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Université de Paris-X-Nanterre

Technogenèse
de systèmes de production lithique
au Paléolithique inférieur et moyen
en Europe occidentale
et au Proche-Orient

Habilitation à diriger
des recherches
présentée par

Eric Boëda

- volume 1 -

Directeur :

Catherine Perlès

1997
2

REMERCIEMENTS

Un ouvrage de réflexion est considéré naturellement comme le fruit d'un travail solitaire, qui s'élabore,
se structure, au cours des années. En réalité, il est surtout le résultat de rencontres, de collaborations, à des degrés
divers, entre plusieurs personnes, avec qui j'entretiens des relations de confiance. Ces collaborateurs ont créé
autour de moi un véritable réseau où idées, discussions et contradictions, m'ont permis d'élaborer le fond de ma
réflexion.

Parmi eux, deux collaboratrices, Pascale Binant et Catherine Perlès occupent une place privilégiée.
Pascale Binant, interlocutrice de tous les instants, par sa gentillesse, son dévouement, la pertinence de
ses réflexions et son intransigeance dans l'écriture a très largement contribué à la construction et à la lisibilité de
ce texte, ceci afin d'obtenir un texte scientifique qui soit le plus clair possible.
Catherine Perlès, amie et confidente depuis mes premières années de recherches, par ses questions, ses
doutes et son enthousiasme, a impulsé, guidé et structuré ce travail. Ce travail est d'une certaine façon le résultat
d'une rencontre qui dure depuis 10 ans.

Dans un autre registre de collaboration, je tiens à remercier les étudiants : en particulier Despina Liolios,
Laurence Bourguignon, Sylvain Soriano, Michel Lepot, Hubert Forestier et Claude Amiot. Plus que de simples
étudiants, ils sont devenus pour moi de proches collaborateurs. Ce travail s'inspire d'ailleurs d'un grand nombre
de leurs résultats. Leur confiance et leur aide ont toujours été pour moi un grand réconfort moral et scientifique.

De vieux confidents, Liliane Meignen et Jean-Michel Geneste, ont aussi contribué à la maturité de ce
travail. Je les en remercie.

Des amies, toujours prêtes à me soutenir et à aplanir les difficultés matérielles : Monique Eme et
Marie-Chantal Frère-Sautot. Qu'elles voient à travers ces quelques lignes l'expression de mon amitié.

Enfin, je tiens à remercier Ginette Binant qui a assumé, sans faillir, la reproduction de ce travail.

Et tous ceux et celles dont Brigitte Lequeux, qui ont eu la gentillesse de m'accorder un peu de leur
temps pour que ce travail soit celui-ci.
A

Préambule

Appréhender, puis restituer, l'histoire du Paléolithique inférieur et moyen en Europe et au Proche-Orient

constitue une gigantesque entreprise. Elle ne peut se tenter qu'à travers une approche pluridisciplinaire traitant

des hommes, de leurs artefacts et de l'environnement dans lequel ils ont évolué. Grâce aux méthodes de datation

de plus en plus précises, ces trois pôles peuvent aussi bien être analysés sur un plan synchronique que

diachronique. Ainsi, il nous est possible de disposer d'un cadre chronologique qui nous permet de mieux

positionner la diversité diachronique exprimée par chacun de ces pôles mais surtout d'observer une diversité

synchronique plus importante qu'on ne l'imaginait.

Si plusieurs "genres" d'individus se sont succédés dans le temps durant cette longue période, ils se sont

aussi côtoyés dans certaines aires géographiques et ceci à plusieurs reprises.

Il en est de même pour les artefacts : la possibilité de restituer dans le temps les différentes industries a

montré que la diversité des productions humaines est autant perceptible sur le plan synchronique que

diachronique. Si la typologie et l'approche stratigraphique avaient largement contribué à mettre en évidence la

diversité chronologique des industries, les datations ont montré que la diversité des productions en un temps

donné était supérieure à ce qu'on croyait, mais elles ont aussi permis de montrer que l'évolution technique est

irrégulière et disparate.

Une meilleure perception spatio-temporelle des fluctuations climatiques et de leurs conséquences sur

l'environnement et donc sur les comportements humains, montre que cette époque ne peut se réduire à une

simple succession de périodes glaciaires et interglaciaires ayant partout les mêmes effets sur l'environnement.

Les conséquences du climat seront évidemment différentes selon la latitude et la longitude où l'on se situe. Nous

avons trop tendance à uniformiser puis à généraliser les effets de tel ou tel événement climatique. Sur une

période aussi longue et sur un territoire aussi vaste, les variations climatiques ont dû avoir des effets très divers.

Mais, si ces modifications sur la faune et la flore peuvent être appréhendées et exprimées à grande échelle, ce

n'est pas le cas pour les comportements humains. L'étude du monde contemporain montre clairement que

l'homme s'adapte aux situations climatiques extrêmes sans avoir à disposer d'une panoplie de survie sophistiquée.

Or, les facteurs d'adaptation à un changement environnemental sont aussi, et peut-être, avant tout culturels.
B

L'environnement peut exercer une pression, peut contraindre les individus à une adaptation, mais celle-ci se fera

toujours en réaction avec la structure sociale du groupe. C'est pourquoi les réponses sont multiples.

La reconstitution d'un cadre paléo-environnemental dépend évidemment de la qualité des informations

dont nous disposons, mais celles-ci nous parviennent à travers les activités de l'homme, qui interviennent comme

un filtre. Ce qui limite la valeur et la portée de l'information.

Ainsi sommes-nous confrontés à l'expression d'une diversité très difficile à percevoir. Ces difficultés

portent aussi bien sur l'interprétation des documents que sur les interactions complexes entre les différents

éléments liés aux changements climatiques : géomorphologie, faune, flore.

Le problème de la représentativité de l'échantillon archéologique par rapport à l'ensemble des

connaissances culturelles d'un groupe est problématique dans tous les domaines. Les différents aspects de ce

problème portent aussi bien sur la qualité que sur la quantité. Sur le plan qualitatif, il est évident que nous

dépendons de la conservation des vestiges, avec une représentativité déséquilibrée des artefacts en faveur des

objets lithiques du fait d'altérations importantes des autres matériaux. En conséquence, la qualité des

informations devient de plus en plus inégale en reculant dans le temps.

Il faut en tenir compte, adapter les questions aux données. Ce problème est parfaitement illustré par la

polémique à propos de l'ancienneté de l'occupation de l'Europe au Pléistocène ancien et moyen. Deux positions

sont proposées : les tenants d'une occupation récente et ceux d'une occupation ancienne. Les tenants d'une

chronologie courte remettent en cause les données concernant les plus vieux sites ; ceux de la chronologie longue

en tiennent compte. On ne peut pas aborder ce problème si l'on ne considère pas en compte la différence de

qualité d'informations entre les sites d'avant et d'après 500 000 ans. Moins d'informations et de mauvaise qualité

cela signifie-t-il aucune information ? Personnellement, je pense que tout est informatif, mais il ne faut pas

chercher à comparer ce qui n'est pas comparable. Nous pensons l'Europe occupée bien avant 500 000 ans, par de

petits groupes, certes très sporadiques, correspondant à des flux migratoires aux destinés différentes. De

nombreux indices existent qui le laissent supposer. Mais il est tout aussi évident que l'Europe du Nord-Ouest est

témoin d'une occupation très importante vers 500 000 ans, qui va, entre autres, entraîner un changement des

habitudes techniques. Toutefois, quelle que soit la position adoptée, plusieurs facteurs - dégradations,

enfouissements, politique de la recherche, spécialistes, etc. - empêcheront peut-être à jamais de disposer d'une

qualité d'information capable d'aller au-delà d'une certaine limite. Cette situation nous conduit à nous interroger
C

sur le seul vestige analysable : le lithique. Cette exclusivité doit cependant nous conduire à une relative prudence,

car que connaît-on réellement des industries anciennes. Pour ces périodes, nous raisonnons selon les principes de

chronologie culturelle avec comme référence les premières industries africaines. Nous transférons le schéma

évolutif des industries anciennes de l'Afrique vers l'Europe. Ces difficultés plaident en faveur d'une rigueur dans

l'analyse des données. Or, à notre avis, dans l'immédiat, une méthode de lecture manque qui serait capable de

mettre au jour des façons de faire des outils insoupçonnées. Sur le plan quantitatif, combien de vestiges de bonne

qualité nous permettent de parler de camps de chasse, de comportement alimentaire, voire de stratégie ?

Ramenées à l'échelle spatio-temporelle de telles généralisations se comprennent difficilement. Nous parlons alors

de comportements dichotomique, charognards ou chasseurs, qui n'ont pas les mêmes connotations.

L'anthropophagie est encore plus emblématique, phantasme récurrent de certains courants de recherche, toute

trace de découpe sur un crâne ou sur un os devient l'argument décisif de ces pratiques. On pourrait pourtant aussi

bien penser que certains de ces vestiges témoignent d'un traitement funéraire particulier.

Pour ces périodes, nous sommes donc confrontés à un manque certain de rigueur scientifique. Nos

modèles de chasseurs-cueilleurs modernes sont-ils bons ? Ces problèmes de qualité et de quantité d'informations

peuvent se résumer à celui de la disparité entre les informations. Actuellement, nous sommes confrontés à une

sorte de dilemme, où, conscient que le champ d'analyse est très vaste, nous avons besoin de hiérarchiser

l'information pour la rendre pertinente et effectuer des comparaisons ; la taxonomie, la taphonomie et la

typologie, ont été conçues pour répondre à cet objectif. Mais les informations nouvellement acquises dans

d'autres domaines, archéozoologie, technologie, perturbent plus qu'elles n'éclairent la vision que nous en avions,

comme si nous ne savions pas quoi en faire. Si cette manne d'informations ne peut que nous réjouir, elle a

semble-t-il déstabilisé nos moyens de perception. En effet, la précision des informations fait que nous nous

sentons plus à même de pouvoir donner, enfin, un sens aux matériaux en notre possession, en contre partie il

nous est plus difficile de généraliser.

En cela, l'exemple du développement de la technologie au cours des années 1980, alors que nous étions

dans un système typologique, est très caractéristique. D'un côté, nous disposions d'outils typologiques capables

d'effectuer des regroupements et des comparaisons à très grande échelle. D'un autre côté, nous avions affaire à

un courant de recherche fondé sur la reconnaissance des comportements techniques à travers la mise en évidence

des connaissances et des savoir faire nécessaires à la réalisation de ces objectifs. Mais cette vision technologique,
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globalisante, est très difficile à obtenir car elle nécessite des sites capables de fournir cette information. En cela,

la démarche typologique est moins exigeante car elle ne cherche pas à créer de liens entre chaque catégorie

d'objets, mais uniquement des entités pertinentes susceptibles d'être comparées.

La technologie telle qu'elle a été appliquée aux périodes anciennes repose sur trois axes. Le premier

porte sur la reconnaissance des objets à travers leur mode de production, leur fonction et leur fonctionnement. Si

l'on fait un état rapide des résultats : l'identification des modes de production, suite à la mise au point de

nouvelles méthodes de lecture, est en cours. De nombreux progrès ont été faits. La reconnaissance des fonctions

et des modes de fonctionnement est, par contre, loin d'être acquise, par manque d'une réflexion méthodologique.

Le deuxième axe traite de l'approche techno-économique. La notion de chaîne opératoire de production a permis

d'aborder dans certains cas des notions d'économie de production. Aux questions : quoi ? où ? quand ?, cette

approche a donné des résultats positifs. Mais, aux questions : pourquoi ? comment ?, les résultats sont moins

pertinents, car, à notre avis, les réponses dépendent de la mise au point des méthodes citées précédemment. Le

troisième axe, touchant aux aspects cognitifs est certainement celui qui a été le plus euristique. Il est vrai que

l'image des auteurs de ces industries a beaucoup changé. Une certaine intelligence technique leur est maintenant

reconnue. A notre avis, une meilleure perception des réalités recouvrant les deux premiers axes nous permettra

d'en donner une image encore plus réaliste.

Les insuffisances que nous avons rapidement relevées portent en grande partie sur la mise au point de

méthodes d'analyses spécifiques à ces périodes.

Nous pensons que des problèmes de communication proviennent d'un manque de compréhension

réciproque, dû à la fois à une évolution très rapide de notre discipline et à un manque de clarification, ayant pour

conséquence une incompréhension quant à la finalité de cette démarche. D'un autre côté, on a cru que la

technologie était universelle, ou tout du moins que les méthodes et les questions en émanant pouvaient s'adapter

à toutes les périodes. A notre avis, c'était ne pas tenir compte du fait que, lorsque je parle d'outils du

Paléolithique supérieur et d'outils du Paléolithique inférieur et moyen inconsciemment je ne perçois pas la

même information. Parler de la chaîne et des schémas opératoires de fabrication et d'utilisation des pointes à cran,

des Gravettes ou des herminettes, implique que l'on décrive l'ensemble des connaissances liées à ces objets y

compris fonction et fonctionnement. Ce n'est pas du tout le cas des bifaces, des éclats et pointes Levallois,

racloirs, denticulés, etc. C'est un peu comme si nous comparions les pourcentages de pointes à cran entre

différents sites solutréens avec ceux des bifaces trouvés dans les sites acheuléens. Si l'outil méthodologique est le
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même, la portée de l'information est différente puisque l'un est chargé d'un sens fonctionnel encore intelligible,

ce qui n'est pas le cas du second.

Qui peut dire ce que sont ces objets du Paléolithique moyen et inférieur ? Nous sommes-nous seulement

posé la question ? La technologie telle que nous la concevons prétend répondre à la question : que sont ces

objets ?

Notre approche veut redonner un sens technique et fonctionnel à l'ensemble des objets lithiques

provenant d'un site. La description ne suffit pas, nous devons arriver à comprendre leur réalité technique.

L'interdisciplinarité nécessaire à la compréhension des comportements humains ne peut pas être

opérationnelle si la portée des informations n'est pas sensiblement d'égale valeur d'une discipline à l'autre. Or, il

est très surprenant de voir la disparité entre la valeur informative des objets provenant des différents champs de

recherche. Prenons l'exemple de la paléontologie. Les différentes étapes de l'identification d'un ensemble

faunique sont successivement l'approche taxonomique puis taphonomique. Imaginons un paléontologue devant

une collection d'objets avec pour objectif de reconstituer des comportements alimentaires, de chasse voire de

climat : accepterait-il de classer un fémur de dromadaire comme un fémur de mammouth ? Accepterait-il de

rattacher tel type de dégradation à une hyène alors qu'il n'en a aucune preuve ? Sur ce que le paléontologue

n'accepterait pas de faire le paléolithicien ne nous semble pas aussi rigoureux.

Quand nous parlons de biface, nous sous-entendons bien une forme et un outil, dans le sens le plus large

du terme, sans chercher à aller plus loin dans la reconnaissance de l'objet : outil ayant réalisé une ou plusieurs

fonction(s) selon un ou plusieurs modes de fonctionnement ? Or, si nous désirons interpréter les interactions

entre, par exemple, la faune et les vestiges lithiques, il faut que nous soyons capables de savoir à quoi nous avons

affaire. Voici-donc quelques unes des questions auxquelles nous devrions avoir des réponses. Dans un premier

temps, ces questions sont posées objet après objet. Que sont ces outils ? Ce biface est-il un outil simple ou

multiple ? Tel outil est-il unique ou, au contraire, résulte-t-il de ravivages ? Les ravivages successifs sont-ils de

même nature ? La pièce bifaciale comprend-elle différents types d'outils ? Quelles modifications du support cela

implique-t-il ? Quelles connaissances sont attachées à chacun de ces cas de figure ? etc.

Dans un deuxième temps, il faut considérer comment fonctionne l'ensemble des pièces bifaciales. S'agit-

il d'un ensemble homogène ? Si oui, existe-t-il un registre de variabilité ? De quel ordre ? Dans le cas où il s'agit

d'un ensemble hétérogène, de quelle nature sont les différences ? etc. Enfin, comment se situe l'objet "biface"
F

dans l'ensemble de la production ? Est-il isolé ou au contraire associé à un autre mode de production ? Si, oui,

lequel ? Quelle est la complémentarité entre ces différents modes de production ?

Les réponses à toutes ces questions doivent nous permettre d'accéder à un niveau d'interprétation en

relation avec les autres matériaux et en particulier la faune et la flore. Qui a fait quoi, comment et pourquoi ?

Tout en obtenant l'événementiel, nous disposons d'une véritable perception du système technique en

présence. Cette perception plus globalisante et distante de son objet nous permet de mieux comprendre ce qui

aurait pu être fait et ce qui ne l'a pas été. En d'autres termes, nous pouvons déterminer les options prises par un

groupe au sein d'un ensemble de possibles connus ou non par lui. Mais comment arriver à ce niveau de

connaissance ?

Il nous faut une méthode de lecture de l'objet. Cette méthode, nous l'avons mise au point tout au long de

nos travaux. Toutefois, elle explore plus encore le domaine productionnel que le domaine fonctionnel.

L'analyse du domaine productionnel a nécessité la mise en oeuvre de certaines notions peu communes

dans le cadre de la technologie. Le recours à ces nouvelles notions : structure, construction volumétrique,

homothétie, etc. reposait sur le simple constat que nous devions disposer d'outils de lecture capables d'interpréter

ce que nous avions sous les yeux. Il fallait aller au-delà de la simple reconnaissance des formes, car une même

forme peut résulter de connaissances différentes. Il fallait aller au-delà de la reconnaissance de méthodes de

production des éclats, car une même méthode de production peut être appliquée à des objectifs différents. Un

débitage récurrent unipolaire peut tout aussi bien s'appliquer à un débitage Levallois, un débitage Clactonien, un

débitage de type Magdalénien, etc. De même pour les débitages dits centripètes ou radials : s'agit-il du débitage

d'une série récurrente d'enlèvements centripètes ou, au contraire, du débitage de séries récurrentes unipolaires,

chaque série étant désaxée l'une après l'autre de façon à ce que ce soit les séries entre elles qui soient centripètes

et non les enlèvements au sein d'une même série ? Les conséquences de ces différences sont importantes tant sur

le plan des connaissances mises en jeu que celui des objets obtenus. Pour pouvoir atteindre ce niveau de lecture,

il était nécessaire d'aller au-delà d'une description de la forme d'un objet. Nous avons appréhendé l'objet comme

un ensemble de caractères organisés se traduisant, entre autres, par une ou plusieurs formes. Cet objet organisé

peut s'analyser selon un aspect structurel et un aspect fonctionnel. D'un point de vue structurel, un objet est un

volume délimité dans l'espace, composé d'éléments techniques interactifs capables de répondre à un certain

nombre d'objectifs. Sur un plan fonctionnel, cet objet recevra une énergie qui selon qu'il est outil, nucléus ou

éclat sera différente. Cette énergie appliquée à un outil aura un effet transformateur sur un autre matériau ; dans
G

le cas d'un nucléus, le résultat sera un nouvel éclat. Selon le résultat acquis, bon au mauvais, on peut modifier

l'énergie dispensée (boucle de rétroaction). Cette approche est évidemment de type systémique, ce qui ne veut

pas dire que chaque objet est considéré comme un système.

Cette approche nous a permis d'identifier des structures de débitage et de façonnage spécifiques. Des

volumes déterminés par un certain nombre de critères techniques ont été conçus durant le Paléolithique ancien et

moyen. Appelés Levallois, Discoïde, Clactonien, Quina, Triface, ils correspondent à des agencements structurels

spécifiques plus ou moins complexes. La complexité d'une structure est inhérente aux nombres, aux types de

critères et aux liaisons entre ces critères, mais aussi, à des facteurs extrinsèques : qualité de la matière première,

connaissances et savoir faire. L'avantage d'utiliser une telle approche est de mettre en évidence des différences

de structures à partir de critères techniques identiques pour tous et extrêmement simples comme ceux de

convexité, hiérarchisation des surfaces, technique de percussion, etc. Les différences porteront sur le nombre et

le type de critères techniques mis en jeu ainsi que sur leurs interactions. On observe alors que les différences de

conception de débitage portent souvent sur un petit nombre de critères, les conséquences n'en sont pas moins

importantes.

Toujours dans le cadre de reconnaissance des objets présents dans un site, la notion de structure

volumétrique nous permet de nous affranchir de la forme. En effet, une structure volumétrique de type nucléus

peut très bien changer de forme au cours de son exploitation sans changer son organisation interne. Dans ce cas,

des objets aux formes différentes, que nous avions tendance à regrouper sous des vocables différents, sous-

entendu d'essence certainement différente, peuvent n'être que l'expression d'une même conception de taille. En

d'autres termes, pour que le nucléus produise les mêmes effets avec les mêmes causes il faut qu'il se transforme

morphologiquement. C'est le cas, comme nous le verrons plus en détail des nucléus Discoïde. Cette notion de

transformation volumétrique des nucléus sans modification structurelle est appelée transformation volumétrique

non homothétique. La notion d'homothétie ou de non homothétie est un outil extrêmement important puisqu'elle

nous permet de considérer des objets différents comme n'étant que l'expression de la variété inhérente à un

système de production. Cette variété d'expression morphologique est nécessaire pour assurer son fonctionnement.

En conséquence, cette variabilité potentielle des nucléus, implique qu'on doit impérativement faire

reposer le " diagnostic des concepts en présence " sur un ensemble de pièces et non sur un seul objet. Ce sont les

inter-relations entre les différents éléments provenant d'une chaîne de production et les différents stades de

transformation des nucléus et des outils qui permettent d'identifier les modes de production en présence. Le cas
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du débitage Clactonien dans lequel certains nucléus en cours de débitage sont strictement identiques à certains

nucléus Levallois ou Discoïdes illustre parfaitement cette nécessité de prendre en compte l'ensemble du matériel

en présence.

Cette notion de structure volumétrique nous permet, de remonter le plus en amont dans la

compréhension des schèmes de production, de regrouper dans un même schème des structures volumétriques aux

morphologies différentes et, à l'opposé, de différencier des structures volumétriques à la morphologie identique.

En ayant ainsi circonscrit les inter-relations entre les différents éléments composant chaque structure,

nous sommes à même de déterminer l'ensemble des méthodes possibles (règles de production) dépendantes de

chacune des structures. C'est dire que : nous pouvons déterminer à l'avance quelles sont les méthodes de

production susceptibles d'être utilisées dans le respect de la structure. Le gestion d'une structure n'a pas pour

finalité de maintenir à tout prix la structure, elle a pour finalité l'obtention de produits spécifiques. Le maintien

de la structure volumétrique est le meilleur moyen trouvé par le groupe pour obtenir les outils ou les supports

d'outils qu'il veut, quand il veut.

A chaque structure volumétrique correspond un ensemble de méthodes qui lui sont propres. Le débitage

Levallois est, par exemple, celui qui génère le plus grand nombre de méthodes avec, pour conséquence, une

production d'enlèvements très diversifiés. Cette diversité est un gage de longévité. Evidemment, la

reconnaissance des méthodes est plus facile quand les structures volumétriques sont identifiées.

Concernant les pièces bifaciales, nous ne rentrerons pas dans le détail ici, il s'agit d'une notion plus

facile à percevoir qui sera largement développée ultérieurement.

Cette notion de structure volumétrique n'a été appliquée qu'aux nucléus et pièces bifaciales. D'ici

quelques années nous pensons pouvoir utiliser ce concept pour aborder tous les outils. Ce travail est long. Dans

les chapitres suivants, nous travaillerons à démontrer l'impérieuse nécessité d'une telle réflexion. Pour ce qui est

de disposer d'informations productionnelles nous pensons avoir franchi quelques étapes importantes que nous

qualifierons de "taxonomiques". Ce stade d'identification ne peut cependant pas être une fin en soi. Notre but

n'est pas de constituer un référentiel d'objet mais une méthode d'analyse capable de rendre compte à la fois des

spécificités productionnelles et fonctionnelles de chaque objet, et de ses relations avec les autres objets

provenant d'un même matériau ou de matériaux différents. Nous sommes encore à une étape éloignée de

l'objectif fixé. Dans l'immédiat, différencier un nucléus Discoïde d'un nucléus Levallois récurrent centripète
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n'apporte rien à une quelconque explication de la variabilité des faciès du moustérien. Par contre, lorsque nous

aurons compris la spécificité technique de ces modes de débitage nous pourrons peut être dire pourquoi tel ou tel

groupe a choisi ou associé ces deux modes de production. Mais faut-il encore les différencier. Nous n'en sommes

qu'au début, il nous faut être patient.

Bien que ne disposant que de résultats partiels, nous pouvons éclairer un aspect original de la variabilité

des faciès du Paléolithique inférieur et moyen grâce aux quelques résultats obtenus sur l'identification et au lien

technique entre les différents éléments d'un même ensemble. En bref, cette variabilité, mise en évidence au

Moustérien, a fait l'objet de plusieurs explications. Celles que nous pourrions classer de mono-factorielles sont

représentées par les travaux de F. Bordes , L.-R. et S.-R. Binford, H. Dibble ou encore de P. Mellars (1989a,

1989b) ; celles qui sont pluri-factorielles sont représentées par les travaux de N. Rolland, J.-M. Geneste et de P.

Chase.

Pour F. Bordes (1961), la variabilité est l'expression de la contemporanéité de plusieurs groupes

ethniques différents, vivant dans une même région sans influence mutuelle. L'interstratification de ces faciès

serait alors synonyme d'une variabilité cyclique et répétitive, chaque faciès restant stable sur des milliers

d'années.

Pour L.-R. et S.-R. Binford (1966, 1973), la variabilité est due à des activités différentes pendant

l'occupation d'un gisement ou dans des sites différents. Les différents faciès définis par F. Bordes

représenteraient alors les diverses activités d'un seul et même groupe. Or, des travaux comme ceux de S. Beyries

ont montré qu'il n'y a pas de lien entre les différents types d'outils et une fonction précise.

Pour H. Dibble (1987, 1989, 1992), la variabilité typologique d'un faciès à l'autre n'est que le reflet de

l'aménagement d'outils successifs sur un même type de support. Les ravivages successifs d'un racloir simple

conduiraient ainsi à obtenir un racloir transverse.

Pour N. Rolland (1981, 1988, 1992), la variabilité des faciès serait due à une économie différentielle de

la matière première et des outils à mettre en parallèle avec les fluctuations climatiques, observées par H. Laville.

Les conséquences bioclimatiques auraient donc des implications sur le type de faciès.

Pour J.-M. Geneste (1985, 1991), l'un des facteurs de variabilité serait attribuable aux activités de

production et aux déplacements, certains outils étant plus soumis à la mobilité que d'autres.
J

Pour P. Chase (1986, 1987), la mise en relation d'un ensemble de données provenant à la fois de

domaines tels que l'archéozoologie, la palynologie, la climatologie et la typologie a montré qu'il n'existait pas

de relations évidentes entre tous ces paramètres.

La diversité des hypothèses proposées révèle en fait une certaine impuissance à donner un sens à la

variabilité moustérienne. Quant à celle des industries du Paléolithique ancien, elle n'est même pas envisagée,

exceptée peut-être par la diachronie.

Sur l'ensemble, nous sommes quand même extrêmement surpris de constater que les différents auteurs,

excepté J.-M. Geneste, utilisent des données purement typologiques pour émettre des hypothèses sur des

comportements techniques. Parler de variables fonctionnelles quand on ne connaît pas la fonction d'un objet, la

place qu'il occupe dans le système des objets et le mode de production utilisé pour l'obtenir est surprenant.

Les nouvelles données techniques montrent que chaque faciès typologique est, en soi, une somme

d'industries témoignant de connaissances différentes. On pourrait justement s'interroger sur le fait que ces

données ne sont pratiquement pas prises en compte. Témoignent-t-elles d'une trop grande variabilité ? N'est-il

pas intéressant de noter, par exemple, que deux groupes distincts utilisant des modes de taille différents, tels que

les débitages Levallois récurrent centripète et Discoïde, confectionneront le même type d'outils aux dépens de

supports aux caractéristiques sensiblement identiques, alors que dans deux autres groupes seul le débitage

Levallois récurrent centripète sera utilisé mais les outils confectionnés seront différents ? On le voit bien, tant

qu'on ne prendra pas en compte les nouvelles données techniques on émettra des hypothèses insatisfaisantes.

Aussi, pensons-nous être dans une situation très délicate, mis à pied devant le constat de nos possibilités de

compréhension des phénomènes observés. On a tendance à penser que la variabilité des industries du

Paléolithique ancien et moyen relève de comportements différents de ceux du Paléolithique supérieur, avec

Homo Sapiens sapiens ou dans le monde des actuels chasseurs cueilleurs. Ceci n'est qu'une hypothèse, pour

l'affirmer il faudrait s'assurer que nous avons utilisé tous les moyens mis à notre disposition pour l'analyser.

Il est un autre point qui ne nous semble pas avoir été pris en compte pour l'étude des facteurs de

variabilité, que nous considérons pourtant comme des plus importants, à savoir : si la variabilité et la diversité

des industries n'est pas en partie régie par des facteurs évolutifs propres aux objets. L'évolution diachronique des

modes de débitage mais aussi des outils n'est-elle pas soumise à des règles dépendantes de l'organisation des
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éléments constituant cet objet ? Est-ce un hasard si les débitages Levallois et Discoïde sont toujours postérieurs

au débitage Clactonien ? Y-a-t-il des liens "génétiques" entre certains modes de débitage ou, au contraire, sont-

ils indépendants ? L'évolution perceptible de certains modes de débitage à travers leurs transformations nous

conduit à poser comme hypothèse que selon l'organisation interne des nucléus certains seront susceptibles d'être

réorganisés, par apport de nouveaux critères ou substitution d'un critère technique par un autre, d'autres non.

Nous opposons alors deux types de structures volumétriques : des structures à éléments techniques additionnels

ou structures abstraites et des structures à éléments techniques intégrés ou structures concrètes. La tendance

évolutive fait que cette réorganisation est de moins en moins possible du fait que les éléments constituants

chaque nouvelle structure volumétrique sont de plus en liés par des relations de cause à effet. Nous passerons

donc toujours d'une structure à éléments additionnels à une structure à éléments intégrés. Cette évolution semble

irrémédiable.

L'intérêt de la mise en évidence d'un tel mécanisme est multiple.

La première information est d'ordre cognitive : l'évolution des structures de débitage est le résultat d'une

accumulation de connaissances, la mémoire technique, qui permet d'accéder à des systèmes techniques de plus

en plus complexes.

La seconde information, portera sur la présence ou l'absence d'un " lignée évolutive ". En effet, en un

lieu donné, nous pouvons déterminer l'existence d'une évolution sur place ou au contraire d'une " importation " ,

ayant alors à voir avec des migrations, voire une disparition brutale. Et ceci, d'autant plus pour les périodes

anciennes, il y a 500 000 ans en Europe. En tenant compte des niveaux d'évolution technique et des relations

évolutives qu'elles ont entre elles, nous pouvons discerner ce qui est nouveau de ce qui est susceptible d'avoir

une origine locale. Nous le verrons parfaitement bien pour le phénomène bifacial. Dans le cas des industries non

bifaciales, le problème est plus difficile car il faut d'abord identifier l'industrie. Une pièce bifaciale est une pièce

bifaciale. Mais il est des nucléus qui peuvent se classer dans une dizaine de catégories différentes. Les

implications sont importantes surtout quand de nouveaux modes de production apparaissent comme le Levallois.

S'agit-il réellement de nucléus Levallois ou tout simplement d'une forme évolutive du débitage d'un nucléus

Clactonien ?

Ainsi l'approche évolutive permet de faire ressortir des problèmes que nous ne serions pas à même

d'appréhender autrement.
L

Toujours en utilisant cette notion que l'évolution peut être liée aux niveaux de réorganisation des objets

(nucléus, support d'outils, outils), nous pouvons acquérir de l'information sur le plan synchronique. Selon le

stade d'évolution, on peut penser que les facteurs d'adaptation et les réactions adaptatives à des phénomènes

environnementaux changeants seront différents. Cette adaptation pourrait notamment se traduire en terme de

durée d'utilisation. Dans ce cas, nous pouvons nous interroger sur la durée de vie d'un mode de débitage tel que

le Levallois. N'est-elle pas dépendante de la diversité des objets qu'il est capable de produire ?

Il faut introduire une différence entre les facteurs conduisant à un changement et la possibilité de répondre à ce

changement. Les facteurs de changement sont de part et d'autre : du côté de l'individu et du côté de

l'environnement. Le système technique n'est que le médiateur choisi par l'individu pour répondre à ses objectifs,

eux mêmes en adéquation avec l'environnement. Mais, face à des changements, il faut envisager la réponse

susceptible d'être obtenue par le système technique dans sa globalité et non pas par l'objet isolé. Prenons des

exemples simples que nous reprendrons ensuite. Imaginons une situation où, pour des raisons extrinsèques, je

désire produire un nouveau type d'outil aux dépens d'un support particulier. Deux solutions s'offrent à moi.

Premièrement le mode de production que j'utilise est capable de répondre à cette demande ne perturbant

en rien le ou les modes de productions classiques. Le nouvel objet est alors intégré dans le débitage, sans

modifications de l'organisation interne du nucléus. Deuxièmement, ce nouvel objet ne peut pas être obtenu aux

dépens du ou des modes de production en présence. Dans ce cas, deux possibilités : soit le mode de production

est capable d'être adapté, moyennant une impossibilité de produire ce qu'il produisait au préalable ; soit un

nouveau mode de débitage est inventé ou emprunté. En conséquence, les mécanismes d'évolution propres à

chaque structure de débitage ou de façonnage auront une importance considérable pour évaluer la portée des

facteurs extrinsèques. Prenons l'exemple d'un groupe, désireux, pour des raisons diverses, d'utiliser quand il veut

et où il veut, de nouveaux types d'outils faits sur lames, nous devrons tenir compte des modes de production en

présence. Si c'est un débitage Levallois ou Discoïde qui régissait les modes de production antérieurs, nous

devons nous attendre à l'apparition d'un nouveau mode de débitage. En effet, bien que l'on puisse obtenir des

éclats laminaires de certains nucléus Levallois ces produits ne sont jamais uniques. Avant d'obtenir une lame, il

faudra produire un, deux ou trois éclats différents. Quant au débitage Discoïde, son incapacité à produire des

lames est encore plus évidente. Par ces exemples, nous voyons que tout changement dans la production dépend

de la capacité du ou des nucléus à répondre aux objectifs poursuivis.


M

Il faut laisser le temps aux technique de se développer, il faut pour cela que les techniques aient une

capacité évolutive

La technologie, telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui est réduite à une approche typo-technique. Cette

situation tend a la figer dans un registre stérilisant, particulièrement pour les périodes anciennes sur lesquelles

nous travaillons. Puisque nous ne classifions pas pour classer, mais pour donner du sens, autant essayer de

disposer du maximum d'informations. Or, la reconnaissance des chaînes et schémas opératoires a d'autant plus de

sens si l'on est capable non seulement de déterminer les moyens matériels et leurs objectifs, mais aussi leurs

fonctions et leurs fonctionnements. Ce qui n'est pas du tout le cas pour le Paléolithique ancien et moyen. Même

si certains objets ne laissent pas de doute, comme le hachereau, la quasi-totalité des autres objets constitue de

réelles énigmes fonctionnelles. Jusqu'à présent, la technologie appliquée aux industries du Paléolithique moyen

s'est attachée à mieux décrire les objets. Ainsi, ils ont été dotés d'un nouveau contenu technique mais qui ne va

pas jusqu'à la compréhension globale de l'objet. On peut classer les objets, décrire les modes de production mais

nous ne disposons pas d'éléments pour appréhender l'objet de sorte que nous ayons une idée plus complète et

concrète de celui-ci. D'un point de vue historique cette situation s'explique dans la mesure où les précurseurs de

cette démarche traitaient généralement des périodes récentes. La méthode, bien que d'essence globalisante, a été

développée en fonction de problématiques spécifiques à ces périodes. Aussi pensons-nous que la technologie

appliquée aux périodes anciennes a besoin d'un renouveau, avec la mise en évidence de spécificités propres,

particulières. En ne s'attaquant pas aux réalités contraignantes des périodes anciennes la méthode utilisée jusqu'à

maintenant ne nous paraît pas assez performante.

Pour qu'elle le devienne, nous fixons les objectifs suivants, au nombre de deux :

- être capable d'identifier la fonction et le fonctionnement de chaque objet : du déchet de taille à l'outil ;

nous devons être capable de reconstituer le système technique dans lequel se situe l'objet ; si cela se révèle

impossible, il nous faudra analyser pourquoi ;

- être capable d'expliquer les différences entre plusieurs assemblages en sachant que ces différences

peuvent avoir plusieurs origines. Il faut alors faire la part entre l'influence de facteurs externes provoquant des

changements et les capacités d'adaptation et de transformation des systèmes techniques.

Alors les résultats de l'analyse technologique nous conduiront à pouvoir envisager des comportements

techniques en interaction avec des comportements de subsistance et nous aideront à replacer l'homme dans son

environnement.
N

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Ed. APRAIF (Mémoire du musée de Préhistoire de l'Ile-de-France ; 3) : 69-76.
3

" Plus profondément nous pénétrons dans l'analyse de

la structure du temps, mieux nous comprenons que

durée signifie invention, création de formes, élaboration

continue de ce qui est absolument neuf "

Bergson : L'évolution créatrice


4

Introduction

Que peut-on percevoir de la réalité technique ?

Mémoire oubliée, mémoire déformée

Les objets en pierre de la préhistoire nous paraissent à jamais dissociés de nous. De fait, si nous

parvenons à comprendre une partie de leur genèse et de leur(s) fonction(s) technique(s), l'objet en tant qu'objet

social nous reste inaccessible, incompréhensible. Il s'agit d'objets désormais coupés des usages et de

l'environnement technique où ils prenaient sens et valeur. Ils ne s'intègrent plus à aucune mémoire vivante.

Est-ce suffisant cependant pour justifier leur oubli ? Ces objets sont-ils si différents de notre quotidien

que nous les ayons ainsi oubliés ? N'existe-t-il pas d'universaux fonctionnels communs aux outils d'hier et à ceux

d'aujourd'hui ?

Reflets des premiers temps de l'humanité, ces objets nous semblent d'essence différente. Pourtant, un

tranchant de 30° en silex ne partage-t-il pas la même finalité techno-fonctionnelle qu'un tranchant de 30° en

métal, en plastique ou en céramique ?

L'identité de caractères peut laisser supposer une capacité fonctionnelle identique (Leroi-Gourhan A.

1965). Ainsi, il pourrait exister une filiation de la fonction à travers la nature de ce que nous appelons : " le

contact transformatif " ; c'est-à-dire, la partie de l'outil qui est au contact de la matière à transformer (Lepot M.

1993). Toutefois, cette continuité ne signifie pas qu'il y ait une filiation directe entre l' " objet burin " fabriqué au

Paléolithique supérieur pour rainurer et la lame à rainurer de la fraiseuse actuelle. Certes, il s'agit bien de la
1
même fonction mais ce n'est pas le même objet car ce n'est pas la même genèse .

1
- Dans le cas du burin dièdre, chaque unité de contact transformatif que crée le recoupement des deux faces de
l'éclat par l'enlèvement burinant peut être utilisée de façon indépendante sans qu'il existe nécessairement un lien
dans l'action entre chacune de ces parties. Ainsi, on peut utiliser les coupants latéraux pour racler. Avec la
5

Ces objets nous sont-ils plus difficiles à comprendre parce qu'ils appartiennent à la sphère de la

technique ? Un burin du Paléolithique moyen du Proche-Orient est-il plus difficile à comprendre qu'une fresque

de Lascaux ? Présente-t-il moins (ou plus) d'intérêt ? Le technique ou le symbolique ? Le savoir-faire ou

l'émotion (Malraux A. 1972) ? Ces questions renvoient au statut que nous réservons, dans notre culture

occidentale, à la technique. La considérons-nous comme un élément déterminant ? Fait-elle partie de notre

définition de la culture ? Ne dissocions-nous pas l'objet de sa technique, pour n'en conserver qu'une émotion : la

forme ? Ce serait oublier la valeur du technique dans l'histoire de l'homme.

La technique est certainement un des premiers médiateurs entre l'homme et son milieu. Elle est le reflet

d'une représentation du monde vivant. Elle est le reflet d'émotions. Mais ce n'est pas une réalité isolée. L'objet
2
n'est que le moyen matériel de cette médiation. La technique, ou plutôt la technicité , serait un des facteurs de

création, d'adaptation et de maintien de l'équilibre entre l'homme et son milieu. Cet équilibre dépend du mode

d'appréhension et de représentation du monde vivant par chaque groupe humain. Pour évoluer la technique a

besoin de l'homme, de même qu'elle est un facteur déterminant de l'évolution de l'homme (Pigeot N. 1991). La

technique est donc un facteur d'évolution auquel il nous faut redonner sa juste valeur.

Mémoire refusée, mémoire interdite

Notre absence de mémoire tient aussi à ce que nous ne reconnaissons pas à ces objets la même valeur

qualitative qu'à un objet d'aujourd'hui. Ce problème est une des conséquences de la mise en parallèle de

l'évolution des objets de la préhistoire avec l'image qui prévaut de l'évolution de l'Homme : bercée par un

gradualisme phylétique, ponctuée de transitions, remplie de chaînons manquants (Tassy P. 1991), l'évolution des

objets au cours de la préhistoire a constamment été mise en parallèle avec celle des hominidés. Comme nous

concevons l'homme, d'Homo habilis à Homo sapiens modernensis, nous concevons l'objet, du plus ancien au

plus récent, du plus simple - voire simpliste - au plus sophistiqué. L'évolution des techniques est ainsi ponctuée

de traits d'union : le proto-biface annonçant le biface, le proto-Levallois annonçant le Levallois. Mais, nos

fraiseuse, en revanche, seul le biseau da la lame est opérationnel (transformatif). Les éléments techniques qui
constituent la fraiseuse forment une série convergente d'effets techniques finalisés. Chacun des éléments forme
un tout qui trouve sa cohérence technique dans le fonctionnement de l'objet.
2
- Nous appelons technicité le discours technique que l'homme de l'art a sur sa pratique.
6

grands-parents roulèrent-ils dans des proto-voitures avant que nous conduisions (enfin !) de vraies voitures ? Nos

outils d'aujourd'hui sont-ils les proto-outils de ceux de demain ? Les prototypes, quand ils existent, ne sont pas

voués à une carrière fonctionnelle. Alors, pourquoi existerait-il un proto-Levallois ? A moins de considérer que

son auteur ait été, lui aussi, un proto-humain !

Vestiges de l'humanité naissante, les industries lithiques de la préhistoire sont encore trop souvent

considérées comme dénuées de valeur informative réelle. Telles quelles, ce ne sont que des pierres taillées,

reflets des vagues capacités de réflexion de leurs auteurs et dépendantes de celles-ci. Suivant cette corrélation
3
cortex/silex, les régles de différenciation des objets sont biologiques et non pas technologiques .

Devons-nous alors revendiquer cette mémoire qui nous est a priori refusée ? Et, si oui, comment ?

A la première question, nous répondrons simplement que l'homme s'inscrit dans une histoire très longue.

Certes, différents genres humains se sont succédés. Mais, pendant un temps, ils furent aussi très souvent

contemporains. Notre espèce, Homo sapiens sapiens, vécut plus de 40 000 ans au contact d'Homo sapiens

neanderthalensis, partageant les mêmes lieux, produisant les mêmes outils, inhumant tous deux leurs morts.

Aujourd'hui, Homo sapiens sapiens, nous sommes la seule espèce en présence. Cela fut certainement le cas pour

Homo sapiens neanderthalensis qui, en son temps, succéda à Homo erectus, qui lui même... Sur le long terme,

ces successions entrecoupées de " cohabitations " nous montrent que l'homme actuel est le fruit d'une évolution

moins gradualiste qu'on ne le dit (Hublin J.-J., Tillier A.-M. 1991 ; Stringer C.-B. 1991). Nous devons

reconquérir ce temps.

Croire que la réalité technique, telle que l'homme des temps anciens la percevait, nous est accessible

dans sa globalité serait illusoire. Pris individuellement, sans référent, comment donner un sens à ces objets ?

Quelle que soit sa complexité technique et alors que chaque objet retrouvé témoigne de connaissances et de

savoir-faire, il est souvent difficile de lui attribuer une autre valeur que technique.

3
- Ce point nous paraît particulièrement important. Car, en termes de mémoire collective, si nous considérons le
cadre scolaire actuel, lieu d'acquisition privilégié de cette mémoire, nous retrouvons bon nombre de ces
"poncifs", extrêmement dangereux par ailleurs, qui ne reposent sur aucun fait scientifiquement démontré.
Apprentissage d'erreurs d'autant plus insidieux que l'enseignement de la préhistoire est considéré comme une
matière secondaire, au mieux un divertissement, et non pas comme un sujet d'étude à part entière.
7

Pourtant, un objet technique ne représente pas seulement une réponse à une nécessité, à une fonction

d'usage, il peut aussi être chargé d'une fonction de signe (Deforge Y. 1985), soit de sens esthétique ou

symbolique qui peuvent rester à jamais indéchiffrables.

Une voie toute tracée

Chaque objet technique est un médiateur dans l'équilibre entre l'homme et son milieu. Mais le milieu

n'impose rien. Le milieu dans lequel évolue l'objet est sa condition d'existence et non son pouvoir de création. Si

l'objet outil existe c'est qu'il porte en lui les conditions de son fonctionnement. Or, un objet existe toujours dans

son intégralité et est inventé tel quel ; il ne peut donc pas être perçu comme une succession de parties qui le

constitueraient progressivement. Un objet est la cause de sa condition de fonctionnement. Certes, il existe une

causalité récurrente entre l'objet et son milieu puisque l'objet n'est " viable " que si le problème technique qu'il

représente est résolu, c'est-à-dire s'il existe avec son milieu associé (Simondon G. 1958).

A notre avis, la médiation de l'objet technique dans l'équilibre entre l'homme et son milieu ne peut donc

pas être considérée comme relevant de l'adaptation de l'outil au milieu, ni même de sa finalité fonctionnelle.

A fortiori quand cette relation Homme/Environnement fait l'objet d'interprétations fondées sur la

croyance en un devenir. Comme si la technique tendait vers un état d'équilibre de plus en plus stable, toujours à

venir, comme si il y avait une orientation supérieure, un progrès nécessaire et inéluctable, une convergence de

toutes les réflexions (Theilhard de Chardin P. 1955).

Mais un objet correspond à un état technique qui intègre sa propre cohérence technique et, d'une

certaine manière, son devenir, dans le sens de son potentiel évolutif. Chaque objet se traduit par une forme,

portée par une structure, elle-même composée d'autres éléments - des caractères techniques - liés entre eux de

sorte que la spécificité de leur agencement crée la forme requise. De ce fait, la forme n'est qu'une des

composantes de la structure. Si la forme peut être considérée comme la manifestation extérieure de la structure,

cela n'implique pas que la structure puisse être réduite à la forme.

Sur le plan archéologique, si l'on considère trois objets : une lame, un éclat Levallois et une pièce

bifaciale, chacun d'entre eux représente un état technique stable. Doivent-ils nécessairement être ordonnés

(orientés) dans le temps ? Cela supposerait alors une finalité


8

" extérieure " dont l'un des exemples le plus souvent cité, notamment dans les livres scolaires, est celui du

rapport entre la quantité de fil coupant provenant d'un bloc et le volume de celui-ci qui va s'accroissant au cours

du temps et conduit à ordonner ces objets comme suit : biface, produit Levallois, lame (Leroi-Gourhan A. 1964).

Comme si chacun de ces objets était, en soi, une finalité technique ! Nous retrouvons ici le problème de

l'explication d'un objet par la projection, du fait de l'observateur, de l'idée qu'il en a. Alors, les objets sont classés

selon une idée préconçue.

En termes de connaissances techniques, la production d'une lame n'est pas plus complexe que celle

d'une pièce bifaciale, et inversement. La chronologie archéologique confirme la subjectivité de tels classements.

Les lames de Syrie

Six débitages laminaires différents sont actuellement reconnus en Syrie. Des plus vieux aux plus

récents :

- le pré-Aurignacien du site de Yabroud (couche 15 et 13) (Rust A. 1950 ; Garrod D. 1970)

- l'Hummalien d'Hummal (Besançon J. et al. 1981 ; Boëda E. 1993 ; Hours F. 1982 ) ;


4
- la couche 6 d'Hummal (Le Tensorer J.-M. 1996) ;

- les couches VIII 1a, V 2 πb et PM 2e d'Umm el Tlel (fouilles Boëda E. 1994c, 1995b, résultats non publiés).

Chacun de ces modes de débitage laminaire est chronologiquement encadré par des industries

totalement différentes :

- le pré-Aurignacien apparaît en pleine séquence acheuléo-yabroudienne, caractérisée par la production de

racloirs de type Quina sur des éclats et des pièces bifaciales ;

- l'Hummalien fait suite à des couches yabroudiennes et précède les premiers niveaux moustériens ;

- l'industrie de la couche 6 d'Hummal est située au milieu de la séquence moustérienne ;

- les couches V III 1a, V 2 πb et PM 2e d'Umm el Tlel sont intercalées avec des couches moustériennes récentes.

Sur un plan technique rien ne permet d'ordonner ces séquences d'objets suivant une quelconque

phylogenèse. Ces six industries relèvent de conceptions distinctes du débitage laminaire. La panoplie d'outils est

également différente d'une industrie à l'autre bien que la majorité des outils soit réalisée sur lame et que tous les

4
- Cette couche n'a jamais fait l'objet d'une publication technique. Nous avons pu effectuer quelques
observations personnelles. Il s'agit d'une industrie dont la production semble essentiellement laminaire. Les
lames sont de dimensions variables entre 20 et 10 cm, de section trapézoïdale ou triangulaire, épaisse, débitées
en percussion interne (à quelques millimètres du bord) par percussion directe au percuteur dur. L'outillage est
pauvre, composé essentiellement de grattoirs et de denticulés.
9

produits prédéterminés soient laminaires. Supposant que les fonctions de ces objets aient été identiques alors que

ceux-ci relèvent du même principe de débitage, ces industries seraient à situer dans la même lignée ; chacun de

ces modes correspondant à une modalité d'expression inhérente à cette lignée. Mais, ici, le débitage laminaire est

un phénomène intermittent qui apparaît, disparaît puis réapparaît. Interruption et résurgence cadrent mal avec

l'idée de lignée. Sachant qu'il n'existe pas de lien évolutif direct dans cette production laminaire du Paléolithique

moyen, il nous faut rechercher les causes de cette intermittence.

Chaque industrie correspond à un état de cohérence qui résulte d'états successifs. C'est dire que chaque

ensemble d'objets est représentatif de connaissances et de savoir-faire issus d'une tradition technique. D'une

génération à l'autre, ces traditions peuvent se modifier ou rester inchangées. Aussi, en tenant compte de

l'ensemble des connaissances nécessaires à la réalisation de ces objets, pouvons-nous mettre en évidence des

similitudes et des ruptures qui nous permettent de retrouver la genèse de chacun et d'arriver à la notion de lignée

telle que la définit Y. Deforge : " la lignée est constituée par des objets ayant la même fonction d'usage et mettant

en oeuvre le même principe " (Deforge Y. 1981, p. 72). La notion de principe est toujours définie a posteriori.

Pour une industrie laminaire, par exemple, le principe peut être un type stable : un même type de lame,

ou une composante dominante tel que le rapport L/l, ou encore une caractéristique structurelle : l'utilisation du

même procédé technique de débitage.

Dans d'autres circonstances, le principe peut correspondre au maintien de critères techniques universels.

Comme c'est le cas entre une pièce bifaciale et un simple éclat, par la présence, naturelle pour l'éclat, à construire

pour le biface, d'un plan de section asymétrique. Ce plan est délimité par deux surfaces différentes, l'une plane

l'autre convexe ou irrégulière. Pour plus de commodité, cette asymétrie est nommée asymétrie de plan de coupe

plan-convexe. Cette asymétrie est certainement, comme nous le verrons plus loin, une des conditions techniques

nécessaires à l'aménagement d'un front de travail, capable d'être aménagé selon les fonctions et le

fonctionnement recherchés.

Prenons encore un autre exemple : la présence, dans un même site, d'éclats et de produits laminaires.

Ces deux types d'objets peuvent résulter d'un processus opératoire identique et être liés par une relation de

récurrence. C'est-à-dire que tout enlèvement provenant d'une même série récurrente est fonction des enlèvements

précédents : en d'autres termes, ces enlèvements sont prédéterminés puisqu'ils utilisent les critères de

prédétermination, et prédéterminants puisqu'ils en créent de nouveaux lors de leur détachement. Le terme de

récurrence désigne ainsi une relation de causalité telle que la séquence une fois finie revient à son point de départ.
10

Ces enlèvements peuvent avoir la même genèse. C'est le cas des objets provenant d'une série Levallois récurrente

(Boëda E. 1986). Mais ces enlèvements peuvent aussi être " génétiquement " indépendants, car résulter de la

mise en oeuvre de connaissances différentes. C'est le cas sur les sites de Riencourt-lès-Bapaume (Tuffreau A. et

al. 1991) et d'Etoutteville (Delagne A. 1996) où une production d'éclats provenant d'un schéma opératoire de

type récurrent Levallois coexiste avec une production laminaire autonome issue d'un schéma opératoire non
1
Levallois .

Pris individuellement, tout objet peut être défini par un nombre limité de critères. Ce n'est cependant pas

l'objet technique en tant qu'individualité qui pourra rendre compte du système technique auquel il appartient, car

aucune structure fixe ne correspond à un usage défini (Simondon G. 1958 ; Deforge Y. 1994). Il n'existe en effet

aucune relation spécifique entre un objet (dans sa globalité) et la fin pratique à laquelle il répond (Leroi-Gourhan

A. 1943, 1945). Je peux trancher avec un couteau, le couteau n'est pas pour autant spécifique à l'action de

trancher. Un même résultat peut être obtenu par des outils différents ; un même outil peut être fait aux dépens de

supports différents, obtenus par des méthodes différentes, issues de conceptions de taille différentes. Il est donc

impossible, à partir du seul objet, de découvrir l'ensemble des connaissances et de savoir faire nécessaires à sa

réalisation. Aussi nous faut-il des méthodes d'analyses qui permettent de retrouver et d'attester des mécanismes

techno-cognitifs mis en jeu lors de l'application des systèmes techniques de production ; en d'autres termes, qui

permettent de déterminer la genèse de l'objet et sa lignée évolutive.

L'analyse technologique, du fait de sa capacité à retrouver l'événementiel et le réseau d'opérations

aboutissant à l'objet technique, s'avère capable de retracer l'histoire technique de ce dernier : sa genèse. La

variabilité ainsi clairement mise en évidence fait suite à des analyses technologiques incluant une démarche

expérimentale.

Pour les périodes anciennes, la détermination des systèmes techniques de production est extrêmement

délicate puisque la qualité et la quantité d'informations sont toujours relativement succinctes. Il faut souvent nous

contenter des matières pérennes que sont les minéraux (du silex pour l'essentiel), alors que leur utilisation

correspond à un sous-système technique de production, articulé avec d'autres sous-systèmes de production le

plus souvent indéchiffrables, tels que le travail des matières végétales et/ou animales. En conséquence, nous

1
- Nous utilisons le terme de non-Levallois car la plupart des études menées sur le matériel ne sont pas
suffisamment précises. Le terme de non-Levallois est un terme d'attente.
11

analyserons le lithique comme résultant de l'application de systèmes techniques à part entière, capables de

répondre à des objectifs spécifiques (finalité) selon une structure gérant un ensemble de propriétés et de règles

qui permettent d'exploiter ces propriétés. Ce ne sera que dans un deuxième temps que nous analyserons le

système technique dans sa globalité.

L'analyse technologique que nous menons à partir du matériel archéologique nous permet, en théorie,

d'appréhender un système technique de production selon deux axes. Le premier traduit la succession logique

d'événements techniques : c'est la chaîne opératoire. Le second traduit l'aspect cognitif de cette chaîne opératoire :

c'est le schème opératoire.

En effet, la réalisation d'un acte ou d'une succession logique d'actes n'est possible que par l'application

de connaissances techniques et de savoir-faire. Ceux-ci sont acquis très tôt par imprégnation quotidienne depuis

le plus jeune âge. L'expérience, s'organisant et se mémorisant par un apprentissage par contact ou par un

apprentissage naturel, devient alors un savoir-faire. L'acquisition précoce, dépendante à la fois de la structure

interne des sociétés et de la complexité des techniques en usage, fait que les connaissances seront apprises sans

être nécessairement pensées ou discutées (Simondon G. 1958 ; Piaget J. 1967 ; Pelegrin J. 1995). De cette

précocité l'individu adulte conservera une sorte d'irrationalité fondatrice de ses connaissances techniques qui

seront plus opératoires qu'intellectuelles, faisant de lui un expert plutôt qu'un bricoleur. Ces connaissances et

savoir-faire techniques sont considérés comme rigides étant donné qu'ils ne seront pas renégociés à l'âge adulte

(Simondon G. 1958).

Cette rigidité est synonyme de stabilité. C'est grâce à cette stabilité que nous pouvons les reconnaître,

les individualiser et les différencier (Boëda E. 1991). L'application de ces connaissances rend compte de

l'existence d'une pensée technique - subconscient technique - construite de schèmes opératoires et d'intuitions.

Toutefois, cette rigidité n'empêchera pas


2
" l'artisan " producteur d'ajuster sa production à la demande du moment ou à des conditions extérieures. Une

souplesse d'adaptation reste toujours possible.

2
- Nous utilisons le terme d'artisan dans un sens générique et non en rapport avec un système économique précis.
Il doit être pris dans le sens d'un individu qui fait preuve de savoir-faire polyvalents et non celui d'un individu
dont la pratique se fait par tâtonnement individuel. En effet, il est fréquent d'entendre ou de lire que les premiers
outils, voire même les outils du Paléolithique moyen, résultent d'un bricolage technique. La stabilité des schémas
de production, des supports et des types d'outils sont autant d'arguments qui vont à l'encontre de cette vision de
bricolage pour les périodes anciennes. Souvent vécue comme un compromis entre le vouloir et le pouvoir, le
projet et sa réalisation, la notion de bricolage apparaît comme fournisseur de solutions techniques aléatoires sans
12

Le schème opératoire regroupe, telle une forme structurante, un ensemble de concepts permettant de se

faire une image de la réalité. Et, par intuition, nous entendons une connaissance directe, anticipatrice. Cette

anticipation s'observe aisément pendant une séance de taille de silex : le tailleur ne réfléchit pas

systématiquement avant et après chaque geste, la mémorisation des situations positives et négatives permet à

l'opérateur d'y répondre sans une nécessaire et systématique réflexion.

La perception de cette réalité, telle qu'elle est rendue par les schèmes opératoires, est impossible à

connaître a priori. En revanche, nous pouvons percevoir certains aspects de cette réalité technique en

développant la notion de schéma opératoire. Cette notion, conçue comme une méthode de lecture, nous permet

de traduire de l'extérieur (du côté du préhistorien) et de façon figurée une réalité technique imperceptible par

ailleurs. Cette réalité est différente de celle que nous percevons lorsque l'on observe le déroulement d'une chaîne

opératoire. La notion de schéma opératoire englobe les notions de structure de taille, de méthode et de technique.

Aussi cette approche nous paraît être, aujourd'hui, la meilleure façon de percevoir la structure et le

dynamisme technique de schèmes opératoires disparus.

cesse renégociées. Même si c'était le cas, l'habitude des gestes sans cesse recommencés deviendrait une
expérience mémorisée et organisée et donc un nouveau savoir-faire (Deforge Y. 1985).
Les difficultés viennent également de ce qu'il n'existe pas réellement de termes qui permettent de restituer les
activités techniques entre celle d'un bricoleur et celle d'un artisan. En effet on peut supposer que les savoir-faire
nécessaires à la production d'un outil ne sont pas propres à un individu ou à un groupe. Le terme d'artisan
implique une organisation sociale particulière, l'existence d'une société artisanale (Ellul J. 1954). Il ne
correspond pas forcément aux hommes qui ont fabriqué les premiers objets " normalisés ". Ces hommes
n'utilisaient pas des moyens détournés sans cesse renouvelés ; pour nous, technicien de ces périodes, ils étaient
déjà des hommes de l'art.
13

Chapitre 1

Appréhender l'objet dans sa singularité et sa spécificité

Classiquement, on scinde les temps préhistoriques en deux grandes périodes : le Paléolithique, âge de la

pierre ancienne, et le Néolithique, âge de la pierre nouvelle, elles-mêmes subdivisées en plusieurs époques. Ainsi,

pour le Paléolithique, on distingue du plus récent au plus ancien : le Paléolithique supérieur, le Paléolithique

moyen et le Paléolithique inférieur. Ces distinctions chronologiques correspondent plus à des repères de

commodité qu'à des ruptures nettement marquées et il n'est pas dans notre propos de les considérer dans leur

ensemble. Nos compétences sont limitées aux périodes anciennes du Paléolithique : Paléolithique inférieur et

Paléolithique moyen d'Europe et du Proche-Orient, soit une durée de plusieurs centaines de milliers d'années.

La distinction de ces deux périodes fut créée par les préhistoriens pour signifier l'existence de

transformations, dans le temps, de comportements techniques et/ou sociaux d'hommes appartenant à des espèces

différentes. Ces transformations reconnues, ou interprétées comme telles, dans le monde entier excepté sur le
7
continent américain , sont représentatives d'une façon de concevoir l'évolution en stades successifs : stades de

l'évolution qui seraient obligatoires, le Paléolithique inférieur puis le Paléolithique moyen représentant alors

deux étapes incontournables de l'évolution durant la préhistoire. Or, à notre avis, cette scission ne correspond à

aucun évènement particulier.

Aujourd'hui, les informations que nous sommes à même de recueillir grâce à de nouvelles données

radiométriques et des méthodes d'analyses plus heuristiques, comme l'approche technologique et

l'expérimentation, nous conduisent à reconsidérer un grand nombre de faits classiquement admis. Sachant que

toute nouvelle méthode, aussi performante soit-elle, ne doit pas, à long terme, se transformer en dogme mais

rester susceptible d'être complétée, transformée, modifiée, voire substituée, au fil de l'avancement des recherches.

Ces nouvelles approches sont jeunes, elles ont les défauts de leur jeunesse : innovation et provocation.

7
- Aucune de ces périodes n'a été observée sur ce continent.
14

Nous devons notamment être conscients que les nouvelles données que nous avons sont dépendantes de

la capacité à explorer et à innover des méthodes actuellement à notre disposition. Comme toujours, ces méthodes

ont leurs limites et elles ne font que commencer à investir de nouveaux champs de recherche.

La technologie nous permet d'appréhender l'environnement cognitif des hommes fossiles. De ce fait, les

objets considérés - les industries lithiques, pour l'essentiel - changent de statut : de l'objet artificiel tel que nous le

voyons à travers son aspect extérieur nous accédons à l'objet technique et à sa technicité. Nous pouvons alors

rendre compte de connaissances : chercher les causes pour les comprendre, et de savoir-faire : pouvoir obtenir,

produire et reproduire les effets désirés que nécessite la réalisation d'un objectif (Séris J.-P. 1994). Nous pouvons

aussi rendre compte des relations qu'entretient l'objet avec d'autres connaissances et savoir faire contemporains,

créant ainsi un réseau de relations causales que nous appelons systèmes techniques (Geneste J.-M. 1991 ; Pigeot

N. 1991). La systématique révélée par l'analyse technologique est cohérence, cohérence entre les objets, leur(s)

usage(s) et les matières travaillées. La technologie nous permet donc de forger des instruments conceptuels

capables de comprendre la technique dans sa plus vaste extension et, en particulier, d'aborder les notions

d'évolution, de modification des techniques par le passage d'un système à un autre.

Pour cela, il a fallu associer et développer un autre champ de recherche : l'expérimentation.

L'expérimentation représente la seconde méthode sur laquelle se fonde un grand nombre de nos résultats. Elle

assigne aux différents états et processus techniques permettant de passer d'un état à un autre, un sens inaliénable.

La mise en évidence de causes et de conséquences techniques reproductibles, nous permet d'envisager une

nouvelle " typologie" de l'objet, basée non plus sur des caractères subjectifs - recréant sans aucun fondement des

usages et des conduites : un bord suggérant un racloir, un objet pointu une pointe, etc. -, mais sur une chaîne

opératoire (Leroi-Gourhan A. 1964) composée d'états successifs reliés par des stades de transformation

s'enchaînant les uns les autres et aboutissant à un résultat voulu. En cela, nous approchons l'objet à travers son

individualité et sa spécificité (Simondon G. 1958).

Son individualité, car, correspondant à un état technique, encadré par d'autres états, nous sommes

capables de définir l'objet par la place qu'il occupe dans un processus technique de transformation. En tant

qu'objet, il ne peut pas être substitué. Il trouve sa cohérence interne dans la relation qui le lie aux autres objets :

par ses états de transformation antérieurs (il est issu d'un état technique antérieur modifié) et par les objets qu'il

va transformer. En tant qu'individu technique il résulte d'un avant et produira un après.


15

Sa spécificité, car chaque objet constitue un état technique stable et n'existe que par l'objectif qui lui est

fixé : tout objet a une ou plusieurs raisons d'être. En effet, un objet technique n'a de raisons d'exister que parce

qu'il doit répondre à un objectif.

Soit l'objet tient sa spécificité de la place qu'il occupe dans le processus opératoire : spécificité

technique. Ce sont alors les conséquences techniques de l'objet qui sont recherchées et non pas l'objet lui même.

C'est le cas, par exemple, des éclats prédéterminants : éclats qui ont pour fonction de mettre un volume en

condition technique ; ce volume pouvant être une pièce bifaciale ou un nucléus. Mais rien n'empêche le tailleur

de récupérer l'un de ces éclats prédéterminants pour l'utiliser, car il sait que cet éclat possède une norme

technique pouvant répondre à telle fonction et tel fonctionnement.

Soit l'objet tient sa spécificité de l'objectif fonctionnel qui lui est dévolu. L'objet est alors recherché pour

lui-même quel que soit le processus de fabrication choisi. C'est le cas, par exemple, des éclats prédéterminés. Ce

sont des éclats débités aux dépens d'un nucléus ayant été préparé de telle façon que certains éclats possèdent "

naturellement " les critères techniques, métriques et morphologiques recherchés.

L'objet peut aussi être recherché pour ces deux raisons. Ce sont, par exemple, les éclats prédéterminants

/prédéterminés. Ce sont des enlèvements prédéterminés car ils sont obtenus à la suite de la mise en place de

caractères techniques particuliers sur la surface de débitage du nucléus, et ce sont aussi des éclats

prédéterminants car les conséquences de leur détachement sur la surface de débitage sont telles qu'elles mettent

en place des nouveaux critères techniques permettant d'obtenir un deuxième enlèvement prédéterminé.

Exemples

1. Envisageons la reproduction expérimentale d'un objet avec un bord aménagé de façon à obtenir un " typo-
8
racloir " supposé avoir été réalisé dans l'intention de servir à racler.

Nous nous rendons compte que le support aux dépens duquel l'affûtage sera fait peut être très différent,

sur un plan morphologique (quadrangulaire, triangulaire, ovalaire, etc.) aussi bien que technique - issu d'un

débitage (Levallois, Discoïde, laminaire, Trifacial, etc.) ou d'un façonnage -. La seule notion de racloir ne suffit

donc pas à définir l'individualité ni la spécificité d'un objet conçu pour racler.

8
- Nous utilisons le terme de " typo-racloir " et non celui de racloir, issu de la typologie, car la fonction de
raclage attribuée à cet objet nous semble subjective. Elle correspond à une création artificielle indépendante des
réalités d'usage.
16

2. Un outil peut être décomposé en trois parties (fig. 1) (Lepot M. 1993) :

a - une partie réceptive de l'énergie qui met en fonction l'outil ;

b - une partie préhensive qui permet à l'outil de fonctionner, elle peut dans certains cas se superposer à la

première ;

c - une partie transformative.

La décomposition de l'outil en trois parties distinctes ne signifie pas que l'outil soit réductible à l'une

d'entres elles. Au contraire, l'outil est un agencement de relations entre ces différentes parties qui produit une

nouvelle unité possédant des qualités que n'ont aucune de ces parties. Considérer indépendamment chacune de

ces parties ou en mettre une plus en avant que les autres fait perdre toute individualité à l'outil. Si un individu

décide d'utiliser un tranchant, il devra nécessairement tenir compte du support sur lequel se situe le tranchant. Un

tranchant ne peut pas être dissocié du support aux dépens duquel il a été obtenu et dont il conditionne les

caractéristiques techniques.

Deux cas sont alors possibles : le support doit ou ne doit pas présenter des caractéristiques techniques

précises. Quand les exigences techniques sont les moins contraignantes, on considère souvent que le support est

indifférencié. C'est faux! Le support est tout aussi différencié, mais c'est la fonction et le fonctionnement de

l'outil qui, pour un bon usage, ne requièrent pas les mêmes critères techniques.

En revanche, un tranchant possède une spécificité fonctionnelle, qui, en théorie, est indépendante du

support. Un tranchant de 45° sert parfaitement en coupant (Sigaut F. 1991), raclant, sciant quel que soit le type

de support : éclat, biface, etc. La spécificité fonctionnelle d'un tranchant, bien qu'elle soit liée à la spécificité du

support par le fonctionnement de l'outil, n'en est donc pas dépendante. Le fait de considérer le tranchant d'un

éclat comme l'un des éléments structurant de cet éclat renvoie à la prise en compte de cet " objet éclat ", et, par

conséquent, à son individualité et à sa spécificité.

L'analyse du support ne peut pas se faire sur une simple reconnaissance de forme, laissant croire en cela

que tous les objets ayant la même forme possèdent les mêmes caractères techniques. Deux objets de forme

identique peuvent provenir de deux schèmes opératoires différents. L'éclat de taille bifaciale et l'éclat Levallois

illustrent parfaitement cette confusion (fig. 2). Ils sont souvent confondus car l'observateur trouve qu'ils ont une

même morphologie. Ce qui, dans le détail, est totalement faux. L'analyse technique permettra sans difficulté de

différencier ces deux catégories d'objet, rattachant à chacun d'eux une gamme de différents schèmes opératoires

de production.
17

Après avoir reconnu dans chacune de ces deux catégories d'éclats des schèmes de production différents,

on a néanmoins voulu justifier l'analogie morphologique par un phénomène d'évolution technique, de tendance

évolutive, l'éclat Levallois étant la tendance évolutive de l'éclat de biface. Selon cette hypothèse les premiers

éclats Levallois découlaient des bifaces. Bien qu'erronée, cette idée tenace continue, hélas, à être largement

répandue.

En réalité, l'éclat Levallois et l'éclat de biface sont deux objets morphologiquement différents qui

résultent de structures et de schèmes différents.

L'éclat Levallois ne doit pas son existence à l'éclat de biface qui lui est antérieur et auquel il ressemble.

Ce n'est pas l'éclat de biface qui a " inspiré " l'éclat Levallois ; pas plus que l'éclat Levallois ne résulte du

perfectionnement, par stades évolutifs successifs, de l'éclat de biface. L'éclat de biface doit son existence à la

recherche de l'objet final dont il est un élément du façonnage : le biface. L'éclat Levallois existe pour lui-même,

il est le moteur de l'investissement technique, il est le produit désiré.


9
Cependant, archéologiquement et techniquement, il n'est pas exclu qu'il y ait eu réutilisation de certains

bifaces pour servir de nucléus et inversement. Mais dans ce cas, c'est une succession d'intentions techniques

différentes. L'utilisation d'un biface comme nucléus induit nécessairement que celui-ci ne soit plus considéré

comme un outil ou un support d'outil, il y a un déclassement technique. Présentant quelques caractères

techniques favorables d'initialisation, pour devenir un nucléus opérationnel le biface doit nécessairement être

complété par d'autres critères. Ces derniers ont pour conséquence de détruire, au moins en partie, les caractères

propres au fonctionnement du biface. Ces quelques réflexions sont sous-tendues par de nombreux a priori

concernant la notion de " biface " et, de façon plus large, par le problème bifacial. Nous développerons plus loin

ce problème (chapitre 4) mais nous tenons à souligner dès maintenant que les objets constituant la lignée des

9
- Archéologiquement, nous n'avons que très rarement rencontré de cas ou il y avait une réutilisation des bifaces
afin de produire des éclats dits Levallois.
Les situations les plus fréquentes sont celles d'industries ayant basé leurs systèmes de production sur deux
conceptions techniques : l'une de débitage, l'autre de façonnage. En effet, nous ne connaissons pas d'industrie
dont la production ait reposée sur la seule conception de façonnage ; une conception de débitage y est toujours
associée. Deux cas peuvent alors apparaître : soit la conception de débitage associée est Levallois " classique " et
certains bifaces ont été délibérément réutilisés comme nucléus, mais cela est anecdotique ; soit le débitage,
rapidement classé comme non Levallois, n'est pas identifié et la présence de bifaces avec un plus grand négatif
d'enlèvement devient quand même un nucléus Levallois et, a priori, la preuve d'une filiation directe biface
Levallois. Or, si on analyse le mode de production d'éclats associés on se rend compte qu'il existe bien un mode
de production d'éclats parfaitement structuré, selon d'autres critères que ceux du Levallois, et que certains bifaces
pour une production d'éclats sont réutilisés, comme simple matière première. Les hommes ont utilisé une
structure volumétrique proche de celle du Levallois, sans pour cela prendre conscience de son potentiel
technique, car ils disposaient déjà d'un mode de production opérant. Et donc sans faire de Levallois.
18

bifaces ont souvent été considérés comme dénués de toute fonctionnalité spécifique, comme des ersatz d'une "

proto-pensée " technique en cours d'élaboration et non comme un outil au potentiel technique aussi puissant que

n'importe quel support, tout simplement !

Ces exemples montrent clairement que nous ne pourrons être à même de déterminer l'individualité et la

spécificité des différents produits lithiques (déchets et outils) que par la mise en évidence des critères techniques

de leur genèse :

" L'unité de l'objet technique, son individualité, sa spécificité, sont les caractères de consistance et de

convergence de sa genèse " (Simondon G. 1958, p. 20) ;

" La genèse n'est que l'histoire reconstituée de l'invention technique, la genèse de l'idée, de son stade

abstrait à son stade concret. " (Séris J.-P. 1994, p. 23).

Maintes fois déjà l'expérimentation a permis de montrer qu'une même catégorie typologique d'objets

peut être obtenue à partir de connaissances différentes. Autrement dit, différentes genèses peuvent être à l'origine

d'un même type d'objet. L'individualité et la spécificité de chaque catégorie d'objets sont alors propres à la

genèse dont ils sont issus. Ainsi une " typo-pointe pseudo-Levallois " peut être un simple éclat prédéterminant

dans le cadre d'une conception de débitage Levallois et un éclat prédéterminé dans le cadre d'une conception de

débitage Discoïde.

L'expérimentation nous confirme ainsi qu'il est difficile, pour ne pas dire impossible, de définir les

objets techniques par leur seule appartenance à une catégorie typologique, l'individualité d'un objet pouvant

varier selon les processus de fabrication suivis, insoupçonnables une fois le produit fini.

L'expérimentation nous enseigne également que chaque objet pris individuellement n'est pas porteur de

la même valeur informative. Les connaissances mises en jeu pour leur réalisation proviennent le plus souvent de

la cohérence technique existant entre les différents objets en présence.

En conséquence, il n'est pas possible de définir les modes de genèse d'un objet uniquement à partir de

celui-ci.

Cette notion fondamentale a souvent été oubliée, car l'expérimentation, inscrite dans une évolution

méthodologique, s'est souvent cantonnée à reproduire les objets sans se soucier de leur genèse. Les objets

recherchés devaient être identiques dans leur forme à ceux de la préhistoire. Les schèmes techniques mis en

oeuvre pour leur réalisation étaient ignorés. De ce fait, pendant longtemps, ces reproductions correspondaient
19

plus à l'idée préconçue que l'on avait de l'objet qu'à l'objet lui-même, en tant qu'unité technique et réponse

spécifique à un besoin. Ainsi, l'expérimentation valide la technologie en expliquant le pourquoi et le comment

des phénomènes techniques, apport fondamental sans lequel la démarche technologique ne serait pas

opérationnelle.

* *

Les résultats que nous présenterons sont limités dans l'espace et le temps. Ils portent sur des industries

d'Europe de l'Ouest, d'Europe de l'Est et du Proche-Orient, qui couvrent une période estimée à 700 000 ans. Dans

la plupart des cas, l'homme qui les a réalisées ne nous est pas connu. Il est toutefois vraisemblable qu'il s'agisse

d'Homo erectus, Homo sapiens pré-neanderthalensis, Homo sapiens neanderthalensis, voire Homo sapiens

sapiens.

Cette limitation géographique est volontaire. Aujourd'hui, en effet, l'histoire de la discipline et les

résultats modernes nous incitent à la prudence. On le sait maintenant, les

" civilisations " dites " universelles " : Acheuléen, Clactonien, Moustérien ..., sont le résultat d'une approche

phylétique gradualiste qui ne reflète pas la réalité passée. L'avancée des recherches interroge fortement cette

conception. Or, force est de constater que les grandes considérations sur les " civilisations " de la préhistoire ne

reposent plus sur des données scientifiques. Il n'est pas dans notre propos de développer cet aspect qui relève

d'idéologies particulières inscrites dans leur temps. Nous tenons simplement à faire remarquer qu'à une vision

généraliste, à la volonté de parler de tout, est peut-être en train de se substituer une vision moins ambitieuse, plus

intimiste, basée sur une approche de l'objet dans sa globalité.

Reprenant les quatre regards proposés par Y. Deforge (1985), nous considérons tout objet comme :

1 - un produit issu d'un système de production ; nous devons répondre alors à deux questions : " comment est-ce

fait ? " et " pourquoi est-ce fait ainsi ? " ; ce dernier point permet d'envisager tout un champ de possibles autres

que purement techniques ;

2 - un produit de consommation intégré dans un système de consommation ; nous retrouvons alors plusieurs

dualités : d'une part entre les objets techniquement prédéterminés et les objets fonctionnellement prédéterminés,

qui ne sont pas toujours les mêmes ; et d'autre part entre la fonction d'usage et la fonction de signe, cette
20

dernière, souvent difficile à appréhender, peut l'être pour le Paléolithique ancien et moyen à travers des notions

telles que celle de la performance technique, souvent observée ;

3 - un produit obtenu et utilisé par l'homme pour réaliser un acte technique ; nous abordons alors la relation

homme/objet, relation d'autant plus importante en préhistoire que nous avons affaire à des hommes qui ne sont

pas, comme nous, Homo sapiens sapiens ; nous abordons là le parallélisme obstiné entre le biologique et le

technique ; nous pouvons alors dégager d'autres points :

. l'adaptation de l'outil à son utilisateur à travers sa fonctionnalité ; les interférences entre l'individuel et le

collectif : " je fabrique pour moi ou pour les autres ? " ; le " fait à ma main " doit également être considéré ; et ce

couplage est réflexif, le geste nécessaire à la réalisation d'un acte technique induira l'adaptation de l'objet à ce

geste, adaptation pouvant prendre des formes très diverses ;

. la notion d'apprentissage ;

4 - un produit dans un système d'objets ; il s'agit alors d'analyser l'objet en tant qu'individu parmi les siens

(analyse synchronique), lithiques et autres, et en tant qu'individu appartenant à une lignée évolutive (analyse

diachronique).
21

Chapitre 2

Technologie contre typologie ?

De nos jours, la technologie est en passe de se substituer à l'approche typologique. Présenter cette

évolution méthodologique comme une incompatible dualité, en positionnant les typologues contre les

technologues, et réciproquement, ne nous semble pas une bonne chose.

Les méthodes ne sont que des outils créés pour répondre à un besoin de compréhension. Leur "

existence " et leur durée reflètent leur capacité à résoudre les problèmes pour lesquels elles ont été créées. Si de

nouveaux moyens d'étude apparaissent, c'est en réponse à une nouvelle nécessité, liée à l'émergence de nouvelles

problématiques réclamant de nouveaux outils.

La typologie est un procédé de différenciation. Sa pertinence s'affirmera à travers la capacité des

caractères choisis à évoquer des différences (Bateson G. 1984 ; Perlès C. 1981, 1987).

Dans le cas des industries lithiques préhistoriques du Paléolithique inférieur et moyen, l'analyse

typologique de F. Bordes (1961) porte sur les objets considérés comme des outils. On y retrouvera des pièces

retouchées, qui correspondent effectivement à des outils, phase terminale de la chaîne des opérations techniques,

mais on y retrouvera aussi des pièces non retouchées qui ne sont pas des outils comme, par exemple, des produits

Levallois. Cette classification typologique ne repose donc pas seulement sur la dichotomie outil/non outil. D'une

certaine manière les critères retenus pour cette classification sont simplement ceux qui permettent la sélection

d'objets " informatifs ", c'est-à-dire susceptibles d'évoquer des différences. Cette classification investit l'objet

d'une spécificité subjective - fonctionnelle dans le cas des outils, technique dans le cas des pièces non retouchées

- et lui ôte toute individua-lité : " un racloir est un racloir, qu'il soit sur éclat Levallois ou éclat ordinaire "

(Bordes F. 1981, p. 21). Elle réduit la valeur de l'objet retouché à sa seule retouche, éliminant les objets non
22

retouchés mais utilisés. La typologie effectuée sur la base de cette caractéristique, regroupera le plus souvent les

objets par analogie suivant une gamme variée de critères et de caractères.

Les critères et les caractères retenus auront, alors, le sens que leur donnera l'observateur. Mais,

logiquement, si le choix des caractères retenus est déjà chargé de sens, le sens à donner aux différences nées de

la confrontation des différents types devra tenir compte du sens initial donnéxs aux critères et aux caractères de

distinction. Sinon, l'information résultant de cette confrontation serait-elle pertinente en terme de comportement ?

De plus le choix des critères et des caractères de définition de l'objet sous-tend une hiérarchisation de

l'information obtenue (Perlès C. 1987). Dans une même catégorie, chaque objet est défini par sa différence avec

un autre objet : racloir simple droit/racloir double convexe, etc. Ainsi, une liste type se veut représentative de

différences : différence de catégories - racloir, grattoir, etc. - ; différence de types à l'intérieur d'une même

catégorie - racloir simple, racloir double - ; différence d'utilisation des éclats Levallois, etc. Ces différences sont

jugées suffisamment informatives pour témoigner soit d'un mode de vie particulier, soit d'une spécialisation

fonctionnelle de l'objet ou de son lieu d'abandon - atelier de taille/habitat, sites en grotte/plein-air etc. - (Bordes F.

1953).

Or, il semblerait que les critères et les caractères choisis pour définir un type reflètent plus l'idée que le

préhistorien se fait de l'homme de la préhistoire, de ses objets et de son mode de vie, que de la valeur réelle de

l'objet technique.

L'objet pris en compte par le chercheur en tant que type (typologie classique) est déjà chargé d'une

information, donc d'un sens, qui n'est pas issue de l'objet mais de l'analogie considérée pour le déterminer. Cette

analogie n'est qu'intuition. Par exemple, un bord retouché devient synonyme d'une utilisation ; si cette retouche

est latérale, on considérera qu'elle devait servir à racler par analogie avec nos propres outils ou ceux de peuples
10
dits " primitifs " : d'après la typologie il s'agira alors d'un racloir (Bordes F. 1981, p.11). Mais, l'information : il

y a des racloirs, est-elle vraiment exacte ? S'agit-il réellement de racloirs ? Nous avons une information qui

porte sur la présence et la quantité de tel ou tel objet, mais en aucun cas il ne s'agit d'information sur un objet

technique. Et la réponse technique ne peut pas provenir d'une telle approche.

Sensée être nouvelle, l'information obtenue par la confrontation de listes types différentes ne peut que

conforter l'information contenue dans chacun des types définis : si je compare deux racloirs, l'information

10
- Nous voudrions établir une distinction entre la typologie telle qu'elle a été établie par F. Bordes et, par la
suite, l'utilisation souvent abusive qui en a été faite par les nombreux utilisateurs.
23

nouvelle ne portera que sur une ou plusieurs différences éventuelles selon les caractères retenus entre ces deux

racloirs (position de la retouche, etc.), l'information ne contient en elle-même aucune remise en cause de la

notion de racloir. Tel est, en partie, l'objet des discussions entre L. Binford et F. Bordes. Discussion sans issue,

car l'information devant résulter de la confrontation des différences était déjà incluse dans le choix des caractères

définissant chaque type d'objet (Guichard J. 1976). Le résultat ne pouvait être qu'une information supplémentaire

recouvrant, sans innover, les informations antérieures. Une liste type n'est pas représentative de la culture

technique d'un groupe : faciès culturel, mais uniquement de quelques savoirs techniques : faciès de connaissance,

puisqu'elle se limite à saisir des objets que des schémas isolés de leur fonction et de leur fonctionnement et non

du sens temporel de leur évolution en tant qu'objet technique.

Plutôt que de projeter sans précaution un sens technique sur ces vestiges de sociétés disparues que nous

interprétons alors de façon éthnocentrique avec la systématicité technique de notre temps (Séris J.-P. 1994), nous

devrions avant tout nous demander :

- Un objet isolé a-t-il un sens ?

- Le fait de l'isoler n'a-t-il pas plus de sens ?

Tout objet n'est qu'un indice, un résultat, un témoin muet, un élément abstrait et inerte (Séris J.-P. 1994).

Il n'a pas de sens en soi, il ne peut pas traduire par sa forme extérieure le type d'intentionnalité dont il a été

investi par son auteur. L'objet outil n'est que le reflet d'un savoir technique (Simondon G. 1958). " Qui t'a faite ?

pensai-je. Tu ne ressembles à rien et pourtant tu n'es pas informe... " (Valéry P. 1960).

A posteriori, nous l'avons déjà dit, ce n'est pas en privilégiant les formes abouties, ou supposées telles,

qu'il sera possible de rendre compte de l'ensemble des connaissances mises en jeu pour obtenir les objets,

déterminer leur(s) fonction(s), et leur technicité. L'objet n'objective pas dans sa globalité la technique qui l'a

produit.

Seule la considération de l'objet comme un objet technique est susceptible de donner accès à une

intelligence de la technique. Cette intelligence se définira au travers de la reconstruction du système dans lequel

des usages, des objets et des matières premières ont croisé leur détermination et par les relations de ce système

avec les autres composantes structurelles d'une société (Leroi-Gourhan A. 1964).

La technologie permet aussi d'éviter de projeter un présent technique, industriel ou ethnographique, sur

le passé, car : " ...on ne s'affranchit pas sans mal de la systématicité technique de son temps, de son présent
24

immédiat. Inversement, impossible de comprendre ce système sans y voir un système advenu, un résultat du jeu

de normes nouvelles, un remaniement ou une restructuration de systèmes antérieurs. " (Séris J.-P. 1994, p. 90).

Nous devons aussi signaler un risque possible du discours des expérimentateurs. L'expérimentateur pensant

donner une description objective des phénomènes techniques mis en jeu pour l'obtention de tel ou tel objet se

retrouve souvent à jouer le rôle du spécialiste qui évolue alors dans les certitudes dues à une conception

instrumentaliste de sa technique. Pour éviter cet écueil, l'expérimentateur doit garder une distance vis à vis des

phénomènes techniques qu'il essaye de reproduire.

La typologie un outil valide !

En tant qu'outil de différenciation la typologie reste un outil nécessaire. Et nous verrons que la

technologie utilise la notion de type.

Quand on parle de nucléus Levallois, il s'agit d'un type ; mais dans ce cas, le type a valeur d'état
11
technique, résultat de méthodes dites d'initialisation , ayant pour fonction de construire une structure capable

d'être gérée selon d'autres méthodes, dites de production. Le type ainsi créé porte sur lui les traces d'actions

techniques qui donnent à la matière une forme nouvelle, pour en faire un objet adapté à un usage donné.

L'ensemble de ces traits est résumé par Kant : " cause efficiente [qui] a été accompagnée de la pensée d'un but

auquel l'objet doit sa forme " (Kant, in Séris J.-P., p. 24).

Ainsi, la confusion entre la typologie et la technologie provient de la dualité que l'on instaure entre une

méthode de caractérisation en vue de créer des types sans individualité mais avec une très forte spécificité - la

11
- Le terme d'initialisation a été défini lors de la rencontre de Champlitte consacrée à la terminologie appliquée
au débitage Levallois (fig. 3). Le terme d'initialisation est utilisé dans le cadre d'une analyse systémique. Un
nucléus, Levallois ou autre, doit, pour être opérationnel, c'est-à-dire répondre à ce pour quoi il est fait, se
présenter comme un volume structuré, présentant une configuration technique particulière. Cette structure est
due à la mise en jeu de critères techniques liés entre eux et créant ainsi des règles de fonctionnement.
Ce terme d'initialisation se substitue à celui de mise en forme qui ne peut plus convenir car imprécis et erroné.
Imprécis, car à tout moment on met quelque chose en forme : l'action est une mise en forme. Erroné, car si toute
structure a une forme, une même forme peut être le résultat de plusieurs structures et une même structure peut se
présenter sous différentes formes.
La détermination des critères d'initialisation permet ainsi de définir le nucléus comme un objet technique
correspondant à un état, à un stade technique. L'initialisation du nucléus pouvant alors se faire selon des
méthodes différentes. Ces méthodes sont dissociées dans le temps de celles qui seront utilisées pour exploiter le
nucléus configuré c'est-à-dire amené à une configuration particulière.
Selon les besoins, nous parlerons donc de méthodes d'initialisation, des méthodes différentes conduisant au
même état de configuration du nucléus et de méthodes de production pour l'exploitation du nucléus configuré.
25

typologie actuelle - et une méthode d'étude qui définit des types successifs reliés entre eux par une multitude de

causalités réciproques - la technologie -.

Typologie dans la technologie

La technologie permet de montrer qu'un simple objet, lithique entre autres, est une matière inorganique

mais une matière organisée (Leroi-Gourhan A. 1964, Stiegler B. 1994). L'analyse technologique interroge l'outil

comme le témoin d'une mémoire épiphylogénétique d'une interaction entre l'homme et son milieu (Stiegler B.

1994). Dans le cadre d'une étude lithique, la technologie peut être considérée comme une procédure

d'investigation ponctuée par l'alternance entre des états opératoires et des processus opératoires reliant chacun

des états techniques. Chaque état technique équivaut à définir un type avec sa propre individualité et sa propre

spécificité. A partir de l'objet, nous déterminons l'étude des processus, à savoir l'ensemble des opérations

techniques nécessaires pour passer d'une forme ou d'un état à un autre. Ces processus peuvent à leur tour être

classés comme des types. Le degré d'analyse suivant consistera à passer de la classification en types de processus

à l'étude des interactions entre les processus classés. D'une certaine manière, la technologie est une façon

d'alterner une approche typologique qui crée des formes traduisant des états techniques d'un côté et une étude

des processus conduisant à ces formes et à ces états d'un autre côté. La technologie telle qu'elle est actuellement

utilisée ne peut donc plus être opposée à la " typologie " puisque cette dernière est un élément structurant de

l'approche technologique.

Mais en aucun cas ces types techniques ne doivent devenir des stéréotypes, reflets de paradigmes ou

d'un quelconque développement technique, voire d'une périodisation de l'évolution technique. La technologie

doit trouver en premier lieu une expression synchronique. C'est dans un second temps, une fois l'ensemble des

processus décrits, que la technologie peut s'exprimer sur un plan diachronique. Si l'on ne respecte pas cet ordre,

on assimilera la genèse des premiers bifaces d'Afrique, il y a 1,8 million d'années, avec celle des premiers

bifaces d'Europe, il y a quelques centaines de milliers d'années. Or, sous leur(s) apparente(s) ressemblance(s),

s'agit-il des mêmes objets techniques ? Sont-ils issus de la même structure technique ? (Boëda E. 1990).
26

Chapitre 3

Comment appréhender la genèse de l'outil ?

Tout objet est porteur d'un schème de fonctionnement. Sa fonction essentielle est de transformer des

matériaux. Ce schème est l'essence même de l'objet, il est la raison de son existence. Mais il ne préjuge en rien

du type d'objet choisi et du mode de réalisation de celui-ci. C'est l'invention de structures qui vont donner à

l'objet sa matérialisation (Deforge Y. 1994). Cette matérialisation est d'une origine culturelle ou corporelle. Elle

est dépendante des raisons, des causes et des conditions techniques, sociales et " économiques " émanant d'un

groupe.

La compréhension d'un objet passe par la reconnaissance de sa genèse. Cette genèse peut être analysée

sur un plan synchronique et diachronique.

Sur le plan synchronique, l'objet est considéré comme individu parmi un ensemble d'objets ; il occupe

une place temporelle dans le déroulement des opérations techniques. Mais c'est un individu qui a une spécificité.

Sur le plan diachronique, l'objet est en relation avec des objets qui lui sont antérieurs. La compréhension

d'un objet, ou du système d'objets auquel il appartient, passe par une appropriation de la dimension évolutive de

l'objet et du système auquel il appartient.

Pour cela, il nous faut décoder l'objet mais aussi comprendre le pourquoi de telle forme, de tel

changement, de telle évolution. Pour y arriver, nous devons replacer l'objet dans son temps et les objets dans un

courant évolutif.

Pour ce faire, nous avons développé différents concepts que nous exposerons brièvement, dans un

premier temps, pour les reprendre ensuite plus longuement en contexte.


27

Notion de structure

Par structure, nous entendons une forme intégrant et hiérarchisant un ensemble de propriétés techniques

qui aboutissent à une composition volumétrique définie. C'est une forme caractérisée par l'ensemble des relations

hiérarchiques et fonctionnelles des propriétés techniques. Cette forme consiste souvent en un volume particulier

que nous dénommons nucléus configuré lorsqu'il s'agit d'opérations de débitage, et pièce bifaciale lorsqu'il s'agit

d'opérations de façonnage.

Le nucléus configuré correspond à un état technique optimal, il fait suite à un stade d'initialisation et

précède le stade d'exploitation ou de production.

Le premier stade, dit d'initialisation, consiste en la mise en place des différentes propriétés techniques

qui s'intègreront pour créer une structure opérationnelle. Cette structure est un agencement de relations entre

différents caractères techniques qui produit une nouvelle unité : le nucléus, possédant des qualités spécifiques en

vue d'une fonction productrice.

Le second stade, dit de production, correspond à la production des principaux objectifs techniques : ce

pourquoi le nucléus est investi, ce qui justifie son existence et sa présence.

La pièce bifaciale est une structure technique optimale obtenue par étapes successives. Selon le type de

support utilisé, l'initialisation se composera de plusieurs stades techniques successifs.

Structure par juxtaposition d'éléments ou structure abstraite et structure par intégration d'éléments ou

structure concrète

En analysant les structures sur le long terme, nous sommes conduits à distinguer une évolution : la

genèse de l'objet se fait dans le sens de sa concrétisation. Il s'agit de la transformation progressive d'une structure

dite abstraite en une structure dite concrète (Simondon G. 1958).

Une structure abstraite est une structure constituée d'éléments juxtaposés. Elle représente une solution

composite.

Une structure concrète est une structure constituée d'éléments intégrés les uns dans les autres dans une

synergie de forme, de fonction et de fonctionnement.

Cette notion de concrétisation est en partie subjective, car elle est soumise à des règles circonstancielles

liées à la culture de l'observateur. La préhistoire, grâce au temps qu'elle recouvre, nous permettra peut-être
28

d'observer des lois d'évolution quasi " naturelles ", dissociant les macro-évolutions, des micro-évolutions

(Deforge Y. 1985). En d'autres termes, elle pourrait nous permettre de dissocier les tendances fortes propres à la

structure de l'objet, des tendances conjoncturelles liées au milieu extérieur.

Tous ces points seront plus amplement repris tout au long de notre exposé.

Méthodes

Par méthodes, nous entendons les connaissances apprises, appliquées et transmises par un groupe et

considérées par ce dernier comme étant la (ou les) seule(s) possible(s) pour parvenir aux objectifs recherchés. Il

s'agit donc de la relation entre une représentation abstraite de l'objectif et sa concrétisation. Ces connaissances

constituent l'héritage technique culturel du groupe, elles témoignent d'acquis successifs transmis de génération en

génération. Chaque méthode utilisée opère selon des règles, constitutives de chaque structure. En effet, toute

méthode, quelle qu'elle soit, n'a d'existence réelle que si elle est conçue pour parvenir à des objectifs précis en

respectant des règles précises.

Il existe souvent une confusion entre la définition de la structure et celle des méthodes issues de cette

structure. Le cas du Levallois illustre très clairement cette difficulté de percevoir la réalité technique d'un mode

de débitage à travers ces différents " paliers " cognitifs.

Le débitage Levallois a successivement été nommé " technique Levallois " (Bordes 1947), " méthode(s)

Levallois " (Collectif 1972 ; Tixier J. 1967) puis " concept Levallois " (Boëda E. 1986). Loin de rendre compte

d'une incompréhension, cette multiplicité de termes, montre, au contraire, un parallélisme très net entre la

compréhension par étape d'une réalité technique et les méthodes d'analyses susceptibles d'en rendre compte.

Lorsque nous introduisons le terme de concept, nous établissons avant tout un degré d'analyse

supplémentaire capable de rendre compte de l'existence de méthodes, de leur stabilité et de leur variabilité. En

effet, pour qu'il y ait variabilité, il faut nécessairement un élément structurant stable, aux propriétés invariables,

mais concepteur de façons de faire différentes. Pour l'homme de la préhistoire, les règles respectées ne
29

12
s'appelaient pas Levallois, et pour cause , mais il savait que la réalisation de ses objectifs devait suivre des

étapes opératoires successives et hiérarchisées, connues comme étant opérationnelles. Ce principe étant posé,

cela n'empêche pas l'existence, dans le temps et dans l'espace, d'autres méthodes permettant de parvenir aux

mêmes objectifs : autres méthodes connues ou non de l'artisan et appliquées ou non par lui. Quoi qu'il en soit,

l'application de méthodes ne peut faire suite qu'à une construction abstraite du nucléus défini par un ensemble de

propriétés techniques.

La diversité spatio-temporelle des méthodes Levallois témoigne d'autant de connaissances et de savoir-

faire différents, rendus possibles par l'existence d'une structure volumétrique définie et caractérisée : le nucléus

Levallois. Le concept Levallois est donc une entité technique aux caractères fixes, bien déterminés, permettant le

développement de nombreuses méthodes d'application en vue d'objectifs identiques ou différents.

A chaque structure technique pourra donc correspondre différentes méthodes. La quantité de méthodes

inhérente à chaque structure est directement dépendante de ce que nous appelons leur degré de liberté. En effet,

il apparaît maintenant assez clairement que, selon le type de structure, nous observerons un plus ou moins grand

degré de variabilité.

Technique

Le terme de technique est le plus difficile à définir car il est polysémique. Nous n'échappons pas à cette

cacophonie, puisque nous donnons nous même deux sens à ce terme.

L'un, d'ordre général, reprend la définition du dictionnaire Petit Robert (p.1754) : " En-semble de

procédés employés pour produire une oeuvre ou obtenir un résultat déterminé ". Nous parlerons alors des

techniques mises en jeu par un groupe pour parvenir à un objectif. Dans ce cas, le terme de technique ne désigne

pas une chose précise dans le processus opératoire.

L'autre est un sens plus restreint qui porte sur l'acte de transformation d'un objet non organique. Il

correspond alors à l'action et au moyen nécessaire au détachement de tout enlèvement sur un nucléus, une pièce

bifaciale ou un outil (fig. 4). L'action peut être une percussion ou une pression : percussion interne ou

tangentielle, directe ou indirecte ; le moyen étant l'utilisation d'un percuteur : minéral, végétal ou animal.

12
- L'appellation Levallois provient, comme chacun sait, du site éponyme de Levallois-Perret dans la région
parisienne où cette conception de taille fut reconnue pour la première fois. Il n'est cependant pas exclu que les
différents produits de l'industrie lithique aient fait l'objet d'appellations spécifiques.
30

Les objets techniques

Enlèvement prédéterminé

Un enlèvement prédéterminé est un enlèvement recherché pour lui même. Sa matérialisation est la cause

et la conséquence du déroulement du processus opératoire dont il résulte. La morphologie et les caractères

techniques qui le définissent sont dépendants des structures et des méthodes mises en jeu. Ces objets justifient à

eux seuls une opération de taille. En conséquence, tout enlèvement résultant d'un schème fonctionnel est

prédéterminé. Un éclat Clactonien, comme un éclat Levallois, est un enlèvement prédéterminé ; seules les

connaissances mises en jeu sont différentes.

Enlèvement prédéterminant

Un enlèvement prédéterminant est un enlèvement dont la justification de l'existence matérielle tient à ce

que seules les conséquences techniques laissées sur le support débité ou façonné sont recherchées. Ces objets

servent à configurer les nucléus ou les préformes successives des pièces bifaciales.

Enlèvement prédéterminé/prédéterminant ou enlèvement récurrent

Une succession d'enlèvements prédéterminés est appelée une série récurrente d'enlèvements. Le terme

de récurrence désigne une relation de cause telle que la séquence une fois finie revient à son point de départ.

Tout enlèvement provenant d'une même série récurrente est fonction des enlèvements précédents. En d'autres

termes, dans une série récurrente chaque enlèvement est à la fois prédéterminé et prédéterminant. Prédéterminés

puisque qu'ils utilisent les critères de prédétermination mis en place sur le nucléus et prédéterminants car ils en

créent de nouveaux lors de leur détachement, qui seront mis à profit par les enlèvements à venir.

Objet transformé

Dans la mesure où nous reconnaissons l'outil de façon arbitraire comme un objet à fonction d'usage,

nous le décomposons en différentes unités techniques synergiques ou non.


31

Chaque objet d'usage se décompose comme nous l'avons vu précédemment en 3 parties : une préhensive,

une transmettrice et une transformative. Chacune de ces partie est constituée d'une ou de plusieurs Unité(s)

Techno-Fonctionnelle(s) (UTF). Une Unité Techno-Fonctionnelle se définit comme un ensemble d'éléments

et/ou caractères techniques qui coexistent dans une synergie d'effets. Une partie distale ou proximale, un bord, un

talon, etc. sont quelques uns des éléments pris en compte. Un angle, un plan de section, une surface, un fil, etc.

constituent autant de caractères techniques participants à la définition d'une UTF.

Confection et affûtage

Nous utilisons les termes de confection et d'affûtage au lieu de celui de retouche qui nous paraît trop

imprécis et sémantiquement impropre.

Le terme de confection adopté lors de la table-ronde de Champlitte (1990), dénomme l'étape

correspondant à la transformation d'un support technique en vue de sa fonctionnalisation, sans tenir compte du

type d'aménagement réalisé, ni de la partie fonctionnalisée - partie transformative, réceptive, préhensive -.

Le stade de confection correspond à un moment de la chaîne opératoire souvent oublié, celui des

derniers gestes techniques. Actuellement, c'est un sujet délicat. Nous y avons déjà fait référence à plusieurs

reprises dans ce travail mais en l'absence d'une terminologie technique des outils du Paléolithique inférieur et

moyen, nous ne possédons aucune méthode d'analyse qui soit adaptée. A l'avenir, nos travaux devront donc

s'attacher à créer des outils d'analyse, dont une terminologie clairement définie, qui nous permettent de rendre
13
compte des spécificités de cette phase d'aménagement des outils .

Le terme d'affûtage, en revanche, est réservé à la partie transformative. Il désigne très spécifiquement

l'aménagement et l'entretien d'une ou de plusieurs parties d'un support en partie(s) active(s). Mais il est souvent

difficile d'arriver à déterminer le (ou les) contact(s) transformatif(s) d'une pièce.

13
- Cette approche techno-fonctionnelle fait l'objet de petits groupes de travail dont nous avons déjà mentionné
quelques résultats (Beyries S. 1993 ; Bourguignon L. 1995 ; Lepot M. 1993). Nous ne ferons ici que reprendre
des points de ce travail en y ajoutant quelques détails.
32

Le contact transformatif, quant à lui, se fait par l'intermédiaire d'un front actif créé par l'intersection de

deux surfaces. L'aménagement d'un contact transformatif peut se faire suivant des schèmes complexes. Prenons

le cas des pièces bifaciales. L'observation de certaines de ces pièces révèle la nécessité de décrire trois étapes

techniques successives pour obtenir le contact transformatif recherché. Ces étapes doivent être prises en compte

dans l'ensemble des événements techniques ; elles participent à leur complexité. La première étape consiste à

mettre en place un volume symétrique ou asymétrique ; la deuxième à rendre certains bords aptes à recevoir

l'affûtage voulu ; la troisième crée le (ou les) bord(s) actif(s), ainsi que le (ou les) partie(s) préhensive(s). Cette

complexification de la description des étapes du processus opératoire nous conduit à observer une variabilité de

comportements. Or, pour mettre en évidence cette variabilité, il nous faut disposer d'une grille de lecture capable

de rendre compte de cette complexité. Dans ce domaine, nous devons admettre que tout est à créer.

* *

Il faut aussi que le technologue soit convaincu qu'un outil n'est pas seulement une forme, mais " la

cristallisation matérielle d'un schème opératoire et d'une pensée qui a résolu un problème... Donc pour qu'un

objet technique soit reçu comme technique et non pas seulement comme utile, pour qu'il soit jugé comme

résultant d'invention, porteur d'information, et non comme ustensile, il faut que le sujet qui le reçoit possède en

lui des formes techniques " (Simondon G. 1958, p.247-248). La fabrication des outils, quelle que soit l'époque,

ne s'est pas faite selon le hasard de l'utilité immédiate. Le monde de la préhistoire n'est pas une suite d'inventions

au jour le jour. S'il existe des schèmes productionnels, il existe nécessairement des schèmes fonctionnels. Ces

deux schèmes sont indissociables. Il est donc impossible de conclure qu'il n'existe aucun lien entre le schéma de

production et les différents types d'outils créés !

Sorti de la couche de sédiment qui le retenait depuis des milliers voire des millions d'années, ce qui fut

un outil n'est plus qu'un objet, une forme extrinsèque, sans relation avec le sujet qui l'observe. Pour comprendre

quel outil fut cet objet, l'observateur doit disposer d'une connaissance intrinsèque de l'objet en question. Or cette

connaissance ne pourra pas s'acquérir dans ce continuel paradoxe où l'on s'efforce de comprendre la technicité

des hommes de la préhistoire tout en la leur refusant.


33

Chapitre 4

Premier niveau de variabilité :


Débitage et façonnage, " deux grandes familles
structurelles "

Débitage et façonnage correspondent à une conception particulière du traitement de la matière pour

aboutir à des outils ou à des supports d'outils (fig. 5).

Trop souvent nous assistons à une confusion ou à un amalgame entre ces deux notions. Ainsi, il est

fréquent de parler du façonnage d'un nucléus ; par réflexivité, nous devrions alors parler du débitage d'un biface,

comme s'il existait des propriétés communes au débitage et au façonnage. Il s'agit là d'une confusion entre l'idée

de construire un objet opérationnel dans le champ fonctionnel - le biface - et l'idée de construire un objet

opérationnel dans le champ productionnel - le nucléus -.

Lorsque les objets techniques recherchés sont dépendants d'une construction volumétrique particulière -

le nucléus -, ceux-ci sont encadrés par des opérations techniques de nature différente. Il y a un avant technique

distinct d'un après : la mise en place de la structure d'une part ; son exploitation d'autre part. Cette mise en place

de la structure ne peut pas être obtenue par façonnage, car l'utilisation de ce terme sous-entend que le nucléus

correspond à l'objet désiré : à l'outil.

Or, le nucléus est la matrice aux dépens de laquelle l'outil désiré va être obtenu. Par réflexivité, si une

pièce bifaciale pouvait faire l'objet d'un débitage, cela impliquerait la production d'outils à ses dépens ; la pièce

bifaciale équivaudrait alors à un nucléus. Sauf rare exception, ce n'est pas le cas : la pièce bifaciale est l'outil !
34

La confusion des termes témoigne d'une mauvaise compréhension du phénomène technique. Cette

distinction n'est pas un outil méthodologique, elle met en valeur deux entités techniques distinctes : un nucléus

est une matrice, qui génère des produits ; une pièce bifaciale est un aboutissement, une pièce fonctionnelle.

Variabilité

A partir des gisements archéologiques on observe plusieurs situations :

- une conception unique de débitage, proposant la production d'éclats outils ou supports d'outils ;

- une conception double et interactive de débitage et de façonnage, proposant la production d'éclats qui serviront

de support pour effectuer des opérations de façonnage ;

- deux conceptions indépendantes de débitage et de façonnage ;

- deux conceptions de débitage indépendantes ;

- deux conceptions de débitage et une de façonnage indépendantes.

Aucune de ces situations n'est spécifique d'une époque ou d'un faciès culturel.

Prenons le cas de l'Acheuléen du Nord-Ouest de l'Europe tel qu'il est actuellement défini. En général, il

est présenté de façon assez floue comme un ensemble d'industries dont l'outillage se structure préférentiellement

autour du biface (pièce bifaciale symétrique selon l'axe sagittal). Cette description induit que le façonnage est la

seule conception de taille utilisée. Considéré comme " fossile directeur ", le biface occulte les autres outils

pouvant être obtenus aux dépens d'éclats issus d'opérations de débitage.

De récents travaux sur l'Acheuléen du Nord-Ouest de la France montrent clairement les difficultés

rencontrées lors de l'identification de nouveaux processus techniques (Lamotte A. 1994) et, par voie de

conséquence, la minimisation de ces phénomènes techniques. Nous avons rencontré la même difficulté dans le

niveau acheuléen du site de Barbas (Dordogne), où il nous a fallu de longs mois pour reconnaître un mode de

débitage original associé à un mode de façonnage. Actuellement, avant d'affirmer l'exclusivité d'une conception

de taille dans un gisement, il est nécessaire qu'une analyse technologique prenne en compte l'ensemble du
35

matériel, et donne une perception réelle du ou des systèmes techniques de production en présence. La réalité

technique montre qu'à un système technique de façonnage est toujours associé un système technique de débitage.

Le problème réside dans l'identification de ce système de débitage. Cloîtré dans une dichotomie Levallois/non-

Levallois, les recherches dites techniques sont plus de l'ordre de l'application d'une recette. Si le mode de

débitage associé ne correspond pas clairement à telle ou telle définition, il sera considéré comme non-Levallois,

ce qui ne fait avancer en rien la compréhension du phénomène.

Cette situation a occulté un problème extrêmement intéressant et qui porte sur les raisons de la

complémentarité des systèmes techniques régis respectivement par des conceptions de débitage et de façonnage.

Faisons une première distinction quantitative. A peu près partout sur le continent européen, nous observons des

industries utilisant des outils sur pièces bifaciales et des outils sur éclats (provenant d'un système technique

distinct qui leur est propre). Cela se traduit par :

- des industries à fort pourcentage de pièces bifaciales et à faible pourcentage d'éclats provenant d'un système de

débitage, exemple : l'Acheuléen de Gouzeaucourt (Lamotte A. 1994), l'Acheuléen de Barbas (Boëda E. 1995c) et

le Micoquien de Korolevo (couche IIa) (Koulakovskaya L. 1989) ;

- des industries à fort pourcentage d'outils sur éclats et à faible pourcentage de pièces bifaciales, exemple : les

industries micoquiennes de Külna (Valoch K. 1981 ; Boëda E. 1995d), le Moustérien de l'abri du Musée

(Bourguignon L. 1992), le Moustérien ancien de Champvoisy (observation personnelle) ou encore ce qu'on

appelle le Moustérien de Tradition Acheuléenne - MTA - (Bordes F., Bourgon M. 1951) et l'Epi-Acheuléen

(Tuffreau A. 1981).

Les outils faits aux dépens de chacun de ces deux types de support ne sont pas redondants. Ils ont un

rôle d'usage et/ou de signe spécifique, voire une complémentarité fonctionnelle. A priori, aucune situation

technique, archéologique, n'est identique. Ce n'est pas parce que nous avons effectué un regroupement suivant la

proportion des différents types de supports, que cela donne un sens identique aux objets d'un même groupe.

Comparons, par exemple, certaines pièces bifaciales provenant de sites du MTA et de l'Acheuléen moyen, voire

du Micoquien. Dans le cas du MTA l'idée première serait de dire que le biface est un outil dont les éléments qui

le structurent sont intégrés, fondus dans une synergie de forme et de fonction. Certains bifaces MTA

correspondent à notre avis à ce que G. Simondon appelle un objet technique concret hypertélique. Pour

Simondon, un objet technique concret est un objet dont les éléments qui le constitue sont en synergie, c'est-à-dire

liés par des phénomènes de causalités réciproques. Dans le cas de ce type de pièce bifaciale, nous aurions affaire
36

à une évolution spécifique de type hypertélique " qui donne à chaque objet technique une spécialisation exagérée

et le désadapte par rapport à un changement même léger, survenant dans les conditions d'utilisation ou de

fabrication. " (Simondon G. 1958, p.50). Les affûtages successifs observés sur certains de ces bifaces attestent

bien d'une limite technique à ne pas dépasser, comme si l'objet ne pouvait plus être opérationnel au delà d'une

certaine forme, alors qu'il serait tout à fait possible techniquement de continuer de produire des bords actifs.

Ce n'est pas le cas de toutes les pièces bifaciales. En effet, dans certains faciès du Micoquien et de

l'Acheuléen, la pièce bifaciale doit être analysée comme une matrice capable de recevoir des outils diversifiés. Il

est en effet possible d'aménager plusieurs outils sur sa périphérie et de pratiquer un grand nombre d'affûtages,

même au détriment de la forme de la pièce. Seule la structure importe, les formes successives sont en relation

avec les types d'outils mis en place, mais indépendantes les unes des autres.

Pour cela deux types de structures peuvent être aménagées, l'une est dite abstraite ou par juxtaposition

d'éléments, l'autre concrète ou par intégrations des éléments.

Les structures concrètes non hypertéliques, telles celles rencontrées durant la deuxième moitié du

Pléistocène moyen, durant l'Acheuléen moyen et final, sont des structures dont l'ensemble des éléments

constituants sont en synergie technique. Tous les éléments sont essentiels et intégrés au fonctionnement

d'ensemble. Mais elles ne sont pas de caractère hypertélique car les réaffûtages successifs ne modifient pas le

caractère fonctionnel de la pièce.

Les structures abstraites plus anciennes, de la première moitié du Pléistocène moyen, durant l'Acheuléen

" archaïque " et inférieur, sont des structures composées d'éléments indépendants, juxtaposés les uns aux autres.

Le fonctionnement de l'ensemble n'est en rien assujetti à leur mise en relation. La pièce bifaciale sert alors de

support, le tranchant étant aménagé sur la partie d'un bord présentant des caractéristiques particulières (asymétrie

des plans de coupe). Mais par ailleurs, qu'importe le plan de coupe et le plan de section ? Qu'importe si les

réaffutages successifs modifient la morphologie de la pièce ? L'essentiel est de conserver l'aptitude de certaines

parties du support à être fonctionnalisées et ces caractéristiques techniques sont conçues de façon à supporter la

variabilité du support. Ici donc, pas de synergie fonctionnelle entre la forme globale de l'objet et la fonction ni

entre les différentes parties transformatives (Boëda E. 1994b, 1995c).

Ainsi, dans le cadre d'une analyse technique diachronique des pièces bifaciales sur une période de plus

de 700 000 ans, nous observons une évolution orientée des structures bifaciales " par juxtaposition " (abstraites)

vers des structures bifaciales " par intégration " (concrètes) que nous qualifions de macro-évolution ou de
37

tendance lourde (Deforge Y. 1985). Les formes dites " abbeviliennes " représenteraient les formes abstraites. La

plupart des industries acheuléennes moyennes et finales, micoquiennes et du MTA, stades finaux de cette

évolution, représentant une majorité de formes concrètes. A cette évolution s'ajouteront des phénomènes

d'hypertélie.

L'Acheuléen européen témoigne d'une évolution, très caractéristique, de la forme abstraite vers la forme

concrète. Mais, si nous analysons ce phénomène d'une façon synchronique, " conjoncturelle ", dans un espace

temps plus court, nous ne pouvons pas percevoir cette évolution de façon aussi dogmatique. La variabilité des

industries en présence trouble la lisibilité du phénomène. Cette variabilité pouvant s'expliquer par des accidents

de parcours tout aussi bien observés dans n'importe quelle société - abandon d'une conception technique, fusion,

etc. - ; mais aussi, par le fait que les solutions techniques sont dépendantes de la société dans laquelle elles ont

été produites et que de très nombreuses solutions peuvent alors être observées. C'est ainsi que nous pouvons

trouver des industries contemporaines ayant chacune des options techniques bifaciales différentes. Le Micoquien,

par exemple, présente une diversité d'expression étonnante que le simple mot de Micoquien réduit à l'extrême.

Qu'y a t-il de similaire entre les industries de Bockstein et de Külna, toutes deux appelées micoquiennes ?

Dans certaines collections " acheuléennes ou micoquienne " nous pouvons aussi observer des pièces

bifaciales concrètes associées à certaines pièces abstraites ou concrètes hypertéliques. Ces associations sont

rendues possibles par le simple principe de " qui peut le plus peu le moins ". Elles sont plus fréquemment

présentes dans les industries avec un fort pourcentage de pièces bifaciales. Tel est le cas dans l'Acheuléen

moyen : collection du Nord de la France, ou dans certains faciès de l'Acheuléen supérieur : Barbas, Gouzaucourt.

Ainsi donc, un même type de pièce n'a pas nécessairement le même sens.

En fait, l'Acheuléen, le Micoquien ou le MTA, tels qu'ils sont définis ne correspondent qu'à une réalité

typologique masquant des réalités techniques très différentes. De multiples faciès ont existé en même temps en

différents lieux. Chronologie et typologie ne peuvent suffire à distinguer ces faciès, encore moins à les définir.

De tels objets techniques doivent être définis par leur genèse et non comme un pur ustensile. Chacun de ces

bifaces, vrais ou faux, appartient à un système spécifique et cohérent en lui-même.

Cette façon d'appréhender la réalité nous permet à la fois de disposer d'un gradient supplémentaire pour

l'analyse de la variabilité, mais aussi de rechercher les raisons d'une convergence typologique.
38

Chapitre 5

Deuxième niveau de Variabilité : les structures de débitage

Les structures techniques paléolithiques sont d'une extrême stabilité. Dans une même industrie lithique,

nous observons très rarement de conduite anarchique qui équivaudrait à une déviance structurelle. Les variantes

que nous repèrons sont essentiellement dues à des capacités opératoires individuelles différentes ou à des

problèmes de matière première pendant l'opération de débitage. La stabilité confirme son imprégnation

subconsciente, d'où l'expression de subconscient technique. Cette stabilité permettant une activité technique est

aussi un garant de la cohérence du groupe, dans la mesure où elle est représentative d'un des aspects du

patrimoine technique de ce groupe.

Discussion des critères de classification

Actuellement, pour les époques et les régions qui nous intéressent, sept structures ont pu être observées,

qui régissent autant de modes de débitage : Levallois, Discoïde, Clactonien, Quina, Trifacial, type Hummal,

type Rocourt (Boëda E. 1986, 1988a 1988b, 1988d, 1989, 1991, 1993 ; Boëda E., Vincent A. 1990). Cette liste

ne peut cependant pas être considérée comme exhaustive, mais correspond à un état ponctuel des recherches.

Tous ces débitages sont structurés suivant des constructions volumétriques particulières capables de

répondre à des objectifs prédéterminés. Nous utilisons ici le terme de prédéterminé dans son sens le plus simple,
14
à savoir : la recherche d'un ou de plusieurs enlèvement(s) aux caractères morphologiques, métriques et

14
- Le terme d'enlèvement se veut neutre sans préjuger d'un quelconque déterminisme fonctionnel. Nous le
considérons comme un produit technique.
39

techniques particuliers, connus par avance et contenus dans les préparations spécifiques à chacun de ces schèmes

opératoires.

Il est possible de regrouper ces structures selon différentes caractéristiques, mais ces groupes n'ont de

valeur qu'en fonction des critères retenus (fig. 6).

Ainsi, si nous considérons le nombre de surfaces opérationnelles nous opposerions les modes Levallois,
15
Clactonien et Discoïde qui comptent deux surfaces, au mode Triface qui compte trois surfaces. Mais, si nous

prenons en compte le mode d'exploitation de ces volumes comme critère discriminant, nous opposerons alors le

mode Levallois aux modes Discoïde, Triface, Clactonien et aussi aux types d'Hummal et de Rocourt.

En effet, le débitage Levallois correspond à un mode d'exploitation particulier du volume. Dans ce cas,

la production d'éclats prédéterminés est limitée, elle se fait aux dépens d'une seule surface préparée, et ce n'est

qu'à la suite de la préparation d'une seconde surface qu'il sera à nouveau possible d'obtenir une autre série de 3 à

4 enlèvements. Les enlèvements appartenant à une même série sont dits récurrents, car les critères techniques de

préparation de la surface de débitage sont mis en place de manière à permettre l'obtention de plusieurs

enlèvements les uns à la suite des autres, sans repréparation. Ainsi, dans une série récurrente, tout enlèvement est

fonction des enlèvements qui le précèdent. Ces enlèvements sont donc prédéterminés puisqu'ils utilisent les

critères de prédétermination créés par les enlèvements précédents ; ils sont également prédéterminants puisqu'ils

créent de nouveaux critères de prédétermination lors de leur détachement. Une série récurrente Levallois se

compose en moyenne de quatre enlèvements, couvrant la surface de débitage. Le volume utilisé par ces

enlèvements est assimilable à la surface de débitage. Si on désire continuer à exploiter le volume restant du

nucléus, il est nécessaire de reconfigurer le nucléus afin qu'il soit capable de produire une seconde série

d'enlèvements récurrents. C'est pourquoi, dans le cas du débitage Levallois on parle d'exploitation de surface et

non pas d'exploitation du volume, car le volume utile est limité à la surface préparée et correspond au volume

des éclats prédéterminés d'une même série.

La notion d'homothétie comme critère de différenciation


15
- Nous pourrions également mentionner le débitage Quina. Toutefois, ce débitage fait actuellement l'objet
d'une étude approfondie par L. Bourguignon aussi lui laisserons-nous le soin de développer ce point plus
longuement dans sa thèse.
40

Les débitages homothétiques

Bien souvent, quand nous examinons les nucléus d'une collection archéologique, nous les trouvons

groupés sous des vocables différents : certains d'appellation moderne comme Levallois récurrent centripète ou

encore Discoïde, d'autres d'appellations plus classiques, comme nucléus Acheuléen, proto-Levallois, pyramidal,

orthogonal, globuleux voire informe. Or ces termes ne répondent pas aux mêmes critères de définition :

- Levallois récurrent centripète renvoie à une analyse technologique ;

- Acheuléen correspond à une détermination culturelle ;

- globuleux ou informe se réfèrent de façon évasive à la morphologie d'ensemble de la pièce, sans critères

d'analyse particuliers.

Dans le cadre des définitions typologiques classiques, il n'existe donc pas forcément d'adéquation entre

le nom donné au nucléus et son mode de débitage précis.

Cette dichotomie entre le nom donné au nucléus et celui donné au mode de débitage peut être poussée à

l'extrême en présence, dans une même série d'objets, d'éclats sensés provenir d'un mode de débitage particulier,

le Levallois par exemple, et de nucléus sensés provenir d'une autre conception de débitage, Discoïde par exemple.

En effet, il est fréquent de lire, qu'un site se caractérise par un fort pourcentage de produits Levallois

accompagnés de nucléus non Levallois ou de nombreux bifaces, sans que cela entraîne la moindre remarque.

Cet amalgame, à notre avis, tient à plusieurs raisons.

L'une porte sur la nature et l'étendue des connaissances. Ainsi, aujourd'hui, à la lumière d'une analyse

technologique telle que celle effectuée sur le matériel de High Lodge (Ashton et al. 1992 ; Forestier H. 1993),

certains nucléus dits globuleux ou orthogonaux seront classés dans une nouvelle chaîne opératoire et considérés

comme des nucléus de type clactonien ou SSDA (alterning platform system).

Une autre raison tient à la limite des définitions que nous avons créées, valables non seulement à un

moment de la recherche, qui sans cesse évolue, mais aussi, parfois, à un moment donné de l'histoire du nucléus.

En effet, la confusion dans l'appellation des nucléus d'une industrie nous semble provenir de ce que, jusqu'à

présent, nous ne considérions pas l'importance de la notion d'homothétie. Par ce terme, nous envisageons la

possible transformation morphologique des nucléus durant le processus opératoire sans entraîner de changement

dans la conception de taille.

Nous distinguons alors trois cas de figure.


41

Les nucléus à morphologie constante : volume homothétique

Suivant certaines conceptions de taille, le nucléus gardera sa morphologie quel que soit le moment où il

se situe dans sa phase de production d'enlèvements prédéterminés et quel que soit le nombre de remises en forme.

C'est que, pour être opérationnelle, la structure du nucléus implique une nécessaire conservation de sa forme

(d'où la stabilité et la facilité de reconnaissance pour certains nucléus dont les nucléus Levallois). Cette stabilité

est d'ordre structurel, elle ne sera pas remise en cause par le choix de la méthode utilisée pour gérer le nucléus.

La morphologie du nucléus restera telle quelle durant tout le processus opératoire, quelle que soit la méthode

utilisée et le moment où nous nous situons dans le déroulement de la méthode. Tant que l'on respecte la structure

du nucléus, c'est-à-dire la synergie des critères techniques mis en jeu, la forme de celui-ci ne change pas. Il s'agit

d'un processus homothétique.

Le débitage Levallois en est l'exemple le plus classique (fig. 7, 1 et 2). Si on considère un nucléus

Levallois récurrent et qu'on observe ses transformations lors de la production d'une série récurrente

d'enlèvements, quelle que soit la méthode utilisée - unipolaire, centripète, bipolaire -, la morphologie générale du

nucléus reste identique. La cohérence de la structure volumétrique Levallois réside dans la non transformation de

la morphologie générale du nucléus au fil du débitage. Lorsque cette cohérence est mise à mal, l'utilisation des

critères de prédétermination permettra de redonner sa cohérence au nucléus et de recommencer une nouvelle

série d'enlèvements. Le nucléus résiduel de cette nième série présentera toujours la même morphologie. La

différence ne sera pas de forme mais de taille, signant ainsi son caractère homothétique.

Ce caractère particulier a permis au nucléus Levallois à éclat préférentiel d'être repéré très tôt, accédant

ainsi à une célébrité qui laissa dans l'ombre les autres modes de débitage ne le possédant pas.

Enchaînement de séries récurrentes

L'enchaînement de séries récurrentes n'est pas systématique, mais lorsqu'il a lieu nous sommes à même

d'observer une certaine variabilité. Variabilité qui peut donner l'impression qu'il n'y a pas de ruptures dans la

production d'enlèvements récurrents, comme s'il y avait eu une série continue d'enlèvements, bien supérieure à 4.

Cela signifierait alors qu'il n'y ait pas eu de stade de ré-initialisation du nucléus entre chaque série de 4

enlèvements. Si, effectivement, certains nucléus Levallois peuvent donner cette impression, l'analyse technique

démontre systématiquement que ce ne fut pas le cas. Cette fausse impression est liée à une certaine " astuce "
42

technique. Comme cela a pu être montré à l'Abri Suard (Delagnes A. 1991) l'opérateur, en accord avec ses

objectifs, peut avoir utilisé le nucléus exploité comme un nouveau nucléus configuré sans le ré-initialiser. La

convexité distale, en partie exploitée lors de la première série récurrente, devient alors une des deux convexités

latérales du nouveau nucléus et permet ainsi de redémarrer une seconde série d'enlèvements. Le nouvel axe de

débitage est orthogonal par rapport au premier. Cette astuce permet d'obtenir un second nucléus ré-initialisé avec

peu de perte volumétrique. Ce procédé permet cependant, un moins bon contrôle technique des produits obtenus.

Une autre " astuce " est observée dans certains modes de débitage Levallois du Proche-Orient pour la

production de pointes Levallois. Là encore, l'analyse technique permet d'éviter une interprétation erronée. On

pourrait effectivement croire que, selon certaines méthodes, les pointes Levallois s'enchaînent comme les lames

d'un débitage laminaire. Pourtant, dans ces méthodes l'opérateur ré-initialise son nucléus une fois obtenue la

première série d'enlèvements. Il utilise pour cela un type d'enlèvement bien particulier : un éclat débordant. Cet

éclat présente plusieurs avantages techniques, il permet entre autres des ré-initialisations de surfaces à moindre

coût ; il permet aussi d'obtenir une morphologie particulière des pointes Levallois. Mais cet éclat débordant est

une option parmi un ensemble de possibles. D'autres types d'enlèvements pourraient être choisis pour initialiser

le nucléus.

Nous voyons ainsi que l'exploitation du nucléus par plusieurs séries d'enlèvements reste une

exploitation de surfaces successives, liées les unes aux autres par des phases de ré-initialisation. Il n'y a donc pas

de récurrence entre les séries, elles ne sont que successives.

En revanche, dans le cas de débitages de type Discoïde, Rocourt et Hummal, le volume exploitable est

égal au volume du nucléus, car il n'est pas nécessaire de préparer à nouveau une, deux ou x fois les surfaces à

débiter. La préparation initiale permet un auto-entretien des paramètres nécessaires à l'exploitation du nucléus

(Boëda E. 1988b, 1988c).

Surface de débitage et surface des plans de frappe

A chaque mode de débitage correspond une relation d'orientation particulière entre la surface de

débitage et la surface des plans de frappe. Cependant, tous ces aménagements possèdent un point commun : la

surface des plans de frappe destinée à recevoir la percussion doit toujours être orientée par rapport à la surface de

débitage de telle façon que le fil créé par l'intersection de ces deux surfaces soit perpendiculaire à l'axe de
43

débitage des enlèvements. Le fil créé par l'intersection est appelé charnière. Cette particularité est associée au

critère technique propre à chaque mode de débitage.

Dans le cas du débitage Levallois, tout au long du schéma opératoire, le débitage est fait à la percussion

directe au percuteur de pierre. La surface des plans de frappe est aménagée de façon à ce que les enlèvements

prédéterminés répondent aux objectifs fixés. Pour que les enlèvements se détachent comme souhaité, du fait

même de la nature de la percussion (pierre), celle-ci devra avoir lieu sur le plan de frappe à quelques millimètres

de la charnière et non pas sur la charnière. En conséquence, l'axe de percussion des éclats prédéterminés devra

impérativement être perpendiculaire à celui de la charnière. Sinon la percussion ne sera pas contrôlée et les éclats

ne répondront pas aux objectifs fixés.

Cette condition essentielle à la réussite des enlèvements prédéterminés a pour conséquence et aussi pour

contrainte, l'impossibilité d'agrandissement de la surface de débitage au fur et à mesure de celui-ci, comme nous

pouvons l'observer dans certains schémas de production laminaire.

En effet, nous aurions pu envisager, qu'une fois exploitée la surface de débitage Levallois, le tailleur

décale son axe de débitage sur un côté du nucléus en utilisant les surfaces des plans de frappe adjacentes comme

de nouvelles surfaces de débitage, toujours Levallois. Astucieuse, cette solution aurait permis des économies de

matière première. Mais, elle est impossible, car la charnière créée par l'intersection de la surface des plans de

frappe et de la nouvelle surface de débitage (ex partie de la surface des plans de frappe) n'est pas perpendiculaire

au futur axe de percussion des enlèvements prédéterminés, ce qui empêche tout contrôle dans le détachement des

enlèvements prédéterminés. Cet état de fait est dû à la construction volumétrique du nucléus Levallois.

Pourtant, cette partie latérale du nucléus Levallois étant très convexe, elle aurait pu faire une excellente

surface de débitage pour obtenir une série de lames. Archéologiquement, sur certains nucléus Levallois, il n'est

d'ailleurs pas rare d'observer des tentatives ratées d'exploitation de cette surface convexe. Des cas peu nombreux

témoignent d'un débitage de lames réussi, mais la lecture du nucléus montre que le tailleur a réaménagé son

nucléus de façon à obtenir la bonne orientation de la charnière (fig. 8).

Les débitages non homothétiques

Nucléus à morphologie variable

Bien que relevant de la même structure, certains nucléus présenteront, quelle que soit la méthode

utilisée, des aspects morphologiques différents suivant les stades techniques. Ces différences sont parfois
44

abusivement considérés comme le résultat de schémas opératoires distincts. Ces nucléus seront appelés non

homothétiques.

C'est le cas par exemple, au Paléolithique supérieur, des nucléus à lames dont l'état de configuration est

composé de trois crêtes : deux postérieures et une antérieure. Il est évident que la morphologie du nucléus

changera suivant l'avancement du travail. Par rotation du débitage, les crêtes disparaîtront au fur et à mesure (fig.

7, 3) (Pelegrin J. 1995 ; Pigeot N. 1987). Cette transformation est une conséquence nécessaire à la poursuite du

débitage et l'état de configuration du nucléus doit rendre possible cette transformation, en permettant l'intégration

d'états techniques aux conséquences morphologiques différentes.

Une structure volumétrique peut donc changer de forme sans changer sa production. L'exemple de ces

nucléus à lames du Paléolithique supérieur est désormais bien connu et ne provoque plus de confusion. On sait

reconnaître la structure de base du nucléus dans chacun de ces états évolutifs.

Au Paléolithique supérieur, cependant, toutes les configurations volumétriques n'ont pas fonctionné de

la même façon, au contraire : les nucléus à deux crêtes, une antérieure et une postérieure, fonctionnent

globalement comme les nucléus Levallois et sont donc homothétiques.

Dans le cadre d'industries de type Paléolithique moyen, nous rencontrons un cas de figure similaire mais

plus complexe. Il regroupe les nucléus discoïdes qui, tout en relevant d'une unique conception volumétrique,

seront susceptibles de varier dans leur aspect morphologique suivant la méthode utilisée et, pour une même

méthode, selon le moment où l'on se situe dans la chaîne de production. Cette double variabilité est indépendante

de la méthode choisie.

Variabilité morphologique due à la méthode

Par exemple, quand nous retrouvons dans un même site des nucléus Discoïdes exploités sur une seule

surface et d'autres sur les deux surfaces (Boëda E. 1991, 1993) (fig. 7, 4 et 5), cette différence de traitement,

entièrement dépendante de l'opérateur, n'est que l'expression d'une variabilité de méthode inhérente à une même

structure ; variabilité qui ne peut s'exprimer sans une nécessaire modification de forme. Cette variabilité est

souvent malencontreusement interprétée comme l'expression de conceptions de débitage différentes.

En fait, il s'agit d'un algorithme de base, donnant les produits prédéterminés et répondant évidemment à

des contraintes techniques devant être nécessairement mises en place avant son déroulement, qui va s'inscrire
45

progressivement dans une récurrence. Mais cette récurrence n'est rendue possible que s'il y a respect d'une

structuration précise aux caractères techniques identiques tout au long du débitage.

Variabilité morphologique suivant le stade d'exploitation

La confusion entraînée par cette variabilité morphologique est particulièrement sensible dans le cas du

débitage Discoïde (fig. 7, 5). Nous analyserons deux situations correspondant à deux états techniques extrêmes.

La première correspond à l'utilisation d'un seul algorithme. Le plus souvent, l'opérateur utilise alors le
16
bloc structuré pour l'obtention d'une seule série de produits, c'est notamment le cas à Asprochaliko (Grèce)

(Papaconstantinou E. 1997). Le débitage se fait aux dépens de blocs ou d'éclats présentant les critères nécessaires

à l'initialisation. La série se compose en général de trois enlèvements : un éclat quadrangulaire à une (ou deux)

nervure(s) parallèle(s), un éclat débordant et, en dernier, une pointe pseudo-Levallois. Une seconde série

d'enlèvements peut parfois être recherchée. Pour éviter de remettre en forme une nouvelle surface de débitage

opérationnelle, ces enlèvements seront faits le plus souvent aux mêmes endroits que les précédents. Dans

d'autres cas, cette série sera effectuée aux dépens d'une autre partie du nucléus. La morphologie du nucléus rend

ces enlèvements alors difficilement classables.

La reconnaissance d'une conception Discoïde sur des nucléus exploités par une série de deux voire trois

enlèvements n'est pas une chose aisée, car cette série équivaut techniquement au même algorithme que celui qui
17
est utilisé lors du débitage Clactonien . D'ailleurs, s'ils avaient été plus volumineux, ils auraient sûrement été

16
- Cet algorithme a été parfaitement décrit par l'auteur, mais il a été abusivement classé comme Levallois.
Ayant eu l'occasion de voir ce matériel lors de son étude, nous pouvons certifier qu'il s'agit bien de nucléus
Discoïdes exploités selon une méthode dont l'objectif est de produire une ou deux série(s) d'enlèvements.
17
- On appelle algorithme Clactonien une suite d'opérations techniques élémentaires, consistant à débiter une
série de 2 à 4 enlèvements aux dépens d'une surface convexe et à partir d'une surface de plans de frappe. Cette
dernière est souvent obtenue par un seul enlèvement à partir de la future surface de débitage et aux dépens d'une
autre surface.
Cet algorithme peut être reproduit par la suite en alternant le rôle des surfaces (Alterning platform system) ou
en utilisant une autre surface du bloc, à la recherche d'une nouvelle bonne surface.
Bien qu'élémentaire, ce mode de débitage fait appel à des notions de prédétermination. En effet, il se fait aux
dépens d'une surface choisie pour des critères techniques bien précis. Cette surface doit :
- permettre la mise en place de la surface de plans de frappe ; en général cette surface se fait par un enlèvement
puissant avec un bulbe bien marqué, créant ainsi un contre-bulbe très concave ; cette concavité permet d'obtenir
un angle de chasse de 60° (typique des éclats dits " Clactoniens " ;
- doit présenter des convexités latérales et distale. Etant donné qu'il s'agit d'une série d'éclats unipolaires, ces
convexités permettent de contrôler le détachement des éclats. Ces convexités ne sont pas aménagées, d'où
l'importance du choix de la bonne surface. Selon la morphologie du bloc et la qualité d'exécution, une ou
plusieurs séries seront possibles en alternant le rôle de chaque surface ou en déplaçant l'algorithme au gré des
possibilités du bloc.
Ce choix de surface permet d'obtenir de façon répétitive des éclats avec des caractères morphotechniques peu
variés mais recherchés.
46

classés comme Clactoniens ! Cette confusion est normale en l'absence de tout autre nucléus discoïde attestant

d'un débitage quantitativement plus important. Pris au début de sa production et isolé, un nucléus discoïde peut

être assimilé à un nucléus clactonien ; mais associé à d'autres types de nucléus discoïdes, il devient alors

l'expression la plus pure de l'état premier d'un schéma Discoïde. Il est donc fondamental de ne jamais analyser un

nucléus sans rechercher les possibles relations techniques avec d'autres nucléus morphologiquement différents

de lui. Il est donc important de prendre le terme de Discoïde dans un sens " génétique ".

Dans le cas d'une variabilité morphologique suivant les stades d'exploitation du nucléus, il est évident

que la mise en évidence des conceptions de taille régissant le ou les modes de débitage ne peut se faire sur

l'étude d'une seule pièce comme c'est le cas pour les conceptions homothétiques. D'où une nécessaire approche

génétique de l'objet. Cette approche mettra en relation ou non l'ensemble des nucléus d'une même industrie. Sans

cela, dans le cas de débitages non homothétiques les morphologies initiales et finales des nucléus seront dans

bien des cas souvent sources d'erreurs.

La seconde situation correspond à l'utilisation maximale du bloc, aboutissant à une forme dite polyèdre.

Dans le cas d'un débitage Discoïde, la forme polyédrique est souvent la forme extrême d'exploitation d'un

nucléus biconique. En effet, quand la récurrence des enlèvements aux dépens des surfaces de débitage n'est plus

possible, l'ancien nucléus joue le même rôle qu'un bloc de matière première brut de débitage. Trois solutions

peuvent alors être envisagées :

- soit l'opérateur initialise de nouveau le bloc en aménageant les anciennes surfaces ;

- soit l'opérateur réaménage totalement le bloc sans tenir compte de la structure du bloc ;

- soit l'opérateur utilise au mieux la structure ancienne du nucléus.

Dans ce dernier cas, quand l'angle créé par l'intersection des surfaces de débitage oscille entre 50° et 70°,

formant des cônes, l'expérimentation a montré qu'il est fréquent d'utiliser le plan situé au sommet de ces cônes

comme plan d'intersection des deux surfaces de débitage. La forme polyédrique provient donc d'une rotation à

90° du plan d'intersection des deux surfaces de débitage. Cette rotation ayant été rendue nécessaire par

l'impossibilité à produire de nouveaux enlèvements aux dépens du nucléus initial (fig. 9).

Un polyèdre peut donc simplement résulter d'une superposition désaxée de deux nucléus biconiques, et

correspondre à une forme finale de nucléus discoïdes. Ce cas est notamment très bien illustré par les industries

discoïdes des sites de Külna (Boëda E. 1995d), de Mauran (Farizy C. et al. 1994) et de Beauvais (Locht J.-L.,
47

Swinnen C. 1994) où l'exploitation d'un grand nombre de nucléus a été poussée à l'extrême en effectuant cette

simple rotation (fig. 10).

Une morphologie polyédrique peut également résulter d'un débitage Clactonien poussé jusqu'à l'extrême

limite de production. Ce débitage Clactonien, tel qu'il a été nouvellement défini (Forestier H. 1993), montre

comment un algorithme de base peut donner à un nucléus une forme polyédrique similaire. Dans ce cas, la forme

polyédrique résulte de la récurrence de l'algorithme au gré de la réussite des séries précédentes, des conditions

techniques qu'offrent certaines parties de la surface et des objectifs recherchés. Alors, la forme polyédrique est

due à la migration aléatoire des séries successives.

Discoïde ou Clactonien, les algorithmes se structurent différemment. Dans le cas du Discoïde, les

algorithmes successifs se structurent selon un plan invariant durant tout le processus (plan d'intersection des

surfaces de débitage et des plans de frappe). Alors que dans le cas du Clactonien, chaque algorithme évolue sur

la surface du bloc selon des critères techniques sans cesse renégociés, aucun plan ne venant structurer le débitage.

Toutefois, dans les deux cas, la motivation est identique : c'est parce que la récurrence n'est plus possible qu'une

nouvelle orientation est choisie. La forme n'est pas une fin en soi qui dénoterait d'une conception nouvelle du

débitage, mais le résultat (attendu ou inattendu) d'adaptation à certaines contingences qui aboutissent (par hasard)

à une forme identique.

Les débitages à structures successives : volumes homothétiques successifs

Cet ensemble regroupe les nucléus qui devront nécessairement changer de structure et donc de forme

pour continuer à être opérationnels.

Il s'agit, par exemple, du débitage Hummalien qui a pour objectif technique de produire en priorité des

lames et en moins grand nombre des lamelles (fig. 11, A). A étudier l'industrie nous observons une identité des

produits obtenus : des lames. En revanche, une même lecture non " génétique " des nucléus nous fera apparaître

plusieurs schémas de débitage, de type Rocourt, Levallois ou pyramidal. En fait, chacun de ces types de nucléus

correspond à un état technique différent au sein d'un seul et même schéma opératoire. Chacun de ces états permet

d'obtenir une série de lames. Selon le nombre de lames et les caractéristiques morpho-techniques recherchées, le

nucléus sera de nouveau exploité ou pas. Si oui, il changera de structure (fig. 12, 13, et 14).
48

Le nucléus aurait pu être repréparé selon la même structure. Mais dans le cas présent, la solution

adoptée consiste à juxtaposer des structures techniques différentes successivement exploitées jusqu'à leurs

limites.

Le débitage Bohunicien présente aussi cette particularité de changer de structure tout le long du

processus opératoire (fig. 11, B). Mais ce changement est dû à la recherche de produits différents, ce qui n'est pas

le cas pour l'Hummalien.

Le site de Bohunice (République Tchèque) fouillée par K. Valoch (1982) présente une industrie lithique

composée entre autres de lames et de pointes Levallois (fig. 15). Chacun de ces produits est obtenu aux dépens

de nucléus spécifiques, successifs. En effet, il est fréquent d'observer une première structuration du nucléus en

vue d'obtenir une production récurrente de lames, suivie d'une deuxième structuration permettant d'obtenir une

série récurrente limitée de pointes Levallois. Mais ces deux états de nucléus sont liés l'un à l'autre. La série

récurrente de lames répond à un double objectif (observation personnelle) : le premier est celui de maintenir une

production de lames ; le second est de mettre en forme la deuxième structure volumétrique. Ce deuxième volume

est en général mis en forme par les dernières lames. Ces lames sont en général volontairement outre-passées et

twistées. Les structures volumétriques sont donc successives mais synergiques, à la différence des nucléus

hummaliens qui se succèdent mais sont indépendants les uns des autres.

Réflexion sur la variabilité des structures de débitage

Variabilité et structure

Bien que non exhaustifs, les différents cas archéologiques évoqués dans ce chapitre à propos des

structures nous permettent de dégager certaines règles :


18
- chaque structure est stable durant le temps d'obtention des objectifs ;

- chaque structure recouvre un champ d'application de méthodes qui lui est propre ;

- à aucune structure fixe ne correspond un objectif spécifique, un nucléus Levallois n'est pas la seule structure

capable de fournir des pointes " typo-Levallois " ;

18
- Nous concevons que cela puisse paraître redondant mais à lire de nombreux travaux sur ces périodes il nous
semble important de le spécifier.
49

- plusieurs structures peuvent coexister ; dans ce cas, des règles de cohabitation semblent devoir être respectées.

En revanche, en terme de récurrence, il semblerait qu'il existe une adéquation plus rigoureuse entre

structure et série d'objets. La pointe Levallois en est l'exemple le plus typique. Cette pièce peut provenir d'au

moins quatre structures différentes. Or, typologiquement, elle est rattachée au débitage Levallois (Boëda E. 1991)

(fig. 16). En conséquence, les indices Levallois tels qu'ils sont utilisés n'ont a priori pas de sens si, au préalable,

et sur d'autres critères techniques, l'utilisation de l'une ou l'autre de ces structures n'a pas été démontrée. Nous

nous permettons d'insister sur ce dernier point, car il signifie qu'il n'est pas possible de définir un système

technique à partir de ses objectifs.

Synergie des critères techniques

La variabilité des schémas de débitage que nous venons d'exposer tient essentiellement à des

modifications de critères techniques. Le changement d'un seul critère peut modifier les objectifs dans leurs

aspects qualitatifs et quantitatifs. Un simple changement d'angle peut avoir pour conséquence la modification des

caractères morphologiques, techniques, métriques, des produits obtenus et perturber la récurrence des

enlèvements. En effet, l'angle de détachement des enlèvements prédéterminés, différent pour chaque conception,

est prévu de façon optimale pour chacune d'elle, au même titre que tous les autres critères associés. L'ensemble

répond à une logique opératoire dont chaque élément fonctionne en synergie. Tel est le cas, par exemple, de la

relation d'angle entre la surface des plans de frappe et la surface de débitage ou encore de l'angle de détachement

des éclats prédéterminés par rapport au plan de symétrie des nucléus Levallois et Discoïdes (fig. 17). Après une

perturbation angulaire, retrouver le bon angle nécessitera une reconfiguration du nucléus. Il faudra alors repasser

par un stade d'initialisation.

L'ensemble des structures que nous venons de décrire est apparu au cours du Paléolithique inférieur et
19
moyen en Europe . Deux d'entre elles, les débitages de lames de type Rocourt et de type Hummal, peuvent être

considérées comme l'expression première d'une tendance technique qui sera réinventée pendant le Paléolithique

supérieur européen.

19
- Comme nous l'avons annoncé précédemment, nous ne considérons que du matériel provenant d'Europe et du
Proche-Orient (Syrie et Liban). C'est, en effet, celui que nous connaissons le mieux, pour l'avoir en grande partie
étudié selon la même grille d'analyse.
50

Dans la plupart des cas, et comme leur nom l'indique, les modes de débitage laminaire semblent avoir
20
pour objectif exclusif de produire des lames . La production est alors tournée vers une gamme de produits aux

caractéristiques morphotechniques plus standardisées que celles obtenues suite à un débitage Triface, Discoïde

ou Levallois. En effet, le débitage laminaire c'est, en partie, l'idée de produire en grande quantité un enlèvement

quasi-identique. Production peu diversifiée, elle nécessite peu d'ajustements. Si l'on désire une gamme de lames

aux tailles variées, trois options sont alors possibles.

La première consiste à effectuer une longue série récurrente, on obtient alors naturellement une diversité

morphologique et métrique.

La deuxième consiste à adopter un mode de débitage spécifique pour chaque type de module recherché.

C'est pour cette raison, que dans un même site, il est fréquent de retrouver différents nucléus spécialisés pour

grandes lames, moyennes lames, petites lames, lamelles (Barbas III couche aurignacienne, communication orale

I. Ortega).

La troisième intercale dans une série de grandes lames quelques lamelles (site de Verberie, Cahen D.

1980 ; site de Pincevent, Ploux S. 1989, 1990 ; Ploux S. et Karlin C. 1993). Les lamelles produites sont

prédéterminées et prédéterminantes, le tailleur profite de la mise en place d'une corniche pour produire des

lamelles. Elles permettent de reculer la corniche de quelques millimètres, favorisant le débitage de la lame

suivante. J. Pelegrin appelle ce mode de débitage " débitage intercalé " (communication orale). S. Ploux et S.

Soriano ont mis en évidence ce mode de débitage dans une industrie aurignacienne ancienne d'Umm el Tlel

(Syrie) (communication orale).

Un débitage intercalé d'éclats et de lames dans un débitage de type laminaire n'a pratiquement jamais

été décrit. Lorsque lames et éclats sont intentionnellement produits, chaque type de produit est issu d'un mode de

débitage spécifique. C'est fréquemment le cas au Paléolithique supérieur et moyen. A Barbas III, l'industrie

aurignacienne témoigne de l'association d'un débitage de lames (majoritaire) avec un débitage Discoïde

(minoritaire) (communication orale de I. Ortega). Au Paléolithique moyen, excepté les débitages Levallois, tous

les autres débitages de lames excluent une production intercalée d'éclats.

20
- Des débitages plus tardifs, tels que ceux que l'on observe à Boker Tachtit (level 1, Negev), structurés aux
dépens d'une conception volumétrique de type Paléolithique supérieur (deux crêtes), produisent dans une même
série d'enlèvements des lames et des éclats triangulaires de type pointe Levallois, mais en aucun cas des éclats
Levallois. Je pense qu'une étude plus approfondie de ce type de nucléus est nécessaire. Car ne s'agirait-il pas de
nucléus successifs ?
51

De façon générale, les structures nécessaires à la production laminaire ne permettent pas un grand

nombre de méthodes. Ce sont, au contraire, des structures réductrices qui limitent considérablement l'émergence

de nouvelles possibilités. Il est d'ailleurs intéressant de noter que, quand des modes de production sont capables

de fournir une gamme variée de produits, dont quelques lames, ils ne sont jamais associés à un système de

production laminaire. En revanche quand les modes de production visent à l'exclusivité d'un produit, il n'est pas

rare que plusieurs modes de production soient associés, tel un débitage de lames et un débitage d'éclats.

Dans le cas du Levallois, la variabilité des méthodes inhérente au concept de taille est très vaste. Par

l'application de nombreuses méthodes, le concept Levallois permet une expression quantitative et qualitative

variée des produits recherchés. Ainsi, quelles que soient les méthodes récurrentes utilisées, toutes produisent une

série d'enlèvements prédéterminés différents. Ces différences porteront autant sur des caractéristiques techniques,

métriques que morphologiques. Chaque méthode ne peut évidemment pas produire tous les types possibles, mais

la plupart des types d'enlèvements connus pour la préhistoire peuvent être obtenus avec les méthodes Levallois.

La contrepartie de cette pluralité est une impossibilité des systèmes de production Levallois à obtenir

exclusivement et en série un type unique de produit prédéterminé, comme la lame. Pour obtenir un enlèvement "

standard " en quantité importante, il faudra donc disposer d'un autre système technique de production. C'est ainsi

que certaines méthodes à lames peuvent être associées, au sein d'une même industrie, à des méthodes Levallois

récurrentes. C'est le cas notamment des sites de Riencourt-lès-Bapaume (Pas de Calais) (Ameloot-Van der

Heidjen N. 1994 ; Boëda E. observation personnelle), de Saint-Germain-des-Vaux/Port Racine (Révillon S.,

Cliquet D. 1994) ou de Séclin (Nord) (Boëda E. observation personnelle ; Revillon S., Tuffreau A. 1994 ;) (fig.

18). Ces méthodes Levallois récurrentes uni- ou bi-polaires sont utilisées pour produire des éclats non laminaires

comme la méthode récurrente centripète. Dans d'autres contextes archéologiques ces méthodes récurrentes uni-

ou bi-polaires ont été utilisées pour produire des enlèvements variés, allongés ou non. Cette différence de

production, caractéristique de ces méthodes récurrentes, est due à une différence d'enchaînement des

enlèvements.

Nous l'avons déjà dit, le débitage de lames en série aux dépens d'un nucléus Levallois n'est pas possible

dans le respect de la structure volumétrique de celui-ci. En effet, pour produire de nombreuses lames à partir d'un

nucléus Levallois, il serait nécessaire de modifier sa structure pour parvenir aux résultats escomptés. En

conséquence, il ne s'agirait plus d'un nucléus Levallois et il serait alors impossible de produire des " éclats
52

Levallois " sauf à configurer de nouveau le nucléus dans ce but. Une autre solution est de produire

successivement sur le même bloc deux types de produits lithiques, chacun aux dépens d'une construction

volumétrique différente. Cette particularité technique existe au Bohunicien. Dans ce cas, une série de lames est

débitée à partir d'une structure volumétrique obtenue à la suite de l'initialisation spécifique du bloc ; tout en

étant recherchés pour eux-mêmes, ces enlèvements restructurent, configurent le nucléus, de manière à permettre

l'obtention d'une série récurrente de pointes Levallois. Mais, quand cette dernière série est entamée, il n'est plus

possible de produire des lames en série sans une nouvelle restructuration des nucléus.

Il existe peut-être un rapport entre la possibilité d'une structure à produire des éléments standardisés et
21
son incapacité à être exploitée par des méthodes différentes . En effet, plus la variabilité de méthodes inhérente

à une structure donnée est réduite, plus la standardisation s'affirmera. La variabilité des méthodes ne portera plus

que sur la taille des produits. Et, pour satisfaire l'ensemble des besoins, plusieurs modes de production devront

être envisagés de façon concomitante. Ce sont les modes de production qui sont devenus complémentaires et non

plus seulement les produits issus d'un seul mode de production.

De ce point de vue, le débitage laminaire correspond à une évolution de type hypertélique (Simondon G.

1958). En d'autres termes, le débitage laminaire est un débitage exagérément spécialisé qui ne peut répondre qu'à

certains besoins. Sa spécialisation dans la production de lames l'empêche de produire d'autres enlèvements

prédéterminés aux morphologies diversifiées. Cette hypertélie, d'ordre productionnel, peut se doubler d'une

hypertélie fonctionnelle. Ce qui signifie que les lames recherchées sont adaptées aux tâches spécifiques pour

lesquelles elles ont été faites. Une modification des tâches, due par exemple à une modification de la faune, elle

21
- La notion de standardisation associée à la notion de production laminaire nous est souvent reprochée, en
mentionnant que les produits obtenus sont tout aussi diversifiés que ceux obtenus lors d'un débitage Levallois. Il
est vrai que lors d'une production laminaire, sans modifier l'objectif technique, on peut obtenir au cours du
débitage de lames et lamelles, des lames à une ou plusieurs nervure, droites ou courbes, etc. Il n'y a donc pas de
standardisation a priori. Cette variété est tout aussi reproductible pour chaque type de produit provenant d'un
débitage Levallois. Un éclat Levallois peut revêtir un grand nombre d'aspects, de même un éclat triangulaire, de
même un éclat laminaire etc. Mais, la première différence tient au fait que le degré de variabilité d'un éclat
Levallois est nettement plus important que celui d'une lame. Deuxièmement, la production de lames est une
production de type hypertélique. Ce qui veut dire que, dans le cas présent, l'objectif - obtenir plusieurs lames de
suite - ne peut se réaliser que si rien ne vient interférer dans le déroulement du débitage. Il est toujours possible
de produire un éclat sur la surface de débitage d'un nucléus laminaire, mais si l'on désire continuer le débitage de
lames il sera nécessaire de remettre en forme la surface de débitage. Il y aura une rupture car le nucléus ne sera
plus adapté à la tâche pour laquelle il était conçu. Dans le cas du débitage Levallois récurrent, le degré de liberté
est encore plus grand permettant l'obtention d'une quantité importante de produits différents. De plus, cette
variabilité est obtenue à tout moment, à la demande. Ce qui n'est pas le cas pour un débitage laminaire, où la
notion de rythme est extrêmement importante, non pas seulement pour obtenir des lames aux caractères précis,
mais aussi pour conserver cette capacité à fournir des lames successives. La récurrence laminaire est
hypertélique alors que la récurrence Levallois, a priori ne l'est pas.
53

même due à une modification climatique, peut entraîner une dégradation des modalités de débitage laminaire. Ce

phénomène est évoqué par J. Pelegrin pour expliquer l'azilianisation. Suite au réchauffement de l'Alleröd, les

civilisations magdaléniennes auraient été conduites a effectuer un transfert de technologie du fait d'une

modification de la faune, leur fournissant un nouveau matériau : le bois de renne (Valentin B. 1995).

Dans le cadre d'une perspective évolutive, le débitage laminaire apparaît comme un phénomène

cyclique d'une durée de vie très courte, qui est sans aucun rapport avec les durées de vie des modes de

production à enlèvements normalisés, tels les débitages d'éclats ou les systèmes mixtes associant pièces

bifaciales et débitage d'éclats. Il semblerait néanmoins que le phénomène d'hypertélie laminaire soit différent

selon qu'il se déroule au Paléolithique moyen ou au Paléolithique supérieur. Au Paléolithique moyen, le débitage

laminaire peut être analysé comme un fractionnement de la production. A une méthode de débitage d'éclats qui

ne produit pas d'éclats laminaires, on associe une production de lames qui serviront de support à des outils

spécifiques (burins, grattoirs). Ce qui n'implique pas qu'il existe un déterminisme entre type de support et type

d'outils. Ce phénomène est plutôt lié à l'évolution des techniques.

Dans le cas du Paléolithique supérieur, l'hypertélie est due à une adaptation fine de conditions définies

sans fractionnement (Perlès C. 1991). Ce mode de production devenant dominant, voire exclusif. Lorsqu'il est

associé à un mode de production d'éclats, celui-ci est minoritaire et peu investi techniquement.

L'utilisation de la lame comme support d'outil est elle aussi sujette à une variabilité. Classiquement, et

autant au Paléolithique moyen qu'au Paléolithique supérieur, l'apparition d'un débitage de lames est associée à de
22
nouveaux types d'outils : les pièces à dos (Pelegrin J. 1995), le burin ou le grattoir. C'est le cas par exemple à

Riencourt-lès-Bapaume où " les supports Levallois ont davantage été sélectionnés pour la confection de racloirs

et de pointes moustériennes, alors que la plupart des outils du groupe Paléolithique supérieur ont été réalisés sur
"
des lames (Ameloot-Van der Heidjen N. 1994, p. 69) ; d'autres sites encore en France, comme " Lailly,

domaine du Beauregard ", " Lailly, le Fond de la Tournerie " (Locht J.-L., Depaepe P. 1994) et au Proche-Orient

(Meignen L. 1994), présentent cette même attitude technique.

22
- En Europe, au Paléolithique moyen, le burin est un outil rare, jamais présent en grand nombre et rarement
sous la forme type du Paléolithique supérieur. Au Proche-Orient, en revanche, les burins sont classiques et
diversifiés dès le Paléolithique moyen.
54

En revanche, l'examen de la couche Ia d'Hummal (Copeland L. 1985, Besançon J. et al. 1981), que nous

avons pu étudier, montre clairement que l'outillage fait aux dépens des lames n'est pas de type Paléolithique

supérieur. Si l'on prend en compte uniquement les bords de ces outils, c'est-à-dire l'ensemble des caractéristiques

techniques et morphologiques, en oubliant le support, nous retrouvons une industrie de type moustérien (fig. 19

à 23). Si à ces lames, nous substituons des éclats ou des pièces bifaciales, nous dirions alors que nous avons

affaire à une industrie moustérienne classique avec une petite tendance Quina dans la retouche. Ce genre

d'industrie, bien que peu fréquente (voire unique), atteste d'un possible technique que nous aurions a priori cru

impossible. Si l'Hummalien constitue un cas unique, il soulève un certain nombres de problèmes. L'un de ceux-ci

touche à l'idée de lignée évolutive. Rappelons que nous désignons comme lignée évolutive : " une lignée

constituée des objets ayant la même fonction d'usage et mettant en oeuvre le même principe " (Deforge Y. 1985,

p. 72). Dans le cas de l'Hummalien, nous serions bien en mal de rattacher ce phénomène à une quelconque lignée.

Car, quel principe unificateur choisir : le support - la lame -, ou le type d'outil ?

Si on choisit la lame, l'Hummalien se rattachera alors à l'Amudien (Meignen L. 1994) ou au pré-

Aurignacien . Mais, dans l'Amudien, le débitage laminaire est associé à d'autres modes de débitage. Et, dans le

pré-Aurignacien (couche 15), il est associé à d'autres modes de débitage et de façonnage (observation personelle).

La fonction du support s'en trouve différenciée.

Si on choisi le type d'outil, nous devrions alors rattacher cette industrie au Moustérien. Si nous avions à

trancher, nous serions favorable à la deuxième proposition, par prudence. Le phénomène laminaire semble un

phénomène excessivement complexe (Perlès C. 1992), qu'on ne peut réduire à une simple tendance évolutive. De

même que pour des industries à éclats, ce mode de support peut suivre des évolutions tout à fait différentes sans

qu'il y ait de relation entre elles. La tendance à sous évaluer le phénomène laminaire, est de même nature que

celle qui frappe le phénomène bifacial.

De façon provocatrice, nous pourrions dire, que dans la conception globale de son outillage,

l'Hummalien est plus près des industries du Paléolithique moyen, du fait de sa capacité à produire l'ensemble des

outils sur un même type de support.

En termes d'invention, nous dirions que dans le cas de l'Hummalien, l'invention consiste dans la

substitution d'un type de support par un autre : on passe de l'éclat ou de la pièce bifaciale à la lame. Dans les

autres modes laminaires, l'invention porte sur la translation de certains outils sur des supports spécifiques.
55

L'invention, c'est alors le couplage outil de type Paléolithique supérieur/lame, et non pas la lame seule ou les

outils de type Paléolithique supérieur seuls.

L'Hummalien peut aussi être le révélateur d'une invention que nous n'avons pas décrite jusqu'à

maintenant. Il s'agit du maintien de ces objets, c'est-à-dire de l'emmanchement. Il paraît indéniable que, même si

un tranchant de type racloir sur éclat est équivalent à celui d'un type racloir sur lame, l'utilisation de l'objet en

sera différente car la préhension (sans emmanchement) en sera différente. Or si, comme il me semble, on ne tient

pas un éclat et une lame de la même façon, et qu'il faut effectuer le même travail, le même geste, il est nécessaire

qu'un emmanchement spécifique au support réduise la différence morphologique. Lors de l'analyse que nous

avons effectuée sur le matériel de la couche Ia d'Hummal, nous avons remarqué un objet présentant des traces de

colle, du bitume (Boëda E. et al. 1995 ; Boëda E. et al. 1996) , situées sur la partie proximale de l'outil et

évoquant un emmanchement en biais, souvent observé sur les outils de type moustérien (Boëda E. et al. 1996 ;

Friedman E. et al. 1994).


56

Chapitre 6

Deuxième niveau de variabilité : variété des structures de


façonnage

Les différences

Biface et bifacial

Durant tout le Paléolithique et dans le monde entier, la conception bifaciale apparaît régulièrement.

Le phénomène bifacial européen est un phénomène extrêmement récent au regard de ce que l'on observe

en Afrique et au Proche-Orient. Nous le retrouvons affirmé vers 500 000 ans à Boxgrove (Angleterre) (Roberts

M.-B. et al. 1994). Cette conception perdurera pendant le Paléolithique moyen et supérieur pour gagner

l'Amérique entre 27 000 et 12 000 ans BP. (Abramova Z.-A. 1995). Sa courte durée ne l'a cependant pas

empêché d'évoluer différemment dans l'espace et dans le temps.

Nous ne considérerons ici que des pièces bifaciales d'Europe occidentale et du Proche-Orient attribuées

au Paléolithique inférieur et moyen.

Classiquement, la présence de pièces bifaciales de type biface évoque l'Acheuléen. D'aspect " grossier "

et sans la moindre référence stratigraphique, le biface évoquera un Acheuléen " archaïque ". D'aspect élancé, de

" belle facture ", et sans plus de référence chronologique il évoquera un Acheuléen supérieur " évolué ". Selon ce

principe, l'Acheuléen moyen, nous le devinons, est mieux que l'archaïque mais moins bien que l'évolué. Dans la

foulée, le Moustérien de Tradition Acheuléenne (MTA) se déterminera en partie suivant le type de biface

retrouvé.

Ainsi nous sommes nous donc interrogés sur la signification technologique de ces pièces que nous

dénommons " bifaces " et qui semblent recouvrir une grande diversité.
57

Il n'est qu'à voir nos collègues d'Europe de l'Est classer certaines pièces bifaciales de nos régions, et

réciproquement, pour se rendre compte que leur attribution à un faciès Moustérien ou Micoquien Oriental est

peut-être plus un problème d'école qu'une réelle considération technique. Biface, signifie " travaillé sur les deux

faces ", cette appellation n'a a priori aucun sens technique. Cette définition considérée stricto sensu, un nucléus

Levallois, parce qu'il est travaillé sur les deux faces, serait un biface !

Nous préférons donc au terme de biface celui de pièce bifaciale, objet relevant a priori d'une opération

de façonnage. Si cette opération de façonnage n'est pas démontrée, il ne peut s'agir de pièces bifaciales telles que

nous les avons définies (Boëda E. 1991).

Exemple

L'Acheuléen dit méridional a été attribué à un Acheuléen du fait de la présence de quelques bifaces

considérés comme résultant d'opérations de façonnage. Or, à la suite d'une analyse technologique, il s'est avéré

que ces pièces relevaient d'une structure de débitage (Boëda E. 1989 ; Boëda E, Geneste J.-M., Meignen L. 1990 ;

Bordes F. 1971). Ces pièces sont en réalité des nucléus trifaces, secondairement transformés pour obtenir une

forme appointée ou un tranchant transversal. Cette industrie présente donc deux types de nucléus : ceux restés au

stade de nucléus et ceux aménagés en outils. Tout en gardant la même structure Triface et en produisant les

mêmes types d'éclats ces derniers seront travaillés de façon à prendre une forme plus oblongue (fig. 24).

Bien que ne ressemblant pas exactement aux bifaces classiques du Nord de la France (Bordes F. 1971),

ces pièces n'ayant pas été individualisées par la place qu'elles occupent dans le processus technique utilisé, ni par

l'objectif qui leur est fixé, elles furent attribuées à un Acheuléen.

En premier lieu, cet exemple démontre l'existence de systèmes de production structurés à partir d'une

conception de débitage capable de produire des pièces qui, typologiquement, peuvent être considérées comme

des bifaces.

En second lieu, cet exemple démontre que, parallèlement à des conceptions bifaciales réelles - Nord de

la France, Sud de l'Angleterre, Italie et Espagne - il existe des industries dont le système technique est structuré

selon une conception de débitage particulièrement originale.

Cette notion de débitage a souvent été occultée pour ces périodes et, quand elle était reconnue, elle était

décrite comme relevant de conceptions simplistes. Cette vision repose sur la croyance en un ordre pré-établi qui
58

classerait l'évolution technologique selon une échelle de valeur allant du plus simple au plus compliqué. Cette

vision hiérarchique, pourtant fréquemment combattue, constitue encore de nos jours le schéma directeur pour

interpréter ces périodes.

Si le phénomène bifacial doit représenter un stade dans l'évolution des techniques, il faudra tenir compte

de ce que ces pièces peuvent résulter autant d'une structure de façonnage que d'une structure de débitage. Ce

premier stade de variabilité en précède un second : celui des variabilités issues de chacune de ces deux

conceptions.

Les asymétries bifaciales

Nous avons vu précédemment l'étendue de la variabilité des structures de débitage. La variabilité existe

aussi pour les structures de façonnage. Mais les recherches dans ce domaine sont rares (Isaac G. 1977) et ne font

que commencer.

Ainsi, à examiner un grand nombre de pièces bifaciales provenant d'horizons archéologiques différents,

nous sommes surpris de constater que très peu de pièces sont réellement biconvexes, des plus grossières aux plus

raffinées, contrairement à l'idée reçue. Indépendamment d'un problème de symétrie dans l'axe morphologique et

ne considérant que la façon dont chacune des surfaces est traitée techniquement, force est de constater qu'elles

sont rarement traitées à l'identique (personnellement, les seules pièces bifaciales traitées à l'identique que j'ai pu

observer sont celles des expérimentateurs, les miennes en particulier).

Cette asymétrie se remarque très clairement sur les pièces bifaciales dites " plano-convexes " provenant

des sites de Warsash (Burkitt et al. 1939) et Wolvercote (Sandford 1926) en Angleterre (fig. 25), de

Klausennische (Bosinski G. 1967) (fig. 26 - 1) et Bockstein III (Wetzel R., Bosinski G. 1969) en Allemagne (fig.

26 - 2), La Micoque C.4 (Bourgon M. 1957) (fig. 26 - 3) et Barbas C'3 (Boëda E. 1991, 1994b, 1995c) en France

(fig. 27). Dans ce cas, une des deux surfaces est obtenue par des enlèvements qui créent une convexité, tandis

que l'autre surface est volontairement plane, produite par des enlèvements parallèles au plan d'intersection des

deux surfaces. Un grand nombre de pièces micoquiennes, des racloirs à retouche biface et des bifaces, sont des

pièces bifaciales plano-convexes.


59

Cette asymétrie peut être aussi beaucoup plus discrète. Il s'agit toujours d'un traitement différentiel des

deux surfaces, mais qui conjugue une partie convexe et/ou des parties planes sur une même surface. Plusieurs

associations ont pu être observées : une surface biplan, morphologie particulière qui a souvent été assimilée, à

tort, à une surface convexe ; une surface plan/convexe, la surface, divisée selon l'axe longitudinal, associe alors

une demi-surface plane à une demi-surface convexe ; bien que techniquement particulière, cette asymétrie a

souvent été assimilée à une surface convexe. Cette dernière se retrouve fréquemment sur les pièces

micoquiennes.

Ainsi, l'analyse des deux surfaces d'une pièce bifaciale révèle diverses combinaisons (fig. 28):

- surfaces plane et plane ;

- surfaces convexe et convexe ;

- surfaces plane et convexe (fig. 29) ;

- surfaces plane et biplan (fig. 30) ;

- surfaces convexe et biplan (fig. 31) ;

- surfaces plane et plan-convexe ;

- surfaces convexe et plan-convexe (fig. 32) ;

- surfaces plan-convexe et plan-convexe (fig. 33).

Conséquence de cette asymétrie, les plans de section des bords sont, eux aussi, asymétriques. Ces plans

sont appelés plans de coupe.

L'observation technique de certains de ces bords montre qu'un travail de confection - affûtage ou autre -

a été fait à leurs dépens. Quand il s'agit d'un affûtage, cette modification donne un nouveau plan de section que
23
nous appelons plan de bec (fig. 34). L'observation de très nombreuses pièces archéologiques confirme cette

logique technique (fig. 35).

L'affûtage se fait toujours à partir de la surface plane, aux dépens de la surface convexe. Ce procédé est

strictement identique à ce que nous pouvons observer sur n'importe quel éclat ou lame affûtés. En effet, pour la

majorité des outils dont le contact transformatif a été affûté, cet aménagement se fait aux dépens de la face

23
- L'angle de bec est aussi appelé angle d'affûtage. Cet angle correspond à l'affûtage d'un angle de coupe. Cette
distinction s'est avérée importante pour détailler les différents stades d'aménagement d'une Unité Techno-
Fonctionnelle (UTF).
60

supérieure, convexe ou irrégulière, à partir de la face inférieure, toujours plane. Il n'en est pas autrement pour les

pièces bifaciales.

Il arrive cependant de trouver des traces d'affûtage sur la face plane. On observe alors deux possibilités :

soit la surface plane a été reprise car jugée techniquement insuffisante, soit, au contraire, il s'agit d'un affûtage

dont l'objectif serait de créer un plan de coupe.

Nous ne détaillerons pas les différents cas archéologiques que nous avons pu observer, nous retiendrons

seulement deux cas extrêmes d'asymétrie des pièces bifaciales.

L'asymétrie plan-convexe

La conception asymétrique est une conception de façonnage particulière, avec une panoplie

d'enlèvements différents, des axes de symétrie différents, voire absents, et une hiérarchisation différente dans le

traitement des surfaces.

L'asymétrie plan-convexe des surfaces, et par conséquent des plans de coupe, ne présente pas une

condition sine qua non pour la mise en place d'un plan de bec. En effet, comme nous l'avons dit précédemment,

l'opérateur peut mettre en place cette asymétrie à n'importe quel moment, aux dépens de n'importe quelle surface

(fig. 36). Cette asymétrie de surface est certainement à considérer comme répondant à une conception

particulière de l'outil : conception qui porte à la fois sur la durée de l'outil et sur son fonctionnement. Nous ne

pouvons encore rien dire sur le second point. En revanche, nous disposons de plusieurs éléments pour envisager

le premier.

En effet, construite dès le départ, l'asymétrie plan-convexe des surfaces ou d'un plan de coupe (sur une

profondeur de l'ordre du centimètre) permet de maintenir un équilibre général de la pièce sans qu'il soit

nécessaire d'entretenir sans cesse la surface plane. Cette conception volumétrique permet d'implanter une ou

plusieurs U.T.F. en périphérie de la pièce, de façon continue(s) ou discontinue(s). Elle permet aussi un grand

nombre de réaffûtages sans avoir à réaménager sans cesse l'une ou l'autre des surfaces.

L'asymétrie biconvexe
61

Dans la conception bifaciale biconvexe, chaque surface est à l'image de l'autre selon un plan d'équilibre

symétrique (Texier P.-J. 1989). Ce type de pièce semble plus fréquent en Afrique de l'Est qu'en Afrique de

l'Ouest, en Europe ou au Proche-Orient.

En Europe, la symétrie biconvexe est toujours reprise avant les phases d'affûtages. Nous observons un

travail d'asymétrisation de faible envergure et de faible profondeur aux dépens d'une des surfaces, après quoi

l'affûtage est effectué afin d'obtenir les critères techniques fonctionnels recherchés. La biconvexité est propice à

une implantation aléatoire des surfaces de travail (contacts transformatifs), mais elle ne permet pas un réaffûtage

intensif des plans de coupe : très tôt les surfaces retouchées deviennent concaves à cause de l'accumulation de

réfléchissements " en marche d'escalier " (fig. 37). Si l'on désire continuer à utiliser ce support comme vecteur

d'outil, il faut entreprendre une nouvelle phase de façonnage : soit on choisit de conserver la forme initiale mais

pas ses dimensions, soit, au contraire, on dénature la forme à la faveur d'un nouveau tranchant.

Ainsi, alors que le traitement asymétrique des surfaces n'est pas systématique, nous retrouvons toujours

un traitement asymétrique du plan de coupe avant l'affûtage. Après l'affûtage, l'asymétrie des plans de coupe

différera suivant l'angle et le fil retenus.

Asymétrie des bifaces dits " grossiers " ou " archaïques "

Sur les bifaces dits " grossiers " ou " archaïques ", on observe encore une asymétrie, plus complexe à

analyser. Nous avons pu travailler sur une collection de bifaces " grossiers " provenant d'un des plus vieux sites

en stratigraphie actuellement connus de Syrie : El Meirah (Boëda E., Muhesen S. 1993).

Par leur seul aspect extérieur, ces pièces sont difficiles à classer comme pièces bifaciales. Nous

pourrions tout aussi bien dire qu'elles sont faites de deux, trois ou quatre surfaces. Cette hétérogénéité dans la

forme provient avant tout des méthodes et moyens utilisés pour les fabriquer (fig. 38).

A regarder de plus près, ces pièces présentent cependant de nombreux points communs. A commencer

par une même technique de percussion : percussion directe au percuteur dur.

Ce mode de percussion a pour conséquence de produire, aux dépens du bloc percuté, un négatif

d'enlèvement marqué, fortement concave dans sa partie la plus proche du point d'impact, puis devenant plan à

distance. Cette asymétrie a été parfaitement intégrée dans le traitement réciproque des surfaces. Après un

premier enlèvement, l'opérateur percutera à la jonction de la partie concave et de la partie plane. La seconde

surface est donc concave puisqu'elle est marquée par le contre-bulbe du nouvel enlèvement. Cette concavité
62

permet par ailleurs de conserver une surface de plan de frappe plane. La surface plane est la première aménagée

qui servira de surface de plan de frappe pour aménager la seconde. Le plan de section résultant de l'intersection

de ces deux surfaces est plan/concave.

Ici aussi, l'affûtage se fait à partir de la surface plane aux dépens de la seconde surface. Nous sommes

toujours dans le même cas de figure quel que soit le type de support : éclat, lame ou pièce bifaciale et quel que

soit le type technique : Levallois, Discoïde, biface

" archaïque " ou " évolué ". Il pourrait donc s'agir d'un critère technique universel.

Cet enchaînement de deux enlèvements pour aménager un plan de section peut être assimilé à un

algorithme. Si l'on répète cet algorithme tout au long du bord on obtient une pièce de section quadrangulaire ou

triangulaire d'aspect fruste. En fait, l'aspect fruste est dû à une addition d'algorithmes qui n'ont pas besoin d'être

synergiques pour être opérationnels. La variabilité observée dans les sections est due à une simplification dans la

mise en place de deux algorithmes. Dans le cas de sections triangulaires, une même surface plane sera partagée

par deux algorithmes. Cette simplification ne signifie pas que ces algorithmes aient le même devenir fonctionnel.

Chaque algorithme présente ainsi un plan de section affûtable. En théorie, il y a autant de zones

d'affûtage possibles qu'il y a d'algorithmes. En revanche, la quantité d'affûtages successifs aux dépens d'un même

plan de section est limitée. Cette limite est généralement due aux angles de section obtenus pour chaque

algorithme : ceux-ci étant déjà élevés au départ, les affûtages successifs deviendront vite impossibles. Mais, il

n'est pas rare d'observer la mise en place de nouveaux algorithmes dont la conséquence est une modification de

la forme générale, évoquant des " proto-bifaces archaïques "!

Ainsi, alors qu'une simple analyse de forme (typologique) conduit à considérer ces pièces comme "

grossières " - sous-entendu : mal faites -, l'analyse technologique révèle une complexité dans la conception de

façonnage de l'outil et sa parfaite adaptation aux besoins fonctionnels pour lequel il a été conçu ; aussi bien en

tout cas que toute autre pièce considérée comme plus " évoluée ".

Les pièces bifaciales : outils ou supports d'outil(s) ?

Les supports bifaciaux paraissent donc avoir été conçus comme des supports d'outils, au même titre que

des éclats ou des lames, prédéterminés ou non, l'affûtage se faisant toujours aux dépens d'une surface plane.
63

Cette notion de support est attestée par la présence, dans certaines industries, d'une panoplie d'outils de type

racloirs simples et/ou convergents, denticulés, à coup de tranchet latéral, etc., faite aux dépens de pièces

bifaciales. Une pièce bifaciale est donc le vecteur potentiel d'un outillage multiple.

Mais de quel outil s'agit-il ? Quelle est la place d'une pièce bifaciale dans une indus-trie ? Que met-elle

en jeu ?

La pièce bifaciale support d'outil(s)

La pièce bifaciale considérée comme un support d'outils est potentiellement capable de recevoir " x "

nombre d'outils identiques et/ou différents sur sa périphérie et, éventuellement, des réaffûtages successifs en

différents endroits. Pour obtenir ces capacités opératoires, la pièce bifaciale doit alors posséder certains critères

techniques qui, combinés entre eux, vont permettre ces aménagements. Cette combinaison a notamment pour

fonction de créer un volume particulier, capable de garder sa structure volumétrique tout au long des affûtages

successifs, quelles que soient les UTF mises en place.

Si la structure reste stable durant les différents stades de fonctionnement, la forme, pourra varier ou non

au gré :

- des types et du nombre d'UTF en présence - typo-racloir(s), typo-denticulé(s), typo-pointe(s), etc. - ;

- des ré-affûtages successifs ;

- des associations d'UTF - typo-racloir/typo-pointe, typo- racloir/typo-denticulé, etc. -.

Cette variété morphologique est parfaitement illustrée par l'industrie C'3 base de Barbas que nous

étudions actuellement (fig. 39 à 44) .

Le schéma de façonnage produit des pièces bifaciales qui joueront le rôle de supports prédéterminés aux

dépens desquels seront réalisés une ou plusieurs UTF : typo-racloir, typo-denticulé, typo-pointe, typo-coche,

typo-couteau, etc. Suivant le type d'UTF et les associations en présence, nous observerons un premier niveau de

variabilité morphologique. Mais, comme ces supports sont aussi prédéterminés par leur structure pour la durée

du fonctionnement de l'outil, plusieurs (ré)affûtages successifs pourront être réalisés ; soit pour conserver le (ou

les) même(s) type(s) d'UTF, soit pour en créer un ou plusieurs nouveau(x). Ces choix induisent un deuxième
64

niveau de variabilité morphologique. Les réductions de volume pourront se faire en conservant la même forme

de départ ou en la modifiant. Mais, dans tous les cas, la structure de la pièce restera identique pendant toute la

durée de fonctionnement.

Dans le cas de cette industrie, il est à noter que certains éclats de façonnage seront recyclés en outils.

Selon les types d'UTF recherchés - typo-racloir, typo-denticulé, typo- coche -, un type précis d'éclats sera utilisé.

Or, ces éclats ne seront jamais réaffûtés, ce sont les outils d'une seule action technique.

Dans cet exemple, il apparaît clairement que seule la pièce bifaciale est un support conçu pour durer.

Cette observation est renforcée par le fait de retrouver le même type d'UTF sur les éclats et sur les pièces

bifaciales. Cependant, si nous comparons les supports sur lesquels est réalisée une même UTF, nous observons

d'importantes différences. Ainsi, les typo-denticulés sur éclat sont faits majoritairement aux dépens d'un volume

deux à trois fois supérieur à celui des typo-denticulés sur pièces bifaciales. Dans le cas des UTF typo-racloir,

nous observons l'inverse. Volume, forme, masse sont certainement des critères fonctionnels qui ont à voir avec la

fonction et le fonctionnement des outils. A cela nous pourrions ajouter une production d'éclats prédéterminés qui

auront la particularité de ne pas être affûtés et seront utilisés tels quels.

Cet exemple illustre parfaitement la complexité technique des pièces bifaciales et le rôle particulier

qu'elles occupent. Toutefois, ces pièces bifaciales, support d'outils, ne prennent tout leur sens que dans une

analyse globale. Elles ne sont qu'un sous-ensemble du sous-système technique des outils.

La pièce bifaciale/outil

Dans le cas de la pièce bifaciale outil, la morphologie de la pièce est étroitement liée à sa fonctionnalité.

Les éléments qui la structurent sont intégrés dans une synergie de formes, de fonction et fonctionnement appelée

hypertélique.

Observé à propos des pièces bifaciales acheuléennes (fig. 45), micoquiennes (fig. 46 et 47) et

moustériennes (fig. 48), ce phénomène s'observe également pour les pièces bifaciales micoquiennes (phase finale)

- Blattspitzen - (fig. 49), bohuniciennes, szélétiennes ou solutréennes (fig. 50) et pour les pointes de flèche. Il

peut alors s'agir des seules pièces bifaciales de l'industrie, comme les pièces bifaciales du Moustérien de

Tradition Acheuléenne et de l'Epi-Acheuléen. Mais ces pièces peuvent aussi être associées à d'autres pièces
65

bifaciales qui ont une vocation technique différente. Comment distinguer les pièces dont la vocation est d'être un
24
support malléable de celles où la forme est un élément essentiel du fonctionnement ?

Archéologiquement, les pièces bifaciales " synergiques " coexistent toujours avec des outils sur éclats

provenant soit d'un schéma opératoire de débitage, soit de façonnage. Dans ce cas, l'option " pièce bifaciale "

peut être considérée comme la recherche d'un support particulier.

En terme de fonctionnalité, il est intéressant de noter que ces supports différents présentent le même

type d'aménagement des bords, créant la même fonctionnalité potentielle. Mais l'un est fait sur une pièce

bifaciale, l'autre sur un éclat prédéterminé ou prédéterminant. Il apparaît alors nettement que la notion de support

n'est pas indifférente et joue un rôle fondamental. Ce rôle peut être d'usage et/ou de signe. Dans le cas de pièces

du MTA et de l'Epi-Acheuléen les pièces bifaciales sont techniquement d'excellente facture et semblent n'avoir

été affûtées que très peu de fois, sans que ces réaffûtages ne modifient la morphologie et les dimensions de la

pièce. Si, de plus, ces pièces ne représentent qu'un très faible pourcentage des outils, nous sommes en droit de

nous interroger sur la fonction de telles pièces : fonction d'usage ou fonction de signe ?

Dans certains sites la situation est plus claire. Nous retrouvons une fonction d'usage nette mais avec un

sens " économique " qui lui est spécifique. L'abri du Musée nous en fourni un exemple (Bourguignon L. 1992).

Parallèlement à un schéma de production d'éclats prédéterminés, un schéma de façonnage produit des pièces

bifaciales qui serviront exclusivement de support à l'aménagement de Prodnikmesser (fig. 51). Cet outil se

rencontre aussi sur des éclats prédéterminés, mais seule la structure volumétrique bifaciale plan/convexe permet

de nombreuses séries d'affûtages et de ré-affûtages. Sur les éclats, les affûtages ne peuvent pas être nombreux car

la structure de la pièce s'abîme très vite (fig. 52). Susceptible d'être le support de plusieurs outils, la pièce

bifaciale pourra être l'outil privilégié lors des déplacements. Avec l'éclat, il faudrait emporter autant de supports

que d'outils désirés.

Bien que relevant d'une même conception du façonnage, nous croyons important de distinguer les

intentions dont relève chacune de ces gestions bifaciales.

24
- Une approche " génétique " de l'industrie, replaçant les pièces bifaciales les unes par rapport aux autres
permet sans trop de difficultés de retrouver leur spécificité et donc de les différencier.
66

A titre d'hypothèse, nous envisageons, que dans le cas d'une industrie structurée à partir de schéma(s) de

façonnage, les produits plano-convexes obtenus aient été conçus comme supports d'outils et non pas directement

comme outils. C'est a posteriori que ces supports seront transformés en outils grâce à différents modes d'affûtage.

Une telle industrie présentera la même variabilité typologique que n'importe qu'elle autre réalisée aux

dépens d'éclats provenant d'un (seul) schéma de débitage.

Ces quelques données technologiques montrent clairement comment, en substituant un objet unique,

jugé invariant, à une structure volumétrique capable de gérer un grand nombre de situations, la notion de biface

occulte la notion de bifacial.


67

Chapitre 7

Les méthodes

Variabilité des méthodes de débitage issues d'une même structure ou de


structures différentes

Une structure, plusieurs méthodes, un même objet

Nous avions précédemment pu observer qu'un même type d'objet pouvait être issu de structures

différentes. Nous constatons également que plusieurs méthodes issues d'une même structure peuvent permettre

d'obtenir un même objet ou une même panoplie d'objets. En effet, il n'existe pas plus d'adéquation entre un type

d'objet et une méthode définie, qu'il n'en existe entre ce même objet et une structure définie. Les

expérimentations ont largement démontré que de nombreux objets aux caractéristiques morpho-techniques

déterminées pouvaient être obtenus par des méthodes différentes quoique dépendantes de la même structure.

Nous reprendrons l'exemple de la pointe Levallois en examinant les méthodes qui permettent de la produire.

D'après l'approche typologique, cet enlèvement était considéré comme ne provenant que d'une seule

méthode. Aujourd'hui, l'approche technologique révèle que cet objet peut résulter d'au moins quatre méthodes.

Mais, les caractéristiques morpho-techniques étant strictement identiques d'une pointe à l'autre, il est impossible

de déterminer la méthode à partir du seul objet. La détermination des connaissances mises en jeu résultera de

l'identification de l'ensemble du processus opératoire, de ses intentions et de son mode de réalisation. De ce fait,

il n'est plus possible de considérer certains objets dits " techniques " comme de véritables fossiles directeurs.

Actuellement, étant donné la démonstration d'une variabilité des systèmes techniques de production pour une
68

seule et même pièce, ces fossiles directeurs n'ont plus de raison d'être. Utilisés comme des recettes, ils niaient les

intentions et les faits avant même d'avoir cherché à les démontrer.

Plusieurs structures, plusieurs méthodes, un même objet

Suivant certaines méthodes, plusieurs structures peuvent parvenir à un même objet ou à une même

panoplie d'objets. Nous l'avons déjà dit, il n'existe pas d'adéquation stricte entre un type d'objet et une structure

définie. Si un même type d'objet peut résulter de méthodes différentes, il peut aussi résulter de structures

différentes. Les cas les plus significatifs sont les pointes Levallois (fig. 16) et les pointes pseudo-Levallois. Dans

le cas des premières, au problème de la reconnaissance des structures s'ajoutera celui de la terminologie.

Ces deux types d'objets peuvent résulter de quatre ou cinq structures différentes, simples ou complexes,

non Levallois pour la plupart. Cette variabilité n'ayant jamais été observée auparavant, ou peu mentionnée, toutes

les pointes d'aspect triangulaire répondant à deux ou trois caractères techniques particuliers étaient considérées

comme Levallois. Cela avait pour conséquence de masquer toute variabilité potentielle des méthodes et des

structures inhérentes à ces objets. L'héritage terminologique et la tradition font que nous conserverons le terme

de " Levallois " pour définir un type d'objets relevant pourtant de conceptions distinctes (fig. 16). En pratique,

cette situation paradoxale sera maintenue tant que la variabilité inhérente à ce type d'objets ne sera pas

entièrement explorée.

Cette confusion masque également le problème de la prédétermination des objets dans le processus

opératoire. En effet, la pointe pseudo-Levallois peut aussi bien résulter de méthodes issues d'une structure

discoïde, que de méthodes issues d'une structure Levallois, ou d'autres encore. Mais dans le premier cas

(Discoïde), cet objet est prédéterminé, c'est-à-dire qu'il est un des produits effectivement recherchés. Alors que,

dans le second cas (Levallois), cet objet n'est que prédéterminant, c'est-à-dire qu'il participe avant tout à la mise

en place des propriétés nécessaires à la production des objets prédéterminés à venir. Dans ce cas, c'est le négatif

qui est recherché et non pas l'objet lui-même. Ce sont les conséquences techniques qui sont les seules

intéressantes ; l'intentionnalité n'est que virtuelle. Ainsi, selon la structure et/ou les méthodes utilisées, la réalité

technique d'un objet relève d'une volonté réelle ou opportuniste.

Pendant plus de 400 000 ans, le débitage Levallois fut capable grâce à des propriétés simples, en

parfaite synergie, de satisfaire de nouveaux objectifs quantitatifs et qualitatifs, sans nécessiter de réorganisation
69

structurale. Ainsi, ce mode de débitage a pu produire des systèmes de production multiples et cohérents. Mais

cette potentialité expansive du Levallois est aussi due à son aptitude unique, parmi tous les systèmes techniques

antérieurs ou postérieurs, à fournir des panoplies d'objets sur mesure sans impliquer une nécessaire

standardisation. Les normes morphologiques, métriques et techniques sont encore soumises à des contingences
25
qui lui sont extérieures. Le Levallois correspond certainement à un palier de l'évolution des Techniques .

La stabilité du Levallois s'oppose à l'instabilité des systèmes de production laminaire qui apparaissent

dans l'histoire des techniques de façon cyclique, toujours associés à un autre mode de production basé sur le silex

ou un autre matériau, et dont la durée de vie n'excède pas les 30 000 ans au maximum.

Une structure, plusieurs méthodes, plusieurs objets

Contrairement à ce qui est souvent dit pour les périodes anciennes, la production d'objets au sein d'une

même industrie résulte de l'application d'une ou de plusieurs méthodes. C'est à l'intérieur d'une même industrie

que la pluralité des méthodes pour un même objectif technique est rare, cet état de fait traduit naturellement la

cohérence de la démarche technique du groupe.

Parfois, pourtant, plusieurs méthodes peuvent être utilisées au sein d'une même industrie. Prenons, par

exemple, le cas d'une industrie Levallois utilisant conjointement (site de Champvoisy (Marne), observation

personnelle) :

- une méthode récurrente unipolaire parallèle à initialisation centripète ;

- une méthode à éclat préférentiel à initialisation centripète.

A priori, quelle que soit la méthode, le premier enlèvement récurrent et l'enlèvement préférentiel seront

identiques. Nous pourrions alors parler de méthodes redondantes puisque chacune, par des voies différentes,

cherche à obtenir un même type d'objet. Ce serait s'arrêter aux apparences. Si, au contraire, on s'interroge sur les

raisons qui peuvent avoir justifié l'emploi de méthodes distinctes pour l'obtention d'un même objet, de nouveaux

horizons s'offrent à nous :

25
- Toutes les structures ne permettent pas la diversité, aussi bien quantitative que qualitative, des objectifs. La
variabilité d'expression des méthodes, donc des objectifs, est directement dépendante du degré de liberté de
chaque structure. Il est plus difficile de traiter cet aspect, car il interroge directement les causes de la variabilité
et sous entend que la genèse de tout système technique de production est plus d'ordre technique
qu'environnemental. Les observations que nous avons pu mener à ce sujet sembleraient confirmer l'orientation de
nos recherches dans cette direction. En effet, la richesse d'expression de certaines structures est telle qu'elle
pourrait expliquer à elle seule la durée de certaines d'entre elles, le débitage Levallois par exemple.
70

. la quantité de matière première disponible ;

. la fonction d'usage et/ou de signe qui renvoie au problème de savoir si un mode de production peut être investi

d'une fonction de signe ;

. la satisfaction d'un besoin immédiat.

Or, dans l'état actuel de nos connaissances, à l'exception du site d'Hermies en France (Pas de Calais)

(Masson B., Vallin L. 1993), où la production d'éclats prédéterminés se fait par l'utilisation d'une méthode

préférentielle exclusive, la totalité des sites Levallois connus témoigne de méthodes récurrentes et, de temps en

temps seulement, d'une méthode préférentielle.

Attention aux confusions

Prenons encore un autre exemple, plus classique et plus délicat, celui de l'association au sein d'une

même industrie de méthodes différentes issues de conceptions différentes : Levallois et Discoïde. Toutes deux

sont productrices d'éclats prédéterminants et prédéterminés qui, dans bien des cas, présentent des analogies.

Toutefois, l'importance réelle de cette association est difficile à apprécier car il existe une grande confusion dans

l'identification des nucléus Levallois récurrents centripètes et des nucléus Discoïdes (Boëda E. 1993). C'est ainsi

qu'un soi-disant débitage Discoïde, attribué à un grand nombre de sites correspond, en fait, à un débitage

Levallois. Cette confusion a pour conséquence de brouiller la lecture technologique de la plupart des sites

moustériens de France.

Or, quand la qualité des études a permis de démontrer l'existence de cette association (Farizy C. et al.

1994, Jaubert J. et al. 1990), on constate qu'il n'y a pas redondance de l'objet. Soit la différence porte sur le choix

de la matière utilisée : Levallois-silex/Discoïde-quartz ; soit la différence porte sur la spécialisation d'une des

deux conceptions de taille pour l'obtention d'un produit particulier, prédéterminé. Si, à l'occasion, ce produit est

obtenu avec l'autre méthode, c'est comme déchet de taille.

Sans une méthode de lecture appropriée, d'un même type d'objet issu de deux conceptions de taille

différentes, nous aurons tendance à n'y voir que des comportements techniques " aberrants ". La réalité est que

nous sommes souvent dans l'incapacité, à la seule vue de l'objet, de déterminer exactement ce que l'homme de la

préhistoire y recherchait. Etait-ce l'objet dans sa globalité : une forme modulable, vouée à être transformée

partiellement ou totalement ? Etait-ce une simple partie de l'objet, un tranchant de x centimètre(s) capable de

couper, racler, etc. ? Etait-ce la recherche de deux parties adjacentes indépendantes, une pointe et un tranchant ?
71

Etait-ce vraiment une fonctionnalité qui était recherchée ? La présence de deux conceptions différentes pour un

même type d'objet avait-elle à voir avec des règles sociales particulières ?

Comment répondre à ces questions par la simple vue d'un objet ? La réponse est-elle seulement dans

l'objet ?

L'individu comme facteur de variabilité : schéma d'intention, schéma de


réalisation

L'individu est un facteur de variabilité non négligeable. En effet, dans une production lithique, nous

devons toujours distinguer les schémas d'intention des schémas d'exécution. Cette distinction nous permet

d'observer des différences dues à des problèmes de qualité de matière première ou, tout simplement, à la qualité

d'exécution du tailleur, due notamment à son investissement personnel et/ou à ses connaissances. Souvent, ce qui

fut pris pour des schémas non structurés (rendant les listes types encore plus incohérentes) est désormais reconnu

comme l'expression de niveaux d'apprentissages différents, traduisant non plus l'incohérence du groupe, mais au

contraire sa cohésion (Pigeot N. 1987 ; Ploux S., Karlin C. 1993).

Cette variabilité à l'intérieur d'un même site n'exprime donc pas l'application de méthodes ou de

structures différentes, mais l'application d'une seule méthode à des niveaux différents. Selon l'analyse

typologique, cette variabilité d'ordre comportementale était traduite en termes de connaissances techniques

multiples. Plutôt que d'être considérée comme l'expression d'une richesse culturelle technique, cette multiplicité

était interprétée comme le reflet d'une instabilité souvent attribuée à des causes environnementales : mauvaise

qualité de la matière première, éloignement des sources de matière première, etc. C'est exactement le contraire !

Il n'existe pas de génération technique spontanée. Suivant certaines difficultés occasionnelles, on peut modifier

légèrement les méthodes, sans jamais s'en écarter réellement, mais on ne crée pas spontanément d'autres

structures. Ce fait est démontré archéologi-quement : aucune étude technologique sérieuse n'ayant jamais mis en

évidence la coexistence de structures redondantes.

Très tôt, et contrairement à une idée classique encore très répandue, on ne fait pas n'importe quoi

n'importe quand. Le degré de complexité présent dans la réalisation d'un objet afin de répondre à un besoin n'est
72

pas proportionnel au volume du cerveau, mais à la quantité de principes techniques mise en jeu. Or, comme nous

venons de le voir, cet aspect quantitatif est lié à des facteurs tout autres.
73

Moment de la variabilité pour les méthodes de débitage

Concernant certaines conceptions de débitage, nous avons précédemment décrit (chapitre 1, note 11) la

nécessité de passer par un nucléus dit " configuré ", structurant les propriétés techniques nécessaires à la

réalisation des objectifs (fig. 3). Ce nucléus fait suite à un stade d'initialisation et il est précurseur du stade

d'exploitation. Selon cette architecture de lecture, nous sommes à même de percevoir le moment de la variabilité

et de lui donner un sens.

Reprenons, par exemple, le cas déjà évoqué de la soi-disant pression de l'environnement : un groupe

qui connaît d'inhabituels problèmes d'acquisition de matière première peut être amené à modifier les modalités

d'initialisation des nucléus sans pour cela modifier le(s) stade(s) d'exploitation(s) connu(s) et donc les objectifs.

Ainsi, il existe une variabilité potentielle inhérente au stade d'initialisation avec laquelle l'individu peut jouer.

Dans un même gisement, pour une même méthode d'exploitation, nous pourrons observer différentes méthodes

d'initialisation qui ne modifieront pas les objectifs. Cette distinction permet de redonner un sens exact à la

notion de pression de l'environnement, trop souvent perçue comme le moteur de l'évolution technique.

Cette aptitude à modifier ce stade technique ne se retrouve cependant pas forcément chez tous les

groupes. Tous les comportements techniques doivent être envisagés. Ce degré de lecture complique

considérablement la compréhension d'un matériel : peut-on faire autre- ment ?

En revanche, la variabilité du stade d'exploitation est rarement constatée dans un même gisement, car

elle implique nécessairement une modification qualitative et quantitative des objectifs. Sur le plan archéologique,

et dans la mesure de nos connaissances, nous sommes toujours surpris de rencontrer une stabilité extrême du

stade d'exploitation au sein d'une même industrie. En général, les quelques modifications perceptibles à

l'intérieur d'un même site sont dues à des problèmes très occasionnels, rencontrés pendant le processus opératoire.

Lorsque nous remontons l'histoire technique d'un nucléus, il est toujours étonnant de voir le tailleur revenir à la

méthode connue, quand des problèmes successifs l'ont conduit à s'en éloigner. On peut même constater des

nouveautés techniques, qui n'ont pas été perçues comme des inventions capables d'innovations, mais plutôt

comme des erreurs techniques ou des non-sens et n'ont pas été exploitées plus avant.

A une méthode correspond un stade d'initialisation et un stade d'exploitation. Chaque gisement ne

présente qu'une méthode pour parvenir à un même type d'objectif, excepté quand il existe des adaptations à la
74

matière première. Dans ce cas, nous sommes en présence de plusieurs méthodes dont seuls les stades

d'initialisation différent. Chaque méthode est cohérente, et chaque ensemble est cohérent.

Jusqu'à présent, parlant de méthode x ou y, nous ne faisions référence qu'au stade d'exploitation. Une

méthode récurrente unipolaire signifiait que le stade d'exploitation était régi par une méthode récurrente

unipolaire. Nous n'avions alors aucune information sur la façon dont le nucléus avait été initialisé. Maintenant, il

en est tout autrement. Chaque schéma opératoire se décompose en une méthode d'initialisation et une méthode

d'exploitation. Grâce à cette distinction, un certain nombre de modalités de débitage vont pouvoir être rattachées

à telle ou telle conception, évitant ainsi de créer des structures volumétriques imaginaires.

Il est important de ne pas dissocier ces deux stades car ils sont " génétiquement " liés. Pour que la phase

d'initialisation se justifie, elle doit précéder la phase d'exploitation, et pour que cette dernière existe il faut que le

nucléus soit configuré.

Prenons l'exemple du débitage dit Kombewa. A quoi correspond ce mode de débitage? Il s'agit en fait

d'un débitage effectué aux dépens d'un nucléus aménagé sur une face inférieure d'éclat. Erigée en système, cette

appellation pourtant ne nous renseigne ni sur la structure du nucléus ni sur ses règles d'exploitation. Le mode dit

Kombewa ne nous renseigne que sur le mode d'initialisation du nucléus. Mais, il peut s'agir, d'une structure

Levallois, Discoïde, Triface ou Clactonienne.

Dans le cas d'une structure Levallois, l'initialisation consistera dans un premier temps, à choisir un éclat

dont la face inférieure servira de surface de débitage ; si les convexités naturelles ne sont pas suffisantes, il est

fréquent d'observer un aménagement très partiel de certaines convexités ; dans un second temps, à aménager la

surface des plans de frappe.

Par la suite l'exploitation sera menée selon les règles liées à la structure Levallois des nucléus, suivant

les modes bien connus par ailleurs :

. Levallois récurrent unipolaire, site de Barbas I (fig. 53, 54) (Dordogne) (Boëda E. 1995c) ;

. Levallois récurrent centripète, site de la Bouloie (Haute-Marne) (Amiot C., Etienne J.-C. 1977 ; observation

personnelle) et site de Korolevo couche micoquienne (fig. 55, 56) (observation personnelle) ;

. Levallois récurrent convergent, site d'Umm el Tlel (Syrie) (Boëda E. 1995b).

Des cas d'initialisation Kombewa en vue d'une exploitation Discoïde ont été observés sur le site de

Külna (République Tchèque) (Boëda E. 1995d). Quelques nucléus ont été directement exploités à partir de la
75

face inférieure de gros éclats, les tailleurs ont simplement isolé la partie la plus convexe, le bulbe, pour obtenir

une surface de débitage présentant une convexité circulaire, l'exploitation se fait par la suite selon les règles liées

à la structure Discoïde.

Une structure d'exploitation Triface a également été remarquée sur le site des Pendus (Dordogne)

(observation personnelle). Ici, les tailleurs ont choisi un éclat de section Triface, sans aménagement de la surface

de plans de frappe, pour débiter quelques éclats aux dépens de la face inférieure de l'éclat Triface.

Enfin, des structures d'exploitation de type Clactonien, sont connues sur le site de Montsaugeon (Haute-

Marne) (Amiot C. 1993). A partir de gros éclats, un simple aménagement judicieux de la surface de plans de

frappe aux dépens de la face supérieure de l'éclat permet par la suite le détachement d'une petite série

d'enlèvements.

Quelles que soient les structures de débitage, les éclats obtenus seront des éclats : Kombewa, semi-

Kombewa et non Kombewa. Ainsi, un éclat dit Kombewa n'est pas plus représentatif d'une seule et unique

structure volumétrique, qu'une typo-pointe Levallois. La méthode Kombewa n'est qu'une méthode

d'initialisation conduisant à un nucléus configuré qui sera exploité selon telle ou telle structure par telle ou telle

méthode.

Dans le cas de Barbas, nous définissons le débitage en présence comme un débitage Levallois récurrent

unipolaire d'initialisation de type Kombewa ; dans le cas de Külna il s'agit d'un débitage Discoïde dont l'une des

méthodes d'initialisation utilisées est de type Kombewa, etc.

Influence de la méthode d'initialisation sur les objectifs issus du stade


d'exploitation

Nous avons dit précédemment que le mode d'initialisation n'avait pas d'influence sur les objectifs issus

des méthodes d'exploitation. Toutefois, certaines méthodes d'initialisation pourront avoir quelques conséquences

sur certains caractères techniques de ces objectifs (fig. 57).


76

Un tranchant obtenu par un seul négatif d'enlèvement (face supérieure régulière, délinéation linéaire,

plans de section égaux) présentera un potentiel fonctionnel différent d'un tranchant fait de plusieurs négatifs

d'enlèvements (face supérieure irrégulière, délinéation non linéaire, plans de section variés, etc.). Dans le cas

d'un débitage Levallois récurrent le caractère - un négatif d'enlèvement, un tranchant - s'obtient d'au moins de 2

façons :

- avec une méthode d'initialisation de type centripète, il faudra attendre la production du deuxième, voir du

troisième enlèvement récurrent pour obtenir ce caractère ;

- avec une méthode d'initialisation unipolaire ou bipolaire, le caractère recherché sera obtenu dès le premier

enlèvement. Le choix de la méthode d'initialisation apparaît donc comme un élément déterminant pour la phase

de production, ce qui justifie le choix d'une méthode d'initialisation spécifique.

Différents cas de figure sont possibles. Les mettre en évidence permettra de rétablir une réalité

technique régie par des règles techniques, voire par des lois. Les reconnaître fait partie de notre travail.

Moment de la variabilité pour les méthodes de façonnage

Les méthodes de façonnage, elles-aussi, peuvent faire l'objet d'une variabilité. Mais il est plus difficile

d'en rendre compte, car de trop rares études sont consacrées à ce matériel. A ce jour, seuls quelques travaux sont

en cours sur ce sujet dont les résultats montrent l'existence de cette variabilité (Boëda E. 1991, 1995c et 1996 ;

Brenet M. 1996). Jusqu'à présent, cette variabilité était contenue dans la distinction biface et racloir à retouche

biface, mais on ne s'attachait pas à la reconnaissance d'une éventuelle variabilité des méthodes. Actuellement,

nous effectuons un premier niveau de distinction entre une pièce bifaciale dont le volume est délimité par :

- deux surfaces de conception technique identique convexe/convexe ou plane/plane ;

- deux surfaces de conception technique différente, plane et convexe ;

- deux surfaces de conception mixte, auquel cas plusieurs solutions sont possibles.

De prime abord, la variabilité est fonction du degré de liberté qu'offre chacune de ces différentes

conceptions. De ce point de vue, il semblerait que le degré de variabilité d'une conception bifaciale de type bi-

convexe soit nettement inférieur à celui des conceptions de type plan-convexe ainsi que de type mixte. Cela
77

pourrait expliquer, ne serait-ce qu'en partie, le plus grand nombre d'industries bifaciales plan-convexe et mixtes

actuellement connues.

En effet, excepté la variabilité inhérente au type de support utilisé pour façonner la pièce bifaciale -

éclats de gel ou éclats anthropiques, blocs bruts - il ne semble pas exister une infinité de possibilités pour réaliser

ces pièces biconvexes. Ce manque de variabilité est démontré par l'expérimentation. La fabrication d'une pièce

bifaciale biconvexe (Texier P.-J. 1989) consiste dans la répétition de quelques opérations techniques peu

complexes afin d'aboutir à des préformes successives, et ainsi jusqu'à l'objet désiré. Selon la morphologie du

support de départ, quelques opérations techniques différentes seront nécessaires. La première " préforme "

obtenue, nous répéterons quelques unes des opérations précédentes.

Dans le cas des pièces plan-convexes et mixtes, plusieurs niveaux de variabilité pourront être observés.

Un niveau portera sur le type de support utilisé, s'agissant soit d'un bloc brut de débitage, soit d'un éclat naturel -

gel - (dans ce cas nous l'assimilerons à un bloc brut de morphologie adéquate), soit d'un éclat de taille.

Dans ce dernier cas, il faudra reconnaître le mode de débitage utilisé : Levallois, Discoïde, Clactonien,

Laminaire(s), etc., ce qui constitue un niveau de variabilité supplémentaire.

Toujours dans le cas de supports éclats issus des modes de production sus-nommés, trois cas peuvent se

présenter.

Premier cas : le but du schéma de débitage est effectivement la production de supports en vue d'être

transformés en pièce bifaciale (Ohel M.-Y. 1979). C'est là la justification de l'investissement technique. Les sites

dits Clactoniens de la plage du Havre illustrent parfaitement ce cas de figure (Forestier H. 1993). Ici, sur des

blocs bruts volumineux, les opérateurs ont utilisé une conception de débitage de type Clactonien pour produire

de gros éclats voués à devenir des bifaces.

Second cas : le but du schéma de débitage est la production de différents supports voués à être

transformés en différents types d'outils parmi lesquels des pièces bifaciales. C'est la recherche de supports

diversifiés destinés à la réalisation diversifiée d'outils qui justifie l'investissement technique. Selon la finalité

fonctionnelle recherchée, gratter, couper, etc. et les usages du groupe, certains supports seront plus ou moins

recherchés. Mais des comportements différents sont possibles.

Recherchant une adéquation technique fine entre le futur support et l'outil, parmi les enlèvements

produits, certains groupes sélectionneront celui qui correspondra techniquement le mieux à la finalité envisagée.

Pour ce faire, ils peuvent aussi intégrer volontairement dans la production un mode d'éclat particulier. Pour
78

d'autres groupes, l'adéquation étant moins restrictive, une plus grand souplesse d'adaptation sera adoptée. La

sélection du bon support se fait alors dans un deuxième temps, parmi un lot d'éclats.

De tous les différents modes de débitage utilisés, le débitage Levallois se présente comme le plus apte à

répondre à une demande spécifique. A Champvoisy, Moustérien saalien de la Marne, la production est régie par

une conception Levallois du débitage. Plusieurs méthodes issues de cette conception ont été utilisées : méthodes

récurrentes uni- et bi-polaire et à éclat préférentiel. Or, il semblerait que les supports choisis pour la production

de pièces bifaciales soient ceux obtenus par une méthode à éclat préférentiel. Mais cette méthode a aussi fourni

des éclats qui ont été aménagés en racloir simple, double, etc. D'autres exemples existent qui utilisent une

conception du débitage Discoïde ou Clactonienne.

Troisième cas : dans une même industrie, il peut exister plusieurs modes de débitage aux buts

techniques différents. L'un servira à produire des supports de pièces bifaciales alors que l'autre servira à produire

toute une gamme de supports voués à être transformés en outils de type racloirs, denticulés, etc. Mais il est

évident que chacun de ces deux modes de production peut fournir des supports d'outils différents de ceux qui

justifient leur existence technique. Il ne faut pas confondre une prédétermination productionnelle d'une

prédétermination fonctionnelle. Un type de produit peut justifier à lui tout seul l'existence d'un mode de

production - prédétermination productionnelle -, cela n'empêchera pas l'opérateur de réutiliser certains éclats "

prédéterminants ", pour leurs bons critères fonctionnels. Nous dirons alors que ces éclats sont des éclats

techniquement prédéterminants et fonctionnellement prédéterminés. Il faut toujours garder à l'esprit qu'un

comportement technique est une oeuvre humaine et non celle d'une machine et qu'en conséquence de

nombreuses variantes peuvent être introduites.

Les modes de production associés sont de différentes natures. A Barbas (Dordogne) (Boëda E. 1994b,

1995c), les pièces bifaciales acheuléennes de la couche C'3 base sont issues de supports produits par un débitage

de type Clactonien alors que le mode de production associé est un débitage Levallois récurrent unipolaire dont le

mode d'initialisation est de type Kombewa. A Külna (République Tchèque), les pièces bifaciales micoquiennes

sont issues de supports produits par un débitage de type Clactonien alors que le mode de production fournissant

les supports pour les racloirs et denticulés est un débitage Discoïde.


79

Un degré supplémentaire de variabilité peut encore être introduit, s'agissant d'une variabilité quantitative.

Elle porte sur les proportions entre :

- les pièces façonnées et débitées ;

- les pièces façonnées issues d'un support débité et celles provenant d'un bloc brut de débitage.

Cette variabilité croisée avec l'information qualitative exprimée précédemment, à savoir :

- quels sont les modes de productions ?

- quelles sont les méthodes utilisées pour le façonnage et le débitage ?

- nous permettra de rendre compte d'un potentiel de variabilité impressionnant.

A elles seules, les notions d'Acheuléen, de Micoquien, de Moustérien ne permettent donc plus de

recouvrir les réalités techniques observables. Loin d'une vision limitative de la pièce bifaciale, que sous-tendait

sa seule dénomination de biface, nous sommes maintenant en présence d'un vaste champ de recherche à investir.

Variabilité des méthodes de mise en forme des pièces bifaciales de section


plan/convexe

Dans le plus simple des cas, les pièces sont clairement plan/convexe : l'une des deux surfaces étant tout

à fait plane et l'autre bien convexe. Les plans de section sont très nettement plan/convexe. Ce cas de figure

n'autorise pas une grande variabilité des méthodes. Seul l'aménagement des bords entraînera une variabilité plus

importante. Les modalités de mise en place présentent pourtant certaines variabilités : variabilité liée au type de

support utilisé - éclat, plaquette, etc., aux dimensions et aux formes recherchées. Ce type bifacial est à considérer

comme un support potentiel, susceptible d'être transformé en outil.

La situation est plus complexe quand les surfaces sont hétérogènes : à la fois planes et convexes. Cette

asymétrie peut être observée dans de nombreux cas, pour simplifier citons-en trois : le " biface dit Micoquien ",

le " biface du Moustérien de Tradition Acheuléenne (MTA) " et la " pièce bifaciale micoquienne ".

Le biface de type micoquien


80

La partie opposée à la pointe est composée de deux surfaces convexes, laissant croire en cela que la

pièce est biconvexe. Mais, lorsqu'on observe l'extrémité pointue, on remarque parfois une sorte de torsion,

résultat de l'association de deux surfaces plan/convexe (fig. 58b, 59). La torsion n'est pas systématique, elle est

fonction des critères recherchés par l'opérateur. Ce principe technique ne caractérise seulement que quelques

pièces du " Micoquien ", alors que le Micoquien recouvre une bien plus grande diversité technique.

Néanmoins, lorsqu'on observe attentivement chacun des deux bords ou plans de section créés, on

remarque qu'ils sont constitués d'une surface plane et d'une surface convexe. Si besoin est, c'est cette dernière qui

fera l'objet d'une retouche. Cette double asymétrie, suivant l'axe sagittal et l'axe frontal, constitue une variante de

la notion plan-convexe. Les caractéristiques plane et convexe sont alors appliquées aux deux surfaces et non plus

individualisées sur chaque surface.

Le biface de type M.T.A

Ces pièces bifaciales présentent, en général, une extrémité arrondie faite de deux surfaces convexes

avec ou sans partie réservée (corticale) et une extrémité pointue, point d'intersection des deux bords convergents

(fig. 59a). Le traitement des deux surfaces est assez variable, mais classiquement nous pouvons diviser la pièce

en deux dans son axe transversal : la moitié distale comprenant la partie pointue et la moitié proximale

comprenant la partie arrondie. La moitié distale est faite d'une surface plane et d'une surface convexe, c'est

toujours la surface convexe qui est retouchée. La moitié proximale est de construction plus hétérogène, soit faite

de deux surfaces convexes, soit d'une surface convexe et d'une surface mixte plan/convexe. Dans ce cas, la

localisation de la partie plane est aléatoire et ne semble pas relever d'une localisation particulière. En revanche,

quand, nous observons un affûtage dans cette moitié proximale, elle est toujours faite aux dépens de la surface

convexe à partir des parties de surfaces planes.

La pièce bifaciale de type micoquien

Une étude récente (Boëda E. observation personnelle) du matériel de la couche micoquienne de

Korolevo (Ukraine) montre des pièces bifaciales plan/convexe de construction et de morphologie très diverses

(fig. 60, 61). Selon l'école à laquelle appartient le chercheur, une telle diversité, associée à des types d'outils

différents, peut témoigner soit d'une haute technicité soit de la plus totale anarchie. En fait, l'analyse technique
81

montre que ces pièces sont toutes identiques, sauf les tranchants affûtés. Cette homogénéité est due aux critères

techniques recherchés par les opérateurs. Si, suivant une approche systémique, nous dissocions sur chacun de ces

outils trois parties, nous remarquerons alors trois types de contact (Lepot M. 1993) distincts quoique

syncrétiques dans leur fonctionnement :

- un contact réceptif de l'énergie ;

- un contact préhensif de l'outil ;

- un contact transformatif du matériau à transformer.

Le contact transformatif est assuré par un des bords de l'objet, ce bord étant de section plan/convexe

(avant tout affûtage). Ce plan de section est obtenu en mettant en place deux surfaces distinctes : l'une plane,

l'autre convexe. En périphérie du futur bord transformatif, la surface plane est régulière. Ailleurs, elle l'est moins.

Cette différence de traitement est due, en partie, aux choix techniques de mise en place de cette surface, mais

surtout, elle délimite nettement la partie fonctionnelle de la surface plane. Ainsi, la partie plane régulière aura

une fonction transformative alors que la partie irrégulière aura un rôle technique plus diversifié, lié au contact

préhensif ou au geste caractéristique de l'action.

Quant au bord opposé au contact transformatif, on peut le diviser en deux unités techniques distinctes,

qui créent une ligne brisée avec un angle obtus. La première unité est traitée de façon à obtenir un plan abrupt ;

la seconde est traitée de façon biconvexe. Ces deux parties sont donc parfaitement dissociables et correspondent

sans doute, respectivement, au contact préhensif et réceptif. Les choix techniques pour l'aménagement de ces

deux parties sont également différents.

Ces trois critères, contact réceptif, contact préhensif et contact transformatif, seront mis en place suivant

un ordre différent selon le type de support utilisé. Cette variabilité peut renforcer un sentiment d'anarchie

technique. Mais, parce qu'une " opération technique n'est pas arbitraire, ployée en tous sens au gré du sujet au

hasard de l'utilité immédiate " (Simondon G. 1958 p. 255-256), il serait plus judicieux d'employer le terme

d'entropie pour définir cette modalité de façonnage où désordre apparent et diversité des choix techniques

participent d'une structure opérationnelle stable. D'autres exemples pourraient révéler des savoir-faire différents

tout en maintenant les mêmes structures opératoires.


82

La complexité de ces industries renforce la nécessité de développer des méthodes d'analyses diversifiées,

capables de mettre au jour ce que notre seul regard ne soupçonne pas.

Le Paléolithique inférieur et moyen est un espace temps immense, l'un des plus longs de l'histoire de

l'homme, pendant lequel l'expression lithique est des plus diversifiée, témoignant de technicités accomplies.

Dans un tel contexte, l'application de recettes, comme l'identification de types, est un piège. Il est en fait difficile

de trouver des industries lithiques aux capacités techniques absolument identiques. Ainsi, un grand nombre de

théories deviennent caduques qui, pour le besoin de leur démonstration, créent de nouvelles civilisations à

chaque nouveau type. Avec une analyse technologique pointue, nous ne déterminons que des groupes. Ce qui, de

prime abord, pourrait paraître limitatif, est en fait une ouverture sans fin sur l'intelligence technique des hommes

de la préhistoire.
83

Chapitre 8

Les objectifs fonctionnels d'usage

La notion d'objectif

La détermination exacte de l'ensemble des objectifs d'une chaîne opératoire est souvent délicate à

obtenir.

L'analyse typologique permet de reconnaître, de définir et de classer les différentes variétés d'outils dans

le but de comparer différents ensembles lithiques. Seront pris en compte : tous les objets retouchés, certains

produits bruts de retouche, considérés comme des outils potentiels, et les pièces bifaciales. La nomenclature de

ces différents objets est de nature hétérogène : descriptive (biface, denticulé, etc.) ; analogique (grattoir, racloir,

perçoir, etc.) ; déductive (burin) ; technique (éclat Levallois, pointe pseudo-Levallois, etc.) ; et autres (Bordes

1961).

L'analyse technologique, incluant une démarche expérimentale, a permis de démontrer qu'un même type

d'objet ou une même caractéristique technique (tranchant, dos, etc.) peuvent être le résultat de démarches

techniques différentes, et qu'à un type d'objet précis ne correspond pas un usage défini. Un même résultat peut

être obtenu par des objets différents issus de structures et de schèmes différents.

En conséquence, lorsqu'on donne un nom unique à un objet, comme par exemple, celui de racloir, ce

terme recouvre des réalités techniques très différentes. Dans un même ensemble lithique, celui-ci peut aussi bien

effectuer plusieurs fonctions qu'un travail unique. Il peut également varier dans le temps en changeant

d'individualité, issu de schémas opératoires différents, comme par exemple un racloir sur éclat et un racloir sur

une pièce bifaciale, seule la spécificité fonctionnelle persiste. De plus, selon le mode de support choisi et les

savoir-faire du groupe, un même type de pièce peut se transformer et devenir un autre type de racloir ou un autre
84

type d'outil. Selon que le support adopté a une fonction unique ou multiple ce changement d'individualité

prendra un sens évidemment différent.

Ces nouvelles informations sur la variabilité de l'outil nous conduisent à considérer un aspect jusqu'à

présent peu envisagé : celui de l'outil dans son fonctionnement (Rabardel P. 1995). En effet, nous privilégions

souvent la production et l'étude de la fonction d'un objet, mais nous oublions presque de considérer cet outil à

travers les gestes nécessaires à son fonctionnement. Ceux-ci, pourtant, font partie de la réalité technique

(Simondon G. 1958). Il est vrai que l'analyse du fonctionnement de l'outil est difficile à percevoir car elle

implique la considération de couples tels que : main/outil, outil/matière, espace/geste, dont une des composantes

nous manque souvent. La fonction de l'outil renvoie par ailleurs à l'ensemble technique dans lequel s'inscrit

chaque outil. Car l'outil n'est qu'un élément d'un plus vaste ensemble, ce que nous oublions aussi trop souvent.

L'individualisation et la spécificité de l'objet technique en tant qu'objectif ne peuvent se faire qu'au

travers la détermination des critères de sa genèse qui, dans ce cas, sont techniques, ou, en d'autres termes, à partir

de la reconnaissance du système technique de production dont il est issu (Geneste J.-M. 1991).

Variabilité qualitative et quantitative

Cet aspect du problème a été largement abordé lors des chapitres précédents. Rappelons cependant que

la détermination des intentions techniques d'un processus opératoire, c'est-à-dire ce en quoi ce processus est

orienté et finalisé, nous a permis d'élargir considérablement la variabilité qualitative et quantitative des objectifs

inhérents à chacune des structures volumétriques et des méthodes. Nous avons individualisé des méthodes de

débitage capables de produire :

- un seul type de produit aux dépens d'une surface préparée, ce sont les méthodes Levallois à enlèvement

préférentiel ;

- une panoplie de produits, soit aux dépens d'une surface préparée, ce sont les méthodes Levallois récurrentes,

soit aux dépens d'un volume, ce sont les méthodes discoïdes et autres ;

- une série de produits dont les caractères morphotechniques et métriques évoquent une production "

standardisée ", ce sont par exemple les débitages de lames de type Rocourt ou Hummal.
85

Variabilité intra-site

Dans certaines industries, le choix du support pour la fabrication de tel ou tel outil ne semble pas

aléatoire. Ces supports, issus d'un même schéma opératoire, proviennent de différents moments de la production.

Ils correspondent à ce que nous dénommons des enlèvements prédéterminés et/ou des enlèvements

prédéterminants. Toutefois ces supports particuliers ne seront pas toujours les seuls à être pris en compte dans la

phase d'utilisation. Les exemples archéologiques montrent très fréquemment l'utilisation de supports

indéterminés (par rapport aux objectifs techniques) pour la fabrication d'outils.

Etant donné la difficulté, dans l'état actuel de nos connaissances, à estimer quelles sont les intentions

techniques exactes recherchées par l'homme de la préhistoire, dans un premier temps, nous établirons une

possible variabilité de trois catégories d'objets ou parties d'objets issus d'une même chaîne opératoire :

- des objets techniques stricto sensu ;

- des objets techniques prédéterminants ;

- des parties d'objets présentant un ou des caractères techniques particuliers.

Cette dernière catégorie permet de mettre en évidence des ensembles de caractères techniques

indépendamment du type de support.

Objets techniques stricto sensu

Nous considérons comme finalités d'une chaîne opératoire les objets techniques résultant et dépendant

des connaissances mises en jeu tout au long de leur réalisation. Ces objectifs justifient la mise en oeuvre d'un

système technique du système de production ; ils sont sa raison d'exister. L'objectif est donc un objet ou un

ensemble d'objets techniques stricto sensu. En le qualifiant de technique, nous signifions qu'il est l'objet de

connaissances et de savoir-faire qui, par synergie, ont permis d'aboutir aux résultats escomptés. Si

l'intentionnalité technique est rendue possible par l'analyse des schémas de production, les modalités

fonctionnelles de ces pièces sont extrêmement délicates à envisager. Dans la mesure où il n'existe pas d'usage

défini pour telle où telle catégorie d'objets, ces pièces peuvent aussi bien être recherchées pour un ensemble de
86

caractéristiques morphologiques et/ou techniques et/ou métriques ou, au contraire, pour un seul de ces caractères

qui, de prime abord, ne nous paraissent pas évidents.

Des réponses pourront être obtenues si nous sommes en mesure de lire les intentions morphologiques,

techniques et métriques que recèle chaque objet. Cela est possible si nous décidons de ne plus regarder l'objet

dans sa généralité, occultant ainsi certaines propriétés techniques essentielles. Chaque objet technique résulte de

la synergie de propriétés aux conséquences techniques précises. Dans la mesure où d'autres caractères techniques

aux conséquences fonctionnelles identiques auraient pu être utilisés, nous pourrions alors discerner sur l'objet

l'effet d'un tel choix, significatif d'un fonctionnement et d'une fonctionnalité précis et recherchés. Une multitude

de scénarios est envisageable à partir d'un même ensemble lithique, à nous de nous donner les moyens de les

transcrire.

Le couple technique : bord/pointe

L'un des exemples le plus probant concerne les pièces présentant le " couple technique bord/pointe ". En

considérant cette seule association, nous pourrions regrouper des outils aussi différents que des pièces façonnées :

bifaces, pointes moustériennes, racloirs convergents et déjetés ou des enlèvements bruts de débitage : pointes

Levallois, éclats triangulaires, lames pointues ...

Lorsqu'on confronte les critères techniques recherchés aux parties supposées correspondre au contact

transformatif de chacune des pièces de ces deux catégories, dans la grande majorité des cas cette association

apparaît comme le résultat d'une volonté technique. La recherche d'une pointe est donc un objectif technique que

nous arrivons à saisir assez facilement. Mais la pointe obtenue par la convergence de deux bords est conçue pour

répondre à une ou plusieurs fonctions, consécutives ou indépendantes. Considérons trois exemples.

Les pièces bifaciales

Notre premier exemple concerne des pièces bifaciales. En effet, certaines de ces pièces analysées sous

l'angle techno-fonctionnel présentent une asymétrie des surfaces accentuée, a posteriori, par affûtage. Ainsi,

alors que nous pourrions tracer un trait oblique aux 2/3 de la pièce qui diviserait celle-ci en une partie

plan/convexe et une partie bi-convexe, avec un traitement des surfaces parfaitement régulier, le traitement des

bords est différent pour chacune d'elles (fig. 62, 63). On remarque en effet que l'asymétrie plan/convexe des
87

surfaces, marquée dans la partie pointue située à une extrémité de l'outil, est souvent affûtée et ré-affûtée, ce qui

n'est pas le cas de la partie bi-convexe, à l'extrémité opposée de l'outil.

En conséquence, ces deux parties pourraient correspondre respectivement à :

- une partie transformative : la partie plan/convexe ;

- une partie réceptrice et préhensile : la partie bi-convexe.

Mais ce niveau de distinction n'est qu'un premier niveau d'analyse. En effet, chacune de ces deux parties

peut présenter des aménagements périphériques très différents, créant des combinaisons fonctionnelles

complexes. Celles-ci auront évidemment des conséquences importantes sur le fonctionnement de l'outil, tant

dans le rapport main/outil que dans celui de l'outil/matière transformée. Il s'agit alors d'un problème

ergonomique.

Les observations archéologiques des différentes pièces bifaciales que nous avons pu effectuer montrent

trois grandes catégories de couple pointe/bord(s).

La première catégorie regroupe les outils où la pointe et les deux bords agissent en synergie, c'est-à-dire

qu'ils créent une UTF. La deuxième et la troisième catégorie comprennent les outils où le couple pointe/bord(s)

est avant tout une association d'UTF transformatives non synergétiques.

Les pièces bifaciales où les deux bords de la partie plan/convexe sont affûtés sur une même surface, de

façon identique ou différente, appartiennent à cette deuxième catégorie. Dans ce cas, nous pourrions distinguer

trois parties agissant séparément et/ou en association mais non superposables. Chaque partie ou UTF correspond

à une fonction différente et témoigne dans bien des cas d'un maintien différent de l'outil, selon que l'on utilise le

bord gauche ou le bord droit. Cette différence de maintien est rendue nécessaire du fait que l'affûtage des deux

bords est fait aux dépens de la même surface. En effet, pour un droitier racler une peau, en utilisant le bord droit

d'une pièce bifaciale (surface plane au contact avec la peau), se fera en maintenant la partie opposée de l'outil

(fig. 64, 65). Si on décide d'utiliser le bord opposé avec le même geste, pour conserver l'efficacité du tranchant,

le maintien ne peut plus être le même. L'objet doit être maintenu par la pointe près de l'UTF en action. Ce qui

n'est pas forcément très pratique (observation subjective). C'est peut être pour cela que l'affûtage de chacun des

bords est souvent différent.

En revanche, si l'on désire maintenir deux bords identiques pour la même fonction on peut adopter une "

astuce " technique. Ces objets appartiennent à la troisième catégorie.


88

En effet, si on utilise les deux bords adjacents plan/convexe d'une pièce bifaciale, en inversant

l'asymétrie des surfaces on peut utiliser les deux bords de l'outil avec le même type de contact transformatif, le

même type de maintien, le même geste et donc le même fonctionnement (deux outils identiques en un) (fig. 66).

Ainsi, pour utiliser ces deux bords de la même façon, il faut fabriquer une pièce bifaciale dont la moitié

distale de chaque surface est mixte : plan-convexe, de façon à créer des plans de section plan/convexes inverses

d'un bord à l'autre. De telle sorte que changer de bord ne modifie pas la nature du contact transformatif.

L'utilisation du bord droit et du bord gauche se fera de la même façon ; le passage de l'un à l'autre s'effectue avec

une simple rotation de la pièce dans son axe longitudinal. Cette duplication est particulièrement intéressante à

noter car elle nous indique, de façon indirecte, comment l'outil devait travailler : la puissance et l'envergure du

geste, sa mobilité, son type de contact, etc. Si, en plus nous étudions le nombre d'affûtages effectués, nous nous

rendons compte que l'affûtage se fera tant que la morphologie et les caractères techniques volumétriques de la

pièce resteront identiques. Il y a donc des limites techniques à ne pas dépasser. Mais chaque UTF peut également

être affûtée de façon différente. Dans ce cas, l'information technique est : des objectifs différents mais un geste

qui nécessite le même maintien de l'outil.

Les différentes industries bifaciales témoignent de cette réponse technique dans des proportions variées.

Elles est notamment souvent observée dans les industries dites micoquiennes sur certains bifaces de type

Bockstein (Bosinski G. 1967). Ces pièces sont appellées "wechselseitig-gleichgerichtete Kantenbearbeitung" .

Les outils convergents sur éclat

Pour le second exemple, nous analyserons le couple pointe/bords sur des outils tels que des typo-pointes

moustériennes, des typo-racloirs déjetés ou convergents. L'obtention d'un bord affûté convergent peut se faire de

différentes façons. L'une d'entre elle, la plus efficace en terme de qualité de tranchant, consiste à partir d'un

support dont au moins deux bords convergent et créent une pointe qu'il suffira de parfaire pour obtenir le

tranchant voulu.

L'aménagement à l'identique des bords convergents permettra d'obtenir une " pointe ". Mais dans un

grand nombre de cas, les bords ne sont pas traités à l'identique. L'asymétrie des tranchants, qui en est la

conséquence, s'observe dans la fabrication d'un grand nombre d'outils convergents. Cette différence de traitement

donne l'impression que les deux sont des UTF transformatives différentes ou identiques ou que l'un des bords est

une UTF transformative alors que l'autre serait une UTF préhensive. Dans ce dernier cas, cette différence de
89

traitement correspondrait à un emmanchement (fig. 67). Si, l'emmanchement est un élément technique qui

optimise l'efficacité de l'outil, il est aussi un élément technique qui influence le mode de production. En effet,

soit l'emmanchement est capable de s'adapter à toutes les sortes de contact préhensif, soit il est normalisé. Dans

ce cas, il faut aussi normaliser le contact préhensif. Deux solutions sont alors envisageables :

- produire des supports dont le contact préhensif est normalisé, " prédéterminé " ;

- affûter le futur contact préhensif.

Dans l'histoire des inventions techniques, la normalisation du support ferait-elle suite à la normalisation

de l'emmanchement, qui, d'une certaine manière, normalise le geste ?

Le support de ces outils asymétriques résulte de conceptions et de méthodes différentes. L'utilisation de

méthodes Levallois récurrente unipolaire, bipolaire et centripète répond parfaitement à cette demande. En

témoignent, les industries moustériennes des gisements de Biache-Saint-Vaast, niveau IIa, (méthodes Levallois

récurrentes uni- et bi-polaires) (Boëda E. 1988a, 1988c, 1994a ; Tuffreau A. 1988) et du gisement de La Bouloie

(méthode récurrente centripète) (Amiot C., Etienne J.-C. 1977). Ou encore l'industrie de Külna (République

Tchèque) dont le débitage est régi par une conception discoïde (Boëda E. 1995d).

A Biache-Saint-Vaast, les supports choisis pour produire des typo-racloirs convergents sont de

préférence des enlèvements prédéterminés de type 3 : allongés, pointus, à une nervure longitudinale médiane

(Boëda E. 1988c), ce qui paraît évident vu leur morphologie et la méthode de production adoptée (fig. 68 à 70).

De même à Külna, le support n'est pas indifférencié, sa forme est intégrée dans la synergie de l'outil. A la

Bouloie, les outils - racloirs déjetés ou convergents - sont fabriqués aux dépens d'éclats à première vue

indifférenciés. En réalité, le choix du support est tout aussi pertinent, mais, obtenu par une méthode récurrente

centripète, seule une partie est intégrée dans la synergie de l'outil : l'extrémité distale faite de deux bords

convergents (fig. 71 à 73).

Le dénominateur commun de ces pièces est donc bien le couple bord(s)/pointe. Qu'importe alors la

différence typologique entre une pointe moustérienne, un racloir convergent ou déjeté ? Tout ces outils sont régis

par les mêmes critères techniques fonctionnels : la recherche d'une pointe et d'un ou de deux bords à aménager.

Si l'on souhaite aller plus loin dans la détermination fonctionnelle, il faudra reconnaître les différents

types d'aménagements de chacune de ces parties et les relations qu'elles entretiennent entre elles. Sont-elles liées ?

Sont-elles synergiques ou non ?


90

Les outils convergents sur des typo-pointes Levallois

Notre troisième exemple concerne les enlèvements prédéterminés Levallois triangulaires (pointe

Levallois) non retouchés, considérés comme des outils potentiels à l'état brut. Sur ces pièces, l'analyse

tracéologique révèle une localisation des traces d'utilisation sur la pointe et sur les bords. Si les deux bords ont

été utilisés, les hommes ont alors sélectionné les pièces présentant l'association pointe/bord la plus efficace. Mais,

le plus souvent, seul un bord a été utilisé. Dans ce cas, il s'agit d'une utilisation asymétrique. H. Plisson et moi-

même avons observé cette caractéristique sur l'industrie moustérienne du site d'Umm el Tlel en Syrie (fig. 74 à

76) (couche V2βa) (Boëda E., Muhesen S. 1993). Elle a été également constatée sur le matériel moustérien du

site de Kébara en Israël (Beyries S. communication personnelle).

exemple d'utilisation asymétrique

Il est vraisemblable que cette utilisation asymétrique soit aussi le témoignage indirect d'un

emmanchement en biais laissant libre le seul bord fonctionnel et la pointe. Notre récente analyse de pièces

bitumées provenant de niveaux moustériens d'Umm el Tlel (Boëda E. et al. 1996) (fig. 77 à 79) et du niveau

hummalien d'Hummal ( fig. 80 à 83) (Syrie) le confirme. En effet, dans le premier cas, les traces de bitume

laissent libre la pointe d'un racloir convergent ; dans le second cas, elles laissent libre le bord et la pointe d'une

lame. Dans les deux cas, ces traces s'affirment comme des restes concrets d'emmanchement, les plus anciens

connus actuellement.

Ainsi, pendant tout le Paléolithique inférieur et moyen, le couple pointe/bord fut recherché sur

un grand nombre d'outils. Toutefois, nous venons de voir qu'il pouvait être agencé sur des supports très

différents : pièces bifaciales, éclats indifférenciés ou prédéterminés, et faire l'objet d'affûtages diversifiés. Mais

surtout, notre analyse montre que tous ces outils ont été utilisés selon des règles techniques et des façons de faire

spécifiques : ce qui est bon d'un côté ne l'est plus de l'autre.

Objets techniques prédéterminants

Certains enlèvements issus d'un processus opératoire sont considérés comme prédéterminants : comme

si a priori, seules leurs conséquences techniques avaient été recherchées. Techniquement ces enlèvements
91

servent notamment à la configuration des nucléus et au façonnage des étapes successives des pièces bifaciales.

Rien n'empêche cependant que certains d'entre eux ne soient ensuite considérés comme des outils ou des

supports d'outils potentiels. Si ces enlèvements sont utilisés à l'état brut, ils seront le plus souvent ignorés comme

de simples déchets de taille. Retouchés, ils seront plus aisément remarqués. Pourtant, dans l'un et l'autre cas, ils

furent le plus souvent prélevés en fonction de critères jugés propices à une utilisation spécifique. Mais, ces

critères correspondent à des caractères techniques non prédéterminés techniquement. Ce n'est pas la recherche de

ces caractères qui justifia la production de ces objets. L'absence d'une telle prédétermination ne signifie

cependant pas que le tailleur n'ait pas connaissance des différents produits obtenus par telle ou telle méthode de

débitage ou de façonnage, et des caractéristiques propres à chacun d'eux.

Inscrit dans un schéma opératoire, un enlèvement est prédéterminant du fait des conséquences de son

rôle technique sur les enlèvements à venir en vue de l'objet final recherché ; mais il est aussi prédéterminé par les

enlèvements qui le précèdent. Ainsi, quels que soient le schéma opératoire suivi et la méthode utilisée, tout

enlèvement est à la fois prédéterminé et prédéterminant. Ce sont vraisemblablement un ou plusieurs de ces

critères prédéterminés qui guideront le choix des enlèvements retenus, a posteriori, pour servir d'outils retouchés

ou non.

Ainsi, par exemple, dans la couche moustérienne de V2βa du site d'Umm el Tlel (Syrie), nous avons

observé le choix d'au moins trois supports différents pour la réalisation d'outils identiques ayant servi à la coupe

de végétaux (fig. 84) et/ou à des travaux de boucherie (décarnisation) (fig. 85) (Boëda E., Plisson H. non publié

1994c, 1995b). Deux des supports sont des produits prédéterminés, il s'agit de pointes Levallois et d'éclats

laminaires. Le troisième support appartient à la classe technique des éclats prédéterminants. Dans le cas présent,

le dénominateur commun à ces trois types de pièces est la présence à l'extrémité d'un bord :

- d'un tranchant linéaire de moins de 2 cm de long, rectiligne ou légèrement convexe ;

- d'un angle de coupe de 25 à 30°, régulier sur toute la longueur ;

- d'une face supérieure qui participe au tranchant fait d'un seul négatif d'enlèvement ; l'enlèvement à l'origine de

ce négatif a été débité, de préférence, parallèlement au futur bord fonctionnel ;

- l'utilisation du bord est située à l'extrémité distale de la pièce, et, dans le cas de la décarnisation, adjacent à une

extrémité pointue.

On le voit, malgré l'apparente diversité des supports choisis, les hommes ne prenaient pas n'importe

quel support. Par ailleurs, un outil ne se réduit pas à sa partie transformative. De plus, en terme de fonctionnalité,
92

la détermination d'une action de décarnisation ou de travail des végétaux est nettement insuffisante. Pour

chacune de ces tâches il peut exister un outil ou plusieurs, de morphologie variée. Un seul et même outil peut

avoir rempli différentes fonctions quand plusieurs outils peuvent correspondre à différentes activités.

A Umm el Tlel, l'existence d'une pluralité d'outils nous permet de mieux mettre en évidence une

complexité technique trop souvent réduite à un simple comportement opportuniste. L'utilisation d'un éclat

prédéterminant s'inscrit dans une logique technique dont nous ne percevons sans doute aujourd'hui qu'une infime

partie.

Dans d'autres cas, notamment dans les systèmes techniques de façonnage, de nombreux enlèvements

prédéterminants produits tout au long du schéma opératoire ont été réutilisés. Selon l'utilisation envisagée, ils ont

été choisis pour l'un ou plusieurs, voire la totalité de leurs caractères techniques. C'est le cas, par exemple, des

éclats utilisés pour confectionner une " raclette " (Boëda E. 1995c ; Bordes F. 1972) dont les critères techniques

sont un tranchant de moins de 35° avec un plan de section, fait d'une surface convexe et d'une surface concave.

Les éclats de façonnage, correspondant à la préparation finale des surfaces convexes des pièces bifaciales,

présentent " naturellement " cette asymétrie de section. Ils furent utilisés de façon préférentielle.

Enfin, certains enlèvements ont été recherchés à la fois pour leur rôle technique : prédéterminant, et

leurs caractères techniques : prédéterminés, propres à la méthode utilisée et adaptés à la fonction envisagée. C'est

le cas, par exemple, des éclats d'une série Levallois récurrente. Dans ce cas, pour que chaque enlèvement soit

techniquement conforme au but poursuivi, le détachement d'un éclat doit recréer les conditions nécessaires à la

(re)production des caractères recherchés : prédéterminés. Une succession de quatre enlèvements est possible

ainsi, au-delà, de nouveaux enlèvements strictement prédéterminants sont nécessaires.

Parties d'objets présentant un ou des caractères techniques particuliers

Un angle, une délinéation, un dos ... peuvent être des caractères techniques pertinents. Ils peuvent se

retrouver sur n'importe quel type de support. Parmi des ensembles lithiques importants, ils ne sont pas toujours

aisément reconnaissables. Toutefois, leur obtention nécessite l'intervention d'un procédé technique particulier qui

renforce la démarche technique initiale et aide à les déterminer.


93

Il en est ainsi sur certaines pièces triangulaires des couches VI 3 d'Umm el Tlel qui témoignent d'une

reprise de la pointe brute par des enlèvements inverses (fig. 86). Ce procédé vise à maintenir le même angle de

bec des deux bords convergents. Le caractère coupant des tranchants est identique à celui de départ. L'affûtage

face inverse permet de produire une suite de tranchant sans jamais altérer l'angle de bec, ce qui n'aurait pas été

possible avec un affûtage sur la face supérieure. Cette observation nous permet de retenir cette particularité

comme significative d'une intentionnalité fonctionnelle. C'est également le cas quand l'obtention d'un " tranchant

" distal ou latéral implique un procédé technique particulier. Le caractère technique recherché peut également

être renforcé et entretenu par des séries de retouches successives, comme c'est le cas pour certaines pièces

bifaciales : les Prondnickmesser (Bourguignon L. 1992). Des remontages effectuées sur la série moustérienne de

l'Abri du Musée (Dordogne) a montré que certains de ces outils avaient été affûtés plus de quatre fois de suite.

Ces affûtages et ré-affûtages consistent à dégager un enlèvement latéral qui, en recoupant en partie l'un des bords

de la pièce, crée sur ce bord un tranchant linéaire de 2 cm de long, présentant un angle de coupe de 20 à 25 °,

parfait pour la découpe de la peau, de la viande, etc.

Variabilité des angles

Chaque bord brut de confection est constitué d'un angle et de deux surfaces. L'angle obtenu après

affûtage variera selon le type d'enlèvements obtenus. Nous distinguons actuellement deux principales

conséquences techniques : soit l'affûtage crée un nouvel angle, inférieur à l'angle de départ ; soit au contraire, il

crée un angle supérieur. Il parait évident que la fonctionnalité de tels angles recouvre des champs d'actions

différents, au moins en partie.

La création d'un angle inférieur à celui de départ est le meilleur moyen d'obtenir un tranchant de coupe,

quel que soit le support. Prenons, par exemple, la " retouche Quina " (Boëda E., Vincent A. 1990 ; L.

Bourguignon 1995). Par définition, ce mode d'affûtage est une " retouche écailleuse scalariforme sur support

épais ". Sur certaines pièces, la dernière série d'enlèvements crée comme un " micro-angle " de 10 à 15° sur

quelques millimètres de profondeur alors que l'angle de départ était de plus de 30°. Ces derniers enlèvements

créent ainsi une surface concave qui correspond au meilleur moyen (voire le seul) pour obtenir un tranchant de "

coupe " optimum sur ce type de support.


94

Ce mode d'affûtage est également présent sur quelques pièces bifaciales. Sur certaines pièces

biconvexes en effet, il n'est pas rare d'observer une dernière série d'enlèvements écailleux qui créent un angle de

bec nettement inférieur à l'angle de coupe de départ (fig. 87).

Un tranchant avec un angle supérieur à l'angle de départ possède des propriétés fonctionnelles

différentes. L'observation archéologique montre que de tels angles correspondent à de nombreux procédés

techniques, qui seront autant de cas particuliers. Ainsi, un angle supérieur à celui de départ peut être obtenu par

un simple affûtage (d'axe perpendiculaire au bord) tout comme il peut l'être par un affûtage suivi d'un

enlèvement débité dans l'axe du tranchant (parallèle au bord), qui recoupera la partie proximale des négatifs

d'enlèvements de l'affûtage antérieur. Tout en maintenant un angle identique, cette dernière opération, dite "

coup de tranchet latéral " (Zuate Y Zuber J. 1972) ou Prondnickmesser (Desbrosse R. et al. 1976), modifie l'une

des deux surfaces en supprimant les contre-bulbes des enlèvements de la première série de retouche. Cette

simple opération a deux conséquences techniques importantes :

- Elle modifie qualitativement le contact transformatif :

. la nouvelle surface créée par le négatif d'enlèvement est faite d'un seul tenant et donc parfaitement plane, elle

diffère ainsi de la surface précédente qui était faite par une multitude de petits négatifs d'enlèvements, créant une

surface avec des micro-vagues ;

. l'amplitude du tranchant, c'est-à-dire la profondeur de l'aménagement, est plus importante, car la nouvelle

surface est parfaitement homogène ;

. le fil créé par le recoupement du bord est parfaitement linéaire et non plus micro-denticulé (cette micro-

denticulation est perceptible uniquement au touché, l'oeil ne la perçoit pas) ;

- bien que techniquement différent, elle permet de réactiver un bord émoussé sans modifier la morphologie

générale du support et du tranchant transformatif.

En prenant l'exemple, parmi d'autres, de " l'angle de tranchant du contact trans-formatif ", nous

montrons comment, analysant dans le détail certains caractères techniques nous sommes à même de saisir une

dimension de variabilité supplémentaire, correspondant à autant de connaissances techniques différentes. Ces

connaissances ont peut-être été mises à profit pour réaliser des objectifs différents et seraient alors du même

ordre et de même valeur technique que celles requises dans les différents outils de tel ou tel artisan. Ces
95

différences ont très bien pu, aussi, ne pas être mises à profit, mais dans la mesure où qui peut le plus peut le

moins, l'existence d'une telle diversité dans une industrie doit automatiquement nous conduire à poser le

problème et à essayer de le résoudre.

Un outil est un objet en mouvement devant posséder un ensemble de caractères techniques jouant en

synergie, jugés par l'opérateur comme suffisant.

Variabilité des surfaces

L'analyse des surfaces rend compte d'une variabilité potentielle supplémentaire. Selon le type d'angle

recherché il sera nécessaire de réaliser telle surface plutôt que telle autre. Or, on sait que certains types

d'enlèvements vont créer des surfaces spécifiques, donc des angles spécifiques. Ainsi, lorsque vous désirez un

angle de bec ou d'affûtage inférieur à l'angle de coupe antérieur, il vous faudra obtenir une surface concave

associée soit à une surface plane soit à une autre surface concave. Pour y arriver, vous devrez rechercher des

enlèvements au bulbe très marqué créant, en conséquence, un contre bulbe prononcé et donc une surface concave.

Pour cela, faut-il que les surfaces de départ aux dépens desquelles seront obtenues ces nouvelles

surfaces aient une configuration particulière ? Ce n'est pas toujours nécessaire, mais il existe des impossibilités.

Certaines surfaces de départ ne permettront pas de supporter un affûtage ayant pour conséquence une surface

concave.

Deux possibilité s'offrent alors :

- on réaménage le support de telle façon qu'il soit désormais possible de pratiquer un affûtage concave, mais la

conséquence immédiate est une réduction volumétrique de la pièce associée ou non à une modification

morphologique pouvant avoir des conséquences ergonomiques inacceptables ; en revanche, l'acceptation de ces

modifications sera un indice des caractères techniques considérés par l'homme préhistorique (artisan) comme

essentiels ou non ;

- on abandonne ce support au profit d'un autre ; cette substitution peut être motivée par des contraintes

techniques ou culturelles ; plus simplement, il peut s'agir d'un comportement opportuniste occasionnel.

Cette variabilité comportementale doit être résolue avant tout décompte statistique. En effet, il n'existe

pas d'adéquation entre le nombre d'outils d'un type donné et le nombre de contacts transformatifs propre à ces

outils. La présence en quantité d'un outil particulier n'implique donc pas une fonction particulière, a fortiori

dominante, de ce dernier. En premier lieu, cela signifie qu'il n'y a eu qu'un affûtage par support. A nous d'en
96

chercher les raisons : type de support utilisé, type de fonctionnement, etc. A nous aussi d'en trouver les raisons,

tout en sachant que la compréhension de ce phénomène ne pourra réellement être envisagée qu'en considérant

l'ensemble du processus opératoire, depuis le stade d'acquisition jusqu'au stade d'abandon. La compréhension

d'un phénomène technique est une globalité qui ne peut pas être réduite à l'une de ses parties.

Le cas le plus évident est celui des pièces bifaciales biconvexe et plan-convexe. La répétition d'une UTF,

faite dans le même axe, aux dépens d'un bord créé de deux surfaces convexes sera limitée pour une raison

purement technique : l'angle de chasse des enlèvements ne permettant plus de contrôler leurs conséquences

techniques sur l'objet (fig. 36, 34). A l'inverse, un bord créé de surfaces plane et convexe peut être retouché

plusieurs fois sans modifier l'angle de bec créé par ces deux surfaces. Dans ce cas, seule la morphologie de la

pièce se modifiera. Accepter de transformer des caractéristiques morpho-techniques d'un support bifacial par des

séries d'affûtages successives équivaut à changer de type de support bifacial. Cet exemple montre que certains

outils sont conçus comme des structures opératoires constituées de propriétés techniques qui agissent en synergie,

tel un système dans lequel existe une multitude de causalités réciproques, et d'autres où chacune des propriétés

est indépendante dans son cycle opératoire. L'outil bifacial plan/convexe peut changer de forme (par des

affûtages successifs) grâce à sa structure, de même le changement de forme n'a aucune conséquence sur sa

structure. La forme est consécutive à une addition d'UTF différentes. Mais pour pouvoir mettre en place ces UTF

successives et différentes il faut une structure particulière.

Variabilité des Unités techno-fonctionnelles

Nous l'avons déjà dit, tout outil confectionné se présente comme un système technique qui peut être
26
divisé en trois ou quatre unités (Lepot M. 1993) :

La partie transmettrice de l'énergie est rarement mentionnée, il est pourtant intéressant de la considérer

car nous observons fréquemment des cassures interprétées comme des fractures en cours d'utilisation. Or,

l'énergie et le geste nécessaires à la réalisation d'un objectif technique impliquent une résistance particulière de la

part de l'outil. Suivant le type de support utilisé et la matière travaillée, pour une même énergie et un même geste,

26
- Un contact réceptif de l'énergie, un contact préhensif de l'outil, un contact transformatif du matériau à
transformer et une partie transmettrice de l'énergie.
97

nous n'observerons pas les mêmes fractures. D'où la présence sur un même site de supports plus fracturés que

d'autres alors que les contacts transformatifs sont les mêmes.

Chacun des trois contacts correspond à une Unité Techno-fonctionnelle (UTF). Chaque UTF se présente

comme un micro-système technique dont l'ensemble des éléments est en synergie fonctionnelle. Cette synergie

se traduit en général par une homogénéité technique du bord confectionné. Cette homogénéité ne signifie

cependant pas que le plan de section soit partout le même. Nous pouvons observer une suite récurrente de plans

de section différents créant, par exemple, une denticulation.

D'autre part, une même pièce peut présenter plusieurs UTF en des endroits différents et un même bord

peut être constitué par la juxtaposition de plusieurs UTF différentes. Il peut s'agir d'UTF de nature différente

(transformatrice ou préhensive), comme de plusieurs UTF de même nature (transformatrices par exemple). Nous

illustrerons notre propos par trois exemples.

Les pièces bifaciales de Barbas (C'3)

Certaines pièces présentent sur leur périphérie un grand nombre d'UTF qui, d'après les analyses

tracéologiques (Lemorini C. 1994), correspondent à des contacts transformateurs tranchants. Une même pièce

peut présenter entre 3 et 6 UTF transformatrices tranchantes témoins de fonctions et de fonctionnements

différents. Par ailleurs, certaines pièces révèlent une dénaturation de leur morphologie résultant d'affûtages

successifs. Malgré cette transformation morphologique, la structure de la pièce n'a pas changé, elle est conçue

pour produire un grand nombre d'UTF à la fois sur l'espace objet et dans le temps. Dans ce cas, l'exploitation

volumétrique de ces pièces bifaciales témoigne de ce que la forme n'est pas en synergie avec l'ensemble des UTF

mises en place.

La cohérence d'un bord confectionné

Des observations faites sur du matériel bifacial et des éclats (Lepot M. 1993) (Levallois, Charentien,

etc.) montrent qu'un bord confectionné est fait de plusieurs UTF adjacentes, chacune étant comprise entre 2 et 3

cm de long. Cette échelle de longueur correspond à un contact transformatif standard, qu'on peut observer

aujourd'hui encore sur des outils artisanaux contemporains. Une plus grande longueur d'UTF a des conséquences
98

importantes sur l'efficacité et la qualité du travail, impliquant une préhension différente, des gestes différents, etc.

Dans la plupart des cas, ces UTF sont de nature différente.

Un typo-racloir moustérien avec des traces de bitume

Il s'agit d'un typo-racloir convergent convexe/concave provenant du site d'Umm el Tlel (Syrie), sur le

quel nous distinguons trois UTF (fig. 77).

- 1ère UTF : le bord gauche, concave, est aménagé par des enlèvements irréguliers qui créent une irrégularité de

la surface affûtée, du fil et de l'angle de coupant ;

- 2ème UTF : la pointe présente un aménagement très régulier, nettement différent de celui des deux bords ;

- 3ème UTF : le bord droit présente une délinéation régulière convexe, l'angle de bec est le même sur tout le bord,

l'affûtage est fait par deux séries successives d'enlèvements :

. la première série a pour fonction de régulariser la face supérieure de l'éclat, étant donné que cette surface est

irrégulière plusieurs types d'enlèvements seront utilisés afin de la régulariser ;

. la seconde série est faite pour produire un angle de bec constant sur tout le bord, du fait de la régularité de la

surface précédente les enlèvements de cette deuxième série sont tous identiques.

Par ailleurs, cette pièce porte des traces de bitume. Elles sont présentes sur les deux faces. Le bitume

résiduel a imprégné la surface de la pièce. Sur la face supérieure une trace sinueuse recoupe la pièce en

diagonale, reliant l'extrémité distale du bord gauche à l'extrémité proximale du bord droit. La trace de bitume

épouse de façon régulière la courbe convexe du bord droit à 1 cm, créant deux courbes parallèles. Dans le tiers

proximal, la trace fait un crochet pour finir sur le fil du bord droit juste au niveau de l'arrêt de la retouche. La

face inférieure présente une trace moins importante. Elle se situe à l'extrémité distale de la pièce, et débute au

même niveau que celle de la face supérieure. Son trajet plus court est néanmoins parallèle à la courbure du bord

droit, comme précédemment. Cette trace, qui atteste d'un maintien emmanché de l'outil, nous permet d'interpréter

la première UTF comme une UTF préhensive et réceptive, les deuxième et troisième UTF comme des UTF

transformatives différentes.

Ainsi, l'analyse des Unités Techno-Fonctionnelles d'un outil peut nous révéler une complexité

insoupçonnée et insoupçonnable à l'oeil nu. C'est pourquoi nous pensons qu'en l'absence d'une telle approche, la

réalité de l'outil nous reste imperméable.


99

Chapitre 9

Technogenèse

Principe de synergie

Comment un objet peut-il évoluer ?

- Un objet possède-t-il des facteurs évolutifs ?

- Quel est le sens de son évolution ?

- Peut-on parler des objets techniques préhistoriques comme étant des formes abstraites créées par juxtaposition

d'éléments ou des formes concrètes créées par intégration d'éléments ?

- Un objet peut-il évoluer d'une forme abstraite à une forme concrète ?

- La forme concrète correspond-elle à la fin de l'évolution potentielle de l'objet ?

- Comment une forme concrète peut-elle évoluer : par saturation du potentiel évolutif conduisant à la substitution

d'un objet par un autre, d'une conception par une autre ?

Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre.

Il est toujours tentant de proposer des lois d'évolution expliquant le passage d'un état technique à un

autre. Toutefois, dans le cadre des objets techniques préhistoriques, proposer des lois d'évolution est chose

délicate.

Nous ne ferons donc pas de réelles propositions sur une éventuelle théorie évolutive des objets

techniques, nous nous contenterons de formuler quelques observations, essayant simplement de déterminer le
100

potentiel d'évolution d'un objet à travers sa structure. Ces réflexions pourront apparaître comme des axes de

recherches largement inspirés par des technologues, philosophes, historiens, ingénieurs ou techniciens de notre

époque.
27
Il est bien évident que les objets techniques n'évoluent pas sans l'intervention de l'homme ; ici comme

ailleurs, la génération spontanée n'existe pas. Notre intention est donc de faire ressortir l'information que contient

l'objet et de montrer ainsi comment, dans certains cas, des objets peuvent évoluer, et comment, dans d'autres cas,

l'évolution est impossible. Alors, l'objet non évolutif sera souvent remplacé par un objet issu d'une autre lignée.

Notre regard porte sur l'objet technique à travers sa genèse. Non pas sa propre genèse telle que nous

l'avons définie au début de ce travail, mais celle de sa lignée, indépendamment de l'époque et du lieu où il fut

produit. L'objet s'inscrit dans un temps, celui de la mémoire technique qui a permis de le matérialiser.

Qu'importe s'il a fallu dix ou dix mille ans pour y aboutir ! L'important, c'est de retrouver les étapes successives

qu'il a fallu franchir pour y arriver, sans jamais oublier que le temps de franchissement d'une étape technique à

une autre revient à l'homme.

La part de l'homme dans l'objet s'inscrit non pas dans l'objet lui-même mais dans une technicité qui se

traduit par des étapes techniques stables ; le passage d'une étape à une autre se faisant par l'invention de

nouveaux principes techniques ou de nouvelles associations de principes qui créent de nouvelles structures.

L'invention n'est aucunement un ensemble d'adaptations régies par " une loi de finalité auto-régulatrice trouvant

un état d'équilibre de plus en plus stable " (Simondon G. 1958, p. 156).

Nous pouvons également analyser cette évolution dans un temps donné et observer la diversité des

conceptions structurelles conduisant à des objets de fonction et de fonctionnement identiques. On observe alors

la coexistence de structures techniques différentes, en état de stabilité, représentant des niveaux de technicité

différents. Mais, comme à chacune de ses structures correspond une ou plusieurs méthodes, il est possible de

mettre en évidence une variabilité qui peut être le témoin d'une évolution à travers le temps.

Tout d'abord, il est un préalable que nous tenons à éclaircir. Les schèmes d'évolution que nous

proposons s'inscrivent dans un temps qui couvre plusieurs centaines de milliers d'années. Or, malgré cette longue

période, nous refusons un principe jamais démontré qui est celui du gradualisme " technophylétique ", selon

27
- Parce qu'elles se situent en dehors de notre réflexion immédiate, nous n'envisagerons pas ici les différentes
causes de l'évolution des objets techniques intervenant soit comme freins - géographie, distance, environnement,
" politique ", etc., soit comme stimuli - migration, mouvements saisonniers, prestige, etc.
101

lequel les objets se succéderaient depuis le galet aménagé jusqu'au débitage laminaire comme les éléments d'une

même lignée.

En tant que technologue, nous adoptons d'autres principes.

Dans la mesure où nous pensons que la fonction crée l'outil, il ne peut pas exister de

" proto-outil " issu d'un " proto-débitage " ou d'un " proto-façonnage ". En effet, l'idée de

" proto-objets " renvoie à des objets en cours de perfectionnement, non opérationnels dans le quotidien. Or, dans

le monde technique, il n'existe que des objets fonctionnels, qu'il s'agisse d'une fonction d'usage ou d'une fonction

de signe. Dès qu'un objet est conçu puis produit, il est nécessairement porteur d'un schème fonctionnel et d'un

schème de fonctionnement ; ces schèmes sont en nombre déterminé, à la différence des objets qui peuvent être

infinis. Nous dissocions deux grands modes de fabrication des objets de la préhistoire : un système technique de

débitage et un système technique de façonnage que nous analyserons ici indépendamment de toute chronologie.

Dans le cadre d'un système technique de débitage, nous considérerons les nucléus, les supports obtenus

à leurs dépens et les outils produits. Dans le cadre d'un système technique, de façonnage, nous considérerons des

pièces bifaciales que nous analyserons toutes selon le même découpage : une matrice structurée (équivalente à

un nucléus), un support aux caractéristiques morphotechniques particulières correspondant à l'intégralité de la

pièce ou à une de ses parties ; le ou les outil(s) réalisés aux dépens de ce support. De sorte que, dans ce cas, au

lieu d'avoir trois objets distincts correspondant à trois étapes techniques successives, ces trois étapes sont réunies

sur un seul objet : la pièce bifaciale.

A l'intérieur de chacun de ces modes de fabrication nous rentrouverons des lignées évolutives

indépendantes. Chaque lignée représente une façon différente de concevoir le monde des outils. Pourquoi

privilégierions-nous la production laminaire plutôt que la production bifaciale ? Si l'évolution des modes de

production et des outils se situe à l'intérieur d'une même lignée, à notre avis, il n'y a pas d'évolution d'une lignée

à une autre

Evolution des structures de débitage

Pour illustrer notre propos nous considérerons quatre modes de débitage d'Europe occidentale, le

débitage Clactonien (Amiot C. 1993 ; Ashton N.-M. et al. 1992 ; Forestier H. 1994), le débitage Levallois

(Boëda E. 1994a), le débitage Triface (Boëda E. 1989) et le débitage Discoïde (Boëda E. 1993, 1995a) qui
102

correspondent à différents stades évolutifs d'une même lignée ou de lignées différentes. Du point de vue

chronologique, ces quatre modes de débitage ont été produits dans un laps de temps relativement court.

Chronologie

Les premiers témoignages d'industries Clactoniennes ne semblent pas antérieures à 450 000 ans (site de

High Lodge - Angleterre).

Le plus ancien témoignage d'un débitage Levallois proviendrait du site de la rue Marcellin Berthelot à

Saint-Acheul en France (stade isotopique 14, 500 000 ans) (Tuffreau A. 1987). Ne s'agissant que de deux pièces

isolées, nous préférons éliminer cette hypothèse. Les couches CA et CXB de Cagny-la-Garenne semblent avoir

livré des données un peu plus sûres (Tuffreau A. 1995). Ces couches proviennent d'une séquence fluviatile

comprenant six couches (de la plus ancienne à la plus récente : CA, CC, LJ, LG, CXB, CXV). La séquence

alluviale contenant les couches CA et CXB appartient à la fin du complexe Cromérien (stade isotopique 12 et 11)

(Antoine P. 1990). Associé à une industrie bifaciale et à d'autres modalités de débitage, le débitage Levallois y

est très faiblement représenté. Concernant ce matériel lithique, les données dont nous disposons (Lamotte A.

1994) proviennent essentiellement de dessins et de la description du matériel. Néanmoins, il est fort intéressant

de noter que ces quelques rares nucléus Levallois sont associés à des nucléus qui, d'après A. Lamotte, sont de

conceptions très hétérogènes. Or, d'après ce que nous avons pu en voir, ces nucléus dits hétérogènes semblent

relever d'un débitage de type Clactonien. Les nucléus provenant des couches ne comprenant pas de nucléus

Levallois semblent eux aussi régis par une conception Clactonienne du débitage. Si, malgré certaines réserves,

nous considérons qu'il y a bien des nucléus Levallois dans les couches CA et CXB de Cagny-la-Garenne, c'est la

première fois que nous observons ces deux modes de production associés : Clactonien et Levallois. En revanche,

si les nucléus Levallois n'en sont pas réellement (la détermination étant surtout typologique et certains nucléus

Clactoniens poussés à exhaustion peuvent ressembler à des nucléus Levallois) il n'y aurait qu'un mode de

production Clactonien. N'ayant pas pu examiner par nous même cet assemblage nous retiendrons l'hypothèse de

l'auteur de l'étude.

C'est à partir des stades isotopiques 9 et 8 que le débitage Levallois devient une réalité: site de Cagny-

l'Epinette (Leopold J. 1987 ; Tuffreau A. 1995), Mesvin IV (Cahen. D et Michel J. 1986).


103

Le débitage Triface est mentionné dans différentes industries du Sud-Ouest telles celles de Barbas (C4

inférieur), du Pech de l'Azé II (couches 9 et 8) et de la Micoque (couches 5 et 5' de Peyrony) (Delpech F. et al.

1995 et Geneste J.-M. communication personnelle). D'après les données morphostratigraphiques et

biostratigraphiques, ces différentes industries Trifaces pourraient chronologiquement se situer entre 350 et 300

000 ans (Delpech F. et al. 1995).

Le débitage Discoïde n'ayant que très rarement été identifié en tant que tel, il est extrêmement difficile

de mentionner, avec précision ses premières apparitions en Europe. Toutefois, parmi les différents sites que nous

avons pu étudier, les plus anciennes traces que nous pu observer proviennent de la couche E1 de Fontéchevade

(Boëda E., Meignen L. et J.-M. Geneste en cours de publication). Cette couche est comprise entre :

. une couche sous-jacente - couche E2 - qui est représentée par une industrie dont le débitage est régi par une

conception de type Clactonienne (observation personnelle) ;

. une couche sus-jacente C qui est représentée par une industrie dont le débitage est régi par une conception de

type Levallois.

Nous avons donc pour la première fois retrouvé une séquence stratigraphique montrant la succession

des débitages : Clactonien, Discoïde et Levallois.

Les couches E2 et E1 sont d'après les données morphostratigraphiques et biostratigraphiques

chronologiquement situées entre 350 et 300 000 ans.

Ces données montrent de toute évidence qu'il n' y a pas un modèle unique d'évolution qui se dégage.

Dans un laps de temps compris entre les stades isotopiques 12 et 9 nous voyons émerger différents modes de

débitage. Nous allons essayer de montrer que parmi ces différentes expressions de débitage trois lignées peuvent

être individualisées : Clactonien/ Levallois, Clactonien/Discoïde et Triface.

Le débitage Clactonien

Dans le cas du débitage Clactonien, il fut parfaitement démontré que les tailleurs essayaient de

reproduire un algorithme de base dans le but de produire des outils faits aux dépens d'éclats prédéterminés

(Ashton et al. 1992 ; Forestier H. 1993).

En terme de structure volumétrique, le principe de cet algorithme peut se décrire comme suit :
104

- le tailleur va simultanément prendre en compte deux surfaces : la surface de débitage et la surface de plan de

frappe ;

- la surface de débitage devra présenter les critères techniques de convexité communs à tout débitage

d'enlèvements prédéterminés ; pour cela, le tailleur pourra utiliser deux types de surfaces : soit une surface

naturelle présentant tous les critères techniques recherchés, soit une ancienne surface de débitage remplissant à

nouveau tous les critères techniques nécessaires à l'obtention d'une nouvelle série ;

- la surface de plan de frappe, quant à elle, est également une surface naturelle ou aménagée pour remplir les

conditions de fracturation et de contrôle de l'onde de choc provoquée par le percuteur dur en percussion interne.

Les contraintes techniques d'une telle structure de nucléus, en fonction notamment des besoins en outils

du tailleur et des aléas du débitage, font que, même si le tailleur le désire, la reproduction d'un algorithme donné

sur un même bloc ne sera pas toujours possible. Et, dans le cas ou le tailleur le veut et ou cela est possible,

pourra-t-il ou non le reproduire au même endroit ?

En effet, la morphologie du bloc de départ a une importance sur la poursuite des séries d'enlèvements.

Prenons l'exemple du débitage clactonien du site de High Lodge (Angleterre). L'analyse du matériel

montre que différentes morphologies de blocs de départ ont été choisies. Résultat : une grande variabilité

morphologique des nucléus, à l'origine d'appellations aussi diverses que chopper, nucléus discoïde, nucléus

informe, etc. Car, si vous prenez un bloc qui vous permet de conduire le débitage en gardant les mêmes surfaces

mais en alternant leur rôle technique (surface de débitage qui devient surface de plan de frappe et inversement),

le nucléus final aura une morphologie identique à celle d'un chopper. Si, sur un même bloc, les contraintes

techniques conduisent à reproduire cet algorithme en différents endroits, la morphologie finale du nucléus sera

alors celle de nucléus discoïde, informe, ou proto-prismatique. Ainsi, à High Lodge, bien qu'il s'agisse toujours

du même mode de débitage : le débitage Clactonien, la diversité morphologique des blocs de départ explique la

diversité des nucléus retrouvés. A l'inverse, quand des blocs de forme similaire ont systématiquement été utilisés,

au final les nucléus présentent toujours la même morphologie. C'est notamment le cas sur le site de Monte di

Pogio (Italie) (Peretto C., Ferrari M. 1995) où, grâce aux remontages, il a pu être démontré que les dits "

choppers " sont en fait des nucléus de type clactonien ayant produit plusieurs séries d'enlèvements.

Une absence de synergie


105

Lorsque nous disons que les éclats issus d'un débitage Clactonien sont des éclats prédéterminés, cela

induit que le bloc de matière première a été configuré de façon spécifique ou présente un configuration naturelle

pour produire ces objets à volonté. Autrement dit, le débitage Clactonien répond à la mise en place d'un certain

nombre de critères techniques spécifiques. Ces critères techniques sont aménagés aux dépens du volume initial

du bloc brut de matière première sans le restructurer entièrement. Mais l'initialisation du nucléus Clactonien ne

porte que sur une partie du bloc de départ. Généralement, la surface de débitage est choisie en fonction de ses

critères de convexité naturelle, afin qu'il ne soit pas nécessaire de les aménager. Seule la surface de plan de

frappe est aménagée en fonction de la surface de débitage. Le tailleur met en place une structure suivant des

critères techniques précis qui agiront en synergie pour obtenir le résultat escompté.

D'un ensemble A, qui correspond au bloc naturel de manière première, constitué de critères en synergie

qui lui sont propres, sont produits deux sous-ensembles : B et B', étroitement imbriqués puisque appartenant tous

deux à A, devenu alors A', mais correspondant à deux structures indépendantes. B, c'est la partie restée intacte du

bloc A. B', c'est la partie configurée, structurée à partir de critères premiers de A et de nouveaux faits aux dépens

de A'. Dans le champ opérationnel, ces deux sous-ensembles B et B' sont indépendants.

La structure volumétrique du nucléus B' ne recouvre pas la structure volumétrique du bloc support A.

La conception clactonienne du débitage n'est donc pas synergétique par rapport au bloc A de départ. Pour être

opératoire, l'algorithme clactonien ne nécessite pas une structure aménagée reprenant la structure initiale du bloc

support. Dans certains cas, lorsque la morphologie du bloc le permet, il est possible d'effectuer de nombreuses

séries d'enlèvements; mais ce n'est pas parce que le débitage continue que l'on obtient une synergie entre le bloc

support et le nucléus. En effet, les séquences opératoires sont indépendantes les unes des autres et, si leur nombre

dépend de la capacité intrinsèque du bloc de départ A, le nucléus B' ne se substitue pas à la totalité de ce bloc,

contrairement à ce que nous pouvons observer pour le débitage Levallois.

Le débitage Levallois : une parfaite synergie


Dans le cas du débitage Levallois, nous avons montré lors de nos différents travaux (Boëda E. 1993,

1994 a), que l'obtention d'enlèvements prédéterminés est assujettie à l'initialisation d'un bloc de matière première

afin d'obtenir un nucléus configuré particulier. Mais, à la différence du débitage Clactonien, dans le débitage

Levallois l'initialisation du nucléus aboutit à la totale réorganisation du bloc de matière première. Le nucléus

Levallois n'est pas un sous-ensemble du bloc originel à partir duquel il a été obtenu.
106

Du bloc A, bloc de matière première brute équivalent à celui du débitage Clactonien, une nouvelle

structure est construite : A", totalement autonome qui restructure le bloc A.

A" est composée d'éléments techniques interactifs qui ne rendent cette nouvelle structure opérationnelle

que dans le respect de règles particulières qu'il est nécessaire de satisfaire si on veut parvenir aux objectifs. Le

nucléus Levallois peut donc être considéré comme une structure synergétique parfaite.

Le débitage Discoïde : une parfaite synergie

Le débitage Discoïde est assujetti à l'initialisation du bloc de matière première afin d'obtenir un nucléus

configuré particulier. Mais à la différence du débitage Levallois cette initialisation est souvent réduite à

l'essentiel voire dans certains cas l'initialisation matérielle du bloc est substituée par le choix d'un bloc présentant

de façon naturelle les critères techniques recherchés.

Du bloc A, bloc de matière première brut équivalent à celui du débitage Clactonien, une nouvelle

structure est construite A'''. Mais à la différence du débitage Levallois où il y a un stade de nucléus configuré

nettement visible, dans le cas du nucléus Discoïde il n'y a pas à proprement parler toujours un stade de

configuration du nucléus mais plusieurs. En effet, l'opérateur sait que pour obtenir la gamme d'enlèvements

prédéterminés il doit le faire dans le cadre d'une structure volumétrique fixe. Cette structure volumétrique peut

être obtenue à la suite d'une méthode d'initialisation amenant un nucléus configuré, mais elle peut aussi se

marquer différemment. En effet, dans certains cas l'opérateur va partir d'un bloc naturel possédant des propriétés

techniques capable de fournir dès le départ des enlèvements prédéterminés, mais ces enlèvements ont aussi

comme rôle de créer de nouveaux critères techniques favorables, capables de produire des enlèvements

prédéterminés. Très vite le nucléus prend alors sa structure de "croisière " le rendant alors très reconnaissable. En

d'autres termes nous dirions que le débitage Discoïde s'assimile à une succession d'algorithmes qui se structurent

les uns par rapport aux autres. A la différence du débitage Clactonien où il n'y a aucun lien technique entre les

différents algorithmes.

* *
107

Le nucléus Clactonien apparaît donc comme une structure synergétique par rapport aux objectifs

recherchés et non pas par rapport au bloc aux dépens duquel il est obtenu. Si, sur le même bloc, je désire

aménager un autre sous-ensemble de type B' clactonien :

1 - cela est possible ;

2 - ces deux sous-ensembles peuvent fonctionner de façon indépendante.

En revanche, étant donné que le nucléus Levallois résulte de la restructuration totale du bloc initial de

matière première (A) aux dépens duquel il a été aménagé, les critères techniques de la nouvelle structure

volumétrique (A") sont ceux du nucléus Levallois. Le nucléus Levallois constitue donc une structure

synergétique à part entière, à la fois par rapport aux objectifs recherchés et par rapport à la nouvelle structure

volumétrique. En conséquence, si, sur le même bloc, je désire aménager une nouvelle structure Levallois, cela ne

sera possible qu'au détriment de la précédente structure.

Le nucléus Discoïde constitue une structure synergique mais qui relève de facteurs de variabilités, non

présents dans le cas de nucléus Levallois. Les enlèvements prédéterminés se succèdent par cycles utilisant et

créant les critères techniques nécessaires à leur production. Il n'y pas de rupture dans le débitage, le nucléus

maintient sa configuration tout au long de la production à la différence du nucléus levallois où chaque série

d'enlèvements prédéterminés fait suite à une reconfiguration du nucléus. La configuration permanente auto-

entretenue du nucléus Discoïde permet à celui-ci d'être exploité en continu. Le nucléus Clactonien est dans le

même cas que le nucléus Levallois, à la différence que, dans le cas du Clactonien, les séries sont réparties aux

dépens du nucléus au gré des aléas du processus opératoire.


108

Trois conceptions du débitage, deux lignées

Clactonien/Levallois

Le nucléus Clactonien : un objet technique fait de la juxtaposition d'éléments, soit un objet technique dit

abstrait

A regarder un nucléus Clactonien, c'est l'ensemble du bloc que nous considérons comme Clactonien. En

réalité, sur un plan technique, seule une partie du bloc est fonctionnelle, l'autre n'a rien à voir avec le

fonctionnement de la première. Le nucléus Clactonien est une structure composée de deux parties indépendantes,

juxtaposées. La partie non fonctionnelle pourra ou non agir comme un "réservoir" pour développer de nouveaux

algorithmes. Mais, en intégrant les parties non fonctionnelles, je peux aussi créer un autre type de nucléus. Le

bloc aux dépens duquel est effectué un nucléus Clactonien présente donc un potentiel d'évolution, nous pourrions

également parler de structure ouverte ou de potentiel technique non saturé. Mais ce potentiel évolutif n'est pas lié

aux méthodes d'initialisation ni de production qui lui sont attachées.

Les méthodes d'initialisation sont essentiellement au nombre de deux : choix d'une surface naturelle ou

d'une ancienne surface de débitage ou de préparation de plans de frappe présentant les critères d'initialisation.

Nous n'avons que très rarement observé un stade d'aménagement. Les méthodes de production sont, elles aussi,

extrêmement limitées et sont dépendantes de la morphologie du bloc de départ. Quelles que soient ces méthodes,

les caractéristiques morphologiques, techniques et métriques d'une série de supports à une autre ne varieront

presque pas. Ce ne sera pas le cas des nucléus.

Une absence relative de variabilité des méthodes d'initialisation et de production pourrait être due à des

structures composées d'éléments juxtaposés. En effet, nous ne sommes pas encore en mesure de l'expliciter, mais

nous avons observé qu'à une structure par juxtaposition d'éléments, dite "non saturée", correspondait un

minimum de méthodes, à la différence d'une structure par intégration d'éléments, dite "saturée", auxquelles

correspondent une diversité de méthodes d'exploitation et d'initialisation.

Concernant la structure Clactonienne, nous constatons qu'elle a été associée, dans une même industrie, à

des modalités de type bifacial et peut-être Levallois (à confirmer) ; qu'elle a été contemporaine d'autres industries

de modalité Levallois ; mais aussi, qu'elle a perduré après la disparition du débitage Levallois. En revanche, nous

n'avons encore jamais rencontré de débitage Levallois avant l'apparition de débitages de type Clactonien.
109

L'algorithme du nucléus Clactonien possède quelques principes techniques communs aux nucléus

Levallois. En tout premier, lieu celui de la prédétermination des surfaces de débitage et des plans de frappe. En

second lieu, nous avons observé que dans les industries de Monsaugeon (Amiot C. 1993), de High Lodge

(Ashton N.-M. et al. 1992) et de Cagny-la-Garenne (Lamotte A. 1994) les surfaces de débitage choisies

correspondent aux plus longues surfaces du bloc, de sorte que les fracturations des enlèvements prédéterminés

sont presque parallèles à la surface de débitage. Ce principe se retrouve dans le débitage Levallois, intégré à

d'autres critères techniques. Or, l'allongement de l'éclat est un choix technique. Il aurait été tout aussi possible de

sélectionner les surfaces les plus courtes, très convexes, mais il s'agirait alors d'un des principes de type Discoïde.

Aussi pensons-nous que le nucléus Clactonien appartient à la même lignée évolutive que le nucléus

Levallois, qui en serait l'étape ultime. Ce qui ne signifie pas nécessairement que le nucléus Clactonien se situe au

début de cette lignée. Il semble plus probable qu'il soit, lui aussi, le réceptacle de plusieurs principes techniques

et qu'il ait été précédé par d'autres structures. Sa parenté avec le Levallois ne signifie d'ailleurs pas que ses

principes techniques spécifiques ne puissent pas se retrouver dans d'autres modes de débitage, comme par

exemple le Discoïde et le Triface.

Le nucléus Levallois : un objet technique fait par intégration d'éléments, soit un objet technique dit concret

Si nous considérons le nucléus Levallois, tel que nous le définissons, comme un objet dont l'évolution

est arrivée à saturation, celui-ci n'en résulte pas moins d'une évolution.

Mais de quel ordre est cette évolution ? Voyons-nous cet objet se structurer au fil du temps en passant par

différents stades techniques ?

D'après les observations que nous avons pu effectuer sur de nombreuses industries Levallois ou dites

Levallois, il n'existe pas, comme nous l'avons suggéré, de formes proto-Levallois ni de pièces bifaciales

transformées systématiquement en nucléus. Les nucléus Levallois étudiés relèvent tous d'une même structure

synergétique. Là où nous observons une évolution du nucléus, c'est dans sa mise en configuration et lors de son

fonctionnement. C'est-à-dire, dans la normalisation des règles d'initialisation et d'exploitation du nucléus. Les

méthodes d'initialisation ont souvent été peu décrites. Nous avons défini plusieurs méthodes d'exploitation

appliquées à la construction volumétrique du nucléus Levallois (Boëda E. 1986). D'autres méthodes sont encore

à découvrir. Nous avons évoqué ce problème de variabilité en terme d'adaptation à la matière première, mais il

reste un travail considérable à effectuer.


110

Ayant défini un nucléus comme une structure composée d'éléments différents, qui inter-agissent pour

créer une synergie fonctionnelle, cette dernière implique une compatibilité entre les différents critères techniques,

mais n'implique pas que cette compatibilité soit contenue dans chacun des critères utilisés.

Les structures Levallois telles que nous pouvons les découvrir à travers les divers sites européens

montrent clairement qu'elles ne résultent pas de la simple association d'éléments, c'est-à-dire de critères

techniques, mais d'un acte d'invention, d'une constatation empirique d'un état de compatibilité possible entre

certains d'entre eux. Cette invention équivaut à une "renégociation" de certains critères et principes techniques

aboutissant à une forme par intégration des éléments le constituant : une forme dite concrète.

Cette distinction que nous faisons entre, d'une part une structuration par étape, équivalente à une

juxtaposition d'éléments, d'autre part, un acte d'invention, équivalent à une intégration des éléments, est

importante car elle élimine un quelconque déterminisme extérieur qui serait la cause d'une évolution par étape.

En effet, ne lit-on pas souvent que le débitage Levallois est une étape, entre le bifacial et le laminaire, comme s'il

était le reflet de capacités cognitives spécifiques ?

Pourtant, lorsque nous regardons la carte de répartition des premières industries Levallois, force est de

reconnaître que le débitage Levallois ne correspond pas à un stade d'évolution technique indispensable. En effet,

ce mode de débitage est absent de certaines régions et il est apparu dans des endroits différents, à des moments

différents. Par ailleurs, toutes les méthodes inhérentes à ce mode de débitage n'ont pas toujours été utilisées.

La structure Levallois apparaît donc comme le résultat d'un acte d'invention. Elle répond à un objectif et

en tant que tel elle est ou elle n'est pas. Souvent, la présence dans les industries anciennes de quelques rares

nucléus dit "Levallois" ne sont en fait que l'expression de nucléus dont la forme évolue au gré de l'exploitation

des nucléus jusqu'à finir par ressembler à un nucléus Levallois sans en être un. Nous avons évoqué cet aspect

dans le cadre de structures non homothétiques, telles les structures Clactonienne et Discoïde. Dans les collections

de High Lodge, il n'est pas rare de trouver des nucléus dont la forme rappelle celle de certains nucléus Levallois

ou Discoïde. Aussi est-il important que la reconnaissance d'une ou de plusieurs structures sur un même site, ne se

fasse pas à la seule vue d'une ou de deux pièces mais évidemment de l'ensemble des éléments présents dans la

collection. Car, si l'invention est inscrite dans l'environnement, l'innovation est aussi inscrite dans l'objet, et ni

l'une ni l'autre ne sont dépendantes.

Une fois inventé, le nucléus Levallois, ne fera plus l'objet de modifications structurelles car toutes ses

facultés d'évolution sont saturées. Le nucléus Levallois est un stade technique non perfectible. Cet état de
111

saturation ne signifie cependant pas que le nucléus Levallois " soit devenu un objet obsolète qui ne servira plus,

elle offre au contraire la condition singulière où un objet technique devient source d'inductions et de réflexions

théoriques amenant à l'invention " (Paradis B. 1994, p. 72).

Aussi, la conception Levallois nous semble-t-elle devoir sa pérennité à sa capacité, du fait de

l'importante variabilité des méthodes d'initialisation et d'exploitation, à proposer de multiples solutions

techniques. Soit, en d'autres termes, à participer à l'individuation d'un groupe par rapport à un autre. D'une

certaine manière, la variabilité d'expression attestée sur le continent Européen et Ouest Asiatique serait un des

arguments pour dire qu'un système technique peut avoir une fonction de signe. Un système technique, en effet,

permet de satisfaire des besoins matériels, mais il se donne aussi à voir. La façon de faire, le choix de telle ou

telle méthode peut-être un signe distinctif, un moyen de se différencier des autres. Il peut être le signe d'un

certain niveau technique comme de certaines pratiques sociales.

Pour y accéder il nous faut un outil méthodologique capable de traiter de façon rigoureuse des faits qui

nous sont a priori inaccessibles. S'il est difficile de reconnaître avec précision les méthodes d'initialisation et

d'exploitation utilisées, cette difficulté provient de la façon d'appréhender le nucléus dans sa globalité. Prenons

deux exemples classiques.

Le premier porte sur des nucléus dont la surface de débitage ne présente que des négatifs d'enlèvements

prédéterminés adjacents, aux surfaces parallèles entre elles, de direction parallèle, bipolaire ou centripète. Nous

pourrions alors commettre l'erreur de parler de nucléus non préparé " sans structure particulière " exploité selon

des " proto-méthodes " unipolaire, bipolaire ou centripète. Dans bien des cas, ces nucléus sont la quintessence du

Levallois. Mais, ici, l'initialisation matérielle du bloc est remplacée par le choix opportun d'un bloc présentant de

façon naturelle les critères d'initialisation. L'opérateur exploite alors une forme naturelle identique à celle qu'il
28
aurait créée si le bloc ne présentait pas ces critères . Seule la méthode d'initialisation diffère.

Le second concerne le Kombewa, souvent décrit et individualisé comme un mode de débitage à part

entière. Or, selon notre analyse, le Kombewa n'est qu'une méthode d'initialisation particulière. Le nucléus

configuré peut être de type Levallois, Discoïde ou autre. dans le cas d'une conception Levallois, la face inférieure

d'un éclat Kombewa présente en partie les critères techniques requis pour une surface de débitage Levallois. De

28
- Le premier éclat obtenu à partir de la surface de débitage est un éclat Levallois avec une face supérieure
corticale. Cette méthode d'initialisation est surtout utilisée lorsque le cortex est très peu épais et très dur. Ces
deux caractères sont obligatoires, si l'on désire réussir l'éclat et affûter l'un ou les deux bord(s) dans de bonnes
conditions.
112

nombreux exemples archéologiques montrent que, suite à ce type d'initialisation, le nucléus configuré Levallois

fut exploité selon des méthodes différentes, à enlèvements préférentiel ou récurrents. C'est notamment le cas

dans la couche C'3 de Barbas ou sur le site de la Bouloie (Amiot C. et al. 1977). Ce genre de nucléus se

rencontre aussi fréquemment en Afrique de l'Ouest (Tixier J. 1958).

Les méthodes d'exploitation sont également difficiles à reconnaître car les confusions sont nombreuses

entre méthode et structure du nucléus. Le travail que nous effectuons sur le matériel du site d'Umm El Tlel (Syrie)

démontre, à la fois, les difficultés que nous avons à décrire ce que nous ne connaissons pas et la richesse

méthodologique de la conception Levallois. Malgré une abondante littérature, le Levallois du Proche-Orient n'a

pas encore livré tous ses secrets. A notre avis, ces difficultés sont dues, en partie, à une façon différente de

concevoir la morphologie des supports. Le Proche-Orient est largement dominé par la production de supports

triangulaires en tout genre. Ce qui n'empêche pas de trouver d'autres morphologies associées. Le triangulaire

associe à un ou deux bord(s) une extrémité pointue tout comme la pièce bifaciale. Dans la production trouvée à

Umm el Tlel, c'est un type précis qui est recherché, la pointe Levallois par exemple. La difficulté sera d'autant

plus grande que l'étude de cinq couches moustériennes successives du site d'Umm El Tlel (Boëda E. et al. 1996 ;

Boëda E., Muhesen S. 1993) montre qu'une même gamme de produits provenant d'une série récurrente Levallois

a été obtenue de cinq façons différentes. Autant de façons pour répondre à un même besoin laissent entrevoir des

évolutions parallèles, différentes, bien que liées par le même phénomène structurel.

L'évolution porterait alors sur les règles de récurrence ou plus exactement sur l'adéquation entre la

recherche d'une certaine normalisation d'enlèvements précis et leur mode d'obtention. Là encore nous pourrions

parler de méthode de fonctionnement allant dans le sens d'une saturation.

Sur des sites français (Biache-Saint-Vaast), nous avons observé que certaines méthodes, parfaitement

adaptées au nucléus Levallois, ne sont pas en mesure de répondre à certains objectifs, qu'elles évoquent pourtant.

C'est le cas typique du débitage laminaire du Paléolithique moyen. Ainsi, alors qu'un nucléus Levallois, débité

selon certaines méthodes récurrentes unipolaires, peut produire des lames, en aucun cas, il ne pourra produire

que des lames. A l'inverse, un débitage Levallois de type récurrent centripète permet d'obtenir un très grand

nombre d'enlèvements aux caractères morphologiques, techniques et métriques différents, mais ne permet pas

l'obtention d'éclats laminaires. C'est peut-être la raison pour laquelle nous retrouvons souvent plusieurs

conceptions de débitage associées dont, en particulier, une conception Levallois récurrente centripète avec une
113

conception laminaire. La première ne pouvant pas produire de lames, celles-ci seront obtenues différemment

mais toujours suivant un mode de débitage Levallois.

Ainsi donc, qu'elles soient récurrentes centripètes ou récurrentes unipolaires, ces méthodes Levallois

sont saturées, concrétisées. Leur coexistence apparaît alors comme un dépassement des limites inhérentes à

chacune. On peut voir là un mécanisme possible de l'innovation. Parmi les méthodes Levallois dont certaines

restent d'ailleurs à déterminer, d'autres, moins en synergie, sont plus libres d'expression. C'est notamment le cas

des méthodes récurrentes unipolaires convergentes. Quoi qu'il en soit, si, parfois, les méthodes Levallois

permettent une quelconque évolution celle-ci dépend non pas de la structuration Levallois mais des méthodes et

de leur fonctionnement.

Clactonien/Discoïde

Le discoïde : une autre technicité

Tantôt jugé comme " rustique " par rapport au Levallois et considéré comme un ersatz de ce dernier ;

tantôt mal identifié et dans ce cas jamais nommé en tant que tel ou faisant l'objet de prudentes appellations de "
29
débitage centripète " (Texier P.-J. 1995) , le débitage Discoïde est difficile à situer par rapport aux autres modes

de débitage, d'autant plus que, dans ce contexte, il est difficile de disposer d'un bon matériel.

Nous avons longuement parlé de ce mode débitage précédemment, nous ne reviendrons que sur

quelques points.

Nous pensons que le débitage Discoïde, comme le Levallois, se situe dans la lignée évolutive du

Clactonien. Discoïde et Levallois sont à mettre en parallèle, comme deux lignées soeurs. De principes techniques
30
identiques, issus du Clactonien, vont apparaître des variantes que des modifications successives accentueront

au point que les différences finiront par être irréductibles.

29
- Grâce à l'amabilité de P.-J. Texier nous avons eu la possibilité d'observer quelques uns de ces nucléus (site
de Nyabusosi - Toro-Uganda), vieux d'1.5 Ma. Si l'inventeur ne désire pas employer le terme de discoïde, nous
en prenons la responsabilité sachant que ces pièces ne diffèrent en rien de ce que nous avons pu observer dans
d'autres sites, certes bien plus jeunes.
30
- Les modifications semblent extrêmement rapides puisque nous ne voyons pas de structures dites de
transition. Si nous devons chercher des formes de passage, ce n'est pas sur le plan des structures mais des
méthodes d'exploitation, qui donnent parfois à ces structures des formes qui se confondent avec des formes
évolutives.
114

Divergences des lignées Levallois et Discoïde

Une même origine, mais une lignée différente

Deux principes propres au Clactonien nous semblent à l'origine de ces divergences. De façon

schématique, nous pourrions dire que ces deux grands principes techniques ou schèmes de fonctionnement,

présents dans le Clactonien, vont se retrouver intégrés à d'autres principes techniques. Selon qu'ils seront mis en

relation avec telle ou telle autre combinaison de critères, ces principes vont créer des combinaisons différentes

aux fonctionnements et aux conséquences différents ; nous en avons individualisés deux : le Discoïde et le

Levallois.

La surface de débitage

Quel que soit le mode de débitage, l'opérateur projette dans le bloc l'image de son nucléus. Selon la

morphologie et les possibilités offertes par le bloc, le tailleur l'exploitera au mieux, utilisant par exemple une

convexité périphérique naturelle favorable au contrôle de critères morpho-techniques recherchés pour le débitage

d'éclats prédéterminés. La projection d'un volume dans l'autre, implique que l'emplacement de la surface de

débitage soit déjà fixé au préalable.

Dans le cas du Discoïde, ce principe, bien que présent dès le départ du processus opératoire, reste plus

souple et s'accommodera de quelques modifications au cours des premières opérations de taille.

Dans le cas du Levallois, le choix de l'emplacement de la surface de débitage est primordial et définitif

puisqu'il conditionne l'ensemble des opérations à venir.

L'angle charnière des deux surfaces

L'angle entre la surface de débitage et la surface de préparation des plans de frappe devra toujours être

propice au bon détachement des éclats recherchés.

Dans les séries Levallois récurrentes, cet angle devra être maintenu à un endroit identique pour les

méthodes unipolaires parallèles ou convergentes, et à un endroit différent dans le cas de méthodes bipolaire et

centripète.
115

Le cas du Discoïde est très instructif. Il est à la fois près du Clactonien, car quelle que soit la méthode

utilisée, le maintien de cet angle est excessivement important. Mais il est aussi éloigné du Clactonien, car

l'opérateur " Discoïde " construit son nucléus au fur et à mesure du débitage. La structure du nucléus est

maintenue par la récurrence des enlèvements prédéterminés, dont l'obtention dépend du bon angle des charnières,

elles-même dépendantes de la structure. Ainsi, dans certains cas, le tailleur se refusera à détacher des éclats

particuliers sachant que la charnière qui en résulterait ne serait plus propice à l'obtention de nouveaux

enlèvements prédéterminés. Les charnières discoïdes sont donc nécessairement récurrentes.

L'identification de la récurrence de cette charnière est un point essentiel si l'on veut à tout moment

pouvoir définir si un nucléus appartient à tel ou tel système technique.

Ce point est fondamentalement différent du Clactonien. Avec le débitage Discoïde, d'un ensemble A

correspondant au bloc de départ, la configuration du nucléus conduit à un ensemble B totalement différent, et


31
non pas à deux sous ensembles comme dans le cas du Clactonien .

Or, étant donné qu'il s'agit de deux structures non homothétiques : Clactonien et Discoïde, des

convergences de forme peuvent exister qui n'impliquent pas nécessairement une convergence de structure.

Certains stades techniques peuvent également se ressembler. Analysés hors contexte, sans considérer les autres
32
objets et en particulier les autres nucléus, deux objets identiques relevant de conceptions différentes seront

classés ensemble. Nous avons déjà mentionné cette possibilité pour les pointes Levallois, montrant qu'une même

forme pouvait être obtenue par des conceptions de taille différentes. Les nucléus ne sont pas exempts d'une telle

analogie. Cette mystification est d'autant plus marquée aux stades techniques extrêmes, c'est-à-dire au début et à

la fin de la production.

Au début de la production, les nucléus Clactonien et Discoïde ne présentent qu'un algorithme. Ce qui

rend difficile toute attribution à l'un ou l'autre des systèmes techniques. Toutefois, dans le cas d'un système

Discoïde, le tailleur prendra soin de laisser une charnière propice au débitage suivant et maintiendra ainsi la

31
- Une série d'enlèvements détruira le sous-ensemble configuré. Cet aspect destructif se retrouve dans le
débitage Levallois, mais avec la différence fondamentale qui est que la structure du bloc aux dépens duquel sont
détachés les enlèvements est la structure du nucléus. Dans le cas du Clactonien, la structure du nucléus n'est
qu'une partie de la structure du bloc.
32
- En préhistoire, ce problème de forme perturbe le débat. Nous voudrions insister sur le fait qu'une forme sous
tend l'existence d'un fond : une sorte de réservoir commun de tendances de formes. Certaines structures peuvent
être comparées à un système de formes. Mais la forme c'est le visuel, la structure est virtuelle. L'une est plus
accessible que l'autre. " ...la forme est la cristallisation matérielle d'un schème opératoire et d'une pensée qui a
résolu un problème." (Simondon G. 1958, p.247).
116

structure, c'est le cas à Asprochaliko (Grèce) et à Fontéchevade (fouille G. Henri-Martin, couche E1, observation

personnelle).

A la fin de la production, mais aussi en fonction de certaines méthodes, nous pouvons obtenir des

nucléus de types polyédriques. C'est notamment vrai d'un nucléus Clactonien fait aux dépens d'une forme

hétéroclite et poussé jusqu'à son maximum ; tout comme d'un nucléus Discoïde dont ont aura changé le plan

d'intersection des surfaces. Pourtant, là encore, le changement de plan se justifie par une recherche de charnières

successives.

Dans le cas du Discoïde, les critères associés renforceront le second principe (charnière) au

détriment du premier (surface de débitage/surface de plans de frappe), donnant en cela un niveau de complexité

structurelle spécifique et particulier, dans le sens où cela entraîne une irréversibilité technique (sur un nucléus

Discoïde faire autre chose que du Discoïde n'est pas aisé).

Dans le cas du Levallois, l'angle charnière sera immédiatement, défini, créant des orientations

préférentielles qui resteront les mêmes pendant toute la séquence de débitage. Le Levallois représente une forme

de complexité structurelle tout aussi spécifique différente, dans la mesure où il est adapté à produire une gamme

de produits plus diversifiés que le Discoïde, laissant place à une expression fonctionnelle (usage et signe) riche

de possibles.

Le choix de la surface de débitage sera l'élément fort de cette nouvelle structure.

De ce fait, le Discoïde peut difficilement être considéré comme un palier de l'évolution technique qui

aurait abouti au Levallois. En Afrique, le Discoïde est antérieur de plus d'un million d'années au Levallois. En

Europe ils semblent apparaître à la même époque, vers 300 000 ans. L'Europe et l'Afrique ont vécu deux

histoires des techniques manifestement différentes ; que le Discoïde ait précédé le Levallois en Afrique ne suffit

pas à justifier d'un même processus d'évolution. A notre avis, il n'existe donc pas de relation directe, linéaire,

entre le Discoïde et le Levallois.

Cette disparité temporelle n'en est pas moins insidieuse, car elle envoie à un prétendu déterminisme

évolutif technique selon lequel le Discoïde étant plus ancien il serait moins complexe que le Levallois. Mais

alors, que penser et que dire des Polynésiens du Xème millénaire qui taillaient leurs outils en silex selon une

méthode Discoïde (Forestier H. 1994) ? La différence porte sur la réalité du groupe humain qui les produit. En
117

effet, il y a confusion entre l'information technique dont l'objet est porteur et la technicité dans laquelle il s'inscrit.

Tout objet technique doit son existence à l'opérateur qui l'a produit et à celui qui l'a utilisé, cette technicité du

geste qui relie l'homme à l'objet est difficilement accessible. Par ailleurs, tout objet technique fait partie d'un

système technique plus large, système de production, système de fonction.

Alors, parler de complexité, sans parler de technicité ! Mais la technicité d'un objet "...ne se comprend

que par l'intégration dans l'activité d'un opérateur humain ou le fonctionnement d'un ensemble technique "

(Simondon G. 1958, p.239).

Les nucléus Trifaces : une lignée indépendante


33
Les principes techniques spécifiques des nucléus trifaces sont parfois associés à des principes

Clactoniens.

Schématiquement, un nucléus de type Triface peut être défini comme la mise en place d'un algorithme

de base aux dépens d'une structure extrêmement rigide, volontairement constante. La surface de débitage est peu

ou pas aménagée, mais recherchée, comme dans le cas du Clactonien. En revanche, le nucléus semble se

substituer en totalité au bloc support, comme dans le cas du Levallois. Enfin, sur une matrice de type Triface, il

est possible de ré-aménager le bloc initial mais de façon très limitée.

A la différence du Levallois ou de certains débitages laminaires, cette rigidité conduit à considérer les

nucléus trifaces comme une structure saturée, difficilement évolutive. Peut-être est-ce dû au fait que les

exemples archéologiques (Les Pendus - Dordogne) (Boëda E. 1989) témoignent de ce que le tailleur a construit

33
- Conception volumétrique du nucléus Triface (Boëda E. 1989) : la production de l'ensemble des outils sur
éclats et des pièces façonnées "bifaces et hachereaux" des sites de Dordogne du Pech de l'Azé II, des Pendus, etc.,
résultent de l'exploitation de blocs matrices conçus en trois surfaces sécantes, de section triangulaire. La mise en
forme du nucléus se fait aux dépens de petits rognons de silex ou d'éclats de gel.
Le tailleur aménage une première surface plane avec de grands enlèvements de direction parallèle stricte
ou convergente, suivant la morphologie du bloc initial. Lorsque cette surface se présente naturellement plane,
elle ne sera que très partiellement aménagée. Dans certaines industries, celle des Pendus par exemple, cette
première surface est systématiquement faite aux dépens d'une surface naturelle propice. Au Pech de l'Azé, cette
première surface est généralement travaillée. A cette première surface, succède l'aménagement de la deuxième
surface par des enlèvements unidirectionnels. L'angle compris entre ces deux surfaces est de l'ordre de 70° à 90°.
La troisième surface, aménagée à partir de la deuxième recoupe la première, créant ainsi une section triangulaire
sur le bloc matrice. Cette surface peut aussi rester naturelle, si son orientation permet d'obtenir l'ensemble requis.
La conception volumétrique du nucléus est donc trifaciale. Le volume à débiter est délimité par trois surfaces
plano-convexes sécantes.
Il arrive que la section des blocs matrices soit quadrangulaire. Cette situation est d'ordre conjoncturel et
provient de ce que suivant la réussite des enlèvements, le recoupement de la troisième surface sur la première
peut être partiel.
Ainsi construit, ce volume servira de bloc matrice pour la production d'éclats. Par la suite, suivant les
objectifs recherchés et les connaissances technologiques du groupe, plusieurs méthodes pourront être utilisées.
118

sa matrice, non pas à partir de blocs quelconques, mais à partir de blocs naturels ou d'éclats de gel épais,

possédant déjà les principales caractéristiques de la structure : le choix d'un bloc configuré équivalant alors à

l'initialisation du bloc. Ainsi configuré, le bloc permettra rarement d'obtenir plus d'une série d'enlèvements. Au-

delà, continuer l'exploitation dans de bonnes conditions dépend de l'épaisseur du bloc ou, plus exactement, du

critère technique que constitue le rapport de proportion entre la circonférence et l'épaisseur du nucléus. L'étude

de différentes collections d'Europe nous a permis d'observer qu'en partant d'un bloc trop épais, il était impossible

de maintenir un angle de frappe inférieur à 70°. Dans le cas de la matrice Triface, si on ne réduit pas cette

épaisseur, on est voué à un mauvais contrôle des enlèvements. En conséquence, nous observons deux attitudes :

soit le tailleur arrête très tôt l'exploitation, soit il continue et peut encore obtenir une ou deux séries

d'enlèvements mais avec des éclats plus ou moins conformes à son attente. Il existe une troisième solution,

comme nous l'avons démontré à partir du matériel de la couche 9 du Pech de l'Azé II (Dordogne) (Boëda E.

1989). Il s'agit de produire un éclat débordant qui présente la structure volumétrique " Triface ". Par ailleurs, ces

éclats sont constitués de telle sorte qu'un rien les rend fonctionnels. Ainsi, le nucléus Triface initial servant à

produire un éclat de caractère Triface qui lui même servira à l'obtention d'éclats Trifaces, etc. Ce sont en quelque

sorte des nucléus gigognes.

Mais le Triface n'est pas seulement une conception volumétrique du nucléus, c'est aussi un support

d'outil. Or, c'est vraisemblablement parce qu'il peut être, à la fois, nucléus et/ou support d'outils, que le Triface

est saturé. En effet, la saturation technique des nucléus Trifaces semble provenir, en partie, des critères

extrinsèques visant à maintenir une fonctionnalité potentielle. Car toute modification remettrait alors en cause

certains principes techniques fonctionnels recherchés dans la structure de base. Si, parfois, la structure semble

donc aller à l'encontre de la logique technique, la double conception de la matrice Triface en serait la cause.
34
Nous avons effectué cette observation sur le matériel des sites des Pendus et du Pech de l'Azé II (Dordogne) où

la matrice Triface a servi, successivement ou alternativement, de support d'outil (tranchant transversal, grattoir,

denticulé).

Cette particularité distingue très nettement les nucléus Triface des nucléus Levallois qui peuvent servir

de supports d'outils une fois finie la production d'enlèvements prédéterminés (Wedzel N. 1995). Dans le cas du

34
- Ce sondage, effectué par P. Binant, M. Brenet et E. Boëda, reprenait l'ancienne tranchée effectuée par J.
Guichard en 1968.
119

Triface, nucléus et outil sont interchangeables, l'un conduit à l'autre et réciproquement. Ce passage, seule la
35
structure Triface le permet .

Si nous essayions de situer cette matrice Triface dans une lignée évolutive, nous ne pourrions la

rattacher à aucune autre. La matrice Triface réunit des principes techniques novateurs peu susceptibles d'évoluer.

Et il est intéressant d'observer qu'au Paléolithique inférieur et au Paléolithique moyen les nucléus Trifaces sont

identiques. Le Triface pourrait être un cas particulier, une invention parallèle ou postérieure au Clactonien ; le

Levallois se situant sur une autre lignée. Pour le Triface (nucléus) comme pour le Clactonien, les méthodes sont

réduites, ce qui, par voie de conséquence, limite la recherche d'objectifs. Dans le cas du Clactonien, toute

nouveauté est synonyme de changement ou d'association avec un autre système technique. Dans le cas du Triface,

la nouveauté peut être un " dédoublement structurel ", soit une polyvalence nucléus/outil. Dans le cas du

Levallois, le registre des méthodes est considérable, la structure volumétrique étant saturée, c'est un objet concret,

facilement adaptable.

Nous pensons donc que la structure Triface : nucléus outil, peut correspondre à une invention, mais c'est

un système technique instable et peu évolutif. Hyper-spécialisée, la structure Triface ne supporte aucun

changement, aussi minime soit-il, dans les conditions d'utilisation ou de fabrication. Ceci pourrait expliquer les

disparitions successives du Triface et ses résurgences, toujours selon les mêmes modèles de fonctionnement.

Evolution des structures de façonnage

On fabrique un outil pour le faire fonctionner.

La fonction crée le contact transformatif.

L'homme crée le fonctionnement.

Si nous analysons la pièce bifaciale à travers sa fonctionnalité, c'est-à-dire ce pourquoi elle a été

fabriquée, il apparaît nécessaire de reconsidérer l'ensemble des approches classiques.

Si nous observions les plus anciennes pièces bifaciales du continent Européen ou des formes dites "

archaïques " du Proche-Orient (El Meirah, Latamnée - Syrie), en nous situant dans une perspective classique,

35
- Nous avons évoqué précédemment les bifaces transformés en nucléus Levallois, mais il n'y a là aucune
similitude avec le phénomène Triface. Un biface est un outil fait de critères synergétiques qui ne le seront plus si
on l'utilise comme nucléus.
120

nous arriverions à la conclusion selon laquelle le passage du chopper au biface se serait fait par le biais du proto-

biface, un biface pas tout à fait biface en quelque sorte.

Mais, qu'est ce qu'un proto-biface si ce n'est le résultat d'une lecture technique effectuée par un " Homo

préhistorien non faber ". Car, encore une fois, comment envisager que des êtres aient fabriqué des outils en

quantité pendant une période particulièrement longue, si ces outils n'étaient pas opérationnels ? Or, l'analyse

technologique nous montre qu'un tranchant de chopper aux caractéristiques x a la même efficacité qu'un

tranchant de pièce bifaciale dont ces mêmes caractéristiques x proviennent d'un coup de tranchet. Nous ne

reviendrons pas ici sur les problèmes d'appréhension du matériel technique de la préhistoire par notre culture du

XXème siècle. Nous relèverons simplement que certains auteurs de la fin du XIXème siècle sont parfois plus

près de la réalité de l'objet (Chouquet E. 1883).

Comme nous l'avons précédemment montré, une pièce bifaciale est une construction volumétrique

particulière, aboutissant à des formes variées. Or, si nous prenons en compte la structure et non la forme, on

remarque que les pièces bifaciales jugées les plus " archaïques " présentent les mêmes caractères opérationnels

que les pièces bifaciales jugées les plus

" modernes "!

Nous avons précédemment établi une distinction entre :

- des pièces bifaciales dont le volume façonné était conçu comme une matrice fonctionnelle ; la

fonctionnalisation de la pièce étant indépendante de la forme (dans sa globalité), l'important étant la structure

technique de la pièce, capable de supporter un ou plusieurs outils; les morphologies observées sont alors les

résultantes des Unités Techno-Fonctionnelles mises en place, en périphérie dans un premier temps, puis aux

dépens du volume par la suite ; que la pièce soit pointue ou non provient donc de la mise en place d'unités

Techno-Fonctionnelles spécifiques créant une forme particulière, la fonction engendrant une ou plusieurs formes

et non l'inverse ; les pièces bifaciales non pointues sont nombreuses durant tout le Paléolithique inférieur et

moyen, parfois rassemblées sous le vocable de " bout coupé " (Lacaille A.-D., Oakley K.-P. 1936 ; Roe D.-A.

1981) ;

- des pièces bifaciales dont la forme globale est une des composantes fonctionnelles de la pièce ; la forme est

alors en synergie avec les autres critères techniques et nous assistons à une surdétermination fonctionnelle ou à

une spécialisation de la forme : " la spécialisation ne se fait pas fonction par fonction, mais synergie par
121

synergie ; c'est le groupe synergique des fonctions et non la fonction unique qui constitue le véritable sous-

ensemble dans l'objet technique. " (Simondon G. 1958, p. 27).

Chacun des groupes évoluera différemment.

Evolution de l'objet bifacial : " de l'abstrait vers le concret ", soit d'une structure composée d'éléments

juxtaposés vers une structure constituée d'éléments intégrés les uns dans les autres dans une synergie de

forme, de fonction et de fonctionnement.

Le premier groupe évoluera vers une synergie structurelle. C'est-à-dire que " chaque partie ne devient ce

qu'elle est que par son inclusion dans un tout " (Stiegler B. 1994, p. 88). La morphologie des pièces évoluant

suivant l'association et le type d'UTF présents. A notre avis, cette catégorie d'objets présente une évolution qui

lui est propre.

Prenons deux séries distinctes dans le temps : les pièces bifaciales d'El Meirah (de type Latamnée -

Syrie) (âge estimé par la faune : vers 600 000 ans) et celles de Barbas (France) (datées par Thermoluminescence

de 145 000 ans, Boëda E. 1995c). Il est facile de montrer que la qualité de tranchant de ces pièces présente peu

de différences. En revanche, si nous considérons la synergie des éléments qui constituent la structure bifaciale,

nous observons d'importantes différences qui tiennent, pensons-nous, à une complexification structurelle (Moles

A. 1972).

Structure abstraite composée d'éléments juxtaposés

D'une certaine façon, la structure volumétrique des pièces bifaciales dites archaïques (El Meirah, Syrie)

est comparable à celle du Clactonien. Ce sont un ou plusieurs algorithmes adaptés aux dépens d'un volume

particulier, choisi pour ces caractéristiques techniques. Ce volume se transforme au gré de la fonctionnalisation

d'un nouvel algorithme. Tout aménagement nouveau est la conséquence de la fonctionnalisation de l'objet. Les

différentes formes que nous observons sont essentiellement dues à des facteurs d'ordre quantitatif et qualitatif :

- quantitatif : le nombre d'algorithmes faits aux dépens du volume, c'est-à-dire le nombre de reprises de la

périphérie ;

- qualitatif : le type fait à leur dépens et les associations d'UTF disposées sur la périphérie de la pièce.
122

Comme les algorithmes sont indépendants les uns des autres, leur regroupement est en grande partie

aléatoire, créant des volumes de formes différentes ; ce qui explique le caractère hétéroclite de ces industries
36
anciennes .

Structure concrète composée par intégration des éléments

Mais c'est aussi le volume structuré qui permet la fonctionnalisation. Du fait, de la juxtaposition

d'algorithmes indépendants observés sur les pièces bifaciales précédemment décrites, on remarque que les

différentes parties de la pièce bifaciale sont en relation entre elles et se fondent plus ou moins les unes dans les

autres (Deforge Y. 1989). Alors, l'ensemble des éléments constitutifs de la structure bifaciale sont en synergie.

Nous sommes passés d'un objet abstrait à un objet concret.

Le tempo de l'évolution

La concrétisation de cet objet s'est faite par une augmentation de la technicité. Toutefois, cela n'explique

rien des mécanismes d'augmentation de cette technicité. Il y a certes un phénomène de mémoire cumulée, mais

c'est supposer aussi qu'il y a une sorte de continuité " linéaire " de l'information. Or, il n'est pas prouvé qu'il y ait

eu de nombreux contacts entre les groupes. Des facteurs techniques et/ou sociaux peuvent également être

intervenus. Mais aussi des facteurs psychologiques, individuels, collectifs, (Boirel R. 1967 ; Deforge Y. 1989).

Les manifestations psychologiques collectives que sont les mythes, les légendes, les rêves, sont considérées

comme de " grands schèmes dynamiques " (Moles A. 1972). Ils peuvent être des éléments moteurs " dans le sens

d'une macro-évolution " de la technicité. Cette évolution ne semble pas se faire de façon douce et régulière.

L'évolution consistant en une

" renégociation " des principes techniques, chaque nouveau principe ou association de principes correspond à un

acte d'invention qui, selon divers facteurs, deviendra innovation pour les sociétés qui les auront adoptés.

36
- Dans certains cas, ces volumes différents peuvent être regroupés en catégories. Dans le cas d'El Meirah, nous
avons pu repérer 4 groupes d'objets bifaciaux. Chacun de ces groupes présente un dénominateur technique
commun, qui peut être :
- un algorithme particulier pour créer un contact transformatif particulier : un coup de tranchet, un affûtage
latéral ;
- une synergie dégageant une pointe (dans le cas d'un trièdre) ;
- une association de deux algorithmes créant un couple d'outils : bord affûté/pointe, bord affûté/tranchant ;
- l'attachement d'un ou de deux algorithmes à un bloc de morphologie particulière.
Mais à l'intérieur de chacun de ces groupes nous observons une large variabilité.
123

Si l'on compare le temps écoulé entre le passage de la forme bifaciale abstraite à la forme concrète en

Afrique et en Europe nous sommes surpris de découvrir une grande différence. En Afrique, il semble que les

deux formes soient distantes de plus d'un million d'année, alors qu'en Europe, l'écart entre l'Abbevillien et

l'Acheuléen supérieur est de l'ordre de 200 000 ans à peine.

Indépendamment de cette différence de temps un cheminement de l'abstrait vers le concret pourrait

s'être effectué en Europe, alors que ce passage avait déjà eu lieu en Afrique plus d'un million d'année auparavant.

Cette concrétisation européenne serait le témoin d'une évolution propre à l'Europe du Nord, où une forme

bifaciale, nécessairement abstraite au départ, aurait été réinventée. Selon nous, la rapidité d'évolution des formes

bifaciales européennes vers des formes concrètes résulterait du développement de systèmes techniques de

débitage spécifiques, capables de fournir des éclats prédéterminés pour la réalisation d'outils moustériens,

comme ceux du Clactonien. En Europe, l'idée de support/outil apparaît donc comme une idée ancienne,
37
antérieure à l'idée bifacial. Par ailleurs, la présence d'un débitage Levallois, sous sa forme classique , daté de

l'Acheuléen moyen et associé à des bifaces anciens, témoigne d'une évolution très rapide des deux systèmes

techniques. Chacune de ces deux lignées - façonnage et débitage, Clactonien ou Levallois - ont presque évolué

en parallèle et au même rythme.

Les formes de transition

Il est très difficile de déterminer précisément des formes de transition et ceci pour deux raisons. La

première dépend de la quantité d'informations disponibles. A l'étude, nous ne disposons presque pas de bons

gisements Acheuléens anciens et moyens. La seconde raison est due à notre propre perception de l'évolution.

Est-il nécessaire de disposer de formes évolutives dites de transition ? Avons-nous besoin de chaînons

manquants bifaciaux ? La différence du temps d'évolution observé entre l'Afrique et l'Europe nous laisse penser

que les formes de passage, si elles existent, seront difficiles à percevoir.

Nous pensons que l'impression d'un passage régulier de formes abstraites à des formes concrètes

provient de l'utilisation de méthodes et de techniques différentes et inhérentes à chacun de ces deux types de

production.

37
- Montrer que le Kombewa pouvait correspondre à une méthode d'initialisation particulière d'un nucléus
Levallois aura pour conséquence de réattribuer certaines industries anciennes à une conception Levallois du
débitage.
124

En effet, une conception abstraite d'un objet peut, selon la méthode de façonnage et la technique de

percussion utilisées, donner l'impression " extrinsèque " d'être un objet concret. Par exemple : réaliser des bifaces

du type d'El Meirah par percussion directe au percuteur tendre, leur donnerait indéniablement un aspect plus

évolué sans en modifier les caractères intrinsèques.

La situation inverse peut également s'observer sur des pièces de conception concrète. Par exemple :

dans quelques cas à Barbas, les hommes ont sélectionné un bloc présentant une morphologie bifaciale naturelle

et ont aménagé un des bords avec un type particulier d'UTF, tout comme sur des pièces bifaciales de volume

identique mais entièrement façonnées. C'est ainsi que dans chacun de ces principes, nous pourrions observer des

différences qui témoignent d'une évolution intrinsèque, liée aux méthodes ; la diversité des méthodes étant plus

importante pour les formes concrètes. Cette observation est à mettre en parallèle avec les conclusions de notre

analyse des conceptions Clactoniennes et Levallois, sur un plan évolutif.

La concrétisation : un phénomène cyclique

Le développement d'objets concrets s'observe à différents moments du Paléolithique ancien et moyen.

Certaines de ces industries appartiennent à ce que nous appelons en France l'Acheuléen moyen et supérieur, et en

Allemagne le Micoquien (Wetzel R., Bosinski G. 1969). Ces deux grands ensembles apparaissent à des époques

distinctes, sans qu'il y ait la moindre continuité. Malgré cet écart de temps, elles relèvent des mêmes principes

techniques. Seules des méthodes différentes conduisent à des formes différentes. La structure de fonctionnement

de l'objet n'en est pas moins identique. L'évolution d'un objet concret se faisant par l'adaptation de nouvelles

méthodes, il est logique que certaines conceptions apparaissent de façon cyclique.

Ces industries sont souvent considérées comme évolutives, débouchant sur des pièces de plus en plus

symétriques, de plus en plus belles ... En général, la réalité est toute autre. D'une part, il est extrêmement rare de

pouvoir observer une séquence " Acheuléenne longue ". Quelques sites en témoignent et nous pouvons alors être

surpris par une disparité " chrono-qualitative " inverse à celle attendue. Ainsi, à Nadaouiyeh I Aïn Askar (Syrie)

(Le Tensorer J.-M. et al. 1993), les bifaces les plus récents, censés être "les plus beaux", sont les moins beaux !

Les quelques pièces que nous avons pu observer attestent de tranchants parfaitement fonctionnels et témoignent

de ce que ces bifaces avaient une fonction d'usage. En nous attachant à l'esthétique de ce qui fut avant tout des

outils, nous attribuons à ces objets une fonction de signe qui ne nous semble pas pouvoir avoir de sens pour

d'autres que nous.


125

Les différences de formes doivent être analysées selon des principes techniques tenant compte de la

conception sous-jacente et des méthodes qui furent utilisées pour les réaliser. Si on ne se consacre pas à ce

travail, alors toutes les pièces bifaciales dites " archaïques " seront et resteront par principe anciennes et les plus

" belles " seront et resteront par principe les plus récentes. Et les cas d'exception, comme Nadaouiyeh, seront

considérés comme aberrants et atypiques plutôt que de nous inciter à réviser nos a priori. Dans ces conditions,

inutile de continuer à fouiller, sauf à la recherche de l'objet, puisqu'il ne servira à rien de l'étudier !

Ces industries acheuléennes semblent disparaître brutalement, car nous n'observons aucune

dégénérescence technique : l'objet remplissant parfaitement ses fonctions d'usages est perpétué sans changement,

puis remplacé par d'autres qui lui étaient déjà contemporains mais relèvent d'une combinaison de principes

techniques différents.

Evolution des structures concrètes

Nous l'avons vu, une fois arrivée au stade de concrétisation, l'évolution des structures de débitage ne

pouvait se faire que par le biais du champ des méthodes. Pour les pièces façonnées, il en va différemment : nous

avons pu observer quelques tendances évolutives.

Réduction des dimensions

La pièce bifaciale " concrète " dans ses formes les plus récentes peut évoluer vers une diminution de

volume. Les sites de Saint-Julien de la Liègue et de Villegats en Haute-Normandie (Cliquet D. 1995), le site de

la Micoque en Dordogne (Delpech F. et al. 1995), le site de Nadaouiyeh I Aïn Askar en Syrie (Le Tensorer J.-M.

et al. 1993) présentent une industrie où la totalité des pièces bifaciales sont de très petites dimensions, tout en

gardant leur caractère concret.

Vers une augmentation de " l'autosuffisance "

De même, certaines pièces bifaciales concrètes donnent l'impression d'arriver à une sorte de saturation,

d'autosuffisance. La structure volumétrique est conçue de telle façon qu'elle s'auto-entretient, sa fonctionnalité

est inscrite dans le volume de l'objet et non uniquement dans sa périphérie. A priori, la quantité d'outil est égale
126

au volume de l'objet. Toutes les pièces bifaciales relevant de formes concrètes ne sont pas auto-suffisantes à ce

point, mais elles relèvent du même principe : qui peut le plus peut le moins.

L'hypertélie

Une pièce bifaciale peut présenter " une spécialisation exagérée qui le désadapte par rapport à un

changement même léger survenant dans les conditions d'utilisation ou de fabrication " (Simondon G. 1958, p.

50). Ce sont des pièces que nous dirons hypertéliques. Le plus souvent, il s'agit de pièces dont la forme est en

synergie avec les autres critères techniques. Il existe alors une surdétermination fonctionnelle liée à une

spécialisation de la structure et de la forme. Bien que différentes, il est souvent difficile de les reconnaître car

leur structure de base est identique à celle de toute autre pièce concrète. Seule l'analyse techno-fonctionnelle de

la pièce depuis sa première utilisation jusqu'à la dernière, avec des stades de transformation ou non, permet de

les distinguer. Ainsi, on remarque souvent la " fraîcheur " des pièces hypertéliques, ce caractère étant l'une des

conséquences de la synergie forme/fonction/fonctionnement puisque ces pièces sont rarement reprises, afin de ne

pas dénaturer leur équilibre fonctionnel. Et c'est peut-être dans le maintien de cet équilibre que réside notre

perception esthétique de " bel objet ".

Leur hyper-adaptation est due soit aux conditions matérielles - liée à un matériau spécifique -, soit aux

conditions environnementales et humaines - l'outil fait main - de sa production, soit à la tâche pour laquelle il est

produit. Il s'agit dans ce cas d'une hypertélie présentant une adaptation fine sans perte d'autonomie de l'objet. Par

la suite, l'hypertélie peut aller jusqu'au fractionnement de l'objet, tel l'objet qui nécessite un emmanchement pour

fonctionner. Nous pensons notamment à certaines pièces bifaciales du Szélétien ou du Bohunicien, voire à

certaines pièces gravettiennes et néolithiques. Il s'agit d'objets composites dont chaque partie a perdu son

autonomie technique.

Industries possédant des pièces bifaciales hypertéliques

Les pièces hypertéliques font partie de nombreuses et diverses industries bifaciales que l'on peut

regrouper en deux catégories.

La première comprend des industries dont les pièces bifaciales sont toutes hypertéliques. Il s'agit

d'industries dites " pauvres en bifaces " de l'Acheuléen supérieur européen et de l'Epi-acheuléen, ou des

industries du MTA, du Micoquien, du Szélétien, du Bohunicien, et nous pourrions également y inclure certaines
127

industries du Paléolithique supérieur oriental (Gravettien). Dans ces industries, l'essentiel de la production

d'outils est effectuée sur des supports de débitage, lames et/ou éclats. Les pièces hypertéliques sont donc

associées à d'autres outils, issus de structures de débitage, dominantes en nombre. Certaines des pièces bifaciales

supportent les mêmes UTF que des outils sur éclat et d'autres supportent des UTF différentes. Que pour un

même type d'UTF, deux types de supports différents aient été utilisés, nous semble se rapporter soit à une

fonction d'usage différente, soit à une fonction de signe.

La seconde catégorie regroupe les industries bifaciales classique de l'Acheuléen moyen et de certaines

industries de l'Acheuléen supérieur, riches en biface. Dans ce cas, la majorité des outils sont faits aux dépens de

pièces bifaciales concrètes non hypertéliques. Seules quelques pièces sont hypertéliques. Au sein d'une même

industrie, ces deux conceptions de pièces bifaciales ne sont pas antinomiques, au contraire. Prenons l'exemple du

Micoquien de Bockstein. Comme l'ont souligné R. Wetzel et G. Bosinski (1969), dans cette industrie on

remarque à la fois des pièces bifaciales aux formes spécialisées et d'autres qui font office de support pour

l'aménagement d'outils différents. Ces supports résultent d'une production

" normalisée ", comme le sont les lames ou les éclats Levallois dans d'autres industries.

Certaines industries de l'Acheuléen ancien du Proche-Orient dont les pièces bifaciales sont abstraites,

présentent des outils tel des hachereaux ou des trièdres. En effet, dans les collections que nous avons pu

examiner : Latamnée (Syrie), El Meirah (Syrie), Joub Janine (Liban), ces pièces peuvent cohabiter. Ces objets

sont des outils qui semblent spécialisés. Ils sont constitués d'éléments techniques inter-actifs créant un outil

spécialisé.

Que dire de ces pièces en terme d'évolution ? Ce sont des outils qui à notre avis ont subi une évolution

très rapide amenant très tôt la pièce à saturation (il n'y plus d'évolution de sa structure, elle répond parfaitement

bien à sa ou ses fonctions). Toute modification aura pour conséquence de rendre non fonctionnel cet outil. Il

s'agit d'objet hypertélique. Nous observerons selon le temps des différences, mais qui sont encore une fois liées à

des problèmes de méthodes et non de structure. La fonction de l'outil restera toujours la même quelque soit la

méthode utilisée.

* *
128

Analyser les principales catégories d'outils des périodes anciennes en Europe et au Proche-Orient du

point de vue de la technologie nous a également conduit à constater quelques similitudes entre l'évolution des

structures de débitage et celles du façonnage.

Façonnage et débitage sont régis par des structures différentes qui, de façon différente et suivant des

rythmes différents, évolueront vers la synergie de leurs éléments - phénomène de concrétisation -. Qu'il s'agisse

de façonnage ou de débitage, le caractère de la structure aura une influence équivalente sur la variabilité des

méthodes : plus la structure sera saturée et l'objet concret, plus l'évolution se fera du point de vue des méthodes.

En revanche, une structure abstraite a peu de liberté dans ses méthodes, peut-être par crainte d'être déstructurée.

Ainsi donc, autant une structure non saturée est susceptible de disparaître par la substitution de

nouveaux principes techniques, autant une structure saturée est vouée à disparaître pour des raisons autres que

techniques.
129

Conclusion

Nous avons préféré considérer ici l'évolution techniques des nucléus et des structures bifaciales au

détriment des outils, objets dits " finis ". Deux raisons principales justifient notre choix. La première provient de

ce que nous sommes convaincus qu'avant d'appréhender l'outil, il nous faut reconnaître l'ensemble des intentions

du tailleur. Il ne suffit cependant pas de répondre à la question : comment cet outil a-t-il été fait ? Ce qui

équivaudrait à un regard de l'intérieur, d'ordre technique, instrumentaliste. Il faut aussi comprendre : Pourquoi

l'outil a été fait comme cela et non pas autrement ? Il s'agit alors d'un regard extérieur, comparatif, technologique.

A partir des réponses obtenues à ces deux questions, nous pouvons déterminer le système de production qui

aboutit à l'outil.

Quant à la seconde raison, elle relève de ce que nous croyons les nucléus et les pièces bifaciales mieux

à même de montrer des évolutions et de démontrer leur sens. A notre avis, l'outil, l'objet final fonctionnel, est

moins porteur d'informations.

Nous avons néanmoins entrepris l'étude des outils du Paléolithique inférieur et moyen. Nous sommes

actuellement à la recherche d'une méthode qui nous permette de mettre en évidence des différences significatives.

Une fois palliée cette difficulté à lire les informations que seraient susceptibles de nous livrer les outils, nous

espérons être en mesure de servir leur véritable dimension heuristique.

Une des principales difficultés est liée à la variabilité des outils au Paléolithique inférieur et moyen.

Nous avons montré que cette variabilité n'était pas due à une instabilité des types fonctionnels, mais au contraire,

à un déterminisme vraisemblablement plus fort que l'on ne pense entre la forme et la fonction, que nous ne

comprenons pas comme tel aujourd'hui, car nous abordons ces outils de façon individuelle comme des objets de

musée. Les outils de ces périodes doivent être analysés globalement, c'est-à-dire de manière à :

- " ...reconstruire, par la pensée et l'étude, le système dans lequel des usages, des instruments et des produits ont

croisé leur détermination ? La systématicité est cohérence, c'est-à-dire moins liaison et union que rapport. "

(Séris J.-P. 1994, p. 63).


130

Aussi est-il souvent difficile de distinguer les caractères techniques spécifiques de la fonction et du

fonctionnement, de ceux qui relèvent de la tradition technique du groupe. Or, cette tradition peut être synonyme

de caractère fondamental de fonctionnement et ne pas être d'ordre technique. Une fonction de signe est, en effet,

aussi fonctionnelle qu'une fonction d'usage.

Les structures bifaciales et les nucléus nous semblent donc plus porteurs d'informations actuellement.

Ce sont les interfaces obligatoires entre l'homme et l'outil.

* *

En démontrant, grâce à l'approche technogénétique, l'existence de structures techniques stables nous

avons pu montrer que les différents nucléus à lames, nucléus à éclats et pièces bifaciales pouvaient aussi

constituer des lignées.

Parfois, une lignée regroupe plusieurs structures qui s'ordonnent dans le temps selon leurs stades

d'évolution technique. Nous pourrions alors parler d'une évolution ordonnée, comme une généalogie. Tel est le

cas des lignées de débitage Clactonien/Discoïde et Clactonien/Levallois.

Une lignée peut aussi être représentée par une unique structure de débitage qui n'a fait l'objet d'aucune

évolution, c'est par exemple la structure Triface. Ce cas de figure est à mettre en rapport avec nos observations

pour la structure de façonnage Trièdre. Ces deux structures ne sont pas évolutives, car elles sont à la fois

structure et outil et non pas structure puis outil. Dans les industries anciennes, le Trièdre façonné n'est jamais

porteur d'outil autre que celui dont sa forme est porteuse et qui justifie cette forme.

La structure biface, en revanche, constitue une magnifique lignée évolutive et est, à notre avis, la mieux

connue pour le Paléolithique ancien et moyen. Il y a, c'est vrai, des pièces dites " galets aménagés " qui, dans

certains cas, relèvent d'un processus de façonnage. Mais n'ayant jamais eu l'occasion d'étudier l'une de ces

industries en stratigraphie, nous n'avons pas voulu développer cet aspect. Quoiqu'il en soit, et nous nous

permettons d'insister car c'est pour nous un point important, si la ressemblance de forme est évidente entre

certains nucléus du Clactonien et un galet aménagé c'est qu'ils sont tous deux porteurs du même algorithme.

Mais, dans un cas, cet algorithme est indépendant de la morphologie globale du bloc : le nucléus Clactonien ;

dans l'autre, il est synergétique avec la forme globale du bloc, forme et fonction sont alors en synergie. Or, à
131

aucun moment nous n'avons observé de formes faisant lien entre les galets aménagés et les premiers bifaces. Si

les galets aménagés ne sont pas des nucléus, ce qui reste à confirmer dans bien des cas, ils ne sont pas non plus

des supports d'outils, à la différence des premiers bifaces qui ne sont que la forme abstraite d'une conception

particulière de support d'outil.

L'analyse comparative des différentes lignées ne relève d'aucune relation d'évolution entre elles. Il ne

semble exister de lignées ni " abstraite " ni " concrètes ". Chaque lignée est indépendante qui apparaît à un

moment et en un lieu et peut réapparaître à un autre moment et dans un autre lieu, comme en témoignent les

lignées bifaciales du Proche-Orient, d'Europe et d'Afrique, similaires dans leurs différents stades évolutifs de la

pièce abstraite vers la pièce concrète. Les pièces africaines et proche-orientales sont pourtant éloignées dans le

temps des pièces européennes par un million d'années, au minimum. Aussi pensons-nous qu'en Europe il s'agit

d'une redécouverte du processus bifacial. Cette redécouverte technique permet d'envisager le phénomène bifacial

européen comme n'étant pas nécessairement le fait de migrations venues d'Afrique et du Proche-Orient. Ce que

tendrait à confirmer son apparition tardive : 450 000 ans, en Europe de l'Ouest et dans les péninsules italienne et

espagnole. Ce que tend également à démontrer la présence en ces lieux des différentes structures de passage de la

forme abstraite à la forme concrète. Cela n'exclut pas par ailleurs une arrivée d'Afrique (Otte M. 1996) et/ou du

Proche-Orient (Bar-Yosef O. 1994), mais de toute façon ces connaissances techniques ont subi de fortes

modifications.

Dans le cas d'une migration venue du Proche-Orient, aucune industrie bifaciale connue n'est

géographiquement intermédiaire entre le Proche-Orient et l'Europe de l'Ouest. Il y aurait donc eu une perte de la

notion " bifaciale " de la part des populations installées en Europe Centrale et en Asie Mineure occidentale.

Auquel cas la conception bifaciale européenne serait une ré-invention et une ré-innovation.

Lignée proche-orientale

≈ 800 000 ans ≈ 500 000 ans

Abstrait _ Concret

Lignée européenne

≈ 550 000 ans ≈ 400 000 ans

Abstrait _ Concret
132

Dans le cas d'une migration de populations aux traditions bifaciales évoluées, venant d'Afrique par le

détroit de Gibraltar, nous devrions retrouver a priori le même niveau d'évolution des industries de part et d'autre

du détroit. Ce n'est pas le cas. Les plus anciennes industries bifaciales d'Espagne, bien repérées en stratigraphie,

comme celle d'Atapuerca datée du stade isotopique 9 (soit 380 000 ans) (Carbonell E. et al. 1995), et celle du

Nord de l'Europe de l'Ouest, moins bien datée, représentées par les bifaces de type abbevillien trouvés à la

carrière Carpentier d'Abbeville (Cromérien II - stade isotopique 14/15 soit entre 500 000 et 580 000 ans -)

(Breuil H. 1932 ; Tuffreau A. 1987) sont de conception abstraite. Si cette conception est héritée de populations

africaines, pourquoi est-elle si tardive en Europe ? A cette époque, l'Afrique de l'Est est déjà le théâtre de

pratiques bifaciales concrètes (Roche H., Texier P.-J. 1990). A moins de considérer qu'il y ait eu en Europe une

régression technique importante.


133

Lignée africaine

≈ 1 400 000 ans ≈ 700 000 ans

Abstrait _ Concret

Lignée européenne

≈ 550 000 ans ≈ 400 000 ans

Abstrait _ Concret

Si l'approche techno-génétique des pièces bifaciales ne permet pas d'apporter de réponses définitives à

ces aspects de la recherche, elle permet néanmoins de poser des questions qu'aucune des hypothèses formulées

jusqu'à présent ne soulevait. Une meilleure connaissance de sites anciens européens, fouillés en plus grand

nombre et mieux calés chronologiquement, serait une source d'information importante.

* *

Nous avons vu qu'à l'intérieur d'une même lignée il peut exister une évolution ordonnée de stades

techniques. Cet ordre évolutif a souvent été interprété comme le sens du progrès avec son cortège de sous-

entendus. Mais pour nous, ce progrès, si tant est qu'il existe, ne peut être sous-tendu que par le potentiel évolutif

propre à l'objet.

Pour individualiser cette tendance évolutive inhérente à la structure de l'objet, nous avons repris

l'expression de " tendance lourde " définie par Y. Deforge (1985). Cette tendance est dite aussi macro-évolutive

par opposition à la tendance micro-évolutive qui est de nature conjoncturelle. Or, si toutes les transformations,

régressions, convergences ou divergences observables à l'intérieur d'une lignée ou entre plusieurs lignées sont

d'ordre conjoncturel, et alors que, tout objet est une interface entre l'homme et son milieu, et donc assujetti à eux,

à travers sa structure nous postulons qu'il n'en possède pas moins un potentiel évolutif qui lui est propre. Si ce

potentiel s'exprime, ce sera toujours suivant un sens, une tendance.


134

Le stade ultime d'une tendance lourde est la structure concrète, qui n'est plus évolutive. Si la

concrétisation signifie que le potentiel évolutif de la structure est saturé, cela n'empêchera pas celle-ci de

perdurer, en restant insensible à toute modification liée à des facteurs économiques, fonctionnels ou sociaux. Ce

sont les méthodes issues de ces structures qui agiront comme médiateur entre l'objet, l'homme et le milieu. Leur

rôle est de permettre l'adaptation de la structure aux micro-évolutions. De leur capacité à produire des méthodes

issues d'une même structure mais aussi à fournir des supports d'outils ou des outils diversifiés aux dépens de

cette structure dépendra leur durée d'exploitation. Tel est le cas des débitages Levallois et Discoïde. Ces deux

modes de débitage ont été utilisés de façon continue pendant plusieurs centaines de milliers d'années, tantôt

comme unique producteur d'outils, tantôt en association avec d'autres structures de débitage et/ou de façonnage.

Dans ce cas, ils sont le plus souvent associés à une structure de façonnage produisant des objets concrets

hypertéliques, voire, plus rarement, " auto-suffisants ", ou, plus rarement encore, à des objets concrets issus d'une

structure de débitage.

Les industries bifaciales, quel que soit leur stade d'évolution, sont toujours associées à un ou deux autres

modes de production.

Lorsque la production de pièces bifaciales est dominante, les pièces obtenues servent avant tout de

support d'outils, et le mode de production associé produit le plus souvent des supports où, semble-t-il,

forme/fonction/fonctionnement sont en synergie. Ce second mode de production peut être un mode de débitage

ou un mode de façonnage auquel cas les pièces obtenues sont des pièces aux structures concrètes hypertéliques.

Tels les Trièdres dans les industries de l'Acheuléen inférieur et moyen, certains bifaces rencontrés dans les

industries de l'Acheuléen moyen et supérieur, et certains faciès du moustérien d'Europe Occidentale et Orientale.

* *

Il est un ensemble de structures que nous n'avons pas développé en terme de lignée, ce sont les modes

de production laminaire. Pour le faire, nous aurions dû considérer des industries du Paléolithique supérieur, ce

que nous nous refusions par manque de connaissances précises.


135

En revanche, l'analyse des différentes structures de débitage laminaire du Paléolithique moyen que nous

avons étudiées montre qu'elles sont toutes bloquées à un stade évolutif. Cela nous semble provenir de la

technique de percussion : percussion interne au percuteur dur. En effet, il n'est pas possible de faire mieux avec

ce mode de percussion aux dépens de ces structures. Un changement de technique de percussion : percussion

tangentielle, percussion indirecte et pression, mettra en évidence le potentiel évolutif de ces structures. Pour cela,

il faudra attendre les premiers débitages du Paléolithique supérieur européen. Techniquement libérées d'un joug

technique, les structures évolueront grâce à d'autres techniques.

Ce blocage potentiel est perceptible au Paléolithique moyen final d'Europe et du Proche-Orient où nous

voyons se développer, par intermittence, des productions laminaires relevant de structures très différentes les

unes des autres mais presque toujours associées à d'autres modes de production. Dans ce cas, les lames sont des

supports réservés à deux ou trois types d'outils, au même titre que le sont les pièces bifaciales hypertéliques. Au

Paléolithique supérieur, en revanche, la production laminaire est de conception mixte, si certains outils

requièrent des supports spécifiques, d'autres pourront être obtenus aux dépens de la production de base.

En cela le débitage laminaire du Paléolithique supérieur remplira les mêmes fonctions de production

que les modes de débitage d'éclats et de façonnage.

Au Paléolithique moyen, bien que supports de nouveaux outils, les modes de production laminaire sont

autant d'inventions et d'innovations sans lendemain.

* *

Le seul facteur qui nous semble vraiment capable de remplacer une structure par une autre serait une

modification des fonctions de signe attachées à certains objets ou à un groupe d'objets car un ensemble d'objets

témoins de connaissances et de savoir-faire a aussi valeur de signe. Parce que les objets d'usage sont tout aussi

signifiants d'une société que peut l'être une oeuvre d'art, l'abandon d'un des éléments peut créer un déséquilibre

ou être le témoin de changements profonds ayant pour conséquence la disparition puis la substitution d'un

système technique par un autre.

* *
136

Pour le Paléolithique inférieur et moyen, l'analyse technologique nous révèle des industries en équilibre,

à un stade technique déterminé. Certaines évolueront dans le cadre d'une lignée, à des rythmes différents,

d'autres stagneront, voire disparaîtront. Mais, si les facteurs d'évolution sont externes, le potentiel évolutif est

propre à chaque structure. Selon ce raisonnement, le tempo de l'évolution est dû essentiellement à ce que nous

avons dénommé micro-évolution et non à un quelconque déterminisme. C'est la micro-évolution qui ordonne la

macro-évolution sur laquelle reposait jusqu'à présent notre vision linéaire et gradualiste des industries anciennes

de la préhistoire.

* *

Ce travail correspond à une étape de la recherche, dépendante des méthodes d'analyse que nous avons

développées. Pour les élaborer, nous avons volontairement fait appel à des concepts issus de domaines autres que

l'archéologie : philosophie, ergonomie, technologie. Intervenu à un moment crucial de notre recherche, cet

apport extérieur nous a permis d'élargir considérablement notre champ de réflexion : soit en nous permettant de

formaliser certains de nos résultats ; soit en nous ouvrant de nouveaux horizons, et en nous révélant de nouveaux

axes de recherches.

Peut-être, n'avons nous pas pris suffisamment de distance par rapport à ces nouvelles données, mais ils

ont été pour nous comme une véritable rencontre capable de formaliser et de donner un sens à nos recherches sur

l'évolution des techniques au Paléolithique moyen et supérieur.


137

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TABLE DES MATIERES

Introduction ............................................................................................................. p. 4

Que peut-on percevoir de la réalité technique ? ........................................ p. 4


Mémoire oubliée, mémoire déformée ............................. .......................................... p. 4
Mémoire refusée, mémoire interdite ............................ ............................................. p. 5
Une voie toute tracée ......................................... ............................................................... p. 7

Les lames de Syrie............................................. ................................................................ p. 8

Chapitre 1..................................................... ............................................................... p. 14


Appréhender l'objet dans sa singularité et sa spécificité ..... ..................p. 14
Exemples..............................................................................................................................p. 17

Chapitre 2..................................................... ............................................................... p. 23


Technologie contre typologie ?................................. ........................................... p. 23
La typologie un outil valide !................................. ........................................................p. 26
Typologie dans la technologie.................................. .....................................................p. 27

Chapitre 3..................................................... ............................................................... p. 29


Comment appréhender la genèse de l'outil ?.................................................p. 29
Notion de structure............................................ ..............................................................p. 30
Structure par juxtaposition d'éléments ou structure abstraite et structure par intégration d'éléments ou

structure concrète.. ................................................................p. 30

Méthodes............................................................................................................................p. 31
Technique...........................................................................................................................p. 33
Les objets techniques.......................................... ............................................................p. 33
Enlèvement prédéterminé........................................ .........................................................p. 33

Enlèvement prédéterminant...................................... ........................................................p. 34

Enlèvement prédéterminé/prédéterminant ou enlèvement récurrent............................p. 34

Objet transformé............................................... .................................................................p. 34

Confection et affûtage......................................... .........................................................p. 35

Chapitre 4..................................................... ............................................................... p. 37


Premier niveau de variabilité : Débitage et façonnage, " deux grandes
familles structurelles "............................... ..............................................................p. 37
Variabilité........................................................................................................................p. 38

Chapitre 5 .................................................... ................................................................p. 43


Deuxième niveau de Variabilité : les structures de débitage.................p. 43
Discussion des critères de classification...................... ................................................p. 43
La notion d'homothétie comme critère de différenciation .................................... p. 45
Les débitages homothétiques.................................... ........................................................ p. 45

Les nucléus à morphologie constante : volume homothétique...... ................................... p. 46

Enchaînement de séries récurrentes............................. ...................................................... p. 47

Surface de débitage et surface des plans de frappe............................................................. p. 48

Les débitages non homothétiques................................ .................................................... p. 49

Nucléus à morphologie variable................................ ........................................................ p. 49

Variabilité morphologique due à la méthode..................... ............................................... p. 50

Variabilité morphologique suivant le stade d'exploitation...... ......................................... p. 51

Les débitages à structures successives : volumes homothétiques successifs................ p. 53

Réflexion sur la variabilité des structures de débitage. ......................................... p. 55


Variabilité et structure....................................... ............................................................... p. 55

Synergie des critères techniques............................... ....................................................... p. 55


Chapitre 6..................................................... ............................................................... p. 63
Deuxième niveau de variabilité : variété des structures de
façonnage........................................................................................................................ p. 63
Les différences................................................ ................................................................. p. 63
Biface et bifacial............................................ .................................................................... p. 63

Exemple...................................................... ........................................................................ p. 64

Les asymétries bifaciales...................................... ......................................................... p. 65


L'asymétrie plan-convexe....................................... .......................................................... p. 67

L'asymétrie biconvexe.......................................... ............................................................ p. 68

Asymétrie des bifaces dits " grossiers " ou " archaïques "..... ......................................... p. 68

Les pièces bifaciales : outils ou supports d'outil(s) ?........ ...................................... p. 70


La pièce bifaciale support d'outil(s).......................... ...................................................... p. 71

La pièce bifaciale/outil....................................... ............................................................... p. 72

Chapitre 7................................................ .................................................................... p. 75


Les méthodes................................................... ............................................................. p. 75
Variabilité des méthodes de débitage issues d'une même structure ou de
structures différentes......................... ............................................................................ p. 75
Une structure, plusieurs méthodes, un même objet............... ........................................ p. 75

Plusieurs structures, plusieurs méthodes, un même objet........ ..................................... p. 76

Une structure, plusieurs méthodes, plusieurs objets............ .......................................... p. 77

Attention aux confusions....................................... ............................................................ p. 78

L'individu comme facteur de variabilité : schéma d'intention, schéma de


réalisation.......................................... .............................................................................. p. 79
Moment de la variabilité pour les méthodes de débitage......... ...................... p. 81
Influence de la méthode d'initialisation sur les objectifs issus du stade
d'exploitation.................................. ............................................................................... p. 84
Moment de la variabilité pour les méthodes de façonnage........ .................................... p. 85
Variabilité des méthodes de mise en forme des pièces bifaciales de section
plan/convexe........................................ .......................................;................................... p. 88
Le biface de type micoquien.................................... ......................................................... p. 89

Le biface de type M.T.A........................................ ........................................................... p. 89

La pièce bifaciale de type micoquien........................... .................................................... p. 90

Chapitre 8..................................................... ............................................................... p. 92


Les objectifs fonctionnels d'usage............................. ........................................ p. 92
La notion d'objectif........................................... ............................................................. p. 92
Variabilité qualitative et quantitative........................ ................................................ p. 93
Variabilité intra-site......................................... .............................................................. p. 94
Objets techniques stricto sensu................................ ........................................................ p. 95

Le couple technique : bord/pointe.............................. ....................................................... p. 95

Les pièces bifaciales.......................................... .................................................................. p. 96

Les outils convergents sur éclat............................... ........................................................... p. 98

Les outils convergents sur des typo-pointes Levallois.......... ............................................ p. 100

Objets techniques prédéterminants.............................. ................................................. p. 101

Parties d'objets présentant un ou des caractères techniques

particuliers....................................................................................................................... p. 103

Variabilité des angles......................................... .............................................................. p. 104

Variabilité des surfaces....................................... ............................................................. p. 105

Variabilité des Unités techno-fonctionnelles................... ............................................... p. 107.

Les pièces bifaciales de Barbas (C'3).......................... ..................................................... p. 108

La cohérence d'un bord confectionné............................ ................................................... p. 108

Un typo-racloir moustérien avec des traces de bitume........... .......................................... p. 109

Chapitre 9..................................................... ............................................................. p. 111


Technogenèse.............................................................................................................. p. 111
Principe de synergie............................................. ........................................................ p. 111
Evolution des structures de débitage........................... ....................................... p. 114
Chronologie....................................................................................................................... p. 114

Le débitage Clactonien......................................... .......................................................... p. 116

Une absence de synergie........................................ .......................................................... p. 117

Le débitage Levallois : une parfaite synergie.................. ............................................. p. 118

Le débitage Discoïde : une parfaite synergie................... ..............................................p. 119

Trois conceptions du débitage, deux lignées.................... ...................................... p. 121


Clactonien/Levallois......................................................................................................... p. 121

Le nucléus Clactonien : un objet technique fait de la juxtaposition d'éléments, soit un objet technique dit

abstrait. ....................................................................................................... p. 121

Le nucléus Levallois : un objet technique fait par intégration d'éléments, soit un objet technique dit

concret......................................................................................................... p. 122

Clactonien/Discoïde.......................................................................................................... p. 127

Le discoïde : une autre technicité............................. ....................................................... p. 127

Divergences des lignées Levallois et Discoïde.................. ............................................. p. 128

Une même origine, mais une lignée différente................... ............................................. p. 128

La surface de débitage......................................... ............................................................. p. 128

L'angle charnière des deux surfaces............................ ..................................................... p. 129

Les nucléus Trifaces : une lignée indépendante................. .......................................... p. 131

Evolution des structures de façonnage.......................... .......................................... p. 134


Evolution de l'objet bifacial : " de l'abstrait vers le concret ", soit d'une structure composée d'éléments

juxtaposés vers une structure constituée d'éléments intégrés les uns dans les autres dans une synergie de

forme, de fonction et de fonctionnement.................................................................................................................

p. 136

Structure abstraite composée d'éléments juxtaposés............. ......................................... p. 136

Structure concrète composée par intégration des éléments....... ..................................... p. 137

Le tempo de l'évolution........................................ ............................................................. p. 137

Les formes de transition....................................... .............................................................. p.138


La concrétisation : un phénomène cyclique...................... .............................................. p. 139

Evolution des structures concrètes............................. ..................................................... p. 140

Réduction des dimensions....................................... .......................................................... p. 141

Vers une augmentation de " l'autosuffisance ".................. ................................................ p. 141

L'hypertélie......................................................................................................................... p. 141

Industries possédant des pièces bifaciales hypertéliques....... ........................................... p. 142

Conclusion..................................................... ............................................................ p. 145


Bibliographie............................................................................................................. p. 154
Figure 1 : Extrait de : Approche Techno-Fonctionnelle de l'outillage lithique moustérien : essai de classification
des parties actives en termes d'efficacité technique. Application à la couche M2e sagittale du Grand Abri de la
Ferrassie (fouille Henri Delporte). Mémoire de Maîtrise de Michel Lepot 1993 : Université de Paris X-Nanterre
livret 2. Planche 14.

Figure 2 : A : nucléus Levallois récurrents uni- et bipolaire. Parmi la production des éclats prédéterminés
certains ressembleront à quelques éclats provenant de la production de pièces bifaciales. B : production bifaciale ,
certains éclats provenant de différents moments de la production ressembleront à certains éclats prédéterminés
Levallois.

Figure 3 : Terminologie appliquée à la description d'un schéma de production d'outils. Table Ronde de
Champlitte, 1990.

Figure 4 : Percussion interne et percussion tangentielle.

Figure 5 : Débitage : le débitage est le fractionnement d'une structure volumétrique par une panoplie de
méthodes spécifiques en différentes unités et volumes qui sont obtenus en séries différenciées ou standardisées,
récurrentes ou linéales selon le cas. Façonnage : le façonnage permet d'obtenir par réduction successives une
pièce bifaciale qui en est l'aboutissement. Il s'agit de l'aménagement d'une pièce au sein d'une masse de matière
investie dès le départ de l'approche progressive de la forme et du volume final.

Figure 6 : 1) Le nucléus Levallois (A) et le nucléus Discoïde (B) sont conçus comme deux surfaces convexes
sécantes alors que le nucléus Triface est conçu comme trois surfaces sécantes. 2) L'exploitation d'un nucléus
Levallois (A) en vue d'obtenir des enlèvements prédéterminés se fait aux dépens de la surface de débitage. Une
fois cette surface exploitée, il est nécessaire de la réparer si l'exploitation doit se poursuivre pour une nouvelle
série d'enlèvements prédéterminés. Par contre, l'exploitation d'un nucléus Discoïde (B), Triface (C), type "
Rocourt " (D) suit une préparation spécifique du nucléus comme pour le débitage Levallois, mais qui se fait de
façon continue sans qu'il soit nécessaire de remettre en jeu les critères techniques de prédétermination. Le
volume utile est dans ce cas égal au volume du nucléus.

Figure 7 : Débitage homothétique : 1 - débitage levallois récurrent uni-bipolaire ; 2 - débitage Levallois


récurrent centripète. Débitage non homothétique à morphologie variable : 3 - débitage laminaire de type
Paléolithique supérieur. Débitage non homothétique à morphologie variable due à la méthode : 4, 5 - débitage
Discoïde. Débitage non homothétique à morphologie variable suivant le stade d'exploitation : 5 - débitage
Discoïde.
Figure 8 : Débitage Levallois récurrent unipolaire. La percussion est directe, interne réalisée au percuteur dur,
d'axe perpendiculaire à la " charnière " qui est créée par l'intersection de la surface de débitage et de la surface de
plans de frappe. Tout enlèvement prédéterminé ne sera contrôlé que par le respect de cette contrainte. 1 -
enlèvement de pleine surface ; 2 - enlèvement débordant ; l'axe de percussion reste perpendiculaire à la charnière;
3 - la production d'un enlèvement laminaire de flan n'est pas possible au vu de l'angle de frappe, non
perpendiculaire à la charnière ; 4 - le contact devant impérativement être à 90° pour pouvoir développer une
onde de choc dans de bonnes conditions, l'enlèvement qui en résulte est incontrôlable dans son dégagement ; 5 -
il est donc impératif de réaménager une nouvelle surface de plans de frappe de telle façon que l'axe de percussion
soit perpendiculaire à la nouvelle charnière, permettant ainsi le développement d'un enlèvement contrôlé.

Figure 9 : Schéma opératoire Discoïde pousse à son maximum. 1 - Nucléus en fin d'exploitation, les angles ne
sont plus propices au détachement d'enlèvements contrôlés. 2 - Utilisation d'un nouveau plan d'intersection, les
angles sont propices au détachement d'enlèvements contrôlés. 3 - Nucléus Discoïde de forme polyédrique. Dans
presque toutes les industries " Discoïdes " que nous avons pu étudier, nous avons retrouvé ce genre de nucléus en
plus ou moins grand nombre.

Figure 10: Nucléus Discoïdes polyédriques : 1 site de Mauran (Farizy C. et al. 1994) ; 2, 3 site de Beauvais (Oise)
Locht J.-L. 1994).
Figure 11 : A - Schéma de débitage Hummalien. La production de lames se fait aux dépens de structures
successives différentes : l'ordre entre les deux premières structures est variable 1) pyramidale, 2) plans de frappe
décalés et opposés, 3) Levallois, 4) exploitation de type Paléolithique supérieur. B - Schéma de débitage
Bohunicien, de Bohunice : 1) galet, 2) enlèvement d'un enlèvement envahissant sur la surface la plus large, 3)
aménagement de deux plans de frappe latéraux pour débiter une série de lames, dans les parties les plus étroites
du galet, 4) enlèvement de deux éclats laminaires débordants venant se croiser sur la surface la plus large, créant
le dessin d'une pointe Levallois, 5) après l'aménagement d'un nouveau plan de frappe en chapeau de gendarme,
l'opérateur débite la première pointe Levallois, 6) aménagement d'un plan de frappe opposé pour débiter un ou
des enlèvements qui auront pour rôle d'aménager une deuxième pointe Levallois, 7) enlèvement de la deuxième
pointe Levallois, etc.

Figure 12 : Hummalien, couche Ib d'Hummal (Syrie) : éclat outre-passant permettant de distinguer trois étapes
de débitage : 1 - semi-pyramidale, 2 - à plans de frappe opposés et décalés, 3 - à débitage de surface de type
Levallois.

Figure 13 : Hummalien, couche Ib d'Hummal (Syrie) : 1- nucléus Levallois repris latéralement sans succès, car
le tailleur n'a pas réorienté sa surface de plans de frappe vis à vis de sa nouvelle surface de débitage. 2 - ancien
nucléus à deux plans de frappe opposés décalés et latéralisés par la suite.

Figure 14 : Hummalien, couche Ib d'Hummal (Syrie) : nucléus semi-pyramidal.

Figure 15 : Bohunice-Kejbaly (République Tchèque) : nucléus Levallois à pointes faisant suite, pour certains
d'entre eux, à un débitage de lames. Nous avons pu observer ces nucléus mais n'ayant pas eu le temps d'effectuer
nos propres dessins nous utilisons ceux de K. Valoch.

Figure 16 : La pointe Levallois peut résulter de conceptions de taille différentes qu'une détermination
simplement typologique ne permet pas de mettre en évidence. De même, cette pointe peut résulter de plusieurs
méthodes issues d'une même conception de taille. Deux rangs de variabilités sont ainsi discernables : les
conceptions de taille et leurs méthodes.

Figure 17 : Comparaison entre une propriété technique participant à la construction des nucléus Levallois
récurrent centripète et Discoïde.
- Dans le cas du débitage Discoïde (1a) l'option - plan sécant - (2a) permet d'obtenir une séquence continue
d'enlèvements prédéterminés sans aménagement des surfaces de débitage (3a,4a, 5a). Une série de plus de 10
enlèvements prédéterminés peut être obtenue. Cette continuité (6a....10a) est due à un auto-entretien des critères
techniques de prédétermination. Ces enlèvements sont obtenus, selon la méthode utilisée, sur une ou deux
surfaces successivement ou alternativement. La morphologie de chaque nucléus sera alors caractéristique :
conique, bi-conique, polyédrique. Les caractères morphologiques des enlèvements seront spécifiques de cette
conception volumétrique.
- Dans le cas du débitage Levallois récurrent centripète (1b) l'option - plan parallèle -(2b) permet d'obtenir une
série de quelques enlèvements prédéterminés (3b, 4b, 5b). Une fois cette série obtenue, il est alors nécessaire de
remettre en place les critères techniques de prédétermination, à la différence du débitage Discoïde où ces critères
sont auto-entretenus. La morphologie des nucléus sera toujours la même et très caractéristique : disque plan-
convexe. Les caractères morphologiques des enlèvements seront spécifiques de cette conception volumétrique.

Figure 18 : niveau CA du gisement de Riencourt-les-Bapaume (Pas de Calais) : le débitage laminaire de type


Paléolithique supérieur est associé avec un débitage Levallois récurrent unipolaire et centripète. Les lames ont
servi de support pour la fabrication d'outils de type Paléolithique supérieur, alors que la production Levallois a
servi de support pour la fabrication de typo-racloirs et autres outils moustériens.

Figure 19 : Hummalien, couche Ib d'Hummal (Syrie) : outils de type moustérien sur lame.

Figure 20 : Hummalien, couche Ib d'Hummal (Syrie) : outils convergents appointés. L'affûtage semble avoir
pour rôle d'aménager une pièce appointée avec un équilibre général particulier ; l'affûtage des bords rend ceux-ci
non fonctionnels en terme de tranchant à la différence de la pointe qui présente un affûtage plus précis avec des
bords tranchants.

Figure 21 :Hummalien, couche Ib d'Hummal (Syrie). Outils convergents : les bords sont affûtés par des
enlèvements de types différents, de semi-parallèles à écailleux ; la pointe est affûtée par des enlèvements
irréguliers. Les pointes ne semblent pas fonctionnellement investies de la même façon que celles qui sont
observées sur la figure 20. Nous nous retrouvons dans le même cas que lorsque nous distinguons un typo-racloir
convergent d'une typo-pointe moustérienne.

Figure 22 : Hummalien, couche Ib d'Hummal (Syrie) : outils à un seul bord affûté opposé à un bord naturel ;
l'affûtage ne correspond pas à l'aménagement d'une dos, l'angle est de 40 à 45 °.

Figure 23 : Hummalien, couche Ib d'Hummal (Syrie) : outils dont l'aménagement semble se concentrer vers la
partie distale du support ; l'un des bords, opposé à un tranchant naturel, est affûté par des enlèvements faisant
une angle de 60 à 65°. Dans certains cas ce tranchant est repris par des enlèvements faisant un angle de 25 à 30°.

Figure 24 : Pech de l'Aze II, couche 9 : nucléus Triface ayant fourni des éclats et ensuite transformé en pièce
appointée et bord affûté (pointillé léger).

Figure 25 : Wolvercote (Angleterre) : pièce bifaciale plan-convexe.

Figure 26 : Pièces bifaciales plan-convexes ; 1 - Klausennnische (Allemagne), 2 - Bockstein III (Allemagne), 3 -


La Micoque C.4 (France).

Figure 27 : Barbas C'3, France : pièce bifaciale plan-convexe.

Figure 28 : Analyse technique d'une pièce bifaciale. Premier niveau de lecture : l'aménagement des surfaces.
Deuxième niveau de lecture : l'aménagement des plans de coupe : ce stade technique peut être obtenu dés le
stade précédent. Troisième niveau de lecture : l'aménagement des plans de bec : ce stade n'est pas non plus
obligatoire car un plan de coupe suffit à la fonctionnalisation de la pièce. Mais dans de nombreux cas nous
assistons à un aménagement d'une ou de plusieurs parties de la pièce, ces aménagements pouvant correspondre à
la mise en place des contacts préhensifs, réceptifs et transformatifs. Si, cette distinction en trois stades techniques
successifs n'apparaît pas utile dans certains cas, car la fonctionnalité de la pièce est obtenue dès l'aménagement
des surfaces (tel que nous l'observons pour les feuilles de Laurier), dans d'autres cas, fort nombreux, cette
distinction permet de mieux comprendre la mise en fonction de ce type d'objet.

Figure 29 : Barbas I C'3 : pièce bifaciale plan/convexe.

Figure 30 : Barbas I C'3 : Pièce bifaciale plan/biplan.

Figure 31 : Barbas I C'3 : pièce bifaciale convexe/biplan.

Figure 32 : Barbas I C'3 : pièce bifaciale convexe/plan-convexe.

Figure 33 : Barbas I C'3 : pièce bifaciale plan-convexe/plan-convexe.

Figure 34 : 1 - La structure volumétrique d'une pièce bifaciale peut se définir comme le volume délimité par
l'intersection de deux surfaces sécantes, intersection supposée plane. Les plans créés par l'intersection des
surfaces sont appelés plan de coupe (ils peuvent se présenter favorablement ou au contraire être aménagés). Les
plans de bec correspondent à la fonctionnalisation de la pièce. Ils peuvent se répartir à différents endroits de la
périphérie de la pièce. Ce plan de coupe peut dans certain cas être l'objet d'une reprise en vue d'une
fonctionalisation du bord. 2 - Ce nouveau plan de section est appelé plan de bec.

Figure 35 : Külna (République Tchèque) : Pièce bifaciale provenant des niveaux Micoquiens. 1 et 2 :
aménagement d'une structure bifaciale convexe/biplan, le bord droit de la pièce obtenu par l'intersection des
surfaces a fourni un plan de coupe favorable à l'aménagement d'une Unité-Techno-Fonctionnelle qui dans le cas
présent semble être d'ordre transformative. Cette Unité-Techno-Fonctionnelle est obtenue en affûtant le plan de
coupe, obtenant ainsi un plan de bec opérationnel.
Figure 36 : 1 - Aménagement d'un plan de bec aux dépends d'un plan de coupe résultant de l'intersection de
surfaces plane et convexe. 2 et 3 - Un plan de coupe plan/convexe peut-être repris par des enlèvements faits aux
dépens des deux surfaces. Si, l'on veut garder le même angle tout le long du fonctionnement de la pièce, il est
alors possible d'effectuer un affûtage sur les deux surfaces sans pour cela modifier l'angle de départ. Les
enlèvements, sur la surface plane, ont un plan de détachement parallèle à la surface. Il n'est pas rare d'observer
sur certaines pièces bifaciale un affûtage rentrant "réfléchissant". Il ne s'agit pas d'une erreur de la part du tailleur
mais bien au contraire un acte technique parfaitement contrôlé fait pour répondre à un objectif. Ceci est une des
caractéristiques techniques propre au plan de section plan/convexe. a et b Cette propriété technique est aussi
transposable aux éclats. Les affûtages successifs ne modifient pas la forme générale de l'objet.

Figure 37 : A et A1 - L'aménagement d'un plan de bec sur une pièce bifaciale, faite de l'intersection de deux
surfaces convexes, est possible. Mais, l'aménagement successif du même bord va très vite être impossible à
effectuer du fait des angles devenus supérieurs à 90° ; B et B1 - la seule possibilité pour ré-affûter ce bord
consiste à faire des enlèvements réfléchis. C - Mais, il n'est plus possible de ré-affûter ce bord sans une reprise
générale ou partielle de la pièce, entraînant une diminution du volume de l'objet.

Figure 38 : El Meirah (Syrie) : A1 et B1 - premier algorithme, l'affûtage se fait à partir de la surface A1 (plane)
aux dépens de la surface B1 (concave) ; A2 et B2 - deuxième algorithme, l'affûtage se fait à partir de la surface
A2 (plane) aus dépens de la surface B2 (concave) ; A3 et B3 - troisième algorithme, l'affûtage se fait à partir de
la surface A3 (plane) aux dépens de la surface B3 (concave).

Figure 39 : Barbas I, C'3 : pièce bifaciale biplan/plan support d'outils présentant quatre Unités Techno-
Fonctionnelles aménagées pouvant être assimilées à des typo-racloirs.

Figure 40 : Barbas I, C'3 : pièce bifaciale convexe/plan support d'outils présentant deux Unités Techno-
Fonctionnelles aménagées et différentes, pouvant être assimilées à des typo-denticulés et des typo-coches. Cette
pièce bifaciale correspond au nième affûtage.

Figure 41 : Barbas I, C'3 : pièce bifaciale convexe/biplan support d'outils présentant quatre Unités Techno-
Fonctionnelles aménagées et différentes, pouvant être assimilées à des typo-racloirs. Cette pièce bifaciale
correspond au nième affûtage.

figure 42 : Barbas I, C'3 : pièce bifaciale convexe/biplan support d'outils présentant deux Unités Techno-
Fonctionnelles aménagées et différentes ; le bord peut être assimilé à un typo-racloir, la pointe est difficilement
classable mais présente indéniablement un aménagement spécifique. Cette pièce bifaciale correspond au nième
affûtage.

Figure 43 : Barbas I, C'3 : pièce bifaciale convexe/plan support d'outils présentant deux Unités Techno-
Fonctionnelles aménagées et différentes ; le bord peut être assimilé à un typo-racloir, la pointe est difficilement
classable mais présente indéniablement un aménagement spécifique. Cette pièce bifaciale correspond au nième
affûtage.

Figure 44 : Barbas I, C'3 : Pièces bifaciales utilisées au maximum de leur possibilité, avec une dernière série
d'U.T.F.

Figure 45 : Barbas I, C'3 : pièce bifaciale/outil, le contact transformatif est obtenu par un coup "de tranchet
latéral".

Figure 46 : Aix en Othe : pièce bifaciale de type Micoquien.

Figure 47 : Aix en Othe : Prondnikmesser.

Figure 48 : Grateloup Saint-Sauveur (Dordogne), biface ovalaire, moustérien de tradition acheuléenne (Bordes F.
1961)

Figure 49 : Blattspitzen (4/5) de Mauern (Allemagne). 1, 2 et 4 d'après A. Brohmers, 3 d'après L.-F. Zotz.

Figure 50 : Feuille de Laurier (1/2) du Pech de la Boissière, Solutréen (P.-E. Smith 1966) ; Bohunicien
(République Tchèque -J. Svoboda 1990) ; Szeletien du site de Szeleta (Hongrie) K. Sliman 1990).
Figure 51 : Abri du Musée (Les Eyzies, Dordogne) : coup de tranchet latéral sur pièce bifaciale. La pièce
bifaciale est façonnée à partir d'un éclat ; grâce à cet aménagement plusieurs affûtages successifs seront possibles
(Bourguignon L. 1992).

Figure 52 : Abri du musée (Les Eyzies, Dordogne) : coup de tranchet latéral sur éclat. La structure de l'éclat ne
permet que l'aménagement d'un seul coup de tranchet latéral (Bourguignon L. 1992).

Figure 53 : Barbas I (Dordogne), couche acheuléenne C'3 : Nucléus Levallois récurrent unipolaire à initialisation
Kombewa.

Figure 54 : Barbas I (Dordogne), couche acheuléenne C'3 : Eclat Kombewa aménagé en "typo-hachereau".

Figure 55 : Korolevo (Ukraine) couche micoquienne II : Nucléus Levallois récurrent centripète à initialisation
Kombewa.

Figure 56 : Korolevo (Ukraine) couche micoquienne II : Eclats Kombewa aménagés.

Figure 57 : Dans le cadre d'un débitage Levallois récurrent unipolaire, selon la méthode d'initialisation choisie,
les premiers enlèvements prédéterminés auront des caractères techniques différents.

Figure 58 : a - Moustérien de Tradition Acheuléenne Saint-Just-en-Chaussée (Oise): b - Micoquien,


Rheindahlen B2 (Allemagne).
Figure 59 : Yonne. Pièce bifaciale avec une légère rotation du plan d'intersection des deux surfaces.

Figure 60 : Korolevo, couche Micoquienne - Ukraine -. Il y a deux contacs préhensifs aménagés de façons
différentes : en pointillé il s'agit d'un dos abrupt de délinéation rectiligne, aménagé à partir d'une cassure ou d'un
tranchant ; en tireté il s'agit d'un bord convexe aménagé par des enlèvements bifaciaux. Le contact transformatif
en trait continu est fait aux dépens d'un bord, l'intersection d'une surface plane et d'une surface ou convexe, ou
concave ou plane. L'affûtage du contact transformatif se fait toujours à partir de la surface plane aux dépens de
l'autre surface.

Figure 61 : Korolevo, couche Micoquienne - Ukraine -. Il y a deux contacts préhensifs aménagés de façons
différentes : en pointillé il s'agit d'un dos abrupt de délinéation plus ou moins rectiligne, aménagé à partir d'une
cassure ou d'un tranchant ; en tireté il s'agit d'un bord convexe aménagé par des enlèvements bifaciaux. Le
contact transformatif en trait continu est fait aux dépens d'un bord fait de l'intersection d'une surface plane et
d'une surface ou convexe ou concave ou plane. Les surfaces étant toutes deux planes, l'angle de bec est de l'ordre
de 30°.

Figure 62 : Yonne. Pièce bifaciale présentant une asymétrie des surfaces : la base est faite de surfaces convexes
alors que la pointe est aménagée par des surfaces plan/convexes.

Figure 63 : Barbas I (Dordogne), couche Acheuléenne C'3. Pièce bifaciale présentant une asymétrie des surfaces :
la base est faite de surfaces convexes alors que la pointe est aménagée par des surfaces plan/convexes.

Figure 64 : Barbas I (Dordogne), couche Acheuléenne C'3. Pièce bifaciale présentant quatre U.T.F. : trois de
type typo-racloir, une de type typo-racloir convergent.

Figure 65 : Analyse Techno-Fonctionnelle. L'affûtage des typo-racloirs, A, B, et C, est fait à partir de la même
surface. De même les trois U.T.F., de type typo-racloir, présentent les mêmes caractéristiques techniques : angle,
surfaces, délinéation et plan de section sont sensiblement identiques. A supposer que ces U.T.F. ont le même
type de fonctionnement, leur mise en fonction nécessitera un contact préhensif différent. Ce changement est
certes minime, mais on peut en déduire que le fonctionnement de la pièce n'est en rien perturbé par une diversité
morpho-technique du contact préhensif. Le tailleur doit par contre tenir compte du fait que chaque contact
transformatif sera un futur contact préhensif et vice versa. Cela suppose que le fonctionnement de la pièce ne
détruise par les futurs contacts transformatifs. Pour respecter cette contrainte, un ordre d'utilisation est peut-être
nécessaire ? Le contact transformatif D est unique mais répond aux mêmes exigences.

Figure 66 : Analyse Techno-Fonctionnelle. L'affûtage des typo-racloirs, A et B, est fait de façon alterne. Les
surfaces sont de type plan/convexe. L'affûtage se fait toujours à partir de la surface plane aux dépens de la
surface convexe. Ces deux U.T.F., de type typo-racloir, présentent les mêmes caractéristiques techniques : angle,
surfaces, délinéation et plan de section. A supposer que ces U.T.F. ont le même type de fonctionnement, leur
mise en fonction ne nécessitera pas un contact préhensif différent. Le fonctionnement des deux tranchants est
strictement identique : un même contact transformatif et un même contact préhensif. Cette symétrie de
fonctionnement est due à l'asymétrie des surfaces. Le tailleur doit par contre tenir compte du fait que chaque
contact transformatif sera un futur contact préhensif et vice versa. Cela suppose que le fonctionnement de la
pièce ne détruise par les futurs contacts transformatifs.

Figure 67 : Umm el Tlel Couche V2Βa - Syrie. 1 - racloir convergent, avec traces de bitume. Techniquement
nous distinguons deux U.T.F. : une typo-pointe et un typo-racloir. Cette hypothèse est mise en valeur par la
localisation du bitume. 2- hypothèse de maintien de la pièce lors de son fonctionnement.

Figure 68 : Dans certains cas le caractère " convergence de bord délimitant une pointe " est celui qui est
recherché. Selon la méthode d'initialisation et d'exploitation que le tailleur utilise, celui-ci sait à l'avance quand
ce type de caractère se présentera. Dans le cas de méthodes Levallois récurrentes uni- et bipolaire, ce caractère
sera plus fréquent sur les enlèvements de type 3. Mais cela ne veut pas dire que les enlèvements de type 1 ou 2
présentant ce caractère ne soient pas utilisés, bien au contraire. Il s'agit d'une simple problème de fréquence. Un
type 3 présentera plus souvent ce caractère qu'un type 1 et 2.

Figure 69 : Biache-Saint-Vaast, couche II base. 1 à 9 : enlèvements de type 1 et/ou 2.


Figure 70 : Biache-Saint-Vaast, couche II base. 1 à 6, 9 et 10 : enlèvements de type 3 ; 7, 8, 11 et 12 :
enlèvements de type 1 et/ou 2.
Figure 71 : la " Bouloie " à Crenay (Haute-Marne). Dans certains cas le caractère " convergence de bord
délimitant une pointe " est celui qui est recherché. Selon la méthode d'initialisation et d'exploitation que le
tailleur utilise, celui-ci sait à l'avance quand ce type de caractère se présentera. Dans le cas de la méthode
Levallois récurrente centripète ce caractère peut être facilement obtenu à tous les moments du débitage. Mais,
pour cela il faut respecter certaines combinaisons d'enlèvements. En effet, l'obtention d'éclats pointus ne se fait
pas automatiquement ; dans le même cadre de débitage - Levallois récurrent centripète - d'autres combinaisons
auraient été possibles, ne produisant pas ou très peu d'éclats avec ce caractère. Dans le cas de l'industrie de la
Bouloie, ce caractère pointu, dans l'axe ou le plus souvent déjeté, sera utilisé pour produire des typo-racloirs
déjetés en très grande quantité. Il utilise toute une gamme de dimensions allant des premiers enlèvements aux
derniers. (Amiot C., Boëda E. à paraître)

Figure 72 : la " Bouloie " à Crenay (Haute-Marne). Nucléus.


Concept : Levallois ; Méthode d'initialisation : utilisation d'une surface de gel naturellement convexe avec
aménagement de convexité si nécessaire ; Méthode d'exploitation : récurrente centripète.

Figure 73 : la " Bouloie " à Crenay (Haute-Marne). 1 à 12 : Typo-racloirs déjetés faits aux dépens d'éclats
Levallois issus de la méthode récurrente centripète et correspondant à différents moments de l'exploitation du
nucléus. 13 à 16 : éclats Levallois " récurrents " centripètes présentant un convergence de bords délimitant une
pointe.

Figure 74 : Umm el Tlel, couche V2Βa -Syrie. Pointes Levallois présentant des traces de fonctionnement sur le
bord gauche : A, C et D découpe de boucherie ; B découpe de végétaux. (Plisson H. 1994, 95).

Figure 75 : Umm el Tlel, couche V2Βa -Syrie. Pointe Levallois présentant des traces de fonctionnement sur les
deux bords : A, B, C et D découpe de boucherie. (Plisson H. 1994, 95).

Figure 76 : Umm el Tlel, couche V2Βa -Syrie. A, B et C : Pointes Levallois présentant des traces de
fonctionnement asymétrique, avec utilisation d'un bord et de la pointe. A et B découpe de boucherie, et C
découpe de végétaux. D présente une utilisation symétrique des deux bords et de la pointe pour la découpe de
boucherie. (Plisson H. 1994, 95).

Figure 77 : Umm el Tlel Couche V2Βa - Syrie. 1 - racloir convergent, avec traces de bitume. Les deux bords
sont traités par des enlèvements qui n'ont pas les mêmes conséquences techniques. Le bord droit une fois traité
présente un angle de bec régulier sur toute la longueur. En revanche, le bord gauche présente un angle de bec
irrégulier. La pointe est aménagée par des enlèvements différents de ceux qui sont utilisés pour l'aménagement
des bords. Cette asymétrie de traitement nous amène à distinguer trois U.T.F. différentes. Les traces de bitume
délimitent deux sous-ensembles : le premier regroupe le bord gauche et la partie proximale, le second regroupe
le bord droit et la pointe. En fonction de ces données nous proposons une hypothèse d'emmanchement. 2-
hypothèse de maintien de la pièce lors de son fonctionnement.

Figure 78 : Umm el Tlel Couche V2Βa - Syrie. Face supérieure d'un typo-racloir convergent avec des traces de
bitume.

Figure 83 : Hummal, couche hummalienne Ia -Syrie. Eclat laminaire de section triangulaire : détail du bitume sur
la partie proximale de la face supérieure.

Figure 79 : Umm el Tlel Couche V2Βa - Syrie. Face inférieure d'un typo-racloir convergent avec des traces de
bitume.
Figure 80 : Hummal, couche hummalienne Ia -Syrie. Eclat laminaire de section triangulaire. Le bord droit et la
partie proximale présentent une retouche discontinue définissant le plan de section hétérogène. La finalité de ce
travail d'aménagement semble plutôt correspondre à une régularisation de la morphologie de la partie proximale
du bord gauche. De la partie mésiale/distale du bord gauche on observe un aménagement régulier fait
d'enlèvements de direction parallèle et d'envahissement variable. Cet aménagement crée un fil coupant de
délinéation convexe et un angle de bec de 40°. L'extrémité distale de cette pièce est de forme appointée. Sur le
bord gauche adjacent l'aménagement rend la surface concave sur 1 mm de profondeur, modifiant le plan de
coupe initial alors que sur le bord droit adjacent l'aménagement maintient le même plan de coupe. Trois
intentions d'aménagement semblent se distinguer : - contact préhensif et receptif, deux U.T.F.: partie proximale
du bord gauche et partie mésiale/distale du bord droit; - contact transformatif, deux U.T.F. : partie
mésiale/distale du bord gauche et partie distale. L'analyse de la position du bitume renforce considérablement les
observations techniques précédentes. La corrélation entre les résultats de l'analyse Techno-Fonctionnelle de la
pièce et la localisation du bitume tend à confirmer l'utilisation d'une colle - le bitume- pour fixer un éclat
laminaire dans un manche fait de matière végétale ou animale. L'emmanchement ainsi créé laisse libres les deux
tiers distaux du bord gauche et le quart distal du bord droit.

Figure 81 : Hummal, couche hummalienne Ia -Syrie. Eclat laminaire de section triangulaire, face supérieure.

Figure 82 : Hummal, couche hummalienne Ia -Syrie. Eclat laminaire de section triangulaire, face inférieure.

Figure 84 : Umm el Tlel couche V2Βa - Syrie. Découpe de végétaux, enlèvements Levallois prédéterminés : 1 -
éclat laminaire, 2 - éclat triangulaire, 4 - éclat. Enlèvements Levallois prédéterminants : 3 - éclat laminaire, 5 -
éclat triangulaire.

Figure 85 : Umm el Tlel couche V2Βa - Syrie. Découpe de boucherie, enlèvements Levallois prédéterminés : 1
et 5 - éclats, 3 - éclat triangulaire. Enlèvements prédéterminants : 2 et 4 éclats laminaires.

Figure 86 : Umm el Tlel, couches du complexe VI3. Les éclats triangulaires sont obtenus par un nombre
d'enlèvements supérieur à 6. L'extrémité distale de ces éclats est obtenue par des énlèvements de direction
opposée ou perpendiculaire, créant des pans réguliers. Tout en permettant un meilleur contrôle de l'extrémité
distale de l'éclat, cette procédure technique permet d'obtenir un tranchant régulier, fait d'un seul négatif
d'enlèvement.

Figure 87: Barbas I, couche C'3 base acheuléenne - Dordogne. Les surfaces sont convexe/plans. Les deux parties
des bords, adjacentes à la pointe, sont aménagées de façon à obtenir des U.T.F. tranchantes. Bord droit : B est
une partie de la surface globalement convexe. Mais en cet endroit - B - la surface est plane sur 3 cm de long et 1
cm de profondeur. A partir du bord de cette surface, des enlèvements concaves ont été effectués sur l'autre
surface, créant une surface - A - concave. La section A/B est plan concave, la conséquence est une diminution de
l'angle de coupe de départ ; on passe d'un angle de coupe de 50° à un angle de bec de 30°. Cette opération s'est
aussi effectuée sur le bord gauche de la pièce. Cette fois-ci l'aménagement par des enlèvements concaves se fait
aux dépens de la surface convexe - C - à partir de la surface plane - D - diminuant l'angle de coupe de 50° à 30°.
Cette pièce bifaciale présente donc deux U.T.F. tranchantes. La première A/B, associant certainement la pointe
au bord adjacent, à trois centimètres de long, la seconde C/D ayant une longueur double.

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