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Selon Jean Walline, «un acte juridique de l'administration est comme tout acte juridique,
un acte de volonté destiné à introduire un changement dans les rapports de droit qui existe au
moment ou il intervient ou à modifier l'ordonnancement juridique». L'acte administratif
unilatéral est un acte qui impose des droits et des obligations à ses destinataires
indépendamment de leur consentement. C'est l'outil privilégié de l'administration, c'est le
principe mise en œuvre de l'administration de ses prérogatives de puissance publique. En droit
sénégalais, l’acte administratif unilatéral est l'acte administratif pris par une personne
publique, créant des droits et obligations à l'égard des administrés. Par opposition à l'acte
administratif contractuel, l'acte unilatéral manifeste l'expression de la volonté unilatérale de
l'administration. L'acte administratif unilatéral présente deux grands traits majeurs. C'est
d'abord un acte exécutoire, c'est-à-dire qui fait grief et qui, à ce titre, peut faire l'objet d’un
recours pour excès de pouvoir. Plusieurs types de mesures administratives ne remplissent pas
cette condition: les mesures d'ordre intérieur prises notamment en milieu carcéral, militaire et
scolaire, les circulaires et les directives. L'acte administratif unilatéral se définit aussi par son
auteur: c'est, en effet, un acte pris par une personne publique, bien que le juge admette dans
certaines hypothèses qu'il puisse être édicté par une personne privée en charge d'un service
public. L’administration est soumise à un certain nombre de conditions qu’elle doit respecter
concernant la formation, l’exécution, la disparition des décisions exécutoires. La fin de l'acte
administratif unilatéral  est l'opération, rétroactive ou seulement à venir, par laquelle l'autorité
administrative ou le juge administratif décide de la disparition d'un acte administratif
unilatéral, ou seulement de tout ou partie de ses effets. Il ne sera pas traité en détail, dans ce
devoir, de la disparition de l'acte pour caducité ni du régime de l'état caduc de l'acte.

        Dans quelle mesure l'acte administratif unilatéral peut-il être amené à disparaître et quels
sont les organes compétents pour mettre en œuvre cette disparition?

Plusieurs actions sont possibles pour mettre fin à un acte administratif unilatéral (I) mais
il y a une double compétence quant à l'autorité titulaire de la mise en œuvre de sa disparition
(II).

I. Les manifestations de la disparition de l'acte administratif unilatéral

Plusieurs actions peuvent être mises en œuvre pour faire disparaître un acte administratif
unilatéral: l'abrogation (A) et le retrait (B) sont les principales.

        A. L'abrogation, le principe de la non-rétroactivité des actes administratifs

        Tout d'abord, lorsque l'abrogation intervient pour mettre fin à un acte administratif
unilatéral, le principe majeur de la non-rétroactivité des actes administratifs est respecté: en
effet, l'abrogation n'emporte d'effets que pour l'avenir uniquement c'est-à-dire que les effets
passés de l'acte sont maintenus. Le fait que l'abrogation ne soit pas rétroactive emporte une
sécurisation des droits dont pouvaient se prévaloir les administrés. L'abrogation fait en sorte
que l'acte ne soit plus invocable ni par l'administration ni par l'administré. Un des grands
principes du service public est le principe d'adaptabilité et c'est ce principe qui justifie le
pouvoir d'abrogation de l'administration. En effet, selon ce principe, le régime des services
publics doit pouvoir s'adapter à l'évolution des besoins collectifs la société et à l'évolution de
l'intérêt général. Il s'agit de gérer le service public en fonction des besoins de la collectivité.
Par conséquent, cela entraîne une différence entre l'abrogation d'un acte réglementaire et celle
d'un acte non réglementaire. Concernant l'acte réglementaire, le principe est que cet acte peut
créer un droit au bénéfice de son titulaire mais ce dernier ne peut pas en exiger le maintien. Le
règlement administratif est donc bien créateur de droits mais ces droits ne sont jamais acquis.
Ainsi, l'administré bénéficiaire d'un droit ou d'un avantage ne peut pas aller à l'encontre d'une
décision d'abrogation, dans la mesure où ses droits ne sont pas acquis et que l'administration
doit toujours s'adapter, en premier, lieu à l'intérêt général. Concernant l'acte individuel, il n'y a
pas de principe d'adaptabilité mais un «principe d'intangibilité des effets individuels des actes
administratifs». Ainsi, concernant les décisions qui ne font naître aucun droit acquis,
l'abrogation est possible (autorisations administratives telles que les autorisations de police).
En revanche, pour les décisions créatrices de droits acquis, l'administration peut les abroger à
condition qu'elles soient illégales et non définitives. De plus, l'administration apprécie
discrétionnairement s'il y a lieu à une abrogation partielle ou totale de l'acte sauf si l'acte est
illégal (obligation d'abrogation affirmée pour la 1ère fois dans l'arrêt du CE. Sect. Despujol du
10 janvier 1930 que cette illégalité soit présente dès le départ ou qu'elle soit apparue du fait de
changements de circonstances). Ainsi, si l'acte est illégal dès l'origine: dans un 1er temps, il y
a obligation d'abrogation si une demande a été faite (CE Leboucher et Tarandon du 12 mai
1976). Dans un 2ème temps, il y a absence d'obligation dans l'arrêt CE Sect. Société Afrique
France Europe transaction du 30 janvier 1981 avec une exception si la demande est faite avant
l'expiration du délai de recours (CE Association Auto défense du 30 juin 1982). Dans un
3ème temps, le décret du 28 novembre 1983 reprend la solution initiale de l'absence
d'obligation et le CE accepte dans son arrêt du 2 février 1989 Cie Alitalia. Si l'acte devient
illégal par la suite, depuis le décret de 1983, l'abrogation est admise à tout moment. La
modification ne sera pas traitée ici car elle est relativement proche de l'abrogation. Elle se
contente de remplacer certains effets de l'acte par d'autre. La seule différence est que cela
suppose le maintien en vigueur de l'acte, pas de sortie de l'ordonnancement juridique.

        B. Le retrait, exception au principe de la non-rétroactivité des actes administratifs

        Le retrait, quant à lui, est une exception au principe général de la non-rétroactivité des
actes administratifs. En effet, il entraîne une sortie de l'ordonnancement juridique de l'acte
ainsi qu'une suppression des effets passés de celui-ci. Cependant, des conditions strictes sont
posées à sa mise en œuvre: le retrait est possible pour tous les actes individuels non créateurs
de droit mais une difficulté se pose quant aux actes créateurs de droits acquis. L'acte créateur
de droits acquis ne peut être retiré que s'il est entaché d'illégalité et pas s'il est simplement
inopportun (CE Dame Cachet 3 novembre 1922). Il y a là une volonté de limitation du
pouvoir de l'administration. De plus,  conformément aux conclusions du commissaire du
gouvernement Rivet, il y a une condition de délai de 2 mois pour procéder au retrait à compter
de l'entrée en vigueur de la décision. Là encore une difficulté intervient. L'entrée en vigueur
de l'acte est subordonnée à la publicité de l'acte et le délai ne commence donc à courir que
lorsque l'acte est publié. Ce problème est illustré par l'arrêt Ville de Bagneux de 1966 dans
lequel le CE dit que «lorsqu'une décision (…) n'a fait l'objet d'aucune mesure de publicité, le
délai ne court ni à l'égard des tiers, ni à l'égard de l'administration». L'administration peut
donc retirer l'acte quand elle veut. C'est une application du principe de légalité au détriment de
la sécurité juridique de l'administré. Néanmoins, il y a une évolution jurisprudentielle avec les
arrêts Madame de Laubier de 1997 et Centre sanitaire et social de Saint-Clar de 1999 qui
tendent à différencier l'administration des tiers, celle-ci ne pouvant donc plus invoquer la non-
publicité des actes pour contrer le délai de 2 mois. C'est la réaffirmation du principe de
sécurité juridique des administrés. Finalement, il y a une confirmation jurisprudentielle dans
l'arrêt du CE Ternon du 26 octobre 2001 qui dit que le délai de l'administration pour retirer
l'acte est de 4 mois à compter de «l'édiction de la décision». Les droits acquis ne sont donc
plus menacés par une absence de publicité. Le pouvoir de retrait de l'administration trouve
son fondement dans le droit de corriger ses erreurs. Ainsi l'administration peut
immédiatement retirer un acte s'il est illégal sans attendre le recours contentieux mais un
problème se pose si l'acte est créateur de droits acquis pour l'administré. Les droits acquis sont
donc une limite à l'exception au principe de non-rétroactivité des actes administratifs. Le
problème posé en doctrine est qu'il n'y a pas de réelle définition organique de ce que sont les
droits acquis mais une simple énumération en fonction de l'étude de la jurisprudence
administrative. Ainsi, une grande liberté est laissée au juge administratif pour déterminer les
actes créateurs ou non de droits acquis et si l'acte peut, ou non, subir un retrait.

        Après avoir évoqué les différentes possibilités existantes pour mettre fin à l'acte
administratif unilatéral, il convient de déterminer quels sont les titulaires de ce pouvoir de
disparition.

II. Le titulaire de la compétence de la disparition de l'acte administratif unilatéral

L'acte administratif est une manifestation de puissance publique. Il ne peut donc prendre fin
qu'en vertu d'une autre manifestation de puissance publique, administrative le plus souvent
(A), juridictionnelle parfois (B).

        A. La compétence de l'autorité administrative en raison d'un pouvoir


discrétionnaire

        Deux autorités administratives sont compétentes pour mettre fin à un acte administratif
unilatéral, l'auteur de l'acte et le supérieur hiérarchique de celui-ci. La compétence de
l'autorité administrative pour mettre fin à l'acte relève du pouvoir discrétionnaire, pouvoir
discrétionnaire sans être arbitraire car c'est un pouvoir qui reste toujours dans le droit. Le
principe général est que la personne compétente pour prendre l'acte l'est aussi pour y mettre
fin: «à défaut de dispositions expresses déterminant l'autorité compétente pour mettre fin [à
l'acte], ce pouvoir appartient, de plein droit, à l'autorité investie du pouvoir de nomination»
(CE Ass. 13 mars 1953 Teissier). C'est l'affirmation du principe du parallélisme des
compétences. C'est une règle qui ne s'applique que pour mettre fin à en totalité ou
partiellement à certains effets de l'acte initial c'est-à-dire qu'il faut que l'acte de fin soit le
contraire de l'acte initial. C'est bien le cas dans les modes de disparition possibles pré-cités.
En effet, l'abrogation supprime les effets futurs et donc supprime les effets de l'acte d'origine.
La modification met fin uniquement à certains effets mais sur ceux-ci, l'acte de modification
est bien l'acte contraire de l'acte initial et peut donc relever de la compétence de l'auteur de
celui-ci. Finalement, lorsqu'il procède au retrait, l'auteur fait en sorte d'éteindre les effets de
l'acte et donc ce pourquoi il avait été édicté. La compétence de principe est donc celle de
l'auteur de l'acte qui a donc un pouvoir discrétionnaire pour faire disparaître l'acte
administratif unilatéral. Cette compétence a néanmoins des limites pour éviter les abus et
protéger les administrés. Ainsi, les droits acquis sont protégés par le principe de sécurité
juridique et il existe un délai pour agir en matière de retrait.  Le supérieur hiérarchique de
l'auteur de l'acte peut également s'avérer compétent pour mettre en œuvre le retrait de l'acte
administratif unilatéral. Ce pouvoir du supérieur hiérarchique peut s'exercer même en
l'absence de textes mais ce dernier n'a pas forcément les mêmes moyens d'action que l'auteur
de l'acte. Il est dit que «le principe hiérarchique suppose la possibilité théorique, pour tout
supérieur hiérarchique, d'apporter aux actes de ses subordonnés toutes corrections qu'il peut
estimer nécessaires, cette prérogative devant être entendue très largement et s'étendant de la
simple modification partielle à l'annulation totale» (P. di Malta). Concernant le retrait, le
supérieur hiérarchique à la possibilité de retirer un acte illégal de son subordonné, soit de lui-
même, soit suite à un recours formé par un administré (CE Sect. 11 juin 1982 Berjon). C'est
une solution intermédiaire: le recours hiérarchique est exercé par l’administré avant le recours
au juge administratif. Cette action de retrait est limitée aux actes illégaux et doit se faire dans
un délai de 4 mois. Il y a donc une volonté de conciliation du principe de légalité et du
principe de sécurité juridique selon le commissaire du gouvernement Séners. Il y a également
une possibilité de retrait pour des considérations d'opportunité dans les cas prévus par la loi
ou les règlements (entre autres si le recours hiérarchique est institué comme un «préalable
obligatoire» au recours juridictionnel. Concernant l'abrogation, le régime est moins strict.
L'abrogation est possible dès que le supérieur hiérarchique de l'auteur de l'acte le souhaite.
Néanmoins, il est parfois obligé d'abroger l'acte sur demande l'administré (CE Ass. 3 février
1989 Cie Alitalia).

        B. La compétence de l'autorité juridictionnelle en raison d'un «pouvoir


d'indépendance»

Après l'autorité administrative, le juge se retrouve parfois en situation de devoir interpréter


des textes pour les appliquer et a donc un pouvoir d'appréciation de ceux-ci. Le juge a
néanmoins une liberté plus large que l'autorité administrative concernant cette interprétation.
Le pouvoir principal que possède le juge sur l'acte est un pouvoir d'annulation. C'est par
exemple l'annulation d'un acte pour excès de pouvoir, acte qui  est rétroactif et la décision qui
annule l'acte possède l'autorité de la chose jugée afin de  préserver la légalité. Cependant, il
existe des conditions à ce pouvoir du juge: l'existence recours ainsi qu'une irrégularité de
l'acte. En théorie, le juge administratif est «à la différence de l'administration active, dépourvu
du pouvoir d'abrogation» (R-G Schwartzenberg). Le juge peut seulement inciter
l'administration à abroger l'acte et même l'y obliger (CE Ass. Cie Alitalia). Cependant, il
pourrait être légitime que le pouvoir d'abroger un acte soit reconnu au juge en vertu du
principe de légalité, notamment. De plus, le juge administratif ne peut pas modifier un acte
car il ne peut pas «faire œuvre d'administrateur», parce qu'il n'a pas le pouvoir d'édicter un
acte administratif. Cependant, le juge administratif, selon R. Chapus, disposerait d'un pouvoir
presque semblable dans certaines situations: dans le cas de l'annulation partielle d'une
décision, cela peut sembler similaire à une modification du contenu de l'acte. Également, lors
du rejet d'un recours devant lui pour substitution de base légale ou substitution de motifs, c'est
une forme de réfection même si, ici, le juge agit sur la forme et non sur le fond. Le juge n'a
donc pas le pouvoir d'agir sur le fond de l'acte ni d'avoir un impact sur les effets de celui-ci.
Puis, l'acte juridictionnel de fin diffère de l'acte administratif de fin malgré le fait que les deux
actes soient des actes juridiques. Ainsi, le retrait, l'abrogation et la modification sont toujours
des actes administratifs tandis que l'annulation est toujours un acte juridictionnel. J. Rivero
donne cette définition de l'acte administratif: «l'acte juridique de l'administration est comme
tout acte juridique un acte de volonté destiné à introduire un changement dans les rapports de
droit qui existent au moment où il intervient, ou mieux, à modifier l'ordonnancement
juridique». P. Lampué, quant à lui, estime que l'acte juridictionnel est un acte «fait de deux
éléments à la fois distincts et logiquement unis: une constatation portant sur la conformité ou
la non-conformité d'un acte, d'une situation ou d'un fait avec l'ordonnancement juridique et
une décision qui en réalise les conséquences». Selon lui, les fonctions des deux actes sont
différentes dès lors que l'acte administratif a pour but la sauvegarde l'intérêt général quand
l'acte juridictionnel se contente de préserver la légalité. De ce fait, le premier dispose de
l'autorité de la chose décidée et l'autre de celle de la chose jugée. Cette autorité de la chose
jugée est présumée absolue mais elle peut aussi être relative.

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