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Loïc Le RIBAULT

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a peur d'e
Loïc Le Ribault?
2 inventions de trop!
CARME : la rénovation de la police scientifique

G5:un remède révolutionnaire .'

OSER QIRE
Qui a peur
de
Loïc Le Ribault?
LoYe Le Ribault

Qui a peur
de
Loïc Le RibauLt?

DEUX 1 VE TIO 5 DE TROp·


.A.R.M.E., la énovation de la police scientifique
le 5, remède révolutionnaire
Ce livre est dédié à la mémoire de
Yvonne LE RIBAULT, ma mère, décédée en août 1996 des
suites d'une perquisition à son domicile et d'un interro-
gatoire de cinq heures commis par Les rertres du S. R. P.J.
de Bordeaux;
Norbert DUFFAUT, supposé avoir mis fin à ses jours à
l'automne 1993;
Jean-Michel GRAILLE, décédé en avril 1996, journaliste
passionné, objectif et scrupuleux, grâce auquel le silicium
organique fut connu du grand public.
Toute reproduction, adaptation, représentation ou traduction, même partielle,
du présent ouvrage, sous la forme de textes imprimés, de microfilms, de photographies,
de photocopies ou de tout autre moyen chimique, informatique, électronique ou mécanique
ne peut être réalisée sans l'autorisation écrite de l'éditeur.

Tous droits réservés pour tous pays


y compris les états de l'ex-URSS et la Chine.

Imprimé en Belgique

marco pietteur, éditeur


ISBN 2-919937-02-2
Juin 2005
7, rue de l'Eau - L-4101 Esch-sur-Alzette (Grand-Duché de Luxembourg)
Tél. ++352 26 54 1077 • Courriel: infos@mpeditions.com
Loïc Le Ribault
LoYc Le Ribault est né le 18 avril 1947 à Vannes (Bretagne). Titulaire
d'une. maitrise ès Lettres, d'un doctorat de Troisième Cycle en Sédimento-
logie et d'un Doctorat d'Etat ès Sciences, il est également lauréat de la
Fondation de la Vocation, du Forum européen des Créateurs d'entreprises,
Aquitain de l'Année 1987, etc.
De 1983 à 1991, il a été expert en microanalyse près la Cour d'Appel de
Bordeaux, puis agréé par la Cour de Cassation.
Auteur de onze livres et de nombreuses publications scientifiques en sédi-
mentologie et en criminalistique, il a fait plus de 300 conférences en
Europe, aux Etats-Unis, au Canada et en Afrique dans des universités, des
services de police, des tribunaux, des associations scientifiques, etc. Les
médias ont consacré des centaines d'articles et de reportages à ses diffé-
rentes activités 1•
Une biographie résumée de Loi"c Le Ribault et de onze autres chercheurs 2
victimes de la «nomenklatura» scientifique figure également dans le livre
de Pierre Lance intitulé Savants maudits, chercheurs exclus (Tome 1,
éditions Guy Trédaniel, 2001).
Titre: Le titre de cet ouvrage est repris (avec l'aimable autorisation de
l'auteur) de celui d'un article de Pierre Lance paru dans le n0136 (mars-
avril-mai 2000) de la revue L'Ere Nouvelle3.

1. Pour en savoir en pLus, consuLtez Le site personneL de Loïc Le RibauLt:www.lofc-le-ribault.ch


2. PauL Kammerer, Antoine Béchamp, JuLes Tissot, René Quinton, MarceL Ferru, Edgard Nazare, MarceL
Macaire, René Jacquier, Antoine Priore, Jean SoLomidès, Mirko BeLjanski.
3. L'ETe Nouvelle - BP 171 - 06407 Cannes Cédex (France).
En guise de
Embrassez toute carrière qu'il vous plaira, celle de fonctionnaire, de
balayeur des rues ou de garçon de café: toutes sont bonnes. Mais ne choisissez
pas la carrière scientifique. Car si vous n'avez pas une constitution physique
herculéenne, vous sombrerez dans la lutte, et votre écrasement sera d'autant
plus fort que vous aurez fait une découverte remarquable. (. .. )
IL faut épouser la science comme on entre en religion, c'est-à-dire renoncer
d'avance à la vie, au mariage, à la famille, de manière que L'on puisse rester
seul à subir le martyre auquel on s'expose (LAKHOVSKY, in «La cabale:
histoire d'une découverte»).
Je n'ai ( .. .) ni rancœur ni esprit de vengeance et je conçois très bien que
les savants ne croient pas en ma découverte, mais je m'élève contre le fait
qu'ils refusent de l'expérimenter sans l'avoir essayée (Norbert DUFFAUT,
1991).
Mon expérience prouve que les patients préfèrent être guéris illégalement
que souffrir ou mourir dans le respect des lois. (Loie LE RIBAULT, 1995)
L'avantage d'avoir été catalogué Hors-la-Loi, c'est qu'ensuite on plane au-
dessus des lois (Loie LE RIBAULT, 14 juillet 1998).
La médecine a fait depuis un siècle des progrès sans répit, inventant par
milliers des maladies nouvelles (Louis SCUTENAIRE, 1905-1987).
IL faut bien comprendre que si vous faites pour le compte d'une institution
établie un travaiL qu'eLLe ne sait pas faire alors qu'eLLe le devrait, eLLe n'aura de
cesse, après avoir pressé tout votre jus, de vous jeter aux oubliettes, car vous
êtes la vivante preuve de son incurie (Pierre LANCE, L'Ere NouveLLe, n° 136,
2000).
Le monde ne sera sauvé, s'iL peut L'être, que par des insoumis (André GIDE,
1869-1951).
Celui qui ne gueule pas La vérité, Lorsqu'il connaît la vérité, se fait le
complice des menteurs et des faussaires (Charles PEGUY, 1873-1914).
Les interdits forgent Les voLontés inflexibLes (Yasmina KHADRA, janvier 1;1
2001). U
par Christian Cottef1

Loïc Le Ribault, messie récalcitrant?


Arrestations musclées en France et en Suisse, plusieurs tranches de
quelques mois de prison, fuites à l'étranger, procès, exil: il n'y a pas de
fumée sans feu. Bon public, cet homme-là doit bien être un bandit de grand
chemin, pour avoir tant mérité les foudres de la justice ...
Pensez-donc: flic hors-pair, scientifique précoce, guérisseur qui s'ignore,
inventeur créatif et puissant et pour finir gourou illuminé qui se croit
mécréant, marchand de grains de sable dans un verre d'eau ...
Toute sa vie mérite la prison, en ce beau pays de France, où les médio-
cres sous-équipés du cortex défendent avec acharnement leurs privilèges:
haro donc sur Le Ribault.
« Monsieur, vous êtes un menteur, prouvez-moi le contraire. » De toute éter-
nité, les Inquisiteurs utilisent cette technique linguistique de violence
extrême, pour rendre fous leurs adversaires et légitimer la mise à mort de
ceux qui dérangent les pouvoirs: le double-lien paradoxal. À une accusation
violente, arbitraire et sans aucun fondement, une injonction impérative suit,
pour ordonner de prouver le contraire de L'accusation: à ce jeu-là, la victime
n'a aucune sortie. Ou eLLe approuve L'accusation et ainsi La confirme ou bien
la conteste et prouve ainsi son bien-fondé ... Les procès staliniens, la chasse
aux «sectes» et aux médecines traditionnelles en France sont conduits sur
ce même modèle de violence.
Quelle erreur, ami Loïc, de vouloir rendre service aux autorités de l'État,
en devenant le «premier flic de France» pendant près de dix ans!
2000 dossiers criminels traités à la plus grande satisfaction des magistrats,
des expertises remarquables, qui innocentent ceux que l'on accuse trop vite
et permettent arrestations et procès de nombre de criminels; de tels succès [Il
- qui le conduiront à être présenté par les plus hautes autorités policières
comme «le» spécialiste français de la police scientifique dans les plus hautes
instances internationales - le mèneront aussi en prison: l'intelligence est
insupportable aux médiocres.
; ,J r QUI A-P":~~ DE Loïc LE RIBAU LT?

Car Loïc a incarné pendant des années l'archétype de l'enquêteur intègre


et de l'expert (presque) infaillible, qui sont si bien mis en scène dans la litté-
rature policière anglaise. Le problème est qu'il était vraiment très bon. Alors,
les cloportes de la Police Nationale et Maçonnique ont eu sa peau: cet
homme-là en savait trop, à la longue. Il était devenu très dangereux pour
ceux qui utilisent à leur profit les institutions de la République, du côté de
l'armée, de la justice et de la police: il fallait donc l'abattre.
Ce qui fut fait avec une parfaite efficacité policière et délinquante, chefs
d'œuvre médiatisés de «journalistes» - escrocs à la clé, pour mieux le décré-
dibiliser et le salir.
Arrive alors le pire: Le Ribault, écrasé par les foudres de la justice qui
l'encensait 6 mois plus tôt, entend se mêler de médecine, à peine sorti de la
liquidati.on brutale de son laboratoire d'expert en criminalistique.
Ce type est fou, c'est clair, comme si le système médical et pharmaceu-
tique français était préoccupé de la santé des citoyens ... N'avait-il donc pas
compris que les seules choses qui intéressent vraiment l'intelligentsia
médico-scientifique et étatique, ce sont les transferts de fonds du déficit
abyssal de la Sécurité Sociale vers les bénéfices non moins abyssaux des
fonds de pension propriétaires des grands laboratoires pharmaceutiques?
De quoi se mêle-t-il donc, ce Le Ribault, de vouloir mettre au point et
promouvoir une molécule qui soigne vraiment?
Il ne fait jamais bon, dans ce doux pays de France, d'être un guérisseur
qui s'ignore: l'Inquisition médicale et pharmaceutique veille, par ses réseaux
de commensaux au sein même de l'appareil d'État; le G5-Silicium Organique
soigne vraiment les patients qui l'utilisent et ce, pour bien trop de patholo-
gies: un tel médicament ne doit donc surtout pas obtenir d'Autorisation de
Mise sur le Marché, ce serait bien trop dangereux pour les profits de l'indus-
trie.
La recherche française est malade, dites-vous? Oui, c'est vrai. Pas de
manque d'argent, non. Malade de dysfonctionnements cérébraux majeurs
(Parkinson des vieux barbons, Alzheimer précoce des hauts-fonctionnaires?)
et de beaucoup trop d'argent là où il ne faudrait pas. La recherche française
n'a pas besoin de réformes avec toujours plus de postes publics: la recherche
a besoin d'une rupture culturelle qui lui permette de retrouver du «sens»:
rechercher, oui, mais au service de quoi et de qui? Du lobby nucléaire? De
l'armée? Ou au service de la santé des personnes et de la survie de la
planète? Une rupture intellectuelle, cela fait beaucoup plus mal qu'une
réforme ministérielle inappliquée. C'est bien pour cela d'ailleurs que « les
chercheurs» (lesquels, d'ailleurs?) en grève réclament simplement «plus
d'argent»: c'est plus simple et cela ne fâche personne ...
Préface 0[

Le Ribault a eu le grand tort de mettre cela en évidence: inventez, vous


vous ferez tuer, au moins symboliquement quand ce n'est pas physiquement.
La violence symbolique à l'égard des cerveaux les plus créatifs est ici
majeure: combien de vies détruites de chercheurs et savants fous et géniaux
par les pouvoirs inquisitoriaux des systèmes de prédateurs activement
soutenus par le système judiciaire?
Deuxième motif d'aller donc bronzer quelque temps dans les geôles de la
République: le G5 soulage, soigne, sauve des vies parfois. Il faut donc
traduire l'inventeur devant la justice et le «casser».
Car, voyez-vous, bon public, cet homme-là est un Gourou: il entretient
autour de lui sa secte, devenue aujourd'hui l'Association Internationale des
Amis de Loïc Le Ribault 1 et sa parole est écoutée quand il parle: cela suffit
bien pour désigner le Gourou, qui prétend soigner avec son breuvage mira-
culeux composé de quelques grains de sable noyés dans un verre d'eau
fraîche .,.
Bouc-émissaire de la médiocrité: là est cet autre honneur fait à Loi'c Le
Ribault, le Gourou qui se croit mécréant; oui, ami Loïc, tu es un Gourou;
c'est une des fonctions psychosociales les plus valorisantes qui soient:
Enseignant de la conscience. Et ton sacrifice t'a rendu sacré, donc intou-
chable. Tes amis Suisses l'ont bien compris, qui te protègent désormais.
Car tes aventures de ces dernières années portent un magnifique ensei-
gnement pour les jeunes (et moins jeunes) générations: la liberté intérieure
protège toujours, in fine, de la bêtise et de la violence.
Or, tu es un homme libre. Car tu as bien été obligé d'apprendre cette très
vieille et ancienne vérité d'évidence: lorsqu'un humain est en prison, il
comprend alors que la véritable prison, c'est ce qui est dehors ...
Et cela, ton inconscient, au moins, ra compris et tu es donc le vivant
exemple de cette leçon-là: inventeurs, créatifs, artistes, esprits libres, ne
cédez jamais à la violence institutionnalisée, ne cédez jamais à la médiocrité
intellectuelle, ne cédez jamais à la pensée majoritaire; ce n'est pas parce
qu'ils sont nombreux à avoir tort qu'ils ont raison.
Certes, Loïc le Ribault a encore beaucoup de mal à pardonner aux
cloportes qui l'ont jeté en prison et jugé comme un bandit de grand chemin;
mais je sais qu'il finira bientôt par comprendre cette autre leçon qu'il est allé
apprendre derrière les barreaux: pardonner aux imbéciles et aux gangsters,
fussent-ils d'État, est la voie royale de sa propre liberté intérieure.
Alors, Loïc Le Ribault passera du rôle de Messie Récalcitrant 2 à celui de
Guerrier Spirituel: il pourra alors remercier la procureure de Bordeaux qui

1. Fondée par Pierre Lance et Michel Bogé, 6 rue Montbrun, 75014 Paris.
2. Richard Bach, Illusions ou le Messie RécaLdtrant, Paris, Flammarion, 2001.
insuLtait Loïc et ses clients en février 2004 (voir: www.poLitiquedevie.net).
ainsi que ses gardiens de prison et autres policiers: tous ces gens-là Lui ont
offert ces dernières années une excellente formation militaire de Guerrier de
la Lumière; certes, Loîc Le Ribault fait profession de mécréantisme le plus
radicaL, ceLa ne L'empêche pas de savoir que les Anges veillent sur lui ...
Et ceLa ne l'empêche pas non plus d'assumer son rôLe ici-bas désormais,
même s'il râLe: transmettre son savoir, aider les jeunes chercheurs créatifs et
indépendants et dire non aux imbéciles, tout en montrant que La puissance
spirituelle de la créativité inspirée permet des inventions - ici Le G5 - dont
la force intrinsèque se rit, à la fin, des obstacles du cerveau reptilien. C'est
un lourd programme de travail pour les années qui viennent. Bon courage
Loïc, nous sommes avec toi.
Voilà quelques-unes des raisons qui m'on conduit à proposer à Loïc de
rejoindre le bureau de Politique de Vie: j'y recrute des Guerriers de Paix qui
ont un minimum d'expérience de la prison, car le travail de recadrage péda-
gogique des politiques, hauts-fonctionnaires et magistrats que nous y
menons a besoin d'âmes fortes ...
Ce sont ces mêmes raisons qui me donnent aujourd'hui le grand plaisir de
Lui offrir cette préface à ce livre qui aura a mes yeux cette belle valeur: réta-
blir la vérité d'un homme et son honneur. Merci à ses lecteurs de lui faire un
beau succès.
Ah j'oubliais! Loïc est un homme attendrissant: il se méfie certains jours
des femmes comme de la peste. Moi, je les adore, les vénère, les admire et
tente d'en aimer une pour les aimer toutes en m'abandonnant à leurs
beautés. Nous aurons donc encore un peu de chemin à faire ensemble pour
réconcilier ces deux énergies, la féminine et la masculine, réconciliation si
bien symbolisée par Le G5: G, comme Gnose, 5 comme le Pentagramme, image
de L'homme entier inscrit dans le cercle et reLié au cosmos. La vie est belle.

Christian Cotten,
psychosociologue, psychothérapeute,
président de Politique de Vie, auteur
de Mafia ou Démocratie, Prophétie pour
une VIe République (Louise Courteau
Éditrice).

JE]
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1 IIr
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Ambiance
Eté 1989, 15 heures 32.
Enfin, le feu passe au vert.
Et cet imbécile, là, devant moi, qui ne démarre pas!
Qu'est-ce qu'il fait? Il trie ses timbres?
Avance, Pépé!
Ah, quand même! .. ,
C'est que je suis pressé, moi!
J'ai rendez-vous avec une jeune fille.
Depuis Arcachon, par l'autoroute, j'ai roulé très vite. Avec quelques
pointes à plus de 200 km/h, mais les gendarmes m'ont prévenu qu'il n'y avait
pas de radar sur mon itinéraire.
Une jeune fille extrêmement jolie, paraît-il.
Et maintenant, dans la ville, je me traîne.
En plus, j'ai une rage de dents à hurler. J'en mordrais mon volant!
Et puis, cette nuit, je n'ai dormi que trois heures. Couché à minuit (sans
électricité: j'ai, comme d'habitude, oublié de payer l'E.D.F.), on m'a réveillé
pour aller décrocher à l'aube un pendu qui, à première vue, n'avait pas l'air
de s'être suicidé tout seul. Le pauvre marinait au bout de sa corde depuis au
moins quinze jours, en pleine chaleur ... La joie .. .
Vers midi, je rentrais me changer, mission accomplie, quand le téléphone
de bord a sonné. On m'appelait à 400 kilomètres d'où je me trouvais, pour la
jeune fille.
Alors j'ai fait demi-tour.
Sans avoir le temps de me changer.
Sans avoir le temps d'embrasser mon père qui se meurt à l'hôpital.
Sans avoir le temps de consoler ma mère qui se désespère.
Sans avoir le temps de passer payer l'E.D.F.
Sans avoir le temps de voir le contrôleur fiscal qui m'attend de pied ferme
depuis des semaines.
Sans avoir le temps de passer chez le dentiste.
Et je pue, en plus.
]n
1 QUI A PEUR] DE Loïc LE RIBAULT?

Je pue le cadavre putréfié.


La jeune fille, elle, est une fraîche jeune fille.
Une jeune fille fraîchement tuée.
C'est elle, mon rendez-vous urgent.
Son fiancé l'a découverte en fin de matinée, baignant dans son sang. Si
j'ai bien compris, elle a été égorgée.
Et je souffre.
Et ce tas de limaces, là, devant moi, qui se traînent dans leurs promène-
couillons! Ils ont le temps, eux! On est samedi, la vie est belle: demain, ce
sera dimanche ...
Eux qui n'aiment pas les flics, qui méprisent les gendarmes, qui haïssent
les juges! Sauf bien sûr Quand, devenus victimes, ils viennent mendier leur
aide.
Quant aux experts, ils n'en connaissent même pas l'existence.
Et un expert, justement, il y en a un qui bout derrière leur pare-choc!
Enfin, les voilà!
Ils arrivent en duo, comme toujours. Chemise bleue, casqués, bottés,
chevauchant leur destrier d'acier. Les motards de la gendarmerie.
Vite, comme convenu, je fixe sur mon toit le gyrophare bleu magnétique.
L'œil de mes voisins d'embouteillage s'allume: Starsky? Hutch? Colombo?
Qui c'est?
Les motards m'ont vu. Ils traversent, longent en souplesse ma voiture,
puis me font signe de me garer.
Le chef s'approche de ma vitre ouverte. De sa main gantée, il me tend des
comprimés rouges et des blancs.
«De la part du juge », me dit-il.
Puis, de sa sacoche, il sort une petite bouteille d'eau minérale et un
gobelet de plastique:
«Pour les avaler. Vous devriez aller mieux dans dix minutes, a dit le
légiste. »
Je m'exécute. Mon ami le juge ne m'a donc pas oublié. Il a prévenu le
légiste que je souffre d'une rage de dents. Avant d'étudier la morte, il a
trouvé le temps de penser à son expert encore vivant.
«On y va? », demande le motard. «Vous avez l'habitude de ce genre de
conduite? »
Si j'ai l'habitude ... C'est devenu une seconde nature!
«Vous avez un deux-tons?»
«Bien sûr!»
Ambiance OC

«Alors, en route », dit-il, mettant en marche sa propre sirène et ses deux


gyros bleus.
Comme par miracle, les embouteillages se dissolvent.
Ces motards sont des virtuoses: le premier dégage le passage, Loin devant,
et communique par signes avec Le second, celui qui me précède. Quand la
visibilité est nulle, ce dernier Lève le bras pour m'indiquer que je peux
doubler, et l'abaisse lorsqu'il y a un obstacle.
Sur la nationale à deux voies, nous roulons à cheval sur la bande centraLe,
entre les vacanciers qui partent et ceux qui arrivent. A toute allure. Les
motards aiment ça, et moi aussi.
Après tout, pourquoi tant se presser et prendre de tels risques, quand ce
n'est qu'un cadavre qui vous attend?
Tout simplement parce que, pour L'instant, Les enquêteurs n'ont aucune
piste. Ils comptent sur moi pour trouver des indices.
S'il yen a ...
En attendant, à chaque seconde qui passe, l'assassin s'éloigne et ses
chances d'impunité augmentent.
C'est pourquoi, devant moi, les motards déblaient la route.
De temps en temps, pour forcer le passage, ils sont obligés de taper sur
le toit des chauffeurs récalcitrants. Effet garanti!
Rien n'est plus dangereux que La conduite rapide dans ces conditions.
Car on y rencontre pLusieurs catégories d'individus redoutables: les hési-
tants, qui se demandent s'ils vont vous laisser passer à gauche ou à droite;
les paniqueurs, qui écrasent immédiatement le frein, au risque de se faire
pulvériser l'arrière-train; Les sourds, qui n'ont pas entendu les sirènes et font
des bonds quand on les double; les cardiaques, susceptibles de s'effondrer
égoi"stement au volant sans souci des conséquences; les jaLoux, qui refusent
de céder le passage; Les sadiques, qui insensiblement se rabattent vers vous
dans L'espoir de vous catapulter dans Le véhicule d'en face; les incrédules, qui
ne conçoivent pas que Le sillage d'une Mercédès soit ouvert par des motards
de la gendarmerie; et puis, bien sûr, Les inconscients qui se coLLent derrière
vous pour profiter de l'aubaine.
J'ai déjà un peu moins mal aux dents.
Le téléphone sonne.
Pas évident d'utiliser cet engin à 160 km/h, sur la bande médiane d'une
route encombrée de migrants saisonniers traumatisés par les deux-tons,
précédé de motards enthousiastes, à L'entrée d'une ville, la cigarette aux
Lèvres, une main tenant Le volant et L'autre le levier de vitesses.
Je décroche.
]0
1 QUI A PEu~1 OE Loïc LE RIBAULT?

«Ici le colonel Dusch mol! ... »


«Pas le temps! )}
Et je raccroche.
Duschmol!
Cet imbécile!
C'est à cause de lui que je me trouve dans cette situation! Quand Le juge,
conscient qu'il y a une urgence extrême à mon intervention, Lui a demandé
de mettre un héLicoptère à ma disposition, ce crétin soLenneL Lui a répondu
que les appareils de la gendarmerie ne sont pas faits pour Les civils, mais
réservés exclusivement aux miLitaires de l'Armé: on risquait d'une seconde à
L'autre d'avoir besoin de ce précieux hélicoptère pour trimballer Les étoiles
d'un quelconque généraL en tournée d'inspection; ça, c'était important ...
DuschmoL a son avenir tout tracé: il finira, fossile vivant, bien au chaud, loin
des gendarmes de terrain et des réaLités judiciaires, les fesses vautrées dans
le fauteuil rembourré qui L'attend sans doute déjà dans le zoo de sa direction
générale parisienne.
Privé d'hélicoptère par cette huître, c'est donc en voiture que, requis par
le juge, épuisé, je fonce sur la route, mettant en danger La vie des vacanciers
et celle de mes deux motards.
Moi, il y a Longtemps que je ne vis plus.
Ou si peu, en tout cas pour moi-même.
Depuis sept ans, absorbé jour et nuit par Les crimes, j'ai presque perdu
tout ce qui était humain en moi.
Je ne connais plus ma famille.
Je me suis éloigné de presque tous mes amis: ils me considèrent comme
un flic, et un flic ne peut avoir que des flics pour amis; il a le même problème
qu'un milliardaire: comment peut-il savoir si ceux qui viennent à lui le font
avec sincérité ou par intérêt? Dans Le doute, il vaut mieux s'abstenir.
Mais, pour l'expert, c'est pire: on ne vient jamais vers lui par intérêt; on
le fuit avec horreur. Combien de fois ai-je surpris des regards dégoûtés sur
mes mains, dont on sait qu'elles ont manipulé et découpé tant de cadavres?
Un peu comme lorsque, sur Le terrain, à la pause de midi (si elle a Lieu ... ),
je rentre dans un restaurant au milieu des gendarmes; il Y a toujours un
grand silence. Le froid qui tombe. La glace qui cristallise. Les clients se
taisent et prennent un air dégagé. A tort ou à raison, tout Français a la peur
18 du gendarme. Alors que nous, on vient simplement manger, oublier le spec-
tacle horrible qu'on vient de contempler, se détendre, et que, pour bien le
montrer, les gendarmes ont ôté Leur képi, déboutonné leur vareuse et que

4. C'est ainsi que les gaLonnés gendarmiques appeLLent la gendarmerie.


Ambiance OC
Leurs armes sont cachées. On se tasse dans un coin et même, si possibLe, on
se réfugie dans une saLLe à part. On ne veut pas gêner ... J'ai même vu un
restaurateur, un jour, tendre un paravent entre nous et Les autres clients,
comme si nous étions contagieux. C'est tout juste si on ose rire à tabLe: un
gendarme qui rit devient presque humain, et dérange encore pLus.
ALors, je n'ai pLus pour amis que des juges, des gendarmes et des poLiciers.
Entre nous, au moins, on peut pLaisanter et se confier, bref, vivre comme si
nous étions encore normaux.
Beaucoup d'entre nous, pourtant, ne Le sont pLus.
D'ailleurs, Le suis-je encore?
Il existe, parait-il, des gens qui, dans Le monde, se promènent Les yeux
pLeins de paysages et de souvenirs gorgés de pLages, de fleurs, de montagnes,
de rivières.
Pour moi, désormais, La carte de France n'est pLus émaillée que de
sangLants points de repère: ici un meurtre, Là un viol, pLus Loin un bien
étrange suicide. A cet endroit, j'ai résoLu L'affaire, mais Là-bas je cherche
toujours ... Il existe pLusieurs viLLages où, de ma propre initiative, je me
rends quand mon empLoi du temps Le permet, pour tenter de recueillir encore
des témoignages et des indices pour résoudre des affaires oubLiées de tout Le
monde, ou presque. Je connais une maison où je me rends chaque année, à
la même date; c'est celle des assassins que je traque depuis six ans, il savent
que je sais que c'est eux, je le Leur ai dit, mais ils savent aussi que je n'ai
pas encore assez de preuves matérielles contre eux. Alors, tous les ans, on
fait le point ensembLe, ils s'informent de mes progrès et m'offrent un
calvados.
Et puis, Le soir, trottent dans ma tête Les fantômes des monstres que j'ai
croisés ou qu'on recherche. Avec eux - ou contre eux - j'ai passé plus de
temps qu'avec mes amis Les pLus proches et mes parents Les plus chers.
Ils m'ont mangé le cœur et le cerveau.
Car rien, pLus rien, vraiment, ne peut désormais m'étonner. Pire: plus rien
ne m'émeut. Mon cœur est devenu comme un cristaL de quartz.
Les motards foncent toujours, Les sirènes hurlent, les gyros flamboient.
Dépassées en trombe, Les voitures disparaissent dans le rétroviseur.
Tiens, même certaines voitures éveillent en moi des souvenirs macabres :
Les Renault 5 jaunes, Les breaks Peugeot 505 beige, Les Combis Volkswagen
verts et aussi Les orange, Les Seat Ibiza bLanches, Les Mercédès 300 TD grises, El[
Les Peugeot 604 bordeaux et bien d'autres encore.
Sans compter Les outils de La vie de tous Les jours, avec LesqueLs L'être
humain sait si bien - et avec queL raffinement! - martyriser son prochain:
les couteaux (avec l'Opinel en tête du hit parade), Les rasoirs, les cutters, les
~ u1 QUI A PEU~ DE Loïc LE RIBAULT?

ouvre-boites, les tire-bouchons, les ciseaux, les perceuses électriques, les


faucilles, les marteaux, les faux, les fers à repasser, les fers à souder, et j'en
passe ...
Voilà, on arrive dans la ville.
Une ville que je connais bien. Dès qu'il a une sale affaire sur les bras, son
juge m'appelle à la rescousse. Un jour que, dans ma voiture, nous revenions
tous deux d'une scène de crime, j'avais eu l'idée saugrenue de lui demander
combien d'habitants comptait sa belle cité.
«Je l'ignore», m'avait-il répondu. «Tout ce que je sais, c'est qu'à chaque
fois que je t'appelle, il y en a au minimum un de moins!»
Traversée sur les chapeaux de roues.
Et puis, enfin, une grande ligne droite.
Au bout, je distingue l'agitation que je connais si bien.
D'abord, un barrage avec des hommes en bleu qui détournent le flot des
vacanciers dans des ruelles perdues.
Plus loin, la maison du crime, signalée par l'éclat bleu des gyrophares en
folie, d'autres uniformes bleus qui canalisent les badauds, des 4L bleues, des
camionnettes bleues, des motos bleues.
Bleu: la couleur des morts violentes ...
Et, dans tout ce bleu, une tache rouge, comme une goutte de sang: le
fourgon des pompiers.
Je m'arrête juste devant la porte de la petite maison, où une place m'est
réservée: on sait que j'ai du matériel à décharger.
Les motards sont heureux: on a fait une excellente moyenne. Je les
remercie.
Mon ami le juge est là, bien sûr. Je le salue cérémonieusement. Je ne vais
quand même pas l'embrasser amicalement, comme d'habitude, quand on est
entre nous: la presse est là, qui mitraille mon arrivée. On est en représenta-
tion, faut savoir se tenir.
Duschmol aussi est présent, puisque c'est le colonel. Lui, je le regarde,
froidement, et je ne le salue pas. Vexé, il regagne sa voiture et se met à
bouder.
Sur la petite place du village, le silence est impressionnant. Tous les villa-
geois sont là, massés derrière le service d'ordre. Ils ne disent rien. Ils regar-
dent. Ils attendent. Ils attendent qu'on leur apporte, sans doute sur un
plateau, la tête de celui qui a égorgé leur jeune et si jolie voisine. Je sens
le poids de leurs regards et de leur espoir sur mes épaules. Poids bien lourd
à porter.
Soudain, dans ce silence écrasant, éclate un énorme sanglot.
Ambiance [

C'est le fiancé, celui qui a découvert la victime. Adossé à un panneau indi-


cateur, sur le trottoir, il craque.
Sanglots terribles. Cris de désespoir et de révolte.
Alors, la foule se met à gronder. Elle réclame vengeance. Injuste, elle nous
interpelle:
«Qu'est-ce que vous foutez? Trouvez ce salaud! Livrez-le nous!»
Et voilà maintenant le chien qui se met de la partie. Petit caniche gris
réfugié dans les bras du fiancé, il hurle à la mort.
Ambiance ...
Ne pas se laisser émouvoir, surtout pas.
Me souvenir que le chien a été le seul témoin du meurtre, et donc lui arra-
cher quelques poils tout à l'heure. Au cas où on trouverait un suspect ... au
cas où, sur ce suspect, il y aurait des poils ... au cas où ces poils seraient
des poils de chien ... au cas où ce chien serait un caniche ... au cas où ce
caniche serait gris .. .
Ne pas oublier non plus d'arracher des cheveux au fiancé, on ne sait
jamais .. ,
Le chien hurle, le fiancé pleure, la foule grogne, j'ai encore mal aux dents
et il faut que je m'habille.
Devant tout le monde, puisque le cadavre, m'a-t-on dit, est juste derrière
la porte.
Habit de lumière?
Non. Habit de mort.
D'abord, la combinaison intégrale blanche en plastique. On crève de
chaud, là-dessous. Puis les couvre-chaussures, les gants de chirurgien et le
calot. Enfin, les mallettes noires, où je range tous mes instruments.
Spectacle inhabituel pour les journalistes: Les flashes crépitent.
Entrée en scène.
En scène de crime.
La porte une fois ouverte, c'est l'odeur du sang qui saute aux narines.
Déjà, à l'intérieur, deux gendarmes habillés comme moi prennent des
notes.
La victime gît en travers d'un fauteuil, juste à l'entrée, si près de la porte
que j'ai failli la heurter. Elle a la gorge tranchée. Une immense flaque desang
souille le plancher.
Sale spectacle.
Sale métier.
Surtout, surtout, ne pas s'apitoyer.
JO 1 QU~~ PEU~ DE Loïc LE RIBAU LT?

Oublier celui qui pleure dehors: pour l'instant, il ne m'est pas utile.
Ne pas penser qu'eLLe, elle n'avait que vingt ans. ELLe en aurait eu cent
que, pour moi, le problème serait techniquement identique.
le chien continue à gueuler et me déconcentre: qu'on l'éloigne!
S'interdire toute émotion.
Se souvenir qu'on a le cœur cuirassé.
Vite, vite, maîtriser le frémissement de pitié qui viendrait tout gâcher.
Plus tard, seulement, on pensera à l'aspect humain de cet évènement.
On y pensera longtemps.
On y pensera souvent.
Mais, pour l'instant, seule compte la chasse éperdue aux indices.
Un gendarme s'agenouille d'un côté du corps et moi de l'autre. Le second
prend des notes, des photographies et des enregistrements au magnétoscope.
Curage des ongles. Tamponnement des mains. Passage de l'aspirateur
portatif. Léger essuyage de la plaie béante et nouveau tamponnement.
Prélèvement des cheveux sur chaque tempe et sur le sommet du crâne. Bien
d'autres choses, encore. La routine, quoi.
Voilà. En ce qui concerne la victime, c'est terminé. Du moins jusqu'à l'au-
topsie.
Maintenant, il convient d'explorer les lieux.
Toujours à genoux ou à plat ventre. Millimètre par millimètre; ça peut
durer des heures.
Dieu, qu'il faut chaud, dans cette combinaison de plastique!
La porte s'entr'ouvre et une main tend une bouteille de jus d'orange
glacé: les gendarmes, dehors, ont pensé à nous mais se gardent bien de
pénétrer dans la pièce, pour ne pas polluer les lieux.
Petite pause rafraîchissement. On en profite pour fumer une cigarette
dont les cendres sont recueillies dans la boîte à couvercle que je promène
toujours avec moi: rien en effet, dans cette pièce - pas même les cendriers
- ne doit être modifié avant que nous ayons fini.
Autour de nous, des bibelots, un aquarium, un ours en peluche, des
photos de famille, toutes ces petites choses insignifiantes et précieuses qui
faisaient le monde et sans doute le bonheur de la victime; tous ces petits
trésors devenus pour moi simples pièges à indices, bouts de souvenirs que je
~~ vais scruter, décortiquer, démonter, explorer sans pudeur.
- "'--' La porte s'ouvre.
Entrée de Duschmol. En uniforme! Sans képi! Avec sa tête pleine de
cheveux, sa vareuse remplie de fibres, ses godillots couverts de grains de
sable et ses mains pleines de doigts! Il dit :
Ambiance 0[
«Je viens voir les lieux!»
Mais pour qui se prend-t-iL, ce fossile galonné?
«Vous n'avez rien à faire ici en uniforme! Enfilez la tenue de terrain ou
sortez immédiatement! Pour l'instant, vous poLLuez!»
Exit Duschmol, re-vexé. Ses hommes rigolent. Il est vraiment trop con.
Deux heures plus tard, je découvre enfin quelque chose.
La victime était blonde, son fiancé châtain clair, le chien gris. Or, collé
par une goutte de sang, près du paillasson, je vois un cheveu très noir.
Surtout, ne pas le perdre. Se concentrer dessus. Le fixer. L'hypnotiser,
presque, malgré les yeux fatigués.
«Un tamponnoir! Vite!»
Un gendarme ouvre une petite boîte en plastique transparente, enlève la
peLLicule qui protège l'adhésif, sort le tamponnoir et me tend l'objet à demi
sorti de la mousse noire sur laqueLLe il reposait.
Je le saisis avec une pince et l'approche du cheveu.
Paf!
Je l'ai eu!
Vite, je remets le tamponnoir sur lequel le cheveu est capturé dans la
petite boîte que me tend le gendarme.
Peut-être appartient-il au meurtrier? Ou à un simple ami du couple?
Chasse en aveugle ...
A nouveau, la porte s'entr'ouvre. C'est un des gendarmes en faction devant
la porte.
«Monsieur Le Ribault! Le téléphone pour vous, dans votre voiture. J'ai
décroché. On vous attend au bout du fiL. Qu'est-ce que je dis?»
«Qui c'est?»
« L'hôpital de La Teste.»
« Dites que j'arrive. »
Je me lève. Mes genoux craquent d'être restés si longtemps torturés. J'ai
quarante trois ans, je vieillis ...
«Mais vous n'allez pas sortir comme ça! », crie le gendarme en tendant le
doigt.« Attendez, je recule votre voiture!»
Je regarde mes jambes. Ma combinaison est maculée de sang jusqu'aux
genoux. Et, dehors, il y a la foule des villageois et la presse. C'est pas un
spectacle pour eux.
«Prenez la communication pour moi.»
Je me contente de passer la tête par l'entrebaîLLement de la porte.
J0 QU I~ PEU-~ DE Loïc LE RIBAULT?

Le gendarme parle quelques instants au téléphone puis le pose sur le


fauteuil sans raccrocher.
«Alors, qu'est-ce qu'ils disent? Comment va-t-il?»
«Votre père ne va pas bien ... »
«Dites que je rappelle dès que j'ai fini.»
Quel sale métier que celui où les morts inconnus prennent le pas sur les
mourants qu'on aime!
Le travail sur les lieux est enfin terminé.
On enlève la combinaison, les couvre-chaussures, les gants et le calot.
On respire.
On est trempés de sueur.
Juste une phrase, encore, la pire sans doute, celle qui livre la victime aux
mains du légiste qui la découpera plus tard:
«Elle est à vous!»
Impatients, parce qu'ils attendent depuis trois heures, les garçons de la
morgue entrent pour prendre possession du cadavre.
Impassibles, les poissons tropicaux bullent dans l'aquarium.
Le chien s'est tu.
Le fiancé aussi.
Tous deux se laissent arracher des poils et des cheveux sans réagir.
Et claquent les portières du fourgon gris de la morgue.
Mon père va vraiment très maL
Je ne souffre plus des dents.
Je suis fatigué.
Mon laboratoire meurt, assassiné par le ministère de l'Intérieur et la direc-
tion de la gendarmerie, les patrons mêmes de ceux que j'aide actuellement
de toutes mes forces ... Je le sais, et ça me ronge.
Pourquoi est morte cette jeune fille si jolie?
Où est son assassin?
Les gendarmes lèvent les barrages.
Les gyrophares s'éteignent les uns après les autres.
Les voitures se dispersent.
Le bleu, peu à peu, quitte la scène du crime.
Dans cinq minutes, enfin libérés, les touristes défileront devant la petite
maison sans pouvoir déceler la moindre anomalie. ILs ne verront pas, à l'in-
térieur, l'horrible flaque de sang qui noircit doucement sur le plancher.
IL nous reste une heure avant l'autopsie.
Ambiance DO [

Avec le juge, nous allons boire une bière bien fraiche. Une vraie, comme
dans le Nord, avec plein de mousse.
Puis, un peu décompressés, nous nous rendons tous deux à la morgue.
Une morgue comme toutes les autres. Avec des couloirs sinistres, des
lumières crues, les éclats métalliques des portes des frigos et une table à
dissection.
Le légiste est prêt.
Je le remercie pour ses calmants contre ma rage de dents.
Normalement, on commence par explorer l'abdomen et on finit par la tête,
mais comme j'ai une longue route à faire et qu'en ce cas précis seule la gorge
m'intéresse, il m'a attendu pour commencer le travail.
«J'y vais ou vous voulez le faire vous-même?», me demande-t-il genti-
ment.
Je suis très sensible à cette délicate attention, signe de confiance et de
respect.
En plus, aujourd'hui, c'est facile: il suffit de découper le cou.
Mais, pour la première fois, ma main s'arrête.
Le scalpel reste suspendu.
Je sens que je vais donner le coup de bistouri de trop, celui qui fait fran-
chir la frontière du monde d'où l'on ne revient jamais: celui de l'insensibilité
absolue.
La nausée monte.
«Non, merci, allez-y ... Je ne peux pas ... »
Terrible aveu: le dégoût vient de triompher!
Le légiste effectue seulles prélèvements et les place dans des bocaux. Je
peux partir. D'ailleurs, je connais la suite: une vie réduite à des schémas et
à des chiffres. Cerveau, 1430 grammes; cœur, 220 grammes; pas d'anoma-
lies, le cadavre est mort en bonne santé ... Dommage, simplement, qu'un
salaud ait fait irruption dans sa vie ... 5
Au fond de mon âme, quelque chose vient de casser.
C'est un moment que j'attends depuis longtemps.
D'ailleurs, ce n'est pas un moment.

5. Deux jours après les faits, deux gitans furent arrêtés après l'agression d'une vieille dame dans une ville
proche du viLLage où la jeune fiLLe avait été égorgée. Le plus jeune avait quinze ans, le plus vieux dix-
neuf. Les analyses révélèrent que le cheveu que j'avais prélevé sur le sol appartenait au plus vieux des
gitans. Le plus jeune avoua qu'arrivés au centre du village, ils s'étaient garés sur la place et avaient choi-
si une maison au hasard. Ils avaient sonné. La jeune fiLLe leur avait ouvert. Ils l'avaient aspergée de gaz
lacrymogène, étaient entrés, le «vieux» lui avait appuyé un couteau sur la gorge et lui avait demandé de
l'argent, affirmant que sinon il la tuerait. La jeune fille avait dit qu'il n'oserait pas. Il avait osé. Puis tous
deux étaient partis avec ... 13€ en poche.
]0
[ iUI A PEUR] DE Loïc LE RIBAULT?

C'est une accumulation de minutes, mort après meurtre, larme après


sanglot, d'appels de détresse, d'aubes poisseuses de sang, de nuits blanches,
d'yeux égarés, de questions insolubles et de cadavres mutilés.
Cette nuit fut ceLLe où vint la lassitude.
Brutalement.
Comme un coup de feu.
Et je m'interroge: comment ai-je bien pu m'embarquer dans cette galère?
Moi qui ne rêvais que de calme, de mer, de grands espaces ...
- - - - - - - - - - - - - - . ,,

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L'IMMENSE SOLITUDE
DU CHERCHEUR
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SQUELETTES, PATELLES &


GRAINS DE SABLE
C'est à six heures dix précises que je nais le 18 avril 1947 à Vannes
(Bretagne) dans la villa Clair Matin, rue de Bel Air. Tout un programme ...
Mon père, professeur de lettres, et ma mère, professeur de sciences natu-
relles, viennent de me léguer un mélange sensiblement égal de chromosomes
littéraires et scientifiques, qui m'obligent aujourd'hui encore à me passionner
pour tout et déterminent sans doute ce que je persiste à être: un monument
de contradictions.

UNE VOCATION PRECOCE


Alors que j'ai à peine dix ans, nous habitons un logement de fonction au
sein même du lycée de Meaux (Seine & Marne) où mon père vient d'être
nommé surveillant général. C'est le lycée dans lequel le génial Georges
Moineaux, dit Courteline (1858-1929), narrateur impitoyable de la vie bour-
geoise et de l'absurdité administrative, fut élève quelques années qui lui ont
inspiré des textes féroces.
Pour moi, c'est un endroit merveilleux, ancien couvent dont certaines
parties datent du Moyen-Âge, reposant sur des souterrains mystérieux
qu'avec mon frère nous explorons le dimanche, seuls occupants du grand
vaisseau de pierre déserté de son équipage. Lampe électrique à la main, nous
nous sentons une âme d'aventuriers en progressant dans ce dédale de salles
enfouies où le seul bruit est celui des gouttes d'eau tombant des voûtes.
Nous cherchons des trésors.
Un samedi matin, des ouvriers chargés d'installer une nouvelle chaudière
dans les caves du lycée font une macabre découverte: un squelette humain,
curieusement accompagné d'os qu'on attribue à un chien ou à un mouton.
Dès le lendemain, bouillonnants de curiosité, mon frère et moi sommes
sur les lieux: un grand trou rectangulaire creusé dans le sol où, selon les
ouvriers, gisent encore des os.
En nous aidant d'une échelle, nous descendons dans le trou, et là l'évi-
dence m'apparaît: je suis en plein milieu du squelette, très exactement au
niveau du bassin, qui a été jeté par les ouvriers sur les bords de la fosse. En
balayant la scène à hauteur de mes yeux d'enfant, éclairé par une lampe
J'0 -
1 QUI A -----,
PE~ DE LO ÏC LE RIB A UL T ?

électrique, je peux sur ma gauche distinguer l'arc des côtes et, sur ma droite,
l'extrémité supérieure des fémurs.
Nous passons la matinée à dégager les ossements et c'est triomphant qu'à
l'heure du repas nous regagnons Le Logis familiaL, portant dans un sac le
produit de notre collecte.
A dater de cette aventure, je suis pris de passion pour les os: je ne rêve
(presque) plus que d'une chose: reconstituer un squelette complet pour
pouvoir l'étudier à mon aise; il faut dire qu'à l'époque je veux devenir chirur-
gien.
Pendant mes vacances à Saint-Jacut-de-la-Mer6, berceau de la famille, je
ne manque jamais une visite au cimetière. Tandis que mes parents se
recueillent sur les tombes des ancêtres, je furète, le nez collé au sol, à la
recherche du moindre fragment osseux un peu intéressant. Dans les allées,
j'en trouve toujours, mais de très petite taille, broyés, difficilement identi-
fiables. Sauf, parfois, une dent que j'emporte comme un trésor, cachée au
fond de ma poche. C'est en patrouillant du côté de la fosse commune qu'un
beau jour je découvre enfin la mine: dans un coin, les employés du cimetière
jettent les fleurs fanées, les vases brisés et autres résidus de tendresses
anciennes. Mais au cours de leurs opérations de nettoyage, il leur arrive de
découvrir quelques pièces de choix: côtes intactes, tibias et même fémurs
entiers, qu'ils déposent avec le reste. l'aubaine!
Je prends alors l'habitude de me rendre au cimetière muni d'un grand
cabas où j'entasse sans relâche le produit de mes rapines. Bientôt, chagrinés
de voir leur bambin transformer La maison en ossuaire, mes parents me prient
- affectueusement mais fermement - de laisser reposer en paix les restes
des Jaguins innocents. N'empêche, le pli est pris.
Pire: je deviens contagieux!
Christian, mon meilleur ami, à qui j'ai à de multiples reprises montré ma
collection macabre, a senti s'éveiller en lui une vocation identique. Il n'at-
tend que l'occasion de pouvoir l'assouvir, et ceUe-ci se présente enfin.
Il en a gardé jalousement le secret et ne m'a rien dit, par peur de la
concurrence. Il faut dire que c'est une occasion unique: on déménage le
vieux cimetière de Meaux! On exhume donc les vieux squelettes pour les
ranger dans des boîtes neuves, et les proies sont là, à portée de main, aban-
données la nuit à toutes les convoitises ...
Ne pouvant résister à la tentation, Christian se rend un soir dans Le cime-
tière à La tombée de la nuit. Alors qu'il est à genoux, commençant à peine
son tri, une main s'abat sur son épaule:

6. Côtes d'Armor, Bretagne. Une presqu"iLe magnifique, à visiter absoLument.


Squelettes, palettes & grains de sable 0[
«Qu'est-ce que tu fais là, petit saligaud?» rugit un gros bonhomme
équipé d'une épaisse moustache.
«Ben, je trie des os! », répond Christian, logique.
«Et pour faire quoi?»
«J'en fais collection !», répond mon ami, fort de son bon droit et galva-
nisé par la noblesse de sa mission.
«Collection? », s'étrangle le moustachu, tétanisé d'horreur. «CoLLection?
Mais qu'est-ce que tu dirais, hein, si c'étaient les os de ton grand père?»
«Raison de plus! », rétorque Christian, «les os de Pépé, ils seraient mieux
au chaud chez moi qu'ici dans le froid!»
Nous étions des cœurs purs. Christian dut s'enfuir, menacé des pires
sévices par le vieux moustachu. C'est ainsi qu'on étouffe dans l'œuf les voca-
tions précoces.
Mes parents, au contraire, font tout pour encourager la mienne: J'ai à peine
douze ans qu'ils m'offrent mon premier microscope. Il grossit cent fois et je
découvre grâce à lui un monde encore plus merveilleux que celui que me révè-
lent mes yeux nus: pattes de mouches, ailes de papillons, brins de laine ...
Dans ces débris infimes, je sens déjà comme La promesse d'univers innombra-
bles à explorer. Je suis fasciné. D'autant que le microscope est accompagné de
tout un petit matériel permettant de réaliser soi-même des préparations.
Tout, alors, devient bon à décortiquer autour de moi. L'environnement
domestique, d'abord. Mais quand j'ai épuisé les ressources des cristaux de sel
et de sucre, des poussières du pLancher, arraché des morceaux de tissu à
toute la garde-robe familiale, des cheveux à mes parents et les poils du
chien, il devient évident que mon territoire d'exploration doit s'élargir.
Comme nous habitons en bordure d'un bois, je commence la chasse aux
insectes, serpents, lézards et à tous les cadavres d'animaux que je découvre
au bord des chemins: immanquablement, ils terminent fixés par une épingle
sur une plaque de liège, plongés dans un bocal d'alcool ou piqués au formol.
Je peux ensuite à loisir en étudier les écailles, les plumes, les mandibules ou
tout autre fragment.

UN PARCOURS SINUEUX
Vient ensuite le baccalauréat et l'heure du choix de mes études supé-
rieures.
Que faire?
Car si je briLLe en lettres et en sciences naturelles, ma nuLLité en mathé-
matiques 7 et en physique est exemplaire. La faculté des sciences m'est donc

7. A cinquante-sept ans, deux fois docteur, je compte encore sur mes doigts ...
]0
1 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBA ULT?

vivement déconseillée, ce qui me détermine à m'y précipiter. Je veux en effet


devenir herpétologue8 ou ichtyologue9 ; peut-être un lecteur psychiatre trou-
vera-t-il une explication freudienne à cette passion pour les animaux
écailleux à sang froid?
Malheureusement, l'incohérence des programmes en usage dans l'univer-
sité française veut que, même pour devenir naturaliste, les mathématiques et
la physique soient considérées comme des matières indispensables.
Bien entendu, je suis recalé à mes examens de fin d'année.
Mais j'ai au moins découvert un monde qui m'avait jusqu'alors échappé:
celui des minéraux. Le Professeur Louis-Robert Lafond, qui enseigne la sédi-
mentologie 10 à la faculté d'Orsay, a su me faire partager sa passion.
Mais comment satisfaire celle-ci, alors que la voie des études scientifiques
me semble désormais interdite?
Je trouve la solution grâce à une philosophie qui a toujours été La
mienne, et semble porter ses fruits: prendre le chemin le plus biscornu pour
arriver à ses fins est le meilleur moyen d'y parvenir en déroutant ses adver-
saires. C'est donc souvent le plus court.
Sans logique apparente, j'entame alors des études d'histoire et géographie
à la faculté des lettres de Paris. Car la tradition universitaire dite hexagonale
exige d'un futur historien qu'il suive des études de géographie, et récipro-
quement.
Le programme d'histoire de cette année scolaire 1967-68 est consacré à
la révolution française, période dont la seule évocation suffit à me donner la
nausée. Je n'assiste donc pas aux cours d'histoire, pas plus qu'à ceux de
sociologie ou de géographie humaine, me consacrant exclusivement à la
géographie physiquel l .
Cette attitude irresponsable me propulse une fois encore irrémédiable-
ment vers l'échec.
Mais les évènements de mai 1968 me sauvent, les examens ayant été
réduits à leur plus simple expression: les étudiants ont en effet le choix des
matières sur lesquelles ils daignent être interrogés!
A vaincre sans péril, on triomphe certes sans gloire.
Mais à coup sûr.
J'obtiens ainsi ce que je voulais: débarrassé de l'histoire, je peux enfin
me plonger à corps perdu dans ma chère géographie physique. Cette matière

8. L:erpétologie (ou herpétologie) est la science de l'étude des reptiles.


9. Spécialiste de l'étude des poissons.
10. Etude des sédiments et des roches sédimentaires.
11. Etude de la genèse et de l'évolution de la planète.
Squelettes, palettes & grains de sable or"
est riche en disciplines passionnantes, et je jette mon dévolu sur la
géomorphologie 12, qui présente un grand intérêt: celui de développer le sens
de l'observation et de la déduction. Car si les paysages sont tels que nous les
admirons, ce n'est jamais le fruit du hasard.
D'abord, il y a les sédiments, qui se déposent dans le silence des abysses,
la puanteur des marécages, au creux des rivières ou s'accumulent sous le
souffle du vent. Les granites et les laves, nés du feu de la Terre et qui, un
jour, émergent à la lumière. Les continents qui bougent, les mers qui vont et
viennent, les climats qui changent. Notre planète respire et remue sans répit;
pour elle, une seconde vaut un million de nos pauvres années d'humains ...
Alors, pendant des millénaires, la pluie, les vents, les glaciers, les animaux
et les plantes usent la peau de la Terre, sculptent et modèlent ses roches. Les
cours d'eau creusent leur lit et l'abandonnent pour s'en aller plus loin ou
disparaître à jamais. Et tous ces évènements laissent des indices que la
géomorphologie apprend à décrypter pour raconter la saga immortelle de
notre monde.
Or, les êtres vivants jouent un rôle important dans cette évolution des
paysages, et notamment dans l'érosion des rivages marins.
C'est pourquoi je décide de me spécialiser en biogéographie 13 •
Ce n'est pas un choix hasardeux.
Car, depuis longtemps, je suis amoureux ...

COUP DE FOUDRE
... amoureux des patelles.
Les patelles, tout le monde les connaît: ce sont des coquillages en forme
de chapeau chinois qu'on voit comme endormis sur les rochers à marée basse
(Fig. 1 - voir cahier photos) . On les appelle aussi berniques.
Elles et moi nous nous connaissions depuis que j'étais tout gosse, enfant
breton galopant sur les grèves de Saint-Jacut. Mais nous ne nous fréquen-
tions pas plus que des voisins de H.L.M. qui se croisent au coin des ascen-
seurs.
C'est à l'âge de quinze ans que je connais le coup de foudre. Le vrai, l'au-
thentique, brutal et douloureux: je viens de glisser sur du goëmon qui m'a
précipité au fond d'une de ces flaques d'eau que la mer laisse comme un
témoignage derrière elle chaque fois qu'elle se retire.
C'est une très belle flaque, profonde de près d'un mètre, emplie d'une eau -;-t
L::'::"I '
limpide.

12. Science des reliefs terrestres actuels et de leur évolution.


13. Etude du comportement des êtres vivants dans leur milieu natureL.
Jn
1 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?

Et je les vois: elles sont plusieurs dizaines qui vaquent paisiblement à


leurs occupations, glissant sans bruit sur leur semelle caoutchouteuse. Ce ne
sont pas les patelles ternes et grises qu'on voit tristement collées sur les
rochers asséchés. L'eau les a comme métamorphosées. Leurs coquilles sont
parées des couleurs les plus riches: vert émeraude, jaune d'ajonc, violine,
rouge éclatant. Elles vont et viennent entre les bouquets de fucus bruns,
cheminent sur les plages de corail rose et broutent au milieu des pacages
d'algues vertes. La palette de Van Gogh s'anime sous mes yeux ...
Je n'ai jamais oublié ce spectacle et mes études de géographie me four-
nissent enfin un prétexte honorable pour consacrer tout mon temps aux
patelles. Car, en fin de licence, il faut rendre un mémoire sur un sujet d'étude
choisi par le candidat. Pour moi, il est tout trouvé: ce sera Le rôle des
patelles dans la corrosion des côtes.
Dès lors, elles et moi devenons inséparables. Allongé sur le ventre, le nez
plongé dans les flaques, je traque l'animal en toutes saisons, réalisant des
centaines de macrophotographies, de croquis et de mesures. Peu à peu, j'ap-
prends leurs mœurs et leurs coutumes.
Je ne m'étendrai pas sur leur sexualité, dont certains aspects risqueraient
de choquer le lecteur non averti. Sachez simplement qu'elle est follement
débridée, et que les patelles bravent allègrement tous les interdits.
Tolérantes, elles sont aussi très casanières: quand la mer les recouvre,
elles se mettent en marche pour se hâter très lentement vers leur territoire
de pacage habituel. Là, elles se goinfrent à belles dents, allant jusqu'à râcLer
la roche qu'elles usent dans leur enthousiasme boulimique. Puis, lorsque la
mer descend, elles reprennent la route du retour, toujours la même, pour
regagner la place exacte qu'elles occupaient auparavant. Dès que la mer se
retire, elles se collent à la roche et attendent la marée haute suivante, endor-
mies dans la douceur de leur petit océan intérieur, marinant dans leur jus.
Home, sweet home ...
Psychologiquement fragiles, les patelles ne supportent pas la moindre
contrariété: si un mauvais plaisant s'amuse à creuser un petit fossé en
travers de leur trajet de retour, cette nouveauté perturbe les malheureuses à
un point qui les contraint à l'errance et parfois les conduit à la mort.
Hélas, comme toutes les grandes histoires d'amour, la nôtre connait une
fin atroce.
C'est au Bois-de-Cise, en Picardie.
A force de patience, j'ai réuni là un cheptel de cinquante animaux
superbes dont j'épie la vie trépidante semaine après semaine. Bien sûr, mes
patelles sont en liberté, s'ébattant sur le platier rocheux au pied des
immenses falaises de craie blanche. Pour les identifier, j'ai attribué à chacune
d'elles un numéro inscrit sur sa coquille à la peinture rouge.
Squelettes, palettes & grains de sable 0r:
L'expérience dure depuis dix mois quand, un samedi matin de juillet, en
arrivant sur mon terrain d'étude, j'ai une surprise: les touristes sont arrivés,
ponctuant la côte de leurs maillots multicolores et de leurs chairs blafardes.
Et je découvre le drame: ils ont mangé mes pateLLes!
Seules survivent au massacre les numéros douze et trente-et-un, prudem-
ment réfugiées sous des laminaires.
Les viandards ont dévoré mes bêtes sur place, puisque je découvre les
coquilles vides - et immatriculées - de mes protégées, abandonnées par
les prédateurs, sur les lieux mêmes du crime.
Ces assassins ont ruiné dix mois de travail!
Dès ce jour de deuil, je renonce à mes études sur les pateLLes, rédige mon
mémoire et voue une haine probablement immortelle aux touristes de toute
race.

LA MEMOIRE DES GRAINS DE SABLE


Pour me consoler, je me mets à explorer les carrières du Bassin Parisien à
la recherche de coquillages fossiles, assuré que ceux-là, on ne me les
mangera pas.
Un jour de juillet 1969, le propriétaire d'une sablière vient me trouver sur
le gisement d'où j'extrais mes captures une à une et me dit:
«Vous êtes étudiant en géologie?»
Sentant une bonne occasion, je mens sans vergogne :
«Oui ... »
«Vous vous y connaissez en sables?»
Des sables, en vérité, je ne connais alors guère que la chaleur de ceux sur
lesquels je dorais mon enfance en Bretagne. J'aggrave donc immédiatement
mon cas:
«Bien sûr ... })
« Et ça vous dirait de travailler pour moi pendant les vacances?»
Et comment, que ça me dirait! Depuis deux ans, mes congés sont
absorbés par l'honorable mais dur métier de guide pour touristes à Paris. Du
matin au soir (et même la nuit, Paris by night oblige ... ), je les promène en
troupeau dans d'énormes autocars bleus. Mais, après le drame que je viens de
vivre, je ne me sens évidemment plus guère disposé à cornaquer des tortion-
naires de patelles.
J'accepte donc, lis quelques ouvrages scientifiques sur les sables et,
quinze jours pLus tard, équipé d'un break Volkswagen 1600, je dévore joyeu-
sement l'asphalte vers le sud de la France. Ma mission est claire: découvrir
un gisement de sable siliceux pour une fabrique allemande d'optique de
précision militaire. J'ai avec moi tout le matériel du parfait prospecteur:
sacs, tarière, pelles, tamis, produits chimiques, cartes topographiques et
géologiques et, bien entendu, mes inséparables appareils photographiques et
mon microscope. (Fig. 2)
Cette exploration va durer six
mois. C'est le délai maximum qu'on
m'a accordé. En réalité, je le confesse,
je trouve le gisement dès la seconde
quinzaine, mais ne le redécouvre offi-
ciellement que juste avant l'expiration
du contrat. Mais comment empêcher
un étudiant passionné de profiter
d'une telle occasion pour prendre l'air
en toute liberté, creuser ses connais-
sances ... et gagner un peu d'argent?
Pendant six mois entiers, je visite
donc les coins les plus reculés du
pays, découvrant au cours de mes
Fig. 2: Première mission géologique (1969). quarante mille kilomètres d'explora-
tion que la France est un pays
sauvage peuplé de tribus souvent accueillantes aux coutumes parfois
étranges, dont les indigènes pêchent, chassent, cueillent des champignons,
jouent aux cartes et, parfois, travaillent.
J'ai surtout la chance d'observer au microscope des centaines d'échan-
tillons de sables qui me révèlent un monde dont j'ignorais tout: une poignée
de sable, ce sont des milliers de cristaux multicolores de formes, de dimen-
sions, d'éclat, variant à l'infini (Fig. 3 - voir cahier photos). On y découvre
cachés des organismes minuscules, des paillettes, des fibres, des choses pour
moi inconnues. Et ce qui me paraît étrange, c'est que ces paramètres multi-
ples semblent différer selon l'histoire et les origines des sédiments d'où ils
proviennent. Je pressens là l'existence d'une sorte de mémoire géologique
cachée dont la clef reste à découvrir.
Mais comment?
Une telle recherche est impossible à entreprendre à l'Institut de
Géographie à cause de l'absence de tout matériel d'analyse.
Mais je suis resté en contact avec le Professeur Lafond.
Par chance, celui-ci vient d'obtenir quelques crédits pour mieux équiper
son laboratoire afin d'y faire étudier par de jeunes chercheurs contractuels
des milliers de prélèvements provenant du fond de la Manche 14 • Si je le
désire, il me propose de faire partie de l'équipe.
- - _ .._ - - - _. _ _._ - - - - - - - - - - - - - - - - - -
14. Mission Terebel (Centre NationaL pour l'Exploitation des Océans).
Squelettes, palettes & grains de sable
nl_
L--

Je saute sur sa proposition et, pendant plusieurs mois, joue au factotum,


clouant par ci, rangeant par là ou peignant. Le laboratoire achète une vieille
machine à écrire électrique d'occasion, une photocopieuse, une calculatrice
et un magnifique microscope optique Zeiss. Nous sommes heureux.
Le travail peut commencer.
Soigneusement rangés dans plusieurs armoires, les échantillons attendent
qu'on les ausculte.
La mission que m'a confiée le Professeur Lafond consiste précisément à
découvrir une méthode permettant de décrypter les secrets de ce que j'ap-
pelle encore la mémoire des grains de sable. Je dispose pour cela du Zeiss et
me mets au travail avec enthousiasme.
Qu'ils sont beaux, ces grains grossis jusqu'à mille fois!
Mais, au fil des mois, je découvre à leur surface beaucoup plus de
mystères que je ne peux résoudre d'énigmes.
J'engrange donc des centaines de clichés illustrant les cicatrices portées
par les grains, minuscules hiéroglyphes en forme de stries, de cuvettes, de
croissants, de boules, d'étoiles, de chapelets et de vaguelettes.
C'est tout cela, l'image de leur mémoire. Mais comment déchiffrer celle-ci?

LA MAGIE VERTE
Un jour de 1970, Yann Morel, un étudiant qui termine sa thèse sur les
argiles, vient me voir et me dit:
«Tu devrais essayer le M.E.B .... »
«Le quoi?»
«M.E.B.: Microscope électronique à balayage. Ils viennent d'en recevoir
un au B.R.G.M.15 d'Orléans.»
« Et à quoi ça sert, cette bête-là?»
«A grossir 10000, 20000, 30000 fois! Je m'en suis servi pour mes
argiles; ça devrait t'aider pour tes sables. Regarde ... »
Et Yann ouvre le manuscrit de sa thèse, illustré de photographies extraor-.
dinaires: les plaquettes d'argile d'un millième de millimètre atteignent cinq
ou six centimètres sur les clichés! ElLes ont une netteté et un relief incoya-
bles ... Avec cet instrument, peut-être pourrais-je enfin déchiffrer mes hiéro- FI ~
glyphes? En tout cas, je pourrai au moins les grossir et mieux les admirer..
«Mais comment faire pour essayer le M.E.B. ?»

15. Bureau de Recherches Géologiques et Minières.


~: 1 QU:_A P!_~ ..~ DE Lo ï c LE RI BAULT ?

«Je vais à Orléans la semaine prochaine. Viens avec moi, tu pourras en


profiter pour regarder quelques grains de sable ... »
Les jours qui suivent me voient agité comme une puce. Car je ne dispose
que d'une heure de M.E.B. Alors, quels grains choisir?
Je possède désormais une jolie collection de sables de tous âges, toutes
origines et tous environnements, provenant du monde entier.
C'est, bien entendu, sur ceux dont je connais le miLieu de dépôt pour Les
y avoir capturés moi-même que je décide de porter mon choix. C'est la déci-
sion la plus Logique, puisque, pour comprendre un phénomène naturel
complexe, il importe d'essayer d'en isoLer les paramètres. Il convient donc
d'inaugurer cet essai à énorme grandissement par des échantillons à histoire
très si mple.
Le grand jour venu, j'emporte serrés contre mon cœur cinq grains de sable
amoureusement séLectionnés: un quartz de granite altéré, un de pLage
marine, un fluviatile, un de dune littorale et Le dernier provenant d'un gLacier
des ALpes.
Quand je vois Le M.E.B., je reste pétrifié.
Tapi dans La semi-obscurité de la salle, le monstre de métal ronronne
doucement, constellé de lumières multicoLores qui clignotent sur l'impres-
sionnant tableau de bord laqué de blanc. Il fait la hauteur d'un homme et
plusieurs mètres de largeur (Fig. 4). Assis devant Lui, les yeux fixés sur un
écran fluorescent, officie le grand prêtre qui, seul, sait dominer la bête. Il se
lève et se présente :
« Bonjour. Je m'appelle Jeanrot.»
Je salue avec respect le pilote qui va me conduire dans le monde de l'in-
finiment petit. J'ignore alors que nous allons travailler ensemble pendant des
années et, devenus amis
à force de partager les
mêmes émerveillements,
qu'il va m'aider tout au
long de mes recherches
en me faciLitant autant
qu'il le pourra l'accès à
son microscope.
Pour l'instant, il
contemple mes petits
quartz emprisonnés dans
leurs boîtes de plas-
tique.
Fig. 4: Le microscope électronique à balayage «C'est la première
du B.R.G.M. d'OrLéans en 1971.
fois que je vais voir des
Squelettes, palettes & grains de sable n r-
ut.

sables au M.E.B. », dit-il. Et on sent que cette découverte l'intéresse autant


que moi.
Un à un, il saisit les grains à l'aide d'une pince et, avec douceur, les
dépose sur un petit cylindre de cuivre d'un centimètre de diamètre recouvert
d'adhésif double-face, qu'il appelle un portoir.
Puis il saisit un cure-dent dont il trempe la pointe dans un flacon. Quand
il la ressort, elle est ornée d'une goutte brillante couleur argent.
«C'est de la peinture d'argent, m'explique-t-il, pour faire contact entre
l'adhésif et l'échantillon qu'on observe.»
Avec soin,. il applique la pointe du cure-dent sur le grain, et une trace
argentée relie bientôt celui-ci à la surface du portoir.
«Maintenant, on va métalliser l'ensemble », déclare Jeanrot en introdui-
sant le portoir dans une sorte de petite cloche qu'il appelle un métaLLiseur.
«Pour étudier les échantillons au M.E.B., m'explique le maître, ceux-ci
doivent être conducteurs. Si ce sont des objets métalliques, il n'y a pas de
problème. Mais si ce n'est pas le cas, comme pour vos grains, on doit vapo-
riser à leur surface une fine couche d'or.»
Bientôt, la cloche s'illumine d'une lumière vioLette qui enveloppe Les
quartz pendant deux minutes. Puis Le technicien souLève Le couvercle, et mes
grains apparaissent entièrement dorés.
ALors, Le magicien s'approche du M.E.B.; il appuie sur un bouton, et L'ap-
pareil émet un gros soupir.
«Je casse le vide», commente Jeanrot.
Il ouvre une trappe, y enferme mes échantillons, referme, puis appuie à
nouveau sur le bouton.
«Et maintenant, je fais Le vide», dit-il.
Ce type m'impressionne de plus en plus: il manipule les électrons, peint
à l'argent, vaporise l'or, brise puis fabrique le vide comme d'autres manient
le crayon et la gomme!
L'homme en blanc s'asseoit devant le tableau de bord du M.E.B. tel le
maestro devant son clavier, manipule à toute vitesse une impressionnante
collection de manettes, de cliquets et de boutons, et le miracle se produit;
L'écran se met à scintiller d'une lumière qui, pendant trente ans, va hanter
mes jours et mes nuits: La Magie Verte, qui ouvre toutes grandes les portes
de L'univers infini des micro mondes.
D'abord apparaît une sorte de nuage aux contours indécis.
«Je fais la mise au point à un grandissement de la 000 fois », ditJeanrot,
«puis nous descendrons à la fois pour grossir ensuite comme vous
voudrez ... »
Peu à peu, les contours du nuage se précisent et, en plein centre de
l'écran, éclôt ce qui semble être une fleur magnifique composée de cinq
pétales. Nous sommes stupéfaits. Une fleur? Sur un grain de sable? Qu'est-
ce que ça peut bien être? (Fig. 5 et 6 - voir cahier photos)
Quelques mois plus tard seulement, je comprendrai que de telles fleurs
minérales (que je baptiserai fleurs de silice) sont des débuts de cristallisa-
tions secondaires poussant sur les quartz dans certaines conditions bien
spécifiques. Depuis ce jour d'initiation au M.E.B., j'ai observé des centaines
de fleurs de silice, mais n'en ai jamais contemplé une aussi belle que cette
première, pourtant découverte par le plus grand des hasards 16 !
Ensuite, nous explorons tous mes grains un à un. Je découvre des
paysages insoupçonnés, des algues microscopiques piégées par le sel dans
des micro-trous. des traces de choc, des pellicules, des aiguilles regroupées
en faisceaux, des bactéries devenues grosses comme des saucisses, des cica-
trices d'éclatement, de frottement, des arêtes polies comme des miroirs,
d'autres tranchantes comme des lames de rasoir, des microbilles, des gouffres
béants perdus à l'intérieur des grains, des plaines, des montagnes, des trou-
peaux de micro-organismes!
Mes hiéroglyphes prennent ici un relief prodigieux. (Fig. 7 à 10 - voir
cahier photos)
Mais comment les interpréter? Quelles sont leurs origines? Que signifient-
ils?
Autrement dit, je vois mieux ... mais ne comprends pas davantage!
Le virus du M.E.B. m'a contaminé.
Désormais, je n'ai plus qu'un objectif dans la vie: chercher, par tous les
moyens, à me procurer des heures d'observation sur des M.E.B. Je me mets à
sillonner les routes de France, mes précieux grains enfermés dans des boîtes,
pour mendier ici et là une heure ou deux de microscope. Car la journée de
location est chère, mille francs (= 152 € 17), ce qui équivaut à deux mois de
mon salaire. On m'accorde donc des moments creux, souvent la nuit; comme
j'ai appris à manipuler l'appareil, certains chercheurs dotés de crédits me
demandent aussi de réaliser pour eux des photographies de leurs échantillons
et, en échange, me cèdent une partie du temps qui leur est alloué.
Peu à peu, mes clichés s'accumulent. Mais je n'ai toujours pas percé le
F mystère de la mémoire des sables.

16. Ce sont ces fleurs de silice qui. des années pLus tard, s'avéreront être en grande partie constituées de
siLicum organique. grâce auqueL Le G5 verra Le jour.
17. Dans La suite de cet ouvrage, Les sommes seront toujours converties en euros.
Squelettes, palettes & grains de sable 0[
L'EXOSCOPIE DES QUARTZ
J'entreprends donc de recréer artificiellement certaines contraintes subies
par les grains dans divers environnements naturels: je les baigne dans l'eau
douce, les enferme dans le congélateur familial, les projette les uns contre
les autres avec de l'air comprimé pour imiter le vent, les torture à l'acide
fluorhydrique ou à la soude ...
Je teste également leur comportement dans différents environnements
réels.
Ainsi, pour déterminer la vitesse d'acquisition de certains caractères sur
les plages marines, ai-je découvert un procédé très simple. D'abord, j'ai cons-
truit une série de minuscules cages grillagées, un peu semblables aux anciens
garde-manger anti-mouches, mais de dix centimètres de côté seulement. Tous
les matins, je sélectionne quelques grains, les nettoie à la soude, les lave à
l'eau distillée, les décape aux ultra-sons, puis les enferme dans les cages que
je vais déposer sur la plage la plus proche. Le soir, je reviens chercher mes
prisonniers, les sèche et recherche ensuite au M.E.B. les caractères acquis
dans la journée. J'ai ainsi la surprise de constater que certains de ces
derniers peuvent apparaître (ou disparaître) en l'espace d'une seule marée.
Les grains de sable se modifient donc et vieillissent en douze heures sur les
plages!
Je commence ainsi à identifier l'origine et la signification de certains
microcaractères.
Un matin, alors que je vais poser mes cages sur la plage, je croise des
touristes, étonnés de me voir les bras chargés d'un matériel si étrange.
«Qu'est-ce que c'est? », demandent-ils fort aimablement.
«Des cages à sable. Voyez, les grains sont dedans. Tous les matins, je les
dépose ici, au même endroit, et je les récupère le soir pour voir s'ils se sont
modifiés dans la journée ... »
«Ah, ah! ... Comme c'est intéressant. .. », disent les touristes. «Excusez-
nous, mais nous sommes pressés ... Bon courage!»
Et ils s'enfuient à toutes jambes. C'est vrai qu'ils ont l'air brusquement très
pressés. Beaucoup plus qu'au moment où je les ai rencontrés. Peut-être vien-
nent-ils de se souvenir qu'ils avaient un rendez-vous urgent?
Mon travail terminé, les cages bien amarrées, je reviens sur la dune où '--
stationne ma voiture. A côté d'elle, deux gendarmes attendent.
« Bonjour », dit le premier. «Alors, on se promène?»
«Non, non. Je travaille ... »
] 0~~~~ DE Loï c LE RIBAULT?

«C'est bien, ça, jeune homme. Et qu'est-ce que vous faites de beau?»
«Ben, je suis aLLé poser mes grains de sable sur la plage. Je viendrai les
récupérer ce soir, bien entendu ... »
« Oui ... bien sûr ... Et vous faites ça souvent?»
«Ah, tous les jours! Sans exception! Sinon, vous comprenez, ça fausse-
rait tout! ... »
«NatureLLement ... On ne prend jamais assez soin des grains de sable,
n'est-ce pas? Faut dire qu'il y en a si peu ... Au fait, vous ne voudriez pas
venir avec nous à La brigade, pour nous expliquer votre travail? Parce que
l'adjudant, c'est un mordu des sables, ça lui plaira sûrement de discuter avec
vous ... »
Ils sont très aimables, à la gendarmerie, mais j'ai bien du maL à leur
prouver que je suis relativement sain d'esprit.
Ensuite, la confiance établie, j'étale sur un bureau quelques-uns des
clichés de M.LB. qui ne me quittent jamais.
L'émerveillement d'enfant que je vois alors briller dans le regard des
gendarmes est pour moi un bonheur immense. Pourtant, je connais aujour-
d'hui les spectacles insoutenables que les yeux de certains d'entre eux
avaient dû contempler. Yfaire encore naître la joie n'était pas le moindre des
miracles, mais je l'ignorais encore ...
En 1971, j'ai réuni plus de six cents clichés de grains de sable réalisés au
M.E.B.
Mes amis ont disparu les uns après les autres: que voulez-vous faire
d'amusant avec un type de vingt-deux ans qui passe son temps derrière un
microscope à observer des grains de sable? Et puis à quoi ça sert? Alors qu'il
y a tant de choses intéressantes à faire dans les boîtes de nuit, dans les
cinémas et sur les terrains de football? Les sables, ça n'est vraiment utile que
pour se rôtir au soleil sur les plages ...
Je peux interpréter certains microcaractères, mais pas la majorité.
Surtout, je ne comprends par les règles qui régissent leur apparition ou leur
modification.
Un beau jour, je classe Les photographies selon l'origine des grains (fluvia-
tiles, marins, glaciaires, etc.), puis étale chaque «famiLLe» sur le plancher de
la salle à manger.
Ensuite, grimpé sur une chaise, je me mets à les contempler.
Cette observation immobile dure des heures.
Ensuite, je grimpe sur la table.
Je constate alors que certains clichés vus de loin présentent des simili-
tudes d'aspect, mais difficiles à définir. Ce sont des orientations de lignes,
SqueLettes, paLettes & grains de sabLe 0[
de groupes de ponctuations, des escadrilles d'ovales, des amas de nébulo-
sités, des éclats de luminosité.
Descendu de ma table, je classe mes nuages par catégories, puis me mets
à réfléchir.
Comment tout cela peut-il s'expliquer?
Soudain, en un éclair, je comprends tout!
Eurêka! J'ai trouvé la clef de l'énigme!
C'est simple: tout n'est que question de concentration de silice dissoute
dans l'eau, physique des chocs, polissage des histoires anciennes, exploita-
tion des traces les plus vieilles par les nouvelles, activité des micro-orga-
nismes!
Il suffit désormais d'en définir les lois avec rigueur.
C'est ainsi que naît l'exoscopie, officiellement définie 18 comme la
«méthode de détermination de l'histoire sédimentaire des grains de sable par
étude de leur surface au microscope électronique à balayage 19 .» (Fig. 11 à
18- voir cahier photos)
Six mois plus tard, je peux présenter ma première communication à
l'Académie des Sciences. Elle s'intitule «Présence d'une pellicule de silice
amorphe à La surface de cristaux de quartz des formations sableuses». J'ai
alors 24 ans.
Cet article sera suivi de nombreux autres et de deux livres qui, dans les
milieux scientifiques, obtiennent beaucoup de succès. Les critiques spécia-
Lisés sont unanimes pour saLuer ma découverte: «Lok Le Ribault est un pion-
nier», lit-on dans la Revue de Géographie Physique et de Géologie Dynamique.
«Parmi les utilisateurs du microscope électronique en sédimentoLogie, c'est le
chercheur qui aboutit aux résultats Les plus passionnants».
Après la parution de mon second livre, en 1977, un professeur de géologie
écrit: «La publication de cet ouvrage fait pLus, pour Le maintien du français
au niveau de langue scientifique internationale, que tous les discours offi-
ciels ».
J'ignore alors que le succès constitue un lourd handicap lorsqu'on commet
trop jeune ce péché dans le milieu universitaire français.
Jusqu'en 1972, je partage mes journées entre Paris, où je suis étudiant à
l'Institut de Géographie et surveillant de demi-pension au lycée Montaigne,
et Orsay, où je suis chercheur sous contrat à durée limitée à la FacuLté des
Sciences.
EU
18. «Dictionnaire de Géologie», page 114, éditions Masson, Paris, 1980.
19. Voir «La mémoire des grains de sable» sur Le site www.loic-Le-ribauLt.ch
1 ~J ~~ A P"WR] DE Loïc LE RIBAULT?

Cette année-là, j'atteins enfin un de mes objectifs prioritaires, en prin-


cipe inaccessible: par dérogation spéciale, compte tenu de mes travaux et de
mes publications, la Faculté des Sciences m'ouvre officiellement ses portes et
m'admet comme étudiant de troisième cycle! J'y entre immédiatement, quit-
tant la Faculté des Lettres avec en poche ma maîtrise de géographie. (Fig. 19)
Sans doute suis-je alors un cas unique de littéraire admis à poursuivre ses
études en Faculté des Sciences ... Autrement dit, une sorte de mouton noir,
hors normes et dérangeant.
Car, à compter de cette
époque, je serai catalogué
géographe par les géologues,
et géologue par les géogra-
phes, en vertu de quoi je ne
cesserai ensuite de me
heurter aux responsables de
toutes les instances offi-
cielles auxquelles j'oserai
présenter une candidature à
un poste de chercheur. Fig. 19 : Enfin en Fac' des Sciences! (Orsay, 1970).
Mais un problème crucial
et immédiat reste à résoudre: comment terminer ma thèse? Car, pour
l'achever, il me faut disposer d'environ une semaine de M.E.B., et je n'ai
aucun crédit pour m'offrir les séances nécessaires. J'ai beau me décarcasser
en heures supplémentaires au lycée Montaigne, donner des cours particuliers
à un fils de diamantaire intelligent comme une moule et méchant comme une
teigne, trafiquer dans la revente des timbres-poste de collection, magouiller
dans le retapage de voitures d'occasion, je ne récolte pas assez d'argent.
Je ne peux donc terminer mon doctorat.
C'est alors que le hasard, du moins ce qu'on appelle ainsi, intervient.
Dans ma voiture, je roule vers l'université pour informer l'administration
que je dois arrêter - ou pour le moins suspendre - mes recherches. Sur
l'autoroute, j'ai mis l'auto-radio en marche. Et j'entends une annonce qui
retient mon attention: la Fondation de la Vocation informe les candidats
potentiels qu'ils peuvent dès ce jour retirer leur dossier pour postuler à ce
concours prestigieux.
La Fondation a été créée voici trente ans par Monsieur Marcel Bleustein-
Blanchet pour aider ceux qui, dans les domaines les plus variés, ne peuvent
faute de finances réaliser la passion de leur vie. A l'époque, le montant du
prix est de 1 500 €. Mais l'épreuve est difficile, puisque vingt cinq candidats
seulement sont élus sur environ quatre mille postulants. Je résouds néan-
moins de tenter ma chance, la dernière, et par miracle deviens ainsi l'un des
lauréats couronnés en décembre 1972 sous les feux des projecteurs.
Merci, Monsieur Bleustein-Blanchet!
Squelettes, palettes & grains de sable Ù[

Vos 1 500 € sont immédiatement engloutis, dépensés en une semaine de


M.E.B., ce qui me permet d'achever ma thèse, passée avec succès le 29 juin
1973.
Cette même année, les doctes mandarins du Comité de sélection du
LN.R.S. s'étonnent pourtant de «ne pas voir sur Les clichés que Le Ribault
présente les choses qu'il prétend distinguer et même interpréter» et, en consé-
quence, rejettent ma candidature.
Heureusement, ignorant ces réticences de la nomenklatura française, des
centaines de chercheurs du monde entier commencent à me contacter, soit
pour que j'analyse leurs échantillons, soit pour que je les forme à l'exoscopie.
Des universités de toute l'Europe, du Canada, des Etats-Unis et d'Afrique
me demandent d'animer des cours, des conférences et des stages d'initiation.
Mes travaux sont traduits en anglais, en allemand, en italien, en japonais,
en polonais et l'exoscopie commence à être enseignée dans de nombreuses
universités. Il faut dire que j'enseigne régulièrement ma méthode à mes
propres professeurs et à leurs assistants depuis deux ans ...

TOTAL
C'est alors que des compagnies pétrolières commencent à s'intéresser à
moi.
Ces dernières, en effet, sur tous leurs territoires d'exploration, réalisent
des forages grâce auxquels elles espèrent découvrir l'or noir. Pour cela, il est
important de déterminer les environnements ayant existé dans le passé à un
endroit donné, et différentes approches sont utilisées pour cela: analyse des
microfossiles 20 , des pollens 21, des argiles, etc. Mais s'il n'y a ni microfossiles,
ni pollens, mais seulement des grains de sable, comment faire? Car personne,
à l'époque, ne sait retracer l'histoire de ceux-ci. Sauf moi. Les pétroliers
comptent donc sur moi pour ce travail.
C'est ainsi que je suis contacté par Fina, Elf, Shell et Total.
C'est cette dernière qui semble la plus intéressée. En effet, la compagnie
vient d'acheter un M.E.B. Pas pour l'utiliser, non, simplement pour le montrer
aux émirs arabes; ça présente bien dans un laboratoire, on a l'air d'être à la
pointe du progrès avec ça, même si on n'a pas la moindre idée de ce qu'on
pourrait bien faire d'un engin pareil. Alors, si un type bizarre a, lui, inventé
une méthode qui risque de rentabiliser cette machine, le prix d'acquisition
du malade mental ne représente rien par rapport à celui de l'appareil ...
Dans un premier temps, naturellement, Total me teste. Pour cela, elle
m'envoie le professeur Bernard Kübler, sédimentologue réputé de l'Université

20. MicropaLéontoLogie.
21. PaLynoLogie.
]0r QUI A p!..~1 DE Loïc LE RIBAULT?

de Neuchatel (Suisse). Il arrive muni de quelques échantillons de sable dont


il m'invite à déterminer l'histoire (qu'il connaît évidemment). C'est pour moi
un travail d'une facilité déconcertante, et Kübler conclut ainsi sa visite: «Le
Ribault a réussi! C'était impossible. Donc, soit il a effectivement inventé une
méthode révolutionnaire, auquel cas il faut l'embaucher à tout prix, soit il a
réussi à se procurer les références de mes échantillons, références que moi seul
connaissais, et en ce cas c'est un espion de génie à engager absolument».
Ce verdict sans appel est aussitôt transmis au grand patron de Total, qui
me communique la bonne nouvelle: je suis embauché.
Avant, il y a toutefois une formalité à remplir: je dois subir les tests
psychologiques réglementaires au siège de la société.
Quand j'arrive dans son bureau, le psychologue, agité de tics nerveux, ne
me paraît pas dans son assiette. Pour travailler dans un état pareil, le malheu-
reux doit vraiment avoir besoin de gagner sa vie, et c'est donc de bonne grâce,
empli de compassion, que je me prête à son interrogatoire. Au bout d'une
demi-heure, secoué de spasmes inquiétants, il me pose la question finale:
«Si vous aviez à vous définir en trois mots, lesquels choisiriez-vous?»
Histoire de le détendre, je lui réponds du tac au tac:
«Beau, intelligent et modeste! '" »
Il ne rit pas, son épaule s'agite brusquement, il claque de la langue,
frétille de la paupière puis me congédie en soupirant.
J'apprendrai plus tard que son compte rendu déconseillait vivement mon
embauche, parce que j'étais un« marginal incurable, incapable de s'intégrer
dans une structure hiérarchisée, bref, complètement ingouvernable ». Comme
quoi, quoiqu'on dise, il existe des psychoLogues compétents.
Mais Total possède ce fameux M.E.B. dont elle ne sait quoi faire, et le
super-patron décide de passer outre aux recommandations de son psycho-
logue. Il m'achète donc - pas cher - et, pendant huit longues années, je
vais souffrir dans cette grande société en tentant désespérément de justifier
mon salaire.
J'analyse les échantillons sans intérêt qui me sont confiés, participe aux
réunions de chefs de service sans idées, vis la vie faussemement fébriLe d'une
grande entreprise où les fourmis s'agitent quand on les regarde et s'endor-
ment loin des regards indiscrets. En fait, je ne «travaille» guère plus de trois
heures effectives par jour, ce qui me permet, le reste du temps, de poursuivre
paisiblemement mes recherches en utilisant à mes fins personnelles le
magnifique M.E.B. de la compagnie. De temps à autre, on m'extrait du labo-
ratoire pour m'exhiber comme une bête curieuse dans des universités
d'Afrique ou d'Amérique du Nord.
Et je m'ennuie.
Comme un rat mort derrière une malle d'osier.
Squelettes, palettes & grains de sable 0L
A tel point qu'en 1974, appelé à faire mon service militaire, je refuse la
proposition de Total qui m'a informé que, le laboratoire étant classé d'intérêt
stratégique, il m'est possible d'effectuer mes obligations militaires en étant
affecté à mon poste. Mais je m'ennuie tellement que je préfère encore partir
un an dans la Marine où d'ailleurs, compte tenu de mes diplômes, on m'a
promis un poste d'enseignant à l'Ecole navale de Lanvéoc Poulmic, et ce en
qualité d'Elève Officier de Réserve.
J'ai tort.
Car c'est comme simple matelot 5.5. 22 que je suis affecté à Brest dans la
5.5.5. 23 (Fig. 20)! Renseignements pris, cette regrettable erreur est due à la
perte de mon dossier,
comme me le confirme le
ministre des Armées ...
après dix mois de service,
en me présentant ses
excuses. Pour se faire
pardonner, le ministre en
personne me renvoie dans
mes foyers pour les deux
mois de service militaire
qu'il me reste à accomplir,
affecté comme matelot. ..
Fig. 20: MateLot Sans Spé' (3 e en partant de la gauche).
à mon domicile. Hourtin, 1974.
Puis je retourne à Total.
Une vague lueur d'aventure brille un jour de 1978: une mission en bathys-
caphe est prévue dans l'Atlantique, et, en tant qu'océanographe, j'ai été
désigné pour celle-ci. Voilà qui me plaît beaucoup. Evidemment, une visite
médicale sévère s'impose, et je suis convoqué à Paris dans un centre médical
spécialisé dans les examens d'individus soumis à des missions militaires ou
civiles à haut risque.
Dans la salle d'attente, nous ne sommes que deux.
C'est avec une immense compassion qu'à la dérobée j'observe mon compa-
gnon de banc: il est rouge, bouffi, souffle comme un phoque et transpire
comme une éponge. Je ne sais quel est ou était son métier, mais en tout cas
il ne l'a pas arrangé. Dire que moi, bientôt, je vais aller dans les abysses
contempler les requins dans le vert des yeux! Pauvre homme ... Quand vient
mon tour, on m'ausculte sous toutes les coutures: la tension, les yeux, les
oreilles, le nez, les poumons et j'en passe. Puis c'est la prise de sang et la
radio traditionnelles. On m'annonce les résultats officiels pour la semaine

22. MateLot Sans SpéciaLité, c'est-à-dire sachant simpLement lire, écrire et compter.
23. Section de Surveillance du Site, chargée de surveiller (très approximativement) la pollution pouvant
être due aux sous-marins atomiques dans La Rade de Brest et ses environs.
] 0i QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?

suivante, mais on m'informe qu'apparemment je suis en pleine forme, et que


je peux déjà préparer mes bagages.
Huit jours plus tard arrive le courrier tant attendu.
J'ouvre et je m'assieds, terrassé.
C'est bien simple: d'après les résultats, je suis quasiment mort! J'ai une
hypertension éléphantesque, les poumons mités, le cœur calamiteux, les
artères colmatées, les reins engorgés, le foie cirrhotique, des séquelles de
malaria - voire de castapiane verte - et je suis sourd comme un pot! C'est
pas possible! Même pour le foie, ça ne peut pas être moi! Immédiatement,
je demande une contre-visite, laquelle m'est accordée à l'Hôpital des armées
de Bordeaux.
En attendant, Total, évidemment, m'a trouvé un remplaçant, au cas où ...
La contre-visite se passe fort bien. Les militaires ne peuvent que cons-
tater mon excellent état général, et m'affirment que les résultats que j'ai
reçus ne peuvent en aucun cas correspondre à mon cas. D'ailleurs, cela me
sera confirmé par écrit.
Officiellement.
Quinze jours plus tard.
Alors que mon remplaçant, le salaud, plonge déjà à ma place au fond de
l'Atlantique ...
Je connaîtrai plus tard la raison de cette méprise: par un hasard extraor-
dinaire, mon voisin de salle d'attente se trouvait avoir le même nom que
moi ... à une voyelle près! Une fois de pLus, les miLitaires avaient fait joujou
avec un de mes dossiers, et confondu cette fois deux noms!
Depuis, je me demande queL fut le sort du maLheureux inconnu de La salle
d'attente. Car il a forcément hérité de mon bilan de santé! Ainsi officielle-
ment reconnu en pLeine forme physique, il a dû être bien déçu, s'il espérait
une pension ou la retraite anticipée. A moins que, ravi d'apprendre que son
état était bien meilleur qu'il ne le craignait, il ne se soit livré à de dange-
reux excès qui l'aient tout droit conduit à un trépas prématuré?
La vie, décidément, tient parfois à bien peu de choses. Surtout, et par
définition, quand eLle est entre les mains des militaires.
Moi, privé de plongée par bêtise administrative, je décide de prendre le
taureau par Les cornes et de réaliser un projet qui me trotte dans La tête
depuis des années: l'exoscopie, c'est bien, mais il faut étendre la méthode;
on doit impérativement créer un laboratoire d'Etat spécialisé en microanalyse.
J'entame alors les premiers pas d'un chemin de croix qui va durer près de
vingt ans.
Fig. 1: Patelles .

... PATELLES
GRAINS DE SABLE ...

~ig. 3: Quelques grains de sable grossis 200 fois.

1
Fig. 8: Détail du cliché précédent (x 1 000 fois).
Une Diatomée apparaît dans une dépression de la
surface du grain.

Fig. 9: Détail du cliché précédent


Fig. 10: Détail de la Diatomée
(x 5 000 fois). (x 10 000 fois).
Fig. 12: Colonie de Diatomées sur un grain de
sable (x 1 000).

Fig. 13: Trace de broyage d'origine glaciaire


(x 1 000 fois).

______________________________________1
Fig. 16: FLeur de silice orthogonaLe sur un grain de dune
LittoraL (x la 000 fois).
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AINSI NAQUIT LE C.A.R.M.Ef

LES FONCTIONNÂTRES
J'ai le plus grand respect pour les fonctionnaires. Les vrais. Ceux qui
consacrent leur temps au service d'autrui, comme c'est leur devoir. C'était le
cas de mes parents, pour lesquels enseigner était un sacerdoce.
Mais je nourris un mépris abyssal, mammouthesque, envers ceux qu'on
appelle les « hauts» fonctionnaires qui polluent tous nos ministères et s'en-
dorment à la tête de notre administration.
Ceux-là, je les appelle les jonctionnâtres, qui sont aux fonctionnaires ce
que le bleuâtre est au bleu outremer.
En 1973, je suis chercheur et entends bien le rester. Mais la masse de mes
correspondants scientifiques (des centaines) démontre à quel point la créa-
tion d'un service public spécialisé en microanalyse est une nécessité. Encore
nail à l'époque, je suis sûr que l'Etat va bondir sur cette rare occasion de
créer enfin quelque chose d'utile.
C'est mal connaître les fonctionnâtres.
Mon projet est simple: lancer un laboratoire public équipé de M.E.B. et
de microsondes, animé par une équipe pluridisciplinaire de haut niveau, qui
soit à la disposition de tous ceux auxquels la microanalyse peut être utile,
que les clients soient des industriels, des universitaires ou des particuliers.
Mon dossier sous le bras, je commence donc ma tournée des ministères.
Je les contacte tous, sauf peut-être le ministère des Anciens Combattants.
Bientôt, l'administration française est littéralement pavée de mes dossiers,
comme l'enfer l'est, paraît-il, de bonnes intentions.
Puis j'attends une réponse. En vain. Je ne reçois pas même un simple
accusé de réception ...
Invité en 1979 à faire aux Etats-Unis une tournée de conférences,
j'évoque mon projet au cours d'un congrès à Washington, en faisant part de
mon découragement face à l'inertie que je rencontre en France.
Une semaine plus tard, alors que je suis à l'université de Tempe, en
Arizona, me parvient une proposition de réaliser immédiatement aux U.S.A.
le laboratoire de mes rêves.
Une semaine!
-; 0 [ 1
QUI A PEU R DEL 0 Ï C LE RI BAU l T ?

Alors que, depuis six ans, j'attends une réaction des fonctionnâtres de
mon propre pays!
Cette proposition, décidément, est bien alléchante.
Néanmoins, une fois de plus, mon esprit de contradiction me pousse à
faire ce qui s'avérera dans l'avenir être la plus grosse bêtise de ma vie: je
refuse!
De retour en France, je lance une ultime offensive auprès de tous les orga-
nismes scientifiques supposés être concernés par mon projet.
A la direction du C.N.R.S. qui, en 1973, avait refusé ma candidature parce
que j'étais trop jeune, un barbon centenaire gélifié derrière un gigantesque
bureau m'informe que je suis désormais trop vieux pour intégrer le bazar qu'il
représente.
Je pars en claquant la porte.
Au ministère de la Recherche, on me fixe rendez-vous. Venu tout exprès
de Bordeaux, à mes frais, je tombe sur un lapin: le fonctionnâtre que je
devais rencontrer a été appelé à l'extérieur pour une entrevue que sa secré-
taire qualifie d'importante. D'où je conclue que la mienne ne l'est pas.

Au ministère des Universités, on me félicite pour mon idée.


Malheureusement, mon fâcheux désir de vouloir mettre mon laboratoire à la
disposition des industriels est «mal perçu »: à l'université, que diable, il
convient de consacrer tout son temps et l'argent du contribuable à la
recherche pure et désintéressée, dans la limite du temps libre laissé par un
enseignement qui se doit d'être aussi éloigné que possible des réalités
économiques. Si je persiste dans mon désir farfelu (pour ne pas dire
malsain), le mieux est que je contacte le ministère de l'Industrie.
Au ministère de l'Industrie, on trouve mon projet excellent. A un petit
détail près, toutefois, mais qui ruine le dossier: on ne peut admettre que je
tienne tant à faire de la recherche, alors que je prétends vouloir travailler
pour les industriels! On me conseille donc de m'adresser à la D.G.R.S.T.24
A la D.G.R.S.T., l'accueil est glacial. On trouve étrange, pour ne pas dire
suspect, que pas le moindre Etats-unien ne m'ait devancé dans la découverte
de l'exoscopie; on estime bizarre le fait qu'une même méthode puisse servir
à la fois l'industrie pétrolière et l'archéologie, les travaux publics et l'océa-
nographie, la police scientifique et la prospection minière, etc., etc. Pas
1;- normal, ça, pas normal du tout. .. De toute façon, la D.G.R.S. T. n'est pas
conçue pour réaliser un projet comme le mien. Ce serait plutôt le rôle du
ministère des Universités, ou de celui de la Recherche, ou du C.N.R.S. Mon

24. Direction Générale de la Recherche Scientifique et Technique.


Ainsi naquit Le C.A.R.M.E. .., [J l

interlocuteur me suggère d'interroger ces organismes. Peut-être que ses


collègues auraient des idées, eux, là-bas?
Nous sommes en avril 1980.
Je n'ai pas avancé d'un pouce.
je décide alors de tirer ma dernière cartouche et, le 21 avril, adresse une
lettre de huit pages au Président de la République, Valéry Giscard d'Estaing.
Celle-ci se termine par ces mots:
Mon Centre, Monsieur le Président, ne verra jamais le jour.
Et pour une raison toute simple: parce qu'une structure du type de celle que
j'avais envisagée n'est tout simplement pas PREVUE dans les textes! Il semble
décidément qu'il soit beaucoup plus facile en France d'inventer une méthode
révolutionnaire que de greffer quelque part, dans un texte poussiéreux, un
petit alinéa quelconque qui lui donnerait un peu de vigueur!
Comme l'inventeur se trouve désarmé devant le dernier des bureaucrates!
Devant eux, j'ai vraiment eu l'impression d'être le représentant d'une espèce
nuisible heureusement en voie d'extinction, une espèce dangereuse pour le
petit train-train institutionnalisé. Ne soyez pas inquiet pour l'avenir, Monsieur
le Président, les bureaucrates ont bien compris les consignes officielles: ils font
de l'économie d'énergie! Et pour se débarrasser du gêneur, on m'a renvoyé de
ministère en ministère, comme on se renvoie une balle. En souhaitant que la
balle se fatigue. ( ... )>>
Puis j'attends, empli de confiance: le dieu élu du moment ne peut rester
sourd à mon appel.
Bien sûr,' je ne reçois aucune réponse personnelle du Président, je n'en
attendais pas tant. Mais ma lettre, dès réception et lecture, suit par des voies
étonnament rapides le trajet qu'il m'a fallu sept ans pour accomplir.
Brutalement, elle tombe comme une bombe sur les bureaux des mandarins
impassibles et mous qui m'avaient jusqu'alors éconduit.
Du coup, ils en perdent toute superbe.
Dans un premier temps, ils demeurent ébahis: je n'ai pas joué le jeu! Mon
attitude est non seulement contraire aux usages établis, mais - pire! -
une fois de plus elle n'est pas prévue! Seulement, cette fois-ci, pas question
d'enfouir mon dossier sous le coude. Les consignes venues « d'en haut» sont
claires: le cas du trublion doit être étudié sérieusement pour savoir si oui ou
non son projet est réalisable.
Alors, contraints et forcés, les seigneurs décident de réunir une commis-
sion dite des Sages qui se tient à Bordeaux le 8 décembre 1980 et regroupe
cinq ou six personnes appartenant à l'université et aux organismes écono-
miques régionaux.
., l' QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
.....J L. _

La commission (à La réunion de laquelle je ne suis pas invité) se déclare


unanime pour considérer que L'exoscopie est une exceLLente méthode.
Mais ce qui pose un problème, c'est son inventeur! Car Les Sages me trou-
vent«difftciLe à manier». Ne «connaissant pas Les usages universitaires», j'ai,
selon eux, «tendance à mettre les pieds dans le plat». En outre, je suis
«agressif», et ça dérange beaucoup: «Les politiques sont très montés» contre
moï, et mon «affaire a déclenché un haut degré d'excitation au ministère ». Il
s'avère néanmoins que «la technique de char d'assaut de Le Ribault est effi-
cace, la meilleure preuve étant justement qu'aujourd'hui les Sages sont réunis
à cause de lui».
Lors de l'enquête effectuée par eux à mon sujet, Les-dits Sages recon-
naissent avoir recueilli de nombreux témoignages positifs, mais encore pLus
de négatifs, parce que « beaucoup de gens ont été traumatisés par les contre-
coups de la lettre au Président de la république ».
Alors, les Sages décident sagement de délibérer pour trouver une solution.
Un an pLus tard, ils délibèrent encore 25 .
Moi, j'ai enfin compris: je suis un emmerdeur qui a dérangé Les vieux
mandarins et les a obLigés à se secouer les méninges. Contraints et forcés par
leur hiérarchie, ils ont créé cette commission pour montrer leur fausse bonne
volonté, puis se sont rendormis sur Leurs Lauriers inexistants du profond
sommeil de l'injuste.
Il n'y a rien à espérer de ces fossiles mort-nés.
Le 1er septembre 1981, après avoir démissionné de Total, je dépose les
statuts du C.A.R.M.E.26
J'ai déjà perdu près de dix ans.
Maintenant, il faut rattraper le temps gâché ...

LA RONDE DES BANQUES


La gestation du C.A.R.M.E. fut longue. Sa naissance s'avère laborieuse.
En effet, je cumule à peu près tous les défauts: j'ignore tout de La
gestion, j'innove, je n'ai pas d'argent, je ne suis pas Aquitain, je ne connais
personne, je n'ai aucun client potentieL et pas de locaux pour m'héberger. En
pLus, je suis plein d'enthousiasme. Or, l'enthousiasme est mal vu à Bordeaux,
du côté des Chartrons. On y cuLtive plutôt la vigne, le style blazer-cravate et
la phobie de tout changement. Dans les hôtels particuliers, le temps et les
52
esprits se sont arrêtés au XVIIIe siècle.

25. 24 ans pLus tard, ils déLibèrent sans doute toujours, puisqu'au moment où j'écris ces Lignes je n'ai tou-
jours pas reçu Les conclusions de La fameuse Commission des sages.
26. Centre d'Applications et de Recherches en Microscopie Electronique.
Ainsi naquit le LA.R.M.E. O[

C'est pourtant en ces tristes pâturages qu'il me faut aller quérir l'argent
dont j'ai besoin pour réaliser mon rêve. Sur des crédits, il ne faut point
compter: je ne suis précisément pas crédible. Or, chez ces gens-là, Monsieur,
on ne prête pas. Surtout à un farfelu qui, loin d'exploiter les terres de ses
ancêtres, un patrimoine immémorial ou un commerce classique et honorable,
veut innover! Inventer, quoi! Qui prétend faire quelque chose que personne
d'autre n'a encore jamais fait! C'est pas sérieux, ça, pas bordelais du tout.
Ici, on ne mise que sur les valeurs éprouvées, éculées, traditionnelles. Si
encore ce jeune homme était riche ...
Mais voilà: riche je ne suis précisément point, ayant hérité de mes
parents une tare dont je suis particulièrement fier: le mépris absolu de l'ar-
gent. Comment des gens supposés intelligents peuvent-ils attacher la
moindre importance à ce qui n'est après tout qu'une simple convention issue
de cerveaux pervertis? Si, depuis des siècles, la Civilisation avait utilisé la
valeur intellectuelle et humaine des gens comme étalon plutôt que celle de
l'or, l'être humain ne serait plus depuis longtemps Le chalnon manquant entre
le singe et L'Homme. Il serait enfin L'Homme.
N'empêche qu'il m'en faut, du pognon! Et beaucoup ...
A L'époque, en 1981, Le capital d'une société anonyme est au minimum de
15000 €. Pour avoir La majorité dans ma propre société, iL me faut donc
réunir au moins 9 000 €. Or, en grattant mon squeLettique compte en
banque, je n'en découvre que 1 500.
Je résouds donc d'empLoyer Les grands moyens. Je vends mes meubLes, ma
Citroën Traction Avant à laquelle je tiens tant, huit vieux sabres de collec-
tion et un fusil de chasse. De l'ensemble, je tire 7 600 €. Total: 9 100.
Mais ça ne suffit pas, il me faut beaucoup pLus pour commencer à faire
fonctionner le laboratoire: seLon mes prévisions, au moins 46000 €27!
Le LE. P.M.E. 28 a bien promis de me prêter 11 500 € pour m'installer, mais
ce très prudent organisme ne concède cette faveur qu'à condition que j'ap-
porte auparavant moi-même une somme équivalente. Autrement dit, pour
obtenir mes 11 500 €, il est indispensable que j'en possède déjà ... 11 500!
La quadrature du cercle, quoi.
Surtout qu'avec les autres banques, c'est Le même principe. Qui se
ressemble s'assemble, dit-on, et surtout Les Larrons dans Les foires. On veut.
bien me prêter n'importe combien, à condition que je donne des garanties au
moins identiques, et si possibLe supérieures.
Je décide aLors de brûler mes vaisseaux. 53

27. Je précise que cette estimation s'avérera héLas totaLement erronée. Je l'avais Laborieusement calcuLée
sur un vieux cahier d'écoLier, après avoir tenté d'apprendre La gestion dans un livre de poche deux mois
avant de me lancer dans la grande aventure.
28. Crédit d'Equipement aux Petites et Moyennes Entreprises.
Car j'ai un trésor de guerre. Un vrai. 150 pièces d'or découvertes par un
oncle après la guerre dans une maison en ruines. Je dispose aussi d'une
centaine de pièces féodales en argent que j'ai trouvées dans un vieux pot de
grès chez un brocanteur peu curieux 29 , que je m'empresse d'échanger à un
numismate averti contre des louis d'or. L'ensemble représente à l'époque
environ 30000 €, en espèces sonnantes et trébuchantes soigneusement
enfermées dans un petit (mais lourd) sac de toile.
Muni de ce sac, je commence alors mon porte à porte.
Dans la première banque, à la vue du pactole, ~Y!Ux du banquier s'al-
lument comme ceux d'un pédophile à la sortie d'une école primaire. Sur-le-
champ, il me propose un découvert de 15 000 €. Je signe les papiers, ouvre
un compte et m'en vais, mon petit sac à la main.
Dans la seconde officine, l'usurier répand les pièces sur son bureau et ses
doigts crochus tâtent le métal brillant. Rassuré, il m'offre un découvert de
12000 €. Il est moins généreux que le précédent, mais j'accepte quand
même, ouvre un second compte et repars, mon petit sac sous le bras.
Dans la troisième banque, le grigou de service soupèse la bourse avec des
gestes obscènes, l'entrouvre, flaire et ses narines se mettent à palpiter. Il
salive, tel la mouche verte devant l'étron fumant. Cette fois, l'offre est de
14000 €. J'accepte et m'en vais, guilleret, muni d'un troisième compte,
serrant bien fort mon sac d'or sur le cœur.
Maintenant, j'ai 41 000 € de découvert autorisé.
Finalement, quand on possède un peu d'or, ça ne semble pas trop difficile
de trouver de l'argent. Je raconte mon expérience à quelques amis chefs d'en-
treprises qui la trouvent excellente. Ils m'empruntent mon sac, qui commence
à faire le tour de l'Aquitaine avec un succès inespéré. Je ne sais combien de
fois il est utilisé, mais je crains qu'à la longue, à force d'être ainsi prome-
nées, mes pièces ne finissent par se transformer en un petit tas de poussière
d'or.
Ayant récupéré mon sac, je vais un beau matin visiter une quatrième
banque. Là, tout le hall est de marbre, de cuivre et de bois patiné. Des
vitraux diffusent une lumière tamisée propice à la digestion des crocodiles.
Celui qui me reçoit a l'œil d'un bleu de glace. Il ne soupèse pas le sac, ne le
flaire point ni ne tripote les pièces. Sans barguigner, il m'offre 15 000 € de
découvert. Quand j'ai accepté, il m'ouvre un compte puis saisit simplement
mon sac en disant: « Bien entendu, nous conservons votre or en garantie ... »
B C'est donc orphelin de mon trésor que je quitte la dernière banque.
Mais je dispose désormais de 56 000 € de découvert.

29. Et d'ailleurs bordelais ...


Ainsi naquit le LA.R.M.E. 0[
Sans tarder, je recommence ma tournée des banques, prenant dans
chacune d'elles une grosse partie des facilités qui m'ont été accordées. Quand
j'ai 45 000 € en poche, j'entre dans une cinquième banque, où j'ouvre un
compte tout neuf. Pour un client si fortuné, disposant de tant de liquidités,
le directeur ne voit évidemment aucune objection à autoriser en cas de
besoin un léger découvert de 12 000 €.
A ce stade de l'opération, ma fortune est donc la suivante: 1 500 € d'éco-
nomies + 9 100 € provenant de la vente de mes biens + 45 000 € déposés
dans la cinquième banque + 12 000 € de découvert autorisé par la-dite
banque + 11 500 € prêtés du coup par le C.E.P.M.E. Total: 79100 €.
J'ai désormais de quoi créer enfin mon laboratoire.

PREMIERS PAS
C'est mon père (Fig. 21) qui trouve les locaux. Ils sont situés en plein
centre de La Teste, tout près d'Arcachon. Signe sans doute prémonitoire,
cette maison de dix pièces est l'an-
cienne gendarmerie de la ville, jouxtant
à l'époque la maison de passe locale.
L'immeuble appartient à un médecin,
qui s'empresse de me le louer, car il faut
tout refaire, y compris la charpente
rongée par les termites. Il convient en
outre d'aménager les salles pour y
accueillir les microscopes électroniques
et autres engins indispensables à l'exer-
cice de ce nouveau métier: prestataire
de service en microanalyse.
Les travaux durent trois mois, Fig. 21: Mon père.
jusqu'au début de décembre 1981.
J'ai acheté à E.D.F. un vieux M.E.B. réformé âgé de onze ans pour la
modique somme de 4.500 €30. Stocké sous une bâche pendant les travaux,
il a beaucoup souffert car, alors que le toit n'est pas encore refait, il s'est mis
à pleuvoir de façon diluvienne. Des nappes d'eau descendent les escaliers à
ciel ouvert et, pour monter au premier étage, il faut jouer les saumons
remontant le courant.
Lorsque la dernière tuile est en place, je soulève la bâche. C'est une cata-
strophe! Le M.E.B. est complètement rouillé ... On dirait une vieille chau-
dière! Pendant des jours, avec l'aide de quelques amis, je le démonte

30. Je revendis trois ans plus tard ce même microscope, complètement usé, à G.D.F. pour 4 500 €, preu-
ve de la bonne gestion des entreprises publiques ...
;J[QVIAPEUR] DE Lo ï c LE RIBA ULT?

morceau par morceau, chaque pièce est grattée, nettoyée et polie. Ouand
l'appareil est remonté, il brille comme un sou neuf. Mais va-t-il marcher?
Contact!
Du premier coup, il se met à ronronner comme un chat.
Nous sommes à Noël 1981.
Le LA.R.M.E. commence à vivre... [:'
(Fig. 22)
Le 2 janvier 1982, le premier client
sonne à la porte. C'est un géologue qui l".
vient analyser quelques fragments de t
roche. Les affai res com mencent! Je le
reçois dans mon bureau, au premier
étage. En descendant au laboratoire,
trahi par les escaliers encore glissants, il
fait une chute spectaculaire. La cheville
foulée et la peau arrachée par le crépi du LL_ _ ..L.r........ (.'
Fig . 22: Logo du C.A.R.M.E.
mur, il souffre atrocement. Je ne le
reverrai jamais.
Ensuite, six mois durant, je ne vois pas un seul client, ce qui ne m'em-
pêche pas de continuer à provoquer des chutes spectaculaires.
A cette époque, les microscopes électroniques doivent boire de l'azote
liquide pour se rafraîchir.
Ce gaz liquéfié est à une température de près de deux cents degrés au-
dessous de zéro, et donc livré dans des bouteilles spécialement conçues pour
ce genre de transport. Lorsque le livreur apporte une bouteille pleine, il veille
soigneusement à ce que l'ancienne qu'il reprend soit totalement vide, pour
éviter tout accident. Si ce n'est pas le cas, on jette le reliquat d'azote, qui
se vaporise immédiatement en un épais brouillard. Bien entendu, l'opération
a lieu dehors, à l'air libre, en prenant grand soin de ne pas se renverser de
produit sur les pieds ou les mains: en effet, un liquide à une température
aussi basse brûle la peau par choc thermique aussi gravement que de l'eau
bouillante.
Ce jour d'été 1982, te livreur doit arriver avec la bouteille neuve, et je
viens de constater que l'ancienne contient encore une quantité non néglige-
able d'azote liquide. Il faut donc que je la vide.
Ouelle mouche me pique à cet instant?
Car, au lieu d'effectuer l'opération dans le minuscule jardinet du
LA.R.M.E., je trouve plus pratique de vider tout simplement la bouteille dans
le caniveau, devant la porte. Or, il vient tout juste de tomber une averse
orageuse, brève mais abondante.
Ainsi naquit le LA.R.M.E. 0[
L'azote se répand sur l'asphalte trempé.
En une seconde, toute la rue devant le laboratoire se couvre d'une couche
de verglas qui, par endroits, dépasse le centimètre!
C'est La tuile, car le C.A.R.M.E. est en plein centre ville! Autrement dit,
des gens vont sûrement passer par là. A pied, en vélo, en patins à roulettes,
que sais-je encore ... et il est certain que ces malheureux ne vont pas un
instant - mais alors, pas un seul! - se douter qu'une rue entière vient, en
une seconde, de se transformer en patinoire!
A la mi-août.
En plein après-midi.
Sur les bords du bassin d'Arcachon.
La catastrophe, bien sûr, est limitée sur quelques mètres.
Mais quels mètres! C'est bien simple: je contemple une banquise!
Je ne vois qu'une solution.
Vite, je jette un œil à gauche, puis à droite.
Personne à l'horizon.
En un éclair, je m'engouffre dans le laboratoire, ouvre un robinet d'eau
chaude, déniche un seau, l'emplis d'eau brûlante, puis sors en trombe de mon
antre.
Plaf!
L'eau, lancée sur la chaussée, commence à faire fondre la glace, mais la
température est tellement au-dessous de zéro qu'elle gèLe à son tour ...
Je n'ai fait qu'aggraver les choses.
D'un bond, je suis dans l'atelier, saisis un burin et un marteau, puis sOrs
comme une fusée.
Immédiatement, je commence à attaquer La plaque de verglas.
C'est ce moment que choisit une dame âgée pour tourner l'angle de La rue.
Elle arrive en droite ligne vers moi, claudiquant mais aLerte, appuyée sur sa
canne: clopotop ... clopotop ...
Pour l'instant, elle marche sur le trottoir. Mais j'imagine ce qui va se
passer si elle décide de descendre sur La chaussée ...
Terrorisé, je m'avance vers elle:
«Permettez, Mââdââme, que je vous aide ... »
C'est une vieille teigne:
«Pourquoi? », me lance-t-elle. «Vous me prenez pour une infirme?»
Et, pour m'éviter, eLLe descend du trottoir.
Un instant plus tard, elle gît, le nez dans le caniveau. Elle n'a pas grand
chose, à part une immense blessure d'amour propre et queLques bleus.
~I ~ li_~! A PE~ DE Loï c LE RIBAULT?

Je la console de mon mieux et la conduis à la limite de la zone sinistrée.


Quelques secondes plus tard, au volant de son promène-taré GT! rouge et
pétaradant, surgit l'idiot du quartier. A la vitesse à laquelle il arrive, je suis
certain qu'il va se fracasser sur le mur du C.A.R.M.E. et rayer le crépi tout
neuf qui m'a coûté si cher.
Les bras en croix, je me plante en plein milieu de la rue.
L'idiot s'arrête à quelques centimètres de moi.
«Qu'est-ce qu'i' y a? », grogne-t-il.
«Il se trouve que, juste devant vous, s'étend une plaque de verglas inat-
tendue mais fort épaisse, et que ... »
La chose fait mine de réfléchir, puis éclate de rire:
«Du verglas? Ici? En cette saison? Tu charries, connard! Allez, dégage!»
Et il force le passage.
Un mètre plus loin, ses pneus patinant sur place hurlent à la mort, puis
la voiture dérive lentement contre le bord du trottoir.
«Qu'essecécbordelputaing? », hurle-t-il, jaillissant de son propulse-
couillon.
Une fraction de seconde plus tard, il gît aplati, la tête sur la chaussée et
un pied sur le capot.
D'un index incrédule, il tâte le macadam:
«Mais ça glisse, putaing! On dirait du verglas, cong!»
Il a enfin compris.
«Je vous l'avais dit, mais vous ne m'avez pas cru ... »
Péniblement, le cro-magnon se relève. D'un œil vitreux, il me fixe, ahuri:
«Et keskifaufaire, vérole? », demande-t-il.
Une minute plus tard, les tâches sont équitablement réparties: tandis que
je règle la circulation, le chimpanzé déblaie au burin le verglas dont il ne
subsiste bientôt plus un atome.
Son travail terminé, j'autorise la larve à m'offrir l'apéritif.
Un contrat de recherche passé avec Total me permet de vivoter. Mais les
recettes sont loin de compenser les dépenses. Surtout que j'ai commandé -
et reçu - une magnifique microsonde 31 d'une valeur de 534 000 €.
Complètement inconscient, je me suis porté caution personnelle de l'emprunt

31. Les microsondes électroniques (ou microsondes de Castaing, du nom de leur inventeur) sont des appa-
reils qui, comme les M.E.B., permettent non seulement d'atteindre des grandissements importants, mais
aussi de réaliser des analyses chimiques quantitatives très précises sur les échantillons (ou les portions
d'échantillons) étudiés. De plus, la gamme des éléments chimiques identifiables est plus étendue (notam-
ment en ce qui concerne les éléments dits légers) que celle accessible par les micro-analyseurs à disper-
sion d'énergie couplés à répoque sur les M.E.B.
Ainsi naquit le C.A.R.M.E. 0[
de cette somme, considérant avec ma logique très personnelle que je ne
possède rien et qu'en conséquence il est impossible de me saisir quoi que ce
soit en cas de faillite.
Intellectuellement, ces six premiers mois sont merveilleux. Riches, au vrai
sens du terme, puisqu'en l'absence de clients, je peux enfin me livrer exclu-
sivement à ce qui m'a tant manqué depuis mon départ de l'université: la
recherche. Et la recherche qui me plaît, puisque je suis le patron.
Le patron de peu de choses, en réalité. Car nous ne sommes encore que
deux: moi, à la fois Président-Directeur Général, personnel administratif,
personnel scientifique et secrétaire, et Madame G., femme de ménage et
(encore un signe prémonitoire) femme de gendarme. A l'époque, je ne peux
imaginer que le C.A.R.M.E., quelques années plus tard, comptera jusqu'à
trente-trois employés.
En attendant, sans personnel et sans clients, je peux laisser mon esprit
vagabonder en liberté. Le monde de l'infiniment petit m'est grand ouvert et
je m'y plonge avec délices.
De ces plongées dans l'invisible, l'œil rivé à la magie verte de l'écran fluo-
rescent, je ramène d'innombrables trésors, embryons de tous les secteurs
d'activité qui, plus tard, feront la célébrité du C.A.R.M.E. Et dont beaucoup,
d'ailleurs, sont encore aujourd'hui inexploités: dans la gangue de ces toutes
premières explorations sommeillent encore des diamants bruts.
Mais le meilleur a toujours une fin, et les clients commencent à arriver.
En vérité, il est grand temps, car mes réserves financières fondent comme
neige au soleil. J'ai le chèque facile, mais les banquiers, eux, ont les yeux
pointés sur mon compte et ce qu'ils constatent ne les réjouit guère.
L'un de mes premiers clients n'est pas des moindres, puisqu'il s'agit
d'I.B.M. Et 1.B.M. me propose de former du personnel C.A.R.M.E. pour
analyser des composants électroniques à sa demande et sur contrat annuel
renouvelable. J'accepte. 1.B.M. devient ainsi non seulement un client fidèle,
mais une société amie, qui fait tout pour aider au développement de mon
laboratoire et me sert en quelque sorte de locomotive. Dans le monde indus-
triel, être fournisseur d'1.B.M., c'est un peu comme être fournisseur de la
reine pour un Anglais.
Bientôt, c'est le C.E.A.32 qui frappe à ma porte.
Fort de ces deux références en or, soutenu par la presse intriguée par ce
petit laboratoire unique au monde en son genre, le C.A.R.M.E. démarre.
Bientôt, je vois défiler les échantillons les plus variés et les demandes les
plus étonnantes; on dirait que Prévert passe les commandes:

32. Commissariat à /'Energie Atomique.


JO 1 QUI A PEUR j DE Loïc LE RIBAUL T ?

Pourquoi les rétroviseurs de ces chars d'assaut deviennent-ils subitement


opaques?
Pourquoi ces moteurs d'avion s'embrasent-ils en série?
Pourquoi la carrosserie de ces automobiles réputées rouille-t-elle en
quelques mois à cet endroit précis?
Pourquoi ces cuves de whisky se corrodent-eLLes si vite?
Pourquoi ces anus artificiels n'adhèrent-ils pas correctement à la peau des
patients?
QueUe est la composition de ces calculs rénaux et la répartition des
éléments chimiques qui les composent?
Pourquoi dix pour cent de ces obus amoureusement mitonnés en France
n'explosent-ils pas sur leur cible à l'étranger?
Est-il possible de mettre au point une carte d'identité fiable pour les
chevaux de course?
Pourquoi cette peinture s'écaiLLe-t-elle?
Pourquoi ce revêtement de sol se décolle-t-il?
Pourquoi ce caoutchouc se fendiLLe-t-iL?
Pourquoi ces bouteilles d'oxygène explosent-elles dans le dos des
pom piers qui les portent?
Pourquoi ces radars d'avions de combat, gloire de la nation, se mettent-
ils brusquement à prendre des missiles pour des badernes?
Pourquoi la bombe atomique française a-t-elle des états d'âme?
Que signifie cette invasion de bactéries dans des camions-citerne?
Pourquoi ces lentilles de contact se couvrent-elles si vite de dépôts orga-
niques?
La bague offerte par mon mari est-elle en platine ou en toc?
Peu à peu, le C.A.R.M.E. devient le S.A.M.U. des industriels, des militaires
et même des particuliers en détresse. IL lui faut dans les plus brefs délais -
et même avant, si possible - résoudre les problèmes les plus ardus, trouver
des solutions aux maladies inconnues des objets les plus hétéroclites.
Le C.A.R.M.E. se lance.
Selon l'expression d'un journaliste, il devient «un grand de l'infiniment
petit».
Ses murs, désormais, abritent non seulement le M.E.B. et la microsonde,
mais un microscope électronique à transmission, un microscope optique de
très haut de gamme et tout un matériel annexe indispensable aux expertises
les plus poussées.
Ainsi naquit le C.A.R.M.E. 0[
Pour répondre aux demandes qui parviennent de la France entière, il me
faut embaucher du personnel hautement qualifié.
Dès la fin 1982, le C.A.R.M.E. compte six personnes: une secrétaire, un
métallurgiste, un électronicien, un technicien, la femme de ménage et moi.
Moi, pour lequel, en vérité, les problèmes des industriels n'offrent guère
d'intérêt.
Car, dans ma tête, un vieux démon vient de se réveiller. Celui qui
sommeille dans l'esprit de tout adulte qui, à l'âge de quinze ans, dévorait
avidement les aventures de Sherlock HoLmes.
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LA RENOVATION DE
LA POLICE SCIENTIFIQUE L _)
PRINCIPAUX PERSONNAGES
Une mort violente, c'est toujours la fin brutale d'un être humain.
Mais, pour certains hommes, elle frappe les trois coups d'une pièce dans
laquelle chacun joue un rôle bien précis: la Scène du Crime, ballet macabre
dont la victime tient la vedette.
Apparemment inaccessibles à tout sentiment humain, insensibles aux
larmes, aux cris et au sang, on les retrouve toujours sur les lieux d'un homi-
cide ou d'un suicide douteux:
Les magistrats, maltres de l'enquête; le procureur est responsable de
celle-ci jusqu'à ce qu'il s'en désaisisse au profit d'un juge d'instruction. Ce
dernier forme avec son (ou sa) greffier(ère) un couple indissociable en toutes
circonstances, le (la) greffier(ère) servant à son seigneur et maltre de secré-
taire, pense-bête, poisson-pilote, confident(e) et bonne à (presque) tout
faire. Comme des époux, c'est pour la vie que juge et greffier(ère) sont unis,
qu'ils s'adorent ou se haïssent.
Les enquêteurs, policiers ou gendarmes chargés de recueillir les témoi-
gnages et d'élucider l'affaire. Sur les lieux, certains font les constatations,
prennent des photographies, tracent les plans des lieux, etc.
Le médecin de garde, venu constater le décès et qui ne s'attarde guère,
car les médecins normaux n'aiment pas fréquenter les morts.
Le médecin légiste (qu'on appelle tout simplement le légiste), pour
lequel au contraire les cadavres constituent la clientèle, se déplace parfois
sur les Lieux du crime avant de regagner son sinistre royaume, La morgue où,
plus tard, il autopsiera la victime.
Les garçons de morgue, qui attendent que chacun ait fini son travail
pour emballer et emporter le corps. Leur mission est d'assister Le Légiste Lors
des autopsies, de préparer Le matériel puis de réparer au mieux les cadavres
ou ce qu'il en reste après ceLLes-ci.
Et puis, dans les cas très difficiles ou désespérés, on appelle l'expert de
terrain 33 , le spécialiste en morts violentes, dernier recours avant l'échec.

33. Qu'il convient de ne pas confondre avec Les experts classiques, désignés par Le magistrat instructeur
pour effectuer si nécessaire certains travaux utiLes à L'enquête. IL existe des experts de ce type en tous
domaines: baListique, comparaison d'écriture, psychiatrie, psychoLogie, etc.
] 0li.0O: A PEUR ! DE Loïc LE RIBAULT?

C'est ce rôle que j'ai tenu de 1982 à 1992.


Mon métier tel que je le concevais était très particulier, car si le magis-
trat et les enquêteurs ignorent les problèmes scientifiques, le légiste et les
techniciens des laboratoires, eux, sont indifférents aux affres de l'enquête.
La mission que je m'étais assignée était plus complète: tout mettre en œuvre
pour résoudre l'affaire qui m'était confiée, c'est-à-dire recueillir sur les lieux
du crime tous les indices oubliés ou invisibles, les étudier dans mon labora-
toire, éplucher les dossiers d'instruction pour y rechercher des éléments
nouveaux susceptibles d'être scientifiquement exploités, participer aux
autopsies et aux exhumations.
Personne n'avait encore joué ce rôle.
IL ne laisse pas intact l'imprudent qui ose le pratiquer.
Peut-être est-ce pour cela que personne n'a pris ma relève?

ETAT DES LIEUX


En 1982, la police technique et scientifique (P.T.S.) française n'existe tout
simplement plus.
Officiellement créés en 1943 par le gouvernement de Vichy, les labora-
toires de police sont théoriquement au nombre de cinq: Paris, Lille, Lyon,
Toulouse et Marseille.
Théoriquement, car en 1982, si les murs des laboratoires existent bien,
ils n'abritent pas grand chose; le matériel est vétuste ou hors service, le
personnel démoralisé, sous-payé, maL formé, aucune technique nouveLLe
n'est appliquée ou seulement étudiée depuis quarante ans. Le grand
Locard 34 est mort et enterré, ne laissant aucun héritier intellectuel au
ministère de l'Intérieur. Les laboratoires de police ne survivent qu'en brou-
tant les lauriers fanés du passé. C'est La catastrophe, le désastre. La poLice
technique et scientifique n'est plus qu'une épave qui surnage dans l'indiffé-
rence absolue de tous ceux qu'elle devrait pourtant intéresser au premier
chef: le ministère de l'Intérieur, les magistrats, les avocats et, bien sûr, les
justiciables.
Ce n'est que dix ans plus tard que je compris qu'en réalité cet état de fait
arrangeait bien tout le monde: Les magistrats, de formation purement litté-
raire, pour Lesquels un rapport d'expertise scientifique de haut niveau est
difficilement compréhensible, et rogne incontestablement la toute-puissance
de l'inconcevable mais traditionnelLe intime conviction. Les avocats de la
lE] défense, mis en état d'infériorité devant des preuves matérielles établies.
Les enquêteurs, pour lesquels La religion de l'aveu - souvent obtenu par la

34. Edmond Locard (1877-1966), créateur du laboratoire de criminalistique de Lyon, jeta les bases de la
police scientifique moderne.
La rénovation de la police scientifique 0
force - constituait une reposante facilité. Les experts eux-mêmes, souvent
sans compétence particulière (il n'existe aucun contrôle ou examen pour l'ob-
tention du titre d'expert), que leurs conclusions floues n'engageaient pas, et
qui conduisaient fréquemment à des contre expertises tout aussi nébuleuses
débouchant sur une confortable incertitude. Les jurés, supposés être un
échantillonnage représentatif de la population - donc sans culture scienti-
fique -, confrontés jusqu'alors à données simples: l'aveu, les témoignages
humains, les rapports des enquêteurs, le cornaquage du président de la Cour,
les plaidoiries des avocats. Les accusés coupables, qui pouvaient se reposer
entièrement sur le talent oratoire de leur avocat en l'absence de preuve
matérielle et revenir sur leurs aveux.
Il n'y avait finalement que les innocents injustement accusés et leurs
avocats que cette situation indisposait.
Autrement dit, en révolutionnant le système, j'allais bouleverser prati-
quement toute l'institution judiciaire. Et indisposer tout le monde.

D.S. T.
La D.S.T. 35 est le service de contre-espionnage français.
Une de ses missions consiste à se documenter sur toutes les entreprises
nationales susceptibles d'intéresser, pour une raison quelconque, les pays
étrangers. C'est aussi d'informer les responsables scientifiques et écono-
miques sur la façon de se protéger contre les risques d'espionnage et de
pillages intellectuel et technologique.
Le C.A.R.M.E., qui travaille beaucoup pour l'armée, fait évidemment partie
des organismes à hauts risques. Certains des dossiers que je détiens feraient
le bonheur de bien des espions.
C'est pourquoi, dès le début de 1982, un inspecteur de l'antenne régio-
nale de la D.S.T. vient frapper à la porte de mon bureau. Il a pour cela deux
excellentes raisons: la première consiste à accomplir son travail d'informa-
tion; la seconde est un problème à me soumettre.

L'ASPIRINE DE LA POLICE
La D.S.T., en effet, vient de «neutraliser» un agent de renseignement
étranger, et a découvert sur lui deux produits suspects, dont l'un se présente ~
sous forme de comprimés blancs portant sur une face le dessin d'un mortier
de pharmacien, et sur l'autre l'inscription Métaspirine.

35. Direction de la Surveillance du Territoire.


J OUï ~ DE Loï c LE RIBAULT?

La D.S.T. s'est donc adressée au laboratoire de la Préfecture de police de


Paris qui, quelques semaines plus tard, a confirmé formellement que les
fameux comprimés sont bien constitués d'aspirine.
Mais la D.S.T., instruite par des années de déconvenues quant à la qualité
des laboratoires de police, doute de la fiabilité du résultat, et me demande
d'effectuer une vérification.
Une heure plus tard, le M.E.B. rend son verdict: les comprimés ne contien-
nent pas un atome d'aspirine, mais un produit dont la composition est proche
de celle d'un révélateur photographique.
L'analyse de l'autre produit me permet, au bout d'une semaine de travail,
de déterminer que celui-ci et la fausse aspirine, mélangés dans des propor-
tions bien précises, permettent d'écrire sur papier des messages totalement
indétectables par les moyens classiques. J'ai par la même occasion, décou-
vert un procédé pour révéler ces messages 36 •
Ce résultat, qui me fait découvrir avec stupéfaction le niveau d'incompé-
tence des laboratoires de police, marque le début d'une amicale collaboration
entre la D.S.T. et moi durant des années.

LES SOURIS VERTES


Un ingénieur militaire français de haut rang épouse très officiellement
une ressortissante d'un pays communiste.
Après trois mois d'un bonheur apparemment sans mélange, la jolie blonde
reçoit en cadeau de son ambassade un bouteille de porto. Comme elle-même
ne boit que de l'eau, elle offre la bouteille à son mari, qui prend ainsi
coutume de s'octroyer le soir un petit apéritif en attendant le dîner que lui
mitonne son adorable épouse.
Au bout d'une semaine, il souffre de troubles du sommeil. Quinze jours
plus tard, d'effrayantes brûlures d'estomac le contraignent à consulter un
médecin militaire. Les examens ne révèlent rien d'anormal, mais au fil des
jours les maux de l'ingénieur ne font que croître et embellir.
Pris d'un vague soupçon (et honteux de ses mauvaises pensées), l'ingé-
nieur se procure une bouteille de porto de même marque que celui offert par
l'ambassade et procède à l'échange, après avoir soigneusement égalisé les

36. Ce travail me vaudra une rarissime lettre officielle de remerciements du directeur de la D.S.T., datée
du 30 juillet 1982, qui dit: « Monsieur, vous avez bien voulu faire procéder dans votre Centre à ranalyse
de deux produits saisis dans une affaire de Contre-Espionnage traitée par ma Direction. Les résultats obte-
nus ont apporté des indications précieuses sur un moyen discret de communication employé par un agent
de renseignement étranger neutralisé en France. La connaissance de ce procédé "d'écriture secrète" met,
par ailleurs, mes Services en mesure de détecter de nouveaux agissements susceptibles de porter attein-
te à notre Défense. Je tiens à vous exprimer ici toute ma gratitude pour votre collaboration et je vous
transmets au nom de la Direction de la Surveillance du Territoire mes remerciements les plus vifs. (...»)
La rénovation de La poLice scientifique

niveaux. Il enferme la Bouteille de l'Est dans un tiroir de son bureau, puis


commence une cure de « son» porto. Au bout de quelques jours de ce régime,
il constate que ses brûlures s'atténuent pour disparaître bientôt totalement.
Mais sa plus grande surprise est de se rendre compte que sa charmante
épouse semble avoir pris une bien étrange habitude: celle de lui poser des
tas de questions indiscrètes dès qu'eLLe le croit endormi!
Il joue le jeu quelques nuits, pour s'assurer qu'il n'affabule pas. Mais non:
quand il dort, sa femme l'interroge bel et bien sur ses activités profession-
nelles!
Sa religion désormais faite, l'ingénieur se confie à la D.S.T.
On me remet bientôt la bouteille de Porto de l'Est pour que je détermine
si eLLe contient ou non un produit peu orthodoxe et, si oui, tenter d'en déter-
miner la composition.
Les analyses au M.E.B. se révèlent négatives: le produit est en quantité
trop faible pour être détecté. A moins que, tout simplement, le porto ne soit
pas trafiqué ...
Il faut en avoir le cœur net, car de la"réponse à ces questions risquent
évidemment de découler bien des conséquences.
Je commence par acheter six souris, deux compte-gouttes et une
bouteille de porto (sain) de même marque que celui provenant de l'ambas-
sade.
Saisissant la première souris, je lui fais avaler au compte-goutte du porto
«sain» en quantité équivalant pour un homme à trois grammes d'alcool par
litre de sang. Quelques minutes après, assommée par l'alcool, elle sombre
dans un sommeil d'ivrogne.
Je recommence l'opération sur un second animal, mais en utilisant cette
fois le Porto de l'Est. Instantanément, la souris a le hoquet, puis tombe raide
morte, les pattes en croix.
J'y suis peut-être aLLé trop fort ...
Je prends deux autres souris et renouvelle le test en diminuant la dose de
moitié.
Bientôt, la souris traitée au porto «sain» manifeste des signes évidents
d'ébriété et chaloupe allègrement dans sa cage. Mais l'autre, cinq minutes
plus tard, se roule en boule et meurt en me jetant un regard lourd de repro-
ches.
Impitoyable, je m'empare de deux autres victimes, que j'oblige à ingur-
giter une quantité encore plus faible d'alcool.
El
L'ingestion de l'apéritif «sain» ne provoque sur l'heureuse élue d'autres
symptômes qu'une douce béatitude. Sa coLLègue malchanceuse tient un bon
quart d'heure, puis expire sans un bruit.
- II ~UI A PE ~ DE LOïc LE RIBAULT?

L'autopsie des cadavres révèle la présence de rougeurs très vives au


niveau de leurs intestins. Les souris survivantes, exécutées sans souffrance
et autopsiées à leur tour, ne présentent aucune anomalie.
Le Porto de l'Est contient donc bien un toxique, et même un toxique
violent.
A défaut de pouvoir l'identifier pour l'instant, il importe d'essayer de
comprendre comment il agit et par conséquent d'effectuer une série d'expé-
rimentations systématiques.
J'achète donc vingt souris blanches et deux gros marqueurs indélébiles.
Arbitrairement, je sépare les animaux en deux groupes: le «Vert», qui va
consommer le porto «sain », et le «Rouge», condamné à boire celui de l'Est.
Puis je trace sur la queue de chaque animal des anneaux de la couLeur
correspondante, en nombre croissant selon les doses que j'ai décidé d'admi-
nistrer. Avec leurs queues cerclées, on dirait que les malheureuses sont
galonnées! Je leur attribue donc les grades adéquats, de «sous-Lieutenant»
(une bande = une dose) à «coLonel» (cinq bandes = cinq doses).
L'expérience se poursuit durant plusieurs semaines, jusqu'à extinction
complète des souris «rouges»: le colonel disparaît Le premier à la tête de ses
troupes, puis le commandant, qui précède le capitaine, suivi de près par le
lieutenant talonné par le sous-Lieutenant.
Pendant toute la durée de l'expérimentation, j'avais noté que les
«rouges» manifestaient une panique extrême à l'heure de la têtée, dès
qu'elles voyaient apparaître la bouteille du porto qui leur était destiné. Par
contre, elles semblaient avoir perdu toute agressivité et se laissaient mani-
puler sans aucune résistance lorsque je les obligeais à ingurgiter le poison.
Il en va tout autrement des «souris vertes»: mai ntenant, elles se sont
non seulement rapidement habituées à leur apéritif bi-quotidien, mais
sembLent y prendre grand plaisir. En attendant sa ration, le colonel, devenu
une vraie épave, fixe d'un œil gLauque La porte du placard où je range La
bouteille. Le commandant, aLcoolique mondain, fait exactement pareil mais
conserve encore assez de dignité pour cacher son jeu. Le capitaine ronfle en
cuvant son porto pendant des heures, ne s'éveillant, l'œil empli d'espoir, qu'à
l'heure de la têtée. Le lieutenant se contente d'une sieste discrète, et le sous-
lieutenant semble encore curable.
Cette expérimentation, ainsi que certaines analyses poussées sur les
victimes, me permet de conclure que le toxique est un poison végétal dont
la composition exacte demeure inconnue mais qui, ingéré même à très faible
dose, a une action à peu près identique à celle du fameux penthotal, à cette
nuance près qu'il ronge férocement la paroi des intestins. C'est sans aucun
doute ce qui explique La grande curiosité nocturne manifestée par La jolie
étrangère envers Les activités professionnelles de son mari ...
La rénovation de la police scientifique 0[
Peu de temps après la remise de mon rapport, la femme disparut sans
laisser de trace.
Quant aux «souris vertes», eUes vécurent heureuses et alcooliques, ayant
bien mérité de la patrie, cultivant chacune avec amour, jusqu'à leur mort, un
bel œuf colonial.
C'est évidemment le colonel qui, le premier, tomba au champ d'honneur,
puis le commandant, précédant de peu le capitaine, suivi de très près par le
lieutenant talonné par le sous-lieutenant.

LA MAIN TENDUE
Enchantée des résultats que je lui ai procurés dans ces affaires et
plusieurs autres, la D.S.T. commence à diffuser dans le milieu judiciaire des
informations sur les performances du C.A.R.M.E. et, de bouche à oreille, les
premiers travaux me sont confiées par des magistrats embarrassés par des
affaires impossibles à résoudre par les moyens traditionnels ou gâchées par
les laboratoires de police.
Dès 1983, la preuve est faite que le C.A.R.M.E. peut rendre service non
seulement aux industriels en détresse, mais aussi aux magistrats et aux
enquêteurs de la police et de la gendarmerie.
Car que trouve-t-on sur les lieux d'un crime? De tout. N'importe quoi.
L'écume matérielle de vies brisées à un moment donné par un évènement
brutal et imprévu dont le lieu du crime recèle toujours des traces qu'il
convient de découvrir puis d'exploiter. Le travail d'un enquêteur est intellec-
tuellement très proche de celui d'un géologue: à partir des éléments qu'il
découvre, essayer de déterminer les conditions qui régnaient dans un envi-
ronnement donné à un moment donné dans un passé plus ou moins lointain.
Or, au C.A.R.M.E., je dispose déjà d'une équipe pluridisciplinaire dont les
membres sont spécialisés en géologie, sédimentologie, métallurgie, biologie,
chimie, œuvres d'art et électronique.
Conscient de l'importance que représente un tel potentiel intellectuel,
j'adresse le 10 novembre 1983 une lettre au professeur Ceccaldp7 pour lui
proposer ma collaboration. Il me répond fort aimablement en ces termes:
«Aucun laboratoire de. police n'étant en France doté d'un microscope électro--
nique à balayage, ni d'une microsonde, il serait souhaitable d'envisager votre
collaboration technique à l'étude de problèmes spécifiques».
Fort de cet encouragement, j'écris le 13 janvier 1984 à Gaston Defferre 38
pour lui proposer d'effectuer «des analyses de poussières, de sols, d'osse-
El
37. Directeur du laboratoire de la préfecture de pDlice de Paris.
38. Ministre de l1ntérieur.
J r ; QUI A PEUR] DE Loïc LE RIBAULT?

ments, de balles, de métaux, de micro-organismes, etc.» J'en profite pour lui


demander rendez-vous afin de lui exposer en détail mon programme de réno-
vation de la police technique et scientifique française.
Six mois plus tard, je n'ai toujours pas de réponse.
Ce n'est qu'après l'intervention d'un député que je suis enfin reçu, non pas
par le ministre mais par Georges Simonin, chef du service central de l'iden-
tité judiciaire. Celui-ci m'indique tout simplement qu'il ne dispose d'aucun
pouvoir de décision ni de moyen d'action, mais que «de grandes choses se
préparent», dont il avoue d'ailleurs tout ignorer, et que tout ce qu'il peut
faire, c'est d'informer les laboratoires de police que j'existe. Néanmoins, il se
déclare très intéressé par tous les documents que je pourrais lui fournir sur
mes activités actuelles et mes recherches en cours.
Six jours plus tard, Simonin reçoit cinq exemplaires d'un épais dossier
dans lequel j'expose toutes les applications de la microanalyse en criminalis-
tique. Je ne reçois pas le moindre accusé de réception mais, sans me décou-
rager pour autant, j'adresse en février 1985 une lettre au Directeur central de
la police judiciaire dans laquelle je propose purement et simplement d'hé-
berger au C.A.R.M.E. des techniciens de la police et de les former gratuite-
ment.
Cette offre généreuse n'est même pas honorée d'un simple remerciement.
Et sans doute est-ce un hasard si, deux mois après, Joxe 39 juge brusque-
ment «déprimant» l'état de la P.T.S. et lance à grand bruit son «projet de
rénovation de La police scientifique» dont nous aurons l'occasion de reparler
plus loin.
Etrangement, le projet de Joxe reprend point par point tout ce que j'ex-
posais dans mon rapport à Simonin. Avouez qu'il y a de ces col"ncidences ...

Le F.B.I.
Tandis que la police française ignore mes offres, le F.B.I. 40 , lui, prête dès
1985 une grande attention à mes travaux, essentiellement en exoscopie.
On sait que l'exoscopie permet de retracer l'histoire d'un grain de sable,
et même de déterminer dans certains cas sa provenance géographique avec
précision, puisqu'il est mathématiquement impossible de trouver deux grains
en tous points identiques.

39. Ministre de L'Intérieur ayant succédé à Defferre.


40. FederaL Bureau of Investigation: poLice fédéraLe américaine, compétente sur tout Le territoire des
Etats-Unis.
La rénovation de la poLice scientifique III
Mais ce que je prétends pouvoir faire paraît trop beau aux spécialistes du
F.B.I. Lire la mémoire des grains de sable, même aux U.S.A., on ne sait pas
faire.
Il est certain que la seule preuve de la fiabilité de la méthode consiste-
rait à étudier des échantillons de sables inconnus, d'en déterminer l'origine
géographique puis de découvrir à l'endroit indiqué des preuves matérielles
indubitables que les, conclusions étaient justes.
En vertu de quoi le F.B.I. me demande de tester l'exoscopie en me mettant
à l'épreuve.
Quelques jours après notre premier contact, je reçois trois échantillons de
sable avec ce petit mot: « Ces sables ont été prélevés dans trois endroits diffé-
rents de la planète. Quelle est leur histoire et d'où viennent-ils?»
Les résultats de mes expertises sont les suivants:
Test n° 1: Réponse: Mélange de sables côtiers provenant de la côte Est
des Etats-Unis. Origine réelle: mélange (volontaire) de sables prélevés sur
une distance de 300 kilomètres le long de la côte Est des Etats-Unis.
Test n° 2: Réponse: Echantillon volcanique actuel évoluant sous climat
tempéré, provenant très probablement du volcan Sainte Hélène, et prélevé
sur une surface plane. Origine réelle: Echantillon du volcan Sainte Hélène
(climat tempéré) prélevé juste après une éruption sur le capot d'une voiture.
Test n° 3: Réponse: Echantillon provenant d'une ville du Moyen-Orient,
entourée de roches calcaires et soumise aux influences marines. L'échantillon
a été sour:nis à un phénomène mécanique brutal de type explosif et d'origine
non naturelle. Origine réelle: Quartz prélevés sur des débris de l'ambassade
états-unienne de Beyrouth, détruite par l'explosion d'un camion piégé.
Après cette série de tests passés avec succès, et tandis que la police fran-
çaise ignore superbement mes offres de service, le F.B.I. m'invite en 1985 à
faire une conférence de trois jours dans son Académie située à Quantico
(Vi rgi nie).
L'Académie est une véritable ville cachée dans la forêt et sévèrement
gardée par les Marines. Là, dans une ambiance feutrée, des centaines de poli-
ciers suivent plusieurs semaines de stage. Ils trouvent tout sur place: des
magasins fort bien approvisionnés, des cinémas, un bureau de poste et même
une banque.
Et puis il y a les laboratoires.
C'est là que j'ai rendez-vous. BI
Peu de personnes (une dizaine) assistent à ma conférence, mais tous sont
des spécialistes de très haut niveau. Je dois parler durant trois jours, mais
les Etats-uniens sont des gens pratiques. A la fin de la première matinée, le
responsable vient me trouver et me dit:
10 E_PEURI DE Loïc LE RIBA ULT ?

«Votre exposé est passionnant. Vos clichés sont magnifiques. Et puis,


vous avez fait vos preuves. Seulement, voyez-vous, je ne crois pas qu'à la fin
du séminaire nous soyons capables de réaliser nous-mêmes ce genre d'ana-
lyses. Exact?»
«Exact», dis-je. «Il faudrait bien compter deux bonnes années d'entral-
nement, et encore ... »
«C'est bien ce que je pensais. Alors, voilà: vous avez encore deux jours
et demi à passer avec nous. Je vous propose d'arrêter maintenant votre
conférence et, si vous acceptez, de travailler pour nous sur une grosse affaire
que nous avons actueLLement sur les bras. L'exoscopie pourrait nous être bien
utile ... »
J'apprends alors que, quelques jours avant mon arrivée aux U.S.A., on a
retrouvé le cadavre d'Erique Camarena, agent de la D.E.A41.
Celui-ci, grâce à ses origines mexicaines, avait réussi à s'infiltrer dans un
important réseau de trafiquants de drogue basé dans le centre du Mexique.
En février 1985, il était venu faire un rapport au consul des Etats-unis de
Guadalajara, dans lequel il indiquait que de nombreuses personnalités poli-
tiques étaient impliquées dans ce trafic, dont notamment le propre beau-
frère de L'ancien président mexicain, Echeveria.
Depuis, on ne l'avait plus revu, jusqu'à ce qu'on retrouve son cadavre. Or,
au moment de sa découverte, l'état du corps montrait que le décès remontait
à au moins trois semaines, et que le corps avait été inhumé assez longtemps
avant d'être déterré puis probablement transporté à l'endroit où il avait été
trouvé.
La question que me pose le F.B.!. est claire: est-il possible de dire si le
cadavre a bien été transporté et, si oui, où il a été enterré la première fois.
A priori, effectivement, l'exoscopie devrait pouvoir permettre de résoudre
ce genre de problème. Tout dépend, bien sûr, de la qualité des échantillons.
Je ne connais pas encore les détails de l'affaire, mais, à Quantico, la
tension est extrême.
Lorsque je demande si l'agent a été abattu, un policier me répond, le
visage fermé :
«No, he wasn't. .. »
Puis il soupire et m'apprend que le corps de Camarena porte les traces de
tortures abominables visiblement infligées par un spécialiste.
72 Devant moi, on a déposé toute une collection de flacons contenant des
échantillons de sable prélevés par les agents états-uniens sur le cadavre de
leur collègue et autour de celui-ci.

41. Agence fédéraLe états-uniene de Lutte contre La drogue.


La rénovation de la police scientifique [

Quand je les débouche, une odeur de décomposition se répand aussitôt.


Elle a imprégné même les grains de sable!
Le lendemain, je suis en mesure de confirmer que le cadavre a effective-
ment été déplacé: les quartz de l'endroit où la victime a été découverte sont
très différents de ceux qui étaient enchâssés dans les chairs putréfiées.
A la fin de la journée suivante, j'ai identifié approximativement l'endroit
de la première inhumation, grâce à la présence de cristaux de quartz très
particuliers.
Ils proviennent de roches volcaniques dites rhyolitiques et sont caracté-
risés à la fois par une forme bipyramidée et une pellicule vitreuse, sorte de
peau qui les enrobe partiellement. Cette «peau », très soluble, ne supporte
pas un long transport dans l'eau. Or il se trouve que celle que porte les grains
que j'ai sous les yeux est affectée de traces de choc aquatiques très récentes
traduisant un transport dans un environnement de-type eau douce subissant
des alternances de phases calmes (type fluviatile) et violentes (type torren-
tiel). En outre, des dépôts qui parsèment la surface des grains indiquent que
ceux-d, après leur dernière sédimentation, se sont trouvés émergés.
Dès lors, la conclusion est simple: le corps a été enterré la première fois
à proximité immédiate d'un massif composé de roches rhyolitiques, dans
lequel coule une rivière parfois sujette à des crues violentes. Et la première
«tombe» de Camarena se trouvait sur la rive convexe (la plus calme) de cette
rivière.
Il ne reste plus désormais qu'à déterminer cet endroit avec le maximum
de précision.
Près de vingt ans plus tard, les géologues du F.B.I. se souviennent encore
de l'exoscopie des quartz: en 1998, John Mc Phee, un des écrivains les plus
connus aux U.S.A., auteur de vingt-six livres et lauréat du Prix Pulitzer en
1999, publie42 un livre en grande partie consacré aux applications de la
géologie en criminalistique. Il y explique notamment comment l'étude des
sables fut utilisée pour trouver l'endroit où avait été enterré le corps de
l'agent de la D.E.A. Enrique Camarena. Voici quelques extraits de l'ouvrage,
où des géologues du F.B.I. racontent notre première rencontre:
«Quelques mois auparavant, le représentant d'une compagnie aéronautique
californienne avait contacté le F.S.I. au nom du consultant français de celle-
d, Lol"c Le Ribault. Le représentant disait que Le Ribault ( ... ) voulait travailler
en criminalistique, parce qu'il prétendait être capable de faire des choses que
personne d'autre ne pouvait faire. Il disait que si on lui montrait quelques
grains de sable, il pouvait vous dire d'où ils provenaient. Il avait essayé d'in-

42. John McPhee-«Irons in the Fire»-Ed. FarraT; Strauss & Giroux, New York, 1998. Lextrait (traduit de l'an-
glais) reproduit ici a été publié dans le quotidien «New Yorker». On le trouve aussi sur le site internet
«www.amazon.com».
] 0L~~~~ DE Loïc LE RIBAULT?

téresser les laboratoires de police scientifiques français et britanniques, mais


avait échoué. Il était sûr que si le F.B.!. était intéressé, les autres pays
suivraient. Il appelait sa spécialité "exoscopie" ».
Le F.B.!. dit: « quelques grains?»
Le représentant de Le Ribault dit: «Testez-le. Testez-le, tout simplement.
Donnez-moi trois échantillons.»
Pendant que l'homme attendait les géologues du F.B.!. - Fiedler, Rawalt
et quelques autres - se réunirent. Dans un pilulier, ils mirent quelques
cendres provenant du Mont Saint-Hélène. Dans un autre, ils mirent des allu-
vions de rivière d'un delta de Caroline du Sud, reliés à une affaire de meurtre.
Quoi mettre dans le troisième pilulier? Dans les locaux du laboratoire, il y
avait quelques poutres provenant des barraquements de l'unité des Marines
victime d'un attentat à la bombe à Beyrouth. Rawalt se souvint avoir
remarqué que de la poussière avait été projetée sur les poutres. Il en gratta
un peu et la mit dans le troisième pilulier.
Quelques semaines plus tard, un dossier avec une reliure spiralée parvint
de la Teste de Buch, une ville du Médoc. La couverture mentionnait: «étude
exoscopique de trois échantillons de sable, effectuée par Loïc Le Ribault.»
C'était un travail magnifique, si bon qu'il était difficile de croire les résul-
tats.
Le F.B.!. avait collecté les échantillons des cendres du Mont Saint-Hélène
dans tout l'ouest du pays, afin de répertorier la taille et la distribution des
particules, ainsi que les cycles de sédimentation, parce que les cendres
pouvaient devenir un indice important dans les sols sur les lieux d'un crime.
L'étude de Le Ribault disait que l'échantillon n° 1 était de la cendre prove-
nant du Mont Saint-Hélène, et qu'elle s'était déposée sur une surface presque
horizontale à moins de cent miles du volcan.
«Il prétendait que ça provenait de quelques miles du volcan », dit Rawalt.
«Alors, on a appelé l'agent en chef qui avait prélevé les cendres, et lui avons
demandé: "Où les avez-vous récoltées?" Il nous a répondu: "Sur le capot de
ma voiture43• J'étais garé un peu plus loin dans une vallée."»
Selon le rapport de Le Ribault l'échantillon n° 2 provenait d'un bassin
fluviatile du Sud-Est des Etats-Unis, et il disait qu'avec des cartes géolo-
giques d'une échelle suffisante, la localisation exacte pourrait être déter-
minée.
Selon le rapport, le troisième échantillon était déconcertant, et ce qui
suit est une paraphrase de Rawalt au sujet du rapport de Le Ribault: «Il y a
eu un événement pyroclastique, un dépôt à cause d'une violence extrême -
une explosion. Il ne s'est passé qu'un bref instant ensuite avec le dépôt de
ces grains sur une surface verticale. Je n'ai aucune idée de l'endroit où ce

43. C'était ça, la «surface presque horizontaLe» (nd LLR)


La rénovation de la police scientifique 01

phénomène s'est produit, parce que Le seuL endroit du monde que je puisse
identifier comme origine de ces grains, c'est La vaLLée de la Bekàa, au Liban,
et bien entendu le F.B.!. n'a aucune affaire criminelLe au Liban. Je ne sais
donc pas d'où provient cet échantillon.»
Après que les géoLogues du F.B.!. eurent fini de lire le rapport, quelqu'un
dit:
«Il faut qu'on parLe avec cet homme.» ( ... )
Le Ribault amena avec lui un interprète à l'Académie du F.B.!., à Quantico,
en Virginie.
Avec un microscope éLectronique à baLayage, il étudia les quartz prove-
nant du cadavre de Camarena - des quartz ordinaires, à l'exception de ceux
d'origine rhyolitique. Il les grossit jusqu'à dix mille fois, et lut les traces à
Leur surface. L'eau dissout le quartz, lentement mais sûrement. L'eau qui s'in-
filtre dans Le sol dissout une partie des cristaux de quartz, et lorsque les soLu-
tions riches en silice s'évaporent, le quartz se recristallise. A très forts gran-
dissements, il est possible de voir les micro-cristaLLisations, et les différentes
formes de celles-ci racontent différentes histoires. Si elles sont présentes
partout sur les grains, cela signifie que celui-ci fut déposé dans de l'eau. Si
eLLes sont présentes au sommet du grain à teL ou tel endroit, cela signifie
qu'il était sur l'escarpement d'une montagne. «Il prenait un seul grain et
vous disait l'endroit où il s'était déposé, combien de temps il était resté en
place, et d'où il venait», poursuit Rawalt. «Il tient aussi compte de la soLu-
bilité du quartz et regarde les différentes parties de sa surface pour déter-
miner à quel point elles ont été érodées par l'eau. Avec son expérience, il
peut vous dire le type de facteurs auxquels il a été soumis dans l'environne-
ment, et donner ses conclusions. La connaissance de la façon dont le quartz
se dissout et recristallise est la base de toute sa méthode, l'exoscopie.»
Pendant la semaine que Le Ribault passa à Quantico, on Lui soumit des
échantillons de terre fournis par la D.E.A. de Mexico - tous négatifs.
Enfin, devant son microscope électronique à balayage, observant un grain
devenu gros comme une carte provenant d'un autre échantillon, Le RibauLt
dit:
«Il vient d'un endroit où un massif rhyolithique domine une vallée.»
RawaLt dit: «Ca, on le sait déjà.»
Car on avait donné à Le RibauLt trois échantillons que Rawalt avait
prélevé dans la forêt de Primavera, ainsi que de la terre trouvée sur le corps 75]
de Camarena. Sur une carte, Rawalt montra à Le Ribault où il avait préLevé
les échantillons. Le Ribault dit: «Vous y êtes, mais pas tout à fait. Vous êtes
approximativement à la bonne hauteur dans le parc, et approximativement
au bon endroit de la zone en pente dans laquelle ce grain de quartz s'est
sédimenté. Le type de dépôt et la profondeur sont exacts. Vous y êtes, mais
JO l~ PEUR 1 DE Loïc LE RIBAULT?

pas exactement. Ces grains viennent d'un endroit où l'eau coulait vers le
nord. A l'endroit où le corps a été enterré, l'eau coulait vers le sud.» Le
Ribault poursuivit: «Ce sable d'origine rhyolitique a été déposé dans un
milieu aquatique. A une profondeur d'approximativement quatre à cinq pieds.
La cristallographie montre qu'il venait d'une berge. La pente de celle-ci est
inférieure à dix degrés. Cet endroit est ombragé. Quand vous y retournerez,
cela pourra vous aider de savoir que le massif d'où proviennent ces sables est
situé à quatre mille pieds au-dessus de l'endroit où le corps a été enterré»
Plus tard, j'apprendrai que la localisation que j'avais indiquée correspon-
dait à une ferme appartenant à Rafael Caro Quintero, un des parrains mexi-
cains de la drogue. C'est effectivement là que Camarena, après avoir été
enlevé, avait été conduit puis torturé des heures durant sous l'attentive
surveillance médicale du Docteur Humberto Alvarez, chargé de lui adminis-
trer régulièrement de la lidocaïne pour lui soutenir le cœur pendant son
martyre. Cette séance, d'ailleurs, avait été enregistrée par les bourreaux et la
bande magnétique, désormais, est en possession du F.B.!. Puis Camarena, qui
n'était plus qu'une plaie sanglante, avait été enterré à proximité du ranch,
dans des sédiments contenant des quartz rhyolitiques. C'est en se rendant
compte du danger que représentait la présence de son cadavre à côté de leur
résidence que les trafiquants, trois semaines plus tard, décidèrent de le
transporter à cent cinquante kilomètres de là, à l'endroit où finalement on
l'avait découvert.
L'histoire dramatique de Camarena et l'importance de l'analyse des grains
de sable pour la résolution de cette affaire sont racontées dans le film The
Drug War de Brian Gibson (1989).
Le 2 avril 1990, le Docteur Alvarez fut enlevé à Guadalajara par des agents
états-uniens et transporté aux Etats-Unis. L'instruction dura deux ans.
Le 14 décembre 1992, le tortionnaire fut acquitté, faute de preuves: Le
cadavre de Camarena était trop putréfié pour révéler la présence éventuelle
de lidocaïne... et Alvarez s'envola par le premier vol à destination du
Mexique.
Libre.

LE BLASON TERNI DE LA GENDARMERIE


A la même époque (1985), la gendarmerie a de gros problèmes: aux yeux
de la population gorgée de télévision, le gendarme reste le simple porte-
serviette des policiers, d'autant que l'inefficacité de son service de relations
publiques ne fait rien pour corriger cette image désastreuse.
Ainsi que l'écrit à l'époque le colonel Allouis: «Les indices de mécontente-
ment ( .. .) à la hausse en décembre 1984 ( ... ) sont également la conséquence
La rénovation de La poLice scientifique D!
des résultats moyens obtenus sur le terrain et des polémiques qui ont accom-
pagné certaines affaires récentes. » Autrement dit, l'affaire Grégory Villemin.
Un beau jour de cette année-là, j'ai la surprise de voir arriver au
C.A.R.M.E. un officier de gendarmerie. C'est le capitaine Laval, responsable
dé la section de recherches de Bordeaux.
Je découvre alors quelque chose que, comme la majorité des Français,
j'ignorais totalement: la gendarmerie joue en fait le même rôle que la police
dans les enquêtes criminelles, et dispose pour cela d'unités spécialisées: les
sections de recherches (S.R.), les brigades de recherches (B.R.) et même,
dans les petites localités, les équipes de recherches (E.R.).
Les deux principales différences entre police et gendarmerie sont les
suivantes:
- La police dépend du ministère de l'Intérieur et la gendarmerie du minis~
tère des Armées;
- Le secteur de la police est Limité aux villes de plus de dix mille habi-
tants, tandis que celui de la gendarmerie s'étend à toutes les localités infé-
rieures à ce nombre. En réalité, cette séparation est très théorique car, dans
une enquête, les magistrats sont maîtres d'œuvre et peuvent à leur gré
confier l'affaire à la police ou à la gendarmerie.
J'apprends aussi que cette dernière souffre d'un grave handicap: elle ne
dispose d'aucun laboratoire et doit confier l'analyse des indices matériels
qu'elle collecte aux laboratoires de police, qui ne manifestent évidemment
guère d'empressement à effectuer les travaux pour leurs concurrents directs.
Dans ces conditions, il est évident qu'un laboratoire de pointe privé et indé-
pendant serait le bienvenu pour la gendarmerie.
Laval et moi passons une après-midi entière ensemble. Il est enthou-
siasmé, prédit un grand avenir au C.A.R.M.E. et propose sa collaboration,
notamment pour la fourniture de documents et d'échantillons de référence:
munitions, résidus de tir, prélèvements réalisés lors d'autopsies, fiches dacty-
loscopiques, etc.
J'accepte avec enthousiasme.
Quelques jours plus tard, il revient, accompagné de plusieurs juges d'ins-
truction en stage dans son service.
Or, il se trouve que deux d'entre eux ont sur les bras des affaires délicates
que les méthodes traditionnelles de police technique ne permettent pas de
résoudre par manque de précision. Ils me confient les expertises et, deux
E1I
semaines plus tard, les résultats obtenus par le C.A.R.M.E. leur permettent de
résoudre ces dossiers épineux, pour ne pas dire insolubles, et évitent surtout
deux erreurs judiciaires quasi inévitables.
]0
1 QUI A PEUR ' DE Loïc LE RIBAULT?

UN COUPLE BIEN TRANQUILLE


Lucienne et Marcel vivent à l'écart d'un village du centre de la France,
dans une maison vétuste. Les disputes sont fréquentes, mais ils scellent
toujours leurs réconciliations innombrables avec de nombreuses bouteilles
d'un vin de pays dont ils ont la passion commune.
Bien sûr, les disputes dégénèrent parfois un peu, car, si Lucienne est
criarde, Marcel, lui, est assez violent.
Ainsi, voici un an, a-t-il frappé son épouse d'un coup de pelle sur la tête.
Puis il a enfourché sa mobylette et s'est rendu au café du village pour y
siroter un petit coup de blanc, histoire de se calmer.
Trois mois plus tard, tandis qu'il coupe du bois devant le domicile
conjugal, Lucienne, une fois de plus, l'agace. Alors, il lui court après en bran-
dissant la tronçonneuse et la blesse sérieusement dans le dos. Puis, selon la
tradition, il se précipite au café pour prendre son petit coup de blanc. C'est
là que les gendarmes le trouvent.
Lucienne passe quelques jours à l'hôpital, Marcel est grondé puis, comme
si de rien n'était, ils reprennent la vie commune. Finalement, ils s'entendent
assez bien.
Le 27 juin, alertés par le médecin appelé par Marcel, les gendarmes
découvrent Lucienne morte dans son lit, portant une plaie profonde à la
tempe droite. L'autopsie révèle que ce trou de trois centimètres de diamètre,
parfaitement circulaire, semble avoir été fait à l'emporte-pièce.
Bien entendu, Marcel est le suspect idéal. Après la peLLe et la tronçon-
neuse, peut-être a-t-il jugé intéressant de tester la barre de fer ou le
marteau?
Instantanément mis en garde à vue, il n'avoue rien mais raconte son
incroyable version des faits: selon lui, vers 18 heures, la veille, alors qu'il
était dans la grange, il a entendu Lucienne crier et l'a découverte allongée,
la tête ensanglantée. N'écoutant que son bon cœur, il l'a relevée, traînée
dans la cuisine, assise sur une chaise et soignée en nettoyant la plaie avec
de l'eau bouillie additionnée de gros seL. Puis il l'a déposée sur le lit, a
nettoyé le sang devant la maison et sur le carrelage et lavé les serviettes
souillées. Toute la nuit, il s'est occupé de sa dulcinée mais au matin, cons-
tatant qu'elle respirait de plus en plus difficilement, il s'est résolu à enfour-
cher sa mobylette pour chercher le médecin. A son retour, Lucienne était
décédée.
Pour les gendarmes, il est évident que Marcel ment: il a tout simplement
tué sa femme. C'est pas faute d'avoir déjà essayé ...
Les enquêteurs, néanmoins, décident de procéder à des investigations
scrupuleuses et saisissent des monceaux de marteaux, barres de fer et outils
La rénovation de la police scientifique 0L
divers dans la grange. Pourtant, sur aucun d'eux ils ne décèlent La moindre
trace de sang.
En fouinant devant la maison, un gendarme découvre un caillou qui lui
semble fraîchement brisé, situé à environ un mètre du lieu de chute supposé
de Lucienne. Pendant ce temps, poursuivant un travail qui semble pourtant
superflu, ses collègues apprennent qu'au moment des faits un agriculteur
travaillait dans sa vigne jouxtant la maison du couple. Pour nettoyer son
terrain, il utilisait un gyrobroyeur. Effectivement, les enquêteurs découvrent
dans la vigne une multitude de pierres fraîchement cassées. Le 28 juin, le
vigneron fait aux gendarmes une démonstration du fonctionnement de son
engin: à deux reprises, des pierres sont projetées comme des balles en direc-
tion de la maison, distante de 25 mètres!
Un doute nait alors dans l'esprit des enquêteurs: et si Lucienne avait été
tuée par accident?
Le procureur appelle aussitôt le C.A.R.M.E. au secours, avec mission de
chercher à déterminer les causes de la mort.
Pour cela, il est nécessaire d'étudier les plaies de la victime. Une nouvelle
autopsie est donc ordonnée, au cours de laquelle le légiste prélève la partie
du cuir chevelu lésée, ainsi que le fragment de crâne qui porte la blessure.
Les gendarmes nous apportent ces échantillons, auxquels ils ont ajouté la
paire de lunettes de Lucienne et le fameux caillou.
Dans l'attente des résultats, Marcel est remis en liberté.
Dès le lendemain, je suis en mesure de communiquer les premières obser-
vations: sur le cuir chevelu, les cheveux sont sectionnés proprement et non
pas écrasés; l'objet ayant provoqué la blessure doit donc être tranchant, dur,
lisse, au contour irrégulier et à la surface très propre. IL ne peut s'agir d'un
objet métallique, aucune particule de ce type n'ayant été décelée ni sur la
peau ni sur l'os. Tout ce que nous avons remarqué, ce sont des fragements de
roche siliceuse.
Le 7 juillet, j'adresse au procureur le rapport défi nitif dont les conclusions
sont très claires: c'est bien le caillou - un silex - qui a tué Lucienne; il
porte des fragments de cheveux appartenant à celle-ci, ainsi que des traces
de sang d'un groupe identique à celui de la victime. En outre, à l'aide de ce
caillou, nous avons pu reproduire sur du plastique épais des traces dont le
dessin est exactement celui du contour de la plaie du cuir chevelu.
IL n'y a aucun doute: Lucienne a été tuée par un silex projeté par le gyro-
broyeur.
Marcel est ainsi disculpé. Pourtant, sans la microanalyse, il est évident
qu'il aurait été accusé du meurtre de son épouse, et condamné Lourdement.
] 0~ I ~ DE Loïc LE RIBA U LT ?

BAVURE?
L'homme a essayé de braquer une banque, mais l'alerte a été donnée et.
pistolet au poing, il n'a eu que le temps de sauter dans son Alfa Roméo, pour-
suivi par la ex des gendarmes.
Maintenant, les deux véhicules foncent dans la campagne, la ex talonnant
l'Alfa.
Soudain, sur une ligne droite, apparaît un semi-remorque roulant dans le
même sens que les deux adversaires. Surpris, le voleur ralentit impercepti-
blement, ce qui donne l'occasion au conducteur de la ex d'arriver du côté
gauche à hauteur du pilote de l'Alfa. Le gendarme qui se tient à côté du
chauffeur dégaine son arme pour contraindre le fuyard à s'arrêter.
A cet instant surgit une voiture en sens inverse.
Pour éviter une collision frontale, le conducteur de la ex rétrograde, se
rangeant derrière l'Alfa.
Voyant dans cette manœuvre une chance de salut, le voleur se rue en
avant. déboîte et se trouve face à la voiture qui s'approche. Surpris, il freine,
dérape et l'Alfa percute violemment un poteau télégraphique en ciment.
Quand les gendarmes et les témoins s'approchent de la carcasse, le truand
est immobile: un angle du capot. après avoir défoncé le pare-bise, lui a
perforé le front. le tuant sur le coup.
l'accident ne fait aucun doute mais, compte tenu des circonstances, le
procureur ordonne une autopsie.
Convoqué pour officier sur le corps d'un individu dont les causes de la
mort ne posent a priori aucun problème, le légiste travaille détendu en discu-
tant avec les gendarmes.
Examinant le crâne de son patient, il a un sursaut, relève la tête et se
râcle la gorge:
«Il s'agit bien d'un accident de voiture, n'est-ce-pas? », laisse-t-il tomber.
«Ben oui! », répond le chœur des gendarmes.
«Ah bon? Parce que ce que je vois là, moi, c'est un magnifique orifice
d'entrée de balle ... Et ici, voyez, c'est le trou de sortie ... »
La foudre s'abattant dans la salle d'autopsie ne provoquerait pas un choc
plus violent sur l'assistance.
«Une balle? », gémissent les gendarmes. «Mais d'où vient-eLLe?»

E «D'une arme à feu ... », répond le légiste avec un humour qui ne remporte
pas le succès qu'il mérite.
«Mais on n'a pas tiré! », protestent les gendarmes.
«Moi, je veux bien vous croire », concède le légiste. «De toute façon, ce
n'est pas mon problème. Tout ce que je peux vous dire, c'est que le coup de
La rénovation de la police scientifique 0r
feu a été tiré à bout touchant ... comme un suicide, quoi ... ou un coup de
grâce!» Et il éclate d'un rire tonitruant qui ne rencontre aucun écho.
Bien entendu, une instruction est immédiatement ouverte.
Rapidement, celle-ci fait apparaître un certain nombre d'éléments:
- Lors de l'accident, le truand tenait à la main un pistolet automatique de
calibre 9 mm. Cette arme a tiré, puisqu'il manquait une cartouche dans le
chargeur et qu'une douille percutée a été découverte sur le plancher de l'Alfa.
Mais quand le truand a-t-il tiré? Longtemps avant les faits? Pendant la pour-
suite? S'est-il suicidé pour ne pas être pris?
- Aucun des témoins de l'accident (de paisibles jardiniers) n'a entendu le
moindre coup de feu. Mais quand ils sont arrivés près du véhicule accidenté,
celui-ci était déjà entouré par les gendarmes.
- Ceux-ci étaient équipés du pistolet automatique réglementaire Mac 50,
de même calibre que celui du truand: 9 mm.
- Enfin, il apparaît qu'il manquait une munition de dotation à un des
gendarmes, précisément celui qui se tenait à la droite du chauffeur de la CX!
L'homme ne peut préciser à quelle date s'est produite cette perte éminem-
ment regrettable, dont il prétend ne pas s'être rendu compte. D'ailleurs,
s'agit-il d'une perte?
Bref, la situation est assez tendue. Disons-le clairement: le problème est
de savoir si le truand n'a pas été victime d'une bavure.
Et si ce n'est pas une bavure, qu'est-ce que ça peut bien être?
Des expertises classiques sont donc confiées à un laboratoire de police.
Six mois plus tard, elles n'ont toujours pas abouti. Car comment trancher
entre un suicide, un accident et une bavure quand:
- Les munitions sont de même calibre;
- Le tir est à bout touchant;
- Le projectile meurtrier, traversant le crâne de part en part, s'est perdu
dans la nature?
Le juge se mord les doigts, les gendarmes sentent peser sur eux de lourdes
suspicions et la famille du truand hurle à l'assassinat.
C'est alors que, fortuitement, le juge entend parler du C.A.R.M.E.
Sans grand espoir, il vient me confier son problème.
«L'affaire, malheureusement, est ancienne}), lui expliqué-je. «Sinon, la 81
découverte de la vérité serait d'un simplicité enfantine.»
Et je lui indique les opérations auxquelles j'aurais procédé:
- Prélèvements sur les mains du truand pour y rechercher des résidu de tir
éventuels.
~ [ 1 QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?

- Même opération sur Les mains de tous les gendarmes, afin de déterminer
si L'un d'entre eux - et si oui Lequel - a tiré.
- Prélèvements à L'intérieur du canon de l'arme de chaque gendarme, pour
savoir si l'une d'entre eLLes a tiré récemment.
- Comparaison des résidus de tir éventueLLement présents sur Les mains
d'un des suspects avec Les résidus existant sur les plaies de La victime, afin
d'étabLir un lien, si toutefois iL existe.
Malheureusement, maintenant, il n'y a sans doute pLus grand chose à
faire: Les armes ont été nettoyées par les «balisticiens» de La poLice, qui les
ont en outre utiLisées pour réaliser des tirs d'essais totalement inutiLes en ce
cas précis. D'autre part, aucun préLèvement n'a été effectué sur les divers
témoins du drame, pas pLus que sur La victime qui, d'ailleurs, est enterrée
depuis maintenant six mois. Les vêtements de celle-ci n'ont même pas été
saisis ...
Il ne reste que l'Alfa, stockée dans un garage, à se mettre sous la dent.
«Et ça, est-ce que ça pourrait vous être utiLe? », demande le juge en
sortant un bocal à confiture de sa serviette de cuir.
Or, «ça », c'est un préLèvement du cerveau du truand réaLisé Lors de L'au-
topsie, que le juge a pris soin de saisir officiellement, à tout hasard.
Cet échantillon va peut-être permettre de sauver La situation. Car Lors-
qu'une baLLe traverse un corps, eLLe Laisse sur son passage une multitude de
fragments microscopiques qui caractérisent sa composition. Or, les balles du
truand étaient chemisées en nickel, et celles des gendarmes en Laiton.
Je prélève queLques échantilLons du cerveau, notamment autour de l'ori-
fice d'entrée du projectile.
La réponse du M.E.B. est sans équivoque: tous les fragments métaLLiques
découverts dans le cerveau sont composés de nickel. La balLe qui a tué le
truand provient donc de sa propre arme.
Mais comment démontrer qu'il a Lui-même utilisé son pistolet, et que
personne ne l'y a contraint?
En conséquence, le juge décide d'approfondir les recherches.
Sur la crosse du pistolet du truand, je découvre des particuLes de bois
correspondant au bois du volant de L'Alfa. Au plafond de celle-ci, je recueille
des résidus de tir et, sur le volant, des particules dont la composition est
identique à celle de la crosse de l'arme, ainsi que de magnifiques traces de
frottement.
Dès lors, on peut reconstituer les faits: pendant la poursuite, tout en
conduisant, le truand tient son pistolet à la main. Lorsqu'il déboîte pour
doubler le camion, surpris par le véhicule arrivant en face, il freine, dérape,
mais ne lâche pas son arme. Quand l'Alfa heurte le pylône, le pistolet frappe
La rénovation de la police scientifique 10 [
violemment le volant, et sans doute le truand crispe-t-illes doigts. Le coup
part alors, le tuant instantanément alors que le capot parachève le travail.
Il ne s'agit donc ni d'un suicide, ni d'une bavure, mais d'un simple acci-
dent.
Cinq mois après la remise de mon rapport au juge, les experts de la police
rendent le leur; ils concluent ... qu'il leur est impossible de conclure!
L'infiniment petit, sous toutes ses formes, commence à parler au labora-
toire pour résoudre des affaires criminelles de plus en plus nombreuses.

HISTOIRE D'EAU
En ce joli début d'après-midi d'été, la séduisante Madame Albus téléphone
à la gendarmerie du village. Elle est inquiète, car son mari, parti tôt le matin
à la pêche, n'est pas rentré déjeuner, contrairement à son habitude.
Or, Madame Albus n'est pas n'importe qui. Agée d'une trentaine d'années,
elle a épousé voici quelques mois Henri, un des plus gros industriels de la
région. Un des plus riches, aussi. C'est, .nul n'en doute, un vrai mariage
d'amour, comme le prouve la bonne quarantaine d'années qui sépare les deux
jeunes mariés, et les soins attentifs dont Madame Albus entoure son époux,
récemment victime d'une sévère crise cardiaque.
Ils vivent dans ce qu'au village on appelle le «Château », magnifique
bâtisse du dix-huitième siècle située à la sortie du bourg, flanquée d'un
immense étang dans lequel, d'ailleurs, Monsieur Albus a donné aux
gendarmes l'autorisation de pêcher à leur guise. Lui préfère la pêche en mer,
quoiqu'il ne dédaigne pas de temps à autre taquiner le brochet dans sa pièce
d'eau. L'océan, d'ailleurs, est à peine à dix kilomètres de la propriété.
Madame Albus, elle, très sportive, s'adonne à l'équitation avec passion à
longueur de journée et pratique assidûment la course à pied en solitaire tous
les matins.
Les gendarmes, connaissant bien l'industriel, savent qu'une fugue n'est
pas envisageable. Or, aucun accident n'a été signalé SUT leur territoire.
«Où est-il allé à la pêche? », demande l'adjudant.
«Comme d'habitude, je suppose », répond Madame Albus. «Sur la plage
des Courlis. Je serais bien allée vérifier, mais ma voiture est en panne: .. »
«Ne vous inquiétez pas, Madame. Nous allons aller voir. J'envoie une
patrouille de suite et je vous tiens au courant.» 83
Vingt minutes plus tard, les gendarmes aperçoivent effectivement la
Jaguar de l'industriel garée sur le parking face à la plage des Courlis.
Cent mètres devant, sur la plage en faible pente, ils distinguent un corps
allongé, parallèle à la ligne d'algues que la mer a laissée en se retirant. On
] 0L~ PEU ROE La Ï C LE RIB A U LT ?

est à marée basse, et le corps est celui d'Henri Albus, sans vie. Son matériel
de pêche est à côté de lui; les cannes ne sont même pas montées: il a dû
être victime d'une crise cardiaque dès son arrivée sur place, ou se noyer,
surpris par une vague, car il ne savait pas nager.
Une fois la veuve informée et le corps rapatrié à son domicile, le médecin
de famille conclut logiquement à la mort natureLLe et délivre le permis d'in-
humer.
Quelque chose, pourtant, tracasse l'adjudant. mais il ne sait pas quoi.
Le flair, sans doute, ce fameux flair qui décèle si souvent des anomalies
que le cerveau ne peut anaLyser.
Quand il rentre à la brigade, il se rend compte qu'il a oublié de restituer
à la récente veuve le matériel de pêche de feu son époux. Mais il n'y a guère
d'urgence, ça peut attendre à demain. Il s'empare donc de la canne et de La
boîte à pêche et va les ranger dans son bureau. C'est alors qu'il comprend ce
qui le titille, dans cette histoire.
Il se trouve que L'adjudant est devenu l'ami intime du juge d'instruction,
pêcheur comme lui, comme lui nordiste expatrié dans le Sud, tous deux
phiLatélistes, amateurs de bonne chère et de bon vin, fouineurs de brocantes
et dotés d'épouses qui, ô miracle, s'entendent comme larrons en foire. En
public, bien sûr, le juge et le gendarme se vouvoient, mais en privé ils se
tutoient.
Ce jour-là, c'est comme ami que L'adjudant téléphone au juge:
« Luc? Ici Gérard. Tu sais qu'Albus est mort?»
«Oui, je l'ai entendu dire. Une crise cardiaque au bord de la plage, c'est
ça ?»
«Oui ... C'est du moins ce que dit le médecin ... »
«Ouh là là! Tu m'inquiètes ... Tu n'es pas d'accord?»
«Disons que pour L'instant. ce n'est pas du juge dont j'ai besoin, mais
plutôt du pêcheur ... »
«Du pêcheur?»
«Oui. J'aimerais te montrer quelque chose à la brigade ... »
«J'arrive. »
Un quart d'heure plus tard, le juge est dans le bureau de l'adjudant qui
lui dépose sous le nez le matériel d'Albus.
«Quoi?», s'étonne Le juge. «Tu me déranges pour me montrer une canne
à pêche?»
«Eh oui ... Et quelLe sorte de canne, d'après toi?»
la rénovation de la police scientifique 00 [
«Mais tu le sais aussi bien que moi, voyons! Une canne à lancer avec un
bas de ligne en fit d'acier et un hameçon double, c'est pour pêcher le brochet
au vif!»
«Exact. Et tu en as souvent pêché en mer, toi, des brochets?»
«Bon Dieu! Tu veux dire que c'est le matériel qu'avait Albus quand on l'a
retrouvé sur la plage?»
«Exactement, Monsieur le juge. Et je trouve ça bizarre. Pas toi?»
Le juge trouve ce phénomène si étrange qu'il ordonne une autopsie. A
tout hasard.
Celle-ci, pourtant, ne révèle rien de particulier, si ce n'est la présence
d'eau dans les poumons de la victime et l'évidence d'un magnifique infarctus.
Autrement dit, selon toutes probabilités, Albus a eu un malaise sur la plage,
est tombé à l'eau puis est mort d'un infarctus en se noyant. Rien de bien
exceptionnel.
Pourtant, cette histoire de canne tracasse le juge, qui adresse au
C.A.R.M.E. un prélèvement de l'eau découverte dans les poumons d'Albus.
C'est fou ce que parfois l'eau peut parler!
Une fois celle-ci séchée par évaporation sur des supports métalliques, j'in-
troduis ceux-ci dans le M.E.B. et j'ai le grand plaisir d'y découvrir une multi-
tude de Diatomées.
Les Diatomées sont des algues microscopiques dont on connalt plusieurs
milliers d'espèces, et qui sont un des constituants du plancton végétal des
eaux fluviales et marines. Leur ornementation souvent magnifique permet
d'identifier chaque variété, elle-même spécifique d'un environnement qu'elles
permettent de définir avec une grande précision: salinité de l'eau, tempéra-
ture moyenne, degré d'agitation du milieu, turbidité, profondeur, etc. (Fig. 9
à 12 - voir cahier photos)
Or, les Diatomées que je vois sur mon écran sont toutes, sans exception,
des Diatomées Lacustres!
En outre, les grains de sable minuscules qui sont entrés dans les poumons
d'Henri Albus sont également des quartz typiques des étangs.
Pourtant, l'industriel est supposé s'être noyé sur une plage marine ...
Il y a donc un problème.
Celui-ci sera facilement résolu en procédant à l'analyse des vêtements de
la charmante épouse.
EI[
Car ses chaussures portent encore de magnifiques grains de sable de plage
marine en tous points identiques à ceux de l'endroit où son mari a été décou-
vert.
] 0LQU~_~ ~E~
__ DE Loïc LE RIBAULT?

Quant à l'eau de l'étang, vous l'avez deviné, elle regorge de Diatomées du


type de celles trouvées dans l'eau emplissant les poumons d'Henri Albus.
Le scénario est alors aisé à reconstituer.
Ce matin-là, l'industriel a décidé d'aller de bon matin taquiner le brochet
dans son étang privé. Et ce matin-là, justement, la jeune madame Albus en
a eu assez de son vieux mari. Beaucoup plus robuste que lui, elle n'a eu
aucun mal à le noyer avant qu'il n'ait eu le temps de monter sa canne, puis
à le transporter à bord de sa Jaguar jusqu'à son lieu de pêche en mer favori,
où elle l'a jeté purement et simplement sur le sable avec son matériel. Puis,
à pied, en petite foulée, la sportive madame Albus est revenue au luxueux
«Château» dont elle pensait bien hériter.
Elle ignorait simplement que les Diatomées et les grains de sable sont
parfois des témoins bien bavards ... et que les brochets sont des poissons
d'eau douce!

CHAMPIGNONS MORTELS
Vêtue de son tablier bleu à carreaux, la vieille femme est partie, comme
tous les jours de l'automne, cueillir des champignons en forêt. C'est son seul
plaisir, et eUe fait profiter tous ses voisins du produit de ses patientes explo-
rations.
C'est le soir qu'on la retrouve au milieu des fougères, morte écrasée, son
panier renversé à côté d'elle et sa cueillette répandue sur le sol.
Une chose, une seule, est évidente: compte tenu de l'endroit où se trouve
le corps, seul un véhicule tout terrain a pu écraser la malheureuse avant de
prendre la fuite.
Les enquêteurs ramassent soigneusement tous les champignons, le panier,
et le corps est transporté à la morgue.
Au laboratoire, où les vêtements ont été transportés par hélicoptère, un
examen méticuleux du tablier me permet de découvrir de minuscules écailles
de peinture bleue.
Immédiatement informés de ce résultat, la gendarmerie décide une explo-
ration de tous les 4 X 4 bleus des environs, soit une trentaine.
Le surlendemain, tous les véhicules sont examinés un par un sur un pont
hydraulique dans le garage de la gendarmerie.
Et une des voitures semble avoir des choses à dire: sous son plancher, elle
86 porte des traînées de sang (mais est-ce du sang humain ?), des touffes de
poils blancs (mais s'agit-il de cheveux humains?) et même un fragment de
tissu bleu qui pourrait correspondre au tablier de la malheureuse vieille
dame. Le tout est saisi par les gendarmes qui, sur mes conseils, effectuent
en outre des prélèvements de la boue qui macule le dessous du véhicule.
La rénovation de la poLice scientifique [

Le lendemain, au laboratoire, nous pouvons affirmer que les poils blancs


sont bien des cheveux appartenant à la vieille dame, que le fragment de tissu
provient de son tablier et que la boue prélevée sous le véhicule est de même
composition que celle du sol sur lequel la victime a été découverte. Enfin,
dans cette boue, nous identifions la présence des spores de tous les types de
champignons que contenait son panier.
Des champignons comestibles qui, pourtant, avaient été mortels ...

NUIT DE NOËL
Bip ... Bip ... Bip ...
Le cri de l'Eurosignal!
Il est trois heures du matin, ce 25 décembre.
C'est l'urgence de Noël, comme tous les ans... La gendarmerie me
demande à 150 kilomètres de chez moi. Pour une fois, ce n'est pas trop loin
et le temps est doux.
En avant.
Sur l'autoroute, il n'y a pas foule. Seulement des camions, espagnols pour
la plupart. On se fait des appels de phare pour se saluer. Un peu de chaleur
humaine en flash. Ils vont vers leur port, je roule vers mon énigme.
Puis ce sont les petites routes de campagne, les traversées de villages
ponctués de fenêtres encore illuminées par la fête. Ici, des gens réveillon-
nent encore. Sur les places désertes, des sapins enguirlandés de Lumières
multicolores clignotent pour moi tout seul.
Cinq heures.
Voilà, j'y suis.
C'est une petite rue très étroite, à la sortie du village, juste en bordure
des champs. A gauche, la maison du drame, neuve, qui détonne avec celles
que j'ai vues dans le centre du bourg. Le style jeune cadre arrivé, ou nouveau
riche. La maison qui veut en imposer, mais ne supporterait pas une bonne
tempête bretonne. Une maison en carton.
Dans le jardin, des silhouettes à képi circulent et toutes les fenêtres du
rez-de-chaussée sont illuminées.
La victime était sûrement d'une rare beauté. D'ailleurs, elLe reste très
belle, même dans la mort, vêtue d'une robe de soirée noire très déshabillée,
couverte de bijoux magnifiques. Et pas en toc ... Elle glt au pied du sapin, El[
au milieu de nombreux petits paquets-cadeau défaits et de bouquets de
rubans. La soirée a dû commencer dans la joie et la tendresse ... Mais un
couteau de boucher briLLe d'un éclat gLacé juste à côté de La main droite de
la victime, dont la narine gauche est ensanglantée.
JU
~r, ~~-

QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?

Dans la pièce voisine, on entend sangloter le mari.


Les gendarmes me racontent ce qui, selon lui, s'est passé tout à l'heure :
après un repas bien arrosé, au moment du champagne, le couple s'est disputé
pour une broutille. La querelle s'est rapidement envenimée et la femme s'est
précipitée dans la cuisine. Elle en est revenue en brandissant un couteau et
s'est jetée sur son mari. Celui-ci lui a bloqué la main, l'a giflée et la femme
s'est effondrée, morte.
Il faut dire que l'homme est un colosse.
Le problème est donc simple: l'homme a-t-il d'abord tué sa femme puis
déposé le couteau à côté d'elle, ou bien celle-ci l'a-t-elle effectivement
menacé de cet arme, auquel cas le mari se serait bel et bien trouvé en état
de légitime défense?
Le couteau a un manche en bois et a beaucoup servi, puisque le bois s'ef-
filoche; il n'existe donc aucune chance d'y relever la moindre empreinte digi-
tale, sa surface étant trop rugueuse. Mais cette usure est peut-être une
chance, car elle devrait permettre de déterminer si seule la femme a tenu le
couteau et, si oui, dans quelle main.
Je tamponne donc soigneusement les deux mains de la victime, ainsi que
celles de son mari. Puis j'introduis le couteau dans un sac plastique pour
l'emmener au laboratoire.
De retour au C.A.R.M.E. à dix heures du matin, je suis en mesure de
communiquer les résultats au procureur dans l'après-midi: je n'ai découvert
aucune trace de fibre de bois sur les mains du mari, ni sur la main gauche de
la victime. Par contre, la main droite de cette dernière en est tapissée, et
elles sont identiques à celles constituant le manche du couteau.
Le version donnée par l'homme est donc exacte; en tout cas, sa femme a
bien tenu en main le couteau découvert à côté d'elle.
Seulement, l'homme ne connaissait pas sa force, et ce qu'il croyait être
une simple gifle a brisé la colonne vertébrale de son épouse, ainsi que le
démontra l'autopsie.
Il ne s'agissait donc pas d'un meurtre, mais d'un homicide involontaire.
Aux assises, le mari écopa pourtant de trois ans de prison.

LA BOULE DE NEIGE
Dans le petit monde judiciaire, ces exploits vont rapidement faire boule
de neige.
Bientôt, il ne se passe guère une journée sans qu'un magistrat ne m'ap-
pelle pour me demander mon aide. Pour la D.G.G.N. qui, grâce au capitaine
Laval, a découvert le C.A.R.M.E., celui-ci représente une fantastique oppor-
tunité pour redorer son blason bien terni.
La rénovation de la police scientifique 0[
Du jour au lendemain, la D.G.G.N. fait passer le message à toutes ses
unités de recherches et, dans les affaires difficiles, saisit La moindre occasion
d'informer les juges que désormais la gendarmerie travaille en collaboration
étroite avec un laboratoire de haute technologie susceptible de résoudre
scientifiquement les problèmes les plus épineux.

P.T.S. : TOUT REPENSER de A à Z


Les échantillons que je reçois, ainsi que les dossiers que je suis amené à
étudier, ne font que conforter le bilan de l'état de la police technique et
scientifique française tel qu'il m'avait été brossé par la D.S.T.: il est lamen-
table. Non seulement les laboratoires interrégionaux de police scientifique
sont inefficaces et préhistoriques, mais même si ce n'était pas le cas, le
résultat serait identique. Car Les meilleurs spécialistes du monde ne peuvent
faire de l'excellent travail que si les échantillons soumis à leur sagacité sont
de bonne qualité. Or les pièces à conviction que je reçois me posent presque
toutes des problèmes car, prélevées n'importe comment, elles s'avèrent
souvent inexploitables. Et pour une bonne raison: aucun enquêteur, qu'il soit
policier ou gendarme, n'est formé aux techniques de prélèvements extrême-
ment méticuleuses exigées pour l'exploitation des scellés au microscope
électronique. Ce qui, d'ailleurs, est logique, puisque la microanalyse est
encore inconnue en France dans le domaine de la criminalistique.
Je décide donc de mettre au point toute une série de procédures à
respecter scrupuleusement afin que les indices récoltés sur le terrain le
soient dans les meilleures conditions possibles, c'est-à-dire sans pollution.
En décembre 1985, je publie un gros document dans lequel j'explique,
exemples à l'appui, ce qu'est la microanalyse, la manière de collecter les
indices et les précautions à prendre pour ne pas polluer les scènes de crimes.
J'y expose tout d'abord ce que j'appelle Les Trois Principes de Base de la
Microanalyse:
1 - Il n'existe pas deux objets ou deux individus qui soient en tous points
identiques;
2 - Tout objet et/ou tout individu porte sur lui son curriculum vitae, les
traces des évènements qu'il a vécus et celles des endroits où il a séjourné;
3 - Deux objets ou deux individus entrant en contact l'un avec l'autre
échangent des informations 44 •
Le second message que je fais passer est celui du Gel des Lieux: Empêcher
quiconque d'accéder à la scène du crime, ou en faire sortir dès que possible
tous les non spécialistes sans distinction de fonction ou de grade, puis
attendre sans toucher à rien l'arrivée des spécialistes de terrain.

44. Ce troisième principe avait déjà été énoncé par Locard ... mais jamais expLoité depuis sa mort!
JO L~_~U~ DE Loïc LE RIBAULï?

Le troisième message
concerne la Non Pollution de la
Scène de Crime par ces spécia-
listes eux-mêmes. Puisque
tout homme modifie l'environ-
nement dans lequel il évolue,
les spécialistes de terrain
doivent donc être revêtus
d'une combinaison intégrale
en plastique (non pelucheuse),
porter un calot et des gants de
chirurgien, et avoir enfilé des
Fig. 23: Un ingénieur du C.A.R.M.E. en tenue de terrain avec
une valise P.P.M. Derrière lui, le véhicule d'intervention. couvre-chaussures en plas-
tique. (Fig. 23)
Je décris ensuite et explique l'utilisation du tamponnoir, petit ustensile
tout simple que j'ai inventé, composé d'une pastille d'aluminium d'un centi-
mètre de diamètre munie d'une queue de préhension et recouverte d'un
adhésif double-face, lui-même protégé par une pellicule jetable qu'on enlève
juste avant l'utilisation du tamponnoir (fig.24 à 28).
Cette dernière enlevée, il suffit de promener le tamponnoir sur n'importe
quel type d'objet ou de corps pour y recueillir toutes les particules superfi-
cieLles qui s'y trouvent, y compris celles invisibLes à l'œil nu. Conçus pour
être introduits ensuite directement dans le M.E.B., les tamponnoirs évitent
tout risque de pollution entre L'instant du prélèvement et celui de leur étude
au laboratoire. Une des
principales applications
du tamponnoir est la
recherche de résidus de
tir (traces de poudre,
éléments de munition,
etc.) sur les mains d'un
cadavre ou d'un suspect.
Le brevet du tamponnoir
est déposé le 4 mars
198645 •

Fig. 24: Un tamponnoir dans sa boîte.

45. Enregistré à l'Institut National de la Propriété Industrielle sous le n° 8603121, et ensuite officielle-
ment accordé avec la mention «Aucune antériarité n'a été relevée» (ce qui signifie que le tamponnoir
constitue bel et bien une innovation méritant un brevet accordé au nom de l'Etat). Nous reviendrons plus
tard sur le sort que l'Etat français réserve aux brevets qui le dérangent ...
La rénovation de la police scientifique [J [

Les tamponnoirs,fabriqués en aluminium, sont


r constitués d'un cylindre d'un centimètre muni
1 d'une gorge (1) permettant la saisie par une
pince. Le cylindre est garni d'un adhésif dou-
ble face (2), recouvert d'une pastille de pro-
1 tection amovible (3).
A la base, une tige (4) dont l'extrémité est 1

1 conique (5) permet la saisie du tamponnoir à


la main et assure le maintien de celui-ci quand
il est placé dans le microscope électronique.
1
1

i
1

1
N.B.
Les tamponnoirs, ainsi que leur principe et
leurs applications, sont protégés par un brevet
déposé le 4/3/86 sous le n° 86.03121.

Fig. 25: Le TAMPONNOIR - Description du tamponnoir dans Le «ManueL de terrain» du C.A.R.M.E (1986).

r -~

Fig. 26: Un tamponnoir en action sur une vitre brisée.

J'énonce enfin ma théorie des Prélèvements Conservatoires, c'est-à-dire les


prélèvements à réaliser systématiquement sur le terrain, lors d'une autopsie
et sur le (ou les) suspect(s), en attendant que l'affaire s'éclaircisse ... ou se
complique. L'avantage des prélèvements conservatoires, c'est qu'ils sont
réalisés immédiatement après la découverte des faits, autrement dit dans de
bonnes conditions, et peuvent éventuellement être étudiés longtemps après
s'il y a complément d'enquête ou rebondissement quelconque.
JO l.
QUI A PEUR ! DE Lo ï c LE RIBAU LT ?

,. R~PU8L1aU" FRANÇAISE

fNSTITUT NATIONAL
••
DE lA 'ADPAI~TE INDUSTRIElLE
@ ~ d. publication:
-----......
&a"............... ...
~

8603121

@ ln, CI' , G 01 N 1121; G Ol 8 21/3'.

BREVET D'INVENTION 81

8 Porto~'" prifivemen1: ,.; umponMnMtn flat8mmtnt de panicul•• en 'particulier pouf dt_ 11'II11yt•• microecopi-
qUH.

@ D... cio clip6, , ...... 1986. @ Rifirence •• d"lIutre. documents n.-ioftauJil appa-
rani... :

@ Priorit':

@ D.....nd.url.l: LE RIBAlJtT Ici<. - fR.

@ DI" cl. Il ..1.. • cI,"p •• i,lon clu pubfic cl, '"


_ . . : 8OPI. 8 _ , 1'1' 37 "" 11 sepCombre 1987.

@ ~. cio 10 _ '. diopoohlon du ,..bIIe du " ' _


............ :8OPI.-.,1'I'25 .2'
juiI\ 1988.

...
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1 rwchordIt : @ lltuIoiroial :
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. Il) @ M.od...irelal: Cabinel Jean·lM Th4bIIIt.
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EJ
Fig. 27: Le TAMPONNOIR - Page de couverture du brevet déposé Le 4 mars 1986 et officieLLement
enregistré sous Le n° 86 03121.
La rénovation de la police scientifique Qr
2595470
r AVIS DOCUMENTAIRE
1

N" E. N.: 86 03 121

A_il 'tabti lU vu dl.. r"pport d. 'fCh... ,~t . ItQuei fil'. b.1 l'obit' d'.uCur\t (':Itor.'vuictftl. ni du .'''''l'IdIUf',
Ncfft,"'~.

CoM'orlNmtm. l'.,tic .. 19 M la loi n· 18·1 du 2 .. .witt 1108 tfI04it'h.l'.. ls dowmt"Uiitt cin ,.. '''!MnU
dt ," In dt fi ttthNqut Qui ptvvent t,rr Doris ln eotnfcHr&tion POUl 'DD,tcil' la br...,ct.billtf Ct ~itwln"Qn
lU tet.1d dt. t.igrN:es dl ncUWlul' ., 'CS'lc1i'yi•• ,,,,,,tII.i,, •.

AUCUNE ANTERIORITE N'A ETE RelEVEE

oaCUMENTS CITES OANS LE RA"ORT al RECH!~CH!

US-A-2 969 OS,


U5-A-4 011 3SO
U5-A-a 472 202

Fig. 28: Le TAMPONNOIR - Demière page de mon brevet indiquant clairement (et officieLLement)
qu'«AUCUNE ANTERIORITE N'A ETE RELEVEE».

Parmi les prélèvements conservatoires systématiques figurent notamment


la saisie de quelques cheveux de la victime et de ses proches, le curage des
ongles, le tamponnement des mains, la saisie des vêtements, de tous les
objets ensanglantés, etc.
Mon ouvrage est immédiatement diffusé par le capitaine Laval dans
toutes les sections de recherches de France.
C'est une véritable bombe que je viens de lancer, et les gendarmes de ~_
terrain se jettent sur le document pour l'étudier avec passion.
] 0L~~ DE Loïc LE RIBAULT?

LA VALISE P.P.M.
Conscient de l'immense dénuement dans lequel pataugent les enquêteurs,
j'invente dans la foulée (décembre 1985) une petite mallette que je baptise
Valise P.P.M.46, contenant tous les
accessoires et instruments indispen-
sables pour réaliser dans d'excel-
lentes conditions les prélèvements
sur le terrain (Fig. 29 à 31).

Fig. 30: La valise P.P.M.

Fig. 31: Pour la première fois, des gendarmes uti-


lisent une valise PPM. Reconstitution faite pour le
Figaro Magazine le 16 octobre 1986 (photo
Poincet-Sygma) .

LE VEHICULE D'INTERVENTION
Au début de 1987, considérant que 80 % des affaires au moins pourraient
être quasiment résolues sur le terrain si des techniciens très qualifiés se
rendaient sur place avec un minimum de matériel d'analyse, je conçois un
véhicule d'intervention.
Celui-ci est un tout terrain Mercédès 230 à châssis long (fig. 23 et 32).
Spécialement aménagé, il est équipé de multiples casiers de rangement, d'un
évier, d'un réfrigérateur, d'une réserve d'eau, d'une table de travail et de
lumières additionneLLes. Le matériel embarqué est impressionnant: un laser
de terrain états-unien (le premier introduit en France), un microscope
optique, une loupe binoculaire, un groupe électrogène, une provision de
valises P.P.M., des masques anti-odeurs, des révélateurs de drogue et d'ex-

46. P.P.M. - Prélèvements pour Microanalyse.


La rénovation de la police scientifique 0[
plosifs, toutes sortes d'outils
allant de la pelle pliante à la
scie égoi"ne, une collection de
combinaisons intégrales, de
gants, de couvre-chaussures et
de calots, du matériel photo-
graphique avec des films
normaux et d'autres à dévelop-
pement instantané, un radio-
téléphone, une sirène deux-
tons, un gyrophare, etc.
Au salon Milipol de Fig. 32: Au travail dans le véhicule d'intervention.
novembre 1987, ce véhicule
sera salué par Le Figaro 47 comme une des deux seules vraies innovations de
la manifestation.

BILAN
De 1983 à 1991, le C.A.R.M.E. étudiera environ mille cinq cents affaires
judiciaires avec un pourcentage de réussite de 93 %48.
Mais, dès la fin de 1985, on peut considérer que la rénovation de La police
scientifique française est accomplie. La justice passe ainsi de la terrifiante
religion de l'aveu à celle des preuves matérielles.
Il est intéressant de noter que ce travail considérable fut réalisé par un
homme seul, à ses frais, sans qu'il en coûte un centime au contribuable.
Et non moins intéressant de
préciser que le ministère de
l'Intérieur fit dépenser au
même contribuable 26 millions
d'euros pour copier ce que j'of-
frais gratuitement à l'Etat
français .,.
Très vite, le C.A.R.M.E.
devient le faire-valoir de la
gendarmerie.

Fig. 33: Formation des gendarmes à l'utilisation du laser

47.24 novembre 1987.


de terrain.
13.
48. Ce pourcentage signifie que dans 93% des cas, le laboratoire a fourni au magistrat instructeur une
réponse (positive ou négative) aux questions posées par lui, et non pas (comme certains détracteurs ont
voulu le faire croire) qu'à cause du C.A.R.M.E les magistrats ont inculpé 93% des suspects qui leur tom-
baient entre les mains!
JO Q U IA -;;EiJR DE Loïc LE RIBAULT?

Plusieurs responsables d'unités


de recherches et de nombreux
magistrats me demandent d'orga-
niser au C.A.R.M.E. des stages
d'information sur la microanalyse
et de formation aux techniques de
prélèvements sur le terrain. Rien
qu'entre juin 1986 et juin 1988, je
vais ainsi former 32 magistrats,
154 gendarmes, 8 légistes et une
trentaine de policiers. Au cours de
Fig. 34 Le RibauLt (en bLouse bLanche) forme des
la même période, 162 magistrats, gendarmes au cours d'une exhumation.
923 gendarmes et 110 policiers
assistent à mes conférences dans
toute la France. (Fig. 33 à 35)
Et jamais, jamais, je ne
réclame le moindre centime:
stages, conférences, visites,
documents, tout est gratuit!
Rapidement, le nombre des
affaires qui me sont confiées
devient tel que le C.A.R.M.E. doit
quitter les anciens locaux,
devenus trop exigus pour abriter Fig. 35 Retour de mission (La Teste, 16 octobre 1986).
la trentaine d'employés qui l'ani-
ment désormais. Le nouveau bâtiment, tout neuf et situé dans la zone indus-
trielle de La Teste, est inauguré en avril 1987 par Jacques Valade, ministre
de la Recherche. (Fig. 36 à 38)
Quant à moi, pour en arriver là, j'ai dû subir de rudes initiations ...

EJ
Fig. 36: Inauguration des nouveaux Locaux du LA.R.M.E. (5 avril
1987). Arrivée de Jacques Valade, le ministre de la Recherche
(qui tend la main), du préfet, du commissaire de police, du
maire, du conseiller généraL, etc.
La renova
- tl'on de la police scientifique 0[

'----- - 1987):. ils sont


Fig. 3?:
venus, lis sont Pour
tous me
1 ~~utes les huilessuper-galonnée~ de ;a
là. f ormer a. la criminalistique, peut-etre.
gendarmerie.

1 1- {.;;< t.c 'i(. k.. Lé, .cr.... '" _.""-'_, .e...,

~ of.. 4,C~ ''':~-./l._ ~ 44d/l€"/ ~-;..~~


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k. ?-~e".-<. L't,... "'- t<. ç,(,. 4....., h'
.,..e~~.

. lIaborateurs, en souvenir de cette


IlA LoYc Le Ribault, a tous ses co . . . d tant d'efforts et de compétence
C A R M E matérlahsatlOn e , h . me
inauguration du . . , ". ad ' t ' pour la ténacité et 1ent ouslas ,
' d toute mon mIra Ion .,. t
Avec l'expressIOn e , , bl des hommes qUi 1ammen .
mais également pour la q~ahté de 1ensem e
Avec toute ma confiance. J

Fig. 38: Dédicace de Jacques VALADE , ministre de la recherche


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EXPERT EN MORTS VIOLENTES
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INITIATIONS 1

LE PREMIER MORCEAU D'HOMME


Au début, les premiers échantillons que je reçois sont relativement
anodins: cheveux, terre, éclats de peinture, fragments de vêtements, résidus
de tir, armes, bref rien de particulièrement choquant.
Mais - - je m'en doutais - vient le jour où je dois gravir le premier
échelon du long escalier qui va progressivement me cuirasser le cœur: un
fragment humain provenant d'une autopsie récente.
Le baptême du feu a lieu un vendredi après-midi.
Les gendarmes qui entrent au laboratoire portent, avec un humour invo-
lontaire, un sac en plastique au nom d'une célèbre marque de parfum. Comme
toujours, ils sont deux.
« Bonjour! », lancent-ils gaiement. «On a un paquet pour vous ... »
Et ils déballent deux bocaux de verre soigneusement étiquetés, scellés à
la cire rouge.
«Qu'est-ce que c'est? », demandé-je en contemplant le contenu peu
ragoûtant des récipients.
« Ben là, c'est un prélèvement de cerveau avec un orifice d'entrée de
projectile, et ici un bout de poitrine avec l'orifice d'entrée d'un autre projec-
tile. On a dit au légiste de couper large autour, pour ne pas polluer ... »
« Vous avez bien fait», dis-je avec une pensée émue pour mes patelles
multicolores glissant dans leur eau claire. «Et quel est le problème?»
«Il faudrait déterminer la composition de chacun des projectiles, parce
que tous deux ont traversé le corps. Impossible de les retrouver. Et il n'est
pas impossible qu'il y ait deux tireurs ... »
D'un geste déterminé, j'ouvre le bocal. Instantanément, une odeur épou-_
vantable explose dans le laboratoire.
Nous n'avons pas encore l'habitude: les têtes nauséeuses de mes
employés apparaissent à la porte de la salle de préparation, puis j'entends ÇlIJ
une galopade effrenée et des bruits de fenêtres ouvertes à la volée. DL..'A
Stoïques, les gendarmes sourient:
« Ah oui, on avait oublié de vous dire que le cadavre avait quand même
une bonne quinzaine de jours qlJand on l'a retrouvé ce matin ... »
j 0
' - QUI A PE~ DE L oïc L E RI BAULT ?

«Bon! », dis-je, cramponné à la table. «Si je prépare ça ce week-end, et


vous donne les résultats lundi, ça ira?»
«Impeccable! », disent les gendarmes. Et ils s'en vont.
Par orgueil, j'attends quelques secondes puis, d'un bond, cours rejoindre
mes collaborateurs qui prennent le frais dans la cour et m'accueillent en me
jetant des regards réprobateurs, les premiers d'une longue série; au
C.A.RM.E., la criminalistique ne sera jamais, si j'ose dire, en odeur de sain-
teté auprès de la plupart des employés dont ce n'est pas la spécialité.
De très bonne heure le samedi matin, armé de courage et d'un masque de
chirurgien, je pénètre au laboratoire.
J'ai deux excellentes raisons de travailler le samedi: la première, c'est que
je suis seul et que personne ne risque d'être incommodé par les puissants
effluves; la seconde, qu'il n'y aura aucun témoin au cas où j'aurais une
faiblesse.
Pour le cerveau, tout se passe bien. Posé dans une coupelle de verre, il
sèche dans une cloche à dessication.
Le morceau de poitrine, lui, est plus impressionnant. Surtout, il est trop
gros pour être introduit tel quel dans le M.E.B. Il faut donc en découper une
tranche ... J'extrais l'échantillon du bocal, l'étale dans une cuvette à fond de
liège et le contemple, mon scalpel à la main. Je le regarde longtemps. Des
minutes entières. Une heure, peut-être. Il est couvert de poils noirs frisés et
on y distingue nettement les pores de la peau. Au centre, l'orifice d'entrée
du projectile forme comme un cratère sanguinolent parfaitement circulaire.
Enfin, je me décide.
J'appose la lame du scalpel, ferme les yeux et appuie fermement. Puis
j'entrouvre les paupières: le résultat est nul! Je viens de constater pour la
première fois à quel point la chair humaine est élastique. Je suis donc obligé
de couper ... Et, pour cela, je dois maintenir l'échantillon de ma main gauche
revêtue d'un gant de chirurgien.
J'ai beau essayer de penser à autre chose, la réalité me titille quand même
l'esprit: je m'apprête à découper un bout de poitrine d'homme! C'est inhu-
main! Et ce travail, c'est moi qui l'ai choisi! Personne ne m'y a forcé! Révolté
par moi-même, je tranche d'un coup sec.
Ensuite, c'est facile d'étaler l'échantillon bien à plat sur le liège en le
fixant avec des épingles.
Le plus dur est fait.
L'habitude vint ensuite ...
Initiations Il
Li

LE CHAUSSON AUX POMMES


Le laboratoire grossit rapidement et, deux ans plus tard, il devient
indispensable d'embaucher une seconde femme de ménage.
La responsable de l'entretien des locaux trouve la perle rare. Elle se
prénomme Isabelle. Mais il convient d'avertir l'heureuse élue qu'elle risque
d'avoir à affronter parfois des spectacles peu ragoûtants au détour des
paillasses et des salles obscures du laboratoire.
Au bout de trois jours, Isabelle semble s'être habituée à la vue des bocaux
aux contenus étranges, aux vêtements nauséabonds, au sang séché et aux
bouts de squelettes. Autrement dit, elle est opérationnelle.
Le soir du quatrième jour, elle sifflote gaiement en balayant la salle de
préparation, tandis que je suis assis devant une loupe binoculaire.
Isabelle s'approche de moi en maniant son balai, marque une pause et,
curieuse, tend l'index vers l'échantillon que j'observe:
«Qu'est-ce que c'est? », demande-telle. «On dirait un chausson aux
pommes ... »
«Non, non », dis-je. «C'est juste une main carbonisée sans les doigts ... »
Et Isabelle s'écroule sans un bruit.
Il faudra que j'use de toute ma persuasion pour la convaincre de rester au
C.A.R.M.E.

LE PREMIER CADAVRE
Sept heures du matin. Des policiers sonnent à ma porte, et me demandent
d'aller sur le terrain suite à la découverte du cadavre d'un homme tué par un
coup de feu à quelques kilomètres à peine du laboratoire.
Ce jour-là, deux gendarmes terminent leur stage de formation chez moi,
et logent dans un hôtel proche de mon domicile. Je demande aux policiers
s'ils voient un inconvénient à ce que je les emmène avec moi sur les lieux.
Ils appellent le commissaire par la radio de bord et me le passent:
«Aucun inconvénient», ricane le brave homme. «Plus on est de fous, plus
on rit!»
Munis de tout le matériel indispensable, nous nous entassons en voiture
et, plein gaz, fonçons vers l'objectif.
Tout en conduisant, je réfléchis. Je vais enfin voir un cadavre «en place»
et, d'après l'expérience photographique que j'ai, un homme tué d'un coup de
fusil de chasse en pleine tête offre un spectacle impressionnant. Or, c'est
précisément de cela qu'il s'agit. Comment vais-je réagir?
10 QUI A PEURI DE Loïc LE RIBAULT?

Surtout que mes stagiaires sont persuadés que je suis blasé depuis long-
temps, blindé contre toutes les horreurs. Ils sont ravis:
«On a une de ces chances! Un affaire sur le terrain juste pendant le
stage! Quel pot! C'est tout de même mieux que la théorie! On a hâte de voir
comment vous procédez ... »
Ouais ... Pourvu seulement que le grand spécialiste ne tombe pas dans les
pommes ... C'est ça qui ferait bon effet, tiens!
Nous arrivons en plein centre d'une petite ville. Un policier en uniforme
garde l'entrée d'un jardin au milieu duquel on distingue une vieille maison
de bois aux volets écaillés. Près d'elle, trois hommes vaquent à des occupa-
tions mystérieuses. Dans la voiture de police, la radio diffuse en crachottant
des messages sybillins et des appels codés.
Mes stagiaires frétillants ont déjà sorti le matériel du coffre et piaffent
d'impatience.
Ma foi, quand faut y aller ...
Les trois policiers en civil entourent une forme allongée sur laquelle je
n'ose encore poser le regard. Les poignées de main sont chaleureuses; moi,
je transpire à grosses gouttes.
Un des hommes s'accroupit près du cadavre.
«y a pas longtemps qu'il est mort», dit-il. «Regardez, il est encore tout
mou! »
Il saisit la main de la victime, la soulève puis la lâche. Elle retombe sur
le sol, flasque, avec un écœurant bruit mat. Je ne me sens pas très bien.
Patelles ... où êtes-vous, chères patelles?
Imperturbable, l'inspecteur continue:
«Il a pris la décharge en pleine tête. A bout portant. Regardez comme les
plombs sont bien groupés ... »
D'une main expérimentée, il soulève la tête du cadavre et pointe un index
sur la blessure. Ce n'est pas appétissant, et je me sens blêmir à vue d'œil.
Mais les regards des témoins, heureusement, sont tous braqués sur le corps.
«Bon, alors qu'est-ce que vous faites dans un cas comme ça? Parce qu'on
se demande si c'est vraiment un suicide ... »
Adossé au mur dans une posture qui se veut décontractée, les yeux appa-
remment indifférents fixés sur le fusil qui glt à côté du corps, j'explique:
«Facile: il suffit de tamponner les mains. Si on trouve des résidus de tir,
c'est qu'il a utilisé une arme à feu. Et puis, bien sûr, il faut faire les prélè-
vements conservatoires: cheveux, curage des ongles, saisie de l'arme et des
vêtements ... la routine, quoi!»
«Vous nous montrez?})
Initiations BD [

Voilà! J'en étais sûr!


Courageusement, je sors d'une valise P.P.M. quelques tamponnoirs et
m'agenouille près du cadavre. Pour la première fois, l'odeur du sang frais me
saute aux narines. Une odeur sucrée, lourde, grasse, écœurante, incompa-
rable, inoubliable.
Exactement l'odeur qui m'avait agressé lorsque j'avais une dizaine d'an-
nées, à Saint-Jacut-de-la-Mer. A l'époque, le village possédait un abattoir
municipal. Tous les jours, le boucher y tuait les animaux nécessaires à la
consommation locale. Pour moi, c'était un endroit mystérieux et inquiétant,
clos par une porte à deux battants peints en noir mat. Un matin, mon père
m'y emmena pour chercher des déchets pour notre chienne. Ce qui me frappa
d'abord, ce fut l'odeur. La même que celle que je retrouvais aujourd'hui! Le
sol cimenté de la cour était comme laqué de rouge. Des ruisseaux sanglants
s'écoulaient par des rigoles vers une destination inconnue. Dans un coin, le
boucher avait entassé les têtes et les pieds du bétail exécuté, tandis que les
corps de ses victimes se balançaient mollement, suspendus à des crochets de
fer. Le tueur, ceint d'un tablier blanc éclaboussé de sang, les avant-bras
rougis jusqu'au coude, attachait les pattes d'un veau. Celui-ci, affolé par
L'odeur et la vue, patinait dans le sang de ses prédécesseurs et roulait des
yeux épouvantés. Le boucher tira sur une corde et le veau se trouva pendu,
la tête offerte au merlin meurtrier. Je ne voulus pas en voir plus et m'enfuis
en courant.
Mais aujourd'hui, je ne peux pas m'enfuir!
Et je suis sûr, maintenant, de ne pas tenir le choc ...
Alors, j'ai une idée. Lâchement, je me tourne vers mes stagiaires et lance: ..~
«On va voir si vous avez bien assimilé ce que je vous ai enseigné depuis
deux jours. Lequel d'entre vous veut faire les prélèvements? Je corrigerai si
quelque chose ne va pas.»
«Moi! », s'exclament mes élèves à L'unisson.
«Bien. Alors, vous! », dis-je en en désignant un au hasard. Puis je recule
pour lui Laisser la place et Lui confie La boîte de tamponnoirs.
Il en choisit un et, sans hésitation, commence l'expLoration d'une des
mains du cadavre. D'un œil glauque, je surveille les opérations. Soudain, un
détail attire mon attention: Le stagiaire a oublié d'enlever la pellicule protec-
trice du tamponnoir! Autrement dit, ce qu'il fait ne sert à rien!
Je bondis.
D'un geste brusque, je lui arrache l'ustensile, ôte la pelLicule, prend la
place de l'élève et, furieux, déclare:
«Regardez, nom du chien! C'est comme ça qu'on procède!»
10 1 QUI A PEU~ DE loïc LE RIBAULT?

C'est seulement à cet instant que je me rends compte que, dans ma main,
je tiens celle du cadavre! La colère l'a emporté sur la répulsion ...
Il m'est ensuite facile de tamponner l'autre main, les vêtements, et d'ar-
racher les cheveux de la victime.
Qui s'était bel et bien suicidée.

LA PREMIERE AUTOPSIE
Plusieurs dizaines de cadavres plus tard, je n'ai toujours pas assisté à la
moindre autopsie.
En vérité, cela ne me manque guère. Car si dans l'esprit du grand public
une autopsie est une sorte d'opération au cours de laquelle on observe les
blessure~ de la victime, la réalité est très différente. En effet, tout est mis
en œuvre pour déterminer les causes exactes de la mort; ceci exige l'explo-
ration complète du corps qui, par conséquent, est méticuleusement
disséqué 49 des pieds à la tête, éviscéré, mesuré, décortiqué, chacun des
organes principaux pesé. Puis le cadavre est recousu après avoir été rendu
plus ou moins présentable dans la mesure du possible.
C'est dire que j'envisage sans enthousiasme ma première autopsie.
Un soir que je dîne avec des amis au restaurant, la gendarmerie appelle:
on me réclame pour assister à l'autopsie d'un homme qui vient d'être tué
d'une balle à sanglier en pleine tête.
Trois heures après, je me gare devant un grand hôpital de Vendée. Ce qui
me rassure, c'est que le légiste est le célèbre Professeur R.; il tiendra certai-
nement à officier lui-même, ce qui m'évitera d'accomplir personnellement les
prélèvements dont j'ai besoin. C'est donc d'un pas (relativement) léger que
je descends à la morgue qui, comme c'est la tradition, se cache dans les sous-
sols, au fin fond d'un couloir peint d'un gris cafardeux éclairé par des
lumières blafardes.
Dans la salle d'autopsie attend une équipe du genre de celles qui vont me
devenir bientôt si familières: le juge et son greffier, deux gendarmes (dont
un photographe) et, en blouse blanche, le garçon de morgue et deux légistes.
Il y a aussi, le visage nettement plus pâle que les autres, un tout jeune
homme qui m'est présenté comme étant un magistrat stagiaire.
Au centre de la pièce trône une sorte de table d'opération nickelée munie
de robinets à l'une de ses extrémités et percée en son centre d'un orifice pour
l'écoulement du sang. Tout autour, une collection d'instruments barbares et
scintillants, des bocaux, des flacons et des chiffons garnissent les paillasses

49. Ou du moins devrait l'être. Malheureusement, les autopsies bâclées sont légion, et sources d'erreurs
judiciaires ou d'affaires rendues à jamais insolubles.
Initiations 0
en fal'ence blance. De grandes poubelles ouvertes montent la garde aux
quatre coin~ de la salle.
La main largement tendue, le plus âgé des légistes vient à ma rencontre
et se présente:
«Professeur R. Je suis très heureux de faire votre connaissance. J'ai telle-
ment entendu parler de vos méthodes!»
«Très honoré, Professeur. Comme tout le monde, je connais vos exploits! »
Agé d'une soixantaine d'années, de petite taille, rondouillard, le crâne
aussi dégarni que le mien, il est souriant et d'un abord sympathique. Ce qui
frappe en lui, c'est l'acuité de son regard.
Les mondanités échangées, il fait un signe. Aussitôt, le garçon de morgue
s'approche et me tend une blouse immaculée, des couvre-chaussures et des
gants de chirurgien.
Mais qu'est-ce que ça veut dire?
Satisfait, le professeur déclare:
« Comme je sais que vous insistez pour que rien ne soit touché avant que
vous n'ayez effectué vos prélèvements, je vous ai attendu, évidemment. Et
puis j'aimerais tant que vous me montriez comment vous procédez! ... »
Hein?
Diable! Même dans mes prévisions les plus pessimistes, je n'avais pas osé
imaginer un tel scénario! ...
Le drame!
Le professeur claque des doigts.
J'entends un roulement assourdi et une civière apparaît, poussée par le
garçon de morgue. Un drap blanc recouvre le corps qui y repose. Le tissu est
imprégné de sang au niveau de la tête. La civière est rangée le long de la
table nickelée et, d'un geste brusque, le garçon retire le drap.
Le spectacle est horrible, car la balle a arraché la moitié du visage.
A mes côtés, j'entends comme un souffle:
«Beurk! », fait le stagiaire, verdâtre, qui ne se sent pas bien. Il chancelle.
Je le recueille dans mes bras et le conduis dans la petite pièce mitoyenne
prévue dans toutes les morgues pour ce genre de situations. Elle est équipée
d'un lit pliant et de deux fauteuils. J'allonge le stagiaire et lui tapote la joue.
Il ouvre un œil vitreux.
«Excusez-moi », murmure-t-il, «mais c'est ma première autopsie ... »
«Vous en faites pas, mon vieux », lui dis-je d'un ton rassurant. « Une
faiblesse, ça peut arriver à tout le monde! ... »
Et, du coin de l'œil, je vérifie l'ameublement. Le lit, hélas, est à une seule
place, et celle-ci est désormais occupée. Moi, dans quelques minutes, il
] Q1 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT ?

faudra donc que je me contente d'un des fauteuils quand on me transportera


ici à mon tour... Subrepticement, je saisis La flasque de Bourbon qui ne
quitte jamais ma poche-révoLver, en avaLe une rasade à assommer un cow-
boy, puis regagne La salle d'autopsie.
Je suis attendu.
Pendant mon absence, Le cadavre a été déposé sur La tabLe à dissection,
au bord de LaqueLLe je me cramponne fermement.
Le Professeur Lève un doigt.
Immédiatement, son aide s'approche de moi, tenant un pLateau couvert
de scaLpels, de pinces, de trucs et de ciseaux. IL y a même une scie égoYne
et un petit marteau.
« Quand vous voudrez! », Lance Le Professeur. « Mais avant, je vais vous
exposer Le probLème.»
Et, pendant dix minutes, il résume ce qu'il connaît de L'affaire et énumère
Les questions auxquelles Le juge nous demande de répondre: La victime a été
découverte par son beau-frère dans Le garage, morte, un fusiL de chasse à
côté d'eLLe. Tout sembLe indiquer le suicide, d'autant que, selon les témoi-
gnages du beau-frère et de la veuve, le mort manifestait depuis quelque
temps des signes évidents de dépression. Le problème, c'est que, de notoriété
publique, la veuve et le beau-frère étaient amants depuis longtemps et que
la victime venait de l'apprendre; selon d'autres témoins, elle avait assez mal
pris la chose et envisageait de modifier son testament dans Les plus brefs
délais. ElLe avait d'ailleurs pris rendez-vous avec son notaire pour le surlen-
demain du jour de son décès. Alors: suicide ou assassinat? Les deux hypo-
thèses sont envisageables.
Au fur et à mesure que le Professeur parle, j'ai l'impression que le corps
de la victime se dissout sous mes yeux. Bientôt, il n'est plus réduit qu'à une
plaie énorme, devenu simple problème technique. Tout aspect humain a
disparu, remplacé par la passion de la recherche: il faut découvrir les causes
exactes et les circonstances précises du décès de ce qui avait été un homme,
et cela seul compte.
C'est donc sans La moindre appréhension, l'esprit exclusivement tendu vers
cet objectif, que je commence mes préLèvements, Lesquels consistent essen-
tiellement à découper tout Le contour de la plaie. Et ma main ne trembLe pas
tandis que s'emplissent Les bocaux de verre.
108 L'autopsie proprement dite commence ensuite. Passionné par son métier,
le Professeur travaille admirablement, tout en commentant pour l'assistance
chacune des phases de l'opération. IL sait utiliser des mots simples, accessi-
bles à tous, et groupés autour de Lui nous suivons avec une attention
soutenue Le magnifique cours d'anatomie qu'il nous offre.
Initiations 00 [
L'autopsie dure près de trois heures, pendant lesquelles, pour nous, le
temps s'est comme arrêté.
Par la suite, bien sûr, j'assiste à de nombreuses autres autopsies, et
rencontre beaucoup de légistes. Chez eux comme en toute profession, on
trouve de tout: des bouchers, qui massacrent les corps; des blasés, qui
attendent la retraite; des pseudo-pontes, qui font effectuer le travail salis-
sant par les garçons de morgue; des dingues, des sadiques, des malades, des
incapables. Et puis il y a les grands, les artistes, ceux qui ne comptent pas
leur temps, ne laissent rien au hasard et travaillent en finesse.
Pour ma première autopsie, j'avais eu de la chance: le Professeur R. était
(et est encore) un véritable virtuose.
Et puis, autopsie après autopsie, sans que je m'en rende compte, l'insen-
sibilité va s'installer en moi. Tout doucement, insidieusement.
C'est un garçon de morgue qui m'en fera prendre conscience.
Le corps est complètement exsangue. Pourtant, il me faut un peu de son
sang. J'ai donc découpé le muscle d'un de ses bras et le presse dans un
torchon pour tenter d'en extraire au moins quelques gouttes du précieux
liquide.
Le garçon de morgue, âgé d'une cinquantaine d'années, me regarde faire,
fasciné. Quand j'ai fini, il murmure:
«Merci, Monsieur! J'ai toujours dit que je faisais le dernier métier du
monde. Grâce à vous, je sais depuis aujourd'hui que ce n'est que l'avant-
dernier! »
Et puis, pires encore que les autopsies, il y a bien sûr les exhumations ...

LA PREMIERE EXHUMATION
Au printemps 1982, on découvre dans un chemin de campagne le corps
d'une jeune fille assassinée, le crâne éclaté.
Au cours de l'enquête, plusieurs suspects sont interrogés, chez qui les
gendarmes saisissent divers instruments susceptibles d'avoir été utilisés pour
commettre le crime. Mais aucun indice matériel n'est découvert sur ceux-ci
(la microanalyse n'est pas encore connue des enquêteurs), les suspects sont
laissés en liberté et les objets saisis déposés au greffe du tribunal en l'at-
tente de jours meilleurs.
Trois ans s'écoulent, pendant lesquels l'enquête ne progresse pas d'un
pouce.
En 1985, un nouveau juge est nommé. Frais émoulu de l'Ecole de la
Magistrature, où il a suivi ma conférence annuelle, il me contacte pour me
demander d'étudier tous ces outils heureusement conservés sous plastique.
10 1 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?

Sur une barre de fer je découvre de minuscules traces de sang, ainsi que
des fragments de cheveux aux extrémités écrasées. Si ces cheveux appar-
tiennent à la victime, cela signifie évidemment que le propriétaire de la barre
de fer est le coupable. L'affaire se trouverait ainsi résolue.
Hélas, nous ne possédons aucun échantillon de cheveux de la jeune fille.
L'analyse comparative est donc impossible.
Il faut exhumer le corps.
C'est ma première exhumation et, comme j'ai personnellement réalisé les
analyses, je ne peux me soustraire à l'obligation d'y assister.
Il a été convenu que toutes les opérations seraient effectuées dans l'en-
ceinte même du cimetière.
Comme l'affaire a fait grand bruit dans la région, je conseille de dresser
une grande tente militaire au-dessus de la tombe. En effet, le cimetière se
trouve en plein milieu d'un village, et de nombreuses fenêtres peuvent servir
de postes d'observation pour des journalistes en mal de scoop.
L'exhumation est fixée à six heures du matin.
Le veille, je couche chez le juge, qui est devenu un ami.
Quatre heures: petit déjeuner.
Quand il apporte le café fumant et les croissants, je trouve qu'il fait une
drôle de tête. J'ai l'impression qu'il veut me parler, mais qu'il n'ose pas. Enfin,
il se décide:
«Tu sais, le légiste qui devait faire l'exhumation avec toi. .. »
«Oui, eh bien?»
«Ben ... il est tombé malade hier soir. .. »
«C'est pas grave. Tu disposes bien d'un autre légiste ici, non?»
«Oui ... Mais il est en vacances au Maroc ... »
Je sais maintenant ce qu'il va me demander! Autant lui faciliter la tâche:
« Autrement dit, il ne reste que moi pour faire le boulot?»
«Ben voilà ... C'est ça! Hier soir, je n'ai pas osé te le dire, pour ne pas
t'empêcher de dormir ... »
Brusquement, le café a comme un goût amer. Mais après tout, bah, main-
tenant j'en ai vu d'autres, et puis un cadavre de trois ans, il ne doit plus en
rester grand-chose.
En route! Une cinquantaine de kilomètres à faire, en suivant les deux
voitures des gendarmes chargés de l'enquête, au son des cassettes de
marches militaires dont je suis toujours pourvu.
Dans le village, toutes les rues menant au cimetière sont barrées par des
gendarmes mobiles. A l'intérieur de celui-ci, la tente kaki est dressée et des
gendarmes en treillis s'affairent. Quelques officiers papotent dans un coin.
Initiations 00 [
Sous la tente, en présence du maire, les fossoyeurs achèvent de sortir le
cercueil et le posent sur des tréteaux. A côté, les gendarmes placent une
table de bois pour que je puisse installer mon matériel. Tout près, un adju-
dant prépare l'inévitable machine à écrire.
Ce qu'il y a de remarquable chez les gendarmes de base, c'est que, lors-
qu'ils organisent quelque chose, on peut être assuré que tout sera impecca-
blement exécuté, exactement au moment demandé (ou en avance, mais en
tout cas jamais en retard). Ils excellent également dans l'improvisation, le
manque chronique de crédits dont ils souffrent en ayant fait des champions
du « Système D».
Maintenant, l'employé des pompes funèbres, armé d'un villebrequin,
dévisse le couvercle du cercueil.
C'est à moi.
Tandis que j'enfile ma blouse, je distingue dans le cercueil une masse
brunâtre, comme de la sciure de bois. Je m'approche. Non, ce n'est pas de la
sciure, mais des milliers d'asticots morts, desséchés, qui recouvrent le corps
sur une dizaine de centimètres d'épaisseur. Comme par miracle, un gendarme
me tend un balai. Hélas, je n'ai jamais été très doué pour les travaux ména-
gers, les pailles sont raides et je suis trop vigoureux: dès le premier coup,
des nuées d'asticots projetés en l'air s'abattent sur les spectateurs qui
refluent en désordre.
Le linceul de plastique blanc apparaît enfin. La fermeture à glissière, bien
sûr, est complètement rouillée. Je force. Et, d'un seul coup, l'odeur atroce
envahit la tente. Cette fois, tout le monde sort, le temps de laisser les
miasmes se dissiper et, surtout, de mettre les masques en gaze qui permet-
tront de travailler dans les moins mauvaises conditions possibles.
Retour sous la tente.
D'un geste brusque, j'ouvre la totalité du linceul.
Ce que je vois, d'abord, c'est le crâne, totalement décharné, couleur
d'ivoire patiné, luisant d'humidité et dont la mâchoire pend en un énorme
baîLLement. Tout seul, dérangé par la lumière, un minuscule vermisseau
rampe désespérément sur le front de la victime. Il donne une étrange impres-
sion de panique, se presse et gagne bientôt l'ombre protectrice de l'orbite
gauche.
Le corps n'est plus qu'un squelette habillé d'un tailleur de couleur désor-
mais indéfinissable, tragiquement paré de bijoux magnifiques. 1

Où vais-je trouver des cheveux?


A pleines mains, en aveugle, je fouille dans le magma nauséabond qui
111
1 11
stagne sous la victime. Victoire! J'en tiens quelques-uns! Et je poursuis ma
pêche macabre. Rapidement, le bocal posé sur la table en contient plusieurs
centaines.
] 0: QUI A PEU ~ DE Loïc LE RIBAULT?

J'en ai fini, il est temps de refermer le linceul et de revisser le couvercle


du cercueil.
Pendant que je travaillais, deux gendarmes ont fait le tour du village à la
recherche d'un boulanger. Ils reviennent, les bras chargés de brioches toutes
chaudes, tandis que dans un coin du cimetière fume le café frais préparé par
leurs camarades.
Soudain, sous la tente, il y a du remue-ménage. On se précipite. Au
moment où le cercueil allait être redescendu, une souris est tombée dans la
fosse! Elle essaye désespérément de sortir. J'aimerais bien qu'on l'aide ...
Paf! D'un coup de pelle implacable, un des fossoyeurs règle son problème.
Dommage ... Quand le marbrier vient refaire la tombe, c'est deux cadavres
qu'il scelle au lieu d'un seul.
Deux jours plus tard, les analyses au M.E.B. démontrent que les fragments
de cheveux trouvés sur la barre de fer appartenaient bien à la victime.
Le lendemain, le coupable est arrêté.
Trois ans après les faits.
Au prix de ces initiations abominables, de recherches incessantes et d'un
labeur acharné, l'infiniment petit parle bientôt sous toutes ses formes aussi
bien au laboratoire que sur la scène du crime.
Surtout, en dix ans d'existence, le C.A.R.M.E permettra d'éviter des
dizaines d'erreurs judiciaires qui, sans l'utilisation de la microanalyse, ne
pouvaient pas ne pas être commises.
-------,
LES DEUX FRERES J

Depuis la mort de leurs parents, dix ans plus tôt, ils habitent la même
maison entourée d'un jardin, dans une célèbre station balnéaire des bords de
l'Atlantique.
Mais, s'ils vivent sous le même toit, c'est en étrangers. Pire, en ennemis.
Les portes de communication sont condamnées, le couloir muré en son
milieu, et deux sorties indépendantes ont été aménagées. Chacun vit dans
un camp retranché.
Jean, trente-six ans, et Alain, de deux ans son cadet, sont célibataires.
Lorsque j'arrive sur les lieux, il est 7 heures 15 minutes.
Le cadavre de Jean gît, allongé sur le ventre, dans un passage d'à peine
un mètre de large bordé d'un côté par un des murs de la maison et de l'autre
par un tas de bois de six mètres de long sur deux de haut. Sous son corps,
on distingue l'extrémité du canon et de la crosse d'un fusil de chasse disposé
en diagonale (Fig. 39); ça ressemble à un suicide classique, et le travail ne
sera sans doute pas long.

Î
I l 1 _________

;'0"" d'on"", d, J,,,, Porto d'on.'" d'Alain / 1

Fenêtre de la cuisine d'Alain

Fig _ 39: Les deux frères.


ln QUI A PEUR ] DE Loïc LE RIBAULT?

Pourtant, l'inspecteur qui m'accueille semble bien perplexe.


«Venez voir», me dit-il, et il me conduit vers la maison.
Sur la porte d'entrée réservée à Jean, une feuille de papier est punaisée.
On peut y lire: «Salau! J'auré ta peau!» Le billet doux est signé Alain.
Ah ... Après tout, cette affaire n'est peut-être pas aussi simple que je
croyais '"
«Attendez », dit l'inspecteur. «Vous n'avez pas tout vu! »
Nous faisons le tour de la maison. Sur la porte d'Alain, il me montre un
papier scotché. Il y est écrit: «Ordure! ren as plus pour lontemp!» Le
message est signé Jean.
Diable, ça se complique... La seule certitude, pour l'instant, c'est
qu'aucun des deux frères n'était doué pour l'orthographe ...
«Et comment avez-vous été prévenus?»
«C'est Alain qui a téléphoné. Il prétend avoir entendu un coup de feu
pendant qu'il prenait son petit déjeuner dans la cuisine, avoir regardé par la
fenêtre et vu le corps de son frère. Il est sorti, a constaté qu'il était mort et
nous a appelés ... »
Nous entrons chez Alain. Celui-ci est assis et beurre paisiblement une
tartine de pain sur la table couverte de toile cirée. Le moins qu'on puisse
dire, c'est que le décès de son frère ne le trouble apparemment guère.
«Bonjour! », dit-iL
Je lui serre la main, qui porte des traces de griffures fraîches.
«Toutes mes condoléances ... »
«Oh ben, y a vraiment pas de quoi! Bon débarras! ... »
Et il se frotte l'œil gauche, qui porte un hématome témoin d'un coup
violent et très récent. Dans une armoire vitrée, derrière lui, sont rangés une
bonne dizaine de fusils de chasse de tous calibres et de tous âges.
Tandis que nous partons explorer le camp retranché de Jean, l'inspecteur
m'explique:
«Vous avez vu son œil? Mais on sait qu'hier midi, ils se sont rencontrés
par hasard dans un bar, et qu'ils se sont battus. Il y a plusieurs témoins.»
Chez Jean, on ne découvre pas le moindre fusil.
«Lui ne chassait pas », commente le policier. «On ne l'a même jamais vu
13 porter une arme à feu.»
Tous les gens du métier vous diront que commencer une affaire avec la
certitude qu'elle est simple porte malheur!
Occupons-nous maintenant de la victime.
Les deux frères 0[:
Elle est tombée juste sous la fenêtre de la cuisine d'Alain. Le trou d'en-
trée des plombs, très groupés au niveau de l'oreille droite, montre que le
coup a été tiré de très près. Du sang et des fragments de matière cervicale
ont été projetés sur une bûche située à 1 m 20 de hauteur, à environ 1 m 50
en aval de l'endroit où repose maintenant la tête de la victime. Ces écla-
boussures s'étendent sur environ dix centimètres de profondeur vers L'inté-
rieur du tas de bois, ce qui prouve qu'elles ont été projetées à l'horizontale.
Or, Jean mesurait lm 78 ... Bizarre ... A moins, s'il s'agit d'un suicide, qu'il
ne se soit tiré Le coup de fusil en étant à genou?
En tout cas, elles indiquent l'endroit exact où le coup de feu a été tiré.
Elles démontrent aussi qu'à cet instant, la victime avait la fenêtre sur sa
gauche et le tas de bois sur sa droite.
Suivant mon habitude, je recueille ces pauvres débris organiques et, bien
entendu, tamponne La section de la bûche sur laquelle ils se trouvaient, ainsi
que l'écorce de cette dernière.
Des branchettes de quelques centimètres de Long saillent encore de la
plupart des bûches. Sous Les projections de sang, L'une de ces petites bran-
ches est brisée, et la cassure est très fraîChe. Je découpe soigneusement la
branchette et l'introduis dans un sac plastique.
De mes mains gantées, je m'empare ensuite du fusiL. Celui-ci est tout
neuf. Une cartouche percutée de calibre 12 est logée dans la chambre de
cette arme à un coup. Je protège l'arme sous plastique en attendant son
exploration détaillée au laboratoire.
Ensuite, je m'occupe du cadavre. Etrangement, il est chaussé de charen-
taises et porte un pyjama sous une robe de chambre. Il n'avait donc certai-
nement pas prévu d'aller à la chasse pour la première fois de sa vie, ni de
faire une longue promenade ... Je lui arrache quelques cheveux, lui cure les
ongles et lui tamponne les mains.
J'ai fini.
Les employés de la morgue s'approchent pour l'emporter.
Sur la route du retour, je réfléchis: il existe en fait deux hypothèses.
La pLus probable, c'est le suicide. Le lieu choisi - juste sous la fenêtre
d'Alain - peut revêtir un caractère symbolique. En tout cas, il s'est
agenouillé avant de tirer.
L'autre, évidemment, est celle du meurtre. Quelqu'un a tiré sur Jean, puis
a glissé l'arme sous son corps. Mais où se trouvait le tireur? Pas derrière le
tas de bois: il fait deux mètres de haut. En outre, compte tenu du groupage
des plombs, l'auteur devait se trouver très près de sa victime, le bout du
EDl
canon à quelques centimètres de sa tête. Et comment se fait-il que cette tête
se soit trouvée à 1 m 20 du sol?
A seize heures, je suis au C.A.R.M.E.
] D' QU I A PEUR I DE Lo ïc LE RI BAULT?

Un message de l'inspecteur m'y attend. l'autopsie est achevée, et les


conclusions du légiste sont formelles: la trajectoire des plombs, orientée de
droite à gauche, est parfaitement horizontale, ce qui, à son avis, exclut tota-
lement l'hypothèse du suicide. IL ne peut s'agir que d'un meurtre!
logiquement, mes premières analyses au M.E.B. portent donc sur les
prélèvements réalisés sur Alain. Mais il m'est impossible d'y découvrir la
moindre parcelle de résidu de tir. Alain n'a donc pas utilisé récemment d'arme
à feu.
Je communique immédiatement cette information à l'inspecteur car, dès
que les conclusions du légiste ont été connues, Alain a bien entendu été
placé en garde à vue. Aussitôt après mon appel, il est libéré.
Sur les autres échantillons, la chasse est plus fructueuse: sur la main
droite de Jean, je découvre des résidus de tir. Sur ses vêtements, j'en trouve
d'autres, mais étrangement localisés au niveau de l'épaule droite sur la robe
de chambre et du genou droit du pantalon ...
C'est l'exploration de l'arme qui apporte le premier élément de réponse à
cette étrange affaire: en effet, la queue de détente porte des fibres végé-
tales très fraîches. Et le fragment de branchette brisée que j'ai prélevé près
du corps, lui, constitué de fibres végétales identiques à celles prélevées sur
la queue de détente, est en outre couvert de résidus de tir!
Désormais, la scène est facile à reconstituer.
Ce matin-là, pour ne pas être vu par son frère, Jean passe courbé sous la
fenêtre de sa cuisine. IL tient son fusil par le fût et marche sans doute rapi-
dement. la détente, particulièrement sensible, s'accroche dans la branchette
et le coup part. la trajectoire horizontale des plombs dans le crâne s'explique
tout simplement par l'orientation de la tête de la victime à cet instant,
tournée vers la fenêtre derrière laquelle déjeûnait Alain.
Il ne s'agit donc ni d'un suicide, ni d'un meurtre, mais d'un accident.
la suite de l'enquête permit de préciser la genèse de ce drame familial.
la veille des faits, après que Jean se soit battu avec son frère dans un
café, il s'est rendu chez un armurier, où il a acheté un fusil à un coup. Ne
connaissant pas les armes, il a demandé au commerçant d'approvisionner le
fusil. Avec une belle inconscience, celui-ci a accepté, laissant son client
partir en ville avec l'arme chargée!
Rentrant à son domicile, Jean a croisé un ami qui s'est étonné:
«Mais qu'est-ce que tu fais avec ça? Je croyais que tu ne chassais pas?»
«C'est pour flinguer Alain demain, quand il sortira de chez lui!», a froi-
dement répondu Jean. Puis il a poursuivi son chemin, le fusil à la main.
l'ami, lui, n'a même pas eu l'idée d'avertir Alain!
Les deux frères 0[
C'est ainsi que Jean est mort: tué par une branchette, tandis qu'il courait
un matin assassiner son frère ...
Voilà.
Une affaire résolue de plus.
Et, surtout, une nouvelle erreur judiciaire évitée. Car il est évident que,
sans mon intervention, Alain ne pouvait pas ne pas être inculpé d'homicide
voLontaire.
Pour moi, c'est une grande satisfaction.
Et aussi la fin d'un stress considérable: celui causé par l'énorme respon-
sabilité qui pèse sur les épaules de l'expert chaque fois qu'il intervient; à
longueur de journées, des vies humaines sont entre ses mains.
Il lui est interdit de se tromper. Et, surtout, de se fier aux témoignages
humains.

L'œil peut être l'arme la plus dangereuse qui soit quand, associé à l'ima-
gination, il suscite des témoignages dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils
sont souvent sujets à caution. Car l'homme - et surtout le citadin - a
perdu depuis longtemps l'habitude d'observer le monde qui l'entoure et les
évènements auxquels il assiste. Il se contente de les regarder, ou plutôt de
les discerner vaguement.
C'est pourtant sur ces témoignages humains que bien des accusations sont
construites.
En ce qui me concerne, j'ai personnellement eu à plusieurs reprises l'oc-
casion de vérifier leur manque de fiabilité.

PORTRAIT -ROBOT
Août, 4 heures du matin.
Ce n'est ni le couinement rageur de l'Eurosignal, ni le bourdonnement du
réveil. C'est donc le téléphone, c'est-à-dire une urgence locale.
Effectivement, un touriste vient d'être abattu sur l'autoroute à quinze
kilomètres à peine de chez moi, et la S.R. me demande d'aller sur les lieux.
Lorsque j'arrive, vingt minutes plus tard, deux motards gardent un break
505 Peugeot garé sur la bande d'arrêt d'urgence. A l'intérieur, cinq enfants
dorment. Appuyée à la carrosserie, une femme pleure. Une ambulance vient
d'emporter le corps de son mari.
Ce sont des Marocains qui rentraient de vacances.
D'après ce que dit la femme, leur voiture a été prise en chasse plusieurs
kilomètres en amont par un véhicule qui les a forcés, avec une queue de
poisson, à s'arrêter à l'endroit où nous nous trouvons actuellement. Là,
l'agresseur est sorti de sa voiture, un pistolet à la main, puis a ouvert la
porte du break. Le mari a vite saisi un couteau de cuisine pour se défendre
mais, avant qu'il n'ait eu le temps de s'en servir, l'homme lui a tiré cinq coups -;;t
de feu dans le ventre avant de remonter dans son véhicule et de s'enfuir. ~
Il s'agit donc d'une affaire à la fois difficile et sensible: comment
retrouver le meurtrier dans le flot de voitures qui déferle à cette époque, et
s'agit-il d'un crime raciste?
Sans attendre l'arrivée de la S.R., qui vient de beaucoup plus loin que moi,
je me mets au travail et, à la lueur du réverbère sous lequel stationne la
voiture, je commence à explorer la 505 et ses environs immédiats, à la
recherche du moindre indice. Tout ce que je trouve, c'est, dans le vide-poche
du véhicule, un couteau ensanglanté. Tiens? Contrairement à ce que prétend
la femme, la victime aurait-elle eu le temps de se défendre?
Bientôt, la S.R. est sur place.
Le jour se lève.
En ligne serrée, les gendarmes fouillent, le nez au sol, et découvrent deux
douilles. Celles-ci permettent de déterminer que l'arme utilisée par le meur-
trier est un pistolet automatique de calibre 11,43. Le préféré du milieu ...
Lorsque les constatations sur place sont terminées, la famille est
transportée à la gendarmerie locale ainsi que le break, afin que je puisse
examiner ce dernier à fond dans le confort du garage de la brigade.
C'est là que me rejoint le capitaine en début d'après-midi. Tout sourire, il
tient un papier à la main:
«On a demandé à la femme de dresser un portrait-robot du tueur», dit-il.
«Tenez, le voilà.»
Et il me tend le document.
Je reste bouche bée: on jurerait moi, sans les lunettes! (Fig. 40)
«Amusant, hein? », rigole le capitaine.
«Mmmmouiii ... »
«On va faire un tapissage 50 • Acceptez-vous d'y participer?»
«Bien sûr!»

Ci-dessus: à titre de comparaison, une


photographie de moi ...
)
Fig. 40: Portrait-robot.

50. le Tapissage consiste à présenter à un témoin une série de personnes présentant une ressemblance
avec un suspect tel qu'il l'a décrit. Généralement, les figurants sont des policiers ou des gendarmes parmi
lesquels on a glissé un authentique suspect.
Témoignages humains 0[
Après avoir enlevé mes bésicles, je me glisse parmi les autres participants,
tous en civil, et j'attends.
Bientôt, la veuve fait son apparition. Immédiatement, sans sommation,
elle se jette sur moi, griffes dégaînées, en criant:
«C'est lui! C'est lui! Assassi n ! »
Avant qu'elle ne commette sur ma personne des dommages irréparables,
le capitaine stoppe son élan vengeur, lui explique que je ne peux en aucun
cas être le meurtrier de son mari, mais qu'il serait très utile de savoir avec
certitude si je ressemble vraiment beaucoup à celui-ci.
Elle réfléchit un moment, puis laisse tomber:
«Oui, il lui ressemble beaucoup. Mais il est encore plus gros ... »
Bien élevés, les gendarmes font des efforts surhumains pour ne pas
éclater de rire tandis que, vexé comme un pou, je retourne me cacher dans
le garage.
Pendant que je continue mon travail, les enquêteurs poursuivent le leur.
Il s'agit maintenant pour eux d'obtenir une description du véhicule du meur-
trier. Ils conduisent donc la femme dans le parking de la gendarmerie afin de
voir si, par hasard, la forme ou la couleur d'une des voitures présentes
évoquerait quelque chose pour la malheureuse.
Quelques minutes plus tard, le capitaine réapparaît dans le garage. Il a
une lueur malicieuse dans les yeux.
«Excusez-moi de vous déranger, Monsieur Le Ribault, mais pourriez-vous
venir un instant avec moi?»
Sur le parking, la femme est en arrêt devant une voiture, immobile comme
un pointer devant une remise de bécasse.
Et cette voiture, naturellement, c'est la mienne!
Et voilà, ça continue!
«Elle reconnaît formellement votre véhicule », dit le capitaine. «Même
forme, même couleur ... Qu'est-ce que vous dites de ça?»
«Prrrfffmmmouiiignnn ... », fais-je, sans oser m'engager davantage.
Un gendarme de la S.R. me pousse alors du coude et s'esclaffe, en agitant
son énorme index sous mon nez:
«Hé, hé! Vous correspondez trait pour trait au portrait-robot ... Votre r--nJ
voiture est identique à celle du tueur ... Nous, forcément, on comprend main- ~~
tenant pourquoi vous étiez sur les lieux avant nous! ... ça ne vous suffit donc
plus, les cadavres des autres? Mai ntenant, vous produisez vous-même?»
Et il éclate d'un rire tonitruant. On a beau savoir que les gens plaisan-
tent, certaines situations sont quand même parfois gênantes. De plus,
] 0[ QUI A ;;uR DE Lo ïc LE RIBAU LT ?

comme tous les timides camouflés, j'ai une regrettable tendance à rougir
quand je suis mal à l'aise.
«Et en plus vous rougissez? Mmmm ... Mauvais pour vous, ça, Monsieur
l'Expert! », continue le gendarme.
Charitable, le capitaine vole à mon secours:
«Heureusement, le numéro ne correspond pas. Ce matin, la femme nous
a indiqué que la plaque du véhicule de l'agresseur commençait par les chif-
fres 2345. La vôtre, c'est par 7018 ... »
La solution de l'affaire va permettre d'éclaircir à la fois le déroulement des
faits et l'énigme me concernant.
Tout d'abord, il apparut que le sang maculant le couteau trouvé dans le
véhicule de la victime n'était pas le sien. J'en déduisis logiquement que
celle-ci avait eu le temps de blesser son agresseur avant de succomber. Or,
les traces sanglantes sur l'arme montraient que celle-ci avait été plongée très
profondément dans le corps. Des recherches furent donc entreprises par la
gendarmerie pour savoir si quelqu'un du milieu (le fameux 11,43 ... ) n'avait
pas récemment reçu un coup de couteau dont la gravité l'obligeait à garder
le lit.
C'est ainsi qu'elle retrouva le meurtrier, déjà plusieurs fois condamné pour
homicides et évadé.
Quand il fut arrêté, on eut la surprise de constater qu'il ne me ressemblait
en rien: il mesurait à peine 1,65 mètre, était mince et arborait une splen-
dide crinière de cheveux bruns!
Quant à sa voiture, il s'agissait d'une 505 Peugeot gris métallisé, offrant
effectivement certaines ressemblances avec ma Mercédès 190 de même
couleur. Mais son numéro d'immatriculation ne commençait pas par 2345,
comme l'avait affirmé la femme: c'était 5432; personne n'avait songé que les
Arabes lisent de la droite vers la gauche!
La malheureuse épouse était donc une excellente observatrice.
Elle ne s'était finalement trompée que pour décrire le meurtrier.
Traumatisée par la mort de son mari que l'ambulance venait juste d'emporter,
elle ne m'avait pas quitté des yeux tandis que je travaillais sur le bord de
l'autoroute. Finalement, mon image et celle du tueur s'étaient confondues
dans son souvenir.
C'est donc bien ma description qu'elle avait donnée aux gendarmes, qui
établirent un portrait-robot qui était bien Le mien!
Et c'était aussi une menteuse, car elle ne pouvait ignorer que son mari
avait utilisé son couteau, ce qu'elle s'était bien gardée de révéler ...
Témoignages humains 0[
LA ROllS
Nous revenons d'une reconstitution en province.
Deux voitures de gendarmerie se suivent: une Estafette RenauLt, dans
laquelle je me trouve, et une 305 Peugeot où s'entassent le chauffeur, l'ad-
judant, un O.P.J.5i, le juge et son inévitable greffier.
Soudain, dans un village, surgit en face de nous une RoLLs des années
cinquante. Vision irréelle que celle de cette œuvre d'art après notre sordide
périple au sein des marécages. La Rails ralentit, car il est impossible de se
croiser tant la rue est étroite.
Qui va passer?
Le rêve ou la justice?
L'autorité cède le pas pour mieux contempler le rêve.
Qui passe, étincelant, silencieux, royal, nous éclaboussant au passage de
boue plébéienne. Bon prince, le chauffeur remercie les gendarmes en les
saluant.
En me retournant, je vois les têtes de tous les occupants de la 305 tour-
nées vers la merveille qui glisse à l'horizon.
Or, dans l'affaire qui nous occupe à ce moment-là, il se trouve que les
témoignages humains jouent un rôle capital. Je décide donc de faire une
expérience.
Le soir même, nous avons une réunion de synthèse. J'attaque dès le
début:
«Vous avez tous vu la RoLLs, dans le village?»
«Bien sûr! », dit le chœur. «Quelle bagnole!»
« Et de quelle couleur était-elle?»
«Noire! », lance le juge.
«Ah non, permettez », proteste l'O. P.J. «Elle était claire. Beige, je crois.»
«Pas du tout», ricane l'adjudant. «Je l'ai bien regardée: elle était
rouge! »
«Parfaitement! », renchérit le greffier, pour une fois en désaccord avec
«son» juge. «L'adjudant a raison: elle était rouge! »
Alors, le chauffeur de l'Estafette prend la parole:
«Vous êtes tous des nuls, sauf vot' respect, M'sieur le juge! Quand on a
vu la RoLLs, Loïc m'a dit: "Regarde bien sa couleur, je vais tous les coi ncer ce
soir à la réunion. Mais j'ai besoin de ton témoignage". Et j'peux vous affirmer
une chose: c'est qu'elle était bleu foncé, la bougresse! »

51. Officier de police judiciaire (indifféremment policier ou gendarme).


] 0E PEUR 1 DE Loïc LE RIBAU LT?

«Eh oui, eLLe était bLeu foncé », confirmé-je.


ALors, Le juge s'insurge:
«Mais comment peux-tu prétendre avoir dit au chauffeur de L'Estafette de
bien noter La couleur de La Rolls? Quand on l'a croisée, tu étais dans la 305,
à côté de moi!»
C'est vrai que j'étais à côté de lui, dans la 305.
Mais Le matin, à L'aller.
Pas au retour!
Il nous fallut bien dix minutes pour convaincre le juge de son erreur.
Depuis, étrangement, il manifeste une certaine tendance à se méfier des
témoignages humains.
Allez savoir pourquoi ...

LES CLAQUES QUI SE PERDENT


Au début de l'année 1989, j'ouvre à Plouvorn (Finistère) le Carme-
Bretagne, qui doit assurer Les expertises judiciaires pour toute la région.
Dans le viLlage commencent alors à défiLer de nombreuses voitures, dont
le fameux véhicule-laboratoire, immatriculé «33 ».
Or, le 21 janvier de cette année-là paraît dans Ouest-France l'article
suivant:
Drôles de paroissiens! A Plouvorn vient de s'installer un laboratoire d'ana-
lyses et de recherche connu dans le monde entier au niveau des meurtres,
assassinats et autres affaires épineuses. ( ... ) Jamais on n'avait vu autant de
grosses voitures à Plouvorn, immatriculées 33. Mais nous avons appris ind-
demment que quelques-unes de ces «33» s'arrêtaient en bordure des champs
de chouxjleurs! Et que quelques agriculteurs ont surpris de drôles de parois-
siens en train «d'enquêter» dans leurs champs. Tzzz, tzzz, c'est pas beau ça!
IL faut demander!
A cette lecture, mon sang ne fait qu'un tour.
On m'accuse tout simplement, moi et mon équipe, de vol de choux-fleurs!
Je saute sur le téléphone et obtiens le scribouillard auteur de ce forfait.
L'individu se montre impertinent, désagréable, impoli, et refuse de publier Le
moindre correctif sous prétexte que ses informations sont sûres et ses
témoins en béton. Même La menace d'une paire de claques. en pubLic ne Le
fait pas fléchir.
Il a son petit scandale, il y tient.
J'informe immédiatement sa direction de ma décision de porter pLainte en
diffamation.
Témoignages humains 00 [
Une semaine plus tard parait le correctif suivant:
Le laboratoire que dirige M. LOle Le Ribault n'a strictement rien à voir avec
le chapardage des choux-fleurs dont nous parlions dans notre rubrique de
samedi dernier.
«Nos expertises portent sur des affaires criminelles. Le sort des chouxjleurs
ne nous concerne pas, fussent-ils violés ou même assassinés. Les salaires de
mes employés sont suffisants pour que leurs revenus les dispensent d'aller
brouter leur nourriture dans les champs», nous explique, avec beaucoup d'hu-
mour, M. Le Ribault.
Quelques jours plus tard, on connaît la vérité: effectivement, des indi-
vidus venant de Gironde (les fameux véhicules «33» ... ) volaient dans les
champs autour de Plouvorn des masses de légumes qu'ils entassaient dans
des camionnettes (les «grosses voitures» ... ) louées.
Mais si je n'avais pas lu l'article du pisse-copie?
Si je n'avais pas été suffisamment connu pour intervenir immédiatement
auprès de la direction du journal?
Si la vérité n'était pas enfin apparue?
S'il s'était agi d'un témoignage dans une affaire de meurtre?
A elles seules, ces trois expériences personnelles prouvent à quel point la
«religion de l'aveu », basée sur les témoignages humains, est dangereuse, et
combien il était nécessaire de la remplacer par celle des indices matériels.
L'introduction de la microanalyse en France -aura au moins servi à cela; à
condition, bien sûr, que cette méthode soit utilisée par des spécialistes
compétents ...
Et à condition, surtout, qu'on veuille conna'itre la vérité.
i-M=t-J
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LA VOIX DU SANG
L'œil peut pourtant être un instrument extraordinairement efficace, quand
il est bien utilisé par des spécialistes entraînés, aussi bien sur le terrain
qu'en laboratoire. La localisation et la morphologie des traces de sang
permettent en effet souvent de déterminer la position d'un corps et d'objets
divers tels qu'ils se trouvaient ou ont été déplacés au moment des faits.
Le message que j'avais fait passer en gendarmerie était clair: sur une
scène de crime, photographier toutes les traces de sang en vue générale, puis
réaliser une macrophotographie de chacune de celles-ci, et enfin saisir systé-
matiquement tous les objets ensanglantés.
Les résultats ne se firent pas attendre.

MONSIEUR MARTIN EST MORT


Dans les cas de suicide, il en va des morts comme des vivants: il existe
des gens simples, qui mettent fin à leurs jours sans ambiguïté, poussant
même la délicatesse jusqu'à laisser des écrits expliquant les raisons de leur
geste, et des gens compliqués qui s'ingénient à ce que leur mort rende la vie
des experts impossible.
Monsieur Martin était un sous-officier en retraite, célibataire, homme
tranquille apprécié de tous ses voisins.
C'est d'ailleurs ces derniers qui, ce matin-là, s'inquiétèrent en voyant ses
volets encore fermés à neuf heures, alors qu'il se levait toujours à l'aube. La
porte d'entrée n'étant jamais fermée, ils étaient entrés.
Dans sa chambre, Monsieur Martin semblait dormir comme un enfant, en
pyjama dans son lit aux draps blancs à peine froissés. Ses vêtements étaient
soigneusement pliés sur une chaise à côté du lit.
Seulement, Monsieur Martin ne dormait pas: il était raide mort et portait
sur la tempe un pansement ensanglanté.
Lorsque j'arrive sur les lieux, rien n'a été dérangé.
L'examen de la plaie, au niveau de la tempe droite, montre qu'elle a été
provoquée par un coup de feu tiré à bout touchant.
Aucune arme n'est visible dans la chambre, la victime a les bras sagement
abrités sous les draps le long du corps. A priori, l'hypothèse du suicide
]0
[ QUI A ~ DE Loïc LE RIBAULT?

semble donc être exclue. Mais pourquoi diable le meurtrier a-t-il pris soin de
panser sa victime?
A tout hasard, j'effectue sur les mains de celle-ci les prélèvements qui me
permettront plus tard de savoir avec certitude si elle a ou non mis elle-même
fin à ses jours. Mais je ne crois guère à cette version.
Pendant ce temps, les gendarmes explorent les autres pièces. Une excla-
mation me fait sursauter, tandis que je range mon matériel:
«Ah ben ça, alors!»
Le cri vient de la salle de bains, où je me précipite ventre à terre.
Là, le spectacle est effectivement étonnant: de grosses gouttes de sang
maculent le carrelage tout autour du Lavabo et consteLLent aussi l'émail de
ceLui-ci. Sur une chaise, on voit une serviette de toilette imbibée de sang,
soigneusement pliée. Et, sur la tablette, un paquet de pansements est ouvert,
des pansements du même type que celui posé sur la tempe de Monsieur
Martin! L'assassin est-il donc venu dans la salle de bains avec sa victime pour
la soigner? Ou bien le meurtrier était-il lui-même blessé?
L'analyse hématologique permettra de trancher cette question, et je
réalise les prélèvements indispensables quand une nouvelle exclamation
retentit, venant cette fois de la cuisine.
Où un gendarme, grimpé sur une chaise, contemple Le dessus du buffet.
Des traces de doigts y sont imprimées dans la poussière, et l'une d'entre eLles
est ensanglantée. Une boîte rectangulaire repose à proximité. Elle a été
déplacée très récemment, comme le prouve son «ombre» dépourvue de pous-
sière visibLe juste à côté d'elLe.
De ses mains gantées, le gendarme saisit la boîte et l'ouvre. A l'intérieur,
un chiffon qui, lui aussi, porte des traces de doigts sanglants! Quant à l'objet
enveloppé dans le morceau de tissu, c'est tout simplement un révolver de
calibre 8 mm. Le barillet est garni, mais une des munitions a été percutée et
le canon sent encore la poudre brûlée. Sans aucun doute, c'est l'arme du
crime. Mais pourquoi le meurtrier ne l'a-t-il pas laissée dans la chambre?
Pourquoi a-t-il pris le soin de replacer le révoLver au-dessus du buffet? En
tout cas, le coupable est un familier; sinon, comment aurait-il pu soup-
çonner la présence d'une arme à cet endroit?
Continuant notre exploration, nous découvrons encore dans la cuisine
quelques gouttes de sang qui jalonnent un cheminement entre ceUe-ci et la
salle de bains, ainsi qu'une trace de doigt sanglant sur une chaise placée près
du buffet. Il devient désormais presque certain que le meurtrier a été blessé.
Mais comment? Et par qui? Car il n'existe nulle part de trace de lutte ...
Devant la difficulté du problème, et selon mes principes des prélèvements
conservatoires, nous saisissons l'arme, bien sûr, mais aussi tous les objets
ensanglantés: la literie, les vêtements, les serviettes, Le paquet de panse-
La voix du sang 0[
ments et le pyjama de Monsieur Martin, dont le corps fait en outre l'objet de
prélèvements multiples au cours de son autopsie.
C'est le laboratoire qui, une fois de plus, permet de résoudre l'énigme en
une semaine, car:
- Toutes les traces de sang proviennent du sang de Monsieur Martin;
- le révolver découvert sur le buffet de la cuisine est bien l'arme qui a
tiré le projectile retouvé dans la tête de la victime;
- le coup de feu a été tiré par quelqu'un qui se trouvait dans le lit,
puisque des résidus de poudre parsèment le montant de celui-ci au niveau où
se trouvait la tête de Monsieur Martin, ainsi que le côté droit de l'oreiller;
- Des gouttes de sang arrondies, traduisant un écoulement vertical depuis
la blessure, ont été retrouvées sur l'épaule droite et la cuisse droite du
pyjama;
- Sous les pieds de la victime, une trace sanglante en forme d'étoile
correspond exactement à une trace de morphologie identique observée sur le
sol de la salle de bains, devant le lavabo: Monsieur Martin a donc marché
pieds nus sur cette dernière;
- Deux empreintes digitales de la victime ont été formellement identifiées
sur la boite de pansements recouverte d'un emballage plastique lisse;
- Pas la moindre trace de sang n'a pu être relevée sur les vêtements pliés
à côté du lit.
Avec tous ces éléments, il est désormais possible de reconstituer les
derniers instants de Monsieur Martin.
Ce soir-là, pour une raison indéterminée, il est fatigué de vivre.
Alors, il se déshabille, plie soigneusement ses vêtements puis enfile son
pyjama. Ensuite, il va chercher son vieux révolver d'ordonnance qui
sommeille sur le haut du buffet de la cuisine et, allongé confortablement
dans son lit, se tire une balle dans la tempe.
Mais il ne meurt pas sur le coup et la blessure saigne. Monsieur Martin,
qui pense sans doute s'être raté et regrette peut-être son geste, se rend dans
la salle de bains et applique un pansement sur la plaie. Puis, s'aidant d'une
chaise, il retourne ranger son révolver dans sa boite et replace le tout en QI-
haut du buffet. ~l
Ensuite, tout étant en ordre, il se recouche, éteint sa lampe de chevet et
met ses bras au chaud sous les draps bien lissés.
Puis, tranquillement, Monsieur Martin est mort.
- r Q UI
--' L.: L
A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
_-.J

LES BALANCES
C'est un après-midi de juillet. A deux pas, on entend le bruit de la mer et
les cris des enfants qui jouent sur la plage.
Après avoir exploré les lieux du crime, j'ai apporté tout mon matériel au
commissariat, et observe attentivement les vêtements de la suspecte. Car on
la soupçonne vivement d'avoir assassiné à coups de couteau un petit vieux
de 92 ans qui vivait en lisière de la forêt.
Elle est seule avec moi, cuvant l'alcool dont elle est imbibée, tandis que
j'ai les yeux rivés aux oculaires du microscope. Toutes les dix minutes, un
policier en tenue passe la tête par la porte entr'ouverte pour vérifier que tout
se passe bien, car la femme a la réputation - apparemment justifiée -
d'être parfois assez violente.
Soudain, sur les chaussures, je vois la première tache de sang. Minuscule.
Puis une autre. Et une autre encore ... En tout, j'en compte vingt-deux ...
Je siffle entre mes dents.
Elle sursaute:
«Qu'est-ce qu'il y a.? Pourquoi tu siffles?»
«Parce que tes chaussures parlent ... »
«Comment ça, elles parlent, mes chaussures? Ça cause pas, une
godasse! »
«Mais si, mais si! Tiens, elles sont en train de me raconter que tu t'es
trouvée tout près d'un homme qui saignait ... »
Elle n'en revient pas:
«Elles disent ça, mes chaussures?»
«Eh oui! Elles précisent même que c'était un vieil homme ... »
«Et puis? Et puis?», demande-t-elle, subitement très inquiète.
«Elles racontent aussi que ça se passait à la lisière d'une forêt ... et. ..
attends ... attends ... ,:lles disent aussi que c'était la nuit ... »
La femme commence vraiment à paniquer:
« Et qu'est-ce qu'elles disent encore?»
« Ben ... c'est ennuyeux ... Elles prétendent maintenant que tu tenais un
grand couteau à La main ... »
La femme se lève d'un bond, furieuse:
1301 «Elles sont dégueulasses, ces grolles! C'est des balances! Elles disent
'---' quand même pas l'heure, des fois?»
«Attends, je vais leur demander ... »
C'est cet instant précis que choisit le policier, ponctuel, pour passer la
tête à la porte. La femme l'apostrophe:
La voix du sang llJ r-

« Le type, là, il dit que mes godasses parlent!»


Le policier éclate de rire:
«Ah, elle est bonne, celle-là! Tes chaussures parlent, maintenant! Ben
dis-donc, qu'est-ce que tu tiens comme biture!»
Et, riant encore, il sort en claquant la porte.
A la seconde, la femme se referme comme une huître.
La chance était passée.
ELLe n'avoua jamais.
Et comme le laboratoire d'hématologie chargé d'expertiser les traces de
sang fut incapable de déterminer le groupe de celui-ci, la brave femme est
encore libre aujourd'hui.

LE PIERROT
Il disait l'avoir simplement giflée, peut-être un peu fort, puis avoir -
mais en vain - tenté de la ranimer.
C'était un grand modeste.
En effet, quand, quelques heures après le drame, je pénètre dans leur
deux-pièces, il y a des éclaboussures de sang sur tous les murs, et même au
plafond. Les meubles en sont comme laqués de rouge.
Je constate notamment dix-sept traces d'impacts de tête sur les cloisons,
sur l'armoire (dont la porte a été brisée sous la violence du choc), sur le
convecteur électrique (descellé) et sur l'évier, où le col de cygne, brisé net,
porte une grande mèche de cheveux. Et partout, partout, du sang ... Je ne
sais où poser mon carnet de notes, et c'est un poLicier qui doit écrire sous
ma dictée; ça a été un vrai carnage.
Mais c'est vrai qu'il a tenté de la ranimer.
En lui tailladant la plante des pieds avec un cutter, pour qu'elle se réveille
enfin.
Au mur de la chambre à coucher, un poster représente un Pierrot aux yeux
tristes sur un nuage bleu tendre.
Et l'un des yeux du Pierrot pLeure une grosse Larme de vrai sang.
1',-
"
L'exoscopie des quartz fut utiLisée avec succès dans un grand nombre d'af-
faires, dont voici deux exempLes choisis parmi des dizaines.

VIOL SUR TAPIS DE LAINE


Vers minuit, L'agresseur s'est introduit par La fenêtre ouverte et, sans un
mot, dans le noir absolu, a vioLé la jeune femme sur le tapis de laine de sa
chambre à coucher. Puis il s'est enfui.
Au commissariat, où la victime s'est immédiatement rendue pour porter
pLainte, elLe ne peut donner qu'une information: l'homme sentait très, mais
vraiment très, mauvais!
Femme d'un grand sang froid, elle a pris la précaution de ne pas se laver
et d'apporter le seul vêtement sont elle était vêtue au moment des faits: un
T-shirt blanc.
Quand j'arrive vers trois heures du matin, elle est retournée se reposer
chez elle, mais le T-shirt m'attend et un médecin a déjà réalisé les préLève-
ments vaginaux nécessaires à la recherche de sperme pouvant permettre de
confondre l'agresseur en cas de capture. Il a également arraché quelques
cheveux et poils pubiens à la victime, en prévision des analyses que je dois
faire.
Immédiatement, je commence l'exploration du T-shirt à la loupe binocu-
laire. On peut y reconnaitre aisément les longs cheveux blonds de la victime.
Mais parmi ceux-ci se trouvent mêlés des cheveux châtains très différents. La
victime vivant seule, ces derniers appartiennent très probablement à l'agres-
seur et offrent donc un grand intérêt. En effet, ils témoignent d'un manque
absolu d'hygiène: sales, couverts de particules minérales, ils abritent en-
outre une faune peu appétissante parmi laquelle les poux représentent la
majorité de La population; un poil frisé, très certainement pubien, sert de
support à un magnifique morpion qui s'y cramponne avec détermination.
Pour moi, c'est l'aubaine: l'idéal, pour l'expert, c'est en effet de travailler
sur un agresseur sale et une victime propre. L'agresseur laisse sur celle-ci de
nombreux indices, et ils sont évidemment d'autant plus faciles à trouver que
la victime a une hygiène rigoureuse.
-.i 0
!aUI ~ DE Loïc LE RIBAULT?

C'est exactement le cas qui s'offre à moi aujourd'hui.


Pendant que je prépare les échantillons, les policiers me regardent
travailler, dévorés de curiosité. Je sais qu'ils meurent d'envie de voir ce que
j'observe à la loupe binoculaire, mais n'osent le demander. Comme toujours,
je leur propose de jeter un œil.
C'est aussitôt l'enthousiasme mêlé de dégoût: sur les cheveux et les poils
du suspect, poux et morpion grossis quarante fois ressemblent à des mons-
tres de film d'épouvante. Et la réaction classique ne tarde guère: quelques
minutes plus tard, tous les policiers se mettent à se gratter au milieu des
éclats de ri re.
Bon, finie la récréation. Au travail!
Je place les cheveux châtains sous le microscope optique, qui permet des
grandissements plus importants que la loupe binoculaire. J'essaie d'identifier
les particules minérales collées sur eux. Il y a un peu de tout, mais notam-
ment de la vase qui emprisonne de minuscules grains de sable. Quelques
Diatomées sont également visibles. Celles que je découvre sont d'origine
marine et caractéristiques d'un milieu ouvert bien oxygéné. Elles sont
intactes, très fraîches d'aspect. Par contre, dans les particules de vase, je
distingue des fragments brisés d'autres Diatomées qui, elles, sont spécifiques
d'un milieu très calme où eau douce et eau de mer se mélangent.
Quant aux grains de sable, ils ne posent aucun problème, et l'endroit d'où
provient l'agresseur est facile à définir: le sommet d'une plage donnant sur
une mer moyennement agitée, juste à la limite d'une dune, en aval d'un
estuaire au débouché duquel existe une vasière.
Mis au courant de mes conclusions, les policiers réagissent immédiate-
ment:
« Mais ça pourrait correspondre à la plage de La Vive Joyeuse, à l'ouest du
port! ... »
Sans tarder, une patrouille de quatre hommes démarre sur les chapeaux de
roues.
Une demi-heure après, ils sont de retour et s'engouffrent dans le bureau
où je poursuis mes analyses. Ils me jettent des regards étranges.
« On a trouvé un S.D.F. à La Vive Joyeuse. Il dormait au pied de la dune ...
sur le haut de la plage ... à trois cents mètres de l'estuaire ... à l'ouest de la
vasière ... Vous voulez le voir?»
Comment ça, si je veux le voir?
Menottes aux mains, il est assis sur une chaise dans une pièce voisine,
déjà envahie par l'odeur impressionnante qu'il dégage. Abruti d'alcool, il
dodeline de la tête en chantonnant doucement. On lui enlève son pantalon
et sa chemise, et il se laisse docilement arracher quelques cheveux.
Le grain de sable, témoin du crime 11wLr

le temps des comparaisons est maintenant venu.


Elles sont très rapides.
D'abord, les cheveux découverts sur le T-shirt sont bien ceux du S.D.F.,
châtains, grouillants de vermine.
Ensuite, sur la chemise de celui-ci, je peux identifier quelques longs
cheveux blonds appartenant sans aucun doute possible à la victime.
A ce stade, les preuves matérielles sont déjà suffisantes pour permettre
l'inculpation du vagabond.
Toutefois, comme j'aime bien approfondir les travaux et ne laisse rien au
hasard, j'examine également le pantalon de l'homme. Et là, au niveau des
genoux, j'ai la chance de découvrir des fibres de laine de douze couleurs
différentes correspondant exactement à celles composant le tapis sur lequel
le viol a été accompli.
Placé en garde à vue, l'homme avoue le viol sans aucune difficulté.
D'autres agressions semblables ayant eu lieu dans la ville depuis quelques
mois, les inspecteurs l'interrogent à ce sujet. Surprise: l'homme déclare en
être aussi l'auteur! De tous! Sans exception!
Mais ses aveux sont trop enthousiastes. Suspects, pour tout dire.
Alors, les policiers décident de le tester:
«Et le vol du Clémenceau dans le port de Brest, avant-hier, c'était toi
aussi? »
«Oui, c'était moi...»
Il reconnaît ainsi, entre autres menus larcins, le détournement récent du
Concorde et le sabotage retentissant du Redoutable .
. . Quelques semaines plus tard, reconnu malade mental, donc irresponsable,
l'homme était remis en liberté.

DELIT DE FUITE
Il n'existe que deux moyens légaux pour occire son prochain avec en
poche un permis de tuer en bonne et due forme: la chasse et l'automobile.
Mais le délit de fuite, lui, est sévèrement puni.
Dans cette difficile affaire, la puce a été mise fi l'oreille des gendarmes
par un garagiste appelé à changer le pare-brise d'une Mercédès. C'était un
pare-brise feuilleté, portant la trace d'un violent impact dont la forme et la
taille évoquaient irrésistiblement celles d'une tête humaine. En outre, il avait
semblé au garagiste distinguer quelques cheveux enchâssés dans des fissures
du verre; mais l'homme avait déjà rendu le véhicule à son propriétaire et jeté
le pare-brise, non sans avoir toutefois soigneusement noté le numéro
d'immatriculation de la voiture.
' r , - - - --
, 1 QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULi?

Suspectant un délit de fuite après un accident grave, les gendarmes récu-


pèrent donc la Mercédès, qui m'attend de pneu ferme dans le garage de leur
caserne, installée sur un pont élévateur.
Ma mission consiste à rechercher sur le véhicule tous les indices éventuels
permettant de déterminer s'il a ou non heurté un homme.
Le propriétaire ne nie nullement avoir fait changer son pare-brise, mais
prétend que celui-ci était endommagé depuis trois mois, la voiture lui ayant
été rendue en cet état par un ami auquel il l'avait prêtée. L'enquête démontre
d'ailleurs que le propriétaire, disposant de deux voitures, prête effectivement
souvent la Mercédès à ses proches. Mais il refuse catégoriquement d'indiquer
le nom de celui qui conduisait celle-ci lorsque le pare-brise a été endom-
magé. Il dit aussi ignorer où le véhicule a pu circuler à cette époque.
Millimètre par millimètre, j'explore le véhicule, à l'œil nu tout d'abord,
puis au laser.
L'exploration au laser se passe dans l'obscurité. Elle consiste à projeter sur
les surfaces ou les objets à étudier un faisceau lumineux qui fait apparaître
en fluorescence toutes les particules étrangères collées sur le support. Le
faisceau permet également de relever des empreintes digitales impossibles à
déceler par les moyens classiques. Pendant cet exercice, l'opérateur doit se
protéger les yeux à l'aide de lunettes spéciales de couleur orange.
Il convient d'étudier la voiture en détail, de la carrosserie au moindre
recoin du châssis, sans oublier le dessous des ailes et l'intérieur des pare-
chocs.
Et l'examen s'avère fructueux dès le départ.
D'abord, au niveau de la portière avant droite, je découvre et prélève ce
qui semble être une goutte de sang séché miraculeusement conservée
compte tenu de sa localisation. Encore convient-il de savoir s'il s'agit bien
de sang et, si oui, si celui-ci est d'origine animale ou humaine. Seule l'ana-
lyse ultérieure dans un laboratoire spécialisé en hématologie permettra de
trancher sur ce point.
Coincées dans la calandre, je trouve ensuite quelques fibres de laine
rouge. Bien sûr, elles ne prouvent rien et peuvent très bien provenir d'un
chiffon utilisé pour nettoyer la voiture. Mais mon métier est de collecter le
moindre indice potentiel, quitte à ce que l'analyse montre ensuite que ma
cueillette ne présentait pas le moindre intérêt.
Enfin, au niveau des grilles d'aération du capot et dans les articulations
des essuie-glaces, je découvre quelques cheveux. Bien entendu, toutes les
voitures piègent des cheveux, simples cheveux de passants anonymes captés
lorsqu'elles roulent, cheveux des propriétaires, des pompistes, des contrac-
tuelles, des garagistes. Mais ce qui est intéressant sur la Mercédès, c'est que
Le grain de sable, témoin du crime 0[
tous les cheveux semblent identiques: blancs et bouclés. En outre, ils sont
tous localisés du côté droit du véhicule.
C'est sous la voiture, coincé derrière un longeron, qu'au bout de trois
heures de travail je découvre ce qui constitue à coup sûr un véritable indice:
au bout de ma pince, je tiens trois cheveux blancs et frisés encore implantés
dans un minuscule morceau de peau enroulé sur lui-même comme un pâté
impérial, emprisonnant un fragment d'os carré d'un demi-millimètre de côté!
Comme le capot de la voiture porte des éclaboussures de boue, je décide
également d'en prélever quelques échantillons. Après tout, surabondance
d'échantillons n'a jamais nui: c'est leur insuffisance - ou leur absence -
qui peut être préjudiciable. Mais en aucun cas leur collecte, puisqu'on ne
saura qu'après leur examen en laboratoire si ils étaient utiles ou non.
Maintenant, il est temps de regagner le C.A.R.M.E.
Le délai qui s'écoule entre la réalisation des prélèvements et l'obtention
des résultats est toujours une épreuve pour celui qui a travaillé sur le terrain
(sa chasse a-t-elle été fructueuse ?), ainsi bien entendu que pour les enquê-
teurs et les magistrats.
Une semaine après mon exploration, j'ai sous les yeux la synthèse des
analyses:
- Selon le laboratoire d'hématologie, la goutte de sang trouvée sur la
portière est d'origine humaine;
- Les fibres de laine rouge portent également quelques minuscules traces
de sang, mais en quantité insuffisante pour qu'on puisse déterminer s'il est
d'origine animale ou humaine;
- Ce qui était emprisonné dans le lambeau de peau portant trois cheveux
est bien un fragment d'os;
- La boue prélevée sur le capot de la voiture ne correspond à aucun
échantillon local connu, mais les minuscules grains de sable qu'elle contient
pourraient provenir d'une région distante de plusieurs centaines de kilomè-
tres, dans l'est de la France.
Immédiatement informés, les gendarmes font le recensement de toutes
les victimes d'accidents découvertes sur les routes depuis trois mois. Parmi
elles, ils isolent un cas qui pourrait correspondre aux données que nous
possédons désormais: en janvier, à la sortie d'un petit village de l'Est, on
avait découvert un matin le corps d'un vagabond très certainement heurté
par un véhicule qui avait pris la fuite. L'homme portait un imperméable vert,
un pull de laine rouge et avait les cheveux blancs. A tout hasard, les
gendarmes locaux avaient pris l'initiative de conserver l'imperméable, qu'ils
avaient mis à l'abri dans un sac de plastique.
] 01 QUI A PE~ DE Loïc LE RIBAULT?

A la demande du juge, ce vêtement m'est envoyé aussitôt, ainsi que


quelques prélèvements de sol réalisés selon mes directives par les gendarmes
sur les lieux de découverte du cadavre.
Cette seconde série d'analyses démontre:
- Que les cheveux trouvés sur le col de l'imperméable sont identiques à
ceux que j'ai récoltés sur la Mercédès;
- Que des fibres de laine rouge identiques à celles prélevées sur la
Mercédès tapissent l'intérieur de l'imperméable;
- Que la boue récoltée à la sortie du village a exactement les mêmes
caractéristiques (composition chimique et éléments minéraux) que ceLLe
maculant le capot de la voiture;
- Que l'imperméable porte de nombreuses et infimes particules de pein-
ture en tous points similaire à celle de la Mercédès.
Je peux désormais conclure avec une certitude absolue que ce véhicule
est bien celui qui a heurté le vagabond découvert mort trois mois plus tôt
dans l'Est du pays.
Mais qui conduisait la voiture? Le propriétaire? L'ami à qui il prétendait
l'avoir prêtée? Et si oui, quel était cet ami dont le propriétaire refusait obsti-
nément de donner le nom?
A ces questions, les enquêteurs n'obtinrent jamais de réponse.
Il n'empêche que, dans ma mémoire, cette affaire reste sans doute un des
plus beaux exemples de ce que peut apporter la microanalyse pour aider à
résoudre une affaire criminelle.

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OPERATIONS DE SAUVETAGE

LI ARME SECRETE DE LA POLICE


Les performances et la renommée du C.A.R.M.E. deviennent vite si impor-
tantes que j'hérite bientôt de toutes les affaires criminelles françaises impor-
tantes. Il ne se passe guère une semaine sans qu'il soit fait mention du
C.A.R.M.E. dans les journaux, à la télévision ou la radio.
La police ne peut plus supporter cet affront perpétuel qui, chaque jour un
peu plus, souligne l'incompétence de la P.T.S.
Mais en 1985, malgré l'annonce du prétendu« plan de rénovation» de la
police scientifique, le ministère de l'Intérieur n'a toujours aucune idée pour
rajeunir celle-ci, à l'exception du plagiat pur et simple du C.A.R.M.E. Il lui
faut pourtant un «plus» original qui fasse enfin parler de ses laboratoires
dans la presse!
Ce «plus », ce sera tout simplement la nomination d'une femme à la tête
de la P. T.S. parisienne, arriviste impitoyable, très introduite dans les milieux
politiques tant de gauche que de droite 52 et dont, de notoriété publique, les
diplômes sur commande ont été obtenus grâce à des jurys d'examen de
complaisance. Elle est la démonstration vivante de ce que disait Frédéric
Pottecher: « n'importe qui peut devenir expert, il suffit d'être un peu
voyou 53 • »
Son nom?
Michèle Rudler54 •
Dès le jour de son entrée en fonction, elle fait la «une» des journaux, la
presse féminine en fabrique une vedette et les féministes une héroïne.
Personne ne se soucie de son absence totale de compétence; le ministère,
grâce à elle, a atteint son but: désormais, les médias parlent des laboratoires
et des techniciens de la police, présentés publiquement comme ayant atteint

52. Gauche et droite dont Les gouvernements, d'ailleurs, seront parfaitement unis dans Leur Lutte contre
Le C.A.R.M.E. dix ans durant ...
1;1
53. L'Evènement du jeudi, 30 août au 5 septembre 1990, page 42.
54. MichèLe RudLer, docteur en pharmacie, nommée directrice du Laboratoire de La préfecture de poLi-
ce (entre autres) en 1985. Elle dut quitter ses fonctions dix ans plus tard pour cause de muLtiples
infractions au code de procédure pénaLe et surtout pour enrichissement personnel dans le cadre de
ses fonctions publiques, selon un rapport de la Cour des Comptes.
le niveau du C.A.R.M.E. Les conséquences ne vont pas tarder à se faire sentir
à partir de 1988, où la P. l.5. lâche sur les scènes de crime ses l.5.C. 55 et la
gendarmerie ses T.I.C. 56 , copies bâclées des spécialistes de terrain qu'aupa-
ravant j'entraînais personnellement avec soin et passion. Ceux-ci, sans
formation, vont accumuler les négligences et les erreurs.
Dès 1989, le ministère de l'Intérieur envoie des émissaires dans tous les
palais de justice de France afin de placer sa nouvelle marchandise, avec un
message très clair: ne plus donner de travail au C.A.R.M.E. La plupart des
magistrats cèdent au chant des sirènes étatiques: la police sait se faire si
persuasive ...
A partir de cette époque, je commence donc à rencontrer sur le terrain des
l.5.C. et des T.I.c., car certains magistrats, qui ont compris le danger que
représentent ces malheureux dépourvus de formation, m'appellent parfois
pour contrôler leur travail ou réparer des gâchis évidents.

LE CADAVRE DE BEGLES
Un procureur bordelais a un jour une excellente idée: à la première affaire
difficile, il décide d'appeler d'abord les l.5.C. ou les T.I.c., puis, seulement
après, de faire appel au C.A.R.M.E.
Si, dans ces conditions, je trouve des indices oubliés, c'est bien la preuve
que le C.A.R.M.E. est le meilleur.
Informé de ce petit jeu, je sais pertinemment ne rien risquer et attends
avec impatience la première confrontation .
Elle se produit en janvier 1990.
A Bègles (près de Bordeaux), on vient de découvrir auprès du fleuve un
cadavre décomposé partiellement enterré.
Le procureur fait appel à l'Identité judiciaire de Bordeaux, qui s'empresse
de dépêcher sur les lieux le l.5.C. de service.
Celui-ci observe longuement les vestiges du corps, gratouille la terre sur
un mètre carré, puis déclare gravement:
«A première vue, je ne vois rien d'anormal. .. ça doit être une mort natu-
relle. Mais, pour plus de sûreté, j'assisterai moi-même à l'autopsie ... »
Le lendemain, le magistrat reçoit une double confirmation orale du légiste
et du l.5.C.: aucun doute, le cadavre est bien mort de mort naturelle. IL ne
présente aucune trace de violence apparente, et son état de décomposition
empêche toute investigation plus approfondie. IL y a juste un problème: les
mains et un pied du corps ont disparu, mais tout laisse supposer que ces

55. Techniciens de scènes de crime.


56. Techniciens d'identification criminelle.
Opérations de sauvetage c, 0[
accessoires ont été emportés par des renards, chiens ou autres bestioles. En
dépit d'une fouille minutieuse des vêtements, il a été impossible d'établir
l'identité de la victime, qui devient ainsi un «X» de plus.
Le lendemain, le magistrat saisit son téléphone et m'appelle.
Je n'attendais que cela.
Dans l'heure qui suit, je suis sur les lieux.
Le problème que me pose le procureur est simple: suis-je ou non capable
de découvrir sur le terrain des indices passés inaperçus du T.S.C. ?
«Oui, je le crois», dis-je. «J'en suis même certain ... »
Tout ce que je demande pour mener ma mission à bien, c'est un camion-
citerne. Le procureur me le promet, et rendez-vous est pris pour le lendemain
midi.
Quand j'arrive, les pompiers sont déjà là avec un vénérable et magnifique
G.M.C., authentique rescapé de la Seconde Guerre Mondiale, fabriqué en
1944. Il est rutilant, comme le sont toujours les véhicules de pompiers, mais
on sent que celui-là, ils l'aiment d'amour vrai:
«Vous vous rendez compte? », s'émerveille son chauffeur en caressant
l'aile de l'ancêtre, «Jamais une panne, il passe partout et c'est tout juste s'il
consomme cent litres aux cent!})
Puis le magistrat arrive, talonné par une voiture de police d'où émerge un
costume trois-pièces contenant le T.S.C. bordelais.
Le procureur fait les présentations.
«C'est vous qui avez fait les constatations sur le terrain? », demandé-je
au T.S.C.
«Parfaitement! », claironne ce dernier. «J'ai tout passé au peigne fin! Il
n'y a plus rien à sortir d'ici! »
«Oh, je n'en doute pas », dis-je, «mais vous savez ce que c'est: on n'est
jamais trop prudent! Allez, venez, nous allons examiner un peu le terrain ... »
Le procureur, le T.S.C. et moi sommes maintenant auprès du trou dans
lequel gisait le cadavre.
Bourré de concentration, l'œil fureteur et les lunettes luisantes, je scrute
les lieux. A côté de moi, je sens le T.S.C. un tantinet nerveux.
«Oh! », fais-je, en pointant l'index vers une branche brisée. «Là!
Regardez! »
«Quoi, là? », fait le 1S.C. «y a une branche ... »
« Oui, mais sous cette branche vous ne distinguez rien?»
«Ben non », avoue le T.S.C., suant d'angoisse.
«C'est bizarre ... Parce que moi, j'ai bien l'impression de distinguer des
os ... »
«Impossible! Y a pas d'os! Peut pas y avoir d'os! », proteste le spécia-
liste de terrain de la police en courant vers la branche qu'il soulève. Il reste
statufié, la branche à la mai n.
«Alors, qu'est-ce que vous voyez? », demandé-je, me rapprochant à pas
lents en compagnie du procureur.
«Ben ... des os ... », avoue le T.S.e., catastrophé.
«Vous voyez », dis-je au magistrat, «le travail a été salopé ... IL faut
absolument tamiser! »
Puis, m'adressant au poLicier, je me renseigne:
«Dites-moi, où donc avez-vous été formé?»
«Dans les services du Professeur Michèle Rudler ... », lance-t-il fièrement.
Je soupire:
«Oh, alors, je comprends tout!»
«Excusez-moi, mais j'ai un rendez-vous », dit le T.S.e., regagnant en hâte
sa voiture de fonction.
Trois heures durant, aidé par les pompiers et un de mes assistants, je
tamise le sol sableux tout autour de l'endroit où a été enterré le corps. Pour
cela, nous jetons sur le tamis des pelletées de terre que les pompiers arro-
sent abondamment avec un tuyau branché sur la citerne du G.M.C. Puis ce
qui reste dans le tamis est observé, et tout élément bizarre ou intéressant
soigneusement embaLLé dans des pochettes en plastique.
En fin de journée, nous avons récupéré:
- Des centaines de cheveux de la victime;
- Une bonne partie des os des deux mains et du pied;
- Des lambeaux de chemise;
- Des éléments provenant d'une cartouche à balle pour la chasse au
sanglier de calibre 10.
Ces derniers sont particulièrement importants, car il est peu courant d'uti-
liser des baLLes pour sanglier dans un endroit où ceux-ci n'existent pas.
D'autre part, le calibre 10 est très rarement utilisé en France.
Dès lors, il est permis de supposer que la victime ne soit pas morte de
façon tout à fait naturelle.
Pourtant, l'autopsie n'avait rien révélé d'anormal. ..
«Bon, puisque c'est comme ça, compte tenu de ce que vous venez de
découvrir, je vous missionne pour réexaminer le corps», décide le substitut.
«Et, bien entendu, pour effectuer toutes constatations et prélèvements
susceptibles de contribuer à la manifestation de la vérité ... La routine, quoi!
Allez, à demain matin, à la morgue.»
Opérations de sauvetage 0[
Le lendemain, l'inconnu supposé décédé de mort naturelle repose devant
nous sur une table nickelée.
l'odeur est épouvantable, mais le spectacle passionnant.
Car le cadavre, évidemment nu, est partiellement recouvert par son
pantalon, déposé sur lui après l'autopsie. Et, au premier coup d'œil, je me
rends compte que celui-ci présente un magnifique trou bien circulaire carac-
téristique d'un impact de balle.
Avec enthousiasme, je retourne le vêtement. De l'autre côté, je vois un
autre trou, non moins régulier, tout aussi circulaire, mais d'un diamètre plus
important: c'est l'orifice de sortie du projectile.
Ce cadavre défunt naturellement devient décidément très intéressant. ..
D'après la localisation des orifices, il semble évident que le projectile,
entré par la hanche droite, est ressorti par la gauche. Théoriquement, il doit
donc avoir touché le bassin.
Il suffit de vérifier.
J'écarte les restes de peau de l'abdomen, et une exploration rapide révèle
effectivement la présence d'un magnifique impact de projectile sur la gauche
du bassin ...
Devenu brusquement furieux, le procureur convoque le légiste. Qui, bien
évidemment, ne peut que confirmer mes observations. En s'étonnant, toute-
fois:
«Mais comment se fait-il que je n'aie rien vu? C'est bien la première fois
que ... »
«Comment il se fait, j'en sais rien! », tonne le procureur. «Quand à savoir
si c'est la première fois que vous ne constatez pas une évidence, eh bien
figurez-vous que je me pose la question! Et que cette question m'inquiète!
Et vous allez me faire le plaisir de réautopsier ce type-là! Et que ça saute! »
Puis il se jette sur le téléphone et convoque illico le T.S.C.
Il faut savoir avoir le triomphe modeste. D'ailleurs, j'essaie à chaque fois.
Tandis qu'agenouillés devant nous sur le carrelage de la morgue le T.S.C.
en costume trois-pièces et un de ses collègues s'affairent à sceller toutes mes
découvertes, y compris le pantalon et un fragment de bassin scié par le
légiste, je contemple sans animosité particulière les policiers en fumant une
cigarette en compagnie de mon assistant.
\
«Comme identité de la victime, qu'est-ce que j'inscris sur l'étiquette? »,
demande timidement le T.S.C.
EU]
«Ben "X", évidemment! », beugle le procureur.
«Comment ça, "X"? », fais-je, l'air étonné. «Puisqu'on connaît maintenant
son identité ... »
Jr
L QUI A PEUR] DE Loïc LE RIBAULT?

«Mais il n'avait aucun papier sur lui!}), gémit le T.S.C. en se relevant


comme un diable.
« Ben si ... Nous, on a trouvé sa carte d'identité en fouillant les poches du
pantalon! »
«Hein? Vous avez ... vous avez ... vous avez aussi ... », bafouille le poli-
cier vert d'horreur, au bord de l'apoplexie.
Faut quand même pas que je tue le malheureux, surtout que, là, je mens
énormément. Alors, avec un bel ensemble, mon assistant et moi nous
écrions:
«Poisson d'avril!})
Etrangement, le T.S.C. semble ne pas apprécier notre humour.

«OSCAR»
Une affaire très connue des milieux judiciaires dans laquelle le C.A.R.M.E.
ridiculisa une fois de plus les laboratoires de police est celle d' «Oscar ».
Ce surnom avait été donné à un cadavre non identifié découvert dans le
centre de la France, enterré et enveloppé dans une couverture de laine.
Le corps avait été confié au laboratoire de police de Paris, auquel le
magistrat instructeur avait donné pour mission de déterminer la date
approximative de l'inhumation et, plus généralement, de rechercher tous les
indices permettant d'aider à l'identification de la victime.
Quelques mois plus tard, le laboratoire rend ses conclusions: l'homme est
mort de sept coups violents portés à la tête, mais les «scientifiques}) de la
police ne peuvent en dire plus.
Etonné d'un tel mutisme cadavérique, le magistrat décide de saisir le
C.A.R.M.E.
Je dois attendre quelques semaines avant de recevoir le crâne de la
victime (seule partie du squelette conservée), qui a été perdu et est finale-
ment retrouvé enfoui dans un placard du laboratoire de Paris. Lorsque je
reçois l'objet, je suis stupéfait: le crâne est d'un blanc immaculé, propre
comme un sou neuf! Renseignements pris, les «spécialistes» de la police,
incommodés par l'odeur, l'ont bouilli avant d'entamer les analyses!
Autrement dit, j'ai très peu de chance de découvrir le moindre indice permet-
tant d'aider à son identification.
Plusieurs semaines de travail minutieux aboutiront pourtant aux conclu-
sions suivantes:
- «Oscar» a été enterré très exactement six mois avant sa découverte;
- Son crâne porte effectivement la trace de sept coups extrêmement
violents;
Opérations de sauvetage 0[
- Ceux-ci ont été portés à l'aide d'une pelle du type pelle pliante de
l'armée états-unienne;
- Celle-ci était de couleur bleu ciel;
- les faits n'ont pas eu lieu à l'endroit où le cadavre a été découvert, mais
à vingt kilomètres au sud-ouest de celui-ci;
- la couverture dans laquelle il était enveloppé a été fabriquée en
Belgique;
- l'homme était âgé de quarante-quatre ans;
- C'était un grand fumeur de cigarettes brunes;
- Il travaillait dans un profession liée au monde de l'automobile (il était
très probablement ferrailleur) ;
- Il habitait dans le sud-est de la France, en bordure de la Méditerranée.
Ainsi parla « Oscar» au C.A.R.M.E., «Oscar» pourtant resté muet dans le
laboratoire de police ...

FIONA JONES
l'après-midi du 14 août 1989, Fiona Jones, jeune anglaise de vingt-six
ans, quitte Elincourt pour rejoindre à bicyclette Compiègne, distante de dix-
huit kilomètres.
Elle n'y parviendra jamais.
Deux jours plus tard, la gendarmerie retrouve, à six kilomètres du point
de départ de Fiona, la carte magnétique qui lui permettait d'ouvrir sa
chambre d'hôteL. Puis sa montre et son collier. A proximité, ils relèvent des
traces de lutte et, à demi cachée dans les herbes, une chaussure.
Il s'agit d'un mocassin de marque Arcus, bicolore (vert et parme), de poin-
ture 44 et d'un prix d'environ 76 €.
Cette chaussure, neuve, semble avoir été très récemment déposée à l'en-
droit de sa découverte. Si c'était l'agresseur qui l'avait perdue?
Un autre indice va permettre aux enquêteurs de resserrer l'étau: dans
l'après-midi du 14 août, à l'endroit précis où les indices ont été découverts,
deux témoins ont vu démarrer en trombe une Volkswagen Golf blanche ancien
modèle. l'un d'eux assure même que la voiture était immatriculée dans l'Oise.
Mille cinq cents Golf sont alors contrôlées par les gendarmes dans la seule
région de Compiègne.
Quant à la chaussure, ils apprennent que ce modèle vert-parme a été mis
sur le marché en janvier 1989, et que deux cents paires seulement de poin-
ture 44 ont été vendues jusqu'en août.
Mais comment remonter jusqu'à l'acheteur?
~...JU1 r_ QUI A
_ ~ DE Loïc LE RIBAULT?

Il faudrait que cette chaussure parle ...


Elle est confiée au laboratoire de police de Paris, doté depuis deux ans
d'un M.E.B. et donc supposé pratiquer la microanalyse. Mais, fidèle à sa tradi-
tion séculaire, le Laboratoire s'avère incapable de découvrir le moindre indice
permettant d'aider Les enquêteurs. Ce qui est d'ailleurs d'autant moins éton-
nant que le premier soin des «spécialistes» de la poLice a été de ... laver la
chaussure, au risque de perdre des indices capitaux! Parce qu'elle était
saleS7 !
En désespoir de cause, les gendarmes récupèrent donc leur précieuse
chaussure et s'adressent au C.A.R.M.E., seul susceptible de réparer Les bévues
du L.I.P.S. et de découvrir éventuellement un indice utile.
Et effectivement, au C.A.R.M.E., l'exploration minutieuse de la chaussure
à la loupe binoculaire, au laser, aux ultra-violets, au M.E.B. et à la micro-
sonde va révéler sous la languette arrière 58 la présence d'un numéro de série
partieL qu'il est possible de déchiffrer en quelques jours.
La connaissance de celui-ci permet ensuite au fabricant de donner aux
gendarmes La liste des magasins de France où des chaussures de cette série
ont été distribuées.
C'est à Dieppe que les enquêteurs décrochent le gros lot: dans une
boutique, un habitant de l'Oise a acheté une paire d'Arcus vert-parme, poin-
ture 44. Il a payé avec une carte de crédit qui permet de découvrir qu'il
habite à Compiègne!
Renseignements pris sur l'acheteur, les gendarmes constatent qu'à
l'époque de son emplette, l'homme possédait une Golf blanche ancien
modèle ...
C'est ainsi que Frédéric Blancke, manipulateur radio de vingt-deux ans, est
arrêté le 13 novembre 1989.
Il avoue tout.
Le 14 août, il voit son amie qui se prétend maLade se promener dans La
rue au bras d'un autre. Désespéré, il prend sa voiture, quitte la ville et se
gare dans un chemin de terre. Là, accroupi dans l'herbe, il se met à pleurer.
C'est alors qu'arrive Fiona sur son vélo.
La vue de la première jeune femme venue le rend fou. Il se précipite sur
elle et lui serre le cou. Elle tombe. Il y a lutte et il l'assomme, puis l'aban-
donne à terre.
C'est en regagnant sa voiture qu'il se rend compte que, dans la bagarre, il
a perdu un de ses mocassins.-

57. On sait pourtant (du moins les vrais spécialistes savent) que plus un objet est sale, plus il porte d'in-
formations, donc plus il est susceptible de livrer des indices ...
58. Partie qui n'avait méme pas été explorée par le laboratoire de la police ...
Opérations de sauvetage JlJ [

Il rentre alors chez lui, enfile une autre paire de chaussures, boit un Coca
et saisit un couteau.
Quand il revient dans le chemin de terre, il trouve Fiona en larmes et se
dirige vers elle; elle lève le bras droit pour se protéger. IL la frappe alors de
son couteau et rabat les sièges de sa voiture où il enfourne le vélo et le corps
de sa victime.
Ensuite, il se met en quête de son mocassin perdu.
Soudain, un bruit se fait entendre: un tracteur approche.
Affolé, Blancke monte dans sa voiture et s'enfuit à toute allure. C'est en
faisant irruption sur la route départementale 142 qu'il est remarqué à cet
instant par des témoins.
Ensuite, il se débarrasse du vélo en le jetant dans un canal, puis va cacher
le corps de Fiona dans la forêt.
Enfin, tranquillement, il rentre chez lui ...

IL ETAIT UNE FOIS DES T.I.e .....


On a découvert quinze jours auparavant le cadavre atrocement mutilé
d'une jeune fille tuée avec ce qui semble être une pierre.
Les gendarmes ont apporté ses vêtements et des prélèvements réalisés
lors de l'autopsie, afin que j'y recherche des indices permettant d'aider à
identifier le meurtrier. L'agression a été d'une rare sauvagerie, puisque deux
dents manquaient à la victime. Mais celle-ci s'est probablement défendue,
puisque deux ongles ont été arrachés.
La gendarmerie affirme que ses T.I.e. ont fouillé millimètre par millimètre
les lieux du crime. Mais en ce cas, où sont passés les dents et les ongles? Ils
pourraient être fort utiles, puisque, dans les prélèvements réalisés lors de
l'autopsie sous les ongles restants, j'ai découvert des fibres de laine n'appar-
tenant pas à la victime, et donc provenant sans doute des vêtements de
l'agresseur. IL doit y en avoir davantage sur ceux qui ont été arrachés, et je
suis certain qu'ils sont restés sur les lieux du crime.
Le juge d'instruction me charge donc d'aller sur place pour refaire le
travail des T.I.e.
J'ai demandé l'assistance d'une vingtaine de gendarmes auxiliaires qui, sur
mes instructions, balisent une vaste zone au centre de laquelle se trouve l'en-
droit de découverte du corps. Puis je fais quadriller cette zone en morceaux
d'un mètre de côté délimités par des ficelles. Quand tout est fini, chaque
auxiliaire reçoit un seau, un tamis et une truelle, et se voit affecter une série
de carrés.
~ D! QUI A PEU~ DE Loïc LE RIBAULT?

Je leur ai expliqué comment faire: prélever la terre sur une dizaine de


centimètres, la tamiser, recueillir tous les objets suspects ou intéressants et
les déposer à l'endroit précis où ils se trouvaient en les signalant de façon
très visible avec une branchette.
Ils se mettent au travail avec enthousiasme sous la direction des T.I.C.,
inquiets de ce que je vais découvrir.
Ils ont raison: trois heures plus tard, l'opération a permis de retrouver
non seulement les deux ongles et les dents (qui sont en fait au nombre de
trois: le légiste avait fait une légère erreur ... ), mais aussi les boutons
manquants aux vêtements de la victime, un bouton ne lui appartenant pas,
un fragment de fermeture à glissière, des cheveux de la victime, des cheveux
de l'agresseur ... et l'arme du crime, qui est effectivement une pierre.
Sans rien dire, les T.I.C. mettent l'ensemble sous scellés.

LE T.S.C. HARGNEUX
«Je ne comprends vraiment pas pourquoi on vous a fait venir! », grogne
le T.S.C. de l'identité judiciaire de Périgueux. «Tout le travail a déjà été fait,
ici ! »
D'un doigt, il désigne sur les murs quatre traces circulaires criblées d'im-
pacts, preuves indubitables de quatre coups tirés par une arme à feu avec des
cartouches de chasse.
«Et voilà quatre étuis vides », poursuit-il, toujours furieux en désignant
les objets qu'il a trouvés et introduits dans des sacs de plastique transparent.
«Eh oui, je comprends! Mais que voulez-vous, quand un juge m'appelle,
j'arrive. Alors, je vais faire un petit tour dans la maison.»
«Mais c'est ici, dans cette pièce, que ça s'est passé! Pas ailleurs! Et
d'ailleurs, j'ai jeté un œil dans toutes les pièces, y a rien d'anormal!»
«Oh, je n'en doute pas, mais il faut bien que je justifie mes honoraires,
n'est-ce pas?»
En compagnie d'un magistrat qui est en stage au C.A.R.M.E., je passe donc
dans la pièce voisine, où l'armoire exhibe la trace d'un magnifique cinquième
coup de feu.
Je suis mort de rire.
J'appelle le T.S.c.:
« Eh! Venez voir! J'en ai trouvé un autre!»
Il déboule comme un taureau furieux, croyant à une plaisanterie et stoppe
net, ahuri, devant les preuves de son incompétence.
«Vous ne direz rien au juge, hein? », souffle-t-il.
Opérations de sauvetage nr
UL

«Mais non, ne vous inquiétez pas. IL n'y a pLus qu'à retrouver La cinquième
cartouche ... »
«Mais iL n'y a pas de cinquième cartouche! J'ai fouillé part... euh,
enfin ... presque partout ... »
«Même dans La poubelle?»
«Bon Dieu! La poubelLe! Je n'y ai pas pensé! »
ElLe était bien dans la poubeLLe.

CRISE D'IDENTITE
«C'est Là qu'on a trouvé Le cadavre», dit l'inspecteur de Mérignac
(Gironde).
C'est une toute petite maison, habitée par un céLibataire qui y recevait
souvent des marginaux pour passer Le temps et la soLitude devant quelques
bouteilles de vin.
Le poLicier poursuit:
«Comme vous pouvez Le constater, une bonne partie de La maison a brûLé,
notamment La pièce où était le corps. L'autopsie a montré qu'il portait de
nombreuses bLessures, sans doute des coups de couteau. On dirait qu'iL a été
torturé. Le probLème, c'est qu'on ne sait pas qui c'est. On ne retrouve pas Le
propriétaire de La maison, c'est peut-être lui La victime ... Mais le corps est
carbonisé, il n'est pas reconnaissabLe. Il y tout de même queLque chose d'in-
téressant: à L'autopsie, on a constaté qu'il portait une doubLe prothèse de la
hanche. Mais on ne sait pas si c'était le cas du propriétaire ... IL ne fréquen-
tait aucun de ses voisins. Le T.S.C. de L'identité judiciaire a fouillé avant
qu'on enLève Le corps, mais il n'a rien trouvé qui puisse nous aider ... C'est
pour ça que Le juge vous a fait appeLer.»
«Bon, eh bien je vais commencer par regarder un peu partout.»
L'expérience m'ayant montré que Les poubelles et le haut des armoires
étaient souvent riches en gibier d'analyses, mais n'ayant pu découvrir aucune
poubeLLe, je me rabats sur L'unique armoire de la maisonnette.
D'où je reviens, deux minutes pLus tard, avec une grande enveloppe conte-
nant Les radios récentes d'une double prothèse de La hanche réaLisées sur un
monsieur dont Le nom -est celui du propriétaire de La maison ...
CRAMEZ LE C.A.R.M.E !
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1
L_._ (-------------i 1
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L. _ _ ._______ -.J
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n ~!

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I. -W---- 'LL':]
! L-
CJ

LE LIVRE NOIR DES 1

«FLICS EN BLANC» L. ___________J

Pour m'éliminer, tous les moyens (y compris et surtout les plus déloyaux)
vont être utilisés. Le but à atteindre sera le même, mais les approches diffé-
rentes.
Il y eut la politique des flics et, bien sûr, la célèbre tac-tac-tac-tactique
des gendarmes.

LA POLITIQUE DES FLICS


LE C.A.R.M.E., VITRINE DE LA POLICE
Tout en préparant mon élimination, le ministère de l'Intérieur a besoin de
moi.
En 1985 et 1986, il ne manque donc pas une occasion de m'appeler au
secours sans la moindre pudeur.

C'est le cas par exemple le 26 septembre 1985, quand le S.CU.P.59,


affolé, me contacte. Suite à l'annonce de Joxe concernant son plan de moder-
nisation de la P.T.S., cet organisme a reçu pour mission de présenter à toutes
les polices du monde les fleurons scientifiques mis au point par le ministère
français de l'Intérieur. Or, en cette saison, et depuis des lustres, il n'en
pousse guère. dans les parages de la place Beauvau 60 •••
Le seul véritable laboratoire de police scientifique français, c'est le
CA.R.M.E., et le problème c'est que le directeur général de la police du
Brésil, Romeo Tuma, vient admirer les réalisations annoncées par Joxe dans
son fameux plan.
Or, il n'y a pas de rénovation.
Aucune réalisation.

59. Service de Coopération Technique International de la Police. Etrange organisme mi-étatique et mi-privé
qui permet au ministère de L'Intérieur de faire du commerce d'exportations de toutes sortes dans Le monde
entier.
60. Siège du ministère de L'Intérieur.
JLl~"L-_
QUI _ _ ' DE Loïc LE RIBAULT?
A PEUR

Le désert scientifique, le néant technique, l'absence de crédits et la grève


des cerveaux.
Que faire?
Car le ministère, on le comprend, a honte de présenter ses officines
pompeusement baptisées «laboratoires» à un personnage aussi important.
Le S.C.T.I.P. a donc trouvé la solution: faire visiter le C.A.R.M.E. à Tuma,
avec mon accord, mais en présentant toutefois celui-ci (ça, on ne me l'a pas
dit. .. ) comme le laboratoire de police scientifique de pointe ... du ministère
de l'Intérieur!
C'est ainsi que, pendant une journée entière, Tuma peut s'extasier longue-
ment sur les prouesses techniques extraordinaires de la police française
soudainement rénovée ...
Cette visite sera suivie de beaucoup d'autres, et j'aurai en deux ans l'oc-
casion d'accueillir nombre de ministres, d'ambassadeurs et de policiers de
haut grade d'une bonne dizaine de pays61, participant ainsi involontairement
à l'escroquerie intellectuelle de la «Bande à Joxe» puis de la «Bande à
Pasqua».
En novembre 1986, l'Institut International de Police organise à Paris un
séminaire destiné aux responsables des services d'ordre du monde entier. Une
trentaine de ministres, directeurs, secrétaires d'Etat, généraux et autres
huiles doivent assister à cette manifestation organisée à grand bruit (et à
grands frais). Malheureusement, malgré leur rénovation annoncée, les labo-
ratoires de la police technique et scientifique française n'ont toujours rien à
présenter de décent dans une réunion de ce niveau. Pire: les directeurs des
laboratoires de la police n'ont pas la moindre idée du plus petit commence-
ment d'amorce d'une ébauche de conférence un tantinet originale... La
honte!
Alors, une fois de plus, on fait appel à moi pour faire à ces importants
invités de l'Etat français une conférence sur la microanalyse qui, comme
d'habitude, remporte un franc succès.
Puis, tandis que ces messieurs s'en vont au Lido aux frais de la princesse,
je regagne ma lointaine province, avec en poche une belle médaille en fer
blanc offerte par Charles Pasqua, successeur de Joxe.
Ce que j'ignore, c'est qu'avant mon arrivée et après mon départ, le
C.A.R.M.L, cette fois encore, a été présenté comme ... le centre de recher-
ches de la police!

61. Arabie Saoudite, Belgique, Espagne, Inde, Indonésie, Maroc, Mexique, Monaco, etc.
Le livre noir des «flics en blanc» 0[
OU IL EST DEMONTRE QU1EN FRANCE LE RIDICULE NE
TUE PAS LA PO LICE
Alors que, depuis la dernière guerre, la police scientifique avait totale-
ment déserté la scène médiatique, rien qu'entre 1983 et 1987 mes travaux en
criminalistique font l'objet de centaines d'articles de presse6 2, tant en
France qu'en Belgique, Hollande, Grande-Bretagne, Brésil, Suisse, Japon,
Espagne, etc. Et ce n'est qu'en 1986 qu'on commence à voir apparaître
quelques déclarations des responsables de la P.T.S. française, muets depuis
quarante-trois ans.
Car, malgré le lancement en 1985 du fameux PLan de rénovation de La
poLice technique et scientifique, les L.I.P.S. ne sont toujours pas équipés de
M.E.B. A cette époque, il est donc de bon ton de critiquer systématiquement
La microanalyse et les techniques du C.A.R.M.E.
Par contre, en 1987, les premiers appareils arrivent dans les laboratoires
d'Etat pour qui, du coup, La microanalyse et ses applications deviennent La
vitrine.
La démonstration de cette volte-face unique dans l'histoire des sciences
et des techniques, preuve absolue de malhonnêteté intellectuelle, est fournie
par la comparaison de ces quelques extraits de documents et de déclarations
officiels émanant du ministère de l'Intérieur:
Sur la micro analyse :
- 1986: La microanalyse n'est «pas fiabLe, et d'ailleurs La police a aban-
donné cette technique depuis dix ans ».
- 1987: «La microanalyse est L'arme absolue contre le crime parfait».
Sur l'exoscopie:
-1986: «L'exoscopie n'est d'aucune utiLité en criminalistique».
- 1987: «Grâce au M.E.8., on peut déterminer la provenance d'un grain de
sable».
Sur l'analyse des cheveux:
- 1986: «Le M.E.B. ne permet pas d'identifier les cheveux».
- 1987: «Grâce au M.E.B., on peut désormais identifier Les cheveux».
Sur l'étude des résidus de tir:
- 1986: «Le M.E.B., inadapté pour l'étude des résidus de tir, n'est pas utili-
sable en balistique ».
- 1987: «Le M. E. B., qui permet d'identifier Les résidus de tir, constitue l'ins-
trument idéal en balistique ».

62. Voir La rubrique «coupures de presse» sur www.Loic-Le-ribauLt.ch.


] 01QUI A PEUR } DE Loïc LE RIBAULT?

Sur l'étude des pollens et des fibres:


- 1986: «L'étude des pollens au M.E.B. peutfaire condamner des innocents ;
en outre, cet appareil ne permet pas de différender les fibres des tiSSUS».
- 1987: «Le M.E.B. est irremplaçable pour la détermination des poLLens et
des fibres».
Sur les tamponnoirs:
- 1986: «L'utilisation des tamponnoirs conduit à de graves n'sques d'erreur
à cause de l'adhésif doublejace dont ils sont recouverts».
- 1987: La police technique et scientifique se met à faire fabriquer à la
chaîne des tamponnoirs et les diffuse à tous les S.R.P.J. Identiques au
millième de millimètre près à ceux que j'ai inventés, ils sont toutefois rebap-
tisés «embouts synthétiques coLLés sur des disques»63, «kits de résidus de
tir »64, «matériel de repérage de particules »65, «petits pochoirs »66 ou
même ... «adhésif spédal pour les examens au microscope électronique à
balayage et en microanalyse X » (ouf! )67.

ANECDOTES ET FAUSSES INNOVATIONS DE LA POLICE


A l'époque, les responsables de la police technique et scientifique n'ont
évidemment aucune expérience de la microanalyse, et donc aucune anecdote
à raconter aux journalistes. Alors, ils ont une brillante idée: reprendre tout
simplement à leur compte quelques-unes de mes déclarations. A cet égard,
l'étude comparative des articles de presse entre 1986 et 1987 ne manque pas
de saveur.
ANECDOTES:
- Le Point, 18 août 1986 - Le Ribault: «Avec lui (le M.E.B.), un grain de
sable grossi 10 000 fois obtient un diamètre apparent de 12 mètres. »
- Le Figaro Magazine, 16 mai 1987 - Rudler: «Avec cet appareil (le
M.E.B.), un grain de sable grossi 10 000 fois prend un diamètre de 12 mètres.»
- Le Point, 18 août 1986 - «On est face au cadavre d'un truand avec un
trou dans la tête. Et, près du cadavre, un pistolet. ( ... ) On a également un
suspect, armé lui aussi d'un pistolet (. .. ). Loie Le Ribault entre en scène. Il
prélève quelques miLLimètres carrés de matière cervicale et y retrouve d'infimes
particules métalliques laissées par la balle. La microsonde rend son verdict:
nickel. ( .. .) L'arme du suspect (. . .) tire des balles de plomb. L'homme est mis
hors de cause. »
63 . Revue de la Police Tchnique et Scientifique, n02, juin 1987.
64. Document interne de La poLice, 1989.
65. RudLer, dans une interview à France soir.
66. Panorama du Médecin, 26 avriL 1990.
67. J.-L. CLément, Sciences Légales et Police Scientifique, Editions Masson, Paris, 1987.
Le livre noir des «flics en blanc}) 0[
- France Soir, 23 octobre 1987 - Genthial68 : «Un exemple. Un cadavre.
Une balle a traversé la tête, mais le projectile est introuvable. Dans la main du
mort, une arme à feu. Mais, à proximité, un suspect également armé. Les
enquêteurs prélèvent un peu de matière cervicale et y relèvent d'infimes parti-
cules métalliques. Elles sont si minuscule que seul un microscope à balayage
identifie finalement du nickel. Le suspect est innocenté, car les balles de son
arme sont en plomb. Il s'agit donc d'un suicide. Classique. »
Le problème du choix des anecdotes se posera également au sujet de la
protection des indices, dont la police se soucie enfin à la fin de l'année
1987; les responsables de la P.T.S. sont à ce point dépourvus d'exemples
qu'ils en sont réduits à se les voler entre eux:
Rudler: «On m'amène encore des couteaux qui ont été manipulés par tout
le monde et où on retrouve 200 empreintes69.»
Genthial, un mois plus tard: « On m'amène encore des couteaux manipulés
par tout le monde, sur lesquels on retrouve 200 empreintes70• »
N'empêche que, pour trouver 200 empreintes sur un couteau, celui-ci doit
avoir plusieurs mètres de long .. ,
LE MANUEL DE TERRAIN:
- 24 novembre 1987, salon MiLipol à Paris - Je présente et diffuse offi-
ciellement (notamment à la presse) le Manuel de Terrain que je viens de
publier. Il remporte un franc succès.
- Ça M'intéresse, février 1988 - Rudler: «Mes services rédigent actuelle-
ment un Manuel de Terrain71.»
LE LASER DE TERRAIN:
- Ouest France, 13 janvier 1988 - Le journal publie un très long article
consacré au C.A.R.M.E. dans lequel, pour la première fois, apparaît en photo
le laser de terrain que nous utilisons depuis 1986. Sur le cliché, on me voit
manipulant l'appareil, les yeux protégés par des « lunettes spéciales».
- Le Point, 14 novembre 1988 - La police annonce qu'elle « met au
point1z » un laser de terrain révolutionnaire. Seul inconvénient: l'utilisateur
sera obligé de porter des «lunettes spéciales ».

68. Responsable de la sous-direction à la police technique et scientifique, devenu plus tard directeur cen-
tral de la police judiciaire.
69. Le Journal du Dimanche, 20 septembre 1987.
70. France Soir, 23 octobre 1987.
71. Qui doit ètre particulièrement soigné, puisqu'il n'est toujours pas publié en juin 2005 ...
72. En fait, loin de mettre au point un laser révolutionnaire, le ministère de I1ntérieur achètera tout sim-
pLement aux Etats-Unis une série de lasers de terrain pour en équiper tous Les S.R.P.J. (coût: environ
300 000 €). Ceux-ci, malheureusement, ne seront JAMAIS UTILISES, faute de formation des enquèteurs
et surtout à cause de leur ignorance des formules secrètes des révélateurs que j'avais mis au point. Merci
encore, généreux contribuabLes français ...
JO 1 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?

COMMENT LA POLICE INVENTA LA MACHINE A REMONTER


LE TEMPS
Un des domaines où la police technique et scientifique fut sans doute la
plus ridicule est celui de la création des fameux Techniciens de Scènes de
Crime (les T.S.C.), qui n'avaient d'autre objet que de copier, une fois de plus,
les techniques que j'avais mises au point pour ne pas polluer le terrain et
collecter les indices.
Or, la concrétisation de ce simple plagiat dura des années.
Qu'on en juge.
Juin 1987: La Revue de la Police Technique et Scientifique annonce la
création des T.S.c. dès l'année suivante.
Trois mois s'écoulent, jusqu'à ce que Genthial confirme l'information,
«une manière comme une autre », constate objectivement le journaliste, «de
contrer les spécialistes du C.A.R.M.E. »73
Il faut encore quatre mois pour que Rudler74 proclame son vif désir de
former des T.S. C. « Comme au Canada »75.
Un mois plus tard, le ministère de l'Intérieur affirme que La formation des
T.S. C. est «la priorité des priorités »76.
Ce que, sept mois après, Rudler confirme en déclarant sa volonté de
former des T.S. C. 77
A peine deux mois s'écoulent avant que Joxe en personne ne prenne une
décision capitale en décidant de former quarante à cinquante T.S.c. par an 78 •
Ses services font alors preuve d'une exceptionnelle efficacité, car dès le
lendemain, Le Journal du Dimanche79 nous apprend que le ministère de
l'Intérieur a déjà 30 T.S. C. opérationnels sur le terrai n !
Hélas, une semaine après, les journalistes du Poinf!3° doivent faire un
triste constat: les T.S.c. n'existent pas encore: on commence tout juste à les
former.
Pourtant, le jour suivant, Le Quotidien du Médecin B1 en voit UN, et décrit
ainsi le fabuleux animal: «Armé de sa mallette, Le policier préLève sur Le Lieu

73. Le journal du Dimanche, 20 septembre 1987.


74. Sdences & Nature, janvier 1988.
75. Mais surtout pas comme le C.A.R.M.E.
76 .ça M'interresse, février 1988.
77. Famille Chrétienne, 1er septembre 1988.
78. Libération, 5 novembre 1988.
79. 6 novembre 1988.
80. 14 novembre 1988.
81. 15 novembre 1988.
Le livre noir des «flics en blanc» 00[
du crime tout ce qu'il peut trouver: morceaux de tissu, terre, cheveux, afin de
les analyser au microscope électronique ».
Et la preuve qu'ils existent, ces mythiques T.S.C, c'est que quinze jours
plus tard, L'Evènement du Jeudi82 réussit à en photographier un! Ce qui est
dommage, bien sûr, c'est que ce remarquable cliché représente le véhicule de
terrain du CA.R.M.E. avec un de mes ingénieurs83 au travail...
Trois mois à peine s'écouLent avant que Femme Actuelle84 ne constate à
son tour La réaLité des T.S.C et en publie une photographie. l'ennui, c'est
que, cette fois, c'est moi-même en pLein travail qui figure sur ce remarquabLe
cliché.
Une année entière passera encore avant que la création officielle des
T.S.C ne soit annoncée dans Le Panorama du Médecin 85•
la police a donc mis cinq ans pour copier très exactement ce que j'avais
mis au point tout seuL. Un esprit mesquin pourrait déduire de ce constat que
le ministère de L'Intérieur est dans L'incapacité intellectuelle absoLue d'in-
nover quoi que ce soit.
Ce serait injuste, car dix-huit mois pLus tard encore, dans Tribunal
MagazineB6 , Olivier FoLL87 explique froidement que le secret de la réussite
d'une affaire criminelle repose sur la quaLité des prélèvements réalisés sur le
terrain par Les T.S.C, «formés depuis maintenant six ans par ses services».
Autrement dit, depuis 1985.
Compte tenu des preuves écrites citées plus haut, le Lecteur est donc
obligé de déduire que la poLice française, en 1991, a réalisé la pLus fabuleuse
invention du siècle: la machine à remonter le temps!

LES PRESSIONS SUR LES MAGISTRATS


LA PETITE INCONNUE DE L'Al0
Le 11 août 1987, dans un fossé au bord de l'autoroute A10, près de Blois,
on découvre le cadavre atrocement mutilé d'une petite fiLle de trois ou quatre
ans. Elle est morte des suites de nombreux coups, et porte des morsures
humaines sur tout le corps et le visage.

82. 24-30 novembre 1988.


83. Robert Gatelier.
84. 20-26 mars 1988.
85. 26 avril 1990.
Br
86. Août 1991.
87. Successeur de Genthial à la tête de la sous-direction de la P.T.S. Révoqué en 1996 parce qu'il n'avait
même pas les qualifications requises pour être simple officier de police judiciaire ...
]0
1 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT ?

Pour tenter d'identifier la victime, les gendarmes diffusent un portrait-


robot dessiné, car l'enfant est défigurée au point que la publication de sa
photographie ne peut être envisagée. Mais ce portrait, dessiné de façon
maladroite, est de très mauvaise qualité.
Je décide alors d'utiliser pour la première fois un procédé de traitement
d'images informatisé88 , grâce auquel il est possible de reconstituer les parties
manquantes ou déformées du visage et de «gommer» les traces de sang.
J'adresse immédiatement au procureur de Blois un exemplaire de cette
première photographie en couleurs, sur laquelle la petite fille est présentée
les yeux fermés.
Très intéressé, le magistrat me demande d'essayer de réaliser d'autres
clichés, mais montrant cette fois l'enfant avec les yeux ouverts. En outre,
comme il est très mécontent du travail effectué par le laboratoire de police
de Paris 89 , il dessaisit celui-ci au profit du C.A.R.M.E. et me requiert le
9 septembre 1987, avec la mission suivante:
- Aller à la morgue pour prélever sur le corps toute empreinte, tout
indice, trace ou autres éléments (dents, notamment) « de nature à déterminer
l'origine géographique de la victime ou susceptibles d'aider à son identification
ou à l'identification de tout témoin utile à l'enquête, et d'examiner et analyser
ces prélèvements en vue d'identifier cette victime et tout témoin utile à l'en-
quête» ;
- Prélever de la terre et des fragments végétaux sur les lieux de la décou-
verte du corps;
- Rechercher et analyser toutes particules pouvant se trouver encore sur
les vêtements de la victime, après que les gendarmes aient récupéré ceux-ci
au laboratoire de police9o •
Je me rends donc à la morgue en compagnie de deux de mes employés,
Jean-Marie Grafeille, chargé de photographier les différentes phases des
prélèvements, et Robert Gatelier, auquel mon ami dentiste Philippe Rogier a
appris pour la circonstance à réaliser des moulages dentaires. Pendant qu'il
travaille, je soulève les paupières de l'enfant pour connaître la couleur de ses
yeux: ils sont marron.
Nous emmenons ensuite le corps à l'hôpital pour y effectuer un panora-
mique dentaire qui permettra de déterminer l'âge de la victime. C'est une

88. Travail effectué grâce au matériel de la société Phograco de la Teste, mis à ma disposition par son
président Daniel Lafond .
.89. Michèle Rudler s'étant notamment avérée incapable d'indiquer le groupe sanguin de la victime ...
90. Cette récupération s'effectua dans une ambiance assez orageuse, d'autant que les gendarmes
avaient découvert que les pièces à conviction - et notamment les vêtements - étaient tout simple-
ment posés sans protection ... sur le sol du laboratoire de police!
Le livre noir des «flics en blanc» 0[
séance si pénible qu'une des infirmières présentes ne pourra y assister
jusqu'au bout.
De retour au laboratoire, je fais ensuite photographier les yeux de quatre
employés 91 dont la teinte est identique à celle des yeux de l'enfant.
Ces regards sont alors «greffés» sur le visage de la victime, ce qui me
donne quatre portraits étonnamment différents. Quel peut bien être celui qui
rend le mieux l'expression qu'avait la petite fille de son vivant?
En recevant ces clichés, le procureur décide donc avec sagesse d'utiliser
seulement le premier de la série, celui où l'enfant avait les yeux fermés. C'est
lui qui sera diffusé (en noir et blanc ... ) dans toute la France avec, au dos,
une fiche signalétique rédigée par la gendarmerie et qui comporte une
énorme erreur: il y est indiqué que la victime avait les yeux noirs! Comme
d'habitude,la gendarmerie n'a pas pu s'empêcher de commettre une bourde.
Malgré cela, le procureur fait reproduire le cliché sous forme d'une affiche
tirée à 125 000 exemplaires, placardés dans toutes les gendarmeries, dans
des édifices publics et 17 000 bureaux de poste.
Immédiatement, le ministère de l'Intérieur réagit dans Le Parisien du
15 septembre. Pour me féliciter de cette «première» technique? Du tout; le
communiqué précise que «La direction de la police scientifique de Paris a fait
savoir qu'eLLe n'avait pas du tout apprécié la décision du Parquet de Blois de
demander à un laboratoire privé de Bordeaux de reconstituer par ordinateur un
portrait-robot de la fiLLette» !
Ce qui prouve combien en France la justice est indépendante ... Mais cela
ne suffit pas. IL faut prouver que la pauvre police, elle aussi, a du matériel.
Et du bon.
C'est le commissaire Loiez qui est envoyé au charbon. Dans Le JournaL du
Dimanche du 20 septembre 1987, il gémit lamentablement: «Nous aussi,
nous aurions pu faire ce travail. Si bien sûr on nous L'avait demandé 92 ».
Insensible à cette détresse, le procureur me charge de poursuivre ma
mission.
Car on ignore tout de la malheureuse: D'où vient-eLLe? Qui est-elle? Et qui
sont ses parents?
Ce dernier point est capital. Car les multiples morsures observées sur le
corps de l'enfant sont non seulement d'origine humaine, mais plus ou moins
anciennes. Ce détail horrible prouve que, depuis des mois et peut-être même

91. Ludovic Fehrenbach, Linda Di Maggio et Jean-Marie Grafeille. Je me souviens plus de mon quatrième
«modèle».
92. Les responsables de la police dite scientifique en profitent d'ailleurs pour annoncer leur dernière
invention: le Vidéographe à Lecture Laser (le «II.LL»), qui permet de faire le même travail que celui que
vient de rêaliser le C.A.R.M.E. Dix-huit ans plus tard, personnne n'a encore vu cet appareil rêvolutionnai-
re. Et pour cause: il n'a jamais existé ...
~ n ~~ EUR DE Loïc LE RIBAULT?

depuis sa naissance, la malheureuse était régulièrement mordue. Et une telle


barbarie répétitive ne peut évidemment avoir été commise que par un
proche, peut-être même un des parents de la fillette.
La microanalyse permettra d'obtenir un certain nombre d'informations sur
le nombre de ses proches, sur l'environnement dans lequel ils vivaient, Leurs
habitudes. Quant aux grains de sable et à certains débris de matière pLas-
tique orange, ils permettront de déterminer que la robe de chambre de la
victime (et donc sans doute elle-même et sa famille) avaient juste avant le
crime séjourné dans une carrière située à environ quarante kilomètres de l'en-
droit où son corps avait été découvert, très exactement à Marchenoir.
Mais la piste s'arrête là.
Malgré les moyens considérables mis en œuvre et l'acharnement des
magistrats chargés du dossier, la petite fille et ses parents sont toujours
inconnus en 2004.
Quant à moi, j'ai poursuivi l'étude de certains échantillons jusqu'en 1993,
gLanant quelques autres indices, mais contraint de stopper définitivement
mes travaux après l'élimination programmée de mon laboratoire.
GREGORY
Il est évidemment inutile de rappeler cette affaire ultra médiatisée après
la découverte dans la Vologne du corps du petit Grégory Villemin.
Après la désastreuse prestation du juge Lambert, c'est un magistrat de
grande qualité qui prend le relais: Le juge Simon.
Celui-ci me reçoit dans son bureau au cours de l'été 1987.
A cette occasion, je peux observer les pièces à conviction, et j'ai la
surprise de constater notamment que les vêtements de l'enfant, pourtant
soigneusement protégés dans du plastique transparent, n'ont même pas été
déballés ni, par conséquent, analysés. Quant à la fameuse «Lettre du
Corbeau» du 16 octobre 1984, je la retrouve dans un carton, à l'air libre,
froissée, sans aucune protection!
Or, ces scellés, ainsi que beaucoup d'autres, peuvent encore raconter plein
de choses.
Ainsi, sur les vêtements, peut-on rechercher des particules à comparer par
exemple avec celles présentes sur des sièges de voitures, des cheveux à
comparer avec ceux de suspects - morts ou vivants -, des fibres textiles
étrangères éventuelles provenant des vêtements de l'assassin, etc.
Sur les chaussures de L'enfant, il est encore possible de rechercher des
particules de sol et des grains de sable révélant l'endroit exact où il a marché
pour la dernière fois.
Le livre noir des «flics en blanc» ~ 0
On peut aussi rechercher des traces d'insuline sur le pull et le pantalon,
des fragments de peau et des fibres sur l'ampoule d'insuline découverte sur
les Lieux.
Les cordeLettes peuvent révéler les caractéristiques de l'endroit où elles
étaient stockées.
L'analyse de l'eau contenue dans les poumons de la victime - prélevée
pendant l'autopsie - peuvent indiquer l'endroit où l'enfant a été noyé.
Et puis ... et puis ... et puis tant de choses encore!
(es scellés silencieux, il suffit tout simplement de les faire parler, ils ne
demandent que ça.
Aussitôt, le juge Simon rédige de sa main quatre ordonnances de commis-
sion d'expert à mon intention. (Fig. 41 à 43)
] r QUI A PEUR] DE Loïc LE RIBAULT?

.-
---'-':-----'---------~
1 1 -i-'
......L '_ _'_ '
Fig. 43: Affaire GREGORY. Projet d'ordonnance n03 (anaLyse de La fameuse
«Lettre du corbeau») du juge Simon.
Le livre noir des « flics en blanc» i 0[
Celles-ci portent sur l'analyse des vêtements de Grégory, la recherche des
itinéraires suivis par l'enfant, l'examen de la «lettre du corbeau» par analyse
d'images, la recherche de la provenance des cordelettes et la détermination
de l'endroit d'immersion de la victime.
J'attends plusieurs mois Les ordonnances définitives, qui ne me parvien-
dront jamais.
Tout simplement parce que, informés de la décision du juge, le ministère
de l'Intérieur et la D.G.G.N. intervinrent (séparément, mais simultanément)
auprès du Parquet pour que le magistrat ne saisisse le C.A.R.M.E. sous aucun
prétexte.
Il devenait dès lors impossible de résoudre l'affaire, car compte tenu des
affrontements ayant opposé la police et la gendarmerie tout au long de l'en-
quête, il était évident que des expertises confiées à la police auraient donné
raison à la thèse policière, et des analyses soumises à la gendarmerie
conforté la thèse gendarmique ...
La preuve?
En 2005, l'exploration des scellés permettrait probablement encore de
résoudre l'énigme. Mais ils ne sont toujours pas ouverts ... et ne le seront
jamais!

LA TAC-TAC-TAC-TACTIQUE DES GENDARMES


LES CISEAUX GENDARMIQUES (Figures 44 à 48)
Première phase:
Le 2 décembre 1985, je publie le fameux rapport de synthèse intitulé
MicroanaLyse et criminalistique, qui est immédiatement diffusé dans toutes
les gendarmeries de France par la Section de recherches de Bordeaux.
Cet ouvrage, le premier en son genre (et d'ailleurs encore le seul vingt ans
plus tard ... ) comporte 131 pages, 101 photographies et 22 figures.
Deuxième phase:
Au début de 1987, l'adjudant Roland Méthais me demande de préparer un
texte pour publication dans des revues de gendarmerie. J'accepte et rédige
un document de 23 pages comportant 20 photographies, 3 figures et 5 exem-
ples de cas concrets.
Roland Méthais publie ce texte dans la PLaquette Commémorative du 74 e
Congrès de La Fédération Nationale des Retraités de La Gendarmerie.
En tête de cet article, il établit avec beaucoup d'honnêteté un «état des
ElU
lieux» de la police technique et scientifique en France à l'époque, rend
hommage à mon travail, et témoigne des premiers stages que j'ai organisés
(gratuitement) à L'intention de la gendarmerie. Il conclut par un constat qui
..J Jl QU": A pEuR DE Lo ïc LE RIBAULT?

s'avérera prophétique quatre ans plus tard: «Ces nouvelles méthodes d'inves-
tigation offrent à la France la possibilité de réduire le retard accumulé dans le
domaine de la police technique et scientifique. » Et lance aussi une idée qui,
hélas, fera rapidement son chemin:« La gendarmerie a là une excellente carte
à jouer, c'est une occasion à saisir et cela paraît répondre à son souci actuel. »
Même les cerveaux engourdis de la Direction générale de la gendarmerie
vont comprendre ce message venu de la base.
Troisième phase:
Six mois plus tard, en octobre 1987, mon texte réapparait dans la Revue
d'études et d'informations de la gendarmerie nationale.
Mais il a subi de bien étranges modifications.
Tout d'abord, dans cette revue, il est d'usage que les auteurs signent leur
article. Ce qui n'est étrangement pas le cas pour celui du n° 153 consacré à
la microanalyse. C'est même le seul qui ne soit pas signé. Ni par moi, ni par
Roland Méthais. Pourtant, il n'y a pas de doute: c'est bien mon texte.
Mais sa lecture attentive révèle de très surprenantes modifications par
rapport à l'original.
On constate notamment les censures suivantes (car c'est bien de cela qu'il
s'agit) :
- Toute la première partie rédigée par Roland Méthais, sans doute jugée
trop élogieuse à mon égard, a disparu;

b
-- La région géO;raPhiqUe. - la rfgioa siognIphique.

r Il convient notamment de citer


tude des grains de sable au mi-
D coavient de citer t'étude des
sr.aim de sable. au aücoscope électro-
croscope électronique, qui consti- nique.. qui constitue une méthode
tue une méthode d'analyse d'analyse spéciisque. l'EXOSCOPIE.
Criœ a œUe-d, il est possible de
spécifique, l'exoscopie. Grâce à
détemùner individuellement la nature
celle-ci, mise au point par L. Le Ri-
et la chronologie des événements
bault en 1971, il est possible de dé- _œqueIs chaque pain étudié • êtf
terminer individuellement la nature 1OUJDi. (érosion, transport, chac.
et la chronologie des événements d~t~}d~de~
auxquels chaque grain étudié a été l'eJl\i.ronnemeDt à chaque étape de
soumis (érosion, transport, choc, ceu. histoire.
dissolution, etc.) et donc de retra-
cer l'environnement à chaque
étape de cette histoire.
)
Fig. 44: a) Mon texte de 1985. Le passage censuré par la gendarmerie en 1987 est surLigné en gris.
b) Mon texte «revu» par Les censeurs de La gendarmerie en octobre 1987 : L'inventeur de
L'exoscopie est purement et simpLement gommé!
Le livre noir des «flics en blanc» 0L-
- La disparition des mots «aux autopsies» dans la phrase «étude de micro-
particules, support aux autopsies». Ce passage devient ainsi privé de toute
signification;
- La phrase «dans ce domaine, tout un secteur d'activité du C.A.R.M.E. est
déjà en place» devient «dans ce domaine, tout un secteur d'activité existe»;
mais où existe-t-iL donc?
- Ma méthode d'identification des objets de valeur n'est désormais pLus
brevetée, elle non plus, et les-dits objets ne sont pLus marqués «par nos
soins» ;
- La gendarmerie se permet même de gommer tout simplement le nom de
L'inventeur de l'exoscopie!
(~--- - -a-
b
I - L'identification des objets,
grâce à une méthode (brevetée)
qui, sans altérer les supports, per-
met de reconnaitre tout objet mar-
qué par nos soins de façon
indélébile et invisible à l'œil nu.
L'utilisation d'un tel procédé de-
vrait permettre de limiter les vols
ou en tout cas la vente d'objets
volés, et faciliter l'attribution de
ceux-ci à leurs propriétaires légiti-
rnes lors de leur découverte chez
des recéleurs ou pendant des ven-

U tes.
Fig. 45: a) Mon texte de 1985. Le passages censurés par la gendarmerie en 1987 est surlignés en gris.
b) Mon texte «revu» par les censeurs de la gendarmerie en octobre 1987.
r-
a b
4_ œUVRES D'ART ET:OBJETS DE 4° ŒUVRES D'ART ET
COLLECTION: DE COLLECTION.
Dans ce domaine, tout un secteur Dans ce domaine. tout un secteur
d'a,c tlvité du C.A.R.M.e. est déjà en d'actÎ\;té existe:
place au service des experts et des '"'""" LA nlimi$mati~ ~t rorfèuretW
collectionneurs. Les mêmes activi-
tés peuvent directement s'étendre
au service du système judiciaire et
concernent en particulier : 1 ~I
- La numismatique et l'orfèvre-
_
Fig. 46: a) Mon texte de 1985. Le passage censuré par la gendarmerie en 1987 est surligné en gris.
J
b) Mon texte «revu» par Les censeurs de la gendarmerie en octobre 1987.
~:J ~IA--;wRJ DE Lo ï c LE RIBAU LT ?

r
a
:m
1

sant de façon très importante les tant. de façon importante les 1


échantillons; fcbantillons :
- par conséquent, d'augmenter - par conséquent. d'augmenter le
le potentiel de tous les secteurs de potentiel de tous les leCteurs de 1a
la criminalistique: balistique, am~­ erimiDaDstfque: baJildque. uaIyst dl
lyse de documents, étude de micro-
particules, support aux autopsies.
doc:umeftu. ftude de mioopartfc:uIes 1

etc.
_ _~J

Fig. 47: a) Mon texte de 1985. Le passage censuré par la gendarmerie en 1987 est surligné en gris.
b) Mon texte «revu» par Les censeurs de la gendarmerie en octobre 1987.

a
- dans l'étui: permet de vérifier
b
- dtuU 1étui; pelllld de Wrir_
1
que la pollution de l'étui est bfën que la pollution d. l'&ui est bim due
due (ou non) au tir d'une balle du (ou 110ft) au tU d.'"une balle du mime
même type que celle impliquée
type que ceDe impJiquêe da.. aa 1
dans un meurtre.
meurtre.
Afin de faciliter la recherche n0-
tamment des résidus de tir (sur les
mains et/ou les vêtements d'un ~ MtTALWRGlE...
suspect ou d'une victime), le
C.A.R.M.E. a mis au point un petit Dans le dGmaiM de la criminalta-
appareil baptisé" tamponnoir .. (fi-
gure 1), composé d'un support d'a-
luminium recouvert d'adhésif
double-fac9. Il suffit de promener le
tamponnoir SUT la surface à étudier
pour collecter ainsi en quelques
secondes un échantillonnage des
particules présentes, puis d'intro-
duire le tamponnoir (spécialement
conçu pour cela) dans le M.E.B. ;
quelques minutes plus tard, l'ob-
servation directe et l'analyse des
particules éventuellement présen-
tes permet de donner les premiers
résultats. Ce procédé a déjà été uti-
lisé à de nombreuses reprises, no-
tamment dans le cadre de
procédures de flagrant délit ou la
rapidité des réponses revêt un inté-
rêtcapital.

3. MÉTALLURGIE:
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ ,1

Fig. 48: a) Mon texte de 1985. Le passage censuré par la gendarmerie en 1987 est encadré en gris.
b) Mon texte «revu» par Les censeurs de La gendarmerie en octobre 1987.

Quatrième phase:
I~ Tout tranquillement, mon texte poursuit son chemin, loin de mes yeux.
Jusqu'au 24 décembre 1990, où j'achète un livre intitulé Gendarmerie -
Unités spécialisées d'un certain Gilbert Picard (éditions Hermé, 1990). Au fil
des pages, je vais découvrir dans cet opuscule commandité par la gendar-
merie des perles d'un rare orient; je vais ainsi apprendre:
Le livre noir des «flics en bla ne» 0[
- Que le c. P. P.J. «est aussi un laboratoire où l'on met au point de nouvelles
méthodes d'investigations. (. .. ) Les gendarmes du CP.P.J. qui ont créé cette
méthode sont partis d'un principe très ancien (sic), mais très simple (sic). (... )
Ces théories ont été échaffaudées par le professeur Locart93 responsable du
laboratoire de police scientifique de Lyon. Elles ont été repn'ses (sic) par le
professeur Leribaud (sic) responsable du CA.R.M.E. à la Teste, près de
Bordeaux. Le CP. P.J. a affiné ces idées (sic) et surtout considérablement
amélioré les techniques de travail (sic»).
Il y a ainsi parfois dans la vie d'un chercheur des moments où les mots
manquent pour traduire le dégoût; c'est le cas lors de la découverte d'une
trahison, d'un mensonge, d'une contre-vérité soigneusement bâtie, cons-
truite par des médiocres pour s'attribuer les mérites des découvertes d'autrui.
Mais, après tout, avant que la direction générale de la gendarmerie, ne tire
la couverture à elle, il faut bien reconnaître que ma naïveté avait tissé celle-
ci et paré le lit du viol ...
C'est entre les pages 288 à 296 que le pillage devient encore plus
flagrant: en effet, le chapitre Microanalyse s'avère tout simplement être mon
fameux texte de 1987 remis à Roland Méthais et émasculé comme on l'a vu
en octobre 1987.
Le plagiat est d'ailleurs à ce point servile qu'on y retrouve même la bavure
de ciseaux (ou devrais-je dire de photocopie) qui prive une phrase de tout
sens.
Enfin, puisque tout bijou mérite un écrin, ce chapitre est illustré par un
cliché qui, à lui seul, est un aveu: au-dessus de la légende «pour relever les
indices, les gendarmes "se déguisent" en chirurgiens », on voit sur une photo-
graphie deux prétendus spécialistes de terrain revêtus de la tenue que je leur
ai appris à utiliser à côté desquels trône la fameuse valise «P.P.M.» du
C.A.R.M.E. (Fig. 49) Or, cette valise est extraite du lot des quinze exemplaires
offerts par moi au c.P.P.J. de --=os;;;;:-- --
Fontainebleau le 12 février
1987 à 12 h 30! A l'époque, la
direction générale de la
gendarmerie prétendait ne pas
avoir les moyens d'assumer
cette somptueuse dépense. Le
colonel Marchal, accompagné
du gendarme Libert, s'était
déplacé en personne au
C.A.R.M.E. pour prendre
livraison du cadeau. C'est
Fig. 49: Pour relever les indices, les gendarmes «se dégui-
beau, la reconnaissance ... sent» en chirurgiens. Photo n030 dans le livre de Gilbert
Picard (1990, éditions Hermé).
--- - -- --
93. Avec un «t» final au lieu d'un «d»
] 0E~ DE Loïc LE RIBAULT?

Dans son prologue, Gilbert PICARD avait précisé: «Je n'ai pas ( ... ) hésité
à inclure de Larges extraits de cours mis à ma disposition. Il m'a sembLé inutiLe
de réécrire ou d'interpréter des textes parfaitement clairs et précis. C'est notam-
ment Le cas pour différents éLéments du chapitre relatif au Centre de perfec-
tionnement de La police judiciaire ».
D'ailleurs, dans les remerciements qui figurent à la fin de l'ouvrage, on
trouve effectivement les noms du lieutenant-colonel Bedou, commandant le
c.P.P.J., ainsi que celui du chef d'escadron Masselin.
Ces messieurs ont sans doute oublié que, trois ans durant, je suis venu
(gratuitement, cela va sans dire), faire toutes les six semaines une confé-
rence à leurs stagiaires à Fontainebleau?
Se souviennent-ils même de m'avoir, imprudemment peut-être, remercié
par écrit en 1988 sur la page de garde d'une plaquette de présentation de cet
organisme quasi inconnu, le jour où ils m'offraient une fort jolie médaille
(Figures 50 et 51)? L'avers de celle-ci porte la mention «Gendarmerie
- Recherches criminelles» et elle ne fut tirée, paraît-il, qu'à 80 exemplaires.

Il .,,'.:eArfaQu(.T'"
~4 eo-~;':'-" A. ü<--ç,
"!fl-f
.,,-f· ...

Fig. 51: la médaiUe décernée à


l'auteur par la direction du c.P.P.J.
de Fontainebleau.

"A M.le Professeur Le Ribault, avec nos remerciements pour


l'enseignement dispensé aux stagiaires du CPPJ de Fontainebleau"
(Lt Colonel Bedou)

"Vive la Police Scientifique, base légale de toutes les enquêtes


ct source de tous les succès" (Cd! Massclin)

"A M. Le Ribault, le coopérant pour la vérité" (Adjt-Chef Joly)

"Au CARME, avec mes remerciements" (illisible)

"Avec mon meilleur souvenir, un grand bonjour à toute


l'équipe du CARME" (Claude Gentil)

Fig. 50: Hommages des instructeurs du c.P.P.J. et de la gendar-


merie de Fontainebleau (1987).
Le Livre noir des «flics en bLanc» 0[
L'ARRET DE MORT
Deux ans plus tôt, en vérité, ta D.G.G.N. avait dévoilé ses batteries par la
bouche d'un nommé CLaude Divay94:
« ( ... ) La coLLaboration du C.A.R.M.E., aussi déterminante soit-elle, n'est
pas bénévole. ( ... ) La gendarmerie a depuis longtemps réfléchi 95 et décidé
d'avoir un laboratoire semblable 96 exploité par du personnel Gendarmerie.
( ... ) Les missions dont on a doté la Gendarmerie ne doivent être exécutées que
par eLLe. Le Gouvernement doit lui en donner les moyens».
CLaude Divay a au moins un mérite: il est on ne peut plus clair, c'est une
sangsue qui suce à ventouses découvertes; le C.A.R.M.E., dont l'aide a été
capitale, doit désormais être évincé sans ménagements au profit d'un labo-
ratoire gendarmesque strictement identique! La gendarmerie, incapable d'in-
nover quoi que ce soit mais désormais formée par mes soins, pourra alors
faire effectuer par des gendarmes, et exclusivement des gendarmes, les
missions confiées à la gendarmerie ...
En avril 1988, la D.G.G.N. a donc signé mon arrêt de mort, et demande
même officiellement l'aide du gouvernement pour cette sale besogne.

L'ALLIANCE POLICE-GENDARMERIE
A la fin de 1988, pour la première fois, la gendarmerie s'allie officielle-
ment avec la police pour lutter contre moi.
C'est à l'occasion du Premier Salon de la Police et des Enquêtes
Scientifiques, qui se tient à Lille du 4 au 13 novembre.
Informé (par hasard) de cette manifestation, j'adresse le 22 août à Jack
Zimmermann, directeur de la foire, une lettre dans laquelle je lui demande un
dossier d'inscription afin d'obtenir un stand pour le C.A.R.M.E.
Le 2 septembre, je reçois la réponse suivante:
« ( .. .) J'ai le regret de vous faire savoir qu'en accord avec le ministère de
l'Intérieur et le Préfet de Police de Lille, ce salon ne comportera aucune parti-
cipation à caractère commercial, et nous ne pouvons, par conséquent, répondre
favorablement à votre requête. ( ... )>>
Ce coup bas ne passe pas inaperçu de la presse, qui s'en étonne: « (. .. )
Le CARME de Lore Le Ribault ( ... ) est le grand absent de la Foire de Lille.
OfficieLLement, le CARME n'a pas voulu investir 97 dans un stand. En fait, il

94. t:Essor de la gendarmerie, avriL 1988


95. ça ne s'invente pas ...
Bli
96. Autrement dit, La D.G.G.N. a beaucoup réfléchi pour faire pareiL que moi...
97. Sic! Ce mensonge fut officiellement diffusé à la presse (évidemment sans mon consentement) par
Zimmermann sur ordre du ministère de l'Intérieur.
]0[ QUI --;: PEURI DE LOÏ ï LE RIBAULT?

sembLerait qu'iL n'ait pas été invité. Les gendarmes de Lille Lui auraient proposé
d'exposer ses recherches sous Leurs couleurs, mais leur direction aurait
refusé 98. »
A la Foire de liLLe, il n'y eut donc pas de Guerre des Polices, mais alliance
entre la gendarmerie et la police pour abattre un ennemi commun coupable
d'indépendance.
D'ailleurs, les articles de presse prouvent que le C.A.R.M.E. ne pouvait pas
participer à cette manifestation ridicule. Pour une raison toute simple: Pas
plus la police que la gendarmerie n'avait la moindre innovation à exposer.
Rien. Le désert. Sauf, bien sûr ... la microanalyse et les techniques du
C.A.R.M.E., les valises P.P.M.99, les tamponnoirs, la théorie du gel des lieux,
celle des prélèvements conservatoires, la tenue des techniciens de terrain, le
laser de terrain, etc.
Oh, bien sûr, il y eut quelques bavures, telles que ceLLe de la publication
du cliché montrant le véhicule d'intervention du C.A.R.M.E. présenté comme
appartenant à la police nationale. Mais, dans l'ensemble, ce fut une mani-
festation assez réussie.
Et puis, objectivement, c'est vrai qu'il y eut innovation: comme décor de
scène de crime, la gendarmerie avait choisi un escalier, tandis que la police,
eLLe, avait préféré une chambre à coucher ...

LES CHAROGNARDS
En avril 1989, j'avais créé à Plouvorn (Finistère) une annexe du C.A.R.M.E.
appelée C.A.R.M.E.-Bretagne, équipée d'un M.E.B. tout neuf et dont le rôle
était de traiter les affaires régionales. Le laboratoire marchait très bien, à la
grande satisfaction des enquêteurs et des magistrats bretons.
Quelques jours après la publication de l'article de France Soir relatant mes
résultats obtenus dans l'étude des documents de la célèbre affaire Seznec, je
suis convoqué par le procureur de Morlaix; il me demande des explications
sur mes conclusions, me montre le dossier de l'affaire, exhibe les expertises
de l'époque et m'assure qu'elles sont inattaquables.
J'en prends bonne note, bien résolu à n'en tenir aucun compte et à pour-
suivre comme je l'entends mes travaux sur cette affaire.
Dans les semaines qui suivent cette entrevue, le nombre des affaires
confiées à C.A.R.M.E.-Bretagne se met à décliner de façon vertigineuse.
~ Bientôt, il n'yen a plus une seule.

98. Ce qui est parfaitement exact. Du fond du cœur, je remercie ici les gendarmes de liLLe. Mais leur
D.G.G.N., tremblante de trouille, ne voulut tout simplement pas créer d'incident avec ses nouveaux amis
du ministère de l'intérieur.
99. Nombreuses preuves photographiques publiées dans la presse.
Le Livre noir des «flics en bLanc» no [
Hasard?
Ou preuve que, soixante-dix ans après les faits, l'affaire Seznec dérange
encore la justice française?
C.A.R.N.E-Bretagne, privé de travail, ferme ses portes au printemps 1991.
Lors de la création du laboratoire, je m'étais porté caution personnelle des
investissements100 pour un montant total de 215 000 €.
Quand il ferma ses portes, je me trouvai dans l'impossibilité de régler
cette somme, d'autant que les 215000 €, avec les frais, les intérêts et
toutes ces sortes de choses, étaient devenus 260 000 €.
La société de liesing propriétaire du matériel mit donc la totalité de celui-
ci aux enchères.
Oh, pas des enchères publiques. Des enchères feutrées, discrètes, très
discrètes, confidentielles, si confidentielles même que seule ... la gendar-
merie se porta acquéreur!
Tout mon matériel fut ainsi acquis par la D.G.G.N. pour la somme de
34000 €!
C'est ainsi que naquit le fameux I.R.e.G.N. (Institut de Recherches
Criminelles de la Gendarmerie Nationale): grâce aux dépouilles du C.A.R.M.E.
Ce comportement est sans doute à l'origine de l'abréviation dont la
gendarmerie a affublé ses spécialistes de terrain, les T.I.e. : par analogie avec
les tiques, dangereux parasites qui vivent et prospèrent en pompant le sang
de leur hôte ...

LA MORT DU C.A.R.M.E.
ORAISONS FUNEBRES
Suite aux pressions de toutes natures exercées par le ministère de
l'Intérieur et la D.G.G.N. sur les magistrats et à la lâcheté de ceux-ci, le
C.AR.M.E. est condamné à mort dès 1990, à moins d'y injecter des capitaux
dont je ne dispose pas pour renouveler tout le matériel et développer les
nouvelles recherches que j'ai en tête.
Je cède donc la présidence du laboratoire à un financier supposé appli-
quer ce programme de sauvetage. Mais le premier soin du nouveau Président-
Directeur général est de me flanquer à la porte puis, une semaine après sa
prise de fonction, de s'enfuir à l'étranger en laissant purement et simplement
mourir le laboratoire. Au point qu'il est permis de se demander s'il ne remplit

100. Un M.E.B .• un mêtalliseur. un microanalysateur-X. un microscope optique haut de gamme, une loupe
binoculaire, etc.
ï n 1 1
QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?

pas une mission secrète en échange de l'annuLation des poursuites entre-


prises contre Lui par les services fiscaux: tuer Le C.A.R.M.E.
Parallèlement, les interventions de la police et de la gendarmerie se font
de plus en plus nombreuses auprès des magistrats pour qu'aucun travail ne
soit plus confié au laboratoire.
Celui-ci, finalement, ne peut plus vivre et doit fermer ses portes.
Comme le financier a subitement disparu à l'étranger, c'est à moi que
revient l'épreuve terrible de gérer la destruction du laboratoire que j'avais
construit, et dans lequel je n'occupe plus aucune fonction.
L'agonie du C.A.R.M.E. durera un an.
Il ferme ses portes au début septembre 1991, après dix ans de gloire.
La disparition du C.A.R.M.E. fait beaucoup de bruit dans la presse.
Certaines des oraisons funèbres qu'elle suscite prouvent que les journalistes
ont compris les raisons de son assassinat, et me réchauffent un peu le cœur.
« La police scientifique a perdu un allié de taille, hier, avec la mise en liqui-
dation judiciaire du CARME ( ... ). Cette décision (. . .) met fin à une belle aven-
ture scientifique et technique commencée en septembre 1991. ( ... ) Le CARME
a redonné droit de cité à l'investigation policière à caractère scientifique 101 • »
«Véritable pionnier de la police scientifique moderne, ce laboratoire de
microscopie électronique risque de disparaftre après dix ans de gloire; ( ... ) le
père de la police scientifique moderne a perdu la guerre des labos 102. »
«En prononçant La liquidation judiciaire du CARME ( ... ), le tribunal de
commerce de Bordeaux a condamné à mort le laboratoire de police scientifique
le plus célèbre de France. ( ... ) Sa liquidation marque la fin d'une époque103 • »
«Pour les juges d'instruction et Les procureurs, c'est la référence absolue.
Pour les services de police, c'est L'expert qui dérange, le fouille-merde qui agace.
Bref, c'est l'homme à abattre. Son élimination se fera en douceur sur plusieurs
années. Alors que Le Ribault enseigne son savoir-faire aux fonctionnaires de
LTntérieur, sournoisement, ses inventions sont détournées et récupérées par les
policiers qu~l a lui-même formés. Le CARME ( .. .) doit déposer son bilan 104• »
«Loïc Le Ribault, 45 ans, est le plus célèbre criminologue privé en exercice
sur le territoire français. ( .. .) Aujourd'hui, les techniques qu'il a mises au
point sont récupérées en toute impunité par les labos de police et utilisées très
approximativement105• »

101. «Sud Ouest», 5 septembre 1991.


102. «Le Parisien », 5 septembre 1991.
103. «Détective», 12 septembre 1991.
104. «l:Echo des Savanes », 1991.
105. «Interview», septembre 1992.
Le livre noir des «flics en blanc» 0C

«( ... ) Le CARME vient de fermer, victime de la concurrence de la police


nationale. On n'oubliera pourtant jamais ce laboratoire privé et son mythique
fondateur, Lo1"c Le Ribault: c'est grâce au CARME qu'en France La science s'est
imposée à L'enquête policière106• )}
«On a ( .. .) aidé à sa faillite. Ce "complot" n'a certainement pas donné lieu
à un pLan d'ensemble, avec un grand ordonnateur, un machiavélique tireur de
ficelles coordonnant ses troupes et insufflant dans l'ombre sa voLonté de nuire.
Ce fut simplement une mise à mort sans responsable identifiable, sinon le
contexte économique. A peine soufflera-t-on que, dans certaines affaires, "on" a
mis sur le dos du CARME des erreurs que le laboratoire n'a pu commettre 107 .»

LES eLES DANS LA FORÊT


Le 3 septembre 1991, la mort dans l'âme, j'écoute au tribunal de
commerce de Bordeaux le verdict condamnant le C.A.R.M.E. à mort.
C'est la fin d'une belle aventure.
Mais aussi l'acquittement prononcé en faveur de la police, de la gendar-
merie et de la magistrature françaises, principales responsables de cet assas-
sinat.
Je viens .seulement de comprendre que ces institutions corrompues
n'avaient qu'un objectif: puisque j'avais redonné ses lettres de noblesse à la
police scientifique, leur seul objectif était -- dès le début! -- de s'attribuer
toutes mes découvertes, profiter du renom du C.A.R.M.E., le tuer, puis se
parer de ses lauriers. Le C.A.R.M.E. disparu et son fondateur oublié, il serait
ensuite facile de ramener les expertises au sérail qu'elles n'auraient jamais dû
quitter: l'Etat.
Le soir même, je pénètre seul dans mon laboratoire.
Il y règne un silence sépulcral.
Même le ronronnement des microscopes, ininterrompu depuis dix ans,
s'est tu.
Défi nitivement.
Et je fais ma dernière tournée d'inspection.
J'ouvre un à un Les bureaux, visite encore une fois chaque salle où gisent,
endormis, tous les appareils.
------------ -------------------------------------------
106. «NewLook», mai 1993.
107. «les traces du Crime», par Loïc Chauveau (éditions CaLmann - Lévy, Paris, avriL 1993). t:auteur m'a
fait L'honneur de m'adresser un exemplaire de son livre avec la dédicace suivante: «A Loïc Le Ribault, as
ès traces du crime. Vous êtes bien Le rénovateur de La police scientifique en France et j'espère que cet
ouvrage vous rend honnêtement justice. Avec mes respects les plus sincères».
] J~I A p ~UR I DE Loïc LE RIBAULT?

Aux archives s'entassent des milliers de dossiers, témoins d'un travail


acharné au service d'une justice injuste et de vingt années de recherches en
tous domaines.
Je sais que, le lendemain, une entreprise spécialisée viendra enlever et
brûler tout ce qui sera déposé au centre de chaque pièce.
Alors, à pleines brassées, je saisis les précieux dossiers. Personne ne
mérite d'en hériter.
Et je les jette en plein milieu de la grande salle de réunion.
Le lendemain, tous disparaîtront en fumée dans l'usine d'incinération.
Il n'en restera pas une feuille.
Pas une photo.
Puis, mon travail de fossoyeur accompli, je branche une dernière fois
l'alarme qui désormais ne garde plus rien, ferme définitivement la grande
porte d'entrée et jette les clés dans la forêt toute proche.
Que la police, la gendarmerie, la magistrature et les politiciens gardent
pour eux les innombrables squelettes qui encombrent leurs placards.
Moi, je suis libre.

HOMMAGES
Finalement, en dix années sacrifiées au service d'une justice qui ne le
méritait pas, ce sont un assassin, un truand et un perceur de coffres qui
m'ont rendu les plus beaux hommages.
Le premier est en garde à vue dans un commissariat, muet comme une
carpe. Tandis que je pose devant lui ma valise « P.P.M. », l'homme jette un œil
sur le logo du LA.R.M.E. dont elle est frappée puis, désabusé, dit aux poli-
ciers:
« Si c'est le LA.R.M.E. qui arrive, pas la peine de se fatiguer, les gars;
j'avoue! »

C'est à Marseille que je rencontre le second en mai 1991.


Je dois faire une conférence à l'Ecole du Journalisme et, la veille, un
article me concernant est paru dans le journal Le Soir avec ma photographie
en première page.
Comme je suis seul vers midi, j'en profite pour visiter cette ville que je ne
JE] connais pas.
Au fil des ruelles, l'estomac se creuse. Il est temps de déjeuner.
Voilà un restaurant comme je les aime, pas le style cadre dynamique-
attaché-case. Non, un qui flaire bon la cuisine familiale et qui, en grosses
lettres, affiche un des rares mots qui me fasse saliver: Bouillabaisse!
Le livre noir des « flics en blanc» 0[
La salle est frakhe et entièrement vide. Pas un client.
Je m'assieds et le patron - ou celui qui semble l'être - vient prendre
ma commande et me demande si je souhaite prendre l'apéritif avant d'être
servi; je commande un pastis, il me regarde d'un drôle d'air, va passer ma
commande dans la cuisine, consulte le journal, sert mon pastis, me le porte
puis donne un long coup de téléphone à voix basse.
Dix minutes plus tard entrent deux jeunes individus qui se placent de part
et d'autre de la porte, livrant passage à un homme d'âge mûr, vêtu d'un
costume blanc, d'une chemise noire, portant une cravate beige et un chapeau.
L'homme s'approche de ma table:
«Bonjour», me dit-il avec un accent de cinéma, «c'est la première fois
que vous venez à Marseille?»
«Eh oui ... »
« Et la première fois, c'est chez moi! Parce qu'ici, c'est chez moi ... Té, ça
s'arrose! »
Il se tourne vers le bar:
«Amédée! Deux pastis! »
Puis il se penche vers moi:
«Vous permettez qu'on trinque ensemble?»
«Mais avec plaisir ... Faites comme chez vous! »
L'homme éclate de rire, s'assied et tire Le Soir de sa poche, tandis
qu'Amédée nous sert les pastis.
«C'est bien vous, là, en photo, dans le journal?»
«Oui ... »
«Donc, c'est bien vous qui avez révolutionné la police scientifique en
France? »
«Tout à fait ... »
« Et vous avez traité plus de mille affaires criminelles?»
«Hé oui!»
«Avec, qu'ils disent, 94% de réussite, hmmm?»
«Wôôôf, vous savez ... »
Visiblement, l'homme est impressionné. Il se trourne vers ses deux porte-
flingue:
«Vous avez entendu? C'est bien lui ... »
«Oui », disent les deux charmants jeunes hommes devenus brusquement EIl
très attentifs, dont chacun tient sa main droite - allez savoir pourquoi, avec
la température qu'il fait - glissée à l'intérieur de son veston.
Puis l'homme se penche vers moi et, me serrant le bras, laisse tomber:
] 0: QUI A P ~ DE Loïc LE RIBAULT?

«Té ... Tu nous en a fait, du mal, petit! ... »


Il réfléchit, puis laisse tomber:
«Et maintenant tu fais un procès aux flics, c'est vrai?»
«Ben oui ... »
«C'est courageux, ça ... Parce qu'ils t'ont baisé, pas vrai?»
« Exactement! »
«M'étonne pas! », soupire l'homme. «Mais un professeur de flics qui fait
un procès aux flics, c'est pas tous les jours qu'on en voit! ... A mon avis, tu
te prépares des jours difficiles ... Tiens, je t'offre la bouillabaisse! Dis-moi ... »
« Oui? »
« Tous les trucs, là, pour retrouver les indices sur les lieux d'un crime, c'est
bien toi qui les a inventés? Les poussières, les sables, toutes les saloperies
qu'on laisse derrière soi quand on passe quelque part?»
« Exactement. »
« Et, forcément, tu sais aussi ce qu'il faut faire pour les effacer, ces
indices? Ou pour pas en laisser?»
« Evidemment ... »
«Je vois ... Je vois ... Et tu fais des conférences, ils le disent dans le
canard ... »
«Souvent. »
« Alors, dis-moi, tu viendrais, si je t'invite pour causer à un petit groupe
d'amis? Tous frais payés, évidemment. Ton prix sera le nôtre ... »

Le troisième, la police cherchait à le prendre en flagrant délit depuis dix-


sept ans.
Mais Albert était surentrainé. Spécialiste des effractions de coffres, non
violent, travaillant toujours en solitaire, il n'avait pas son pareil pour sentir
l'arrivée des patrouilles qui le trouvaient toujours à une centaine de mètres
du lieu de ses exploits, mains dans les poches et sourire aux lèvres, sans rien
qu'on pût décemment lui \,reprocher.
Bien sûr, il était emmené, interrogé, mais que faire sans le moindre aveu
ni indice matériel?
Systématiquement, il était donc relâché le lendemain et pouvait sans
délai reprendre ses coupables activités.
Un samedi, dans la nuit, d'étranges vibrations réveillent les locataires
d'un appartement qui jouxte une bijouterie. Passant la tête par la fenêtre,
ces braves gens constatent qu'une camionnette stationne le long de la
boutique. La porte à glissière du véhicule est exactement au niveau de la
porte d'entrée du magasin. Il leur semble même distinguer des lueurs qui
évoquent irrésistiblement celles produites par un chalumeau en plein travail.
Le Livre noir des « flics en bLanc» 0[
Aussitôt, ils alertent la police qui arrive sans tarder avec les gyrophares
allumés et les deux-tons en action: l'intervention discrète par excellence.
Bien entendu, les policiers trouvent la camionnette (volée, évidemment)
vide. Le chalumeau est encore chaud et d'évidentes traces de début d'effrac-
tion sont visibles sur la porte de la bijouterie.
Non loin de là, comme d'habitude, Albert se cure les ongles, assis sur un
banc et l'air d'un agneau innocent.
Comme le veut la coutume ~ocale, il est embarqué aussitôt dans le fourgon
de police.
Pour la première fois dans cette ville, le commissaire décide de faire appel
à mes services.
Quand j'arrive, Albert est confortablement installé sur une chaise, fumant
une cigarette devant une tasse de café.
L'examen au laser (confirmé ensuite par la microanalyse) révèle rapide-
ment sur les chaussures de l'artiste la présence de particules fondues prove-
nant de la porte de la bijouterie, ainsi que des poussières identiques à celles
tapissant le plancher de la camionnette. En outre, des fragments d'une pein-
ture semblable à celle du revêtement intérieur du véhicule maculent le dos
de la chemise d'Albert.
Il est cuit.
Alors, vaincu par la science, Albert fait cette sublime déclaration:
«Voilà dix-sept ans que je suis dans le métier! Dix-sept ans que les
poulets m'alpaguent régulièrement, on me fout des baffes, je dis rien et le
lendemain, à tous les coups, je suis libre. Et aujourd'hui, on m'offre du café,
de la bière, des cigarettes, on est aimable avec moi, poli, mais je suis baisé!
Décidément, la police change! ... »
Eh oui ... la police avait changé, grâce au C.A.R.M.E.
Maintenant, après l'assassinat délibéré de celui-ci, elle est retombée dans
son inefficacité d'antan, dont se gausse toute la presse étrangère.
Le C.A.R.M.E., tout simplement, n'était pas fait pour la France: c'était
l'esprit du siècle des lumières égaré dans les magouilles de la fin du
vingtième. Un laboratoire où le moindre enquêteur pouvait d'égal à égal
discuter avec le plus diplômé des scientifiques, et où chacun apprenait beau-
coup de l'autre. Un lieu où recherche et curiosité l'emportaient sur la quête
effrenée du profit financier. Un nid où l'idée avait plus de valeur que l'argent.
Bref, une sorte de dinosaure. .
Dommage pour le C.A.R.M.E. : j'avais trop soif d'une justice indépendante.
Sa place n'était donc pas en France ...
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AFFAIRES D'ETAT l....... _ . __.__.___.__ _

Car en France un expert indépendant est un expert dangereux pour l'Etat.


L'Histoire montre que des bavures étatiques, volontaires ou non, se produi-
sent régulièrement, mais que l'Etat français ne reconnaît ses torts qu'excep-
tionnellement, lorsqu'il y est contraint et forcé, acculé à avouer la vérité.
Et cela ne date pas d'hier.
On se souvient d'Alfred Dreyfus, victime d'une manipulation politique et
condamné sciemment en 1894 sur la foi de faux fabriqués par l'armée et
d'une expertise graphologique des laboratoires de police le désignant comme
auteur d'un document qu'il n'avait pourtant jamais écrit.
Que dire du jeune Jean-Claude Saint-Aubin, confondu avec le chef de
l'O.A.S. Jean Meninaud et tué sur ordre avec sa compagne par un camion mili-
taire Le 5 juillet 1966, dont la famille attend qu'on lui rende enfin justice?
Pourquoi René Lucet fut-il Lui aussi déclaré suicidé de deux balles dans la
tête 108 le 4 mars 1982, quand là aussi les expertises (jamais publiées) prou-
vent qu'il a été assassiné?
Qui oserait prétendre que l'Etat français ne tue pas quand il le juge néces-
saire, utile ou simplement rentable?
Il suffit de se souvenir - ce n'est pas si vieux - des affaires du Rainbow
Warrior109 , du pasteur Doucé11o, de Ben Barka 111 , du sang contaminé 112 , des
hormones de croissance 113 , de la diffusion volontaire de médicaments
toxiques 114 qui rapportent beaucoup à l'industrie pharmaceutique, des

108. Avec un seuL orifice d'entrée ...


109. CouLé par La D.G.S.E. (service d'espionnage de L'armée française) en Nouvelle-Zélande Le 11 juillet
1985 Bilan: 1 mort.
110. EnLevé puis assassiné par Les Renseignements généraux (poLice politique française) en juillet 1990,
après avoir menacé de pubLier des informations sur Les hommes poLitiques fréquentant Les milieux homo-
sexuels.
111. Leader de L'opposition marocaine, enLevé à Paris Le 29 octobre 1965 par La SDECE (service d'espion-
nage miLitaire français de L'époque) pour faire plaisir au généraL Oufkir, ministre de L'Intérieur du Maroc
et tortionnaire. Le corps de Ben Barka n'a jamais été retrouvé.
112. Dans Laquelle Les ministres L. Fabius, G. DUJ:oix et H. Hervé, indiscutablement coupables de la mort Ull
par empoisonnement déLibéré de milliers de personnes par pur intérét financier, ont été discuLpés par une ~
justice corrompue.
113. Qui ont causé la mort d'au moins quarante enfants pour économiser 800 000 € (d'où on peut esti-
mer la valeur d'un enfant français à 20000 € ... ).
114. Au moins 10"10 des hospitalisations sont dues aux effets secondaires des médicaments fabriqués par
L'industrie pharmaceutique.
JO [aUI A PEUR . DE Loïc LE RIBAULT?

mensonges concernant le nuage de Tchernobyll15, de la non pollution


prétendue des environs de La Hague, etc.
Encore ne s'agit-il là que de simples exemples. La liste est hélas loin
d'être exhaustive.
Tant que mon laboratoire exista, on ne me confia jamais l'étude d'une de
ces affaires «sensibles»; pour une simple et mauvaise raison: j'étais indé-
pendant. Or, l'Etat français a besoin d'experts corrompus et entièrement
dévoués pour étouffer ses bavures et ses crimes. Qu'importe leurs qualités
professionneLLes.
Comme on l'a vu dans ce que vous venez de lire, jamais un juge, à aucun
moment, n'a cherché à m'influencer d'une façon ou d'une autre. Quand un
magistrat m'appelait, c'était toujours pour connaître la vérité, pas pour que
je fabrique des preuves étayant une thèse satisfaisante. D'ailleurs, dans le cas
contraire, il aurait suffi, tout simplement, de ne pas commettre d'expert. Ou
de faire intervenir un laboratoire d'Etat ...
Pour moi, pendant douze ans, les magistrats ont donc été des hommes
intègres, affamés de vérité.
J'étais bien naïf.
Je ne m'étais tout simplement pas rendu compte que, si c'était bien le cas
de ceux qui demandaient mes services, ces derniers étaient loin de représenter
la majorité de leur profession, comme la suite de ma vie allait le prouver.
Après mon départ du C.A.R.M.E., j'ouvre en 1990 un petit cabinet privé
d'expertises 116 auquel s'adressent bientôt nombre de journalistes, d'avocats
ou de familles de victimes souhaitant connaître la vérité au sujet d'affaires
dans lesquelles l'Etat (armée, police et/ou gendarmerie) est impliqué ou
soupçonné.
Ce que je découvre alors dans certains dossiers ll7 me révolte, et j'ai l'im-
prudence d'en faire publiquement état:
Guillaume Seznec, innocent, fit vingt-quatre ans de bagne à cause de
fausses preuves fabriquées par la police;
Le chalutier La Jonque, officiellement coulé suite à une «croche» (sur un
fond sableux ... ), fut en réalité heurté par un objet sous-marin indéterminé;
La Maison des Têtes, officiellement détruite suite à une explosion dûe au
gaz, fut en réalité frappée par un missile perdu;

liS. Les autorités françaises prétendirent Que le nuage radioactif s'était scindé en deux en arrivant au
niveau des frontières de la France, une partie allant vers la Grande-Bretagne et l'autre vers l'Espagne. On
sait maintenant que c'est faux, et que la vérité avait été déLibérément cachée à La population, sans aucun
souci des risques Que cette rétention d'information faisait courir à celle-ci (eau et aliments pollués, etc.).
116. Le Ribault Expertises
117. Voir rubrique «Affaire d'Etat» sur le site www.loic-le-ribault.ch
Affaires d'Etat 0[
Robert Boulin, qui s'est officiellement suicidé, fut en réalité ligoté et
violemment frappé avant d'être tué. Les pièces à conviction -les pLus impor-
tantes furent officiellement détruites au printemps 1987 par la responsable
des laboratoires de police;
Stavisky, qui s'est officiellement suicidé, s'est pourtant beaucoup agité
après sa mort;
Aucun scellé de l'affaire Grégory n'a été étudié, et ce de façon délibérée;
Un innocent (Jean-Pierre Pineau) a été incarcéré neuf mois à cause de
fausses preuves fabriquées contre lui par la police pour discréditer le
C.A.R.M.E. ;
le magnat de la presse Robert Maxwell, qui s'est officiellement suicidé,
fut battu comme plâtre avant d'être jeté à l'eau.
J'aurais ainsi à étudier sur une courte période toute une série d'affaires
françaises et étrangères qui, directement ou indirectement, plongeront dans
l'embarras les crocodiles qui nous gouvernent.
Police et gendarmerie m'avaient cru enterré avec le C.A.R.M.E., et consta-
tent que c'était une erreur. Tout seul dans mon bureau avec juste une secré-
taire, je continue à être un emmerdeur! Pire: je m'occupe maintenant d'af-
faires d'Etat dont on aurait tant aimé que je me tienne éloigné ...
Désormais, ce n'est plus la peau du C.A.R.M.E. qu'il faut: il n'existe plus.
C'est celle de son fondateur.
Pour cela, tous les moyens de basse police vont être employés.
D'autant que j'ai commis un crime inimaginable, à l'occasion de quoi la
police française dévoile son vrai et peu appétissant visage.
,.,
QUE LA BETE MEURE!

LE VRAI VISAGE DE LA POLICE


Depuis 1987, je sais que les enquêteurs de la police sont frauduleusement
ravitaillés en tamponnoirs de contrefaçon par leur direction, et les utilisent
à tour de bras. Malheureusement, je ne dispose d'aucune preuve matérieLLe
de ce vol d'invention.
En 1991, le C.A.R.M.E. est mourant.
Emportée par l'ivresse du pillage et assurée d'impunité, la police ne prend
plus aucune précaution. Elle ne cherche même plus à camoufler les objets
sous des noms ridicules: désormais, le ministère fournit ouvertement à ses
enquêteurs des tamponnoirs pour tamponner.
Et ce qui devait arriver arrive un jour d'avril 1991.
Le laboratoire de Toulouse a si mal travaillé qu'un juge furieux me demande
en contre-expertise et me fait parvenir les échantillons prélevés par la police.
Surprise: les tamponnoirs que je découvre reposent non pas sur de la
mousse noire, comme tous ceux que je fais fabriquer, mais sur de la mousse
bleue! Pour la première fois depuis 1943, la P. T.S. a réellement innové: la
copie du tamponnoir est conforme au dixième de millimètre près, mais la
police a changé la couleur de la mousse! Si eLLe avait eu l'intelligence d'uti-
liser aussi de la mousse noire, je n'y aurais vu que du feu.
Je tiens enfin ma preuve!
Le 8 mai 1991, toute la presse annonce que je porte plainte en contre-
façon de brevet contre le ministère de l'Intérieur.
Celui-ci est pris par surprise.
Dans un premier temps, les responsables de la P. T.S. déclarent «ne pas
être au courant de la plainte» puis, le lendemain, «ne pas comprendre l'objet
de ceLLe-ci ».
Ce n'est que trois jours plus tard que la police révèle enfin son inquiétant
visage sous forme de deux aveux:
«Il aurait été difficile de développer notre police technique sans casser des
œufs», déclare un technicien du ministère de l'Intérieur118 •

118. France Soir, 10 mai 1991.


]0
1 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?

«La plainte qu'il (L. Le Ribault) dépose me fait tout de même penser à
une piqûre de fourmi sur le dos d'un éléphant»119 ricane Foll, sûr de son
impunité.
N'est-il pas rassurant de vivre dans un pays où la police n'hésite pas à
déclarer froidement à la presse qu'elle s'estime au-dessus des lois, et s'arroge
le droit de spolier qui bon lui semble (la fourmi) au nom de la Raison d'Etat
(L'éLéphant) ?
Pourtant, pas un journaliste ne relève l'énormité de ces deux déclarations
qui seraient inconcevables dans un pays démocratique.
Mais la France, justement, est devenue un Etat policier, et je vais m'en
rendre compte rapidement, car la police et la gendarmerie vont attaquer par
tous les moyens légaux et surtout illégaux à leur disposition.

LA CENSURE
En 1991, Europe n° 1 me contacte pour une émission de la sene
Découverte consacrée aux tueurs en série et programmée de 18 h 15 à 19 h
le 12 août; les animateurs ne voient en effet personne d'autre en France qui
connaisse le sujet et qu'ils puissent inviter. Considérant que l'aspect scienti-
fique n'a rien à voir avec les problèmes juridiques qui m'opposent à l'époque
avec la police et la gendarmerie, j'indique aux organisateurs qu'il serait inté-
ressant d'inviter le colonel Napora (D.G.G.N.) et Olivier FoLL
La veille de L'émission, Europe n° 1 me confirme ma participation et me
demande de rester auprès du téléphone le lendemain, puisque l'émission est
en direct.
Le 12 août à 18 h 15, on présente les intervenants. Il y a bien FoU. Il y
a bien Napora. Mais je ne suis pas mentionné! Furieux, je téléphone à l'ani-
mateur qui m'indique qu'effectivement je n'interviendrai pas, Foll s'y étant
opposé à cause du procès qui m'oppose au ministère de l'Intérieur12o •
En mai 1992, dans une interview121 accordee au journaliste Philippe
Pierre-Adolphe, Foll déclare tout ignorer de l'origine de l'application de la
microanalyse en criminalistique: il croit se souvenir que ce sont les
Israéliens, ou peut-être les Canadiens. A moins que ce ne soient les
Allemands? Ou les Etats-uniens, après tout?
En 1994, France Inter souhaite que je sois l'invité de son émission «Le
Bouillon de Onze Heures» consacrée à la rénovation de la police technique et
scientifique, qui doit être diffusée le 2 mars. On me demande si je souhaite

119. Libération, 11 mai 1991


120. Dix témoins, dont deux magistrats, un avocats et un commissaire de poLice. Emission enregistrée.
121. et enregistrée (enregistrement en ma possession)
Que La bête meure! 0[
des interLocuteurs. Une fois encore, sportivement, j'indique qu'il serait inté-
ressant que des représentants de La poLice et de La gendarmerie soient
présents. Mais j'avertis Les organisateurs que certaines expériences récentes
m'incitent à penser que Le grand absent, ce sera moi.
Offusqués, Les journaListes m'affirment qu'il est impossibLe de faire pres-
sion sur eux, que je suis L'invité et que je serai beL et bien présent, même si
je dois être seul.
Deux jours avant L'émission, France Inter m'informe que compte tenu de
ma présence La poLice a décliné L'invitation, mais que La gendarmerie accepte.
Le 1er mars, une journaListe très gênée me téLéphone. Elle a reçu des
ordres de sa direction, qui vient d'être contactée par La D.G.G.N., LaqueLLe
s'oppose absolument à ma présence sur l'antenne. La malheureuse est scan-
daLisée, mais je Lui rappeLLe que c'est exactement le scénario que j'avais
prévu 122 •
L'invité est un certain coLoneL ComainviLle, qui fera preuve d'une totale
méconnaissance du sujet et que, pour me venger, les journaListes s'amuseront
à ridiculiser férocement au cours de leur interview.

« L'AGITE»
La police, traumatisée par ma plainte au sujet des tamponnoirs, va me
demander réparation.
Le 25 mai 1992, ceLa fait deux ans et cinq mois que le justice n'a pas
tranché mon différent avec le ministère de l'Intérieur au sujet de la contre-
façon pourtant évidente des tamponnoirs.
Ce jour-là, brusquement réveillé, l'Agité 123 réclame à corps et à cris des
sanctions exempLaires contre moi.
Compte tenu du fait (je cite) que mon attitude «a été sources de tracas
et de désordres pour les services du ministère de l'Intérieur124 », il demande
que le tribunal:
- Prononce la nuLLité de mon brevet «pour défaut de nouveauté et d'acti-
vité inventive»;
- Ordonne La radiation à mes frais de L'inscription de mon brevet à
l'L N. P.L ;
- Me condamne à lui verser, à lui, L'Agité, 1 € «à titre de dommages inté-
rêts pour procédure abusive»;

122. Sept témoins (émission enregistrée).


123. ~Agent Judiciaire du Trésor (-A.J.T., dit l'Agite) représente l'Etat quand celui-ci est attaqué par un
trublion de mon genre, et que la plaisanterie risque de coûter cher aux finances publiques.
124. Sic. ça ne s'invente pas ...
~ l ~I A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?

- Me condamne en outre à lui verser «59300 francs (= 9 000 €) au titre


des frais irrépétibles de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ».
Eh oui, vous avez bien lu: la victime, le trompé, le traumatisé, le spolié,
c'est l'Etat! Pas moi. Autrement dit, non seulement l'Etat m'a ruiné, mais en
plus il me demande des dédommagements ...
Mais le plus énorme, c'est la demande de prononciation de nullité de mon
brevet!
Pourquoi? Parce que ce satané brevet embête bigrement le ministère de
l'Intérieur! On voudrait tellement qu'il n'existe pas ...
La preuve? La voilà:

LE BREVET GOMMÉ
Première phase: mon brevet sur les «tamponnoirs», déposé le 4 mars
1986, m'est accordé par l'Institut National de la Propriété Industrielle sous
le numéro 86 03121. Il est accordé parce que le rapport de recherche (qui
m'a coûté fort cher) n'a relevé aucune antériorité. Document officiel s'il en
fut. (Voir figure 29)
Deuxième étape: immédiatement, la police, au mépris de la loi (mais la
police française ne s'est-eLLe pas toujours estimée au-dessus de la loi?) se
met à fabriquer des contrefaçons de mes tamponnoirs.
Troisième étape: en avril 1991, je tiens enfin la preuve matérielle de ces
contrefaçons policières (dans le cadre de l'affaire Dominique Dayau), et porte
plainte contre le ministère de l'Intérieur en mai 1991.
Quatrième étape: Gérard Longuet, ministre de l'Industrie, des Postes &
Télécommunications et du Commerce Extérieur (Ouf, rien que ça ... ) lance avec
l'Institut National de la Propriété Industrielle une campagne de lutte natio-
nale contre les contrefaçons.
Cinquième étape: Je saute sur l'occasion, et, le 24 juillet 1994, félicite
Gérard Longuet de son initiative en lui demandant son appui dans mon
action judiciaire contre le ministère de l'Intérieur.
Sixième étape: le 30 septembre 1994, le ministre me répond, au mépris
de la vérité, qu'il ne peut m'aider, compte tenu du fait que «la brevetabilité
de votre invention se heurte à une sérieuse antériorité qui vous avait été
signalée dans le rapport de recherche» (! ! !). (Figure 52)
Ce qui constitue certainement un des plus magnifiques exemples d'escro-
querie prouvée dans toute l'histoire des sciences et des techniques.
Que la bête meure! 0r

r ~~~/:f~.
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CAB.CPR/422

MonsIeur.
Voua avez bien VO\du me tan part dU c:orteI'IIIIUx ~ YOU8 oppœe au mlnlatère de
1'Irüri1U. noIammenI au sujet d'actes que vous jugez c:onInIfaIsanIB de VdI9 brevet II" 86 03
121. Vous m'Intonnaz que VCIUI BVaz salai la jœIIca de ce conflit 81 c'est effeçUyement œ
trbunaI de gmnde lnBtance que relève 111\ lIIJge de celle 1'IIIIUI9.

En effet. l'Ilppréclallon de la nlaIIIé de la eontrelaçcn an maUèIa de brwel eaI toujourS


dt!IIœIe.tant au rWaau lIIChnlqua qu'au niveau juridique. Elle lqlpOUe qu'l 8011 rec:omu d'IIle
part que le brevet 881 valable 81 d'1ILIII8 part que les fabrIcatIona Inçriminées entrent bien dans
le chall1> de la prdectIcn revlll1lllquM.

Or. dans le ces que vous m'avez 8OUrnIs. cela ne s'impoee pas il r4vldenoe. En
partlc:uUer. la breVeIabIIIIé de VdI9 irMmIIon se heurte il une 8IIrIeuse anddotké ~ 'IOUS avait
été aIgneIée dans le rapport de rscIIeIche. D/I8 lote, eN IIIlJ1buna1 8pIè8 lIIIOIr éI6 inI8 en
pœaesaIon de tous Iee éIémenIa de !ail et de droit panlnenta. poImJ elaIuer sur la contrefaçon
et pronoooer le œ. échéant leeoondamnadonequi e'~
Les 11198U1'98 ~ pnIYues par la 101 du 5 février 1l1i4 ne me paraissent pas
applicables en respèce, aucune IrhrvenUon de la douane ou des ClftIcIeI8 de police judiçiaIre
n'élant possIJIe et tee tala repIOChés ne sembI8nt pas de natun! pénale.

Je voua pite d'agréer. MonsIeur. l'expresalon de mes eentlrnenls distinguée.

Fig. 52: Le TAMPONNOIR. Réponse de Gérard LONGUET à ma Lettre recommandée


du 24 juillet 1994.

LA CONDAMNATION
Certains magistrats courageux, scandalisés de la mauvaise qualité des
prestations de la police et de la gendarmerie, osaient encore me faire
travailler sur des affaires difficiles.
Mais les magistrats ne sont pas maîtres des paiements: C'est le Tésorier El[
Payeur Général (le «T.P.G. ») qui règle les experts. Jusqu'à présent, je n'avais
eu aucun problème: mes honoraires étaient généralement réglés dans les
deux mois suivant ma facturation. Mais, brutalement, presque du jour au
lendemain, les IP.G. connurent tous ensemble, à travers toute la France,
-, r
..J~
1 QUI A PEUR ] DE Loïc LE RIBAULT?

d'énormes problèmes de fins de mois qui les empêchèrent de me régler dans


les délais habituels: ils se mirent à me promettre des règlements ... dans les
six mois, si possible. Peut-être un peu plus.
Je ne pouvais plus payer ni ma secrétaire, ni le téléphone, ni l'eau, ni
l'électricité et dus fermer mon cabinet d'expertise avec un passif de 23 OOO€
(l'Etat m'en devait le double).
C'était la faillite personnelle.
Complètement écœuré, je ne me rendis pas à l'audience du tribunal de
commerce qui devait prononcer ma liquidation.
La justice fut, à mon égard, d'une exceptionnelle sévérité, et me
condamna à ... quinze ans (rien que ça!) de privation de droits civiques!
VOYAGES SUR J
LE FIL DU RASOIR

L'EXCLU
On parle beaucoup d'exclusion, ces temps-ci. Surtout dans les salons pari-
siens. Parce que les exclus, les vrais, n'ont pas, eux, l'occasion de parler de
leur terrible expérience.
Moi, exclu d'Etat, exclu officiel, estampillé en quelque sorte, je suis
encore en mesure de le faire. Et mon exclusion, totale, préméditée, calculée,
fut d'autant plus difficile à supporter que j'avais, un moment, connu une
certaine gloire.
IL est désormais loin, le temps où, pour moi, voyager était devenu une
seconde nature, une simple formalité: vérifier que j'avais tous mes papiers,
les cartes de crédit, le chéquier, un peu d'argent liquide et sauter dans la
Mercédès; ou bien passer un rapide coup de fil à l'agence de voyage pour
réserver les billets d'avion et retenir un hôtel.
Maintenant, chaque déplacement est périlleux, angoissant, et devient une
véritable expédition, calculée avec le plus grand soin. IL faut que je m'y
prenne bien longtemps à l'avance.
Tout d'abord, je dois déterminer si le voyage est ou non vital. Entendez
par là qu'il doit, à coup sûr, me rapporter quelque chose. Et plus de la gloire,
maintenant. Pour moi, ce stade est depuis longtemps dépassé. Non. De l'ar-
gent, tout simplement. Et pas n'importe lequel: des espèces sonnantes et
trébuchantes, puisque je n'ai plus de chéquier.
Et pas n'importe quand, non plus: tout de suite! Sinon, comment rentrer?
Quelques précautions élémentaires doivent être prises:
L'heure du rendez-vous doit être fixée tôt, le matin ou en début d'après-
midi, afin d'éviter l'obligation d'inviter le client au restaurant. A moins, bien
entendu, qu'il ne m'ait préalablement assuré que c'était lui qui régalait,
auquel cas c'est toujours un repas de gagné. IL y a désormais des jours où ça
Br
n'est plus à négliger.
L'équipement: comme je n'ai plus qu'un costume, le choix est très vite
fait.
~ O:our GU!] DE Lo ï c LE RIBAU LT?

La durée: puisque je ne peux m'offrir l'hôtel, le déplacement doit être


très court. Juster un aller-retour. Un raid.
Les précautions indispensables:
Prévenir le facteur du jour où je serai absent, afin qu'il ne distribue pas
le courrier. Car l'expérience m'a prouvé que c'est toujours lorsque je ne suis
pas là qu'arrivent les recommandés et que ma mère, effondrée, les reçoit à
ma place.
Convenir avec celle-ci de «plages horaires» très brèves pendant lesquelles
son téléphone sera branché, afin d'éviter qu'elle ne recoive des appels de
furieux qui l'engueulent en me réclamant de l'argent ou des rapports en
retard. Définir aussi un code sans lequel elle ne décrochera pas le téléphone.
Par exemple: je sonne deux fois, je raccroche puis je rappelle aussitôt. Ça me
permettra de vérifier que tout va pour le moins mal possible à la maison.
M'entendre avec les voisins pour qu'ils arrivent à la rescousse au cas où il
y aurait un imprévu dramatique: huissier, créancier, E.D.F., G.D.F., Compagnie
des Eaux, etc.
Si possible, prévoir en outre une présence amie secourable et dévouée, s'il
se trouvait que je ne puisse rentrer le soir pour une raison quelconque.
Le nerf de la guerre: c'est le problème le plus grave. Car je n'ai pas le
choix: privé de voiture, je ne peux me déplacer qu'en train ou en avion. Et
comme le train c'est trop long, je dois prendre l'avion.
Dans certains cas, rarissimes, on m'offre le billet, qui m'attend, tout
chaud, au comptoir d'Air Inter. C'est l'idéal. Mais, généralement, le client
m'informe qu'il me remboursera le voyage... parce que, bien sûr, je suis
supposé être en mesure d'avancer les frais.
Or, je n'ai rien. Mais rien. Ce qui s'appelle rien. Si... en comptant bien,
en grattant les poches, je trouve 4 €. De quoi me payer le luxe de deux
paquets de cigarettes. Ou d'un paquet et, peut-être, d'un demi à l'aéroport.
Ou alors, pas de cigarettes ni de demi, mais d'un whisky dans l'avion: c'est
le tarif sur Air Inter.
Un aller-retour, c'est 244 €.
Réserve de guerre indispensable: 80 €.
Total: 324 €. Bon, on arrondit à 300 €, c'est plus facile et c'est moins
cher.
Mais où les trouver?
Des amis? Je les ai tous tapés!
Le banquier? Je peux toujours essayer. Surtout que le mien 125 , qui croit
·encore en moi, espère toujours que je m'en sortirai. C'est devenu un ami,

125. Merci, Christian!


Voyages sur le fil du rasoir 0[
mais sa direction, maintenant, le regarde d'un sale air dès qu'il mentionne
mon nom. Après lui avoir juré que je vais voir un client et que demain je
ramènerai de l'argent, le malheureux, torturé, accepte de m'avancer 150 € ...
sur son corn pte persan nel!
Restent 150 € à emprunter.
Alors, la mort dans l'âme, une fois de plus, je cours chez l'usurier du coin
(il y en a toujours un) déposer n'importe quoi qui vaille au moins quatre fois
le somme avancée. Evidemment, la transaction se réalise sans papier, sans
garantie, et en liquide. Le taux d'intérêt? 12 % par mois pour l'usurier. Durée
du prêt: trois mois.
Et tout se passe bien. Forcément, l'usurier commence à me connaître. Il a
déjà mon fusil de chasse, des ivoires, des livres de collection, quelques déco-
rations militaires anciennes. De temps à autre, je récupère quelques objets,
mais le vieux grigou sait qu'il ne va pas tarder à les voir revenir.
Voilà. J'ai mes 300 €. C'est la joie.
Ce n'est pas cette fois-ci que, comme souvent; je devrai au dernier
moment, faute de capitaux, annuler un rendez-vous important sous un
prétexte quelconque: maladie, panne, accident, grève, attentat, manifesta-
tion, intempérie, cyclone, inondation ou autre.
La réservation: tout étant paré, il reste encore à réserver les billets
d'avion. Or, de la maison, si je peux encore recevoir des appels, il m'est
impossible d'appeler autre chose que Les services d'urgence. La réservation
s'effectue donc à partir de la cabine téLéphonique la plus proche, devenue
depuis des mois une sorte de bureau secondaire où je finis même par avoir
mes habitudes. D'ailleurs, mes correspondants habituels connaissent Le
numéro de la cabine et m'y appellent à heures fixes pour m'éviter de
consommer trop vite ma télécarte.
Le transport à l'aéroport: la réserve de guerre n'étant pas suffisante, il
faut trouver un ami charitable qui accepte de me conduire. Dans ces cas-là,
on se sent vraiment un assisté.
Le voyage: D'une durée moyenne d'une heure, c'est le moment du répit,
du repos, La seule heure depuis des semaines où je suis assuré de ne pas être
dérangé. Oui, mais une question me taraude pendant toutes ces minutes: que
se passe-t-iL à cet instant précis, Là-dessous, sur terre, à la maison?
Alea jacta est!
Je suis parti. Je suis en voyage. N'importe quoi peut arriver, le meilleur
comme Le pire.
Je travaille sans filet. ..
] 01QUI A P~ DE Loïc LE RI BAULT?

POKER
Cette fois-là, mon client m'a adressé les billets d'avion et invité à
déjeuner dans un grand hôtel près d'Orly, où il m'attend.
Je retrouve la faune des habitués d'Aïr Inter, hommes d'affaires en
costume-cravate, after shave et attaché-case. Avant, déjà, je ne les aimais
pas: esclaves des ratios et intoxiqués des performances financières, leur
bouche ne déverse que des chiffres comme celle de la sorcière du conte qui
crachait des crapauds. Morne vie de morts-vivants.
J'ai 15 € en poche. C'est largement suffisant, puisqu'une navette gratuite
fait la liaison régulière entre l'aéroport et l'hôtel où m'attend mon client.
le repas est exceLLent; pour le prix, d'ailleurs, c'est la moindre des choses.
A table, nous discutons de son affaire. J'établis un devis et, au moment du
digestif, il met la main à sa poche pour me régler une avance de 800 €.
Je vois la vie en rose.
Soudai n, le client blêmit et dit:
«J'ai oublié mon portefeuille!»
«Mon Dieu! », fais-je, réellement catastrophé.
«Avec tous mes papiers, mes cartes de crédit, mon chéquier et le
liquide! »
Dans ces cas-là, il faut avoir des nerfs d'acier. Car ce drame signifie:
1. Que je rentrerai sans argent;
2. Que je dois payer la note du restaurant;
3. Que je n'en ai pas les moyens;
4. Que je dois donc rester à Paris;
5. Que je n'en ai pas non plus les moyens;
6. Que je dois établir un plan d'urgence.
Seule solution: la fuite en avant.
«Du moment que votre portefeuille n'est pas volé, ce n'est pas grave! »,
dis-je d'une voix apparemment ferme.
«Non, certes, mais c'est ennuyeux », se navre le client. «C'est moi qui
vous invitais à déjeuner, et ... »
«Mais ne vous en faites pas, allez! Ce coup-ci, l'addition sera pour moi,
vous paierez la prochaine fois ... »
«Je suis vraiment désolé! »
«Mais non, ne vous tracassez pas!»
Je jette un coup d'œil sur ma montre et ajoute: «Excusez-moi un instant,
il faut que je téléphone.»
r-
Voyages sur Le fil du rasoir
Ol

Je me précipite vers la réception, décorée de tentures et de marbre blanc.


C'est sans doute ce qui explique les tarifs de l'hôteL.
«Monsieur désire? », demande le réceptionniste.
«Une chambre, s'il vous plalt.»
«Avec douche ou salle de bains?»
Dans ce genre de situations désespérées, il convient de ne surtout pas
avoir l'air fauché.
«Salle de bains ... »
«C'est 230 € la nuit, Monsieur.»
Glop!
«Parfait, parfait ... »
« Et vous réglez comment, Monsieur?»
Ca, c'est la question piège: si je dis «carte de crédit», il va me la
demander pour prendre une empreinte de ce qu'en réalité je ne possède plus
depuis longtemps. Si je dis «en espèces », il risque de me demander une
avance.
« Par chèque.»
Mais, bien entendu, je n'ai pas de chéquier.
«Bien, Monsieur. Voici vos clés. Chambre 204, second étage.»
Retour rapide vers la table où m'attend, penaud, mon client.
Maintenant, je vais vite savoir s'il est ou non de bonne foi. C'est le coup
de poker.
«Vous reprendrez bien un digestif, pour vous remettre de vos émotions?»
«ça me gêne ... »
«Mais non, voyons, ne vous en faites pas! Garçon!»
Celui-ci arrive, pantalon noir et veste blanche. Je commande:
«Deux cognacs et l'addition, s'il vous plalt.»
Il revient bientôt, portant les consommations et la note sur un plateau
d'argent, distribue les verres et pose la note devant moi.
Rogntudju! Elle est salée, la note! S'il savait ce que j'ai en poche! ... Je
la signe d'une main tremblante:
«Vous la mettrez sur ma chambre», dis-je en présentant ma clé tout en
posant en guise de pourboire toute ma fortune (15 €) sur son plateau.
«Bien sûr, Monsieur, merci, Monsieur!»
L'appât est lancé, voyons si le poisson va mordre. Le client s'interroge:
«Mais vous logez ici? Je croyais que vous repartiez ce soir à Bordeaux?»
=_; 0 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?

«Non. Figurez-vous que ce soir j'ai rendez-vous ici même avec un autre
client. C'était la raison de mon coup de téléphone de tout à l'heure ... un
imprévu ... »
«Oh, mais alors, dans ce cas, je vous propose quelque chose ... »
Touche? Le bouchon frémit à la surface de l'onde ...
« Oui? »
«Ecoutez: j'habite à une heure de voiture d'ici. Je rentre chez moi main-
tenant, et je reviens vous apporter ce que je vous avais promis.»
Re-poker:
«Non, pensez-vous, ce n'est pas la peine! Vous m'enverrez un chèque!»
«Ah non, j'y tiens! Si vous refusez, vous me vexeriez! »
Ferré! Gagné!
Le client se lève et s'en va ventre à terre en disant:
«A tout de suite!»
Deux heures après, exactement, il est de retour et honore ses engage-
ments.
Victoire!
Maintenant, je peux faire un geste. Faut que je me détende. Il est dix-
huit heures.
«Vous prendrez bien l'apéritif?»
«Mais votre rendez-vous de ce soir?»
«Oh, figurez-vous que mon client vient de se décommander! Pas de
chance ... »
Cette fois, c'est en liquide que je règle avec du vrai argent la note qui
m'est présentée par le barman.
Alors mon client dit:
«Vous êtes donc seul, ce soir?»
« Eh oui (soupir)! ... »
«En ce cas, permettez-moi de vous inviter à dîner ... »
«Si vous insistez ... »
«J'insiste! »
Nous faisons un exceLlent repas, au cours duquel mon client se révèle un
hôte charmant et cultivé. Il s'absente juste un bref instant entre deux plats.
Nous nous séparons vers vingt-trois heures, et je le raccompagne à la
porte de l'hôtel.
Après l'avoir salué, alors que je demande ma clé à la réception, l'hôtesse
me dit:
Voyages sur le fil du rasoir [

«Vous êtes bien Monsieur Le Ribault?»


«Oui. »
«Le monsieur qui était avec vous à table a tenu à régler votre chambre
et le déjeuner ... »
Ce soir-là, je m'offre une folie: je prends un taxi pour aller au cinéma.

LES LUNETTES
Bon, ce coup-ci, je suis paré.
Enfin, paré ... facile à dire. Disons paré comme pouvait l'être Surcouf au
moment de prendre le Kent à l'abordage... Le costume est repassé, la
chemise est fraîche et les souliers cirés. Dans une poche, j'ai même 75 €:
une fortune! Et un billet d'avion pour Paris, payé par le client.
Le luxe, quoi.
Le seule chose qui ne va pas, ce sont mes lunettes.
Depuis longtemps déjà j'aurais dû les changer, puisque ma vue a baissé,
mais je n'en ai pas les moyens. Les branches sont tordues et leurs extrémités
ont perdu leur protection. Le métal nu s'accroche férocement derrière mes
oreilles, mais je m'y suis fait.
Non, ce qui m'ennuie, c'est le verre tribord. Epris d'indépendance, il mani-
feste depuis quelque temps une envie de liberté qui le fait jaillir sans somma-
tion de la monture à la moindre occasion.
Ce verre, c'est mon talon d'Achille.
Parce qu'enfin, comment voulez-vous négocier sérieusement un brevet de
4 500 000 € si, à la moindre poignée de main, votre verre de lunettes saute
à la figure de votre interlocuteur?
Avant de partir, j'ai donc collé ce maudit verre à la Super-GLu, serré les vis
et les boulons.
A l'aube, je vérifie le travail: le verre est coincé et bien coincé, l'animal.
Je ne crains rien. Je vous le dis: je suis paré.
Dans l'avion, tout se passe bien: pas un incendie, pas d'alerte à la bombe,
pas de panne de moteur, même pas une turbulence.
Entre Orly et Paris, c'est le rêve: le taxi accepte qu'on fume dans son
carrosse!
A l'entrée de l'immeuble où j'ai rendez-vous, une hôtesse m'attend. Elle
me guide vers l'ascenseur. Celui-ci, dans un souffle, me propulse sans ennui
au vingt-cinquième étage. Là, un appariteur me conduit chez le Patron.
Le bureau est immense, un vrai hall de gare avec meubles anciens, tapis
d'Orient, vue sur la Seine, tout le tralala.
~ l;~ E PEUR ] DE Loïc LE RIBAULT?

L'accueil est chaleureux.


Le grand homme me fait asseoir dans un profond fauteuil auprès d'une
table basse, commande deux whiskies à un esclave puis dit:
« Et maintenant, expliquez-moi votre découverte! »
«Eh bien, voilà ... », dis-je en me frottant machinalement l'oreille.
C'est le drame.
La branche des lunettes, sollicitée de façon imprévue, exerce une pression
inusitée sur l'orbite droite. Profitant lâchement de l'occasion, le verre jaillit
de la monture, rebondit sur la table avec un cling! espiègle, puis court se
cacher quelque part dans la pièce.
Que faire, dans ces cas-là?
A cet instant, mon acheteur potentiel a en face de lui un vendeur doté de
lunettes dépourvues du verre droit ... Bref, un type complètement ridicule.
Quoi dire?
Le vie m'ayant appris à me sortir des situations les plus désespérées, il me
faut trouver d'urgence un truc, un machin, une chose, une phrase, une
excuse, n'importe quoi, quoi, pour retourner la situation. Je résouds alors
d'éclater de rire:
«Wouaff! », dis-je. «Figurez-vous qu'hier je suis tombé de cheval, et j'ai
cassé mes lunettes! Elles sont chez l'opticien, mais je ne les aurai que
demain. Pour venir ici, j'ai donc dû en reprendre une vieille paire. Mais elles
ont mal vieilli, n'est-ce pas? Wouaff, wouaff, wouaff! ... »
«Wouaff, wouaff, wouaff! », s'esclaffe mon client. «Maintenant, mon cher
ami, il faut retrouver votre verre avant qu'on en prenne un!»
Avez-vous déjà essayé de retrouver un verre de lunettes sans vos
lunettes?
C'est pas facile ...
Et c'est ainsi que, pendant dix bonnes minutes, mon client et moi-même,
à quatre pattes sur le tapis d'Orient, traquons assidûment le verre fugueur
que je finis par capturer, blotti peureusement sous le pied d'un fauteuil.
Je ne vendis pas le brevet: le client, en fait, était rui né ...

LES CROCS
198 En mai 1995, la santé n'est guère florissante: je paie brutalement le prix
de dix ans sans trève ni repos au service de la justice.
La machine s'est déglinguée d'un seul coup. Il faut dire que je l'ai bien
malmenée. Elle renâcle, la sale bête, au moment même où j'ai le plus besoin
d'elle pour tenter de refaire surface.
Voyages sur le fil du rasoir nfL
U

La patte tralne, séquelle d'une vieille chute, le cœur proteste, les rares
artères encore en fonction s'engorgent.
En une année, j'en ai pris dix. Bien tassées.
Mais le pire, ces sont les dents.
J'ai bien commencé à me faire ravaler les mandibules, juste avant mon
éjection du C.A.R.M.E. Le travail, comme toujours, a été impeccablement
réalisé par Philippe, mon ami dentiste. Les frais sont importants, mais je
bénéficie de la Sécurité Sociale et de la Mutuelle du C.A.R.M.E.
Ce que j'ignore, c'est que, sur ordre du nouveau propriétaire ou par pure
méchanceté, le Directeur général, que le diable l'emporte et l'estrapadouiLLe,
a résilié sans tarder toutes mes protections sociales.
Il me faut donc acquitter la note du dentiste à titre personnel. Par
manque de fonds, je ne peux en régler que les deux tiers. Et je me jure de ne
jamais remettre Les crocs chez Philippe avant d'avoir apuré cette dette.
Or, pendant ce temps-là, les microbes, eux, ne chôment pas. En rangs
serrés, travailleurs ardents, ils attaquent sans relâche ce qui me reste de
gencives.
Je souffre le martyre durant quelques mois, puis, un beau jour, la douleur
cesse comme par enchantement.
Je me crois guéri.
C'est une erreur.
J'ai bien remarqué que certaines quenottes semblent bouger un peu, mais
je n'imagine pas qu'elles sont carrément en révolte: elles ont tout simple-
ment choisi la liberté. .
Un jour, lors du déjeuner, tandis que je ronge une cuisse de lapin, ce qui
me semble une esquille d'os tombe dans mon assiette. Mais cet os me paralt
étrange. Chez moi, c'est une déformation professionnelle: un truc bizarre, il
faut que je l'observe. Et ce que je vois, au fond de mon assiette, c'est une
incisive. Mais pas une incisive de lapin. Non. Une incisive humaine. Une des
miennes.
Rapidement, je quitte la table pour introduire l'objet dans un pilulier
empli d'alcool, avec une étiquette mentionnant la date et l'heure de la chute.
Plus tard, ce sera peut-être utile pour des études au M.E.B., si toutefois j'en
retrouve un un jour, puisque je connais toutes les caractéristiques de l'échan-
tiLLon: âge du propriétaire, habitudes alimentaires, lieu d'habitation, etc.
Quelques semaines plus tard, au dlner, je suis surpris de sentir sur ma
langue un objet dur et arrondi qui me semble ne pas être à sa place dans le
potage que je déguste à cet instant. Discrètement, je recueille la chose dans
ma serviette et l'examine du coin de l'œil (nous avons des invités à table).
Cette fois-ci, c'est une molaire!
J
[OUI A PGil DE Loïc LE RIBAULT?

Elle rejoint aussitôt l'incisive sur une étagère, dans un autre pilulier muni
d'une étiquette portant une autre date.
Le mois suivant, en croquant ma tartine matinale, une douleur abomi-
nable me vrille le maxilaire droit. Une exploration prudente m'apprend qu'une
autre molaire semble vouloir s'évader.
Or, il se trouve que cette dent est une velléitaire, une indécise, torturée
entre son attachement à moi et son désir d'indépendance. Pendant quinze
jours, elle ne manque pas une occasion de se rappeler à mon bon souvenir
en me sciant les nerfs à chaque repas.
Elle ne tombe toujours pas, mais branle de plus en plus.
Alors, je décide de prendre le taureau par les cornes.
L'exécution est fixée au petit matin.
Sur la table, devant moi, j'étale une serviette sur laquelle je dispose un
verre, une bouteille de rhum, un briquet, un paquet de cigarettes, un
mouchoir et un troisième pilulier déjà revêtu de son étiquette, cette fois
datée d'avance.
Ainsi, bien sûr, qu'une paire de tenailles.
J'allume une cigarette que je termine consciencieusement.
J'avale cul-sec le verre de rhum.
J'empoigne les tenailles.
Comme je la surprends au réveil, la molaire n'a pas le temps de souffrir. .
Crac!
Je la tiens une seconde devant mes yeux, puis la jette dans le pilulier.
Lorsque quelques semaines plus tard j'ose raconter cette histoire à
Philippe, je crois qu'il va m'étrangler.
Mais, après tout, on a sa fierté ou on ne l'a pas!
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LA BOMBE «G5 »

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• 1
L.___ __ ~
La bombe «G5» ] 0

En 1994, je suis donc gommé, totalement ruiné, escroqué, plagié,


diffamé, mis dans l'impossibilité totale de me défendre, sans voiture, sans
téléphone, ma maison et mes meubles saisis, sans la moindre protection
sociale, privé de mes droits civiques pour quinze ans, exclu pour Raison
d'Etat, hébergé chez ma mère.
A ce stade de l'aventure, qu'on déplore ou non les faits, les conséquences
sont minimes, puisqu'elles ne concernent que moi. On peut froidement consi-
dérer que l'intérêt général mérite le laminage d'un individu, indépendamment
de toute considération morale.
Soit.
La fin, n'est-ce pas, justifie les moyens: désormais, en l'absence de tout
laboratoire indépendant, les affaires d'Etat confiées à des magistrats d'Etat
pourront être expertisées par des laboratoires d'Etat animés par du personnel
d'Etat utilisant du matériel d'Etat.
Ce qui est bien pratique.
Car dans chaque affaire (connue) où l'Etat français est impliqué d'une
façon ou d'une autre, on découvre toujours au moins sept des éléments
suivants:
1 - Des négligences volontaires de la part des enquêteurs (témoins capi-
taux non entendus, par exemple);
2 - L'intervention de faux témoins (à charge ou à décharge, selon les cas);
3 - La destruction et/ou la dissimulation de preuves et d'indices;
4 - La fabrication de fausses preuves;
5 - La nomination d'experts d'Etat (police ou armée) dès le début de l'af-
faire;
6 - La nomination de contre-experts d'Etat (police ou armée) lorsque
certaines expertises confiées à des experts indépendants n'ont pas été poli-
tiquement satisfaisantes;
7 - La non réalisation des expertises indispensables;
8 - L'utilisation par les experts de techniques obsolètes, pourtant recon-
nues comme teLLes par la communauté scientifique;
9 - La publication dans la presse d'éléments d'instruction avant même
l'obtention de ceux-ci (expertises, informations, témoignages, charges rete-
EII
nues, etc.);
10 - La non diffusion des rapports ou documents gênants (témoignages,
expertises, photographies, etc.);
11 - La diffamation envers des acteurs gênants (témoins, victimes,
experts, etc.);
12 - L'intimidation de témoins;
13 - La nomination de magistrats complaisants (juges, procureurs);
14 - La complicité de journalistes et/ou d'écrivains complaisants;
15 - La négation systématique par les autorités des évidences les plus
flagrantes relatives à leur implication dans l'affaire;
16 - La fabrication d'un bouc émissaire;
17 - L'intervention de tueurs (officiels ou non).
Tout ce que j'ai exposé précédemment montre que l'Etat a appliqué à mon
égard les bonnes vieilles recettes n° 2, 4, 6, 7, 8, 9, 13, 14 et 15.
De là à déduire que je suis devenu affaire d'Etat aux yeux de la police et
de la gendarmerie, il n'y a évidemment qu'un pas.
Par conséquent, je décide de tirer un trait sur la crapulerie de la police,
la trahison de la gendarmerie, la lâcheté de la magistrature, de ne plus avoir
le moindre contact avec ces institutions corrompues, et de changer de
métier.
Au printemps 1995, je sors donc un des nombreux dossiers qui
sommeillent sur mes étagères.
Un dossier ouvert vingt ans plus tôt, mais mûr depuis deux ans.
Un dossier riche de milliers de témoignages et d'une multitude de docu-
ments scientifiques.
Un dossier-bombe.
Car peu de gens, en vérité, savaient que, durant toutes les années où je
dirigeais le C.A.R.M.E., je menais discrètement des recherches ... médicales.
Ce dossier s'appelle «G5».
Il va me coûter très cher ...

LA MOLECULE QUI DERANGEAIT (et qui dérange


toujours ... )
Pour commencer, juste un peu de technique (mais pas trop ... ), afin que
le lecteur puisse comprendre l'importance du dossier G5, l'espoir que cette
molécule représente pour L'humanité et les raisons pour lesquelles le combat
que je décide d'engager au printemps 1995 est en réalité une opération-
suicide.
Le silicium minéral est le principal constituant de l'écorce terrestre
(27,80 % en poids) après l'oxygène (46,60%). On le trouve sous forme
amorphe ou cristalline dans de nombreuses roches telles que les granites, les
sables, les argiles, etc.
La bombe «G5» 0
Le silicium organique, constituant
de tous les organo-siLiciés (dans la
famille desquels on trouve les silanols,
silane-diols et silane-triols), se diffé-
rencie du précédent par la présence d'un
(ou de plusieurs) atome(s) de carbone
associé(s) à de l'hydrogène (Fig. 53).
Sous cette forme, c'est un des éléments
essentiels de la matière vivante, comme
le prouvent les dosages effectués aussi
bien chez les plantes et les animaux que
chez l'homme. Dans le corps de ce
dernier, on en trouve notamment une
quantité importante dans les tissus, les
cartilages, le thymus, les parois vascu-
laires, les surrénales, le foie, la rate, le
pancréas, etc.
Mais la quantité de silicium orga-
nique diminue chez l'homme avec le Fig. 53: Quelques molécules de G5 dans l'eau.
vieillissement, et ce de façon irréver-
sible, car l'être humain est incapable de transformer le silicium minéral qu'il
ingère (dans les aliments, les boissons) en silicium organique. Or, le silicium
minéral n'est pas assimilable par l'organisme humain. Par contre, de nomb-
reux micro-organismes et plantes (Diatomées, Radiolaires, champignons,
etc.) sont capables, par des processus non (ou mal) expliqués à ce jour, d'ef-
fectuer cette transformation et d'assimiler ainsi le silicium organique qu'ils
fabriquent à partir du silicum minéral originel.

HISTORIQUE
En 1957, Norbert Duffaut (Fig. 54), chimiste
organicien de l'Université de Bordeaux, réussit à
synthétiser une molécule d'organo-silicié, stabi-
lisée avec de l'acide salicylique. C'est la première à
usage thérapeutique, dite G1 (pour Première
Génération). Cette molécule ne pouvant être
utilisée par les patients allergiques aux salicylés
(c'est-à-dire à l'aspirine), Duffaut met au point le
G2, stabilisé avec de l'acide citrique.
G1 et G2 vont rapidement être appliqués en
médecine sous l'appellation de DNR (pour Duffaut
Norbert Remède). Fig. 54: Norbert DUFFAUT
o
1 QUI A ~ DE Loï c LE RIBA UL T?

Dès le début de 1958, Duffaut commence à


effectuer de très nombreuses applications de DNR
dans le traitement des maladies cardio-vasculaires,
des rhumatismes et des cancers. De nombreux arti-
cles parus dans des revues spécialisées témoignent
de son succès. Durant près de trente ans, il va
travailler en collaboration constante avec son ami
physicien Jacques Breton (Fig. 55), inventeur de
l'ionocinèse contrôlée 126 • Cette méthode, associée
au DNR, permettra au docteur Jacques Janet d'ob-
tenir de remarquables résultats dans le traitement
de diverses maladies. Fig. 55: Jacques BRETON

Néanmoins, malgré d'innombrables démarches auprès de tous les orga-


nismes officiels français supposés responsables de la santé publique, Duffaut
ne réussit jamais à faire simplement tester le DNR par ceux-ci: il se heurte à
une totale indifférence.
Plus tard, le Docteur G.R. Rager entreprend à son tour d'expérimenter le
DNR sur les maladies cardio-vasculaires. Les résultats obtenus sont tels qu'en
1967 l'Académie de Médecine lui attribue le prix J. Levy-Bricker pour récom-
penser ses travaux sur l'utilisation des organo-siLiciés en thérapeutique
humaine.
Sans trêve, Duffaut poursuit ses expérimentations en tous domaines:
maladie de Carré, cholestérol, hypertension, cirrhose du foie, entérocolite
hémorragique du chien, mastoses, asthme, bronchites chroniques, etc.
IL démontre aussi que les patients atteints de cancer auxquels on applique
des organo-siLiciés supportent mieux les effets secondaires de la chimiothé-
rapie et de la radiothérapie, et ne souffrent ni de brûlures ni de chute des
cheveux.
Ce sont des milliers de malades qui sont ainsi traités avec succès des affec-
tions les plus variées.
En ce qui me concerne, je m'intéresse au cycle géologique et biologique
du silicium depuis 1970, époque à laquelle je découvre l'exoscopie des
quartz.
En 1972, dans deux articles publiés à l'Académie des Sciences, je
démontre que certains cristaux de quartz portent à leur surface une pellicule
de silice amorphe soluble dans l'eau, ainsi que divers micro-organismes, tels
que bactéries et Diatomées.
Plus tard, je prouve que l'amorphisation superficielle des quartz détri-
tiques est due à l'action conjuguée de ces micro-organismes (par l'intermé-

126. Méthode d'électrothérapie utilisant les propriétés des champs éLectriques réguLés. En gros, cette
méthode consiste à utiLiser un courant continu hautement stabiLisé.
La bombe « G5 » 00[
diaire des acides organiques qu'ils sécrètent) et d'actions mécaniques et/ou
chimiques diverses caractéristiques du milieu sédimentaire dans lequel ils
évoluent.
Afin d'étudier plus précisément le rôle des micro-organismes dans le cycle
du silicium, je mets au point en 1975 un procédé permettant de récolter les
dépôts de silice dus à leur action dont on saura ultérieurement qu'ils contien-
nent un pourcentage important d'organo-siliciés.
C'est au cours de ces expériences que je découvre fortuitement l'efficacité
thérapeutique de ces molécules.
A l'époque, en effet, je souffre depuis dix ans d'un psoriasis considéré
comme incurable qui affecte mes deux mains.
Amené à extraire des sables une solution très riche en silicium organique
pour l'étudier au microscope électronique, je suis obligé de malaxer celle-ci
avec ma main droite. Deux jours plus tard, je constate avec surprise que le
psoriasis a totalement disparu sur celle-ci, alors qu'il affecte toujours ma
main gauche. Intrigué, cherchant un lien de cause à effet, je trempe aussitôt
cette dernière dans une solution identique de silicium, avec l'obtention d'un
résultat aussi spectaculaire, également deux jours plus tard.
Dès cette époque, je commence donc à m'intéresser au rôle du silicium
organique dans le traitement des affections cutanées.
Le 29 octobre 1978, alors que je suis employé par Total, Sud-Ouest
Dimanche me consacre une page entière à propos de l'exoscopie, intitulée
«un univers dans un grain de sable ». L'article est illustré de plusieurs photo-
graphies, dont une me représente travaillant au M.E.B. Le 14 novembre, un
exemplaire de celle-ci me revient, postée par un expéditeur anonyme et
annotée du commentaire suivant: «Avec votre appareil, photographiez un
morceau de chair cancéreuse 100 000 fois et vous serez stupéfait du résultat,
croyez-moi» .
Ce message me touche profondément. Je me sens coupable d'avoir Le
privilège d'utiliser mon luxueux matériel pour m'amuser à regarder des grains
de sable, alors qu'il serait sans doute plus utile en recherche médicale.
Je me mets alors vraiment au travail et entre en contact avec des méde-
cins auxquels je fournis des solutions de silicium organique naturel pour
traiter des maladies de peau. Le produit que je leur donne, extrait des sables
siliceux, peut historiquement être qualifié de G3 (troisième génération d'or-
gano-siliciés à usage thérapeutique).
Avec surprise, nous constatons rapidement que les patients traités pour
des affections cutanées se déclarent soulagés de leurs douleurs articulaires,
ressentent un mieux-être général, et que pour ceux atteints d'affections
virales Les résultats des analyses de sang prouvent une guérison parfois spec-
taculaire!
] 0l QUI A PEUR DE LOÏC LE RIBAULT?

C'est en 1982, lors d'une manifestation scientifique à Bordeaux, que je


rencontre Duffaut. Je viens tout juste de créer le C.A.R.M.E., et dispose donc
d'un matériel de microanalyse très sophistiqué.
Entre chercheurs francs-tireurs, nous sympathisons d'instinct et décidons
immédiatement de poursuivre ensemble nos travaux sur les applications
médicales du silicium organique. Dès l'année suivante, nous avons mis au
point un organo-silicié de synthèse particulièrement efficace dans le traite-
ment des affections virales: c'est le G4 (encore appelé DNV), obtenu notam-
ment grâce à l'adjonction d'hyposulfite de sodium. Norbert Duffaut raconte
ainsi la naissance du DNV:
«Ma mère était atteinte d'une kératite à virus (herpès de l'œil). Elle était
allée consulter un ophtalmologue d'une sous-préfecture voisine de Barsac. En
l'absence de thérapeutique contre ce virus, il lui avait prescrit un vague collyre
et un antibiotique à instiller dans l'œil pour éviter une surinfection.
Comme cela arrive lorsque le médedn spédaliste n'a ni la sdence infuse ni
la prémonition, il prescrivit un antibiotique auquel ma mère était allergique.
Un œdème important se manifesta. Ma mère étant revenue chez le spédaliste,
il constata le fait et lui dit de continuer. L'œdème pouvait se résorber et lui
n'avait pas le temps de chercher ni de découvrir. Bien qu'ayant perçu de
nouveaux honoraires, il la mit à la porte rapidement sur un ton bourru dont il
a le secret.
Monsieur Loïc Le Ribault, qui assista par hasard au retour de ma mère,
manifesta un geste humanitaire (comportement inconnu de l'ophtalmologue).
Comme elle prenait des bains d'yeux de DNR + Optrex biquotidiens qui étaient
sans le moindre effet positif sur la destruction du virus, il conseilla d'ajouter
quelques grains d'hyposulfite de sodium. ( .. .) Le lendemain, la rougeur de
l'œil avait disparu. Un autre ophtalmologue moins rustre et plus humain,
consulté quarante-huit heures après l'inddent rapporté d-dessus, constata que
la kératite à virus avait été guérie.
C'est ainsi que grâce à l'assodation de deux dérivés DNR et hyposulfite de
sodium ( ... ) la première victoire rapide et sans récidive sur les virus fut
observée ( ... ). »
Onze années durant, nous accumulons les preuves de l'incroyable effica-
cité des organo-siliciés dans la guérison d'un grand nombre d'affections, trai-
tant (avec ou sans la collaboration de médecins praticiens) des centaines de
patients, essayant sans trève de perfectionner nos produits.
Pendant tout ce temps, nous demandons à d'innombrables reprises aux
-autorités médicales françaises la réalisation de tests officiels, afin que les
organo-siliciés soient reconnus comme médicaments. Mais nous nous heur-
tons à un silence ou des refus systématiques; sans doute ces molécules sont-
La bombe « G5 » 0[
elles trop efficaces et pas assez coûteuses: elles ne doivent sous aucun
prétexte être mises sur le marché ...
En 1982, profitant d'un séjour à l'Académie du F.B.I., je rencontre person-
neLLement les présidents des trois principaux laboratoires pharmaceutiques
états-uniens en présence de leur Etat-major. Je suis reçu fort cordialement,
ils se déclarent vivement intéressés, mes dossiers sont photocopiés · avec
avidité, et plus de vingt ans plus tard j'attends toujours leur réponse. Il en
va de même avec la Sanofi et l'Institut Pasteur (qui reçoit en outre des échan-
tiLLons de produit dont je conserve précieusement l'accusé de réception) à
Paris en 1983.
En 1985, nous déposons un brevet international pour protéger les appli-
cations thérapeutiques du G4, et organisons à Paris le 11 février 1986 une
conférence de presse dont Le résultat le plus notable est l'indifférence
absolue des autorités médicales. Par contre, l'information concernant Le rôle
de ces molécules dans La restructuration des fibres d'éLastine et de collagène
ne tombe pas dans l'oreille de sourds: dès 1987, le silicium organique cons-
tituera (et constitue toujours, clairement ou sous forme déguisée) le prin-
cipe actif essentiel de La pLupart des cosmétiques anti-rides des grandes
marques. Sans doute est-il encore pLus rentable de traiter Les rides que de ne
pas soigner le cancer?
En 1987, nous informons (par document enregistré devant huissier127 )
Jacques Valade, à l'époque ministre français de la Recherche, que ce produit
pourrait peut-être représenter un espoir dans le traitement du SIDA, et qu'il
est donc nécessaire de le tester immédiatement en ce domaine. Dix-huit ans
pLus tard, Le ministre n'a toujours pas répondu ...
Jusqu'en 1993, nous essayons sans cesse de faire agréer les organo-sili-
ciés, mais n'obtenons jamais la moindre réponse.
En novembre 1993, Norbert Duffaut est découvert mort dans son lit.
L'enquête conclut au suicide par empoisonnement au cyanure de potassium.
Etrangement, il n'a pas laissé de lettre pour expliquer son geste. Juste
quelques mots dans la conclusion du livre dérangeant qu'il s'apprêtait à
publier128 :
«Guérir tant de maux avec un seul produit, autrement dit avoir découvert
La panacée, semblait impossible à trop de beaux esprits ( ... ). Je n'ai pourtant
ni rancœur ni esprit de vengeance et je conçois très bien que Les savants ne
croient pas en ma découverte, mais je m'élève contre le fait qu'ils refusent de
l'expérimenter sans l'avoir essayée. »
Resté seul, je poursuis les travaux.

127. Constat établi le 1er juillet 1987 (référence MBLjMB) à Cadillac-sur-Garonne (33410).
128. Le titre du manuscrit était « Les tribulations d'un Découvreur Non Reconnu ». Je l'ai publié en 2003
et on peut le consulter sur mon site internet personnel « www.loic-le-ribault.com ».
=0l QUI A PEUR ! DE Loïc LE RIBAULT?

Jusqu'alors, pour que les organo-siliciés soient actifs, on devait leur


adjoindre de faibles quantités de produits utilisés en allopathie ou homéo-
pathie, choisis de façon spécifique selon les affections à traiter. En outre, les
organo-siLiciés de ces premières générations ne pouvaient être utilisés que
par applications cutanées (compresses, tamponnements, ionocinèse, etc).
En 1994, je commence à appliquer une nouvelle molécule, testée depuis
1991 et pouvant être utilisée sans rajoût de complément médicamenteux
quelconque dans le traitement de la plupart des affections.
Autre nouveauté importante: sous forme liquide, ce silicium organique de
cinquième génération (baptisé sjlanol ou G5) ne présente aucune toxicité et
devient donc buvable. Mais il peut aussi être utilisé liquide ou sous forme de
gel pour des applications cutanées.

LES PROPRIETES DU G5
Après utilisation par plusieurs centaines de milliers de patients, on peut
aujourd'hui résumer ainsi les principales caractéristiques du G5:
- Son efficacité est prouvée par des tests officiels et de multiples témoi-
gnages de médecins et de patients, étayés par des documents de tous ordres
(analyses de sang, radios, photographies, etc.);
- Il est assimilable par l'organisme humain et par celui des autres mammi-
fères;
- IL ne présente aucune toxicité;
- Il joue un rôle important dans la restructuration des fibres d'élastine et
de coLLagène, dans les stades précoces de la minéralisation osseuse et dans
le métabolisme général de l'organisme;
- Il possède la propriété de traverser le derme et l'épiderme pour diffuser
ensuite dans l'ensemble de l'organisme, et en particulier dans les organes ou
parties du corps souffrant d'agressions diverses ou de dysfonctionnement;
- Il est compatible avec toute thérapie à laquelle sont éventuellement
soumis les patients avant ou pendant son utilisation;
- C'est un anti-inflammatoire;
- IL accélère les processus de cicatrisation;
- IL renforce les défenses immunitaires de l'organisme;
- Il ne provoque aucun effet secondaire, même après utilisation durant
plusieurs années consécutives;
- C'est un «anti-douleur », dont l'action est souvent perceptible au bout
de quelques minutes seulement, notamment en cas de douleurs articulaires,
de brûlures ou de piqûres d'origines diverses (guêpes, méduses, moustiques,
etc.).
La bombe « G5» 00[
Pour tenter d'expliquer comment une molécule unique peut à elle seule
traiter La pLupart des affections, je ne peux que me borner à émettre une
simpLe hypothèse: des études scientifiques prouvent que tout désordre de
l'organisme provient au moins en partie d'un déséquilibre électrique cellu-
Laire. Or, la molécuLe de G5 est chargée à l'extrême en ions positifs et néga-
tifs instables.
Le G5 pourrait donc intervenir dans l'organisme pour rétablir la polarité
des cellules déficientes, libérant selon les cas des ions positifs ou négatifs.
Il serait en quelque sorte un rééquilibrant ionique de l'ensemble de l'orga-
nisme, dont l'action donnerait ou contribuerait à donner aux cellules de
celui-ci l'énergie nécessaire pour lutter contre tous les types d'agressions
dont il est victime.

L'OFFENSIVE
Au printemps 1995, devant le mutisme obstiné du ministère de La Santé,
je décide de lancer le pavé dans la mare.
Depuis le début de l'année, de nombreux patients commencent à venir à
mon domicile pour se faire soigner, alertés par le bouche à oreille. Bientôt,
je suis obligé d'installer des chaises dans l'entrée de la maison. Je ne fais
jamais payer les consultations, seulement le produit que je fabrique moi-
même, mais dont je dois acheter les ingrédients de base. Le G5 que j'ai stocké
dans des jerricans de dix litres est fourni aux patients dans des bouteilles de
récupération (prélablement ébouillantées) récupérées chez des voisins et des
amis. Outre le liquide, je propose aussi du gel, conditionné dans de petits
pots achetés en pharmacie.
Un jour, se présente à la porte de ma maison un individu portant un grand
sac de sport de m~rque Adidas. Il se présente: c'est le patron d'un très grand
laboratoire pharmaceutique d'Etat. Une fois entré, il pose son sac sur la table
et l'ouvre. Je suis tétanisé: il contient 1 500 000 € en espèces, qu'il m'offre
pour acheter mes brevets. Il est très clair: cet achat est destiné à étouffer
purement et simplement le G5, qui est trop efficace pour être commercialisé!
Je refuse, évidemment, et flanque l'individu à la porte, devant laquelle l'at-
tend une énorme et rutilante Mercédès.
Mais la venue de ce requin prouve que la situation est grave. Il est plus
qu'urgent de faire quelque chose.
Je contacte Bernard Lastéra, un journaliste de Sud Ouest que je connais.
Souffrant, il m'adresse à un de ses colLègues avec lequel j'ai déjà travaillé à
Br
plusieurs reprises: Jean-Michel Graille.
Jean-Michel est un homme passionné, d'une honnêteté scrupuleuse, dont
l'esprit curieux toujours en éveil s'intéresse notamment aux faits divers et à
] 0~I A ~ DE Loïc LE RIBAULT?

La recherche médicale. Il a d'ailleurs publié, quelques années auparavant, un


excellent livre sur L'affaire Priore.
le silicium organique Le captive immédiatement, mais il se déclare scep-
tique, ce qui ne m'étonne nullement.
Dans un premier temps, iL souhaite tester personnellement la molécule sur
lui-même (il a un doigt très déformé par L'arthrose) et sur ses proches. Je
suis évidemment entièrement d'accord et lui confie plusieurs litres de G5
ainsi que quelques pots de geL. Une quinzaine de jours plus tard, il revient
me voir et sort de sa serviette des témoignages écrits: en suivant à La Lettre
la posologie que je lui ai conseillée, il a obtenu des résultats spectaculaires
sur de nombreuses douleurs rhumatismales, des herpès, des céphalées et son
doigt s'est redressé à un point tel qu'il est redevenu presque normaL. Il n'en
revient pas, mais est ravi. Il a déjà parLé du produit à sa direction, qui ne
s'oppose pas à la publication d'un article de fond sur le sujet, à condition
que Jean-Michel m'accompagne chez des patients et des médecins, et ait
accès à tous mes dossiers. Bien entendu, j'accepte avec enthousiasme.
Quatre mois durant, Jean-Michel me
conduit à travers toute l'Aquitaine dans mes
«tournées» et collecte nombre de témoi-
gnages et de photographies. le soir ou le
week-end, nous travaillons ferme dans mon
bureau tandis qu'Eliane, sa charmante épouse,
papote sans répit avec ma mère et Maguy 129,
ravies d'avoir trouvé aussi bavarde qu'eUes. Au
fil des semaines, c'est presque une famille que
nous formons tous les cinq, ou plutôt tous les Fig. 56: de moLécuLe avec une maquette
de G5
six, Ix-le-Chien, outrageusement gavé de (cliché J.-M. GRAILLE, 1995).
sucreries et de jouets
par les époux Graille, ne
sachant où frétiller de
son moignon de queue
(c'est un boxer). Ce sont
des instants de travail
dans La joie, de pur
bonheur. (Fig. 56 et 57)
les derniers ...
Fig. 57: Maman et Ix-Le-Chien Fig. 58: Maguy
(19 avriL 1996).

129. J'avais fait La connaissance de Maguy (Fig. 58) deux ans pLus tôt, à répoque où, travaiLLant chez des
huissiers depuis trente-trois ans, eLLe y occupait Les fonctions de premier clerc. Par La suite, devenue amie
très proche de ma mère et de moi-même, eLLe sera appeLée à vivre (presque) chacun des épisodes de mon
aventure. SeLon les circonstances, on la verra arborer un air revêche à décourager le plus agressif des
créanciers, ou le sourire d'une gamine qui vient de voLer des confitures. D'Antigua à Gradignan et de Jersey
à La Suisse en passant par L1rlande, eLle visitera mes terres d'exil sans jamais trahir ma confiance.
La bombe « G5» [

Le matin du 24 juillet, à 8 h, c'est le drame: Landreau, huissier de son


état (car il parait que c'est un métier .. . ), débarque avec deux camions de
déménagement et la police. Il vient nous expulser, ma mère et moi. En vérité,
j'attendais cet instant depuis des mois.
Suite à l'assassinat du C.A.R.M.f., en 1991, ma demeure avait été mise
aux enchères à sept reprises. Six fois, en réalisant des miracles, en m'endet-
tant toujours un peu plus, j'avais réussi à la racheter ou faire racheter par
des amis. La dernière fois, ça n'avait pas été possible. Ma maison avait été
bradée pour 53 000 € à un écumeur de saisies, un de ces chacals qui hantent
les salles des ventes pour dégoter la bonne affaire, celle qui les enrichira un
peu plus en appauvrissant davantage ceux qui ne possèdent plus rien.
Un soir, dix jours après l'achat, le parasite était venu sonner à ma porte
en m'informant qu'il était désormais propriétaire des lieux. C'était (et c'est
toujours) un ancien jockey reconverti dans le commerce des ustensiles pour
cavaliers.
Assis dans mon bureau, il m'expliqua qu'en fait la maison ne lui plaisait
pas, et qu'il était tout disposé à me la revendre... pour 213 000 €! Au
moins, celui-là n'attachait pas ses canassons avec des saucisses! Fièrement,
il précisa:
«Je vais vous dire. Moi, dans la vie, il n'y a qu'une chose qui m'intéresse:
~e pognon! Rien que le pognon!»

Quel brave homme! Le genre qui vous réconcilie avec l'humanité, un


grand idéaliste. Et cette larve, en face de moi, roulait ses yeux écarquillés
dans sa grosse tête greffée sur un corps minuscule ... Il fallait bien faire
avec! Je n'avais pas le choix: je devais gagner du temps. A tout prix.
«Pas de problème », avais-je dit. «Donnez-moi trois mois ... »
« Entendu ... »
Et il me tendit une nageoire gluante avant de franchir le seuil de ce qui
était désormais sa maison.
Evidemment, trois mois plus tard, je n'étais pas plus riche. Par huissiers
interposés, l'ex-jockey me fit parvenir des sommations de déguerpir (eh oui,
ça s'appelle comme ça!) auxquelles, bien entendu, je n'obéis pas.
Alertées par des amis, les autorités politiques et administratives borde-.
laises ne daignèrent pas lever le petit doigt afin d'aider celui qui, en 1987,
avait été élu Aquitain de l'Année pour avoir été l'homme ayant le plus
contribué au renom de la région. 12]
Et voilà: Ce 24 juillet, Landreau et ses sbires sont à la porte, assistés de
la police au cas où je m'opposerais par la force à mon expulsion.
Dans la minute qui suit, le parasite commence le déménagement, laissant
toutefois à ma mère, dans sa chambre, le temps de terminer son petit
] 0' QUI A ~UR l DE Loïc LE RIBAULT?

déjeuner. Elle est effondrée mais affronte l'horreur avec beaucoup de courage.
Pauvre Maman ... Je ne lui aurai rien épargné des conséquences dramatiques
de mes absurdes combats ... Maguy, alertée, vient la soutenir et l'emmène
chez elle. Dernière vision de Maman quittant son «chez elle », toute courbée,
en larmes, appuyée sur sa canne, au milieu de ses meubles démontés, de ses
bibelots mis en caisses, pour se réfugier dans la petite Peugeot 205 qui la
conduira dans une maison certes amie, mais qui n'est pas la sienne ...
le soir, à 19 heures 30, tout est fini. Mes dossiers sous le bras (c'est tout
ce qui me reste désormais), je quitte notre nid désert et ses chauds souve-
nirs pour aller rejoindre Maman et Maguy.
Dès le lendemain de notre expulsion, les patients ont découvert l'adresse
de Maguy et commencent à envahir sa maison pour s'y faire soigner, trans-
mettant eux-mêmes mes nouvelles coordonnées à leurs amis. En nous héber-
geant, Maguy n'a pas hérité seulement de Maman, d'Ix-le-Chien et de moi,
mais aussi de mes patients, et en deux jours sa salle à manger se transforme
en salle d'attente, tandis que je soigne les malades dans une des chambres.
Pendant une semaine, nous restons chez Maguy, qui s'est débrouillée pour
nous trouver une location meublée dès le début d'août - un exploit en été
sur le Bassin d'Arcachon -, ce qui me laissera un mois pour chercher une
maison vide où installer nos meubles, stockés pour l'instant dans un dépôt,
à l'initiative de l'huissier. le vampire m'a affirmé que je pourrai les récupérer
sur simple demande, qu'il ne les a entreposés là que pour me rendre service.
Brave bête ...
le 2 août, nous emménageons donc à Biganos, au n° 4 de la rue de la
Verrerie. Au matin du 3, des patients attendent déjà à la porte!
Heureusement, il fait très beau, et ce temps magnifique, par miracle, durera
deux mois; mes clients peuvent donc attendre leur tour dans le jardin, tandis
que je traite leurs prédécesseurs dans les trois chambres. l'ambiance évoque
irrésistiblement celle qui devait régner dans la cour de l'hôpital de
lambaréné au temps du Docteur Schweitzer. Maman, dans la salle de séjour,
contemple, ravie, l'agitation qui pourtant perturbe sa tranquillité. Un jour,
pris par plusieurs urgences simultanées, j'oublie dans ma chambre un patient
pendant cinq heures! Bourrelé de honte, je me précipite enfin, et découvre
mon client qui dort paisiblement sur le couvre-lit. RéveiLLé, il se déclare
enchanté, enfin débarrassé des douleurs qui le torturaient depuis des années.
Pendant ce temps, Ix-le-Chien patrouille partout et recueille à longueur de
journée profusion de caresses.
Bientôt, la demande est telle que l'approvisionnement en récipients pose
un problème, d'autant que le pharmacien de la Teste, chez qui j'achetais mes
pots pour le gel, a reçu injonction de l'Ordre des pharmaciens de la Gironde
de cesser de m'en vendre; le nombre de bouteilles fournies par les voisins
devient également insuffisant. J'appeLLe donc à la rescousse Jacky, commer-
La bombe «GS» r
L

çant à la retraite, et Denis, ancien pilote de chasse. Débrouillards et rois de


l'organisation, ils effectuent une tournée quotidienne dans les bars du coin
et y recueillent des centaines de bouteilles que les tenanciers ont l'amabilité
de leur remettre lavées, prêtes à l'emploi. Tous deux se chargent ensuite de
l'embouteillage.
Commencées à huit heures, les consultations se terminent tard dans la
soirée, et il est exceptionnel que je trouve le temps de déjeuner.
Maguy découvre enfin une maison vide à louer pour nous héberger et
s'adresse à l'huissier Landreau pour que nous puissions récupérer nos
meubles. Elle se heurte à un refus catégorique: Le gratte-sang avait depuis
plusieurs mois dans sa bauge (il appelle ça son cabinet) un autre dossier
contre moi et me réclame 18 000 €, raison pour laquelle - à mon insu -
il a effectué une saisie conservatoire sur tous les meubles entreposés par ses
soins! Protestation: ces meubles ne sont pas à moi, ils appartiennent à ma
mère! Le charognard veut bien l'admettre, mais il faut le prouver. C'est facile,
dis-je, les preuves sont justement enfouies dans le garde-meubles, et il suffit
d'aller les récupérer. Le crocodile regrette: c'est impossible, car les meubles
sont «gerbés» (c'est à dire mis en tas) et il ne peut concevoir de perdre une
journée de son précieux et si lucratif temps pour de simples paperasses sans
valeur marchande. Que je paie d'abord, je récupérerai tout ensuite, et on
verra à ce moment-là si j'avais ou non des raisons de protester. Salaud!
En attendant de trouver une solution, nous demeurons donc rue de la
Verrerie.
Maintenant, Jean-Michel a accumulé suffisamment de preuves pour
présenter à la rédaction de Sud-Ouest son article sur le G5. Celui-ci paraît le
8 octobre 1995. Annoncé à la une, il remplit deux pages intérieures pleines
et est agrémenté de nombreuses photographies et témoignages de patients.

LA BOMBE
Ce jour-là, je n'ai même pas le temps d'acheter le journal. Je ne prendrai
connaissance de l'article que tard dans la nuit car, dès sept heures du matin,
une foule compacte se presse dans le jardin, débordant même dans la rue où
une queue se forme rapidement comme devant une épicerie aux pires
moments de l'occupation allemande. L'horreur!
Ni Jean-Michel ni moi n'avions prévu une telle réaction. Pour une raison
toute simple: en février 1986, Bernard Lastéra avait publié un premier.article
sur le silicium organique qui, quoique moins développé que celui de Jean-
Michel, exposait déjà en détail les applications thérapeutiques de la molé-
BI
cule. Or, à l'époque, je n'avais reçu que six appels téléphoniques et deux ou
trois lettres. Avec Jean-Michel, nous estimions donc, neuf ans plus tard,
qu'une centaine de contacts constituerait un score honorable.
JO Œ"UI A P_EUR! DE Lo ïc L E RI B AU LT?

Nous nous étions lourdement trompés.


Dans la matinée même de la publication, le standard de Sud-Ouest est
débordé; le lendemain, le journal est obligé d'embaucher huit standardistes
supplémentaires. Mais il n'est pas le seul à disjoncter; c'est aussi le cas de
celui des brigades de gendarmerie, des mairies, des pharmacies et des
bureaux de poste des villes voisines de Biganos. Quant à la préfecture de la
Gironde, c'est la catastrophe: par suite d'une erreur typographique, le numéro
de téléphone prévu (celui de Maguy, comme d'habitude) a été remplacé par
celui de ce prestigieux organisme! Cette bavure sera certes corrigée le lende-
main par Sud-Ouest mais, huit jours durant, le standard de la préfecture sera
entièrement bloqué, perturbant la tranquillité légendaire du Préfet qui devra
temporairement se faire tirer une ligne de dépannage! En apprenant cette
histoire, je suis mort de rire, car ce « haut» fonctionnâtre faisait partie de
ceux à qui mes amis s'étaient adressés pour qu'il m'aide lorsque j'allais être
expulsé; il avait refusé, prétextant qu'il ne me connaissait pas. Maintenant,
une chose est sûre: il ne pourra plus prétendre qu'il ignore mon existence!
En une semaine, le mouvement prend une ampleur incroyable. Je ne
réussis à dormir que quatre à cinq heures par jour, et encore. Une nuit, à
quatre heures du matin, alors que je dors profondément, je suis réveillé par
Ix-Le-Chien qui, grimpé sur mon lit, me secoue violemment en me désignant
des yeux quelque chose situé au-dessus de moi. Stupeur: une tête inconnue
me contemple, un grand sourire aux lèvres!
«Mais qu'est-ce que vous faites là?»
«Ben ... c'est pour un rendez-vous ... y a tellement de monde dans la
journée! .. . Je voulais être sûr de pouvoir être reçu aujourd'hui, et j'ai pensé
qu'à cette heure-ci ... »
Furieux, je me lève d'un bond, attrape le bonhomme par le bras et le
conduis jusqu'à la porte du jardin. Encore soufflant de rage, je rentre par la
salle de séjour. Horreur! Deux femmes âgées y sont sagement assises et me
sourient, pleines d'espoir:
«Bonjour, docteur! Vous pouvez nous recevoir maintenant? Nous souf-
frons tant, depuis si longtemps, ma sœur et moi ... »
Le moyen de résister à l'appel d'une telle détresse, à une si énorme mani-
festation de confiance absolue? Je cède, bien entendu ...
C'est seulement à cet instant que je prends conscience que je me tiens
tout nu devant les pauvres femmes, et je cours m'habiller.
1
21J La situation devient intenable. Mon amie Fabienne (Fig. 59), photographe
professionnelle, venue passer deux jours rue de la Verrerie, fixe sur pellicule
quelques scènes de l'agitation folle que je vis à longueur de journée: les
patients agglutinés dans le jardin, ceux qui s'en vont en serrant précieuse-
ment contre eux leur flacon de G5, les files d'attente qui envahissent la salle
La bombe «G5»

de séjour, Maman coincée dans son fauteuil et


qui n'en perd pas une miette, des patients
couverts de coton en cours de traitement
dans les chambres, le sourire ravi de ceux qui,
pour la première fois depuis des années, ne
souffrent plus, l'air anxieux de ceux qui atten-
dent leur tour et espèrent l'impossible. Moi,
épuisé mais heureux, acteur de ce qui, à l'évi-
dence, est en train de devenir un phénomène Fig. 59: Fabienne
de société. Parce qu'enfin, six appels au
secours en 1986 et des milliers (environ 35000) en 1995, et ce sur le même
échantillon de population (l'Aquitaine), c'est la preuve indubitable de l'échec
de la médecine officielle, du désarroi des patients et de leur quête effrénée
de mieux-vivre.
Ceux qui viennent ici sont tous abandonnés par leurs médecins. Le G5 leur
redonne espoir, et je sais que celui-ci n'est pas vain.
Le problème, c'est que les malheureux sont envahissants à un point
devenu insupportable. Ma vie privée, j'en ai fait mon deuil depuis longtemps.
Mais je ne suis pas seul. Ma mère a droit au repos. En outre, l'automne arrive;
dans peu de temps, mes patients ne pourront plus attendre dans le jardin, et
il me sera à l'évidence impossible de les recevoir à la maison.
Ma décision est prise en une minute: je dois louer des chambres dans un
hôtel!

L'EXPERIENCE DE BIGANOS
Une heure plus tard, nous emménageons à l'hôtel Les Bo,'ens, toujours à
Biganos. Les chambres sont confortables, il y a un grand hall d'entrée qui
peut servir de salle d'attente, un immense parking et un restaurant.
Dès le lendemain, le parking se remplit.
Des amis, tous anciens patients, sont venus m'aider. Outre Maguy
(évidemment!), la troupe se compose des fidèles Jacky et Denis, de Jean-
Pierre, Alain, Laetitia et Jocelyne, qui se chargent de l'accueil, de la vente
du G5, des prises de rendez-vous et du tri du courrier qui compte chaque jour
plusieurs centaines de lettres.
Jacky et Denis ont trouvé un fabriquant de bouteilles et de pots qui
commence à nous approvisionner, mais de façon encore insuffisante. En
attendant que le problème soit réglé, ils ont déniché une mine inépuisable
EH
(ou presque) de bouteilles dans le supermarché de Biganos, où ils vont tous
les matins littéralement écumer les stocks disponibles d'eau minérale de
toutes marques en flacons d'un demi-litre. Au troisième jour de ce manège,
] F PEUR] DE Loïc LE RIBAULT?

voyant passer leur caravane de chariots gorgés de centaines de bouteilles,


une caissière s'étonne:
«Mais qu'est-ce que vous faites de toute cette eau chaque jour?»
«C'est pour notre colloque ... », répondent, imperturbables, mes deux
acolytes.
«Votre colloque?»
«Ah, vous ne saviez pas? Actuellement, à Arcachon, se tient notre sémi-
naire annuel de la Ligue Antialcoolique ... ALors, vous comprenez, comme elle
compte plusieurs centaines de membres, et que la réunion dure une semaine,
il nous en faut, des bouteilles d'eau! ... »
Bouteilles qui, quelques minutes plus tard, sont toutes vidées dans La
baignoire de ma salle de bain, et leur contenu immédiatement remplacé par
le précieux GS.
Maintenant, je«tourne» avec quatre chambres à temps plein, courant
toute la journée sans interruption d'une pièce à l'autre, quittant des patients
en début de traitement dans une chambre pour étudier dans la suivante des
malades en fin d'application. C'est épuisant. Le soir, je suis littéralement
vidé. Je ne tiendrai pas longtemps à ce rythme. Il me faut un collaborateur,
de préférence médecin. Celui-ci doit être d'une grande ouverture d'esprit,
posséder des notions sur le silicium organique, pouvoir s'adapter à mon
rythme, supporter ma tyrannie perpétuelle Ue ne suis pas toujours facile à
vivre), mais avoir suffisamment d'indépendance d'esprit et de courage pour
me donner son avis s'il diffère du mien, voire même oser me critiquer si
besoin est. Or, ce phénomène existe: c'est Marcel.
Marcel est Allemand et parle couramment le français et l'anglais. Agé de
vingt-cinq ans, il est en dernière année de médecine et participe déjà à des
interventions chirurgicales. Doté d'une intelligence rare, parfaitement équi-
libré, d'une grande honnêteté intellectuelle, il ne vit que pour sa passion:
son métier. Mais il sait aussi s'amuser comme un gosse quand il faut décom-
presser. Nous nous sommes rencontrés quelques mois plus tôt chez des rela-
tions communes et, toute la soirée, n'avons parlé que de silicium organique,
oubliant total~ment la présence des autres convives. Je ne doute pas une
seconde que mon aventure le séduise. Je suis sûr qu'il viendra me rejoindre,
et l'appelle en Allemagne. Sa réponse est immédiate: Oui, il est prêt à venir.
Tout de suite.
Le lendemain, il est là, ses cheveux blonds ébouriffés, la mine toujours
lB aussi rêveuse mais ses yeux bleus étudiant sans répit le monde qui l'entoure.
L'air incroyablement jeune et fragile, je sais qu'il possède en réalité une
grande maturité d'esprit et une détermination inflexible.
Deux jours plus tard, il m'avouera qu'il est venu parce qu'il ne croyait pas
que l'Opération GS (dont je lui avais révéLé le futur déclenchement dès le
La bombe « G5 » 01

mois de juin) eût atteint une telle ampleur et qu'il tenait, avant de s'engager
à mes côtés, à vérifier lui-même les résultats que j'obtenais «sur le terrain ».
Marcel est aussitôt mis à rude épreuve. Incrédule, il assiste à la prise d'as-
saut de L'hôtel par les patients, à La ronde des chambres; il vit à mon rythme
épuisant et, de par sa formation, m'est d'une aide précieuse pour l'interpré-
tation des dossiers médicaux, des analyses de sang et des radios apportés par
les malades bourrés d'espoir. Dès le premier jour, il a la chance de voir des
patients handicapés depuis des années, perclus de douleurs, sortir des cham-
bres sans leurs cannes, sans leurs béquilles, criant leur joie dans le hall d'at-
tente. DéLire de ma part? Mensonge? Affabulation? Que non ... De telles
réactions, des résultats si rapides, sont devenus mon lot quotidien, mais
Marcel n'a pas encore l'habitude. Qu'importe, il la prendra. Un des plus beaux
souvenirs que je partage avec lui concerne précisément le dernier patient de
sa première journée aux Boïens:
Gaston, figure haute en couleur de Biganos, arrive à l'hôtel soutenu par
un ami, appuyé sur ses deux cannes anglaises, incapable de plier les genoux.
Il se traîne dans une des chambres et s'affale sur une chaise:
«J'peux plus marcher! Depuis des années! Vous croyez que vous pouvez
m'aider? »
«On ne sait jamais, je ne peux rien promettre. De toute façon, nous
serons fixés dans quelques minutes ... »
«Oui », murmure Marcel, qui étudie Les radios. «On peut toujours
essayer ... »
Nous Lui appliquons des cataplasmes sur Les articulations des hanches et
sur les genoux:
«Et maintenant, on attend un quart d'heure ... »
Pendant que le produit agit, Gaston demande à Marcel:
«D'où venez-vous? Vous n'avez pas l'accent du Sud-Ouest ... »
«Je suis Allemand.»
«Ah ça, c'est bien! Un Allemand qui travaille avec un Français! Vous êtes
moins cons que de notre temps! Moi, tout ce que je sais des Allemands, c'est
qu'on se faisait la guerre ... Saloperie! J'étais dans Les sous-marins, en ce
temps-là. Sur le Casablanca ... »
«Moi aussi », dis-je, «j'étais dans la Royale. Enfin ... juste Le temps du
service ... »
«ALors, on se tutoie?», demande Gaston. «Entre anciens matafs ... »
«D'accord, Gaston!»
Il se tâte La hanche avec précaution, puis Les genoux:
« Dis donc, ton truc ... on dirait que ça chauffe ... »
10[Q~ ~!l DE Loï c LE RI BAULT?

«C'est normal», dit Marcel. «C'est qu'il commence à agir. On attend


encore un peu.»
Au bout de cinq minutes, je décide de faire un essai :
«Essaie de bouger un genou, tout doucement ... »
Gaston a l'air anxieux des patients pour lesquels le G5 est le dernier espoir
qu'ils craignent tant de voir s'envoler, un air que je ne connais que trop bien.
Avec d'infinies précautions, il lève un genou et, millimètre par millimètre,
commence à le plier ... puis le plie complètement, l'incrédulité peinte sur le
visage:
«Mais ... mais ... je le plie ... j'ai plus mal, bon sang!»
Sans me demander, cette fois, il plie l'autre genou, avec beaucoup plus
d'assurance:
«Et c'est pareil pour celui-là! Doc! ... Je remue! ... »
Je l'aide à se lever, lui donne ses cannes et l'invite à essayer de marcher
lentement dans la chambre. Il fait un pas, tout seul, puis un autre, puis un
nouveau qui entraîne Le suivant.
« Ben ... j'ai l'impression que je pourrais me passer de mes cannes!»
« Essaie! On reste à côté de toi, si tu as un problème ... »
Mais tout se passe bien. J'ouvre la porte qui donne dans le couloir d'une
vingtaine de mètres de Long sur Lequel s'ouvrent toutes Les chambres que
j'utilise.
«Vas-y! »
«Où ?»
«Dans Le couloir, tiens .. . »
Je m'adosse contre Le mur, face à la porte que Gaston n'a pas encore fran-
chie. Je sais maintenant qu'une fois de plus le G5 a fait son effet. Marcel se
pLace à mes côtés, les mains dans le dos. Ses yeux ne quittent pas Gaston.
Gaston regarde intensément MarceL, puis moi. Il hésite encore. Il a peur
d'être déçu .
«Vas-y, Gaston! », souffle Marcel.
Gaston s'ébranLe, marche très lentement, puis de plus en plus vite. Il
atteint L'extrémité du couLoir et attend, le nez contre la porte de séparation
avec le hall d'attente. Je crie:
« Demi-tour à droite ... droite!»
Gaston obéit comme à la parade et revient à notre hauteur. Je dis:
«Allez, une autre fois! Demi-tour à droite et retour sans arrêt!»
Gaston effectue La manœuvre sans problème, d'une marche parfaitement
normale. Revenu devant nous, il me pose La main sur l'épaule:
La bombe « G5» l0[
«Ah, si on avait eu des officiers comme toi, on n'aurait sûrement pas
perdu la guerre!»
De retour dans la chambre, il est radieux et demande à acheter du produit.
Sans dire un mot, je saisis un feutre noir et dessine une ancre de marine sur
la bouteille que je lui tends:
«Cadeau! Je ne vais tout de même pas faire payer un mataf, non?»
Gaston a soudain les yeux étrangement humides. Il me serre la main très
fort, puis prend celle de Marcel, qu'il garde longtemps dans la sienne en lui
disant:
«Toi, petit, n'abandonne pas le "toubib" ... Il ne te le dira jamais, mais il
a besoin de toi ... »
Puis il s'en va, ses cannes sous le bras. C'est en cet équipage que, le soir
même, il fera le tour de Biganos.
J'ai accompagné Gaston jusqu'à la sortie. Quand je reviens, Marcel est
toujours dans le couloir, la tête reposant sur ses bras croisés appuyés au mur.
A mon approche, il lève les yeux et murmure:
«Depuis ce matin, je suis en train de perdre tous mes repères!». Puis il
ajoute: «C'est fabuleux! Maintenant, Loïc, j'y crois, à ton G5! Je reste!»
Quelques jours plus tard, nous recevons une magnifique boîte de foie gras
avec une ancre de marine dessinée au feutre noir et ce petit mot: Pour le
toubib français et son petit copain boche.
Le foie est délicieux. Surtout, il a un goût de victoire!
J'en aurais tant à raconter, des histoires comme celle de Gaston! '" Tenez,
juste une autre; celle d'Emilie des Sapinettes.
Un matin, très tôt, alors que je prends mon petit déjeuner, un homme
s'approche de ma table:
«Vous pourriez venir voir l'Emilie? Je suis son neveu ... »
«C'est que ... j'ai mes premiers rendez-vous dans une demi-heure ... »
«Vous avez largement le temps, c'est la maison juste à côté de l'hôteL. Là
où poussent les sapinettes.»
«Et qu'est-ce qu'elle a, l'Emilie?»
«Elle ne marche plus du tout depuis un mois. On doit la porter de son lit
à son fauteuil et le médecin vient de lui dire ce matin qu'il faudrait qu'elle
s'y habitue parce qu'elle ne remarcherait jamais plus! Alors, le moral, vous
comprenez ... »
Si je comprends ...
Nous poussons un portillon en bois, traversons un poulailler, un petit
jardin et entrons dans la cuisine. Emilie, assise, nous attend en se tampon-
nant les yeux avec un mouchoir. Elle ne peut absolument plus bouger les
UL
J QUI A P~ DE Loïc LE RIBAULT?

genoux, sur lesquels j'applique sans tarder des cataplasmes, comme d'habi-
tude. Puis on attend, comme toujours. «ça chauffe ... », dit Emilie au bout
de cinq minutes, comme tout le monde. Et cinq nouvelles minutes plus tard,
comme je m'y attendais, elle recommence à plier les genoux ... Dans le quart
d'heure qui suit, Emilie fait toute seule le tour de la table.
A midi, alors que je traite un patient, Maguy ose frapper à la porte. C'est
sûrement pour une raison grave, car je ne supporte pas - ou alors très, très
mal - qu'on me dérange quand je travaille.
«Quoi? »
«C'est le Monsieur avec qui tu as vu une cliente ce matin ... »
« Et alors?»
«Il attend dans le hall. Il voudrait que tu viennes tout de suite. Il dit qu'il
n'yen a pas pour plus d'une minute et que c'est très important ... »
« Bon, j'arrive! »
Je m'excuse auprès de mon patient.
«Venez voir! », dit le neveu en m'entraînant derrière lui.
Nous approchons tout doucement du jardin aux sapinettes. Emilie est là.
Elle se promène toute seule dans une allée.
Sans canne ...

A DEUX PAS DE LA VICTOIRE


Il est évident que l'opération de Biganos ne durera pas éternellement. Ce
que je veux, c'est contraindre les autorités médicales à tester officiellement
le G5 pour obtenir une A.M.M.130 permettant sa vente en pharmacie en tant
que médicament. Le «silanol», maintenant, on en parle dans toute la région.
Mon coup de force ne peut être ignoré par l'Ordre des médecins. Celui-ci ne
peut pas ne pas envoyer des représentants pour constater l'efficacité et la
non-toxicité du produit, dont je tiens le dossier complet à disposition de
tous ceux qui souhaiteraient le consulter.
Mais, à la mi-novembre, rien ne bouge encore du côté des autorités
supposées responsables de la santé publique.
Peut-être, après tout, ne bougeront-elles jamais? Il faut dire que le G5,
pour la mafia médicale l31 , présente tous les inconvénients: il n'est pas cher,
extraordinairement efficace dans un délai très court et permet de traiter
nombre d'affections. Autrement dit, à lui seul, il serait susceptible de

130. Autorisation de mise sur le marché (pour un médicament).


131. Lire « La Mafia Médicale», de Guylaine Lanctôt, éditions « Void la Clef».
labombe«G5» O[
remplacer plusieurs milliers de médicaments actuellement sur le marché. Il
représente donc une menace bien réelle de catastrophe économique.
Car il faut avoir le courage de regarder les choses en face: pour les finan-
ciers, les industriels, les politiques et les «autorités» (ordre des médeci ns,
ordre des pharmaciens), un bon malade est un malade qui souffre longtemps,
le plus longtemps possible, auquel on prescrit les médicaments les plus
coûteux, susceptibles de procurer un soulagement léger (preuve apparente
d'efficacité) ne débouchant sous aucun prétexte sur une guérison totale qui
signifierait la perte de la vache à lait, l'assassinat de la poule aux œufs d'or.
Un malade doit être rentable, rapporter un maximum d'argent, faire travailler
les pharmaciens, les laboratoires pharmaceutiques, les infirmiers, le
personnel hospitalier, les ambulanciers, les laboratoires d'analyses médicales,
les cliniques privées, les médeci ns généralistes et les spécialistes avant de
finir, comme tout le monde, par engraisser les pompes funèbres.
Contrairement à ce que disent les tartufes, la sécurité sociale ne coûte pas
cher: son gouffre prétendu traduit en fait d'énormes gains financiers.
Pour protéger ce fabuleux gâteau, on sait d'ailleurs (mais on n'ose pas le
dire) que la mafia pharmaceutique utilise tous les moyens afin de vendre le
maximum de médicaments: le mensonge, la fraude, la publicité ouverte ou
déguisée, les pots-de-vin, le truquage des résultats, l'étouffement des théra-
pies réellement efficaces et même l'assassinat par hommes de main inter-
posés. Il est vrai qu'elle ne craint pas grand chose, puisqu'elle bénéficie du
soutien actif et constant de tous les organismes d'Etat qu'elle finance. la
preuve? Dans la chasse aux sorcières que la mafia organise et contrôle sans
relâche, on retrouve toujours le médical, le fiscal, le judiciaire, le médiatique
et le policier ligués contre ceux qui soignent et soulagent en dehors des
règles établies, «charlatans» d'autant plus dangereux qu'ils sont plus effi-
caces.
Je suis conscient de cela, et la différence d'attitude à mon égard est
significative de la part de trois catégories professionnelles de la santé: les
spécialistes refusent d'entendre parler du G5 (aucun d'entre eux n'a accepté
de simplement lire un de mes dossiers) et les pharmaciens, dans leur grande
majorité, ne manquent pas une occasion de me traiter de charlatan devant
leurs clients; par contre, nombreux sont les médecins généralistes et les
infirmiers(ières) qui me demandent rendez-vous ou m'adressent des patients:
ceux-là ont le feu sacré; leur vocation est de soigner et de soulager, pas de
s'enrichir. Ce sont eux, d'ailleurs, qui me conseillent deux choses: quitter La
France au plus vite et installer à L'étranger un Centre de SiLicothérapie où,
avec l'aide de médecins formés par moi, je pourrais traiter mes patients et
poursuivre mes recherches. C'est aussi l'avis de Marcel car, s'il est séduit par
les organo-siliciés, sa véritable passion demeure la chirurgie. Ce qu'il aime-
rait, c'est que je crée un tel centre, mais équipé d'un bloc opératoire. Comme
JO i QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?

ça, nous pourrions tous deux satisfaire nos passions mutuelles en nous
entraidant.
Comme toujours, il a raison. Mais, pour réaliser un tel projet, il faut de
l'argent. Beaucoup d'argent! Or, je commence à en avoir pour la première fois
de ma vie. Je l'ai soigneusement mis de côté, car mon objectif premier était
de créer tout simplement un laboratoire de recherches, ce qui n'est pas non
plus donné. Désormais, mon objectif devient donc le Centre de SiLicothérapie.
Bouteille par bouteille132 , le projet prend forme comme pierre par pierre,
quittant rapidement le stade de l'utopie pour devenir une réelle possibilité.
A la mi-décembre, j'ai engrangé 300 000 €, somme déjà suffisante pour envi-
sager un emprunt pour la réalisation du Centre. Mes dépenses sont limitées
à l'achat des ingrédients pour fabriquer le G5, à l'acquisition des bouteilles
et des pots, à la location des chambres d'hôtel et à la nourriture de mon
équipe de volontaires.
En ce qui me concerne, après trois ans de misère absolue, les seules fantai-
sies que je m'octroie sont l'achat d'une paire de lunettes neuve (l'ancienne
tenait grâce aux miracles conjugués du scotch, de la super-glu et de trom-
bones), d'une parka de l'armée allemande, d'un blouson de cuir et d'une vieille
Citroën BX (3 000 €); j'ai aussi prélevé sur mes réserves 18 000 € pour récu-
pérer mes meubles toujours saisis par Landreau-La-Sangsue. 4 500 € ont
également servi à aménager un local où Jacky et Denis, infatiguables,
mettent le G5 en bouteilles avant de le livrer aux Bo'iens dans leur vieille
camionnette Dyane que l'afflux sans cesse croissant de commandes contraint
à effectuer désormais plusieurs rotations quotidiennes. Un jour, sous les
poids joints de l'âge et de son chargement, le châssis du courageux véhicule
cède en son milieu: les phares scrutent le ciel tandis que l'arrière se dresse
vers les nuages. Le G5 ne peut évidemment rien pour elle, et la Dyane expire
sans un bruit, aussitôt remplacée par un Combi Volkswagen plus robuste.
L'équipe a pris son rythme.
Je me lève à sept heures et, toilette faite, me rends à la salle à manger
où Marcel me rejoint pour le petit déjeuner. Nous étudions le programme de
la journée, puis j'apporte son plateau à Maman qui m'attend dans son lit sur
lequel Ix-Le-Chien, voluptueusement instaLLé, espère un morceau de crois-
sant.
Les consultations débutent à neuf heures, au moment où Maguy, revenant
de la poste où elle est allée chercher le courrier, prend sa place à l'accueil.
Vers onze heures, Jacky et Denis apportent la première livraison de produit,
parfois agrémentée d'un rapide apéritif dans ma chambre. A treize heures,
nous déjeunons en commun avec les membres de l'équipe, puis les consulta-

132. Chacune était vendue à L'époque 52 € Le Litre, frais d'expédition compris, ou 49 € prise sur pLace.
Depuis, j'ai réussi â faire tomber Le prix à 38,11 € .
La bombe «G5 » O~·

tions reprennent de quatorze à vingt heures. La journée s'achève par le dîner


«familial» en compagnie de Maman, Maguy, Marcel et Ix-Le-Chien.
Avec Marcel, quand la nuit est tombée, nous discutons des heures durant
du futur Centre, des résultats obtenus dans la journée, des nouvelles appli-
cations potentielles du G5. Une de nos grandes idées: trouver le moyen de
fournir gratuitement du produit aux pays défavorisés. Déjà, à mon échelle,
j'applique une règle d'or: ne faire payer que ceux qui le peuvent et offrir le
G5 aux plus démunis. C'est une manière de procéder dont j'informe dès leur
arrivée les clients dont quelque chose me dit qu'ils sont désargentés. Je leur
évite ainsi d'avoir à quémander. J'ai moi-même si souvent dû mendier - au
sens propre du terme - que je ne sais que trop combien c'est humiliant. Je
ne fais jamais non plus payer ceux que je traite dans le cadre de mes travaux
de recherche et auxquels je demande en échange leurs résultats d'analyses
médicales.
Parfois, je conduis Marcel au premier étage de l'hôtel. On y accède par un
escalier en colimaçon qui débouche sur une verrière de laquelle on distingue
l'usine de La Cellulose du Pin, environnée de son éternel panache de fumée
nauséabonde ponctuée de lumières multicolores; sous la verrière, le toit qui
surplombe la porte d'entrée de l'hôtel ressemble au pont d'un sous-marin
fonçant dans la nuit. D'où nous nous tenons, appuyés sur la rambarde métal-
lique, on se croirait sur le kiosque du submersible.
Image de guerre? Peut-être, mais c'est bien une guerre dans laquelle je
me suis lancé, une guerre dont l'enjeu est énorme, la bataille de la santé
publique contre le pouvoir monstrueux de l'argent, celle d'un homme presque
seul contre des empires financiers.
Dans la journée, quand j'ai le temps, j'aime venir me réfugier ici, sur ma
passerelle, pour fumer une cigarette en songeant à ce qui m'arrive et à ce qui
se passe, là-dessous, au rez-de-chaussée.
Que ne me suis-je arrêté à cet instant .. ,
Car, dès la mi-décembre, la bataille du G5 est gagnée: j'ai tous les atouts
dans la manche, une équipe de volontaires enthousiastes, des milliers de
patients satisfaits, de nombreux médecins qui, déjà, prescrivent le produit,
plusieurs pays qui m'offrent aide, hospitalité et argent. D'une seconde à
l'autre, je suis en mesure de partir avec armes, bagages et équipe pour créer
à l'étranger mon Centre de Silicothérapie. Mais je ne me décide pas! Je veux
l'A.M.M. en France, je ne me sens pas le droit d'abandonner mes patients, je
veux, jusqu'au bout, accomplir la mission que je me suis donnée ...
Maintenant, ce sont non seulement des particuliers que je reçois, mais des
Bl
familles entières qui prennent des rendez-vous groupés, des villageois qui
louent des cars; chaque semaine, des véhicules des postes, de la police, de
la gendarmerie, des impôts et d'autres administrations viennent prendre
~ u rour A PEUR ~ DE Loïc LE RIBAULT?

livraison des commandes passées par leur bureau, leur commissariat ou leur
brigade. Des médecins ou des infirmières attachés à des sociétés de tailles
diverses font de même, ainsi que des soigneurs et des kinésithérapeutes de
clubs sportifs. Comme on sait maintenant que le G5 peut être utilisé en tant
que produit à usage vétérinaire, je commence à recevoir aussi des chiens, des
chats et des oiseaux, avec des résultats aussi spectaculaires que pour les
humains.
Mais je n'obtiens toujours aucune réaction des autorités médicales fran-
çaises ...
A la fin décembre 1995, Antenne 2 se présente aux BOl'ens pour réaliser
un reportage. Dans celui-ci, qui est diffusé le jour même au cours du journal
télévisé, je déclare ouvertement que je fais de l'exercice illégal de la méde-
cine, que j'ai traité des milliers de patients, et que l'expérience de Biganos,
unique dans l'histoire de la médecine, prouve «que Les malades préfèrent être
guéris illégalement que souffrir ou mourir dans le respect des lois ».
Le lendemain, dès l'aube, c'est l'affolement.
C'est par centaines que les patients affluent. L'embouteillage est tel que
le Combi ne peut se frayer un passage dans la foule pour livrer son charge-
ment. Le spectacle est indescriptible: comme le hall d'entrée est bondé à
craquer, les gens se massent devant l'hôtel et crient pour obtenir du produit.
D'une seconde à l'autre, la situation peut devenir incontrôlable et un acci-
dent grave se produire.
Je décide de faire appel à la police municipale, qui m'envoie une blonde
sculpturale en uniforme dont la seule vue ramène le calme. Très maîtresse
d'elle-même, douée d'un sens certain de l'organisation, elle distribue des
cartons dotés d'un numéro et se charge d'appeler les clients par ordre d'ar-
rivée. Bientôt, une file bien ordonnée s'allonge devant la réception où sont
entassées les bouteilles de G5.
Pendant ce temps, imperturbable, je poursuis ce qui est devenu une
routine: sauter de chambre en chambre pour traiter les patients qui ont eu
la sagesse de prendre rendez-vous. En un mois et demi, sur les moquettes de
l'hôtel, j'ai usé jusqu'à la corde, au sens propre du terme, les semelles d'une
paire de chaussures!

LE NAIF ET LES PARASITES


Entièrement absorbé par ma tâche, je n'ai pas aperçu deux individus noyés
dans la masse, qui luttent désespérément pour tenter de me joindre. L'un, le
teint jaunâtre, affligé de dents de lapin, les cheveux gras et longs balayant
le col sale de son pardessus douteux, se nomme Patrick Isnard. L'autre,
joufflu, bedonnant, blême et insignifiant, a l'air de ce qu'il est: rien. Il s'ap-
pelle Richard Ferrière.
La bombe « G5 » [

Maguy, malheureusement, aperçoit les gesticulations hystériques des


«Deux Clowns»133 et me persuade que je dois accorder au moins un bref
entretien aux deux personnages.
C'est Isnard qui attaque:
«Nous admirons ce que vous faites. Nous sommes des financiers. Pouvons-
nous vous aider?»
«Ben ... »
«Combien vous faudrait-il pour poursuivre vos recherches en toute tran-
quillité d'esprit? 500 000 €? Un million? Deux? Plus?»
«Mais je n'ai pas besoin d'argent. Je me débrouille très bien tout seul.
Mon objectif n'est pas financier, il est humanitaire."
«C'est ce que nous avons entendu dire, et ça tombe bien: nous sommes
ce qu'on pourrait appeler des finanders philanthropes, et nous souhaiterions
vous aider dans votre magnifique projet.»
Ils m'énervent. La fréquentation des financiers m'a montré qu'ils sont
rarement philanthropes, tout comme les huissiers ne sont jamais humains ni
les énarques intelligents. Nous convenons néanmoins d'un rendez-vous pour
le 8 janvier 1996.
Or, Le 4 janvier 1996, deux plaintes sont enfin déposées contre moi: une
de l'ordre des pharmaciens et L'autre de l'ordre des médecins. Aussi étrange
que cela puisse paraître, j'en suis ravi: je suis persuadé que, suite à ces
plaintes, le ministère de la Santé sera obLigé d'effectuer les tests officiels sur
le G5 que Duffaut et moi demandions depuis si longtemps. Suis-je naïf. ..
Le matin du 8 janvier, il y a beaucoup de monde à La réunion: Outre
Isnard, toujours aussi crasseux et Ferrière, qui persiste dans l'insignifiance,
je fais La connaissance de celui qui, visibLement, est leur patron, un nommé
Philippe Desage. Celui-ci est accompagné de son conseiller juridique et d'un
de ses clients, Condon, dont il gère la fortune. Un nommé Bernard Borie
assiste égaLement à la réunion. Et celui-là, je le connais.
Agé de 53 ans, brun ténébreux à la voix grave, il se prétend ancien offi-
cier de La Légion ayant servi au Deuxième REp134 avant d'entrer au S.D.E.C.E.,
dont il dit avoir démissionné en 1981 après l'arrivée au pouvoir des socia-
listes. Rien de tout cela n'est vrai, bien entendu, mais je ne le saurai que plus
tard. Trop tard. En réalité, Borie est un raté, un psychopathe qui prend ses
rêves de gloire pour une réalité passée. Par contre, c'est un authentique EIl
escroc.

133. C'est Le surnom que je Leur donnerai pLus tard.


134. Deuxième Régiment Etranger Parachutiste.
~ ~ l~ A PEU ~ DE Loïc LE RIBAULT?

Je l'ai rencontré deux ans auparavant, alors qu'il disait avoir troqué le
pistolet-mitrailleur et le battle-dress contre la calculette et le costume-
cravate. Amené à moi par une relation commune, il avait essayé - en vain,
naturellement - de négocier des tableaux de valeur que j'avais expertisés
pour des clients souhaitant s'en séparer.
Nous avions sympathisé, son passé supposé prestigieux mais malheureux
m'inspirant la compassion que je réserve à tous les chiens battus. Il préten-
dait d'ailleurs l'avoir été à cause de moi, suite à un de mes passages (authen-
tique, celui-là) au Mexique qui avait laissé de mauvais souvenirs à certains
trafiquants de drogue. Envoyé peu de temps après mes exploits dans cette
lointaine contrée, il disait avoir été arrêté, emprisonné et sauvagement
torturé pendant deux mois avant d'être rapatrié quasiment mourant en
France. C'était possible, après tout.
Je devrais pourtant me méfier; comme beaucoup de faux-jetons et de
traîtres qui ont croisé ma route, Borie présente le symptôme caractéristique
du syndrome de Judas: il trimbale partout avec lui une Bible qu'il consulte
ostensiblement. C'est très mauvais signe ...
De cette entrevue, il ressort que je suis un génie qu'on doit protéger
malgré lui, qu'aveuglé par mon admirable souci de soigner mon prochain j'ou-
blie mes propres intérêts et que je me vautre dans l'illégalité telle sanglier
dans sa bauge.
Selon ces messieurs, la seule solution consiste à ce que je mette immé-
diatement un terme à mes coupables activités aux Boïens et les laisse monter
une société (dans laquelle j'aurais bien évidemment des parts) chargée de la
vente du G5 dans un cadre parfaitement légal. Toutefois, comme il convient
que l'aspect scientifique noble soit soigneusement séparé des répugnantes
activités commerciales, dont ils se chargeraient personnellement, mon nom
n'apparaîtrait pas, mes parts étant «portées» par un homme de toute
confiance, Borie par exemple, qui s'engagerait par écrit à me les céder à ma
première demande. Trente pour cent du chiffre d'affaires me seraient versés
tous les mois à titre de royalties pour financer mes recherches et créer mon
Centre.
Mais cette société doit impérativement être créée aujourd'hui même, car
la loi (à laquelle mes interlocuteurs semblent attacher une émouvante dévo-
tion) n'accorde que trois mois pour officialiser une activité après le début de
celle-ci. Or, j'ai commencé - comme le prouvent les articles de presse -
très exactement le 8 octobre 1995, et nous sommes le 8 janvier 1996.
Borie m'encourage vivement à signer le contrat (dont je m'étonne
d'ailleurs qu'il soit déjà rédigé), insistant lourdement sur le sérieux du trio
sur lequel, il le répète, il a pris tous les renseignements nécessaires. Ille jure
sur sa fausse croix de guerre.
La bombe « G5» 0[
J'accepte donc.
Le soir même, la société S.L.D.!. est créée. Les parts sont réparties équi-
tablement (20 %) entre Isnard (gérant), Ferrière, Desage, Condon et Borie
(qui, comme convenu, «porte» mes parts).
La vérité, c'est que je suis tombé entre les pattes d'escrocs dont le seul
objectif est de s'enrichir à mes dépens, et le plus vite possible. Avec moi, ce
n'est pas difficile: si je n'obtiens pas un jour le Prix Nobel de médecine, je
partirai largement favori pour celui de la naYveté.
La société se met alors aussitôt au travait.
Celui-ci est simple, en vérité: il consiste à récupérer tous les chèques que
j'ai engrangés «illégalement» pour les transformer en chèques «légaux»
conformes aux exigences des services fiscaux.
Scrupuleusement, je remets au gérant pour environ 380 000 € en chèques
et 150 000 € de commandes. Il a été en effet décidé que ce sera désormais
la société qui se chargera d'expédier le produit aux clients, tandis que je
m'occuperai des patients souffrant d'affections graves.
Il apparaît toutefois que les chèques posent un grave problème: tous sont
libellés à mon nom!
Isnard les renvoie donc aux clients, accompagnés d'une lettre signée de
ma main leur demandant d'en refaire un, mais cette fois à l'ordre de la
société ..
Et ça marche dans 90 % des cas.
Tant et tant de chèques arrivent que les Deux Clowns ne suffisent pas à
la tâche et doivent appeler quatre collaborateurs en renfort. Dans la seule
soirée du 12 janvier, ils engrangeront ainsi plus de 120 000 €. Ce ne sont
pas les malades qui les intéressent, loin de là: c'est le pognon (le mien ... ),
et lui seuL!
Mais les Clowns font pire: Contrairement à ce qu'ils m'ont promis, ils ne
me communiquent pas les lettres des patients qui demandent des renseigne-
ments pour une maLadie grave ou sollicitent un rendez-vous. Ils s'en
moquent, des gens en détresse. Seul l'argent facilement gagné les intéresse.
Alors, sans que j'en sois informé, le courrier sans réponse s'accumule, s'ac-
cumule sans trève dans les corbeilles à papier ...
Je suis même si confiant que, le 19 janvier, j'organise une soirée pour
l'anniversaire de ma mère, à laquelle participent sans vergogne les Deux
Clowns et Borie. De vrais amis sont là aussi, qui couvrent ma mère de
cadeaux, et parmi eux Marcel, qui souhaite encore travailler avec moi.
Br
Toujours aussi délicat et sachant que Maman parle allemand, il a recopié «die
Lorelei», me fait lire la poésie puis la lui récite, assis près d'elle. Je réali-
serai seulement plus tard pourquoi il a choisi ce texte: une fois de plus, avec
] O ---U;I A ~ DE L oï c LE RIBAULT?

sa clairvoyance habituelle, Marcel a compris bien avant moi que j'écoute des
sirènes et cours à ma perte 135 •••
Dès le lendemain, Borie entreprend à mon insu Marcel de façon si insi-
dieuse qu'il réussit à le décourager de marcher à mes côtés, me faisant perdre
mon meilleur collaborateur scientifique. Je deviens ainsi totalement isolé
intellectuellement.
A la même époque, Desage décide brusquement de se rendre aux Antilles
avec Condon et deux de ses collaborateurs. La raison avancée est double:
négocier pour Condon l'achat d'un hôtel en Martinique puis se rendre à
Antigua où il prétend avoir ses entrées et dont le gouvernement se serait
déclaré vivement intéressé par le G5.
Au bout d'une dizaine de jours, Desage est de retour, la langue chargée
de bonnes nouvelles et l'haleine de senteurs exotiques.
Toute l'équipe peut admirer les plans de l'hôtel, situé face au fameux
rocher du Diamant, et lire le contrat signé avec un négociateur du gouver-
nement antiguais stipulant que Monsieur Loribo (sic) est prêt à apporter son
expérience technique à la société Sydamol SLD (re-sic) pour implanter une
unité de fabrication à Antigua. Je manifeste un certain étonnement quant à
la façon dont Desage orthographie non seulement le silanol, mais même mon
nom.
«Qu'importe! », assure Desage, impérial. «En vérité, le Premier ministre
se fout complètement du sina ... sida ... sicanol, comme tu appelles ton truc.
Ce qui l'intéresse, figure-toi, c'est le C.A.R.M.f. ! Quand on lui en a parlé, il
a tout de suite percuté. Je vais même te dire: il a téléphoné devant nous au
F.8.1. ! Hein? C'est pas vrai?»
« Euh ... C'est exact! », confirme mollement un de ses collaborateurs.
«Et au F.B.I. », poursuit Desage, «on lui a dit qu'on te connaissait bien
et que tout le monde serait heureux de recommencer à travailler avec toi ... »
Aussi étrange que cela puisse paraître, cette affirmation me donne à
penser que Desage dit la vérité, car je téléphone de temps à autre au F.B.I.,
juste pour dire bonjour, et pas plus tard qu'en novembre dernier le directeur
du laboratoire m'a effectivement proposé de venir travailler avec lui en me
disant que je serais beaucoup plus heureux aux U.S.A. qu'en France. Si j'avais
su alors à quel point cet homme avait raison ... Je sais aussi qu'Antigua
souhaite redorer son blason, son image de marque ayant été légèrement
ternie par quelques histoires de drogue.
Dans les heures qui suivent se tient une bien étrange réunion (à laquelle
on a «oublié» de me convier), au cours de laquelle - sans m'en avoir

135. Die Lorelei est, si je me souviens bien, une poésie de Heinrich Heine racontant l'histoire de la Sirène
du Rhin, qui attirait sur les rochers les mariniers séduits par ses charmes, causant ainsi leur perte.
Labombe«G5» O[
averti - Borie se défait de mes parts de la société! En un trait de plume,
SLDI devient propriété en parts égales (25 %) d'Isnard, Ferrière, Desage et
de l'omniprésent Condon. La destruction du contrat signé avec moi et qui
engage la société à mon égard (dont seul Borie détenait un exemplaire ... )
va compléter le travail: sans le savoir, je n'ai plus aucun droit de regard sur
l'entreprise.
Mais ça, je l'ignore, et pour éviter le scandale les escrocs doivent m'éloi-
gner au plus vite, et le plus loin possible.
Pendant ce temps, Maguy s'occupe toujours de ma mère et de moi: elle
vient de nous trouver une belle maison près du golf de Gujan Mestras; il ne
reste plus qu'à y emménager, Landreau-Le-Vampire ayant été payé.
C'est dans la joie que nous préparons la maison: pour la première fois
depuis sept mois, Maman et moi allons enfin nous retrouver «chez nous », au
milieu de nos souvenirs et de nos meubles - ou du moins ce qu'il en reste ...
La veille du jour fixé pour l'installation des meubles, il fait très mauvais
temps sur Arcachon, mais sans plus.
Le matin, je me rends paisiblement à notre nouvelle maison pour les
derniers préparatifs en écoutant la radio de la voiture. On annonce que, la
nuit dernière, une sorte de cyclone très localisé a ravagé une partie de Gujan
Mestras, aux environs du golf, sur un trajet restreint de quelques kilomètres
de long sur cinq cents mètres de large.
En arrivant à l'entrée du lotissement, j'ai la surprise de voir quelques pins
couchés le long de la route et des pompiers occupés à scier les troncs de ceux
qui encombrent les voies de circulation. Au fur et à mesure que je progresse,
les pins abattus sont de plus en plus nombreux, quelques-uns sont même
tombés sur des maisons sans gros dégâts apparents. Sauf une, la pauvre, qui
devait être située au cœur même du cyclone: la haie qui borde le terrain a
été arrachée et six arbres, pas un de moins, ont été déracinés, dont un
baigne dans la piscine, un second bloque la porte d'entrée et les quatre
autres reposent carrément sur le toit en partie effondré. N'écoutant que mon
bon cœur, je m'apitoie sur le sort du propriétaire ou du locataire malheureux.
C'est à cet instant seulement que je me rends compte que le locataire,
c'est moi! Je n'avais pas reconnu notre nouvelle maison, à laquelle je ne suis
pas encore habitué et qui d'ailleurs a singulièrement changé de physionomie
au cours de la nuit... La catastrophe, une de plus! L'habitation la plus
ravagée, c'est évidemment la mienne, qui sera d'ailleurs le soir même la
vedette du reportage télévisé consacré au mini-cyclone gujanais.
L'emménagement est donc remis à la semaine suivante.
Vers le 5 mars, c'est excité comme un électron que Desage me rend visite
dans ma nouvelle maison: il vient de téléphoner au Premier ministre
d'Antigua. Celui-ci est d'accord pour la création immédiate du C.A.R.M.E.
JO [~~_':EU_~J DE Loïc LE RIBAULT?

Le lendemain, il est de retour, enthousiaste. Le Premier ministre m'at-


tend! Avec un passeport diplomatique tout frais en guise de remerciement.
Mon départ est prévu pour le 18 mars, direction la Martinique, puis deux
jours plus tard à Antigua. Tout sera réglé en vingt quatre heures au
maximum, juste le temps de signer des papiers au gouvernement et à la
banque, puisque tous les dossiers techniques sont déjà entre les mains du
chef de l'Etat. Le retour en France est programmé pour le 22 mars.
Ce voyage me pose toutefois un léger problème: je n'ai pas de passeport.
Or, si je n'en ai pas besoin pour aller en Martinique, où la carte d'identité
suffit, il est indispensable pour atterrir à Antigua.
Desage me rassure: puisqu'un passeport diplomatique m'attend à Antigua,
ce n'est pas la peine que je dépense de l'argent pour en obtenir un français
maintenant. le Premier ministre se fera d'aiLLeurs un plaisir de m'envoyer un
avion à Fort-de-France, ce qui élimine le problème. Avec ou sans passeport
français, c'est le tapis rouge qu'on me déroulera à mon arrivée à Antigua!
Il ne reste donc plus qu'un autre hic: j'ai bien une carte d'identité, mais
elle est légèrement périmée puisqu'eLLe date de 1971. Il n'y a qu'une solu-
tion: je cours à la police municipale, indique que je dois partir d'urgence aux
Antilles, mais que j'ai perdu mes papiers. Très gentiment, on me remet un
document attestant de mon identité et de mon domicile, spécifiant que je
viens de faire une demande de renouveLLement de ma carte.
Je suis paré!

PREMIERS PAS AUX CARAÏBES


le 18 mars, c'est le départ. Mes bagages sont maigres, comme d'habitude.
Après tout, je ne serai absent que quatre jours.
A tout hasard, comme toujours, j'emporte avec moi, en cas de besoin,
trois petites fioles pleines de G5.
Seul regret: je n'aurai même pas le temps d'embrasser Fabienne (Voir
figure 59), qui arrivera à la Martinique pour ses vacances, depuis longtemps
programmées, trois jours à peine après mon départ de Fort-de-France pour
Antigua. Pas de chance: eLLe vit en Vendée, moi en Aquitaine et on ne se voit
presque jamais. Pour une fois que nous avions l'occasion de passer quelques
jours ensemble à 8000 kilomètres de la France, c'est impossible.
Maguy propose de me servir de chauffeur jusqu'à l'aéroport.
Quand la voiture démarre, Ix-le-Chien est appuyé sur le rebord de la
fenêtre de la cuisine, l'air suppliant comme toujours lorsque je ne l'emmène
pas. A la porte, Maman fait au revoir de la main, ses grands yeux bleus noyés
de larmes.
ln r
La bombe «G5» 'UL

Celui qui part sent l'appel du voyage, celui qui reste ne sent que l'avant-
goût de la solitude ...
Le trajet Bordeaux-Fort-de-France est assuré par Air Liberté. Quand je
prends mon billet, l'employée me demande une pièce d'identité et je lui tends
fièrement le document tout neuf établi par la police municipale de Gujan.
Elle fronce les sourcils:
«Mais ce n'est pas une carte d'identité, ça!»
«Non, mais ça en fait office ... »
«Je ne crois pas. Je vais me renseigner ... »
Consulté, un fonctionnaire de la police de l'Air et des Frontières confirme
mes dires et me demande:
«Vous restez en Martinique?»
«Oui, bien sûr ... »
«Vous n'avez aucune intention de partir à l'étranger?»
«Oh non, voyons! », dis-je d'un air offusqué.
Le policier se tourne vers l'employée d'Air Liberté:
« Monsieur a raison; puisqu'il ne quitte pas la France, il est parfaitement
en règle avec la possession d'un tel document.»
Renfrognée, l'employée refuse de céder complètement:
«Bon, bon ... Puisque c'est comme ça, j'enregistre Monsieur. Mais je dois
dégager la responsabilité de la compagnie ... »
«Dégagez, Mademoiselle, dégagez, mais donnez-moi mon billet, c'est tout
ce que je vous demande!»
J'embarque enfin, muni - Ubu n'est pas mort! - d'un très officiel
Certificat de passager en situation irrégulière (sic) ! ...
Arrivé à Fort-de-France, je me rends directement à l'hôtel Méridien de
Trois-Ilets, où Desage m'a retenu une chambre.
Le lendemain, un nommé Jean-Marie, dont j'ignore tout, demande à me
voir. Il m'informe que tout est prêt pour moi à Antigua, que je disposerai
d'une maison meublée de sept pièces, d'une voiture et d'un compte en
banque déjà ouvert. Il y a juste un petit problème: le gouvernement ne peut
pas m'envoyer d'avion, et ce n'est évidemment pas possible que je prenne un
vol normal sans passeport. Le seule solution, c'est d'y aller par bateau ... Le
prix de mon voyage maritime (750 €) a été réglé d'avance par Condon et le
bateau (dont l'homme me donne la description et le nom) m'attendra au port
à 19 heures précises le mercredi suivant. .
«Seulement? »
«Oui, le bateau est en croisière jusque là.»
]0 QUI A PEUi J DE Loïc LE RIBAULT?

Tant pis. Je n'ai qu'à prendre mon mal en patience et prévenir de ce


contre-temps Maguy et Maman; cette dernière sanglote au téléphone,
inquiète du contre-temps.
Une semaine à tuer. Et rien à faire!
Le premier jour, je reste enfermé dans la chambre. Pour une bonne raison:
je n'ose pas sortir, tout simplement parce que je ne sais plus me promener!
Ce n'est pas étonnant: depuis trois ans, je suis resté dans la maison enfermé
comme dans une prison, à cause d'une hantise permanente: celle de la visite
des huissiers, l'arrivée d'une lettre recommandée, la venue d'employés de
l'E.D.F., de l'eau ou du téléphone venus réclamer le règlement immédiat de
leurs factures en détresse. Je voulais être là, présent, pour tenter de retarder
l'inéluctable, essayer de protéger Maman. Ce n'est qu'à la tombée de la nuit
que je décompressais enfin, l'esprit tranquille jusqu'au lendemain matin où
la hantise renaissait comme la tête d'une hydre. Il n'y avait que le dimanche
que la pression tombait: les huissiers ne travaillent pas le dimanche ... A ce
régime-là, je suis peu à peu devenu une sorte de hibou. Depuis trois ans, je
n'ai pas senti la chaleur du soleil sur ma peau ... Comment vais-je supporter
celui d'Antigua? Aux Antilles, son ardeur n'a rien à voir avec celle de celui
qui fait mine de briller en Europe ... Le mieux, c'est que je commence à m'y
habituer, en sortant aux heures où l'astre est le moins violent.
Ma première sortie à l'air libre a lieu le 20 mars. Il n'est que neuf heures
du matin et pourtant je suis incapable de résister plus de cinq minutes. Je
suis ébloui, la tête me tourne et je dois réintégrer ma chambre. J'essaie à
nouveau le soir un peu plus longtemps, puis tous les jours, m'exposant
prudemment chaque fois un peu plus.
La semaine achevée, je serai capable de résister une demi-heure en plein
soleil, sans lunettes ni casquette.
Le mardi, Jean-Marie est de retour, l'air sombre. Le bateau a eu une avarie
et ne sera disponible que le lundi suivant. L'homme est désolé, mais il n'y
peut rien.
Je ronge mon frein.
Mais au fait. .. c'est samedi que Fabienne arrive aux Antilles! Je saute sur
le téléphone. Ce tout petit bout de femme est toujours l'homme des décisions
rapides. En une minute, elle a trouvé la solution: elle va changer son billet
et partir directement pour Antigua où elle cherchera un hôtel pour m'at-
tendre. Je suis le plus heureux des hommes!
Le soir même, elle m'appelle pour m'informer qu'elle a trouvé un hôtel très
sympathique à Falmouth, littéralement les pieds dans l'eau. Il s'appelle le
Catamaran Hotel.
Vient enfin le 24 mars, jour de mon départ.
La bombe « G5» 01

A 19 heures pile, je suis sur le port de Trois-Ilets. Mon bateau est à quai;
c'est un énorme catamaran dont le mât fait plus de vingt mètres de haut. Son
équipage, composé de deux personnes, m'accueille chaleureusement et ne me
pose aucune question. Sans doute ont-ils l'habitude de prendre en charge des
passagers avides de discrétion, plus pressés de quitter un port pour rejoindre
l'asile espéré que de faire la conversation. Une heure à peine après notre
départ, le diner (une tarte au thon) est servi sur la plage arrière. Le comman-
dant a jugé en effet qu'il était préférable de manger le plus tôt possible, car
il n'est pas certain que nous puissions le faire plus tard: la mer grossit rapi-
dement et du très mauvais temps est annoncé. .
«('est rare en cette saison », dit-il. «J'espère que tu as le pied marin?»
Oui, je l'ai. Heureusement. La tempête nous prend à l'entrée du Canal de
la Dominique. Elle ne nous quittera pas jusqu'à l'arrivée à Antigua, vingt et
une heures plus tard au lieu des quatorze prévues, avec des vagues si grosses
qu'on ne peut se déplacer qu'à quatre pattes: Impossible de cuisiner et même
de faire du café. On se contente d'engloutir des bananes.
La nuit, nous admirons une magnifique comète 136 qui, haut dans le ciel,
sur notre droite, semble nous accompagner tout au long de notre voyage. Il
parait que ça porte chance ...
C'est donc optimiste que je vais me coucher, au moment où la mer se
déchaîne vraiment. Les vagues s'écrasent sur le pont avec un bruit de
tonnerre. Allongé sur ma couchette, en plein sommeil réparateur, je reçois
une trombe d'eau qui s'engouffre par l'écoutille située juste au-dessus de
moi. Je n'ai plus un poil de sec, les draps sont à tordre. Vite, je vérifie mes
documents, mon seul bien matériel en ce monde. Par chance, ils sont intacts.
Je les mets à l'abri dans la penderie. Pas la peine d'essayer de me rendormir
ensuite. Autant monter sur le pont. ..
Dans l'après-midi du 25 mars, l'lle d'Antigua apparait à l'horizon, toute
verte au bout du chemin que nous traçons à grand peine dans la mer en furie.
Je ne la quitte pas des yeux. Je sens que ce qui m'attend n'est pas ce qu'on
m'a promis, mais je sais aussi que, pour moi, ce pays est celui du salut. C'est,
en tout cas, celui où je bâtirai peut-être ma nouvelle' vie.
Nous quittons enfin les eaux territoriales françaises, eaux ennemies pour
moi. Le sinistre pavillon tricolore claque à la poupe du catamaran et je lui
tire la langue. Adieu, la France! Et pas sans rancune ...
Mes marins ne sont encore jamais venus à Antigua. Ils ne connaissent
donc pas Falmouth et se dirigent en vérifiant sans cesse les coordonnées qui
s'inscrivent sur les écrans de la passerelle. A 16 heures, nous sommes exac-
BJ
tement à l'entrée de la baie recherchée, au fond de laquelle on distingue une

136. La comète de Hyakutake qui, cette nuit-là, croisait à 16 millions de kilomètres de la Terre.
2
! QUI A PEURI DE LD ÏC LE RIBAULT?

plage de sable blanc et un bâtiment qui ressemble à un hôteL Serait-ce le


Catamaran? Je m'empare d'une paire de jumelles. Sur la plage, je distingue
une silhouette toute menue vêtue d'un T-shirt blanc et d'un pantalon rouge.
Fabienne! Nous sommes arrivés exactement à l'endroit prévu!
Le bateau a stoppé au milieu de la rade. Il est trop gros pour s'aventurer
plus près du bord, et l'équipage souhaite évidemment quitter les lieux au plus
tôt. C'est donc à bord d'un dinghy que je gagne le débarcadère de la Marina
située juste à droite de la pLage.
Epuisé par le voyage, trempé comme une soupe, je dépose à terre mon
trésor: ma serviette emplie de documents. Puis, ankylosé, je reste quelques
secondes à genoux, le temps de reprendre mes esprits. A cet instant, j'ai une
pensée pour Marcel. La dernière fois que nous nous sommes vus, il m'avait
dit que son rêve était de partir un jour à bord d'un bateau sans rien d'autre
qu'une petite valise et débarquer sur une île inconnue pour y soigner les
habitants! Si tu me voyais, Marcel, tu rigolerais bien ...
«Sir ... », fait une grosse voix au-dessus de moi.
A hauteur de mes yeux, je vois deux paires de godillots noirs surmontés
de jambes habillées de kaki. Je lève la tête. Bon sang! Des Coast Guards! On
m'a déjà retrouvé! Je n'aurai vécu que quelques secondes libre à Antigua! Et
merde! ...
Le Coast Guard insiste :
«Sir ... »
«Yes ... », soupiré-je, résigné.
«D'où arrivez-vous comme ça?»
« De Martinique ... »
«Bienvenue à Antigua, Sir. Puis-je vous aider?»
Comment, s'il peut m'aider? Mais alors, ils ne sont pas là pour m'arrêter?
J'essaie de me relever, mais je suis trop engourdi. Les deux Coast Guards m'ai-
dent à me remettre sur pieds. Je demande timidement:
«Euh ... Pourriez-vous m'indiquer le Catamaran Hotel, s'il vous plaît?»
«Pas de problème, suivez-nous!»
Ils me remorquent pendant quelques pas puis me lâchent en me désignant
le bâtiment devant lequel j'avais aperçu Fabienne.
«Le voilà. Profitez bien de vos vacances à Antigua, Sir!»
«Merci beaucoup! Bye!»
«Bye! »
Ouf! Si j'avais un mouchoir, je me tamponnerais le front ...
La bombe «G5» fJ 1

Coup d'œil sur l'hôteL. Il est


joli comme tout! A dix mètres à
peine de la plage, c'est une
construction de style colonial,
couleur saumon avec des huisse-
ries blanches, environ né de
palmiers et d'une myriade de
fleurs multicolores. Une longue
terrasse garnie de tables et de
chaises blanches court sur la
façade (Fig.60). Fabienne y est
Fig. 60: Le « Catamaran Hotel»
assise. Elle ne m'avait pas vu
arriver et se jette dans mes bras.
Je peux enfin savourer un bourbon-glace en contemplant le paysage.
QueUe paix! En face de l'hôtel, la mer est calme comme un lac, d'un bleu
profond. Leur journée de travail finie, une douzaine de pélicans repus s'y
reposent. A gauche, des bateaux de pêche sportive sont sagement alignés
tout au long du débarcadère où je suis arrivé. A droite, la baie est bordée de
hautes coUines qui dessinent comme un énorme éléphant assoupi. Au-dessus
du soleil qui s'apprête à se coucher, le ciel bleu et rose est peuplé de frégates
noires qui planent. Effrontés, des bananaquits au plastron jaune citron vien-
nent picorer sur la table le reste des amuse-gueule.
La nuit tropicale tombe en quelques minutes, et commence le chant stri-
dent des grenouilles d'arbre et des criquets.
Je me sens incroyablement bien. Comme si j'étais chez moi ... Les chromo-
somes-mémoires, peut-être? Un de mes ancêtres est venu dans les parages il
ya bien longtemps ... Persécuté parce qu'il était huguenot, lui aussi avait fui
la France. Son nom était Jean Ribault (1520-1565), capitaine envoyé par
l'Amiral de Coligny pour tenter d'établir une colonie protestante en Floride.
Avec son lieutenant René de Laudonnière, il fonda Charlesfort en 1559,
puis Port Royal (sur Parish Island) le 30 avril 1562 et Fort-Caroline le 22 juin
1564. Il fut tué avec tous ses hommes (un millier) le 12 octobre 1565 par
l'amiral catholique espanol Menéndez de Abila, une ordure qui voulait
éliminer tous les «hérétiques », et se fit un point d'honneur à passer person-
nellement tous ses prisonniers au fil de l'épée après les avoir fait torturer.
De Laudonnière fut un des rares survivants, et mourut vers 1586.
Un Collège Ribault a été créé en 1960 à Jacksonville en Floride.
Le lendemain, je téléphone comme convenu au secrétaire du Premier
ministre. Il paraît surpris de m'entendre. Etrange. Il m'informe qu'actuelle-
ment il est pris par des rendez-vous dans une autre lle des Caraïbes, mais
JO ~I A p~ DE Loïc LE RIBAULT?

propose de me rappeler dans deux jours. En tout cas, une chose est certaine:
il ne m'attendait pas! Desage m'a donc menti ...
Autant considérer ces deux jours de délai comme des vacances inatten-
dues. Mes premières depuis des années ...
l'ennui, c'est que, comme d'habitude, je n'ai pas sur moi le moindre
centime, ou plutôt, ici, le moindre cent. Fabienne m'offre de prendre les
chambres à sa charge: je La rembourserai quand je pourrai. Elle a aussi Loué
une voiture, et nous partons tous deux expLorer Antigua.
Je découvre avec un émerveillement d'enfant la forêt tropicale, les plages
fabuleuses, l'arsenal restauré d'English Harbour, les villages aux minuscules
maisons de bois multicolores, nous dégustons des fruits aux noms étranges
et des poissons grillés. Pour la première fois depuis quarante ans, je prends
un bain de mer et Fabienne me donne une leçon de natation. Surtout, nous
découvrons l'incroyable gentillesse des Antiguais et leur amour de la
musique, nous pestons contre l'état effroyable des routes et cette maudite
manie de conduire à gauche. Comme tout le monde, nous saluons les conduc-
teurs que nous croisons. Tout au long de nos promenades, chèvres, chevaux
et vaches nous contemplent d'un air paisible. Eclairs de bronze des oiseaux-
mouches, traits d'émeraude des lézards verts et toujours ce ciel si bleu! ...
Je suis heureux.
Pas pour longtemps. Car au jour convenu le secrétaire du Premier ministre
appelle effectivement, mais pour me demander pourquoi je suis à Antigua et
ce que j'attends de lui. C'est la meilleure! Je lui explique mon odyssée. A
l'évidence, il ne comprend pas la situation mais ne fuit pas la discussion. Très
occupé, il lui est impossible de me rencontrer avant dix jours, mais si j'ai un
problème grave je ne dois pas hésiter à l'appeler.
Est-ce que par hasard on se serait moqué de moi? Où sont le Premier
ministre, la maison de sept pièces, le passeport diplomatique et la voiture?
Quant au compte en banque, je n'y ai jamais réellement cru ...
Toute la journée, je tente de joindre Desage au téléphone. En vain. Même
chose le lendemain. Je finis par l'avoir enfin tard le soir, en me faisant passer
pour quelqu'un d'autre. la conversation est brève mais instructive:
«Tu n'as rien à faire à Antigua!» hurle, hystérique, le grand homme d'af-
faires. «Je ne t'ai pas demandé d'y aller! Tu dois rentrer tout de suite!»
Et il raccroche.
Fabienne a tout préparé pour assurer ma survie pendant une dizaine de
238 jours: elle a donné l'empreinte de sa carte de crédit à l'hôtel pour que je
puisse régler les chambres en partant, de l'argent liquide qu'elle me remet
dans une enveloppe et prolongé la location de la voiture. En étant économe,
je peux facilement tenir deux semaines. Après tout, j'ai déjà survécu dans des
conditions infiniment plus précaires au cours des trois années passées! ...
La bombe « G5}) 0[
Le 3 avril, j'accompagne Fabienne à l'aéroport.
Je ne sais pas quand je la reverrai.
Quelques minutes plus tard, je suis seul à Antigua, à huit mille kilomètres
de chez moi, dans un pays où je ne connais personne. Et de surcroît sans
papiers, immigrant plongé dans la plus totale illégalité.
Mission: survivre!

MISSION: SURVIVRE!
Rentré à l'hôtel, je décide de faire un investissement considérable,
compte tenu de mes disponibilités financières: je dépense 50 $ EC m pour
faire photocopier quelques exemplaires de mon dossier «G5)} en anglais et,
tôt le lendemain matin, vais les déposer bien en vue sur le pont des plus
luxueux bateaux amarrés dans le port de Falmouth. Je pars du principe tout
simple que les propriétaires sont riches (c'est certain), âgés (pour la plupart)
et donc probablement affectés de magnifiques rhumatismes, de splendides
arthrites et de maux providentiels que l'argent, pour l'instant, ne leur permet
pas de soulager.
Puis je m'installe à la terrasse de la marina pour craquer encore 25 $EC
dans un somptueux petit déjeuner. Dans la demi-heure qui suit, un proprié-
taire sort de son yacht, tenant à la main un exemplaire de mon rapport, et
se dirige en boitillant vers le bar. A peine assis, il commence à feuilleter le
document avec un intérêt manifeste. Quelques minutes plus tard, un capi-
taine orné d'une casquette blanche à ancre dorée le rejoint, tenant lui aussi
un de mes dossiers. Avec les infinies précautions qu'exigent les douleurs qui
lui vrillent les lombaires, il prend place à côté de son collègue. La conversa-
tion s'engage:
«Ah, tiens, John, vous aussi vous avez reçu ce truc-là?)}
«Oui, mon cher Steve. Etonnant, n'est-ce pas?)}
«Oh, vous savez, moi je ne crois plus aux faiseurs de miracles! Avec le
pognon que j'ai laissé chez les toubibs depuis vingt ans, j'aurais pu m'acheter
un voilier deux fois plus gros que mon Golden Hawk138 !»
«Pfff! ... Moi aussi, mon pauvre Steve ... Faut pas rêver ... »
Ben si, justement, faut rêver! Je suis là, moi! C'est le moment d'inter-
venir. Je m'approche d'eux:
«Excusez-moi, Messieurs, mais je vois que vous avez reçu ce docu-
ment ... »

137. Le dollar East Caribbean est une monnaie utilisée dans toutes les Caraïbes britanniques. Sa valeur
est d'environ 0,30 € .
138. Lequel, soit dit en passant, doit frôler les trente mètres de long.
l
1 1~ ~ ~PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
.... "

«Ah, vous aussi? », s'étonne John.


«C'est moi qui l'ai écrit. .. Puis-je m'asseoir?»
La suite, vous la devinez: le soir-même, j'ai gagné 1000 $ EC. Le lende-
main, je prends déjà des rendez-vous et, à la fin de la semaine, j'ai assez d'ar-
gent pour assurer quoiqu'il arrive mon retour en France, d'autant qu'il me
reste encore deux fioles de produit.
Il n'empêche que je veux rencontrer le secrétaire du Premier ministre pour
savoir exactement ce qui s'est passé avec Desage.
C'est avec une méfiance visible qu'il me rencontre au Catamaran. Ce qui
l'a motivé pour se déplacer, c'est que je sois resté seul dans l'lle et me sois
débrouillé en attendant notre entrevue.
Pour commencer, je lui montre tous les dossiers que j'ai amenés avec moi,
l'offre de création du C.A.R.M.E., les plans du laboratoire, le dossier de
synthèse sur le G5, des témoignages de médecins et de patients, des
coupures de presse, bref tout ce que le Premier ministre était censé m'avoir
demandé lui-même.
Il est sidéré:
« Lui? Mais il n'a rien demandé!»
C'est à mon tour d'être abasourdi:
«Je n'y comprends rien! Et si vous me racontiez ce qui s'est passé en
janvier dernier?»
Alors, le secrétaire raconte et, avec ce qu'il me dit et ce que je savais
déjà, il est possible de reconstituer l'ensemble du plan diabolique de Desage
et de ses complices:
Trois gagne-petit de l'escroquerie décident de s'associer: Desage, le
cerveau, son cousin Isnard et Ferrière, l'homme de paille. Desage vient de
trouver la proie idéale en la personne de Condon, milliardaire en coquetterie
avec le fisc et brave homme sans grande imagination. Dans un premier
temps, coup de chance, Desage réussit à faire récupérer un peu d'argent à
Condon qui, dès lors, lui voue une reconnaissance sans borne. Condon
devient ainsi le client unique de Desage, sa vache à lait personnelle; mais
Desage doit aussi faire vivre son cousin et son esclave, les Deux Clowns.
Comment s'y prendre? Le hasard va le servir en janvier 1996: la télévision
diffuse un reportage sur un étrange individu qui, à Biganos, est un train de
créer l'évènement avec un produit-miracle que les journaux appellent SiLanol.
Avec lui, c'est sûr, il y a une masse d'argent à gagner sans se fatiguer!
L'attaque a lieu le 8 janvier 1997, quand Desage envoie ses Deux Clowns
aux «Boïens» et que, pour mon malheur, je les reçois.
La bombe «G5»

Le premier soin des escrocs est de se remplir instantanément les poches,


ce qui est réalisé grâce à l'opération «chèques aller-retour» dont j'ai parlé
précédemment; bénéfice net: plus de 460000 € en moins de quinze jours.
Pour camoufler une telle somme sans laisser la moindre trace, l'idéal est
l'ouverture d'un compte dans un paradis fiscal. Desage s'envole donc vers
Antigua en compagnie de Condon, toujours dans le collimateur du fisc et
donc très intéressé par une telle opération.
Pour donner une excellente impression (après tout, on ne prête qu'aux
riches ... ), Desage loue un avion privé pour trimbaler tout son petit monde;
ça ne coûte pas cher, puisque tous les frais de cette mission (location de
l'avion privé, frais d'hébergement, menus plaisirs) sont payés avec l'argent
qui m'a été volé ...
A Antigua, l'entrevue avec le Premier ministre ne dure que quelques
minutes, au cours desquelles il n'est évidemment jamais question du
C.A. R. M.f. , dont le ministre n'a d'ailleurs jamais entendu parler; l'homme
n'est nullement impressionné par les sommes évoquées (Antigua en voit
circuler des montants autrement importants !), mais seulement intéressé par
des créations d'emplois dont son pays a un besoin criant et dont l'annonce
servirait son image. Pour cela, il serait prêt à accorder aux investisseurs
certaines facilités, telles qu'une implantation dans une zone franche et La
possibilité d'obtenir rapidement un passeport non pas diplomatique (c'est
pratiquement impossible), mais économique (c'est déjà énorme). Seulement,
pour ça, les investisseurs doivent évidemment lui donner des garanties
sérieuses.
Desage a alors une idée: il s'engage à créer une unité de fabrication de
G5. Malheureusement, parti précipitamment de France (comme un voleur,
quoi ... ), il n'a pas jugé utile de prendre le moindre document sur le produit.
IL se souvient vaguement du nom ... ça se termine en mol, s'il ne se trompe
pas. Quant au nom du Nimbus qui l'a inventé ... voyons... c'est quelque
chose comme Lariba ...
Un projet de contrat est immédiatement signé concernant la création
d'une unité de fabrication de Sydamol, sous le contrôle technique du nommé
Lariba, que Desage se fait fort de faire venir à Antigua dans un déLai
maximum de deux mois.
Pour preuve de sa bonne volonté, Desage s'engage en outre à verser de
l'argent le jour même sur un compte qu'il va ouvrir dans l'après-midi à
Antigua. Pour le gouvernement, ce serait un premier pas, une marque de
bonne volonté, pour Desage and Co le début de fructueuses opérations sans
BI
taxes ni impôts. Théoriquement, cette partie de l'opération ne pose pas de
problème, puisque Les escrocs ont emporté avec eux 282 000 € en chèques
libellés à l'ordre de 5LD1, qui m'étaient originellement destinés.
' ~ ~I A~I DE lOÏC LE RIBAULT?

Mais à la banque, grosse déception: les banquiers locaux acceptent tradi-


tionnellement tout l'argent qu'on leur apporte sans trop se soucier de sa
provenance, mais ils sont fainéants! Des milliers de chèques à enregistrer, ce
sont des heures de travail, une masse d'écritures fastidieuses. Ils n'en veulent
tout simplement pas: ça les fatigue. Du liquide, d'accord: ils acceptent. Un
virement, pas de problème. Mais tous ces petits bouts de papiers, ils sont
navrés, vraiment, mais ils n'en ont rien à faire ... Surtout en francs français!
Desage et Condon quittent la banque la queue entre les jambes.
Il leur faut trouver une autre solution.
Ils s'envolent donc pour l'Europe régler le petit problème.
La seule difficulté de l'opération projetée, c'est ma présence dans le
capital de la société.
Certes, je n'ai officiellement aucune part de propriété dans la société,
puisque ce que je possède est «porté» par Borie, auquel, évidemment,
Desage et ses complices ont d'excellentes raisons de faire entièrement
confiance. Mais, après tout, les agents doubles, ça existe, et il n'y a que la
première trahison qui coûte.
Par sécurité, une nouvelle répartition du capital est donc décidée, et on
exige de Borie qu'il cède «ses» parts sans m'en avertir.
Exit donc Le Ribault, et merci pour tout. Mais je représente désormais un
danger pour les escrocs. Après tout, je pourrais bien porter plainte ...
C'est pourquoi Desage me persuade de faire un voyage à Antigua en
prétendant que le Premier ministre m'attend pour recréer le C.A.R.M.E. C'est
avec grand soin qu'il prépare mon départ en exil, lequel ne présente pour lui
que des avantages:
- Mon absence totale de papiers au cours de mon voyage présente de
bonnes garanties d'arrestation, auquel cas j'apparaîtrai comme un hors-la-loi
fuyant la justice française, assuré par conséquent d'un long séjour en prison
préventive, ce qui ne serait pas excellent pour mon image de marque;
- Si arrestation il y a, ce que les escrocs souhaitent de toute leur absence
de cœUf, je ne dois sous aucun prétexte pouvoir mettre en cause Desage et
Condon. Pour cela, ils doivent me donner des preuves flagrantes de bonne
volonté. Au cas - fort peu probable - où j'atteindrai Fort-de-France sans
contrôle d'identité approfondi, on doit envisager une solution d'urgence pour
éviter que je ne fasse le moindre remou sur le territoire français;
- Cette solution, c'est mon transfert par bateau jusqu'à Antigua. Une fois
arrivé là-bas, je me trouverai évidemment dépourvu de tout, sans papiers,
sans argent, sans aucune relation locale. On peut alors envisager trois hypo-
thèses, toutes extrêmement satisfaisantes :
La bombe ({ G5 »

- Hypothèse n° 1: Je tente de joindre le gouvernement antiguais, mais


Desage sait que lui et sa clique y ont laissé un si mauvais souvenir en ne
tenant pas leurs engagements que je serai très probablement accusé de
tentative d'escroquerie et jeté en prison. Or, les geôles antiguaises ne sont
pas précisément réputées pour leur confort;
-- Hypothèse n° 2: Par le plus extraordinaire des hasards, je réussis à
gagner la confiance du gouvernement et à mener à bien (après tout, on peut
imaginer l'impossible) le Projet Sydamol. En ce cas, Desage et sa bande
auront prouvé leur bonne volonté en livrant sur place le scientifique chargé
par eux de réaliser le projet. Ils pourront alors profiter une fois de plus de
mon travail.
- Hypothèse n° 3: Après quelques jours passés à vivoter sur les plages,
rassasié de bananes et de noix de coco, j'appelle mon excellent ami Desage
au secours. Magnanime, celui-ci finance alors mon retour en échange d'un
contrat d'exclusivité pour l'exploitation du G5 en tous domaines, voire même
une cession gratuite de tous mes brevets.
En tout cas, chacune de ces hypothèses· n'a que des avantages, pas un seul
inconvénient: Mort, vivant ou emprisonné, on est débarrassé de moi, je ne
risque plus de déposer plainte contre qui que ce soit, il n'y a plus d'enquête
policière, et on est totalement libres pour faire du produit ce qu'on veut, sans
aucun souci humanitaire absurde.
A partir du moment où je pose le pied sur l'île d'Antigua, Desage et les
Deux Clowns ont donc toutes les raisons de croire que, quoiqu'il arrive, ils ont
gagné la partie.
C'est une erreur.
Ils ignorent que, tout au long de ma vie, une bonne étoile est toujours
intervenue in extremis pour me sauver, souvent à la dernière minute.
Cette fois, les grains de sable qui vont enrayer la beLLe mécanique de
Desage et de ses complices sont la présence de Fabienne, sa générosité et
trois petites fioles pleines de G5 ...

PASSAGE EN FRANCE
Le secrétaire du Premier ministre est convaincu par mes explications et
accepte de présenter officiellement le «dossier G5» aux autorités concernées
pour l'obtention des agréments médicaux. J'ai trouvé mon appui à Antigua!
Tout se met en place, mais les réponses officielles ne seront évidemment
pas données avant plusieurs semaines. Dans l'immédiat, je n'ai plus rien à
faire. Le plus urgent, c'est de me faire refaire un passeport et de ramener dans
l'ile tous les documents qui sont restés en France et me font crueLLement
J 0~ A !EU~ DE Loïc LE RIBAULT?

défaut. Après tout, je n'étais venu origineLLement ici que pour une durée de
quatre jours .. .
Grâce aux petites fioles de G5 et à mes consultations, j'ai maintenant
assez d'argent pour acheter mon billet d'avion, mais aucun papier d'identité
me permettant de quitter le pays. Je vais donc au consulat de France faire
une déclaration de perte de mon passeport (supposé avoir été égaré sur la
plage) et, muni une fois de plus d'un document provisoire, cours acquérir le
précieux billet de retour.
C'est le 15 avril 1996 que j'atterris à Bordeaux via Paris. Le contraste avec
les Caraïbes est saisissant: tout ici parait si gris, si triste... Le plus
choquant, c'est l'agressivité latente ou exprimée qu'on rencontre à chaque
minute dans les rues et les magasins. Aucune joie de vivre. J'avais oublié
l'ambiance pesante, presque désespérée, du pays. Pour tout dire, j'avais
oublié la France! Les retrouvailles sont moroses.
Heureusement, Maman, Maguy et Ix-Le-Chien sont là, qui m'entourent de
toute leur affection. Partout, dans la maison, elles ont exposé les petits
souvenirs et les cartes postales que je leur ai envoyés de la Martinique et
d'Antigua.
Jé dois faire ma demande de passeport à la mairie. A l'Etat Civil, on m'in-
forme que je dois attendre trois semaines avant de pouvoir disposer du
précieux document. C'est trop. J'ai déjà réservé mon billet de retour pour Le
2 mai, et nous sommes le 24 avril! A côté de l'employée de l'Etat Civil, une
dame de la mairie prête L'oreille à notre conversation. Elle s'empare du formu-
laire et demande:
«Le Ribault, c'est bien votre nom?»
« Oui ... »
«Vous êtes le Le RibauLt?»
«Non, non ... Le Ribault, seuLement. .. »
«Ce n'est pas ce que je veux dire ... Etes-vous le Le Ribault qui a inventé
ce merveilleux médicament dont on parle tant?»
«Oui, c'est moi ... »
La dame lève Les bras au ciel. Elle a L'air toute émue:
«Mon Dieu! Moi qui vous cherche depuis si Longtemps! Et vous êtes
pressé? »
Je lui explique les raisons de l'urgence et mon inquiétude de rester trop
E l
244i longtemps en France, au risque d'être arrêté d'une seconde à L'autre. La dame
s'insurge:
«Ah non! Pas question! On a besoin de vous! Vous n'êtes pas un crimineL,
tout de même! Je m'occupe personnellement de votre passeport. Est-ce que
demain soir, ça irait?»
La bombe « G5» li,Lr

Si ça irait? Je suis aux anges!


Le lendemain, fidèle à sa promesse, la dame me tend mon beau passeport
tout neuf avec un grand sourire.
Le dernier soir, Maman, Maguy et moi prenons notre traditionnel apéritif.
EUes réussissent à sourire, mais je sais qu'elles sont tristes: EUes savent que,
dans ma chambre, j'ai déjà bouclé tous mes maigres bagages.
Ix-Le-Chien soupire à fendre l'âme.

UNE VIEILLE DAME A ANTIGUA


De retour à Antigua, c'est au
Sand Haven HoteL que je m'ins-
talle (Fig.61). Tenu par deux
Anglais, Paul et Peter, c'est une
sorte de pension familiale où l'on
peut prendre tous se~ repas,
disposer d'un fax ou se baigner à
loisir, puisqu'il est situé sur la
plage même de Dickinson Bay. De
plus, il n'est éloigné que de
quelques minutes de la capitale, Fig. 61 : LhôteL «Sand Haven»
OÙ je risque d'avoir à me rendre souvent au cours de~ semaines qui viennent,
si toutefois mon projet aboutit, ce dont je ne doute pas.
En attendant, j'ouvre une boîte postale, puisqu'à Antigua les facteurs sont
inconnus; chacun va chercher son courrier à la poste, dont les murs exté-
rieurs sont tapissés de petits boîtes métalliques ornées d'un numéro. Tout
comme les comptes en banque, d'ailleurs, eux aussi numérotés et parfaite-
ment anonymes.
Dans la capitale, je commence à prendre mes points de repère et m'ha-
bitue au rythme de l'île: lever très tôt le matin avec le soleil (vers cinq
heures), promenade ou bain de mer, puis travail à l'hôtel et léger lunch.
L'après-midi est consacré aux consultations, qui deviennent de plus en plus
nombreuses. Vers dix-huit heures, quand le soleil se couche, je longe la plage
jusqu'au Coconut Grove, où je prends mes habitudes et qui devient mon quar-
tier général. En effet, les employés du bar, que j'ai tous traités de coupures·
et de brûlures diverses, sont devenus des fans du G5 et ne manquent pas une
occasion d'en parler aux touristes qui séjournent dans les grands hôtels
voisins. Les «visages pâles» profitent de la soirée pour faire coup double: 1~45 1 1
étancher leur soif. .. et se faire soigner de leurs coups de soleil tout frais ou
de leurs rhumatismes anciens.
A la fin mai, j'attends toujours La réponse du gouvernement antiguais.
]0
[_QUI A PEURI DE Loïc LE RIBAULT?

Là-bas, très loin, Maman aussi attend. Elle ne croit plus que je reviendrai
un jour. Surtout, elle ne croit plus qu'elle me reverra ... Comme il m'est
impossible de rentrer en France, je décide de la faire venir dans l'île.
Maman a 85 ans; elle n'a jamais pris l'avion. Elle ne s'est jamais déplacée
en dehors de l'Europe. Elle est fatiguée. Son moral est miné par toutes les
trahisons dont j'ai été victime, et qu'elle connaît. Seuls nos vrais amis vien-
nent encore la voir pour tromper sa solitude: Maguy, bien sûr, présente jour
et nuit et qui couche désormais à la maison, et puis bien sûr Didier, Jocelyne,
Jacky et quelques très rares autres ...
Aura-t-elle la force de supporter le voyage? Aura-t-eLLe même seulement
envie de venir?
Quand je lui téléphone, un soir, pour lui dire que je l'attends, c'est une
explosion au bout du fil! Elle pleure, Maman, eLLe sanglote, mais de joie,
cette fois!
«Tu n'as plus qu'à préparer tes bagages ... )}
«Ils sont prêts depuis un mois!»
«Oh oui! », ajoute Maguy en fond sonore. «Et les miens aussi!»
«Il te faut aussi un passeport ... »
«Je l'ai, depuis trois semaines!»
«Et puis, il faudrait que tu passes une visite médicale, pour être sûre de
bien supporter le voyage ... »
«Je l'ai passée la semaine dernière: aucun problème!»
«Il y a Ix, aussi! Faut trouver quelqu'un pour garder le chien ... »
«On s'en est occupées. Alai n139 est prêt à l'accueillir chez lui le temps
qu'il faudra!»
Sacrée Maman! Elle a tout préparé! Je suis sûr qu'il ne manque pas un
bouton de guêtre!
Le départ est fixé au 9 juin.
Le Sand Haven est mobilisé: Maman et Maguy ont chacune une chambre
réservée au rez-de-chaussée, donnant directement sur la plage; une infir-
mière est prévue pour aider Maman à s'habiller tous les matins, Peter lui
cuisinera ce qu'elle aime.
Quand l'énorme Boeing 747 atterrit, je suis taraudé d'inquiétude. Pourvu
que le voyage se soit bien passé!
B Soudain, je la vois, si petite, si fragile en haut de la passerelle. Maguy est
à ses côtés. On l'aide à descendre. Une voiture la conduit jusqu'à l'aéroport
pour les formalités d'entrée dans le pays.

139. Un ami poLicier.


La bombe «G5» 0
Dehors, j'attends une bonne heure.
La voilà, toute voûtée, appuyée sur
sa canne! Vite, je prends une photo
(Fig. 62).
Elle se jette dans mes bras.
Retrouvailles tendres et émues, à huit
mille kilomètres de la France ...
Une fois Maguy et elle installées
dans la voiture, je demande:
«Vous préférez aller directement à
l'hôtel vous reposer, ou visiter un peu
l'île? »
Fig. 62: 9 juin 1996-Maman (en bLanc) arrive à
La réponse fuse à la seconde: Antigua, suivie de Maguy qui traîne la valise.

«On visite! Parce que ... on va te dire ... l'arrivée à Antigua, c'est pas
terrible ... Je suis un peu inquiète ... Est-ce que toute l'île est comme ça?»
Je comprends son désappointement et son angoisse: avant d'atterrir, les
avions passent au-dessus d'une gigantesque carrière dont on ne peut pas dire
qu'eLLe donne du pays un avant-goût souriant.
Direction: le Sud, via le centre du pays, puis la forêt tropicale (Fig. 63),
la traversée de Saint John's (Fig. 64 à 67) et enfin l'arrivée à l'hôtel en
longeant Dicldnson Bay.
Enchantée de cette première
visite, les yeux emplis de
paysages nouveaux, Maman est
maintenant rassurée: je ne suis
pas prisonnier dans un désert de
pierres, mais dans une île de
toute beauté. L'accueil chaleu-
reux de Paul et Peter achève de la
tranquilliser.
Fig. 63: La forêt tropicaLe. Le dîner se passe dans la joie
des retrouvailles; elles me racon-
tent la France et moi les Caral'bes.
Pour sa première nuit tropi-
cale, Maman s'endort sereine: son
fils est en sécurité.
Le lendemain matin, à l'heure
du petit déjeuner, les deux
chiennes attitrées de l'hôtel arri-
vent par la plage et entrent dans
Fig. 64: SaLon de coiffure.
lOC----J
sa chambre Lui faire La fête,
comme si eLLes avaient reçu un
message d'Ix-Le-Chien qui, tous
Les matins, vient ainsi saLuer sa
patronne.
Commence aLors un mois qui
restera dans ma mémoire comme
un des pLus beaux de ma vie.
Maman veut tout voir, tout! Fig. 65: Epicerie.
Ses immenses yeux bLeus ne sont
pas assez grands pour admirer ce
qu'elLe découvre, pour graver
dans sa mémoire Les moindres
recoins du pays qu'a choisi son
fiLs. Elle n'est pLus fatiguée,
Maman! Elle ne craint pLus Le
soLeiL! OubLié, Le régime! Mieux:
eLLe s'est mise à apprendre L'an-
gLais et fait des progrès évidents
jour après jour. Quand eLLe
partira, eLLe sera capable de
soutenir une conversation ... ELLe, Fig . 66: La cathédrale de Saint John's.
qui protestait en France Lorsque son chauffeur du moment franchissait un
peu trop vite un cassis minuscule, supporte avec allégresse les effroyabLes
routes d'Antigua, rit au passage des terrifiants ralentisseurs briseurs d'amor-
tisseurs, s'esclaffe quand La voiture se désagrège de nid de pouLe en nid d'au-
truche, applaudit aux coups de frein désespérés que je donne pour éviter
L'âne baladeur, la vache rêveuse ou le cheval bucolique. Séduite par La poLi-
tesse des habitants, eLLe salue joyeusement de la main piétons et automobi-
listes, découvre le punch mais préfère Le porto, dévore les crevettes grilLées,
déguste Les saveurs nouvelles du Red Snapper140, du King Fish 141 et de
l'espadon.
Maman vit. ELLe vit intensément ...
Tous les trois, nous visitons les endroits que je connais, et beaucoup que
je découvre avec eLLes. C'est cramponnée à mon bras qu'eLLe fera la dernière
grande promenade à pied de sa vie à Devil's Bridge, émerveillée par Les vagues
en furie sautant au travers du tabLier de pierre. Chaque maison créole en bois
peinte de couleurs vives attire ses commentaires, un baobab montant La
garde au détour d'une route mérite un arrêt impératif. Les nuances de la mer

140. Délicieux poisson aux écailles rouge vif.


141. Poisson ressemblant au barracuda.
La bombe « G5» 0[
sont encore plus belles que sur les cartes postales, et elle ne se lasse pas de
les contempler.
Quel que soit l'endroit que nous explorons, le trajet de retour est
immuable: la route de la forêt tropicale, dont elle est tombée amoureuse. Elle
ne se soucie plus de sa cataracte
récemment opérée, et c'est d'un
œil d'aigle qu'elle guette les
mangoustes qui traversent notre
chemin. Elle gorge sa mémoire de
lianes, de cocotiers, de bana-
niers; comme, avant de venir,
elle a lu tout ce qu'elle trouvait
sur la flore des Caraïbes, c'est elle
qui m'apprend le nom des fleurs!
Fig. 67: Une rue du centre de Saint John's. Aux Elle et mon père, toute leur vie,
heures de pointe, Le ruisseau centraL sert de parking.
ont adoré les fleurs ...
Le soir, sur la terrasse, nous prenons l'apéritif en contemplant le coucher
du soleil, à l'affût du rayon vert que j'ai déjà pu admirer deux fois. Elle n'aura
malheureusement pas ce plaisir.
Peter et Maman s'entendent à merveille. IL est aux petits soins pour elle,
et, comme il parle couramment français, ils discutent ensemble des heures,
de leur vie, des plantes, de la nature, des animaux. Une phrase de Peter
séduit Maman, qui la répétera souvent:
«J'aime tout ce dans quoi il y a cœur qui bat.»
Un jour, elle a le rare privilège d'être invitée par un de mes nouveaux
amis, le chef des services de sécurité du Premier ministre, à prendre le thé
dans son bureau des sous-sols du ministère, servie comme une princesse par
les barbouzes locales attendries, aux petits soins pour la Mamy qui vient de
si loin ...
J'aurai au moins réussi cela: pour la première fois depuis des années, j'ai
pu, un mois durant, consacrer tout mon temps à ma mère, lui offrir l'infime
cadeau de ma présence.
Dans la mesure du possible, je me suis abstenu de lui parler de mon
travail; depuis trop longtemps, celui-ci nous a empêchés de vraiment vivre
ensemble. Je ne ferai qu'une exception: le 15 juin, lorsque je reçois les agré-
ments médicaux du ministère de la Santé de Dominique, qui font du G5 un
médicament officiellement reconnu. Nous arrosons l'évènement au champa- CIl
gne, tout comme, quelques jours plus tard, nous fêtons l'anniversaire de t=Jt
Maguy en l'honneur de laquelle Paul tire sur la plage un magnifique feu
d'artifice.
Le 30 juin, c'est le départ.
Jj QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?

J'ai demandé une chaise roulante pour que Maman puisse gagner sans
fatigue le 747 qui attend sur la piste, comme une énorme baleine échouée.
La chaise est bien là, mais personne n'a été prévu pour pousser le véhicule.
On m'autorise donc à l'accompagner jusqu'au pied de la passerelle, puis dans
la carlingue. Beaucoup de gens attendent derrière nous, et je ne peux m'at-
tarder longtemps. Nos adieux sont brefs. Nos yeux sont mouillés. J'ai le senti-
ment terrible que je ne reverrai jamais Maman.
Maintenant, je suis certain qu'elle aussi savait qu'elle venait de rassem-
bler ses dernières forces pour embrasser son fils en exil.
Rassurée. elle allait pouvoir s'endormir l'âme en paix.

VIE QUOTIDIENNE
Me voici seul à nouveau. Encore plus seul qu'avant.
Quand donc recevrai-je les autorisations des autorités antiguaises?
C'est en songeant à cela que, pensif, je regagne un soir l'hôtel en longeant
la plage.
A l'horizon, le soleil écarlate s'apprête à plonger dans la Caraïbe.
A la lisière de la mer, deux silhouettes viennent à ma rencontre dans un
jaillissement de gouttelettes d'eau. Ils approchent très vite. C'est un jeune
rasta et un cheval, courant côte à côte, tous deux noirs, tous deux crinière
au vent. Magnifique image de liberté totale mêlée de sauvagerie. Arrivé à ma
hauteur, le jeune homme me salue de la main; je lui réponds et les
contemple qui s'éloignent dans les derniers rayons du soleil.
C'est le lendemain que je le revois. Accroupi sur la plage devant l'hôtel, il
vide une dizaine de coquilles de lambis qu'il vient de pêcher pour des
touristes allemands qui les lui ont commandées. Il les vend une misère: vingt
cinq $EC pièce. Tandis qu'il prépare ses prises, les touristes massés autour de
lui le mitraillent, immortalisant sur leur pellicule cette scène couleur locale.
Quand il se relève, les Blancs désargentés sont tous partis. Désemparé, il
regarde alternativement ses lambis et, dans le lointain, la silhouette de ceux
pour lesquels il était dès l'aube parti pêcher. Il arbore cet air d'incompré-
hension triste que je lui verrai souvent plus tard, chaque fois qu'il se trou-
vera confronté à la méchanceté ou la bêtise humaines. Pour le consoler, je
lui achète trois coquilles et l'invite à boire un verre.
«A Guinness 142 ?», demande-t-il timidement.
«No, two: one for me too 143 ... »
C'est ainsi que je fais connaissance de mon cicérone antiguais.

142. Une Guinness?


143. Non, deux: une pour moi aussi...
La bombe «G5» 0
Il se prénomme Denroy, a 19 ans, 1 m 98
et des dents éclatantes. Plus noir, c'est impos-
sible à trouver (Fig. 68), si noir qu'en plein
soleil, par moments, sa peau s'éclaire de
reflets bleus. Son métier? Il n'en a aucun. Ou
plutôt, il en a beaucoup, qu'il exerce au gré de
son humeur et des besoins, les siens ou ceux
des autres. Titulaire d'un brevet de naviga-
tion, il lui arrive de piloter des charters à la
belle saison. Rompu à tous les sports aqua-
tiques, il donne des leçons de plongée et de
natation ou emmène les touristes pour une
partie de parachute ascensionnel ou de ski Fig . 68: Plus noir, c'est impossible à
nautique. Bricoleur, il refait les carrelages et trouver ...
les boiseries dans des hôtels ou chez des particuliers. Quand il a des moments
creux, il dessine, sculpte, fait de la danse classique ou des concours de
fléchettes.
Denroy est un homme libre.
Il s'offre à me servir de guide et, au fil des semaines, va m'apprendre
Antigua, la vie profonde de l'île, ses coutumes et tous les aspects de la vie
quotidienne.
Je découvre ainsi que, le matin, le premier soin des automobilistes est de
vérifier l'état de leurs pneus. Les routes sont terribles et, même si la
crevaison n'est pas franche, les pneus souffrent fatalement à chaque mètre
parcouru, se fendillent et fuient lentement, sans pour cela nécessiter un
changement de roue. Aussi, après une bonne nuit de sommeil, est-il fréquent
de découvrir un, deux ou tous les pneus à plat. Les conducteurs courageux
utilisent alors l'énergie d'une pompe à pied, mais la majorité gagnent la
station service la plus proche pour injecter de l'air dans lems boudins exté-
nués, quitte à effectuer pour cela plusieurs kilomètres sur le caoutchouc
torturé. Arrivé à destination, on fait la queue. L'air comprimé est gratuit et
l'ambiance fort éloignée de la morosité. On en profite pour faire la causette,
prendre des nouvelles du pneu de son voisin:
«Alors, comment ça va, ce matin, ta roue avant gauche?»
«Oh, pas pire qu'hier. Elle tient le coup. Et toi, ton pneu arrière droit?»
«Je crois qu'il est bien malade! Faut le réparer ... »
Car on répare, à Antigua. Tant qu'il reste un fragment de gomme sur la g
corde largement dénudée, on colle des rustines. Des dizaines de rustines. e.=tJ
Jusqu'au jour où, la mort dans l'âme, il faut bien se résoudre au sacrifice
suprême: acheter un pneu neuf! Lequel, bien entendu, crèvera dès le premier
jour d'utilisation.
'l Fr A .~ DE lOÏC lE RIBAULT?

La conduite est horriblement dangereuse. Pas tellement à cause des


chauffeurs, devenus experts dans l'art délicat d'esquiver plus ou moins les
cassis, les ravins, les caniveaux insondables, les ralentisseurs mammou-
thesques, les chevaux, les chèvres, les vaches, les chiens, les ânes et les taxis
fous. Mais surtout à cause des innombrables piétons qui, en pleine
campagne, se promènent le soir sur le bord (ou en plein milieu) des routes.
Et je ne connais rien de plus difficile à éviter de nuit qu'un groupe de Noirs
habillés de couleurs sombres, en pilotant un véhicule dépourvu de tout éclai-
rage. En effet, les phares sont souvent considérés comme de simples options
par les automobilistes, de même que les amortisseurs, les indicateurs de
changement de direction, les freins, les pots d'échappement et les plaques
minéralogiques. Ceci, valable pour les véhicules particuliers, l'est aussi pour
ceux de l'administration, y compris la police, ce qui explique sans doute l'ab-
sence totale de contrôles de papiers, de vitesse ou d'alcoolémie dans cette
île paradisiaque. Il est évident que le port des ceintures de sécurité apparaît
comme une originalité exotique, le gouvernement ayant, dans sa grande
sagesse, décidé que chacun a le droit de se suicider comme bon lui semble.
En fait, la seule obligation nationale consiste à dire bonjour à tous ceux
qu'on rencontre, qu'on croise ou qu'on double, et ce qu'on soit en bateau, en
voiture, à pied, à vélo ou à âne. Pour celui qui ne veut pas se casser la tête,
les saluts passe-partout tels que Hay! ou Hello! peuvent être employés à
toute heure du jour et de la nuit. Pour les puristes, quatre expressions sont
utilisées, non pas au hasard, mais selon un code très réglementé: Good
morning! est usité jusqu'à midi précis. A midi une commence le règne du
Good afternoon qui, à la tombée de la nuit, capitule devant le Good evening.
Comme il se doit, le Good night ne doit être claironné qu'au moment de la
séparation précédant immédiatement le repos nocturne.
Personne ne meurt de faim à Antigua: les fruits sont à portée de la main
et les poissons attendent le pêcheur à deux mètres de la plage, la gueule
grande ouverte. Les plus démunis, dépourvus de tout, ne souffrent évidem-
ment pas du froid et sont très rares, car les Antiguais ont conservé une
qualité que les Occidentaux ont perdue depuis longtemps, sans doute la plus
précieuse: le culte de l'entraide. Amis et famille se mobilisent pour aider
celui des leurs qui est en difficulté, jusqu'à ce qu'il soit sorti de sa mauvaise
passe.
C'est ce qui explique qu'on ne rencontre pratiquement pas de mendiants.
Sauf si on fume en public, auquel cas on ne tarde guère à voir apparaître
quelqu'un, tout sourire dégaîné, saluer poliment et demander sans façon une
cigarette, voire deux s'il y a un copain à proximité. La tradition veut qu'on
ne refuse jamais, qu'on sorte les cigarettes du paquet et les mette dans la
main de l'interlocuteur qui, satisfait, sans rien demander d'autre, remercie,
salue et s'en va tranquillement.
La bombe « G5}) 0
Une autre tradition solidement ancrée dans l'lle concerne l'auto-stop,
pratiqué tant aux abords de la capitale qu'à la campagne. Les mains se lèvent
et le conducteur s'arrête pour charger le véhicule jusqu'à la gueule. Les
voitures les plus prisées sont évidemment les pick-ups, dotés d'un plateau
grande contenance facile à escalader, et sur le toit de la cabine desquels les
auto-stoppeurs n'ont qu'à taper un bon coup pour obtenir l'arrêt à la desti-
nation souhaitée. Les auto-stoppeurs fatigués n'ont d'ailleurs même pas à
lever le petit doigt, ce sont les automobilistes qui s'arrêtent d'eux-mêmes à
leur hauteur pour leur demander s'ils veulent monter à bord.
C'est vrai qu'à Antigua on peut, si on le désire, vivre sans rien ou presque.
Mais pas sans musique. Elle est aussi indispensable que l'oxygène, jaillit
omniprésente des boutiques de Market Street, des maisons cossues de
Paradise View, de la sono déchaînée des voitures, du bureau de poste ou du
commissariat. Et personne ne s'étonne en voyant le serveur de restaurant ou
le pompiste jusqu'alors impassible brutalement saisi d'un souple balancement
au son de l'air qui lui passe par la tête, déconnecté du monde terrestre
pendant quelques secondes. Il faut un dimanche soir, quand le soleil se
couche, avoir eu les tripes tordues par le steel band de Shirley Heights pour
comprendre ce que signifie la musique vraie, jouée sur de vieux bidons par
des musiciens dont pas un ne connaît le solfège ...
« Without music, Loïc, l'm dead! ... 144»
Dans les quartiers modestes où les touristes ne vont jamais, je découvre
l'extrême pudeur des Antiguais sous leurs dehors exubérants, leur joie
profonde, aussi, de rencontrer un Blanc qui cherche à les comprendre et veut
rester vivre chez eux. Et qui n'est pas Anglais. Avec ceux-là, bien sûr, on est
poli, on leur parle, on dit bonjour, mais ... mais ... c'est bien difficile,quand
même, aussi gentils soit-on, d'oublier près de trois cents ans d'esclavage.
Salaud de 'Cnristophe Colomb! Pourquoi a-t-il découvert les Indes
Occidentales, cet imbécile? Ils n'avaient rien demandé, les Arawacks, les
Caraïbes et tous les Noirs d'Afrique 145 ! C'est ça, la plaie secrète des
Antiguais; ils souffrent toujours au plus profond d'eux-mêmes des séquelles
inguérissables du temps de l'esclavage. L'île est encore parsemée des ruines
d'une centaine de moulins à sucre (les fameux sugar miLls [Fig. 6Q]), à l'ombre
desquels moururent des centaines de milliers d'esclaves 146 • Au nom du dieu-
pognon, déjà ... Ne demandez jamais à un Antiguais d'où est originaire sa

144. Sans musique, Loïc, je meurs !...


145. «Cinquante ans après cette découverte, quinze millions d'Indiens sant morts de maladies nouvelles, de
travaux forcés ou de massacres. Avides d'or, Colomb et ceux qui L'ont accompagné ou lui ont succédé n'en
étaient pas moins animés par une foi forte qui les poussait à transporter outre·mer La religion chrétienne» (in
QI
I.LjJ 1
«Sud·Ouest», 20 janvier 1997, page Cl. On remarquera au passage l'intéressante tournure de phrase (<< n'en
étaient pas moins animés par une foi forte») qui absout l'hoLocauste au nom de La secte chrétienne ...
146. Dans ces moulins à sucre, les colons britanniques s'amusaient parfois à «broyer du Noir», au sens
propre du terme: ils faisaient passer vivants entre les meules Les esclaves évadés qui avaient eu La maL-
chance d'être repris.
famille; comment le saurait-il, lui dont
les ancêtres furent transportés comme
du bétail dans des bateaux sautant d'un
port à l'autre des côtes d'Afrique pour
faire le plein de bois d'ébène? Ce drame
les ronge. Ne grattez pas leur plaie ...
Un matin, Denroy et moi visitons
Bettys' Hope, le seul sugar milL restauré
du pays. Dans le petit musée qui le
jouxte sont exposés de nombreux docu-
ments, objets et maquettes illustrant
cette époque maudite. Sur un papier
indiquant l'âge, le sexe, l'emploi et le
nom des esclaves, je découvre celui de
Fig. 69: Ruines d'un moulin à sucre. la famille de mon jeune ami; il regarde
longtemps les lettres tracées à l'encre jaunie, place son bras contre le mien
et murmure:
«Pourquoi tout ça? Regarde: ta peau est blanche, la mienne est noire,
mais est-ce qu'on n'a pas tous les deux un sang du même rouge dans les
veines? »
Il y a aussi les chiens d'Antigua, tous semblables, d'une race que je ne
connais pas, si toutefois ils ont une race définie. De couleur fauve, ils
ressemblent un peu à des dingos 147 • Très nombreux sur les plages, chacun a
son territoire, soigneusement délimité, d'où il déloge promptement ses collè-
gues non invités. Ainsi le baigneur qui se promène sur le rivage bénéficie-t-
il très souvent d'une escorte canine tout au long de sa randonnée, les chiens
se passant scupuleusement le relais à la frontière des territoires. Cette
escorte est toujours amicale tant que le baigneur ne court pas. S'il court et
qu'il est Blanc, il n'y a aucun problème, les chiens l'accompagnent en galo-
pant joyeusement; mais s'il est Noir, les chiens de plage deviennent immé-
diatement agressifs et se précipitent au-devant de l'envahisseur ou le pour-
suivent.
J'ai longtemps cherché les raisons d'une telle discrimination, jusqu'à ce
que je découvre une gravure ancienne représentant quelques-uns de ces
animaux: ils étaient utilisés par les planteurs pour garder les esclaves ou les
rattraper lorsque les malheureux tentaient de s'évader. Le comportement
actuel des chiens d'Antigua serait-il dû à la survivance d'un terrifiant
chromosome-mémoire encore imprégné de la folie des Blancs?
Dans ce pays qui souffrit tant et si longtemps de l'alliance diabolique du
fric et du goupillon, la gentillesse innée des habitants conduit à un étrange

147. Chiens sauvages d'Australie.


La bombe «G5» '"n~

paradoxe: il n'existe pas un village qui ne soit pollué par au moins cinq
églises où, tous les dimanches, se pressent par centaines les clients revêtus
de leurs plus beaux atours, entonnant à pleine voix de magnifiques cantiques
à la gloire d'une religion dont les représentants de commerce massacrèrent
leurs ancêtres, officiellement catalogués comme des animaux. Quand je me
hasarde à suggérer que, pour se libérer totalement de leur passé, les
Antiguais devraient raser leurs sugar mills et leurs églises, ils me jettent des
regards ahuris ou choqués, mais me pardonnent aussitôt.
Certains, toutefois, ont compris cette évidence: les rastas, facilement
reconnaissables aux cheveux tressés plus ou moins longs qui ornent souvent
leur crâne. Très proches de la nature, non violents, ils croient en la réincar-
nation et, pour cette raison, ne mangent pas de viande (excepté du poisson).
Après leur mort, ils pensent réintégrer la lointaine terre d'Afrique pour y vivre
enfin heureux parmi leurs ancêtres. L'alcool leur est interdit, mais ils ne
considèrent pas la bière comme de l'alcool; adeptes de la pauvreté, mépri-
sant l'argent, ils ne travaittent généralement pas, sauf pour cultiver parfois
la marijuana, plante naturelle excellente selon eux pour le moral et la santé.
Bref, les rastas ne se prennent pas plus au sérieux qu'ils ne prennent les
autres. Ce sont des sages.
Bien que je prenne soin de préciser que je ne suis pas Français mais
Breton, les Antiguais devinent d'où je viens et je découvre avec stupeur que
ces heureux hommes ignorent à peu près tout de la France. IL faut dire que
fort peu de touristes viennent de cette contrée exotique où personne ne
parle anglais. Les questions que L'on me pose sont d'un calibre à écraser
toutes les illusions des imbéciles pour lesquels l'hexagone (comme ils disent)
est le nombril du monde:
Question: Où c'est, la France?
Réponse: En Europe.
Question: Où c'est l'Europe?
Réponse: Là-bas, dans l'Est; loin ... très loin .. ,
Question: Qu'est-ce qu'on parle comme langue, en France?
Réponse: Le français.
Question: ALors, c'est une région de la Guadeloupe?
Réponse: Non, c'est l'i nverse ...
Question: Ah? Et ça fait partie du Commonwealth?
Réponse: Non, non, c'est indépendant.
Question: Mais alors c'est une île?
Réponse: Euh ... non.
Constatation: Ben, si c'est pas une iLe, c'est pas un pays!
J 0~ PEUR DE Loïc LE RIBAULT?

Réponse navrée: Ben si, hélas!


Question: Et c'est plus grand qu'Antigua?
Réponse: Mille fois plus grand ... enfin, en taille ...
A ce stade de l'interrogatoire et compte tenu de mes réponses aberrantes,
les Antiguais, s'ils n'étaient pas si polis, diraient que je galège. Alors, pour
ne pas m'humilier, ils passent à des sujets sérieux: l'arrivée des sprats dans
la baie, le cyclone qui est passé au nord de l'île, le départ du paquebot russe
ce matin, Jason qui a pêché dix coryphènes et le concours de fléchettes, ce
soir, au Bryson's.
Aucune pollution, pas de racisme, pas de taxes (ou si peu ... ), pas d'im-
pôts (ou si peu ... ) dans cette petite île qui est un grand pays. où chacun fait
ce qu'il veut à condition de respecter autrui. Un pays si tranquille qu'ici les
policiers ne sont même pas armés.
C'est par la mer, enfin, que dans une barque minuscule Denroy me fait
découvrir Antigua telle qu'elle apparut sans doute un jour à ce salaud de
Colomb, voici cinq cents ans: d'innombrables plages d'un blanc éclatant,
totalement préservées du tourisme, bordées de cocotiers et inaccessibles par
la terre. La nature, intacte.
Dans les villages perdus qui bordent la côte, j'apprends avec lui les
méthodes traditionnelles de pêche, les recettes de cuisine locale, les secrets
des plantes médicinales du bush, comment identifier les poissons vénéneux
en trempant dans leur sang un bracelet d'argent, fabriquer avec la mousse de
mer148 une boisson reconstituante et aphrodisiaque ou dresser les tarentules
à devenir en deux jours de charmants animaux de compagnie mais d'excel-
lents gardiens.

AMERE VICTOIRE
Mes consultations m'occupent de plus en plus. Je suis en train de me
forger notamment une solide réputation dans le traitement des brûlures de
méduses. Celles-ci, de temps à autre, envahissent les plages et, parmi elles,
le redoutable homme de guerre portugais dont les filaments urtiquants
peuvent atteindre jusqu'à dix mètres de long. Les blessures qu'occasionne
cette méduse sont horriblement douloureuses, parfois même - mais rare-
ment - mortelles, et la sensation de brûlure ne s'estompe qu'au bout de
longues heures de souffrance. Quant aux rougeurs, elles persistent plusieurs
jours, laissant souvent des cicatrices. Ces méduses n'apparaissent qu'à
certaines périodes, notamment en fonction des vents; la population locale
prévoit donc leur arrivée et en avertit les touristes, lesquels, comme il se

148. Sorte d'aLgue de couLeur brun clair qu'on cueille en pêche sous-marine ou ramasse sur Les pLages
quand Les vagues en rejettent.
La bombe «G5» ni
u ._

doit, n'écoutent pas les conseils et continuent leurs baignades. On apprend


donc généralement l'arrivée de ces sales bêtes grâce aux cris de la première
victime et à ses trémoussements frénétiques à la surface de l'eau. Avec un
bel ensemble, tous les baigneurs se précipitent alors vers la terre ferme,
guettant le retour du malchanceux pour le réconforter.
L'ennui, c'est qu'il n'existe aucun produit pour calmer les brûlures de
méduses. Aucun ... sauf, bien sûr, le G5. Celui-ci agit en cinq minutes, au
bout desquelles la douleur disparaît complètement tandis que les rougeurs
commencent à s'estomper. De dizaines de cas traités ainsi à vif sur les plages,
le G5 gagnera à Antigua le surnom de Pain Kj[[er (Tueur de douLeurs).
Au Sand Haven, la chatte de Peter a accouché de deux adorables bébés,
qui passent leurs journées entières blottis l'un contre l'autre, boules de poils
et de douceur. Il a appelé la femelle Yvonne, en souvenir de ma mère.
Informée aussitôt, Maman est émue et ravie.
C'est le quinze juillet qu'enfin j'obtiens l'agrément du Premier ministre
d'Antigua & Barbuda. La lettre se termine ainsi:« Je vous souhaite tout Le
succès possibLe dans la fabrication du silanoL à Antigua en tant que médica-
ment et produit cosmétique. Signé: Lester B. Bird, Prime Minister. »
Je resterai donc à Antigua!
Quinze jours passent, chargés de démarches auprès du gouvernement.
L'annonce de mon succès officiel dans les Caraïbes britannique est diffusé
en France, où quelques courageux journaux (dont Le Meilleur, comme
toujours) ont osé publier l'information.
Comme par hasard, la justice se déchaîne alors contre moi; de la façon la
plus ignoble qui soit: en attaquant ma mère ...
Le 7 août, quelques jours après la publication de ces articles, quatre
membres du S.R.P.J. de Bordeaux et un gendarme de Biganos investissent sa
maison, brandissant une commission rogatoire d'Alain R., mon juge fou. Ils
sont accompagnés d'une sorte de souris grise desséchée représentant l'ordre
des pharmaciens. Toute la journée, les porte-flingue perquisitionnent, boule-
versent mon bureau, mélangent mes dossiers et mes photographies, jettent
leurs yeux glauques dans toutes Les pièces et feuillettent de leurs sales
pattes tous mes documents personnels. Dans leur voiture, ils chargent ce
qu'ils croient être de belles prises, puisqu'en les découvrant sur mes étagères
leur souris-de-chasse couinait de plaisir: des dossiers scientifiques dépassés,
de vieux témoignages sans intérêt, un double de mon fichier de patients dont
j'ai l'original. Ils essaient de faire place nette, de gommer toute trace de la
réalité gênante du silicium organique 149 • B
149. Le seul aspect comique de ce drame est que, durant toute la perquisition dans mon bureau, un des
Limiers d'élite du SRPJ bordelais resta, assis sur une caisse en bois, à éplucher intensément toutes les archi-
ves du C.A.R.M.f. que j'avais conservées. Et c'est dans cette caisse, précisément, que se trouvaient tous Les
documents importants que ses collègues et La souris étriquée cherchaient frénétiquement autour de lui!
Mais ils font pire: Cinq heures durant, ils osent interroger ma mère, âgée
de 85 ans! Quand ils s'en vont enfin, leur besogne de basse-police accom-
plie, ils laissent une vieille dame traumatisée, épuisée, dont Maguy me dira
plus tard qu'elle avait encore le courage de sourire.
Un sourire triste: Maman avait reçu le coup de grâce.
Au Sand Haven, le 20 août est jour de peine et de colère: Dans la nuit,
un salaud a jeté des boulettes de viande empoisonnées tout au long des
plages de Dickinson Bayet de Runaway Bay. Des cadavres de chiens gisent
sur le rivage. Peter revient à l'hôtel, serrant Yvonne et son frère morts dans
ses bras.
Le 21 août, la nouvelle du lancement du G5 dans l'ile est publiée dans le
journal local, le Daily Observer, sous le titre «Un nouveau médicament
extraordinaire bientôt fabriqué à Antigua et en Dominique». Dans un louable
souci d'objectivité, Le journal a pris la précaution de vérifier l'efficacité du
G5. La journaliste écrit: «Nous décidâmes de réaliser nos propres tests et
demandâmes à l'un de nos employés d'aller consulter le Dr Le Ribault à propos
d'un probLème cutané extrêmement pénibLe dont il souffre depuis des années:
parfois, sa peau se met à peler par grandes pLaques laissant les parties ainsi
exposées à vif et accessibles à des infections potentielles. Le jour où notre
employé rencontra le Dr Le Ribault, ses doigts étaient dans cet état, et iL lui
était impossible de toucher les parties affectées. Le Dr Le Ribault appLiqua le
G5 sous forme liquide à ces endroits; en moins de dix minutes, notre homme
pouvait toucher ses doigts et était stupéfait du résultat. Le Dr Le Ribault lui
demanda de continuer Le traitement régulièrement pendant un mois, à l'issue
duquel il souhaitait revoir le patient pour constater les résultats obtenus.
Aujourd'hui, une semaine pLus tard, Le seul regret de notre employé, qui se
rétablit après de nombreuses années de souffrances, est qu'il est impatient
11

d'être totalement guéri et regrette que le G5 n'agisse pas plus vite." Nous
avons parlé également à des personnes qui séjournent dans le même hôtel que
le Dr Le Ribault, et ont expérimenté l'extraordinaire efficacité du G5. Certains
affirment avoir été guéris de douloureux coups de soleil en quelques heures à
peine, et l'une d'entre elles parle d'une profonde coupure à un doigt, qui fut
presque complètement cicatrisée après application d'une compresse de G5 sur
La blessure durant seulement un jour. ( ... )>>
Le 22 août, toutes les conditions matérielles sont donc réunies pour
lancer l'opération G5-Caraïbes. Ce n'est plus un Centre de silicothérapie que
je suis en mesure de réaliser, mais deux, qui seront animés par une équipe
258 de médecins formés par mes soins. Je réalise enfin mon rêve, bien Loin du
pays qui m'a tout refusé, la France. France, où, pourtant, il faudra bien
qu'hélas je retourne un jour pour ramener dans ma nouveLLe patrie tous les
documents et les livres qui restent dans l'ancienne et dont j'ai désormais un
impérieux besoin.
labombe«G5» U[

Le soir, comme tous les jours, je téléphone à Maman et lui annonce la


nouveLLe; elle est folle de joie en apprenant ma réussite, et surtout à la
pensée de me revoir bientôt.
Le 23 août, à 10 heures, le téléphone sonne à l'hôtel. C'est Maguy. L'heure
d'appel est inhabituelle. Maguy est brève:
«J'ai une mauvaise nouvelle à t'annoncer. Excuse-moi si je suis brutale,
mais je ne sais pas comment te le dire: ta maman est morte! ... »
Maman ne s'était jamais remise de la perquisition des flics bordelais à son
domicile, ni de l'interrogatoire qu'elle avait subi. Traumatisée par le compor-
tement des spadassins du juge Alain R., eLLe était tombée malade le lende-
main. ELLe vient de me quitter, quinze jours plus tard, minée par le chagrin.
C'est la première fois qu'eLLe m'abandonne.
Maman, pourquoi m'as-tu lâché la main? J'avais encore besoin de toi ...
Et puis, maintenant, j'allais enfin pouvoir te consacrer tout mon temps, t'em-
mener promener, être à tes côtés, refaire tous les jours de la semaine ton
mois de juin à Antigua! J'avais gagné! J'allais être libre! Nous allions enfin
être heureux!
Mélange de peine indescriptible et de remords brûlant.
Coup de massue.
Que dire 'de pLus?
Rien ...
En un an, j'ai tout perdu: ma maison, mes meubles, mes documents, ma
bibliothèque, mon pays, ma langue et maintenant ma mère ...
Je n'ai plus aucune raison de me battre.
Je ne me souviens plus de ce jour-là.
Juste des flash, des instantanés, L'image de patients qui me serrent dans
leurs bras, des amis qui m'offrent des coquillages for Mamy, de Denroy
désemparé et muet, de la mer toujours si bleue, du ciel toujours si pur, des
éclats de rire d'enfants sur la plage, des pélicans qui plongent et des frégates
qui planent .. .
Norbert ... Jean-Michel ... Maman ... Combien de morts faudra-t-il encore
pour que le silicium organique triomphe?
Elle m'avait dit: «Quand je mourrai, promets-moi de sabler le champa-
gne!»
Alors, je me souviens aussi d'un bouchon qui monte vers les étoiles et de
la mousse amère qui déborde des verres.
De la fleur verte d'un feu d'artifice tiré du Sand Haven, explosant dans le
ciel des tropiques pour lui dire au revoir!
., n 1 QU I A PEUR ] DE LDÏC LE RI BAULT?

25 août, jour de ma fête. La Saint Louis pour les Français, la Saint Lolc
pour les Bretons. Dans ma bOlte postale, je trouve une lettre avec l'écriture
que je connais si bien ... Mais si tremblée, aujourd'hui! A l'intérieur, une
petite carte datée du 19 août, qui dit:
Pour toi, Lolc. Mon cher petit, bientôt ta fête! J'y pense.
Très affectueusement, Maman
Elle n'avait pas oublié, bien sûr ...
Pensée d'outre-tombe.
Coup de poignard.
Le 28 août, c'est à dix heures du matin, heure française, qu'on enterre
Maman dans le petit cimetière de Saint Jacut-de-la-Mer.
A Antigua, il est quatre heures du matin. A cet instant précis, tout seul
sur les remparts du Fort James (Fig. 70), je réveille un des douze canons
endormis depuis près de trois
cents ans. Une fusée éclairante
file dans la nuit et éclate sur la
baie. Exprès, j'ai choisi le
canon braqué vers la France
ennemie, comme un doigt de
bronze accusateur. Que ce pays
maudit disparaisse à jamais de
la surface du globe!
Ensuite?
Je ne sais plus... Fig. 70: Fort James.
Certitude que je vis la fin de mon combat, fusillé par le destin à deux pas
de la victoire ... Remords de ne pas avoir offert à Maman tout ce que j'aurais
dû lui donner ... Conscience palpable du vide que me cause son absence.
Rage de n'avoir pu assister à ses obsèques: je sais que, sans pudeur, les
re'itres d'Alain R. m'y attendaient pour m'arrêter150 •
Désir de poser les bagages, de couper les moteurs.
Jours de vide atroce, d'errance sur les rivages, pendant lesquels - paralt-
il - je n'apparaîs plus à l'hôtel.
Jusqu'à ce qu'un soir une grande main noire me retienne au bord du
gouffre:
«Tu n'as pas le droit de lâcher la rampe! Elle n'aurait pas voulu! »
Alors, il faut bien reprendre un collier qui serre de plus en plus. C'est vrai
que je n'ai pas le droit d'abandonner mes patients, tous ceux qui ont cru en
moi, et même les autres à qui, plus tard, le G5 sera si utile.

150. Ce qui fut vérifié et confirmé uLtérieurement. Deux argousins de La RépubLique m'attendaient à La
Levée du corps de ma mère, et deux autres spadassins à l'entrée du cimetière en Bretagne.
ni
La bombe «G5» ii
I,-iL

Il ne me reste plus qu'à rentrer discrètement en France récupérer mes


dossiers et aller - en cachette - sur la tombe de mes parents.

LE SWIFT DE SWIFT
Dernière formalité à accomplir avant le départ: régler une note de
2 000 € due par Dupont, un de mes patients français, à un hôtel où il a
séjourné pendant un mois, et dont il doit me rembourser le montant dès mon
retour en France.
Il faut savoir qu'outre la politesse, la seule obligation à Antigua est
d'avoir réglé la totalité de ses dettes avant de quitter l'île. Or, un chèque
étranger déposé sur un compte local ne peut être crédité avant six semaines
à deux mois; quant aux virements bancaires émis depuis la France, compte
tenu du fait que la majorité des banquiers de ce pays ignorent qu'Antigua
existe, leur arrivée est tout simplement imprévisible et dépend à La fois de
l'établissement émetteur et du trajet parfois étrange qu'ils suivent jusqu'à
destination.
Le 25 octobre, j'invite donc le propriétaire de l'hôtel, Mister Swift, à se
rendre en ma compagnie au siège de ma banque, afin que celle-ci le règle
directement dès l'arrivée sur mon compte d'un virement (également swift) de
2 000 € émis par une banque française à mon bénéfice. Nous nous quittons
en excellents termes, Mister Swift serrant sur son cœur la garantie officielle
du règlement par ma banque de la somme qui lui est due.
Tout étant en ordre, je boucle mes bagages, ou plutôt ma serviette, large-
ment suffisante pour entasser les rares objets que j'emporte avec moi, parmi
lesquels une coquille de lambi que je veux déposer sur la tombe de ma mère.
Je suis prêt.
Denroy est inquiet:
« Tu reviendras à Antigua?)}
«Bien sûr, voyons! Tu sais bien que je n'ai plus rien à faire en France ... »
«Tu es sûr qu'on ne va pas te mettre en prison, là-bas? Tu sais que j'ai
un mauvais pressentiment 151 ••• )}
Onze heures, aéroport de Saint John's. Mes billets à la main, je m'apprête
à franchir le portillon conduisant à la salle d'embarquement quand un poli-·
cier en uniforme, fort aimable, me salue:
«Mister Le Ribault? Voudriez-vous me suivre, s'il vous plaît? Le lieutenant
voudrait vous parler.» BL
151. Deux semaines plus tôt, il m'avait prédit que si je retournais en France je serais arrêté trois semai-
nes après mon arrivée, que je resterais trois mois en prison et que je reviendrais cinq ans plus tard à
Antigua. Quand je suis revenu (six ans plus tard), sans avoir prévenu quiconque, Denroy m'attendait au
Cacanut Grave, assis à notre table habituelle.
]0~A PE~ DE Loïc LE RIBAULT?

Quelques minutes plus tard, le lieutenant Swift (c'est son vrai nom!)
m'apprend que l'hôtelier Swift, malgré les preuves officielles du virement
swift qui lui est destiné, a préféré prendre ses précautions: il a porté plainte
contre moi pour grivèlerie! ... En vertu de quoi, non seulement il est hors de
question que je quitte Antigua, mais le lieutenant Swift a l'extrême regret de
devoir m'arrêter dans l'attente de mon procès dont il ignore la date ...
C'est à bord d'un énorme 4 x 4 de la police que je suis conduit au Quartier
général des forces de l'ordre de Saint John's (Fig. 71 et 72) où, après un court
interrogatoire et la confiscation de mon passeport, je suis enfermé en
compagnie de quatorze autres compagnons d'infortune, évidemment tous
Noirs. Le seul mobilier consiste en plusieurs chaises, des bancs et une table.
Pas de lit. J'en déduis que je serai libéré avant la nuit. C'est une erreur ...
A dix-huit heures, je commence à m'impatienter et demande à parler à
mon avocat. Refusé. Bon, alors au Consul de France? Refusé. A un ami?
Refusé.
La nuit tropicale tombe une heure plus tard, et je sens qu'eLLe va être
longue.
Elle l'est.
L'un après l'autre, mes
compagnons croisent les bras
sur la table, y posent la tête et,
avec cette extraordinaire capa-
cité des Noirs à s'endormir
n'importe quand et n'importe
où, sombrent instantanément
dans le sommeiL
Moi, je ne ferme pratique-
ment pas l'œil de la nuit. Il
faut dire que la pièce ouvre par Fig. 71: Les vieilles baïonnettes qui forment Les grilles du
commissariat de poLice de Saint John's.
plusieurs fenêtres (grillagées,
quand même) sur Market Street,
une des rues les plus animées
de la capitale, et que nombre
de badauds s'arrêtent pour
contem pler les prison niers,
tout heureux quand ils décou-
vrent parmi eux une de leurs
connaissances. La conversation
s'engage alors, émaillée de
joyeux éclats de rire. Comme
les policiers ont allumé la radio Fig. 72: Le commissariat. J'étais hébergé dans la pièce
d'angLe.
La bombe « G5 )} 0[
qui diffuse sans interruption de la musique, l'ambiance n'est pas à la moro-
sité.
On m'a laissé ma serviette, dans laquelle, bien entendu, j'ai une fiole de
G5 de secours. Tout se sait vite à Antigua et mes compagnons, qui ont appris
que j'étais le médecin français, me demandent de soigner leurs petits bobos
(douleurs articulaires, coupures, hématomes, etc.), bientôt suivis par les
policiers. En quelques heures, la salle s'est transformée en un cabinet médical
qui fonctionne jusqu'au petit matin. De temps à autre, un policier fatigué
s'insère à son retour de patrouille entre les prisonniers, prend une chaise
libre et s'endort paisiblement au milieu d'eux, la tête sur la table.
Au lever du jour, je demande à aller aux toilettes.
«Tu y tiens vraiment?», demande un policier, vaguement inquiet.
«Mais j'ai envie de pisser!»
«Bon, bon ... »
Il me fait sortir dans la cour, et me désigne une porte ouverte dans la
façade du bâtiment d'en face.
«C'est là ... »
«Où est la lumière?»
«y a pas de lumière ... »
Je tente une entrée. L'odeur est effroyable. Les toilettes sont tout au fond
d'un long couloir, plongées dans le noir complet. Je glisse sur des choses
innommables, hasarde encore quelques pas puis renonce. C'est non seulement
insupportable, mais surtout dangereux. J'imagine déjà les titres du journal de
demain: «Un Français disparaît dans les latrines du Police Headquarter. Toutes
les recherches immédiatement entreprises pour tenter de retrouver le corps du
malheureux sont restées vaines à l'instant où nous mettons sous presse. »
Je ressors:
« Tu vois », dit le policier, «faut avoir envie, hein?»
« Ben justement. .. »
Il jette un rapide coup d'œil autour de nous puis souffle:
«Vite! Pisse contre la bagnole de patrouille! On ne te verra pas, je fais
le guet!»
Il va de soi qu'il n'y a pas non plus d'eau pour faire sa toilette.
A midi, je n'ai toujours aucune nouvelle. Personne ne sait quand je vais 263 1
sortir. Mes compagnons passent leurs commandes pour le déjeuner, et
donnent de l'argent aux policiers qui vont faire les courses pour les prison-
niers dans les restaurants voisins. Moi, comme je n'ai pas un cent sur moi
(c'est d'ailleurs à cause de ça que je suis là ... ), je dois me contenter du menu
-1 1 Q ur-P: PEU RJ DEL 0 Ï C LE Rr BAU LT ?

réglementaire: pain avec fromage arrosé de jus d'orange. Voyant cela, mes
compagnons s'étonnent:
«Mais tu ne manges que ça?»
«J'ai pas d'argent. .. »
Spontanément, tous s'entendent pour me donner chacun un peu de leurs
plats. Vous imaginez ça, vous, un Noir dans une prison française, seul au
milieu de quatorze Blancs et auquel ces derniers offriraient à manger? Il
pourrait crever, oui ...
Enfin, à dix-sept heures, arrive un inspecteur affairé qui s'adresse à moi:
«Voilà! vous êtes jugé!»
Comment ça, jugé? Mais je n'ai pas assisté au procès! Je n'ai même pas
pu appeler mon avocat!
«Veuillez me suivre, Mister Dyoupont! »
Mister Dyoupont? Mais je ne suis pas Dupont!
Qu'est-ce que ça veut dire?
L'inspecteur me conduit au palais de justice où, en présence du procureur,
le Président m'informe que je suis condamné à payer immédiatement les
2 000 €, plus 460 € d'amende.
«Pas de problème », dis-je. «C'est à peu près la somme que j'attends ... »
« Et vous êtes en mesure de payer tout de suite?»
«Mais non, sinon je l'aurais fait avant de prendre l'avion!»
«Bon. Alors, je vous incarcère jusqu'au règlement de la somme due.»
Et merde! En prison! A Antigua!
Une prison de 1735 probablement dans son état d'origine (Fig. 73)!
«A moins, bien sûr, ajoute le procureur, que vous n'ayez ici des relations
ou des amis susceptibles d'établir un chèque de garantie?»
Non, je n'ai pas d'amis. Du moins, pas un seul disposant d'une pareille
somme. Sauf, bien sûr ... Ils s'appellent Graham et Leslie ... mais je ne les ai
rencontrés que deux fois ... Ils
vont me claquer le téléphone
1

au nez! Oh, après tout, je ne


risque rien de pire que ce qui
m'attend de façon certaine si je
ne tente rien ...
«Je peux téléphoner?»
«Mais comment donc! »

Fig. 73: Entrée de La prison de Saint John's


(construite en 1735).
la bombe « G5» fi
~)
Il

J'appelle, sans illusion, le domicile de Graham et Leslie. C'est ce dernier


qui répond:
«Ah, Loïc! Comment ça va?»
« Euh ... pas très bien ... Je suis en prison ... »
« Hein? T'es où?»
«En prison ... A Saint John's ... »
Les lie, mort de rire, lâche le téléphone, rattrapé de justesse pas Graham
qui prend la suite. Je lui explique mon drame. Sa réponse est immédiate:
«Pas de problème! On arrive!»
Je n'en reviens pas! Des gens que je connais à peine! Et Anglais, en plus!
J'informe le proc' de la bonne nouvelle.
«Parfait, dit-il. Je leur accorde quinze minutes pour arriver.»
Quatorze minutes plus tard, ils ne sont toujours pas là.
Le Président sort solennellement un formulaire d'incarcération et
commence à le remplir à l'encre rouge en belles lettres rondes. Je sue à
grosses gouttes.
Une minute plus tard, exactement, Graham et Leslie entrent. Mais ils ne
sont pas venus tout seuls: au passage, ils sont allés chercher mon avocate,
la très jolie Marie Lou, qui (elle commence à me connaître) pose immédiate-
ment sur moi des yeux terriblement soupçonneux:
«Mais qu'est-ce que tu as encore bien pu faire pour te retrouver ici?»
Je lui explique la situation, en protestant de mon innocence absolue.
Visiblement, elle ne me croit pas une seconde.
«On t'a bien remis des papiers?»
«Oui ... Juste quand je suis arrivé ici. Je n'ai même pas eu le temps de
les lire!»
«Montre-les moi!»
Par moments, Marie Lou est incroyablement autoritaire. Actuellement,
c'est un de ces moments-là. Je les lui donne. Elle les parcourt, hausse les
sourcils, les relit attentivement, puis éclate de rire (je préfère quand elle
éclate de rire) :
«Mais cette affaire ne te concerne pas!»
«Comment ça?»
«Voyons, regarde! L'inculpation est au nom de Dupont, pas au tien!»
Et c'est vrai!
C'est Dupont qui est accusé de grivèlerie, c'est Dupont qui a été
condamné, c'est Dupont à qui on interdit de quitter le territoire antiguais,
c'est Dupont qui doit payer ses dettes, pas moi!
o
1 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?

Triomphante, Marie Lou brandit les documents sous le nez du Président,


du Procureur et de l'avocat adverse. Ils sont catastrophés, mortifiés,
honteux, voient planer sur eux le spectre de l'erreur judiciaire impardonnable
et de l'incident diplomatique. Trois paires d'yeux fusillent littéralement Mister
Swift, responsable de la bavure, et on lit nettement dans les regards braqués
sur lui que le bouc émissaire est déjà tout trouvé. L'hôtelier, quant à lui,
aimerait à cet instant être bien loin d'Antigua, facture payée ou pas.
C'est alors que, sans préméditation, brusquement inspiré, je me décide à
commettre une des bourdes énormes dont j'ai le secret, une de celles qui me
font parfois me demander si, quelque part dans mon cerveau, certains
neurones ne font pas par moment l'école buissonnière.
Car Mister Swift, brusquement, m'inspire une profonde pitié!
Je décide de détendre l'atmosphère, qui en a bien besoin.
« Ecoutez-moi, Messieurs, s'il vous plalt ... »
Marie Lou, qui connaît évidemment les lois anglo-saxonnes, essaie de
m'empêcher de parler, mais en vain.
Calmement, j'explique que selon moi il n'y a pas dans cette histoire de
quoi fouetter une mangouste, que certes Mister Swift a commis une erreur sur
la personne, qu'hélas grâce à lui j'ai eu un avant-goût des geôles antiguaises,
que je ne lui en tiens nullement rigueur, qu'il est certain que Dupont lui doit
de l'argent, que j'ai effectivement promis de payer le pauvre homme à sa
place, et que le-dit Dupont, en qui j'ai toute confiance, m'a de son côté juré
qu'il me rembourserait152 • Alors où est le problème? Considérons comme
classée cette regrettable histoire, et quittons-nous bons amis.
Effectivement, le sourire est revenu sur les visages décongestionnés du
Président, du Procureur, de l'avocat adverse et de Mister Swift. Par contre,
étrangement, Marie Lou arbore à son tour un air catastrophé. Qu'est-ce
qu'elle a, la pauvre? Un souci?
«Je vous remercie vivement de cette mise au point, Mister Le Ribyoutt,
puisque vous n'êtes pas Mister Dyoupont, n'est-ce pas? », susurre le
Procureur. « Ainsi donc, vous venez de reconnaître que c'était bien vous qui
deviez régler Mister Swift?»
Là, je pressens une catastrophe ... J'ai l'étrange impression d'avoir commis
ma gaffe de la semaine ...
«Euh ... »
Marie Lou sort de son abattement pour tenter un sauvetage désespéré :
« Comprenez, Monsieur le Procureur, que mon client ne connaît pas les lois
antiguaises et. .. »

152. Ce qu'il ne fit jamais: peu après son retour en France, il mourut égoïstement.
La bombe «G5» 0
«Mais il a un exceLLent avocat, cher Maitre. Heureusement pour Lui, il va
en avoir besoin ... »
«En vérité ... », dis-je, penaud.
«Toi, je crois qu'il vaut mieux que tu te taises et que tu me Laisses parler,
maintenant! »
Elle me traine Littéralement dans la pièce voisine où, fumante de rage, elle
m'explique que, de toute sa carrière, elle n'a jamais - mais alors là,
jamais! - rencontré queLqu'un d'aussi bête que moi, qu'eLLe ne pensait pas
que ça puisse exister, que ça ne devrait d'ailleurs pas exister, que jamais ses
collègues ne la croiront quand elle leur racontera qu'un de ses clients, en sa
présence, victime d'une erreur judiciaire, blanchi de toute accusation, libre,
à qui on ne demandait rien, à qui la Cour allait présenter de plates excuses
de peur qu'il n'exige des dommages et intérêts justifiés, s'est déclaré respon-
sable d'une dette qui ne le concernait pas!
Après dix minutes d'engueulade, eLLe m'interdit de prononcer un mot sans
son autorisation expresse et me retraine devant la Cour hilare qui, évidem-
ment, constatant officiellement l'absence de Dyoupont, réfugié en France,
condamne son complice Le Ribyoutt à régler les sommes dues à Mister Swift.
Tout de suite. Sinon, crac! C'est la prison.
Bref, nous sommes revenus à la situation antérieure. En pire.
Et comme, évidemment, Le Ribyoutt n'a à cet instant pas plus d'argent
que le faux Dyoupont n'en possédait dix minutes plus tôt, Graham et Leslie
établisssent le chèque et m'emportent à l'abri, chez eux.
Graham et Leslie ont loué une grande villa avec une vue magnifique sur
la capitale et la côte à Paradise Viewet m'y offrent une chambre (Fig. 74).
Je bénéficie en outre de toutes les commodités de la demeure, de La voiture,
du téléphone, du fax et de L'ordinateur. Dès Le début, les choses ont été
claires: ils m'hébergent et m'aident, mais il s'agit d'une location payante (à
un prix défiant toute concurrence ... ) que je règlerai dès que j'aurai reçu de
l'argent.
Chacun de nous trois --~-~-~ -~~~---- ,

dispose en outre de 25 $EC


d'argent de poche par jour -
pas un de plus - pour acheter
ses cigarettes et faire le jeune
homme.
C'est chez eux que j'ap- 267
prends qu'Ix-Le-Chien a été
arrêté lui aussi: une nuit, il
s'est enfui de chez Maguy.
Inquiète, elLe a téLéphoné le Fig. 74: La maison de Graham et LesLie. Au rez-de-chaus-
sée, ma chambre face au portail
l"~·-n~
j J ~!~ DE Lo ï c LE RI BAU LT ?

lendemain à la fourrière, où Ix attendait patiemment son arrivée, soigneuse-


ment lavé par les employés qui, l'ayant trouvé sale comme un peigne à l'issue
de son escapade, l'avaient douché à fond. Maguy a été condamnée à faire
tatouer le chien, qui désormais devient le matricule UHY 371! Pauvre bête ...
A la mi-novembre, mon compte est enfin crédité! Pendant les semaines
précédentes, tous les vendredis matins, j'avais dû me rendre au tribunal en
compagnie de Graham (le malheureux était officiellement devenu ma caution
personnelle), de mon avocat et du procureur pour indiquer au Président les
étapes successives de la lente progression intercontinentale de mon argent.
Celui-ci arrive enfin le 20 novembre, mettant un terme à ma période de
contrôle judiciaire. Le procureur, auquel je demande si cet incident aura ou
non des conséquences sur mon installation ultérieure à Antigua, me rassure
en riant:
«Du tout, du tout! Vous êtes blanchi, nous avons maintenant la preuve
que vous étiez de bonne foi; vous serez toujours le bienvenu à Antigua! On
a besoin de créateurs d'entreprises, ici! Allez, bon voyage et revenez-nous
vite! »
J'ignore alors que mon «arrestation antiguaise» me sera fort utile un mois
plus tard pour me justifier d'un des chefs d'inculpation les plus graves qui
m'attendent en France ...
Maintenant, je dois récupérer mon passeport. Je me rends au poste de
police de Saint John's et m'enquiert du sort du précieux document:
«Aôh», s'extasie l'officier, «but you are the Airport's Frenchman, aren't
you 153? Je suis très heureux de vous rencontrer! Mais je n'ai pas votre passe-
port ... C'est sûrement les inspecteurs qui l'ont gardé ... »
Dans le bureau des inspecteurs, je suis accueilli à bras ouverts:
«Hello, Airport's Frenchman, how are you ?»
Mais ils ont beau chercher dans l'incroyable fouillis qui emplit leurs
tiroirs, rien! Mon passeport est introuvable. Peut-être au Quartier général?
Au Quartier général, de l'autre côté de la ville, je semble également être
assez connu:
«The passport of the Airport's Frenchman? Non, on n'a rien qui ressemble
à ça ... Il doit être au Bureau de l'Immigration de l'aéroport. Attendez, je
téléphone. »
Quelques secondes passent:
«Hello, Dave? Je suis avec le Français de l'Aéroport et .. . »
Bon. Problème réglé: mon passeport m'attend à l'aéroport. Je n'aurai qu'à
passer le chercher demain matin avant de prendre l'avion. En tout cas, une

153. Mais vous êtes Le Français de L'aêroport, n'est-ce pas?


La bombe «G5 » 0[
chose est sûre: A Antigua, j'ai gagné un nouveau surnom! Si je ne suis pas
célèbre un jour grâce au G5, je le suis déjà grâce à la connerie de Mister
Swift ... et à la mienne!
Le lendemain, Graham et Leslie conduisent donc à l'aéroport leur Crazy
Frènchman 154 ; Graham, ma caution perpétuelle, m'accompagne au Service de
l'Immigration, au cas où il y aurait un problème.
Et problème il y a, naturellement.
Car le lieutenant Swift (toujours lui!) n'a pas reçu de nouvelles du procu-
reur concernant le virement swift attendu par Mister Swift! En l'absence de
consignes fraiches, pour lui je suis tout simplement expulsé, et par consé-
quent il appliquera à mon égard les procédures idoines en pareil cas: je
resterai sous sa garde jusqu'au départ de mon avion, à la porte duquel un
policier m'accompagnera pour s'assurer de visu que je ne pollue plus le sol
sacré d'Antigua.
C'est donc en cet équipage que je franchis enfin le portillon conduisant
au tarmac.
«Good bye, Airport's Frenchman !)} me dit le policier en agitant la mai n.
«Good bye! )}

RETOUR AU GRIS PAYS


C'est le cœur serré que je quitte mon île.
Dans l'avion, je pense à mon programme: je n'ai nullement l'intention de
me rendre au juge, ni de me faire prendre. Tout ce que je veux, c'est réunir
tous les documents qui me sont nécessaires, passer quelques jours chez ma
marraine et me rendre avec elle sur la tombe de mes parents, faire savoir à
la presse que j'ai obtenu dans le Commonwealth tout ce qu'on me refuse en
France depuis vingt ans, rester quelque temps chez Fabienne, fêter Noël chez
Maguy, prendre les dispositions pour rapatrier Ix-Le-Chien à Antigua et
retourner enfin définitivement là-bas.
En attendant, ne pas me faire voir, sous aucun prétexte. Etre plus discret
qu'un loup. Jouer les sous-marins au cours de mes rares déplacements. Car je
suis toujours inquiet des conséquences que pourraient avoir les plaintes de
l'Ordre des médecins et de l'Ordre des pharmaciens contre moi en janvier
1996.
Le 25 novembre, à l'aéroport de Bordeaux, Maguy m'attend avec ma veste
en cuir. Heureusement qu'elle pense à tout: je m'attendais à un changement
de température, mais je suis saisi par le froid.

154. «Le Français dingue ». Eux, c'est comme ça qu'ils m'appellent. je ne sais pas pourquoi ...
] 0l QUI A PEUR DE LoïC LE RIB AU LT ?

Sur la route, je ne me réhabitue pas à la conduite à droite, la vitesse m'ef-


fraie, le trajet (40 kilomètres!) me paraît interminable. Le ciel français est
gris, la campagne est grise, les gens sont gris, moroses et agressifs. J'ai déjà
la nostalgie de mon île: y retourner au plus tôt, et y rester. Pour toujours ...
Chez Maguy, je reconnais avec une émotion triste tous les papiers person-
nels de Maman, ses agendas, ses répertoires si soigneusement tenus à jour,
une foule de documents et de souvenirs qui me concernent et que je n'avais
jamais vus, ses petits secrets à elle sur la vie de son drôle de fils.
Ce n'est que quelques jours plus tard que je trouve le courage de revenir
à la maison. IL faut bien que je sélectionne les documents et les livres que
je veux emmener avec moi. Le cœur déchiré, je trouve tous les meubles et
les bibelots à la place qu'elle leur avait assignée, le linge et les vêtements
rangés comme à la parade dans les armoires qui sentent bon la lavande, sa
canne, son transistor, le téléphone auprès duquel eUe attendait tous les soirs
mon appel d'Antigua, tous les vestiges de l'amour qu'eUe et mon père me
portèrent leur vie durant.
Objets inanimés ... oui, vous avez une âme ...
Disséminées dans les buffets de la cuisine et de la salle de séjour, je
découvre des réserves de tout ce que j'aime boire, manger et fumer, des
provisions de pâtes, de conserves, de café, de bourbon Jack Oaniel's et Wild
Turkey, de Gitanes, prêtes pour mon retour qu'eUe espérait si proche, qu'eUe
espérait si fort, dont nous nous faisions une joie et qu'elle n'aura pas vu ...
Pot de terre rongé par mon éternel combat contre tant de pots de fer, Don
Quichotte incurable oubliant ceux qui m'aiment pour les croisades que je
m'assigne, tout ce temps précieux gaspillé pour servir les autres et dont je
privais les miens ... L'ai-je au moins rendue heureuse? J'en doute. Pardon,
Maman ... Peut-être, un jour, redeviendrai-je humain?
Bientôt, je n'ai plus qu'une promesse à tenir: faire, à la demande d'un
nommé Rodriguez, une petite causerie sur le GS à Langon. Il n'y aura, m'ont-
ils dit, qu'une vingtaine de personnes, toutes de confiance, d'une absolue
discrétion.
Malgré ces affirmations, Maguy me déconseille de me rendre à Langon;
d'ailleurs, je ne suis moi-même pas très chaud, mais je me suis engagé. J'irai
donc, bien que la réunion doive avoir lieu à la saUe des Carmes ...
Ce nom me paraît de bien mauvais augure mais, après tout, peut~être les
Carmes vengeront-ils le C.A.R.M.E. ?
CLONK!

----------------L
(lonk! fJ l

Jeudi 12 décembre
11 h: La journée commence mal: Christophe, le dentiste qui devait m'ar-
racher deux dents, a décidé d'employer les grands moyens, et c'est avec cinq
crocs en moins à la mâchoire supérieure que je quitte son cabinet. Il ne me
reste que les deux incisives du haut, et je ressemble à un lapin furieux.
12 h: Maguy m'a évidem ment préparé un menu spécial: potage, purée et
steack archi-haché. Je suis d'une humeur de chien.
14 h 30, sur la route: «Je ne comprends pas comment tu peux envisager
de quitter définitivement la France », dit Maguy, qui conduit et veut absolu-
ment que je m'acharne à admirer le désolant paysage de pins maigrichons que
nous traversons. «Moi, ça me dépasse! »
14 h 45: Arrivée à Langon, où je suis accueilli par des amis de Rodriguez
qui se sont chargés de l'organisation de la conférence. Nous décidons de nous
rendre à pied sur les lieux.
14 h 55: Devant la salle des Carmes stationnent une quinzaine de
personnes, parmi lesquelles je reconnais quelques-uns de mes patients. Au
moment où j'approche, trois hommes en blouson de cuir noir s'avancent à ma
rencontre. Un coup d'œil me suffit pour les identifier: « Ils» se ressemblent
tous. Des clones. J'ai suffisamment formé de policiers, hélas, pour les recon-
naître quand j'en croise ... Je suis foutu!
« Police Judiciaire », dit le plus vieux en présentant sa carte et sa
médaille. «Vous êtes bien Monsieur Le .Ribault?»
«Oui ... »
«J'ai un mandat d'amener de Monsieur le Juge R. vous concernant. Vous
acceptez de nous suivre sans résistance?»
Les patients regardent la scène en silence. Que faire? Si je les appelais au
secours, je ne suis pas sûr qu'ils tenteraient de me défendre ...
«Je n'ai guère le choix ... »
«Alors, on y va ! »
Maguy est comme tétanisée.
Je décide d'essayer de protester et apostrophe les patients:
«Vous êtes témoins de la façon dont, en France, on traite ceux qui
essaient de soigner les autres! ... »
Silence dans l'assistance.
«Protestez! Faites-le savoir à la presse! ... »
]0OuI ~ DE Loïc LE RIBAULT?

Pas un commentaire dans le groupe, qui contemple paisiblement l'évène-


ment.
Maintenant, je sais que personne ne me défendra. Ils sont trop lâches
pour ça ...
Les policiers aussi ont compris que j'ai perdu, que nul n'osera s'opposer à
eux.
«Allez, on y va! », répète le vieux.
Les policiers ont ordre de m'arrêter, pas de me fouiller; ils ont surtout
hâte de m'emmener sans incident. Vite, j'ouvre ma serviette et donne à
Maguy des documents dont je sais qu'ils sont compromettants pour bien des
gens qui m'aident.
Les policiers me conduisent à une Clio blanche, le vieux s'installe au
volant, et un des jeunes derrière, à ma gauche. Je sais, que, selon le règle-
ment, la portière de mon côté devrait être condamnée par la «sécurité
enfant» afin d'empêcher toute tentative d'évasion. Pour vérifier si le système
est en place, je ferme très doucement la portière au premier cran, puis dis:
«Attendez, je crois que j'ai mal fermé! »
D'un air innocent, j'actionne la poignée et ouvre la porte pour la claquer
plus fort; ça marche! Elle n'est donc pas condamnée! A la première occasion,
je m'enfuis.
A cet instant, je constate qu'une voiture s'est positionnée derrière la
nôtre: c'est un véhicule d'escorte, en protection! Décidément, ils craignaient
de la résistance, ou alors ils se méfient de moi. En tout cas, il est hors de
question de tenter une évasion.
Sur la route, je contemple le paysage, sans doute pour la dernière fois
avant longtemps. Je suis plongé dans mes pensées. J'ai été dénoncé, c'est
certain. Mais par qui?
J'imagine en tout cas que mon appel au secours a été entendu par les
patients et que ceux-ci, révoltés, se sont précipités pour dénoncer le scan-
dale à la presse.
Je me trompe. Plus tard, j'apprendrai que la causerie a bien eu lieu. Sans
moi, tout simplement. Faite par les «amis» qui l'avaient organisée. Ils ont
indiqué que, pendant mon absence (d'une durée évidemment indéter-
minée ... ), un point de vente de silicium organique tenu par Rodriguez était
ouvert en ville, et que ma présence à Langon le 12 décembre prouvait à l'évi-
274 dence que je cautionnais l'existence de ce magasin, dont ils ont soigneuse-
ment indiqué les coordonnées ...
C'est eux qui m'avaient dénoncé. Pour se faire de l'argent. ..
Le trajet se déroule sans long bavardage. Les policiers sont surtout
curieux de savoir ce qu'est Antigua et à quoi ça ressemble. Je leur montre
CLonk! 0[
quelques photographies pour les faire baver d'envie. Enfin, le vieux n'y tient
plus:
«Depuis combien de temps êtes-vous de retour en France?»
«Trois semaines.»
Tout en conduisant, il se tourne vers moi, stupéfait:
«Trois semaines?»
«Eh oui!»
Là, je sens que je l'ai vexé: Ce que je viens de dire signifie que la
glorieuse Police Judiciaire française, à mes trousses depuis neuf mois, n'a pas
été fichue de me repérer pendant mes vingt jours de séjour sur le territoire
national. La honte ...
«Mais où étiez-vous caché?»
«Je n'étais pas caché. J'étais chez des amis. Et je me suis beaucoup
promené, pendant tout ce temps-là.»
Le flic fait grise mine.
«Comment êtes-vous arrivé en France ?»
«Tout simplement par le vol régulier d'Air France "Antigua-Paris", puis par
celui d'Air Inter "Paris-Bordeaux". Comme Monsieur Tout-le-Monde, quoi!»
Le policier s'enfonce dans une profonde bouderie.
En ville, il y a beaucoup de circulation: les Bordelais sont de sortie pour
les achats de Noël. Les guirlandes électriques brillent en travers des rues.
Nous arrivons dans la cour de l'Hôtel de police de Castéja, que je connais
si bien pour avoir tenté d'y former les limiers bordelais à ne plus saloper les
indices sur les lieux du crime. Sans grand succès, d'ailleurs: mes élèves
étaient des cancres.
Dans son bureau, le vieux remplit les formulaires officialisant l'heureux
dénouement de sa chasse épuisante. Le gibier capturé est là, et bien là. Il
n'y a plus qu'à le livrer tout chaud au juge d'instruction.
Il s'absente quelques minutes, puis revient, l'air faussement désolé:
«Je suis navré», dit-il, «Monsieur le Juge ne désire pas vous entendre ce
soir, mais seulement demain. Je suis donc obligé de vous conduire pour cette
nuit à la maison d'arrêt de Gradignan.»
J'ai comme dans l'idée que cette nuit-là sera suivie de beaucoup d'au-
tres ...
Un des deux jeunes policiers, tout maigre avec le teint jaunâtre, s'ap-
proche de moi et désigne ma serviette:
«Qu'est-ce que vous avez là-dedans?»
«Rien que des papiers.»
« Et vous ne portez rien de dangereux sur vous?»
_' ~ F r-A PEU~ DE Loïc LE RIBAULT ?

« Rien. Sauf mon cerveau, bien sûr ... »


Le visage du jeunot se ferme comme une huître malade. Sans doute n'a-
t-il pas le sens de l'humour.
Le vieux me tend un papier:
«Au fait, j'ai oublié de vous remettre ça. Ce sont vos chefs d'inculpation.»
C'est ainsi qu'à 18 h, le soir du 12 décembre 1996, je découvre que je suis
mis en examen (on ne dit plus «inculpé») pour «infractions sur la recherche
biomédicale, exercice illégal de la pharmacie, commercialisation de médica-
ments sans A.M.M., fabrica60n de médicaments sans autorisation, publicité en
faveur de médicaments dépourvus d'A.M.M. et dans un état non pharmaceu-
tique, exercice illégal de la médecine, escroqueries et tromperies sur les
qualités substantielles de la chose vendue»! (Fig. 75)
1
l
TRIBUNAL
1 DEGRANDEINSTANŒ
; DE BORDEAUX

CABINET COPi"~'
à rOrig' . .
p. oonlo",.?
DE Mr Alain R.
1 lUGE D'lNSTRUcnON e eff.er

....r
t"·~'AM\. ,~'DII)
~U'l.~.~
MANDAT D'AMENER
REPUBUQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

No.," AlaIn R. 1"&1' d1.r;Iru<;ti.. lU Tribunal cie Ormcle WIIlnCC DE BORDEAUX

Vu 1..... Id.. 122. 123 et 130 du Cod. de l'roœduct: l't1Iale,

Vu la procédure d'information OUYCltc du OU des dlels de Infraction.o; wr lil recherche


biom6ditale - Bxerc;a; lllégù de 1. phiUlJlacic - Commercialisation de m!dicaments. 5105
AMM - Fabrication de m(:.djcamcllCS iaOS autorisation - Publicité en faveur tk: ntédicamcnb
d6powvuo; fi AMM - l!xcJcie iUégal de la _ faits prévuII e' réplimo. pot 1.. llricl..
L 2O'J.3, 1.209.9, 1.2O'J.lO. L 2O'J.12, 1.209.19, 1.209-20. L 511. L 512. l. 517, L 601. L
SI8, l. 596. L598, L 551-2, L 551-5. LS~I-IO, L5S6. L 356, l. S72.1. 376 du code de la
"'16p1i>lique,
MIDdons -et ordonnons l tous officieni OU agents de la PoUce Judiciaire el i IClUS agents de la
Force Publique d'amener dcv=mt MUS en:!le confœm.ant ~ la loi.

Le"""""t :LERIBAULT

:.~~
Pttnommé : !.oie
NUe : 18 AVRIL 1947
A : VANNES (56)
Profes."i1on : biolog,istt
Ay... _urt en d.rnier lieu i 4. ru. do la Venerie 333110 B/QANOS
Et III'/rieur.."..t Il AN11GUA
S....p<ibl."""'rM4r.il U\NGON
Infra"'i... crrmmu.s en FRANCE cJeprn. ,cmps ... """"<li pat la prcsaip'ion

Requérons ,out dépooilaire de J. forco publique .uquel 1. pJf«nt manda' ..,. exhibé d.
1 pdtcr main-fnrtc potJr son exécution en cas de besoin.
1 U.~â·~
' d~hâ ... fl( En fDi de quoi le pré..'iCnt mandai a 6lé si~ par NDUS. Juge d'Jnstruaion. et sceUé de nMlc
1 ~IW""" ~au.

FAIT A BORDEAUX.
1 LE 10 dlleembrcl996
LE JUGE D1NSTRUcnoN

275 1
1
EJ
Snit transmi. Il M."",teur 1. MoasIeur 1< DIrtdeur du SRPJ
,BORDEAUX

~----
Fig. 75: Mandat d'amener du 10 décembre 1996 (avec la mention «suceptible de se rendre à Langon »... )
(lonk! O[

Ouf! Rien que ça ...


Le papier précise gentiment que j'encours une peine d'emprisonnement
correctionnelle égale ou supérieure à deux ans. Diable! Deux ans, je
comprends ce que ça veut dire, mais supérieure à deux ans, c'est vaste,
imprécis et surtout inquiétant.
En sortant, nous croisons deux hommes de la P.J., dont l'un me reconnaît
et s'adresse à moi:
«Bonsoir, Monsieur Le Ribault. Vous me remettez?»
Son haleine fleure bon les nombreux Ricard du soir.
«Non, je regrette ... »
«Je suis venu au C.A.R.M.E. avec des collègues passer une semaine de
stage, du temps où vous étiez un homme respectable ... »
«Eh bien, en vous regardant, j'ai le regret de constater que mes stages
n'ont pas rendu la police française plus intelligente!»
Direction Gradignan.
On ne peut pas dire que l'en- Î
trée soit particulièrement enga-
geante (Fig. 76). L'expression
«porte de prison» trouve ici sa
pleine définition: un poste de
contrôle, une grille coulissante,
un sas, une autre grille, un
nouveau poste de contrôle, une
porte blindée, un troisième
contrôle puis enfin un couloir
empli d'hommes en bleu, tous Fig. 76: Entrée de la prison de Gradignan.
estampillés Administration Pénitentiaire. Le comité d'accueil, quoi, entre les
mains duquel me laissent les policiers.
Tout d'abord, une femme à lunettes (fort polie au demeurant) remplit une
fiche signalétique, me prend l'empreinte de l'index gauche, et me demande
de mettre mon argent (68 €) et mes bijoux (chaînê de cou, chevalière) dans
une pochette transparente en plastique.
En dix minutes à peine, je deviens le matricule n° 42598.
Ensuite, c'est la fouille. Après palpation soigneuse de tous mes vêtements,
on me rend les chaussettes, le slip, le pantalon et la chemise, mais pas mon
blouson de cuir (trop de poches, ça peut servir à passer de la drogue) ni mon
briquet (à flamme réglable, pouvant donc être utilisé pour chauffer égale-
ment de la drogue), ni surtout - hélas - ma serviette dans laquelle se trou-
vent mes agendas, des photographies auxquelles je tiens et plusieurs docu-
ments confidentiels que j'aurais aimé détruire au plus vite.
=0~I A PE ~I DE Loïc LE RIBAULT?

Je reçois ensuite mon paquetage: deux grosses couvertures vert foncé,


deux draps blancs, une taie d'oreiller, une serviette de toilette, un rouleau de
papier hygiénique, un paquet de mouchoirs en papier, cinq rasoirs jetables
avec de la crème à raser, une brosse à dents, un peigne, du dentifrice, deux
sachets de shampooing, deux assiettes, un bol, une cuillère à soupe, une
cuillère à café tordue, une fourchette et un minuscule couteau à bout rond.
«Enveloppez tout ça dans une couverture et suivez-moi », dit un
surveillant.
Je m'exécute et ce qui devait forcément arriver arrive: une des assiettes,
éprise de liberté, jaillit de la couverture et explose en mille morceaux sur le
carrelage.
«Hé bé, ça promet! ... », soupire le surveillant, sans toutefois songer à
remplacer ma défunte assiette.
Une grille coulissante.
Un sas.
Une grille coulissante.
Un sas.
Un ascenseur grillagé.
Une dernière grille.
Un immense couloir garni d'une quarantaine de portes harmonieusement
réparties de part et d'autre, et hermétiquement closes.
«Voilà, on y est», dit l'homme de bleu vêtu en ouvrant une des portes
rouge foncé.
A l'intérieur de la cellule, il fait tout noir. l.e surveillant appuie sur l'in-
terrupteur, dévoilant un spectacle déprimant: la cellule fait environ quatre
mètres sur deux, et est « meublée» seulement d'une épaisse tablette fixée au
mur du côté gauche, tandis qu'à droite trône un lit à deux couchettes super-
posées dont l'inférieure est déjà occupée, comme le révèle le visage mous-
tachu aux yeux globuleux qui émerge subitement des draps. Il s'appelle
Bernard.
«Bonne nuit! », dit le gardien, plein d'humour.
Pour la première fois, la lourde porte percée d'un judas se referme derrière
moi avec un sinistre bruit métallique, mat et sans réplique:
«CLonk! »
Je suis le nouveau pensionnaire de la 106, premier étage, maison d'arrêt
de Gradignan ...
Les murs beige sale, couverts de graffiti, sont percés d'une étroite fenêtre
ornée de sept barreaux gros comme le pouce, doublés d'un grillage aux
mailles serrées. Elle donne sur une immense cour bétonnée cernée d'un mur
Clonk! [

garni de grilles et de fils barbelés, à l'extérieur duquel on distingue un


chemin de ronde lui-même protégé par un autre mur plus élevé au sommet
duquel veillent des chevaux de frise. L'ensemble, éclairé par des projecteurs,
est sous la surveillance constante d'un gardien enfermé dans un mirador.
Décidément, on sent ici comme un vague manque de liberté ...
Oh, Antigua! ...
A droite de l'entrée, séparé de la «chambre» par un muret d'un mètre
cinquante de haut, les toilettes. Sans lunette.
De l'autre côté de la séparation, le lavabo, sans eau chaude, actionné par
un bouton-poussoir limitant le débit à quelques secondes.
Enfin, face au pied du lit, un placard sans porte composé de six
étagères ... en béton. ELLes servent accessoirement d'escabeau pour grimper
sur la couchette du haut.
Bref, une austérité plus que monacale, la propreté en moins, bien
entendu.
Après avoir fait mon lit à l'étage supérieur, je range tant bien que mal
mon barda, éteins la lumière et m'assieds sur l'unique chaise, devant la
fenêtre.
Je suis abasourdi. Presque anéanti. Comment ai-je pu en arriver là? Il est
vrai qu'en France, depuis bien longtemps, les cœurs purs n'ont plus leur
place ...
Pour l'instant, je suis seul face à moi-même, loin de mes amis, dans l'im-
possibilité absolue de communiquer avec quiconque. Pourvu qu'ils ne s'in-
quiètent pas trop!
Dehors, une boule de feu jaillit dans la nuit d'encre, décrit un arc de cercle
et s'écrase dans le chemin de ronde: un oiseau vient de percuter un grillage,
instantanément foudroyé. L'enceinte est donc électrifiée, et ce n'est pas du
petit voltage qui circule dans ses veines métalliques!
Je distingue de nombreux autres cadavres d'oiseaux gisant dans les
barbelés qui garnissent le sommet du mur perpendiculaire à la cellule. Parmi
eux, je reconnais une orfraie blanche reposant sur le dos, et un oiseau noir
agonisant qui s'agite faiblement.
Quel con je suis!
Dire qu'il ne dépendait que de moi d'être encore libre. Il me suffisait de
ne pas remettre les pieds en France, tout simplement. Je me suis jeté dans
la gueule du loup comme un débutant! A l'heure qu'il est, les salauds de la
P.J. doivent sabler le champagne à mon manque de santé ...
Je suis au fond du désespoir, à l'extrême limite de la résistance morale et
nerveuse.
Le temps passe.
:! i
"
i QUI A PEURi DE Loïc LE RIBAULT?
._.- - - - -_ .....!

Lorsque ...
... je le sens arriver.
Une seconde plus tard, il est là, parfaitement identifiable, comme en
chair, comme en os, esprit bien réel assis sur ma couchette, tourné vers moi.
Il est venu me repêcher au fond de mon abîme.
Cette nuit-là, il parle.
Longtemps.
Toute la nuit.
Il m'explique que ma mésaventure est ce qui peut arriver de mieux au G5,
que c'est mon dernier combat, qu'ensuite j'aurai gagné, pour toujours. Que
j'ai une période dure, très dure, à passer, mais qu'ensuite je con naîtrai enfin
la sérénité. Que je dois tenir à tout prix. Pas pour moi. Pour les autres.
Bien sûr, il est possible que j'aie rêvé tout cela ...

Vendredi 13 décembre
Il disparaît à six heures du matin, quand la lumière, brutale, blessante,
envahit la cellule.
Nous sommes un vendredi 13, jour de chance, à ce qu'il paraît ... Je verrai
bien.
Le soleil qui se lève éclaire les oiseaux foudroyés prisonniers des
barbelés; ce sont en fait des objets jetés par les prisonniers des étages supé-
rieurs: l'orfraie blanche n'est qu'une chaussure de tennis, et l'oiseau noir un
mouchoir caressé par le vent.
De l'autre côté des barbelés, dans le chemin de ronde, un surveillant
ramasse l'oiseau boule-de-feu calciné et le dépose dans un sac en plastique.
Réalité? Cauchemar?
Désemparé, je ne sais que faire: Comment se passe le petit déjeuner? Et
où? Dans la cellule? Dans un réfectoire? Où fait-on sa toilette? Comment
avoir de l'eau chaude? Y a-t-il des douches? A quelle heure?
Bernard, emprisonné depuis deux jours, me renseigne. Il pense être
bientôt libéré, puisqu'il n'est ici, dit-il, qu'à cause d'une histoire de chèque
sans provision.
La porte s'ouvre brutalement:
«A la douche!», dit un surveillant.
Surprise: la douche est tiède, agréable.
Retour en cellule. Sur la tablette, on a posé des sachets de sucre, de café
et de lait solubles. L'eau chaude est disponible dans un récipient posé sur un
chariot qui stationne dans le couloir.
Clon k ! or.
«Avalez en vitesse. Vous allez au Palais de Justice. »
Je me sens en pleine forme, regonflé.
Je fais bientôt connaissance avec le rite immuable des extractions (c'est
comme ça que ça s'appelle) qui préside à tout départ momentané de la
prison.
Au fur et à mesure qu'arrivent les prisonniers extraits, ils sont entassés
dans de petites cellules sans fenêtre d'environ six mètres carrés, équipées
d'un banc pour quatre personnes (minces), dont le plafond est recouvert
d'une grille155 • Comme il est fréquent qu'on y entasse une dizaine ou plus de
prisonniers, les premiers prennent évidemment possession des bancs et
tentent de résister à l'étouffement provoqué par les arrivées successives des
nouveaux.
Un surveillant appelle ensuite les prisonniers l'un après l'autre, les fait
sortir un à un de leur cage et les conduit au greffe, où ils sont fouillés. On
leur remet ensuite les objets ou vêtements dont ils pourraient avoir besoin
pour être présentables devant le juge ou le jury, mais qui sont conservés au
greffe parce qu'interdits dans les cellules.
Enfin, tout le monde est aligné le long du mur dans le couloir pour un
dernier appel suivi de l'accouplement, qui consiste à attacher les prisonniers
deux par deux avec des menottes.
Au greffe, on me rend mon blouson et mon briquet, puis je suis accoupLé
avec un sympathique jeune homme inculpé pour vot de voiture.
Nous sommes une vingtaine à nous rendre au Palais.
Dans la cour de la prison, le fourgon cellulaire nous attend, gros camion
bleu dont la porte arrière ouverte montre un couloir central desservant dix
minuscules cages grillagées équipées chacune de deux banquettes à deux
places.
Enchaînés, mon compagnon et moi escaladons les quatre marches qui
permettent d'accéder à l'intérieur du véhicule.
« Clonk! », fait la porte de la cage.
Nous sommes maintenant tous enfermés. A cause des vitres dépolies, il
est impossible de distinguer quoi que ce soit du monde extérieur.
Le véhicule aveugle s'ébranle, univers dos et froid lancé dans l'invisible
qui bourdonne autour de nous. Il roule une demi-heure. Dans une dernière
secousse, le fourgon s'arrête devant le palais de justice: la souricière nous

155. (e genre de cellules de transit est fréquemment utilisé, notamment lorsque les prisonniers vont avoir
(ou viennent d'avoir) un contact avec le milieu extérieur (extraction, visite au parloir, etc.) . Elles cons-
tituent par conséquent une sorte de milieu de transition entre l'univers carcéral et celui des gens suppo-
sés libres. Un peu comme, dans les sous-marins, les compartiments aménagés pour les plongeurs leur per-
mettant de quitter le batîment immergé pour regagner la surface. ('est pourquoi, dans la suite de ce récit,
j'ai décidé d'appeler «sas» de telles cellules de transit.
attend. Celle-là aussi, je la connais bien, du temps où j'étais de l'autre côté
de la barrière ...
Arrivée au sous-sol dans la salle d'accueiL A gauche et à droite, plusieurs
portes de fer toutes percées d'un judas. On nous ôte les menottes.
«Le Ribault, cellule 4!»
«Clonk! », fait la porte.
La meilleure définition que l'on puisse donner des cellules de la souricière
est sans doute le mot «cachot» (Fig. 77). Que le lecteur sache bien qu'on
n'y enferme pas que des condamnés, mais surtout des inculpés, donc des
innocents présumés. Bref, théoriquement des hommes libres .. .
Et l'homme libre que je suis
contemple maintenant l'inté-
rieur d'une boîte en béton de
trois mètres sur deux mètres,
équipée d'une banquette en
bois à trois places et, le long
du mur, de toilettes à la
turque. Pas de lavabo, pas de
fenêtre. Rien. Un désert de
ciment. Toute personne qui
arrive en cet enfer apprend ou
Fig. 77: Un des cachots de la «souricière», paLais de justi-
sait que, quoi qu'il arrive, elle ce de Bordeaux, décembre 1996 (dessin de LLR).
y restera de 8 h 30 à 19 h 30
parce que le fourgon n'effectue qu'un aller-retour dans la journée. Onze
heures passées dans ce tombeau, souvent seul, sans parler, sans lire (c'est
interdit), sans aucune ouverture pour promener ses yeux dans un silence
sépulcraL On a toutefois le droit de fumer. A midi, le déjeuner est immuable:
sandwich (jambon ou pâté selon les jours) avec un bout de fromage ou un
fruit pas mûr ou pourri. Aujourd'hui, ça m'est bien égal: sans dent, les
gencives mal cicatrisées, il me serait de toute façon impossible de manger.
Un surveillant a pFomis de m'apporter à midi un grand verre d'eau très sucrée
pour me donner des forces. Il tiendra sa promesse.
Le juge ne daignant me recevoir qu'à 16 heures, j'ai sept heures à
attendre.
Une phrase d'un livre de John Le Carré, Une Petite Ville en Allemagne, me
revient en mémoire: «Il attendait extrêmement peu de la vie. Il était comme
un cheval de mine ( ... ) dans ces abominables étables du rez-de-chaussée».
Les murs sont couverts de graffiti et je me mets à les déchiffrer. Il n'y a
aucun texte intéressant, mais les traces de chaussures (dont certaines attei-
gnent le plafond!) dessinent de multiples figures étranges que j'essaie de
décrypter.
Clonk! 0[

Tout naturellement, je me mets à voyager vers les gens et les pays qui sont
chers à mon cœur.
Un jour, je prendrai un stylo, un cahier et, tout en vrac, je répandrai sur
le papier ma hotte à souvenirs.
Quand la porte s'~uvre enfin, je reviens ébloui des ciels immenses du
Québec, de la mer ~'huile de la Baie James, d'une partie de pêche à
Moguériec, des dunes ocre de Libye, d'un matin rose à Antigua.
Cette fois, ce sont les deux mains attachées dans le dos, comme un terro-
riste, que je suis conduit dans le bureau du juge R., dont le détestable carac-
tère, le manque d'humanité et pour tout dire la folie sont célèbres tant dans
le monde judiciaire bordelais que parmi les prisonniers qui ont eu affaire à
lui.
Avant, je rencontre mon avocat, maître Jean-Charles Tchikaya, Congolais
souriant et sympathique qui me fait un excellent effet.
Ce qui n'est pas le cas du juge: l'homme, petit et maigre, chevelure noire,
yeux clairs, constamment agité comme une puce épileptique, a les joues
creusées, la moustache soigneusement taillée, les lèvres en lame de rasoir.
Tout en lui est rabougri, rétréci, calculé, pesé, étudié. Sa nervosité maladive
est maîtrisée à grand peine. Il développe à l'évidence un énorme complexe
d'infériorité contre lequel il ne peut lutter que par des démonstrations d'au-
torité explosives totalement imprévisibles. Il est certain que le malheureux
ne pouvait exercer qu'un métier où le prestige est acquis par la fonction et
non par le mérite: la magistrature lui va donc comme un gant.
Oh, ce n'est pas qu'il ne voudrait pas changer, le pauvre. Il ne peut pas,
tout simplement. La preuve de son désir d'être autre que lui-même, enfin
coupé des réalités, devenir le superman des assises, le justicier universeL,
c'est sa passion pour les bandes dessinées, dont de nombreux posters déco-
rent les murs de son bureau. Il y a même, exposée sur une étagère, La
maquette de La fusée d'Objectif Lune 156! •••
Quand je pense que mon sort dépend du bon vouloir de ce gamin attardé,
dont la hargne mesquine a déjà causé la mort de ma mère ...
Notre première entrevue est glaciale: il m'en veut de lui avoir fait faux
bond durant neuf mois, me soupçonne de m'être enfui à Antigua pour y
déposer une fortune considérable, mais ne comprend pas les raisons de mon
retour. Moi, je suis furieux d'avoir été capturé.
Dès la première seconde, nous savons tous deux que Le courant ne passera
jamais entre nous. On est mal parti. Surtout moi, qui suis entre ses pattes!
Théoriquement, je suis là pour présenter ma défense, à l'issue de quoi le
juge décidera de ma mise en détention provisoire ou de ma libération
- - - - - -- - - -
156. De Hergé, le père de Tintin, bien entendu.
il ~_ A PEURI DE Loïc LE RIBAULT?

assortie ou non d'un contrôle judiciaire. Mais il m'est aussi possible de


demander un délai de quatre jours maximum pour mieux travailler ma
défense, auquel cas je devrai rester incarcéré à Gradignan le temps néces-
saire. Généralement, les inculpés préfèrent se défendre tout de suite, dans
l'espoir d'une libération immédiate. Au contraire, mon avocat et moi avons
choisi de profiter du délai légal pour mieux nous préparer.
Le juge, qui ne s'attendait pas à cette tactique, semble désarçonné mais
signe ma détention dans l'attente du débat contradictoire, fixé par lui à lundi
prochain. Puis, après m'avoir remis un exemplaire du document, il me dit,
désignant une pile de dossiers haute de quarante centimètres:
«Regardez: je n'ai pas chômé, pendant votre absence ... »
«Oh, je m'en doute. Tous les juges avec lesquels j'ai travaillé étaient
surchargés de travail avec de m~ltiples affaires à traiter en même temps.»
Le juge a un sourire sardonique et précise:
«Mais ce ne sont pas de multiples affaires, ça, Monsieur Le Ribault! Ces
dossiers, ils concernent uniquement votre affaire!»
Je sens comme un léger ressentiment dans sa voix et je m'éclipse, après
que mon ange-gardien m'ait remis les menottes.
Au bout de deux autres heures de cachot dans la souricière, je suis de
retour dans le hall d'accueil de mon nouvel hôtel.
Cette fois, je vais découvrir le rite présidant au retour des «extraits» du
jour.
Dès la descente du Camion Aveugle, on nous aligne le long du mur, juste
avant le greffe. Liste en main, la fort polie Femme-Aux-Lunettes fait l'appel,
et les prisonniers sont détachés au fur et à mesure, conduits au greffe,
fou,illés, délestés de ce qu'il leur est interdit d'emmener dans leur cellule,
conduits dans un sas puis cornaqués par groupes vers leur geôle attitrée.
Alors que je suis collé au mur, le regard des gardiens se tourne vers moi,
et je passe en priorité, ce qui ne me rassure nullement.
«Mais on ne voit que vous, aujourd'hui, Monsieur Le Ribault! », s'exclame
un surveiLlant.
«Moi? Mais je suis parti d'ici ce matin, et je rentre seulement mainte-
nant! »
«Oui, mais on n'arrête pas de vous voir à la télé! Sur toutes les
chaînes! », me dit la dame du greffe.
« Et qu'est-ce qu'ils disent?»
«Du bien, rien que du bien », m'assure un gardien. «Nous, on ne comp-
rend pas ce que vous foutez ici! Vous n'êtes pas un criminel, quand même!
Au fait, dans Sud-Ouest aussi, il y a un article sur vous.»
(lonk!

Il me tend le journal et je lis. On annonce simplement mon arrestation et


je peux admirer ma photo.
Bon. La presse s'en mêle; ça peut être excellent ou très mauvais. De toute
façon, je ne peux rien y changer ...
. A la fouille, songeur, je vide mes poches et tends mon blouson.
«Non, non», proteste le gardien, «pas pour vous quand même! Gardez
votre blouson! Et votre briquet aussi. C'est trop chouette, ce que vous
essayez de faire! Vous auriez mieux fait de rester à Antigua, tiens! ... »
«A qui le dites-vous!»
L'histoire du C.A.R.M.f., évidemment, revient sur le tapis.
«Décidément, la France n'arrête pas de vous faire cocu!» soupire un vieux
gardien. «On est vraiment trop cons, tiens! .... »
Finalement, très peu de choses suffisent parfois pour être heureux. La
chaleur humaine est une de celles-là.

Samedi 14 - dimanche 15 décembre


Nuit au sommeil haché toutes les deux heures par le bruit du loquet du
judas qui frotte contre le métal de la porte, et l'éclat cru de la lumière qui
tombe de l'ampoule nue soudainement allumée pendant quelques secondes:
contrôle de la ronde, pourtant assez discrète.
9 h: Un homme en uniforme avec deux galons entre et me prie de le suivre
dans son bureau. C'est un surveillant-chef qui veut me présenter sa maison.
Il connaît mon histoire, sait combien mon avenir est incertain et est tout
prêt à m'accueillir comme hôte aussi longtemps que nécessaire.
«Si c'était le cas, je vous changerais d'étage, bien entendu.»
« Pourquoi? Je suis très bien à la 106 ... »
«Non, c'est juste une cellule de passage. Vous n'avez même pas la télévi-
sion! »
«Mais il suffit de l'installer ... »
«Eh bien ... c'est pas un étage pour vous, voilà! Le second vous convien-
drait mieux, croyez-moi.»
Pourquoi c'est pas un étage pour moi, le premier? Peu importe. Dans l'im-
médiat, le plus grave c'est que je suis privé de livres, de journaux et d'allu-
mettes. Il promet de m'en faire passer.
Effectivement, six heures plus tard, un auxiliaire 157 m'apporte une brassée
de Sud-Ouest. Parmi eux se trouve celui du jour, et j'y découvre un article me

157, Les auxiliaires sont des détenus chargés de l'entretien de La prison, de la distribution des repas, etc.
]0l~ ~I DE LoïC LE RIBAULT?

concernant, dont le titre m'apprend que j'étais «réfugié à Antigua»! Réfugié?


Elle est forte, celle-là! J'étais si peu caché que, le jour où j'ai appris le décès
de ma mère, j'ai téléphoné au juge pour lui dire ce que je pensais en lui indi-
quant où je me trouvais et comment m'appeler! C'est une de ses collègues
qui a pris mon appel, officiellement enregistré avec toutes mes coordonnées
dans mon dossier! J'ai aussi la surprise d'y lire la liste complète des chefs
d'inculpation dont je suis l'objet! Mais qui a donc bien pu indiquer ce cata-
loguJ à la presse? Pas moi, bien sûr, puisque je n'ai aucun contact avec l'ex-
térieLr depuis mon arrestation. Probablement pas le juge. En tout cas pas
l'avocat, qui ne les a découverts qu'hier soir. Conclusion: Le coupable ne peut
être qu'un membre de la police judiciaire de Bordeaux, dont chacun sait
qu'elle adore se faire mousser dans la presse. Ses succès sont si rares, la
pauvre! Et puis, depuis t'assassinat du C.A.R.M.E., ces médiocres ne m'ont pas
lâché. Pour eux, il faut qu'un beau jour la sale bête que je suis meure enfin,
la tuer par tous les moyens. Pauvres types ...
C'est cet après-midi là que, pour la première fois, j'entends la symphonie
des grilles: quand les détenus sont en promenade, un gardien entre dans
chaque cellule et, à l'aide d'une barre de fer, tape sur tous les barreaux pour
vérifier qu'ils ne sont pas descellés. Le bruit, lugubre, résonne dans tous les
étages.
Le soir, je prends conscience des bruits du jour mourant dans la prison:
martèlements réguliers donnés à coups de chaussures ou à poings nus contre
les portes, cris de colère et, pendant une heure entière, toutes les cinq
minutes, un malheureux qui pousse un hurlement de bête désespérée.
Dans la nuit de dimanche à lundi, je dors comme un loir. Demain, il faut
que je sois en forme pour me défendre face au juge.

Lundi 16 décembre
Réveil à 6 h 30. Le rendez-vous avec R. n'est qu'à 10 h 30, mais le panier
à salade part à 8 heures.
Dans les couloirs, c'est l'agitation. Nombreux en effet sont ceux qui
aujourd'hui vont aux assises. Surtout des jeunes, auxquels les gardiens
donnent des conseils pour être aussi présentables que possible. Ils leur
prêtent aussi des miroirs de poche pour qu'ils puissent se raser convenable-
ment.
La douche prise, j'entreprends moi aussi de me raser. Exercice difficile,
quand il doit être exécuté avec un rasoir à lame, de l'eau froide ... et sans
miroir: moi, on ne m'en a pas prêté. Mais il est vrai que je ne vais pas aux
assises. Les miroirs sont réservés - à juste titre - aux cas sérieux.
Je suis prêt. Il faut dire que le choix dans ma garde-robe n'a pas posé de
grand problème: depuis jeudi, je porte les mêmes vêtements! Heureusement
Clonk! Dl

qu'on m'a laissé mon blouson de cuir: il camoufle un peu la saleté de la


chemise et du pantalon ...
Puis c'est la cérémonie immuable du transport en fourgon jusqu'au palais,
accouplé cette fois à un jeune trafiquant de marijuana. Je vais finir par
compléter mon répertoire de relations intéressantes, en prison! ...
A la souricière, on m'attribue cette fois encore le cachot 4 dont, vendredi
dernier, j'ai eu l'occasion de déchiffrer les graffiti pendant onze heures. Je
proteste auprès du responsable:
«Oh non, une autre, s'il vous pla'ît! Celle-là, je l'ai déjà lue ... »
L'homme n'a aucun sens de l'humour:
«Ah bon? Quand c'est que vous l'avez vue?»
«La semaine dernière ... »
«Je vois ... Monsieur est un habitué ... Allez, entrez! »
«Clonk! », fait la porte.
10 h: L'avocat vient me rendre visite pour préparer notre entrevue avec le
juge. Il a bon espoir d'obtenir ma libération, et m'informe que Maguy m'at-
tend «en haut», dans le couloir des bureaux de l'instruction, et pourra me
parler. Bonne nouvelle.
Effectivement, elle est là, la pauvre; toute triste. Le poignet droit
menotté, relié par une courroie de cuir à un policier, je m'arrête pour l'em-
brasser et la rassurer sur mon état. C'est la première fois qu'elle me voit en
laisse!
L'accueil du juge est aussi froid que vendredi. Je suis certain que nous ne
nous entendrons jamais, tous les deux ... Il est en compagnie du procureur
(qui représente l'accusation) et, après exposé de la version de celui-ci et la
présentation de ma défense, tranchera sur ma libération ou mon maintien en
détention.
L'accusation est essentiellement basée sur l'assertion selon laquelle le G5
non testé par les zautorités zofficielles met gravement en danger la santé des
malheureux Français sans défense. Bref, je suis un inconscient qu'on doit
interner de toute urgence avant qu'il ne provoque un gigantesque holo-
causte.
C'est ensuite à moi de m'expliquer.
Je reprends les chefs d'inculpation l'un après l'autre, ainsi que les repro-
chesqui me sont faits: Je ne mets pas en danger la santé de mes conci-
toyens, puisque j'ai fait réaliser des tests de toxicité officiels qui se sont
avérés négatifs et m'ont coûté la bagatelle de 180 000 €; je n'ai jamais parlé
1287 1
de médicament en France, mais uniquement de produit, de molécule ou de G5;
je n'ai jamais fait publier la moindre publicité; comment puis-je être consi-
déré comme un escroc, alors que mon arrestation à Antigua prouve que je ne
~ 01 QUI A P~ DE Loïc LE RIBAULT?

dispose d'aucun argent aux Caraïbes, pas plus qu'en France ni qu'ailleurs?
Comment peut-on me reprocher mes travaux en recherche biomédicale, alors
que suis docteur ès Sciences Naturelles? Oui, j'ai déclaré haut et fort à la
télévision que je pratiquais l'exercice illégal de la médecine, mais par provo-
cation délibérée, pour contraindre les autorités médicales à effectuer des
tests approfondis sur le G5; et je n'ai jamais délivré d'ordonnance, ni modifié
le moindre traitement en cours, mes «consultations» étant en outre
gratuites.
Je termine en disant que je suis seul à pouvoir faire l'historique des
organo-siliciés, expliquer en détail le comportement des sociétés qui m'ont
escroqué et trompent le public, donner les formules des différentes généra-
tions de silicium organique. Dix jours de travail me suffiraient pour remettre
au juge un dossier qui, à coup sûr, me disculperait. Mais il est évident que,
pour accomplir ce travail, je dois rentrer chez moi, où se trouvent tous mes
dossiers.
Le juge a un sourire carnassier:
«Mais, Monsieur Le Ribault, si vous aviez répondu à ma convocation, voici
neuf mois, c'est exactement ce que je vous aurais demandé! Vous seriez resté
libre ... Je ne vous aurais même pas empêché d'aller à Antigua!»
Pan sur le bec, Le Ribault!
Maître Tchikaya essaie une autre approche.
«Une raison sérieuse milite en faveur de la libération de mon client.
Comme vous le savez, il a travaillé de nombreuses années pour la magistra-
ture. Or, à cause de ses expertises, ou grâce à elles, beaucoup de criminels
ont été arrêtés, certains pour de longues peines. Il en reste sans doute
plusieurs à Gradignan, et ils risquent d'en vouloir à Monsieur Le Ribault. Il
convient donc de lui rendre sa liberté au plus tôt! »
«Je sais », soupire le juge, «mais il y a un autre problème concernant sa
sécurité, hélas!»
Il sort une chemise de mon dossier, la parcourt et laisse tomber:
«Selon mes informations, et notamment un rapport de la police judi-
ciaire 158, plusieurs personnes ont mandaté des individus pour donner une
leçon à votre client ... »
Il me regarde droit dans les yeux:
« ... le genre de leçon que même le G5 ne permet pas de guérir, si vous
voyez ce que je veux dire ... »
Oh oui, je vois ... Je vois même très bien: si j'en crois le juge, j'ai d'éven-
tuelles menaces à l'intérieur de la maison d'arrêt, et des menaces certaines

158. Rapport dont j'apprendrai plus tard qu'il n'a jamais existé.
CLonk! O[
à ['extérieur. Alors, comme de deux maux, il paraît qu'on doit toujours
choisir le moindre, je sais quel va être le verdict:
«C'est pourquoi, dans l'intérêt même de Monsieur Le Ribault, j'ai décidé
de le maintenir en détention. Mais sans aucun contact avec les autres
détenus. A l'isolement absolu. Vous y voyez un inconvénient?»
«Ben ... euh ... non ... »
Il poursuit:
«Je préviens immédiatement le directeur de la maison d'arrêt.»
Je hasarde timidement:
«Et je vais rester longtemps à Gradignan?»
«Non, sans doute. Si je suis satisfait de vos explications, je peux vous
libérer très rapidement. Sinon, évidemment ... »
La phrase laissée en suspens est lourde de signification.
«Et quand Monsieur Le Ribault pourra-t-il s'expliquer devant vous? »,
demande Maître Tchikaya.
«Le plus tôt possible. J'ai hâte de bouder ce dossier (Il consulte son
agenda); l'ennui, bien sûr, c'est qu'on arrive aux fêtes de fin d'année ... et
mon mois de janvier est très occupé ... disons le 28 janvier (merde! ça fait
un bail! ... )? Je bloque toute la journée. Mais, si je peux, j'essaierai
d'avancer la date (ah bon !).»
Quand je quitte R., j'ai en poche mon ordonnance de mise en détention
provisoire, dont le texte est le suivant 159:
«Vu les articles 135, 137, 144, 145, 145-1, 145-2 du Code de Procédure
Pénale,
Attendu ( .. .) que les faits sont particulièrement inquétants au regard de
la santé publique quel que soit la qualité du produit en cause, que de
nombreuses diffusions manifestement illicites se revendiquent toutes de la
personne mise en examen, qu'il existe divers contrats d'exploitation du
Silanol et qu'il convient d'éclaircir les circonstances de ces contrats, que
diverses personnes également ont des griefs à l'égard de la personne mise
en examen et qu'il est souhaitable de la protéger indépendamment des
personnes qui le défendent, qu'il convient d'empêcher toute forme de collu-
sion avec {es divers témoins ou éventuels co-auteurs au regard de leurs
déclarations dans ce dossier, qu'en fin il convient d'élucider les ventes
permanentes et sauvages à l'hotel des Bo1'ens, qui continuent à ce jour,
Attendu que la détention provisoire de la personne mise en examen est:
• l'unique moyen:
- de conserver les preuves ou les indices matériels;

159. C'est moi qui souLigne Les fautes dans Le texte qui suit (en gras).
]0
_ Q
_ U_I _A_ P
_EUR , DE Loïc LE RIBAULT?

- d'empêcher une pression sur les témoins ou les victimes;


- d'empêcher une concertation frauduleuse entre personnes mises en
examen et ses complices;
• nécessaire:
- pour protéger la personne mise en examen;
- pour mettre fin à l'infraction;
- pour prévenir Le renouvellement de l'infraction;
- pour préserver l'ordre public du trouble causé par L'infraction;
ORDONNONS LA DETENTION PROVISOIRE DE LA PERSONNE MISE EN EXAMEN,
que nous plaçons sous mandat de dépôt. "
Dans le couloir, Maguy attend toujours. Le juge m'a autorisé à lui parler.
Je lui explique les raisons de mon maintien en détention, et nous nous quit-
tons non sans qu'elle m'ait remis un pull (Oh, qu'il est le bienvenu!) et deux
paquets de Gitanes impatiemment espérés.
J'ai un moral d'acier et chantonne dans la souricière.
Dans le fourgon qui nous ramène à la prison, deux détenus qui reviennent
des assises discutent du verdict:
« Y a Une chose que j'comprends pas, Albert! On a bien fait le braquage
ensemble, non?»
«Ben oui, Mohammed, tu le sais bien ... »
« Alors pourquoi que toi, t'as pris seulement cinq piges et moi dix?»
« Oh, ça doit être une question de pedigree, sûrement ... »
A l'arrivée dans la prison, on se met en ligne, comme d'habitude, pour
l'appel et le retrait des menottes. Immédiatement, on me met à l'écart.
« Vous restez ici? », me demande un surveillant, l'air stupéfait.
« Eh oui... (Je Lui tends la feuille rose de mon ordonnance de mise en
détention provisoire) Autrement dit, je vais rester parmi vous pendant les
fêtes de fin d'année ... »
L'homme, qui croit mon moral au plus bas, essaie de me le remonter:
« Allez, ne vous en faites pas! Vous verrez, à Noël la bouffe est super! Et
puis, on ne vous laissera pas seul. On va bien s'occuper de vous.»
«Oh, je ne m'inquiète pas. Ici, c'est tout de même pas une prison!»
Tout le monde éclate de rire.
C'est accompagné de deux surveillants que je regagne la 106. Gros soula-
gement: celle-ci est vide.
«Où est passé Bernard?»
«Il a été muté ce matin.»
«Où ça?»
r
Clonk! OL

«Ben il reste au premier, tiens! Où voulez-vous qu'il aille?»


«Je ne sais pas ... Il Y a six étages, ici ... »
«Oui. En principe, le sixième et le cinquième sont réservés aux peines
lourdes, le quatrième aux peines normales, le troisième et le second aux
détenus qui travaillent ou suivent des stages. Au premier, ce sont les poin-
teurs. »
«Les poi nteurs ? »
«C'est comme ça qu'on appelle les violeurs. Au premier, à part les
"entrants" comme vous, les nouveaux, quoi, 80 % des détenus le sont pour
des délits sexuels, notamment le viol et la pédophilie. C'est pour ça que
Bernard est ici à sa place, vous comprenez?»
Bernard était très loin d'une simple histoire de chèque sans provision ...
Je transporte ma literie sur la couchette inférieure, range mes affaires,
occupe toute la place. Bref, j'installe mon terrier. Puis je décide de prendre
un comprimé de Lexomyl donné par une infirmière. Je pense à Maman: elle
en voulait toujours« deux quarts, pas un demi, parce que comme ça, c'est
moins fort.» En disant cela, elle avait son petit sourire plein de malice.
Pauvre Maman ... En cet instant, elle doit encore sourire. Maintenant, elle a
un gros avantage sur moi: elle connaît la suite (et la fin) de mon histoire,
tandis que moi je l'ignore. Et, que l'issue soit bonne ou mauvaise, eLLe sait,
elle, que ça n'a aucune importance.
Réconforté par cette pensée, je m'endors comme une masse.

Mardi 17 décembre
Réveil en pleine forme. Après le petit déjeuner, je profite de ma solitude
pour marcher de long en large (surtout en long, évidemment. .. ) dans mon
domaine. A neuf heures, j'ai parcouru environ deux kilomètres et demi.
Un gradé entre, brandissant l'ordre officiel de ma mise à l'isolement
complet: à partir de maintenant, je ne dois communiquer avec aucun détenu,
un surveillant doit m'accompagner dans le moindre de mes déplacements
dans L'enceinte de la prison, les couloirs doivent être dégagés quand je m'y
trouve, mes repas me seront servis à part et, pour les deux promenades quoti-
diennes autorisées (mais non obligatoires), je dois utiliser une cour spéciale
au sixième, dans laquelle je serai toujours seul.
10 h: On vient me chercher pour me conduire au Service social. Une char-
mante femme brune et une jeune fille m'attendent derrière un bureau. La
femme se présente et m'indique que l'autre est une stagiaire. Commence l'in-
terrogatoire classique: nom, prénom, numéro d'écrou, profession, adresse
(Antigua), diplômes, nationalité. Sur ce dernier point, sûre d'elle, la dame
dit:
1 QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
'---

« Fran çaise, naturellement?»


«Eh oui, Madame, hélas!»
Elle est surprise:
« Pourquoi hélas?»
«Parce que la France m'a fait cocu, Madame. Vous ne voyez pas où je me
trouve? »
D'un air gêné, elle retourne à son questionnaire: Non, je ne suis pas
marié; non, je ne crois pas avoir d'enfant; non, je n'ai pas de problèmes
particuliers, à part celui de résider actuellement à Gradignan; non, je ne veux
pas voir l'aumônier; oui, j'ai des amis qui viendront me rendre visite en
prison.
« Et quelle impression ça vous fait d'être ici?»
J'ai vraiment l'impression d'être interviewé pour la télévision.
« D'être en vacances, Madame.»
« Pardon? »
Elle reste le stylo en l'air, avec l'expression ahurie d'un lézard découvrant
qu'il couve un œuf de dinosaure. Je crois utile de m'expliquer:
« Eh oui, rendez-vous compte: c'est la première fois depuis vingt ans que
je ne fous rien de la journée, je bénéficie de la Sécu, tout le monde est aux
petits soins pour moi, je suis en sécurité, j'ai le gîte, le couvert, pas de
rendez-vous, pas de coups de téléphone, pas de fax, pas de patients impa-
tients, rien! Le rêve ... La paix, le calme et la sérénité.»
La malheureuse reste muette quelques secondes.
Enfin revenue sur la terre des dures réalités quotidiennes, la dame me
propose finalement un stylo-bille et du papier à lettres, présents que j'ac-
cepte avec reconnaissance. Nous nous quittons en excellents termes.
Tandis que je regagne ma cellule, je sens deux paires d'yeux incrédules qui
me suivent jusqu'à ce que la porte se referme derrière moi: « Clonk!»
. Au moment du déjeuner, un surveillant m'informe que je dois préparer
mon paquetage pour migrer dans une autre cellule au cinquième. Diable! Je
grimpe rapidement dans la hiérarchie gradignanaise! ...
A treize heures, tous couloirs dégagés, un ascenseur pour moi tout seul,
je suis conduit à la 501, mes maigres biens emballés dans une couverture
dont j'ai noué les quatre coins, comme au mauvais temps de la marine.
Au seuil de mon nouveau domai ne, je stoppe, interdit: je quitte une
cellule à l'austérité monacale pour me retrouver dans un véritable caphar-
naüm. Ou, plus exactement, un espace parfaitement rangé, où chaque chose
a visiblement une place bien définie, mais dans lequel le moindre centimètre
carré a été utilisé au maximum de son volume.
Clonk! 0
«On a pensé que vous seriez bien ici, me dit le surveillant-chef. L'autre
détenu est un vieux comme vous (sic), il passe son temps à faire des mots
croisés, est très calme, pas dangereux et fume lui aussi comme un pompier.
En plus, comme il ne sort jamais en promenade, il n'a aucun contact avec les
autres prisonniers. Actuellement, il est au parloir.»
«Clonk!», fait la porte de la 501.
Par correction envers le locataire en titre des lieux, j'attends son arrivée
avant de déballer mes affaires et en profite pour examiner la cellule en
détaiL. Je découvre que l'ingëniosité des détenus pour utiliser le moindre
objet, le plus petit emballage, le plus infime résidu, n'a aucune limite. Ici,
pas de gaspillage. Les prisonniers sont les rois de la récupération. Il faut dire
que certains sont contraints de vivre dans la même cellule cinq, dix, quinze
ans, parfois plus, et que, pour résister, ils doivent construire autour d'eux un
micro-univers le moins impersonnel possible.
Au-dessus de la tablette, une longue étagère est faite d'emballages
assemblés à la colle. Deux cendriers ont été fabriqués avec des fonds de
bouteilles de Nescafé. Auprès de chaque lit, des boites découpées dans du
carton servent à ranger les lunettes, les cigarettes et le briquet pour la nuit,
en cas d'insomnie. Du linge est mis à sécher sur des fils tendus à travers la
pièce et d'autres, le long du mur, supportent les serviettes et les gants de
toilette. Un sac à pain vide en jute pend tristement à un clou. Sur la mini-
cloison de séparation avec les toilettes trône une boîte de lait Lescure emplie
d'eau, dans laquelle un thermoplongeur (ici, on dit un toto) est fixé à une
bouteille vide de Nescafé, ensemble grâce auquel il est possible de faire
chauffer l'eau du café, de la toilette (on n'a droit qu'à deux douches par
semaine ... ) ou du rasage. Sur la porte, une bOlte (en carton, évidemment)
contient le courrier prêt pour l'expédition et les bons de commande (nourri-
ture, tabac, papeterie, etc.) qui doivent être adressés demain à la cantine. Il
y a même un petit réfrigérateur et, au-dessus de la porte, un téléviseur
couleurs! Le luxe, quoi .. ,
André, mon nouveau compagnon de misère, entre enfin. Le vieux comme
moi a environ soixante-dix ans et m'accueille chaLeureusement. Il connaît
mon histoire (sa femme voulait se faire soigner à Biganos) et s'affirme
heureux de devoir cohabiter avec moi. Lui a été condamné pour des brou-'
tilles (queLques menus abus de biens sociaux) à trois ans de prison et attend
sa libération pour le trimestre prochain. Sa famille lui manque énormément.
Dès qu'il l'évoque, les larmes lui viennent aux yeux. ('est en de teLs moments I ~
que je me félicite de ne jamais m'être marié: sans doute la seule connerie
dont je me suis abstenu ma vie durant. C'est probablement ce qui fait ma
force aujourd'hui: la certitude que plus personne au monde n'a un besoin
vital de ma présence.
Puisque je suis le bienvenu, j'installe mes affaires dans les rares espaces
Libres et nous entamons notre vie commune.
14 h 30: On vient me chercher pour la prise de sang. Normalement, il faut
faire la queue. L'avantage d'être isolé, c'est qu'on passe en priorité. Bien
entendu, les locaux ont été évacués avant mon arrivée. Des visages curieux
s'écrasent contre les grillages des petits sas où on a stocké les détenus
normaux en attendant l'arrivée du fauve. L'infirmière m'apprend qu'outre la
sécurité sociale, le fait d'avoir été détenu me donnera à ma libération le droit
au R.M.I. J'éclate de rire.

Arcachon, 1994: trois ans après l'assassinat du C.A.R.M.E. par le minis-


tère de l'Intérieur et la Gendarmerie nationale, je suis non seulement privé
de sécurité sociale, mais aussi de R.M.!. Maguy a donc décidé de me traîner
à l'A.N.P.E. dans l'espoir qu'on m'accorde au moins cette aumône. J'ai rempli
mon curriculum vitae et le remets à l'employée. Celle-ci, à la lecture des
diplômes, a un léger sursaut puis s'empare d'un énorme classeur, cherchant
désespérément à quelle catégorie de chômeurs je peux bien appartenir. Elle
finit par demander timidement:
- Qu'est-ce que vous accepteriez comme travail?
- N'importe quoi.
Elle retourne à son classeur et, dix minutes plus tard, lève vers moi un
regard réjoui:
- Je crois que j'ai trouvé: je vais vous inscrire comme manutentionnaire
dans une usine de produits chimiques; ça vous va ?
- Tout à fait!
Il va de soi qu'en dépit de cet effort méritoire, je ne reçus jamais la
moindre nouvelle de l'A.N.P.E.

... et voici que, grâce à mon emprisonnement, l'Etat français, dans son
immense bonté, va m'accorder enfin le R.M.I. ! ... Je défaille de joie, le cœur
littéralement broyé de reconnaissance.
15 h 30: Un surveillant m'invite à la promenade dans la cour des isolés.
Située au sixième étage, on y accède par un couloir désert à l'extrémité
duquel je vois trois portes métalliques.
«Je vous préviens », dit le surveillant en ouvrant l'une d'elles, «ce n'est
pas le jardin d'Eden ... »
IL me lance «bon courage! », puis me laisse «sortir ».
«CLonk!», fait la porte derrière moi.
Le spectacle me glace.
Clonk! r.

Imaginez une cour entièrement bétonnée de 7 mètres sur 5,5 mètres, sans
aucune vue sur le monde extérieur, ouverte seulement sur le ciel mais
couverte par un épais grillage. Une véritable fosse aux ours, telle celles qu'on
voyait autrefois dans les zoos et qui furent interdites pour cause de cruauté
envers les animaux grâce à l'action de la S.P.A. Pourtant, si ce genre de
fosses est désormais interdit aux animaux, il est bel et bien autorisé pour
certains hommes à Gradignan, en France, quatrième puissance économique
du monde (c'est du moins ce qu'on prétend dans le pays).
Bien entendu, les murs lépreux sont couverts de graffiti; la grille, rouillée,
vomit son eau pourrie sur le sol carrelé de la cour, qui a pris elle-même la
couleur de la rouilte. Mais celle-ci n'est pas uniforme: à la limite des murs,
un liseré plus clair délimite le trajet de milliers de pas qui, les uns après les
autres, ont usé jour après jour la couche rougeâtre.
C'est la «promenade» des isolés ... (Fig. 78)
Puisque j'y suis, il faut bien que j'y reste et que j'en profite.
Au bout de quelques
minutes, je me rends compte
qu'involontairement j'em-
prunte exactement le même
trajet que mes prédécesseurs,
ajoutant l'usure de mes pas à
celle des leurs. Pire: je tourne
dans Le sens inverse des
aiguilles d'une montre! Or,
l'expérience m'a montré que
presque tous les détenus en Fig. 78: La «fosse aux ours», prison de Gradignan,
promenade dans les cours 9 février 1997 (dessin de LLR).
«normales» de la ,prison tour-
nent ainsi, jamais dans le sens des aiguilles... Pourquoi? Je n'ai trouvé
aucune explication logique, mais les faits sont là.
Je décide aussitôt de rompre avec les règles non écrites de ce ballet
malsain. Je ne veux pas devenir un zombie. Choisissant le plein milieu de la
cour, j'entame une série d'allers-retours entre les deux murs. Un quart d'heure
plus tard, le rythme est pris: je m'arrête le nez à quelques centimètres du
béton, effectue un demi-tour sur place en pivotant sur les talons pour recom-
mencer le mouvement à l'autre extrémité de la cour. Bientôt, je suis comme
engourdi, anesthésié par l'automatisme de la manœuvre; je m'arrête brus-
quement. Un souvenir d'enfance surgit: celui des ours qui à Vincennes, dans
leur fosse, avaient exactement le même comportement! Maintenant, je les
11
295

comprends: privés de tout espoir, ils cherchaient à s'étourdir. Ce qui veut dire
que je ne suis pas seulement dans la fosse aux ours: je me comporte comme
un ours et, si je continue mon manège, je vais devenir un ours!
] fJ ~I A--mRl DE Loïc LE RIBAULT?

Je commence alors, pas à pas, à explorer lentement la cour comme autre-


fois j'explorais les rivages en étudiant les patelles, ou les grottes en décryp-
tant les pétroglyphes.
Au pied des murs, des mousses et trois minuscules plantes aux feuilles
vertes essaient de croître dans ces conditions abominables. Le vent mauvais
qui a déposé ici les graines dont elles sont issues s'est montré bien cruel. ..
Puis je me livre à mon activité favorite: la lecture des graffiti, qui sont
fort abondants en ce lieu désolant.
Les commentaires haineux ou orduriers sont les plus nombreux.
D'autres, désespérés, ont trouvé des mots qui m'émeuvent:
«IL marche en des millions de pas qui ne mènent nulle part. Dans un monde
de béton, de barreaux, de désespoir, il est seul sans soleil. », «J.-P.P. dead
why? »
Je ne trouve qu'une phrase qui me réchauffe le cœur:
«Bonne chance à tous!»
Merci à toi, ami inconnu, qui dans cet univers inhumain, a souffert
(combien de temps ?), mais a pensé aux autres ...
Gravé auprès d'un angle de la cour, je découvre un dessin magnifique que
je baptise «Le Patriarche». En face, à gauche d'un tuyau, une main a été
dessinée avec une balle de tennis trempée dans l'eau rouillée
Dans la 501, La vie s'organise. André fait des mots croisés tandis que je
lis ou écris. Comme je suis en panne de cigarettes, il m'en offre un paquet
«en attendant que ta cantine arrive».
Car, depuis cinq jours que je suis enfermé, je n'ai toujours rien reçu des
commandes que j'avais passées: un délai d'une semaine est nécessaire avant
que celles-ci ne soient honorées. En attendant, on doit vivre en mendiant le
superflu (café, sucre, beurre, cigarettes, savon, etc.) auprès de son compa-
gnon de cellule, en priant le ciel pour qu'il soit compatissant. C'est, heureu-
sement, le cas d'André, qui me voit démuni de tout, y compris de vêtements
de rechange ... et de dents, naturellement.
Le soir, nous regardons paisiblement la télévision. Un peu partout autour
de nous résonnent des coups frappés contre les murs ou sur les tuyaux. Il est
22 heures.
«L'heure du yoyO», commente André.
«Le yoyo?»
«Oui. Un système qui, à l'aide de ficeLles, permet de faire passer des
objets d'un étage ou d'une cellule à l'autre. Celui qui veut envoyer quelque
chose avertit le voisin du dessous ou d'à côté en frappant.»
(lonk! 01

Mercredi 18 décembre
6 h: J'ai mal dormi, cette nuit. Perte des habitudes que je commençais à
avoir au premier, ou changement d'altitude? Du haut de mon lit, j'ai vue sur
la rocade où commencent à défiler les véhicules des malheureux qui, à la
sueur de leur front, partent gagner de quoi m'offrir mon hébergement, ma
sécurité sociale et mon futur R.M.!. Brave peuple ... Satisfait de leur courage,
je décide de flemmarder un peu sous les draps et allume ma première ciga-
rette. Une demi-heure plus tard, André met la télévision en marche et prépare
le café. Quand il est prêt, il me prévient et je descends le rejoindre.
C'est ensuite l'heure de la toilette. Comme dans la 106, le lavabo dispose
d'un robinet à poussoir conçu pour arrêter la distribution d'eau toutes les
minutes. Ce n'est pas facile. Surtout, c'est agaçant. André me tend une petite
cuillère (ou plutôt ce qu'il en reste) dont le manche a été replié en forme de
«U». Il suffit d'introduire une des branches de ce «U» entre le mur et le
poussoir pour bénéficier d'un flot d'eau continu. Débrouillardise des
détenus ...
10 h: Enfin! Je reçois ma première cantine! Une cartouche de cigarettes
et un bloc de papier à lettre. Ce dernier est le plus important: depuis mon
arrivée, j'écris ... sur du papier hygiénique, ce qui n'est guère pratique. On
me remet aussi mon premier relevé de compte, crédité très exactement de
75,79 €. Au fait, je ne sais pas ce qui se passe, quand on est à découvert
dans une maison d'arrêt? Est-ce aussi grave que dans une banque? Comme
on ne risque pas de mettre les coupables en prison, peut-être qu'on les
expulse?
17 h: Le vaguemestre m'apporte pour la première fois du courrier; unique-
ment des lettres de soutien qui me chauffent le cœur:
«As-tu ce qu'iL faut pour l'entretien au quotidien? Ci-joint une enveloppe
timbrée. Je t'embrasse.»
«J'ai toujours cru en toi et ce n'est pas ce qui t'arrive aujourd'hui qui me
fera changer d'avis. J'espère que tu pourras sortir prochainement, une place
t'est réservée c.hez moi, à ma table.»
«Ce que vous avez fait est juste. Gardez confiance, il vaut mieux être à
votre place qu'à celle des autres. Les gens abusés vont réagir justement.
N'abfmez pas ce qu'il y a de plus précieux: votre santé, votre bonheur, votre
famille. Tout finira par rentrer dans l'ordre, j'en suis certaine. »
« C'est aux infos régionales que j'ai pris connaissance de ton arrestation.
J'en ai été malade au pur sens du terme. A la télé, ils ont passé un reportage
sur toi et le G5 depuis l'hôtel de Biganos, puis un depuis chez toi. Toi, ton jean,
ta chemise bleue mais toujours avec plein de poches. Ton coton imbibé à la
main, un sourire jusqu'aux oreilles. J'avais l'impression de pouvoir te toucher.
;:l r
.,-,L-_
QUI A PEUR ' DE Loïc LE RIBAULT?

Un gros pLan sur tes mains et ta bague noire. Mon savant fou, géniaL et auto-
destructeur, pressé de brûLer sa vie comme pour une course à L'éternité.»
« Pour un coup de pub, c'est réussi! Cette fois, tu as sorti Le grand jeu! »
Je m'endors, le cœur bien au chaud.

Jeudi 19 décembre
André et moi nous entendons parfaitement, chacun respectant le terri-
toire de l'autre dans l'étroit espace qui nous est commun.
La vie à deux dans une cellule aussi exiguë est sans aucun doute une des
expériences les plus difficiles à réussir pour des hommes qui ne se sont pas
choisis et ignoraient tout l'un de l'autre avant d'être mis en présence de
façon a~bitraire et autoritaire. Une vie beaucoup plus délicate que celle d'un
véritable couple, où l'un des partenaires peut toujours «aller prendre l'air»
quand l'atmosphère devient trop orageuse. Ici, pas question de quitter la
cellule! Les concessions mutuelles, la compréhension, la patience envers les
travers petits ou grands du compagnon sont des obligations pesantes
auxquelles il est vital de s'adapter. Une des missions délicates des
surveillants est d'ailleurs de découvrir d'instinct avec quel prisonnier
«aguerri» ils peuvent enfermer le «nouveau» désorienté qu'ils ne connais-
sent pas encore, pour le moindre inconfort de leurs pensionnaires forcés ...
et pour la tranquillité du service.
Comme me le fait remarquer André, la promiscuité est ici telle et les gens
à ce point écorchés vifs que le moindre changement, si infime soit-il - un
objet déplacé, par exemple-, peut prendre des allures de grave agression,
d'insulte irréparable.
10 h: On m'annonce mon avocat. Erreur: quand j'arrive au parloir, je
découvre un huissier gluant qui, grâce à la lecture des journaux, a découvert
mon ultime refuge! Ces répugnants parasites n'ont décidément aucune
pudeur. Il vient pour me saisir, la charogne! Je l'invite à monter faire l'in-
ventaire de ma cellule, mais les gardiens s'y opposent. Dégoûtée, la sangsue
s'en va, la queue flasque, poursuivre ailleurs ses putrides activités.
11 h: «Au greffe!»
Nouvelle descente avec mon ange-gardien.
Là, surprise: une main anonyme (mais dont je devine l'identité) a déposé
pour moi du linge propre! Il y a notamment le jean que je portais dans la
prison d'Antigua. Ce pantalon n'a décidément pas de chance: il va mainte-
nant connaître les rigueurs d'une geôle française 160 •••

160. Pour La petite histoire, je signaLe que ce pantaLon voyageur, après m'avoir suivi en BeLgique, a fini
ses jours, usé jusqu'à La trame mais Libre, dans La joLie île de Jersey.
Clonk!

Revenu en cellule, mon premier soin est de me changer. Il y a juste une


semaine que j'ai été arrêté, une semaine pendant laquelle j'ai dû, jour et
nuit, porter les mêmes vêtements! Vêtu de frais de pied en cap, je me sens
revivre ... sentiment à la limite de l'extase.
11 h 30: On m'informe que je déménage encore, cette fois pour le
sixième. Maintenant, j'atteins le sommet de la hiérarchie gradignanaise! Le
déménagement est prévu pour treize heures trente. Je proteste: je suis très
bien à la 501, où je m'entends parfaitement avec André. Celui-ci, d'ailleurs,
est catastrophé, et se demande avec angoisse quel ostrogoth on va lui coller
à ma place.
Comme je refuse obstinément la transhumance, un gradé m'explique la
situation: la prison est pleine comme un œuf, il y a jusqu'à trois prisonniers
dans certaines cellules et ils viennent juste d'hériter de deux nouveaux
pensionnaires, dont un à l'isolement comme moi. La seule solution, c'est de
mettre le détenu «normal» avec André et les deux isolés ensemble. C'est
logique. Pour la forme, je me renseigne sur mon futur compagnon.
«Il est très bien, vous verrez. C'est un haut fonctionnaire, à peu près de
votre âge (à cet instant, je me dis qu'iL doit avoir 70 ans bien sonnés), lui
aussi à l'isolement pour des raisons de sécurité. Il vous expliquera lui-même
son cas, s'il le souhaite. Tout comme nous l'avons informé de votre arrivée,
mais sans lui dire qui vous êtes ni lui donner davantage de détails sur votre
affaire. »
Bon. Je n'ai plus qu'à faire mon paquetage et monter d'un étage. Les
adieux avec André sont déchirants. Il va entamer son sixième compagnon de
cellule et doit à chaque fois s'adapter, ce qui lui est difficile.
Nous nous quittons la larme à l'œil.
14 h: Arrivée à La 602, où Oscar, mon nouveau co-locataire, vient d'ar-
river. Evidemment, il a déjà coLonisé Le lit du bas, le salaud!
On se présente. Seulement légèrement plus âgé que moi, haut fonction-
naire à la Préfecture, il a été dénoncé par son meilleur ami et accusé de
toucher des pots de vin dans le cadre de ses activités professionnelles. En
prison depuis hier (il a passé la nuit dernière dans ma 106), il supporte mal
le choc de l'incarcération et son moral est au plus bas. Sa femme et sa famille
lui manquent, surtout à l'approche de Noël. C'est bien ce que je dis toujours:
le mariage est un handicap dans les coups durs. C'est du moins l'excuse que
je me donne avec une extrême mauvaise foi.
Nous nous entendons tout de suite très bien et le premier dîner se passe
à discuter. Nous devons apprendre à nous connaître. Ni l'un ni l'autre ne
savons combien de temps nous allons rester à Gradignan. Supplice de L'in-
certitude.
1 U1 QUI A 'plliR] DE Loïc LE RIBAULT?

Le malheureux ne fumant pas, il me supporte en laissant la fenêtre


ouverte (on caille!) et en allant, de temps à autre, le nez entre deux
barreaux, y prélever un peu d'oxygène.
A première ouïe, Oscar ne présente qu'un seul inconvénient, mais de
taille: il ronfle comme une escadrille de Messerschmitt, avec de très intéres-
santes modulations de régime.
Mon lit n'étant pas équipé de garde-fou, je tombe de mes cimes dans la
nuit et me fracasse le crâne contre le mur. C'est décidé: désormais, je
coucherai par terre, d'autant que la cellule est chauffée par le sol.

Vendredi 20 décembre
On peut dire ce qu'on veut au sujet de la maison d'arrêt de Gradignan,
mais une chose ne souffre pas de critique: la cuisine. Oh, attention, ce n'est
pas de la grande cuisine, non. Mais des plats tout à fait corrects, servis
chauds (il faut dire que les isolés sont servis les premiers). Il m'est malheu-
reusement impossible d'en profiter, pour l'excellente raison que je n'ai
toujours pas mes dents de rechange, mais seulement ces deux incisives qui
me donnent l'air d'un énorme rongeur quand je souris. Par bonheur, les occa-
sions de sourire sont rares à Gradignan.
Les hasards du menu me desservant, les premiers jours je me suis nourri
exclusivement de morceaux de sucre offerts par les gardiens et dilués dans
de l'eau. Depuis aujourd'hui, je sélectionne dans les plats les nouilles et la
purée, Oscar m'offrant aimablement ses parts d'accompagnements mous
tandis qu'il écrase à crocs puissants les cuisses de poulet et les quignons de
pain.
Je commence à être affamé. Nostalgique, je songe aux plats exotiques que
je dégustais au cours de mes périgrinations lointaines lorsque j'étais encore
denté: renne, ours, élan, coryphène, king fish, poisson perroquet, serpent à
sonnette, porc épie, loup, élan, gras de baleine, foie de phoque cru, hérisson,
chien, tortue, crapaud, larves diverses, requins de toutes espèces, marlin,
autruche, dromadaire et même, une fois, un peu d'homme (mais c'est une
autre histoire).

Samedi 21 décembre
La saga du dentier (premier épisode): Le vétérinaire vient pour
inspecter son troupeau. Je lui exprime ma doléance essentielle: voici deux
jours, j'ai expliqué au dentiste que mon dentier m'attendait impatiemment à
Arcachon, et qu'il suffisait de le faire venir en prison pour régler mon drama-
tique problème de mastication. Offusqué, l'homme de l'art m'a répondu que
ça ne se fait pas, qu'il n'y a aucune relation entre les serviees de stomato-
Clon k !

logie de la maison d'arrêt et les dentistes libéraux, et qu'il me suffisait d'at-


tendre ma libération pour que tout rentre dans l'ordre! Quel con! Si je reste
un an à Gradignan, il faudra me greffer une paille!
Pensif, le toubib m'écoute, puis trouve la solution:
. «Je vais vous prescrire des aliments émiettés dès aujourd'hui.»
11 h: Arrivée du déjeuner. Aujourd'hui, nous avons saucisse-purée. Oscar
dévore de bon appétit la viande, tandis que je lappe tristement la purée. Une
demi-heure plus tard, la porte s'ouvre sur un gardien qui brandit une jolie
barquette enveloppée de papier aluminium.
«C'est ici, l'édenté? », demande-t-il poliment.
Je suis vexé comme un pou: toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire,
quand même! Même taulard, on a sa dignité!
«Oui! », grogné-je.
«Ben voilà votre menu spécial édenté», annonce-t-il fièrement en me
donnant la barquette.
Hourrah! J'ai beau avoir déjà lappé, je sens que je vais me remettre à
table pour honorer ces mets que je devine amoureusement mitonnés tout
exprès pour moi. Fébrilement, j'enlève le papier aluminium. Stupeur: je
découvre une saucisse-purée rigoureusement réglementaire! ça doit être un
loupé. On verra pour le diner.
17 h 30: A table! On se précipite vers le chariot. Ce soir, c'est steack-
petits pois.
«Ton menu spécial est sur la tablette du dessous », m'indique aimable-
ment l'auxiliaire.
Je m'empare avidement de mon bien et le déballe dans la cellule: c'est du
steack-petits pois, mais sans sel! Oscar, sympa, m'offre ses légumes et dévore
aLLègrement ma viande.
Ce n'est que le lendemai n que le menu «édenté» s'avèrera enfi n spéci-
fique, tous les mets scrupuleusement émiettés. Mais toujours sans sel!

Dimanche 22 décembre
Un gardien, l'air sérieux comme un pape, ouvre la porte. IL a le crâne aussi
dégarni que le mien. IL dit:
«Tiens? Vous aussi, vous êtes chauve. Figurez-vous que je crois avoir
trouvé une explication à ce phénomène ... »
«Ah bon? LaqueLLe?»
«Facile. Vous n'êtes pas origi naire d'Aquitaine, n'est-ce pas?»
«Non. Je suis Breton.»
«Ben c'est pour ça: vous avez laissé vos racines en Bretagne!»
On se marre comme des baleines.

Lundi 23 décembre
J'apprends à conjuguer un nouveau verbe: Cantiner.
Cantiner, ça signifie passer commande de tout ce qui nous manque. Et
comme on nous a tout pris, nous manquons forcément de tout. Logique. Le
système est très bien rôdé, et d'une rentabilité rare puisqu'il s'applique très
précisément à ce que les commerciaux appellent une clientèle captive. C'est
notre cas, au sens propre du terme. Voici le principe:
Pour le compte de l'Etat, une grande Médiocratie européenne, vous cons-
truisez un gigantesque hôtel à moindre frais: douches coLlectives, pas de
vitres aux fenêtres, pas de chauffage, pas d'eau chaude, minuscules cham-
bres de neuf mètres carrés à deux lits (c'est plus convivial). Pour le personnel
de surveillance, pas de problème: il est fourni gracieusement par l'Etat. Pour
L'entretien, le ménage, la vaisseLle, aucun souci à se faire: les clients s'en
chargeront eux-mêmes.
Quand tout est prêt, vous faites lâcher dans les rues une meute de poli-
'ciers-chiens de chasse, aimablement prêtés par la Médiocratie.
Quand les animaux reviennent avec une proie, qu'elle soit coupable ou
innocente, vous lui enlevez tout ce qu'elle possède. Tout. Absolument tout:
coupe-ongles, lime à ongles, couteau, briquet, rasoir, cigarettes, stylo,
papier, mousse à raser, etc. Vous lui piquez aussi tout son argent - si elle
en a -, que vous remettez à la banque que vous avez pris la précaution de
créer.
Pendant la première semaine, la proie est nourrie gratuitement matin,
midi et soir, mais sans excès ni luxe inutile. Immanquablement, au bout d'un
certain temps, le client manifeste certaines exigences: il aimerait du sel, du
poivre, de la confiture, des cigarettes, du beurre, de la lecture et un tas d'au-
tres choses superflues teLles que la télévision.
Alors, vous lui offrez La possibilité de cantiner, ce dont la proie vous sera
éternellement reconnaissante; c'est, d'abord, le droit de racheter dans votre
propre centrale d'achat tout ce que vous lui avez pris à son arrivée (coupe
ongles, lime à ongle, couteau, briquet, rasoir, cigarettes, stylo, papier,
mousse à raser, etc.) strictement identique mais de qualité très inférieure.
Puis, dans votre immense bonté, vous lui proposez de sous-louer pour 30 €
par mois une télévision que vous-même louez 15 € pour la même période.
Mais attention: 30 € par client! Comme ils sont deux et parfois trois par
chambre, votre bénéfice est de 45 à 75 € tous les trente jours.
(lonk! 0[

Bien entendu, les commandes ne sont honorées que si le compte bancaire


de votre proie est suffisamment approvi-sionné. Mais vous ne courez aucun
risque, puisque c'est vous-même qui gérez son pécule.
C'est pas génial, tout ça?
14 h 45: On vient me chercher pour le parloir.
Un nouveau rite à découvrir.
Un surveillant m'accompagne à la porte de l'ascenseur, qui me dépose au
premier étage, où m'attend un autre surveillant, lequel me conduit dans un
sas où il me fouille.
«Clonk! »
Dans d'autres sas, les prisonniers normaux sont entassés à plusieurs
depuis une bonne demi-heure.
Dix minutes plus tard, un troisième surveillant vient me chercher et me
fait franchir une grille derrière laquelle trône un autre gardien, assis sur un
tabouret, la tête penchée sur des listes, et qui visiblement dirige les manœu-
vres du parloir. C'est Grincheux161 • Il me scrute par-dessus ses lunettes, me
désigne de son crayon et hurle d'une voix de stentor:
«Le Ribault! Isolé! A la 4! On viendra te chercher!»
On me conduit dans un nouveau sas minuscule (moins de deux mètres
carrés), dépourvu de tout siège, séparé d'un Local identique par une vitre
munie d'un hygiaphone.
«Clonk!»
Quelques minutes plus tard, je vois les autres prisonniers, libérés en
masse de leurs sas communautaires, se masser dans Le couLoir. On les appelle
en leur donnant un numéro, et ils disparaissent les uns après Les autres.
Quand Le couLoir est vide, ma porte s'ouvre, et je suis conduit dans une
autre pièce.
«Clonk! »
Mitoyenne de la précédente, mais plus vaste (au moins quatre mètres
carrés), celle-ci est meublée de deux bancs pouvant accueillir chacun trois
personnes. C'est Le parloir. De part et d'autre, deux portes vitrées (et grilla-
gées, pourquoi le préciser?) donnent l'une sur le couloir par lequel je suis
arrivé, l'autre sur un étroit corridor où patrouille un gardien.
15 h: C'est par ce corridor que surgit Maguy, tout de rouge vêtue, guidée
par un surveillant.

161. Comme nous ignorions Le nom des surveillants, Oscar et moi avions attribué à ceux Que nous fré-
Quentions Le pLus souvent des surnoms pLus ou moins bien adaptés à Leur personnaLité. Ainsi Grincheux,
d'un premier abord fort revêche (en tant Que pensionnaires du premier, il nous avait tout d'abord pris pour
des pêdophiLes), se montrera-t-il toujours très humain avec nous, en respectant toutefois scrupuLeuse-
ment Le règLement.
, n OuI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?
u

«Clonk! », fait la porte derrière elle.


Maguy sursaute, comme piquée par une guêpe. Elle n'a pas encore l'habi-
tude, la pauvre! Elle est traumatisée par l'ambiance qu'elle trouve oppres-
sante. Evidemment, je ne suis pas dans une pension de famille .. .
Elle me raconte les nouvelles de dehors, les amis inquiets qui me souhai-
tent bon courage, Ix-Le-Chien qui me cherche partout. Elle me dit que, au
moment de mon arrestation, elle a reconnu un des policiers: il était présent,
avec deux de ses collègues, lors de la levée du corps de ma mère. Ils m'at-
tendaient donc bien et je suis certain que, même en telles circonstances, ils
n'auraient pas hésité à m'arrêter.
Elle m'annonce qu'elle a obtenu l'autorisation de venir chaque jour de
visite (les lundi, mercredi et vendredi) passer avec moi la demi-heure qui
m'est allouée. J'apprends ainsi que chaque prisonnier n'a droit qu'à trente
minutes de visite chaque fois, et que tous les visiteurs sont regroupés
ensemble à cette occasion dans une pièce identique à celle où nous nous
trouvons actuellement. Maximum autorisé: cinq personnes. Mais que faire si
les visiteurs ne s'entendent pas, où si le prisonnier veut s'entretenir en parti-
culier avec un ou une d'entre eux? Ma foi, ils se débrouillent.
Bien entendu, il est interdit d'échanger quelque objet que ce soit, et les
surveillants patrouillent sans interruption, jetant des regards inquisiteurs
dans chaque pièce.
Au bout d'une demi-heure, la lumière s'éteint puis se rallume aussitôt,
signal de la fin de la visite.
Qu'elle a semblé courte!
Aussitôt, la porte s'ouvre, j'ai tout juste le temps d'embrasser Maguy, et
on me conduit dans un sas pour une nouvelle fouille. J'y reste à peine une
minute, et en compagnie d'un surveillant réintègre ma cellule à toute allure,
avant que les autres prisonniers n'envahissent le couloir. Etre isolé a au
moins cet avantage: on passe partout en priorité et on évite la promiscuité.

Mardi 24 décembre
7 h 30: Petit déjeuner. Je demande au gardien s'il peut me procurer des
allumettes. Je suis en rupture de stock. Il me tend son briquet:
«Tenez, je vous Le prête. Vous me le rendrez quand je vous apporterai les
allumettes. »
«Ne craignez rien: aujourd'hui, j'ai décidé de ne pas sortir ... »
Le surveillant éclate de rire :
«Té, c'est bien pour ça que je vous le prête!»

(lonk! _ JL

Juste cette petite anecdote pour montrer que le personnel, dans son
immense majorité, fait le maximum pour rendre la vie la moins insupportable
possible aux détenus. Les surveillants sont généralement humains et, en
contact permanent avec leurs pensionnaires, finissent par en connaître la vie
la plus secrète; c'est une symbiose, qui peu à peu, se crée entre le prison-
nier et son geôlier.
10 h: Un civil ouvre la porte et me prie de le suivre dans son bureau. C'est
encore quelqu'un des services sociaux, fort aimable, l'œil bourré d'humanité.
Il connaît mon dossier tellement par cœur qu'il me fait peur. Si ça se trouve,
il sait sur moi des choses que j'ignore moi-même!
Il me demande si je n'ai besoin de rien (non); s'il peut m'être utile (non);
si je ne trouve pas la prison trop dure (non); si je m'y habitue (oui);
Finalement, je lui demande pourquoi il s'intéresse tant à moi. Il me révèle
que généralement plus les gens ont une position sociale élevée et sont intel-
lectuellement développés, moins ils supportent la détention; c'est pourquoi
mon comportement l'étonne. Je lui explique que je pense être aidé par une
vie intérieure bouillonnante, un surentraînement à une vie difficile depuis
des années, une indifférence totale envers les biens matériels, la certitude
que le combat que je mène est juste, et un détachement absolu face à toutes
les contraintes qui empêchent un homme de déployer ses ailes.
17 h: Le vaguemestre distribue le courrier. Dans le mien, uniquement des
lettres d'encouragement et d'espoir. Grâce aux reportages télévisés et aux
articles de journaux, des ami(e)s que j'avais perdu(e)s de vue depuis des
années m'ont retrouvé et me soutiennent.

Vaguemestre ... Dans la Marine, en 1975, j'avais été promu à cette fonc-
tion parce que le Maître Principal, qui maniait l'humour à ses moments
égarés (qui étaient nombreux), avait jugé que c'était l'emploi idéal pour un
licencié ... ès Lettres. C'est le même individu qui, six mois plus tôt, m'avait
affecté au nettoyage sous prétexte que j'étais spécialiste du microscope
électronique ... à balayage!

18 h 30: Repas de gala: mousse de foie, trois crevettes roses, saumon


fumé, mayonnaise, gigot-flageollets, fromage, tarte aux abricots, café, le
tout évidemment arrosé d'eau pure.
19 h: Fin du réveillon.
23 h 30: On se couche.

Mercredi 25 décembre
La télévision nous gorge d'Ave Maria, Douce Nuit, Petit Papa Noël, Noël
Bleu, Vive Le Vent, sans oublier bien sûr la sirupeuse ratatouille sapin - guir-
JO ' QUI A PEURJ DE Loïc LE RIBAULT?

landes - feu de bois - flocons de neige - jouets - joie des enfants - chocolat
- dinde - marrons glacés - pape - messe de minuit - bonne bouffe.
Pauvre peuple, qui ne sait plus s'amuser qu'à dates fixes! A Antigua, c'est
steel band tous les jours ...
A propos de bouffe, Oscar et moi on ne sait plus quoi en faire: les auxi-
liaires ont appris que je suis resté presque dix jours sans pouvoir avaler quoi
que ce soit de consistant, et que nous sommes tous deux dépourvus de tout.
Ils nous comblent donc en nous donnant le rab dont ils disposent: on a de
quoi manger pour une semaine entière! J'en connais un qui serait heureux,
tiens ...

Antigua, dix heures du matin. Denroy s'apprête à entamer son petit


déjeuner. Devant lui, il a disposé deux énormes hamburgers-fromage, un
monceau de frites, une montagne de salade et une bouteille de Guinness. Il
dit, l'air faussement contrit:
- Mon nom est Denroy (soupir) et je mange comme un cochon ...
Puis, d'une mâchoire déterminée, il attaque son en-cas.
Son rêve est d'aller un jour plonger dans le fleuve Amazone pour y
dévorer les piranhas. Pauvres bêtes ...

Vendredi 27 décembre
Ce matin, un huissier est encore venu pour me saisir. Mais ce n'est pas le
même que le premier. Il doit y en avoir un nid, dans le coin ... Lui aussi
repart bredouille, les griffes refermées sur du vide.
17 h: Un cafard se promène, pensif, au plafond. Ce n'est pas le premier
que je vois à Gradignan, ' loin de là. Mais ce qui est étrange dans le compor-
tement des cafards détenus, c'est qu'ils sortent en pleine lumière. Tous ceux
que j'ai rencontrés jusqu'alors ne se baguenaudaient que de nuit.

Dans les souterrains de la Deuxième Escadre de Dragueurs de Mines,


Brest, septembre 1974: Service militaire. Mes dossiers d'Elève Officier de
Réserve ayant été perdus par l'administration militaire, c'est comme simple
matelot Sans Spécialité (y a pas plus bas comme grade, c'est l'équivalent de
troisième classe ... ) que je me retrouve au régime sem i-disciplina ire ; il faut
dire que j'ai été un peu insoumis (à peine un mois) et un tantinet déserteur
(trois minuscules semaines). Je bénéficie d'un lit particulier dans une cham-
brée de 120 matelots. L'intimité, quoi. Le soir, quand nous allumons en
entrant, le plafond est brillant comme de l'or: ce sont les carapaces des
cafards qui reflètent la lumière. En quelques secondes, les milliers de
bestioles disparaissent et vont se cacher dans les draps, d'où nous les délo-
geons sans ménagement. Le lendemain matin, quand nous nous éveillons,
[[onk! D[

on les réveille aussi: durant la nuit, ils sont revenus tout simplement se
mettre au chaud et dormir avec nous! On s'habitue vite à ce genre de
promiscuité.

Samedi 28 décembre
10 h: Heure de la promenade pour le sixième. Bruit de feuille qu'on glisse
sous la porte. Nous croyons qu'il s'agit de la remise d'un formulaire de
cantine. Non: c'est une feuille de papier blanc ornée d'un dessin de tête de
mort sur laquelle il est écrit en lettres capitales:

,
ON VA VOUS SEGNER COMME DES GORETS .•.
ALORS, CA FAIT QUEL EFFET

X
D'ETRE A SON TOUR EN PRISON?
SION VOUS « PESQUE », VOUS ETES MORTS! ...

Je ne suis pas surpris: Il y a longtemps que je m'attends à quelque chose


dans ce goût-là; ça prouve au moins que les assassins ont plus de mémoire
que certains juges; ils n'ont pas oublié, eux, à quel point mes expertises
étaient dangereuses pour eux ...
Nous décidons d'avertir les surveillants et plantons un drapeau. Toutes les
cellules sont équipées d'une sonnette sur laqueLle appuyer en cas d'urgence.
Mais, comme les détenus en abusaient largement, toutes ont été débran-
chées. Alors, quand on a quelque chose à dire, on glisse un papier entre le
mur et la tranche de la porte: c'est le drapeau.
Aujourd'hui, c'est Lucky Luke (très humain, serviable, efficace et souriant)
qui est de service. Il arrive presque aussitôt et s'empare du papier pour le
montrer à un gradé.
10 h 45: ça n'a pas traîné. Pour notre sécurité, on nous déménage de
toute urgence à un étage plus tranquille: le premier. Vite, nous emballons
nos affaires dans la traditionnelle couverture nouée, direction la 124, notre
nouveau logis.
Dès l'entrée, nous sommes tétanisés: la cellule, très sale, est peinte en
vert glacial (Fig. 79). Dehors, il fait moins quatre degrés et, dans la pièce, la [?071
température ne dépasse sûrement pas cinq degrés.
Nous posons notre paquetage sur le sol crasseux et, frigorifiés, restons
sans presque bouger ni parler jusqu'au déjeuner. Celui-ci expédié, prostrés,
nous essayons de nous réchauffer. En vain. l'air s'infiltre par les trous qui
] 0rauI----;-PEU~ DE Loïc LE RIBAULT ?

parsèment Les vitres et par L'empLa-


cement des joints qui n'existent pLus
depuis Longtemps. J'ai Les mains
bLeuies par Le froid. Nous sommes
dans un tombeau réfrigéré.
Je pLante un drapeau et un
gardien maussade arrive dix minutes
pLus tard. Je proteste: Oscar a La
crève, iL est sous traitement médical
pour son cœur et moi, si nous
restons ici, je ne suis pas sûr de
supporter La température. A Antigua,
il doit faire 32 OC!
« DésoLé », dit Le surveillant qui,
- ) visibLement, ne L'est nullement, «y a
Fig. 79: La ceLLuLe 124. prison de Gradignan, pas de celluLe Libre. Faudra vous
décembre 1996 (dessin de LLR).
habituer, c'est tout! »
«Clonk! »
Mais qu'avons-nous donc fait pour être traités comme du bétail?
17 h: Pas de courrier ... Et s'ils étaient tous morts?

Martinique, mai 1902. Le volcan de la Montagne Pelée explose, englou-


tissant toute la ville de Saint-Pierre sous une nuée ardente qui n'épargne
aucun des trente mille habitants. Aucun? Si, juste un: un condamné à mort
mis à l'isolement (tiens ?), protégé par l'épaisseur des murs de son cachot.
L'histoire a retenu le nom de ce miraculé: Cyparis. Grâcié (c'était la moindre
des choses), celui-ci fut embauché comme phénomène par le cirque
Barnum ...

Dire que si un cataclysme avait rayé Bordeaux de la carte, nous n'en


saurions probablement rien au fond de notre trou!
17 h 30: On apporte enfin les médica~ents du matin à Oscar, que l'infir-
mière engueuLe copieusement:
«Mais enfin, qu'est-ce que ça veut dire? Je vous ai cherché toute la
journée! »
C'est un combLe! Quand on change simplement de ceLLuLe, personne n'est
donc fichu de vous retrouver, dans ce bordeL? Et si on s'évade, on commence
à vous chercher au bout de combien de temps?
20 h: Nous décidons de nous coucher tout habillés pour tenter de nous
réchauffer.
Clonk! DOL

Dimanche 29 décembre
7 h: J'ouvre un œil. Oscar, courageux, fait sa toilette. IL fait même
chauffer de l'eau pour le petit déjeuner. Je l'admire sincèrement et replonge
dans le sommeil.
9 h: Réveil. Dire que je ne me souviens pas d'avoir de ma vie dormi plus
de douze heures d'affilée! Je dois commencer mon hivernage ...
Oscar a préparé mon café. Je descends de ma cime.
Quand j'allume ma première cigarette, il me demande des allumettes pour
se faire des cure-dents; parce qu'il en a, lui, des dents. Il a déjà travaillé ce
matin en désossant un rasoir afin d'en récupérer la lame. Je l'observe, en
plein travail de tailleur de micro-bûches. Il est absorbé par cette tâche qui,
pour quelques minutes, lui fait oublier notre misère.

On m'a souvent fait le reproche de scruter les êtres humains avec ce que
beaucoup ont pris à tort pour de la froideur ou de l'insensibilité:
- Laurence (1979): «Tu me fais peur: tu observes les hommes comme un
entomologiste étudie les insectes. "
- Legrand, directeur du laboratoire Total (1980):« Quand je vous vois
regarder quelqu'un qui vous résiste, je me dis que pour atteindre votre but,
vous seriez capable de piétiner le ventre de votre mère!»
- Monique n° 1 (1982): «Je ne peux plus vivre sous l'oculaire d'un
microscope vivant."
- Jean-Pierre (1996): «Ce n'est pas de soulager les gens qui t'intéresse:
c'est de vérifier tes théories et compléter tes statistiques. »
- Un magistrat, tandis qu'au restaurant je devore des tripes à la mode de
Caen après une autopsie particulièrement horrible (1990): «Mais vous êtes
insensible ou quoi?»
- Un gendarme, alors que depuis une heure j'étudie millimètre par milli-
mètre un cadavre atrocement mutilé (1989): «On dit que ça ne vous
empêche même pas de dormir ... C'est vrai?»
Peut-être avaient-ils raison. Peut-être, tout simplement, n'ont-ils pas
compris que parfois mon esprit se bloque pour s'autoprotéger. Que, toute ma
vie, je me suis senti «à part», que je me demande pourquoi et que j'en-
souffre.

Oscar a saisi son stylo-biLle et une feuille de papier, puis se met à écrire 1309 11-
lui aussi. Je dois être contagieux. L

19 h: Depuis que je suis levé, je n'ai pas arrêté d'écrire, notamment le


chapitre consacré à L'historique du G5.
«J'ai l'impression que tu te dépêches ... », souffle Oscar.
]0[~~ DE Loïc LE RIBAULT?

C'est vrai.
Comme me disait Jean-Michel Graille: « Ce n'est pas toi qui es important,
c'est le silicium organique, et lui seul!» Sur le moment, j'avais été vexé.
Pourtant, il avait raison. Les menaces d'hier ne m'ont pas fait peur. Après
tout, on m'a déjà tiré deux fois dessus, j'ai reçu un coup de couteau, un
forcené m'a tenu un poignard appuyé sur le gorge quatre heures durant, je
me suis empoisonné accidentellement une fois à l'arsenic, j'ai subi sept acci-
dents d'avion, coulé trois fois en mer, et je suis toujours vivant. Mais il faut
bien mourir un jour, et je sais maintenant que je suis non seulement menacé
«dehors» mais aussi au sein même de la prison. Dans l'intérêt de mes
patients - et de l'humanité, tout simplement - il faut que l'on connaisse
l'histoire du G5. Il faut que ça fasse du bruit. Il faut que le raz de marée soit
si puissant, si irrésistible, que les chercheurs qui oseront mettre leurs pas
dans les miens n'aient pas à subir ce que la France m'a fait endurer.
Alors j'écris, j'écris. J'écris le plus vite possible.

Lundi 30 décembre
Nous avons froid, froid, froid ...
Ce matin, l'eau était gelée dans la cellule.
Nous sommes engourdis. Je porte un tricot de corps, deux pulls, une
chemise, mon blouson de cuir et je grelotte. Nous sommes si transis que nous
restons, assis, à ne rien faire, incapables même de parler. Nous ne sommes
pas dans une cellule. Nous sommes dans un congélateur.

Je suis comme mon orvet. Un remords que je traîne dans ma tête depuis
trente-cinq ans. Je l'avais capturé dans le port de Moguériec et enfermé dans
un bocal à confitures pour l'apprivoiser plus tard. Je l'avais ramené à la
maison puis, par négligence - par peur, aussi, de le faire sortir -, je
l'avais abandonné dans sa prison de verre. n avait mis des semaines à
mourir. De faim, de froid, d'abandon, de désespoir, de solitude. Pardon,
orvet! Je comprends maintenant à quel point j'ai dû te faire souffrir: je suis
devenu l'orvet de mon juge ...

9 h: Oscar a décidé de prendre le taureau par les cornes et colmate


soigneusement avec des journaux les joints de la fenêtres, par lesquels s'en-
gouffre l'air glacé. Son travail prend du temps, mais le résultat se fait immé-
diatement sentir.
10 h: Le miracle auquel nous ne croyions plus: la cantine arrive, nous
livrant café, sucre, mieL, confiture, lait condensé et sel. Notre premier soin:
deux grands bols de café au Lait sucré avec tartines de confiture et de miel ...
C'est la fête!
(lonk! []l

17 h: Le courrier. Je prends connaissance de l'article publié samedi


dernier par Le MeiLLeur:« Le Ribault se frotte les majns: La Direction géné-
rale de la santé, suite à l'incarcération de Loïc Le Ribault, a fait savoir qu'a-
près analyses le silanol n'est absolument pas toxique ( ... ). Loïc Le Ribault a
donc gagné la première manche de sa bataille, quitte à payer sa victoire de
quelques semaines de liberté. Sa démarche n'avait en fait d'autre but que de
faire admettre que le silanol est un médicament. Ce qui est fait. Et on ne pour-
suit pas Le Ribault pour une escroquerie visant à vendre un jus de poudre de
perlinpinpin, mais pour vendre un médicament non agréé. Une nuance qui doit
le réchauffer dans sa cellule. »
C'est vrai que ça me réchauffe. Et avec la température sibérienne qui
règne dans la 124, ce n'est pas du luxe ...

Mardi 31 décembre
Avec un bel ensemble, Oscar et moi nous réveillons à cinq heures trente.
Nous ne voulons pas perdre une minute de l'agonie tant attendue de cette
saloperie d'année 1996.
Ce matin, j'ai un doigt de la main droite blême, rendu complètement
insensible par le froid. Il en est de même de mon pied droit, qui me fait souf-
frir et m'empêche de faire plus de quelques pas. On dirait que l'un et l'autre
sont gelés.
Ce soir, à moins d'un miracle, nous n'aurons personne à embrasser sous le
gui. ..
19 h: Notre réveillon est achevé. Au menu, nous avions avocat-crevettes,
saumon-riz et baba au rhum (sans rhum), le tout arrosé d'eau pure.
24 h: Il n'y a pas eu de miracle: il n'y a personne sous le gui. D'ailleurs,
nous n'avons pas de gui ...
Avec Oscar, on se souhaite tout simplement la bonne année et on s'em-
brasse sous la Lumière crue du plafonnier. Un exemplaire pLié de Sud-Ouest du
10 juin 1996 sert d'abat-jour.
Adieu, année pourrie!

Mercredi 1er janvier 1997


Il fait froid, si froid ...
A tour de rôle, Oscar et moi posons nos mains sur la boîte du toto pour
tenter de nous réchauffer. En vain. Mon pied me fait très mal. Et, une fois de
plus, je n'ai plus d'allumettes! Si, une. Juste une. Je la garde en cas de
manque extrême. J'en ai bien demandé à Lucky Luke, mais il estime que c'est
mauvais pour la santé et ne fume pas ...
]0
LiUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?

17 h: Apparition de Lucky Luke. Il serre précieusement dans sa main onze


allumettes, fruit de sa quête auprès de tous les détenus de l'étage.
«C'est tout ce que j'ai trouvé! Faudra les économiser, hein?»
Brave homme ...
Ces onze allumettes seront mes étrennes de 1997.
Merci, Lucky Luke!

Jeudi 2 janvier
Toujours ce froid de loup!
15 h: Un gardien entre, armé d'une barre de fer. C'est le responsable
chargé aujourd'hui de la symphonie des grilles. Généralement, l'inspection ne
dure pas longtemps chez nous. Ce surveillant, que nous n'avons encore jamais
vu, est du genre méticuleux. Soupçonneux, il désigne le capitonnage des
joints de la fenêtre, œuvre patiente d'Oscar.
«C'est pour quoi faire, ça?», demande-t-il.
« Pour empêcher l'air de rentrer, tiens! ... »
«Moi, faut que je contrôle! ... », dit-il, et il arrache d'un coup tout le fruit
du travail oscarien. Puis, sa destruction accomplie, il frappe trois coups sur
les grilles et s'en va, laissant la fenêtre ouverte, les joints pendouillant
lamentablement et le vent glacé qui s'engouffre. Pauvre type ... D'un commun
accord, Oscar et moi décrétons que, pour être si mesquin, ce pauvre homme
doit avoir une bonne excuse: sans doute vient-il d'apprendre qu'il est cocu?

Vendredi 3 janvier
18 h: Je viens de terminer la rédaction de ma brochure sur le G5. Quoiqu'il
m'arrive désormais, mon travail ne sera pas perdu. Ce soir, je dormirai serein.

Samedi 4 janvier
9 h: Des milliers de stalactites de glace pendent sur les fils barbelés.
C'est sans doute très beau.
Il fait un froid sibérien.
Je me sens seul. ..
12 h: Saucisses-lentilles. Chaudes! Oscar et moi nous jetons sur nos
assiettes. Comme des chiens sur leur pâtée. Pas pour le goût, non. Pour la
chaleur.
n!
Clonk! ut

14 h: Un étau gelé me serre la tête. Mes jambes sont comme paralysées,


ainsi que ma main droite. Impossible d'écrire. Je vais me coucher pour
essayer de me réchauffer. Et pour tout oublier.
16 h: Tentative de goûter. Inutile: le beurre, dans la chambre, est dur
comme de La pierre ...

Dimanche 5 janvier
... Car le dimanche existe, en prison! Jour de repos selon la secte catho-
lique, et en dépit de la séparation théorique de l'Eglise et de L'Etat, le
dimanche se doit d'être célébré dans la moindre geôle de l'Administration
Pénitentiaire française. La fête dominicale se manifeste par de multiples
attentions touchantes: le café soluble du petit déjeuner nous est distribué
dès le samedi soir, ce qui permet aux détenus de faire la grasse matinée tout
leur soûl sans aucun dérangement. Evidemment, pour profiter pleinement de
cette faveur, les prisonniers sont supposés posséder l'incontournable toto,
sans lequel ils prendraient leur café froid. A moins, bien entendu, qu'ils ne
se soient rendu compte que, très tôt le matin, l'eau du lavabo s'est
réchauffée pendant la nuit grâce à la cohabitation étroite et coupable du
tuyau d'eau froide avec celui du chauffage, ce qui permet aux sans toto de
déguster quand même leur café tiède.
Vers dix heures, on nous apporte un gâteau (millefeuilles, tarte ou inimi-
table baba-au-rhum-sans-rhum).
Enfin, comme il n'y a ni parloir, ni avocat, ni audition, ni distribution de
courrier, ni cantine, ni douche, on peut paresser toute la journée dans nos
petits lits douillets.

Lundi 6 janvier
Et commence une nouvelle journée dont tout laisse présager qu'elle sera
d'une aussi désolante vacuité que les précédentes.
7 h 15: Alléluia! Alléluia! Aujourd'hui, changement de draps! Après à
peine 25 jours d'usage, n'est-ce pas exagéré? Si ça continue, je vais m'habi-
tuer au luxe!
14 h 30: Maguy, que j'ai surnommée mon Fan Club, va arriver au parloir.
On me conduit dans un sas. Surprise: un détenu, puis deux, puis trois me
rejoignent! Je ne dis pas un mot et me contente d'écouter les conversations
des trois hommes, tous du premier étage (deux pédophiles, un père inces-
El
tueux), qui contemplent des prisonniers, en majorité colorés, qui jouent au
football dans la cour:
« Non, mais! Regarde-moi cette racaille!»
10 1 QUI A P~R] DE Loïc LE RIBA U LT ?

«Rien que des nègres! ... »


« ... et des ratons, faut être juste! »
«T'as vu les tignasses des nègres?»
«C'est des rastas. Y sont tous comme ça.»
«C'est des cheveux naturels?»
« Penses-tu! C'est des perruques!»
« De quel étage ils sont?»
«Le cinquième ou le sixième. C'est là qu'on met les pires. Tous des assas-
sins!»
«Et méchants avec ça! Des teignes! Quand on va en promenade, ils nous
balancent des bouteilles sur la gueule!»
«Moi., c'est bien simple, j'ose plus me promener!»
«Moi non plus!»
«Moi, c'est pareil! »
«Ah, là, là! Pauvre pays!»
«Je vais vous dire: y a des moments où j'ai honte d'être Français!»
A Gradignan, on nage parfois en plein surréalisme ...

Mardi 7 janvier
15 h: Je me regarde dans la glace. J'ai maigri, bien sûr, et j'ai vieilli. Pas
grave. Depuis longtemps, j'ai perdu mon bronzage, mais je ne suis pas seule-
ment «débronzé », je suis blafard. Un teint de navet! Ce teint, je le recon-
nais: c'est celui de tous les détenus que j'ai rencontrés. Le teint a-coloré des
taulards, grâce auquel n'importe quel flic reconnaît dans la rue un prisonnier
récemment libéré. Une sorte de marque de fabrique, le début d'une destruc-
tion profonde, une ébauche de décomposition.
Je ne sais si le soleil des Caraïbes, un jour, me rendra ma couleur origi-
nelle ...

Un matin, à Antigua. A contre-jour, une grande ombre se découpe dans


l'embrasure de la porte. C'est Denroy. Quand il est au milieu de la pièce,
j'éclate de rire: Il a les mains et les avant-bras intégralement rose bonbon,
avec des éclaboussures jusqu'aux épaules et sur le visage! n arbore son air
navré:
- Regarde! Je suis devenu rose et noir!
Il me raconte qu'il revient de peindre au rouleau une terrasse de restau-
rant balayée par les alizés.
- Et c'est de la peinture à l'huile! se lamente-t-il.
Clonk! 00
n me faut une heure de vigoureux brossage au white-spirit pour réparer
le désastre. Quand c'est fini, il se contemple dans la glace:
- Ouf! J'ai retrouvé ma couleur originelle! Je suis quand même plus beau
tout noir, non?
... A moins qu'en ce qui me concerne les dégâts ne soient irréparables,
et qu'on doive me rebronzer au rouleau?

Jeudi 9 janvier
Finalement, j'ai beaucoup de chance, par rapport à la majorité des
détenus; depuis longtemps, j'ai pris l'habitude d'être privé de tout, et le
moindre rien peut éclairer toute une journée de prison: la cantine qui arrive,
une boite d'allumettes, une parole d'Oscar, l'encouragement d'un gardien, une
lettre amicale ...
Et puis, surtout, si mon corps est bien à Gradignan, mon esprit, lui, est
rarement en cellule. Il se promène, le jour comme la nuit. Toujours à Antigua.
Je me suis décidément constitué là-bas une inépuisable mine de souvenirs
où mon cerveau va à son gré puiser les diamants dont il nourrit mes rêves.
Autant qu'il m'en souvienne, je n'ai jamais, sauf les deux premiers jours, rêvé
de prison. Uniquement des images de liberté, de soleil et de paix. Jamais,
non plus, de G5... Une fois encore, mon cerveau pratique l'autodéfense:
lorsque je passais ma vie sur les lieux du crime à contempler les victimes
mutilées, à patauger dans le sang, à découper les corps, à exhumer les cada-
vres putréfiés, je dormais comme un bienheureux. Mais quand le C.A.R.M.E. a
été assassiné, d'un jour à l'autre la cohorte de ces souvenirs abominables a
envahi mes nuits, bâtissant cauchemar après cauchemar durant une année
entière ...
Quand je serai sorti d'ici, peut-être ne rêverai-je que de prison?
Pendant combien de temps?
20 h: Bonne nouvelle: la télévision annonce que les grands froids
semblent terminés. Effectivement, la cellule devient non pas confortable,
mais vivable.

Vendredi 10 janvier
9 h: On me réclame au sous-sol. C'est l'anthropométrie. Il y a longtemps
que j'attendais cela. Je vais voir s'ils ont fait des progrès. El]
D'abord, photographies (face et profil) du visage du fauve assis sur la
fameuse chaise de bois inventée par Bertillon; manque de chance, l'appareil
tombe en panne! Faudra refaire (ou plutôt faire) les clichés dans quinze
jours. Ensuite, relevé des empreintes digitales des deux mains. C'est ce qu'on
1iJ [Ou l ~~:~~ 0 E L0 Ï ( LE RIB A U LT ?

appelle les fiches décadactylaires. Dame! On ne sait jamais! Des fois qu'un
jour on trouverait une de mes empreintes sur une bouteille de G5 lâchement
assassinée ...
Je constate que les techniciens appuient trop mes doigts sur la feuille:
les empreintes sont grasses et écrasées et ne pourraient être utilisées pour
des études de micro-dactyloscopie162 , mais ça n'a aucune importance puisque
les services de l'Identité Judiciaire ont toujours été incapables d'employer
cette méthode, trop sophistiquée pour eux.
Je ne suis pas surpris non plus que les empreintes palmaires (paumes des
mains), pourtant si utiles, ne soient pas relevées, contrairement à ce que je
préconisais dès 1986. Décidément, j'ai, douze années durant, donné de la
confiture à des cochons ...
11 h 30: Dans mon assiette, un merlan bouilli sans sel me regarde d'un
œil glauque sur son lit de patates froides. Quand je pense qu'aux Caraïbes,
on fait griller les poissons encore frétillants sur la plage! Je flanque le
merlan à la poubelle. Encore un qui est mort pour rien. Ou pour la France,
c'est la même chose. J'exécute un impeccable salut militaire devant La triste
dépouille.

Dimanche 12 janvier
5 h: Dans une cellule voisine, un isolé hurle comme un loup. Bien pLus
haut dans La prison, un autre détenu répond. Ce sont Les pLaintes d'hommes
désespérés qui n'attendent rien du jour qui vient. QueLques coups violents
sont ensuite frappés contre une porte, puis le siLence retombe.
Comme toutes les nuits, la cellule est balayée de temps à autre par La
Lumière crue du projecteur situé sur le mirador. On pourrait presque y lire.
Inutile d'essayer de me rendormir.
Je me secoue de la torpeur d'hier et me mets en état de réception. C'est
un état très différent de celui grâce auqueL on peut émettre des messages
par téLépathie, lequel nécessite une forte dépense d'énergie. Pour recevoir,
au contraire, il suffit de se vider L'esprit, littéralement de ne penser à rien,
devenir un simple capteur attentif. Il est possible alors de recevoir une foule
de messages venus de n'importe où, émis par des entités et des personnes
connues ou inconnues. La barrière des langues n'existant pas, La compréhen-
sion est totaLe.
Il y a bien Longtemps que je crois aux forces de l'esprit, mais sans jamais
avoir osé pubLier quoi que ce soit sur le sujet: chercheur déjà «hors
normes», j'aurais ruiné toute ma crédibilité avec l'aide malveillante des auto-

162. Méthode que j'ai inventée en 1983, permettant d'étudier de minuscuLes fragments d'empreintes inex-
pLoitabLes par Les méthodes traditionneLLes.
Clonk! Dl

rités scientifiques officielles. Mais maintenant, dans ce domaine, je n'ai plus


rien à perdre.

Brest, Section de Surveillance du Site de la Marine Nationale, juin 1975.


A,la S.S.S., notre travail est de prélever des animaux et végétaux marins
pour mesurer leur taux de radioactivité, afin de déterminer si les sous-
marins atomiques polluent ou non la Rade de Brest et ses environs.
Chacun sait que les congres ont la vie dure, et résistent des heures en
dehors de l'eau.
Celui qu'on m'amène est un gros spécimen pêché depuis une heure à
peine, et il est bien vivant. A l'aide d'un grand couteau, je sépare la tête du
corps, puis commence à découper ce dernier en tronçons égaux. A la
première entaille, la tête, qui repose dans une bassine, ouvre brutalement la
mâchoire puis la referme. Un hasard, sans doute, auquel je ne prête aucune
attention. Au second tronçon, le même manège recommence à l'instant
précis où le couteau entame la chair. Etrange... J'attends cinq minutes,
immobile. Rien ne se passe. Au troisième tronçon, la tête ouvre à nouveau
la mâchoire! Je décide alors de procéder différemment. Je place la tête"
toujours dans sa bassine, à une extrémité de la paillasse, et les tronçons du
corps à l'autre bout, éloignés d'environ trois mètres. Tout en observant les
tronçons, je pique la tête. Rien. Je déplace la pointe du couteau et appuie à
nouveau. Un des tronçons s'agite brusquement. Je renouvelle l'opération en
piquant la tête exactement au même endroit: le même tronçon «répond»
immédiatement. Je sélectionne une autre partie de la tête et pique à
nouveau: c'est un tronçon différent qui réagit!
Pendant plus d'une heure, je poursuis l'expérience, toujours avec des réac-
tions identiques.
Des camarades ont assisté à la scène, et je leur demande leur collabora-
tion. A plusieurs reprises, dans les jours qui suivent, nous recommençons,
mais dans des conditions expérimentales plus rigoureuses: la tête, séparée
du corps, est posée sur le bureau du commandant (en son absence, évidem-
ment .. .) et le corps sur la paillasse du laboratoire. La distance entre les
deux endroits est d'environ trente mètres et des cloisons empêchent de voir
ce qui se passe dans chacun d'eux. Chacune des deux équipes (l'équipe
«tête» et l'équipe «corps») est composée de membres tirés au sort, dispose
d'un chronomètre et de plusieurs enveloppes cachetées indiquant les opéra-
tions à réaliser à un moment précis alternativement sur le corps et sur la
tête, à tour de rôle et sur un endroit bien déterminé des congres.
Les résultats obtenus sont étonnants et significatifs: le corps des pois-
sons et leur tête réagissent de façon spécifique selon le traitement qu'ils
subissent!
Autrement dit, il Y a indubitablement transmission d'informations. Par
quel moyen? Mystère ... Mais il ne peut en tout cas s'agir que d'énergie.
,c[O"ü! A~ DE Loïc LE RIBAULT?

Je n'aurai pas l'occasion de reprendre ces expériences passionnantes163 •


Par contre, je constaterai souvent, les années suivantes, la force que peut
avoir l'influence de l'esprit tant sur les animaux que sur les humains.

Lundi 13 janvier
La température s'est bien réchauffée. J'ai complètement retrouvé l'usage
de mon doigt, et mon pied me fait moins souffrir.

Mercredi 15 janvier
8 h: Joyeux (un surveillant qui semble toujours heureux de vivre) entre
et nous serre la main. Il veut tout simplement nous dire bonjour et prendre
de nos nouvelles. Il a l'air encore plus ravi que d'habitude:
«Dans deux ans, j'ai la quille!»
«La quille?»
«Ben oui, la retraite! Vous vous rendez compte? Trente six ans que je fais
ce métier! Trente six ans de taule, quoi. Pire que perpète ... »
C'est bien vrai, ça: toute la vie des gardiens tourne autour de la prison,
dont ils n'ont, eux, l'espoir de sortir qu'à l'aube de la vieillesse ... Réflexion
faite, ça ne doit pas être marrant. D'ailleurs, eux aussi ont le «teint de
taulard» dont je parlais voici quelques jours.
14 h: J'apprends par Maguy que le juge a refusé cinq permis de visite à
des amis proches, dont Laurence, Véronique et Luc. Motif: visites interdites
jusqu'à nouvel ordre. Pourquoi? Pour me rendre la vie encore pLus difficile?
Il va de soi qu'ALain R. n'a pas eu la correction éLémentaire (ou Le courage)
de m'en informer; d'ailleurs, La Loi ne L'y obLige nuLLement.
17 h: Pas de courrier. Voici une semaine que je n'ai pas reçu une lettre.
Pourtant, je sais par mon Fan Club que beaucoup d'amis m'ont écrit. Ces
mots, même brefs, me feraient tant de bien ... Peut-être est-ce justement ce
que le juge ne souhaite pas?

Jeudi 16 janvier
9 h 30: Miracle de la technoLogie policière: L'Identité judiciaire a réparé
son appareil photo! On m'emmène donc enfin prendre une image de mon
céLèbre profil grec.

163. Et heureusement. Elles étaient passionnantes, certes, et les résultats fascinants. Mais, avec raide du
temps, je me rends compte que ces expériences étaient monstrueuses: j'étais devenu le docteur Mengele
des congres, en toute bonne conscience. Le problème des scientifiques, c'est qu'ils sont capables de jus-
tifier les pires tortures sous prétexte de faire progresser les connaissances, voire l'Humanité avec un grand
«H» ...
nr
Clonk! Ul

12 h: Entrée d'AxoLotl. On l'a surnommé comme ça parce que blême,


chauve, gras, flasque, il a toujours l'air de sortir de sa grotte et contemple
les détenus avec une méfiance extrême. C'est un des rares surveillants à ne
pas dire bonjour. Ni un mot, d'ailleurs, sauf pour raison de service. C'est le
cas:
«Vous êtes prêt?»
«A quoi?»
«On vous a rien dit?»
«Non ... »
«Vous êtes extrait à treize heures,»
Un éclair de joie m'illumine! Rapide coup d'œil dans la cellule. Je vais
enfin quitter ça!
«Je fais mon paquetage?»
«Mais non! Vous êtes extrait! Pas libéré! Vous allez au tribu nal de
Saintes ... »
Merde! Enorme désillusion. Coup de massue. Fausse joie. Et d'abord,
qu'est-ce qu'on me veut, à Saintes? Personne, bien entendu, n'a eu l'élégance
de m'avertir de quoi que ce soit. .. Un prisonnier, c'est un objet, un pion
qu'on déplace au gré des hommes les plus puissants de France, les juges
d'instruction, invisibles mais omniprésents.
A la fouille, trois gendarmes m'attendent. Ils me prennent mon briquet (pas
le droit de fumer dans la voiture, ça polluerait leurs petits poumons fragiles),
me passent les menottes et m'embarquent dans une 205. Ce qui m'amuse, c'est
qu'ils ont l'air très gênés à mon égard, comme d'ailleurs tous les gendarmes
que j'ai rencontrés depuis la mort du C.A.R.M.E. Ce qui prouve que les hommes
de base, conscients de ce que j'ai apporté à l'Arme (comme ils appellent eux-
même la gendarmerie), montrent envers moi plus de reconnaissance et de
déférence que les crapules galonnées de leur direction générale.
Au péage de l'autoroute, on distribue des fascicules sur les beautés touris-
tiques de la région. Le titre en est ... Evasions!
Arrivés devant le palais de justice, ils m'ôtent les menottes que jusqu'alors
je portais aux poignets pour - le règlement, c'est le règlement - me les
attacher dans le dos. C'est en cet équipage que je traverse la place, sous l'œil
intéressé de nombreux badauds. Chose étrange, un silence total s'abat tout
au long de notre trajet et dans la salle des pas perdus. Honte de voir un
homme enchaîné? Terreur d'être à sa place? Horreur de contempler un
criminel? Moi, en tout cas, je n'ai pas honte de ma condition.
J'apprends par le juge 164 qu'il souhaite m'interroger sur une affaire d'ex-
pertise de tableaux. J'ai déjà été entendu trois fois sur cette affaire! Peut-

164. Je ne me souviens même pas de son nom .••


1 r; ~I A ~ DE Loïc LE RI BAULT?

être le magistrat a-t-il tout simplement envie de faire ma connaissance? Il


faut avouer qu'avant de partir à Antigua, je n'avais daigné répondre à aucune
de ses convocations ...
«Mais alors, s'offusque-t-il, si on ne vous avait pas arrêté, vous ne seriez
pas venu me voir?»
Je ne vais quand même pas lui dire qu'effectivement une telLe entrevue
n'était pas inscrite dans mon planning, pour la bonne raison que j'avais tout
simplement oublié ce brave homme! Je mens donc avec aplomb :
«Oh si! Mais pas tout de suite ... »
« Pourquoi?»
«Parce que j'avais des choses importantes à faire!»
«Et quoi donc? », s'insurge-t-il, vexé.
«Il me semble que le SIDA, L'hépatite et le cancer représentent une autre
urgence que des vieilles croûtes, tout simplement! »
«Chacun voit midi à sa porte! », grince-t-il. «Et je souhaite pour vous
que vous persuadiez Monsieur Alain R. de l'efficacité de votre médicament!»
«Oh, je ne crains rien! Dans mes recherches, j'ai toujours eu raison long-
temps avant tout le monde. La police, la gendarmerie et les magistrats sont
bien placés pour le savoir, non?»
Sujet délicat, pour ne pas dire tabou. Le juge me congédie après un bref
interrogatoire et nous nous quittons assez fraîchement. Naturellement, il ne
daigne pas me serrer la main. Peur de se saLir, sans doute?
Sur la route du retour, mon regard glisse sur les visages des passants, sur
les vitrines, puis sur les paysages qui bordent L'autoroute. En vérité, je
n'éprouve étrangement aucune envie de rejoindre ce monde de pseudo-
vivants ... Ils ont tous vraiment L'air trop sinistre dans Leur environnement
lugubre.
C'est souLagé que je réintègre Gradignan. Presque l'impression de rentrer
à La maison! C'est peut-être pour ça qu'on appelle maisons d'arrêt les
prisons?
Ouf! Rien n'a changé dans La ceLlule. Les minuscules choses qui sont
miennes sont à leur place exacte, et Oscar m'attend.
«C'est bizarre », dit-il. «Tu m'as manqué! Je me suis emmerdé, aujour-
d'hui, tout seul! »
Décidément, je me sens mieux ici que dans le monde qui cet après-midi
m'a paru si inexistant.
«Ah, au fait, ajoute mon compagnon, j'ai gardé ta soupe au chaud!»
Il réfléchit une seconde puis avoue:
«Tu sais, égoïstement, j'ai eu peur que tu sois Libéré!»
Clonk! r
Je suis ému.
Du courrier m'attend aussi, soigneusement rangé par Oscar sur mon lit.
Dix lettres! Dix cadeaux ...
C'est heureux que je m'endors.

Vendredi 17 janvier
17 h: Le courrier!
- Les enfants sont inquiets sur ton sort; pour eux l'incarcération représente
une chose très sérieuse et leur donne une sorte de peur. Tu seras abondamment
questionné à ta sortie. Prépare Les réponses!
- N'oublie pas que le soLeil t'attend dans tes fies de rêve. Au fait, y a-t-il
des requins aux Caraïbes? Les hommes sont-ils aussi beaux que je l'imagine?
- Il te sera difficile d'effacer ces jours de ta mémoire, alors que tant de
gens, tant de malades, ont besoin de toi. Merci d'être ce que tu es.

Dimanche 19 janvier
Anniversaire de Maman. Aujourd'hui, elle aurait eu 86 ans ... Sans doute
vivrait-elle encore sans la stupidité des chiens policiers bordelais lâchés sur
elle par un juge psychopathe ...
7 h 30: A la télé, Monseigneur Lacrampe affirme qu'à Lourdes les malades
ne viennent pas trouver la guérison, mais l'espérance. Si je disais la même
chose pour le G5, je n'aurais peut-être plus de problèmes?
11 h: De nombreux «nouveaux» sont en promenade dans la cour. IL
semblerait que la pêche ait été bonne, ces temps-ci.
23 h: Depuis une heure, toutes les cinq minutes, quelqu'un ricane comme
une hyène dans le fond du couloir. Chaque fois, ses ricanements s'achèvent
sur un sanglot. Sûrement un des nouveaux .. .

Lundi 20 janvier
9 h: Changement de draps! Incroyable! Après à peine quinze jours d'uti-
lisation? Si ça continue, on va nous pourrir dans le luxe et la volupté ...
17 h: Le courrier!
L'heure qu'on attend minute par minute pendant vingt-quatre heure ...
Dame! Une lettre, c'est la preuve qu'il y a quelqu'un qui pense à vous, dehors.
ALors, L'enveloppe-cadeau, je La regarde, je La soupèse, je scrute Le cachet, le
EH.
timbre, L'écriture, Les cicatrices du voyage de cet unique Lien avec Le monde
des autres, dernière parcelLe d'intimité déjà violée par les mains indifférentes
du censeur et ses yeux impudiques qui en ont scruté le contenu si précieux.
,n -- ---
....J L QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?

Quand je reçois du courrier, je le pose en face de moi sur la tablette et


j'attends d'avoir dîné pour le lire. Juste pour faire durer l'unique joie d'une
journée pleine de vide.
La lecture d'une lettre, c'est mon dessert, L'engrais de La dernière chance
pour sauver mon cerveau en jachère.
Aujourd'hui, je reçois une magnifique photographie des halLes de Moutiers
prise par Fabienne, une fleur de bougainviLLier cueiLLie par elle à Antigua et
des timbres: Les utilitaires avec la sinistre tronche de Marianne sans sa mise
à prix, et puis les beaux, ceux qu'on admire sans oser les coller; ceux-là, elle
ne Les a pas choisis au hasard: ça sent si bon la liberté, un fleuve peint par
Corot, l'Horizon et la Mer et un aigle prêt à prendre son envol!

Mardi 21 janvier
Anniversaire de l'assassinat du malheureux Louis XVI par les ayatolLahs de
la Révolution française. A l'époque, ils guillotinaient Lavoisier sous prétexte
que Leur «République », déjà, n'avait «pas besoin de savants ». La mentalité
de leurs descendants est toujours identique ...

Vendredi 24 janvier
Journal télévisé: Je n'avais déjà plus beaucoup de respect pour la médio-
cratie française, mais apprendre que Johny HaLiday est fait chevalier de la
Légion d'honneur, ça me tue! Et entendre Chirac le qualifier de génie, ça
m'achève! Mais il est vrai que les deux acolytes se tutoient ...

Samedi 25 janvier
R.A.S. Je passe la journée à pratiquer assidûment Le sport national: la
non-utilisation des compétences à temps plein ...

Lundi 27 janvier
17 h: Pas de courrier. .. Trois jours sans une Lettre, c'est Long, vide et
triste.

Mardi 28 janvier
Jour du rendez-vous avec mon juge. La journée risque d'être intéressante.
En tout cas, elle commence fort.
Avant la fouille qui précède toujours nos extractions vers le palais dit de
justice, on me pLace dans un sas. Presqu'aussitôt, un autre prisonnier me
Clonk! DL

rejoint. Instantanément, il me déplaît: yeux fuyants, visage de demeuré,


genre crasseux-qui-veut-faire-propre, je le surnomme Gueule-de-Rat. Ce n'est
pas gentil pour les rats, mais c'est tout ce qui me vient à l'esprit.
Quelques minutes plus tard, on nous sort et nous aligne le long du couloir
pour la cérémonie de l'accouplement. Je suis ainsi uni à un homicide cour-
tois, tandis que Gueule-de-Rat se trouve attaché à un braqueur jeune, chauve
et très costaud qui lui demande:
«Dis donc, toi, tu serais pas Machin, par hasard? Le mec dont on racon-
tait les exploits hier soir au Journal Télévisé?»
«Si ... », murmure Gueule-de-Rat.
«Ben figure-toi que j'aime pas les pointeurs de gosse, salope!»
Braqueur nous explique que Gueule-de-Rat a violé une petite fille de onze
ans, et que par conséquent il va se faire un plaisir d'aplatir le monstre dès
que nous serons encagés dans le Camion Aveugle.
«Non! », couine Gueule-de-Rat.
«Mais si, mais si! », confirme Braqueur; taquin. «Mais t'inquiète pas: ça
durera pas longtemps. Moins longtemps que pour la gosse!»
On monte dans le camion.
Gueule-de-Rat, très énervé, rate les marches et glisse. Braqueur le retient
par les menottes:
«Eh, reste avec nous! J'ai besoin de toi juste quelques secondes!»
Les unes après les autres, les portes des dix cages sont fermées: Clonk! .. ,
Clonk!... Clonk!... Clonk! ... (lonk!... Clonk!... Clonk! ... Clonk! .. ,
Clonk! ... Clonk! ...
Au moment où le chauffeur s'assied derrière son volant, on entend un
bruit sourd, un cri et le son cristallin du verre brisé.
D'un coup de tête, Braqueur vient de casser le nez et les lunettes de
Gueule-de-Rat. Le sang a giclé sur les cloisons. Tout le monde rigole. On
emporte la victime gémissante à l'infirmerie et le camion démarre.
«Ce qui m'emmerde, commente Braqueur, c'est que ce soir je vais coucher
au mitard 165 ••• »
Retour à la souricière, cauchemar de tous les détenus. Instruit par mes
précédentes expériences, j'ai pris mes précautions. Dans ma poche-révolver,
j'ai caché trois mots croisés pour tuer le temps, et emporté un paquet de g
cigarettes. 0

165. C'est effectivement ce qui lui arrivera, emmené au cachot dès notre retour et sous nos yeux navrés
par un surveillant compatissant qui lui dit : «Mais enfin! Franchement... Tu aurais pu être discret, au
moins! Y a d'autres moyens! »
ll- OUï" A
..J ~I
p~ DE Loïc LE RIBAULT?

Avec moi, on a enfermé mon co-menotté, un «coups et blessures volon-


taires ayant entraîné la mort sans intention de la donner» et un homme d'une
soixantaine d'années qui n'ouvre pas la bouche.
On vient me chercher presque aussitôt.
Menottes aux poignets, je suis conduit dans le bureau du juge. Ambiance
glaciale. Nous ne daignons pas nous dire bonjour. Aucun commentaire de part
et d'autre sur ma détention ni sur les conditions dans lesqueLLes elle se
déroule. Pas un mot sur les menaces de mort dont j'ai été victime.
Je suis curieux de savoir ce qu'on me reproche exactement; je ne suis pas
déçu: le dossier est totalement vide!
Nous commençons par l'historique de mon crime contre l'humanité, revu
et corrigé par divers rapports de gendarmerie, dont un croustillant émanant
de la brigade d'HoueilLès (47), établi à partir ... d'articles de journaux! Son
auteur n'a même pas été capable de comprendre ce qu'il lisait. .. Quand je
pense que des gens sont inculpés sur la foi de «synthèses» d'enquêteurs d'un
pareil niveau, j'en frémis!
La suite des pièces concerne des analyses de toxicité faites à la demande
de la société Sodisi[166 dans un laboratoire d'expertises ... qui n'existe pas
(mais néanmoins officiellement agréé par la D.D.A.S.S. !). Je ne suis donc pas
concerné.
Suivent des pièces relatives à des analyses toxicologiques folkloriques
réalisées pour des applications cosmétologiques, mais cette fois pour le
compte de SLDI. Là non plus, à l'évidence, je ne suis pas concerné.
Puis on en arrive aux plaintes de clients dont je suis censé être l'objet.
Comme je m'y attendais, toutes, sans exception, sont déposées contre Sodisil
et SLDI! Pas une contre moi! Ce point ne me concerne donc pas non plus ...
Restent les plaintes déposées à mon encontre par l'Ordre des médecins et
la D. D.A.S.S. Là, pas de problème: j'ai revendiqué moi-même ma «faute»
devant les caméras de télévision, précisément pour provoquer enfin une réac-
tion officielle.
«Faudrait tout de même que je fasse faire une copie de cette émission
télévisée! », lance le juge.
Eh oui, il faudrait. ..
Le bouquet est le moment où je dois expliquer à R. la différence entre les
organo-siliciés des différentes générations fabriqués à l'aide de méthyLsilico-
nate de potassium avec acide salicylique, ou acide citrique, ou acide orga-
nique quelconque mélangé à de l'hyposulfite de sodium, ou enfin le dernier
(le G5), dont je garde la formule jalousement secrète et refuse de révéler. Ce

166. Avec laquelle je n'ai bien entendu aucun rapport.


(lonk! [

sont des instants émouvants au cours desquels je peux tester les connais-
sances scientifiques du juge entre les mains duquel, néanmoins, mon sort se
trouve jeté par la volonté du peuple de France représenté par le Procureur de
la «République ».
Ubu et Kafka réunis, avec heureusement une pointe de Courteline.
La réunion est interrompue par la pause déjeuner durant laquelle je
rejoins mon cachot.
Mes compagnons, tous du troisième, me demandent de quel étage je suis.
Quand je leur indique que c'est le premier, ils ont un mouvement de recul. Je
crois bon de préciser:
«Oui. Mais pas pour ce que vous croyez! Je suis à l'isolement. Plusieurs
cellules d'isolés ont été regroupées au premier.»
«C'est vrai», confirme Homidde. «On me l'a déjà dit.»
Coups-et-Blessures-Volontaires soupire:
«Ben dis donc, tu vas pas rigoler, cet été!»
« Pourquoi?»
« Parce que, pour faire chier les pointeurs, on leur balance tous les restes
des repas depuis les étages supérieurs; ça tombe sous les fenêtres des
cellules du premier. Et comme le nettoyage dehors n'est fait qu'une ou deux
fois par semaine, je te dis pas comme ça schlingue en été! Une horreur! Sans
compter les mouches! Et les guêpes! .. , »
J'imagine sans peine ...
Je proteste:
«Eh, pas de blagues! Y a pas que des pointeurs en bas, maintenant! Y a
les isolés, aussi!»
«Oui, ça va poser un problème ... », concède Coups-et-Blessures-
Volontaires.
«J'ai une idée », lance Homidde. «Vous êtes bien tous au début du
couloir, et les pointeurs dans le fond?»
«Oui. »
«Alors c'est pas difficile: On va faire passer le message de ne balancer les
merdes que devant les cellules du fond! »
Fallait y penser. Ainsi s'organise la justice en prison.
A quatorze heures, reprise d'audition.
Le dossier apparaît de plus en plus désert. C'est un squelette de papier
sans aucune consistance. Son néant donne une assez juste idée de la notion
d'infini.
Au bout d'un moment, mon esprit s'évade. C'est une technique que j'avais
découverte lorsque j'étais enfant, élève réputé studieux de l'école primaire.
]0
1 QUI A_~~ DE Loïc LE RI B AU LT ?

J'avais constaté qu'en fixant mes professeurs un long moment, leur image se
mettait brusquement à rapetisser, comme un avion s'éloignant à l'horizon.
Quand ils étaient devenus minuscules, je me trouvais comme transporté au-
dessus de la salle de classe, que je pouvais contempler dans son entier, y
compris l'élève Le Ribault sagement assis sur son banc et apparemment très
attentif.
Lorsque quelqu'un m'ennuie, c'est une technique qu'il m'arrive encore
d'employer avec succès, comme à cet instant précis: Le juge, qui n'est déjà
pas grand, devient tout petit, tout petit derrière son bureau qui rétrécit à
vue d'œil, et je contemple avec amusement la pièce où mon corps se trouve,
mon avocat à ma droite, un policier derrière mon dos et la greffière qui tape
frénétiquement sur son ordinateur.
Installé là-haut, je comprends soudain pourquoi mon malheureux juge
m'en veut tant. Il est de ceux qui ne m'ont jamais pardonné de les avoir
contraints à se former aux méthodes modernes de police scientifique, qui se
souviennent avec angoisse de l'époque encore si proche où lui et ses sembla-
bles venaient, tremblants, péteux, largués, paumés, minables, me demander
de sauver une affaire gâchée par leur incompétence technique ou ceLLe de
leurs enquêteurs de la police ou de la gendarmerie.
Il tient enfin à sa merci celui qui, durant des années, lui a fait si peur! ...
Il tient sa revanche, le petit homme, une revanche exactement à son
image: malsaine, mesquine, médiocre ...
Quand je redescends sur terre, le juge sort de sa poche un paquet de ciga-
rettes blondes et en allume une. C'est le moment de le tester, quoique je
devine sa réaction; à mon tour, je saisis mon paquet de Gitanes et le lui
montre:
« Je peux?»
«Non! C'est mon bureau! Ici, il n'y a que moi qui ai le droit de fumer! »
Je range mon paquet. Tchikaya a l'air scandalisé. Le juge se tourne vers
lui :
«Oh, ce n'est quand même pas de la torture, Maître ... »
Tchikaya ne dit rien. Alain R. poursuit:
« ... Parce que, sinon, mon bureau serait enfumé ... »
Silence absolu de l'inculpé et de son avocat. Le policier se râcle la gorge.
La greffière scrute intensément son écran.
« ... d'ailleurs, je ne m'accorde que deux cigarettes par jour au
maximum ... »
Je louche ostensiblement sur son cendrier où reposent déjà trois mégots.
« ... rarement plus ... »
Clonk! nr
iil

Silence de glace.
«Bon, allez, on continue!»
Je suis sûr que son clope a un goût amer. Je regrette d'avoir montré mon
paquet de Gitanes, sinon je lui aurais dit que je ne supportais pas la fumée;
ça aurait été beaucoup plus drôle!
Cette attitude de R. confirme pleinement l'idée que je me suis faite de lui
depuis que j'observe attentivement le spécimen, ses réactions et le décor de
son bureau; le constat est à la fois navrant et inquiétant: mon juge est un
dangereux psychopathe ...
C'est à dix huit heures qu'on me ramène enfin à la souricière, où je donne
deux consultations à des policiers avant de réintégrer mon cachot. Les
dernières heures dans cet enfer sont toujours les plus longues. Mes co-
détenus consultent leur montre:
«Merde! Dix neuf heures! On a loupé FR3 Aquitaine! »
«Le principal, c'est qu'on soit chez nous pour le film de la Une ... »
La télévision, décidément, tient une place énorme dans la vie des prison-
niers. Il faut dire que c'est leur seule distraction, un moyen de s'évader dont
ils ont un besoin vital.
Vers vingt heures, enfin, le Camion Aveugle s'ébranle vers la prison au son
d'un rap endiablé chanté par un braqueur qui vient de «prendre» seulement
quatorze mois, soutenu à gorge déployée par ses copains dealers qui ont eu
moins de chance (six ans).
C'est avec plaisir que je retrouve la 124 où Oscar, toujours attentionné, a
gardé ma soupe au chaud dans le toto. Cinq lettres m'attendent sur mon lit,
pleines de messages et de marques d'affection.

Mercredi 29 janvier
14 h: Mon Fan Club va venir au parloir. Dans le sas, on fait entrer un type
d'une soixantaine d'années que je connais de vue. Je sais qu'il a violé une
fillette. Je ne le supporte pas: il a l'air glaireux, cartilagineux, ses ongles
sont démesurés et il pue. Comme d'habitude, j'ai pris ma place près de la
fenêtre ouverte, sous laquelle des prisonniers jouent au ballon. Le pédophile
veut entamer une conversation:
«Ah ben ici, au moins, il y a des grillages devant les barreaux!»
Je ne réponds pas.
«On devrait en mettre comme ça à toutes les fenêtres des étages supé-
rieurs ... »
Silence.
11 QUI A--~-~~ DE Loïc LE RIBAULT?

« ... parce que ça les empêcherait de nous balancer des ordures sous les
fenêtres en été, hein? Pas vrai? Parce que tu es du premier, toi aussi, non?»
Mutisme.
Dans la cour, le haut-parleur annonce la fin de la promenade. La larve
poursuit:
« Allez, en taule, les fainéants! »
Ignorance.
«Tous de la racaille, les types des étages, hein?»
J'explose:
« Casse-toi! Tu pues!»
Comme atteint par une décharge électrique, le déchet court se réfugier à
l'autre extrémité de la cellule et se tait.
17 h: Courrier!
- Quand je pense que tu es allé à Saintes avec les menottes dans le dos -
comme un criminel -, toi qui ne ferais pas de mal à une mouche, je suis un
peu dégoûtée de la justice.
- J'ai honte de la justice de mon pays quand je pense à toutes les crapules
qui nous entourent. Toi qui n'as jamais fait de mal à une mouche (tu l'aurais
sans doute soignée) ! Moi, je crois en toi et au G5.
Décidément, les mouches témoignent en masse dans le comité de soutien,
aujourd'hui!

Vendredi 31 janvier
La télé nous apprend deux choses: que 600 000 Français, probablement
contaminés par l'hépatite C, attendent « la mise au point d'un traitement dans
les années qui viennent (sic)) et que « la majorité des Français n'ont pas
confiance dans leur justice» ...
Je représente donc une intéressante synthèse, puisque je peux guérir l'hé-
patite C et que je suis en prison, ce qui prouve effectivement qu'au moins
600 000 hépatiques ont d'excellentes raisons de douter de la justice.
19 h 15: A FR3, on annonce que la prison de Gradignan a organisé hier
une opération «portes ouvertes» (dans le mauvais sens, hélas!). Pourquoi?
Pour proposer aux entreprises régionales les services de ses ateliers, dans
lesquels travaillent soixante-dix détenus qui disposent «d'un grand savoir-
328 faire»et, surtout, «ne coûtent pas cher», puisque «s'ils n'étaient pas là, les
entreprises seraient obligées de confier leur travail dans des pays sous-déve-
loppés». Bravo! Comme ça, au moins, on est fixé: la prison est un réservoir
d'esclaves sous-payés à la disposition des chefs d'entreprises, grâce auxquels
l'administration pénitentiaire fait son beurre!
Clonk! DI

Pour moi, c'est quand même une situation paradoxale: venir d'un pays qui
s'est enfin débarrassé de trois cents ans d'esclavage pour me retrouver dans
une réserve d'esclaves en pleine expansion, il y a de quoi pleurer, non?

Lundi 3 février
19 h 15: Journal télévisé de FR3. Chaban, Valade et Martin ont été convo-
qués à une audition chez un juge d'instruction bordelais. Seuls les deux
derniers se sont présentés, et sont sortis libres. Il faut dire qu'on ne Les
suspecte guère que d'être compLices d'un petit abus de biens sociaux d'à
peine 1 500 000 €. Une broutille. Le premier, au dernier moment, a fait état
(par écrit) de graves probLèmes de locomotion qui l'empêchaient de se rendre
à La convocation. Magnanime, le juge a déclaré qu'il se rendrait Lui-même au
domicile de Chaban pour L'entendre. Tiens, mais au fait, ce juge si compré-
hensif, qui est-il?
Ben c'est Alain R., figurez-vous! «Mon» juge! Y aurait-iL deux poids et
deux mesures?

Jeudi 6 février
7 h: Oscar est déjà debout, Lavé, tout prêt. Il a même déjà pris son petit
déjeuner. C'est qu'aujourd'hui il rencontre «son» juge, qui décidera de sa
Libération ou de son maintien en détention. J'espère sincèrement qu'il sera
libéré, car il supporte très mal la prison. Depuis deux jours, il broie du noir,
déprime et ne parLe presque plus. Dans la cellule, l'ambiance est pesante.
Mais sans agressivité, natureLLement.
9 h 30: J'ai rangé La celLule, fait Le Lit et je commence à travailler. Je n'en
reviens pas. Ce sont mes premières heures d'intimité totaLe depuis 57 jours!
Neuf mètres carrés pour moi tout seul! Je me sens bien. Serais-je un soli--
taire qui s'ignore?
la h. La saga du dentier (fin): Par L'infirmerie, je reçois un mot du
Professeur David. Il m'informe qu'en fait ma prothèse n'en est pas à un stade
assez avancé, et qu'il serait nécessaire que j'aille à Arcachon moi-même pour
L'essayer. Il précise que l'administration pénitentiaire a donné son accord.
Mais pas encore le juge.
Autrement dit, j'ai peu de chance d'avoir mes crocs avant ma sortie.
15 h: J'écris d'arrache-stylo à tous mes amis. BI
19 h: Oscar revient effondré. Aujourd'hui, son juge avait ses règles.
Monsieur a joué les prima dona. Il a dit à mon compagnon «qu'il y avait de
nouveaux éléments dans le dossier», mais sans daigner lui préciser lesquels.
Dire que la liberté d'êtres humains se joue sur les sautes d'humeur de tels
J 0L~~~ DE Loïc LE RI BAULT ?

micro-potentats dotés de pleins pouvoirs exerçant leurs macro-dictatures


sans le moindre garde-fou!

Vendredi 7 février
16 h: Histoire de personnaliser la cellule, j'ai confectionné à mon tour
deux bOltes en carton, l'une grâce aux sucres Beghin Say, l'autre aux
mouchoirs en papier Labell; ça m'occupe et ça fait deux «espaces range-
ment» pour les fiches de cantine et les gommes, stylos et cure-dents d'Oscar.
La création intellectuelle m'ayant coûté très cher, peut-être pourrai-je me
reconvertir dans les travaux manuels à ma sortie de prison?

Vers 1960, lycée de Meaux. Monsieur Mouche est mon professeur de


mathématiques. Doté d'une imposante moustache à la Nietzsche, trapu, avec
des mains comme des battoirs, déjà très vieux (il a au moins cinquante-cinq
ans), il nous enseigne aussi le dessin industriel. Outre un excellent profes-
seur, c'est un philosophe.
Si je suis incontestablement d'une nullité crasse en mathématiques, j'ex_
celle en dessin industriel et en travaux manuels.
Un jour où j'ai été encore plus lamentable en calcul que d'habitude et que
les forts-en-maths s'esclaffent cruellement, il lance:
«Vous avez tort de rire, bandes d'imbéciles! Loïc s'en sortira toujours
dans la vie grâce à ses mains. Plus ça ira, plus le monde aura besoin d'ar-
tisans et moins d'intellectuels fumeux! »
Quand il nous rend un devoir en classe, il commence par donner les notes
de ceux qui ont fait un sans faute, ou presque, puis met de côté les copies
des cancres, parmi lesquels on me compte toujours. Ces copies-là, il se garde
bien de les noter, car il a un cœur d'or. Puis, après avoir libéré les bons
élèves, il réunit les cancres autour de lui, et nous dit:
«Je suis très content de vous. Parce que, maintenant, je vais vous expli-
quer les erreurs que vous avez faites, et je suis sûr que vous ne les commet-
trez plus jamais. Tandis que les autres (et il désigne de son pouce énorme
les bons élèves qui jouent dans la cour), je ne suis pas sûr du tout que la
prochaine fois ils ne se trompent pas ... »

Dimanche 9 février
9 h: Lucky Luke nous propose une promenade dans la fosse aux ours. Avec
Oscar, nous nous consultons brièvement. Dehors, le soleil brille. OK, on y va.
On se prépare comme si nous partions pour un long week end à la campagne.
Nous ne sommes pas sortis depuis le 26 décembre!
Clonk! 0
Le lieu de misère n'a pas changé, hélas! Toujours aussi dégueulasse ...
Le froid nous saisit. Le soleil est bien là. Mais un soleil de France: il a la
forme du soleil, l'éclat du soleil, la couleur du soleil, mais le froid de la
banquise. Un soleil faux-jeton, quoi ...
Au pied du mur de béton, les trois minuscules plantes sont encore là,
toujours aussi fragiles et malheureuses. Je me jure d'en cueillir une (peut-
être les trois?) avant de partir pour l'emmener avec moi pousser heureuse
aux Caraïbes.
Quand on nous ramène, une heure plus tard, Lucky Luke s'étonne:
«Mais vous êtes bleus! Allez vite vous réchauffer!»
12 h: Lucky Luke ouvre la porte pour le déjeuner:
«Ah, ça va mieux», pouffe-t-il. «Maintenant, vous êtes bleu clair! »
Tiens, ça me rappelle une histoire où il était question de rose et de noir ...

Mardi 11 février
6 h 45: Réveil.
J'ai été arrêté le 12 décembre, mais officiellement incarcéré le vendredi
13, jour de chance traditionnellement reconnu comme tel. Aujourd'hui, je
comparais devant la Chambre d'accusation, et c'est mardi gras! Pour réparer
sa dernière bévue, peut-être le sort me sera-t-il favorable ce coup-ci?
Départ pour le palais de justice.
Dans le Camion Aveugle, nous ne sommes que quatre. Une voiture de
police ouvre la route, actionnant de temps à autre son deux-tons. Mes
menottes sont trop serrées et me blessent le poignet gauche. Dans ma tête,
les cocotiers s'étiolent et le bleu de la Caraïbe pâlit.
Je vais à l'abattoir.
Dans la souricière, on m'affecte le cachot numéro cinq, qui fleure bon la
pisse, la merde et le tabac froid. Dame! Il est moins de huit heures, le
nettoyage n'a pas encore été fait. Pas grave: telles qu'elles sont, les bauges
sont bien assez bonnes pour le bétail qu'on y entasse.
On me sort dix minutes plus tard.
Aujourd'hui, les policiers chargés de l'accompagnement innovent: c'est
par quatre qu'ils nous attachent, file d'esclaves oscillant dans les couloirs,
trébuchant dans les escaliers mal éclairés et trop étroits. L'arrivée du trou-
peau de bêtes ne passe pas inapercue dans L'immense saLLe des pas perdus,
que nous traversons pour gagner un minuscule sas jouxtant La salle de la
B1
Chambre d'ac'. On nous laisse seuls. Deux de mes compagnons sont des
braqueurs, l'un un meurtrier et c'est Les mains toujours liées que, sans façons,
nous faisons connaissance.
1 ~J [}WIAPru-RJ DE Loïc LE RI BAULT?

Un avocat que je connais bien entre et me serre la main, ce qui fait


évidemment lever la sienne à mon voisin le meurtrier:
«Alors, Monsieur Le Ribault, comment se passent ces vacances?»
«Bof ... »
«Qui c'est, votre juge?»
«Alain R... »
L'avocat prend un air catastrophé:
«Oh, mon pauvre! Vous avez hérité du plus frapadingue de toute
l'Aquitaine! Il est bon à interner! Le pire, c'est que tout le monde le sait,
mais que tout le monde se tait. .. Bonne chance quand même!»
Lorsque c'est mon tour d'entrer dans l'arène, Maître Tchikaya a juste le
temps de me glisser:
«Insistez sur l'aspect scientifique! »
Dont acte.
Coup d'œil sur la cour. Horreur! A part le président, rien que des femmes!
Et mon expérience des jurys m'a appris que ce sont les pires, Les moins indul-
gentes pour Les prévenus et les plus crueLLes dans leurs réquisitoires ...
C'est une blonde fadasse à lunettes qui lance l'attaque. Mon énorme
dossier en face d'elle, eLLe énonce d'un voix impersonneLLe la liste de mes
méfaits.
J'écoute sans broncher. De toute façon, je ne caresse aucune illusion,
même dans le sens du poil.
«Donnez-nous maintenant votre version des faits, Monsieur Le Ribault,
m'invite le Président lorsqu'elle a fini.»
En dix minutes, j'ai terminé.
C'est ensuite au tour de mon avocat, exceLLent dans sa plaidoirie. Il
brandit une liasse de témoignages de patients, en lit quelques-uns, décrit les
conditions lamentables de ma détention, le froid, les privations, s'étonne
qu'on ait osé m'emprisonner, rappeLLe l'histoire du C.A.R.M.E., ce que me doit
l'institution judiciaire, demande qu'on me décerne la Légion d'honneur,
précise que «dans des pays plus intelligents» on s'arracherait mon cerveau au
lieu de me salir, qu'en France existent une multitude de subventions dont je
n'ai jamais profité mais qui pourraient m'être fort utiles, et termine en lisant
la lettre de remerciements que m'avait écrite le préfet de la D.S.T. en 1982.
Il termine en demandant ma libération immédiate, à l'extrême limite assortie
d'un contrôle judiciaire.
C'est ensuite le tour de l'avocat de la D.D.A.S.S. et de celui de l'ordre des
médecins. Le premier demande mon maintien en détention, le second s'en
remet à la décision de la Cour. Aucun des deux n'a parlé plus d'une minute!
Clonk! 01

L'Avocat(e) général(e) se lève enfin et commence par demander - on


s'en serait douté - mon maintien en détention, reprenant point par point
les arguments de mon juge, puis s'assied au bout de trois minutes, l'air
épuisé.
Le Président me demande si j'ai quelque chose à ajouter.
Non, si ce n'est que je me permets de rappeler que pas une seuLe plainte
de patient n'a été déposée contre moi, mais uniquement contre des sociétés-
bidon dont je m'étonne que Les responsabLes ne soient pas à ma pLace.
Fin du spectacle de Mardi Gras. J'ai vraiment eu L'impression d'assister à
une mauvaise représentation de théâtre dans LaqueLLe chaque acteur (à L'ex-
ception de Tchikaya) jouait son rôLe sans conviction aucune.
Avant que je ne sorte, Le Président m'informe que La Cour rendra sa déci-
sion Le jour même, à La fin de L'audience.
Exit le criminel.
Dans le sas, c'est maintenant la fouLe. Deux de mes compagnons sont
partis (les deux braqueurs), mais ils ont été remplacés par deux autres
inculpés (un vioLeur et un assassin) accompagnés de six gendarmes. On est
serré comme des sardines. Tandis qu'on m'attache, un des gendarmes me
dévisage et finalement se décide:
«Excusez-moi, mais vous ne seriez pas Monsieur Le RibauLt, par hasard?»
«Si, si, c'est moi ... »
« C'est bien vous qui aviez créé Le C.A.R.M.E. ?»
« Hélas oui! ça restera même le remords de ma vie! J'ai gâché douze ans
de mon existence et je me suis ruiné pour sortir des cons d'une préhistoire
qui leur allait comme un gant!»
«Quels cons? demande naïvement un jeune gendarme.»
«Ben vous, par exemple.»
«Comment, moi? », s'insurge Jeunot. «Vous me traitez de con?»
«Oh, pas vous en particulier: je parle des cons en général, ceux de la
police, de La gendarmerie et de la magistrature. Des salauds, quoi. Des
ingrats. Des fripouilles. Des incapabLes ... "
«Vous osez nous traiter ... », commence Jeunot, violet de rage.
«Non, pas vous, je vous dis! Vos directions respectives. Vous, vous êtes
seulement des lâches, des veaux en uniforme ... »
«Grogngngndedjûûû ... », commence Jeunot, prêt à se jeter sur moi.
«Tais-toi et reste tranquiLLe », Lui ordonne Gendarme N°l, qui poursuit:
«En ce qui concerne nos directions respectives, je vous comprends. Mais
pourquoi dites-vous que nous sommes des lâches?»
1 r ~ U I ~R I DE Lo ïc LE RIBAULT?

«Parce que, parmi les centaines de gendarmes que j'ai formés, deux seuLe-
ment ont osé m'écrire pour m'apporter leur soutien quand mon labo a été
assassi né ! »
N°l ne dit rien, mais, intrigué, Gendarme N°2 L'interroge:
«Formés? Mais formés à quoi?»
«Oui, qu'est-ce qu'il vous a appris, notre collègue?», questionne,
intrigué, Assassin. «Il vous a fait école?»
«Exactement», dit W 1. «Il nous a enseigné la police scientifique.»
« Ah ça, La poLice scientifique, elle en a fait, des progrès, depuis dix
ans! », s'extasie Gendarme N°3.
«Ah oui, putain », gémit Assassin en soupirant. « C'est même à cause de
ça que je suis Là ... »
« Eh ben ça, tu vois, c'est grâce à Monsieur Le Ribault!», explique N° 1.
« Bordel! C'est pas ce que t'as fait de mieux!», dépLore Assassin en tour-
nant vers moi un œil accusateur.
«Je suis bien d'accord», approuvé-je. «Si tu savais comme je regrette! »
« Faute avouée est à moitié pardonnée », dit mon coLLègue. « Surtout que,
si j'ai bien compris, ils t'ont fait cocu, ces pourris?»
« Exact. .. »
«Tu vois, faut jamais faire confiance à ces trouducs ... »
« Miâââârcrgngngn », fait Jeunot, qui vient de retrouver son souffle.
«Ta gueuLe!», Lui intime N°l. Puis, se tournant vers moi, iL ajoute: «J'ai
Lu dans les journaux ce qui vous arrive maintenant. .. »
«Qu'est-ce qu'il y a? T'as encore fait le con? », demande Assassin.
Pressé par l'auditoire, je raconte ma dernière mésaventure. Là, c'est l'una-
nimité: tout le monde, inculpés, policiers et gendarmes, est révolté.
Personne ne comprend pourquoi je suis incarcéré. Sur cet échantillonnage de
population indubitablement pris au hasard, j'ai la réconfortance surprise de
constater que tous portent un jugement extrêmement sain sur l'affaire.
«Faut pas les laisser te détruire », décrète Assassin. «Même s'ils te
gardent au ballon, faut que tu gueules! Faut que tu foutes la merde!»
« Il a raison!», approuve le chœur des gendarmes, Jeunot compris.
«Au fait», demande Assassin, «c'est bien à Antigua que tu étais?»
«Oui. »
«Est-ce qu'au moins tu es allé prendre un verre chez Peter, dans son
hôtel? »
«Peter? »
«Ben oui, Peter, du Sand Haven!»
Clonk! Of

Je suis abasourdi!
Le monde qui m'entoure est irréel! C'est sûrement un coup de la Caméra
Invisible! Me voilà dans une minuscule salle du palais de justice de
Bordeaux, emprisonné sans raison, entouré de gendarmes venus de
Périgueux, assisté de mon avocat congolais, menotté à un jeune assassin
marocain, en train de raconter à un truand marseillais que j'ai vécu trois mois
à Antigua dans la chambre numéro onze de l'hôtel Sand Haven tenu par
l'Anglais Peter, comme chacun sait! ...
«Ah oui, la onze ... au premier étage à gauche ... », précise Assassin.
«C'est ça ... c'est ça ... »
C'est en excellents termes que nous nous quittons, tout le monde uni pour
me souhaiter bonne chance.
20 h: Pas de réponse de la Chambre d'accusation ... Reste? Reste pas? De
toute façon, si on a quelque chose à me dire, on sait malheureusement où
me trouver ...

Mercredi 12 février
14 h: Parloir. Une frêle
silhouette entre dans le box.
Surprise: c'est Laurence (Fig.
80), à laquelle Maguy a genti-
ment laissé la place aujourd'hui!
Ainsi, le juge a fini par lui
donner le permis de visite qu'elle
(et plusieurs autres) attendent
depuis deux mois! Joie des retro-
uvailles, depuis le temps que Fig. 80: Laurence et mon père à L'inauguration des
nous ne nous sommes pas vus! nouveaux bâtiments du C.A,R.M.E.
Mais que c'est bien court une
demi-heure pour résumer des
mois d'aventures!

Jeudi 13 février
Selon le New-York Times, la France vit dans un musée et s'affaisse. Il suffit
d'aller aujourd'hui à Londres ou à Berlin pour se rendre compte combien Paris
est devenu éventé et sans énergie. Le journal s'étonne notamment que les ~31
innovations technologiques (Internet, par exemple) qui ont si bien réussi
aux Etats-Unis demeurent presque inconnues en France, comme l'a lamenta-
blement démontré Chirac en découvrant voici à peine quelques semaines ...
l'usage de la souris d'ordinateur!
JO OUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT ?

13 h: Lucky Luke, qui prend son service, entre dire bonjour et demande si
je sais quand je vais être libéré. Au parloir, «on» dit que c'est pour tout à
l'heure.
15 h: Entrée de Grincheux. Nous sommes en train de nous abrutir de télé-
vision, Oscar moëlleusement allongé sur son lit, moi faisant nerveusement
les cent pas.
«Alors? C'est ce soir que tu fais ton paquetage?»
«J'en sais rien ... »
«Mais si, ça va être bon! Ton avocat a de l'espoir. Pourtant, hein, tu étais
bien, ici, avec nous?»
«Mmmmoui. .. mais je serai tout de même mieux à Antigua ... »
16 h 30: Retour de Grincheux.
«Alors? Pas de nouvelles?»
«Eh non!»
«Ah, merde!»
«Clonk! »
17 h: Heure limite d'autorisation de visite pour les avocats. Et toujours
rien ...
17 h 45: Pour me remonter le moral, sans rien me dire, les auxiliaires me
servent double ration de tartelettes aux poireaux.
20 h: Le Camion Aveugle rentre du palais, apparemment sans instructions
me concernant. Je suis flambé .. .

Vendredi 14 février
Jour de la Saint Valentin ...
9 h: Lucky Luke nous propose de prendre une douche. Quand j'arrive
devant la porte de la salle d'eau, Grincheux est assis sur son petit tabouret,
d'où il dirige les manœuvres du parloir. Il m'appelle, étonné:
«res toujours là?»
Il a l'air au moins aussi navré que moi et poursuit:
«rinquiète pas, va! Ici, au moins, t'es en sécurité. ras déjà vu la «une»
d'un journal avec un titre du style «un détenu écrasé par un camion fou dans
la cour d'une prison» ?
«Non, c'est sûr ... »
«Alors, va prendre ta douche tranquille! Sûrement qu'ils n'ont pas encore
fini de délibérer ... »
('est à quatorze heures, ce jour-là, tandis que j'écrivais ces derniers
mots, qu'on est venu me chercher pour aller au parloir.
Cl on k •' llJ Lr

lorsque je suis assis, Maguy, un grand sourire aux lèvres, m'affirme que je
suis libéré!
Coup de massue.
Je n'y crois pas ...
Grincheux, qui a tout entendu, s'approche et, au travers des grilles, me
félicite chaleureusement.
Je refuse de me réjouir. Je veux des preuves, des papiers, du sérieux. Je
ne veux pas de fausse joie: ça me tuerait plus sûrement qu'un coup de fusil.
Quand je reviens à la 124, AxoLotL, toujours impassible, me confirme
qu'aucune instruction écrite me concernant n'est parvenue au greffe.
Qu'est-ce que je disais! J'avais bien raison de ne pas me réjouir trop tôt!
Un quart d'heure plus tard, Grincheux est là:
«Alors, t'es prêt? T'as fait ton paquetage?»
«Non, pas tant que je n'aurai pas reçu de documen~ officiel!»
«Mais ton avocat est en bas! Il t'attend! »
«Rien à faire! Je veux des preuves!»
Je m'accroche aux barreaux de la fenêtre. C'est sûrement un piège. Je ne
veux pas quitter «ma» 124!
Oscar essaie de me convaincre. En vain.
lui et Grincheux décident alors d'employer les grands moyens: ils défont
mon lit et commencent à emballer mes affaires dans une des deux couver-
tures posées sur le sol.
Oscar ne peut pas être complice, tout de même!
Alors, je commence à y croire.
Vite, je donne à mon compagnon mes restes de cantine, le papier à lettre,
des timbres, des enveloppes. Et même deux paquets de Gitanes, à tout
hasard 167 • Je laisse aussi quelques cigarillos pour les auxiliaires.
La suite?
Juste des flashs dans ma mémoire.
Grincheux dévalant les escaliers avec moi, qui porte mon baluchon sur
l'épaule.
Une rapide poignée de main et un bonne chance!
Maitre Tc'hikaya qui m'attend au greffe, où l'on me rend toutes mes
affai res. El[
La galopade avec lui vers le poste de sortie.
--- -----
167. Ennemi déclaré du tabac, Oscar Les fumera pourtant toutes en attendant sa Libération, intervenue
seuLement un mois pLus tard.
JO rouI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?

La dernière attente, tandis que, dehors, là-bas, à quelques mètres à peine


- si loin -, je distingue derrière les vitres grillagées Maguy qui m'attend
sous la pluie, dans le monde des gens Libres.
Angoisse que ce soit une erreur, qu'au dernier moment on m'empêche de
sortir. Qu'on m'enferme à nouveau ...
Et puis, soudain, la griLLe qui s'ouvre.
Embrassades.
Il pleut à torrent. Trempé en quelques secondes, je suis le plus heureux
des hommes!
Une jeune femme toute frêle s'approche de moi. Je ne la connais pas. ElLe
me serre la main, la tient longtemps dans la sienne. ElLe dit:
«Je suis si heureuse quand j'en vois sortir un! Lui, il est encore
dedans ... »
Merde! J'ai oublié de faire évader les petites plantes de la fosse aux ours!
Impression de trahison ...
Les voitures sont à cinquante mètres à peine, une distance énorme pour
moi. Je dois m'arrêter à plusieurs reprises: je ne sais plus marcher! L'air me
soûle, la tête me tourne.
Ix-Le-Chien, qui lui non plus n' «y» croyait plus, m'offre une fête endia-
blée.
Les deux premières bières de la Liberté, celles dont on rêve si souvent en
prison, prises dans un petit bar désert.
Sur la route de Gujan, Maguy conduit; Ix-Le-Chien s'est instaLLé sur mes
genoux et soupire d'aise à chaque minute. On rentre à la maison! .. .
Autour de nous, le paysage est gris sous le ciel gris du gris pays .. .
Chez Maguy, je me sens perdu. J'ai pris l'habitude d'avoir tous mes biens
minuscules à portée de la main, à portée des yeux, sans avoir même à bouger
de ma chaise ... Ici, je suis brutalement noyé dans l'immense espace de sa
petite maison .. .
HUIT ANS DE CAVALE

'------------------'---_. -r- -
'--__ __--i
J
Près de deux mois passent ...
... deux mois au cours desquels je dois réapprendre à vivre normalement,
à marcher, à affronter la foule.
Mon dentier et moi avons enfin fait connaissance. Notre cohabitation
s'annonce difficile: complètement déformées par deux mois et demi d'intérim
au cours desquels elles ont dû jouer tant bien que malle rôle de dents, mes
gencives torturées refusent catégoriquement de s'adapter à l'intrus.
De très rares ami(e)s ont survécu comme des diamants sur le tamis de mes
galères et m'aident de toute leur affection.
Deux mois pendant lesquels je vais enfin comprendre les raisons de la
persécution dont je suis l'objet.

LE RESSORT BRISE
Pendant deux mois, toutes les nuits, je rêve de prison, une prison pire
encore que la réalité.
D'ailleurs, je n'ai quitté ma prison que pour en découvrir une autre.
Car mon juge m'a réservé un cadeau à la mesure de sa mesquinerie:
comme un dangereux criminel, je suis astreint à un contrôle judiciaire! Dès
le lendemain de ma sortie de Gradignan, je dois remettre mon passeport à la
gendarmerie de Gujan, où je suis contraint d'aller « pointer» deux fois par
semaine. Il m'est non seulement interdit de rejoindre Antigua, mais même de
quitter la Gironde, interdit de rejoindre ma famille en Bretagne, interdit
d'aller sur la tombe de mes parents.
Ma cellule s'est élargie, sans doute, mais l'AquitaIne devient ma Bastille.
J'ai bien essayé de jouer le jeu, comme diraient certains huissiers arca-
chonnais . .
Je me suis même rendu à une convocation d'Alain R. le 27 mars 1997.
Ce jour-là, il est presque aimable et me remet enfin les pièces de mon
dossier qu'il m'avait promises le 16 décembre 1996. Fallait-il que je sois
libéré Ipour pouvoir me défendre? Il me demande aussi de lui fournir du
]0
1 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?

produit pour qu'il le fasse officiellement tester sur des affections choisies par
moi-même, et de lui indiquer les posologies à appliquer selon les cas!
En somme, il m'accorde soudain tout ce que je réclame en vain depuis
vingt ans '"
Je devrais être heureux.
Je suis désespéré.
Car ce qu'il me demande là, c'est - une fois de plus - de devoir me justi-
fier, de prouver que j'ai raison, alors que les agréments médicaux sont déjà
obtenus dans le Commonwealth, et que le Commonwealth vaut bien la
France.
Dois-je, comme Le cancre de la classe, m'échiner à rédiger une nouvelle
punition pour mon inquiétant maître d'écoLe, aLors que des dizaines de
voyous continuent à s'enrichir en vendant au grand jour des produits freLatés
et dangereux, sous L'œil bienveillant de la même «justice» qui me persé-
cute?
Car ils ont des clients, Les escrocs! ... Des clients qui, pour La pLupart, sont
mes anciens patients qui connaissent Le prix que j'ai payé pour avoir vouLu
Les souLager au risque de me perdre. Qui n'ignorent pas que leurs fournisseurs
actueLs m'ont tout volé.
Et qui s'en moquent.
Une scène me revient en mémoire: Le jour de décembre 1995 où la télé-
vision est venue pour m'interviewer, j'avais demandé à queLques patients qui
se trouvaient là de témoigner devant les caméras, en Leur expLiquant combien
c'était important pour moi, mais surtout pour des milliers de malades. L'un
d'eux, furieux, me répondit:
«Vous aider? Pour quoi faire? Je m'en fous, moi de vos histoires! Tout ce
qui m'intéresse, c'est d'avoir du produit!»
Et il m'avait tourné le dos.
Je venais tout juste, en dix minutes à peine, de faire disparaître Les
douleurs articulaires dont il souffrait depuis des années.
Sans doute avait-il raison.
Sans doute est-ce pour cela que, sur les milliers de patients traités par
mes soins, seuls une trentaine prirent la peine de m'écrire un mot pour me
réconforter dans ma celluLe ...
Rejeté par ce qui fut mon pays mais condamné à y errer sans fin, vaga-
bond sans bagage, hébergé chez ceux qui veulent encore bien de moi,
désœuvré, ruiné, qu'est-ce que j'attends ici? Attendre qui? Attendre quoi?
Mon procès? Nul ne sait quand il aura Lieu, ni même s'il aura lieu un jour ...
Et de quel droit la France jugerait-elle un chercheur dont La découverte est
France

reconnue ailleurs? Qu'ai-je encore à perdre dans ce pays vieilli qui se prend
toujours pour le nombril du monde, point minuscule à la surface du globe,
tache de Kaposi sur la peau d'une Europe en décomposition?
Rien ...
Je n'ai plus le courage de me battre.

DES NOUVELLES D'ANTIGUA


Quelqu'un est venu d'Antigua, qui m'a raconté une bien étrange histoire:
dans le courant du mois de janvier, plus de vingt personnes, dont la plupart
ne se connaissaient pas, m'ont vu au Catamaran, au Sand Haven, à Devil's
Bridge, au Cocon ut, à Betty's Hope et sur la plage avec Denroy. Certains m'ont
même parlé, dit-on, et ont reconnu mon accent français. Tous m'ont formel-
lement identifié.
C'est impossible, n'est-ce pas, puisqu'en janvier j'étais à Gradignan.
Pourtant, selon la police de l'île, pas un Français n'a posé le pied sur le
sol d'Antigua au cours de cette époque ...
Mais quand j'étais en prison, j'ai tellement «voyagé» dans ma tête à
Antigua ...
Alors?

VERITE EN VUE!
Apparemment, mon aventure n'a rien eu d'extraordinaire: tout a simple-
ment été mis en œuvre par la mafia médicale pour empêcher la diffusion
du G5 et mettre son inventeur hors d'état de nuire, comme beaucoup d'au-
tres.
C'est du moins ce que je pense en bouclant une nouvelle fois mes
bagages, prêt à repartir une nouvelle fois sans papiers en cette fin de mars
1997.
Et que je vais enfin comprendre les vraies raisons de l'incroyable achar-
nement dont je fais l'objet.
Car, le 4 avril, quelqu'un frappe à la porte de la maison dans laquelle je
suis hébergé.
Quelqu'un appartenant à une profession que j'espérais bien ne plus jamais
avoir à fréquenter.
Un juge d'instruction!
o[QUIA~ DE Loïc LE RIBAULT?

L'INIMAGINABLE
Un juge avec un gros dossier sous le bras. Il s'appelle Pascal Chapart.
Alors que je suis sous contrôle judiciaire et huit fois inculpé, il est venu
tout spécialement de Châlons sur Marne pour me nommer surexpert dans une
affaire très médiatique, celle dite des «Disparus de Mourmelon»!

Rappel des faits


Août 1987: le 8 août, près d'Alaincourt (Aisne), on découvre le corps de
Trevor Q'Keeffe, jeune Irlandais de 20 ans parti quelques jours auparavant de
chez lui pour chercher du travail en Suisse.
Le L.I. p.s. de Lille est chargé par un premier magistrat d'effectuer l'ana-
lyse de la terre prélevée sur les lieux ainsi que sur les vêtements de la
victime. Les experts sont messieurs Haguenoer et Lancelin, qui remettent
leur rapport le 21 juin 1988 et concluent n'avoir découvert aucun indice
permettant de faire progresser l'enquête.
Août 1988: Le 9 août, dans un petit chemin à l'orée du bois de Bussières,
le maréchal des logis-chef André Jeunet, de la gendarmerie de Mâcon, fait
stopper un Combi VoLkswagen vert qui l'intrigue. Le propriétaire du véhicule
se présente: c'est un nommé Pierre Chanal, adjudant-chef affecté à
Fontainebleau. Le chef Jeunet fait le tour du camping-car et jette un coup
d'œil à l'intérieur du véhicule, où il a l'impression ode distinguer une forme
humaine cachée sous une couverture. Le gendarme demande à Chanal de lui
ouvrir la porte, et constate qu'un jeune homme gît bel et bien sur la
couchette du camping-car. Mais il est nu et ligoté avec des chaînes et des
sangles. Libéré de ses entraves et visiblement soulagé, le jeune homme s'ex-
clame, en anglais, qu'il est en danger. Il est Hongrois et se nomme BaUizs
Falvay. Chanal explique que cette mise en scène n'a d'autre but que de satis-
faire les fantasmes sexuels de son compagnon, parfaitement consentant.
Pourtant, le Hongrois ne semble pas partager cette belle sérénité et le briga-
dier emmène les deux hommes au poste, où éclate la vérité: Chanal, après
avoir fait monter dans son véhicule Falvay qui faisait de l'auto-stop, l'a
séquestré puis violé en filmant ses exploits.
Chanal est arrêté, mais les enquêteurs opèrent un rapprochement entre lui
et les évènements qui, depuis 1980, se sont produits dans ce qu'on appelle
le «triangLe maudit», périmètre de 15 kilomètres formé autour de Châlon-
sur-Marne par les camps militaires de Mourmelon, Suippes et Mailly. Là, sept
appelés ont disparu sans laisser de traces, et il se trouve que trois d'entre
eux travaillaient sous les ordres de Chanal alors qu'il occupait les fonctions
de sous-officier instructeur au 44ème régiment de dragons de Mourmelon.
Interrogé sur ce point, Chanal reste muet.
France U
" r
1.

Les gendarmes ont toutefois saisi une pelle dans son véhicule, et se
demandent si celle-ci, elle, pourrait «parler».
Car ils se souviennent de la découverte du cadavre d'O'Keeffe un an plus
tôt, et du fait que le cadavre était vêtu de ses effets personnels, à l'excep-
tion du slip, de fabrication française et de taille 38-40 alors que la sienne
était 30-32. Or, Chanal porte des slips de taille 38-40.
Existe-t-il un lien entre la mort d'O'Keeffe et la pelle de Chanal?
L'analyse de la terre présente sur la pelle pliante devrait permettre de
résoudre le problème.
Octobre 1988: Elisabeth Mescart, juge d'instruction, nomme le
C.A.R.M.E. comme expert. La mission qui m'est donnée est d'effectuer par
exoscopie des analyses de comparaison entre la terre prélevée sur la pelle de
Chanal (qui fait l'objet du «scellé n° 19») et celle de l'endroit où a été
découvert le cadavre d'O'Keeffe.
Auparavant, la juge me demande d'effectuer des prélèvements systéma-
tiques et minutieux à l'intérieur du combi de Chanal. En compagnie d'un de
mes ingénieurs (Robert Gatelier), je me rends à Mâcon les 21 et 22 octobre
pour m'acquitter de cette mission. Outre Pierre Chanal, menotté, il y a là
beaucoup de monde: des gendarmes, le procureur de La République, la juge
d'instruction, etc. Pendant les deux jours, tout ce beau monde me regarde
travailler avec Gatelier. A l'exception de Jean-Marie Tarbes, qui restera en
charge du dossier Chanal pendant quinze ans 168 , pas un seul gendarme ne
participe aux prélèvements. Je ne les avais pas encore suffisamment formés
pour qu'on puisse se hasarder à Les laisser rechercher des indices dans une
affaire aussi sensible.
Parmi l'abondante moisson d'échantillons de toute sorte que je récolte se
trouvent des centaines d'élément pileux, dont vingt-sept cheveux paraissant
très différents les uns des autres à l'œil nu. Ils font donc l'objet de vingt-
sept scellés séparés, que j'emporte au C.A.R.M.E. pour analyse, la juge me
demandant par ordonnance de comparer d'une part ces cheveux entre eux, et
d'autre part avec ceux de ChanaL
Deux mois plus tard, je donne mes conclusions: certains cheveux ne
présentant pas Urt degré de confiance suffisant pour une identification ont
été exclus de l'analyse. Mais six cheveux sont différents les uns des autres,
et n'appartiennent pas à Chanal: ils témoignent donc de la présence de six
individus dans le véhicule de Chanal. Quant à l'étude des poils pubiens, elle
permet de déterminer la présence de quatre individus.
Décembre 1988: je rends mes conclusions: l'exoscopie des quartz montre
que les terres analysées sont identiques. Autrement dit, la pelle de Chanal

168. Jean-Marie Tarbes a pubLié un Livre passionnant qui retrace ses quinze années d'enquête: Sur La piste
du tueur de MourmeLon, éditions Michel Lafon, 2003.
]0~~ DE Lo ï c LE RI BAULT?

s'est trouvée en contact avec la terre de l'endroit où a été découvert le jeune


Irlandais. De là à conclure qu'elle a servi à creuser la tombe, il n'y a évidem-
ment qu'un pas.
De plus, l'analyse des cheveux révèle qu'outre Chanal six personnes sont
entrées dans le camping-car, et celle des poils pubiens qu'ils appartiennent
à quatre individus (outre l'adjudant).
Dès 1988, on sait donc:
- qu'il existe un lien matériel entre Chanal et au moins un assassinat.
- que plusieurs inconnus sont entrés dans le minibus de l'adjudant. Il
suffirait désormais d'effectuer des analyses comparatives entre les cheveux
et poils des «inconnus» et ceux des «disparus» de Mourmelon, dont il est
encore possible (et facile) de se procurer des échantillons en explorant les
endroits où ils ont vécu.
Mais en dépit de ces évidences, aucune nouvelle expertise n'est ordonnée
pendant les sept ans qui suivent.
Septembre 1991: le LA.R.M.E., acculé à la faillite, ferme ses portes.
Scrupuleusement, je rends tous les prélèvements en ma possession au juge
chargé à l'époque de l'affaire Chanal. Tous, à l'exception d'un seul: le scellé
n° 19, celui contenant la fameuse terre. Un étrange pressentiment me pousse
à le conserver précieusement.
29 mai 1995: avec la complicité d'un professeur d'université, le L.I.P.S.
de Lille, chargé de critiquer mon rapport de décembre 1988, conclut que
celui-ci n'a aucune valeur et nie même l'existence de l'exoscopie.
Fin 1995: Le juge Chapart, désormais en charge de l'affaire Chanal,
découvre tous les scellés stockés et oubliés dans un grenier du tribunal. Tous,
sauf évidemment le scellé n° 19. Après étude du dossier, le juge Chapart se
pose des questions sur l'objectivité du rapport d'expertise de la police (29
mai 1995) éreintant mes travaux.
Avril 1997 : Jean-Marie Tarbes, qui a retrouvé ma trace et espère que j'ai
conservé le fameux scellé n° 19, me téléphone. Je lui réponds qu'il doit être
classé dans mes archives personnelles, et que je vais le chercher. Une
semaine plus tard, je lui annonce que j'ai retrouvé cette pièce capitale.
4 avril 1997: Jean-Marie Tarbes et Pascal Chapart se rendent à mon
domicile. Je leur rends le scellé n019 et le juge me nomme surexpert avec
comme mission d'étudier et critiquer les rapports «orthodoxes» du 21 juin
1988 et du 29 mai 1995.
Et ce que je découvre me pétrifie littéralement:
Le rapport de 1988 démontre en effet que les experts d'Etat n'ont tout
simplement pas effectué le travail qui leur avait été demandé, et ont laissé
passer par incompétence ou négligence des indices capitaux. A cette époque,
France 0
les laboratoires de la police n'avaient toujours pas modernisé leurs méthodes
utilisées depuis la guerre et n'étaient en conséquence d'aucune utilité pour
les juges d'instruction qui, pourtant, ne s'en rendaient pas compte.
Mais le pire, c'est que j'ai entre les mains les preuves écrites qu'en 1995,
quatre ans après la disparition du C.A.R.M.E., celui-ci continuait à terrifier
les laboratoires de police au point que leurs experts, pour discréditer sa
mémoire, n'hésitèrent pas (avec la complicité de certains membres de l'uni-
versité) à falsifier des données techniques et à mentir délibérément à un
magistrat au risque de ruiner une affaire criminelle de première importance.
La conclusion de mon rapport de surexpertise officiel remis au juge
Chapart le 1er novembre 1997 sera expLicite 169 ; mon styLe, assez peu diplo-
matique, n'est pas habitueL de La part d'un expert, mais a Le mérite d'être
franc:
« (. . .) je n'hésite pas à affirmer que Le rapport OL17o (. .. ) fait partie de
ces contre-expertises manipuLées téLéguidées par Le ministère de l'Intérieur.
Je savais, bien entendu, que de telles «expertises» non pas sdentifiques
mais politiques avaient été concoctées contre le C.A.R.M.E. dans de
nombreuses affaires judiciaires.
Mais il se trouve que je n'avais jamais eu l'occasion d'en lire une.
Celles que je viens d'étudier font froid dans le dos, et conduisent à poser
une série d'inquiétantes questions qui dépassent largement l'affaire objet de la
mission qui m'a été confiée: Combien de ces rapports truqués et malhon-
nêtes ont été fabriqués ou drculent encore actuellement? De l'anéantis-
sement de combien d'affaires judidaires sont-ils responsables? Combien
de magistrats ont été abusés délibérément?
Le rapport DL constitue la preuve écrite, sans doute une des rares existant
dans l'histoire de l'expertise judidaire sdentifique, de malhonnêté intellec-
tuelle de la part de deux prétendus experts dans le but de discréditer à tout
prix - même celui de leur honneur - le travail d'un collègue qui dérange, au
risque d'abuser un magistrat et de ruiner une enquête criminelle.
La radiation des auteurs du rapport DL s'impose de toute urgence: il s'agit
d'une opération de salubrité pubLique exempLàire pour commencer à débar-
rasser Le monde judiciaire des faux experts ou experts marrons, dangereux,
incompétents, malhonnêtes, irresponsables et politiquement corrompus qui
l'encombrent et Le discréditent.»
EII
347

169. le rapport complet peut être consulté sur mon site internet www.loic-Le-ribault.ch (rubrique « Affaire
Chanal»).
170. « Dl» « De coninck & lancelin ».
lO 1 QUI A PEU RI DE Loïc LE RIBAULT?

EURÊKA! ...
Je viens de comprendre enfin les véritables raisons de l'acharnement dont
je fais l'objet; surtout, j'en connais maintenant les auteurs.
Les vrais!
Bien sûr, l'ordre des médecins et celui des pharmaciens ont porté plainte
contre moi. Il n'avaient pas le choix: je les avais délibérément mis au pied
du mur. Mais en réalité, ils s'en moquent, du G5. Leur expérience leur prouve
que jamais un inventeur indépendant n'a réussi à faire agréer seul une
nouvelle molécule révolutionnaire à usage thérapeutique. Le fait que je
prétende vouloir être Le premier leur paraît une pLaisanterie, même si je sais
que je vais gagner.
Mais c'est pour la police et La gendarmerie que je représente un
danger réel!
Nous avons vu comment celles-ci avaient programmé la destruction de
mon laboratoire, puis mon élimination avec la complicité de la magistrature.
En 1995, j'ai donc disparu de la scène publique depuis trois ans.
Désormais tranquilles, débarrassées du trublion, assurées que je ne me
remettrai jamais des coups portés, la police et la gendarmerie font paisible-
ment écrire leur version du renouveau de la P.T.S. par des nègres de service.
Or, subitement, en octobre de cette année-là, je réapparais à grand bruit
avec mon G5. Et tout le monde comprend que je ne bluffe pas: cette décou-
verte est une grande découverte!
Une de celles dont on parle.
Peut-être même dans le monde entier.
Le ministère de l'Intérieur tout comme la D.G.G.N. savent que, revenu sur
le devant de la scène, je ne manquerai pas une occasion de mettre sur le
tapis, preuves à l'appui,' le scandale de l'assassinat du C.A.R.M.E. Ils savent
que cette histoire m'est restée sur le cœur, et que j'ai des comptes à régler.
Le G5 et mes déclarations provoquantes tombent à pic et vont servir les
objectifs des directions respectives de La police et de la gendarmerie qui,
fidèles à leur tradition de lâcheté, vont pouvoir agir par porte-couteau inter-
posés: l'ordre des médecins et la D. D.A.S.S., cette dernière agissant au nom
de l'ordre des pharmaciens.
Plainte est donc officiellement déposée par ces deux organismes, mais le
ministère de l'Intérieur et la D.G.G.N. suivent l'affaire de très près. En réalité,
ce sont eux qui la gèrent avec la complicité du ministère de la Justice pour
aboutir enfin à mon élimination définitive en salissant mon image.
Car, par dessus tout, le ministère de l'Intérieur craignait que je ne
découvre un jour et surtout ne publie les preuves écrites des truquages
d'expertises dont ses experts, sur son ordre, s'étaient rendus coupables!
France ~Ol

En vérité, jusque là, il Y avait peu de risques: il aurait fallu que j'aie un
de ces dossiers falsifiés entre les mains, et que je sois nommé expert. Or, la
disparition du C.A.R.M. E. avait entraîné ma radiation automatique de ce
titre.
Le ministère avait simplement oublié un détail: un juge a le pouvoir de
nommer expert, pour une mission déterminée, un spécialiste réputé, même
s'il n'est pas inscrit à une Cour d'appel et à condition qu'aucun expert de son
niveau ne soit officiellement enregistré dans la disci pli ne en question.
Mieux: cette nomination serait légale même si le spécialiste choisi était en
prison, à condition que les faits ayant motivé son incarcération n'entachent
pas sa réputation scientifique!
Or, le 4 avril, je ne suis même plus incarcéré, mais simplement sous
contrôle judiciaire, et incontestablement le meilleur spécialiste de l'exos-
copie, puisque j'en suis l'inventeur.
Juste retour des choses: grâce à mes travaux sur les grains de sable, je
deviens le grain de sable qui risque d'enrayer toutes les laborieuses escro-
queries intellectuelles et scientifiques de la police et de la gendarmerie.
Malgré leurs machinations, les sommes colossales englouties pour copier
ce que j'offrais gracieusement, la diffamation à mon égard, la corruption, le
plagiat, l'usurpation de mon identité, la censure, les faux témoignages, la
contrefaçon de mes brevets, les infractions multiples au code de procédure
pénale, les pressions sur les magistrats, l'emprisonnement arbitraire, la colla-
boration de certains journalistes et écrivains marrons, la falsification de
preuves, d'indices et de documents, et même le truquage de dossiers crimi-
nels, oui, malgré cette fabuleuse énergie gaspillée pour m'éliminer, le minis-
tère de l'Intérieur et la gendarmerie se retrouvent à la case départ en avril
1997, et ce à cause de l'initiative courageuse d'un jeune juge d'instruction.
Pire: j'ai désormais en mains les preuves accablantes de leur corruption!
Maintenant, il faut m'empêcher de parler, et surtout de publier mon
rapport de surexpertise.
A tout prix.
Est-ce vraiment un hasard si, quatre jours plus tard, la police revient pour
m'arrêter sous un nouveau chef d'inculpation bidon: celui du vol d'un tableau
de maître?
J'ai, heureusement, été averti quelques heures plus tôt par un ami poli-
cier, et juste eu le temps de m'enfuir.
---, 1 JJ j
ri :-[ ~_J Il ~= l ·-,i·~-
l.~-'----f--; 1 1
1 L; Li
o _ _ _ J!

Belgique J

L'OFFENSIVE DES ARDENNNES


Pour moi, de nouveau, c'est la fuite. Sans papiers d'identité, mais avec
mes dossiers les plus importants.
Quinze jours plus tôt à peine, je m'apprêtais à boucler mes bagages avec
une seule idée en tête: rejoindre au plus tôt les Caraïbes et y oublier tout
mon passé.
Mais aujourd'hui, dans la voiture qui m'emporte, je bous de rage.
Il faut faire éclater la vérité au grand jour, il faut que le public soit
informé des infâmies commises par le ministère de l'Intérieur.
Je déborde d'énergie.
Puisque j'ai perdu la bataille de France (mais pas La guerre, loin de là !),
je cours de ce pas lancer mon offensive des Ardennes personnelle.
Et je vais me battre sur trois fronts simultanément: reconstruire ma vie,
relancer le G5 et attaquer l'Etat français.
Olivier Foll a déclaré en 1991 que ma plainte contre le ministère de
l'Intérieur le faisait penser à une piqûre de fourmi sur le dos d'un éléphant?
Parfait! On va voir qui, de l'éléphant ou de la fourmi, aura finalement la peau
de l'autre!
Je n'atteins la frontière belge que le 13 avril 1997.
Entre temps, ce sont ... des gendarmes et un magistrat qui m'ont hébergé
dans ma traversée de la France.
A Paris, le plan Vigipirate bat son plein et, par prudence, c'est un ami
policier qui m'accompagne à la gare, muni d'un ordre de mission en (plus ou
moins) bonne et due forme. Effectivement, le hall grouille de militaires et de
gendarmes, mais je passe comme une lettre à la poste: les Tuniques Bleues
ont d'autres Chanal à fouetter que de s'occuper de moi, ils ne contrôlent que
les Noirs et les Arabes, les Blancs ne les intéressent pas.
C'est un ami belge, Jacques D. qui m'accueille à la gare de Reims. La El[
grosse Mercédès noire franchit sans encombre la frontière et nous conduit
dans son immense maison, nichée au cœur de la forêt des Ardennes.
Jacques n'a jamais travaillé de sa vie: placé à la tête de l'énorme affaire
familiale, il a toujours eu à sa disposition des esclaves en col blanc qui ~'en
J0[_ QUl A P iUR DEL 0 Ï C lE RIB A U l T ?

chargeaient pour lui. Quelques années plus tôt, la vente de l'affaire lui ayant
rapporté une fortune colossale, il avait décidé de faire prospérer celle-ci
grâce à des placements qu'il jugeait astucieux. En quelques années, les
milliards avaient fondu comme neige aux Caraïbes, engloutis dans des mines
d'or inexistantes et des puits de pétrole asséchés tous situés comme par
hasard dans les pays les plus corrompus du monde.
Je l'avais connu au temps de sa splendeur, sa moindre erreur ayant
consisté à investir 150 000 € dans le C.A.R.M.E. en échange de 50 % de mes
parts. Malheureusement, cet investissement s'était produit au moment précis
où le laboratoire glissait au bord du gouffre. IL avait donc perdu sa mise,
celle-ci ne représentant d'ailleurs qu'une goutte d'eau dans l'océan de ses
investissements malheureux, et nous étions restés amis.
Maintenant, âgé d'une soixantaine d'années, Jacques est un milliardaire
ruiné. Ruiné au point d'avoir - au sens propre du terme - du mal à manger
tous les jours. IL cache dignement sa déchéance dans sa gigantesque maison,
vestige de sa splendeur, totalement isolée au bout d'un chemin de terre de
plusieurs kilomètres de long.
Dès mon arrivée, il ne me cache pas que le silicium organique représente
pour lui le dernier espoir de s'en sortir. Car il connaît le produit: depuis 1986,
il a entre les mains le dossier complet du G4 et, depuis onze ans, je lui
demande d'utiliser ses relations pour diffuser le produit et obtenir son auto-
risation de mise sur le marché. Mais Jacques ne s'en est jamais occupé. Pour
une simple et mauvaise raison: il ny croyait pas! Maintenant, confronté aux
évidences, il y croit enfin! Pas au G4, .non, toujours pas, mais au G5: mon
aventure est à ses yeux la preuve que ma découverte est d'importance. En
vertu de quoi il accepte enfin de se mettre au travaiL
Ou plutôt il me met au travail devant son ordinateur, déclarant réserver
son énergie pour la diffusion du G5 quand j'aurai fini les tâches techniques
qui sont de mon ressort.
Je commence aussitôt.
Jacques, lui, émerge chaque jour de sa chambre sur le coup de midi pour
le déjeuner puis, alors que je reprends le coLLier, part réfléchir à notre avenir
dans la forêt en compagnie de ses deux chats qui le suivent comme des
chiens. IL réapparaît vers dix-sept heures, s'assied à son bureau et entame sa
journée de travail, exclusivement constituée d'une multitude d'interminables
coups de téléphone passés dans le monde entier pour tenter de récupérer son
argent, s'étonner que sa concession minière en Afrique du Sud soit la seule
à ne pas produire un carat de diamant, s'offusquer de la chute du cours de
l'or, s'enquérir de sa ·plate-forme de forage pétrolier mystérieusement
disparue au Nigéria, se réjouir de l'arrivée prochaine des millions de dollars
qu'on lui promet semaine après semaine depuis quatre ans, s'étonner que la
Belgique 0
dernière adresse connue de son nouveau conseiller financier soit un musée
espagnol consacré aux courses de taureau et fermé depuis six mois, s'effon-
drer en apprenant que l'équipe de foot-baU qu'il a sponsorisée à prix d'or ait
subi sa cinquantième défaite en un an, et s'insurger quand le responsable de
l'équipe lui demande une petite rallonge 17l •
Le téléphone tient une telle importance dans la vie de Jacques qu'il a
littéralement truffé sa maison de combinés et fait installer dans son bureau
un imposant standard téléphonique.
Vers une heure du matin, épuisé et démoralisé, Jacques monte enfin se
coucher en promettant de s'occuper du G5 le lendemain.
Dans l'immense demeure, l'ambiance est malsaine, oppressante, pesante
comme une chape de plomb, car le manque de communication entre les
membres de la famille est permanent et les heurts incessants.
J'étouffe comme dans une serre et me réfugie dans le travail.
Généralement réveillé vers cinq heures du matin, je prends mon petit
déjeuner face à la rivière où pêche toujours le même héron hiératique, et
observe les ébats des loutres et des canards. Puis je m'installe devant l'ordi-
nateur, que je ne quitterai que vers minuit, exception faite des repas pris en
compagnie de l'épouse et des deux fils de Jacques, généralement dans un
silence irrespirable.
A ce régime, j'abats un travail considérable: en deux mois à peine, j'ai
peaufiné la brochure sur le G5 que j'avais rédigée en prison, écrit (en fran-
çais et en flamand) les notices d'utilisation du produit, réalisé les étiquettes
et les bons de commande, fini la première version du Prix d'une découverte,
presque achevé Micropolis et, pour me détendre, entamé le récit de quelques
histoires criminelles invraisemblables mais vraies que je songe intituler Les
coulisses du crime.
Peu après mon arrivée, je fais la connaissance de la femme qui entretient
la maison de Jacques. Il est sept heures du matin et toute la famille dort;
comme la malheureuse arbore des pansements aux poignets, je ne peux
m'empêcher de lui demander ce qui ne va pas. Elle m'explique qu'elle souffre
depuis des semaines d'une tendinite dont elle ne peut se débarrasser, mais
une heure plus tard frétille comme un gardon grâce à une application de G5.
Mis au courant dès son réveil, à midi, Jacques déclare qu'à son avis cette 13531
personne et son mari seraient nos agents idéaux pour le Bénélux. Informé,
le couple accepte avec enthousiasme.

171. Tous ces exempLes sont parfaitement authentiques.


] [:-our A -;;u;-; DE Loïc LE RIBAULT?

UN CHIEN MODELE
Quelques jours plus tard, Lydie, une amie, me fait un magnifique cadeau:
profitant d'un voyage en France (elle habite en Suisse), elle me ramène Ix-
Le-Chien! On se fait une fête endiablée, bien décidés à ne plus jamais nous
quitter. La maison est assez grande pour nous héberger tous deux.
Mais Jacques ne l'entend pas de cette oreille: il craint pour ses chats, sur
lesquels - il faut l'avouer - Ix-le-Chien jette un œil gourmand en se
léchant les babines.
Le cœur serré, je le vois donc repartir avec Lydie qui, en une seconde, a
décidé de l'adopter. Pour éviter tout problème, j'ai remis à celle-ci un docu-
ment dans lequel je déclare officiellement lui avoir fait cadeau de mon
chien.
C'est sans problème que tous deux franchissent la frontière suisse, aussi
facilement qu'ils avaient franchi celle entre la France et la Belgique.
Mais j'ai oublié de prévenir mon amie qu'Ix-Le-Chien possède un talent
rare: celui d'ouvrir les portes en les tirant vers lui à l'aide de ses deux pattes.
Et ce qui devait arriver arrive: Ix-Le-Chien, s'ennuyant un jour où Lydie est
au travail, ouvre tranquillement la porte de L'appartement et s'en va visiter
Genève. Or, les chiens suisses ont l'obligation de porter une médaille d'iden-
tité. Ix-le-Chien en étant dépourvu, c'est en qualité de canidé errant qu'il est
capturé en pLein centre ville par la fourrière helvétique. Heureusement, il a
été tatoué en France Lors d'une fugue précédente. Les employés de la four-
rière genevoise téléphonent donc au service français chargé de centraliser les
informations sur les chiens matriculés, qui leur indique évidemment mon nom
et l'adresse qui était la mienne en 1996. Les fourriéristes découvrant ensuite
que je n'habite plus à l'adresse en question téléphonent logiquement à ... la
gendarmerie de Gujan-Mestras pour obtenir mes nouvelles coordonnées. La
conversation est à peu près la suivante:
Le fourriénste (accent suisse) : Voilà, m'sieur l'agent: on a trouvé un chien
français perdu à G'nève ...
Le gendarme gujanais (accent du sud-ouest): Oui, et alors?
F: Alors, son propriétaire habitait Gujan-Mestras, mais il a déménagé, et
on aimerait connaître sa nouvelle adresse.
G: Comment il s'appelle?
F: M'sieur Le Ribault.
G: Vous dites?
F: M'sieur Le Ribault!
G: Ben ... euh ... nous aussi, on le cherche!
F: Le chien?
Belgique nr
_L

G: Non, le Ribault!
F: Ben, nous, on a le chien .. .
G: C'est déjà quelque chose ... Et vous l'avez trouvé où, vous dites?
F: A G'nève.
G: la Suisse! On aurait dû s'en douter! Alors, comme ça, il est à Genève?
F: Oui. A la fourrière.
G: Mais non! Pas le chien! le Ribault!
F: Ah, le Ribault, je ne sais pas. C'est pour ça que je vous demande son
adresse, notez bien ...
G: Mais je ne la connais pas, son adresse! Personne ne la connaît, son
adresse! Enfin, maintenant, au moins, on sait qu'il est à Genève ...
F: Oui. A la fourrière.
G: Mais non! Pas le chien! le Ribault!
F: Mais j'en sais rien, moi! Peut-être qu'il va venir à la fourrière chercher
son chien?
G: Ah, mais oui, peut-être bien! Dites ...
F: Oui?
G: ... s'il vient chercher son chien ...
F: Oui?
G: ... si vous pouviez le retenir quelque temps ...
F: le chien?
G: Non! le Ribault ...
F: Ah ça, non. On n'a pas le droit de retenir les gens. Seulement les
chiens ...
G: Oui, oui, je comprends ... Mais si vous pouviez juste lui demander son
adresse en Suisse ... comme ça ... par curiosité ... et puis nous la communi-
quer ... ce serait bien aimable de votre part ...
Malheureusement pour le limier gujanais, ce n'est pas moi mais une Lydie
essoufflée qui, ayant constaté la disparition d'Ix-le-Chien, se présente à la
fourrière pour récupérer son bien en brandissant ma lettre de cession.
Quelques jours plus tard, Ix devient un chien suisse officiel, arborant au
collier sa médaille d'identité toute neuve.
Il a réussi, lui, là où moi j'échoue depuis plus de deux ans: obtenir une
nouvelle nationalité!
-~ U QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?

LE GRENIER
Les agents viennent de recevoir leur livraison de G5.
Disposant désormais d'une réserve de produit j'ouvre aussitôt une boîte
postale et le 16 mai, adresse un courrier à une cinquantaine de patients en
leur indiquant mes nouvelles coordonnées. C'est un succès immédiat:
presque tous me passent une commande dans les jours qui suivent. Je suis
heureux: mes patients ne m'ont pas oublié!
Aussitôt, je prépare un nouvel envoi de cinq cents lettres et les confie à
Jacques pour les poster.
Et j'attends.
Surprise: quinze jours plus tard, ce second envoi n'est pas honoré d'une
seule réponse.
Que se passe-t-il?
Heureusement, les agents se débrouillent fort bien. Grâce à quelques
guérisons spectaculaires et aux consultations que je donne de temps à autre,
le G5 explose littéralement en Belgique. En un mois, mes agents m'ont
rapporté 4 500 € de royalties que je remets à Jacques: c'est un ami sûr,
n'est-ce pas, et, compte tenu de ma situation, je ne tiens pas à avoir de l'ar-
gent sur moi. Il est entendu qu'il me le rendra dès que je partirai pour les
Caraïbes, déduction faite du prix correspondant à mes cigarettes et à ma
pension.
Le 21 juillet je pars faire des courses en ville avec un des fils de Jacques.
Revenant les bras chargés de paquets, j'ouvre le coffre de la voiture pour y
déposer mes emplettes.
Stupeur!
Mes cinq cents lettres sont là!
Interrogé, le fils de Jacques m'avoue que son père lui a interdit de poster
mon courrier.
A notre retour, alors que, fulminant de colère, je lui demande des expli-
cations, Jacques m'avoue qu'estimant finalement que le G5 n'avait aucun
avenir et que je risquais d'être arrêté d'un instant à l'autre, il avait jugé
préférable de conserver l'argent des timbres pour l'entretien de la maison. Il
ajoute que la somme que je lui ai remise correspond au prix de ma pension,
que par conséquent il ne me doit rien, et que si j'insiste pour la récupérer, il
me dénoncera à la police belge.
EJ Je décide de partir immédiatement.
Sans tarder, j'appelle un couple d'amis qui avaient offert de m'héberger,
et leur explique la situation. Ils décident de venir me chercher aussitôt.
Une heure plus tard, ils sont là et m'emmènent.
Belgique O[

Il était temps: depuis son standard, Jacques venait de couper toutes les
lignes téléphoniques de la maison, isolant celle-ci du monde des vivants.
Sans doute avait-il l'intention de me garder prisonnier à vie pour s'assurer
une rente confortable.
C'est chez ces amis - ces vrais amis - que je vais habiter jusqu'au mois
de septembre, caché dans un grenier qu'ils m'ont aménagé en confortable
bureau-chambre à coucher, d'où je ne descends qu'aux heures des repas.
Lorsqu'ils ont des invités à déjeuner ou à dîner, ils m'apportent un plateau-
repas dans le grenier où, équipé de chaussons, je prends bien garde de ne
pas faire de bruit: la salle à manger est juste sous la pièce que j'occupe.
Toutes les semaines, ils se rendent chez mes agents, qui leur remettent
scrupuleusement le montant de mes royalties; j'ai bientôt de quoi m'offrir
l'ordinateur portable d'occasion dont je rêve depuis longtemps. Je le baptise
Arthur.
C'est également eux qui me procurent au mois d'août une magnifique
carte d'identité Luxembourgeoise, dont le propriétaire me ressemble comme
un frère; le seul problème est qu'il porte des moustaches. Je commence donc
à Laisser pousser La mienne. Cette carte est établie au nom de Ludwig Van
Vreijheit que, pour des raisons de facilité, je décide d'appeler familièrement
« VV ».
Je possède désormais des agents au Bénélux, quelques économies, une
carte d'identité et un ordinateur.
C'est le début de la reconstruction.
Je n'ai plus rien à faire en Belgique, dans laquelle je commence d'ailleurs
à me sentir mal à l'aise. Une impression désagréable, sans réelle justification,
si ce n'est que je con nais les relations étroites qui lient Les polices française
et belge, cette dernière n'ayant semble-t-il rien à refuser à celle du «grand»
(par la taille) pays voisin.
Je décide de partir semer aiLleurs la bonne parole, ou plutôt le G5.
D

Jersey

MA BATAILLE D'ANGLETERRE
Depuis longtemps, j'ai envie de rejoindre Jersey, où vit Aimée Lamy, la
meilleure amie de ma mère durant près de soixante-quinze ans, si proche de
nous que mes parents considéraient sa famille et elle-même comme partie
intégrante de la nôtre. Et puis Jersey est une petite île, trois fois plus petite
qu'Antigua, et les petites îles, maintenant, chantent à mon cœur ... (Fig.81)
Mais un tel voyage me
contraint à franchir trois fron-
tières, ce qui présente toujours
un certain risque quand les
seules pleces d'identité
authentiques dont on dispose
sont un permis de conduire de
1966, une carte d'identité de
1971, un permis de chasse de
1983 et un certificat interna-
tional de vaccination de 1992.
J'ai également, bien sûr, mon
billet de sortie de la prison de
Gradignan, pièce on ne peut
plus officielle que je conserve
jalousement mais que ma
modestie m'interdit d'exhiber.
A part ça, je possède le passe-
port de Maman (1996) et la
carte d'identité de VV. Fig. 81: Location of Jersey.
Début septembre, alors que je regarde la télévision chez mes hôtes, j'ap-
prends le décès de la princesse Diana.
Ce drame est peut-être pour moi l'occasion d'arriver sans trop de risques
à Jersey! 359
Je pars en effet du principe qu'au moment précis des obsèques, aussi bien
les policiers que les douaniers, dans les aéroports, seront plus occupés à
suivre derrière leurs guichets le reportage des obsèques à la radio ou à la
télévision qu'à contrôler les rares voyageurs sevrés de désespoir collectif.
- ~ [iïi.~ A pG!J DE Loïc LE RIBAULT?

Rares voyageurs parmi lesquels je décide qu'on me comptera, après que


j'aie choisi un avion partant du Luxembourg et atterrissant à Londres au jour
et à l'heure exacts des obsèques de la princesse.
Avant de partir, j'ai mis mes papiers authentiques dans ma poche-révolver
droite, le passeport de Maman dans la poche de ma chemise et la carte
d'identité de VV dans celle de ma veste.
J'arbore fièrement ma magnifique moustache.
Je suis paré.
Au départ du Luxembourg, le policier ne jette qu'un œil distrait sur la
carte de VV et me laisse embarquer pour le vol à destination de la Grande-
Bretagne.
A l'aéroport de Londres, mon calcul s'avère exact: derrière les guichets des
postes de contrôle, je n'aperçois que quelques crânes policiers et douaniers
penchés sur des récepteurs portatifs, et des épaulettes tressautant sous les
sanglots convulsifs des hommes en uniforme. Je compatis, et passe sans
encombre la frontière.
Je suis en Grande-Bretagne!
Et comme Jersey, quoique ne faisant pas partie de l'Europe, est un terri-
toire britannique, je n'ai à subir aucun contrôle à mon arrivée dans l'île.
Je me fais aussitôt conduire dans le centre de la capitale, Saint Hélier, et
choisis la première guest-house qui me paraisse actueillante ... et pas trop
chère. Car je n'ai sur moi que 600 € en liquide et ne sais quand je recevrai
d'autres subsides: je dépends entièrement de mes agents belges.
C'est les yeux encore mouillés de larmes ladydinesques que l'hôtesse m'ac-
cueille et me conduit dans une chambre coquette au rez-de-chaussée où je
m'empresse de déballer mes affaires et de vérifier qu'Arthur n'a pas souffert
du voyage.
Puis je me mets à la recherche de la salle de bains. Il n'yen a pas. Des
toilettes. Absentes. Du téléphone. Invisible. Renseignements pris auprès de
l'hôtesse qui se tamponne les yeux, j'apprends que les douches sont au
second étage, les toilettes au premier et que le téléphone commun (et à
pièces) est à ma disposition dans le hall. Mais seulement de huit heures à
vingt-et-une heures, sous prétexte que l'hôtesse est dotée d'un nouveau-né
tout frais pondu qui se prélasse dans la pièce contiguë à la cabine télépho-
nique et dont il convient de ne pas déranger le sommeil.
lB J'ai la vague idée que je ne vais pas m'éterniser ici.
La confirmation de ce pressentiment m'est donnée le lendemain matin.
A sept heures trente, alors que je déguste tranquillement ma première
Gitane en tapotant sur le clavier de mon ordinateur, on frappe à ma porte.
Jersey 0
C'est l'hôtesse qui, enfin consolée, pointe un doigt accusateur sur la ciga-
rette que je tiens entre les doigts:
«Je savais que vous fumiez! Je l'ai senti depuis le couloir! »
«Ben oui, je fume. Et alors?»
«C'est interdit! »
«Mais je suis dans ma chambre, ici!»
«C'est toute la guest-house qui est non-fumeur! Si vous voulez fumer,
allez dehors!»
« Entendu: j'y vais de ce pas!»
Dans le centre ville, l'office du tourisme regorge de documents, de
brochures et de personnel souriant et disponible. C'est à une jeune fille que
je fais part de mes désirs: je suis un écrivain, et pour terminer mon livre je
recherche un hôtel tranquille, propre, avec des chambres équipées de sani-
taires, d'une salle de bains, d'un téléphone direct, avec un fax disponible, où
les fumeurs ne soient pas considérés comme des pestiférés, si possible pas
trop cher et doté d'un personnel sympathique.
La réponse fuse à la seconde:
«J'en vois un qui devrait vous convenir parfaitement. C'est le Dolphin
Hotel à Gorey Piero En cette saison, les prix sont d'environ vingt-cinq livres
la nuit, petit déjeuner compris.»
C'est triomphant que je regagne la guest-house, la cigarette plantée entre
les lèvres.
«Mais vous fumez encore! », rugit la tenancière.
«Oui, mais ne vous inquiétez pas: je vais dehors. Pour toujours. Donnez-
moi la note, je vous prie.»
Dix minutes plus tard, un taxi m'emporte.
Gorey Pier est sans doute un des plus beaux sites de Jersey, avec son port
dominé par la masse écrasante du château moyen-âgeux de Mont-Orgueil,
construit pour repousser toute tentative d'invasion française. Effectivement,
la France est toute proche, à peine vingt-cinq kilomètres, et on distingue
nettement les côtes ennemies à l'horizon quand le temps est dégagé. Le
Dolphin est juste au pied de la forteresse, face au port, l'Union Jack flottant
fièrement sur sa façade. Plusieurs autres hôtels le flanquent, ainsi que
quelques rares magasins. C'est l'endroit le plus touristique et le plus photo-
graphié de Jersey, illustré dans tous les guides et sujet d'innombrables çn"
timbres poste où figure même l'hôtel dans lequel je prétends me cacher. Ln
Avertie de mon arrivée, la réceptionniste m'informe que je dispose de la
chambre 12 avec vue sur le port, et me tend un formulaire vert à remplir.
Je n'aime pas les formulaires.
]0
1 QUI A PEU RI DE Lo ïc LE RI BAULT?

« C'est pour les statistiques de l'office du tourisme », me précise-t-elle.


Je n'aime pas les statistiques non plus.
D'autant que ce formulaire me demande le numéro du passeport dont je
suis dépourvu ou de ma carte d'identité. J'en ai bien une, mais c'est celle de
vv. Je préfère donner un faux nom, c'est moins dangereux: je pourrai
toujours dire que je tenais à conserver l'anonymat pour terminer mon livre ...
Bien entendu, la réceptionniste ne va pas manquer de me demander une
carte de crédit bancaire, que je n'ai pas non plus, pour en prendre l'em-
preinte. Je décide de prendre les devants et pose sur le comptoir la totalité
de ma fortune:
« Tenez, voici pour le dépôt de garantie.»
«Combien de temps pensez-vous rester?»
«Une ou deux semaines ... »
«Oh, mais c'est beaucoup trop! »
«Je sais, mais je préfère vous confier cette somme pour que vous la
mettiez en sûreté dans votre coffre. Vous me remettrez le solde quand je
partirai."
«O.K. ! »
La réceptionniste entre dans une toute petite pièce juste derrière elle, se
penche vers le coffre, l'ouvre et dépose l'argent à l'intérieur.
Pendant ce temps, à l'abri de ses regards, j'ai rempli le formulaire.
Mon nouveau prénom est André, et je suis devenu Belge.
Je sais que la réceptionniste ne contrôlera pas l'exactitude de ma nouvelle
identité: ce genre d'inquisition grossière ne se pratique pas dans une vraie
démocratie, et la Grande-Bretagne en est une. Sans doute une des seules sur
terre avec la Suisse.
La chambre est exactement telle que je la souhaitais et je m'empresse
d'en prendre possession. Elle contient tout ce dont peut rêver un homme
condamné à travailler en mouvement perpétuel: une ligne téléphonique
directe, une table de travail, un appareil pour faire le pli des pantalons, un
« toto» moderne avec réserve de crème, de sucre, de café et de thé et un lit
immense que je contemple en me demandant comment occuper ses trois
places. En dormant en travers, peut-être? Ou en le sous-louant? Enfin, à la
réception, un fax est disponible et le linge peut être lavé et repassé à la
demande. Quant au bar, il est ouvert de dix heures du matin à minuit, parfois
plus si les résidents de l'hôtel s'y attardent.
Il est onze heures et je sors reconnaître les environs. L'expérience m'a en
effet appris à quel point c'est important, en cas de fuite précipitée.
Comme d'habitude, je repère d'abord la boîte à lettres et la papeterie, où
j'achète une carte détaillée de l'île avec illustration de tous les sentiers
Jersey 0
piétonniers (dérobés et par définition inaccessibles aux voitures), un petit
guide pour touristes, et j'explore les routes avoisinantes isolées, le long de
la côte et vers l'intérieur des terres.
Dans la salle de restaurant, ma table est immédiatement choisie: dans le
coin, face aux fenêtres et surveillant l'entrée.
Dans le bar, c'est le tabouret du coin, face à la porte, qui devient ma place
élue.
Dans les jours qui suivent mon instaLLation, je loue une imprimante pour
mon ordinateur et peux réellement commencer à travailler. Mes rares amis
ont ma nouvelle adresse, et André commence à recevoir des nouvelles
d'Europe.
La machine, lentement, se remet en marche.
Je suis prêt à lancer ma Bataille d'Angleterre!

LE PROFIL BAS
Trois mois durant, jusqu'en décembre, j'adopte un profil bas.
Perché sur mon tabouret du bar, je vois passer des centaines de Jersiais
affligés de rhumatismes et de problèmes articulaires sérieux (le climat ici est
si humide ... ), mais je ne bouge pas le petit doigt pour les soigner:
Alternativement moi-même, VV ou André selon les interlocuteurs, je suis un
écrivain travaillant nuit et jour dans sa chambre du Dolphin Hotel, et seule-
ment un écrivain. La santé d'autrui ne me concerne pas.
J'en profite pour visiter l'île, sur laquelle je n'étais pas revenu depuis ...
quarante-cinq ans. A l'époque, mes parents et moi séjournions en vacances
chez Aimée, et nous nous étions rendus à la célèbre Bataille des Fleurs, orga-
nisée tous les étés à Jersey. Profitant d'un moment d'inattention de mes
parents, je m'étais perdu dans la foule, et c'est au poste de police que mon
père m'avait récupéré devant un grand verre de limonade offert par les poli-
cemen.
En 1997, je ne souhaite qu'une chose: que les policiers ne me retrouvent
surtout pas, car je ne suis pas certain que cette fois ils m'offriraient un verre.
Etrangement, je garde un souvenir très précis de cette période bien éloi-
gnée de mon enfance, de la couleur des bus de l'époque (vert et crème), des
endroits où nous allions nous promener, de La maison que nous habitions, des 1363 1
paysages et de l'immense gentillesse des habitants.
En surface, Jersey demeure inchangée. C'est toujours une He magnifique,
aux maisons de pierre immaculées semées dans la campagne fleurie, où tout
semble permis à condition de ne pas déranger autrui.
:i 1 QUI_~ PEURI DE Loïc LE RIBAULT?

Mais le patois anglo-normand que les vieux Jersiais parlaient voici trente
ans a presque totalement disparu au profit de l'anglais. Les coutumes
féodales sont toujours en vigueur, l'île ne fait pas partie de l'Europe et jouit
d'un gouvernement indépendant, mais le Dieu Argent étend partout ses
griffes. C'est sans doute ce qui explique les fabuleuses réserves d'argent qui
s'entassent dans les coffres des nombreuses banques du pays où, dit-on, on
compte une RoiLs Royee pour cent habitants.
Hormis les banques et le tourisme classique, Jersey bénéficie d'une source
de profits originale: les blockhaus allemands de la seconde guerre mondiale.
Les îles anglo-normandes, en effet, furent les seuls territoires britanniques à
être occupés par les troupes du Troisième Reich, et les côtes de Jersey regor-
gent littéralement de bunkers de toutes tailles amoureusement entretenus et
restaurés avec soin. Peut-être même parfois plus que rénovés, puisque de
nouveaùx blockhaus semblent pousser encore de nos jours. Il faut dire qu'en
ce domaine la concurrence est impitoyable entre les îles; tandis que Jersey
s'enorgueillit de posséder «le plus grand hôpital souterrain allemand
d'Europe», l'île voisine de Guernesey, elle, se vante d'avoir «Le plus grand
hôpital souterrain allemand des Îles angLo-normandes»! Laquelle ment? Peu
importe: cette débauche de béton militaire attire une foule de touristes,
notamment des Allemands venus admirer le travail de leurs grands bâtisseurs
de papas.
Jersey est donc devenue une place financière. D'ailleurs, il est loin, le
temps où les Français venaient en bateau faire leurs courses à Jersey, parce
que tout y était moins cher: aujourd'hui, ce sont les Jersiais qui viennent en
France faire leurs emplettes ...
Moi, je suis encore loin d'intéresser les banquiers de l'île: toutes les
semaines, expédiées en liquide par courrier recommandé, me parviennent les
royalties envoyées par mes agents belges. Ce n'est pas énorme, loin de là,
mais suffisant pour vivre à l'hôtel.

LE CONNETABLE
Comme je suis à cette époque le seul client de l'hôtel, je bavarde souvent
avec Avelino, son manager, qui connaît maintenant mon histoire et aurait
bien envie de tester le G5, aux vertus duquel il a tout de même du mal à
croire. Je lui en offre quelques bouteilles qu'il teste sur lui-même et
I,~ quelques-uns de ses proches, et Avelino est conquis. Il me propose alors de
me faire rencontrer Frank Amy, un des douze Connétables de l'île, qui souffre
depuis des années de terribles douleurs dorsales. Avelino pense que si je
guérissais Frank Amy, celui-ci pourrait m'aider à résoudre beaucoup de mes
propres problèmes. En effet, les Connétables sont parmi les personnages les
Jersey ~

plus importants de l'île. Membres élus du Parlement, ils administrent Jersey


et sont notamment à la tête des services de police.
L'entrevue a lieu au Dolphin.
D'allure jeune, souriant, décontracté, Frank ne passe pas inaperçu avec sa
carrure d'athlète, sa barbe, sa moustache et ses cheveux roux.
Dès le début de l'entretien, je prends de façon délibérée un risque consi-
dérable et lui raconte toute mon aventure, sans rien omettre. Je parle une
heure durant. Quand j'ai fini, j'offre au Connétable une bouteille de G5 avec
le mode d'emploi. A cet instant, il affiche un air bizarre. Aujourd'hui, il
raconte ainsi notre première rencontre:
«Tu ne te rends pas compte! Je suis à peine assis que voilà un type que
je n'ai jamais vu qui me raconte qu'il a inventé un médicament qui guérit
tout, qu'il est entré à Jersey sans papiers, qu'il sort de prison et qu'il a un
mandat d'arrêt aux fesses! A moi! Le chef de la police! Je me suis dit:
«Frank, il ny a que trois solutions: ou ce type est fou, et je dois le faire
enfermer d'urgence à L'asile; ou c'est un gangster, et iL faut que je Le colle en
taule illico; ou il a raison, et il faut que je lui donne une chance. » Comme
t'avais pas l'air trop dangereux, j'ai décidé de choisir la troisième solution.
Mais j'étais pas sûr que ce soit la bonne ... Quand je suis rentré à la maison
avec ta bouteille, je l'ai posée sur ma table de nuit, je l'ai regardée long-
temps, mais je n'y ai pas touché. Et puis une nuit, je souffrais tellement que
je me suis dit: « Tant pis si c'est du poison, je préfère encore mourir que d'avoir
mal comme ça! », et j'ai bu une rasade au goulot. Non seulement je ne suis
pas mort, mais j'ai même réussi à m'endormir et il m'a semblé que j'avais
moins malle lendemain matin. Alors j'ai pensé que j'avais peut-être bien fait
de ne pas te réexpédier chez les Français ... »
Frank commence alors sa cure de G5 et, deux semaines plus tard, retrouve
un sommeil normal et constate une nette amélioration de son état. Au bout
d'un mois, ses douleurs dorsales ont disparu. En moins de huit semaines, le
G5 est ainsi venu à bout des souffrances qui, depuis dix-huit ans, contrai-
gnaient Frank à absorber quotidiennement de puissants et dangereux anal-
gésiques.
Quand il revient me voir au DoLphin, le Connétable est donc devenu un
partisan enthousiaste du G5, et je lui propose de devenir le distributeur
exclusif du produit pour les lLes anglo-normandes.
Il accepte.
Peu à peu, lentement mais sûrement, je poursuis ma reconstruction:
j'achète d'abord un téléphone portable, mon premier lien direct avec le
monde depuis un an! Puis mes amis me procurent une adresse officielle,
laquelle me permet d'ouvrir un compte bancaire et d'obtenir une carte de
crédit internationale. Or, il faut savoir que dans les démocraties anglo-
10 QUI A PE ~ DE L oï c LE RI BAULT?

saxonnes la présentation d'une carte bancaire (surtout domiciliée à Jersey,


paradis fiscal) équivaut à une justification d'identité: je redeviens alors offi-
ciellement Loïc Le Ribault, libre de me déplacer comme je l'entends en
Grande-Bretagne. Bientôt, je peux même m'offrir le luxe d'un blazer, d'une
cravate, de deux chemises et de deux pantalons neufs. Au sens propre du
terme, je fais peau neuve: depuis près d'un an, je portais les mêmes vête-
ments que ceux que j'avais en prison. Elimés, rapetassés, usés jusqu'à la
corde, ils m'avaient été fidèles jusqu'à leur mort, mais me rappelaient de bien
mauvais souvenirs.
Et, tout seul dans ma chambre, j'écris, j'écris toujours.
J'écris quoi?
Tout simplement mon rapport de surexpertise pour le juge Pascal Chapart
au sujet de l'affaire ChanaL.
Ce n'est que le 1er novembre 1997 que celui-ci est enfin terminé et que
je l'expédie au juge.
Première mission accomplie.

HISTOIRE BELGE
Décembre commence par une catastrophe.
Pour accélérer les expéditions de GS, mes agents belges se rendent
plusieurs fois par semaine à la poste de Givet, petite ville située à quatre
kilomètres de la frontière avec la France. Mais du mauvais côté: du côté fran-
çais.
Les postiers, ravis, voient le chiffre d'affaires de la petite poste augmenter
en flèche, d'autant que les expéditions sont effectuées dans des paquets
Diligo pré-affranchis et payés d'avance.
On n'a jamais expédié autant de courrier depuis Givet.
Intrigué, un des postiers demande à mes agents ce qu'ils envoient ainsi,
et les malheureux lui donnent un exemplaire de la brochure «Le G5 -
Historique et applications thérapeutiques», dans laquelle figure un résumé de
mes mésaventures.
Or, ce postier est un fonctionnaire zélé, du style de ceux grâce auxquels,
pendant la seconde guerre mondiale, la police et la gendarmerie françaises
purent s'enorgueillir de tant d'arrestations de Juifs et de résistants pour le
compte de leurs maitres respectés du moment: les nazis.
Le postier, donc, court informer la police qu'un dangereux criminel évadé
vient plusieurs fois par semaine au bureau de Givet pour procéder à ses expé-
ditions illicites.
Jersey ~ 0r
Interrogé, il donne une description précise de l'agent qui, par hasard, me
ressemble vaguement.
Persuadé qu'il s'agit de moi, le S.R.P.J. envoie ses limiers en planque dans
la poste de Givet, où ils restent à l'affût derrière les comptoirs plusieurs jours
durant, guettant leur gibier.
Jusqu'au 2 décembre.
Ce jour-là, mon malheureux agent voit fondre sur lui le bras séculier de la
justice sous les traits de plusieurs inspecteurs qui, persuadés de me tenir, lui
passent illico les menottes, l'embarquent et le placent en garde à vue.
Découvrant qu'il ne s'agit pas de moi, la police essaie de Lui extorquer mon
adresse. Avant de partir, j'avais prévenu mon agent qu'en cas d'arrestation il
pouvait raconter ce qu'il voulait, y compris La vérité, puisque de toute façon
je serai hors de portée des griffes de La police française. Il indique donc sans
se faire prier plusieurs des adresses auxquelles il m'écrivait, notamment à
Guernesey, à Jersey et ... en Dominique. Mais lui-même ignore une chose: je
n'habite à aucune de ceLles-ci, le courrier ne me parvenant qu'en fin de
parcours à une adresse réelle connue seulement de deux amis vivant à
l'étranger, simples intermédiaires chargés de collecter le courrier pour moi
avant de me le réexpédier sous un autre nom.
Trente heures plus tard, mon agent est relâché. Malheureusement, tous
ses colis ont été saisis.
Quinze jours après, le 18 décembre 1997, la police belge essaie de réparer
le fiasco du S.R.P.J. français et débarque au domicile de mes agents, saisit
le stock de produit, des documents, et le disque dur de leur ordinateur,
pensant y trouver la liste des patients. Ils perquisitionnent aussi soigneuse-
ment la maison en espérant m'y trouver, allant jusqu'à fouiller sous les lits.
En vain: à ce moment précis, je contemple haineusement les côtes de France
du haut du rocher où Victor Hugo pratiquait le même passe-temps.
Cette offensive policière a trois conséquences immédiates.
La première, l'inculpation de mes amis par un juge de Neufchateau nommé
Connerotte qui, semble-t-il, instruit toujours cette grave affaire à l'heure où
j'écris ces lignes.
La seconde, l'interruption brutale de l'envoi des royalties grâce auxquelles
je survis.
La troisième est un crime contre les Droits de l'Homme.
Car depuis cette date, sur ordre du nommé Connerotte, la police munici-
pale (autrement dit les gardes champêtres!) de la commune de Libin relève
mon courrier tous les jours, en infraction flagrante avec l'article n° 8 de la
Convention européenne des Droits de l'Homme, les règles internationales
régissant le secret médical et le droit de chaque être humain à choisir les
thérapies qui lui conviennent!
] 01 QUI A PEUR , DE Loïc LE RIBAULT?

Nombre de patients, étonnés de ne pas recevoir le produit qu'ils avaient


commandé - ou, pire, inquiets de ne pas avoir mon opinion après l'envoi de
dossiers médicaux confidentiels qui m'étaient destinés - me contactent en
me demandant des explications. Informés par mes soins, certains demandent
la restitution immédiate du courrier qu'ils m'ont adressé. Voici La lettre qu'ils
reçoivent alors des gardes champêtres désormais chargés par un obscur juge
d'instruction de veiller sur la santé de mes patients français:
« Madame, Monsieur,
Suite à votre courrier reçu ce jour, je vous informe que, dans le cadre d'une
affaire qu'il instruit, Monsieur le Juge d1nstruction Connerotte à Neufchateau
a décidé de saisir tous les envois adressés à la B P 4 de 6890 Libin. A sa
demande, ce courrier nous est remis par le Percepteur des Postes et conservé
non ouvert à notre bureau. Il nous est donc actuellement impossible d'identi-
fier Les expéditeurs et de Les informer de la situation. Nous pouvons néanmoins
vous assurer que, si ces courriers contiennent des chèques, ceux-ci ne seront
pas présentés à L'encaissement.
Nous ne manquerons pas de vous informer des dispositions éventuelles qui
seraient prises par Monsieur Connerotte.
Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l'expression de nos sentiments distin-
gués.
Signé: Etienne Alexandre, garde champêtre
Copie adressée à Monsieur le Juge Connerotte.»

C'EST LA CHENILLE QUI REDEMARRE !


Totalement privé de ressources après l'arrestation de mes agents beLges,
je sollicite un délai de paiement auprès du manager du DoLphin, qui me l'ac-
corde jusqu'à la mi-janvier.
J'ai bien quelques agents chargés de diffuser le G5 dans plusieurs pays
(Grande-Bretagne, Espagne, Portugal, Allemagne), mais je ne reçois d'eux
aucune royalties. Je les rappeLle donc à l'ordre: il y a urgence, maintenant, à
me régler les sommes qui me sont dues.
Les malheureux m'expliquent alors que Le G5 est certes un excellent
produit, mais qu'il n'y a rien à faire, les ventes patinent. Depuis un an, elLes
font du sur-place, on ne sait pas pourquoi. Tellement même que ce sont eux,
mes agents, qui mangent de L'argent, Les pauvres ... ALors, pour les royaLties
qu'ils me doivent, on verra pLus tard.
Il faut faire queLque chose.
Or Frank Amy vient de recevoir son premier arrivage de G5.
Jersey n_
rl

Je décide alors de recommencer les consultations, malgré les risques que


cela représente. Après Les Boïens à Biganos, ce sera le DoLphin HoteL à Jersey.
En un mois à peine, c'est le succès.
Je commence d'abord par soigner le personnel des hôtels de Gorey Pier
que sa profession expose à toute une série de maux: brûlures et coupures en
cuisine, chutes, problèmes lombaires à cause de trop longues stations
debout, etc., sans compter, bien sûr, les rhumatismes dont souffre la majo-
rité des îliens.
Mais la population de Jersey a une autre particularité: elle est composée
de dix pour cent de Portuguais (essentiellement originaires de Madère), bien
intégrés et qui monopolisent littéralement l'industrie hôtelière. Autrement
dit, mes premiers patients jersiais sont en réalité des Portuguais, qui s'em-
pressent d'informer leurs concitoyens des bienfaits du G5, lesquels transmet-
tent la nouvelle à leurs employeurs ou collègues jersiais.
Une fois de plus, comme à Biganos, comme à Antigua, comme en
Belgique, c'est la boule de neige.
Ma moyenne est bientôt de dix à quinze consultations quotidiennes, et
mes fins de mois ne sont plus un problème.
Ici aussi, les consultations sont gratuites, mes seuls revenus étant les
royalties que me rapportent les ventes de bouteilles de G5 fournies aux
patients par Frank. Pour que le produit puisse être diffusé, il a fallu le débap-
tiser. En effet, l'appellation «G5» est protégée dans le Royaume-Uni et
réservée pour un appareil utilisé par les kinésithérapeutes. Nous avons donc
décidé de l'appeler officiellement «055» (pour Organic 5ilica 5). Pour les
patients, toutefois, il restera toujours l'irremplaçable G5.
En six mois, je soigne - tout seul - près de deux mille personnes, soit
plus de deux pour cent de la population de l'île.
Et, une fois de plus, j'accumule des centaines de témoignages.
Certains médecins de l'île commencent à se poser des questions: depuis
des années, ils ont des patients qui sont de véritables rentes, arthritiques et
rhumatisants chroniques qui viennent scrupuleusement les consulter une ou
deux fois par mois pour recevoir leur ration de coûteux médicaments qui les
maintiennent en état sans les guérir. Or, depuis plusieurs mois, ces patients
vaches-à-lait semblent avoir disparu. Sont-ils morts? Leur état a-t-il empiré
au point qu'ils ne puissent plus se déplacer? Auraient-ils eu le toupet de
changer de praticien? Devant la gravité de la situation, les médecins déci-
dent d'entreprendre une enquête et investissent dans des appels télépho-
niques. Les patients répondent, donc ils ne sont pas morts. Seraient-ils enfin
guéris, malgré les médicaments prescrits?
Le patient: «Oui, oui, je suis guéri ... »
JO r ~ PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?

Le médecin (terriblement désappointé, mais le ton faussement enjoué):


«Ah, vous voyez! Après toutes ces années, le traitement que je vous ai pres-
crit a finalement agi! »
Le patient: « Non, non, du tout. J'ai été traité au DoLphin HoteL par un
docteur français en une semaine à peine ... »
Renseignements pris, les médecins doivent se rendre à l'évidence: il y a
bel et bien, au DoLphin, un pirate breton qui a le culot de guérir leurs
malades!
Paradoxalement, mon détracteur le plus acharné est un médecin français
installé dans l'ite depuis fort longtemps. Informé de l'existence du G5, il
prétend dans un premier temps que ce produit est dangereux. Invité par des
amis communs à dîner chez eux en ma présence pour discuter avec moi, il
refuse. Des patients qu'il n'a pu soigner lui apportant des preuves irréfutables
que le G5 les a guéris, il affirme que «le produit est peut-être valable », mais
que je suis un charlatan. Aux personnes étonnées qui lui demandent comment
le G5 peut être valable si moi je suis un charlatan, il lance cette réponse
admirable: «Parce qu'autrefois Le Ribault travaillait pour l'armée. IL a volé la
formule du produit aux militaires, c'est pour ça qu'on l'a mis en prison!»
C.Q.F.D.
IL ne me manquerait plus qu'une inculpation pour espionnage militaire!
Ce n'est toutefois pas lui, mais cinq médecins jersiais qui finalement
portent plainte contre moi, et la police décide d'enquêter sur mon compte.
ILs procèdent intelligemment (ils n'appartiennent ni à la police ni à la
gendarmerie françaises), et envoient à plusieurs reprises des espions se faire
soigner. J'identifie immédiatement ceux-ci: quand ils demandent à payer la
consultation, je leur indique qu'elle est gratuite, car je ne suis pas inscrit
comme praticien à Jersey et n'ai donc pas le droit de me faire rétribuer. Les
espions insistent lourdement, précisant que personne ne le saura et qu'ils
paieront en espèces. Or, un Jersiais normal n'insiste jamais pour payer! IL
n'existe pas au monde de population plus avare. J'ai vu des milliardaires
arrivés au volant de leur RolLs Royee tordus de douleur et soignés en une
heure repartir sans acheter de produit parce que c'était trop cher ou même,
une fois, me demander une facilité de paiement 172! L'insistance des espions
à dépenser de l'argent quand je ne leur demande rien est donc aussi
éloquente que la présentation d'une carte de police. La question suivante
concerne bien entendu la délivrance d'un litre de G5. En ai-je ici de dispo-
nible? Réponse: oui, quelques bouteilles. Puis-je leur en fournir une?
Certainement. A quel ordre doivent-ils rédiger le chèque? Au nom de Frank,
bien entendu, chargé de la diffusion du G5, ou plutôt de l'OS5, à Jersey.
Frank, le Connétable, chef de la police.

172. Parfaitement authentique, et je pourrais raconter des dizaines d'histoires comme ceLLe-là.
Jersey 0[
En conséquence, la réponse des enquêteurs aux médecins qui ont porté
plainte contre moi est très claire: de quel droit peut-on empêcher d'exercer
un thérapeute qui traite gratuitement les gens et, non content de leur faire
ce cadeau, les guérit en plus?
Belle preuve que Jersey est une authentique démocratie.
Ce sont donc uniquement les royalties qui, comme d'habitude, me font
vivre, et c'est bien suffisant.

L'IMAGE DU SIECLE
Pendant que je m'acharne ainsi contre vents et marées dans mon combat
pour le G5 et le droit des Français au libre choix thérapeutique, des millions
d'entre eux, les yeux rivés sur leur petit écran, se passionnent pour un enjeu
autrement plus important: la Coupe du monde de foot-ball. Et j'ai beau prier
tous les dieux que je connais et ceux que j'ignore pour que la France prenne
une pâtée mémorable, je ne suis pas exaucé: elle gagne la Coupe!
Furieux et désolé, je rembarre verteme~t mes patients qui ont l'outrecui-
dance de me féliciter. Mes amis et les employés de l'hôtel, eux, se gardent
bien d'aborder le sujet en ma présence.
En décembre 1999, L'Express publie un numéro spécial intitulé L'album du
siècle, qui illustre parfaitement le niveau· de débilité terrifiant auquel la civi-
lisation occidentale est parvenue: sur les cent cinquante pbotographies
sélectionnées censées représenter les évènements marquants du siècle, on en
trouve en effet une consacrée à la Coupe du monde. Sa mise en page elle-
même traduit l'inversion des valeurs: d'un format de 14,5 cm sur 21 cm, elle
surplombe un autre cliché plus petit (11,5 cm x 15,5 cm) intitulé Famine au
Soudan, qui représente un homme décharné mourant de faim par terre.
Abominable illustration d'une civilisation qui a perdu tout respect d'elle-
même et des autres. Quant au commentaire, il me donne la nausée:
«Ils l'ont fait! ( .. .) Frayeur contre le Paraguay, suspense contre l'Italie,
angoisse contre la Croatie, apothéose face au Brésil: la France est championne
du monde! (. .. ) c'est une certaine idée de la nation qui a fleuri en tricolore,
et une certaine idée de la République qui a triomphé, de tolérance et d'inté-
gration, d'exceptionnelle et invincible égalité.»
Fermez le ban.
Que dira-t-on alors de l'homme qui, un jour, découvrira un remède contre
le SIDA ou le cancer, qui fera régner la paix ou éradiquera la famine dans le
monde?
C'est simple: rien!
Pour une excellente raison: le troupeau ne le comprendra pas, il n'inté-
ressera donc pas les médias. Tandis que le sport, c'est à portée de compré-
-, n
?
J QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT
L--

hension "du premier imbécile venu. Tout le monde, dans sa jeunesse, a au


moins une fois poussé une baballe ou enfourché une bicyclette; chacun peut
donc prétendre que, s'il n'est pas devenu champion de rugby ou n'a pas gagné
le Tour de France, c'est parce qu'on ne lui en a pas offert la possibilité. Allez
prouver le contraire. Tandis qu'une découverte qui change la face du monde,
c'est une autre paire de manches; peu de gens ont reçu - par la plus grande
des injustices, d'ailleurs - le don leur permettant d'y prétendre un jour.
«Donnez-leur du pain et des jeux», disaient déjà les empereurs romains
pour que la populace ne se soucie pas des problèmes importants et reste
béate. Les jeux étaient une garantie de tranquillité étatique. Les trublions
étaient exclus de la liesse populaire.
C'est ce qui explique qu'aujourd'hui encore, avec la complicité des médias,
les Gandhi, BeUanski, Priore et autres Einstein que personne ne comprend
disparaissent de la scène publique au profit des Pelé, Zidane et Platini divers
auxquels le troupeau bêlant s'identifie sans peine.
La vraie image du siècle - ou plutôt du millénaire - qui meurt devrait
être celle des gigantesques charniers humains dont les médiocraties ont
parsemé la terre.

LES ITALIENS
J'ai bientôt réuni assez d'argent pour faire éditer la première version de
mon livre.
J'en ai commandé cinq cents exemplaires, dont trente doivent m'être
expédiés à Jersey pour que je les offre à des amis parLant français.
Les livres arrivent Le 5 septembre 1998 par le bateau de la compagnie
Alizés qui, pendant La saison, fait La Liaison régulière entre La Normandie et
Jersey.
Je ne prendrai pourtant possession de mes livres qu'un mois et demi pLus
tard.
Car, tandis que depuis La fenêtre de ma chambre j'observe l'accostage du
bateau, je distingue deux hommes qui, sur le quai, regardent aussi la
manœuvre.
Et ces deux hommes, je les connais.
L'un d'entre eux est arrivé à Jersey voici un mois, et a loué un apparte-
ment dans un petit immeuble situé à cent mètres du Dolphin.
Quelques jours après, iL apparaît pour la première fois au bar de l'hôtel,
où je bois un verre en compagnie de Richard, ancien officier des Grenadiers
de la Garde devenu un ami après que je l'aie soigné des douleurs dont son
genou le faisait souffrir depuis vingt ans suite à un parachutage brutal.
Avec un très fort accent italien, il commande à boire et s'assied sur un
tabouret à côté de nous. A l'évidence, il écoute chacune de nos paroles et,
sous un prétexte quelconque, je vais dans ma chambre chercher mon appa-
reil photographique. L'Italien me suit du regard jusqu'à ce que je disparaisse.
Mon appareil est tout petit, tient facilement dans une poche, m'accom-
pagne partout et réalise des clichés d'exceLLente qualité. Revenu au bar, je
l'arme et le braque sur Richard «pour avoir un souvenir de la soirée ». En
réalité, je vise l'Italien, qui s'en rend compte. Comme piqué par une guêpe,
il jaillit de son tabouret et sort presque en courant, laissant son verre à
moitié plein sur le comptoir.
Quelques jours plus tard, alors qu'il n'est pas client de l'hôtel, Richard le
découvre dans le couloir menant à ma chambre. Il s'enfuit à son approche.
Le lendemain, c'est un Français que Richard surprend à minuit, dans le
même couloir, étudiant l'issue de secours qui donne sur l'arrière de l'hôtel.
Lui non plus n'est pas un client du Dolphin, et il prétend chercher les
toilettes, pourtant situées un étage plus bas.
Pendant quinze jours, l'Italien semble avoir disparu.
Le 4 septembre, un autre Italien arrive au volant d'une voiture de sport
rouge immatriculée en Grande-Bretagne et se gare devant l'hôtel. Il entre et
réserve la suite du dernier étage. Or, je connais bien celle-ci. C'est un appar-
tement équipé de trois chambres avec chacune un lit à deux places, jouissant
d'une vue magnifique sur le port. La suite est totalement isolée du reste de
l'hôtel et on y accède par une porte particulière très discrète ouvrant sur le
chemin piétonnier qui, derrière l'hôtel, conduit au château de Mont Orgueil.
Pourtant, l'Italien n° 2 est seul pour occuper cette suite conçue pour une
famille nombreuse ...
Il est rejoint le soir au bar du Dolphin par Italien n° 1, réapparu miracu-
leusement. Au volant d'une autre voiture rouge, également immatriculée en
Gra nde-Bretagne.
Et les deux hommes qui, au matin du 5 septembre, contemplent sur le
quai l'arrivée du bateau qui m'apporte mes livres, ce sont les deux Italiens.
Il est temps de m'enfuir!
Dans la minute qui suit, sans un « au revoir» à qui que ce soit, je suis
parti, n'emportant sous le bras qu'Arthur, mon fidèle ordinateur.
Par chance, ce jour-là, j'ai loué une voiture pour aller visiter des patients 71]
de l'autre côté de l'île et je m'engouffre dedans.
C'e* d'une cabine téléphonique que j'appelle mon ami John qui, depuis
longte~ps, a prédit ce genre d'évènement et prévu pour moi une solution en
cas d'urgence.
JO ~ I A P~ DE Loïc LE RIBAULT?

Une demi-heure plus tard, il est là avec quatre personnes dans deux
voitures.
Pendant que deux d'entre elles reconduisent ma voiture de location avant
d'aller récupérer mes affaires au Dolphin, John m'emmène chez lui.
Personne ne sait que John est un ami. Personnage en vue à Jersey, il
habite une maison dont fort peu de gens connaissent l'adresse, protégée
comme la banque d'Angleterre par une forêt d'alarmes électroniques.
En fuite une fois encore alors que je commençais à «faire mon troU» dans
l'île, mon moral est loin d'être au zénith.
Le lendemain matin, il fait un temps splendide et, pour me changer les
idées, John décide de m'emmener prendre le breakfast dans un petit café le
long de la plage.
Sur le chemin du retour, tout près de chez lui, nous croisons une des
voitures rouges qui roule très lentement. Impossible de se tromper: j'ai noté
le numéro.
Hasard?
A la maison, nous racontons l'incident à la femme de John.
«Une voiture rouge?», s'étonne-t-eLLe. «C'est bizarre ... »
«Qu'est-ce qui est bizarre?»
« Hier soir, vers mi nuit et demi, alors que vous étiez couchés, je suis aLLé
prendre un thé dans la véranda qui donne sur le · portail d'entrée. J'avais
branché toutes les alarmes extérieures, comme d'habitude. J'étais à peine
assise que tous les projecteurs branchés aux détecteurs de la cour se sont
allumés: une voiture rouge venait d'entrer. Il faisait clair comme en plein
jour et j'ai vu deux hommes à bord. Quand la lumière s'est allumée, ils ont
fait une marche arrière à toute vitesse et sont partis ventre à terre vers la
forêt. »
Et eLLe nous donne un signalement qui correspond en tous points aux
voitures des Italiens.
Autrement dit, ma cachette est déjà repérée.
Une fois de plus, je fais mes bagages.
Une fois de plus, John convoque ses quatre amis.
Une fois de plus, une voiture m'emmène vers l'inconnu.
Quand nous traversons en trombe la forêt, une voiture de sport rouge
roule tout doucement vers la maison de John. Il y a deux hommes à bord173.

173. Durant quinze jours après mon départ, on verra Les deux voitures rouges expLorer tout doucement Le
moindre recoin de l'île. Puis eLLes disparaîtront comme eLLes étaient venues.
i\......_._.._......_ _ ..__._.•.....__11 L. . . J
_ _ _ _ _ -'

Irlande

VACANCES LONDONIENNES
C'est à bord d'un ferry au départ de Saint Hélier que je gagne Poole, sur
les côtes du Dorset, en Grande-Bretagne. Après deux jours passés chez mon
ami Derek, je gagne Londres où un journaliste anglais m'a trouvé un appar-
tement en plein centre ville, à cent mètres de Covent Garden.
Complètement anonyme, noyé dans la foule de l'immense capitale, je me
sens en vacances, détendu, et je flâne comme le touriste que je suis devenu.
J'en profite pour poursuivre mon travail de lente reconstruction et fais
l'acquisition d'une serviette de cuir made in China ainsi que d'une imprimante
portable made in Japan pour mon ordinateur Made in Taiwan.
Depuis juiLLet 1995, j'ai passé ma vie à l'hôtel, chez des amis ou en
prison; pour la première fois depuis trois ans, je suis dans «mon» apparte-
ment, libre d'aller et venir comme bon me semble, de faire les courses, le
ménage, la vaisseLLe: servitudes et menues joies d'une vie quotidienne
presque normaLe ...
Je me suis même acheté une radio-cassette! Je peux enfin écouter La
musique que j'aime et non ceLLe que d'autres choisissent pour leurs clients
dans Les hôteLs et Les restaurants.
Après ces deux semaines de vacances, il faut reprendre le coUier: j'ai
décidé de partir en République d'Irlande, seul pays celtique indépendant du
monde.
C'est par Le train que je gagne l'ouest de l'Angleterre, invité chez mon ami
Brian et son épouse Jane.
Le lecteur pourra s'étonner du nombre d'amis dont je semble disposer à
travers l'Europe. A vrai dire, j'en suis le premier surpris. Le responsable, bien
sûr, c'est le G5. Tous ces amis sont d'anciens patients guéris grâce à lui qui,
témoins de son efficacité, sont scandalisés par l'acharnement dont je fais 31~1
l'objet de la part de l'administration française et se sont offerts spontané-
ment à m'aider dans mon aventure. Je crois qu'ils sont maintenant si
nombreux qu'il n'existe que de rares pays au monde dans lequelje ne dispose
pas au moins d'un point de chute!
· ~A---;;EURl DE Loïc LE RIBAULT?

Brian propose aussitôt de m'aider à franchir la frontière de l'Irlande.


Théoriquement, il n'y a pas de contrôles d'identité pour les visiteurs en
provenance de la Grande-Bretagne, mais avec la chance qui me caractérise ...
C'est donc dans sa voiture que nous prenons le ferry à destination de
Rosslare le 5 octobre 1998.

LA VERTE IRLANDE
La traversée se passe sans histoire. Je vogue vers une autre île à décou-
vrir. Après Antigua, la Dominique, Jersey, la Grande-Bretagne, c'est l'Irlande
qui se profile à l'horizon. Arrêterai-je un jour de sauter d'île en île?
Pendant le trajet, je me rémémore les photos magnifiques que j'ai vues de
l'Irlande, les collines, les lacs innombrables gorgés de saumons et de
brochets; et puis, on m'a dit tant de bien de l'hospitalité irlandaise!
A l'arrivée, je sue à grosses gouttes au moment où Brian stoppe devant le
poste de police. L'homme, souriant, assis dans sa guérite, jette un œil rapide
sur la plaque d'immatriculation du véhicule et demande (ou plutôt affirme):
« Vous arrivez d'Angleterre ... »
« Oui, oui!»
Puis il nous regarde vaguement et dit :
« Et vous êtes tous les deux citoyens britanniqu~s, n'est-ce pas?»
Brian, d'une voix ferme: «Yes!»
Moi, d'une voix tremblante: «Yêêêss ... »
« Bon séjour en Irlande, Messieurs!»
Ouf!
Je suis soulagé.
Il fait un temps splendide. Comme sur les photos des brochures de l'office
du tourisme irlandais.
Le lendemain, il pleut (ça doit être passager), mais c'est d'un cœur joyeux
que je loue une voiture: il faut que je me trouve un point de chute.
Je découvre avec ravissement l'amabilité des automobilistes que je croise
sur les petites routes, qui, presque tous, saluent aimablement de la main.
Une journée passée à Dublin (sous la pluie) me donne le cafard: c'est une
grande ville comme toutes les capitales. Je décide alors d'explorer le
mythique Connemara et le Mayo sauvage.
C'est en chantonnant que je m'élance vers l'ouest sous une pluie dilu-
vienne.
Comment ne pas pétiller d'optimisme quand on arrive dans le seul pays du
monde dont l'emblème soit un instrument de musique, la harpe celtique,
Irlande nr
UL

gravé sur les pièces de monnaie en compagnie d'un cerf, d'une bécasse, d'un
saumon, d'un taureau ou d'un paon ?174
En traversant le Connemara, je scrute désespérément le paysage à la
recherche du plus petit lac, de la moindre colline, du plus petit fragment de
plage: rien! C'est comme si on les avait enlevés après le départ des
touristes! Mais non, ils sont tout simplement gommés par le rideau de pluie
qui limite la visibilité à cent mètres ...
Je décide de poursuivre au nord vers le County Mayo, et les gouttes
semblent grossir à mesure que j'avance.
C'est à quatre heures de l'après-midi que le déluge cesse de tomber.
Un timide rayon de soleil s'infiltre en force entre des masses d'énormes
. nuages qui le coincent sans pitié.
Courageusement, il illumine un lac scintillant, des collines couvertes de
centaines de moutons, un torrent, des vieilles maisons de pierre au toit de
chaume, bref, un paysage de propagande r magnifique, d'une beauté à couper
le souffle.
Au fronton d'un pub multicolore, il fait aussi étinceler l'alléchante
enseigne noir et or de Guinness.
Un vrai pub, comme on n'en trouve qu'en Irlande, bourré de vieilles affi-
ches, de bouteilles centenaires (vides, c'est pour la décoration), où briLLe le
feu de tourbe à l'odeur inimitable.
Quand je m'approche, le tenancier, sourire fendu jusqu'aux oreilles, s'ex-
clame:
« What a lovely weather, isn 't it?»
Je suis abasourdi:
« Pardon? Vous dites?»
«Qu'on a un sacré beau temps, tiens! Vous ne trouvez pas?»
«Quand ça?»
«Mais là, maintenant! Vous ne voyez pas que le soleil brille?»
«Euh ... oui ... depuis cinq minutes ... »
«Eh ben justement, c'est toujours cinq minutes de gagnées! C'est pas
tous les jours fête! Faut en profiter!»
Et il pose sur ma table la Guinness crémeuse dans la mousse de laquelle, BI
avec les dernières gouttes, il a gravé en signe de bienvenue le trèfle à trois
feuilles, symbole de l'Irlande et porte-bonheur.

174. Depuis la mise en circulation de l'euro, hélas, les animaux ont disparu et seule subsiste la harpe.
JO 1 QUI A PEUR I DE Lo ïc LE RIBAULT?

En buvant ma pinte devant la cheminée, une vague inquiétude m'envahit:


si cinq minutes de soleil déclenchent un tel enthousiasme, le climat ici n'au-
rait-il pas tendance à être un peu humide?
Quand je quitte le pub, des trombes d'eau m'obligent à courir jusqu'à la
voiture.
Après quinze jours d'errance sous la pluie, je trouve enfin l'hôtel qui me
convient, un peu du style du Dolphin, mais devant lequel un lac remplace la
mer. C'est le Healy's, à Pontoon, dans le sauvage et magnifique County Mayo.
Totalement isolé, il promet une tranquillité idyllique. Exactement ce qu'il
me faut. Car j'ai décidé de rester longtemps sur place. Je ne sais pas pour-
quoi. Mais je sens qu'en Irlande beaucoup de choses vont avancer pour moi:
dans un pays celtique, on doit s'attendre à des miracles.
Quan.d j'informe John Dever, le patron, que si je me plais chez lui, je
pense rester deux ou trois mois, il me regarde d'un air incrédule:
« Mais c'est la morte saison! La pêche175 est fermée! »
«Je ne viens pas pour pêcher: je suis écrivain et je termine un livre. C'est
pour ça que je cherche un hôtel calme ... »
«Oh alors là, pas de problème! Ici, vous serez tranquille: la plus proche
ville est à vingt kilomètres!»
Et il me serre la main avec un grand sourire: en Irlande, les écrivains, les
poètes et les fous sont toujours les bienvenus.
Dehors, il pleut.
Au Healy's, je vais me tenir sage.
C'est promis.
Et je tiens ma promesse.
Quinze jours.

L'HOMME DU MONDE
Vers le 20 octobre, une journaliste de la chaîne télévisée de la B.B.C.
m'appeLLe. Selon sa coLLègue de Jersey, en effet, il semblerait que grâce à un
produit que j'aurais inventé des centaines de gens - dont beaucoup consi-
dérés comme incurables - auraient été guéris. Cette information est-eLLe
exacte? Et est-il également exact qu'un mandat d'arrêt ait été lancé contre
moi par un juge français?

175. Entendez par là la pêche à la truite et au saumon, seuls poissons dignes d'attention pour les
Irlandais. Les autres, tels que le brochet, la perche, etc., rêve des pêcheurs et régal des gastronomes du
continent, sont considérés comme des nuisibLes immangeables tout juste bons à donner au chat quand
par malchance on en attrape en traquant Le poisson «noble ». leur capture est évidemment autorisée
toute L'année. Sans permis.
Irlande ~ [1

Je ne peux que lui confirmer l'exactitude de ses informations, et elle me


demande l'autorisation de me rencontrer en Irlande pour effectuer un repor-
tage.
Quatre jours plus tard, elle est au Healy's avec un preneur de son et un
cameraman.
Miracle: pendant l'heure où on m'enregistre, il a cessé de pleuvoir, et le
film peut être réalisé sur la terrasse de l'hôtel. Pour l'occasion, j'ai revêtu
mon blazer et noué ma cravate.
. Je porte une chemise de marque française offerte par une jeune
Congolaise, ma cravate aux motifs celtiques est irlandaise, mon blazer et mon
pantalon sont jersiais, mes chaussures sont anglaises, mes chaussettes
belges et ma montre suisse.
Quant au sourire éblouissant que je décoche à la caméra, il est à moitié
(prothèse inférieure) dû à la virtuosité d'un dentiste antiguais, et moitié
(prothèse supérieure) dû à une émouvante collaboration internationale à
partir d'une ébauche française modifiée en Belgique, ravaudée à Jersey et
peaufinée en Irlande. Espèce de Gros Poucet d'un genre très particulier, je
sème mes dents sur la terre entière. Mes périgrinations incessantes m'ont
transformé en agence de voyage pour crocs curieux d'horizons nouveaux: au
cours des trois dernières années, une incisive séduite par les Tropiques m'a
quitté en Martinique, deux autres l'ont imitée sur une plage d'Antigua, cinq
ont été exécutées à Arcachon quelques heures avant mon arrestation, une
s'est évadée en Belgique, une autre s'est réfugiée à Jersey et deux ont pris
le maquis en Irtande.
Il n'y a pas à dire: grâce à la justice française, je suis devenu, au sens
propre, un parfait homme du Monde ...
Le personnel du Healy's, agglutiné devant l'hôteL, regarde d'un œil inter-
rogatif et écoute d'une oreille étonnée l'écrivain tranquille qui relate l'his-
toire d'un homme à la vie bien agitée. Peut-être évoque-t-il un personnage
de son livre? Mais alors pourquoi parle-t-il à La première personne?
En fin d'après-midi, la B.B.C. s'en va. Stupéfiée par ce qu'elle a appris, la
journaliste a décidé de partir sur-le-champ à Jersey pour y rencontrer
quelques-uns des patients que je prétends avoir guéri.
Le reportage est diffusé le 17 novembre au cours du Journal Télévisé de
la B.B.C. dans le sud-ouest de la Grande-Bretagne et à Jersey. Je reconnais 379
avec plaisir Frank, Maria, Richard et plusieurs de mes patients qui vantent les
mérites du G5. Un médecin britannique reconnalt ne pas pouvoir expliquer
son mode d'action, mais déclare que ce n'est pas une raison pour ne pas
profiter de ses vertus.
10LQUI A P~ DE Loïc LE RIBAULT?

Le même jour, la radio de la B. B. C. de Jersey diffuse à plusieurs reprises


un long reportage au cours duquel s'expriment de nombreux patients guéris
par le G5.

NOEL EN IRLANDE
Décembre arrive.
Cela fait trois mois maintenant qu'il pleut sans discontinuer ... J'ai l'im-
pression de retourner tout doucement au marécage originel, d'avoir les
écailles qui poussent et les ouïes qui se développent.
Un matin, je me réveille avec l'articulation d'une épaule douloureuse. Sans
doute un faux mouvement? Le lendemain, la seconde me fait également
souffrir. Il me faudra trois jours pour comprendre que je souffre de rhuma-
tismes! Des rhumatismes? Moi? L'inventeur du G5? C'est un comble! Pourvu
que personne ne Le sache! J'entame immédiatement une cure intensive
d'épaisses compresses et de grandes gorgées de G5. Les rhumatismes capitu-
lent.
Pour faire diversion, la neige maintenant alterne parfois avec la pluie.
Dès le début décembre, l'Irlande se pare toute entière pour les fêtes de
Noël. Presque toutes les maisons sont décorées de guirLandes et de sapins
disposés non seulement à L'intérieur, mais aussi sur Les façades et dans les
jardins. Ceux placés à l'intérieur sont soigneusement disposés derrière Les
fenêtres pour que Les passants jouissent du spectacle. La nuit, quand Le
temps le permet, on voit briller la moindre maison perdue dans les collines.
C'est ça, en fait, la vraie chaleur de l'Irlande: pas La chaleur chiffrée des
bulletins météos, mais celle qui rayonne du cœur des Irlandais.
A partir de la mi-décembre, les amis ont décidé de se relayer pour
distraire ma solitude; j'ai le plaisir d'accueillir Lydie et Richard (il neige),
VioLette et Martine (il pleut), Maguy passe Noël avec moi (il neige) et
Fabienne le Nouvel An (il pleut).

LA P'TITE MAISON DANS LA COLLINE


Fin janvier 1999, j'en ai assez de vivre à l'hôtel et me mets en quête d'une
maison nette à louer.
Agée de deux cents ans, elle est toute en pierres apparentes, avec un toit
d'ardoises et des volets peints en rouge; perdue dans les collines, elle est si
isolée que je dois demander au facteur de faire une tournée spéciale de
distribution de courrier à ma seuLe intention.
Située à dix kilomètres du hameau le plus proche, on y accède par une
route minuscule, sinueuse et défoncée, qui franchit des ruisseaux et des
Irlande 0
ponts miniatures, encombrée de moutons ahuris et de vaches impassibles. Il
leur arrive parfois, après bien des négociations, de laisser le passage. Le croi-
sement avec les rares automobiles rencontrées est épique et se résoud avec
des frôlements de carrosserie et des manœuvres hasardeuses ponctuées de
sourires et de grands saluts de la main.
A la maison, bien au chaud devant le feu de tourbe qui brûle jour et nuit,
je contemple les lambeaux de paysage dilués par la pluie incessante. Coincée
entre les lacs, les rivières, les tourbières, la mer et les trombes d'eau qui
tombent du ciel, on se demande comment l'île surnage encore ... Les flancs
des collines sont parsemés de points blancs dont on ne sait trop s'il s'agit de
rochers ou de moutons. Quand je lève les yeux de l'écran de mon ordinateur,
j'ai souvent l'impression que la colline a bougé. Mais non: sans jamais relever
la tête, broutant du matin au soir, ce sont les centaines de moutons qui se
déplacent imperceptiblement. Un ami venu passer quelque temps avec moi
les appelle les cailloux mous.
Une maisonnette au beau milieu de rien, d'où on voit rarement un être
humain mais qu'une multitude invisible épie à longueur de journées.
Deux ou trois fois par jour, un tracteur escorté de quatre chiens passe
devant ma fenêtre. Je me lève pour contempler le trafic, et le conducteur me
salue joyeusement.
Il ne se passe guère de jour sans qu'un mouton, une vache, un faisan, une
bécasse, un blaireau, un lapin ou un lièvre ne vienne me rendre visite. Un
pinson est devenu si familier qu'il réclame son dû à grands cris devant la
porte lorsque j'ai oublié de lui servir sa pitance.
Le soir, dans les collines, les vaches se hâtent lentement vers leurs
rendez-vous mystérieux.
La paix ...
En dépit de son climat, je suis chaque jour un peu plus séduit par le
charme de l'Irlande. Je m'y suis fait des amis, eux aussi perdus dans les
collines. Je me sens libre, affranchi de toute obligation, serein.
En Irlande, insensiblement, je prends racine.
Oh, juste des radicelles ...

LA POSTE DE ROSS
Le temps passe, mais je ne reste pas inactif: des articles sur le G5
commencent à paraître dans des revues spécialisées en médecines alterna-
tives, j'ai décidé de faire fabriquer le produit en Irlande et d'y créer officiel-
lement une société pour expédier le produit.
10[Q'U I A P:_U R DE Loïc LE RI BAU LT ?

Pour cela, je quitte la P'tite maison dans la colline et emménage dans une
villa suffisamment grande pour y aménager plusieurs bureaux. Elle est située
à Castlebar, la capitale administrative du County Mayo.
Le 9 juillet, enfin, le laboratoire commence à produire le G5 !
Je suis désormais mon maître!
Il est temps de dire un mot de la poste de Ross, que Marie, sa respon-
sable, mène d'une main de fer cachée dans un gant de velours.
J'avais fait sa connaissance quand je vivais dans la p'tite maison dans la
colline, et nous avions sympathisé. Elle connaît donc mon projet fou: expé-
dier le G5 depuis l'Irlande.
Or, la poste de Ross est
menacée: perdue à un carre-
four planté au milieu du néant
(Fig. 82), elle n'est pas
rentable au sens technocra-
tique du terme. Que voulez-
vous, l'Irlande s'européanise,
et qu'importe aux fonctionnâ-
tres de Dublin si les postes
isolées comme celle de Ross
sont vitales pour les rares Fig. 82: La poste de Ross
habitants qui l'entourent. Car (la toute petite maison à gauche).
le responsable d'une petite poste, dans l'Irlande rurale, n'est pas que postier;
il s'occupe des vieilles personnes isolées, leur apporte et va chercher leur
courrier, se déplace en ville pour leur acheter des médicaments, remplit pour
eux les formulaires administratifs qui sont de plus en plus compliqués,
appelle le médecin en cas de besoin. J'ai même vu Marie aller tous les matins
et tous les soirs ranimer le feu de tourbe chez un vieillard solitaire qui ne
pouvait plus se déplacer et, en fin de compte, le conduire à l'hôpital pour
passer l'hiver. N'empêche: la poste de Ross, comme des centaines d'autres en
Irlande, n'est pas financièrement rentable. On a donc, en haut lieu, décidé
de fermer toutes les petites postes irlandaises.
C'est le genre de décisions qui ont le don de me mettre en colère: de quel
droit les fonctionnâtres de Dublin se permettraient-ils de fermer ma poste?
Marie, mise au courant de nos projets, y voit un espoir. Mais bien faible:
ce projet dingue se réalisera-t-il? Et si ça marche, les responsables de la
Grande poste, là-bas, dans la Grande ville (6 000 habitants) ne vont-ils pas
382
tout mettre en œuvre pour récupérer le marché?
Et puis le laboratoire démarre!
Et puis le produit arrive!
Et puis les commandes venues de France sont là! Par centaines!
Irlande 0[

Alors, Marie, qui avait toujours cru à ce projet insensé, sait maintenant
que le rêve est sur le point de devenir réalité.
De mon côté, j'ai fait imprimer des étiquettes, fabriquer des tampons,
acheté des boîtes pour expédier des colis d'un litre, de deux ou de quatre.
Mais en Irlande les colis préaffranchis n'existent pas. Ce qui signifie qu'il
faut, sur chaque colis, coller une étiquette «prioritaire - par avion», et
apposer le nombre de timbres nécessaire. Un travail fastidieux et épuisant,
quand vous avez des milliers de paquets à expédier.
Alors, j'ai aussi acheté des éponges pour humecter le dos des timbres.
Nous sommes fin prêts pour les expéditions le 20 juillet.
Le jour où Marie se rend à la Grande poste de la Grande ville commander
pour le lendemain 15 000 € de timbres, tout le monde s'écroule de rire. On
la connaît bien, Marie, on sait qu'elle ne boit pas une goutte d'alcool. Elle
ne boit que du thé, en quantités phénoménales. Donc, elle n'est pas ivre,
c'est sûr. Mais elle aime la viande. Le bœuf, surtout. Alors, peut-être vient-
elle d'être frappée de plein fouet par la maladie de la vache folle?
En tout cas, ses timbres, entre deux éclats de rire, on les lui promet pour
le lendemain matin à neuf heures.
Le lendemain matin, donc, à neuf heures précises, Marie entre à la Grande
poste de la Grande ville, arborant fièrement un chèque que je lui ai remis
quelques minutes auparavant.
Comment j'ai pu réunir 15 000 €, ne me le demandez surtout pas: je ne
répondrai sous aucun prétexte, même et surtout en présence de mon avocat.
Mais ce qui est sûr, c'est qu'avec ces timbres, nous allons pouvoir expé-
dier des centaines de paquets, donc encaisser les chèques qui correspondent
à ces commandes, grâce auxquels il sera possible d'acheter d'autres timbres,
qui permettront d'expédier de nouveaux colis, etc., etc. Autrement dit, à cet
instant, la machine sera enfin remise en route. L'éterneLLe histoire de la
boule de neige, quoi.
Marie, donc, un large sourire aux lèvres, dépose le chèque devant le Chef
de la Grande poste de la Grande ville.
«Voilà », dit-elle, «je viens chercher les timbres promis!»
Et là, subitement, on ne rit plus dans la Grande poste de la Grande ville.
Il y a même comme un lourd silence qui s'installe. Pesant. Et qui dure.
«Ben alors, mes timbres ?», insiste Marie.
«C'est que ... »
«C'est que quoi? », interroge Marie, dont on ne peut guère affirmer que la
patience soit la qualité dominante.
«C'est que ... c'est qu'on ne les a pas ... »
~ ~ L~ PEURl DE Loïc LE RIBAULT?

« Et pourquoi ça?»
« Mais enfin, Marie », s'insurge le Postier en Chef, «comment veux-tu
qu'on t'aie crue, hier, quand tu m'as demandé pour 15 000 € de timbres?
Pour la poste de Ross! On a pensé que c'était une blague, voilà ... »
Marie commence à prendre une teinte violacée du pLus mauvais augure :
« Ben non, c'était pas une blague, la preuve! Et maintenant, qu'est-ce que
je leur dis à mes clients, les Français, là-bas, qui attendent leurs timbres? Et
qui les ont payés d'avance? Avec un chèque certifié? Hmmm? Je leur dis
quoi, aux Français?»
C'est ainsi qu'en fin de matinée une voiture rapide des postes, envoyée
tout exprès de Dublin, m'apporte à domicile les timbres tant espérés.
Maintenant, nous sommes parés!
Marie a réuni une équipe de jeunes volontaires qui empaquettent le G5 à
tour de bras, écrivent les étiquettes, entassent les colis (Fig. 83) et les
passent à Marie qui, à la chaîne, usant éponge après éponge, colle Les
timbres et les oblitère sans répit (Fig. 84): la poste de Ross s'est déplacée à
mon domicile, tout si mplement!
En quelques heures, les cartons pleins de G5 ont envahi toute ma maison.
En fin d'après-midi, des
camionnettes des postes vien-
nent prendre livraison des
paquets, et le premier envoi
de G5 irlandais s'envole vers
la France.
Deux jours après, quand
Marie revient à la Grande
poste de la Grande ville pour
commander encore plus de
timbres que la première fois, Fig . 83: l:équipe des voLontaires. De gauche à droite: Patty,
personne ne s'esclaffe. A neuf KathLeen, Ann, Marie et Noreen.
heures le lendemain matin, (
les timbres attendent Marie.
Ils sont arrivés dans la nuit.
Trois jours plus tard, le
chèque est encore plus gros.
Cette fois, à la Grande poste ,"
]13 de la Grande ville, on regarde
Marie avec une sorte de
crainte. A-t-elle l'intention de
continuer longtemps comme ~
ça? Fig. 84: Marie n'arrête pas de coLLer et d'obLitérer Les
timbres sur Les coLis de G5.
Irlande L

Le lendemain, le montant du chèque a doublé, et, dans la Grande poste,


on considère Marie avec une inquiétude manifeste.
Quelques heures plus tard, un haut responsable de la poste de Dublin
m'informe que ce serait peut-être beaucoup plus simple de commander les
timbres dans la Grande poste de la Grande ville plutôt que dans une petite
poste perdue dans la campagne. J'oppose un refus catégorique: la respon-
sable de la poste de Ross a cru en mon projet, elle m'a aidé, il est hors de
question que je la trahisse.
Ainsi la petite poste de Ross fut-eLLe sauvée; son chiffre d'affaire, propor-
tionnellement au nombre d'habitants qu'elle dessert, est sans doute devenu
le plus gros d'Irlande. Plus personne n'envisage de la fermer.
Et, le lendemain de mon refus absolu, quand Marie entre dans la Grande
poste avec un chèque comme on n'en a jamais vu dans la Grande ville, c'est
avec respect qu'on la salue.

LA JUSTICE AGIT ENFIN!


Le 21 octobre de l'an de grâce 1999, mon inquisiteur personnel Alain R.
pique une grosse colère.
Ce jour-là, il lance contre moi un mandat d'arrêt international « au nom
du peuple français ». Rien que ça ...
Le texte reprend mot pour mot celui du mandat d'amener du 10 décembre
1996. (Fig. 85)
Avec pas moins de huit chefs d'inculpations pour avoir enfreint trente (!)
articles des différents codes de la loi française, je deviens un individu dange-
reux.
Moi, je trouve ça à hurler de rire. Pas vous? Surtout quand on se souvient
que pas un seul patient n'a porté plainte contre moi. Dans mon dossier ne
figurent toujours que deux plaintes: celle de l'ordre des médecins et celle de
l'ordre des pharmaciens, qui, depuis plus d'un demi-siècle, cautionnent et
couvrent volontairement les centaines de milliers d'assassinats commis en
toute connaissance de cause par l'industrie pharmaceutique.

UN DES MATINS LES PLUS ENSOLEILLES DE MA VIE


En février 1997, juste après ma sortie de prison, les huissiers me firent
savoir que l'Etat estimait que j'avais reçu un énorme trop-perçu. J'étais bien
d'accord: un énorme trop-perçu de vols, de spoliations, de coups, de saisies,
_1
d'emprisonnement arbitraire, de détournement de brevets, d'humiliations,
d'exil, de deuils, d'inculpations fantaisistes, de blessures morales et
physiques et j'en passe.
JO 1 QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?

TRr.:~NAL
DE GRANDE INSTANCE
DE IIORDIlAUX
1
CABINET
Dl! MoMtur AIIIn Il .
lUGE D'/NSTRUC110N

". OP. .AIQIIP.f • t$M1OI,


.. D'fMnIlK.'1"IOfI ; 1IIMIAI
MANDAT D'AIUŒT INT2RNATIONAL

IlE1'VBLl~.I'llANCA1SE
AU NOM DU miPLE l'llANCAlS
.S-
Ncu!. AIaIa Il. l1Ip 01·-......., .. Tribomal do GnIIdo lIIAIce DB BORI>BAUX
VU la proo6cIul1I d'ÏIIIOnIIIIIOft _ du CRI dot cbofo <le lI4tIcIioaI _ la nooborcIIo
lrioà>IdJcale • Il• . . -
~ do la plIarllllOio • CommerciaII-.o do _ _ __
... MM • Flbricaclœdo _ .... 00II<IriIIâ00 - PIlbllchf..,1ivoat do~
IWpoo""S d'AMM cl _ ... ~ _ pbarmooeuôqao - Elasrclce lIWpI do la _ _ -
Eoct'OqlAllrieo et ~ al' lei '1""11* subollnli$U.. do Il cbooo . . - • l!Jadœ
1Ilfp! dl Il'pI!aImocic • C~iIi fila pmu. ct .~. . . pc let antël .. L 209.3, '1..
209.9. L 209.10. L 209.12. L 209.19. L :209-20, L SIl. L 112. L '17. L 601. L S18. L
~19, l 596. L j91. L 531,2, L "1·'. L '5HO. L.. j!S6, L 3!S6. L m.
L 176 du code do
la nom publique. m·I, 313-3, 12106. 12\.7 dI1 code pm.! et L '11~I, L 213-2 du <Ode
cie la ~ ct ~le r.oatte:
LE II1BAVLT ...... J'O'I"'IIIO 1IIiJo ... - .
Vu lot .....~_ "'"* de ~ le Pmc:u ..... <le la tipubli<p.

Vu1etlldda 122. 123. 131 .. 132 du Oo<Iode_... _ .


MandonI el œIoGooat à .... aIIi..... ou qoàUdt la ~,iodIciaire " 1 IIIUI opDIt do
Il r-. l'Ubliqolc do rochercIlor ct cie c""d,lIre • la _ d'.m. do - . alaa6......
CX1IIl'ormaIIlllaloi,
LeIlOllllllt ; LE IIlIlAULT

-
Pr6na1111D6 : lAIe
JoItIe : 18Avri11947
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S"""I'Ùb" de."""" • JERSBY ou GUERNESEY
1n~_.urteT-"N_

Fig, 85: Mandat d'arrêt international du 21 octobre 1999.

Mais la lecture attentive de l'acte que me tendaient les buveurs de Larmes


me fit rapidement comprendre que l'Etat français ne songeait nullement à
réparer les dommages qu'il m'avait fait subir. Au contraire, les impôts esti-
maient, eux, que je devais 135 000 € à l'Etat! Pourquoi? Aucune idée: je
n'avais jamais gagné d'argent!
Autrement dit, les huissiers allaient revenir bientôt me saisir le peu de
biens qui me restaient. C'était hors de question. Avec deux amis fidèles (dont
je tairai les noms 176 ), je décidai de déménager et de cacher mes meubles.
---_._-_._ - -
176. Mais ils savent combien je les aime, même si parfois je ne sais pas leur montrer ...
Irlande 0L
Or, à l'époque, je ne possédais plus que trois choses au monde: une
poignée d'amis (moins d'une dizaine), mes archives (des milliers de docu-
ments et de livres) et les meubles hérités de mes parents.
Lorsque je dus m'enfuir le 8 avril 1997 pour échapper à une nouvelle
arrestation, je compris qu' «on» ne me lâcherait jamais. J'étais devenu
fugitif à perpétuité, donc mes archives ne me seraient plus d'aucune utilité.
De ma première cachette180, je téléphonai à mes amis pour leur confirmer de
cacher mes meubles, mais de détruire toutes mes archives et de vendre mes
livres. Puis je m'enfuis en Belgique et de là en Hollande et au Luxembourg,
à Jersey, en Grande-Bretagne et enfin en Irlande.
C'est dans cette île que le miracle s'accomplit au bout d'un an: j'avais
refait ma vie, morceau par morceau, pierre par pierre. Dans un pays qui, pour
tout Breton, est une seconde patrie.
Après quarante-cinq mois d'errance dans le monde, sautant d'île en 'île et
d'hôtel en hôtel, je pouvais enfin louer une maison!
Mais cette maison était vide, bien sûr.
Je demandai donc à mes amis de me faire parvenir mes vieux meubles,
cachés depuis trois ans dans un endroit perdu d'une forêt française.
Le jour de leur livraison, j'attendais impatiemment, à sept heures du
matin, l'arrivée du petit camion qui m'apportait la chambre à coucher de
famille, les deux lit-clos bretons, le buffet sculpté et quatre chaises.
Et c'est bien à l'aube qu'un camion vint, qui s'arrêta devant mon domicile
avec un soupir de mammouth exténué.
Car mammouth est le mot qui convient: ce n'était pas le petit véhicule
auquel je m'attendais, mais un énorme camion, le style tout-juste-avant-le-
semi-remorque. Sans doute l'entreprise de déménagement avait-elle regroupé
plusieurs livraisons pour l'Irlande.
Le conducteur descendit, bâilla, s'étira et demanda:
« Bon, je peux visiter la maison?»
«Bien sûr ... »
«Parce que, vous comprenez, il faut que je calcule où ranger tout ça ... »
«Tout ça quoi?»
«Ben tout le bazar, là, dans le camion, tiens!»
«Attendez, il doit y avoir une erreur: pour moi, il y juste quelques
meubles ... »

177. Une gendarmerie de province où j'avais été recueilli par le commandant qui, ainsi que tous ses hom-
mes, connaissait parfaitement ma situation. Je fus même appeLé un soir pour soigner au G5 un des
gendarmes de la brigade qui s'était gravement brûlé La main.
"~
...J 1 QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?

«Ouais, ouais! Sauf que c'est pas vous qui avez dû charger les quatre-
vingt sept caisses de bouquins qui remplissent mon bahut! Une caisse de
papelards, ça pèse le poids d'un âne mort, vous savez. Alors, quatre-vingt
sept ... »
Et il ouvrit les portes arrière de son mastodonte.
J'étais pétrifié: le camion était bourré jusqu'au toit non seulement de mes
quelques meubles rescapés, mais aussi de toutes mes archives et de ma
bibliothèque au grand complet!
Mes amis m'avaient désobéi. Ils n'avaient rien détruit!
Médusé, durant des heures, je regardai les pauvres déménageurs en sueur
coltiner les masses de documents. Ils entassèrent au hasard la montagne de
cartons, d'où s'échappèrent immédiatement nombre d'araignées et d'insectes
rampants ou volants de race indéterminée, mais visiblement mécontents du
dépaysement.
Alors, à l'instant précis où les premiers cafards s'élançaient sur le plan-
cher et les mites vers le plafond, j'eus une illumination: j'étais un imbécile.
Et je compris ma chance: non seulement j'avais quelques amis fidèles,
mais ils étaient intelligents.
Plus que moi: Presque tout ce que j'ai écrit précédemment avait été
rédigé de mémoire. Il fallait que je me remémore tout, que je trouve des
témoins à citer, des preuves conservées ou détenues par des tiers. Tâche
ingrate, énorme et difficile: les lâches, les collaborateurs et les ingrats sont
traditionnellement si nombreux en France ... Je n'avais même plus trace des
centaines d'articles de presse publiés sur le C.A.R.M.E., des dizaines d'heures
d'émissions télévisées qui m'avaient été consacrées, des innombrables photo-
graphies réalisées par des journalistes. Même plus trace de mes diplômes et
de mes distinctions diverses.
Et voilà que, grâce à mes amis, toutes les preuves écrites s'entassaient,
caisse après caisse, araignée après punaise, cafard après cloporte, dans mon
nouveau logis!
Ils n'avaient rien, mais vraiment rien détruit!
Il Y avait même mes agendas, soigneusement tenus au jour le jour
depuis ... trente-cinq ans!
Ce matin si pluvieux de l'hiver 1999 fut un des plus ensoleillés de ma vie.
Parmi les meubles sauvés du naufrage se trouvait un des coffres de
«Tonton» Jean Ribault, dont j'ai parlé précédemment.
Ce qui explique sans doute que, dans la famille, nous n'avons jamais eu
de bons rapports avec Les religions, quelles qu'elles soient. Ceci pour
répondre à nombre de mes lecteurs qui ont trouvé que je me montrais
agressif vis à vis de La reLigion cathoLique. C'est une erreur: toutes les reli-
Irlande [J[

gions, sans exception, me révulsent. Les religions, après tout, ne sont que
des sectes qui ont réussi.
Quant à la catholique, je n'en garde en mémoire que trois anecdotes, que
j'aimerais oublier.
La première, c'est que lorsque je naquis, la tradition voulait que le
nouveau-né soit baptisé dans les quelques jours suivant sa naissance. La
tradition voulait aussi que, le jour du baptême, les cloches de l'église sonnâs-
sent pour annoncer à la population ravie l'arrivée d'un nouveau paroissien.
Malheureusement, ma mère tomba malade, dut rester alitée, et ne recouvra
ses forces qu'après le délai imparti pour que les cloches fussent autorisées à
sonner pour le baptême de son rejeton. En effet, pendant le temps où ma
mère était malade, j'étais resté en état de péché. Bref, j'étais un damné en
sursis. Le curé décréta donc que je n'avais pas droit aux cloches (ce dont je
me moquais éperdument). Mais ma mère, femme de ressource s'il en fût,
retarda encore mon baptême, de façon à ce qu'il coïncidât avec celui du fils
d'une de ses collègues, aggravant ainsi délibérément mes risques de damna-
tion éternelle en cas de mort subite du nourrisson. Néanmoins, je ne mourus
point. Donc, le jour de mon baptême et de celui du fils de la collègue de ma
mère, les cloches beuglèrent allègrement dans la ville de Vannes, et chacun
put croire qu'elles mugissaient en mon honneur. Ainsi était ma mère. Qui,
toutefois, ne digéra pas l'insulte et me fit confectionner une médaille de
baptème sur laquelle figurent ... des cloches.
La seconde histoire concerne mon père, surveillant général au collège
Colbert de Cholet, en Vendée. Un jour, en 1956, il eut assez d'argent pour
acheter une voiture. C'était une magnifique Peugeot 203 décapotable gris
clair. Le problème était que nous étions logés au collège, mais que, les
voitures étant une denrée rare à l'époque, aucun garage n'avait été prévu
dans le logement de fonction. Il lui fallait donc en louer un. Alors, dans toute
la bonne ville de Cholet, mon père se mit en quête d'un garage. Il en trouva
des tas. Des dizaines. Mais, à chaque fois, le propriétaire lui demandait quel
était son métier, où il travaillait. Des garanties, quoi. Et quand il répondait
«je suis le surveiLLant général du collège CoLbert», on lui claquait la porte au
nez en disant: «on ne loue rien à quelqu'un qui travaille dans l'école du
Diable! »
Ainsi était Cholet dans les années 50.
L'administration laïque fit donc construire un garage dans l'enceinte
même du collège.
A côté de Icelui-ci existait une grosse usine de textile. Tous les dimanches
matins, un c9ntremaitre était en faction à l'entrée de l'église et pointait les
emplo~és arrivant à la messe. Celui qui manquait le saint office sans excuse
consid1rée comme valable était licencié le lundi matin.
]0
fOu I A PEU R DE Lo ïc LE RIBAULT ?

Enfin, le troisième exemple, c'est moi. J'avais été obligé, comme tout le
monde, de faire ma première communion, ce qui impliquait de suivre le caté-
chisme, lequel m'énervait prodigieusement. Car le prêtre chargé de nous
inoculer la doctrine n'arrêtait pas de nous parler de mystères, chose que je
ne pouvais tolérer. Il y avait le mystère de l'Immaculée Conception, celui de
la Création, de la Rédemption, et bien d'autres encore, dont je ne me
souviens pas et ne tiens nullement à me souvenir. J'avais onze ou douze ans,
et déjà un mauvais caractère. A chaque fois où le prêtre parlait de mystère,
j'exigeais des explications claires, logiques et scientifiques. A l'époque, je
lisais déjà énormément, surtout des livres de sciences naturelles.
Pendant les cours, je ne manquais pas une occasion de poser des ques-
tions enfantines, du style «Pourquoi Dieu a-t-il créé des êtres vivants qui s'en-
tretuent pour se nourrir, alors que ça aurait été si simple pour lui d'en fabri-
quer qui se seraient nourris avec l'oxygène de l'air ?», ou «Puisque L'Homme
n'utilise en moyenne que 2% des cellules de son cerveau, croyez-vous que Dieu
l'a fait exprès pour qu'il ne puisse pas comprendre les mystères, mais en ce cas
pourquoi avoir fabriqué 98 % de cellules en trop?»
Lorsque je levais le doigt pour poser une question, je voyais au fil des
semaines le prêtre se recroqueviller davantage, comme dans l'attente d'un
mauvais coup.
Enfin, le jour où je lui demandai «Qui a créé Dieu?» ses nerfs lâchèrent
et, épuisé, il me reconduisit à la maison en déclarqnt à mes parents que je
lui rendais la vie impossible.
Il m'aimait pourtant bien, ne manquant pas une occasion de me caresser
gentiment les cuisses, assis sur ses genoux, quand j'allais à confesse.
Confession que, soit dit en passant, je faisais selon la technique impa-
rable enseignée par ma mère: dans un premier temps, avouer quelques
péchés, sauf les principaux, puis terminer en disant «j'ai péché par omis-
sion». Absolution garantie.
Donc, parmi les meubles récupérés se trouvait un des coffres de Tonton.
Datant du XVIe siècle, il est doté d'une énorme serrure actionnée par une
impressionnante clé. A l'époque, on construisait solide. Mais ce coffre posait
un problème: il était fermé et il était impossible de retrouver la clé; les démé-
nageurs, au prix de beaucoup d'efforts et de flots de sueur, déposèrent sa
masse imposante dans la salle de séjour, devant un radiateur. Un mois durant,
je le contemplai, ne pouvant me résoudre à fracturer la vénérable serrure.
Et puis un jour, la mort dans l'âme, je demandai à Joséphine 178 si elle
connaissait un artisan soigneux capable d'ouvrir le coffre sans le massacrer
et de fabriquer une clé de remplacement.

178. La jeune fiLLe qui, deux fois par semaine, venait entretenir La maison du vieux céLibataire que je suis.
Irlande

« Comme c'est dommage », dit Joséphine, «d'abîmer un si vieux coffre ... »


Et, avec tendresse, elle caressa le couvercle.
Qui s'ouvrit!
Le bois du coffre, stocké dans un endroit humide, avait tout simplement
gonflé, rendant son ouverture impossible. Et puis, déposé devant le radia-
teur, il avait séché, retrouvant sa mobilité originelle.
A l'intérieur, il y avait un vieux tapis pourri qui, visiblement, renfermait
un objet volumineux. Mais quoi?
Je n'étais guère enthousiasmé à la pensée de dérouler ce tapis; j'en avais
trop déroulé, des tapis, quand je pratiquais les expertises criminelles, et ce
que j'y découvrais généralement n'était guère appétissant.
Joséphine non plus ne manifestait aucun empressement.
Je déroulai donc. Ou plutôt j'arrachai par poignées les lambeaux du tapis
pourri.
Et ce qui apparut me sidéra.
Un objet que j'avais complètement oublié.
Un vieux souvenir de famille.
Une lourde statue de Saint-Pierre, tenant dans sa main la clé du paradis.
Et la clé du coffre, eUe, enveloppée avec soin par mes amis, reposait sur
le ventre de Saint-Pierre, copinant depuis trois ans avec la clé du paradis.
Mon Saint Pierre de marbre blanc est désormais accroché au mur de la
petite église de Glenhest, dans le County Mayo, république d'Irlande. Il paraît
qu'il plaît bien aux fidèles.

Dix mois furent ensuite nécessaires pour tout trier et remettre en ordre!
Les archives remplissaient trois pièces de la maison.
Jour après jour, je retrouvais les dossiers complets d'inventions que j'avais
complètement oubliées: un procédé d'identification des chevaux de course,
un autre de marquage sans altération des objets de valeur, un produit pour
la récupération assistée du pétrole, une lessive biologique, un engrais
naturel, un procédé de dépistage de la rupture de la chaîne du froid pour les
produits congelés, et bien d'autres encore.
Il fallut du personnel, des photocopieuses, deux ordinateurs et des scan-
ners pour tout enregistrer, référencer, dupliquer (on ne sait jamais ... ) et El)
expédier les originaux en Lieu sûr.
Et c'est six ans après ma chute programmée, en compulsant tous ces docu-
ments, que je compris pourquoi «on» avait tant voulu les saisir: c'était pour
les détruire, tout simplement.
,_ Œ~I ~ PEUR: DE Loïc LE RIBAULT?

Car il Y avait là - ou plutôt il y a là - toutes les preuves d'un des plus


grands scandales scientifiques du siècle.
Des milliers de lettres originales, d'accusés de réception, de documents
estampillés, de rapports, de bandes vidéo, de films, de photographies, de
diapositives, de documents de toute sorte, de dédicaces, de diplômes, d'ar-
ticles, de livres, qui prouvent, attestent, démontrent l'escroquerie dont l'Etat
français s'est rendu coupable à mon égard. Et des centaines de documents
expliquant pourquoi cette ignominie a été commise: parce que j'étais dange-
reux pour certaines crapules corrompues en place dans les directions de la
police, de la gendarmerie et de la justice. Parce que je dérangeais l'ordre -
ou plutôt le néant - institutionneL
En juillet 2000, tous mes dossiers en ordre, enfin chez moi, ma recons-
truction est presque achevée.
Il ne me reste plus que trois dernières étapes à franchir: obtenir un
passeport, trouver une maison qui soit la mienne, et changer de nationalité.

LE HOMARD BRETON
En avril 1997, j'avais commencé une errance dont j'ignorais qu'elle serait
si longue. Je comprends maintenant certains criminels authentiques qui en
arrivent parfois à être si fatigués d'errer qu'ils préfèrent se rendre, purger
tranquillement leur peine puis reprendre une vie normale.
Pendant quatre ans, réfugié dans la verte Irlande, j'avais rongé mon frein.
Des amis, heureusement, venaient régulièrement me voir, je les accueillais
à l'aéroport, puis les y reconduisais en les regardant avec envie franchir le
portail des départs, qui m'était interdit. Il m'arrivait même de déjeuner à
l'aéroport, juste pour regarder décoller et atterrir les avions. Tous ces voya-
geurs insouciants n'avaient pas idée de leur bonheur. Ils étaient libres comme
des oiseaux.
Moi, migrant en situation irrégulière, je perdais mes repères, ne savais
plus très bien parfois qui j'étais. Il faut dire que j'avais porté successivement
une bonne douzaine de noms: Tom Timlin, Ludwig Van Vreijheit, Kevin Dever,
Maurice Déon, Kevin O'Hara, et d'autres que j'oublie, ou que je préfère ne pas
citer. J'avais même le passeport de mon père, auquel, l'âge venant, je
ressemble comme un frère jumeau. Toutes mes pièces d'identité étaient
évidemment fausses ou modifiées. J'avais été successivement Français,
Luxembourgeois et Belge. J'avais même été le cousin d'Amérique d'un
Irlandais connu. Mon anglais se perfectionnait chaque jour, à mesure que
j'oubliais mon français.
Il devenait urgent, pour mon équilibre mental, que je me fixe d'une façon
ou d'une autre. Mais se fixer dans une île, c'est aussi se retrouver prisonnier,
Irlande 0[

cerné par la mer sans possibilité de la franchir, car il m'était impossible de


continuer à voyager. J'estimais en effet avoir déjà trop joué avec ma chance:
on ne franchit pas impunément et en toute illégalité trente cinq mille kilo-
mètres et trente fois les frontières de quinze pays sans qu'un jour votre
bonne étoile ne se fatigue et ne vous abandonne. Après mes voyages en
France, en Martinique, en Dominique, à Antigua, à Saint Kitts & Nevis, en
Belgique, en Suisse, en Hollande, au Luxembourg, à Jersey, en Grande-
Bretagne, à Madère, au Danemark, en Tunisie et en Irlande, je m'étais dit que
j'avais assez joué avec le feu.
Comme un vieux homard fatigué, j'avais donc décidé de me débarrasser de
ma carapace de Français, devenue trop étroite, couverte de cicatrices et
bouffée par trop de parasites. Autrement dit de me reconstruire non seule-
ment de l'intérieur, mais aussi de l'extérieur.
C'est-à-dire de demander la nationalité irlandaise. Mais on n'accorde pas
celle-ci facilement: il faut avoir séjourné en Irlande au moins cinq ans, ou
seulement trois si on épouse un ou une Irlandais(e). Cette seconde solution
était évidemment exclue: je préférais encore deux ans supplémentaires de
relative privation de liberté à la certitude absolue d'un enchalnement à
perpétuité.
J'ai donc commencé les démarches nécessaires.
Pour cela, il a fallu que je justifie d'un domicile fixe et d'un emploi régu-
lier, que j'indique toutes mes adresses en Irlande depuis mon arrivée, que je
prouve que ma société était officiellement enregistrée, qu'elle et moi payions
nos impôts et nos taxes, que je n'avais jamais connu d'ennuis bancaires et
que j'avais payé mes cotisations à la sécurité sociale.
Ensuite, la police a mené une enquête pour vérifier que je n'avais jamais
eu maille à partir avec la justice irlandaise. Que ma voiture était assurée et
ma vignette payée. Que je comprenais et parlais suffisamment l'anglais. Pu·is
il m'a fallu fournir des témoignages de moralité émis par trois-Irlandais à la
réputation immaculée. J'ai bénéficié de ceux d'une responsable de la poste,
d'un prêtre et d'un chef d'entreprise.
L'ensemble du dossier a été vérifié par un officier d'état civil, signé par
moi en direct sous son regard attentif, puis contresigné par le policier en
charge de ma demande de naturalisation.
Enfin, trois mois plus tard, les autorités compétentes m'ont informé que
j'avais été jugé digne de devenir citoyen irlandais en 2004. Ouf!
Car tout prend du temps, en Irlande.
Il me vient aussi une idée: au temps du C.A.R.M.E., lorsque je collaborais
avec les autorités judiciaires françaises, j'avais été confronté plusieurs fois à
des affaires dans lesquelles des criminels avaient vu leurs papiers (carte
d'identité, passeport, etc.) confisqués, mais n'avaient eu aucune difficulté à
JJ' QUI A PEUR I DE Loï c LE RIBAULT?

s'en procurer d'autres par les voies officieLLes en les prétendant égarés ou
volés.
J'avais pu alors constater qu'il n'existait aucune liaison entre les services
de police ou de gendarmerie et ceux de la préfecture chargés de la délivrance
des passeports. J'en avais été choqué plus que surpris et avais proposé de
mettre au point un système informatique comblant cette lacune en assurant
une liaison permanente entre les-dits services. Au ministère de l'Intérieur, on
avait accueilli ma proposition avec mépris, en m'assurant que ce projet était
lancé depuis longtemps et que le système était désormais presque opéra-
tionneL
Alors, subitement, en avril 2001, une petite lumière jaillit dans mon
cerveau: vu l'état de délabrement dans lequel la police et la gendarmerie sont
retombées depuis la mort du C.A.R.M.E., eLLe me dit qu'une fois de plus le
ministère de l'Intérieur s'était vanté, que rien en fait n'a été réalisé, que ce
projet, comme tant d'autres, était du vent.
Je décide de tenter ma chance.
Un coup de téléphone à l'ambassade de France à Dublin me permet d'ap-
prendre quels documents sont nécessaires pour remplacer un passeport
prétendument perdu. On me propose même gentiment de m'adresser un
dossier à mon adresse. Je donne donc ceLLe d'un ami et, deux jours plus tard,
j'ai le dossier vierge entre les mains. Une amie française, munie d'une procu-
ration de ma main en bonne et due forme, s'est déjà procurée un extrait de
naissance dans ma ville natale.
Mais je dois me rendre en personne à l'ambassade pour déposer le dossier
dûment rempli, et payer les taxes. Ensuite, m'a-t-on assuré, on se fera un
plaisir de m'adresser le passeport par lettre recommandée. L'ennui, c'est que
l'ambassade de France à Dublin, comme toutes les ambassades du monde,
bénéficie du privilège d'extraterritorialité, autrement dit qu'elle se trouve
juridiquement en territoire français.
C'est donc encore un ami qui me conduit à Dublin ce jour-là. Il a pour
mission de m'attendre et de prévenir un avocat irlandais au cas où il ne me
verrait pas réapparaitre au bout d'une heure. On sait que l'Etat francais n'est
guère avare d'enlèvements, d'assassinats et de tortures sur son sol et à
l'étranger. Or, en me rendant à l'ambassade de France, je pénètre en territoire
français ...
Le moins qu'on puisse dire, c'est que celle-ci n'est guère accueillante: A
l'entrée, fermée par un lourd portail de fer, la sonnette munie d'un inter-
phone est surmontée d'une caméra. Le visiteur une fois identifié, le portail
s'ouvre sur un charmant jardin au bout duquel sont érigés les locaux de l'am-
bassade. Là, une autre porte, blindée celle-là, s'ouvre après que vous ayez
sonné.
Irlande 01

Puis, une fois que vous êtes à l'intérieur, elle se referme brutalement
derrière vous avec un bruit qui, depuis cinq ans, me don ne la chair de poule:
«(lonk! )}
Et là, horreur, je découvre plein de gendarmes en uniforme! Des vrais! Des
Français! En pelage bleu! Je blêmis, parce qu'après tout je joue un jeu
dangereux. Il va bien falloir, cette fois, que je donne mon vrai nom qui, de
toute façon, figure dans le formulaire que j'apporte soigneusement rempli.
Je n'ai qu'une hâte: sortir! Si possible ...
La préposée est absolument charmante. Mais bavarde comme une pie et
curieuse comme un jeune prêtre. Ça l'intéresse visiblement de savoir pour-
quoi je me suis installé en Irlande (réponse: la pêche au saumon), quelle est
mon activité (retraité), mais alors mon activité ancienne (chercheur), ah bon
mais dans quel domaine (théologie), si j'ai de la famille (non), si je m'ha-
bitue au climat (oui), parce que pour elle c'est pas facile (ma pauvre
dame ... ), mais peu importe elle va bientôt rentrer en France (quelle chance
vous avez !).
La conversation dure depuis une demi-heure, et je sue à grosse gouttes.
Surtout que les gendarmes n'arrêtent pas d'aller et venir autour de moi, les
bras chargés de papiers.
Enfin, après une ultime vérification, la brave préposée constate le bon
état du dossier, me demande le montant de la taxe et me libère.
Et «Clonk!» fait la porte dans mon dos, mais dans le bon sens cette fois.
Je suis libre.
Quinze jours plus ta~d, je reçois par courrier recommandé un beau passe-
port tout neuf, parfaitement authentique, et valide pour une durée de dix
ans. Dans l'enveloppe, je découvre également une carte consulaire, me
permettant de participer depuis l'Irlande à toutes les élections organisées en
France. Un comble, quand on sait que la justice de ce pays m'a condamné à
la privation de mes droits civiques jusqu'en 2008!
Mon raisonnement était donc juste: il n'existe toujours pas en France de
liaison informatique entre les servicès des passeport et ceux de la police et
de la gendarmerie! Décidément, il semble que mes leçons n'aient guère été
retenues ...
395
Et, une semaine avant le 14 juillet, j'ai le plaisir de recevoir une invita-
tion très officielle au pot organisé par l'ambassade française de Dublin à l'oc-
casion de la fête nationale.
Je décline cette invitation avec une délectation morose.
10 [ QUI A PEUR ] DE Loïc LE RIBAULT?

LA MAGIE VERTE EST DE RETOUR!


Ce matin de septembre 2002, en montant dans l'avion qui va me conduire
à Londres, je suis ému comme un enfant. Depuis dix ans, j'ai perdu tout
contact avec le monde de l'infiniment petit. Mais aujourd'hui, c'est le jour
des retrouvailles avec la «Magie Verte », cette lueur qui éclaire l'écran des
M.E.B.
Je m'envole pour en essayer le dernier modèle chez un fabriquant britan-
nique!
De la seule valise de micro-prélèvements P.P.M. sauvée du naufrage, j'ai
extrait avec émotion hier trois tamponnoirs, des vrais, des authentiques, des
brevetés. Ils ont été fabriqués pour le C.A.R.M.E. en 1991. A leur surface, j'ai
collé soigneusement des grains de sable provenant d'un lac irlandais, le
Lough Agawna, et déposé une goutte d'eau de la rivière Moy, qui a séché
toute la nuit. J'emporte aussi un tamponnement fait sous la chaussure d'un
dangereux criminel en fuite: moi. Pour voir si je n'ai pas emmené collée à la
semelle de mes chaussures un peu de terre de France. Ce serait du vol, n'est-
ce pas?
Souvenirs vieux de plus de trente ans qui ressuscitent et explosent dans
ma mémoire comme des bulles de champagne ...
A quoi donc ressemblent les nouveaux M.E.B. ?
La semaine dernière, j'ai dû fournir mon identité au fabriquant de M.E.B.
(l'unité de production est très surveillée) et indiquer quel type d'échantillons
j'apportais.
Je suis introduit dans le bureau du chef de service, qui m'accueille avec
chaleur. Devant lui est posé un gros dossier cartonné portant mon nom.
«Je suis heureux de voir que vous refaites surface! », dit-iL «Des prélè-
vements de poussières, d'eau et s.urtout des grains de sable, ça ne pouvait
être que vous! »
Il ouvre le dossier. Dedans, je reconnais plusieurs de mes articles scienti-
fiques.
Incroyable! La France a mis - et met toujours - tout en œuvre pour
gommer jusqu'à mon nom (sauf sur les mandats d'arrêt), tandis qu'en Grande-
Bretagne on préserve soigneusement mes travaux!
L'homme saisit mes tamponnoirs et les contemple avec curiosité.
Puis nous nous rendons dans la salle de démonstration.
Je suis surpris: l'aspect général des M.E.B. n'a pas beaucoup changé
depuis dix ans (Fig. 86). Mais je sais que les performances ont été amélio-
rées de façon extraordinaire. En 1970, un grandissement de 20 000 fois était
une sorte d'exploit, en 1991 les M.E.B. du C.A.R.M.E. atteignaient sans
problème 100 000 fois. Je sais que celui que j'ai sous les yeux pourra me
Irlande r
Il

propulser dans l'infiniment petit


au grandissement fabuleux de
900 000 fois!
Des yeux, je cherche la
cloche à métallisation qui
permettra de recouvrir mes
échantillons d'une fine couche
d'or. Je n'en vois pas ...
«Avec quoi métallisez-vous
les échantillons, maintenant?» ·
«On ne métallise plus! On
peut étudier directement les
échantillons, même non conduc-
teurs. On peut même étudier
Fig. 86: 2002-900 000 fois!
directement des échantillons
biologiques! »
Incroyable! Ainsi les risques d'artéfacts - mon cauchemar pendant vingt
ans - sont totalement éliminés! On est désormais certain que ce que l'on
observe est bien la réalité!
L'homme a cassé le vide, introduit mes échantillons dans le ventre du
monstre, puis refait le vide.
Je meurs d'envie de m'asseoir devant le tableau de bord.
«Vous savez, maintenant, tout est tellement simplifié q!J'un enfant de
douze ans connaissant un peu les ordinateurs pourrait manipuler un M.E.B.
Vous verrez par vous-même: je vous laisse essayer tout seul. Après tout, vous
connaissez ces engins ... Si vous avez besoin de moi, je suis dans mon
bureau. »
Assis devant le M.E.B., je suis désorienté. Les deux écrans sont éteints et
quelque chose manque ... Non: plein de choses manquent, en fait. Il n'y a
plus de boutons, de manettes, ni de cliquets.
Sur le tableau de bord, je ne vois qu'une souris blanche d'ordinateur qui
dort. Peut-être attend-elle que je la réveille? Je la pousse doucement de
l'index, et les écrans verts s'illuminent. Ils sont couverts d'icônes, comme
ceux des ordinateurs les plus banaux.
Se,ulement, ces icônes sont baptisées de noms qui chantent à ma mémoire
comme la plus belle des poésies: vitesse de balayage, tension d'accélération, 397
vide, grandissement, alignement du filament, électrons rétrodiffusés,
électrons secondaires, analyse X, astigmatisme ...
Je clique sur la souris, et les réglages délicats qui prenaient tant de temps
voici seulerrient dix ans s'effectuent automatiquement en quelques secondes!
]n' QUI A PEUR ! DE Loïc LE RIBAULT?

L'homme avait raison: un enfant de douze ans pourrait utiliser cette


merveilleuse machine!
C'est, bien sûr, par les grains de sable que je commence mes essais.
En 2002, je reconnais tous les micro-paysages que j'admirais sur les quartz
en 1970. La différence, c'est que je sais maintenant les interpréter!
L'homme m'a laissé jouer pendant longtemps (combien de temps?) sans
me déranger.
Puis il a bien fallu que j'arrête ma promenade dans le monde de l'infini-
ment petit.
Parce qu'on ne commande pas un M.E.B. comme on achète une voiture. Il
doit être fait à votre mesure, selon vos choix, vos besoins, vos moyens, vos
goûts. C'est un cadeau de Noël dont on fait durer le plaisir anticipé pendant
des semaines, pendant des mois ...
Et d'abord qu'est ce que je vais en faire, de ce M.E.B. ?
Car des diamants bruts sommeillent encore dans mes Archives Prodigues
miraculeusement récupérées en décembre 1999. Songez que, de tous mes
dossiers amassés tandis que je possédais le CA.R.M.E., je n'en avais extrait
qu'un seul un beau jour du printemps 1995: celui du G5.
Ce n'était certes pas le moindre, mais d'autres ne sont pas non plus sans
intérêt. Et concernent les domaines les plus variés.
De ces dossiers que je m'apprête à ranimer, vous vous doutez bien que je
ne dirai pas un mot. Mais pour que je puisse les réveiller, ils n'attendaient
qu'un Prince Charmant: le M.E.B.
Pensez-vous que je m'apprête à recommencer mes erreurs du passé? A
prostituer notre M.E.B. dans des applications militaires? A le rendre complice
d'une nouvelle collaboration avec la police, la gendarmerie ou la «justice» ?
A intoxiquer ses précieux composants avec l'industrie pharmaceutique et la
médecine orthodoxe? A poLLuer ses mémoires électroniques avec des appli-
cations mercantiles?
Que nenni!
La sagesse populaire affirme que seuls ceux qui ne font rien ne se trom-
pent pas, mais qu'à toute chose malheur est bon.
Mon M.E.B. sera dédié exclusivement aux causes qui valent la peine qu'on
se batte pour elles: poursuivre mes travaux sur le G5, et (si possible)
améliorer celui-ci; lui découvrir de nouvelles applications; chercher des solu-
tions aux problèmes de pollution de la terre, de l'eau et de l'air; le mettre à
disposition d'autres savants maudits ou chercheurs exclus pour les aider dans
leurs travaux. Et bien d'autres choses encore.
Irlande 10 [
Redevenu un homme libre, entouré d'amis fidèles, je mettrai tout en
œuvre pour que mon M.E.B. n'ait pas à rougir de son travail. Parce que je
n'aurai pas à rougir du mien.
Ah, au fait, j'ai oublié de vous dire: en Grande-Bretagne, je n'ai pas
découvert la moindre particule de terre de France collée à mes chaussures ...

UN RÊVE AU BORD DIUN LAC


Alors, je me prends à rêver ...
En Irlande, je suis enfin tranquille.
Je me suis fait des amis, j'ai rebâti ma vie.
De l'Ile Verte, le G5 part dans le monde entier.
Avec mon passeport, je peux désormais voyager sans problème.
Je vais reprendre mes recherches.
Bientôt, je vais avoir la nationalité irlandaise.
Peut-être est-il temps que je me fixe enfin, et que je mène une vie
normale.
Le vie de Monsieur-tout-le-monde, quoi. Le style vautré dans un fauteuil,
face à un bon feu de tourbe, un whisky à la main, avec une pipe fumante et
un gros chien affectueux soupirant d'aise sur le tapis.
Alors, je cherche un nid pour abriter ce bonheur impossible.
Et je le trouve!
Une maison de rêve: à dix mètres d'un lac, loin de toute ville et même de
tout village, au milieu d'une réserve ornithologique.
C'est en juin 2002.
J'y suis heureux.
Heureux comme un roi.
Pendant un an.
Entouré du seul bruit d'une multitude d'oiseaux, enchanté par la vue du
couple de lièvres et de leur petit venant chaque matin brouter ma pelouse et
dévorer les légumes de mon potager, par celle du lac au bord duquel se
promènent à longueur de journée les vaches grasses et les moutons paisibles.
Le bonheur, vous dis-je.
Il était temps, non, après sept ans de cavale?
Sept ans passés avec la certitude absolue que dans plusieurs ministères
des cloportes ne m'ont pas oublié; sept ans d'épuisante tension nerveuse
avec, planant au-dessus de la tête, une épée de Damoclès qui ne peut pas ne
pas s'abattre un jour.
QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?

Mais quand?
Et comment?
Je ne peux prévoir que l'attaque des cloportes sera un véritable hallali,
un tir groupé soigneusement programmé pour m'abattre définitivement.
- ,
!

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J
RETOUR A LA CASE PRISON

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L'HALLALI

AVRIL à OCTOBRE 2003


C'est la fameuse affaire Chanal, dite des «disparus de Mourmelon », qui
contraint les cloportes à attaquer. Le procès de l'adjudant doit (enfin!) s'ou-
vrir à l'automne 2003, et en juin je reçois de la Cour d'Appel de Reims une
citation à comparaître le 16 octobre en qualité d'expert. J'en suis ravi: c'est
l'occasion rêvée pour moi de démontrer publiquement, preuves à l'appui, la
compromission du ministère de l'Intérieur et d'universitaires dans cette
affaire. Certain d'être instantanément arrêté si je mets les pieds en France,
je propose de témoigner par vidéoconféren,ce, et la présidente du tribunal en
accepte le principe.
Pour Les cloportes, c'est la tuile. Il faut, à tout prix, me faire taire ou du
moins salir mon image par tous les moyens.
D'abord, Le 23 août, ils me font l'honneur de lancer contre moi un nouveau
mandat d'arrêt internationaL.
Contrairement à celui de 1999, ce mandat est transmis à InterpoL. (Fig. 87
à 90)
Ce qui est intéressant, comme toujours, ce n'est pas le mandat d'arrêt lui-
même, mais ce qu'il cache. Grâce à mes services de renseignements
perso nnels (qui fonctionnent parfaitement), j'ai en effet entre les mains la
«fiche» confidentieLLe jointe au mandat et fournie aux policiers par la
Direction Générale de la Police Nationale. Elle porte en en-tête la mention
suivante: «Les informations contenues dans cette fiche ont simple valeur de
renseignements susceptibles d'orienter {'enquête. Il ne pourra en être fait
état que sous réserve de vérification.»
A la rubrique « antécédents », je découvre «néant», au paragraphe
«études» que je suis sans profession, et que ma dernière adresse connue est
ceLLe ... de la prison de Gradignan.
Le portrait commence à être bien esquissé, guère à mon avantage, mais 13[
se' noircit encore dans le paragraphe suivant, précédé de la mention: «Cette
personne a été citée dans la ou Les procédures suivantes, mais en aucun cas iL
ne peut être déduit de ce document qu'elle a été définitivement reconnue
comme responsabLe des/aits.»
---, n L
' QUI A PE UIJ DE Loïc LE RIBAULT?
.......lU __ ~

Là, j'apprends que Le présumé innocent LoYc Le RibauLt s'est rendu


coupabLe de quatre abus de confiance, dont la «suite judidaire» est carré-
ment «inconnue », et le «mis en cause» laissé «libre»!
Mais l'affaire la pLus incroyabLe concerne une «émission de chèque sur un
compte soldé» dont je me serais rendu coupable à Arcachon le 7 janvier 1997.
Or, à cette date-là, j'étais enfermé à l'isolement dans la prison de Gradignan
depuis trois semaines et n'en serai Libéré que six semaines plus tard! Pas de
doute: je suis plus fort qu'Arsène Lupin ...
Bref, ce portrait peu reluisant concocté par mes amis de la D.G.P.N. n'in-
citerait guère à la clémence le limier qui voudrait m'arrêter, surtout dans un
pays étranger.

COUR D'APPEL
DE BORDEAlJX

TRIBUNAL DE GRAl"IDE INSTANCE


DE BOlUlEAUX
o RI GIN A L "BIS"
CAl3INBTDE Mandat d'arrêt d'août 2003
M.l'UECllBBRTY (page 1)
Jllfle d'Instruction
N" du Par~et: 95/47043
N" de l'Instruction: 101190144
Pwcédure COIreCtioDllelle

MANDAT D'ARRÊT INTERNATIONAL

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Now, Jean-Pierre BRUN, VIce-Pnlsidco.t ~ de J'Iœtnu:tion au Tribunal de G=de


l'nstano= de BORDEAux, s1Ibstltmont Lm: PVECHBERlY, .Juac d'Instruction, lcllitimement
~ë, VIl J'urgence, MDDSiew' le PIésîdent du TribImal avisé, étnnt en noire cabinet,

Vu ]'inbmaÛOD conccrrumt :
M. Lole LE RIBAULT, n6 le 18/0411947 à VANNES (56), de Jean et de YVOIlM
c.HARBONNIER, de :oationalité Française, Célibataire
Ayant dcmèuré en deroier ne.. 0.42 AlIo!c: duFo'l~ - 33410 GUJAN MESTRAS
Actuellem.ent se serait réfuBié S\Jr le territoire de III République d'DUANDE et pourrait !tre
localisé à j'adresse du siqe de sa socl.l"té (N" d'imma1riculation : 312889)
UR - OS LUI. CIo Rœ. Post Office Casttebar CO\lllty Mayo - République d'IRLANDE
Susceptible de se rendre sur tout le territoh'e national et particulièrement à JERSEY ou
Gü"ERNESEY

mis eu exlllTlea des c;hefs de : Il\7RA.CTION SUR LA RECH&RCHll BIOMÉDICALE ;


EXERcrcr~ALD:El.APlJJ\RMAClE;COMMERCfALISAnoNDBMÉDIcAMENTS
SANS AUTOlUSATION ; FABlUCATION DE MÉDICAMENTS SANS AUTORISATION;
PUBLIcrrtl EN FAVEURDEMÉDICA.\ŒNTS DÉPOURVUS D'A."\1METDANS UN ÉTAT
NON PHARMACEUTIQUE; BXERC.lCE ILLÉGAL DE LA MÉDp.clNE ; ESCROQUElUE
ET TROMPERIES SUR LES QUALITÉs SUBSTANTIELLES DE LA CHOSE VENDUE;

En vertu d'un réquisitoire lnttoduc1if de Mr le l'roc:umIr de la R6publiqu. en date du ()B JanvierJ


1996 et de nlquisitoires supplW$'!II cIoie des 16 avrill996, 21 novembre 1996, 12 mars 1991
et 15 déœ.mbre 199B,

Vu les Bl1icles 122" 123,131,132 etSQÏvamsdu Code de Ptocédurd'6naJ.e,


l._ _ --- - -- - - -
Fig. 87: Mandat d'arrêt d'août 2003 (page 1).
l'haLLali 0[
Mandons et ordonnons à tollS officiers ou agents de la police judiciaire et Il tous agents de 'a force
publique dei œçherçbcr ct de conduire à lamllÏSOn d'e.rr6t de notre sillS!, CD se conformant à la
loi, la personne susviRe.

Enjoignons au Directeur de ladite maison d'met de le n:cevoit et détenir en ~ de mandat


d'arrêt jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné.

Requérons tout dépositaire de la force publique auquel le présent mandat sera exhibé de prêter
main-forte pour SOlI exéIlution an caa de besoin.

ED foi de quoi ie prése:iIt mandat a ét' signê par Nous, Juge d'!nstruetion, et socU,; de notre $Cr:aU.

1
)
Fig. 88: Mandat d'arrêt d'août 2003 (page 2).

(- Systè=a de T~a1tement cl
Infractions constatée,
ClAT CEN'l'RAL • •
le 29/08/2003
liiii

ANTECEDENTS

. ~ r :~At1!.T, LO!C
:;€ :e 18/04/1941 a V~'ZS (ICORSll!AN)
""è:e : l.E IUSAULT, JSA."
~è: .. : Cf'.AIlDONNIER, yvc.'l~::
-:: .. ". : fol Situation maritale : Etudes .
\>~ _ ",~,alité : FRANCAISE Résident Sijaur
u: .,~~ ~é état-civil : tDE!'!!TE DECLAREE
.'\.~ =._ -: :.1.es --- ... -----------.... - .. --.------ __ _
- :'e 05/07/1994 :
a, RUE BREMOlI'l'UR
~ LA TESTE (GIRONllE)
:'.07/01/1997 :
: 7. R.UE CHO!JINEY
i GaAIlIGIIJ\N (GIROIIDE)
!Q.ISON l> ARRST
. ~~~5s~ons ----~-- __ ---_-_------~------
:'e 14/03/1994 : D~~!~ D'EMPLOI
~8 Ql/06/1994 : SANS PROFESSION
. ~. 05/07/1994 : C-~F l>'iNTREPRISE
. ~8 07/01'1991 : SANS PROFESSION
1
. ;::~ ,,;-;oiëiïïï!i;;----------------------
!:?!J DE BOlIDRAUX. 1/0 ~ 5

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\l ' " ',,'"d"é~~t:1'!.'!-


, ' '"', " ' ,' . ' e ce ocument qu'elle Il étol!
.. en< reconnue comme l'"sponseble des faits.

':="';-;re : CIAT D'ARCACHON. 11° 1994/0007,98 .


, .," . "&ge ! SRPJ DE BOlIDEA!.:X. N" DAPJ/1994/000371'0
~_ ",;, .. ation du mis en cause : LIBRE
,.~'-e jUdiciaire : INCO~~
-: l d comme AOTEUR. : U:rS DE CONYrANCE
'.uts COmmis entr.. le: 01/01/1993 et le 31/07/1993 l~TESTE
. :" ~.;,,re~CAC!lOl". N° 1994/000800
: ::,_ ',,,,,e ,~i!DEAt1lC, N' Dl\PJ/199G10003712
:;. ';lation du l111s en causa : LIBRE
;'.' ':.ajudiciaire: INCONNlIE
- ';~~â COO\'I\.. AUTZUR : UtlS DE CONFIANCE
,'aits commis le: 16/04/1993 l U. 'l'ESTE (GIRONDE)
------- ---------
Fig, 89: La fiche de « renseignements» vicieuse concoctée par La poLice française (page 1),
] 0 Q~
1 A PEURl DE Loïc LE RIBAULT?

(Suitel Antécédents
LE RIBAULT, LOle
Nt 1_ 18/04/1947 ! VANNES .(MORBIHAN)
1 ---- .. ~--_.---------------- --_.~--------------- - -----~ ---------------------
Iproc!dUre : SRPJ D'ANGERS, N' 1994/000029
Archivage : SRPJ D'ANGERS, N° DAPJ/1994/0001Z83
Situation du m1s en cause : LIBRE
Suite judiciaire ; INCONNUE
_ Ci ti CQl1UIIe AUTEUR : ABUS DE CONi'IANCE
Faits commis le 30/09/1993 à Lh TSSTE'(GIRONDS)
l'Procédure : SRPl Pi: BORDEAUX, N' 1994/000113
1 Archivaq~ : SRPJ DE BORDEAUX, N' DAPJ/1 994/000371 0
1
' situation du mis en cause : LIBRE
Suite judiciaire : INCONNUE .
- Cité CO!1lllle AUTEUR : ABUS DE CONli"IANCE
Faits commis entre le 01/01/1993 et la 05/07/1994 à ARCACHON (GnoNDE)
1 Procédure ': CIA': CENTRAL DE BORDEAUX, N° 1997100'0938
Archivaqe : SRPJ DE BORDEAUX. N' DAPJ/1997/0000320
1 Situation du m1s en cause : DEFERE DEJA DETENU
. Suite judiciaire : INCONNUE'
_ Cit6 comme COMPLICE : EMISSION DE OlEQUE SUR..lm COMPT! SOLDE
Faits commis le 07/01/1997 l ARCACHON (GIRONDg
' - - - - - -- --
Fig. 90: La fiche de «renseignements» vicieuse concoctée par La poLice française (page 2).

Une certaine presse va aussi aider les cloportes: l'Irish Times du 23 août
(tiens, la même date que celle du mandat d'arrêt?), et un tabloïd irlandais
qui, le 29 août, publie mon adresse personnelle, suite à quoi, dès le lende-
main de la parution de l'article, je commence à recevoir par téléphone des
menaces de mort.
Un hebdomadaire français va se joindre à la meute: Le 5 septembre,
Jérôme Dupuis, journaliste à L'Express, demande à me rencontrer en Irlande
pour faire un article sur mon histoire. Je le reçois bien volontiers: je le
connais depuis longtemps, il a écrit un article sur le C.A.R.M.E. à l'époque où
celui-ci existait encore, et je n'ai aucune raison de me méfier. Je l'emmène
chez moi, lui fait visiter mon bureau, lui montre mes dossiers, lui offre de les
consulter et de faire pour lui toutes les photocopies qui pourraient lui être
utiles. Il décline l'invitation, déclarant qu'il me connaît suffisamment pour
ne pas avoir besoin de preuves supplémentaires. En tout, il ne passe que cinq
heures en ma compagnie, «parce qu'il a des amis à voir en Irlande ».
Quand l'article paraît, le Il septembre 2003, je suis tétanisé. Dans la série
«les faux journalistes », Jérôme Dupuis mérite une mention spéciale. Car son
article est une œuvre de démolition soigneusement concoctée, du concentré
de venin sournoisement distillé. Je découvre ainsi que je «coule des jours
heureux ( ... ) entre la pêche à la truite et les pubs», que je suis «aujourd'hui
présenté par certains comme un escroc», que je suis affligé d'un «tempéra-
mentfantasque», que je me suis «mué soudain en guérisseur», que certains
des témoignages que je présente (et que le journaliste a refusé de lire) «ont
des faux airs de miracles de Lourdes », qu' «aucune étude scientifique n'a
établi l'efficacité du G5 », que je suis «un brin parano, persuadé que l'Etat
français veut l'abattre», que je «multiplie les escapades sur les plages
LhaLlali [

d'Antigua ( ... ), paradis fiscal», que le mandat d'arrêt Lancé contre moi
compte «une dizaine d'infractions », dont «même chèques sans provision ».
En résumé, je suis le plus heureux des hommes, je pêche et bois à
longueur de journées, je diffuse une mixture dont rien ne prouve qu'elle soit
efficace, d'autant que je suis fantasque, parano, et probablement escroc
(puisque officiellement poursuivi notamment pour avoir émis des chèques
sans provision), et je passe mon temps à me bronzer sur les plages de paradis
fiscaux où je blanchis le fruit de mes escroqueries.
Nombre de mes patients abonnés à L'Express, écœurés, décident de ne pas
renouveler leur abonnement à une revue qui ose travestir les faits au mépris
de son honneur.
Le 1er octobre 2003, la date de mon procès est enfin fixée, après
sept ans (!) d'instruction: ce sera le 5 février 2004 à Bordeaux.

Le 2 octobre 2003, la Cour européenne des Droits de l'Homme me fait


savoir qu'elle déclare ma requête contre l'Etat français irrecevable, que cette
décision est définitive, qu'on ne me répondra à aucun courrier et que mon
dossier sera détruit.
Dans la nuit du mardi 14 au mercredi 15 octobre 2003 (la veille du jour
où je dois témoigner comme expert lors de son procès), Chanal se suicide,
paraît-il, en se coupant l'artère fémorale gauche à l'aide d'une lame de rasoir.
Auparavant, il se serait fait deux garrots sur les jambes avec des élastiques
provenant de son survêtement. Je trouve ça bizarre, moi, de réussir à faire
tout ça sous la surveillance supposée continue de trois policiers, avec un
contrôle médical toutes les quinze minutes.
Autre étrangeté: au cours de l'autopsie qui suivra, on découvrira qu'il
souffrait d'un cancer des reins en phase terminale, qui ne lui laissait que
quelques semaines à vivre. Personne ne le savait, quoique Chanal ait été sous
surveillance médicale constante depuis cinq mois.
J'espère au moins que pour éclaircir ces derniers mystères concernant le
«Triangle de Mourmelon », des prélèvements minutieux ont été réalisés lors
de l'autopsie du corps de Chanal. Mais j'ai pourtant l'impression qu'aucun
d'entre eux n'a été pratiqué ...
Et même s'ils l'avaient été, les résultats n'auraient aucune valeur. Tout
simplement parce que les prélèvements concernant à l'évidence une affaire
d'Etat auraient été analysés dans un laboratoire d'Etat (police ou gendar-
merie), par du personnel d'Etat travaillant sur du matériel d'Etat et payé par
l'Etat, puisqu'il n'existe plus de laboratoire de microanalyse indépen-
BI
dant.
N'était-ce pas le but poursuivi (et atteint) par le police et la gendarmerie
en abattant le C.A.R.M.E., réputé pour sa dangereuse indépendance?
j :~! QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?

En tout cas, désormais, «on» a la certitude absolue que Chanal ne parlera


pas ... et moi non plus!
Maintenant, il est temps pour les cloportes de s'occuper sérieusement de
moi.

LA SUISSE
Longtemps, j'avais espéré que l'Irlande resterait telle que je l'aimais, et
telle qu'elle est décrite dans une plaquette distribuée par les services du
Tourisme irlandais:
«Prenez une île. Pas trop grande pour qu'on puisse en faire le tour en pas
trop Longtemps, mais quand même assez.
Peignez-La en vert. Employez tous les verts que vous connaissez et même
les autres. Ne lésinez surtout pas avec le vert. Puis instaLLez des montagnes
près de la mer pour faire de jolies côtes. Placez des rivières paisibles par-ci par-
là, des collines et des lacs un peu partout.
Convoquez le soleil et Les nuages et dites-leur de faire le plus beau ciel du
monde et le plus grand.
Arrosez pour que ça brille.
Mettez-y des hommes: faites-les roux, chaleureux, hospitaliers, poètes.
Puis reposez-vous: vous venez d'inventer l'Irlande.»
Eh bien, j'avais eu tort.
L'Irlande, qui a reçu des fonds considérables de l'Europe, subit de la part
de celle-ci d'énormes pressions pour se fondre dans le moule, autrement dit
pour abandonner les particularismes et l'indépendance qui faisaient son
charme. Après avoir combattu pendant des siècles contre les oppresseurs
britanniques, gagné leur liberté voici quatre-vingts ans et fait ainsi de leur
nation le seul pays celtique indépendant du monde, les Irlandais ont fini par
rejoindre l'insipide magma européen ... pour y côtoyer les Britanniques!
Humour noir de l'Histoire.
En six ans, j'ai vu changer mois après mois ce pays que j'aimais tant.
Et pas changer en bien.
«Ils» viennent d'acheter des radars pour contrôler la vitesse.
«Ils» songent à instaurer le permis de conduire à points pour faire
408 «comme en Europe ». C'est d'autant plus énorme que 25 % des conducteurs
irlandais roulent tranquillement sans permis, seulement munis d'un document
provisoire qu'ils peuvent conserver toute leur vie. Et les examens exigés pour
obtenir ce permis, qui deviendrait donc obligatoire, seraient normalisés selon
les règles européennes.
l'hallali JO[
«Ils» ont déjà instauré les contrôles techniques systématiques des véhi-
cules. Même les très très vieux, qui ont largement fait leurs preuves depuis
vingt ans et plus.
Le port de la ceinture de sécurité est devenu obligatoire aussi, sous peine
d'amende.
Les parkings sont devenus payants.
A Dublin, «ils» ont acheté des sabots de Denver. Et ils les emploient, en
plus.
La police informatise les listes des contraventions, soUs le fallacieux
prétexte qu'environ la moitié ne sont jamais payées.
Pourquoi pas aussi nous obliger à rouler à droite avec de dangereux véhi-
cules équipés d'un volant à gauche?
Jeter un mégot ou un morceau de papier par terre coûte une amende de
1900 €!
On envisage même d'interdire de fumer dans les pubs, les restaurants et
les endroits publics dès 2004179 ! Soit-disant pour protéger la santé des
Irlandais. Mais alors, il faudrait interdire les engrais et les médicaments
chimiques, toutes les sources de pollution, le stress, les adjuvants alimen-
taires toxiques, les téléphones mobiles, que sais-je encore. Pourtant, les
pubs sont les seuls endroits où on peut se chauffer l'âme en Irlande ...
Il faudrait plutôt interdire ce qu'il y a de plus dangereux au monde: la
connerie.
Quoi d'autre?
Je ne sais pas: je ne lis plus les journaux. Ou très peu. Mais suffisamment
pour savoir que l'Irlande, en quelques années, est devenue un des pays les
plus corrompus d'Europe. Il ne ne se passe guère une journée sans qu'un
scandale politico-financier ne fasse la «une» des journaux nationaux.
L'Irlande reste donc un pays de rêve. Pour les touristes. Avec des paysages
magnifiques. Quand il ne pleut pas. On y jouit d'une luminosité «à nulle
autre pareille »180. Vous pourrez en profiter pleinement quand vous aurez
appris à supporter des semaines entières de pluie égayées par quelques
minutes de soleil. Difficile, surtout en hiver quand, en décembre, le jour se
lève péniblement à neuf heures pour se cacher frileusement vers
seize heures.

179. Ce qui a effectivement été mis en place le 29 mars 2004. Fumer dans un endroit public coûte une
amende de 3 000 €. ~Etat a créé une brigade d'espion anti-tabac, qui vont jusqu'à aller explorer les toi-
lettes des pubs pour vérifier que personne n'y fume en cachette. Le 22 juin 2004, les patrons de pubs
irlandais réclamaient un assouplissement des mesures anti-tabac: en trois mois, ils avaient perdu de 15
à 20 "10 de leur chiffre d'affaires.
180. ~ Maguy Salmon, 1999.
'J 1 QUI A P~ DE Lo ï c LE RIBAULT?

Selon les définitions classiques, je suis en novembre 2003 un émigré fran-


çais immigré en Irlande. Avant cela, bien sûr, j'étais immigré à Jersey, avant
d'émigrer en Irlande. Nous sommes comme cela des millions dans le monde,
sautant de frontière en frontière pour les raisons les plus variées, émigrant
ou immigrant au gré de circonstances. Je préfère donc nous qualifier de
«migrants»: des hommes dont on a coupé les racines, ou qui ont décidé ou
qui ont été forcés de les arracher, et qui vont et viennent, s'en vont, revien-
nent, en quête éperdue d'un port d'attache où se fixer enfin.
Rares sont les migrants volontaires. Ils s'en vont pour fuir la pauvreté,
l'oppression, la solitude, à cause de la couleur de leur peau, de leur religion,
de leurs convictions politiques, ouvertement ou en secret. Illégalement ou
non. Avec ou sans papiers. Tranquillement ou la peur au ventre. Avec ou sans
métier. Avec ou sans argent. Seuls ou non. Leur migration est un combat
pour la vie, avec toujours au fond du cœur le fol espoir d'un retour au pays
natal.
Qu'ils parlent ou non la langue du pays où ils échouent, ils devront
s'adapter, s' «intégrer» comme on dit, et ça n'est jamais facile.
Moi, je suis devenu un homme balkanisé, éparpillé. J'ai laissé des
parcelles de mon âme un peu partout, des fragments d'amitié, des lambeaux
d'amour, des ébauches de racines à Antigua, à Jersey, en Irlande et ailleurs.
Où donc finirai-je ma vie en paix, un jour? Et d'ailleurs, me laissera-t-on
la paix, un jour? Pour toujours?
J'ai l'impression que mon fauteuil est encore de bois brut, la tourbe de
mon feu toujours dans ses marais, mon whisky loin d'être distillé, ma pipe
d'être tournée, mon tapis d'être tissé et mon chien d'être conçu.
Pas drôle, d'être migrant ...
Le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako 181 souligne bien combien
la géographie est peu importante pour les migrants. Il y voit d'ailleurs La
source d'un profond malentendu avec Les Occidentaux: «D'un côté, en
Ocddent, on a l'impression que l'immigration est une ruée massive, irréduc-
tible; de l'autre, c'est un individu qui part, avec ses rêves et son courage. Le
vrai parcours, ce sont les exilés anonymes. Le seul monument sur lequel j'irais
me recueiLLir, ce serait, comme vous avez celui du soldat inconnu, un monu-
ment à l'exilé anonyme. »
Je sais maintenant pourquoi le triste destin du paquebot France éveille en
moi en tant de compassion: Le France était bien L'image de la France, dont la
grandeur ne cesse de se manifester par La trahison et L'abandon de toutes ses
élites, paquebots compris, qui ne doivent - en cas de survie - qu'à L'exil
forcé d'accompLir Leurs destinées exceptionneLles Loin de leur pays d'origine.
------
181. Le Monde, 21 mai 2002.
l'hallali ] 0
Je décide donc de partir en Suisse, minuscule pays libre au milieu d'une
Europe dont elle s'acharne à ne pas faire partie.
Une fois de plus, je migre dans un pays inconnu. Une fois de plus, il s'agit
d'une île. Enfin, presque: une île d'indépendance au milieu de l'océan des
pays européens, qui lutte contre vents et marées pour conserver son iden-
tité.
Je suis ébloui.
Je m'étais tellement battu pour m'intégrer en Irlande que j'avais incons-
ciemment fait mine de m'y plaire. Parce qu'un migrant, voyez-vous, un
étranger, une sorte d'envahisseur, un colon en guenilles, mais un colon
quand même, une pièce apportée et même pas rapportée, ça doit forcément
faire mine de se plaire dans le pays où il échoue.
En Suisse, je redécouvre les facilités que procure un pays dans lequel tout,
en tous domaines, est accessible à portée de main. J'avais tout fait pour
essayer d'oublier en Irlande qu'il existe des pays confortables. Puisque je
n'avais pas le choix, je m'étais habitué à ne parler qu'anglais, ne lire que la
presse anglophone, habitué même au climat épouvantable, à l'humidité
permanente, à la cuisine si fade que je m'étais astreint à apprendre à cuisiner
moi-même, aux quatre-vingts kilomètres à effectuer pour, de temps à autre,
déguster de bons plats dans un restaurant correct; perdu dans le Mayo, le
comté le plus sauvage d'Irlande, l'extrême pointe de l'Europe, j'avais aban-
donné tout contact avec le monde scientifique. J'avais pris l'habitude de
traverser de temps à autre tout le pays (cinq heures de route) pour aller à
Dublin acheter les fournitures informatiques qui m'étaient nécessaires, ou
faire réparer un appareil défaillant. Je m'étais accoutumé aux artisans introu-
vables et aux rendez-vous jamais respectés. A mes amis, je vantais l'odeur
incomparable du feu de tourbe. Six ans durant, je me suis acharné à regarder
avec affection les vaches et les moutons dans le blanc des yeux. Et j'avais
fait mine de me satisfaire de cette vie: que pouvais-je faire d'autre?
En quelques heures passées en Suisse, ces six années d'efforts pour me
faire croire à moi-même que j'étais heureux en Irlande s'effondrent.
C'est un véritable choc.
Ici, dans la petite ville de Montreux, à portée de marche du nid provisoire
où j'habite, je peux consulter la presse internationale ou acheter des livres
et des revues en toutes langues, il y a des magasins d'informatique, des
cinémas, d'excellents restaurants suisses, bien sûr (qui servent entre autres
choses les filets de perche nationaux et les rostis traditionnels), mais aussi
EJ
italiens, chinois et indiens. Sans compter que l'heure des rendez-vous est
respectée à la minute près, que les artisans en toute discipline sont efficaces
et disponibles à temps plein.
o
[ aUI A PE URI DE Loïc LE RIBAULT?

En quelques jours, je reconstruis et même développe mon réseau de


correspondants scientifiques à travers le monde: c'est tellement facile de se
rendre en Suisse par avion, par train ou par la route. Et on dira ce qu'on veut,
mais l'usage de la langue française facilite bien la vie pour un Français d'ori-
gine ...
Comme le dit une blague qui circule sur internet, l'enfer ce serait un pays
où la police serait allemande, les cuisiniers anglais, les mécaniciens français,
les amants suisses et où tout serait géré par les Italiens; le paradis, ce serait
un pays où la police serait britannique, les cuisiniers français, les mécani-
ciens allemands, les amants italiens et où tout serait géré par les Suisses.
En Suisse, tout est géré par les Suisses. C'est déjà un bon début.
C'est l'hiver, et il fait froid, bien sûr. Mais l'air est sec et le soleil brille
entre le~ chutes de neige.
Je crois que, cette fois, j'ai fait le bon choix en m'installant en Suisse. En
tout cas, je l'espère.

JEUDI 20 NOVEMBRE 2003


Ce soir, je dois quitter Montreux pour me rendre à Genève: John, un ami
irlandais, arrive demain avec une masse de courrier qui m'attendait chez moi.
Lecteur passionné des aventures de Tintin et Milou 182 , je décide de loger
à l'hôtel Cornavin, immortalisé dans L'Affaire Tournesol.
Je suis très déçu. La chambre qu'on m'attribue donne d'un côté sur une
grande avenue en travaux, et de l'autre sur la gare. En outre, elle est minus-
cule, j'ai l'impression d'étouffer. Je me sens vraiment très mal. Une véritable
crise d'angoisse. Impossible de rester ici.
Dix minutes plus tard, je quitte le Cornavin pour me réfugier à l'hôtel
Crowne Plaza, juste à côté de l'aéroport.
Je m'y sens un peu mieux, mais l'angoisse persiste. Comme si je sentais
que quelque chose de terrible, d'inévitable, va me tomber dessus.
Cette nuit-là, je dors très mal: je rêve de prison ...

VENDREDI 21 NOVEMBRE 2003


8 h 15, hôtel Crowne Plaza: message de John, qui ne sait pas si son
arrivée à Genève ce soir est à l'heure irlandaise ou à l'heure suisse. Je lui
réponds de me téléphoner juste avant de partir de Dublin et que, de toute
façon, je serai à l'aéroport pour l'accueillir.

182. Mon seuL point commun avec ALain R.


l'hallali 0
Puis, avant de descendre prendre mon petit déjeuner dans la salle du
restaurant, je me prépare tranquillement un café dans ma chambre avec l'ap-
pareil prévu à cet effet.
8 h 25: on frappe à la porte de ma chambre. Je suis furieux. Quel culot!
J'ai pourtant pris la précaution de mettre l'affichette «ne pas déranger» sur
la poignée extérieure. Peut-être est-elle tombée?
J'ouvre.
Deux hommes barrent la porte, brandissant un porte-carte ouvert et une
médaille sur laquelle brille le mot «police ».
Et merde!
«Vous êtes bien Monsieur Le Ribault?»
«Oui ... »
«Vous savez pourquoi on est là?»
«Je m'en doute un peu ... »
«Vous êtes seul?»
«Oui. »
«Vous permettez qu'on entre?»
«Je peux refuser?»
«Je crains que non ... »
«Alors, entrez.»
En fait, ils sont quatre. Tous armés. Une précaution élémentaire: un indi-
vidu objet d'un mandat d'arrêt international est probablement un homme
dangereux, n'est-ce pas? Pourquoi pas un terroriste?
D'abord, ils manifestent un certain étonnement à la vue du matériel infor-
matique étalé tout le long du bureau: un ultra-mini ordinateur portable, une
imprimante couleur et un scanner non moins miniaturisés, un appareil photo
digital, on ne voit pas tous les jours un tel matériel dans une chambre
d'hôtel. Ils me demandent de débrancher et d'emballer l'ensemble sans
effleurer la moindre touche (dommage, j'avais tant de choses à effacer ... ),
puis se mettent au travaiL.
Ce sont de vrais professionnels.
En dix minutes, ils ont tout fouillé, saisi tous mes papiers et mes cartes
de crédit, palpé tous mes vêtements, et ils m'embarquent. Bien sûr, ils ont
déjà annulé mes trois nuits de réservation, mais m'invitent à payer la nuit
écoulée. Discrètement, le chef me rend pour l'occasion ma carte de crédit. El]
Evidemment, ma note est déjà prête, l'employée de la réception se garde bien
de croiser mes yeux, je signe, rends la carte de crédit au chef, et on s'en va.
Une demi-heure plus tard, nous arrivons au siège central de la police de
Genève. Je suis introduit dans une pièce meublée seulement de trois chaises
l0
1 QUI A ~ DE Lo ï c LE RIBAULT ?

et d'une table, au milieu de laquelle un inspecteur dépose aimablement un


cendrier à mon intention.
Le chef m'informe officiellement que je fais l'objet d'un mandat d'arrêt
international dont il ignore les raisons, qu'il aimerait en savoir plus et me
demande de lui raconter mon histoire.
Dans la pièce voisine, plusieurs inspecteurs épluchent mes bagages milli-
mètre par millimètre, au point qu'ils retrouvent une minuscule carte électro-
nique que je croyais perdue depuis longtemps.
Vingt minutes après le début de mon récit, le chef est devenu pensif.
Quand j'ai fini, il soupire:
«Quelle histoire ... Pas facile, hein, de résister à un Etat?})
«Ni à la mafia pharmaceutique ... »
«Ah, ceux-là ... })
Puis il quitte la pièce. Peu après, il est de retour:
«Voilà. On a une copie du mandat envoyée par Berne 183 • Lisez.})
Comme par hasard, parmi les documents, figure la note confidentielle
«dont-on-ne-peut-faire-état-que-sous-réserve-de-vérification» que j'avais
découverte en août dernier. Y compris, bien sûr, l'accusation d'une «émission
de chèque sur un compte soLdé» dont je me serais rendu coupable, alors que
j'étais enfermé dans la prison de Gradignan. Pour faire le plus mauvais effet
possible, quoi.
C'est l'heure du déjeuner, et on me conduit dans une autre pièce où un
inspecteur m'apporte un petit pot de nouilles chaudes au fromage.
Une heure plus tard, il est de retour, brandissant un nouveau papier:
«Voilà votre arrêté d'expulsion. Vous n'avez plus qu'à le signer et dans
trois ou quatre jours vous aurez le plaisir de retrouver votre pays.»
«Pas question! Je refuse l'extradition!»
«Tiens? Comme ça m'étonne! ... », s'esclaffe-t-il.
«Et en plus, je demande l'asile politique."
«Parfait. Je remplis un nouveau formulaire, je reviens, vous le signez et
on vous conduit chez le juge."
Ce qui est bientôt fait, et je signe ma déclaration. Puis l'inspecteur, l'air
vraiment désolé, dit:
«Je suis navré, mais le juge ne peut vous recevoir aujourd'hui. En atten-
dant, je suis obligé de vous conduire à la prison de Champ-Dollon ... »
Et merde!

183. Berne étant La capitaLe de La Confédération HeLvétique, mon «affaire» était traitée par L'Office
FédéraL de Justice (O.F.J.) sis dans cette viLLe.
l'hallali 0[
J'en étais sûr!
Ça recommence comme vOlei presque exactement sept ans: l'arrestation
un vendredi, un juge surchargé, ça signifie un week-end en prison quasi
assuré, quoi. On dirait que pour moi l'histoire se répète ...
Sans trop y croire, je d'emande:
«Avant de partir, est-ce que je pourrais donner un coup de téléphone?
Personne ne sait où je suis, et mes amis doivent être très inquiets.»
«Je suis désolé. C'est impossible avant que vous ayez vu le juge ... })
Un quart d'heure de trajet menotté dans une camionnette cellulaire. Celle-
ci n'est pas un «camion aveugle»: on peut admirer le paysage à travers les
vitres grillagées. Et je vois les décorations de Noël qui commencent à briller
dans les rues et les magasins de Genève. Un peu comme à Bordeaux un
certain 12 décembre 1997 ...
Derrière moi, dans le coffre de la camionnette, mon téléphone hors de ma
portée ne cesse de sonner. C'est sûrement John, qui m'attend à l'aéroport184 •
Et merde! Et merde! Et merde!

18 h 45, prison de Champ-Dollon:


Terminus. (Fig. 91)

Fig. 91 :Prison de Champ-DoLLon, Sur Le toit, Les grilles du «Nid d'AigLe»,

184, Le maLheureux m'attendra quatre heures, puis, informé par des responsabLes de L'hôteL Crowne Plaza
que j'ai été arrêté, il Lancera L'aLerte généraLe auprès de mes amis.
- J 1
--'

CHAMP-DOLLON
Premier constat relativement encourageant: l'accueil n'a rien à voir avec
celui réservé aux «arrivants» à Gradignan. Gardiens et greffiers, dans leurs
uniformes impeccables, m'accueillent tous d'un «Bonsoir, Monsieur» qu'on
jurerait chaleureux.
Dans un petit bac en plastique se trouve une enveloppe contenant l'ar-
gent liquide que je possédais, saisi par la police. Il y a là des euros, des
francs suisses, des livres sterling et des dollars caraïbes. Ces derniers susci-
tent la curiosité: on n'en avait jamais vu à Champ-Dollon! Dans le bac gisent
aussi mon passeport, mon permis de conduire, mes chéquiers et mes cartes
de crédit. Je vide les poches de mon blouson, qui ne contiennent que mes
cigarettes et mon briquet.
«Si vous fumez », dit un gardien, «il vaut mieux acheter maintenant des
cigarettes au distributeur, parce que ce sera impossible avant lundi.»
«Je veux bien, mais mon argent est dans l'enveloppe, là ... »
« Pas de problème », dit le greffier. «Vous retirez la somme qu'il vous faut,
je vous la donne et vous me signez une décharge. Combien voulez-vous de
paquets ?»
« Quatre ».
Le greffier donne l'argent au gardien, qui me dit:
«Venez avec moi choisir la marque que vous voulez.»
Le distributeur est gorgé de paquets de cigarettes de toute sorte.
«Tiens», remarque le gardien, «c'est un nouvel appareil. Ils ont dû le
changer ce matin. Faut dire que l'autre avait déjà deux ans ... »
Il tapote le code des Gitanes, disposées en file au centre d'une sorte de
cylindre hélicoïdal, introduit l'argent dans la fente prévue à cet effet, appuie
sur un bouton; le cylindre se met en marche et crache un par un les paquets
dans le bac de réception.
«Vous avez tout ce qu'il vous faut? Besoin de rien d'autre?», s'enquiert
le gardien.
«Non, non, c'est parfait».
«Alors maintenant nous allons à la douche. Pendant que vous la prenez,
je fouillerai vos vêtements. Simple routine ... »
JO ~ A ~ DE Lo ïc LE RI BAULT ?

Après la douche, retour au greffe. On me donne mon paquetage (draps,


oreiller, serviettes, etc.), une pochette contenant un nécessaire de toilette
et un stylo-bille, et une autre un jeu de couverts. Je n'en reviens pas: le
couteau de table est muni d'une vraie lame-scie! De quoi s'ouvrir les veines
sans coup férir. J'ai une pensée émue pour Pierre Chanal. Et puis, cerise sur
le gâteau, on pose sur mon paquetage un petit livre de vingt pages intitulé
«Prison de Champ-DoLLon. Brochure pour votre information ». Je dois rêver ...
On me donne aussi une poche en plastique 185 contenant un repas froid.

CELLULE 258
Après s'être une fois de plus inquiété de mes besoins éventuels et avoir
été rassuré par ma déclaration de parfait bien-être, le gardien m'emmène vers
mon nouveau logis.
Le couloir d'accès, lumineux, est équipé de grandes vitres et les murs
décorés de peintures vives. Je suis abasourdi:
«Qu'est-ce que c'est propre!»
«Oh, on essaye de bien entretenir... Mais c'est pas toujours facile:
regardez dehors.»
Dehors, au pied du mur, la pelouse est jonchée de restes de nourriture
jetés par les détenus. Une dizaine d'énormes chats gras comme des cochons
se régalent de bon appétit.
«Tous les jours, on est obligé de nettoyer. Parce que les chats, savez-
vous, ils n'aiment pas le pain. Alors, forcément, ils le laissent traîner par
terre ... »
Je compatis.
Voilà, nous y sommes: cellule 258.
Le gardien ouvre la porte et me fait signe d'entrer en prononçant le très
helvétique «faites seulement.}) Puis il me fait les honneurs du logis. Il
contrôle si les interrupteurs fonctionnent, s'il y a une provision de papier
hygiénique, une balayette, une pelle à poussière, si l'eau chaude arrive, si la
chasse d'eau marche, si la poubelle est munie de son sac plastique jetable,
si la télévision est branchée, bref il veille à la qualité de mon nouvel appar-
tement. Satisfait de son inspection, il précise:
«Vous êtes en sécurité, ici: on vous a mis à l'isolement, puisque vous
dépendez de l'O.F.J.»
Avant de sortir, il me désigne un petit bouton:
._- -- - - -
185. l'expérience m'apprendra qu'en Suisse on ne dit jamais sac pLastique ou poche pLastique, mais cornet.
Champ-Dollon r
0
«Ca, c'est la sonnerie d'alarme. Bien sûr, vous ne l'utilisez qu'en cas d'ur-
gence ... »
Je n'en reviens pas. A Gradignan, les cellules sont aussi équipées d'une
sonnette d'alarme. Mais elles sont toutes débranchées volontairement, sinon
elles n'arrêteraient pas de sonner. D'où le fameux système du drapeau,
symbole du tristement célèbre Système 0 apanage des Français. Ça doit être
ça, la discipline suisse; elle fonctionne même chez les détenus!
Le gardien jette un dernier regard circulaire, puis lance:
«Eh bien, je crois que tout est en ordre. Je vous souhaite une bonne
nuit. »
Et je suis sûr qu'il est sincère!
«Bonne nuit à vous aussi.»
«Clonk! », fait (avec l'accent suisse) la porte en se refermant derrière lui.
Face à moi, le mur peint en vert clair est percé d'une grande fenêtre sans
barreaux (mais au verre renforcé) ornée de rideaux orange, et d'un panneau
métallique qu'on peut ouvrir, muni bien sûr d'une grille, mais qui permet
d'aérer la pièce. Les murs latéraux et le ptafond sont beige rosé. La cellule
n'a pas été repeinte depuis longtemps, elle porte les cicatrices de l'âge et
nombre de graffitis. Chose étrange, ceux-ci ont été dessinés ou écrits, comme
toujours, pour laisser une trace, un nom, une date, mais avec le souci de ne
pas « salir». Les noms sont calligraphiés avec soin, et pas un seul dessin
n'est obscène. Un grand aigle noir à deux têtes sur fond rouge (1,50 m x 1 m)
est surmonté de la mention «Albania». Je distingue aussi une grande femme
stylisée sur des nuages, un dessin abstrait au fusain, et bien d'autres choses
encore.
La cellule fait environ 6 mètres sur 3 mètres 50.
En entrant, à gauche, une porte (une porte, vous vous rendez compte?)
donne sur un cabinet de toilette équipé d'un siège muni d'une lunette et d'un
couvercle (parfaitement !), d'un lavabo (propre) surmonté d'une glace et
d'une tablette pour poser ses ustensiles de toilette. Il y a même un distri-
buteur de papier hygiénique, un porte-serviette, un seau, du produit de
nettoyage et un système d'aération! A cet instant, je me souviens avec
émotion de la «124» de Gradignan, avec son lavabo (crasseux) vissé dans le
mur, séparé de la «chambre» par une murette d'un mètre de haut derrière
Laquelle se trouvait le siège sans Lunette ...
Ensuite, à gauche en entrant, je contemple les traditionnels deux lits
superposés puis, sur toute la largeur du mur, sous La fenêtre, une véritable
table de travail en bois peinte en vert clair. Sur celle-ci, une petite télévi-
sion couleur.
Un tabouret attend le prochain occupant des Lieux devant la table de
travail.
_ 0i QUI ~ DE Loïc LE RIBAULT?

Sur la porte de la cellule, du côté intérieur, un de mes prédécesseurs a


fixé une boîte à courrier exactement semblable à toutes celles que j'ai vues
ou construites à Gradignan. Ça doit être ça, la mondialisation ...
Voilà.
C'est mon nouveau domaine.
J'ai fait mon tour de locataire de la cellule 258, prison de Champ-Dollon,
Suisse.
Dans l'ensemble, je suis assez satisfait.
Alors, je fais mon lit (à l'étage du bas, c'est plus facile et moins dange-
reux), j'allume une cigarette et la télévision.
C'est à cet instant que je réalise qu'il s'est produit en moi une étrange
alchimie: je me conduis exactement comme si les sept dernières années
n'avaient pas existé. Comme si le temps avait été gommé.
Comme si je n'avais quitté la 124 de Gradignan que quelques secondes
avant d'emménager dans la 258 de Champ-Dollon.
Comme si j'avais attendu cet instant inéluctable depuis sept ans.
Comme si, sept ans durant, j'avais vécu comme entre parenthèses dans un
monde qui n'était plus le mien.
C'est donc rassuré par le retour au bon ordre des choses que je m'endors
vers minuit.

SAMEDI 22 NOVEMBRE 2003


5 h: Je dormais si bien! D'un sommeil minéral. J'ai toujours su que les
cristaux rêvaient; simplement, ils sont plus discrets que les humains.
Je rêvais que j'étais à la pêche sur les bords d'un étang, et je dessinais
une carte topographique de celui-ci, avec les hauts fonds et les chemins qui
menaient aux endroits les plus poissonneux. Et puis, à côté de moi, un imbé-
cile de charpentier de marine s'était mis à clouer des planches pour fabriquer
un bateau. Il tapait de plus en plus fort, et je me suis réveillé: dans la cellule
voisine, un prisonnier tentait de briser sa solitude en frappant violemment
sa table, sans doute avec sa balayette. Au bout de quelques minutes de ce
vacarme, des hurlements de protestation se sont élevés de toutes les cellules
voisines et le «charpentier de marine» s'est tu. Sans doute se sentait-il
moins seul.
Je ne peux plus me rendormir et me lève.
Comme à Gradignan, mon premier geste est d'allumer la télévison.
Pourtant, je ne regarde jamais la télévision chez moi. Absolument jamais.
Je sens que je vais devoir recommencer.
Champ-Dollon 0[
Avec étonnement, je retrouverai tout au long de La journée les mêmes
émissions qui m'avaient bercé à L'époque, et souvent Les mêmes présenta-
teurs. Qu'est-ce qu'ils ont vieilli ...
J'ignore à ce moment-là que, dans toute la Suisse, devant les vitrines des
marchands de journaux, des dizaines de milliers d'affiches (format 40 x
60 centimètres) éditées par La tribune de Genève annoncent La grande
nouvelle du jou r: «Un expert de la
police française (sic) arrêté à Genève».
On m'apprendra pLus tard qu'«on» fait
grise mine du côté de La place Beauvau,
à Paris. (Fig. 92) Un expert
7 h: Un gardien ouvre la porte pour
me demander si j'ai des réclamations à de la police
faire. Je le remercie, mais, non, je n'ai
vraiment à me pLaindre de rien. A française
Gradignan, ce n'était pas le cas mais -
pas si bêtes - personne ne m'a jamais
arrêté
rien demandé ...
7 h 30: La porte s'ouvre et je sors.
à Genève
«Bonjour, Monsieur)}, dit le gardien
avec une exquise politesse.
Fig. 92
«Bonjour, Monsieur)}, réponds-je.
«C'est le petit déjeuner », m'explique-t-il. «Servez-vous seulement.)}
A côté de lui station ne un chariot roulant sur les étagères duquel repo-
sent des pLateaux contenant chacun un petit pain, une mini barquette de
beurre et une de confiture, ainsi qu'un sachet rempli de quelque chose que
je crains d'identifier.
«Qu'est-ce que c'est?)}, demandé-je.
«Ben, du thé ... )}, confirme malheureusement le gardien.
Horreur! C'est bien ce que je pensais! Et je hais le thé! Même en six ans
d'Irlande, j'ai réussi à ne pas en consommer une goutte! Timidement, je
demande:
«Vous n'auriez pas du café, par hasard?»
«Hélas non, Monsieur. Pour l'instant, vous êtes encore au régime des arri-
vants. Ça s'arrangera Lundi, vous pourrez avoir du café quand vous serez un
détenu définitif.»
Une lampe rouge se met à clignoter dans ma tête: détenu définitif ...
Qu'est-ce que ça veut dire, détenu définitif?
Comme le gardien me voit soudain très pensif, mon sachet à la main, il
propose ai mablement:
«On a de l'eau chaude, si vous voulez ... })
«De l'eau chaude?})
«Pour faire le thé. Là, dans le thermos. Servez-vous seulement ... »
Je me sers.
« Et vous auriez du sucre?»
«Ah non, désolé, pas de sucre avant lundi ... »
«Je comprends. Quand je serai détenu définitif?»
«C'est ça. Allez, je vous souhaite une bonne journée.»
Finalement, je me décide à boire mon thé. Réflexion faite, ce n'est pas si
mauvais que ça. Je le bois même à toutes petites gorgées, pour faire durer
le plaisir.
Voilà. Dernière goutte. Il est 8 h: ma journée est pratiquement finie; d'ici
minuit restent seize heures, d'où je soustrais une demi-heure pour le
déjeuner et la même chose pour le dîner (en faisant traîner les repas) et
quinze minutes d'imprévus, soit quatorze heures et quarante-cinq minutes à
tuer. La journée va être longue ...
9 h: Le surveillant qui m'a accueilli la veille me propose de m'accompa-
gner à la douche. Et comment! J'en profite pour lui demander à combien de
douches on a droit par semaine. Il a l'air stupéfait: '
«Mais tous les jours, bien sûr!»
A Gradignan, c'était deux fois par semaine ... sous réserve des disponibi-
Lités!
Il me donne un gros savon et ouvre la porte des douches:
«Allez-y. Prenez tout votre temps. Vous n'aurez qu'à sortir et m'appeler
quand vous aurez fini.»
10 h 10: A Gradignan, il m'avait fallu presque deux mois pour commencer
à m'habituer à ma cage, et ensuite la routine s'était installée: le réveil, la
première cigarette, l'allumage de la télé, le petit déjeuner, la douche
(parfois), l'attente du courrier, le dîner, la cérémonie de la poubelle et le
coucher.
Ici, en un clin d'œil, ces réflexes que je croyais oubliés se sont ranimés
comme des micro-organismes congelés qui se réveillent avec la chaleur. Ou
comme des puces. Tous les déménageurs (ou les experts criminologistes)
vous diront que lorsqu'on pénètre dans des greniers ou de vieilles maisons
abandonnées avec des planchers de bois, tout se passe bien pendant les
premières minutes. Puis soudain, en un éclair, les explorateurs se retrouvent
couverts de puces: en sommeil depuis des mois ou des années, elles ont été
Champ-Dollon 0[
réveillées, paraît-il, par les vibrations du plancher. C'est du moins ce qu'on
m'a dit. Et je sais par expérience que, dans ces circonstances, on peut effec-
tivement se retrouver couvert de puces affamées en quelques secondes.
Alors, sans doute ai-je fait vibrer le plancher en béton de ma cellule
suisse pour que le vieil entraînement me submerge instantanément.
A Gradignan, je travaillais dos aux grilles. Ici, c'est beaucoup plus confor-
table, puisque je travaille face à la fenêtre. Devant moi, je vois un terrain de
sport et une pelouse, parsemés des chats gras. Plus loin, le mur d'enceinte,
puis un champ dans le monde des gens libres, une haie de grands saules, des
collines et, à l'horizon, des montagnes couvertes de neige.
En une demi-heure, la cellule-bureau est aménagée: assis devant ta
fenêtre, j'ai commencé à écrire (en toutes petites lettres, pour économiser le
papier) sur les feuilles réglementaires avec guide-âne fournies par l'adminis-
tration pénitentiaire, les paquets de Gitanes sont empilés contre le mur, à
gauche, à côté des feuilles de papier vierges et de ce qui commence à devenir
mon dossier judiciaire helvétique. A ma droite, la télévision (qui marchera
toute la journée en sourdine) est juste à portée de main pour que je puisse
sélectionner les programmes sans avoir à bouger de mon tabouret. A la droite
du récepteur, j'ai posé mon verre (en pur polystyrène) rempli d'eau frakhe,
et un pot de crème dessert Carrefour à la vanille qui me sert de cendrier. Les
enveloppes sont rangées dans la «boite à courrier» fixée à la porte. Les
couverts, rangés dans une pochette plastique, sont placés devant la télévi-
sion.
Un gardien entre. Comme je ne possède que les vêtements que je portais
lorsque j'ai été arrêté, il est allé chercher dans mes bagages des habits de
rechange: deux chemises, un pyjama, des chaussettes, des slips, mon rasoir
à main WiLkinson (la meilleure marque du monde, publicité non payée). Dans
la minute qui suit, mue accomplie, les vêtements sont rangés sur les étagères
à la tête du lit.
Puis un second gardien m'annonce que mon «épicerie d'arrivant» m'at-
tend dans le couloir. Je reviens, ravi, tenant à la main le sac plastique -
pardon, le cornet - qui contient les premières preuves matérielles que je
dispose encore d'une certaine autonomie. Du moins l'autonomle d'un certain
choix, dans la limite des stocks disponibles et de l'argent consigné.
Je contemple les petites barquettes de confiture; il y en a six: abricot,
prune, cerise, coing, fraise, cassis, et je les empile soigneusement deux par
deux sur la tablette devant la fenêtre, avec les deux paquets de café soluble. :!.23 1
Sachant que désormais cinq jours s'écouleront entre la commande d'épicerie
(le lundi) et la livraison (le vendredi), j'empile également les paquets de
cigarettes, de façon à avoir une vue globale de mes réserves pour éviter toute
rupture d'approvisionnement.
: r [ QUI A~ DE Loïc LE RIBAULT?

Le rythme est pris.


Mais pour combien de temps?
11 h: Je vais prendre le plateau déjeuner sur le chariot roulant, dans le
couloir. Au menu, bœuf bourguignon et purée. Sans sel. Le sel, ce sera lundi.
Malgré tout, le repas est bon.
Et la journée s'égrenne.
En prison, le temps ne s'écoule pas: il s'égoutte.

VENDREDI 28 NOVEMBRE 2003


IL Y a exactement une semaine que j'ai été emprisonné.
J'ai arrêté de tenir mon journal samedi soir, parce qu'en une seconde le
moral avait craqué; faut vraiment être trop con, trop sûr de son bon droit,
pour se jeter dans la gueule du loup sans cacher le moins du monde sa vraie
identité.
Mais j'ai des excuses: j'ai habité deux mois entiers dans l'hôtel Eden au
Lac de Montreux, dans l'Etat sans doute le plus policier du monde, sans être
le moins du monde inquiété, jusqu'à ce que j'arrive à Genève pour y être
arrêté dès la première nuit.
Or, il est spécifié sur le document demandant mon extradition que mon
mandat d'arrêt international avait été communiqué à Interpol dès le 25 août
2003.
Que penser alors de l'efficacité d'un organisme policier international
auquel il faut trois mois pour localiser un criminel qui non seulement ne se
cache pas, mais sème sur son passage des milliers d'indices, avec des papiers
authentiques?
Je vais vous dire: Ben Laden a de beaux siècles de tranquillité devant lui!
Mais la raison principale de ma baisse de moral, c'est que je n'ai pas eu
le droit de donner un seul coup de téléphone, ce qui aurait permis à tous mes
amis d'être prévenus de mon arrestation. Pour eux, j'ai tout simplement
disparu de la surface de la terre le 21 novembre à 8 h 25. Ils doivent se faire
un souci d'encre.
J'ai appris aussi que, pour de mystérieuses raisons, je n'aurai pas le droit
de recevoir ni d'écrire du courrier pendant un mois, et qu'ensuite celui-ci sera
soumis à la censure à l'arrivée et au départ. A l'issue de ce mois d'isolement
FJ absolu, j'aurai droit à une visite d'une heure par semaine avec un maximum
de deux visiteurs à chaque fois, l'entrevue (enregistrée) ayant lieu en
présence d'un gardien. Intimité garantie. IL me sera également possible de
téléphoner deux fois par mois pendant un quart d'heure à des correspondants
qui devront être agréés par le juge. IL va de soi que ces communications télé-
Champ -Dollon _[

phoniques seront enregistrées et se feront aussi en présence d'un surveillant


parlant la langue dans laquelle je m'exprimerai (précision qui doit être indi-
quée dans la demande quinze jours avant l'obtention du droit de téléphoner).
N'ayant aucune mémoire des numéros de téléphone et des adresses, j'ai
demandé la restitution de mon répertoire téléphonique, ainsi que celle de
mon ordinateur portable, déjà épluchés par les policiers suisses. Cette resti-
tution m'a été refusée par l'O.F.J., sous prétexte que ces objets constituent
des pièces à conviction. Mais comment peut-il exister des pièces à convic-
tion, alors que le dossier d'instruction me concernant est bouclé, et que la
date de mon procès est fixée? Interrogé par mes avocats, l'O.F.J. reste muet
comme une carpe. Poussé dans ses derniers retranchements, l'O.F.J. avoue
que ce refus de restitution est fait à la demande des autorités françaises.
Autrement dit, la Patrie des Droits de l'Homme prépare déjà contre moi une
nouvelle instruction ... Pas de quoi remonter le moraL. ..
Surtout je ressens un pesant sentiment d'injustice. Il me fait remonter
bien loin dans le temps: j'avais onze ans quand je découvris l'injustice.
Depuis toujours, je décrochais le prix d'Excellence à l'école, mais n'en
tirais aucune gloriole. C'était normal. Et, depuis des années, je trainais
derrière moi mon éternel second, le prix d'Honneur, un prénommé William,
qui travaillait comme un tâcheron; honorablement, certes, comme en attes-
tait son prix traditionnel, mais pas assez pour accéder au pinacle où j'avais
pris racine. William était en quelque sorte mon Poulidor personneL Tout le
monde s'y était habitué, y compris William. Mais pas sa mère.
Il faut dire qu'à l'époque, la distribution des prix en fin d'année scolaire
était à Cholet un évènement solenneL Toutes les notabilités assistaient à la
cérémonie: le maire, le préfet en uniforme, et même parfois un ministre de
passage trônaient sur une estrade où les lauréats montaient par ordre de
mérite pour recevoir les livres symboles de leurs exploits.
Les récompenses étaient scrupuleusement hiérarchisées: un gros Livre
pour le premier prix dans une discipline, un petit pour le second prix, un
bout de papier pour le troisième. Pour trois troisièmes prix, on avait droit à
un livre de taille moyenne. Bien entendu, le titulaire du prix d'Excellence
descendait de l'estrade croulant sous le poids des livres, soigneusement liés
avec un ruban de couleur, car outre sa collection de premiers et seconds prix,
le prix d'Excellence en lui-même était généralement un énorme ouvrage
illustré.
Le prix d'Honneur aussi descendait abondamment pourvu de livres. Mais
moins, bien entendu.
131
Pour les bons élèves, ce jour était non seulement celui du triomphe, mais
celui d'une crueLLe revanche. Car les familles des cancres mettaient un point
d'honneur à traîner leurs enfants à la cérémonie pour les inciter à mieux
] 0~ A pEuRI DE Loïc LE RIBAULT?

travailler. Et ceux qui, l'année durant, s'étaient moqués de notre assiduité à


récolter les bonnes notes en nous traitant de lèche-cul ou de crâne d'œuf
avaient la mine grise et l'oreille basse. Et il faut avouer qu'en ce jour de
gloire les bons élèves n'avaient pas le triomphe très modeste.
Cette année-là, donc, je connaissais déjà la nature des lauriers qui
m'étaient promis et préparais minutieusement mes futures vacances: pêche
à la ligne et chasse aux os dans les cimetières.
C'est un père gêné qui un soir entra dans ma chambre:
«Il faut que je te parle ... C'est au sujet de la distribution des prix ... »
«Oui. Pas de problème, je sais que j'ai le prix d'Excellence, et William le
prix d'Honneur, comme tous les ans ... »
«Eh bien justement ... Ça te dérangerait beaucoup si c'était l'inverse,
cette arrnée?»
«Il n'y a pas de raison, voyons, puisque je suis le meilleur!»
«Justement: tout le monde sait que tu mérites le prix d'Excellence, donc
ça n'aurait aucune importance si tu ne l'avais pas ... »
«Si, je dois l'avoir précisément parce que je le mérite.»
Il faut savoir qu'à l'époque, déjà, je discutais pied à pied et ne cédais
jamais sans âpres négociations. A quatre-vingts ans, ma mère s'en souvenait
encore et se plaisait à dire à nos amis que, même pris en flagrant délit, la
main dans le sac, je contestais et discutais à un point tel qu'à la fin de la
discussion mes parents rompaient le combat, convaincus que j'avais raison
quoique persuadés de leur bon droit. Ces joutes pouvaient durer des jours
entiers.
Donc, ce soir-là, Papa était embarrassé et dut m'expliquer le fond de l'af-
faire: la mère de William était la femme d'un notable de la ville, lassé de
trôner sur une estrade où son fils ne montait jamais le premier. Elle était
donc allée trouver le Principal du collège et, sous prétexte que William avait
été malade une grande partie de l'année scolaire et donc que la lutte avec
moi n'avait pas été égale, avait obtenu de celui-ci la promesse que, cette
année-là, son fils aurait le prix d'Excellence. Très ennuyé, le Principal avait
fait part de sa décision à mon père en chargeant celui-ci de la mission diffi-
cile de me l'annoncer. Plus tard, mon père m'avoua qu'en rentrant ce jour-là
à la maison, il en suait à grosses gouttes.
Je n'avais pas le choix, car je voyais bien que Papa était très embêté. Et
puis, ce n'était pas sa faute. Je capitulai donc. Enfin, presque:
«D'accord, j'accepte. Mais c'est pour toi. Et à une condition: William aura
le prix d'Excellence ... mais pas les livres!»
«Entendu », dit mon père, à la fois soulagé et catastrophé.
Champ-Dollon 0
Car j'avais le premier prix en sciences naturelles, en géographie, ortho-
graphe, grammaire et histoire, et le second en rédaction, récitation et
dessin. William, lui, devait se contenter du premier prix de calcul et du
deuxième en histoire et en géographie.
Le 29 juin 1958, jour de la distribution, mon père, debout sur l'estrade,
me cligna de l'œil en signe d'encouragement. Etrangement, il arborait un
sourire ironique.
William, proclamé prix d'Excellence, monta sur l'estrade et en redescendit
avec un énorme livre, un gros et deux petits.
Ce fut mon tour. Quand je quittai l'estrade, je brandissais (modestement)
cinq gros livres, un petit et. .. un énorme bouquin encore plus gros que
l'énorme de William. Ainsi le vrai vainqueur était-il publiquement désigné et
la supercherie démasquée.
Il faut dire que le choix des livres de la distribution des prix incombait à
Papa.
Mais toujours est-il que ce jour fut celui où je perdis toute confiance en
la justice des hommes et envers les notables de tout peLage.
Ce jour marqua la fin de mon enfance.

J'ai l'impression que les sept années écoulées ont été des années vides.
Qu'elles n'ont servi à rien. Que c'est pour ça que je reviens au point de
départ, dans une cellule. Il existe pourtant des différences importantes: je
suis plus âgé, j'avais l'impression d'avoir rebâti ma vie, je ne suis plus à court
d'argent, je me suis refait des amis, j'en ai conservé quelques-uns (rares) de
la «vieille garde », le G5 désormais ne peut plus disparaître.
Mais, pendant cette longue période, j'ai trop souvent fait et défait n'im-
porte où mes valises, posé mes chemises sur trop d'étagères inconnues, souri
sans en avoir envie; trop souvent dit que je me sentais bien là où j'étais
malheureux, trop souvent joué l'inébranlable quand j'étais fissuré, trop long-
temps combattu quand je n'avais plus de forces. Passé trop de temps à
essayer de convaincre des gens qui ne le méritaient pas.

Le lundi 24 novembre, à quatorze heures, Madame Cuendet, mon juge


d'instruction, s'est montrée fort poLie mais totaLement abasourdie. Elle igno-
rait tout de mon affaire. Pour elle, c'était très clair: La France demandait mon
extradition pour exercice illégal de la médecine, escroquerie et vente d'un
produit toxique. L'histoire vraie la laisse songeuse. El
Quand je la revois le mercredi 26 novembre pour ma notification officielle
de demande d'extradition et la signature de mon non moins officiel refus, eLle
a non seulement Lu mon curriculum vitae, mais il se trouve que par hasard
(hasard?) elle a lu la veille Le Livre de Jean-Marie Tarbes consacré à L'affaire
]J~I A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?

ChanaP86, dans lequel l'auteur fait à plusieurs reprises état de mes travaux.
Visiblement très intéressée, elle me pose nombre de questions, non pas sur
mon cas, mais sur les affaires Boulin, Chanal et La Maison des Têtes. Nous
nous quittons en excellents termes. Malheureusement, mon affaire n'est pas
entre ses mains, mais entre celles de la justice fédérale helvétique, à Berne.
ElLe, elle ne sert que de courroie de transmission.

J'ai également eu la visite de mon avocat suisse, un nommé Jacques


Barillon, ténor très médiatisé de la Confédération Helvétique. Appelé à mon
secours par un homme d'affaires dont j'ai fait la connaissance juste avant
mon arrestation, il me garantit que je serai libéré avant les fêtes de fin
d'année.

Le 29 novembre, à 11 h 19, j'ai enfin reçu une visite dans ma cellule:


tandis que j'écrivais, une mouche effrontée s'est posée sur la feuille de
papier. Une mouche délicate, d'un noir velouté, avec de grands yeux rouge
foncé. Je l'ai regardée faire sa toilette; minutieusement, elle a frotté toutes
ses pattes les unes contre les autres, puis, avec des contorsions admirables,
elle a synchronisé ses deux pattes arrière pour nettoyer le dessus et le
dessous de ses ailes, sans oublier les aisselles. Ça l'occupait intensément et
moi, ça m'a fait passer une demi-heure fascinante.

Comme je suis un criminel international, on a relevé mes empreintes digi-


tales. Les techniciens ont fait de l'excellent travail: pas une empreinte
grasse, toutes parfaitement exploitables. En plus, ils ont effectué ce que je
préconisais de faire dès 1985, et qui n'est toujours pas réalisé en France:
l'empreinte de la paume et de la tranche des deux mains. En outre, par
raclage de l'intérieur des joues, ils ont prélevé des cellules épithéliales pour
des comparaisons éventuelles d'A.D.N. Sans doute suis-je un assassin ou
délinquant sexuel potentiel?

Je tiens enfin la clé de l'énigme: le surveillant qui tous les matins, à sept
heures, demande si j'ai des réclamations à faire s'enquiert non seulement de
problèmes éventuels, mais aussi de besoin en produits d'urgence (papier
toilette, lessive en poudre, savon, papier à lettres, enveloppes, etc.).
Autre énigme résolue: la sonnette discrète qui retentit dans la cellule au
428 moment des repas:
«C'est pour réveiller en douceur ceux qui dorment», m'explique un
gardien.

186. Jean-Marie Tarbes, op.cit.


Champ-Dollon U1

NOËL! NOËL! NOËL!


19 décembre: Un gardien souriant m'offre une branche de sapin ornée de
cinq œufs en chocolat enveloppés de papier aluminium multicolore:
«Joyeux Noël quand même!» me dit-iL.
Il m'explique que c'est un cadeau de la direction de la prison. Je suis
abasourdi: une telle attention est inimaginable pour un ancien de
Gradignan. Je m'empresse d'accrocher la branche au mur, derrière la télévi-
sion.
22 décembre, 17 h 15: Un inconnu tenant un paquet à la main entre dans
ma cellule. Il me serre la main, se présente - c'est un prêtre - et me tend
le paquet:
«C'est un petit cadeau de la part de tous les aumôniers de la prison, pour
que vous passiez un aussi bon Noël que possible compte tenu des circons-
tances. »
Je remercie, nous échangeons nos vœux et il s'en va.
Fébrilement, j'ouvre le paquet. On se croirait à Noël! Il contient trois
sachets de thé, deux de café, deux de sucre, quelques cacahuettes, un pain
d'épices, deux œufs en chocolat, deux tablettes de chocolat, un stylo enve-
loppé d'une housse tricotée en fil rose et noir avec son capuchon, et même
une bougie! Et puis une carte avec un mot à l'intérieur: «De tout cœur avec
vous à Noël. Un Noël passé en pn'son, loin de sa famille ou de ses amis, cela
ne doit pas être facile; voici un petit signe de notre amitié.»
Je suis ému.
23 décembre, 7 h 30: Le gardien responsable des réclamations me
demande:
«Demain soir, y a un truc, là .. , euh ... œcuménique, à la chapelle. Vous
voulez que je vous inscrive?»
«Non, merci.»
«Pas de messe?»
«Non. »
«Même une toute petite?»
«Non! »
24 décembre 2003, 7 h: Qu'est-ce que j'ai bien dormi! En fait, je crois que
je n'ai jamais aussi bien dormi de ma vie qu'à Champ-Dollon! Quand je
partirai, il faudra que je demande si je peux acheter le Lit. A moins que ce ne l,:z9
soit L'environnement? Mais c'est vrai que je m'endors le soir dès dix heures
et demi, environné du bruit léger de La musique ou des voix qui sourdent des
cellules voisines. Et puis ici, je ne crains pas L'ouverture de ma porte en fer:
pas de risque de visites inopinées d'huissiers, comme à Gradignan, ni de fLics,
] ~ IQUI A. PEU ~ DE L oïc LE RIBA ULT?

ni de comparutions imprévues, ni d'extractions inquiétantes, pas de mystères


ni de dangers derrière cette porte qui s'ouvre. Seulement l'invitation à la
douche ou à la promenade, l'arrivée des repas et le ramassage de la poubelle.
Je dors donc de dix heures et demi à sept heures. Plus de huit heures d'af-
filée! Sous la couette. Avec, tous les matins, le réveil par le «charpentier de
marine ». Un réveil de luxe qui m'apprend que j'ai encore deux heures pleines
de bon sommeil devant moi. Après tout, pour jouir pleinement de la chance
qu'il avait de pouvoir faire la grasse matinée, Montaigne ne se faisait-il pas
réveiller tous les jours à six heures par des musiciens pour le luxueux plaisir
de se rendormir?
Je suis devenu le Montaigne de la 258. Mon musicien, c'est le «charpen-
tier de marine».
25 décembre 2003: Ma grand-mère (catholique pratiquante) et mon
grand-père (rad' soc' pur et dur187 ) s'entendaient à merveille, mais ne
parlaient jamais de religion. Tous les dimanches, scrupuleusement, Pépé
conduisait Mémé à la messe et l'attendait en faisant les courses.
Lorsque j'étais enfant, au moment de Noël, Mémé penchait donc côté
Jésus, et Pépé côté Père Noël.
Avant que je ne me couche, nous allions tous ensemble allumer le sapin,
qui portait de vraies bougies provoquant tous les ans au moins un incendie
traditionnel qui répandait une bonne odeur de résine. Puis nous allions
allumer les crèches.
Les deux, car il y avait celle de la famille et la mienne, plus petite et dont
j'avais fabriqué tous les personnages en plâtre peint. Ma crèche était un peu
particulière. D'abord, eLLe ne contenait pas de Petit Jésus: j'avais déjà une
sainte horreur des enfants; ce ne sont que de futurs adultes. Je l'avais
conçue pour héberger non seulement le bœuf et le fameux âne gris, mais des
moutons, des chevaux, des chiens et bien d'autres animaux. En vérité, ma
crèche était un zoo. Les Rois mages apportaient bien des cadeaux ü'avais
modelé un Lion à l'intention du Roi mage noir), mais c'était des friandises et
du fourrage pour les animaux, dont Saint Joseph et la Vierge Marie étaient
chargés de prendre soin.
Pendant des années, ma grand-mère, horrifée, tenta de me persuader de
transformer ma crèche en lui donnant une touche plus orthodoxe. En vain.
Une tentative de conciliation initiée par mes parents aboutit à une âpre
négociation, à l'issue de laquelle je concédai l'introduction d'un ange ailé,
vite transformé en porte-bougie pour éclairer le zoo.
[43°1 Mémé rompit le combat.

187. Les radicaux-sociaListes ont dirigé Le gouvernement français pratiquement de 1902 à 1914. Ils se
situaient à gauche par Leur anticléricaLisme, mais Leur attachement à La propriété privée Les opposait au
parti sociaListe. Avec eux, La séparation des EgLises et de l'Etat fut votée en 1905.
Champ-Dollon ~ 0[
La veille de Noël, jour des cadeaux, c'est fébrilement que je me mettais
au lit" incapable de dormir. Je savais que Pépé arriverait dans ma chambre
juste après minuit, à pas de loup. Il faisait mine de croire que je dormais, je
faisais mine de croire qu'il le croyait. Il me secouait doucement l'épaule, et
je faisais mine de me réveiller en sursaut. Notre numéro était très au point.
«Faut que je te dise ce que je viens de voir il y a juste cinq minutes, mais
tu ne me croiras pas! ... », murmurait-il.
«Quoi donc, Pépé?»
«Figure-toi que je venais de sortir pour faire pipi dehors ... »
« Et alors?»
«Alors, dans le ciel, j'ai vu une traînée lumineuse, corn me des milliards de
petites étoiles, qui se dirigeait vers moi!»
« Et alors?»
«Alors, comme elle se rapprochait très vite et très près, je n'ai pas osé
faire pipi, tu t'en doutes .. ;»
« Et alors?»
«Alors, les étoiles se sont arrêtées juste au-dessus de ma tête, presque à
me toucher ... Et je L'ai vu!»
«Qui ça?»
«Le Père Noël! En personne! En chair et en os! »
«Non! Tu l'as vraiment vu?»
«En chair et en os, je te dis! Exactement comme on raconte, dans son
traîneau, tiré par six rennes avec des grelots au cou et des rubans multico-
lores autour des cornes!»
« Oh ... »
« Et tu sais quoi?»
«Non ... »
«Il m'a parlé ... Il m'a demandé si tu avais été sage, cette année ... »
Aïe... Là, la conversation entre le Père Noël et Pépé prenait un tour
inquiétant ...
« Euh ... Et tu lui as dit quoi?»
«Là, forcément, j'ai dû mentir un peu ... Je lui ai dit que tu avais été
sage ... »
Ouf!
« ... heureusement, parce qu'il m'a confié que cette nuit, si tu avais été
sage, il viendrait déposer devant la cheminée le vélo que tu lui avais
commandé... Parce que, tu comprends, il avait entendu des bruits, des
] 0~A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?

rumeurs, quoi, disant que tu étais insupportable. Alors, il voulait se rensei-


gner '" »
«Merci, Pépé!»
«Et, pour te faire patienter jusqu'à demain matin, il m'a donné ça pour
toi ... »
Et Pépé, comme tous les ans, me donnait de la part du Père Noël un gros
paquet de bonbons fondants bien sucrés (les préférés de Pépé). Nous en
mangions une bonne moitié avant d'aller cette fois nous coucher pour de
bon. Comme deux enfants comblés.
Voilà pourquoi, à 57 ans, je crois toujours au Père Noël.
C'est sûrement lui qui me donne la force de résister ...

LES SALONS OU L'ON CAUSE


Il Y a surabondance d'isolés à Champ-Dollon. C'est donc par groupes de
trois que nous faisons la promenade et prenons la douche. Toujours le même
trio. Ça permet de discuter agréablement tout en se savonnant ou en
marchant. Ce sont, en quelque sorte, les salons où l'on cause de Champ-
Dollon.
Je fais la connaissance de mes deux co-douchés. Je les surnomme Kosovo
et Africa.
Africa a 19 ans et vient du Nigéria. Il est ici depuis un mois, suite à une
dénonciation pour trafic de drogue. En fait, il ne détenait que quelques
grammes de marijuana, et ne devrait pas séjourner ici plus de quelques
semaines.
Kosovo a 25 ans, et il est vaguement suspecté d'une légère complicité de
meurtre.
Quand je les rencontre pour la première fois, ils sont déjà en train de se
doucher.
Complètement nus, nous nous serrons la main cérémonieusement.
L'air stupéfait, Africa me dit:
«Mais qu'est-ce que tu fais ici, toi, à ton âge, mon pauvre vieux?»
Je le sens sincèrement peiné.
Je suis sincèrement vexé.
C'est que, depuis une semaine, je me sens rajeunir à vue d'œil! Outre que
j'ai fait un retour en arrière de sept ans, je me trouve bien meilleure mine.
Le régime de la prison?
Ou, plus simplement, aussi étrange que cela puisse para'itre, un sentiment
que j'avais complètement oublié: celui de ... liberté!
Champ-Dollon
n-L
Li

C'est logique: l'épée de Damoclès est tombée; je ne la crains plus, je n'ai


plus qu'à tenter de survivre.

Ce matin, pour la première fois, j'ai été invité à la promenade dans la cour
des isolés. Kosovo et Africa sont du voyage dans l'ascenseur qui nous conduit
vers des sommets encore inexplorés.
Je m'attendais, bien sûr, à une «fosse aux ours» style Gradignan. Je suis
heureusement surpris: il s'agit plutôt d'une sorte de nid d'aigle entouré de
grillage et perché sur le toit de la prison, d'où le visiteur a une vue impre-
nable sur les montagnes, sur l'ensemble de la prison, et sur les dizaines de
chats gras qui patrouillent dans le chemin de ronde. Dans une cage de verre,
le gardien surveille d'un œil distrait, au cas où un prisonnier aurait un
problème ou souhaiterait réintégrer sa cage avant le temps réglementaire. La
cour a une surface d'environ quinze mètres sur sept, et mes deux compa-
gnons, sans s'être concertés, commencent comme je m'y attendais leur
promenade dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Preuve supplé-
mentaire que la mondialisation frappe aussi dans les prisons. Bien entendu,
je démarre dans l'autre sens, à la surprise générale.
Au bout d'une demi-heure, j'ai le crâne gelé. La tête a toujours été mon
point faible ... Quand je pourrai correspondre avec mes amis, il faudra que je
leur demande de m'envoyer une casquette chaude, avec des oreillettes.

Aux douches, Kosovo a l'air soucieux et soupire:


«Je suis inquiet pour mon copain, celui avec lequel j'étais quand on nous
a arrêtés ... Il n'a pas encore été jugé, mais j'ai peur que ça se passe maL .. »
« Pourquoi?»
«Ben voilà ... Ça s'est passé dans un restaurant, à l'heure de pointe. On
est entré, mon copain a repéré le type à qui il en voulait, en train de manger.
Le copain s'est approché de lui par derrière et, crac, il l'a égorgé à sa
table ... »
«Ah ... »
« ... ensuite, quand le type est tombé par terre, mon copain l'a achevé en
lui plongeant son couteau dans le cœur. .. C'est ça qui m'inquiète ... »
« Pourquoi? »
«Parce qu'égorger le type tout simplement, ça pouvait passer pour un
coup de grosse colère. Une circonstance atténuante, quoi. Mais l'achever par G;1T
terre, ça fait pas un peu acharnement?» CU
«Un peu, oui ... »
De retour dans ma cellule, je cherche partout ma montre. Qu'est-ce que
j'ai bien pu en faire?
] 0 QU~A PE~
1 DE LOÏC LE RIBAULT?

La porte s'ouvre. Accompagné d'un gardien, Kosovo me tend ma montre:


«Je l'ai trouvée dans les douches, sous une serviette. Je savais que c'était
la tienne; tu penses, une Seiko, je l'avais repérée ... Mais tu devrais faire
attention: ici, tu sais, y a pas que des gens honnêtes ... »

Kosovo et Africa m'ont donc surnommé Le Vieux. On a passé un marché


pour nos promenades dans le Nid d'aigle: on fait tous les trois ensemble dix
tours en marchant assez vite dans le sens des aiguilles d'une montre, puis ils
me laissent me reposer et partent tous les deux faire dix tours en courant
dans le sens inverse. En fumant une cigarette, nous parlons de notre vie et
de nos pays. Nous sommes tous trois des migrants. Ni l'un ni l'autre n'ont le
moindre argent pour cantiner. Ils ne recoivent ni visite ni courrier. J'ai
remarqué qu'Africa ne fume qu'à moitié les cigarettes que je lui offre, les
éteint soigneusement puis range le reste dans sa poche. Il procède discrète-
ment, pour ne pas que je le voie. Il ne veut pas mendier, tout simplement.
La promenade sera théoriquement finie dans dix minutes. Je suis gelé, je
ne sens plus mes oreilles. Mes deux compagnons font signe au gardien qui,
dans sa cage de verre, fume tranquillement sa pipe en faisant des mots
croisés. Ils expliquent:
«Le Vieux a froid, on voudrait rentrer.»
Ensuite, c'est la douche, aubaine pour se réchauffer. Je passe dans ma
cellule pour prendre une serviette et le savon, et enfouis deux paquets de
cigarettes dans une poche de mon pantalon.
Africa est prêt à prendre sa douche. Quand je lui tends les paquets, il
ouvre des yeux émerveillés et me serre dans ses bras :
«Mais moi j'ai rien pour toi! »
«ça tombe bien, je ne veux rien ... »
Cinq minutes plus tard, mon savon m'échappe des mains et traverse la
salle sur les carreaux humides et dangereusement glissants. Africa, dont les
seuls vêtements sous la douche sont ses claquettes anti-dérapantes, se préci-
pite, revient en tenant le savon et me tend un petit récipient en plastique;
«Tiens, Vieux, mets le savon là-dedans, et garde le pot. J'en ai un autre.»
Et un pot en plastique, je peux vous le dire, ça a de la valeur, en prison!
Le lendemain, dans le Nid d'aigle, Africa me dit:
«Tu sais ce que j'ai fait, hier?»
«Ben non ... »
«J'ai allumé la télé, tiré les rideaux, posé le tabouret et le cendrier près
du lit, je me suis couché, j'ai allumé une cigarette et j'ai ri: j'étais heureux! »
Kosovo s'approche de nous. Il tient deux petits paquets en papier alumi-
nium, et nous en tend un à chacun.
Champ-Dollon [

Dans le papier, nous découvrons quatre carrés de chocolat noir.


Je suis ému: c'est un très beau cadeau. Un cadeau du cœur.

Ce matin, on a reçu l'épicerie! la joie! Comme une bonne maîtresse de


maison, je range soigneusement mes provisions sur les étagères à la tête de
mon lit. J'ai attendu quinze jours, mais maintenant c'est l'opulence: deux
paquets de café soluble, vingt de cigarettes, douze rations de confiture, deux
pains d'épices, un kilo de sucre, du viandox, des rasoirs jetables et des
mouchoirs en papier.
C'est l'heure de la douche. Nous avons pris nos habitudes: Kosovo occupe
toujours la douche de droite, près du mur, j'ai colonisé celle du milieu et
Africa celle de gauche. Tous les jours, le jeune Noir fait couler l'eau de «ma»
douche pour que je n'aie pas froid, et me prévient quand elle est à bonne
température: je suis si vieux, n'est-ce pas, donc si fragile ...
Désormais nanti, j'apporte deux rations de confiture et un gobelet de
sucre à chacun de mes compagnons d'ablutions.
Quand j'entre, Africa est déjà en claquettes, donc l'eau de «ma» douche
doit être à bonne température. Il vient vers moi et m'offre ... deux rations de
confiture et un gobelet de sucre. Bien entendu, le même cadeau attend
Kosovo.
Et quand Kosovo arrive à son tour, il tient précieusement en main ... deux
rations de confiture et un gobelet de sucre pour chacun de nous ...
Match nul.

Depuis le Nid d'aigle, nous observons un homme en jogging bleu qui court
autour de la prison. Du bon côté: à l'extérieur, l'heureux homme. Heureux
homme? Ce n'est pas l'avis de Kosovo:
«Oh, le pauvre!», s'exclame-t-il.
Je proteste:
«le pauvre? Mais il est libre, lui!»
«Justement ... Nous, on est sûr de sortir d'ici. lui, il n'est pas sûr de ne
pas y entrer un jour ... »
l'heure de la promenade s'achève. le gardien dort paisiblement dans sa
cage de verre. Je me réjouis:
«Le temps qu'il se réveille, on va avoir du rab de promenade!»
«Mais non», proteste Kosovo. «Si on ne rentre pas à l'heure, il risque
d'avoir des ennuis.!»
1435 1
Et il frappe fort à la vitre pour réveiller notre ange-gardien.
Décidément, je suis de plus en plus sûr que Kosovo est innocent: un
coupable ne réveille jamais un gardien qui dort.
] 0~ ~I DE LOï c LE RI BAULT?

Aujourd'hui, Kosovo n'a pas le moral:


«Quelle merde! Ici, on ne voit qu'une chose: du fer, des grilles. Et on
n'entend qu'un bruit: celui des portes qu'on claque ... Et puis, j'ai pas de
chance: je ne dors jamais plus de quatre heures. J'ai toujours été comme ça.
Ils ont de la chance, ceux qui comme Africa peuvent pioncer douze
heures ... »
« Pourquoi? »
«Parce qu'ils ne passent que la moitié du temps en prison, tiens!»

Ça fait tilt dans ma tête. C'est vrai, ça. Et je me rends compte que, depuis
que je suis à Champ-Dollon, je n'ai pas «voyagé» une seule fois, comme je
le faisais si souvent à Gradignan. Pourquoi? Est-ce parce que j'ai perdu de
mon énergie? Parce que je suis plus serein? Ou tout simplement plus vieux?
Ou parce que la prison, cette fois, est une halte, une étape, une sorte de
repos?
Un peu de tout ça, sans doute.
Sept ans durant, j'ai vécu dans la crainte de retourner en prison.
Eh bien, maintenant, j'y suis.
Le problème est donc réglé.

C'est fou ce qu'il y a à imaginer pour tuer le temps pendant une heure
dans le Nid d'aigle.
Tiens ... Si ces dalles de ciment étaient les lattes de bois du pont d'un
bateau, et cette rem barde de fer celle de la passerelle? Si ces champs verts,
là-bas, étaient la mer Caraïbe? Si ce soleil glacé, en vérité, était brûlant?
A travers le grillage, regarder le paysage comme à travers le viseur d'une
caméra, et composer des photographies virtuelles; regarder combien de
temps met le soleil à grignoter une des rayures qui décorent les dalles du sol.
Le gardien nous surveille, dans sa cage de verre. Mais si c'était moi qui le
contemplais comme un poisson dans un aquarium? Si, en le fixant, je captais
son attention inconsciente et qu'il me suive dans mes déplacements tout au
long de sa glace, comme le fit un jour un poisson-perroquet dans l'aquarium
de Funchal à Madère et, une autre fois, un petit singe tamarin dans le zoo
de Jersey? Il sautait d'arbre en arbre pour se maintenir toujours à ma
hauteur, tu t'en souviens, Laurence? Le gardien lit, je le fixe ... tac! IL a levé
les yeux vers moi: gagné! Le gardien est devenu mon tamarin personnel.
Combien y a-t-il d'arbres dans ce champ, déjà? La buse est-elle campée à
son poste d'observation habituel? Pourquoi les habitants de la grande
maison blanche ne promènent-ils pas leurs chiens aujourd'hui, le gros berger
allemand, le labrador crème, le petit noir et le minuscule blanc? Tiens, une
des caméras de surveillance ne pivote pas, aujourd'hui. Serait-elle en panne?
Champ-Dollon 0[
Il doit faire bon s'asseoir sur un des bancs de pierre, au milieu de la cage, en
été. La cheminée de la maison qui semblait abandonnée fume et ses volets
sont ouverts. Les propriétaires ont dû venir pour passer Les fêtes, il y fera
chaud ce soir pour Le réveillon. Quel en sera le menu? Pourquoi les joggers
habituels s'obstinent-ils à courir autour des murs gris de la prison? Ce ne
sont pourtant pas les endroits pLus souriants qui manquent. Ah, la voiture
0-

de la poste franchit le portail d'entrée. Peut-être apporte-t-elle une lettre


pour moi? Ou plusieurs? Et de qui? Ou bien rien du tout?

3 janvier 2004: Kosovo, qui parle très bien le français mais ne sait pas
l'écrire, m'a demandé de rédiger une lettre d'amour pour son épouse suisse:
«Surtout», insiste-t-iL, «écris des jolis mots! Une vraie lettre d'amour!»
C'est malin! Je n'ai jamais écrit des trucs comme ça, moi! Bon, il ne
0-.

me reste plus qu'à essayer ...


10 janvier 2004: Kosovo a été si content de la lettre d'amour que j'avais
écrite pour sa femme qu'il m'a demandé de lui en préparer une autre pour la
Saint-Valentin, le 14 février. Il s'y prend à l'avance, car il sait que je serai
extradé avant cette date. En attendant de rédiger le texte, je choisis dans ma
coLLection de cartes collées au mur de ma cellule une qui ne porte aucune
mention ni texte écrit. ElLe représente un paon sur un arbre. Kosovo est ravi,
ça lui Laisse le temps de découper aux dimensions exactes une des feuilles
de papier rose qu'il a commandées à l'épicerie. Il pourra y recopier le texte
que je lui ai promis.

En revenant de la douche, je tombe en arrêt (mais ne suis-je pas dans une


maison d'arrêt?) devant deux chariots qui stationnent dans le couloir,
remplis de couettes et d'oreillers. Je demande aux gardiens qui pilotent les
engins la raison de ce chargement.
« Oh, ça, c'est pour les arrivants. Les nouveaux du week-end, quoi. Ceux
de ce soir ... »
Eh oui, ces couettes et ces oreillers, c'est pour ceux qui vont être pris,
ceux qui sont encore libres, qui ne savent pas qu'ils n'en ont plus pour long-
temps dehors, et qui coucheront en prison ce soir. J'en ai froid dans le dos.
C'est un peu comme les cercueils que l'intendance militaire envoie en
première ligne avant un combat qu'on prévoit difficile: les cercueils sont
déjà là, vides, et personne ne sait qui les remplira 0-'

Africa, l'air dégoûté, soupire:


« Tu voles du fric, on te vole ta vie en punition. C'est pas une bonne
affaire ... })
De derrière notre grille, nous regardons la cour, six étages plus bas. Là,
tout au bout, il y a une cage couverte d'un toit bleu. A l'intérieur chantent
] 0jQüIA [uiJ
p DEL 0 Ï C L E RIB AULT ?

des oiseaux prisonniers derrière un grillage, leur prison à eux. En face, ils
voient une autre grille, puis un mur derrière lequel se cache une autre grille
qu'ils ne voient pas. Au-dessus de nous tous planent des corbeaux, libres.
«C'est pas une vie pour des oiseaux, ça ... », murmure Africa.

Kosovo est chez le juge, Africa chez les flics. Je suis donc seul à la
douche. Le gardien:
« Prenez tout votre temps avec la femme!»
«???»
«Ben oui, c'est le surnom de la douche, ici.»
« Et pourquoi?»
«Parce que c'est le seul moment de douceur, pour les prisonniers ... »

16 janvier 2004: Africa nous quitte demain pour rejoindre les rangs des
prisonniers «normaux ». Il est très heureux, il déprimait tout seul dans sa
cellule. Quand je lui disais qu'il ne fallait pas broyer du Noir, ça ne le faisait
même plus rire.
Je ne le reverrai certainement plus. Comme cadeau d'adieu, il m'a préparé
un sac de café soluble et rempli un pot de sucre. Moi, je lui ai donné deux
paquets de cigarettes.
En nous séparant, nous pleurons à chaudes larmes dans les bras l'un de
l'autre.

PETITES SCENES DE LA VIE QUOTIDIENNE


Principaux personnages: nombreux et variés, mais tous vêtus du même
uniforme bleu impeccablement repassé. Ils entrent et sortent de scène sans
crier gare, à n'importe quelle heure du jour. Jamais la nuit.
Décor: une porte métallique qui s'ouvre et se ferme en faisant «clonk!»
avec l'accent suisse.

Un gardien entre, regarde l'intérieur de ma cellule, ouvre des yeux émer-


veillés et s'exclame:
«Quelle belle vue vous avez sur les montagnes! Vous en avez, de la
chance! »
Il a raison.

Un gardien entre:
«Je viens vous chercher pour votre visite chez le dentiste.»
«Moi? Mais je n'ai rien demandé!»
Champ-Dollon 0[
«Ah, si. La preuve: je viens vous chercher ... »
« Mais qu'est-ce que vous voulez que j'aille foutre chez le dentiste?»
« Vous faire soigner les dents, tiens!»
« Mais j'ai plus de dents!»
«Vous êtes sûr?»
«Bien sûr! Mais si vous voulez, je vous donne mes râteliers, et vous les
apportez chez le dentiste ... »
« Non, non, je vous crois ... (il réfléchit un moment). Je vais leur dire ce
que je pense, moi, à ces cons-là ! »
«Mais non, dites-leur seulement que je n'ai aucune dent contre eux ... »
Le gardien se marre.

22 décembre, 9 h 30 : Voici dix jours, j'avais pris rendez-vous chez le coif-


feur. On vient me chercher enfin! Il faut dire que le coiffeur, un civil, n'of-
ficie en ces lieux qu'une fois par semaine, le lundi, et seulement de huit
heures à onze heures. Comme il a quatre cents clients potentiels - une
clientèle captive, au sens propre du terme -, il ne manque pas de travaiL.
C'est dans la chapelle, où a été installé le fauteuil symbole de sa fonction,
qu'officie l'homme, barbu et tout de noir vêtu. Le patient tourne le dos à
l'auteL. Le gardien me conduit vers un prie-dieu où repose un registre:
« Si vous voulez bien, vous signez votre facture maintenant», m'explique-
t~iL. «Avec vous, je sais qu'on n'aura pas de problèmes, mais il y a eu des
saligauds qui ont refusé de signer après leur coupe! On ne pouvait même pas
les foutre en taule, n'est-ce pas?»
Tous les instruments du coiffeur (à l'exception du rasoir évidemment
absent) gisent en vrac dans une valise noire posée à même le soL.
Trois minutes plus tard, tout est fini. Et, tout compte fait, la coupe n'est
pas plus ratée que dans le civiL.

Changement de linge (c'est tous les vendredis, en Suisse).


«Mettez le linge sale dans le chariot», dit le surveillant. «Avec vous, pas
la peine que je vérifie. C'est pas votre style ... »
«Mon style de quoi faire?»
«Ben, de couper les draps en lanières, tiens.»
« Pour quoi faire? On ne peut pas s'évader, d'ici ... »
«S'évader, non. Mais vos voisins d'en face, par exemple, ils ont fabriqué
une corde pour faire passer des choses dans la cellule du dessous.»
« Ah ... Et alors, qu'est-ce que vous faites?»
«On leur fait payer les draps. S'ils ont de l'argent, bien sûr ... »
: G[~iÏ-;;- P~ DE LCÏC LE RIBAULT?

« Et s'ils n'en ont pas?»


«S'ils ont juste un peu d'argent, on leur fait payer seulement un morceau
de drap. S'ils n'ont rien, on leur donne d'autres draps. Reprisés. Propres, hein,
mais reprisés.})

27 décembre 2003, 7 h 10: Heure des réclamations. Le gardien:


«Tout va bien?»
«Tout va bien.»
«C'est merveilleux! »
«Clonk!» fait la porte.

31 décembre 2003: Un gardien entre et demande timidement:


«Dites, vous n'auriez pas quelques cigarettes pour le monsieur d'à côté?
Vous comprenez, il vient d'arriver, c'est la Saint-Sylvestre, il n'a rien, et moi
je ne fume pas ... Alors, comme je sais que vous avez toujours des réserves
et que vous n'êtes pas chien ... »
J'éclate de rire, et je donne un paquet de Gitanes.
Sortie du gardien, ravi.
Une minute s'écoule.
Retour du gardien:
«Le monsieur-d'à-côté vous remercie et vous souhaite une bonne année.»

TELE EN VRAC
A travers l'écran de l'étrange lucarne, je regarde un monde malade qui
s'agite comme dans un aquarium. J'y vois surtout nager des requins inquié-
tants dans des eaux bien troubles.
Mardi 25 novembre, sur Antenne 2, j'ai regardé un film magnifique inti-
tulé La vie est belle, qui raconte l'histoire d'un juif déporté qui s'ingénie à
faire croire à son fils qu'ils participent à un jeu de guerre dont le premier prix
est un tank. Un des passages montre des déportés portant des enclumes à
fondre dans des fours, et je me suis souvenu que mon père, prisonnier en
Allemagne pendant cinq ans, avait dû travailler dans des fonderies. IL disait
simplement que c'était terrible. Plus tard, il avait été muté dans une usine
de torpilles et passait ses journées en fin de chaine de montage à frapper les
engins avec un petit marteau d'argent. Si le son était clair, cela signifiait que
la torpille était bonne pour le service. S'il était «creux », il indiquait que
l'engin était fêlé et devait être mis au rebut. Mon père me disait que, de
temps à autre, son marteau «se trompait» et condamnait une bonne torpille
Champ-Dollon ] 0[

à la poubelle, tandis qu'une torpille défectueuse avait l'honneur d'être


déclarée apte à défendre sa patrie. Mon père a toujours été taquin.
Alors, en regardant ce film, la survie et la mort dans les camps, la
fonderie, la misère, je me suis dit que j'avais vraiment de la chance, bien
tranquille, à Champ-Dollon.

Ce même jour, on présentait la télévision du futur: un appareil introduit


dans l'oreille et directement relié au cerveau donnera l'illusion sensorielle
d'être réellement dans la fiction du film. Le téléspectateur «vivra» donc par
procuration les plus trépidantes aventures sans quitter son fauteuil ... et
surtout (mais ça, c'est moi qui le dis) sans déranger les institutions étatiques
avec des projets utopiques et des rebellions inquiétantes. C'est terrifiant.

Toutes les cellules sont équipées d'un téléviseur couleur, qui diffuse une
bonne trentaine de chaînes en français, anglais, allemand, albanais, italien,
russe, arabe, etc. Après avoir exploré seize à dix-sept heures par jour toutes
les chaînes dont je comprends la langue, j'en suis arrivé à la conclusion que
les détenus qui regardent la télévision sont probablement masochistes. Car
80 % des films sont des films policiers où - évidemment - le justicier tient
le beau rôle; rarement moins de cinq films par jour nous font explorer des
prisons dont le locataire s'échappe évidemment pour survivre s'il est inno-
cent ou être abattu ou repris si c'est un salaud; le reste des programmes est
occupé par des films de guerre ou des jeux plus débiles ou répugnants les
uns que les autres (à l'exception bien sûr du toujours excellent Des chiffres
et des lettres), où les gagnants décérébrés sont recouverts de masses d'argent
ou de voyages dans des pays paradisiaques, deux rêves inaccessibles pour les
détenus. Sans compter que tous les acteurs dégustent des bières bien fraî-
ches, du champagne ou des whiskies on the rock sous les yeux envieux de
prisonniers réduits à l'eau, au café, au jus de fruit ou au thé. On ne peut
même pas dire que ces films sont éducatifs en apprenant aux détenus libé-
rables les erreurs à ne pas commettre lors de leurs futurs braquages ou assas-
sinats, puisque les enquêteurs sont les premiers à faire des bourdes inexcu-
sables sur les lieux du crime .. .
Mais le pire de tout ça, c'est la pollution sonore: toute la journée, les
cellules résonnent du bruit télévisé des sirènes de police!
4 décembre 2003: Suite aux inondations catastrophiques dans le sud-est
de la France, René Muselier (député des Bouches-du-Rhône), qui connaît
parfaitement à la fois le dossier des catastrophes et la langue française, El[
déclare que ces inondations posent un problème, car elles sont «décennales,
parce que ça arrive tous les siècles». Sic.
Je me souviens qu'on parlait déjà de ces problèmes - et dans la même
région - voici sept ans. N'empêche qu'ils ne sont toujours pas résolus, qu'on
JrJ ~~ PEU ~ DE Loïc L E RIBAULT?

continue à déboiser, à construire dans des zones inondables, à bétonner et à


bitumiser. Et à indemniser, aussi. Et les politiques continuent à déclarer
gravement qu'il faut absolument faire quelque chose.
C'est exact: il faut noyer les politicards.

Dimanche 14 décembre 2003: Les anti-inflammatoires Célébrex et Vioxx


sont retirés du commerce, à cause de leurs dangereux effets secondaires. Ils
disposaient pourtant d'une A.M.M. et du feu vert de l'Agence française de
sécurité sanitaire qui me poursuit ...

Euronews, 17 décembre 2003, 19 h 52: Seuls 10 à 20 % des effets secon-


daires connus des médicaments sont communiqués par les fabricants aux
autorités médicales.

22 décembre, France 2, 7 h 35: Le Régent, insecticide utilisé pour traiter


le maïs et le tournesol, était accusé par les apiculteurs de provoquer la mort
des abeilles. Une étude scientifique vient de prouver que le Régent ne tue pas
seulement les abeilles, mais provoque chez l'homme des œdèmes de la face,
des éruptions de boutons, des nausées, etc. Moyennant quoi « on» préconise
non pas son interdiction, mais une limitation de son usage. Les fabricants du
Régent poussent des cris d'orfraies plumées vives.

29 décembre 2003: Une loi européenne interdit les pratiques qui occa-
sionnent des souffrances inutiles aux animaux, et notamment le gavage des
oies. Intervention sur ce point (sur FR3) d'Olivier Duhamel, député européen:
« C'est de la connerie en barre (sic). D'abord, la souffrance des oies, elle
est pas inutile, puisqu'elle nous donne du plaisir (re-sic) ! »

11 janvier 2004, 5ème chaîne, 11 h: Un écologiste australien, à qui son


combat pour les espèces menacées a coûté très cher avant qu'il ne soit
couvert d'honneurs officiels:
«Je pense que si on n'a jamais fait de prison, c'est qu'on n'a rien fait de
sérieux dans sa vie.»

12 janvier 2004:
La gendarmerie française avoue n'élucider que 32 à 35 % des affaires
criminelles. M'étonne pas ...

Il est désormais prouvé que le vaccin contre l'hépatite C est toxique, et


provoque notamment la sclérose en plaques. Deux cents personnes ont déjà
porté plainte. Mais combien ont été contaminées?
Champ-Dollon 0
Zidane a été élu personnalité préférée des Français ... L'humanité a enfin
trouvé depuis quelques années des idoles à la mesure de sa médiocritinisa-
tion galopante. Les Mayas, eux, avaient un jeu de balle autrement plus inté-
ressant que le football: ceux qui perdaient le match étaient immolés sur le
champ, ou attachés en boule et précipités du haut d'un escalier monumentaL.
Ca, au moins, c'était du sport.

Dernière semaine de janvier


Dans une série télévisée française, où une bonne sœur joue le rôle d'un
enquêteur de police, on voit des flics français impuissants contempler le
décollage d'un avion à bord duquel un suspect s'échappe vers la Suisse.
Réflexion navrée d'un des policiers qui voient leur proie leur échapper:
« Et y a pas d'extradition en Suisse! ... »
Difficile à digérer, quand on est enfermé depuis plus de deux mois dans
une prison helvétique en attente d'une extradition inévitable vers la France!

L'ANGOISSE
Du 21 novembre au 20 décembre, je vis à l'isolement absolu, privé de
toute visite et de tout courrier. J'ignore tout ce qui se passe pour moi et pour
mes amis. Mes seules nouvelles du monde extérieur sont celles que je glane
à la télévision, et mes seuls interlocuteurs occasionnels Africa, Kosovo et
bien sûr les gardiens. Il m'arrive bien de parler au téléviseur, mais il me
répond rarement.
Enfin, le 20 décembre à 17 heures, je reçois d'un seul coup six lettres,
dont une de Laurence et deux de Maguy. Toutes sont oblitérées des 16 et
17 décembre. Elles me confirment qu'il était interdit de m'écrire avant, ce qui
explique sans doute que pas une seule des lettres que j'avais écrites dès mon
incarcération ne soit jamais parvenue à son (sa) destinataire. Pourquoi
m'avoir imposé cet isolement total pendant un mois? Mystère ... Je ne
pourrai jamais obtenir d'explication officielle à cette mesure.
Le 22 décembre, Laurence est autorisée à me rendre visite! C'est un
moment émouvant, mais bien court: une heure ... Elle me trouve serein et a
le toupet de déclarer que j'ai bonne mine!
L'intimité de notre entrevue est évidemment un peu gâchée par la
présence d'un gardien qui enregistre notre conversation. Il se fait aussi
discret que possible, mais au bout d'une demi-heure la bande s'arrête en
faisant « clac! », et il doit la retourner. Le problème, c'est qu'il ne sait pas
El
comment faire. Histoire de rire un peu, je dis à Laurence:
« Maintenant, je vais enfin pouvoir te dire plein de choses confiden-
tielles !»
j r QUI A P~ DE Loïc LE RIBAULT?

Mais je n'ai rien à dire qui ne puisse être enregistré, et j'aide le surveillant
à retourner sa satanée bande. Il me remercie poliment.
Comme nous avions prévu de passer cette semaine ensemble en Suisse,
Laurence m'annonce qu'eLLe a maintenu Le projet et restera le plus près
possible de moi ... dans un hôtel de Genève. ELLe me raconte plein de choses
réconfortantes (notamment le soutien de tous mes amis) ... et d'autres bien
inquiétantes: mes amis les plus fidèles (elle, Maguy, Jean-Claude, Véronique,
Jocelyne, Didier, Maurice) pensent que le principal souci de maître Barillon
n'est pas de me faire libérer de toute urgence, comme il l'avait promis, mais
plutôt d'être mon défenseur lors de mon procès à Bordeaux. Il croit que celui-
ci sera très médiatisé. BariLLon n'a donc aucun intérêt à se décarcasser pour
que je sois libéré avant le 5 février ...
Mes amis ont raison. Le 29 décembre, je retire donc officiellement à
Jacques BariLLon le soin de défendre mes intérêts. Sur les conseils d'une amie,
c'est Maître Enrico Scherrer (dont je n'aurai qu'à louer le dévouement) qui
devient mon avocat suisse. Lui, au moins, prendra soin de venir me rendre
visite presque chaque jour jusqu'à mon extradition, pour que je me sente
moins seul.
Mis au courant de ce changement, les surveillants me congratulent:
«On ne pouvait pas vous le dire, mais on était tous très inquiets. BariLLon,
c'était une mauvaise image de marque pour vous: il a la réputation de ne
défendre que les crapules ... »
En 95 jours passés à Champ-Dollon, je recevrai en tout dix visites d'amis,
d'une durée d'une heure chacune. Autrement dit, dix heures de joie pour
2 280 heures de prison. Si je soustrais les heures passées avec Africa et
Kosovo, j'aurai donc passé 2 210 heures dans une solitude absolue.
Un régime à devenir fou.
8 janvier 2004: En lisant attentivement un dossier de 135 pages (!)
émanant fraîchement des autorités françaises pour justifier leur insistance
concernant mon extradition, je découvre une phrase extrêmement inquié-
tante:« ( ... ) Il est à signaLer qu'une autre information judiciaire a été ouverte
(contre moi) par le Parquet de Bordeaux pour la période postérieure aux faits
concernés par le présent dossier et que le juge d'instruction saisi envisage de
délivrer à son tour un mandat d'arrêt international aux fins d'obtenir une
extension de l'extradition à ces nouveaux faits. »
Ces cinq petites lignes me glacent le sang: je suis maintenant devenu un
individu si dangereux que ses nouveaux méfaits (non précisés) justifient un
autre mandat d'arrêt international!
Alerté, Maître Blet se renseigne au Parquet de Bordeaux, qui Lui indique
le nom du juge chargé de cette nouvelle instruction. Ce dernier, interrogé,
tombe des nues: il n'est pas au courant!
Champ-DoLLon 0
Il s'agit donc bel et bien d'un nouveau coup monté, si énorme que les
autorités françaises n'ont pas hésité à mentir aux autorités judiciaires fédé-
rales suisses!
«On» veut vraiment ma peau, et je persiste à refuser l'extradition. Cette
fois, je suis vraiment inquiet.
D'autant plus inquiet que ,le dossier m'apprend que je ne serai pas seul à
être jugé le 5 février: comparaîtront aussi un truand marseillais notoire, un
guérisseur et. .. Patrick Isnard, un des «deux CLowns»! Tous trois ont diffusé
du faux G5 (fabriqué par un nommé Tancogne, pharmacien également
inculpé), ont usurpé mon nom, publié d'innombrables publicités menson-
gères et ont exercé au grand jour depuis 1996 sans jamais être le moins du
monde inquiétés par la justice qui me persécute. D'ailleurs, ils comparaîtront
libres, eux. Mais il faut dire que le dossier indique en toutes lettres qu'ils ne
sont pas complices. Autrement dit, que je suis le « cerveau» de « l'escroquerie
du silanol»!
Je découvre aussi que toutes les plaintes, sans exception, qui figurent
dans «mon» dossier ont été en fait déposées contre ces trois escrocs.
C'est ainsi qu'on fabrique dans toutes les dictatures des dossiers acca-
blants contre des innocents dérangeants qu'on veut faire éliminer.

LA SURPRISE
En fin d'après-midi, le 9 janvier, un gardien entre, l'air navré :
«Vous n'avez que deux lettres, ce soir ... »
«C'est mieux que rien!»
Il me tend les lettres, mais laisse la porte ouverte. Un autre gardien surgit
derrière lui, un grand sourire aux lèvres. Il tient une boîte en carton emplie
de lettres. Ce doit être le courrier pour tout l'étage?
«C'est pour vous», me dit-il en me tendant la boîte. «Maintenant, vous
avez de quoi vous occuper! .. . Et apparemment, il y a beaucoup de gens qui
vous soutien nent! »
Assis à mon «bureau », je compte les lettres: il y en près de cent! A partir
de ce jour-là, c'est par centaines que des lettres d'expéditeurs presque tous
inconnus commencent à me parvenir en prison. Je comprends alors que mon
affaire soulève une véritable indignation et que je peux compter sur le
soutien d'une multitude de sympathisants. Combien de personnes sur terre 1445 11
peuvent se vanter d'avoir à leurs côtés tant d'amis? Surtout d'amis désinté-
ressés, car enfin ma disparition n'entraînerait pas celle du G5, qui, malgré
mon incarcération, continue à être fabriqué et distribué depuis l'Irlande
comme par le passé. Je ne suis donc plus réeLLement indispensable. Or, des
1 w ~ QUI A PEUR I DE Loïc LE RIBAULT?

milliers de gens se sont donné la peine de m'écrire pour me soutenir, sans


avoir aucun avantage à attendre en échange!
Alors, chaque soir, en contemplant le mur de ma cellule tapissé de cartes
postales, j'estime que je suis un homme qui a bien de la chance.
En tout, environ onze mille lettres me seront adressées, soit directement
en prison, soit au siège de l'Association des Amis de Lo1"c Le Ribault, soit à
mon avocat. Toutes des messages de soutien, d'encouragements, d'indigna-
tion, de protestation, et aussi beaucoup de témoignages d'utilisateurs de G5.
Certains expéditeurs expriment même leur sentiment en personnalisant les
enveloppes: je ne compte plus les lettres ornées d'un timbre en forme de
cœur ou portant la mention «un grand merci», celles avec des timbres sur
lesquels la mention «liberté» de la devise «liberté égalité fraternité» a été
soigneusement barrée, et celles adressées à «Monsieur Lo1"c Le RibauLt,
Docteur ès Sciences, en prison". Un ami inconnu m'adresse tous les jours une
carte postale avec les mots «La France a honte, Lorc Le RibauLt est en prison ».
Ironie involontaire, les lettres postées de Genève portent à cette époque un
cachet proclamant fièrement «Genève, centre de tourisme ». (Fig. 93 à 97)

1
'1,,~.,;'<U..- Lore. Lj; RI<'>"Ul T
Ct.~..t<;r
P"1.i.1-o4 J..~ CC~ï' .i:b\lo...,
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I~:t' Tk"ex '3.u..i.s"<- ~
Fig. 93: «Un grand merci ».
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@BELLE"'N fàe/l<A
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21 JAN. 2004

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22 JAN. 2004 e-C~ ~ 5 F

lB ?/\À~ JM -e~~ ~­
V- t};~v. ~ $e~ ~
~i.e6 _l"tMe~ _ SUiSSE
Fig. 94: l'enveloppe avec le timbre en forme de cœur, et ceux
où le mot « liberté» est barré.
Champ-Dollon 0[

Fig. 95: Destinataire: un «Docteur ès Sdences» en prison ...

Fig. 96: Tous les jours, un ami inconnu m'adressa une carte
comme celle-do
,\

:1

\\
Fig. 97: « Genève, centre de tourisme)) (cachet sur
une lettre reçue à Champ-Dollon).

EXTRADITION
Mais le fatidique 5 février approche à grands pas, et il faut toute la
persuasion de mes amis les plus proches et de Maître Blet pour me décider à
accepter l'extradition. En réalité je n'ai pas le choix: je serai de toute façon
extradé, tôt ou tard. A la limite, je pourrais repousser l'échéance de plusieurs El[
mois, mais l'extradition sera exécutée. Et mon procès, lui aussi, serait
repoussé à une date indéterminée. Peut-être en septembre 2004. Ce qui
signifierait des mois d'isolement supplémentaires en Suisse, et peut-être
d'autres mois en France.
] 0E A PEUR I DE Loï c LE RI BAULT?

Je suis fatigué.
J'en ai marre de me battre.
J'en ai marre de la solitude.
Je sais qu'en France je serai en grand danger, mais désormais ça m'est
égal.
Au moins, je serai fixé sur mon sort.
C'est au soir du 3 février que la police suisse me remet, menotté, à la
police française. Considérant que les policiers suisses se sont montrés négli-
gents en me menottant «par devant», les flics français s'empressent de me
menotter les mains dans le dos, et m'emmènent en voiture avec armes (mon
ordinateur portable) et bagages (trois sacs de voyage) à la prison de
Bonneville. Comme celle-ci est bondée, c'est couché par terre et sans avoir
dîné que je passe cette première nuit d'émouvantes retrouvailles avec la
doulce France. Cela n'augure rien de bon pour mon avenir ... Toutefois, les
gardiens scandalisés par mon histoire, et avertis par le procureur de
Thionville que je dois être protégé, m'ont «hébergé» dans le couloir des
travailleurs avec deux détenus de toute confiance. Merci, surveillants de
Bonneville.
Je ne dors pas: mon bras gauche tordu par le menottage «dans le dos»
me fait énormément souffrir. La douleur persistera plus d'un mois.
Le lendemain soir, ce sont les gendarmes qui sont chargés de mon escorte,
toujours en voiture. Après m'avoir retiré ma ceinture et les lacets de mes
souliers, ils me menottent «par devant» en me faisant remarquer qu'ils sont
bons princes, car il s'agit d'une simple tolérance. La règle, pour eux comme
pour les flics, c'est «dans le dos ». Comme les malheureux sont très fatigués,
ils n'ont pas la force de transporter mes bagages, qui restent à la prison de
Bonneville, que je quitte sans vêtements de rechange et sans avoir mangé,
une fois de plus. Heureusement, cette privation n'affectera pas mes braves
gendarmes, qui me déposent affamé dans une cellule de la brigade de Tulle
pour aller se restaurer en ville. Dix heures plus tard, je retrouve sans plaisir
excessif et le ventre vide la prison de Gradignan, quittée huit ans plus tôt.
Il est une heure du matin ce 5 février, jour de mon procès.
Je suis enfermé dans une cellule «arrivant», ce qui signifie dénuée de
tout confort, même minimal. Et, bien entendu, d'une saleté repoussante. Les
prisonniers ne font que passer dans ces bauges infectes, et nul n'estime
nécessaire de les nettoyer. Une pensée émue pour la propreté des cellules
suisses, et le respect humain qu'elle traduit ... Ici, au moins, en France, celui
qui entre sait qu'il n'est plus rien, en tout cas plus un être humain. Juste une
bête méprisée promise à l'abattoir.
Bien entendu, on ne me donne rien à manger: il est trop tard ...
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LES CLOWNS EN NOIR


Réveil à 7 heures dans la bauge, où je dormais d'un sommeil de plomb. Du
style des PLombs de Venise 188 • C'est le petit déjeuner: café et pain.
Il ne me reste plus qu'à me préparer pour être aussi présentable que
possible pour mon exécution publique. Pas facile de se raser sans glace et à
l'eau froide: on se coupe la peau, ça saigne et ça ne fait pas propre.
A 7 heures 30, j'ai fini ma «toilette». Il ne me reste plus qu'à réfléchir à
ce qui m'attend cet après-midi.
Et c'est pas gai ...
Je sais que les magistrats que je vais affronter sont chargés non pas de
me juger, mais de me condamner. Car j'ai ~éjà effectué plus de cinq mois de
prison préventive totalement injustifiés, mais qu'il faut justifier a posteriori.
Ils ne peuvent pas faire autrement; les vrais prisonniers, ce sont eux. Pas
moi. Ils sont prisonniers d'un système dont ils sont esclaves.
Pour s'acquitter de cette corvée dégradante, il leur a fallu trouver non pas
un procureur, mais un véritable accusateur public.
Parce qu'enfin, il n'y a tout simplement pas eu d'instruction en neuf ans.
Dans l'énorme dossier «silanol», seules deux pages me concernent: une
lettre qui accompagnait les chèques que je renvoyais à des patients lorsque
j'avais cessé «l'expérience de Biganos» en janvier 1996, et une autre d'un
patient qui, à la même époque, craignait de ne pas recevoir le produit
commandé. Quel escroc je fais! ...
Par contre, une multitude de plaintes de clients ont été déposées contre
mes «complices », qui ont vendu des produits toxiques, publié des publicités
mensongères dans des journaux nationaux et régionaux, ont gagné (ou
plutôt volé) grâce à cela énormément d'argent; aucun d'eux ne possède le
moindre diplôme scientifique ni n'a bien entendu réaLisé la plus petite
découverte, ni n'est même en mesure de présenter un seul témoignage de
guérison par leurs dangereuses mixtures. Ils ont sévi neuf ans durant sans
avoir aucunement été inquiétés par la justice qui me persécute, et compa-
raissent libres. ~Sl l l
En ce qui me concerne, pas une seuLe plainte de patient n'a été déposée
contre moi, je n'ai jamais fait la moindre publicité, il est officieLLement

188. Plombs de Venise: prisons établies dans le Palais ducal. sous les toits recouverts de plomb.
~ -, ~I A !E~ DE Loïc LE RIBAULT?

prouvé (notamment par L'Agence du Médicament) que le G5 n'est pas toxique,


je croule sous les diplômes scientifiques et les distinctions, mes découvertes
(exoscopie) ne sont pas plus contestables que leurs applications (rénovation
de la police scientifique française), je commence seulement à gagner de l'ar-
gent, et je suis en mesure de présenter des milliers de témoignages de guéri-
sons. Alors comment le procureur va-t-iL bien pouvoir justifier le lancement
contre moi de deux mandats d'arrêt internationaux, et mes cinq mois et demi
de prison?
C'est à quatorze heures trente que, dans le «camion aveugle », j'arrive au
palais de justice de Bordeaux. J'y suis accueilli avec chaleur par des policiers
révoltés de mon sort; quand ils apprennent que je n'ai pas mangé depuis
trois jours, ils s'empressent de m'offrir du sucre et de l'eau pour m'aider à
tenir le choc. Ils n'ont pas de sandwiches, mais m'en promettent pour plus
tard. Ils me donnent aussi une corde en guise de ceinture pour tenir mon
pantalon. Ils n'ont pas de lacets pour que je puisse attacher mes chaussures.
Ils m'informent que la salle est bondée de supporters, et qu'il y en a
encore plus à l'extérieur, mais que la présidente leur a interdit d'entrer.
Un de leurs collègues arrive et dit:
«On y va, le tribunal vous attend. Je vous préviens, mon pauvre: il n'y a
que des femmes ... "
Catastrophe! Rien que des femmes magistrats, c'est le cauchemar de tout
inculpé! Aux assises, j'aurais bénéficié d'un jury populaire et aurais été
certain de l'acquittement. Tandis qu'en correctionnelle, avec un tribunaL
composé de magistrats professionnels, féminins de surcroît, je suis flambé.
Elles n'auront aucune pitié.
Je suis poussé dans l'arène, ou plutôt à l'intérieur d'une cage de verre
blindé (Fig. 98-99). Ne suis-je pas dangereux?
La salLe d'audience est effectivement comble, et les applaudissements
crépitent à mon arrivée, vite réprimés par la présidente Françoise Martres.
Celle-ci est entourée de
deux assesseurs-potiches
qui n'ouvriront pas la
bouche (Solange Bullier et
Isabelle Delaquys) et de
Maud Vignau, l'accusatrice
publique qui, elle, l'ouvrira
trop.
Ces quatre femmes tout
de noir vêtues font irrésis-
tiblement penser à des
charognards surveillant de
Fig, 98: Dans La cage de verre (5 février 2004),
Les clowns en noir n[--
U .._

loin l'agonie d'un fauve blessé. Pour s'en repaltre, sans gloire, certes, mais
surtout sans danger.
Des journalistes ont écrit qu'à leur grande surprise, alors qu'ils s'atten-
daient à voir comparaltre un homme révolté, j'étais apparu calme et serein.
En fait, je suis effective-
ment révolté, ulcéré, et loin
d'être serei n. Je suis sale,
affamé, épuisé, j'ai voyagé
dans des conditions contre
lesquelles la S.P.A. se serait
révoltée s'il s'était agi
d'animaux de boucherie.
«On}) a tout fait pour m'hu-
miLier, je le sais, mais ça n'a
pas marché: ce sont eux qui
se sont humiliés, qui ont
perdu tout amour-propre en Fig. 99: 5 février 2004: La presse se presse
autour de La cage de verre .•.
me faisant subir ce que j'ai
subi.
Moi, mon rôle est désormais de faire en sorte que mon attitude ne justifie
pas plus de six mois de prison. Mon principal espoir, à cet instant, réside
dans le fait qu'il est de notoriété publique dans le microcosme judiciaire
bordelais que Maud Vignau et Françoise Martres se détestent. Autrement dit,
Vignau demandera contre moi une peine de prison considérable, mais Martres
ne la suivra probablement pas et me condamnera au minimum, c'est-à-dire
aux six mois déjà subis.
Ma vie dépend à cet instant de ma capacité à répondre aux questions
qu'on va me poser. Or, le traitement que j'ai subi depuis trois jours a consi-
dérablement diminué mes capacités intellectuelles. Je ne suis plus que
l'ombre de moi-même.
Je ne sais plus dans quel pays une expérience a été réalisée l'année
dernière: tous les étudiants en droit qui se destinaient à la carrière de juge
ont été astreints à un stage de quelques jours en prison, en qualité de
prisonniers anonymes. Ils ont subi la fouille intégrale, les douches en
commun, les cellules «arrivants», la cohabitation avec d'autres détenus, les
menottes, les trajets dans les camions cellulaires, les «sas », etc.
Etrangement, dans les semaines qui ont suivi l'investiture des magistrats qui
avaient connu cette expérience, le nombre d'incarcérations préventives pour 453
des suspects dont la culpabilité n'était pas évidente a baissé d'une façon
spectaculaire. Les juges avaient compris qu'une incarcération, même brève,
constitue un traumatisme effrayant et durable, surtout pour un innocent. Ils
avaient pris conscience de leur responsabilité.
PEUR DE LOïc LE RIBAULT?
-,

A ma connaissance, ce genre d'expérience n'a jamais été tenté en France,


et c'est bien dommage.
Devant moi, les clowns en noir sont donc en piste.
En fait, je n'écoute guère la présidente, qui cherche à démontrer que je
me suis enrichi sur le dos des patients, et ai refusé de faire réaliser des tests
officiels sur le G5. Son attitude traduit la peur constante que la maîtrise du
procès ne lui échappe, et ça la rend totalement inhumaine. Martres ne juge
pas: eLLe se substitue au substitut.
Plus intéressante est Maud Vignau, sous-procureur (elle est substitut) de
son état.
Durant toute ma carrière d'expert, je n'avais en effet rencontré que des
magistrats intègres, uniquement soucieux de tout mettre en œuvre pour
découvrir la vérité. Sinon, ils n'auraient bien sûr pas fait appel à mes
services. Pour moi, naïvement, le rôle d'un procureur était certes de mettre
l'accent sur les «fautes» de l'accusé, mais sans mensonge délibéré.
Je m'étais lourdement trompé: Maud Vignau existe! Je le sais: je l'ai
rencontrée ce 5 février 2004.
Parlant pourtant au nom du peuple français, ses insultes à mon égard (je
suis un charlatan) et à celui de mes patients (ce sont des «gogos») sont si
ignobles que - fait rarissime - mon avocat et une partie de l'assistance
quittent la salle au beau milieu de son réquisitoire. La Présidente ayant
interdit toute manifestation de protestation, c'est pourtant avec un remar-
quable synchronisme que les auditeurs qui sont restés se râclent la gorge aux
passages les plus insultants.
Pour la procu-
reure, je suis un !;:'RISON DE CHAMP.oOLLON - - - ----

individu infréquen- 1 ~ULLET/N DE VALEUR DU DETENU Remis au greffe le ;Z~ :A1: -];-5, ' 1
L Signature du détenu à l'entrée ~~ . . ..• ..
table, sans honneur 1
et sans valeur •189

A bout de venin,
i NOM .. · ... ·~ ..
Francs su'sses ..
--:->. '

, ....
i:i;.::/f. . . . Valise
PRENOM • .. ·{~!~ .. j7?,':':{1

. . ... . ... ..4. ;,'l .... , .. ..


"1
f " . . . .
EURO .. . .. .. • .. .. .. Sac voyage ou sport ... /.: ...... ..
elle requiert finale- ~sterlin9S ..... 2, 5.~.:-:-: Sac à dos .. ......... /C ........ .
ment contre moi une Dollars j r • ••.... ..• . • . .Sac à main ............. , .••..••.••
amende colossale et Divers '(.("~ :~"(J~';';;~).J, Attaché-case ....... . .............. ,
deux années d'em- Divers A)(~1."'~ .. ;;J.~~h ·~l Carton ......................... ..
Remis à lu/...,ême : ' Sac plastique ..... . .•..•. .• •.• • •.••
prisonnement. :::.;r;~'P."l-J!.<; : . .. .. . . . . Cornet papier ... . . ... .. ...... .... ..
Moi, je suis trop 1 ~...... .. ..... .. ..... Divers .......... .. ...... . ....... ..
--.J
fatigué pour suivre Fig. 100: La valeur exacte et officielle du détenu le Ribault:
376,60 francs suisses ...

189. ('est certainement exagéré. D'autant que certains des amis qui m'ont écrit, tombant dans l'excès
inverse, sont aLLés jusqu'à me comparer à Jésus! Alors, queLLe est ma vaLeur réelle? L:administration péni-
tentiaire suisse a répondu clairement à cette question: exactement 376,60 francs suisses, comme indique
Le «buLLetin de vaLeur du détenu » qu'eLLe m'a officiellement décerné. (Fig. 100)
Les Cl owns en nOH
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avec attention tout ce qui se dit. Et puis, j'entends fort mal dans ma cage de
verre. Je n'ai qu'une hâte: retourner dans ma cellule.
Alors, pour que le lecteur ait un résumé fidèle du procès, je laisse la
parole à Pierre Lance.

LES PERLES D'UN PROCÈS190


«Le procès de Loïc Le Ribault s'est donc déroulé à Bordeaux le 5 février,
devant un public constitué pour une bonne part de personnes enchantées des
bienfaits du G5. Ces bons citoyens avaient tenu à venir témoigner leur recon-
naissance et apporter leur soutien au créateur du produit qui leur a apporté
soulagement ou guérison, là où les médicaments sanctifiés par la bénédic-
tion de l'Ordre et la consécration de l'AMM ministérielle avaient piteusement
échoué. Ils étaient d'ailleurs trop nombreux pour tenir dans la salle et la
Présidente Françoise Martres fit sortir tous ceux qui étaient debout, sous
prétexte de «sécurité» (?).
Dès l'entrée de LOlc Le Ribault dans la salle d'audience, il est chaleu-
reusement applaudi. Et la Présidente s'exclame: «Qu'il soit très clair qu'on
n'est pas au théâtre. Tout mouvement de ce type entraînera l'expulsion du
public. Je rappelle que nous sommes dans une enceinte de justice.»
(Que les applaudissements soient interdits au cours du débat, c'est tout
à fait normal. Mais en quoi sont-ils répréhensibles avant Le commencement
de l'audience? Les applaudissements sont fréquents en des circonstances et
des lieux très nombreux qui ne sont nullement des salles de théâtre. Cette
marque d'approbation affectueuse et de soutien populaire, dès lors qu'elle
s'effectue sans interrompre ni perturber une cérémonie officielle ou un débat
judiciaire, est une manifestation qui entre pleinement dans le cadre de la
liberté d'expression garantie à tous par la Constitution de la
République.)
L'audience commence par l'audition de Loïc Le Ribault. En voici les
passages essentiels:
La Présidente: « Les choses partent de cet article de Sud-Ouest».
LLR: On a commencé à en parler beaucoup en 95. Cela a intéressé un jour-
naliste qui m'a suivi pendant quatre mois. Au bout de quatre mois, il a
présenté cet article à sa direction, qui l'a publié le huit octobre 1995.
La Pte: « Vous avez fait cet article pour faire un choc. C'est présenté comme 455
un produit-miracle.»

190. Le compte rendu commenté qui suit a été rédigé et pubLié par Pierre Lance dans Les numéros 159
(mars-avriL 2004) et 160 (mai-juin 2004) de La revue L'Ere Nouvelle. J'ai scrupuLeusement respecté La typo-
graphie du texte.
] 0: QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?

(La Présidente Martres a une façon très particulière de comprendre le


journalisme. Elle semble ne pas connaître le journaliste et écrivain Jean-
Michel Graille (aujourd'hui décédé, hélas, car son témoignage eut été d'un
grand intérêt). Cet enquêteur réputé s'est toujours intéressé aux chercheurs
indépendants victimes de l'ostracisme. Il avait notamment suivi les mésaven-
tures d'un autre découvreur, Antoine Priore, ingénieur électronicien, inven-
teur d'une machine à rayonnement électromagnétique capable de détruire les
tumeurs cancéreuses et que les officiels parisiens ne voulurent jamais recon-
naître. Jean-Michel Graille écrivit à ce sujet un livre publié en 1984 chez
Denoël: Dossier Priore. S'il a présenté dans son article le G5 comme un
«produit-miracle», c'est après avoir vérifié ses résultats, et Le Ribault n'y est
pour rien. Il est étonnant qu'un tribunaL ne prenne pas au sérieux une
enquête de quatre mois d'un professionneL confirmé.)
LLR: ( ... ) J'ai vouLu faire bouger Les choses. ( ... )
La Pte: On est d'accord qu'en 1995, il n'y a pas d'essai clinique. Vous
attendez la plainte; vous la souhaitez.
LLR: Tout à fait! Naïvement, je croyais que l'Ordre des médedns, des
pharmadens, déposant une plainte, allaient être obligés de faire les
tests. (... )
La Pte: ( ... ) Les témoignages ne sont pas des preuves scientifiques.
LLR: Il y a des analyses de sang, des radios ...
La Pte: Mais il y a des procédures légales, des protocoles ...
LLR: ( ... ) C'est une molécule qui restructure le système immunitaire de l'or-
ganisme; ça ne guérit pas.
La Pte: Suite à l'article de 1995, à une lettre d'un séropositif, vous
répondez que ça peut lui apporter quelque chose.
LLR: Cela (le G5) donne à l'organisme la force de lutter contre les virus. Le
15 octobre 95, j'écris à M. le directeur de l'Agence du médicament: «Je vous
propose cette molécule». Il y avait un dossier joint.
La Pte: L'Agence du médicament vous renvoie Le dossier. La preuve scienti-
fique n'est pas expliquée.
LLR: On n'a pas arrêté de faire des dossiers. Duffaut en a fait vingt peut-
être.
La Pte: Avec votre curriculum vitae, comment pouvez-vous parler de vos
«patients» ? Licence de lettres, doctorat d'État ès sciences ...
(On pourrait faire observer à Madame la Présidente que les mots
«patient» et «malade» appartiennent à tout le monde, et pour commencer
à celui qui souffre. Le «patient» (c'est-à-dire celui qui endure et «patiente»
en espérant une amélioration de son état) n'est pas la propriété ni la
Les clowns en noir 0[
«chose»du médecin. Il est un patient pour quiconque peut lui apporter une
aide.)
LLR: Ce n'est pas une découverte médicaLe, c'est une découverte en bioLogie.
Depuis toujours on cherche à renforcer Le système immunitaire. On est à la
jonction entre géoLogie et biologie.
La Pte: Ce ne sont pas vos patients en géoLogie ou en biologie.
(Quand Mme la Présidente sera bien malade, elLe sera une «patiente» très
contente d'être soulagée ou guérie, même si c'est grâce à la géologie, à la
biologie ou à la culture des champignons ... comme la pénicilline.)
La pte: Vous dites: «J'ai été dépouillé», mais vous prenez un risque
extraordinaire.
LLR: Oui, c'est toute ma vie; j'ai aussi été dépouillé par La gendarmerie ...
La Pte: Je ne vous suivrai pas sur ce terrain.
(Oh! quel dommage! Car c'est ça qui serait intéressant, de savoir
comment la gendarmerie a dépouillé Le Ribault et continue d'utiliser une
contrefaçon de ses tamponnoirs. Mais on comprend que ce soit pour une
magistrate un terrain très glissant. .. )
LLR: Je suis parti à Antigua, où je suis resté 9 mois. En juin 96, j'obtiens
les agréments du Premier ministre d'Antigua et du Premier ministre de
Dominique. J'envisage de déménager. Je reviens en France chercher mes
affaires en novembre 96 et je suis arrêté le 12 décembre. Lejuge me disait que
j'allais être libéré à Noël. Je n'ai vu Le juge que deux fois une demi-heure.
(Après ma Libération) je ne respecte pas le contrôLe judiciaire car j'ai été trau-
matisé par ces 9 semaines à la prison de Gradignan. ( ... )
La Proc.: On a ses Lettres à des clients. IL se compare à Pasteur.
(Mme la Procureure semble ignorer que Pasteur n'était pas non plus
médecin. Elle ignore aussi, comme la plupart des gens, que Pasteur était un
plagiaire, un mégalomane manipulateur, et probabLement"aussi un assassin
d'enfants, qui faillit être poursuivi sur plainte d'un père dont le jeune fils
mourut parce que Pasteur lui avait inoculé un sérum défectueux sans même
avoir la preuve que l'enfant avait contracté la rage. Ensuite, il copia le vaccin
du vétérinaire Toussaint en faisant croire que c'était le sien. Si Le Ribault se
comparait à Pasteur, ce serait faire beaucoup d'honneur ... à Pasteur.)
Viennent ensuite les plaidoiries.
Martre François JambLin (avocat du Conseil de L'Ordre des pharmaciens):
Les protocoles sont extrêmement onéreux. En France et ailleurs, ce sont les
laboratoires privés et non la recherche publique qui peuvent se permettre
de les jaire.
(Voilà une remarque à méditer longuement. Si ces protocoles sont si
onéreux que la recherche publique ne peut se les permettre, ce ne sont donc
JO l QUI A PE-u-R] DE Loïc LE RIBAULT?

que les très grands laboratoires privés (multinationales de la chimie) qui y


ont accès, et qui ont du même coup la toute-puissance sur le marché. Un
chercheur indépendant fut-il génial, est mis sur la touche, faute de moyens.
Me Jamblin vient de fournir à Le Ribault une formidable excuse.
Malheureusement, personne ne semble s'en être aperçu.)
Me Jamblin: Vous avez id à juger un système parallèle, un système occulte
jusqu'à ce qu'il y ait une publidté tapageuse dans la presse.
(Ainsi, cet avocat assimile un article objectif de journaliste professionnel
à une « publicité tapageuse». Informer honnêtement le public de l'existence
d'un produit bénéfique, c'est pour ce monsieur de la « publicité tapageuse».
IL crée volontairement une confusion entre information libre et publicité
payée.)
Mais on arrive à la partie cruciale du procès avec les flèchettes de Mme la
Procureure, qui attaque bille en tête :
La Proe.: Avant d'arriver à l'audience, c'était un dossier qui prêtait à
sourire, car c'est un charlatan des temps modernes, comme le Dr Loxé.
(Je ne connais pas le Dr Loxé, mais je pose deux questions:
1 - Quelles sont les compétences scientifiques de Mme la Procureure
Maud Vignau, pour qu'elle puisse décider qu'un docteur ès sciences,
ancien expert agréé par la (our d'appel et la (our de cassation, est un«
charlatan» ?
2 - Un procureur a-t-il le droit d'insulter un prévenu en audience
publique?
Je crois que LoYc Le Ribault serait fondé à porter plainte pour diffamation
contre la Procureure Vignau. Ce qui pourrait peut-être entraîner l'annulation
pure et simple du procès pour vice de procédure. Idée à creuser ...
La Proe.: C'est une réalité que la médecine traditionnelle n'a pas de solu-
tion pour le mal de dos, les maladies de peau, le psoriasis. On sait que les
guérisseurs, la placebothérapie, ça existe. Cela relève d'un domaine
psychique ...
On voit que Mme la Procureure se tient dans le droit fil de la médecine
conformiste, qui considère comme « placebo" tout ce qui échappe à son
entendement. Mais voilà le clou de cette audience:
La Proe.: Si c'était important, cette molécule, ça serait utilisé.
(Ben voyons! On connaît l'antienne: « Si c'était vrai, ça se sauraih,
458 grâce à laquelle on passe à la trappe toutes les vérités dérangeantes.)
La Proc.: Après avoir inventé l'expert des experts, M. Le Ribault, qui ne
doute de rien, va s'intéresser au domaine de la santé. C'est quelqu'un de fasci-
nant. Je regrette qu'on n'ait pas fait des expertises qui nous révèlent la person-
nalité de Le Ribault. ( .. .)
Les clowns en noir DO

(Excellente idée! Je suis sûr que Le Ribault l'aurait approuvée, en mettant


pour seule condition qu'on «expertise» du même coup Mme la Procureure
elle-même, et aussi le premier juge d'instruction qui l'avait emprisonné
abusivement. On aurait peut-être eu quelques surprises 191 .)
( ... ) Après que Mme La Procureure ait regretté qu'on n'ait pas «expertisé»
Le Ribault lui-même, elLe dit avoir visité son site et noté que l'on y citait
Jacques Chaban-Delmas, ajoutant: «On fait parler les morts 192.» Ce serait
donc faire parler les morts que de Les montrer Lorsqu'ils étaient bien vivants
et félicitaient Loïc Le Ribault? Faudrait-il donc ne plus jamais citer les morts
qui vous ont porté intérêt de leur vivant si on a la malchance de leur
survivre? Les réflexions de Mme la Procureure Vignau sont pour le moins
étranges et on est amené à en déduire que Le code de déontoLogie des procu-
reurs, s'il en existe un, doit être imprimé sur du pur Latex.

,.-:.,..,..•.. '~
I
~~~~
JCD/AB

Monsieur Lore LE RIBAULT


1
22 rue de Sremontiera
33260 LA l'ESTE

Ch eT HonsieUT 2
La Presse s'est faic l'icha de l'exis-
tence de ce tr~1 remarquable laboratoire qui est le v6cre.
Voua constituez un point fort daDs notre
dispositif aquitain &t je tien. 1 vous en fflicite~ .

Il ~a sana dire qua ja .erai toujours


disponible pour toue appui qui vous paraitrait ulcessairaa
c'est simplement mon devoir.

Je Vou. prie. Cher Monsieur. de trouver


ici l'expression 4e mes meilleurs sentisents.

J. CHABAN-DELMAS
_ _ _ _ _ _ ..1

Fig. 101.

191. Oh oui! (n.d. LlR)


192. C'est vrai ça! Comment ai-je pu oser dter La Lettre que m'avait adressée J. Chaban-Delmas Le 28 sep-
tembre 1987, dans LaqueLLe il disait: Cher monsieur, la presse s'est fait l'écho de l'existence de ce très
remarquable laboratoire qui est le vôtre. Vous constituez un point fart dans notre dispositif aquitain et je
tiens à vous en féliciter. Il va sans dire que je serai toujours disponible pour tout appui qui vous paraîtrait
nécessaire. C'est simplement mon devoir. Je vous prie, Cher monsieur, de trouver ici l'expression de mes
meilleurs sentiments. (n.d. LLR) (Fig. 101)
oE~I DE Loï c LE RIBA UL T ?

Après quoi, la Procureure reproche à Le Ribault d'avoir publié dans Sud-


Ouest plutôt que dans une revue scientifique. Mais outre que Le Ribault n'a
rien publié lui-même dans Sud-Ouest et a seulement répondu aux interroga-
tions d'un professionnel réputé appartenant à la Rédaction de ce journal,
Mme la Procureure n'a manifestement pas la moindre notion de la manière
dont fonctionnent les revues scientifiques. Or, ceLLes-ci sont tenues par les
mêmes mandarins qui ne voulaient pas entendre parler des découvertes de
Duffaut et de Le Ribault (et de tant d'autres !).
La procureure reparle du site Internet et déclare: «Les gens qui ont accès
à ce site se disent que c'est un docteur ès sdences en géologie, c'est quelqu'un
qui dit qu'il a été reconnu par la O.S. T., par la police; il a été expert auprès de
la Cour de Cassation. Ils se disent que c'est un produit sérieux.»
Eh bien oui, Madame la Procureure, quoi de plus normal? Et pourquoi
n'avez-vous pas essayé de penser comme «les gens» ? Car apparemment vous
êtes la seule à ne pas avoir pris au sérieux un géologue docteur ès sciences
missionné par la DST, qui a réformé notre police scientifique et qui a été
nommé expert auprès des tribunaux. Parce que tout cela, pour vous, ça ne
garantit pas le sérieux? Et la Procure, alors, c'est du sérieux? J'ai comme un
doute ...
Surtout lorsque l'on vous entend dire: «Je soLLkite une peine qui ne
saurait être inférieure à deux ans d'emprisonnement.» Deux ans de prison
pour quelqu'un qui n'a jamais fait de tort à qui que ce soit, c'est cela qui
n'est vraiment pas sérieux. ( ... )
Puis c'est l'avocat de M. Isnard, qui explique que celui-ci avait été très
impressionné par Le Ribault et il souligne :«A La Teste, M. Le Ribault a une
réputation extrêmement prestigieuse! ». IL aurait pu ajouter: Et parfaite-
ment méritée.
Vient ensuite Maitre Oéjean, l'avocat de M. Tancogne, pharmacien. ( ... )
L'avocat précise que M. Xavier Tancogne n'a fait que vendre un produit
cosmétique indiqué sur les étiquettes «gel apaisant». Rhône-Poulenc a
fourni la totalité des produits. Les experts de Montpellier ont établi leur
qualité.
Voilà qui est intéressant pour le produit de Le Ribault, dont Mme la
Procureure avait dit, non sans ironie, que ce n'était «que de L'eau avec un
grain de sable ». (Sans doute n'a-t-elle jamais entendu parler des médica-
ments homéopathiques, dans lesquelles on ne trouve même plus l'ombre d'un
grain de sable). Mais sur ce point, l'avocat de M. Tancogne sort son pistolet
à eau et lâche cette rafale: «Je crois que le corps humain est composé de 80%
d'eau; ça ne porte pas atteinte aux qualités de Madame le Procureur.» Ah!
qu'en termes galants ces choses-là sont dites!
Les clowns en noir IJ

C'est enfin le tour de Maitre Raymont Blet, Le défenseur de Loïc Le


Ribault. Il déplore que L'on statue en 2004 sur des faits de 1996 et iL s'ex-
clame: «Il ne faut pas trafner dans la boue M. Le Ribault après l'avoir encensé
pendant des années et porté aux nues ». IL parle ensuite des maLades, dont
beaucoup sont dans la salle, car ils ont tenu à soutenir ceLui dont ils appré-
cient Les bienfaits.« Vous avez id des gens qui sont en trithérapie. Ils
travaillent avec Leur médedn. C'est leur médedn qui leur prescrit le G5. Ces
gens ne sont pas des gogos. »!l ajoute que si cette affaire est médiatisée, Le
RibauLt n'y est pour rien. Et de fait, iL Lui eut été difficile d'y être pour
queLque chose, puisqu'il était en prison. Il est rare-que L'on fasse des confé-
rences de presse en prison. C'est dommage d'ailleurs, car cela aurait évité à
certains journaListes de dire des sottises.
Puis Maître Blet réfute à différentes reprises quelques affirmations de La
Procureure:
M. Le Ribault n'est pas contre les médedns. IL conseille le G5 après des
diagnostics de médedns. La majorité des gens ne parlent pas de miracle, ni de
guérison, mais d'un soulagement, d'un bien-être, d'un mieux-vivre. (. .. ) Quand
sur 1200 Lettres193, iL n'y a pas une seule lettre de reproche, on peut s'inter-
roger. ( ... ) Beaucoup de médedns utilisent le G5: le Dr Sotro, de Caen, le
Dr Godin. Quant à M. Paul Garre, conseiller honoraire de la Cour d'Appel
d'Aix, il déclare :cc Utilisàteur du G5 avec ma femme, nous n'en ressentons
que des bienfaits.»
On peut dire en conclusion que, dans ce procès, la Justice s'est ridicu-
lisée. »

En fait, elle ne s'est pas seulement ridiculisée: elle s'est disqualifiée.


Car mon procès aura été un modèle de procès politique: une condamna-
tion sans instruction. Pourtant, Lorsqu'il s'agit de la vie d'un homme, le devoir
n'est-il pas de s'informer soigneusement avant de décider de son sort? De
comprendre avant de juger (ou plutôt de condamner d'avance, en ce qui me
concerne)? Des magistrats dépourvus de toute cuLture scientifique n'au-
raient-ils pas dû s'entourer de l'avis d'experts reconnus et indépendants pour
combLer leur ignorance? D'autant qu'un des principaux spécialistes mondiaux
du silicium organique était dans la salle d'audience, et ne demandait qu'à
témoigner ... Avaient-ils le droit d'évoquer avec mépris trente années de ~
travaux acharnés et désintéressés?

193. Lettres reçues pendant que j'étais en prison, et que Maître BLet tenait ce jour-Là à la disposition du
tribunaL (n.d. LLR)
1 0~ ~ DE Loï c LE RIBAULT?

CELLULE 218, ESPACE DE NON-DROIT


A 22 heures 30, ce 5 février 2004, la messe est donc dite. Comme je m'y
attendais, le jugement est mis en délibéré jusqu'au 12 février, période
pendant laquelle je dois rester incarcéré.
Pourtant, selon le Code de procédure pénale, mon arrestation en France le
3 février suite à mon extradition de Suisse n'avait de validité que pour une
durée de quatre jours, et seulement pour que je sois présenté à un juge. En
l'absence de verdict le soir du 5 février, la loi exigeait que je sois libéré à la
fin de l'audience ou, dans le pire des cas, le 7 février.
Mais, une fois de plus, la loi française ne semble pas s'appliquer à moi.
Pour les clowns en noir, une semaine de prison de plus ou de moins, ça
ne compte pas, Monsieur, ça ne compte pas ...
Il va de soi que mes «complices », escrocs reconnus comme tels 194,
comparus libres, repartent libres ... pour continuer, sans doute, à vendre
leurs mixtures toxiques ...
N'empêche qu'en quittant mon aquarium, je souris malgré moi: je pense
que ce serait amusant qu'on fasse un jour le procès public de mon procès
truqué. Avec un jury populaire.
Les policiers, écœurés par le réquisitoire de Vignau, m'ont préparé des
sandwiches. Ils savent qu'il est trop tard pour que je dine en prison, et
veulent m'éviter un quatrième jour de jeûne. Merci à eux.
Le 6 février au matin, je suis transféré de ma cellule «arrivant» où je
marine depuis deux nuits à une «classique », qui me rappelle nettement ma
vieille 124. La 218 devient ainsi mon petit Guantanamo personnel, un espace
de non-droit, mais sans aucun doute beaucoup plus confortable. Car, aussi
étrange que cela puisse paraître, je bénéficie cette fois du soutien moral non
seulement des gardiens, mais des prisonniers. Toutes les cellules étant équi-
pées d'une télévision couleurs, les détenus ont en effet suivi avec attention
mon procès, diffusé sur toutes les chaînes françaises et sur plusieurs euro-
péennes.
Malgré les demandes répétées de Maître Blet, le parquet de Bordeaux n'a
pas daigné m'accorder le régime de l'isolement pour assurer ma sécurité.
Mais la direction de la prison, très consciente de ma situation particulière,
a décidé de m'héberger au second étage, celui des travailleurs. C'est le plus
tranquille, avec des règles plus souples que les autres. On a droit à une
douche par jour, au moment où on le souhaite. Et puis, vivre avec des voisins
lB qui sont cuisiniers, balayeurs, cantiniers, gamelliers 195 , vous n'avez pas idée
des privilèges que ça vous donne!

194. A l'exception de Tancogne, homme probablement honnête et sans doute abusé.


195. Tous prisonniers bien notés autorisés à travailler.
Les clowns en noir -, 0[
J'ai bien sûr hérité d'un compagnon de cellule. Un escroc. Chacun sait
qu'un escroc se doit de posséder deux qualités indispensables à son métier:
une bonne intelligence et un charisme certain. Sinon, comment inspirer
confiance aux victimes et monter des bobards crédibles? Or, mon nouveau
compagnon, âgé d'une cinquantaine d'années, présente des particularités
rares dans sa profession: il est idiot, antipathique et violent. Moyennant
quoi, il a toujours raté ses escroqueries et fini par lasser les juges les plus
indulgents. En fait, c'est un malade mental qui, dès le début de notre coha-
bitation, me scie les nerfs en me répétant cent fois la même chose de sept
heures du matin à minuit, heure à laquelle mes envies de meurtre deviennent
si évidentes qu'il commence à regarder la télévision dans un silence craintif.
Ses radotages à répétition me font irrésistiblement penser au Boléro de
Ravel. Je le surnomme donc Boléro.

A l'heure de la promenade, un gardien entre et nous propose de sortir pour


l'heure réglementaire d'exercice. Je ne sais vraiment pas l'accueil que vont me
réserver les autres prisonniers, mais j'en ai assez de Boléro, marre de la vie
que l'Etat français m'impose, et je préfère encore prendre le risque d'une
rencontre avec un détenu emprisonné grâce à (ou à cause de?) l'une de mes
expertises.
Arrivé dans la cour, je suis stupéfait: je suis le héros du jour. Les détenus
se précipitent, non pas pour me faire un mauvais sort, mais pour me congra-
tuler! Ils ont oublié l'expert judiciaire pour s'indigner du sort réservé au
découvreur du G5: «Nous, on est là pour de bonnes raisons. Mais toi, tu n'as
rien à foutre ici! C'est une honte!}).
Et puis, je jouis d'un prestige inattendu: mes passages à la télévision et
les articles de journaux y sont certes pour beaucoup, mais mes huit ans de
cavale en traversant une multitude de frontières sans être pris, ça, ils admi-
rent.
Comme je suis arrivé sans rien, ils organisent une chaîne de solidarité: on
me prête des vêtements, on m'avance des cigarettes, du café, bref tout ce
qui rend la vie un peu moins dure en prison. Je suis surpris du nombre de
prisonniers (et de gardiens 196 ) dont les familles utilisent le G5. Ceux qui ne
le connaissent pas me demandent où s'en procurer et comment l'utiliser.
Personne ne fait allusion à mon passé d'expert en criminalistique. Tous le
connaissent, pourtant: on en a assez parlé à la télévision, ces jours derniers.
Mais les détenus sont mieux placés que quiconque pour savoir que nul n'est
parfait.
Mon sort d'expert emprisonné au «régime général» amène tout de même
à se poser deux questions très inquiétantes:

196. Sans parler du personnel du palais de justice de Bordeaux, chère Maud ...
]0Liii:L~ UR I DE Lo ï c LE RI BAULT ?

On sait que, chaque année, dans les prisons françaises, des détenus haïs
(pédophiles, violeurs, tortionnaires, etc.) sont assassinés par d'autres
prisonniers, en particulier au cours des promenades en commun. Et s'il y a
en France quelqu'un dont le passé risque de susciter la colère des détenus,
c'est bien moi. Alors, n'a-t-« on» pas espéré, voire programmé, que je sois
victime d'un de ces regrettables règlements de comptes, et ne m'a-t-« on»
pas immergé ici, malgré les mises en garde de mon avocat, dans des condi-
tions idéales pour que se produise un tel «accident» ?
Je pense sincèrement que c'est le sort qui m'était réservé. J'ignore pour-
quoi et comment j'y ai échappé. Sans doute encore mon éternelle bonne
étoile?
Mais si ce n'est pas le cas, la seconde question est encore plus inquié-
tante: comment des magistrats ont-ils pu être assez inconscients pour
mettre l'expert qui a rénové toute la police scientifique française au beau
milieu de criminels, lui laissant ainsi la possibilité de donner deux heures par
jour des cours de criminalistique à tous les détenus? C'est du délire! On
constate tous les jours dans les médias que la police scientifique française
s'est empressée d'oublier à peu près tout ce que je lui avais appris. Mais moi,
j'ai poursuivi mes recherches dans ce domaine; je m'entraîne déjà à appliquer
expérimentalement des techniques qui ne seront opérationneLLes sur le
terrain et en laboratoire que dans une dizaine d'années. Autrement dit, que
les enquêteurs français n'assimileront (sans doute avec peine) que dans vingt
ans.
Alors, hein? Si pour me distraire j'avais révélé à quelques-uns de mes
coLLègues de Gradignan ces techniques du futur et comment y échapper, les
magistrats totalement irresponsables qui m'ont incarcéré ne devront-ils pas
être inculpés de complicité de crimes?
Seule inconnue: ai-je donné des cours de criminalistique? N'en ai-je
point donné?
That is the question ...
A l'étage des travailleurs, les gardiens acceptent volontiers que les
détenus demandent à partager une cellule avec quelqu'un qu'ils connaissent
ou avec qui ils s'entendent bien. Mais, pour cela, il faut que les détenus qui
devraient être déplacés acceptent les nouveaux co-locataires qu'on leur
propose. C'est un casse-tête que l'administration pénitentiaire a résolu de la
façon la plus sage: débrouillez-vous, et quand vous serez tous d'accord,
faites-nous le savoir, on acceptera les déménagements.
Ma proclamation faite haut et fort que j'en ai marre de Boléro et que je
vais finir par l'étrangler ne tombe pas dans l'oreille de sourds. Un voleur
(fumeur) qui cohabite avec un Noir (non fumeur), qui a légèrement découpé
sa femme avant de la brûler partieLLement, propose à Boléro (non fumeur) de
m'échanger contre son Noir moyennant 100 € de dédommagement par mois.
Les clowns en noir n[
Cest La première fois de ma vie qu'on propose de me Louer! Je refuse avec
indignation: je vaux pLus de 100 € par mois, tout de même!
Tout Le monde se met aLors en quête du co-détenu idéal pour moi.
«Tu devrais demander Gégé,» me dit Le gameLLier. «Il a ton âge, iL fume
comme un pompier, iL est tranquiLLe tant qu'on ne L'emmerde pas, il a presque
fini son temps, iL aime bien Lire. Et puis, on L'a opéré du genou et il marche
avec des béquilles, tu pourras l'aider.»
La rencontre avec Gégé se passe le mieux du monde. Je le connaissais déjà
de vue et d'oreille: personnage truculent et haut en couleurs, c'est La célé-
brité du deuxième étage où, en vieil habitué, il manifeste sa présence dans
les couLoirs à grands coups de barrissements révoLtés ou amicaux selon les
circonstances. En général, tout le monde l'aime bien, surveillants compris. Et
puis, on le connaît ici depuis si Longtemps ...
Immédiatement, un courant de sympathie passe entre nous. Lui, il en a
marre de son jeune co-Locataire, qui râLe quand il fume et passe son temps
à regarder les matches de foot à La téLé, ce dont Gégé a horreur. Sans compter
que, sous prétexte qu'il était arrivé le premier dans La ceLluLe, Le gamin
persiste à occuper la couchette du bas, malgré le sérieux handicap physique
de Gégé.
Le problème, c'est que le jeune de Gégé ne veut pas cohabiter avec BoLéro,
la réciproque étant vraie.
La situation semble sans issue.
Nous en sommes là quand arrive le jour du verdict.
Ce 12 février, en comptant ma première incarcération, j'entame mon
14g e jour de prison. Cinq mois et presque une semaine ...
Comme il fallait s'y attendre, je suis condamné à 8 000 € d'amende et
un an de prison dont six mois avec sursis pour exercice illégaL de La méde-
cine et de la pharmacie. Je devrai également verser, solidairement avec Les
autres condamnés, 10 000 € à l'Ordre des pharmaciens et 8 000 € au Conseil
départemental des médecins. Mais - et c'est pour moi le plus important -
je suis blanchi des accusations de tromperie et de vente d'un produit toxique.
Mes «complices », est-il besoin de le préciser, pourtant reconnus coupa-
bles de tromperie et de vente de produits toxiques, repartent aussi libres
qu'ils étaient arrivés. Forcément, ils ne dérangent personne, eux ...
Mais moi, je retourne à Gradignan.
Pour une simple et mauvaise raison: La loi donne dix jours aux parties Dr
pour faire éventuellement appel. C'est ce que les condamnés appeLlent «les ~
jours du proc' ». Je repars donc pour dix jours en prison. Puisque nous
sommes le 12 février, dix jours pleins nous amènent au dimanche 22 février.
Comme La tradition gradignanesque veut qu'on ne libère jamais un dimanche
mais Le samedi pr~cédent, j'envisage ma libération pour le 21. C'est aussi
-1-,un l~A
UU1 ,
PM DE Loïc LE RI BA U LT?

l'avis des gardiens. A ce moment-là, j'aurai passé cinq mois et demi en


prison. Merci, la France.
Ramené devant la porte de «ma» 128, je soupire. D'autant que je vais
retrouver Boléro qui va me ronger les nerfs et me bouffer les tympans jusqu'à
minuit.
La porte s'ouvre et j'entre, le moral et les yeux à terre.
Un grand éclat de rire m'accueille: c'est Gégé qui me souhaite la bien-
venue!
Il a réussi!
Il a «permuté », pendant que j'écoutais la sentence des clowns en noir!
Comment il a procédé, ce qui s'est dit pendant mon absence, la teneur des
tractations, ce qui s'est passé, comment ça s'est passé, je ne veux surtout
pas le savoir. D'ailleurs j'ai un alibi en béton armé: j'étais au palais de
justice, des centaines de personnes dont des magistrats et des journalistes
peuvent en témoigner, donc je suis innocent.
Mais Le résuLtat est là: mon nouveau compagnon, c'est Gégé, et je suis
soudain le pLus heureux des prisonniers du monde.
Cinq minutes à peine après que je sois revenu de ma surprise, Gégé m'in-
dique que c'est l'heure des informations à La télévision, et qu'on va sûrement
parler du verdict. Effectivement, on en parle, et, par un hasard extraordi-
naire, Les reportages sur mon affaire sont décalés de quelques minutes d'une
chaîne à l'autre. Ce qui fait que je peux me voir et m'entendre râler (<< Pour
moi, La France n'existe pLus») successivement sur France 2, M6, FR3 et TF1.
Etrange impression ...
Comme convenu, Gégé a pris possession de La couchette du bas et
commencé à installer ses maigres biens sur les étagères qui lui reviennent.
Nous nous installons pour une cohabitation dont on ignore la durée: aucun
bail n'a été signé.
Gégé s'avère un compagnon de détention idéal, attentionné, discret, et
plein d'humour. Sa vie n'a pas été facile (il a connu les maisons de correc-
tion quand iL avait quatorze ans) et, après une dizaine de séjours en prison,
a décidé de prendre sa retraite dès sa sortie, au mois de juin. Nous parta-
geons beaucoup de centres d'intérêts, et nos journées se passent à discuter,
faire des mots croisés et Lire. Il me raconte sa vie et ses exploits avec
humour, et je lui conseille d'en faire un livre: je suis sûr que ce serait un
best-seller. Il est d'accord, à condition que L'auteur soit anonyme. Avec sa
voix inimitabLe de titi parisien, il me chante aussi de vieilles chansons de
bagnard complètement oubliées qui mériteraient un récital. Le soir, nous
choisissons le programme de téLévision et en profitons en buvant café sur
café que chacun de nous, à tour de rôLe, prépare avec L'eau chauffant dans
le toto. Et je vous jure que, tout au Long des films policiers diffusés par La
Les clowns en noir l 0[

télé, les commentaires d'un truand et d'un expert en criminalistique tous


deux chevronnés valent leur pesant de menottes.
Puisque nous avons dix jours à patienter avant ma libération, nous déci-
dons de faire la fête: une sorte de «grande bouffe» à la mode Gradignan.
L'administration pénitentiaire vient en effet de convertir mes francs suisses
en euros 197 , et j'ai désormais des fonds disponibles sur mon compte de
détenu. J'ai remboursé à Gégé ce qu'il m'avait avancé pour mes cigarettes,
mais il me reste de l'argent. Tous deux, nous consultons donc avec gourman-
dise la liste des produits comestibles qu'il est possible de commander à la
cantine, et je remplis le formulaire. Pendant la dernière semaine, dédaignant
avec ostentation le menu réglementaire, nous nous régalerons (après une
mise en bouche composée de foies de morue) de confits d'oie et de canard,
de cassoulets, de choucroutes, de tripes à la mode de Caen et autres plats
éminemment diététiques.
Le matin du vendredi 20 février, comme prévu, un gardien m'annonce mon
départ pour le lendemain.
Mais, au milieu de l'après-midi, le même surveillant, l'air très embarrassé,
entre dans notre cellule et me dit:
«Venez avec moi, je voudrais vous montrer quelque chose ... »
Ensemble, nous nous dirigeons vers la petite cabine vitrée où slege
toujours un gardien derrière un ordinateur. IL peut y consulter à la demande
des prisonniers la date des visites prévues, le montant de leur compte
bancaire, et sans doute bien d'autres choses encore. Et aussi, bien sûr, la
date de leur libération. C'est précisément en vérifiant la mienne que le
gardien a été si surpris qu'il a jugé utile de me faire venir. Car il est indiqué
que je serai libéré le ... 20 mai!
Tous deux, nous nous mettons à calculer frénétiquement. Je ne connais
pas un endroit au monde où on calcule plus qu'en prison: le temps effectué,
celui qui reste à purger, les jours de remise de peine ... Et nous tombons d'ac-
cord: entre aujourd'hui et le 20 mai, on compte exactement trois mois. Je
viens de purger deux semaines en France. Sous-total: trois mois et demi. Lors
de mon premier séjour à Gradignan, on m'avait offert deux mois et demi de
pension. Total général: six mois. Conclusion: les «autorités» françaises n'ont
tout simplement pas tenu compte de mon temps d'incarcération en Suisse!
Mais quelles «autorités»?
Le gardien est ahuri. Je lui demande de faire venir le surveillant-chef, qui
est abasourdi et promet d'exposer immédiatement le problème à «sa hiérar- G;T -
chie». CI
197. Il avait fallu dix jours pour réaliser cette difficile opération, parce que l'autorisation du procureur
était nécessaire. En Suisse, la conversion des mes euros en francs suisses n'avait même pas pris un jour:
on avait simplement vérifié que mes billets n'étaient pas faux ...
JO OuI Am R1 DE Loïc LE RIBAULT?

Mais quelle «hiérarchie»?


Les heures passent. Retour du surveillant-chef, l'air soulagé :
«Figurez-vous que le bureau du procureur avait fait une erreur: on avait
oublié de compter votre temps de détention en Suisse!»
«Oublié» ? Cette prise en compte avait pourtant été expressément spéci-
fiée par les autorités de Berne pour accepter mon extradition.
Et le surveillant-chef ajoute:
«Vous devriez donc être effectivement libéré demain.»
Ouf!
Dès l'aube, le samedi 21 février, je suis debout. Et je commence des mots-
croisés. Gégé s'étonne:
«Ben tu ne fais pas ton balluchon?»
Non. Un étrange pressentiment m'en empêche.
J'ai raison: à 9 heures, un gardien m'annonce que je ne partirai en fait
que le lundi matin, le dimanche n'entrant pas dans le compte de mon temps
puisqu'il s'agit d'un jour non ouvrable. Il semble que ce soit une première à
Gradignan, et je commence à m'inquiéter très sérieusement.
Le dimanche 22 s'écoule dans la morosité.
Le lundi matin 23 février, catastrophé, un gardien m'informe qu'après
avoir contrôlé l'ordinateur de la prison il vient de constater qu'en fait ma
libération est programmée pour le ... 17 mars! Dans presque 4 semaines!
Qu'est-ce que ça signifie? Car j'ai déjà effectué cinq mois et demi de prison
ferme. Or, la tradition (toujours respectée) veut qu'un prisonnier bien noté
pour sa bonne conduite bénéficie d'une semaine de remise de peine pour
chaque mois d'emprisonnement accompli. Autrement dit, un homme
condamné à six mois de prison ferme n'en effectue «que» quatre et demi.
Moi, on m'a particulièrement gâté, puisqu'à ce tarif j'ai déjà subi un mois de
prison en trop. Ce lundi 23 février, je prends vraiment peur, car je me
souviens de l' «autre affaire» me concernant annoncée par le parquet de
Bordeaux aux autorités suisses. Autrement dit, non seulement «on» n'a pas
envie de me lâcher, mais j'ai la certitude que je vais rester très, très long-
temps derrière les barreaux.
Pourtant, le soir, c'est un surveillant souriant qui m'annonce «que la déci-
sion a été prise» de me libérer le lendemain matin 24 février et que la date
du 17 mars «a disparu des écrans».
J'apprendrai plus tard qu'« on» avait bel et bien décidé de ne pas tenir
compte de mon temps de prison en Suisse, sous prétexte que le J.A.P.198
n'avait pas reçu de certificat de bonne conduite me concernant de la part des

198. Juge d'application des peines.


Les clowns en noir 0[
autorités judiciaires helvétiq·ues. Pourtant, ce certificat avait bel et bien été
adressé, notamment au directeur de la maison d'arrêt de Gradignan, qui en
avait demandé une copie en ma présence.
J'apprendrai aussi que, le samedi 21 février, maître Blet avait dû batailler
très dur contre un J.A.P. qui s'obstinait dans sa décision. Mais l'existence du
fameux certificat de bonne conduite avait contraint le J.A.P. à intégrer mon
temps de détention helvétique dans le total de ma peine, ce qui ramenait ma
libération au mois de mars. Maître Blet avait ensuite dû plaider l'obtention
des remises de peine traditionnelles, qu'il était difficile au J.A.P. de ne pas
m'accorder comme à tout détenu normal.
Dès lors, il devenait impossible de me maintenir plus longtemps en
prison: un séjour prolongé m'aurait mis en état de déposer plainte pour
détention abusive.
A neuf heures du matin, le 24 février, c'est donc un surveillant cette fois
radieux qui m'annonce que je serai effectivement libéré dans la matinée. Puis
il ajoute:
«On est tous heureux pour vous. Nous étions inquiets, parce qu'on dirait
qu'on ne vous aime guère, chez le procureur ... »
A 11 heures, les portes de la maison d'arrêt s'ouvrent enfin et je sors,
salué par une énorme ovation: six cents prisonniers applaudissent à ma libé-
ration et me souhaitent bonne chance. Des cinéastes filment ce moment
étonnant. (Fig. 102)
Une dizaine d'amis proches sont venus m'accueillir. Les malheureux, frigo-
rifiés, attendent ma sortie depuis huit heures du matin ...
C'est bon, savez-vous, d'avoir de vrais amis?

469

Fig. 102: 24 février 2004, prison de Gradignan, 11 heures du matin : liBRE!


1
EN GUISE DE CONCLUSION
Mes neuf semaines de demi isolement en 1996-1997 m'avaient abîmé.
Les 95 jours d'isolement total à Champ-Dollon m'ont massacré, je ne m'en
étais pas rendu compte sur le moment.
Heureusement, finalement, que j'ai bénéficié du «sas» de Gradignan et de
la compagnie de Gégé. Une sorte de réapprivoisement à la compagnie des
humains.
Il m'a fallu ensuite près de trois mois pour réapprendre à marcher norma-
lement, me réhabituer à affronter La fouLe dans les rues et les magasins. A
traverser les rues, utiliser des escaliers roulants ou des ascenseurs. Parler de
La pluie et du beau temps. Bref, recommencer à mener une vie normaLe.
Ces mois de rééducation, je les ai passés en Suisse, à laquelle je ne garde
nuLle rancune et où je me sens bien.
De L'autre côté du lac Léman, je regarde parfois les montagnes de France.
Avec une parfaite indifférence.
C'est un pays où je ne remettrai jamais les pieds.
Si j'établis le bilan de ma vie, je considère qu'elle a été bien rempLie. En
trente ans, j'ai inventé l'exoscopie des quartz, créé le premier laboratoire
privé du monde spécialisé en microanalyse, rénové la police scientifique, été
ruiné deux fois par l'Etat français, ai ressuscité à deux reprises, développé un
produit qui révolutionnera tôt ou tard la médecine, été jeté deux fois en
prison comme un terroriste qu'en fait je suis et suis fier d'être.
Quand je regarde derrière moi, je ne peux m'empêcher de sourire: combien
de graves réunions interministérielles ont été organisées à cause de moi,
combien de fonctionnâtres ont dépensé leur faibLe énergie pour tenter - en
vain - de m'abattre par tous Les moyens?
Maintenant, l'avenir du G5 est assuré: le Centre de siLicothérapie dont je
rêve depuis dix ans ouvrira ses portes dans queLques mois, et mon silicium
organique sera un médicament officiellement agréé en Suisse 199.
Et moi, qu'est-ce que je vais faire?
Je me sens jeune. 471

J'ai La tête pleine d'idées, et Le cœur rempli d'énergie.

199. Si vous désirez connaître l'état d'avancement de ces dossiers, consuLtez mon site internet personneL
<doic-Le-ribauLt. ch»
]0 QUI A PEUR DE Loïc LE RIBAULT?

«Aujourd'hui est le premier jour du restant de ma vie.»


Je ne vois pas pourquoi je ne serai pas capable, dans la seconde moitié
de celle-ci, de réaliser autant de choses qu'au cours des trente dernières
années. Un sorcier vaudou ne m'a-t-il pas affirmé que je vivrai jusqu'à cent
vingt ans?
Après tout, parmi tous les dossiers que j'ai accumulés au fil du temps, je
n'en ai encore ouvert qu'un seul: celui du G5.
Beaucoup d'autres peuvent suivre.
Mais, pour le moment, je me sens légèrement fatigué. Allez savoir pour-
quoi ...
J'ai vendu ma maison.
Je m'en vais, une fois de plus.
Pas comme un soldat perdu; comme un soldat trahi.
Sans regret.
Tête haute.
Je me suis mis en congé du Vieux Monde.
Dans mon vieux sac militaire, j'ai entassé quelques souvenirs, les photos
des amis, le portrait de mes parents, une trousse de toilette, deux chemises,
un short, trois petites fioles de G5 et mille dollars: tout ce qu'il faut pour
être heureux à un homme désormais sans passé.
J'emmène IX-Le-Chien aussi, bien sûr!
Le boxer tatoué s'en va avec son compagnon matriculé. On a marqué son
corps, on a marqué mon âme.
UHY 371 et 42598/23949/55295 partent ensemble au-delà des océans.
Parce qu'on nous attend, très loin, aux Caraïbes.
C'est là que je cours vider mon cerveau des artifices qui l'encombrent et
le polluent, l'hypocrisie, les faux-semblants, le dieu-argent, les lois et les
codes de toute espèce, les centaines de cadavres et les flots de sang qui
engluent ma mémoire.
Quand je serai débarrassé de l'inutile, j'apprendrai les secrets d'une vie
libre, comment voyager dans le temps et l'espace. Là-bas, on n'a pas besoin
de fusée pour embrasser les étoiles.
Dans un petit village ourlé par les vagues et la forêt, qui bat comme un
cœur à l'unisson de la nature, plus rien ne pourra m'arriver.
472 Il est temps de bouder mon sac: Clac!
Pour la dernière fois, car lui aussi sera bientôt libre, j'attache la laisse
d'IX: Clic!
Aux Caraïbes, nous n'entendrons jamais le sinistre Clonk! des portes en
fer.
Conclusion 0[
Je tiens deux photos serrées contre mon cœur.
Celle d'un patient emportant comme un trésor une bouteille de l' «eau»
dont il attendait tant. (Fig. 103)
Celle d'une mère rassemblant ses dernières forces pour venir à Antigua
embrasser son fils en exil. (Fig. 104)
')

Fig. 127: Un patient emportant comme un Fig. 128: Une mère rassembLant ses
trésor une bouteille de L'«eau» dont il dernières forces pour venir embrasser son
attendait tant .. . fils en exil ...

Ces images-là, je vous en fais cadeau ...

FIN DU LIVRE ...


ET DEBUT D'UNE AUTRE VIE
Je suis seul sur la plage.
Denroy est allé à la pêche aux lambis, Sylvester cueille des fruits dans la
forêt toute proche et Cherryl mitonne un punch à sa façon.
Ix-le-Chien, sans collier et sans laisse, est parti en balade avec tous ses
copains.
le bateau se balance doucement au bout de son amarre.
le barbecue fume sous les cocotiers.
Et plongent les pélicans sous les frégates qui planent. ..
Je suis heureux.

Gradignan, décembre 1996 - Antigua, mars 2005


rJ
r rrljlllilll--1

REMERCIEMENTS
Du fond du cœur, j'adresse (par ordre alphabétique) mes chaleureux
remerciements à celles et ceux qui, au cours des neuf dernières années,
m'ont, de façon désintéressée, aidé chacun à leur manière dans mon combat:
Frank AMY, René ARNAREZ, Gérald ARNAUD, Emmanuel et Pantxo ARRETZ,
Yossi BAMBERGER, Nathalie BAUDRY, Serge de BEKETCH, Monique BELJANSKI,
Jean-Yves BILIEN, Raymond BLET, Michel BOGE, Laurence BOUFFARD de
FONTAINEMARIE, Jacques BRETON, Patrick CADET, Avelino CARVALHO et son
équipe du Dolphin Hotel de Jersey, Paulette CHARBONNIER, Patricia & Jean
COËFFIER, Christian COITEN, Patricia DELREUX, Marie DEVANNEY, Véronique
ESTAY, Jean FOURY et son épouse, Marie-Lise GEFFROY, Gérard GOFFmE,
Madeleine GUILLEMIN, Louis-Robert LAFOND, Pierre LANCE, Christian
LEBRETON, Marcel LEGRAS et son épouse, Eric LEMAÎTRE et sa famille, Jean-
Paul LE PERLIER, John LOFTUS, Jean-Claude MAINGUY, Jean-Claude
MARCHAIS, Maurice et Corinne MARUERE, Annie MARTIN, Laurent MARTIN
DESMARETZ de MAILLEBOIS, Fabienne MERCIER-GIRARD, Bryan MEYER,
Véronique & Luc MOULIN, Patrick RAMAËL, Dominique RIZ ET, Jocelyne &
Didier ROBERT, Sue & Graeme ROBERTS, Jean SABLE, Maguy SALMON, Alain
SCOHY, Denis SEZNEC, Denroy SHAW, Iva SINNEL, Jean-Marie TARBES, Gilbert
THIEL, Martin WALKER et Gérard WEIDLICH.
Les médias et revues qui m'apportent leur soutien, et notamment:
A. G. N. v. S., Dix-sept Juin Production, Alternative Santé, L'Ere Nouvelle,
France 2, LTmpatient, La Lettre des Landes, Lectures Françaises, Morpheus,
Motus, Nexus, Objectif Santé, Radio Courtoisie, Radio Peltre Loisir.
Tous ceux qui m'ont fait l'honneur d'adhérer à L'Association Internationale
des Amis de Lok Le Ribault.
Les milliers de patients, de médecins et de thérapeutes qui m'ont adressé
des messages de soutien et qui me font confiance.
Les surveillants des prisons et des dépôts de Bordeaux, Genève, Antigua,
Gradignan, Champ-Dollon et Bonneville, qui ont tout fait pour faciliter
B
autant que possible ma vie de détenu.
Sans compter tous ceux que j'oublie, à ma grande honte ...
Laurence BOUFFARD: figures 64, 65, 74.
B.R.G.M.: figure 4.
Jacques BRETON: figure 55.
SyLvie CARILLO: figure 56.
Loïc LE RIBAULT: figures l, 2, 5 à 19, 20 à 30, 32 à 34, 37 à 48, 50, 53,
57, 61 à 63, 66 à 73, 77 à 80, 82 à 84, 92 à 97, 100.
Fabienne MERCIER: figures 59, 76, 102, 103.
Maguy SALMON: figure 58.
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Il ~-t i,r-'.
1

4-B-J U~. _._


---)
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1

TABLE des MATIERES l j

EN GUISE DE PREFACE ........................................................................................... 11


AMBIANCE ................................................................................................................... 15

PREMIÈRE PARTIE-L'IMMENSE SOLITUDE DU CHERCHEUR .......... 27


SQUELEnES, PATELLES & GRAINS DE SABLE ................................................ 29
Une vocation précoce - Un sinueux parcours - Coup de foudre - La mémoire
des grains de sable - La magie verte - L'exoscopie des quartz - Total

AINSI NAQUIT LE C.A.R.M.E ................................................................................ 49


Les fonctionnâtres - La ronde des banques - Premiers pas

LA RENOVATION DE LA POLICE SCIENTIFIQUE .............................................. 63


Principaux personnages - Etat des lieux - D.S.T. - L'aspirine de la police -
Les souris vertes - La main tendue - Le F.B.!. - Le blason terni de la gendar-
merie - Un couple bien tranquille - Bavure? - Histoire d'eau - Champignons
mortels - Nuit de Noël - La boule de neige - P. T.S.: tout repenser de A à Z-
La valise P.P.M. - Le véhicule d'intervention - Bilan

DEUXIÈME PARTIE-METIER: EXPERT EN MORTS VIOLENTES ...... 99


INITIATIONS ............................................................................................................. 101
Le premier morceau d'homme - Le chausson aux pommes - Le premier
cadavre - La première autopsie - La première exhumation

LES DEUX FRERES ................................................................................................... 113

TEMOIGNAGES HUMAINS ..................................................................................... 119


Portrait-robot - La RoUs - Les claques qui se perdent

LA VOIX DU SANG .................................................................................................. 127


Monsieur Martin est mort - Les balances - Le Pierrot
477
1 11
LE GRAIN DE SABLE, TEMOIN DU CRIME ..................................................... 133
Viol sur tapis de laine - Délit de fuite
~1 QU I A PEUR j DE Loïc LE RIBAULT?

OPERATIONS DE SAUVETAGE .............................................................................. 139


L'arme secrète de la police - Le cadavre de Bègles - Oscar - Fiona Jones - Il
était une fois des T.LC. .. , - Le T.S.C. hargneux - Crise d'identité

TROISIÈME PARTIE - CRAMEZ LE C.A.R.M.E! .............................. 151


LE LIVRE NOIR DES «FLICS EN BLANC» ....................................................... 153
La politique des flics ............................................................................................... 153
Le C.A.R.M.E., vitrine de la police - Où il est démontré qu'en France le ridi-
cule ne tue pas la police - Anecdotes et fausses innovations de la police -
Comment la police inventa la machine à remonter le temps - Les pressions
sur les magistrats
La tac-tac-tac-tactique des gendarmes ............................................................ 165
Les ciseaux gendarmiques - L'arrêt de mort - L'alliance police-gendarmerie -
Les charognards - Le mensonge
La mort du C.A.R.M.E .............................................................................................. 173
Oraisons funèbres - Les clés dans la forêt - Hommages

AFFAIRES D'ETAT ..................................................................................................... 181

QUE LA BÊTE MEURE! .......................................................................................... 185


Le vrai visage de la police - La censure - L'Agité - Le brevet gommé - La
condamnation

VOYAGES SUR LE FIL DU RASOIR .................................................................... 191


l'exclu - Poker - les lunettes - les crocs

QUATRIÈME PARTIE - LA BOMBE «G5» .......................................... 201


la molécule qui dérangeait (et qui dérange toujours ... ) - Historique - Les
propriétés du G5 - L'offensive - La bombe - L'expérience de Biganos - A deux
pas de la victoire - Le naïf et les parasites - Premiers pas aux Caraïbes -
Mission: survivre! - Passage en France - Une vieille dame à Antigua - Vie
quotidienne - Amère victoire - Le swift de Swift - Retour au gris pays

CINQUIÈME PARTIE - CLONK! ................................................................ 273


478
SIXIÈME PARTIE - HUIT ANS DE CAVALE ....................................... 339
FRANCE ....................................................................................................................... 341
le ressort brisé - Des nouvelles d'Antigua - Vérité en vue! - L'inimaginable-
Eurêka! '"
Table des Matières 00 [
BELGIQUE .................................................................................................................. 351
L'offensive des Ardennes - Un chien modèle - Le grenier.

JERSEy ........................................................................................................................ 359


Ma bataille d'Angleterre -' Le profil bas - Le Connétable - Histoire belge -
C'est la chenille qui redémarre! - L'image du siècle - Les Italiens.

IRLANDE .................................................................................................................... 375


Vacances londoniennes - La verte Irlande - L'homme du monde - Noël en
Irlande - La P'tite Maison dans la colline - La poste de Ross - La justice agit
enfin! - Un des matins les plus ensoleillés de ma vie - Le homard breton -
La Magie Verte est de retour! - Un rêve au bord d'un lac .. .

SEPTIÈME PARTIE - RETOUR A LA CASE PRISON ....................... 401


L'HALLALI ................................................................................................................. 403
Avril à octobre 2003 - La Suisse - Jeudi 20 novembre 2003 - Vendredi 21
novembre 2003

CHAMP-DOLLON ...................................................................................................... 417


CelLule 258 - Samedi 22 novembre 2003 - Vendredi 28 novembre 2003 -
Noël! Noël! Noël! - Les salons où l'on cause - Petites scènes de la vie quoti-
dienne - Télé en vrac - L'angoisse - La surprise - Extradition

HUITIÈME PARTIE - LE PROCES ............................................................. 449


LES CLOWNS EN NOIR .......................................................................................... 451
Les perles d'un procès - Cellule 218, espace de non-droit

EN GUISE DE CONCLUSION ................................................................................. 470

REMERCIEMENTS ..................................................................................................... 475

AUTEURS DES PHOTOS ......................................................................................... 476


En 1998, loïc le Ribault a publié deux livres (f( Micropolis» et f( le prix d'une découverte »)
qui racontaient comment il avait rénové la police scientifique et révélaient les moyens
employés par I~Etat français pour tenter de le faire taire. Aucun éditeur français n'ayant
accepté de publier ces ouvrages embarrassants, il s'était résolu à les diffuser lui-même à
compte d'auteur.
o
oc Certains écrivains et journalistes avaient néanmoins eu le courage de parler de ces deux
Cl. livres «underground»
Quand on écoute Le Ribault, il faut faire un effort pour se souvenir qu'au cours des cinq
f(

dernières années, il a tout perdu, sauf la raison. Son nouveau livre est un véritable gant jeté
aux pieds des institutions françaises. Bien que Le Ribault ne nourrisse que peu d'espoir (et
n'en a de toute façon aucun désir) en une resurrection politique et sociale en France, il
persiste à vouloir obliger les institutions françaises, et en particulier la police et la justice, à
faire face à leurs crimes. ))
Martin J. Walker, Le Ribault's Resistance, décembre 1998
Nous ne savons si Le Prix d'une Découverte sera largement distribué. A vrai dire, il est
f(

vraisemblable que sa diffusion ne sera pas tolérée. C'est le roman vrai.d'un Sherlock Holmes
du microscope électroniqùe qui se retrouvera plus tard dans la même prison que les crimi-
nels qu'il a confondus que vient de publier Loïc Le Ribault, depuis sa retraite d'Antigua.
Règlement de comptes remarquablement écrit, il retrace dix années plus que
mouvementées.»
Jean-Claude Marchais, Le Meilleur, 12 décembre 1998
Micropolis (.. .) constitue, avec Le Prix d'une Découverte, l'un des meilleurs ouvrages que
f(

l'on peut trouver dans la jungle littéraire de ce nouveau millénaire en gestation. (... ) Lisez ces
livres étonnants, parfois durs, mais aussi pleins d'humour, où fourmillent les informations les
plus édifiantes. »
La Lettre de l'AGNVS, supplément du 18 avril 2000
Les deux livres de Loïc Le Ribault (.. .) vous tiendront en haleine comme des romans
f(

(policiers, ça va de soi). C'est d'ailleurs le roman d'une vie extraordinaire. (.. .) Mais je vous
préviens: ces livres qui vous passionneront à coup sûr vous indigneront aussi. Après cela,
vous aurez honte de ce que la France est devenue. Je veux dire: encore un peu plus honte.»
Pierre Lance, CEre Nouvelle, n° 136, mars-mai 2000

Depuis 1998, beaucoup d'eau très sale a coulé sous les ponts de France. Qui a peur de
f(

Loïc Le Ribault? " reprend donc en partie ses deux ouvrages précédents, mais entièrement
remis à jour et surtout complétés par la suite de son incroyable aventure.

ISBN 2-919937-02-2

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