbe.
A la lisière de la mer, deux silhouettes viennent à ma rencontre dans un
jaillissement de gouttelettes d'eau. Ils approchent très vite. C'est un jeune
rasta et un cheval, courant côte à côte, tous deux noirs, tous deux crinière
au vent. Magnifique image de liberté totale mêlée de sauvagerie. Arrivé à ma
hauteur, le jeune homme me salue de la main; je lui réponds et les
contemple qui s'éloignent dans les derniers rayons du soleil.
C'est le lendemain que je le revois. Accroupi sur la plage devant l'hôtel, il
vide une dizaine de coquilles de lambis qu'il vient de pêcher pour des
touristes allemands qui les lui ont commandées. Il les vend une misère: vingt
cinq $EC pièce. Tandis qu'il prépare ses prises, les touristes massés autour de
lui le mitraillent, immortalisant sur leur pellicule cette scène couleur locale.
Quand il se relève, les Blancs désargentés sont tous partis. Désemparé, il
regarde alternativement ses lambis et, dans le lointain, la silhouette de ceux
pour lesquels il était dès l'aube parti pêcher. Il arbore cet air d'incompré-
hension triste que je lui verrai souvent plus tard, chaque fois qu'il se trou-
vera confronté à la méchanceté ou la bêtise humaines. Pour le consoler, je
lui achète trois coquilles et l'invite à boire un verre.
«A Guinness 142 ?», demande-t-il timidement.
«No, two: one for me too 143 ... »
C'est ainsi que je fais connaissance de mon cicérone antiguais.
paradoxe: il n'existe pas un village qui ne soit pollué par au moins cinq
églises où, tous les dimanches, se pressent par centaines les clients revêtus
de leurs plus beaux atours, entonnant à pleine voix de magnifiques cantiques
à la gloire d'une religion dont les représentants de commerce massacrèrent
leurs ancêtres, officiellement catalogués comme des animaux. Quand je me
hasarde à suggérer que, pour se libérer totalement de leur passé, les
Antiguais devraient raser leurs sugar mills et leurs églises, ils me jettent des
regards ahuris ou choqués, mais me pardonnent aussitôt.
Certains, toutefois, ont compris cette évidence: les rastas, facilement
reconnaissables aux cheveux tressés plus ou moins longs qui ornent souvent
leur crâne. Très proches de la nature, non violents, ils croient en la réincar-
nation et, pour cette raison, ne mangent pas de viande (excepté du poisson).
Après leur mort, ils pensent réintégrer la lointaine terre d'Afrique pour y vivre
enfin heureux parmi leurs ancêtres. L'alcool leur est interdit, mais ils ne
considèrent pas la bière comme de l'alcool; adeptes de la pauvreté, mépri-
sant l'argent, ils ne travaittent généralement pas, sauf pour cultiver parfois
la marijuana, plante naturelle excellente selon eux pour le moral et la santé.
Bref, les rastas ne se prennent pas plus au sérieux qu'ils ne prennent les
autres. Ce sont des sages.
Bien que je prenne soin de préciser que je ne suis pas Français mais
Breton, les Antiguais devinent d'où je viens et je découvre avec stupeur que
ces heureux hommes ignorent à peu près tout de la France. IL faut dire que
fort peu de touristes viennent de cette contrée exotique où personne ne
parle anglais. Les questions que L'on me pose sont d'un calibre à écraser
toutes les illusions des imbéciles pour lesquels l'hexagone (comme ils disent)
est le nombril du monde:
Question: Où c'est, la France?
Réponse: En Europe.
Question: Où c'est l'Europe?
Réponse: Là-bas, dans l'Est; loin ... très loin .. ,
Question: Qu'est-ce qu'on parle comme langue, en France?
Réponse: Le français.
Question: ALors, c'est une région de la Guadeloupe?
Réponse: Non, c'est l'i nverse ...
Question: Ah? Et ça fait partie du Commonwealth?
Réponse: Non, non, c'est indépendant.
Question: Mais alors c'est une île?
Réponse: Euh ... non.
Constatation: Ben, si c'est pas une iLe, c'est pas un pays!
J 0~ PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
AMERE VICTOIRE
Mes consultations m'occupent de plus en plus. Je suis en train de me
forger notamment une solide réputation dans le traitement des brûlures de
méduses. Celles-ci, de temps à autre, envahissent les plages et, parmi elles,
le redoutable homme de guerre portugais dont les filaments urtiquants
peuvent atteindre jusqu'à dix mètres de long. Les blessures qu'occasionne
cette méduse sont horriblement douloureuses, parfois même - mais rare-
ment - mortelles, et la sensation de brûlure ne s'estompe qu'au bout de
longues heures de souffrance. Quant aux rougeurs, elles persistent plusieurs
jours, laissant souvent des cicatrices. Ces méduses n'apparaissent qu'à
certaines périodes, notamment en fonction des vents; la population locale
prévoit donc leur arrivée et en avertit les touristes, lesquels, comme il se
148. Sorte d'aLgue de couLeur brun clair qu'on cueille en pêche sous-marine ou ramasse sur Les pLages
quand Les vagues en rejettent.
La bombe «G5» ni
u ._
d'être totalement guéri et regrette que le G5 n'agisse pas plus vite." Nous
avons parlé également à des personnes qui séjournent dans le même hôtel que
le Dr Le Ribault, et ont expérimenté l'extraordinaire efficacité du G5. Certains
affirment avoir été guéris de douloureux coups de soleil en quelques heures à
peine, et l'une d'entre elles parle d'une profonde coupure à un doigt, qui fut
presque complètement cicatrisée après application d'une compresse de G5 sur
La blessure durant seulement un jour. ( ... )>>
Le 22 août, toutes les conditions matérielles sont donc réunies pour
lancer l'opération G5-Caraïbes. Ce n'est plus un Centre de silicothérapie que
je suis en mesure de réaliser, mais deux, qui seront animés par une équipe
258 de médecins formés par mes soins. Je réalise enfin mon rêve, bien Loin du
pays qui m'a tout refusé, la France. France, où, pourtant, il faudra bien
qu'hélas je retourne un jour pour ramener dans ma nouveLLe patrie tous les
documents et les livres qui restent dans l'ancienne et dont j'ai désormais un
impérieux besoin.
labombe«G5» U[
25 août, jour de ma fête. La Saint Louis pour les Français, la Saint Lolc
pour les Bretons. Dans ma bOlte postale, je trouve une lettre avec l'écriture
que je connais si bien ... Mais si tremblée, aujourd'hui! A l'intérieur, une
petite carte datée du 19 août, qui dit:
Pour toi, Lolc. Mon cher petit, bientôt ta fête! J'y pense.
Très affectueusement, Maman
Elle n'avait pas oublié, bien sûr ...
Pensée d'outre-tombe.
Coup de poignard.
Le 28 août, c'est à dix heures du matin, heure française, qu'on enterre
Maman dans le petit cimetière de Saint Jacut-de-la-Mer.
A Antigua, il est quatre heures du matin. A cet instant précis, tout seul
sur les remparts du Fort James (Fig. 70), je réveille un des douze canons
endormis depuis près de trois
cents ans. Une fusée éclairante
file dans la nuit et éclate sur la
baie. Exprès, j'ai choisi le
canon braqué vers la France
ennemie, comme un doigt de
bronze accusateur. Que ce pays
maudit disparaisse à jamais de
la surface du globe!
Ensuite?
Je ne sais plus... Fig. 70: Fort James.
Certitude que je vis la fin de mon combat, fusillé par le destin à deux pas
de la victoire ... Remords de ne pas avoir offert à Maman tout ce que j'aurais
dû lui donner ... Conscience palpable du vide que me cause son absence.
Rage de n'avoir pu assister à ses obsèques: je sais que, sans pudeur, les
re'itres d'Alain R. m'y attendaient pour m'arrêter150 •
Désir de poser les bagages, de couper les moteurs.
Jours de vide atroce, d'errance sur les rivages, pendant lesquels - paralt-
il - je n'apparaîs plus à l'hôtel.
Jusqu'à ce qu'un soir une grande main noire me retienne au bord du
gouffre:
«Tu n'as pas le droit de lâcher la rampe! Elle n'aurait pas voulu! »
Alors, il faut bien reprendre un collier qui serre de plus en plus. C'est vrai
que je n'ai pas le droit d'abandonner mes patients, tous ceux qui ont cru en
moi, et même les autres à qui, plus tard, le G5 sera si utile.
150. Ce qui fut vérifié et confirmé uLtérieurement. Deux argousins de La RépubLique m'attendaient à La
Levée du corps de ma mère, et deux autres spadassins à l'entrée du cimetière en Bretagne.
ni
La bombe «G5» ii
I,-iL
LE SWIFT DE SWIFT
Dernière formalité à accomplir avant le départ: régler une note de
2 000 € due par Dupont, un de mes patients français, à un hôtel où il a
séjourné pendant un mois, et dont il doit me rembourser le montant dès mon
retour en France.
Il faut savoir qu'outre la politesse, la seule obligation à Antigua est
d'avoir réglé la totalité de ses dettes avant de quitter l'île. Or, un chèque
étranger déposé sur un compte local ne peut être crédité avant six semaines
à deux mois; quant aux virements bancaires émis depuis la France, compte
tenu du fait que la majorité des banquiers de ce pays ignorent qu'Antigua
existe, leur arrivée est tout simplement imprévisible et dépend à La fois de
l'établissement émetteur et du trajet parfois étrange qu'ils suivent jusqu'à
destination.
Le 25 octobre, j'invite donc le propriétaire de l'hôtel, Mister Swift, à se
rendre en ma compagnie au siège de ma banque, afin que celle-ci le règle
directement dès l'arrivée sur mon compte d'un virement (également swift) de
2 000 € émis par une banque française à mon bénéfice. Nous nous quittons
en excellents termes, Mister Swift serrant sur son cœur la garantie officielle
du règlement par ma banque de la somme qui lui est due.
Tout étant en ordre, je boucle mes bagages, ou plutôt ma serviette, large-
ment suffisante pour entasser les rares objets que j'emporte avec moi, parmi
lesquels une coquille de lambi que je veux déposer sur la tombe de ma mère.
Je suis prêt.
Denroy est inquiet:
« Tu reviendras à Antigua?)}
«Bien sûr, voyons! Tu sais bien que je n'ai plus rien à faire en France ... »
«Tu es sûr qu'on ne va pas te mettre en prison, là-bas? Tu sais que j'ai
un mauvais pressentiment 151 ••• )}
Onze heures, aéroport de Saint John's. Mes billets à la main, je m'apprête
à franchir le portillon conduisant à la salle d'embarquement quand un poli-·
cier en uniforme, fort aimable, me salue:
«Mister Le Ribault? Voudriez-vous me suivre, s'il vous plaît? Le lieutenant
voudrait vous parler.» BL
151. Deux semaines plus tôt, il m'avait prédit que si je retournais en France je serais arrêté trois semai-
nes après mon arrivée, que je resterais trois mois en prison et que je reviendrais cinq ans plus tard à
Antigua. Quand je suis revenu (six ans plus tard), sans avoir prévenu quiconque, Denroy m'attendait au
Cacanut Grave, assis à notre table habituelle.
]0~A PE~ DE Loïc LE RIBAULT?
Quelques minutes plus tard, le lieutenant Swift (c'est son vrai nom!)
m'apprend que l'hôtelier Swift, malgré les preuves officielles du virement
swift qui lui est destiné, a préféré prendre ses précautions: il a porté plainte
contre moi pour grivèlerie! ... En vertu de quoi, non seulement il est hors de
question que je quitte Antigua, mais le lieutenant Swift a l'extrême regret de
devoir m'arrêter dans l'attente de mon procès dont il ignore la date ...
C'est à bord d'un énorme 4 x 4 de la police que je suis conduit au Quartier
général des forces de l'ordre de Saint John's (Fig. 71 et 72) où, après un court
interrogatoire et la confiscation de mon passeport, je suis enfermé en
compagnie de quatorze autres compagnons d'infortune, évidemment tous
Noirs. Le seul mobilier consiste en plusieurs chaises, des bancs et une table.
Pas de lit. J'en déduis que je serai libéré avant la nuit. C'est une erreur ...
A dix-huit heures, je commence à m'impatienter et demande à parler à
mon avocat. Refusé. Bon, alors au Consul de France? Refusé. A un ami?
Refusé.
La nuit tropicale tombe une heure plus tard, et je sens qu'eLLe va être
longue.
Elle l'est.
L'un après l'autre, mes
compagnons croisent les bras
sur la table, y posent la tête et,
avec cette extraordinaire capa-
cité des Noirs à s'endormir
n'importe quand et n'importe
où, sombrent instantanément
dans le sommeiL
Moi, je ne ferme pratique-
ment pas l'œil de la nuit. Il
faut dire que la pièce ouvre par Fig. 71: Les vieilles baïonnettes qui forment Les grilles du
commissariat de poLice de Saint John's.
plusieurs fenêtres (grillagées,
quand même) sur Market Street,
une des rues les plus animées
de la capitale, et que nombre
de badauds s'arrêtent pour
contem pler les prison niers,
tout heureux quand ils décou-
vrent parmi eux une de leurs
connaissances. La conversation
s'engage alors, émaillée de
joyeux éclats de rire. Comme
les policiers ont allumé la radio Fig. 72: Le commissariat. J'étais hébergé dans la pièce
d'angLe.
La bombe « G5 )} 0[
qui diffuse sans interruption de la musique, l'ambiance n'est pas à la moro-
sité.
On m'a laissé ma serviette, dans laquelle, bien entendu, j'ai une fiole de
G5 de secours. Tout se sait vite à Antigua et mes compagnons, qui ont appris
que j'étais le médecin français, me demandent de soigner leurs petits bobos
(douleurs articulaires, coupures, hématomes, etc.), bientôt suivis par les
policiers. En quelques heures, la salle s'est transformée en un cabinet médical
qui fonctionne jusqu'au petit matin. De temps à autre, un policier fatigué
s'insère à son retour de patrouille entre les prisonniers, prend une chaise
libre et s'endort paisiblement au milieu d'eux, la tête sur la table.
Au lever du jour, je demande à aller aux toilettes.
«Tu y tiens vraiment?», demande un policier, vaguement inquiet.
«Mais j'ai envie de pisser!»
«Bon, bon ... »
Il me fait sortir dans la cour, et me désigne une porte ouverte dans la
façade du bâtiment d'en face.
«C'est là ... »
«Où est la lumière?»
«y a pas de lumière ... »
Je tente une entrée. L'odeur est effroyable. Les toilettes sont tout au fond
d'un long couloir, plongées dans le noir complet. Je glisse sur des choses
innommables, hasarde encore quelques pas puis renonce. C'est non seulement
insupportable, mais surtout dangereux. J'imagine déjà les titres du journal de
demain: «Un Français disparaît dans les latrines du Police Headquarter. Toutes
les recherches immédiatement entreprises pour tenter de retrouver le corps du
malheureux sont restées vaines à l'instant où nous mettons sous presse. »
Je ressors:
« Tu vois », dit le policier, «faut avoir envie, hein?»
« Ben justement. .. »
Il jette un rapide coup d'œil autour de nous puis souffle:
«Vite! Pisse contre la bagnole de patrouille! On ne te verra pas, je fais
le guet!»
Il va de soi qu'il n'y a pas non plus d'eau pour faire sa toilette.
A midi, je n'ai toujours aucune nouvelle. Personne ne sait quand je vais 263 1
sortir. Mes compagnons passent leurs commandes pour le déjeuner, et
donnent de l'argent aux policiers qui vont faire les courses pour les prison-
niers dans les restaurants voisins. Moi, comme je n'ai pas un cent sur moi
(c'est d'ailleurs à cause de ça que je suis là ... ), je dois me contenter du menu
-1 1 Q ur-P: PEU RJ DEL 0 Ï C LE Rr BAU LT ?
réglementaire: pain avec fromage arrosé de jus d'orange. Voyant cela, mes
compagnons s'étonnent:
«Mais tu ne manges que ça?»
«J'ai pas d'argent. .. »
Spontanément, tous s'entendent pour me donner chacun un peu de leurs
plats. Vous imaginez ça, vous, un Noir dans une prison française, seul au
milieu de quatorze Blancs et auquel ces derniers offriraient à manger? Il
pourrait crever, oui ...
Enfin, à dix-sept heures, arrive un inspecteur affairé qui s'adresse à moi:
«Voilà! vous êtes jugé!»
Comment ça, jugé? Mais je n'ai pas assisté au procès! Je n'ai même pas
pu appeler mon avocat!
«Veuillez me suivre, Mister Dyoupont! »
Mister Dyoupont? Mais je ne suis pas Dupont!
Qu'est-ce que ça veut dire?
L'inspecteur me conduit au palais de justice où, en présence du procureur,
le Président m'informe que je suis condamné à payer immédiatement les
2 000 €, plus 460 € d'amende.
«Pas de problème », dis-je. «C'est à peu près la somme que j'attends ... »
« Et vous êtes en mesure de payer tout de suite?»
«Mais non, sinon je l'aurais fait avant de prendre l'avion!»
«Bon. Alors, je vous incarcère jusqu'au règlement de la somme due.»
Et merde! En prison! A Antigua!
Une prison de 1735 probablement dans son état d'origine (Fig. 73)!
«A moins, bien sûr, ajoute le procureur, que vous n'ayez ici des relations
ou des amis susceptibles d'établir un chèque de garantie?»
Non, je n'ai pas d'amis. Du moins, pas un seul disposant d'une pareille
somme. Sauf, bien sûr ... Ils s'appellent Graham et Leslie ... mais je ne les ai
rencontrés que deux fois ... Ils
vont me claquer le téléphone
1
152. Ce qu'il ne fit jamais: peu après son retour en France, il mourut égoïstement.
La bombe «G5» 0
«Mais il a un exceLLent avocat, cher Maitre. Heureusement pour Lui, il va
en avoir besoin ... »
«En vérité ... », dis-je, penaud.
«Toi, je crois qu'il vaut mieux que tu te taises et que tu me Laisses parler,
maintenant! »
Elle me traine Littéralement dans la pièce voisine où, fumante de rage, elle
m'explique que, de toute sa carrière, elle n'a jamais - mais alors là,
jamais! - rencontré queLqu'un d'aussi bête que moi, qu'eLLe ne pensait pas
que ça puisse exister, que ça ne devrait d'ailleurs pas exister, que jamais ses
collègues ne la croiront quand elle leur racontera qu'un de ses clients, en sa
présence, victime d'une erreur judiciaire, blanchi de toute accusation, libre,
à qui on ne demandait rien, à qui la Cour allait présenter de plates excuses
de peur qu'il n'exige des dommages et intérêts justifiés, s'est déclaré respon-
sable d'une dette qui ne le concernait pas!
Après dix minutes d'engueulade, eLLe m'interdit de prononcer un mot sans
son autorisation expresse et me retraine devant la Cour hilare qui, évidem-
ment, constatant officiellement l'absence de Dyoupont, réfugié en France,
condamne son complice Le Ribyoutt à régler les sommes dues à Mister Swift.
Tout de suite. Sinon, crac! C'est la prison.
Bref, nous sommes revenus à la situation antérieure. En pire.
Et comme, évidemment, Le Ribyoutt n'a à cet instant pas plus d'argent
que le faux Dyoupont n'en possédait dix minutes plus tôt, Graham et Leslie
établisssent le chèque et m'emportent à l'abri, chez eux.
Graham et Leslie ont loué une grande villa avec une vue magnifique sur
la capitale et la côte à Paradise Viewet m'y offrent une chambre (Fig. 74).
Je bénéficie en outre de toutes les commodités de la demeure, de La voiture,
du téléphone, du fax et de L'ordinateur. Dès Le début, les choses ont été
claires: ils m'hébergent et m'aident, mais il s'agit d'une location payante (à
un prix défiant toute concurrence ... ) que je règlerai dès que j'aurai reçu de
l'argent.
Chacun de nous trois --~-~-~ -~~~---- ,
154. «Le Français dingue ». Eux, c'est comme ça qu'ils m'appellent. je ne sais pas pourquoi ...
] 0l QUI A PEUR DE LoïC LE RIB AU LT ?
----------------L
(lonk! fJ l
Jeudi 12 décembre
11 h: La journée commence mal: Christophe, le dentiste qui devait m'ar-
racher deux dents, a décidé d'employer les grands moyens, et c'est avec cinq
crocs en moins à la mâchoire supérieure que je quitte son cabinet. Il ne me
reste que les deux incisives du haut, et je ressemble à un lapin furieux.
12 h: Maguy m'a évidem ment préparé un menu spécial: potage, purée et
steack archi-haché. Je suis d'une humeur de chien.
14 h 30, sur la route: «Je ne comprends pas comment tu peux envisager
de quitter définitivement la France », dit Maguy, qui conduit et veut absolu-
ment que je m'acharne à admirer le désolant paysage de pins maigrichons que
nous traversons. «Moi, ça me dépasse! »
14 h 45: Arrivée à Langon, où je suis accueilli par des amis de Rodriguez
qui se sont chargés de l'organisation de la conférence. Nous décidons de nous
rendre à pied sur les lieux.
14 h 55: Devant la salle des Carmes stationnent une quinzaine de
personnes, parmi lesquelles je reconnais quelques-uns de mes patients. Au
moment où j'approche, trois hommes en blouson de cuir noir s'avancent à ma
rencontre. Un coup d'œil me suffit pour les identifier: « Ils» se ressemblent
tous. Des clones. J'ai suffisamment formé de policiers, hélas, pour les recon-
naître quand j'en croise ... Je suis foutu!
« Police Judiciaire », dit le plus vieux en présentant sa carte et sa
médaille. «Vous êtes bien Monsieur Le .Ribault?»
«Oui ... »
«J'ai un mandat d'amener de Monsieur le Juge R. vous concernant. Vous
acceptez de nous suivre sans résistance?»
Les patients regardent la scène en silence. Que faire? Si je les appelais au
secours, je ne suis pas sûr qu'ils tenteraient de me défendre ...
«Je n'ai guère le choix ... »
«Alors, on y va ! »
Maguy est comme tétanisée.
Je décide d'essayer de protester et apostrophe les patients:
«Vous êtes témoins de la façon dont, en France, on traite ceux qui
essaient de soigner les autres! ... »
Silence dans l'assistance.
«Protestez! Faites-le savoir à la presse! ... »
]0OuI ~ DE Loïc LE RIBAULT?
CABINET COPi"~'
à rOrig' . .
p. oonlo",.?
DE Mr Alain R.
1 lUGE D'lNSTRUcnON e eff.er
....r
t"·~'AM\. ,~'DII)
~U'l.~.~
MANDAT D'AMENER
REPUBUQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le"""""t :LERIBAULT
:.~~
Pttnommé : !.oie
NUe : 18 AVRIL 1947
A : VANNES (56)
Profes."i1on : biolog,istt
Ay... _urt en d.rnier lieu i 4. ru. do la Venerie 333110 B/QANOS
Et III'/rieur.."..t Il AN11GUA
S....p<ibl."""'rM4r.il U\NGON
Infra"'i... crrmmu.s en FRANCE cJeprn. ,cmps ... """"<li pat la prcsaip'ion
Requérons ,out dépooilaire de J. forco publique .uquel 1. pJf«nt manda' ..,. exhibé d.
1 pdtcr main-fnrtc potJr son exécution en cas de besoin.
1 U.~â·~
' d~hâ ... fl( En fDi de quoi le pré..'iCnt mandai a 6lé si~ par NDUS. Juge d'Jnstruaion. et sceUé de nMlc
1 ~IW""" ~au.
FAIT A BORDEAUX.
1 LE 10 dlleembrcl996
LE JUGE D1NSTRUcnoN
275 1
1
EJ
Snit transmi. Il M."",teur 1. MoasIeur 1< DIrtdeur du SRPJ
,BORDEAUX
~----
Fig. 75: Mandat d'amener du 10 décembre 1996 (avec la mention «suceptible de se rendre à Langon »... )
(lonk! O[
Lorsque ...
... je le sens arriver.
Une seconde plus tard, il est là, parfaitement identifiable, comme en
chair, comme en os, esprit bien réel assis sur ma couchette, tourné vers moi.
Il est venu me repêcher au fond de mon abîme.
Cette nuit-là, il parle.
Longtemps.
Toute la nuit.
Il m'explique que ma mésaventure est ce qui peut arriver de mieux au G5,
que c'est mon dernier combat, qu'ensuite j'aurai gagné, pour toujours. Que
j'ai une période dure, très dure, à passer, mais qu'ensuite je con naîtrai enfin
la sérénité. Que je dois tenir à tout prix. Pas pour moi. Pour les autres.
Bien sûr, il est possible que j'aie rêvé tout cela ...
Vendredi 13 décembre
Il disparaît à six heures du matin, quand la lumière, brutale, blessante,
envahit la cellule.
Nous sommes un vendredi 13, jour de chance, à ce qu'il paraît ... Je verrai
bien.
Le soleil qui se lève éclaire les oiseaux foudroyés prisonniers des
barbelés; ce sont en fait des objets jetés par les prisonniers des étages supé-
rieurs: l'orfraie blanche n'est qu'une chaussure de tennis, et l'oiseau noir un
mouchoir caressé par le vent.
De l'autre côté des barbelés, dans le chemin de ronde, un surveillant
ramasse l'oiseau boule-de-feu calciné et le dépose dans un sac en plastique.
Réalité? Cauchemar?
Désemparé, je ne sais que faire: Comment se passe le petit déjeuner? Et
où? Dans la cellule? Dans un réfectoire? Où fait-on sa toilette? Comment
avoir de l'eau chaude? Y a-t-il des douches? A quelle heure?
Bernard, emprisonné depuis deux jours, me renseigne. Il pense être
bientôt libéré, puisqu'il n'est ici, dit-il, qu'à cause d'une histoire de chèque
sans provision.
La porte s'ouvre brutalement:
«A la douche!», dit un surveillant.
Surprise: la douche est tiède, agréable.
Retour en cellule. Sur la tablette, on a posé des sachets de sucre, de café
et de lait solubles. L'eau chaude est disponible dans un récipient posé sur un
chariot qui stationne dans le couloir.
Clon k ! or.
«Avalez en vitesse. Vous allez au Palais de Justice. »
Je me sens en pleine forme, regonflé.
Je fais bientôt connaissance avec le rite immuable des extractions (c'est
comme ça que ça s'appelle) qui préside à tout départ momentané de la
prison.
Au fur et à mesure qu'arrivent les prisonniers extraits, ils sont entassés
dans de petites cellules sans fenêtre d'environ six mètres carrés, équipées
d'un banc pour quatre personnes (minces), dont le plafond est recouvert
d'une grille155 • Comme il est fréquent qu'on y entasse une dizaine ou plus de
prisonniers, les premiers prennent évidemment possession des bancs et
tentent de résister à l'étouffement provoqué par les arrivées successives des
nouveaux.
Un surveillant appelle ensuite les prisonniers l'un après l'autre, les fait
sortir un à un de leur cage et les conduit au greffe, où ils sont fouillés. On
leur remet ensuite les objets ou vêtements dont ils pourraient avoir besoin
pour être présentables devant le juge ou le jury, mais qui sont conservés au
greffe parce qu'interdits dans les cellules.
Enfin, tout le monde est aligné le long du mur dans le couloir pour un
dernier appel suivi de l'accouplement, qui consiste à attacher les prisonniers
deux par deux avec des menottes.
Au greffe, on me rend mon blouson et mon briquet, puis je suis accoupLé
avec un sympathique jeune homme inculpé pour vot de voiture.
Nous sommes une vingtaine à nous rendre au Palais.
Dans la cour de la prison, le fourgon cellulaire nous attend, gros camion
bleu dont la porte arrière ouverte montre un couloir central desservant dix
minuscules cages grillagées équipées chacune de deux banquettes à deux
places.
Enchaînés, mon compagnon et moi escaladons les quatre marches qui
permettent d'accéder à l'intérieur du véhicule.
« Clonk! », fait la porte de la cage.
Nous sommes maintenant tous enfermés. A cause des vitres dépolies, il
est impossible de distinguer quoi que ce soit du monde extérieur.
Le véhicule aveugle s'ébranle, univers dos et froid lancé dans l'invisible
qui bourdonne autour de nous. Il roule une demi-heure. Dans une dernière
secousse, le fourgon s'arrête devant le palais de justice: la souricière nous
155. (e genre de cellules de transit est fréquemment utilisé, notamment lorsque les prisonniers vont avoir
(ou viennent d'avoir) un contact avec le milieu extérieur (extraction, visite au parloir, etc.) . Elles cons-
tituent par conséquent une sorte de milieu de transition entre l'univers carcéral et celui des gens suppo-
sés libres. Un peu comme, dans les sous-marins, les compartiments aménagés pour les plongeurs leur per-
mettant de quitter le batîment immergé pour regagner la surface. ('est pourquoi, dans la suite de ce récit,
j'ai décidé d'appeler «sas» de telles cellules de transit.
attend. Celle-là aussi, je la connais bien, du temps où j'étais de l'autre côté
de la barrière ...
Arrivée au sous-sol dans la salle d'accueiL A gauche et à droite, plusieurs
portes de fer toutes percées d'un judas. On nous ôte les menottes.
«Le Ribault, cellule 4!»
«Clonk! », fait la porte.
La meilleure définition que l'on puisse donner des cellules de la souricière
est sans doute le mot «cachot» (Fig. 77). Que le lecteur sache bien qu'on
n'y enferme pas que des condamnés, mais surtout des inculpés, donc des
innocents présumés. Bref, théoriquement des hommes libres .. .
Et l'homme libre que je suis
contemple maintenant l'inté-
rieur d'une boîte en béton de
trois mètres sur deux mètres,
équipée d'une banquette en
bois à trois places et, le long
du mur, de toilettes à la
turque. Pas de lavabo, pas de
fenêtre. Rien. Un désert de
ciment. Toute personne qui
arrive en cet enfer apprend ou
Fig. 77: Un des cachots de la «souricière», paLais de justi-
sait que, quoi qu'il arrive, elle ce de Bordeaux, décembre 1996 (dessin de LLR).
y restera de 8 h 30 à 19 h 30
parce que le fourgon n'effectue qu'un aller-retour dans la journée. Onze
heures passées dans ce tombeau, souvent seul, sans parler, sans lire (c'est
interdit), sans aucune ouverture pour promener ses yeux dans un silence
sépulcraL On a toutefois le droit de fumer. A midi, le déjeuner est immuable:
sandwich (jambon ou pâté selon les jours) avec un bout de fromage ou un
fruit pas mûr ou pourri. Aujourd'hui, ça m'est bien égal: sans dent, les
gencives mal cicatrisées, il me serait de toute façon impossible de manger.
Un surveillant a pFomis de m'apporter à midi un grand verre d'eau très sucrée
pour me donner des forces. Il tiendra sa promesse.
Le juge ne daignant me recevoir qu'à 16 heures, j'ai sept heures à
attendre.
Une phrase d'un livre de John Le Carré, Une Petite Ville en Allemagne, me
revient en mémoire: «Il attendait extrêmement peu de la vie. Il était comme
un cheval de mine ( ... ) dans ces abominables étables du rez-de-chaussée».
Les murs sont couverts de graffiti et je me mets à les déchiffrer. Il n'y a
aucun texte intéressant, mais les traces de chaussures (dont certaines attei-
gnent le plafond!) dessinent de multiples figures étranges que j'essaie de
décrypter.
Clonk! 0[
Tout naturellement, je me mets à voyager vers les gens et les pays qui sont
chers à mon cœur.
Un jour, je prendrai un stylo, un cahier et, tout en vrac, je répandrai sur
le papier ma hotte à souvenirs.
Quand la porte s'~uvre enfin, je reviens ébloui des ciels immenses du
Québec, de la mer ~'huile de la Baie James, d'une partie de pêche à
Moguériec, des dunes ocre de Libye, d'un matin rose à Antigua.
Cette fois, ce sont les deux mains attachées dans le dos, comme un terro-
riste, que je suis conduit dans le bureau du juge R., dont le détestable carac-
tère, le manque d'humanité et pour tout dire la folie sont célèbres tant dans
le monde judiciaire bordelais que parmi les prisonniers qui ont eu affaire à
lui.
Avant, je rencontre mon avocat, maître Jean-Charles Tchikaya, Congolais
souriant et sympathique qui me fait un excellent effet.
Ce qui n'est pas le cas du juge: l'homme, petit et maigre, chevelure noire,
yeux clairs, constamment agité comme une puce épileptique, a les joues
creusées, la moustache soigneusement taillée, les lèvres en lame de rasoir.
Tout en lui est rabougri, rétréci, calculé, pesé, étudié. Sa nervosité maladive
est maîtrisée à grand peine. Il développe à l'évidence un énorme complexe
d'infériorité contre lequel il ne peut lutter que par des démonstrations d'au-
torité explosives totalement imprévisibles. Il est certain que le malheureux
ne pouvait exercer qu'un métier où le prestige est acquis par la fonction et
non par le mérite: la magistrature lui va donc comme un gant.
Oh, ce n'est pas qu'il ne voudrait pas changer, le pauvre. Il ne peut pas,
tout simplement. La preuve de son désir d'être autre que lui-même, enfin
coupé des réalités, devenir le superman des assises, le justicier universeL,
c'est sa passion pour les bandes dessinées, dont de nombreux posters déco-
rent les murs de son bureau. Il y a même, exposée sur une étagère, La
maquette de La fusée d'Objectif Lune 156! •••
Quand je pense que mon sort dépend du bon vouloir de ce gamin attardé,
dont la hargne mesquine a déjà causé la mort de ma mère ...
Notre première entrevue est glaciale: il m'en veut de lui avoir fait faux
bond durant neuf mois, me soupçonne de m'être enfui à Antigua pour y
déposer une fortune considérable, mais ne comprend pas les raisons de mon
retour. Moi, je suis furieux d'avoir été capturé.
Dès la première seconde, nous savons tous deux que Le courant ne passera
jamais entre nous. On est mal parti. Surtout moi, qui suis entre ses pattes!
Théoriquement, je suis là pour présenter ma défense, à l'issue de quoi le
juge décidera de ma mise en détention provisoire ou de ma libération
- - - - - -- - - -
156. De Hergé, le père de Tintin, bien entendu.
il ~_ A PEURI DE Loïc LE RIBAULT?
157, Les auxiliaires sont des détenus chargés de l'entretien de La prison, de la distribution des repas, etc.
]0l~ ~I DE LoïC LE RIBAULT?
Lundi 16 décembre
Réveil à 6 h 30. Le rendez-vous avec R. n'est qu'à 10 h 30, mais le panier
à salade part à 8 heures.
Dans les couloirs, c'est l'agitation. Nombreux en effet sont ceux qui
aujourd'hui vont aux assises. Surtout des jeunes, auxquels les gardiens
donnent des conseils pour être aussi présentables que possible. Ils leur
prêtent aussi des miroirs de poche pour qu'ils puissent se raser convenable-
ment.
La douche prise, j'entreprends moi aussi de me raser. Exercice difficile,
quand il doit être exécuté avec un rasoir à lame, de l'eau froide ... et sans
miroir: moi, on ne m'en a pas prêté. Mais il est vrai que je ne vais pas aux
assises. Les miroirs sont réservés - à juste titre - aux cas sérieux.
Je suis prêt. Il faut dire que le choix dans ma garde-robe n'a pas posé de
grand problème: depuis jeudi, je porte les mêmes vêtements! Heureusement
Clonk! Dl
dispose d'aucun argent aux Caraïbes, pas plus qu'en France ni qu'ailleurs?
Comment peut-on me reprocher mes travaux en recherche biomédicale, alors
que suis docteur ès Sciences Naturelles? Oui, j'ai déclaré haut et fort à la
télévision que je pratiquais l'exercice illégal de la médecine, mais par provo-
cation délibérée, pour contraindre les autorités médicales à effectuer des
tests approfondis sur le G5; et je n'ai jamais délivré d'ordonnance, ni modifié
le moindre traitement en cours, mes «consultations» étant en outre
gratuites.
Je termine en disant que je suis seul à pouvoir faire l'historique des
organo-siliciés, expliquer en détail le comportement des sociétés qui m'ont
escroqué et trompent le public, donner les formules des différentes généra-
tions de silicium organique. Dix jours de travail me suffiraient pour remettre
au juge un dossier qui, à coup sûr, me disculperait. Mais il est évident que,
pour accomplir ce travail, je dois rentrer chez moi, où se trouvent tous mes
dossiers.
Le juge a un sourire carnassier:
«Mais, Monsieur Le Ribault, si vous aviez répondu à ma convocation, voici
neuf mois, c'est exactement ce que je vous aurais demandé! Vous seriez resté
libre ... Je ne vous aurais même pas empêché d'aller à Antigua!»
Pan sur le bec, Le Ribault!
Maître Tchikaya essaie une autre approche.
«Une raison sérieuse milite en faveur de la libération de mon client.
Comme vous le savez, il a travaillé de nombreuses années pour la magistra-
ture. Or, à cause de ses expertises, ou grâce à elles, beaucoup de criminels
ont été arrêtés, certains pour de longues peines. Il en reste sans doute
plusieurs à Gradignan, et ils risquent d'en vouloir à Monsieur Le Ribault. Il
convient donc de lui rendre sa liberté au plus tôt! »
«Je sais », soupire le juge, «mais il y a un autre problème concernant sa
sécurité, hélas!»
Il sort une chemise de mon dossier, la parcourt et laisse tomber:
«Selon mes informations, et notamment un rapport de la police judi-
ciaire 158, plusieurs personnes ont mandaté des individus pour donner une
leçon à votre client ... »
Il me regarde droit dans les yeux:
« ... le genre de leçon que même le G5 ne permet pas de guérir, si vous
voyez ce que je veux dire ... »
Oh oui, je vois ... Je vois même très bien: si j'en crois le juge, j'ai d'éven-
tuelles menaces à l'intérieur de la maison d'arrêt, et des menaces certaines
158. Rapport dont j'apprendrai plus tard qu'il n'a jamais existé.
CLonk! O[
à ['extérieur. Alors, comme de deux maux, il paraît qu'on doit toujours
choisir le moindre, je sais quel va être le verdict:
«C'est pourquoi, dans l'intérêt même de Monsieur Le Ribault, j'ai décidé
de le maintenir en détention. Mais sans aucun contact avec les autres
détenus. A l'isolement absolu. Vous y voyez un inconvénient?»
«Ben ... euh ... non ... »
Il poursuit:
«Je préviens immédiatement le directeur de la maison d'arrêt.»
Je hasarde timidement:
«Et je vais rester longtemps à Gradignan?»
«Non, sans doute. Si je suis satisfait de vos explications, je peux vous
libérer très rapidement. Sinon, évidemment ... »
La phrase laissée en suspens est lourde de signification.
«Et quand Monsieur Le Ribault pourra-t-il s'expliquer devant vous? »,
demande Maître Tchikaya.
«Le plus tôt possible. J'ai hâte de bouder ce dossier (Il consulte son
agenda); l'ennui, bien sûr, c'est qu'on arrive aux fêtes de fin d'année ... et
mon mois de janvier est très occupé ... disons le 28 janvier (merde! ça fait
un bail! ... )? Je bloque toute la journée. Mais, si je peux, j'essaierai
d'avancer la date (ah bon !).»
Quand je quitte R., j'ai en poche mon ordonnance de mise en détention
provisoire, dont le texte est le suivant 159:
«Vu les articles 135, 137, 144, 145, 145-1, 145-2 du Code de Procédure
Pénale,
Attendu ( .. .) que les faits sont particulièrement inquétants au regard de
la santé publique quel que soit la qualité du produit en cause, que de
nombreuses diffusions manifestement illicites se revendiquent toutes de la
personne mise en examen, qu'il existe divers contrats d'exploitation du
Silanol et qu'il convient d'éclaircir les circonstances de ces contrats, que
diverses personnes également ont des griefs à l'égard de la personne mise
en examen et qu'il est souhaitable de la protéger indépendamment des
personnes qui le défendent, qu'il convient d'empêcher toute forme de collu-
sion avec {es divers témoins ou éventuels co-auteurs au regard de leurs
déclarations dans ce dossier, qu'en fin il convient d'élucider les ventes
permanentes et sauvages à l'hotel des Bo1'ens, qui continuent à ce jour,
Attendu que la détention provisoire de la personne mise en examen est:
• l'unique moyen:
- de conserver les preuves ou les indices matériels;
159. C'est moi qui souLigne Les fautes dans Le texte qui suit (en gras).
]0
_ Q
_ U_I _A_ P
_EUR , DE Loïc LE RIBAULT?
Mardi 17 décembre
Réveil en pleine forme. Après le petit déjeuner, je profite de ma solitude
pour marcher de long en large (surtout en long, évidemment. .. ) dans mon
domaine. A neuf heures, j'ai parcouru environ deux kilomètres et demi.
Un gradé entre, brandissant l'ordre officiel de ma mise à l'isolement
complet: à partir de maintenant, je ne dois communiquer avec aucun détenu,
un surveillant doit m'accompagner dans le moindre de mes déplacements
dans L'enceinte de la prison, les couloirs doivent être dégagés quand je m'y
trouve, mes repas me seront servis à part et, pour les deux promenades quoti-
diennes autorisées (mais non obligatoires), je dois utiliser une cour spéciale
au sixième, dans laquelle je serai toujours seul.
10 h: On vient me chercher pour me conduire au Service social. Une char-
mante femme brune et une jeune fille m'attendent derrière un bureau. La
femme se présente et m'indique que l'autre est une stagiaire. Commence l'in-
terrogatoire classique: nom, prénom, numéro d'écrou, profession, adresse
(Antigua), diplômes, nationalité. Sur ce dernier point, sûre d'elle, la dame
dit:
1 QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
'---
... et voici que, grâce à mon emprisonnement, l'Etat français, dans son
immense bonté, va m'accorder enfin le R.M.I. ! ... Je défaille de joie, le cœur
littéralement broyé de reconnaissance.
15 h 30: Un surveillant m'invite à la promenade dans la cour des isolés.
Située au sixième étage, on y accède par un couloir désert à l'extrémité
duquel je vois trois portes métalliques.
«Je vous préviens », dit le surveillant en ouvrant l'une d'elles, «ce n'est
pas le jardin d'Eden ... »
IL me lance «bon courage! », puis me laisse «sortir ».
«CLonk!», fait la porte derrière moi.
Le spectacle me glace.
Clonk! r.
Imaginez une cour entièrement bétonnée de 7 mètres sur 5,5 mètres, sans
aucune vue sur le monde extérieur, ouverte seulement sur le ciel mais
couverte par un épais grillage. Une véritable fosse aux ours, telle celles qu'on
voyait autrefois dans les zoos et qui furent interdites pour cause de cruauté
envers les animaux grâce à l'action de la S.P.A. Pourtant, si ce genre de
fosses est désormais interdit aux animaux, il est bel et bien autorisé pour
certains hommes à Gradignan, en France, quatrième puissance économique
du monde (c'est du moins ce qu'on prétend dans le pays).
Bien entendu, les murs lépreux sont couverts de graffiti; la grille, rouillée,
vomit son eau pourrie sur le sol carrelé de la cour, qui a pris elle-même la
couleur de la rouilte. Mais celle-ci n'est pas uniforme: à la limite des murs,
un liseré plus clair délimite le trajet de milliers de pas qui, les uns après les
autres, ont usé jour après jour la couche rougeâtre.
C'est la «promenade» des isolés ... (Fig. 78)
Puisque j'y suis, il faut bien que j'y reste et que j'en profite.
Au bout de quelques
minutes, je me rends compte
qu'involontairement j'em-
prunte exactement le même
trajet que mes prédécesseurs,
ajoutant l'usure de mes pas à
celle des leurs. Pire: je tourne
dans Le sens inverse des
aiguilles d'une montre! Or,
l'expérience m'a montré que
presque tous les détenus en Fig. 78: La «fosse aux ours», prison de Gradignan,
promenade dans les cours 9 février 1997 (dessin de LLR).
«normales» de la ,prison tour-
nent ainsi, jamais dans le sens des aiguilles... Pourquoi? Je n'ai trouvé
aucune explication logique, mais les faits sont là.
Je décide aussitôt de rompre avec les règles non écrites de ce ballet
malsain. Je ne veux pas devenir un zombie. Choisissant le plein milieu de la
cour, j'entame une série d'allers-retours entre les deux murs. Un quart d'heure
plus tard, le rythme est pris: je m'arrête le nez à quelques centimètres du
béton, effectue un demi-tour sur place en pivotant sur les talons pour recom-
mencer le mouvement à l'autre extrémité de la cour. Bientôt, je suis comme
engourdi, anesthésié par l'automatisme de la manœuvre; je m'arrête brus-
quement. Un souvenir d'enfance surgit: celui des ours qui à Vincennes, dans
leur fosse, avaient exactement le même comportement! Maintenant, je les
11
295
comprends: privés de tout espoir, ils cherchaient à s'étourdir. Ce qui veut dire
que je ne suis pas seulement dans la fosse aux ours: je me comporte comme
un ours et, si je continue mon manège, je vais devenir un ours!
] fJ ~I A--mRl DE Loïc LE RIBAULT?
Mercredi 18 décembre
6 h: J'ai mal dormi, cette nuit. Perte des habitudes que je commençais à
avoir au premier, ou changement d'altitude? Du haut de mon lit, j'ai vue sur
la rocade où commencent à défiler les véhicules des malheureux qui, à la
sueur de leur front, partent gagner de quoi m'offrir mon hébergement, ma
sécurité sociale et mon futur R.M.!. Brave peuple ... Satisfait de leur courage,
je décide de flemmarder un peu sous les draps et allume ma première ciga-
rette. Une demi-heure plus tard, André met la télévision en marche et prépare
le café. Quand il est prêt, il me prévient et je descends le rejoindre.
C'est ensuite l'heure de la toilette. Comme dans la 106, le lavabo dispose
d'un robinet à poussoir conçu pour arrêter la distribution d'eau toutes les
minutes. Ce n'est pas facile. Surtout, c'est agaçant. André me tend une petite
cuillère (ou plutôt ce qu'il en reste) dont le manche a été replié en forme de
«U». Il suffit d'introduire une des branches de ce «U» entre le mur et le
poussoir pour bénéficier d'un flot d'eau continu. Débrouillardise des
détenus ...
10 h: Enfin! Je reçois ma première cantine! Une cartouche de cigarettes
et un bloc de papier à lettre. Ce dernier est le plus important: depuis mon
arrivée, j'écris ... sur du papier hygiénique, ce qui n'est guère pratique. On
me remet aussi mon premier relevé de compte, crédité très exactement de
75,79 €. Au fait, je ne sais pas ce qui se passe, quand on est à découvert
dans une maison d'arrêt? Est-ce aussi grave que dans une banque? Comme
on ne risque pas de mettre les coupables en prison, peut-être qu'on les
expulse?
17 h: Le vaguemestre m'apporte pour la première fois du courrier; unique-
ment des lettres de soutien qui me chauffent le cœur:
«As-tu ce qu'iL faut pour l'entretien au quotidien? Ci-joint une enveloppe
timbrée. Je t'embrasse.»
«J'ai toujours cru en toi et ce n'est pas ce qui t'arrive aujourd'hui qui me
fera changer d'avis. J'espère que tu pourras sortir prochainement, une place
t'est réservée c.hez moi, à ma table.»
«Ce que vous avez fait est juste. Gardez confiance, il vaut mieux être à
votre place qu'à celle des autres. Les gens abusés vont réagir justement.
N'abfmez pas ce qu'il y a de plus précieux: votre santé, votre bonheur, votre
famille. Tout finira par rentrer dans l'ordre, j'en suis certaine. »
« C'est aux infos régionales que j'ai pris connaissance de ton arrestation.
J'en ai été malade au pur sens du terme. A la télé, ils ont passé un reportage
sur toi et le G5 depuis l'hôtel de Biganos, puis un depuis chez toi. Toi, ton jean,
ta chemise bleue mais toujours avec plein de poches. Ton coton imbibé à la
main, un sourire jusqu'aux oreilles. J'avais l'impression de pouvoir te toucher.
;:l r
.,-,L-_
QUI A PEUR ' DE Loïc LE RIBAULT?
Un gros pLan sur tes mains et ta bague noire. Mon savant fou, géniaL et auto-
destructeur, pressé de brûLer sa vie comme pour une course à L'éternité.»
« Pour un coup de pub, c'est réussi! Cette fois, tu as sorti Le grand jeu! »
Je m'endors, le cœur bien au chaud.
Jeudi 19 décembre
André et moi nous entendons parfaitement, chacun respectant le terri-
toire de l'autre dans l'étroit espace qui nous est commun.
La vie à deux dans une cellule aussi exiguë est sans aucun doute une des
expériences les plus difficiles à réussir pour des hommes qui ne se sont pas
choisis et ignoraient tout l'un de l'autre avant d'être mis en présence de
façon a~bitraire et autoritaire. Une vie beaucoup plus délicate que celle d'un
véritable couple, où l'un des partenaires peut toujours «aller prendre l'air»
quand l'atmosphère devient trop orageuse. Ici, pas question de quitter la
cellule! Les concessions mutuelles, la compréhension, la patience envers les
travers petits ou grands du compagnon sont des obligations pesantes
auxquelles il est vital de s'adapter. Une des missions délicates des
surveillants est d'ailleurs de découvrir d'instinct avec quel prisonnier
«aguerri» ils peuvent enfermer le «nouveau» désorienté qu'ils ne connais-
sent pas encore, pour le moindre inconfort de leurs pensionnaires forcés ...
et pour la tranquillité du service.
Comme me le fait remarquer André, la promiscuité est ici telle et les gens
à ce point écorchés vifs que le moindre changement, si infime soit-il - un
objet déplacé, par exemple-, peut prendre des allures de grave agression,
d'insulte irréparable.
10 h: On m'annonce mon avocat. Erreur: quand j'arrive au parloir, je
découvre un huissier gluant qui, grâce à la lecture des journaux, a découvert
mon ultime refuge! Ces répugnants parasites n'ont décidément aucune
pudeur. Il vient pour me saisir, la charogne! Je l'invite à monter faire l'in-
ventaire de ma cellule, mais les gardiens s'y opposent. Dégoûtée, la sangsue
s'en va, la queue flasque, poursuivre ailleurs ses putrides activités.
11 h: «Au greffe!»
Nouvelle descente avec mon ange-gardien.
Là, surprise: une main anonyme (mais dont je devine l'identité) a déposé
pour moi du linge propre! Il y a notamment le jean que je portais dans la
prison d'Antigua. Ce pantalon n'a décidément pas de chance: il va mainte-
nant connaître les rigueurs d'une geôle française 160 •••
160. Pour La petite histoire, je signaLe que ce pantaLon voyageur, après m'avoir suivi en BeLgique, a fini
ses jours, usé jusqu'à La trame mais Libre, dans La joLie île de Jersey.
Clonk!
Vendredi 20 décembre
On peut dire ce qu'on veut au sujet de la maison d'arrêt de Gradignan,
mais une chose ne souffre pas de critique: la cuisine. Oh, attention, ce n'est
pas de la grande cuisine, non. Mais des plats tout à fait corrects, servis
chauds (il faut dire que les isolés sont servis les premiers). Il m'est malheu-
reusement impossible d'en profiter, pour l'excellente raison que je n'ai
toujours pas mes dents de rechange, mais seulement ces deux incisives qui
me donnent l'air d'un énorme rongeur quand je souris. Par bonheur, les occa-
sions de sourire sont rares à Gradignan.
Les hasards du menu me desservant, les premiers jours je me suis nourri
exclusivement de morceaux de sucre offerts par les gardiens et dilués dans
de l'eau. Depuis aujourd'hui, je sélectionne dans les plats les nouilles et la
purée, Oscar m'offrant aimablement ses parts d'accompagnements mous
tandis qu'il écrase à crocs puissants les cuisses de poulet et les quignons de
pain.
Je commence à être affamé. Nostalgique, je songe aux plats exotiques que
je dégustais au cours de mes périgrinations lointaines lorsque j'étais encore
denté: renne, ours, élan, coryphène, king fish, poisson perroquet, serpent à
sonnette, porc épie, loup, élan, gras de baleine, foie de phoque cru, hérisson,
chien, tortue, crapaud, larves diverses, requins de toutes espèces, marlin,
autruche, dromadaire et même, une fois, un peu d'homme (mais c'est une
autre histoire).
Samedi 21 décembre
La saga du dentier (premier épisode): Le vétérinaire vient pour
inspecter son troupeau. Je lui exprime ma doléance essentielle: voici deux
jours, j'ai expliqué au dentiste que mon dentier m'attendait impatiemment à
Arcachon, et qu'il suffisait de le faire venir en prison pour régler mon drama-
tique problème de mastication. Offusqué, l'homme de l'art m'a répondu que
ça ne se fait pas, qu'il n'y a aucune relation entre les serviees de stomato-
Clon k !
Dimanche 22 décembre
Un gardien, l'air sérieux comme un pape, ouvre la porte. IL a le crâne aussi
dégarni que le mien. IL dit:
«Tiens? Vous aussi, vous êtes chauve. Figurez-vous que je crois avoir
trouvé une explication à ce phénomène ... »
«Ah bon? LaqueLLe?»
«Facile. Vous n'êtes pas origi naire d'Aquitaine, n'est-ce pas?»
«Non. Je suis Breton.»
«Ben c'est pour ça: vous avez laissé vos racines en Bretagne!»
On se marre comme des baleines.
Lundi 23 décembre
J'apprends à conjuguer un nouveau verbe: Cantiner.
Cantiner, ça signifie passer commande de tout ce qui nous manque. Et
comme on nous a tout pris, nous manquons forcément de tout. Logique. Le
système est très bien rôdé, et d'une rentabilité rare puisqu'il s'applique très
précisément à ce que les commerciaux appellent une clientèle captive. C'est
notre cas, au sens propre du terme. Voici le principe:
Pour le compte de l'Etat, une grande Médiocratie européenne, vous cons-
truisez un gigantesque hôtel à moindre frais: douches coLlectives, pas de
vitres aux fenêtres, pas de chauffage, pas d'eau chaude, minuscules cham-
bres de neuf mètres carrés à deux lits (c'est plus convivial). Pour le personnel
de surveillance, pas de problème: il est fourni gracieusement par l'Etat. Pour
L'entretien, le ménage, la vaisseLle, aucun souci à se faire: les clients s'en
chargeront eux-mêmes.
Quand tout est prêt, vous faites lâcher dans les rues une meute de poli-
'ciers-chiens de chasse, aimablement prêtés par la Médiocratie.
Quand les animaux reviennent avec une proie, qu'elle soit coupable ou
innocente, vous lui enlevez tout ce qu'elle possède. Tout. Absolument tout:
coupe-ongles, lime à ongles, couteau, briquet, rasoir, cigarettes, stylo,
papier, mousse à raser, etc. Vous lui piquez aussi tout son argent - si elle
en a -, que vous remettez à la banque que vous avez pris la précaution de
créer.
Pendant la première semaine, la proie est nourrie gratuitement matin,
midi et soir, mais sans excès ni luxe inutile. Immanquablement, au bout d'un
certain temps, le client manifeste certaines exigences: il aimerait du sel, du
poivre, de la confiture, des cigarettes, du beurre, de la lecture et un tas d'au-
tres choses superflues teLles que la télévision.
Alors, vous lui offrez La possibilité de cantiner, ce dont la proie vous sera
éternellement reconnaissante; c'est, d'abord, le droit de racheter dans votre
propre centrale d'achat tout ce que vous lui avez pris à son arrivée (coupe
ongles, lime à ongle, couteau, briquet, rasoir, cigarettes, stylo, papier,
mousse à raser, etc.) strictement identique mais de qualité très inférieure.
Puis, dans votre immense bonté, vous lui proposez de sous-louer pour 30 €
par mois une télévision que vous-même louez 15 € pour la même période.
Mais attention: 30 € par client! Comme ils sont deux et parfois trois par
chambre, votre bénéfice est de 45 à 75 € tous les trente jours.
(lonk! 0[
161. Comme nous ignorions Le nom des surveillants, Oscar et moi avions attribué à ceux Que nous fré-
Quentions Le pLus souvent des surnoms pLus ou moins bien adaptés à Leur personnaLité. Ainsi Grincheux,
d'un premier abord fort revêche (en tant Que pensionnaires du premier, il nous avait tout d'abord pris pour
des pêdophiLes), se montrera-t-il toujours très humain avec nous, en respectant toutefois scrupuLeuse-
ment Le règLement.
, n OuI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
u
Mardi 24 décembre
7 h 30: Petit déjeuner. Je demande au gardien s'il peut me procurer des
allumettes. Je suis en rupture de stock. Il me tend son briquet:
«Tenez, je vous Le prête. Vous me le rendrez quand je vous apporterai les
allumettes. »
«Ne craignez rien: aujourd'hui, j'ai décidé de ne pas sortir ... »
Le surveillant éclate de rire :
«Té, c'est bien pour ça que je vous le prête!»
C·
(lonk! _ JL
Juste cette petite anecdote pour montrer que le personnel, dans son
immense majorité, fait le maximum pour rendre la vie la moins insupportable
possible aux détenus. Les surveillants sont généralement humains et, en
contact permanent avec leurs pensionnaires, finissent par en connaître la vie
la plus secrète; c'est une symbiose, qui peu à peu, se crée entre le prison-
nier et son geôlier.
10 h: Un civil ouvre la porte et me prie de le suivre dans son bureau. C'est
encore quelqu'un des services sociaux, fort aimable, l'œil bourré d'humanité.
Il connaît mon dossier tellement par cœur qu'il me fait peur. Si ça se trouve,
il sait sur moi des choses que j'ignore moi-même!
Il me demande si je n'ai besoin de rien (non); s'il peut m'être utile (non);
si je ne trouve pas la prison trop dure (non); si je m'y habitue (oui);
Finalement, je lui demande pourquoi il s'intéresse tant à moi. Il me révèle
que généralement plus les gens ont une position sociale élevée et sont intel-
lectuellement développés, moins ils supportent la détention; c'est pourquoi
mon comportement l'étonne. Je lui explique que je pense être aidé par une
vie intérieure bouillonnante, un surentraînement à une vie difficile depuis
des années, une indifférence totale envers les biens matériels, la certitude
que le combat que je mène est juste, et un détachement absolu face à toutes
les contraintes qui empêchent un homme de déployer ses ailes.
17 h: Le vaguemestre distribue le courrier. Dans le mien, uniquement des
lettres d'encouragement et d'espoir. Grâce aux reportages télévisés et aux
articles de journaux, des ami(e)s que j'avais perdu(e)s de vue depuis des
années m'ont retrouvé et me soutiennent.
Vaguemestre ... Dans la Marine, en 1975, j'avais été promu à cette fonc-
tion parce que le Maître Principal, qui maniait l'humour à ses moments
égarés (qui étaient nombreux), avait jugé que c'était l'emploi idéal pour un
licencié ... ès Lettres. C'est le même individu qui, six mois plus tôt, m'avait
affecté au nettoyage sous prétexte que j'étais spécialiste du microscope
électronique ... à balayage!
Mercredi 25 décembre
La télévision nous gorge d'Ave Maria, Douce Nuit, Petit Papa Noël, Noël
Bleu, Vive Le Vent, sans oublier bien sûr la sirupeuse ratatouille sapin - guir-
JO ' QUI A PEURJ DE Loïc LE RIBAULT?
landes - feu de bois - flocons de neige - jouets - joie des enfants - chocolat
- dinde - marrons glacés - pape - messe de minuit - bonne bouffe.
Pauvre peuple, qui ne sait plus s'amuser qu'à dates fixes! A Antigua, c'est
steel band tous les jours ...
A propos de bouffe, Oscar et moi on ne sait plus quoi en faire: les auxi-
liaires ont appris que je suis resté presque dix jours sans pouvoir avaler quoi
que ce soit de consistant, et que nous sommes tous deux dépourvus de tout.
Ils nous comblent donc en nous donnant le rab dont ils disposent: on a de
quoi manger pour une semaine entière! J'en connais un qui serait heureux,
tiens ...
Vendredi 27 décembre
Ce matin, un huissier est encore venu pour me saisir. Mais ce n'est pas le
même que le premier. Il doit y en avoir un nid, dans le coin ... Lui aussi
repart bredouille, les griffes refermées sur du vide.
17 h: Un cafard se promène, pensif, au plafond. Ce n'est pas le premier
que je vois à Gradignan, ' loin de là. Mais ce qui est étrange dans le compor-
tement des cafards détenus, c'est qu'ils sortent en pleine lumière. Tous ceux
que j'ai rencontrés jusqu'alors ne se baguenaudaient que de nuit.
on les réveille aussi: durant la nuit, ils sont revenus tout simplement se
mettre au chaud et dormir avec nous! On s'habitue vite à ce genre de
promiscuité.
Samedi 28 décembre
10 h: Heure de la promenade pour le sixième. Bruit de feuille qu'on glisse
sous la porte. Nous croyons qu'il s'agit de la remise d'un formulaire de
cantine. Non: c'est une feuille de papier blanc ornée d'un dessin de tête de
mort sur laquelle il est écrit en lettres capitales:
,
ON VA VOUS SEGNER COMME DES GORETS .•.
ALORS, CA FAIT QUEL EFFET
X
D'ETRE A SON TOUR EN PRISON?
SION VOUS « PESQUE », VOUS ETES MORTS! ...
Dimanche 29 décembre
7 h: J'ouvre un œil. Oscar, courageux, fait sa toilette. IL fait même
chauffer de l'eau pour le petit déjeuner. Je l'admire sincèrement et replonge
dans le sommeil.
9 h: Réveil. Dire que je ne me souviens pas d'avoir de ma vie dormi plus
de douze heures d'affilée! Je dois commencer mon hivernage ...
Oscar a préparé mon café. Je descends de ma cime.
Quand j'allume ma première cigarette, il me demande des allumettes pour
se faire des cure-dents; parce qu'il en a, lui, des dents. Il a déjà travaillé ce
matin en désossant un rasoir afin d'en récupérer la lame. Je l'observe, en
plein travail de tailleur de micro-bûches. Il est absorbé par cette tâche qui,
pour quelques minutes, lui fait oublier notre misère.
On m'a souvent fait le reproche de scruter les êtres humains avec ce que
beaucoup ont pris à tort pour de la froideur ou de l'insensibilité:
- Laurence (1979): «Tu me fais peur: tu observes les hommes comme un
entomologiste étudie les insectes. "
- Legrand, directeur du laboratoire Total (1980):« Quand je vous vois
regarder quelqu'un qui vous résiste, je me dis que pour atteindre votre but,
vous seriez capable de piétiner le ventre de votre mère!»
- Monique n° 1 (1982): «Je ne peux plus vivre sous l'oculaire d'un
microscope vivant."
- Jean-Pierre (1996): «Ce n'est pas de soulager les gens qui t'intéresse:
c'est de vérifier tes théories et compléter tes statistiques. »
- Un magistrat, tandis qu'au restaurant je devore des tripes à la mode de
Caen après une autopsie particulièrement horrible (1990): «Mais vous êtes
insensible ou quoi?»
- Un gendarme, alors que depuis une heure j'étudie millimètre par milli-
mètre un cadavre atrocement mutilé (1989): «On dit que ça ne vous
empêche même pas de dormir ... C'est vrai?»
Peut-être avaient-ils raison. Peut-être, tout simplement, n'ont-ils pas
compris que parfois mon esprit se bloque pour s'autoprotéger. Que, toute ma
vie, je me suis senti «à part», que je me demande pourquoi et que j'en-
souffre.
Oscar a saisi son stylo-biLle et une feuille de papier, puis se met à écrire 1309 11-
lui aussi. Je dois être contagieux. L
C'est vrai.
Comme me disait Jean-Michel Graille: « Ce n'est pas toi qui es important,
c'est le silicium organique, et lui seul!» Sur le moment, j'avais été vexé.
Pourtant, il avait raison. Les menaces d'hier ne m'ont pas fait peur. Après
tout, on m'a déjà tiré deux fois dessus, j'ai reçu un coup de couteau, un
forcené m'a tenu un poignard appuyé sur le gorge quatre heures durant, je
me suis empoisonné accidentellement une fois à l'arsenic, j'ai subi sept acci-
dents d'avion, coulé trois fois en mer, et je suis toujours vivant. Mais il faut
bien mourir un jour, et je sais maintenant que je suis non seulement menacé
«dehors» mais aussi au sein même de la prison. Dans l'intérêt de mes
patients - et de l'humanité, tout simplement - il faut que l'on connaisse
l'histoire du G5. Il faut que ça fasse du bruit. Il faut que le raz de marée soit
si puissant, si irrésistible, que les chercheurs qui oseront mettre leurs pas
dans les miens n'aient pas à subir ce que la France m'a fait endurer.
Alors j'écris, j'écris. J'écris le plus vite possible.
Lundi 30 décembre
Nous avons froid, froid, froid ...
Ce matin, l'eau était gelée dans la cellule.
Nous sommes engourdis. Je porte un tricot de corps, deux pulls, une
chemise, mon blouson de cuir et je grelotte. Nous sommes si transis que nous
restons, assis, à ne rien faire, incapables même de parler. Nous ne sommes
pas dans une cellule. Nous sommes dans un congélateur.
Je suis comme mon orvet. Un remords que je traîne dans ma tête depuis
trente-cinq ans. Je l'avais capturé dans le port de Moguériec et enfermé dans
un bocal à confitures pour l'apprivoiser plus tard. Je l'avais ramené à la
maison puis, par négligence - par peur, aussi, de le faire sortir -, je
l'avais abandonné dans sa prison de verre. n avait mis des semaines à
mourir. De faim, de froid, d'abandon, de désespoir, de solitude. Pardon,
orvet! Je comprends maintenant à quel point j'ai dû te faire souffrir: je suis
devenu l'orvet de mon juge ...
Mardi 31 décembre
Avec un bel ensemble, Oscar et moi nous réveillons à cinq heures trente.
Nous ne voulons pas perdre une minute de l'agonie tant attendue de cette
saloperie d'année 1996.
Ce matin, j'ai un doigt de la main droite blême, rendu complètement
insensible par le froid. Il en est de même de mon pied droit, qui me fait souf-
frir et m'empêche de faire plus de quelques pas. On dirait que l'un et l'autre
sont gelés.
Ce soir, à moins d'un miracle, nous n'aurons personne à embrasser sous le
gui. ..
19 h: Notre réveillon est achevé. Au menu, nous avions avocat-crevettes,
saumon-riz et baba au rhum (sans rhum), le tout arrosé d'eau pure.
24 h: Il n'y a pas eu de miracle: il n'y a personne sous le gui. D'ailleurs,
nous n'avons pas de gui ...
Avec Oscar, on se souhaite tout simplement la bonne année et on s'em-
brasse sous la Lumière crue du plafonnier. Un exemplaire pLié de Sud-Ouest du
10 juin 1996 sert d'abat-jour.
Adieu, année pourrie!
Jeudi 2 janvier
Toujours ce froid de loup!
15 h: Un gardien entre, armé d'une barre de fer. C'est le responsable
chargé aujourd'hui de la symphonie des grilles. Généralement, l'inspection ne
dure pas longtemps chez nous. Ce surveillant, que nous n'avons encore jamais
vu, est du genre méticuleux. Soupçonneux, il désigne le capitonnage des
joints de la fenêtre, œuvre patiente d'Oscar.
«C'est pour quoi faire, ça?», demande-t-il.
« Pour empêcher l'air de rentrer, tiens! ... »
«Moi, faut que je contrôle! ... », dit-il, et il arrache d'un coup tout le fruit
du travail oscarien. Puis, sa destruction accomplie, il frappe trois coups sur
les grilles et s'en va, laissant la fenêtre ouverte, les joints pendouillant
lamentablement et le vent glacé qui s'engouffre. Pauvre type ... D'un commun
accord, Oscar et moi décrétons que, pour être si mesquin, ce pauvre homme
doit avoir une bonne excuse: sans doute vient-il d'apprendre qu'il est cocu?
Vendredi 3 janvier
18 h: Je viens de terminer la rédaction de ma brochure sur le G5. Quoiqu'il
m'arrive désormais, mon travail ne sera pas perdu. Ce soir, je dormirai serein.
Samedi 4 janvier
9 h: Des milliers de stalactites de glace pendent sur les fils barbelés.
C'est sans doute très beau.
Il fait un froid sibérien.
Je me sens seul. ..
12 h: Saucisses-lentilles. Chaudes! Oscar et moi nous jetons sur nos
assiettes. Comme des chiens sur leur pâtée. Pas pour le goût, non. Pour la
chaleur.
n!
Clonk! ut
Dimanche 5 janvier
... Car le dimanche existe, en prison! Jour de repos selon la secte catho-
lique, et en dépit de la séparation théorique de l'Eglise et de L'Etat, le
dimanche se doit d'être célébré dans la moindre geôle de l'Administration
Pénitentiaire française. La fête dominicale se manifeste par de multiples
attentions touchantes: le café soluble du petit déjeuner nous est distribué
dès le samedi soir, ce qui permet aux détenus de faire la grasse matinée tout
leur soûl sans aucun dérangement. Evidemment, pour profiter pleinement de
cette faveur, les prisonniers sont supposés posséder l'incontournable toto,
sans lequel ils prendraient leur café froid. A moins, bien entendu, qu'ils ne
se soient rendu compte que, très tôt le matin, l'eau du lavabo s'est
réchauffée pendant la nuit grâce à la cohabitation étroite et coupable du
tuyau d'eau froide avec celui du chauffage, ce qui permet aux sans toto de
déguster quand même leur café tiède.
Vers dix heures, on nous apporte un gâteau (millefeuilles, tarte ou inimi-
table baba-au-rhum-sans-rhum).
Enfin, comme il n'y a ni parloir, ni avocat, ni audition, ni distribution de
courrier, ni cantine, ni douche, on peut paresser toute la journée dans nos
petits lits douillets.
Lundi 6 janvier
Et commence une nouvelle journée dont tout laisse présager qu'elle sera
d'une aussi désolante vacuité que les précédentes.
7 h 15: Alléluia! Alléluia! Aujourd'hui, changement de draps! Après à
peine 25 jours d'usage, n'est-ce pas exagéré? Si ça continue, je vais m'habi-
tuer au luxe!
14 h 30: Maguy, que j'ai surnommée mon Fan Club, va arriver au parloir.
On me conduit dans un sas. Surprise: un détenu, puis deux, puis trois me
rejoignent! Je ne dis pas un mot et me contente d'écouter les conversations
des trois hommes, tous du premier étage (deux pédophiles, un père inces-
El
tueux), qui contemplent des prisonniers, en majorité colorés, qui jouent au
football dans la cour:
« Non, mais! Regarde-moi cette racaille!»
10 1 QUI A P~R] DE Loïc LE RIBA U LT ?
Mardi 7 janvier
15 h: Je me regarde dans la glace. J'ai maigri, bien sûr, et j'ai vieilli. Pas
grave. Depuis longtemps, j'ai perdu mon bronzage, mais je ne suis pas seule-
ment «débronzé », je suis blafard. Un teint de navet! Ce teint, je le recon-
nais: c'est celui de tous les détenus que j'ai rencontrés. Le teint a-coloré des
taulards, grâce auquel n'importe quel flic reconnaît dans la rue un prisonnier
récemment libéré. Une sorte de marque de fabrique, le début d'une destruc-
tion profonde, une ébauche de décomposition.
Je ne sais si le soleil des Caraïbes, un jour, me rendra ma couleur origi-
nelle ...
Jeudi 9 janvier
Finalement, j'ai beaucoup de chance, par rapport à la majorité des
détenus; depuis longtemps, j'ai pris l'habitude d'être privé de tout, et le
moindre rien peut éclairer toute une journée de prison: la cantine qui arrive,
une boite d'allumettes, une parole d'Oscar, l'encouragement d'un gardien, une
lettre amicale ...
Et puis, surtout, si mon corps est bien à Gradignan, mon esprit, lui, est
rarement en cellule. Il se promène, le jour comme la nuit. Toujours à Antigua.
Je me suis décidément constitué là-bas une inépuisable mine de souvenirs
où mon cerveau va à son gré puiser les diamants dont il nourrit mes rêves.
Autant qu'il m'en souvienne, je n'ai jamais, sauf les deux premiers jours, rêvé
de prison. Uniquement des images de liberté, de soleil et de paix. Jamais,
non plus, de G5... Une fois encore, mon cerveau pratique l'autodéfense:
lorsque je passais ma vie sur les lieux du crime à contempler les victimes
mutilées, à patauger dans le sang, à découper les corps, à exhumer les cada-
vres putréfiés, je dormais comme un bienheureux. Mais quand le C.A.R.M.E. a
été assassiné, d'un jour à l'autre la cohorte de ces souvenirs abominables a
envahi mes nuits, bâtissant cauchemar après cauchemar durant une année
entière ...
Quand je serai sorti d'ici, peut-être ne rêverai-je que de prison?
Pendant combien de temps?
20 h: Bonne nouvelle: la télévision annonce que les grands froids
semblent terminés. Effectivement, la cellule devient non pas confortable,
mais vivable.
Vendredi 10 janvier
9 h: On me réclame au sous-sol. C'est l'anthropométrie. Il y a longtemps
que j'attendais cela. Je vais voir s'ils ont fait des progrès. El]
D'abord, photographies (face et profil) du visage du fauve assis sur la
fameuse chaise de bois inventée par Bertillon; manque de chance, l'appareil
tombe en panne! Faudra refaire (ou plutôt faire) les clichés dans quinze
jours. Ensuite, relevé des empreintes digitales des deux mains. C'est ce qu'on
1iJ [Ou l ~~:~~ 0 E L0 Ï ( LE RIB A U LT ?
appelle les fiches décadactylaires. Dame! On ne sait jamais! Des fois qu'un
jour on trouverait une de mes empreintes sur une bouteille de G5 lâchement
assassinée ...
Je constate que les techniciens appuient trop mes doigts sur la feuille:
les empreintes sont grasses et écrasées et ne pourraient être utilisées pour
des études de micro-dactyloscopie162 , mais ça n'a aucune importance puisque
les services de l'Identité Judiciaire ont toujours été incapables d'employer
cette méthode, trop sophistiquée pour eux.
Je ne suis pas surpris non plus que les empreintes palmaires (paumes des
mains), pourtant si utiles, ne soient pas relevées, contrairement à ce que je
préconisais dès 1986. Décidément, j'ai, douze années durant, donné de la
confiture à des cochons ...
11 h 30: Dans mon assiette, un merlan bouilli sans sel me regarde d'un
œil glauque sur son lit de patates froides. Quand je pense qu'aux Caraïbes,
on fait griller les poissons encore frétillants sur la plage! Je flanque le
merlan à la poubelle. Encore un qui est mort pour rien. Ou pour la France,
c'est la même chose. J'exécute un impeccable salut militaire devant La triste
dépouille.
Dimanche 12 janvier
5 h: Dans une cellule voisine, un isolé hurle comme un loup. Bien pLus
haut dans La prison, un autre détenu répond. Ce sont Les pLaintes d'hommes
désespérés qui n'attendent rien du jour qui vient. QueLques coups violents
sont ensuite frappés contre une porte, puis le siLence retombe.
Comme toutes les nuits, la cellule est balayée de temps à autre par La
Lumière crue du projecteur situé sur le mirador. On pourrait presque y lire.
Inutile d'essayer de me rendormir.
Je me secoue de la torpeur d'hier et me mets en état de réception. C'est
un état très différent de celui grâce auqueL on peut émettre des messages
par téLépathie, lequel nécessite une forte dépense d'énergie. Pour recevoir,
au contraire, il suffit de se vider L'esprit, littéralement de ne penser à rien,
devenir un simple capteur attentif. Il est possible alors de recevoir une foule
de messages venus de n'importe où, émis par des entités et des personnes
connues ou inconnues. La barrière des langues n'existant pas, La compréhen-
sion est totaLe.
Il y a bien Longtemps que je crois aux forces de l'esprit, mais sans jamais
avoir osé pubLier quoi que ce soit sur le sujet: chercheur déjà «hors
normes», j'aurais ruiné toute ma crédibilité avec l'aide malveillante des auto-
162. Méthode que j'ai inventée en 1983, permettant d'étudier de minuscuLes fragments d'empreintes inex-
pLoitabLes par Les méthodes traditionneLLes.
Clonk! Dl
Lundi 13 janvier
La température s'est bien réchauffée. J'ai complètement retrouvé l'usage
de mon doigt, et mon pied me fait moins souffrir.
Mercredi 15 janvier
8 h: Joyeux (un surveillant qui semble toujours heureux de vivre) entre
et nous serre la main. Il veut tout simplement nous dire bonjour et prendre
de nos nouvelles. Il a l'air encore plus ravi que d'habitude:
«Dans deux ans, j'ai la quille!»
«La quille?»
«Ben oui, la retraite! Vous vous rendez compte? Trente six ans que je fais
ce métier! Trente six ans de taule, quoi. Pire que perpète ... »
C'est bien vrai, ça: toute la vie des gardiens tourne autour de la prison,
dont ils n'ont, eux, l'espoir de sortir qu'à l'aube de la vieillesse ... Réflexion
faite, ça ne doit pas être marrant. D'ailleurs, eux aussi ont le «teint de
taulard» dont je parlais voici quelques jours.
14 h: J'apprends par Maguy que le juge a refusé cinq permis de visite à
des amis proches, dont Laurence, Véronique et Luc. Motif: visites interdites
jusqu'à nouvel ordre. Pourquoi? Pour me rendre la vie encore pLus difficile?
Il va de soi qu'ALain R. n'a pas eu la correction éLémentaire (ou Le courage)
de m'en informer; d'ailleurs, La Loi ne L'y obLige nuLLement.
17 h: Pas de courrier. Voici une semaine que je n'ai pas reçu une lettre.
Pourtant, je sais par mon Fan Club que beaucoup d'amis m'ont écrit. Ces
mots, même brefs, me feraient tant de bien ... Peut-être est-ce justement ce
que le juge ne souhaite pas?
Jeudi 16 janvier
9 h 30: Miracle de la technoLogie policière: L'Identité judiciaire a réparé
son appareil photo! On m'emmène donc enfin prendre une image de mon
céLèbre profil grec.
163. Et heureusement. Elles étaient passionnantes, certes, et les résultats fascinants. Mais, avec raide du
temps, je me rends compte que ces expériences étaient monstrueuses: j'étais devenu le docteur Mengele
des congres, en toute bonne conscience. Le problème des scientifiques, c'est qu'ils sont capables de jus-
tifier les pires tortures sous prétexte de faire progresser les connaissances, voire l'Humanité avec un grand
«H» ...
nr
Clonk! Ul
Vendredi 17 janvier
17 h: Le courrier!
- Les enfants sont inquiets sur ton sort; pour eux l'incarcération représente
une chose très sérieuse et leur donne une sorte de peur. Tu seras abondamment
questionné à ta sortie. Prépare Les réponses!
- N'oublie pas que le soLeil t'attend dans tes fies de rêve. Au fait, y a-t-il
des requins aux Caraïbes? Les hommes sont-ils aussi beaux que je l'imagine?
- Il te sera difficile d'effacer ces jours de ta mémoire, alors que tant de
gens, tant de malades, ont besoin de toi. Merci d'être ce que tu es.
Dimanche 19 janvier
Anniversaire de Maman. Aujourd'hui, elle aurait eu 86 ans ... Sans doute
vivrait-elle encore sans la stupidité des chiens policiers bordelais lâchés sur
elle par un juge psychopathe ...
7 h 30: A la télé, Monseigneur Lacrampe affirme qu'à Lourdes les malades
ne viennent pas trouver la guérison, mais l'espérance. Si je disais la même
chose pour le G5, je n'aurais peut-être plus de problèmes?
11 h: De nombreux «nouveaux» sont en promenade dans la cour. IL
semblerait que la pêche ait été bonne, ces temps-ci.
23 h: Depuis une heure, toutes les cinq minutes, quelqu'un ricane comme
une hyène dans le fond du couloir. Chaque fois, ses ricanements s'achèvent
sur un sanglot. Sûrement un des nouveaux .. .
Lundi 20 janvier
9 h: Changement de draps! Incroyable! Après à peine quinze jours d'uti-
lisation? Si ça continue, on va nous pourrir dans le luxe et la volupté ...
17 h: Le courrier!
L'heure qu'on attend minute par minute pendant vingt-quatre heure ...
Dame! Une lettre, c'est la preuve qu'il y a quelqu'un qui pense à vous, dehors.
ALors, L'enveloppe-cadeau, je La regarde, je La soupèse, je scrute Le cachet, le
EH.
timbre, L'écriture, Les cicatrices du voyage de cet unique Lien avec Le monde
des autres, dernière parcelLe d'intimité déjà violée par les mains indifférentes
du censeur et ses yeux impudiques qui en ont scruté le contenu si précieux.
,n -- ---
....J L QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
Mardi 21 janvier
Anniversaire de l'assassinat du malheureux Louis XVI par les ayatolLahs de
la Révolution française. A l'époque, ils guillotinaient Lavoisier sous prétexte
que Leur «République », déjà, n'avait «pas besoin de savants ». La mentalité
de leurs descendants est toujours identique ...
Vendredi 24 janvier
Journal télévisé: Je n'avais déjà plus beaucoup de respect pour la médio-
cratie française, mais apprendre que Johny HaLiday est fait chevalier de la
Légion d'honneur, ça me tue! Et entendre Chirac le qualifier de génie, ça
m'achève! Mais il est vrai que les deux acolytes se tutoient ...
Samedi 25 janvier
R.A.S. Je passe la journée à pratiquer assidûment Le sport national: la
non-utilisation des compétences à temps plein ...
Lundi 27 janvier
17 h: Pas de courrier. .. Trois jours sans une Lettre, c'est Long, vide et
triste.
Mardi 28 janvier
Jour du rendez-vous avec mon juge. La journée risque d'être intéressante.
En tout cas, elle commence fort.
Avant la fouille qui précède toujours nos extractions vers le palais dit de
justice, on me pLace dans un sas. Presqu'aussitôt, un autre prisonnier me
Clonk! DL
165. C'est effectivement ce qui lui arrivera, emmené au cachot dès notre retour et sous nos yeux navrés
par un surveillant compatissant qui lui dit : «Mais enfin! Franchement... Tu aurais pu être discret, au
moins! Y a d'autres moyens! »
ll- OUï" A
..J ~I
p~ DE Loïc LE RIBAULT?
sont des instants émouvants au cours desquels je peux tester les connais-
sances scientifiques du juge entre les mains duquel, néanmoins, mon sort se
trouve jeté par la volonté du peuple de France représenté par le Procureur de
la «République ».
Ubu et Kafka réunis, avec heureusement une pointe de Courteline.
La réunion est interrompue par la pause déjeuner durant laquelle je
rejoins mon cachot.
Mes compagnons, tous du troisième, me demandent de quel étage je suis.
Quand je leur indique que c'est le premier, ils ont un mouvement de recul. Je
crois bon de préciser:
«Oui. Mais pas pour ce que vous croyez! Je suis à l'isolement. Plusieurs
cellules d'isolés ont été regroupées au premier.»
«C'est vrai», confirme Homidde. «On me l'a déjà dit.»
Coups-et-Blessures-Volontaires soupire:
«Ben dis donc, tu vas pas rigoler, cet été!»
« Pourquoi?»
« Parce que, pour faire chier les pointeurs, on leur balance tous les restes
des repas depuis les étages supérieurs; ça tombe sous les fenêtres des
cellules du premier. Et comme le nettoyage dehors n'est fait qu'une ou deux
fois par semaine, je te dis pas comme ça schlingue en été! Une horreur! Sans
compter les mouches! Et les guêpes! .. , »
J'imagine sans peine ...
Je proteste:
«Eh, pas de blagues! Y a pas que des pointeurs en bas, maintenant! Y a
les isolés, aussi!»
«Oui, ça va poser un problème ... », concède Coups-et-Blessures-
Volontaires.
«J'ai une idée », lance Homidde. «Vous êtes bien tous au début du
couloir, et les pointeurs dans le fond?»
«Oui. »
«Alors c'est pas difficile: On va faire passer le message de ne balancer les
merdes que devant les cellules du fond! »
Fallait y penser. Ainsi s'organise la justice en prison.
A quatorze heures, reprise d'audition.
Le dossier apparaît de plus en plus désert. C'est un squelette de papier
sans aucune consistance. Son néant donne une assez juste idée de la notion
d'infini.
Au bout d'un moment, mon esprit s'évade. C'est une technique que j'avais
découverte lorsque j'étais enfant, élève réputé studieux de l'école primaire.
]0
1 QUI A_~~ DE Loïc LE RI B AU LT ?
J'avais constaté qu'en fixant mes professeurs un long moment, leur image se
mettait brusquement à rapetisser, comme un avion s'éloignant à l'horizon.
Quand ils étaient devenus minuscules, je me trouvais comme transporté au-
dessus de la salle de classe, que je pouvais contempler dans son entier, y
compris l'élève Le Ribault sagement assis sur son banc et apparemment très
attentif.
Lorsque quelqu'un m'ennuie, c'est une technique qu'il m'arrive encore
d'employer avec succès, comme à cet instant précis: Le juge, qui n'est déjà
pas grand, devient tout petit, tout petit derrière son bureau qui rétrécit à
vue d'œil, et je contemple avec amusement la pièce où mon corps se trouve,
mon avocat à ma droite, un policier derrière mon dos et la greffière qui tape
frénétiquement sur son ordinateur.
Installé là-haut, je comprends soudain pourquoi mon malheureux juge
m'en veut tant. Il est de ceux qui ne m'ont jamais pardonné de les avoir
contraints à se former aux méthodes modernes de police scientifique, qui se
souviennent avec angoisse de l'époque encore si proche où lui et ses sembla-
bles venaient, tremblants, péteux, largués, paumés, minables, me demander
de sauver une affaire gâchée par leur incompétence technique ou ceLLe de
leurs enquêteurs de la police ou de la gendarmerie.
Il tient enfin à sa merci celui qui, durant des années, lui a fait si peur! ...
Il tient sa revanche, le petit homme, une revanche exactement à son
image: malsaine, mesquine, médiocre ...
Quand je redescends sur terre, le juge sort de sa poche un paquet de ciga-
rettes blondes et en allume une. C'est le moment de le tester, quoique je
devine sa réaction; à mon tour, je saisis mon paquet de Gitanes et le lui
montre:
« Je peux?»
«Non! C'est mon bureau! Ici, il n'y a que moi qui ai le droit de fumer! »
Je range mon paquet. Tchikaya a l'air scandalisé. Le juge se tourne vers
lui :
«Oh, ce n'est quand même pas de la torture, Maître ... »
Tchikaya ne dit rien. Alain R. poursuit:
« ... Parce que, sinon, mon bureau serait enfumé ... »
Silence absolu de l'inculpé et de son avocat. Le policier se râcle la gorge.
La greffière scrute intensément son écran.
« ... d'ailleurs, je ne m'accorde que deux cigarettes par jour au
maximum ... »
Je louche ostensiblement sur son cendrier où reposent déjà trois mégots.
« ... rarement plus ... »
Clonk! nr
iil
Silence de glace.
«Bon, allez, on continue!»
Je suis sûr que son clope a un goût amer. Je regrette d'avoir montré mon
paquet de Gitanes, sinon je lui aurais dit que je ne supportais pas la fumée;
ça aurait été beaucoup plus drôle!
Cette attitude de R. confirme pleinement l'idée que je me suis faite de lui
depuis que j'observe attentivement le spécimen, ses réactions et le décor de
son bureau; le constat est à la fois navrant et inquiétant: mon juge est un
dangereux psychopathe ...
C'est à dix huit heures qu'on me ramène enfin à la souricière, où je donne
deux consultations à des policiers avant de réintégrer mon cachot. Les
dernières heures dans cet enfer sont toujours les plus longues. Mes co-
détenus consultent leur montre:
«Merde! Dix neuf heures! On a loupé FR3 Aquitaine! »
«Le principal, c'est qu'on soit chez nous pour le film de la Une ... »
La télévision, décidément, tient une place énorme dans la vie des prison-
niers. Il faut dire que c'est leur seule distraction, un moyen de s'évader dont
ils ont un besoin vital.
Vers vingt heures, enfin, le Camion Aveugle s'ébranle vers la prison au son
d'un rap endiablé chanté par un braqueur qui vient de «prendre» seulement
quatorze mois, soutenu à gorge déployée par ses copains dealers qui ont eu
moins de chance (six ans).
C'est avec plaisir que je retrouve la 124 où Oscar, toujours attentionné, a
gardé ma soupe au chaud dans le toto. Cinq lettres m'attendent sur mon lit,
pleines de messages et de marques d'affection.
Mercredi 29 janvier
14 h: Mon Fan Club va venir au parloir. Dans le sas, on fait entrer un type
d'une soixantaine d'années que je connais de vue. Je sais qu'il a violé une
fillette. Je ne le supporte pas: il a l'air glaireux, cartilagineux, ses ongles
sont démesurés et il pue. Comme d'habitude, j'ai pris ma place près de la
fenêtre ouverte, sous laquelle des prisonniers jouent au ballon. Le pédophile
veut entamer une conversation:
«Ah ben ici, au moins, il y a des grillages devant les barreaux!»
Je ne réponds pas.
«On devrait en mettre comme ça à toutes les fenêtres des étages supé-
rieurs ... »
Silence.
11 QUI A--~-~~ DE Loïc LE RIBAULT?
« ... parce que ça les empêcherait de nous balancer des ordures sous les
fenêtres en été, hein? Pas vrai? Parce que tu es du premier, toi aussi, non?»
Mutisme.
Dans la cour, le haut-parleur annonce la fin de la promenade. La larve
poursuit:
« Allez, en taule, les fainéants! »
Ignorance.
«Tous de la racaille, les types des étages, hein?»
J'explose:
« Casse-toi! Tu pues!»
Comme atteint par une décharge électrique, le déchet court se réfugier à
l'autre extrémité de la cellule et se tait.
17 h: Courrier!
- Quand je pense que tu es allé à Saintes avec les menottes dans le dos -
comme un criminel -, toi qui ne ferais pas de mal à une mouche, je suis un
peu dégoûtée de la justice.
- J'ai honte de la justice de mon pays quand je pense à toutes les crapules
qui nous entourent. Toi qui n'as jamais fait de mal à une mouche (tu l'aurais
sans doute soignée) ! Moi, je crois en toi et au G5.
Décidément, les mouches témoignent en masse dans le comité de soutien,
aujourd'hui!
Vendredi 31 janvier
La télé nous apprend deux choses: que 600 000 Français, probablement
contaminés par l'hépatite C, attendent « la mise au point d'un traitement dans
les années qui viennent (sic)) et que « la majorité des Français n'ont pas
confiance dans leur justice» ...
Je représente donc une intéressante synthèse, puisque je peux guérir l'hé-
patite C et que je suis en prison, ce qui prouve effectivement qu'au moins
600 000 hépatiques ont d'excellentes raisons de douter de la justice.
19 h 15: A FR3, on annonce que la prison de Gradignan a organisé hier
une opération «portes ouvertes» (dans le mauvais sens, hélas!). Pourquoi?
Pour proposer aux entreprises régionales les services de ses ateliers, dans
lesquels travaillent soixante-dix détenus qui disposent «d'un grand savoir-
328 faire»et, surtout, «ne coûtent pas cher», puisque «s'ils n'étaient pas là, les
entreprises seraient obligées de confier leur travail dans des pays sous-déve-
loppés». Bravo! Comme ça, au moins, on est fixé: la prison est un réservoir
d'esclaves sous-payés à la disposition des chefs d'entreprises, grâce auxquels
l'administration pénitentiaire fait son beurre!
Clonk! DI
Pour moi, c'est quand même une situation paradoxale: venir d'un pays qui
s'est enfin débarrassé de trois cents ans d'esclavage pour me retrouver dans
une réserve d'esclaves en pleine expansion, il y a de quoi pleurer, non?
Lundi 3 février
19 h 15: Journal télévisé de FR3. Chaban, Valade et Martin ont été convo-
qués à une audition chez un juge d'instruction bordelais. Seuls les deux
derniers se sont présentés, et sont sortis libres. Il faut dire qu'on ne Les
suspecte guère que d'être compLices d'un petit abus de biens sociaux d'à
peine 1 500 000 €. Une broutille. Le premier, au dernier moment, a fait état
(par écrit) de graves probLèmes de locomotion qui l'empêchaient de se rendre
à La convocation. Magnanime, le juge a déclaré qu'il se rendrait Lui-même au
domicile de Chaban pour L'entendre. Tiens, mais au fait, ce juge si compré-
hensif, qui est-il?
Ben c'est Alain R., figurez-vous! «Mon» juge! Y aurait-iL deux poids et
deux mesures?
Jeudi 6 février
7 h: Oscar est déjà debout, Lavé, tout prêt. Il a même déjà pris son petit
déjeuner. C'est qu'aujourd'hui il rencontre «son» juge, qui décidera de sa
Libération ou de son maintien en détention. J'espère sincèrement qu'il sera
libéré, car il supporte très mal la prison. Depuis deux jours, il broie du noir,
déprime et ne parLe presque plus. Dans la cellule, l'ambiance est pesante.
Mais sans agressivité, natureLLement.
9 h 30: J'ai rangé La celLule, fait Le Lit et je commence à travailler. Je n'en
reviens pas. Ce sont mes premières heures d'intimité totaLe depuis 57 jours!
Neuf mètres carrés pour moi tout seul! Je me sens bien. Serais-je un soli--
taire qui s'ignore?
la h. La saga du dentier (fin): Par L'infirmerie, je reçois un mot du
Professeur David. Il m'informe qu'en fait ma prothèse n'en est pas à un stade
assez avancé, et qu'il serait nécessaire que j'aille à Arcachon moi-même pour
L'essayer. Il précise que l'administration pénitentiaire a donné son accord.
Mais pas encore le juge.
Autrement dit, j'ai peu de chance d'avoir mes crocs avant ma sortie.
15 h: J'écris d'arrache-stylo à tous mes amis. BI
19 h: Oscar revient effondré. Aujourd'hui, son juge avait ses règles.
Monsieur a joué les prima dona. Il a dit à mon compagnon «qu'il y avait de
nouveaux éléments dans le dossier», mais sans daigner lui préciser lesquels.
Dire que la liberté d'êtres humains se joue sur les sautes d'humeur de tels
J 0L~~~ DE Loïc LE RI BAULT ?
Vendredi 7 février
16 h: Histoire de personnaliser la cellule, j'ai confectionné à mon tour
deux bOltes en carton, l'une grâce aux sucres Beghin Say, l'autre aux
mouchoirs en papier Labell; ça m'occupe et ça fait deux «espaces range-
ment» pour les fiches de cantine et les gommes, stylos et cure-dents d'Oscar.
La création intellectuelle m'ayant coûté très cher, peut-être pourrai-je me
reconvertir dans les travaux manuels à ma sortie de prison?
Dimanche 9 février
9 h: Lucky Luke nous propose une promenade dans la fosse aux ours. Avec
Oscar, nous nous consultons brièvement. Dehors, le soleil brille. OK, on y va.
On se prépare comme si nous partions pour un long week end à la campagne.
Nous ne sommes pas sortis depuis le 26 décembre!
Clonk! 0
Le lieu de misère n'a pas changé, hélas! Toujours aussi dégueulasse ...
Le froid nous saisit. Le soleil est bien là. Mais un soleil de France: il a la
forme du soleil, l'éclat du soleil, la couleur du soleil, mais le froid de la
banquise. Un soleil faux-jeton, quoi ...
Au pied du mur de béton, les trois minuscules plantes sont encore là,
toujours aussi fragiles et malheureuses. Je me jure d'en cueillir une (peut-
être les trois?) avant de partir pour l'emmener avec moi pousser heureuse
aux Caraïbes.
Quand on nous ramène, une heure plus tard, Lucky Luke s'étonne:
«Mais vous êtes bleus! Allez vite vous réchauffer!»
12 h: Lucky Luke ouvre la porte pour le déjeuner:
«Ah, ça va mieux», pouffe-t-il. «Maintenant, vous êtes bleu clair! »
Tiens, ça me rappelle une histoire où il était question de rose et de noir ...
Mardi 11 février
6 h 45: Réveil.
J'ai été arrêté le 12 décembre, mais officiellement incarcéré le vendredi
13, jour de chance traditionnellement reconnu comme tel. Aujourd'hui, je
comparais devant la Chambre d'accusation, et c'est mardi gras! Pour réparer
sa dernière bévue, peut-être le sort me sera-t-il favorable ce coup-ci?
Départ pour le palais de justice.
Dans le Camion Aveugle, nous ne sommes que quatre. Une voiture de
police ouvre la route, actionnant de temps à autre son deux-tons. Mes
menottes sont trop serrées et me blessent le poignet gauche. Dans ma tête,
les cocotiers s'étiolent et le bleu de la Caraïbe pâlit.
Je vais à l'abattoir.
Dans la souricière, on m'affecte le cachot numéro cinq, qui fleure bon la
pisse, la merde et le tabac froid. Dame! Il est moins de huit heures, le
nettoyage n'a pas encore été fait. Pas grave: telles qu'elles sont, les bauges
sont bien assez bonnes pour le bétail qu'on y entasse.
On me sort dix minutes plus tard.
Aujourd'hui, les policiers chargés de l'accompagnement innovent: c'est
par quatre qu'ils nous attachent, file d'esclaves oscillant dans les couloirs,
trébuchant dans les escaliers mal éclairés et trop étroits. L'arrivée du trou-
peau de bêtes ne passe pas inapercue dans L'immense saLLe des pas perdus,
que nous traversons pour gagner un minuscule sas jouxtant La salle de la
B1
Chambre d'ac'. On nous laisse seuls. Deux de mes compagnons sont des
braqueurs, l'un un meurtrier et c'est Les mains toujours liées que, sans façons,
nous faisons connaissance.
1 ~J [}WIAPru-RJ DE Loïc LE RI BAULT?
«Parce que, parmi les centaines de gendarmes que j'ai formés, deux seuLe-
ment ont osé m'écrire pour m'apporter leur soutien quand mon labo a été
assassi né ! »
N°l ne dit rien, mais, intrigué, Gendarme N°2 L'interroge:
«Formés? Mais formés à quoi?»
«Oui, qu'est-ce qu'il vous a appris, notre collègue?», questionne,
intrigué, Assassin. «Il vous a fait école?»
«Exactement», dit W 1. «Il nous a enseigné la police scientifique.»
« Ah ça, La poLice scientifique, elle en a fait, des progrès, depuis dix
ans! », s'extasie Gendarme N°3.
«Ah oui, putain », gémit Assassin en soupirant. « C'est même à cause de
ça que je suis Là ... »
« Eh ben ça, tu vois, c'est grâce à Monsieur Le Ribault!», explique N° 1.
« Bordel! C'est pas ce que t'as fait de mieux!», dépLore Assassin en tour-
nant vers moi un œil accusateur.
«Je suis bien d'accord», approuvé-je. «Si tu savais comme je regrette! »
« Faute avouée est à moitié pardonnée », dit mon coLLègue. « Surtout que,
si j'ai bien compris, ils t'ont fait cocu, ces pourris?»
« Exact. .. »
«Tu vois, faut jamais faire confiance à ces trouducs ... »
« Miâââârcrgngngn », fait Jeunot, qui vient de retrouver son souffle.
«Ta gueuLe!», Lui intime N°l. Puis, se tournant vers moi, iL ajoute: «J'ai
Lu dans les journaux ce qui vous arrive maintenant. .. »
«Qu'est-ce qu'il y a? T'as encore fait le con? », demande Assassin.
Pressé par l'auditoire, je raconte ma dernière mésaventure. Là, c'est l'una-
nimité: tout le monde, inculpés, policiers et gendarmes, est révolté.
Personne ne comprend pourquoi je suis incarcéré. Sur cet échantillonnage de
population indubitablement pris au hasard, j'ai la réconfortance surprise de
constater que tous portent un jugement extrêmement sain sur l'affaire.
«Faut pas les laisser te détruire », décrète Assassin. «Même s'ils te
gardent au ballon, faut que tu gueules! Faut que tu foutes la merde!»
« Il a raison!», approuve le chœur des gendarmes, Jeunot compris.
«Au fait», demande Assassin, «c'est bien à Antigua que tu étais?»
«Oui. »
«Est-ce qu'au moins tu es allé prendre un verre chez Peter, dans son
hôtel? »
«Peter? »
«Ben oui, Peter, du Sand Haven!»
Clonk! Of
Je suis abasourdi!
Le monde qui m'entoure est irréel! C'est sûrement un coup de la Caméra
Invisible! Me voilà dans une minuscule salle du palais de justice de
Bordeaux, emprisonné sans raison, entouré de gendarmes venus de
Périgueux, assisté de mon avocat congolais, menotté à un jeune assassin
marocain, en train de raconter à un truand marseillais que j'ai vécu trois mois
à Antigua dans la chambre numéro onze de l'hôtel Sand Haven tenu par
l'Anglais Peter, comme chacun sait! ...
«Ah oui, la onze ... au premier étage à gauche ... », précise Assassin.
«C'est ça ... c'est ça ... »
C'est en excellents termes que nous nous quittons, tout le monde uni pour
me souhaiter bonne chance.
20 h: Pas de réponse de la Chambre d'accusation ... Reste? Reste pas? De
toute façon, si on a quelque chose à me dire, on sait malheureusement où
me trouver ...
Mercredi 12 février
14 h: Parloir. Une frêle
silhouette entre dans le box.
Surprise: c'est Laurence (Fig.
80), à laquelle Maguy a genti-
ment laissé la place aujourd'hui!
Ainsi, le juge a fini par lui
donner le permis de visite qu'elle
(et plusieurs autres) attendent
depuis deux mois! Joie des retro-
uvailles, depuis le temps que Fig. 80: Laurence et mon père à L'inauguration des
nous ne nous sommes pas vus! nouveaux bâtiments du C.A,R.M.E.
Mais que c'est bien court une
demi-heure pour résumer des
mois d'aventures!
Jeudi 13 février
Selon le New-York Times, la France vit dans un musée et s'affaisse. Il suffit
d'aller aujourd'hui à Londres ou à Berlin pour se rendre compte combien Paris
est devenu éventé et sans énergie. Le journal s'étonne notamment que les ~31
innovations technologiques (Internet, par exemple) qui ont si bien réussi
aux Etats-Unis demeurent presque inconnues en France, comme l'a lamenta-
blement démontré Chirac en découvrant voici à peine quelques semaines ...
l'usage de la souris d'ordinateur!
JO OUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT ?
13 h: Lucky Luke, qui prend son service, entre dire bonjour et demande si
je sais quand je vais être libéré. Au parloir, «on» dit que c'est pour tout à
l'heure.
15 h: Entrée de Grincheux. Nous sommes en train de nous abrutir de télé-
vision, Oscar moëlleusement allongé sur son lit, moi faisant nerveusement
les cent pas.
«Alors? C'est ce soir que tu fais ton paquetage?»
«J'en sais rien ... »
«Mais si, ça va être bon! Ton avocat a de l'espoir. Pourtant, hein, tu étais
bien, ici, avec nous?»
«Mmmmoui. .. mais je serai tout de même mieux à Antigua ... »
16 h 30: Retour de Grincheux.
«Alors? Pas de nouvelles?»
«Eh non!»
«Ah, merde!»
«Clonk! »
17 h: Heure limite d'autorisation de visite pour les avocats. Et toujours
rien ...
17 h 45: Pour me remonter le moral, sans rien me dire, les auxiliaires me
servent double ration de tartelettes aux poireaux.
20 h: Le Camion Aveugle rentre du palais, apparemment sans instructions
me concernant. Je suis flambé .. .
Vendredi 14 février
Jour de la Saint Valentin ...
9 h: Lucky Luke nous propose de prendre une douche. Quand j'arrive
devant la porte de la salle d'eau, Grincheux est assis sur son petit tabouret,
d'où il dirige les manœuvres du parloir. Il m'appelle, étonné:
«res toujours là?»
Il a l'air au moins aussi navré que moi et poursuit:
«rinquiète pas, va! Ici, au moins, t'es en sécurité. ras déjà vu la «une»
d'un journal avec un titre du style «un détenu écrasé par un camion fou dans
la cour d'une prison» ?
«Non, c'est sûr ... »
«Alors, va prendre ta douche tranquille! Sûrement qu'ils n'ont pas encore
fini de délibérer ... »
('est à quatorze heures, ce jour-là, tandis que j'écrivais ces derniers
mots, qu'on est venu me chercher pour aller au parloir.
Cl on k •' llJ Lr
lorsque je suis assis, Maguy, un grand sourire aux lèvres, m'affirme que je
suis libéré!
Coup de massue.
Je n'y crois pas ...
Grincheux, qui a tout entendu, s'approche et, au travers des grilles, me
félicite chaleureusement.
Je refuse de me réjouir. Je veux des preuves, des papiers, du sérieux. Je
ne veux pas de fausse joie: ça me tuerait plus sûrement qu'un coup de fusil.
Quand je reviens à la 124, AxoLotL, toujours impassible, me confirme
qu'aucune instruction écrite me concernant n'est parvenue au greffe.
Qu'est-ce que je disais! J'avais bien raison de ne pas me réjouir trop tôt!
Un quart d'heure plus tard, Grincheux est là:
«Alors, t'es prêt? T'as fait ton paquetage?»
«Non, pas tant que je n'aurai pas reçu de documen~ officiel!»
«Mais ton avocat est en bas! Il t'attend! »
«Rien à faire! Je veux des preuves!»
Je m'accroche aux barreaux de la fenêtre. C'est sûrement un piège. Je ne
veux pas quitter «ma» 124!
Oscar essaie de me convaincre. En vain.
lui et Grincheux décident alors d'employer les grands moyens: ils défont
mon lit et commencent à emballer mes affaires dans une des deux couver-
tures posées sur le sol.
Oscar ne peut pas être complice, tout de même!
Alors, je commence à y croire.
Vite, je donne à mon compagnon mes restes de cantine, le papier à lettre,
des timbres, des enveloppes. Et même deux paquets de Gitanes, à tout
hasard 167 • Je laisse aussi quelques cigarillos pour les auxiliaires.
La suite?
Juste des flashs dans ma mémoire.
Grincheux dévalant les escaliers avec moi, qui porte mon baluchon sur
l'épaule.
Une rapide poignée de main et un bonne chance!
Maitre Tc'hikaya qui m'attend au greffe, où l'on me rend toutes mes
affai res. El[
La galopade avec lui vers le poste de sortie.
--- -----
167. Ennemi déclaré du tabac, Oscar Les fumera pourtant toutes en attendant sa Libération, intervenue
seuLement un mois pLus tard.
JO rouI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
'------------------'---_. -r- -
'--__ __--i
J
Près de deux mois passent ...
... deux mois au cours desquels je dois réapprendre à vivre normalement,
à marcher, à affronter la foule.
Mon dentier et moi avons enfin fait connaissance. Notre cohabitation
s'annonce difficile: complètement déformées par deux mois et demi d'intérim
au cours desquels elles ont dû jouer tant bien que malle rôle de dents, mes
gencives torturées refusent catégoriquement de s'adapter à l'intrus.
De très rares ami(e)s ont survécu comme des diamants sur le tamis de mes
galères et m'aident de toute leur affection.
Deux mois pendant lesquels je vais enfin comprendre les raisons de la
persécution dont je suis l'objet.
LE RESSORT BRISE
Pendant deux mois, toutes les nuits, je rêve de prison, une prison pire
encore que la réalité.
D'ailleurs, je n'ai quitté ma prison que pour en découvrir une autre.
Car mon juge m'a réservé un cadeau à la mesure de sa mesquinerie:
comme un dangereux criminel, je suis astreint à un contrôle judiciaire! Dès
le lendemain de ma sortie de Gradignan, je dois remettre mon passeport à la
gendarmerie de Gujan, où je suis contraint d'aller « pointer» deux fois par
semaine. Il m'est non seulement interdit de rejoindre Antigua, mais même de
quitter la Gironde, interdit de rejoindre ma famille en Bretagne, interdit
d'aller sur la tombe de mes parents.
Ma cellule s'est élargie, sans doute, mais l'AquitaIne devient ma Bastille.
J'ai bien essayé de jouer le jeu, comme diraient certains huissiers arca-
chonnais . .
Je me suis même rendu à une convocation d'Alain R. le 27 mars 1997.
Ce jour-là, il est presque aimable et me remet enfin les pièces de mon
dossier qu'il m'avait promises le 16 décembre 1996. Fallait-il que je sois
libéré Ipour pouvoir me défendre? Il me demande aussi de lui fournir du
]0
1 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?
produit pour qu'il le fasse officiellement tester sur des affections choisies par
moi-même, et de lui indiquer les posologies à appliquer selon les cas!
En somme, il m'accorde soudain tout ce que je réclame en vain depuis
vingt ans '"
Je devrais être heureux.
Je suis désespéré.
Car ce qu'il me demande là, c'est - une fois de plus - de devoir me justi-
fier, de prouver que j'ai raison, alors que les agréments médicaux sont déjà
obtenus dans le Commonwealth, et que le Commonwealth vaut bien la
France.
Dois-je, comme Le cancre de la classe, m'échiner à rédiger une nouvelle
punition pour mon inquiétant maître d'écoLe, aLors que des dizaines de
voyous continuent à s'enrichir en vendant au grand jour des produits freLatés
et dangereux, sous L'œil bienveillant de la même «justice» qui me persé-
cute?
Car ils ont des clients, Les escrocs! ... Des clients qui, pour La pLupart, sont
mes anciens patients qui connaissent Le prix que j'ai payé pour avoir vouLu
Les souLager au risque de me perdre. Qui n'ignorent pas que leurs fournisseurs
actueLs m'ont tout volé.
Et qui s'en moquent.
Une scène me revient en mémoire: Le jour de décembre 1995 où la télé-
vision est venue pour m'interviewer, j'avais demandé à queLques patients qui
se trouvaient là de témoigner devant les caméras, en Leur expLiquant combien
c'était important pour moi, mais surtout pour des milliers de malades. L'un
d'eux, furieux, me répondit:
«Vous aider? Pour quoi faire? Je m'en fous, moi de vos histoires! Tout ce
qui m'intéresse, c'est d'avoir du produit!»
Et il m'avait tourné le dos.
Je venais tout juste, en dix minutes à peine, de faire disparaître Les
douleurs articulaires dont il souffrait depuis des années.
Sans doute avait-il raison.
Sans doute est-ce pour cela que, sur les milliers de patients traités par
mes soins, seuls une trentaine prirent la peine de m'écrire un mot pour me
réconforter dans ma celluLe ...
Rejeté par ce qui fut mon pays mais condamné à y errer sans fin, vaga-
bond sans bagage, hébergé chez ceux qui veulent encore bien de moi,
désœuvré, ruiné, qu'est-ce que j'attends ici? Attendre qui? Attendre quoi?
Mon procès? Nul ne sait quand il aura Lieu, ni même s'il aura lieu un jour ...
Et de quel droit la France jugerait-elle un chercheur dont La découverte est
France
reconnue ailleurs? Qu'ai-je encore à perdre dans ce pays vieilli qui se prend
toujours pour le nombril du monde, point minuscule à la surface du globe,
tache de Kaposi sur la peau d'une Europe en décomposition?
Rien ...
Je n'ai plus le courage de me battre.
VERITE EN VUE!
Apparemment, mon aventure n'a rien eu d'extraordinaire: tout a simple-
ment été mis en œuvre par la mafia médicale pour empêcher la diffusion
du G5 et mettre son inventeur hors d'état de nuire, comme beaucoup d'au-
tres.
C'est du moins ce que je pense en bouclant une nouvelle fois mes
bagages, prêt à repartir une nouvelle fois sans papiers en cette fin de mars
1997.
Et que je vais enfin comprendre les vraies raisons de l'incroyable achar-
nement dont je fais l'objet.
Car, le 4 avril, quelqu'un frappe à la porte de la maison dans laquelle je
suis hébergé.
Quelqu'un appartenant à une profession que j'espérais bien ne plus jamais
avoir à fréquenter.
Un juge d'instruction!
o[QUIA~ DE Loïc LE RIBAULT?
L'INIMAGINABLE
Un juge avec un gros dossier sous le bras. Il s'appelle Pascal Chapart.
Alors que je suis sous contrôle judiciaire et huit fois inculpé, il est venu
tout spécialement de Châlons sur Marne pour me nommer surexpert dans une
affaire très médiatique, celle dite des «Disparus de Mourmelon»!
Les gendarmes ont toutefois saisi une pelle dans son véhicule, et se
demandent si celle-ci, elle, pourrait «parler».
Car ils se souviennent de la découverte du cadavre d'O'Keeffe un an plus
tôt, et du fait que le cadavre était vêtu de ses effets personnels, à l'excep-
tion du slip, de fabrication française et de taille 38-40 alors que la sienne
était 30-32. Or, Chanal porte des slips de taille 38-40.
Existe-t-il un lien entre la mort d'O'Keeffe et la pelle de Chanal?
L'analyse de la terre présente sur la pelle pliante devrait permettre de
résoudre le problème.
Octobre 1988: Elisabeth Mescart, juge d'instruction, nomme le
C.A.R.M.E. comme expert. La mission qui m'est donnée est d'effectuer par
exoscopie des analyses de comparaison entre la terre prélevée sur la pelle de
Chanal (qui fait l'objet du «scellé n° 19») et celle de l'endroit où a été
découvert le cadavre d'O'Keeffe.
Auparavant, la juge me demande d'effectuer des prélèvements systéma-
tiques et minutieux à l'intérieur du combi de Chanal. En compagnie d'un de
mes ingénieurs (Robert Gatelier), je me rends à Mâcon les 21 et 22 octobre
pour m'acquitter de cette mission. Outre Pierre Chanal, menotté, il y a là
beaucoup de monde: des gendarmes, le procureur de La République, la juge
d'instruction, etc. Pendant les deux jours, tout ce beau monde me regarde
travailler avec Gatelier. A l'exception de Jean-Marie Tarbes, qui restera en
charge du dossier Chanal pendant quinze ans 168 , pas un seul gendarme ne
participe aux prélèvements. Je ne les avais pas encore suffisamment formés
pour qu'on puisse se hasarder à Les laisser rechercher des indices dans une
affaire aussi sensible.
Parmi l'abondante moisson d'échantillons de toute sorte que je récolte se
trouvent des centaines d'élément pileux, dont vingt-sept cheveux paraissant
très différents les uns des autres à l'œil nu. Ils font donc l'objet de vingt-
sept scellés séparés, que j'emporte au C.A.R.M.E. pour analyse, la juge me
demandant par ordonnance de comparer d'une part ces cheveux entre eux, et
d'autre part avec ceux de ChanaL
Deux mois plus tard, je donne mes conclusions: certains cheveux ne
présentant pas Urt degré de confiance suffisant pour une identification ont
été exclus de l'analyse. Mais six cheveux sont différents les uns des autres,
et n'appartiennent pas à Chanal: ils témoignent donc de la présence de six
individus dans le véhicule de Chanal. Quant à l'étude des poils pubiens, elle
permet de déterminer la présence de quatre individus.
Décembre 1988: je rends mes conclusions: l'exoscopie des quartz montre
que les terres analysées sont identiques. Autrement dit, la pelle de Chanal
168. Jean-Marie Tarbes a pubLié un Livre passionnant qui retrace ses quinze années d'enquête: Sur La piste
du tueur de MourmeLon, éditions Michel Lafon, 2003.
]0~~ DE Lo ï c LE RI BAULT?
169. le rapport complet peut être consulté sur mon site internet www.loic-Le-ribault.ch (rubrique « Affaire
Chanal»).
170. « Dl» « De coninck & lancelin ».
lO 1 QUI A PEU RI DE Loïc LE RIBAULT?
EURÊKA! ...
Je viens de comprendre enfin les véritables raisons de l'acharnement dont
je fais l'objet; surtout, j'en connais maintenant les auteurs.
Les vrais!
Bien sûr, l'ordre des médecins et celui des pharmaciens ont porté plainte
contre moi. Il n'avaient pas le choix: je les avais délibérément mis au pied
du mur. Mais en réalité, ils s'en moquent, du G5. Leur expérience leur prouve
que jamais un inventeur indépendant n'a réussi à faire agréer seul une
nouvelle molécule révolutionnaire à usage thérapeutique. Le fait que je
prétende vouloir être Le premier leur paraît une pLaisanterie, même si je sais
que je vais gagner.
Mais c'est pour la police et La gendarmerie que je représente un
danger réel!
Nous avons vu comment celles-ci avaient programmé la destruction de
mon laboratoire, puis mon élimination avec la complicité de la magistrature.
En 1995, j'ai donc disparu de la scène publique depuis trois ans.
Désormais tranquilles, débarrassées du trublion, assurées que je ne me
remettrai jamais des coups portés, la police et la gendarmerie font paisible-
ment écrire leur version du renouveau de la P.T.S. par des nègres de service.
Or, subitement, en octobre de cette année-là, je réapparais à grand bruit
avec mon G5. Et tout le monde comprend que je ne bluffe pas: cette décou-
verte est une grande découverte!
Une de celles dont on parle.
Peut-être même dans le monde entier.
Le ministère de l'Intérieur tout comme la D.G.G.N. savent que, revenu sur
le devant de la scène, je ne manquerai pas une occasion de mettre sur le
tapis, preuves à l'appui,' le scandale de l'assassinat du C.A.R.M.E. Ils savent
que cette histoire m'est restée sur le cœur, et que j'ai des comptes à régler.
Le G5 et mes déclarations provoquantes tombent à pic et vont servir les
objectifs des directions respectives de La police et de la gendarmerie qui,
fidèles à leur tradition de lâcheté, vont pouvoir agir par porte-couteau inter-
posés: l'ordre des médecins et la D. D.A.S.S., cette dernière agissant au nom
de l'ordre des pharmaciens.
Plainte est donc officiellement déposée par ces deux organismes, mais le
ministère de l'Intérieur et la D.G.G.N. suivent l'affaire de très près. En réalité,
ce sont eux qui la gèrent avec la complicité du ministère de la Justice pour
aboutir enfin à mon élimination définitive en salissant mon image.
Car, par dessus tout, le ministère de l'Intérieur craignait que je ne
découvre un jour et surtout ne publie les preuves écrites des truquages
d'expertises dont ses experts, sur son ordre, s'étaient rendus coupables!
France ~Ol
En vérité, jusque là, il Y avait peu de risques: il aurait fallu que j'aie un
de ces dossiers falsifiés entre les mains, et que je sois nommé expert. Or, la
disparition du C.A.R.M. E. avait entraîné ma radiation automatique de ce
titre.
Le ministère avait simplement oublié un détail: un juge a le pouvoir de
nommer expert, pour une mission déterminée, un spécialiste réputé, même
s'il n'est pas inscrit à une Cour d'appel et à condition qu'aucun expert de son
niveau ne soit officiellement enregistré dans la disci pli ne en question.
Mieux: cette nomination serait légale même si le spécialiste choisi était en
prison, à condition que les faits ayant motivé son incarcération n'entachent
pas sa réputation scientifique!
Or, le 4 avril, je ne suis même plus incarcéré, mais simplement sous
contrôle judiciaire, et incontestablement le meilleur spécialiste de l'exos-
copie, puisque j'en suis l'inventeur.
Juste retour des choses: grâce à mes travaux sur les grains de sable, je
deviens le grain de sable qui risque d'enrayer toutes les laborieuses escro-
queries intellectuelles et scientifiques de la police et de la gendarmerie.
Malgré leurs machinations, les sommes colossales englouties pour copier
ce que j'offrais gracieusement, la diffamation à mon égard, la corruption, le
plagiat, l'usurpation de mon identité, la censure, les faux témoignages, la
contrefaçon de mes brevets, les infractions multiples au code de procédure
pénale, les pressions sur les magistrats, l'emprisonnement arbitraire, la colla-
boration de certains journalistes et écrivains marrons, la falsification de
preuves, d'indices et de documents, et même le truquage de dossiers crimi-
nels, oui, malgré cette fabuleuse énergie gaspillée pour m'éliminer, le minis-
tère de l'Intérieur et la gendarmerie se retrouvent à la case départ en avril
1997, et ce à cause de l'initiative courageuse d'un jeune juge d'instruction.
Pire: j'ai désormais en mains les preuves accablantes de leur corruption!
Maintenant, il faut m'empêcher de parler, et surtout de publier mon
rapport de surexpertise.
A tout prix.
Est-ce vraiment un hasard si, quatre jours plus tard, la police revient pour
m'arrêter sous un nouveau chef d'inculpation bidon: celui du vol d'un tableau
de maître?
J'ai, heureusement, été averti quelques heures plus tôt par un ami poli-
cier, et juste eu le temps de m'enfuir.
---, 1 JJ j
ri :-[ ~_J Il ~= l ·-,i·~-
l.~-'----f--; 1 1
1 L; Li
o _ _ _ J!
Belgique J
chargeaient pour lui. Quelques années plus tôt, la vente de l'affaire lui ayant
rapporté une fortune colossale, il avait décidé de faire prospérer celle-ci
grâce à des placements qu'il jugeait astucieux. En quelques années, les
milliards avaient fondu comme neige aux Caraïbes, engloutis dans des mines
d'or inexistantes et des puits de pétrole asséchés tous situés comme par
hasard dans les pays les plus corrompus du monde.
Je l'avais connu au temps de sa splendeur, sa moindre erreur ayant
consisté à investir 150 000 € dans le C.A.R.M.E. en échange de 50 % de mes
parts. Malheureusement, cet investissement s'était produit au moment précis
où le laboratoire glissait au bord du gouffre. IL avait donc perdu sa mise,
celle-ci ne représentant d'ailleurs qu'une goutte d'eau dans l'océan de ses
investissements malheureux, et nous étions restés amis.
Maintenant, âgé d'une soixantaine d'années, Jacques est un milliardaire
ruiné. Ruiné au point d'avoir - au sens propre du terme - du mal à manger
tous les jours. IL cache dignement sa déchéance dans sa gigantesque maison,
vestige de sa splendeur, totalement isolée au bout d'un chemin de terre de
plusieurs kilomètres de long.
Dès mon arrivée, il ne me cache pas que le silicium organique représente
pour lui le dernier espoir de s'en sortir. Car il connaît le produit: depuis 1986,
il a entre les mains le dossier complet du G4 et, depuis onze ans, je lui
demande d'utiliser ses relations pour diffuser le produit et obtenir son auto-
risation de mise sur le marché. Mais Jacques ne s'en est jamais occupé. Pour
une simple et mauvaise raison: il ny croyait pas! Maintenant, confronté aux
évidences, il y croit enfin! Pas au G4, .non, toujours pas, mais au G5: mon
aventure est à ses yeux la preuve que ma découverte est d'importance. En
vertu de quoi il accepte enfin de se mettre au travaiL
Ou plutôt il me met au travail devant son ordinateur, déclarant réserver
son énergie pour la diffusion du G5 quand j'aurai fini les tâches techniques
qui sont de mon ressort.
Je commence aussitôt.
Jacques, lui, émerge chaque jour de sa chambre sur le coup de midi pour
le déjeuner puis, alors que je reprends le coLLier, part réfléchir à notre avenir
dans la forêt en compagnie de ses deux chats qui le suivent comme des
chiens. IL réapparaît vers dix-sept heures, s'assied à son bureau et entame sa
journée de travail, exclusivement constituée d'une multitude d'interminables
coups de téléphone passés dans le monde entier pour tenter de récupérer son
argent, s'étonner que sa concession minière en Afrique du Sud soit la seule
à ne pas produire un carat de diamant, s'offusquer de la chute du cours de
l'or, s'enquérir de sa ·plate-forme de forage pétrolier mystérieusement
disparue au Nigéria, se réjouir de l'arrivée prochaine des millions de dollars
qu'on lui promet semaine après semaine depuis quatre ans, s'étonner que la
Belgique 0
dernière adresse connue de son nouveau conseiller financier soit un musée
espagnol consacré aux courses de taureau et fermé depuis six mois, s'effon-
drer en apprenant que l'équipe de foot-baU qu'il a sponsorisée à prix d'or ait
subi sa cinquantième défaite en un an, et s'insurger quand le responsable de
l'équipe lui demande une petite rallonge 17l •
Le téléphone tient une telle importance dans la vie de Jacques qu'il a
littéralement truffé sa maison de combinés et fait installer dans son bureau
un imposant standard téléphonique.
Vers une heure du matin, épuisé et démoralisé, Jacques monte enfin se
coucher en promettant de s'occuper du G5 le lendemain.
Dans l'immense demeure, l'ambiance est malsaine, oppressante, pesante
comme une chape de plomb, car le manque de communication entre les
membres de la famille est permanent et les heurts incessants.
J'étouffe comme dans une serre et me réfugie dans le travail.
Généralement réveillé vers cinq heures du matin, je prends mon petit
déjeuner face à la rivière où pêche toujours le même héron hiératique, et
observe les ébats des loutres et des canards. Puis je m'installe devant l'ordi-
nateur, que je ne quitterai que vers minuit, exception faite des repas pris en
compagnie de l'épouse et des deux fils de Jacques, généralement dans un
silence irrespirable.
A ce régime, j'abats un travail considérable: en deux mois à peine, j'ai
peaufiné la brochure sur le G5 que j'avais rédigée en prison, écrit (en fran-
çais et en flamand) les notices d'utilisation du produit, réalisé les étiquettes
et les bons de commande, fini la première version du Prix d'une découverte,
presque achevé Micropolis et, pour me détendre, entamé le récit de quelques
histoires criminelles invraisemblables mais vraies que je songe intituler Les
coulisses du crime.
Peu après mon arrivée, je fais la connaissance de la femme qui entretient
la maison de Jacques. Il est sept heures du matin et toute la famille dort;
comme la malheureuse arbore des pansements aux poignets, je ne peux
m'empêcher de lui demander ce qui ne va pas. Elle m'explique qu'elle souffre
depuis des semaines d'une tendinite dont elle ne peut se débarrasser, mais
une heure plus tard frétille comme un gardon grâce à une application de G5.
Mis au courant dès son réveil, à midi, Jacques déclare qu'à son avis cette 13531
personne et son mari seraient nos agents idéaux pour le Bénélux. Informé,
le couple accepte avec enthousiasme.
UN CHIEN MODELE
Quelques jours plus tard, Lydie, une amie, me fait un magnifique cadeau:
profitant d'un voyage en France (elle habite en Suisse), elle me ramène Ix-
Le-Chien! On se fait une fête endiablée, bien décidés à ne plus jamais nous
quitter. La maison est assez grande pour nous héberger tous deux.
Mais Jacques ne l'entend pas de cette oreille: il craint pour ses chats, sur
lesquels - il faut l'avouer - Ix-le-Chien jette un œil gourmand en se
léchant les babines.
Le cœur serré, je le vois donc repartir avec Lydie qui, en une seconde, a
décidé de l'adopter. Pour éviter tout problème, j'ai remis à celle-ci un docu-
ment dans lequel je déclare officiellement lui avoir fait cadeau de mon
chien.
C'est sans problème que tous deux franchissent la frontière suisse, aussi
facilement qu'ils avaient franchi celle entre la France et la Belgique.
Mais j'ai oublié de prévenir mon amie qu'Ix-Le-Chien possède un talent
rare: celui d'ouvrir les portes en les tirant vers lui à l'aide de ses deux pattes.
Et ce qui devait arriver arrive: Ix-Le-Chien, s'ennuyant un jour où Lydie est
au travail, ouvre tranquillement la porte de L'appartement et s'en va visiter
Genève. Or, les chiens suisses ont l'obligation de porter une médaille d'iden-
tité. Ix-le-Chien en étant dépourvu, c'est en qualité de canidé errant qu'il est
capturé en pLein centre ville par la fourrière helvétique. Heureusement, il a
été tatoué en France Lors d'une fugue précédente. Les employés de la four-
rière genevoise téléphonent donc au service français chargé de centraliser les
informations sur les chiens matriculés, qui leur indique évidemment mon nom
et l'adresse qui était la mienne en 1996. Les fourriéristes découvrant ensuite
que je n'habite plus à l'adresse en question téléphonent logiquement à ... la
gendarmerie de Gujan-Mestras pour obtenir mes nouvelles coordonnées. La
conversation est à peu près la suivante:
Le fourriénste (accent suisse) : Voilà, m'sieur l'agent: on a trouvé un chien
français perdu à G'nève ...
Le gendarme gujanais (accent du sud-ouest): Oui, et alors?
F: Alors, son propriétaire habitait Gujan-Mestras, mais il a déménagé, et
on aimerait connaître sa nouvelle adresse.
G: Comment il s'appelle?
F: M'sieur Le Ribault.
G: Vous dites?
F: M'sieur Le Ribault!
G: Ben ... euh ... nous aussi, on le cherche!
F: Le chien?
Belgique nr
_L
G: Non, le Ribault!
F: Ben, nous, on a le chien .. .
G: C'est déjà quelque chose ... Et vous l'avez trouvé où, vous dites?
F: A G'nève.
G: la Suisse! On aurait dû s'en douter! Alors, comme ça, il est à Genève?
F: Oui. A la fourrière.
G: Mais non! Pas le chien! le Ribault!
F: Ah, le Ribault, je ne sais pas. C'est pour ça que je vous demande son
adresse, notez bien ...
G: Mais je ne la connais pas, son adresse! Personne ne la connaît, son
adresse! Enfin, maintenant, au moins, on sait qu'il est à Genève ...
F: Oui. A la fourrière.
G: Mais non! Pas le chien! le Ribault!
F: Mais j'en sais rien, moi! Peut-être qu'il va venir à la fourrière chercher
son chien?
G: Ah, mais oui, peut-être bien! Dites ...
F: Oui?
G: ... s'il vient chercher son chien ...
F: Oui?
G: ... si vous pouviez le retenir quelque temps ...
F: le chien?
G: Non! le Ribault ...
F: Ah ça, non. On n'a pas le droit de retenir les gens. Seulement les
chiens ...
G: Oui, oui, je comprends ... Mais si vous pouviez juste lui demander son
adresse en Suisse ... comme ça ... par curiosité ... et puis nous la communi-
quer ... ce serait bien aimable de votre part ...
Malheureusement pour le limier gujanais, ce n'est pas moi mais une Lydie
essoufflée qui, ayant constaté la disparition d'Ix-le-Chien, se présente à la
fourrière pour récupérer son bien en brandissant ma lettre de cession.
Quelques jours plus tard, Ix devient un chien suisse officiel, arborant au
collier sa médaille d'identité toute neuve.
Il a réussi, lui, là où moi j'échoue depuis plus de deux ans: obtenir une
nouvelle nationalité!
-~ U QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
LE GRENIER
Les agents viennent de recevoir leur livraison de G5.
Disposant désormais d'une réserve de produit j'ouvre aussitôt une boîte
postale et le 16 mai, adresse un courrier à une cinquantaine de patients en
leur indiquant mes nouvelles coordonnées. C'est un succès immédiat:
presque tous me passent une commande dans les jours qui suivent. Je suis
heureux: mes patients ne m'ont pas oublié!
Aussitôt, je prépare un nouvel envoi de cinq cents lettres et les confie à
Jacques pour les poster.
Et j'attends.
Surprise: quinze jours plus tard, ce second envoi n'est pas honoré d'une
seule réponse.
Que se passe-t-il?
Heureusement, les agents se débrouillent fort bien. Grâce à quelques
guérisons spectaculaires et aux consultations que je donne de temps à autre,
le G5 explose littéralement en Belgique. En un mois, mes agents m'ont
rapporté 4 500 € de royalties que je remets à Jacques: c'est un ami sûr,
n'est-ce pas, et, compte tenu de ma situation, je ne tiens pas à avoir de l'ar-
gent sur moi. Il est entendu qu'il me le rendra dès que je partirai pour les
Caraïbes, déduction faite du prix correspondant à mes cigarettes et à ma
pension.
Le 21 juillet je pars faire des courses en ville avec un des fils de Jacques.
Revenant les bras chargés de paquets, j'ouvre le coffre de la voiture pour y
déposer mes emplettes.
Stupeur!
Mes cinq cents lettres sont là!
Interrogé, le fils de Jacques m'avoue que son père lui a interdit de poster
mon courrier.
A notre retour, alors que, fulminant de colère, je lui demande des expli-
cations, Jacques m'avoue qu'estimant finalement que le G5 n'avait aucun
avenir et que je risquais d'être arrêté d'un instant à l'autre, il avait jugé
préférable de conserver l'argent des timbres pour l'entretien de la maison. Il
ajoute que la somme que je lui ai remise correspond au prix de ma pension,
que par conséquent il ne me doit rien, et que si j'insiste pour la récupérer, il
me dénoncera à la police belge.
EJ Je décide de partir immédiatement.
Sans tarder, j'appelle un couple d'amis qui avaient offert de m'héberger,
et leur explique la situation. Ils décident de venir me chercher aussitôt.
Une heure plus tard, ils sont là et m'emmènent.
Belgique O[
Il était temps: depuis son standard, Jacques venait de couper toutes les
lignes téléphoniques de la maison, isolant celle-ci du monde des vivants.
Sans doute avait-il l'intention de me garder prisonnier à vie pour s'assurer
une rente confortable.
C'est chez ces amis - ces vrais amis - que je vais habiter jusqu'au mois
de septembre, caché dans un grenier qu'ils m'ont aménagé en confortable
bureau-chambre à coucher, d'où je ne descends qu'aux heures des repas.
Lorsqu'ils ont des invités à déjeuner ou à dîner, ils m'apportent un plateau-
repas dans le grenier où, équipé de chaussons, je prends bien garde de ne
pas faire de bruit: la salle à manger est juste sous la pièce que j'occupe.
Toutes les semaines, ils se rendent chez mes agents, qui leur remettent
scrupuleusement le montant de mes royalties; j'ai bientôt de quoi m'offrir
l'ordinateur portable d'occasion dont je rêve depuis longtemps. Je le baptise
Arthur.
C'est également eux qui me procurent au mois d'août une magnifique
carte d'identité Luxembourgeoise, dont le propriétaire me ressemble comme
un frère; le seul problème est qu'il porte des moustaches. Je commence donc
à Laisser pousser La mienne. Cette carte est établie au nom de Ludwig Van
Vreijheit que, pour des raisons de facilité, je décide d'appeler familièrement
« VV ».
Je possède désormais des agents au Bénélux, quelques économies, une
carte d'identité et un ordinateur.
C'est le début de la reconstruction.
Je n'ai plus rien à faire en Belgique, dans laquelle je commence d'ailleurs
à me sentir mal à l'aise. Une impression désagréable, sans réelle justification,
si ce n'est que je con nais les relations étroites qui lient Les polices française
et belge, cette dernière n'ayant semble-t-il rien à refuser à celle du «grand»
(par la taille) pays voisin.
Je décide de partir semer aiLleurs la bonne parole, ou plutôt le G5.
D
Jersey
MA BATAILLE D'ANGLETERRE
Depuis longtemps, j'ai envie de rejoindre Jersey, où vit Aimée Lamy, la
meilleure amie de ma mère durant près de soixante-quinze ans, si proche de
nous que mes parents considéraient sa famille et elle-même comme partie
intégrante de la nôtre. Et puis Jersey est une petite île, trois fois plus petite
qu'Antigua, et les petites îles, maintenant, chantent à mon cœur ... (Fig.81)
Mais un tel voyage me
contraint à franchir trois fron-
tières, ce qui présente toujours
un certain risque quand les
seules pleces d'identité
authentiques dont on dispose
sont un permis de conduire de
1966, une carte d'identité de
1971, un permis de chasse de
1983 et un certificat interna-
tional de vaccination de 1992.
J'ai également, bien sûr, mon
billet de sortie de la prison de
Gradignan, pièce on ne peut
plus officielle que je conserve
jalousement mais que ma
modestie m'interdit d'exhiber.
A part ça, je possède le passe-
port de Maman (1996) et la
carte d'identité de VV. Fig. 81: Location of Jersey.
Début septembre, alors que je regarde la télévision chez mes hôtes, j'ap-
prends le décès de la princesse Diana.
Ce drame est peut-être pour moi l'occasion d'arriver sans trop de risques
à Jersey! 359
Je pars en effet du principe qu'au moment précis des obsèques, aussi bien
les policiers que les douaniers, dans les aéroports, seront plus occupés à
suivre derrière leurs guichets le reportage des obsèques à la radio ou à la
télévision qu'à contrôler les rares voyageurs sevrés de désespoir collectif.
- ~ [iïi.~ A pG!J DE Loïc LE RIBAULT?
LE PROFIL BAS
Trois mois durant, jusqu'en décembre, j'adopte un profil bas.
Perché sur mon tabouret du bar, je vois passer des centaines de Jersiais
affligés de rhumatismes et de problèmes articulaires sérieux (le climat ici est
si humide ... ), mais je ne bouge pas le petit doigt pour les soigner:
Alternativement moi-même, VV ou André selon les interlocuteurs, je suis un
écrivain travaillant nuit et jour dans sa chambre du Dolphin Hotel, et seule-
ment un écrivain. La santé d'autrui ne me concerne pas.
J'en profite pour visiter l'île, sur laquelle je n'étais pas revenu depuis ...
quarante-cinq ans. A l'époque, mes parents et moi séjournions en vacances
chez Aimée, et nous nous étions rendus à la célèbre Bataille des Fleurs, orga-
nisée tous les étés à Jersey. Profitant d'un moment d'inattention de mes
parents, je m'étais perdu dans la foule, et c'est au poste de police que mon
père m'avait récupéré devant un grand verre de limonade offert par les poli-
cemen.
En 1997, je ne souhaite qu'une chose: que les policiers ne me retrouvent
surtout pas, car je ne suis pas certain que cette fois ils m'offriraient un verre.
Etrangement, je garde un souvenir très précis de cette période bien éloi-
gnée de mon enfance, de la couleur des bus de l'époque (vert et crème), des
endroits où nous allions nous promener, de La maison que nous habitions, des 1363 1
paysages et de l'immense gentillesse des habitants.
En surface, Jersey demeure inchangée. C'est toujours une He magnifique,
aux maisons de pierre immaculées semées dans la campagne fleurie, où tout
semble permis à condition de ne pas déranger autrui.
:i 1 QUI_~ PEURI DE Loïc LE RIBAULT?
Mais le patois anglo-normand que les vieux Jersiais parlaient voici trente
ans a presque totalement disparu au profit de l'anglais. Les coutumes
féodales sont toujours en vigueur, l'île ne fait pas partie de l'Europe et jouit
d'un gouvernement indépendant, mais le Dieu Argent étend partout ses
griffes. C'est sans doute ce qui explique les fabuleuses réserves d'argent qui
s'entassent dans les coffres des nombreuses banques du pays où, dit-on, on
compte une RoiLs Royee pour cent habitants.
Hormis les banques et le tourisme classique, Jersey bénéficie d'une source
de profits originale: les blockhaus allemands de la seconde guerre mondiale.
Les îles anglo-normandes, en effet, furent les seuls territoires britanniques à
être occupés par les troupes du Troisième Reich, et les côtes de Jersey regor-
gent littéralement de bunkers de toutes tailles amoureusement entretenus et
restaurés avec soin. Peut-être même parfois plus que rénovés, puisque de
nouveaùx blockhaus semblent pousser encore de nos jours. Il faut dire qu'en
ce domaine la concurrence est impitoyable entre les îles; tandis que Jersey
s'enorgueillit de posséder «le plus grand hôpital souterrain allemand
d'Europe», l'île voisine de Guernesey, elle, se vante d'avoir «Le plus grand
hôpital souterrain allemand des Îles angLo-normandes»! Laquelle ment? Peu
importe: cette débauche de béton militaire attire une foule de touristes,
notamment des Allemands venus admirer le travail de leurs grands bâtisseurs
de papas.
Jersey est donc devenue une place financière. D'ailleurs, il est loin, le
temps où les Français venaient en bateau faire leurs courses à Jersey, parce
que tout y était moins cher: aujourd'hui, ce sont les Jersiais qui viennent en
France faire leurs emplettes ...
Moi, je suis encore loin d'intéresser les banquiers de l'île: toutes les
semaines, expédiées en liquide par courrier recommandé, me parviennent les
royalties envoyées par mes agents belges. Ce n'est pas énorme, loin de là,
mais suffisant pour vivre à l'hôtel.
LE CONNETABLE
Comme je suis à cette époque le seul client de l'hôtel, je bavarde souvent
avec Avelino, son manager, qui connaît maintenant mon histoire et aurait
bien envie de tester le G5, aux vertus duquel il a tout de même du mal à
croire. Je lui en offre quelques bouteilles qu'il teste sur lui-même et
I,~ quelques-uns de ses proches, et Avelino est conquis. Il me propose alors de
me faire rencontrer Frank Amy, un des douze Connétables de l'île, qui souffre
depuis des années de terribles douleurs dorsales. Avelino pense que si je
guérissais Frank Amy, celui-ci pourrait m'aider à résoudre beaucoup de mes
propres problèmes. En effet, les Connétables sont parmi les personnages les
Jersey ~
HISTOIRE BELGE
Décembre commence par une catastrophe.
Pour accélérer les expéditions de GS, mes agents belges se rendent
plusieurs fois par semaine à la poste de Givet, petite ville située à quatre
kilomètres de la frontière avec la France. Mais du mauvais côté: du côté fran-
çais.
Les postiers, ravis, voient le chiffre d'affaires de la petite poste augmenter
en flèche, d'autant que les expéditions sont effectuées dans des paquets
Diligo pré-affranchis et payés d'avance.
On n'a jamais expédié autant de courrier depuis Givet.
Intrigué, un des postiers demande à mes agents ce qu'ils envoient ainsi,
et les malheureux lui donnent un exemplaire de la brochure «Le G5 -
Historique et applications thérapeutiques», dans laquelle figure un résumé de
mes mésaventures.
Or, ce postier est un fonctionnaire zélé, du style de ceux grâce auxquels,
pendant la seconde guerre mondiale, la police et la gendarmerie françaises
purent s'enorgueillir de tant d'arrestations de Juifs et de résistants pour le
compte de leurs maitres respectés du moment: les nazis.
Le postier, donc, court informer la police qu'un dangereux criminel évadé
vient plusieurs fois par semaine au bureau de Givet pour procéder à ses expé-
ditions illicites.
Jersey ~ 0r
Interrogé, il donne une description précise de l'agent qui, par hasard, me
ressemble vaguement.
Persuadé qu'il s'agit de moi, le S.R.P.J. envoie ses limiers en planque dans
la poste de Givet, où ils restent à l'affût derrière les comptoirs plusieurs jours
durant, guettant leur gibier.
Jusqu'au 2 décembre.
Ce jour-là, mon malheureux agent voit fondre sur lui le bras séculier de la
justice sous les traits de plusieurs inspecteurs qui, persuadés de me tenir, lui
passent illico les menottes, l'embarquent et le placent en garde à vue.
Découvrant qu'il ne s'agit pas de moi, la police essaie de Lui extorquer mon
adresse. Avant de partir, j'avais prévenu mon agent qu'en cas d'arrestation il
pouvait raconter ce qu'il voulait, y compris La vérité, puisque de toute façon
je serai hors de portée des griffes de La police française. Il indique donc sans
se faire prier plusieurs des adresses auxquelles il m'écrivait, notamment à
Guernesey, à Jersey et ... en Dominique. Mais lui-même ignore une chose: je
n'habite à aucune de ceLles-ci, le courrier ne me parvenant qu'en fin de
parcours à une adresse réelle connue seulement de deux amis vivant à
l'étranger, simples intermédiaires chargés de collecter le courrier pour moi
avant de me le réexpédier sous un autre nom.
Trente heures plus tard, mon agent est relâché. Malheureusement, tous
ses colis ont été saisis.
Quinze jours après, le 18 décembre 1997, la police belge essaie de réparer
le fiasco du S.R.P.J. français et débarque au domicile de mes agents, saisit
le stock de produit, des documents, et le disque dur de leur ordinateur,
pensant y trouver la liste des patients. Ils perquisitionnent aussi soigneuse-
ment la maison en espérant m'y trouver, allant jusqu'à fouiller sous les lits.
En vain: à ce moment précis, je contemple haineusement les côtes de France
du haut du rocher où Victor Hugo pratiquait le même passe-temps.
Cette offensive policière a trois conséquences immédiates.
La première, l'inculpation de mes amis par un juge de Neufchateau nommé
Connerotte qui, semble-t-il, instruit toujours cette grave affaire à l'heure où
j'écris ces lignes.
La seconde, l'interruption brutale de l'envoi des royalties grâce auxquelles
je survis.
La troisième est un crime contre les Droits de l'Homme.
Car depuis cette date, sur ordre du nommé Connerotte, la police munici-
pale (autrement dit les gardes champêtres!) de la commune de Libin relève
mon courrier tous les jours, en infraction flagrante avec l'article n° 8 de la
Convention européenne des Droits de l'Homme, les règles internationales
régissant le secret médical et le droit de chaque être humain à choisir les
thérapies qui lui conviennent!
] 01 QUI A PEUR , DE Loïc LE RIBAULT?
172. Parfaitement authentique, et je pourrais raconter des dizaines d'histoires comme ceLLe-là.
Jersey 0[
En conséquence, la réponse des enquêteurs aux médecins qui ont porté
plainte contre moi est très claire: de quel droit peut-on empêcher d'exercer
un thérapeute qui traite gratuitement les gens et, non content de leur faire
ce cadeau, les guérit en plus?
Belle preuve que Jersey est une authentique démocratie.
Ce sont donc uniquement les royalties qui, comme d'habitude, me font
vivre, et c'est bien suffisant.
L'IMAGE DU SIECLE
Pendant que je m'acharne ainsi contre vents et marées dans mon combat
pour le G5 et le droit des Français au libre choix thérapeutique, des millions
d'entre eux, les yeux rivés sur leur petit écran, se passionnent pour un enjeu
autrement plus important: la Coupe du monde de foot-ball. Et j'ai beau prier
tous les dieux que je connais et ceux que j'ignore pour que la France prenne
une pâtée mémorable, je ne suis pas exaucé: elle gagne la Coupe!
Furieux et désolé, je rembarre verteme~t mes patients qui ont l'outrecui-
dance de me féliciter. Mes amis et les employés de l'hôtel, eux, se gardent
bien d'aborder le sujet en ma présence.
En décembre 1999, L'Express publie un numéro spécial intitulé L'album du
siècle, qui illustre parfaitement le niveau· de débilité terrifiant auquel la civi-
lisation occidentale est parvenue: sur les cent cinquante pbotographies
sélectionnées censées représenter les évènements marquants du siècle, on en
trouve en effet une consacrée à la Coupe du monde. Sa mise en page elle-
même traduit l'inversion des valeurs: d'un format de 14,5 cm sur 21 cm, elle
surplombe un autre cliché plus petit (11,5 cm x 15,5 cm) intitulé Famine au
Soudan, qui représente un homme décharné mourant de faim par terre.
Abominable illustration d'une civilisation qui a perdu tout respect d'elle-
même et des autres. Quant au commentaire, il me donne la nausée:
«Ils l'ont fait! ( .. .) Frayeur contre le Paraguay, suspense contre l'Italie,
angoisse contre la Croatie, apothéose face au Brésil: la France est championne
du monde! (. .. ) c'est une certaine idée de la nation qui a fleuri en tricolore,
et une certaine idée de la République qui a triomphé, de tolérance et d'inté-
gration, d'exceptionnelle et invincible égalité.»
Fermez le ban.
Que dira-t-on alors de l'homme qui, un jour, découvrira un remède contre
le SIDA ou le cancer, qui fera régner la paix ou éradiquera la famine dans le
monde?
C'est simple: rien!
Pour une excellente raison: le troupeau ne le comprendra pas, il n'inté-
ressera donc pas les médias. Tandis que le sport, c'est à portée de compré-
-, n
?
J QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT
L--
LES ITALIENS
J'ai bientôt réuni assez d'argent pour faire éditer la première version de
mon livre.
J'en ai commandé cinq cents exemplaires, dont trente doivent m'être
expédiés à Jersey pour que je les offre à des amis parLant français.
Les livres arrivent Le 5 septembre 1998 par le bateau de la compagnie
Alizés qui, pendant La saison, fait La Liaison régulière entre La Normandie et
Jersey.
Je ne prendrai pourtant possession de mes livres qu'un mois et demi pLus
tard.
Car, tandis que depuis La fenêtre de ma chambre j'observe l'accostage du
bateau, je distingue deux hommes qui, sur le quai, regardent aussi la
manœuvre.
Et ces deux hommes, je les connais.
L'un d'entre eux est arrivé à Jersey voici un mois, et a loué un apparte-
ment dans un petit immeuble situé à cent mètres du Dolphin.
Quelques jours après, iL apparaît pour la première fois au bar de l'hôtel,
où je bois un verre en compagnie de Richard, ancien officier des Grenadiers
de la Garde devenu un ami après que je l'aie soigné des douleurs dont son
genou le faisait souffrir depuis vingt ans suite à un parachutage brutal.
Avec un très fort accent italien, il commande à boire et s'assied sur un
tabouret à côté de nous. A l'évidence, il écoute chacune de nos paroles et,
sous un prétexte quelconque, je vais dans ma chambre chercher mon appa-
reil photographique. L'Italien me suit du regard jusqu'à ce que je disparaisse.
Mon appareil est tout petit, tient facilement dans une poche, m'accom-
pagne partout et réalise des clichés d'exceLLente qualité. Revenu au bar, je
l'arme et le braque sur Richard «pour avoir un souvenir de la soirée ». En
réalité, je vise l'Italien, qui s'en rend compte. Comme piqué par une guêpe,
il jaillit de son tabouret et sort presque en courant, laissant son verre à
moitié plein sur le comptoir.
Quelques jours plus tard, alors qu'il n'est pas client de l'hôtel, Richard le
découvre dans le couloir menant à ma chambre. Il s'enfuit à son approche.
Le lendemain, c'est un Français que Richard surprend à minuit, dans le
même couloir, étudiant l'issue de secours qui donne sur l'arrière de l'hôtel.
Lui non plus n'est pas un client du Dolphin, et il prétend chercher les
toilettes, pourtant situées un étage plus bas.
Pendant quinze jours, l'Italien semble avoir disparu.
Le 4 septembre, un autre Italien arrive au volant d'une voiture de sport
rouge immatriculée en Grande-Bretagne et se gare devant l'hôtel. Il entre et
réserve la suite du dernier étage. Or, je connais bien celle-ci. C'est un appar-
tement équipé de trois chambres avec chacune un lit à deux places, jouissant
d'une vue magnifique sur le port. La suite est totalement isolée du reste de
l'hôtel et on y accède par une porte particulière très discrète ouvrant sur le
chemin piétonnier qui, derrière l'hôtel, conduit au château de Mont Orgueil.
Pourtant, l'Italien n° 2 est seul pour occuper cette suite conçue pour une
famille nombreuse ...
Il est rejoint le soir au bar du Dolphin par Italien n° 1, réapparu miracu-
leusement. Au volant d'une autre voiture rouge, également immatriculée en
Gra nde-Bretagne.
Et les deux hommes qui, au matin du 5 septembre, contemplent sur le
quai l'arrivée du bateau qui m'apporte mes livres, ce sont les deux Italiens.
Il est temps de m'enfuir!
Dans la minute qui suit, sans un « au revoir» à qui que ce soit, je suis
parti, n'emportant sous le bras qu'Arthur, mon fidèle ordinateur.
Par chance, ce jour-là, j'ai loué une voiture pour aller visiter des patients 71]
de l'autre côté de l'île et je m'engouffre dedans.
C'e* d'une cabine téléphonique que j'appelle mon ami John qui, depuis
longte~ps, a prédit ce genre d'évènement et prévu pour moi une solution en
cas d'urgence.
JO ~ I A P~ DE Loïc LE RIBAULT?
Une demi-heure plus tard, il est là avec quatre personnes dans deux
voitures.
Pendant que deux d'entre elles reconduisent ma voiture de location avant
d'aller récupérer mes affaires au Dolphin, John m'emmène chez lui.
Personne ne sait que John est un ami. Personnage en vue à Jersey, il
habite une maison dont fort peu de gens connaissent l'adresse, protégée
comme la banque d'Angleterre par une forêt d'alarmes électroniques.
En fuite une fois encore alors que je commençais à «faire mon troU» dans
l'île, mon moral est loin d'être au zénith.
Le lendemain matin, il fait un temps splendide et, pour me changer les
idées, John décide de m'emmener prendre le breakfast dans un petit café le
long de la plage.
Sur le chemin du retour, tout près de chez lui, nous croisons une des
voitures rouges qui roule très lentement. Impossible de se tromper: j'ai noté
le numéro.
Hasard?
A la maison, nous racontons l'incident à la femme de John.
«Une voiture rouge?», s'étonne-t-eLLe. «C'est bizarre ... »
«Qu'est-ce qui est bizarre?»
« Hier soir, vers mi nuit et demi, alors que vous étiez couchés, je suis aLLé
prendre un thé dans la véranda qui donne sur le · portail d'entrée. J'avais
branché toutes les alarmes extérieures, comme d'habitude. J'étais à peine
assise que tous les projecteurs branchés aux détecteurs de la cour se sont
allumés: une voiture rouge venait d'entrer. Il faisait clair comme en plein
jour et j'ai vu deux hommes à bord. Quand la lumière s'est allumée, ils ont
fait une marche arrière à toute vitesse et sont partis ventre à terre vers la
forêt. »
Et eLLe nous donne un signalement qui correspond en tous points aux
voitures des Italiens.
Autrement dit, ma cachette est déjà repérée.
Une fois de plus, je fais mes bagages.
Une fois de plus, John convoque ses quatre amis.
Une fois de plus, une voiture m'emmène vers l'inconnu.
Quand nous traversons en trombe la forêt, une voiture de sport rouge
roule tout doucement vers la maison de John. Il y a deux hommes à bord173.
173. Durant quinze jours après mon départ, on verra Les deux voitures rouges expLorer tout doucement Le
moindre recoin de l'île. Puis eLLes disparaîtront comme eLLes étaient venues.
i\......_._.._......_ _ ..__._.•.....__11 L. . . J
_ _ _ _ _ -'
Irlande
VACANCES LONDONIENNES
C'est à bord d'un ferry au départ de Saint Hélier que je gagne Poole, sur
les côtes du Dorset, en Grande-Bretagne. Après deux jours passés chez mon
ami Derek, je gagne Londres où un journaliste anglais m'a trouvé un appar-
tement en plein centre ville, à cent mètres de Covent Garden.
Complètement anonyme, noyé dans la foule de l'immense capitale, je me
sens en vacances, détendu, et je flâne comme le touriste que je suis devenu.
J'en profite pour poursuivre mon travail de lente reconstruction et fais
l'acquisition d'une serviette de cuir made in China ainsi que d'une imprimante
portable made in Japan pour mon ordinateur Made in Taiwan.
Depuis juiLLet 1995, j'ai passé ma vie à l'hôtel, chez des amis ou en
prison; pour la première fois depuis trois ans, je suis dans «mon» apparte-
ment, libre d'aller et venir comme bon me semble, de faire les courses, le
ménage, la vaisseLLe: servitudes et menues joies d'une vie quotidienne
presque normaLe ...
Je me suis même acheté une radio-cassette! Je peux enfin écouter La
musique que j'aime et non ceLLe que d'autres choisissent pour leurs clients
dans Les hôteLs et Les restaurants.
Après ces deux semaines de vacances, il faut reprendre le coUier: j'ai
décidé de partir en République d'Irlande, seul pays celtique indépendant du
monde.
C'est par Le train que je gagne l'ouest de l'Angleterre, invité chez mon ami
Brian et son épouse Jane.
Le lecteur pourra s'étonner du nombre d'amis dont je semble disposer à
travers l'Europe. A vrai dire, j'en suis le premier surpris. Le responsable, bien
sûr, c'est le G5. Tous ces amis sont d'anciens patients guéris grâce à lui qui,
témoins de son efficacité, sont scandalisés par l'acharnement dont je fais 31~1
l'objet de la part de l'administration française et se sont offerts spontané-
ment à m'aider dans mon aventure. Je crois qu'ils sont maintenant si
nombreux qu'il n'existe que de rares pays au monde dans lequelje ne dispose
pas au moins d'un point de chute!
· ~A---;;EURl DE Loïc LE RIBAULT?
LA VERTE IRLANDE
La traversée se passe sans histoire. Je vogue vers une autre île à décou-
vrir. Après Antigua, la Dominique, Jersey, la Grande-Bretagne, c'est l'Irlande
qui se profile à l'horizon. Arrêterai-je un jour de sauter d'île en île?
Pendant le trajet, je me rémémore les photos magnifiques que j'ai vues de
l'Irlande, les collines, les lacs innombrables gorgés de saumons et de
brochets; et puis, on m'a dit tant de bien de l'hospitalité irlandaise!
A l'arrivée, je sue à grosses gouttes au moment où Brian stoppe devant le
poste de police. L'homme, souriant, assis dans sa guérite, jette un œil rapide
sur la plaque d'immatriculation du véhicule et demande (ou plutôt affirme):
« Vous arrivez d'Angleterre ... »
« Oui, oui!»
Puis il nous regarde vaguement et dit :
« Et vous êtes tous les deux citoyens britanniqu~s, n'est-ce pas?»
Brian, d'une voix ferme: «Yes!»
Moi, d'une voix tremblante: «Yêêêss ... »
« Bon séjour en Irlande, Messieurs!»
Ouf!
Je suis soulagé.
Il fait un temps splendide. Comme sur les photos des brochures de l'office
du tourisme irlandais.
Le lendemain, il pleut (ça doit être passager), mais c'est d'un cœur joyeux
que je loue une voiture: il faut que je me trouve un point de chute.
Je découvre avec ravissement l'amabilité des automobilistes que je croise
sur les petites routes, qui, presque tous, saluent aimablement de la main.
Une journée passée à Dublin (sous la pluie) me donne le cafard: c'est une
grande ville comme toutes les capitales. Je décide alors d'explorer le
mythique Connemara et le Mayo sauvage.
C'est en chantonnant que je m'élance vers l'ouest sous une pluie dilu-
vienne.
Comment ne pas pétiller d'optimisme quand on arrive dans le seul pays du
monde dont l'emblème soit un instrument de musique, la harpe celtique,
Irlande nr
UL
gravé sur les pièces de monnaie en compagnie d'un cerf, d'une bécasse, d'un
saumon, d'un taureau ou d'un paon ?174
En traversant le Connemara, je scrute désespérément le paysage à la
recherche du plus petit lac, de la moindre colline, du plus petit fragment de
plage: rien! C'est comme si on les avait enlevés après le départ des
touristes! Mais non, ils sont tout simplement gommés par le rideau de pluie
qui limite la visibilité à cent mètres ...
Je décide de poursuivre au nord vers le County Mayo, et les gouttes
semblent grossir à mesure que j'avance.
C'est à quatre heures de l'après-midi que le déluge cesse de tomber.
Un timide rayon de soleil s'infiltre en force entre des masses d'énormes
. nuages qui le coincent sans pitié.
Courageusement, il illumine un lac scintillant, des collines couvertes de
centaines de moutons, un torrent, des vieilles maisons de pierre au toit de
chaume, bref, un paysage de propagande r magnifique, d'une beauté à couper
le souffle.
Au fronton d'un pub multicolore, il fait aussi étinceler l'alléchante
enseigne noir et or de Guinness.
Un vrai pub, comme on n'en trouve qu'en Irlande, bourré de vieilles affi-
ches, de bouteilles centenaires (vides, c'est pour la décoration), où briLLe le
feu de tourbe à l'odeur inimitable.
Quand je m'approche, le tenancier, sourire fendu jusqu'aux oreilles, s'ex-
clame:
« What a lovely weather, isn 't it?»
Je suis abasourdi:
« Pardon? Vous dites?»
«Qu'on a un sacré beau temps, tiens! Vous ne trouvez pas?»
«Quand ça?»
«Mais là, maintenant! Vous ne voyez pas que le soleil brille?»
«Euh ... oui ... depuis cinq minutes ... »
«Eh ben justement, c'est toujours cinq minutes de gagnées! C'est pas
tous les jours fête! Faut en profiter!»
Et il pose sur ma table la Guinness crémeuse dans la mousse de laquelle, BI
avec les dernières gouttes, il a gravé en signe de bienvenue le trèfle à trois
feuilles, symbole de l'Irlande et porte-bonheur.
174. Depuis la mise en circulation de l'euro, hélas, les animaux ont disparu et seule subsiste la harpe.
JO 1 QUI A PEUR I DE Lo ïc LE RIBAULT?
L'HOMME DU MONDE
Vers le 20 octobre, une journaliste de la chaîne télévisée de la B.B.C.
m'appeLLe. Selon sa coLLègue de Jersey, en effet, il semblerait que grâce à un
produit que j'aurais inventé des centaines de gens - dont beaucoup consi-
dérés comme incurables - auraient été guéris. Cette information est-eLLe
exacte? Et est-il également exact qu'un mandat d'arrêt ait été lancé contre
moi par un juge français?
175. Entendez par là la pêche à la truite et au saumon, seuls poissons dignes d'attention pour les
Irlandais. Les autres, tels que le brochet, la perche, etc., rêve des pêcheurs et régal des gastronomes du
continent, sont considérés comme des nuisibLes immangeables tout juste bons à donner au chat quand
par malchance on en attrape en traquant Le poisson «noble ». leur capture est évidemment autorisée
toute L'année. Sans permis.
Irlande ~ [1
NOEL EN IRLANDE
Décembre arrive.
Cela fait trois mois maintenant qu'il pleut sans discontinuer ... J'ai l'im-
pression de retourner tout doucement au marécage originel, d'avoir les
écailles qui poussent et les ouïes qui se développent.
Un matin, je me réveille avec l'articulation d'une épaule douloureuse. Sans
doute un faux mouvement? Le lendemain, la seconde me fait également
souffrir. Il me faudra trois jours pour comprendre que je souffre de rhuma-
tismes! Des rhumatismes? Moi? L'inventeur du G5? C'est un comble! Pourvu
que personne ne Le sache! J'entame immédiatement une cure intensive
d'épaisses compresses et de grandes gorgées de G5. Les rhumatismes capitu-
lent.
Pour faire diversion, la neige maintenant alterne parfois avec la pluie.
Dès le début décembre, l'Irlande se pare toute entière pour les fêtes de
Noël. Presque toutes les maisons sont décorées de guirLandes et de sapins
disposés non seulement à L'intérieur, mais aussi sur Les façades et dans les
jardins. Ceux placés à l'intérieur sont soigneusement disposés derrière Les
fenêtres pour que Les passants jouissent du spectacle. La nuit, quand Le
temps le permet, on voit briller la moindre maison perdue dans les collines.
C'est ça, en fait, la vraie chaleur de l'Irlande: pas La chaleur chiffrée des
bulletins météos, mais celle qui rayonne du cœur des Irlandais.
A partir de la mi-décembre, les amis ont décidé de se relayer pour
distraire ma solitude; j'ai le plaisir d'accueillir Lydie et Richard (il neige),
VioLette et Martine (il pleut), Maguy passe Noël avec moi (il neige) et
Fabienne le Nouvel An (il pleut).
LA POSTE DE ROSS
Le temps passe, mais je ne reste pas inactif: des articles sur le G5
commencent à paraître dans des revues spécialisées en médecines alterna-
tives, j'ai décidé de faire fabriquer le produit en Irlande et d'y créer officiel-
lement une société pour expédier le produit.
10[Q'U I A P:_U R DE Loïc LE RI BAU LT ?
Pour cela, je quitte la P'tite maison dans la colline et emménage dans une
villa suffisamment grande pour y aménager plusieurs bureaux. Elle est située
à Castlebar, la capitale administrative du County Mayo.
Le 9 juillet, enfin, le laboratoire commence à produire le G5 !
Je suis désormais mon maître!
Il est temps de dire un mot de la poste de Ross, que Marie, sa respon-
sable, mène d'une main de fer cachée dans un gant de velours.
J'avais fait sa connaissance quand je vivais dans la p'tite maison dans la
colline, et nous avions sympathisé. Elle connaît donc mon projet fou: expé-
dier le G5 depuis l'Irlande.
Or, la poste de Ross est
menacée: perdue à un carre-
four planté au milieu du néant
(Fig. 82), elle n'est pas
rentable au sens technocra-
tique du terme. Que voulez-
vous, l'Irlande s'européanise,
et qu'importe aux fonctionnâ-
tres de Dublin si les postes
isolées comme celle de Ross
sont vitales pour les rares Fig. 82: La poste de Ross
habitants qui l'entourent. Car (la toute petite maison à gauche).
le responsable d'une petite poste, dans l'Irlande rurale, n'est pas que postier;
il s'occupe des vieilles personnes isolées, leur apporte et va chercher leur
courrier, se déplace en ville pour leur acheter des médicaments, remplit pour
eux les formulaires administratifs qui sont de plus en plus compliqués,
appelle le médecin en cas de besoin. J'ai même vu Marie aller tous les matins
et tous les soirs ranimer le feu de tourbe chez un vieillard solitaire qui ne
pouvait plus se déplacer et, en fin de compte, le conduire à l'hôpital pour
passer l'hiver. N'empêche: la poste de Ross, comme des centaines d'autres en
Irlande, n'est pas financièrement rentable. On a donc, en haut lieu, décidé
de fermer toutes les petites postes irlandaises.
C'est le genre de décisions qui ont le don de me mettre en colère: de quel
droit les fonctionnâtres de Dublin se permettraient-ils de fermer ma poste?
Marie, mise au courant de nos projets, y voit un espoir. Mais bien faible:
ce projet dingue se réalisera-t-il? Et si ça marche, les responsables de la
Grande poste, là-bas, dans la Grande ville (6 000 habitants) ne vont-ils pas
382
tout mettre en œuvre pour récupérer le marché?
Et puis le laboratoire démarre!
Et puis le produit arrive!
Et puis les commandes venues de France sont là! Par centaines!
Irlande 0[
Alors, Marie, qui avait toujours cru à ce projet insensé, sait maintenant
que le rêve est sur le point de devenir réalité.
De mon côté, j'ai fait imprimer des étiquettes, fabriquer des tampons,
acheté des boîtes pour expédier des colis d'un litre, de deux ou de quatre.
Mais en Irlande les colis préaffranchis n'existent pas. Ce qui signifie qu'il
faut, sur chaque colis, coller une étiquette «prioritaire - par avion», et
apposer le nombre de timbres nécessaire. Un travail fastidieux et épuisant,
quand vous avez des milliers de paquets à expédier.
Alors, j'ai aussi acheté des éponges pour humecter le dos des timbres.
Nous sommes fin prêts pour les expéditions le 20 juillet.
Le jour où Marie se rend à la Grande poste de la Grande ville commander
pour le lendemain 15 000 € de timbres, tout le monde s'écroule de rire. On
la connaît bien, Marie, on sait qu'elle ne boit pas une goutte d'alcool. Elle
ne boit que du thé, en quantités phénoménales. Donc, elle n'est pas ivre,
c'est sûr. Mais elle aime la viande. Le bœuf, surtout. Alors, peut-être vient-
elle d'être frappée de plein fouet par la maladie de la vache folle?
En tout cas, ses timbres, entre deux éclats de rire, on les lui promet pour
le lendemain matin à neuf heures.
Le lendemain matin, donc, à neuf heures précises, Marie entre à la Grande
poste de la Grande ville, arborant fièrement un chèque que je lui ai remis
quelques minutes auparavant.
Comment j'ai pu réunir 15 000 €, ne me le demandez surtout pas: je ne
répondrai sous aucun prétexte, même et surtout en présence de mon avocat.
Mais ce qui est sûr, c'est qu'avec ces timbres, nous allons pouvoir expé-
dier des centaines de paquets, donc encaisser les chèques qui correspondent
à ces commandes, grâce auxquels il sera possible d'acheter d'autres timbres,
qui permettront d'expédier de nouveaux colis, etc., etc. Autrement dit, à cet
instant, la machine sera enfin remise en route. L'éterneLLe histoire de la
boule de neige, quoi.
Marie, donc, un large sourire aux lèvres, dépose le chèque devant le Chef
de la Grande poste de la Grande ville.
«Voilà », dit-elle, «je viens chercher les timbres promis!»
Et là, subitement, on ne rit plus dans la Grande poste de la Grande ville.
Il y a même comme un lourd silence qui s'installe. Pesant. Et qui dure.
«Ben alors, mes timbres ?», insiste Marie.
«C'est que ... »
«C'est que quoi? », interroge Marie, dont on ne peut guère affirmer que la
patience soit la qualité dominante.
«C'est que ... c'est qu'on ne les a pas ... »
~ ~ L~ PEURl DE Loïc LE RIBAULT?
« Et pourquoi ça?»
« Mais enfin, Marie », s'insurge le Postier en Chef, «comment veux-tu
qu'on t'aie crue, hier, quand tu m'as demandé pour 15 000 € de timbres?
Pour la poste de Ross! On a pensé que c'était une blague, voilà ... »
Marie commence à prendre une teinte violacée du pLus mauvais augure :
« Ben non, c'était pas une blague, la preuve! Et maintenant, qu'est-ce que
je leur dis à mes clients, les Français, là-bas, qui attendent leurs timbres? Et
qui les ont payés d'avance? Avec un chèque certifié? Hmmm? Je leur dis
quoi, aux Français?»
C'est ainsi qu'en fin de matinée une voiture rapide des postes, envoyée
tout exprès de Dublin, m'apporte à domicile les timbres tant espérés.
Maintenant, nous sommes parés!
Marie a réuni une équipe de jeunes volontaires qui empaquettent le G5 à
tour de bras, écrivent les étiquettes, entassent les colis (Fig. 83) et les
passent à Marie qui, à la chaîne, usant éponge après éponge, colle Les
timbres et les oblitère sans répit (Fig. 84): la poste de Ross s'est déplacée à
mon domicile, tout si mplement!
En quelques heures, les cartons pleins de G5 ont envahi toute ma maison.
En fin d'après-midi, des
camionnettes des postes vien-
nent prendre livraison des
paquets, et le premier envoi
de G5 irlandais s'envole vers
la France.
Deux jours après, quand
Marie revient à la Grande
poste de la Grande ville pour
commander encore plus de
timbres que la première fois, Fig . 83: l:équipe des voLontaires. De gauche à droite: Patty,
personne ne s'esclaffe. A neuf KathLeen, Ann, Marie et Noreen.
heures le lendemain matin, (
les timbres attendent Marie.
Ils sont arrivés dans la nuit.
Trois jours plus tard, le
chèque est encore plus gros.
Cette fois, à la Grande poste ,"
]13 de la Grande ville, on regarde
Marie avec une sorte de
crainte. A-t-elle l'intention de
continuer longtemps comme ~
ça? Fig. 84: Marie n'arrête pas de coLLer et d'obLitérer Les
timbres sur Les coLis de G5.
Irlande L
TRr.:~NAL
DE GRANDE INSTANCE
DE IIORDIlAUX
1
CABINET
Dl! MoMtur AIIIn Il .
lUGE D'/NSTRUC110N
IlE1'VBLl~.I'llANCA1SE
AU NOM DU miPLE l'llANCAlS
.S-
Ncu!. AIaIa Il. l1Ip 01·-......., .. Tribomal do GnIIdo lIIAIce DB BORI>BAUX
VU la proo6cIul1I d'ÏIIIOnIIIIIOft _ du CRI dot cbofo <le lI4tIcIioaI _ la nooborcIIo
lrioà>IdJcale • Il• . . -
~ do la plIarllllOio • CommerciaII-.o do _ _ __
... MM • Flbricaclœdo _ .... 00II<IriIIâ00 - PIlbllchf..,1ivoat do~
IWpoo""S d'AMM cl _ ... ~ _ pbarmooeuôqao - Elasrclce lIWpI do la _ _ -
Eoct'OqlAllrieo et ~ al' lei '1""11* subollnli$U.. do Il cbooo . . - • l!Jadœ
1Ilfp! dl Il'pI!aImocic • C~iIi fila pmu. ct .~. . . pc let antël .. L 209.3, '1..
209.9. L 209.10. L 209.12. L 209.19. L :209-20, L SIl. L 112. L '17. L 601. L S18. L
~19, l 596. L j91. L 531,2, L "1·'. L '5HO. L.. j!S6, L 3!S6. L m.
L 176 du code do
la nom publique. m·I, 313-3, 12106. 12\.7 dI1 code pm.! et L '11~I, L 213-2 du <Ode
cie la ~ ct ~le r.oatte:
LE II1BAVLT ...... J'O'I"'IIIO 1IIiJo ... - .
Vu lot .....~_ "'"* de ~ le Pmc:u ..... <le la tipubli<p.
-
Pr6na1111D6 : lAIe
JoItIe : 18Avri11947
... : V"'MNES (S6)
DE
El de
»rat'esaon
"y""
..
:S-
: V _ CHAIIIIONNIER
:: _ r
<IeInot.d CIl demief lieu • 42 Allee du 1'oq.JoI33410 GUJAN MES1'1\AS
S"""I'Ùb" de."""" • JERSBY ou GUERNESEY
1n~_.urteT-"N_
177. Une gendarmerie de province où j'avais été recueilli par le commandant qui, ainsi que tous ses hom-
mes, connaissait parfaitement ma situation. Je fus même appeLé un soir pour soigner au G5 un des
gendarmes de la brigade qui s'était gravement brûlé La main.
"~
...J 1 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?
«Ouais, ouais! Sauf que c'est pas vous qui avez dû charger les quatre-
vingt sept caisses de bouquins qui remplissent mon bahut! Une caisse de
papelards, ça pèse le poids d'un âne mort, vous savez. Alors, quatre-vingt
sept ... »
Et il ouvrit les portes arrière de son mastodonte.
J'étais pétrifié: le camion était bourré jusqu'au toit non seulement de mes
quelques meubles rescapés, mais aussi de toutes mes archives et de ma
bibliothèque au grand complet!
Mes amis m'avaient désobéi. Ils n'avaient rien détruit!
Médusé, durant des heures, je regardai les pauvres déménageurs en sueur
coltiner les masses de documents. Ils entassèrent au hasard la montagne de
cartons, d'où s'échappèrent immédiatement nombre d'araignées et d'insectes
rampants ou volants de race indéterminée, mais visiblement mécontents du
dépaysement.
Alors, à l'instant précis où les premiers cafards s'élançaient sur le plan-
cher et les mites vers le plafond, j'eus une illumination: j'étais un imbécile.
Et je compris ma chance: non seulement j'avais quelques amis fidèles,
mais ils étaient intelligents.
Plus que moi: Presque tout ce que j'ai écrit précédemment avait été
rédigé de mémoire. Il fallait que je me remémore tout, que je trouve des
témoins à citer, des preuves conservées ou détenues par des tiers. Tâche
ingrate, énorme et difficile: les lâches, les collaborateurs et les ingrats sont
traditionnellement si nombreux en France ... Je n'avais même plus trace des
centaines d'articles de presse publiés sur le C.A.R.M.E., des dizaines d'heures
d'émissions télévisées qui m'avaient été consacrées, des innombrables photo-
graphies réalisées par des journalistes. Même plus trace de mes diplômes et
de mes distinctions diverses.
Et voilà que, grâce à mes amis, toutes les preuves écrites s'entassaient,
caisse après caisse, araignée après punaise, cafard après cloporte, dans mon
nouveau logis!
Ils n'avaient rien, mais vraiment rien détruit!
Il Y avait même mes agendas, soigneusement tenus au jour le jour
depuis ... trente-cinq ans!
Ce matin si pluvieux de l'hiver 1999 fut un des plus ensoleillés de ma vie.
Parmi les meubles sauvés du naufrage se trouvait un des coffres de
«Tonton» Jean Ribault, dont j'ai parlé précédemment.
Ce qui explique sans doute que, dans la famille, nous n'avons jamais eu
de bons rapports avec Les religions, quelles qu'elles soient. Ceci pour
répondre à nombre de mes lecteurs qui ont trouvé que je me montrais
agressif vis à vis de La reLigion cathoLique. C'est une erreur: toutes les reli-
Irlande [J[
gions, sans exception, me révulsent. Les religions, après tout, ne sont que
des sectes qui ont réussi.
Quant à la catholique, je n'en garde en mémoire que trois anecdotes, que
j'aimerais oublier.
La première, c'est que lorsque je naquis, la tradition voulait que le
nouveau-né soit baptisé dans les quelques jours suivant sa naissance. La
tradition voulait aussi que, le jour du baptême, les cloches de l'église sonnâs-
sent pour annoncer à la population ravie l'arrivée d'un nouveau paroissien.
Malheureusement, ma mère tomba malade, dut rester alitée, et ne recouvra
ses forces qu'après le délai imparti pour que les cloches fussent autorisées à
sonner pour le baptême de son rejeton. En effet, pendant le temps où ma
mère était malade, j'étais resté en état de péché. Bref, j'étais un damné en
sursis. Le curé décréta donc que je n'avais pas droit aux cloches (ce dont je
me moquais éperdument). Mais ma mère, femme de ressource s'il en fût,
retarda encore mon baptême, de façon à ce qu'il coïncidât avec celui du fils
d'une de ses collègues, aggravant ainsi délibérément mes risques de damna-
tion éternelle en cas de mort subite du nourrisson. Néanmoins, je ne mourus
point. Donc, le jour de mon baptême et de celui du fils de la collègue de ma
mère, les cloches beuglèrent allègrement dans la ville de Vannes, et chacun
put croire qu'elles mugissaient en mon honneur. Ainsi était ma mère. Qui,
toutefois, ne digéra pas l'insulte et me fit confectionner une médaille de
baptème sur laquelle figurent ... des cloches.
La seconde histoire concerne mon père, surveillant général au collège
Colbert de Cholet, en Vendée. Un jour, en 1956, il eut assez d'argent pour
acheter une voiture. C'était une magnifique Peugeot 203 décapotable gris
clair. Le problème était que nous étions logés au collège, mais que, les
voitures étant une denrée rare à l'époque, aucun garage n'avait été prévu
dans le logement de fonction. Il lui fallait donc en louer un. Alors, dans toute
la bonne ville de Cholet, mon père se mit en quête d'un garage. Il en trouva
des tas. Des dizaines. Mais, à chaque fois, le propriétaire lui demandait quel
était son métier, où il travaillait. Des garanties, quoi. Et quand il répondait
«je suis le surveiLLant général du collège CoLbert», on lui claquait la porte au
nez en disant: «on ne loue rien à quelqu'un qui travaille dans l'école du
Diable! »
Ainsi était Cholet dans les années 50.
L'administration laïque fit donc construire un garage dans l'enceinte
même du collège.
A côté de Icelui-ci existait une grosse usine de textile. Tous les dimanches
matins, un c9ntremaitre était en faction à l'entrée de l'église et pointait les
emplo~és arrivant à la messe. Celui qui manquait le saint office sans excuse
consid1rée comme valable était licencié le lundi matin.
]0
fOu I A PEU R DE Lo ïc LE RIBAULT ?
Enfin, le troisième exemple, c'est moi. J'avais été obligé, comme tout le
monde, de faire ma première communion, ce qui impliquait de suivre le caté-
chisme, lequel m'énervait prodigieusement. Car le prêtre chargé de nous
inoculer la doctrine n'arrêtait pas de nous parler de mystères, chose que je
ne pouvais tolérer. Il y avait le mystère de l'Immaculée Conception, celui de
la Création, de la Rédemption, et bien d'autres encore, dont je ne me
souviens pas et ne tiens nullement à me souvenir. J'avais onze ou douze ans,
et déjà un mauvais caractère. A chaque fois où le prêtre parlait de mystère,
j'exigeais des explications claires, logiques et scientifiques. A l'époque, je
lisais déjà énormément, surtout des livres de sciences naturelles.
Pendant les cours, je ne manquais pas une occasion de poser des ques-
tions enfantines, du style «Pourquoi Dieu a-t-il créé des êtres vivants qui s'en-
tretuent pour se nourrir, alors que ça aurait été si simple pour lui d'en fabri-
quer qui se seraient nourris avec l'oxygène de l'air ?», ou «Puisque L'Homme
n'utilise en moyenne que 2% des cellules de son cerveau, croyez-vous que Dieu
l'a fait exprès pour qu'il ne puisse pas comprendre les mystères, mais en ce cas
pourquoi avoir fabriqué 98 % de cellules en trop?»
Lorsque je levais le doigt pour poser une question, je voyais au fil des
semaines le prêtre se recroqueviller davantage, comme dans l'attente d'un
mauvais coup.
Enfin, le jour où je lui demandai «Qui a créé Dieu?» ses nerfs lâchèrent
et, épuisé, il me reconduisit à la maison en déclarqnt à mes parents que je
lui rendais la vie impossible.
Il m'aimait pourtant bien, ne manquant pas une occasion de me caresser
gentiment les cuisses, assis sur ses genoux, quand j'allais à confesse.
Confession que, soit dit en passant, je faisais selon la technique impa-
rable enseignée par ma mère: dans un premier temps, avouer quelques
péchés, sauf les principaux, puis terminer en disant «j'ai péché par omis-
sion». Absolution garantie.
Donc, parmi les meubles récupérés se trouvait un des coffres de Tonton.
Datant du XVIe siècle, il est doté d'une énorme serrure actionnée par une
impressionnante clé. A l'époque, on construisait solide. Mais ce coffre posait
un problème: il était fermé et il était impossible de retrouver la clé; les démé-
nageurs, au prix de beaucoup d'efforts et de flots de sueur, déposèrent sa
masse imposante dans la salle de séjour, devant un radiateur. Un mois durant,
je le contemplai, ne pouvant me résoudre à fracturer la vénérable serrure.
Et puis un jour, la mort dans l'âme, je demandai à Joséphine 178 si elle
connaissait un artisan soigneux capable d'ouvrir le coffre sans le massacrer
et de fabriquer une clé de remplacement.
178. La jeune fiLLe qui, deux fois par semaine, venait entretenir La maison du vieux céLibataire que je suis.
Irlande
Dix mois furent ensuite nécessaires pour tout trier et remettre en ordre!
Les archives remplissaient trois pièces de la maison.
Jour après jour, je retrouvais les dossiers complets d'inventions que j'avais
complètement oubliées: un procédé d'identification des chevaux de course,
un autre de marquage sans altération des objets de valeur, un produit pour
la récupération assistée du pétrole, une lessive biologique, un engrais
naturel, un procédé de dépistage de la rupture de la chaîne du froid pour les
produits congelés, et bien d'autres encore.
Il fallut du personnel, des photocopieuses, deux ordinateurs et des scan-
ners pour tout enregistrer, référencer, dupliquer (on ne sait jamais ... ) et El)
expédier les originaux en Lieu sûr.
Et c'est six ans après ma chute programmée, en compulsant tous ces docu-
ments, que je compris pourquoi «on» avait tant voulu les saisir: c'était pour
les détruire, tout simplement.
,_ Œ~I ~ PEUR: DE Loïc LE RIBAULT?
LE HOMARD BRETON
En avril 1997, j'avais commencé une errance dont j'ignorais qu'elle serait
si longue. Je comprends maintenant certains criminels authentiques qui en
arrivent parfois à être si fatigués d'errer qu'ils préfèrent se rendre, purger
tranquillement leur peine puis reprendre une vie normale.
Pendant quatre ans, réfugié dans la verte Irlande, j'avais rongé mon frein.
Des amis, heureusement, venaient régulièrement me voir, je les accueillais
à l'aéroport, puis les y reconduisais en les regardant avec envie franchir le
portail des départs, qui m'était interdit. Il m'arrivait même de déjeuner à
l'aéroport, juste pour regarder décoller et atterrir les avions. Tous ces voya-
geurs insouciants n'avaient pas idée de leur bonheur. Ils étaient libres comme
des oiseaux.
Moi, migrant en situation irrégulière, je perdais mes repères, ne savais
plus très bien parfois qui j'étais. Il faut dire que j'avais porté successivement
une bonne douzaine de noms: Tom Timlin, Ludwig Van Vreijheit, Kevin Dever,
Maurice Déon, Kevin O'Hara, et d'autres que j'oublie, ou que je préfère ne pas
citer. J'avais même le passeport de mon père, auquel, l'âge venant, je
ressemble comme un frère jumeau. Toutes mes pièces d'identité étaient
évidemment fausses ou modifiées. J'avais été successivement Français,
Luxembourgeois et Belge. J'avais même été le cousin d'Amérique d'un
Irlandais connu. Mon anglais se perfectionnait chaque jour, à mesure que
j'oubliais mon français.
Il devenait urgent, pour mon équilibre mental, que je me fixe d'une façon
ou d'une autre. Mais se fixer dans une île, c'est aussi se retrouver prisonnier,
Irlande 0[
s'en procurer d'autres par les voies officieLLes en les prétendant égarés ou
volés.
J'avais pu alors constater qu'il n'existait aucune liaison entre les services
de police ou de gendarmerie et ceux de la préfecture chargés de la délivrance
des passeports. J'en avais été choqué plus que surpris et avais proposé de
mettre au point un système informatique comblant cette lacune en assurant
une liaison permanente entre les-dits services. Au ministère de l'Intérieur, on
avait accueilli ma proposition avec mépris, en m'assurant que ce projet était
lancé depuis longtemps et que le système était désormais presque opéra-
tionneL
Alors, subitement, en avril 2001, une petite lumière jaillit dans mon
cerveau: vu l'état de délabrement dans lequel la police et la gendarmerie sont
retombées depuis la mort du C.A.R.M.E., eLLe me dit qu'une fois de plus le
ministère de l'Intérieur s'était vanté, que rien en fait n'a été réalisé, que ce
projet, comme tant d'autres, était du vent.
Je décide de tenter ma chance.
Un coup de téléphone à l'ambassade de France à Dublin me permet d'ap-
prendre quels documents sont nécessaires pour remplacer un passeport
prétendument perdu. On me propose même gentiment de m'adresser un
dossier à mon adresse. Je donne donc ceLLe d'un ami et, deux jours plus tard,
j'ai le dossier vierge entre les mains. Une amie française, munie d'une procu-
ration de ma main en bonne et due forme, s'est déjà procurée un extrait de
naissance dans ma ville natale.
Mais je dois me rendre en personne à l'ambassade pour déposer le dossier
dûment rempli, et payer les taxes. Ensuite, m'a-t-on assuré, on se fera un
plaisir de m'adresser le passeport par lettre recommandée. L'ennui, c'est que
l'ambassade de France à Dublin, comme toutes les ambassades du monde,
bénéficie du privilège d'extraterritorialité, autrement dit qu'elle se trouve
juridiquement en territoire français.
C'est donc encore un ami qui me conduit à Dublin ce jour-là. Il a pour
mission de m'attendre et de prévenir un avocat irlandais au cas où il ne me
verrait pas réapparaitre au bout d'une heure. On sait que l'Etat francais n'est
guère avare d'enlèvements, d'assassinats et de tortures sur son sol et à
l'étranger. Or, en me rendant à l'ambassade de France, je pénètre en territoire
français ...
Le moins qu'on puisse dire, c'est que celle-ci n'est guère accueillante: A
l'entrée, fermée par un lourd portail de fer, la sonnette munie d'un inter-
phone est surmontée d'une caméra. Le visiteur une fois identifié, le portail
s'ouvre sur un charmant jardin au bout duquel sont érigés les locaux de l'am-
bassade. Là, une autre porte, blindée celle-là, s'ouvre après que vous ayez
sonné.
Irlande 01
Puis, une fois que vous êtes à l'intérieur, elle se referme brutalement
derrière vous avec un bruit qui, depuis cinq ans, me don ne la chair de poule:
«(lonk! )}
Et là, horreur, je découvre plein de gendarmes en uniforme! Des vrais! Des
Français! En pelage bleu! Je blêmis, parce qu'après tout je joue un jeu
dangereux. Il va bien falloir, cette fois, que je donne mon vrai nom qui, de
toute façon, figure dans le formulaire que j'apporte soigneusement rempli.
Je n'ai qu'une hâte: sortir! Si possible ...
La préposée est absolument charmante. Mais bavarde comme une pie et
curieuse comme un jeune prêtre. Ça l'intéresse visiblement de savoir pour-
quoi je me suis installé en Irlande (réponse: la pêche au saumon), quelle est
mon activité (retraité), mais alors mon activité ancienne (chercheur), ah bon
mais dans quel domaine (théologie), si j'ai de la famille (non), si je m'ha-
bitue au climat (oui), parce que pour elle c'est pas facile (ma pauvre
dame ... ), mais peu importe elle va bientôt rentrer en France (quelle chance
vous avez !).
La conversation dure depuis une demi-heure, et je sue à grosse gouttes.
Surtout que les gendarmes n'arrêtent pas d'aller et venir autour de moi, les
bras chargés de papiers.
Enfin, après une ultime vérification, la brave préposée constate le bon
état du dossier, me demande le montant de la taxe et me libère.
Et «Clonk!» fait la porte dans mon dos, mais dans le bon sens cette fois.
Je suis libre.
Quinze jours plus ta~d, je reçois par courrier recommandé un beau passe-
port tout neuf, parfaitement authentique, et valide pour une durée de dix
ans. Dans l'enveloppe, je découvre également une carte consulaire, me
permettant de participer depuis l'Irlande à toutes les élections organisées en
France. Un comble, quand on sait que la justice de ce pays m'a condamné à
la privation de mes droits civiques jusqu'en 2008!
Mon raisonnement était donc juste: il n'existe toujours pas en France de
liaison informatique entre les servicès des passeport et ceux de la police et
de la gendarmerie! Décidément, il semble que mes leçons n'aient guère été
retenues ...
395
Et, une semaine avant le 14 juillet, j'ai le plaisir de recevoir une invita-
tion très officielle au pot organisé par l'ambassade française de Dublin à l'oc-
casion de la fête nationale.
Je décline cette invitation avec une délectation morose.
10 [ QUI A PEUR ] DE Loïc LE RIBAULT?
Mais quand?
Et comment?
Je ne peux prévoir que l'attaque des cloportes sera un véritable hallali,
un tir groupé soigneusement programmé pour m'abattre définitivement.
- ,
!
- -,
J
RETOUR A LA CASE PRISON
-------------------~c- r
~J 1
'--1 ~--------l li
'--" ! 1
il
l' r',
[J J ll:.-J_
L'HALLALI
COUR D'APPEL
DE BORDEAlJX
Vu ]'inbmaÛOD conccrrumt :
M. Lole LE RIBAULT, n6 le 18/0411947 à VANNES (56), de Jean et de YVOIlM
c.HARBONNIER, de :oationalité Française, Célibataire
Ayant dcmèuré en deroier ne.. 0.42 AlIo!c: duFo'l~ - 33410 GUJAN MESTRAS
Actuellem.ent se serait réfuBié S\Jr le territoire de III République d'DUANDE et pourrait !tre
localisé à j'adresse du siqe de sa socl.l"té (N" d'imma1riculation : 312889)
UR - OS LUI. CIo Rœ. Post Office Casttebar CO\lllty Mayo - République d'IRLANDE
Susceptible de se rendre sur tout le territoh'e national et particulièrement à JERSEY ou
Gü"ERNESEY
Requérons tout dépositaire de la force publique auquel le présent mandat sera exhibé de prêter
main-forte pour SOlI exéIlution an caa de besoin.
ED foi de quoi ie prése:iIt mandat a ét' signê par Nous, Juge d'!nstruetion, et socU,; de notre $Cr:aU.
1
)
Fig. 88: Mandat d'arrêt d'août 2003 (page 2).
(- Systè=a de T~a1tement cl
Infractions constatée,
ClAT CEN'l'RAL • •
le 29/08/2003
liiii
ANTECEDENTS
. ~ r :~At1!.T, LO!C
:;€ :e 18/04/1941 a V~'ZS (ICORSll!AN)
""è:e : l.E IUSAULT, JSA."
~è: .. : Cf'.AIlDONNIER, yvc.'l~::
-:: .. ". : fol Situation maritale : Etudes .
\>~ _ ",~,alité : FRANCAISE Résident Sijaur
u: .,~~ ~é état-civil : tDE!'!!TE DECLAREE
.'\.~ =._ -: :.1.es --- ... -----------.... - .. --.------ __ _
- :'e 05/07/1994 :
a, RUE BREMOlI'l'UR
~ LA TESTE (GIRONllE)
:'.07/01/1997 :
: 7. R.UE CHO!JINEY
i GaAIlIGIIJ\N (GIROIIDE)
!Q.ISON l> ARRST
. ~~~5s~ons ----~-- __ ---_-_------~------
:'e 14/03/1994 : D~~!~ D'EMPLOI
~8 Ql/06/1994 : SANS PROFESSION
. ~. 05/07/1994 : C-~F l>'iNTREPRISE
. ~8 07/01'1991 : SANS PROFESSION
1
. ;::~ ,,;-;oiëiïïï!i;;----------------------
!:?!J DE BOlIDRAUX. 1/0 ~ 5
(Suitel Antécédents
LE RIBAULT, LOle
Nt 1_ 18/04/1947 ! VANNES .(MORBIHAN)
1 ---- .. ~--_.---------------- --_.~--------------- - -----~ ---------------------
Iproc!dUre : SRPJ D'ANGERS, N' 1994/000029
Archivage : SRPJ D'ANGERS, N° DAPJ/1994/0001Z83
Situation du m1s en cause : LIBRE
Suite judiciaire ; INCONNUE
_ Ci ti CQl1UIIe AUTEUR : ABUS DE CONi'IANCE
Faits commis le 30/09/1993 à Lh TSSTE'(GIRONDS)
l'Procédure : SRPl Pi: BORDEAUX, N' 1994/000113
1 Archivaq~ : SRPJ DE BORDEAUX, N' DAPJ/1 994/000371 0
1
' situation du mis en cause : LIBRE
Suite judiciaire : INCONNUE .
- Cité CO!1lllle AUTEUR : ABUS DE CONli"IANCE
Faits commis entre le 01/01/1993 et la 05/07/1994 à ARCACHON (GnoNDE)
1 Procédure ': CIA': CENTRAL DE BORDEAUX, N° 1997100'0938
Archivaqe : SRPJ DE BORDEAUX. N' DAPJ/1997/0000320
1 Situation du m1s en cause : DEFERE DEJA DETENU
. Suite judiciaire : INCONNUE'
_ Cit6 comme COMPLICE : EMISSION DE OlEQUE SUR..lm COMPT! SOLDE
Faits commis le 07/01/1997 l ARCACHON (GIRONDg
' - - - - - -- --
Fig. 90: La fiche de «renseignements» vicieuse concoctée par La poLice française (page 2).
Une certaine presse va aussi aider les cloportes: l'Irish Times du 23 août
(tiens, la même date que celle du mandat d'arrêt?), et un tabloïd irlandais
qui, le 29 août, publie mon adresse personnelle, suite à quoi, dès le lende-
main de la parution de l'article, je commence à recevoir par téléphone des
menaces de mort.
Un hebdomadaire français va se joindre à la meute: Le 5 septembre,
Jérôme Dupuis, journaliste à L'Express, demande à me rencontrer en Irlande
pour faire un article sur mon histoire. Je le reçois bien volontiers: je le
connais depuis longtemps, il a écrit un article sur le C.A.R.M.E. à l'époque où
celui-ci existait encore, et je n'ai aucune raison de me méfier. Je l'emmène
chez moi, lui fait visiter mon bureau, lui montre mes dossiers, lui offre de les
consulter et de faire pour lui toutes les photocopies qui pourraient lui être
utiles. Il décline l'invitation, déclarant qu'il me connaît suffisamment pour
ne pas avoir besoin de preuves supplémentaires. En tout, il ne passe que cinq
heures en ma compagnie, «parce qu'il a des amis à voir en Irlande ».
Quand l'article paraît, le Il septembre 2003, je suis tétanisé. Dans la série
«les faux journalistes », Jérôme Dupuis mérite une mention spéciale. Car son
article est une œuvre de démolition soigneusement concoctée, du concentré
de venin sournoisement distillé. Je découvre ainsi que je «coule des jours
heureux ( ... ) entre la pêche à la truite et les pubs», que je suis «aujourd'hui
présenté par certains comme un escroc», que je suis affligé d'un «tempéra-
mentfantasque», que je me suis «mué soudain en guérisseur», que certains
des témoignages que je présente (et que le journaliste a refusé de lire) «ont
des faux airs de miracles de Lourdes », qu' «aucune étude scientifique n'a
établi l'efficacité du G5 », que je suis «un brin parano, persuadé que l'Etat
français veut l'abattre», que je «multiplie les escapades sur les plages
LhaLlali [
d'Antigua ( ... ), paradis fiscal», que le mandat d'arrêt Lancé contre moi
compte «une dizaine d'infractions », dont «même chèques sans provision ».
En résumé, je suis le plus heureux des hommes, je pêche et bois à
longueur de journées, je diffuse une mixture dont rien ne prouve qu'elle soit
efficace, d'autant que je suis fantasque, parano, et probablement escroc
(puisque officiellement poursuivi notamment pour avoir émis des chèques
sans provision), et je passe mon temps à me bronzer sur les plages de paradis
fiscaux où je blanchis le fruit de mes escroqueries.
Nombre de mes patients abonnés à L'Express, écœurés, décident de ne pas
renouveler leur abonnement à une revue qui ose travestir les faits au mépris
de son honneur.
Le 1er octobre 2003, la date de mon procès est enfin fixée, après
sept ans (!) d'instruction: ce sera le 5 février 2004 à Bordeaux.
LA SUISSE
Longtemps, j'avais espéré que l'Irlande resterait telle que je l'aimais, et
telle qu'elle est décrite dans une plaquette distribuée par les services du
Tourisme irlandais:
«Prenez une île. Pas trop grande pour qu'on puisse en faire le tour en pas
trop Longtemps, mais quand même assez.
Peignez-La en vert. Employez tous les verts que vous connaissez et même
les autres. Ne lésinez surtout pas avec le vert. Puis instaLLez des montagnes
près de la mer pour faire de jolies côtes. Placez des rivières paisibles par-ci par-
là, des collines et des lacs un peu partout.
Convoquez le soleil et Les nuages et dites-leur de faire le plus beau ciel du
monde et le plus grand.
Arrosez pour que ça brille.
Mettez-y des hommes: faites-les roux, chaleureux, hospitaliers, poètes.
Puis reposez-vous: vous venez d'inventer l'Irlande.»
Eh bien, j'avais eu tort.
L'Irlande, qui a reçu des fonds considérables de l'Europe, subit de la part
de celle-ci d'énormes pressions pour se fondre dans le moule, autrement dit
pour abandonner les particularismes et l'indépendance qui faisaient son
charme. Après avoir combattu pendant des siècles contre les oppresseurs
britanniques, gagné leur liberté voici quatre-vingts ans et fait ainsi de leur
nation le seul pays celtique indépendant du monde, les Irlandais ont fini par
rejoindre l'insipide magma européen ... pour y côtoyer les Britanniques!
Humour noir de l'Histoire.
En six ans, j'ai vu changer mois après mois ce pays que j'aimais tant.
Et pas changer en bien.
«Ils» viennent d'acheter des radars pour contrôler la vitesse.
«Ils» songent à instaurer le permis de conduire à points pour faire
408 «comme en Europe ». C'est d'autant plus énorme que 25 % des conducteurs
irlandais roulent tranquillement sans permis, seulement munis d'un document
provisoire qu'ils peuvent conserver toute leur vie. Et les examens exigés pour
obtenir ce permis, qui deviendrait donc obligatoire, seraient normalisés selon
les règles européennes.
l'hallali JO[
«Ils» ont déjà instauré les contrôles techniques systématiques des véhi-
cules. Même les très très vieux, qui ont largement fait leurs preuves depuis
vingt ans et plus.
Le port de la ceinture de sécurité est devenu obligatoire aussi, sous peine
d'amende.
Les parkings sont devenus payants.
A Dublin, «ils» ont acheté des sabots de Denver. Et ils les emploient, en
plus.
La police informatise les listes des contraventions, soUs le fallacieux
prétexte qu'environ la moitié ne sont jamais payées.
Pourquoi pas aussi nous obliger à rouler à droite avec de dangereux véhi-
cules équipés d'un volant à gauche?
Jeter un mégot ou un morceau de papier par terre coûte une amende de
1900 €!
On envisage même d'interdire de fumer dans les pubs, les restaurants et
les endroits publics dès 2004179 ! Soit-disant pour protéger la santé des
Irlandais. Mais alors, il faudrait interdire les engrais et les médicaments
chimiques, toutes les sources de pollution, le stress, les adjuvants alimen-
taires toxiques, les téléphones mobiles, que sais-je encore. Pourtant, les
pubs sont les seuls endroits où on peut se chauffer l'âme en Irlande ...
Il faudrait plutôt interdire ce qu'il y a de plus dangereux au monde: la
connerie.
Quoi d'autre?
Je ne sais pas: je ne lis plus les journaux. Ou très peu. Mais suffisamment
pour savoir que l'Irlande, en quelques années, est devenue un des pays les
plus corrompus d'Europe. Il ne ne se passe guère une journée sans qu'un
scandale politico-financier ne fasse la «une» des journaux nationaux.
L'Irlande reste donc un pays de rêve. Pour les touristes. Avec des paysages
magnifiques. Quand il ne pleut pas. On y jouit d'une luminosité «à nulle
autre pareille »180. Vous pourrez en profiter pleinement quand vous aurez
appris à supporter des semaines entières de pluie égayées par quelques
minutes de soleil. Difficile, surtout en hiver quand, en décembre, le jour se
lève péniblement à neuf heures pour se cacher frileusement vers
seize heures.
179. Ce qui a effectivement été mis en place le 29 mars 2004. Fumer dans un endroit public coûte une
amende de 3 000 €. ~Etat a créé une brigade d'espion anti-tabac, qui vont jusqu'à aller explorer les toi-
lettes des pubs pour vérifier que personne n'y fume en cachette. Le 22 juin 2004, les patrons de pubs
irlandais réclamaient un assouplissement des mesures anti-tabac: en trois mois, ils avaient perdu de 15
à 20 "10 de leur chiffre d'affaires.
180. ~ Maguy Salmon, 1999.
'J 1 QUI A P~ DE Lo ï c LE RIBAULT?
183. Berne étant La capitaLe de La Confédération HeLvétique, mon «affaire» était traitée par L'Office
FédéraL de Justice (O.F.J.) sis dans cette viLLe.
l'hallali 0[
J'en étais sûr!
Ça recommence comme vOlei presque exactement sept ans: l'arrestation
un vendredi, un juge surchargé, ça signifie un week-end en prison quasi
assuré, quoi. On dirait que pour moi l'histoire se répète ...
Sans trop y croire, je d'emande:
«Avant de partir, est-ce que je pourrais donner un coup de téléphone?
Personne ne sait où je suis, et mes amis doivent être très inquiets.»
«Je suis désolé. C'est impossible avant que vous ayez vu le juge ... })
Un quart d'heure de trajet menotté dans une camionnette cellulaire. Celle-
ci n'est pas un «camion aveugle»: on peut admirer le paysage à travers les
vitres grillagées. Et je vois les décorations de Noël qui commencent à briller
dans les rues et les magasins de Genève. Un peu comme à Bordeaux un
certain 12 décembre 1997 ...
Derrière moi, dans le coffre de la camionnette, mon téléphone hors de ma
portée ne cesse de sonner. C'est sûrement John, qui m'attend à l'aéroport184 •
Et merde! Et merde! Et merde!
184, Le maLheureux m'attendra quatre heures, puis, informé par des responsabLes de L'hôteL Crowne Plaza
que j'ai été arrêté, il Lancera L'aLerte généraLe auprès de mes amis.
- J 1
--'
CHAMP-DOLLON
Premier constat relativement encourageant: l'accueil n'a rien à voir avec
celui réservé aux «arrivants» à Gradignan. Gardiens et greffiers, dans leurs
uniformes impeccables, m'accueillent tous d'un «Bonsoir, Monsieur» qu'on
jurerait chaleureux.
Dans un petit bac en plastique se trouve une enveloppe contenant l'ar-
gent liquide que je possédais, saisi par la police. Il y a là des euros, des
francs suisses, des livres sterling et des dollars caraïbes. Ces derniers susci-
tent la curiosité: on n'en avait jamais vu à Champ-Dollon! Dans le bac gisent
aussi mon passeport, mon permis de conduire, mes chéquiers et mes cartes
de crédit. Je vide les poches de mon blouson, qui ne contiennent que mes
cigarettes et mon briquet.
«Si vous fumez », dit un gardien, «il vaut mieux acheter maintenant des
cigarettes au distributeur, parce que ce sera impossible avant lundi.»
«Je veux bien, mais mon argent est dans l'enveloppe, là ... »
« Pas de problème », dit le greffier. «Vous retirez la somme qu'il vous faut,
je vous la donne et vous me signez une décharge. Combien voulez-vous de
paquets ?»
« Quatre ».
Le greffier donne l'argent au gardien, qui me dit:
«Venez avec moi choisir la marque que vous voulez.»
Le distributeur est gorgé de paquets de cigarettes de toute sorte.
«Tiens», remarque le gardien, «c'est un nouvel appareil. Ils ont dû le
changer ce matin. Faut dire que l'autre avait déjà deux ans ... »
Il tapote le code des Gitanes, disposées en file au centre d'une sorte de
cylindre hélicoïdal, introduit l'argent dans la fente prévue à cet effet, appuie
sur un bouton; le cylindre se met en marche et crache un par un les paquets
dans le bac de réception.
«Vous avez tout ce qu'il vous faut? Besoin de rien d'autre?», s'enquiert
le gardien.
«Non, non, c'est parfait».
«Alors maintenant nous allons à la douche. Pendant que vous la prenez,
je fouillerai vos vêtements. Simple routine ... »
JO ~ A ~ DE Lo ïc LE RI BAULT ?
CELLULE 258
Après s'être une fois de plus inquiété de mes besoins éventuels et avoir
été rassuré par ma déclaration de parfait bien-être, le gardien m'emmène vers
mon nouveau logis.
Le couloir d'accès, lumineux, est équipé de grandes vitres et les murs
décorés de peintures vives. Je suis abasourdi:
«Qu'est-ce que c'est propre!»
«Oh, on essaye de bien entretenir... Mais c'est pas toujours facile:
regardez dehors.»
Dehors, au pied du mur, la pelouse est jonchée de restes de nourriture
jetés par les détenus. Une dizaine d'énormes chats gras comme des cochons
se régalent de bon appétit.
«Tous les jours, on est obligé de nettoyer. Parce que les chats, savez-
vous, ils n'aiment pas le pain. Alors, forcément, ils le laissent traîner par
terre ... »
Je compatis.
Voilà, nous y sommes: cellule 258.
Le gardien ouvre la porte et me fait signe d'entrer en prononçant le très
helvétique «faites seulement.}) Puis il me fait les honneurs du logis. Il
contrôle si les interrupteurs fonctionnent, s'il y a une provision de papier
hygiénique, une balayette, une pelle à poussière, si l'eau chaude arrive, si la
chasse d'eau marche, si la poubelle est munie de son sac plastique jetable,
si la télévision est branchée, bref il veille à la qualité de mon nouvel appar-
tement. Satisfait de son inspection, il précise:
«Vous êtes en sécurité, ici: on vous a mis à l'isolement, puisque vous
dépendez de l'O.F.J.»
Avant de sortir, il me désigne un petit bouton:
._- -- - - -
185. l'expérience m'apprendra qu'en Suisse on ne dit jamais sac pLastique ou poche pLastique, mais cornet.
Champ-Dollon r
0
«Ca, c'est la sonnerie d'alarme. Bien sûr, vous ne l'utilisez qu'en cas d'ur-
gence ... »
Je n'en reviens pas. A Gradignan, les cellules sont aussi équipées d'une
sonnette d'alarme. Mais elles sont toutes débranchées volontairement, sinon
elles n'arrêteraient pas de sonner. D'où le fameux système du drapeau,
symbole du tristement célèbre Système 0 apanage des Français. Ça doit être
ça, la discipline suisse; elle fonctionne même chez les détenus!
Le gardien jette un dernier regard circulaire, puis lance:
«Eh bien, je crois que tout est en ordre. Je vous souhaite une bonne
nuit. »
Et je suis sûr qu'il est sincère!
«Bonne nuit à vous aussi.»
«Clonk! », fait (avec l'accent suisse) la porte en se refermant derrière lui.
Face à moi, le mur peint en vert clair est percé d'une grande fenêtre sans
barreaux (mais au verre renforcé) ornée de rideaux orange, et d'un panneau
métallique qu'on peut ouvrir, muni bien sûr d'une grille, mais qui permet
d'aérer la pièce. Les murs latéraux et le ptafond sont beige rosé. La cellule
n'a pas été repeinte depuis longtemps, elle porte les cicatrices de l'âge et
nombre de graffitis. Chose étrange, ceux-ci ont été dessinés ou écrits, comme
toujours, pour laisser une trace, un nom, une date, mais avec le souci de ne
pas « salir». Les noms sont calligraphiés avec soin, et pas un seul dessin
n'est obscène. Un grand aigle noir à deux têtes sur fond rouge (1,50 m x 1 m)
est surmonté de la mention «Albania». Je distingue aussi une grande femme
stylisée sur des nuages, un dessin abstrait au fusain, et bien d'autres choses
encore.
La cellule fait environ 6 mètres sur 3 mètres 50.
En entrant, à gauche, une porte (une porte, vous vous rendez compte?)
donne sur un cabinet de toilette équipé d'un siège muni d'une lunette et d'un
couvercle (parfaitement !), d'un lavabo (propre) surmonté d'une glace et
d'une tablette pour poser ses ustensiles de toilette. Il y a même un distri-
buteur de papier hygiénique, un porte-serviette, un seau, du produit de
nettoyage et un système d'aération! A cet instant, je me souviens avec
émotion de la «124» de Gradignan, avec son lavabo (crasseux) vissé dans le
mur, séparé de la «chambre» par une murette d'un mètre de haut derrière
Laquelle se trouvait le siège sans Lunette ...
Ensuite, à gauche en entrant, je contemple les traditionnels deux lits
superposés puis, sur toute la largeur du mur, sous La fenêtre, une véritable
table de travail en bois peinte en vert clair. Sur celle-ci, une petite télévi-
sion couleur.
Un tabouret attend le prochain occupant des Lieux devant la table de
travail.
_ 0i QUI ~ DE Loïc LE RIBAULT?
J'ai l'impression que les sept années écoulées ont été des années vides.
Qu'elles n'ont servi à rien. Que c'est pour ça que je reviens au point de
départ, dans une cellule. Il existe pourtant des différences importantes: je
suis plus âgé, j'avais l'impression d'avoir rebâti ma vie, je ne suis plus à court
d'argent, je me suis refait des amis, j'en ai conservé quelques-uns (rares) de
la «vieille garde », le G5 désormais ne peut plus disparaître.
Mais, pendant cette longue période, j'ai trop souvent fait et défait n'im-
porte où mes valises, posé mes chemises sur trop d'étagères inconnues, souri
sans en avoir envie; trop souvent dit que je me sentais bien là où j'étais
malheureux, trop souvent joué l'inébranlable quand j'étais fissuré, trop long-
temps combattu quand je n'avais plus de forces. Passé trop de temps à
essayer de convaincre des gens qui ne le méritaient pas.
ChanaP86, dans lequel l'auteur fait à plusieurs reprises état de mes travaux.
Visiblement très intéressée, elle me pose nombre de questions, non pas sur
mon cas, mais sur les affaires Boulin, Chanal et La Maison des Têtes. Nous
nous quittons en excellents termes. Malheureusement, mon affaire n'est pas
entre ses mains, mais entre celles de la justice fédérale helvétique, à Berne.
ElLe, elle ne sert que de courroie de transmission.
Je tiens enfin la clé de l'énigme: le surveillant qui tous les matins, à sept
heures, demande si j'ai des réclamations à faire s'enquiert non seulement de
problèmes éventuels, mais aussi de besoin en produits d'urgence (papier
toilette, lessive en poudre, savon, papier à lettres, enveloppes, etc.).
Autre énigme résolue: la sonnette discrète qui retentit dans la cellule au
428 moment des repas:
«C'est pour réveiller en douceur ceux qui dorment», m'explique un
gardien.
187. Les radicaux-sociaListes ont dirigé Le gouvernement français pratiquement de 1902 à 1914. Ils se
situaient à gauche par Leur anticléricaLisme, mais Leur attachement à La propriété privée Les opposait au
parti sociaListe. Avec eux, La séparation des EgLises et de l'Etat fut votée en 1905.
Champ-Dollon ~ 0[
La veille de Noël, jour des cadeaux, c'est fébrilement que je me mettais
au lit" incapable de dormir. Je savais que Pépé arriverait dans ma chambre
juste après minuit, à pas de loup. Il faisait mine de croire que je dormais, je
faisais mine de croire qu'il le croyait. Il me secouait doucement l'épaule, et
je faisais mine de me réveiller en sursaut. Notre numéro était très au point.
«Faut que je te dise ce que je viens de voir il y a juste cinq minutes, mais
tu ne me croiras pas! ... », murmurait-il.
«Quoi donc, Pépé?»
«Figure-toi que je venais de sortir pour faire pipi dehors ... »
« Et alors?»
«Alors, dans le ciel, j'ai vu une traînée lumineuse, corn me des milliards de
petites étoiles, qui se dirigeait vers moi!»
« Et alors?»
«Alors, comme elle se rapprochait très vite et très près, je n'ai pas osé
faire pipi, tu t'en doutes .. ;»
« Et alors?»
«Alors, les étoiles se sont arrêtées juste au-dessus de ma tête, presque à
me toucher ... Et je L'ai vu!»
«Qui ça?»
«Le Père Noël! En personne! En chair et en os! »
«Non! Tu l'as vraiment vu?»
«En chair et en os, je te dis! Exactement comme on raconte, dans son
traîneau, tiré par six rennes avec des grelots au cou et des rubans multico-
lores autour des cornes!»
« Oh ... »
« Et tu sais quoi?»
«Non ... »
«Il m'a parlé ... Il m'a demandé si tu avais été sage, cette année ... »
Aïe... Là, la conversation entre le Père Noël et Pépé prenait un tour
inquiétant ...
« Euh ... Et tu lui as dit quoi?»
«Là, forcément, j'ai dû mentir un peu ... Je lui ai dit que tu avais été
sage ... »
Ouf!
« ... heureusement, parce qu'il m'a confié que cette nuit, si tu avais été
sage, il viendrait déposer devant la cheminée le vélo que tu lui avais
commandé... Parce que, tu comprends, il avait entendu des bruits, des
] 0~A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?
Ce matin, pour la première fois, j'ai été invité à la promenade dans la cour
des isolés. Kosovo et Africa sont du voyage dans l'ascenseur qui nous conduit
vers des sommets encore inexplorés.
Je m'attendais, bien sûr, à une «fosse aux ours» style Gradignan. Je suis
heureusement surpris: il s'agit plutôt d'une sorte de nid d'aigle entouré de
grillage et perché sur le toit de la prison, d'où le visiteur a une vue impre-
nable sur les montagnes, sur l'ensemble de la prison, et sur les dizaines de
chats gras qui patrouillent dans le chemin de ronde. Dans une cage de verre,
le gardien surveille d'un œil distrait, au cas où un prisonnier aurait un
problème ou souhaiterait réintégrer sa cage avant le temps réglementaire. La
cour a une surface d'environ quinze mètres sur sept, et mes deux compa-
gnons, sans s'être concertés, commencent comme je m'y attendais leur
promenade dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Preuve supplé-
mentaire que la mondialisation frappe aussi dans les prisons. Bien entendu,
je démarre dans l'autre sens, à la surprise générale.
Au bout d'une demi-heure, j'ai le crâne gelé. La tête a toujours été mon
point faible ... Quand je pourrai correspondre avec mes amis, il faudra que je
leur demande de m'envoyer une casquette chaude, avec des oreillettes.
Depuis le Nid d'aigle, nous observons un homme en jogging bleu qui court
autour de la prison. Du bon côté: à l'extérieur, l'heureux homme. Heureux
homme? Ce n'est pas l'avis de Kosovo:
«Oh, le pauvre!», s'exclame-t-il.
Je proteste:
«le pauvre? Mais il est libre, lui!»
«Justement ... Nous, on est sûr de sortir d'ici. lui, il n'est pas sûr de ne
pas y entrer un jour ... »
l'heure de la promenade s'achève. le gardien dort paisiblement dans sa
cage de verre. Je me réjouis:
«Le temps qu'il se réveille, on va avoir du rab de promenade!»
«Mais non», proteste Kosovo. «Si on ne rentre pas à l'heure, il risque
d'avoir des ennuis.!»
1435 1
Et il frappe fort à la vitre pour réveiller notre ange-gardien.
Décidément, je suis de plus en plus sûr que Kosovo est innocent: un
coupable ne réveille jamais un gardien qui dort.
] 0~ ~I DE LOï c LE RI BAULT?
Ça fait tilt dans ma tête. C'est vrai, ça. Et je me rends compte que, depuis
que je suis à Champ-Dollon, je n'ai pas «voyagé» une seule fois, comme je
le faisais si souvent à Gradignan. Pourquoi? Est-ce parce que j'ai perdu de
mon énergie? Parce que je suis plus serein? Ou tout simplement plus vieux?
Ou parce que la prison, cette fois, est une halte, une étape, une sorte de
repos?
Un peu de tout ça, sans doute.
Sept ans durant, j'ai vécu dans la crainte de retourner en prison.
Eh bien, maintenant, j'y suis.
Le problème est donc réglé.
C'est fou ce qu'il y a à imaginer pour tuer le temps pendant une heure
dans le Nid d'aigle.
Tiens ... Si ces dalles de ciment étaient les lattes de bois du pont d'un
bateau, et cette rem barde de fer celle de la passerelle? Si ces champs verts,
là-bas, étaient la mer Caraïbe? Si ce soleil glacé, en vérité, était brûlant?
A travers le grillage, regarder le paysage comme à travers le viseur d'une
caméra, et composer des photographies virtuelles; regarder combien de
temps met le soleil à grignoter une des rayures qui décorent les dalles du sol.
Le gardien nous surveille, dans sa cage de verre. Mais si c'était moi qui le
contemplais comme un poisson dans un aquarium? Si, en le fixant, je captais
son attention inconsciente et qu'il me suive dans mes déplacements tout au
long de sa glace, comme le fit un jour un poisson-perroquet dans l'aquarium
de Funchal à Madère et, une autre fois, un petit singe tamarin dans le zoo
de Jersey? Il sautait d'arbre en arbre pour se maintenir toujours à ma
hauteur, tu t'en souviens, Laurence? Le gardien lit, je le fixe ... tac! IL a levé
les yeux vers moi: gagné! Le gardien est devenu mon tamarin personnel.
Combien y a-t-il d'arbres dans ce champ, déjà? La buse est-elle campée à
son poste d'observation habituel? Pourquoi les habitants de la grande
maison blanche ne promènent-ils pas leurs chiens aujourd'hui, le gros berger
allemand, le labrador crème, le petit noir et le minuscule blanc? Tiens, une
des caméras de surveillance ne pivote pas, aujourd'hui. Serait-elle en panne?
Champ-Dollon 0[
Il doit faire bon s'asseoir sur un des bancs de pierre, au milieu de la cage, en
été. La cheminée de la maison qui semblait abandonnée fume et ses volets
sont ouverts. Les propriétaires ont dû venir pour passer Les fêtes, il y fera
chaud ce soir pour Le réveillon. Quel en sera le menu? Pourquoi les joggers
habituels s'obstinent-ils à courir autour des murs gris de la prison? Ce ne
sont pourtant pas les endroits pLus souriants qui manquent. Ah, la voiture
0-
3 janvier 2004: Kosovo, qui parle très bien le français mais ne sait pas
l'écrire, m'a demandé de rédiger une lettre d'amour pour son épouse suisse:
«Surtout», insiste-t-iL, «écris des jolis mots! Une vraie lettre d'amour!»
C'est malin! Je n'ai jamais écrit des trucs comme ça, moi! Bon, il ne
0-.
des oiseaux prisonniers derrière un grillage, leur prison à eux. En face, ils
voient une autre grille, puis un mur derrière lequel se cache une autre grille
qu'ils ne voient pas. Au-dessus de nous tous planent des corbeaux, libres.
«C'est pas une vie pour des oiseaux, ça ... », murmure Africa.
Kosovo est chez le juge, Africa chez les flics. Je suis donc seul à la
douche. Le gardien:
« Prenez tout votre temps avec la femme!»
«???»
«Ben oui, c'est le surnom de la douche, ici.»
« Et pourquoi?»
«Parce que c'est le seul moment de douceur, pour les prisonniers ... »
16 janvier 2004: Africa nous quitte demain pour rejoindre les rangs des
prisonniers «normaux ». Il est très heureux, il déprimait tout seul dans sa
cellule. Quand je lui disais qu'il ne fallait pas broyer du Noir, ça ne le faisait
même plus rire.
Je ne le reverrai certainement plus. Comme cadeau d'adieu, il m'a préparé
un sac de café soluble et rempli un pot de sucre. Moi, je lui ai donné deux
paquets de cigarettes.
En nous séparant, nous pleurons à chaudes larmes dans les bras l'un de
l'autre.
Un gardien entre:
«Je viens vous chercher pour votre visite chez le dentiste.»
«Moi? Mais je n'ai rien demandé!»
Champ-Dollon 0[
«Ah, si. La preuve: je viens vous chercher ... »
« Mais qu'est-ce que vous voulez que j'aille foutre chez le dentiste?»
« Vous faire soigner les dents, tiens!»
« Mais j'ai plus de dents!»
«Vous êtes sûr?»
«Bien sûr! Mais si vous voulez, je vous donne mes râteliers, et vous les
apportez chez le dentiste ... »
« Non, non, je vous crois ... (il réfléchit un moment). Je vais leur dire ce
que je pense, moi, à ces cons-là ! »
«Mais non, dites-leur seulement que je n'ai aucune dent contre eux ... »
Le gardien se marre.
TELE EN VRAC
A travers l'écran de l'étrange lucarne, je regarde un monde malade qui
s'agite comme dans un aquarium. J'y vois surtout nager des requins inquié-
tants dans des eaux bien troubles.
Mardi 25 novembre, sur Antenne 2, j'ai regardé un film magnifique inti-
tulé La vie est belle, qui raconte l'histoire d'un juif déporté qui s'ingénie à
faire croire à son fils qu'ils participent à un jeu de guerre dont le premier prix
est un tank. Un des passages montre des déportés portant des enclumes à
fondre dans des fours, et je me suis souvenu que mon père, prisonnier en
Allemagne pendant cinq ans, avait dû travailler dans des fonderies. IL disait
simplement que c'était terrible. Plus tard, il avait été muté dans une usine
de torpilles et passait ses journées en fin de chaine de montage à frapper les
engins avec un petit marteau d'argent. Si le son était clair, cela signifiait que
la torpille était bonne pour le service. S'il était «creux », il indiquait que
l'engin était fêlé et devait être mis au rebut. Mon père me disait que, de
temps à autre, son marteau «se trompait» et condamnait une bonne torpille
Champ-Dollon ] 0[
Toutes les cellules sont équipées d'un téléviseur couleur, qui diffuse une
bonne trentaine de chaînes en français, anglais, allemand, albanais, italien,
russe, arabe, etc. Après avoir exploré seize à dix-sept heures par jour toutes
les chaînes dont je comprends la langue, j'en suis arrivé à la conclusion que
les détenus qui regardent la télévision sont probablement masochistes. Car
80 % des films sont des films policiers où - évidemment - le justicier tient
le beau rôle; rarement moins de cinq films par jour nous font explorer des
prisons dont le locataire s'échappe évidemment pour survivre s'il est inno-
cent ou être abattu ou repris si c'est un salaud; le reste des programmes est
occupé par des films de guerre ou des jeux plus débiles ou répugnants les
uns que les autres (à l'exception bien sûr du toujours excellent Des chiffres
et des lettres), où les gagnants décérébrés sont recouverts de masses d'argent
ou de voyages dans des pays paradisiaques, deux rêves inaccessibles pour les
détenus. Sans compter que tous les acteurs dégustent des bières bien fraî-
ches, du champagne ou des whiskies on the rock sous les yeux envieux de
prisonniers réduits à l'eau, au café, au jus de fruit ou au thé. On ne peut
même pas dire que ces films sont éducatifs en apprenant aux détenus libé-
rables les erreurs à ne pas commettre lors de leurs futurs braquages ou assas-
sinats, puisque les enquêteurs sont les premiers à faire des bourdes inexcu-
sables sur les lieux du crime .. .
Mais le pire de tout ça, c'est la pollution sonore: toute la journée, les
cellules résonnent du bruit télévisé des sirènes de police!
4 décembre 2003: Suite aux inondations catastrophiques dans le sud-est
de la France, René Muselier (député des Bouches-du-Rhône), qui connaît
parfaitement à la fois le dossier des catastrophes et la langue française, El[
déclare que ces inondations posent un problème, car elles sont «décennales,
parce que ça arrive tous les siècles». Sic.
Je me souviens qu'on parlait déjà de ces problèmes - et dans la même
région - voici sept ans. N'empêche qu'ils ne sont toujours pas résolus, qu'on
JrJ ~~ PEU ~ DE Loïc L E RIBAULT?
29 décembre 2003: Une loi européenne interdit les pratiques qui occa-
sionnent des souffrances inutiles aux animaux, et notamment le gavage des
oies. Intervention sur ce point (sur FR3) d'Olivier Duhamel, député européen:
« C'est de la connerie en barre (sic). D'abord, la souffrance des oies, elle
est pas inutile, puisqu'elle nous donne du plaisir (re-sic) ! »
12 janvier 2004:
La gendarmerie française avoue n'élucider que 32 à 35 % des affaires
criminelles. M'étonne pas ...
L'ANGOISSE
Du 21 novembre au 20 décembre, je vis à l'isolement absolu, privé de
toute visite et de tout courrier. J'ignore tout ce qui se passe pour moi et pour
mes amis. Mes seules nouvelles du monde extérieur sont celles que je glane
à la télévision, et mes seuls interlocuteurs occasionnels Africa, Kosovo et
bien sûr les gardiens. Il m'arrive bien de parler au téléviseur, mais il me
répond rarement.
Enfin, le 20 décembre à 17 heures, je reçois d'un seul coup six lettres,
dont une de Laurence et deux de Maguy. Toutes sont oblitérées des 16 et
17 décembre. Elles me confirment qu'il était interdit de m'écrire avant, ce qui
explique sans doute que pas une seule des lettres que j'avais écrites dès mon
incarcération ne soit jamais parvenue à son (sa) destinataire. Pourquoi
m'avoir imposé cet isolement total pendant un mois? Mystère ... Je ne
pourrai jamais obtenir d'explication officielle à cette mesure.
Le 22 décembre, Laurence est autorisée à me rendre visite! C'est un
moment émouvant, mais bien court: une heure ... Elle me trouve serein et a
le toupet de déclarer que j'ai bonne mine!
L'intimité de notre entrevue est évidemment un peu gâchée par la
présence d'un gardien qui enregistre notre conversation. Il se fait aussi
discret que possible, mais au bout d'une demi-heure la bande s'arrête en
faisant « clac! », et il doit la retourner. Le problème, c'est qu'il ne sait pas
El
comment faire. Histoire de rire un peu, je dis à Laurence:
« Maintenant, je vais enfin pouvoir te dire plein de choses confiden-
tielles !»
j r QUI A P~ DE Loïc LE RIBAULT?
Mais je n'ai rien à dire qui ne puisse être enregistré, et j'aide le surveillant
à retourner sa satanée bande. Il me remercie poliment.
Comme nous avions prévu de passer cette semaine ensemble en Suisse,
Laurence m'annonce qu'eLLe a maintenu Le projet et restera le plus près
possible de moi ... dans un hôtel de Genève. ELLe me raconte plein de choses
réconfortantes (notamment le soutien de tous mes amis) ... et d'autres bien
inquiétantes: mes amis les plus fidèles (elle, Maguy, Jean-Claude, Véronique,
Jocelyne, Didier, Maurice) pensent que le principal souci de maître Barillon
n'est pas de me faire libérer de toute urgence, comme il l'avait promis, mais
plutôt d'être mon défenseur lors de mon procès à Bordeaux. Il croit que celui-
ci sera très médiatisé. BariLLon n'a donc aucun intérêt à se décarcasser pour
que je sois libéré avant le 5 février ...
Mes amis ont raison. Le 29 décembre, je retire donc officiellement à
Jacques BariLLon le soin de défendre mes intérêts. Sur les conseils d'une amie,
c'est Maître Enrico Scherrer (dont je n'aurai qu'à louer le dévouement) qui
devient mon avocat suisse. Lui, au moins, prendra soin de venir me rendre
visite presque chaque jour jusqu'à mon extradition, pour que je me sente
moins seul.
Mis au courant de ce changement, les surveillants me congratulent:
«On ne pouvait pas vous le dire, mais on était tous très inquiets. BariLLon,
c'était une mauvaise image de marque pour vous: il a la réputation de ne
défendre que les crapules ... »
En 95 jours passés à Champ-Dollon, je recevrai en tout dix visites d'amis,
d'une durée d'une heure chacune. Autrement dit, dix heures de joie pour
2 280 heures de prison. Si je soustrais les heures passées avec Africa et
Kosovo, j'aurai donc passé 2 210 heures dans une solitude absolue.
Un régime à devenir fou.
8 janvier 2004: En lisant attentivement un dossier de 135 pages (!)
émanant fraîchement des autorités françaises pour justifier leur insistance
concernant mon extradition, je découvre une phrase extrêmement inquié-
tante:« ( ... ) Il est à signaLer qu'une autre information judiciaire a été ouverte
(contre moi) par le Parquet de Bordeaux pour la période postérieure aux faits
concernés par le présent dossier et que le juge d'instruction saisi envisage de
délivrer à son tour un mandat d'arrêt international aux fins d'obtenir une
extension de l'extradition à ces nouveaux faits. »
Ces cinq petites lignes me glacent le sang: je suis maintenant devenu un
individu si dangereux que ses nouveaux méfaits (non précisés) justifient un
autre mandat d'arrêt international!
Alerté, Maître Blet se renseigne au Parquet de Bordeaux, qui Lui indique
le nom du juge chargé de cette nouvelle instruction. Ce dernier, interrogé,
tombe des nues: il n'est pas au courant!
Champ-DoLLon 0
Il s'agit donc bel et bien d'un nouveau coup monté, si énorme que les
autorités françaises n'ont pas hésité à mentir aux autorités judiciaires fédé-
rales suisses!
«On» veut vraiment ma peau, et je persiste à refuser l'extradition. Cette
fois, je suis vraiment inquiet.
D'autant plus inquiet que ,le dossier m'apprend que je ne serai pas seul à
être jugé le 5 février: comparaîtront aussi un truand marseillais notoire, un
guérisseur et. .. Patrick Isnard, un des «deux CLowns»! Tous trois ont diffusé
du faux G5 (fabriqué par un nommé Tancogne, pharmacien également
inculpé), ont usurpé mon nom, publié d'innombrables publicités menson-
gères et ont exercé au grand jour depuis 1996 sans jamais être le moins du
monde inquiétés par la justice qui me persécute. D'ailleurs, ils comparaîtront
libres, eux. Mais il faut dire que le dossier indique en toutes lettres qu'ils ne
sont pas complices. Autrement dit, que je suis le « cerveau» de « l'escroquerie
du silanol»!
Je découvre aussi que toutes les plaintes, sans exception, qui figurent
dans «mon» dossier ont été en fait déposées contre ces trois escrocs.
C'est ainsi qu'on fabrique dans toutes les dictatures des dossiers acca-
blants contre des innocents dérangeants qu'on veut faire éliminer.
LA SURPRISE
En fin d'après-midi, le 9 janvier, un gardien entre, l'air navré :
«Vous n'avez que deux lettres, ce soir ... »
«C'est mieux que rien!»
Il me tend les lettres, mais laisse la porte ouverte. Un autre gardien surgit
derrière lui, un grand sourire aux lèvres. Il tient une boîte en carton emplie
de lettres. Ce doit être le courrier pour tout l'étage?
«C'est pour vous», me dit-il en me tendant la boîte. «Maintenant, vous
avez de quoi vous occuper! .. . Et apparemment, il y a beaucoup de gens qui
vous soutien nent! »
Assis à mon «bureau », je compte les lettres: il y en près de cent! A partir
de ce jour-là, c'est par centaines que des lettres d'expéditeurs presque tous
inconnus commencent à me parvenir en prison. Je comprends alors que mon
affaire soulève une véritable indignation et que je peux compter sur le
soutien d'une multitude de sympathisants. Combien de personnes sur terre 1445 11
peuvent se vanter d'avoir à leurs côtés tant d'amis? Surtout d'amis désinté-
ressés, car enfin ma disparition n'entraînerait pas celle du G5, qui, malgré
mon incarcération, continue à être fabriqué et distribué depuis l'Irlande
comme par le passé. Je ne suis donc plus réeLLement indispensable. Or, des
1 w ~ QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?
1
'1,,~.,;'<U..- Lore. Lj; RI<'>"Ul T
Ct.~..t<;r
P"1.i.1-o4 J..~ CC~ï' .i:b\lo...,
l-t ~ d.<4 cc."-""'T'>J)"I\~"
I~:t' Tk"ex '3.u..i.s"<- ~
Fig. 93: «Un grand merci ».
")
@BELLE"'N fàe/l<A
MME /J~ i 1
'2 lUE CH SOUNOD
9mO - NO' SEAU
&.
21 JAN. 2004
lB ?/\À~ JM -e~~ ~
V- t};~v. ~ $e~ ~
~i.e6 _l"tMe~ _ SUiSSE
Fig. 94: l'enveloppe avec le timbre en forme de cœur, et ceux
où le mot « liberté» est barré.
Champ-Dollon 0[
Fig. 96: Tous les jours, un ami inconnu m'adressa une carte
comme celle-do
,\
:1
\\
Fig. 97: « Genève, centre de tourisme)) (cachet sur
une lettre reçue à Champ-Dollon).
EXTRADITION
Mais le fatidique 5 février approche à grands pas, et il faut toute la
persuasion de mes amis les plus proches et de Maître Blet pour me décider à
accepter l'extradition. En réalité je n'ai pas le choix: je serai de toute façon
extradé, tôt ou tard. A la limite, je pourrais repousser l'échéance de plusieurs El[
mois, mais l'extradition sera exécutée. Et mon procès, lui aussi, serait
repoussé à une date indéterminée. Peut-être en septembre 2004. Ce qui
signifierait des mois d'isolement supplémentaires en Suisse, et peut-être
d'autres mois en France.
] 0E A PEUR I DE Loï c LE RI BAULT?
Je suis fatigué.
J'en ai marre de me battre.
J'en ai marre de la solitude.
Je sais qu'en France je serai en grand danger, mais désormais ça m'est
égal.
Au moins, je serai fixé sur mon sort.
C'est au soir du 3 février que la police suisse me remet, menotté, à la
police française. Considérant que les policiers suisses se sont montrés négli-
gents en me menottant «par devant», les flics français s'empressent de me
menotter les mains dans le dos, et m'emmènent en voiture avec armes (mon
ordinateur portable) et bagages (trois sacs de voyage) à la prison de
Bonneville. Comme celle-ci est bondée, c'est couché par terre et sans avoir
dîné que je passe cette première nuit d'émouvantes retrouvailles avec la
doulce France. Cela n'augure rien de bon pour mon avenir ... Toutefois, les
gardiens scandalisés par mon histoire, et avertis par le procureur de
Thionville que je dois être protégé, m'ont «hébergé» dans le couloir des
travailleurs avec deux détenus de toute confiance. Merci, surveillants de
Bonneville.
Je ne dors pas: mon bras gauche tordu par le menottage «dans le dos»
me fait énormément souffrir. La douleur persistera plus d'un mois.
Le lendemain soir, ce sont les gendarmes qui sont chargés de mon escorte,
toujours en voiture. Après m'avoir retiré ma ceinture et les lacets de mes
souliers, ils me menottent «par devant» en me faisant remarquer qu'ils sont
bons princes, car il s'agit d'une simple tolérance. La règle, pour eux comme
pour les flics, c'est «dans le dos ». Comme les malheureux sont très fatigués,
ils n'ont pas la force de transporter mes bagages, qui restent à la prison de
Bonneville, que je quitte sans vêtements de rechange et sans avoir mangé,
une fois de plus. Heureusement, cette privation n'affectera pas mes braves
gendarmes, qui me déposent affamé dans une cellule de la brigade de Tulle
pour aller se restaurer en ville. Dix heures plus tard, je retrouve sans plaisir
excessif et le ventre vide la prison de Gradignan, quittée huit ans plus tôt.
Il est une heure du matin ce 5 février, jour de mon procès.
Je suis enfermé dans une cellule «arrivant», ce qui signifie dénuée de
tout confort, même minimal. Et, bien entendu, d'une saleté repoussante. Les
prisonniers ne font que passer dans ces bauges infectes, et nul n'estime
nécessaire de les nettoyer. Une pensée émue pour la propreté des cellules
suisses, et le respect humain qu'elle traduit ... Ici, au moins, en France, celui
qui entre sait qu'il n'est plus rien, en tout cas plus un être humain. Juste une
bête méprisée promise à l'abattoir.
Bien entendu, on ne me donne rien à manger: il est trop tard ...
o 1 1 J
L_____L ___
o rft-~
-- I ! 1
i
t J 1'1 L
- ~
'-li
l'
il 1
1
lU,
_--' __ ~ 1l__ _
1 .iIl
'---___. .-.J 1
r. - - - - - -
huitième ! • 1
artle L
LE PROCES
------_._------ . _ - -----[
!
J
I-R-
iL] I[J~~
1'",
:i 1
IL!
, --
188. Plombs de Venise: prisons établies dans le Palais ducal. sous les toits recouverts de plomb.
~ -, ~I A !E~ DE Loïc LE RIBAULT?
loin l'agonie d'un fauve blessé. Pour s'en repaltre, sans gloire, certes, mais
surtout sans danger.
Des journalistes ont écrit qu'à leur grande surprise, alors qu'ils s'atten-
daient à voir comparaltre un homme révolté, j'étais apparu calme et serein.
En fait, je suis effective-
ment révolté, ulcéré, et loin
d'être serei n. Je suis sale,
affamé, épuisé, j'ai voyagé
dans des conditions contre
lesquelles la S.P.A. se serait
révoltée s'il s'était agi
d'animaux de boucherie.
«On}) a tout fait pour m'hu-
miLier, je le sais, mais ça n'a
pas marché: ce sont eux qui
se sont humiliés, qui ont
perdu tout amour-propre en Fig. 99: 5 février 2004: La presse se presse
autour de La cage de verre .•.
me faisant subir ce que j'ai
subi.
Moi, mon rôle est désormais de faire en sorte que mon attitude ne justifie
pas plus de six mois de prison. Mon principal espoir, à cet instant, réside
dans le fait qu'il est de notoriété publique dans le microcosme judiciaire
bordelais que Maud Vignau et Françoise Martres se détestent. Autrement dit,
Vignau demandera contre moi une peine de prison considérable, mais Martres
ne la suivra probablement pas et me condamnera au minimum, c'est-à-dire
aux six mois déjà subis.
Ma vie dépend à cet instant de ma capacité à répondre aux questions
qu'on va me poser. Or, le traitement que j'ai subi depuis trois jours a consi-
dérablement diminué mes capacités intellectuelles. Je ne suis plus que
l'ombre de moi-même.
Je ne sais plus dans quel pays une expérience a été réalisée l'année
dernière: tous les étudiants en droit qui se destinaient à la carrière de juge
ont été astreints à un stage de quelques jours en prison, en qualité de
prisonniers anonymes. Ils ont subi la fouille intégrale, les douches en
commun, les cellules «arrivants», la cohabitation avec d'autres détenus, les
menottes, les trajets dans les camions cellulaires, les «sas », etc.
Etrangement, dans les semaines qui ont suivi l'investiture des magistrats qui
avaient connu cette expérience, le nombre d'incarcérations préventives pour 453
des suspects dont la culpabilité n'était pas évidente a baissé d'une façon
spectaculaire. Les juges avaient compris qu'une incarcération, même brève,
constitue un traumatisme effrayant et durable, surtout pour un innocent. Ils
avaient pris conscience de leur responsabilité.
PEUR DE LOïc LE RIBAULT?
-,
individu infréquen- 1 ~ULLET/N DE VALEUR DU DETENU Remis au greffe le ;Z~ :A1: -];-5, ' 1
L Signature du détenu à l'entrée ~~ . . ..• ..
table, sans honneur 1
et sans valeur •189
A bout de venin,
i NOM .. · ... ·~ ..
Francs su'sses ..
--:->. '
, ....
i:i;.::/f. . . . Valise
PRENOM • .. ·{~!~ .. j7?,':':{1
189. ('est certainement exagéré. D'autant que certains des amis qui m'ont écrit, tombant dans l'excès
inverse, sont aLLés jusqu'à me comparer à Jésus! Alors, queLLe est ma vaLeur réelle? L:administration péni-
tentiaire suisse a répondu clairement à cette question: exactement 376,60 francs suisses, comme indique
Le «buLLetin de vaLeur du détenu » qu'eLLe m'a officiellement décerné. (Fig. 100)
Les Cl owns en nOH
. I"l
1
r
!1
u'-
avec attention tout ce qui se dit. Et puis, j'entends fort mal dans ma cage de
verre. Je n'ai qu'une hâte: retourner dans ma cellule.
Alors, pour que le lecteur ait un résumé fidèle du procès, je laisse la
parole à Pierre Lance.
190. Le compte rendu commenté qui suit a été rédigé et pubLié par Pierre Lance dans Les numéros 159
(mars-avriL 2004) et 160 (mai-juin 2004) de La revue L'Ere Nouvelle. J'ai scrupuLeusement respecté La typo-
graphie du texte.
] 0: QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
,.-:.,..,..•.. '~
I
~~~~
JCD/AB
Ch eT HonsieUT 2
La Presse s'est faic l'icha de l'exis-
tence de ce tr~1 remarquable laboratoire qui est le v6cre.
Voua constituez un point fort daDs notre
dispositif aquitain &t je tien. 1 vous en fflicite~ .
J. CHABAN-DELMAS
_ _ _ _ _ _ ..1
Fig. 101.
193. Lettres reçues pendant que j'étais en prison, et que Maître BLet tenait ce jour-Là à la disposition du
tribunaL (n.d. LLR)
1 0~ ~ DE Loï c LE RIBAULT?
196. Sans parler du personnel du palais de justice de Bordeaux, chère Maud ...
]0Liii:L~ UR I DE Lo ï c LE RI BAULT ?
On sait que, chaque année, dans les prisons françaises, des détenus haïs
(pédophiles, violeurs, tortionnaires, etc.) sont assassinés par d'autres
prisonniers, en particulier au cours des promenades en commun. Et s'il y a
en France quelqu'un dont le passé risque de susciter la colère des détenus,
c'est bien moi. Alors, n'a-t-« on» pas espéré, voire programmé, que je sois
victime d'un de ces regrettables règlements de comptes, et ne m'a-t-« on»
pas immergé ici, malgré les mises en garde de mon avocat, dans des condi-
tions idéales pour que se produise un tel «accident» ?
Je pense sincèrement que c'est le sort qui m'était réservé. J'ignore pour-
quoi et comment j'y ai échappé. Sans doute encore mon éternelle bonne
étoile?
Mais si ce n'est pas le cas, la seconde question est encore plus inquié-
tante: comment des magistrats ont-ils pu être assez inconscients pour
mettre l'expert qui a rénové toute la police scientifique française au beau
milieu de criminels, lui laissant ainsi la possibilité de donner deux heures par
jour des cours de criminalistique à tous les détenus? C'est du délire! On
constate tous les jours dans les médias que la police scientifique française
s'est empressée d'oublier à peu près tout ce que je lui avais appris. Mais moi,
j'ai poursuivi mes recherches dans ce domaine; je m'entraîne déjà à appliquer
expérimentalement des techniques qui ne seront opérationneLLes sur le
terrain et en laboratoire que dans une dizaine d'années. Autrement dit, que
les enquêteurs français n'assimileront (sans doute avec peine) que dans vingt
ans.
Alors, hein? Si pour me distraire j'avais révélé à quelques-uns de mes
coLLègues de Gradignan ces techniques du futur et comment y échapper, les
magistrats totalement irresponsables qui m'ont incarcéré ne devront-ils pas
être inculpés de complicité de crimes?
Seule inconnue: ai-je donné des cours de criminalistique? N'en ai-je
point donné?
That is the question ...
A l'étage des travailleurs, les gardiens acceptent volontiers que les
détenus demandent à partager une cellule avec quelqu'un qu'ils connaissent
ou avec qui ils s'entendent bien. Mais, pour cela, il faut que les détenus qui
devraient être déplacés acceptent les nouveaux co-locataires qu'on leur
propose. C'est un casse-tête que l'administration pénitentiaire a résolu de la
façon la plus sage: débrouillez-vous, et quand vous serez tous d'accord,
faites-nous le savoir, on acceptera les déménagements.
Ma proclamation faite haut et fort que j'en ai marre de Boléro et que je
vais finir par l'étrangler ne tombe pas dans l'oreille de sourds. Un voleur
(fumeur) qui cohabite avec un Noir (non fumeur), qui a légèrement découpé
sa femme avant de la brûler partieLLement, propose à Boléro (non fumeur) de
m'échanger contre son Noir moyennant 100 € de dédommagement par mois.
Les clowns en noir n[
Cest La première fois de ma vie qu'on propose de me Louer! Je refuse avec
indignation: je vaux pLus de 100 € par mois, tout de même!
Tout Le monde se met aLors en quête du co-détenu idéal pour moi.
«Tu devrais demander Gégé,» me dit Le gameLLier. «Il a ton âge, iL fume
comme un pompier, iL est tranquiLLe tant qu'on ne L'emmerde pas, il a presque
fini son temps, iL aime bien Lire. Et puis, on L'a opéré du genou et il marche
avec des béquilles, tu pourras l'aider.»
La rencontre avec Gégé se passe le mieux du monde. Je le connaissais déjà
de vue et d'oreille: personnage truculent et haut en couleurs, c'est La célé-
brité du deuxième étage où, en vieil habitué, il manifeste sa présence dans
les couLoirs à grands coups de barrissements révoLtés ou amicaux selon les
circonstances. En général, tout le monde l'aime bien, surveillants compris. Et
puis, on le connaît ici depuis si Longtemps ...
Immédiatement, un courant de sympathie passe entre nous. Lui, il en a
marre de son jeune co-Locataire, qui râLe quand il fume et passe son temps
à regarder les matches de foot à La téLé, ce dont Gégé a horreur. Sans compter
que, sous prétexte qu'il était arrivé le premier dans La ceLluLe, Le gamin
persiste à occuper la couchette du bas, malgré le sérieux handicap physique
de Gégé.
Le problème, c'est que le jeune de Gégé ne veut pas cohabiter avec BoLéro,
la réciproque étant vraie.
La situation semble sans issue.
Nous en sommes là quand arrive le jour du verdict.
Ce 12 février, en comptant ma première incarcération, j'entame mon
14g e jour de prison. Cinq mois et presque une semaine ...
Comme il fallait s'y attendre, je suis condamné à 8 000 € d'amende et
un an de prison dont six mois avec sursis pour exercice illégaL de La méde-
cine et de la pharmacie. Je devrai également verser, solidairement avec Les
autres condamnés, 10 000 € à l'Ordre des pharmaciens et 8 000 € au Conseil
départemental des médecins. Mais - et c'est pour moi le plus important -
je suis blanchi des accusations de tromperie et de vente d'un produit toxique.
Mes «complices », est-il besoin de le préciser, pourtant reconnus coupa-
bles de tromperie et de vente de produits toxiques, repartent aussi libres
qu'ils étaient arrivés. Forcément, ils ne dérangent personne, eux ...
Mais moi, je retourne à Gradignan.
Pour une simple et mauvaise raison: La loi donne dix jours aux parties Dr
pour faire éventuellement appel. C'est ce que les condamnés appeLlent «les ~
jours du proc' ». Je repars donc pour dix jours en prison. Puisque nous
sommes le 12 février, dix jours pleins nous amènent au dimanche 22 février.
Comme La tradition gradignanesque veut qu'on ne libère jamais un dimanche
mais Le samedi pr~cédent, j'envisage ma libération pour le 21. C'est aussi
-1-,un l~A
UU1 ,
PM DE Loïc LE RI BA U LT?
469
199. Si vous désirez connaître l'état d'avancement de ces dossiers, consuLtez mon site internet personneL
<doic-Le-ribauLt. ch»
]0 QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
Fig. 127: Un patient emportant comme un Fig. 128: Une mère rassembLant ses
trésor une bouteille de L'«eau» dont il dernières forces pour venir embrasser son
attendait tant .. . fils en exil ...
REMERCIEMENTS
Du fond du cœur, j'adresse (par ordre alphabétique) mes chaleureux
remerciements à celles et ceux qui, au cours des neuf dernières années,
m'ont, de façon désintéressée, aidé chacun à leur manière dans mon combat:
Frank AMY, René ARNAREZ, Gérald ARNAUD, Emmanuel et Pantxo ARRETZ,
Yossi BAMBERGER, Nathalie BAUDRY, Serge de BEKETCH, Monique BELJANSKI,
Jean-Yves BILIEN, Raymond BLET, Michel BOGE, Laurence BOUFFARD de
FONTAINEMARIE, Jacques BRETON, Patrick CADET, Avelino CARVALHO et son
équipe du Dolphin Hotel de Jersey, Paulette CHARBONNIER, Patricia & Jean
COËFFIER, Christian COITEN, Patricia DELREUX, Marie DEVANNEY, Véronique
ESTAY, Jean FOURY et son épouse, Marie-Lise GEFFROY, Gérard GOFFmE,
Madeleine GUILLEMIN, Louis-Robert LAFOND, Pierre LANCE, Christian
LEBRETON, Marcel LEGRAS et son épouse, Eric LEMAÎTRE et sa famille, Jean-
Paul LE PERLIER, John LOFTUS, Jean-Claude MAINGUY, Jean-Claude
MARCHAIS, Maurice et Corinne MARUERE, Annie MARTIN, Laurent MARTIN
DESMARETZ de MAILLEBOIS, Fabienne MERCIER-GIRARD, Bryan MEYER,
Véronique & Luc MOULIN, Patrick RAMAËL, Dominique RIZ ET, Jocelyne &
Didier ROBERT, Sue & Graeme ROBERTS, Jean SABLE, Maguy SALMON, Alain
SCOHY, Denis SEZNEC, Denroy SHAW, Iva SINNEL, Jean-Marie TARBES, Gilbert
THIEL, Martin WALKER et Gérard WEIDLICH.
Les médias et revues qui m'apportent leur soutien, et notamment:
A. G. N. v. S., Dix-sept Juin Production, Alternative Santé, L'Ere Nouvelle,
France 2, LTmpatient, La Lettre des Landes, Lectures Françaises, Morpheus,
Motus, Nexus, Objectif Santé, Radio Courtoisie, Radio Peltre Loisir.
Tous ceux qui m'ont fait l'honneur d'adhérer à L'Association Internationale
des Amis de Lok Le Ribault.
Les milliers de patients, de médecins et de thérapeutes qui m'ont adressé
des messages de soutien et qui me font confiance.
Les surveillants des prisons et des dépôts de Bordeaux, Genève, Antigua,
Gradignan, Champ-Dollon et Bonneville, qui ont tout fait pour faciliter
B
autant que possible ma vie de détenu.
Sans compter tous ceux que j'oublie, à ma grande honte ...
Laurence BOUFFARD: figures 64, 65, 74.
B.R.G.M.: figure 4.
Jacques BRETON: figure 55.
SyLvie CARILLO: figure 56.
Loïc LE RIBAULT: figures l, 2, 5 à 19, 20 à 30, 32 à 34, 37 à 48, 50, 53,
57, 61 à 63, 66 à 73, 77 à 80, 82 à 84, 92 à 97, 100.
Fabienne MERCIER: figures 59, 76, 102, 103.
Maguy SALMON: figure 58.
i J
Il ~-t i,r-'.
1
dernières années, il a tout perdu, sauf la raison. Son nouveau livre est un véritable gant jeté
aux pieds des institutions françaises. Bien que Le Ribault ne nourrisse que peu d'espoir (et
n'en a de toute façon aucun désir) en une resurrection politique et sociale en France, il
persiste à vouloir obliger les institutions françaises, et en particulier la police et la justice, à
faire face à leurs crimes. ))
Martin J. Walker, Le Ribault's Resistance, décembre 1998
Nous ne savons si Le Prix d'une Découverte sera largement distribué. A vrai dire, il est
f(
vraisemblable que sa diffusion ne sera pas tolérée. C'est le roman vrai.d'un Sherlock Holmes
du microscope électroniqùe qui se retrouvera plus tard dans la même prison que les crimi-
nels qu'il a confondus que vient de publier Loïc Le Ribault, depuis sa retraite d'Antigua.
Règlement de comptes remarquablement écrit, il retrace dix années plus que
mouvementées.»
Jean-Claude Marchais, Le Meilleur, 12 décembre 1998
Micropolis (.. .) constitue, avec Le Prix d'une Découverte, l'un des meilleurs ouvrages que
f(
l'on peut trouver dans la jungle littéraire de ce nouveau millénaire en gestation. (... ) Lisez ces
livres étonnants, parfois durs, mais aussi pleins d'humour, où fourmillent les informations les
plus édifiantes. »
La Lettre de l'AGNVS, supplément du 18 avril 2000
Les deux livres de Loïc Le Ribault (.. .) vous tiendront en haleine comme des romans
f(
(policiers, ça va de soi). C'est d'ailleurs le roman d'une vie extraordinaire. (.. .) Mais je vous
préviens: ces livres qui vous passionneront à coup sûr vous indigneront aussi. Après cela,
vous aurez honte de ce que la France est devenue. Je veux dire: encore un peu plus honte.»
Pierre Lance, CEre Nouvelle, n° 136, mars-mai 2000
Depuis 1998, beaucoup d'eau très sale a coulé sous les ponts de France. Qui a peur de
f(
Loïc Le Ribault? " reprend donc en partie ses deux ouvrages précédents, mais entièrement
remis à jour et surtout complétés par la suite de son incroyable aventure.
ISBN 2-919937-02-2