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Jack Kornfield - Après L'extase La Lessive
Jack Kornfield - Après L'extase La Lessive
'
APRES
L'EXTASE
LA
LESSIVE
Comment
la sagesse du cœur se développe
sur la voie spirituelle
LA TABLE RONDE
Collection « Les Chemins de la Sagesse »
dirigée par Veronique Loiseleur
v{près l'extase, la lessive
DU MÊME AUTEUR
TRADUIT DE L 'AMERICAIN
,
La Table Ronde
7, rue Corneille, Paris 6e
Titre original : After the Ecstasy, the Laundry.
ISBN: 2-7103-2404-0.
SOMMAIRE
Un hommage révélateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1. LA PRÉPARATION À L'EXTASE . . . . . . . . . . . . . . . . 27
r. Baba Yaga et notre aspiration sacrée . . . . . . . . . . . . 29
2. Les gardiens du cœur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
3· Les feux de l'initiation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
II. LES PORTES DE L EVEIL
,' 97
4· Le cœur, mère du monde . . . . . . . . . . . . . . . .. . . 101
5· Rien et tout . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . 113
6. Qyi es-tu réellement, vagabond? . . . . . . . . . . .. . . 128
7· La porte sans porte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . 138
III. L'ÉVEIL N'EST PAS UNE FIN . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
8. Au-delà du satori . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
9· L'éveil n'est pas une fin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
10. Le linge sale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
IV. NETTOYER POUR s'ÉVEILLER . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
11. Le mandala de l'éveil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
12. Notre corps actuel, le bouddha . . . . . . . . . . . . . . . 233
13. Émotions éveillées et perfection ordinaire . . . . . . . . 259
8 APRÈS L'EXTASE, LA LESSIVE
avant toi et qui sont moines depuis plus longtemps que toi sont
tes aînés. » Il me fallut juste un instant pour réaliser que cela
signifiait tout le monde.
Je commençai donc à m'incliner devant tous les moines. Parfois
c'était tout à fait normal- bon nombre d'aînés, sages et respecta-
bles, vivaient dans la communauté- mais à d'autres moments, cela
me semblait ridicule. Je croisais des moines d'une vingtaine d'années,
pleins de morgue, qui n'étaient là que pour plaire à leurs parents ou
avoir une nourriture meilleure que chez eux, et je devais m'incliner
devant eux simplement parce qu'ils avaient pris les vœux une
semaine avant moi. Ou bien encore, je devais me courber face à un
vieux paysan débraillé, venu au monastère quelques mois plus tôt
selon le plan de retraite des cultivateurs, qui mâchait constamment
des noix de bétel sans jamais avoir médité un seul jour de sa vie.
C'était dur de rendre hommage à ces rustres comme s'ils étaient de
grands maîtres.
Malgré tout, je m'inclinais et, comme cela me posait problème,
je cherchai un moyen pour sortir de ce dilemme. Finalement, alors
que je me préparais à une nouvelle journée de révérence envers « mes
aînés »,je me mis à chercher ce qu'il y avait de respectable en chacune
des personnes devant lesquelles je m'inclinais. Je rendis hommage
aux rides du vieux paysan pour toutes les difficultés qu'il avait vues,
endurées et surmontées. Je saluais la vitalité et la joyeuse insouciance
des jeunes moines et par là même les possibilités incroyables que leur
offrait la vie qu'ils avaient encore devant eux.
Je commençai à aimer rendre hommage. Je m'inclinais devant
mes aînés, je m'inclinais avant d'entrer dans le réfectoire et en sor-
tant. Je m'inclinais en pénétrant dans ma cahute au milieu des bois,
je m'inclinais devant le puits avant de me laver. Au bout d'un certain
temps, rendre hommage devint ma voie, je ne faisais que cela : si
quelque chose bougeait, je joignais les mains et m'inclinais.
UN HOMMAGE RÉVÉLATEUR I3
rent. je vis comment le flot de la vie se déroule en une trame que nous
modelons selon le courant de notre karma. je vis toute idée de renonce-
ment spirituel comme une sorte de jeu consistant à vouloir contraindre
notre être à abandonner la vie ordinaire et les plaisirs. En foit, le nir-
vana est ouvert, tellement ouvert, joyeux, tellement joyeux, tellement
au-delà de tous ces petits plaisirs auxquels nous nous accrochons. Vous ne
renoncez pas au monde, vous recevez le monde.
être une aide dans le monde moderne et pour évoquer aussi les
difficultés que nous rencontrions. La salle était pleine de maî-
tres zen, de lamas, de moines et de maîtres de méditation bien-
veillants et compassionnés dont la sagesse, le travail et les com-
munautés avaient apporté leur bienfait à des milliers de
personnes. Nous parlions des nombreux succès et de notre joie
d'y être pour quelque chose. Mais quand vint le moment de
parler honnêtement de nos problèmes, il devint manifeste que
la vie spirituelle n'était pas totalement harmonieuse: nos luttes
collectives et nos névroses personnelles s'y révélaient aussi.
Même au sein d'une si noble et si pieuse assemblée, des zones
importantes de préjugés et d'aveuglement perduraient.
Sylvia Wetzel, une enseignante bouddhiste allemande, expli-
qua combien il était difficile pour les femmes et la sagesse féminine
d'être totalement intégrées dans la communauté bouddhiste. Elle
montra les Bouddhas dorés et les splendides peintures tibétaines
qui entouraient la salle, faisant remarquer que tous étaient repré-
sentés sous une forme masculine. Puis elle demanda au Dalaï-
Lama et aux autres maîtres et lamas de fermer les yeux et de médi-
ter avec elle: d'imaginer qu'ils entraient dans cette salle et que
celle-ci avait été transformée, de sorte qu'ils se prosternaient main-
tenant devant la quatorzième réincarnation féminine du Dalaï-
Lama. Avec elle, se trouvaient bon nombre de conseillères qui tou-
jours avaient été des femmes et autour d'elles, il y avait des repré-
sentations de Bouddhas et de personnes saintes, toutes évidem-
ment sous une forme féminine. Il n'avait, bien entendu, jamais été
enseigné qu'il était moins bien d'être de sexe masculin, mais il fut
néanmoins demandé à ces hommes de s'asseoir derrière et de rester
silencieux puis après la réunion d'aller aider en cuisine. Au terme
de cette méditation, chaque homme rouvrit les yeux passablement
ébranlé.
INTRODUCTION 2I
Tous les grands maîtres que j'ai rencontrés en Inde et en Asie, si vous
les ameniez en Amérique et leur donniez une maison, deux voitures,
une femme, trois enfants, un travail, des polices d'assurances, des
impôts... ils auraient tous beaucoup de dijjicultés.
LA PRÉPARATION À L'EXTASE
I
voit la fumée et sait qu'il y a grand danger. Baba Yaga lui fait face :
«Viens-tu de ton propre choix ou es-tu envoyée par quelqu'un? >>
Et la jeune femme de répondre sincèrement : «Je viens en grande
partie de ma propre initiative, mais en grande partie aussi à cause
des autres. Je suis aussi venue en grande partie parce que vous étiez
ici, parce qu'il y a la forêt et pour une autre raison que j'ai oubliée.
Mais en grande partie je ne sais pas pourquoi je suis venue. » Baba
Yaga la regarde alors pendant un moment et dit : « Ça va» et elle
l'invite à entrer dans sa hutte.
Retour à l'innocence
Il ne faudrait pas penser que cette ouverture ne se fait qu'à travers
la douleur : un autre aspect de ces forces conduit lui aussi bon
nombre d'entre nous dans la forêt : c'est l'appel de la beauté, de la
plénitude dont nous connaissons l'existence. Les soufis parlent de
« la voix du Bien-Aimé » et nous sommes venus au monde avec ce
chant dans nos oreilles. Dans un premier temps pourtant, c'est par
son absence que nous commençons à le connaître.
Lorsque nous vivons sans aucun lien ni éclairage spirituel, nous
pouvons ressentir le désir profond de l'enfant perdu, l'aspiration
subtile de celui qui sait que quelque chose d'essentiel fait défaut:
quelque chose qui danse à la limite de notre vision, toujours pré-
sent comme l'air que nous respirons et que nous oublions jusqu'à
ce que le vent se mette à souiller. C'est pourtant cet esprit insaisis-
sable qui nous soutient, nourrit notre cœur et nous somme de
chercher en quoi consiste la vie. Nous sommes amenés à revenir à
notre vraie nature, à notre cœur sage et connaissant.
BABA YAGA ET NOTRE ASPIRATION SACRÉE 37
La vie d'un homme n'est rien d'autre qu'un long voyage à travers les
méandres de l'art pour se réapproprier les quelques instants où son
cœur pour la première fois s'est ouvert.
La question sacrée
La première vision des traces du bœuf est décrite par Joseph
Campbell comme un appel à l'éveil, une pulsion intérieure.
Arrive en même temps la question sacrée, différente pour
chacun de nous. Il y a ceux qui se débattent avec la douleur,
ceux qui veulent simplement savoir comment vivre mieux. Cer-
tains s'interrogent sur ce qui est important ou sur le sens de la
vie. D'autres se demandent comment aimer, qui ils sont ou
comment être libres. D'autres enfin, courant jour après jour, se
posent la question : « À quoi sert de tant courir? »
Certains des maîtres interrogés disent s'être tournés vers la
philosophie pour répondre à leurs questions, alors que pour
d'autres ce fut la voie de la poésie et des arts. Le questionne-
ment sacré est à la source de nombreux poèmes. Yeats écrivit :
40 LA PRÉPARATION A L'EXTASE
Appels de L'au-delà
L'ouverture de l'esprit et du cœur survient parfois comme s'il y
avait un appel des dieux, une impulsion étrangère à notre vie ordi-
naire. Comme si nous étions contraints par des forces qui dépas-
sent nos connaissances à pénétrer dans la forêt, à la recherche de
Baba Yaga. Le poème de Rumi cité précédemment en introduc-
tion conseille d'être reconnaissant envers quiconque se présente à
nous, car« chacun est envoyé comme un guide de l'au-delà».
Des milliers d'Américains trouvèrent dans le choc extrême-
ment puissant des expériences de mort imminente l'occasion
d'une ouverture spirituelle. Dans son livre Des erifants dans la
lumière de l'au-delà, le docteur Melvin Morse étudie les expé-
riences de mort imminente des enfants. Une petite fille se
réveilla d'un coma à la suite d'une noyade et parla à son méde-
cin stupéfait d'un personnage doré, un ange, qui l'avait tirée
hors de l'eau sombre et entraînée vers un tunnel où elle avait
rencontré son grand-père mort des années plus tôt puis le Père
Céleste. Les uns après les autres, les récits des enfants évoquent
la découverte «d'une lumière dont nous sommes tous consti-
tués, d'une lumière porteuse de tout ce qui est bon». Après
cela, « vous n'avez, disent-ils, plus peur de devoir vivre quoi que
ce soit».
Un maître soufi parle de l'accident de moto qu'il eut à dix-
neuf ans:
j'étais dans un état critique, avec des fractures et des lésions internes.
En revenant à moi, je me suis souvenu avoir regardé, pendant une
BABA YAGA ET NOTRE ASPIRATION SACRÉE 43
seconde après le choc, mon corps et la rue, d'en haut, à une courte dis-
tance. je pouvais voir mais mon être était totalement immatériel.
j'étais serein, tranquille, soulagé. je savais qu'ily avait deux options:
retourner dans mon corps ou me laisser glisser dans ces ténèbres mer-
veilleusement apaisantes. Mais en regardant la scène en dessous de
moi, j'éprouvai un sentiment intense d'amour pour ce corps et pour la
vie. L'amour et la joie m'ont retenu et l'on m'a racontépar la suite que
dans l'ambulance je pleurais et riais.]'expérimentais la réalité d'une
liberté qui n'avait rien de physique, unejoie intense et un bonheur qui
ont motivé ma vie spirituelle depuis maintenant plus de trente-cinq
ans. j'aime cette réalité;j'ai suivi son appel.
j'étais venu en Californie oùj e vivais de l'air du temps dans une com-
munauté. Unjour,je me retrouvai avec une hépatite que j'allai soi-
gner dans une cabane que l'on m'avait prêtée dans les montagnes de
Santa Cruz. je vomissais chaque nuit, ma peau était jaune :je me
sentais au bout du rouleau physiquement et psychiquement. j'avais
tout abandonné etje ne savais plus ce que je devais foire.
Une nuit, j'entendis chanter. fe me levai et regardai par lafenêtre
près du lit. À travers lesgouttes d'eau,je vis un homme assez gros assis
dehors, une main sur sa coijfe noire. Des gongs et des chants réson-
naientfortement dans ma tête. Il resta là pendant longtemps etfina-
lement je me rendormis. Quand au matin je me réveillai et allai me
regarder dans la glace, ma peau était claire et je me sentais mieux. fe
sortis dans les bois pour la premièrefois depuis des semaines.]e m'assis
près du ruisseau et pleurai.
Plus tard, j'entrai en contact avec une troupe de théâtre tibétaine
composée de hippies que je suivis jusqu'au Népal Le seizième Kar-
mapa, maître du bouddhisme tibétain, revint à Katmandou pour la
première fois depuis trente ans. j'allai le rencontrer avec deux autres
Occidentaux et il nous dit qu'il attendait notre visite. j 'étais stupéfait,
c'était l'homme derrière ma fenêtre à Santa Cruz! Il nous fut alors
expliqué qu'il pouvait se manifester dans nos rêves et que nous pou-
vions ainsi guérir de maladies.
Se réjouissant de notre visite, il nous dit, après de nombreuses
journées passées ensemble, que nous avions tous été Tibétains dans nos
vies précédentes, de vieux compagnons à lui. Un des lamas les plus
âgés me montra une photo de notre monastère. Que tout cecifût vrai
ou pas, toujours est-il que j'eus l'impression de retrouver erifin ma
maison. Aujourd'hui, trente-deux ans plus tard, nous sommes tous les
trois devenus nous-mêmes lamas.
ques, les traditions des cultures les plus anciennes incluent toutes
l'utilisation positive de substances psychotropes. »
Parmi ceux qui se sont engagés dans un chemin spirituel, bon
nombre virent leurs portes de perception s'ouvrir d'un seul coup
grâce à des expériences psychédéliques. En fait, la plupart des
enseignants spirituels occidentaux actuels suivirent cette voie, au
moins en partie. Un mauvais usage de ces substances comporte
de multiples dangers et nous connaissons tous les conséquences
tragiques de leur abus mais, qu'on le veuille ou non, elles font
partie de notre héritage. De la génération zen des années 50 aux
hippies des années 6o et 70 jusqu'aux adeptes du chamanisme
des années 8o, bon nombre des chefs spirituels que j'ai rencontrés
m'ont parlé des conséquences de leurs expériences d'altération de
la conscience.
Un maître de méditation français qui a passé plusieurs
années en Inde et au Tibet n'avait au départ aucune idée du
chemin spirituel.
j'avais toujours été intéressépar les lois de l'esprit. C'est ce qui m'avait
poussé vers les mathématiques. Un jour, mon compagnon de chambre
me donna une grande omelette aux champignons hallucinogènes.
Après l'avoir mangée, les sons et les couleurs s'intensifièrent à un point
jamais expérimenté jusqu'alors. D'une certaine manière, mon cœur
fondait, simplement ouvert;je connaissais le monde en le ressentant,
en fait en l'aimant. je réalisai comment l'amour unissait toutes les
choses.
je marchai jusqu'au Cloître, le vieux monastère du Parc de Fort
Tryon; les pierres se mirent à chanter pour moi. je rendis visite à
Merlon. Maintenant, je vis dans un monastère trappiste depuis
vingt et un ans, en foit depuis ce jour-là.
nir, à nous rappeler que nous sommes tous ici pour une mis-
sion de grande importance.
Chacun de nous, à son rythme, doit s'éveiller et ce qui va
nous y conduire peut rester caché dans notre grenier pendant
des années, attendant que nous finissions d'élever nos enfants
ou que nous menions à terme notre carrière professionnelle.
Mais un jour cela apparaît en enfonçant la porte et en nous
disant : « Qte tu sois prêt ou pas, me voici. >>
Être vivant est déjà en soi l'expression d'un mystère. Les
indices quant à notre vraie nature sont constamment autour de
nous: quand l'esprit s'ouvre, quand le corps change ou quand
le cœur est touché, tous les éléments de la vie spirituelle se révè-
lent. Les grands questionnements, les souffrances inattendues,
l'innocence originelle peuvent tous exiger que nous allions au-
delà de notre routine quotidienne, que nous « sortions du fonc-
tionnariat de notre ego » comme le recommandait le maître
tibétain Chôgyam Trungpa. Chaque jour apporte ses propres
appels au retour vers l'esprit; certains sont petits, d'autres plus
importants, les uns surprenants, les autres ordinaires.
Un pratiquant zen assez avancé en âge était en 1969 un
jeune avocat, père de famille, lorsqu'il rencontra les œuvres
d'Alan Watts sur le zen. Cela piqua sa curiosité et son esprit et
lui rappela qu'il y avait quelque chose de plus dans la vie. Il con-
sulta donc l'annuaire à la lettre Z et trouva un numéro. Après
quelques instants, il parla avec le roshi du centre zen de San
Francisco, obtint les horaires du centre et, avec l'encourage-
ment du maître, commença à pratiquer. Trente ans plus tard, il
pratique toujours avec ardeur : « Ma vie, dit-il, a été transfor-
mée par ce premier contact téléphonique. »
Plus banale encore est l'histoire racontée par un autre
maître de méditation qui fut un sportif forcené il y a trente ans.
BABA YAGA ET NOTRE ASPIRATION SACRÉE
Baba Yaga vit dans notre entourage aussi bien que dans la
forêt. Elle fait partie de l'histoire de notre famille. Nous pou-
vons nous rendre en Inde ou à Jérusalem- certains des récits
les plus magiques faits par ces maîtres peuvent nous donner à
penser que c'est ainsi qu'il faut commencer une vie spirituelle.
Mais cela peut aussi débuter en jardinant ou simplement en
rentrant chez soi après un voyage et en redécouvrant sa vie d'un
œil nouveau. Ou bien encore en percevant un morceau de
musique inspirée, le chant d'un poème, le vol d'un oiseau. Tous
les regards dans lesquels nous nous plongeons peuvent devenir
les yeux du Bien-Aimé.
Pour moi, grandir sur la côte Est fut associé au plaisir de
voir en été le vol des lucioles. Mais ma fille, née en Californie,
n'en avait jamais vu. Lors d'un voyage, nous avons découvert
qu'il y avait des lucioles dans les nuits tropicales de Bali. Une
nuit, après que ma fille fut allée se coucher, je la bordai dans sa
moustiquaire et sortis en capturer quelques-unes. Ses yeux
étaient fermés lorsque je les introduisis dans sa moustiquaire. Je
lui dis doucement de se réveiller : les lucioles volaient à l'inté-
rieur et, jusqu'à ce que nous les libérions, elle fut totalement
fascinée par leurs traces lumineuses dans la nuit. Combien
improbable et fantastique, combien inattendu est le fait de
trouver de jolis insectes avec de douces lumières clignotantes!
Et pourtant ce n'est pas plus improbable qu'un cœur plein
d'amour. Nos cœurs brillent comme les lucioles avec la même
lumière que le soleil et la lune.
Il y a en nous une secrète aspiration à nous souvenir de cette
lumière, à sortir du temps et à trouver notre place véritable dans
la danse du monde. C'est là où nous avons débuté, c'est là où
nous retournons.
Qye nous attendions jusqu'au dernier moment ou que nous
le voyions aujourd'hui même, l'appel au mystère se présente
BABA YAGA ET NOTRE ASPIRATION SACRÉE 53
Après mes premières longues années de flirt avec le zen, ilfut temps
pour moi de m'engager. je m'inscrivis à une session hivernale de pra-
tiques, trois mois d'entraînement intensifsans aucune pause. je gar-
dais fa posture, calme et à l'aise, et je m'attendais seulement à ce que
cette clarté zen se développe. Mais ce ne fot pas fe cas. je passai toute
cette période de retraite à pleurer etje pleurai encore pendant fa moitié
de fa session hivernale qui suivit. je pleurai tous les conflits, toutes les
frayeurs de mes premières années, les blessures des relations perdues, je
pleurai fa manière avec laquelle je m'étais mal servi de mon corps, je
pleurai mes peines, je pleurai fa mort de mon père. C'est seulement
deux années plus tard que ma pratique s'ouvrit à un silence immense
et profond.
<2!tand nous vivons dans ce corps de peur, notre vie est faite
uniquement d'habitudes et de réactions.
Une pratique valable révèle ces fictions et libère ces croyan-
ces restrictives, tout comme elle ouvre le corps et le cœur. Nous
commençons à reconnaître ces schémas de tensions, à appren-
dre qu'ils ne sont pas la réalité la plus fondamentale. Nous
apprenons à sortir de ces vieilles peaux, de cette petite idée de
nous-mêmes, et à entrer dans la réalité du présent. Nous trou-
vons les moyens de permettre à notre corps de se détendre, à
notre cœur de s'adoucir et aux vieilles histoires de notre esprit
de disparaître. C'est l'instant où les peaux du dragon sont
reconnues pour ce qu'elles sont: un sortilège karmique qui n'est
plus maintenant nécessaire. Le prince et la princesse se révèlent
tels qu'ils sont : tendres, vulnérables et neufs. Avec l'innocence
et l'ouverture, nous retournons à la simplicité de l'expérience
directe. Lorsque nous sortons du courant de pensées, lorsque
nous délaissons les « Comment était-ce? », « Comment cela
aurait-il dû être? », « Comment devrions-nous être? », nous
entrons dans l'éternel présent.
Mais ce dépouillement de peaux, cette ouverture du corps,
du cœur et de l'esprit n'est que la préparation à un voyage plus
profond. Le prince et la princesse se sont reconnus l'un l'autre,
maintenant ils doivent ensemble faire face à la vie et à la mort
qui sont devant eux.
3
Pardon et réconciliation
L'initiation de Nachiketa exigeait également la bénédiction de
la réconciliation et du pardon. Tant qu'il abordait son voyage
comme une lutte contre son père, il était intérieurement distrait
de son vrai but : rencontrer sa propre peur et éveiller son cœur.
LES FEUX DE L'INITIATION
pas le moindre chagrin. j'étais une grande fille et les grandes filles ne
pleurent pas.
Lorsque j'entrai à l'école d'infirmières, je me sentais encore cou-
pable. je travaillais la nuit dans un centre pour cancéreux, auprès de
malades sous respiration artificielle. Parfois ils me suppliaient de les
laisser mourir. L'extérieur était le reflet de ce qui était à l'intérieur de
moi. C'était terriblement dur. je partis ensuite pour ma première
retraite de méditation. Dans le silence, tout cela ressurgit. Tellement
de scènes :la mort de monfrère, les hôpitaux, les vagues de douleurs et
de chagrins du passé. je réalisai que pendant toutes ces années je
n'avais jamais pardonné ni à ma mère ni à moi-même. Des jours
entiers, en silence, je demeurai assise avec toute ma douleur, comme si
j'allais accoucher. je pleurai à chaudes larmes; puis le pardon que
j'avais recherché toute ma vie arriva.je ressentis une grâce. Mon cœur
s'ouvrit à l'amour de moi-même et au pardon de ma mère, libérant
tout ce qui en moi était vivant et aimait.
j'ai méditépendant maintenant presque vingt ans et d'une cer-
taine manière je suis capable d'aborder l'angoisse et la douleur sans
avoir à les contrôler ou à les transformer, à tel point que maintenant
les médecins et les infirmières font appel à moi. Parfois je m'assieds
avec les parents, nous nous tenons simplement les mains et pleurons
ensemble notre vulnérabilitéfoce à un fœtus malformé pour lequel ils
doivent prendre de terribles décisions. Seul le pardon peut rendre cette
vie supportable.
C'est lui qui m'a élevé depuis l'âge de deux ans et, pendant des années,
soitje me battais avec lui, soitj'essayais de gagner son estime. Un jour,
après un mois de retraite de yoga, tandis que je marchais dehors, dans
LES FEUX DE L'INITIATION ss
les champs derrière l'ashram, je sentis que mon beau-père n'avaitplus
longtemps à vivre. je réalisai que, pendant toutes ces années, il avait
essayé de m'aimer mais qu'à cause de la sévérité de son proprepère, trop
effrayé il n'avaitjamais pu montrer ses sentiments. Maladroitement,
il m'avait élevé à sa manière comme son fils. Alors, maladroitement,
à ma manière, je lui pardonnai. je rentrai leur rendre visite et par la
suite tant de choses s'allégèrent dans ma vie. Grâce à Dieu, le pardon
existe.
Le feu intérieur
La deuxième requête de Nachiketa fut celle du feu intérieur:
l'ardeur et le courage nécessaires pour persévérer dans ce
voyage, même au risque de sa vie. Cette passion et cette volonté
d'ouvrir, de découvrir, d'apprendre, sont l'une des qualités cen-
trales de tous ceux qui progressent dans la vie spirituelle.
La qualité du feu intérieur peut transformer tous les obsta-
cles et toutes les difficultés en processus d'éveil et d'illumina-
LES FEUX DE L'INITIATION
Puis celle qui avait été ma femme pendant quatorze ans me quitta,
condamnant tout ce que j'avais foit, se plaignant que je n'avais
jamais pris soin d'elle, qu'elle s'était sacrifiée dans ce mariage et avait
gâché sa vie. Elle se battit férocement pour la garde de nos trois
enfonts et pour obtenir la maison où nous avions vécu et la plus
grande partie de notre argent. Elle devint haineuse et destructrice,
LA PRÉPARATION A L'EXTASE
Bénédictions éternelles
La dernière requête de Nachiketa fut celle de la connaissance
de ce qui est immortel, éternel. Le seigneur Yama répondit :
« Pour trouver ce qui est éternel, tu dois regarder au cœur de la
vie elle-même.» Puis il tendit un miroir à Nachiketa.
Le mystère de l'identité, « Qyi suis-je? », est une des ques-
tions spirituelles centrales du genre humain. Sommes-nous ce
corps de chair et de sang? La conscience est-elle simplement le
produit de notre système nerveux, de nos pensées, de nos
sensations? Sommes-nous la résultante de notre héritage géné-
tique et de nos ancêtres ou notre nature essentielle est-elle plus
fondamentalement spirituelle? Sommes-nous une création de
la conscience elle-même, une étincelle du Divin, le reflet de
l'esprit universel? Telles sont les questions des mystiques et des
sages.
Dans les monastères où je pratiquais dans la forêt, tout
nouveau venu est introduit dans un bosquet sacré pour y rece-
voir l'ordination. Puis les Aînés enseignent au nouveau moine
sa première et plus importante pratique méditative : l'examen
du mystère de la naissance et de la mort. Vous êtes ainsi amené
à méditer la question « Qyi suis-je? », Au début vous devez
observer votre corps physique, voir qu'il est composé de terre,
d'air, de feu et d'eau, comprendre comment ces éléments se
combinent dans les différentes parties de la peau, des cheveux,
des ongles, des dents, des fluides, du sang, du cœur, du foie, des
poumons, des reins. Qyi êtes-vous à l'intérieur de ce sac de
92 LA PRÉPARATION À L'EXTASE
Dieu, réponds-nous, car nous sommes dans une grande détresse. S'il
te plaît, écoute nos pleurs et laisse ta bonté nous conforter. Avant que
nous ne t'appelions, réponds-nous, car même le prophète Isaïe l'a
annoncé : « Il en sera ainsi : avant qu'ils n'appellent je répondrai;
tandis qu'ils parleront j'écouterai.»
Tout brûle. L'œil brûle, les choses visibles brûlent. Les oreilles et les
sons qu'elles perçoivent brûlent; le nez, la langue, le corps et l'esprit
brûlent. Et de quels feux brûlent-ils? Des feux de l'avidité, de la haine
et de l'ignorance; ils brûlent d'anxiété, de jalousie, consumés par la
perte, le déclin et la douleur. Celui qui suit la voie considère cette
souffrance et se lasse de ces feux; il se lasse de l'avidité et de la haine
qui alimentent l'attachement à ce qui est vu, entendu, senti, goûté,
touché, pensé. Fatigué de cela, il se détourne de cette saisie et, par
absence de saisie, il devient libre.
RIEN ET TOUT
LA PORTE DE LA VACUITÉ
Suppose qu'une personne, qui n'est pas aveugle, aperçoive toutes les
bulles flottant à la surface du Gange et qu'après un examen attentif
elle voit comment chacune d'elles est vide, irréelle et sans substance.
Nous pouvons, exactement de la même manière, examiner avec atten-
tion nos perceptions sensorielles, nos sensations, nos pensées, tout ce
que nous expérimentons et découvrir tout cela vide, dénué de réalité
et dénué de soi.
Jefaisais zazen avec les autres, pratiquant l'assise avec le koan mu.
j'étais en fait assez détendue et mu se répétait tout seul Il avait sa
propre vie. Puis je disparus, tout simplement. Ily avait l'assise, la res-
piration, les sons et mu; tout était mu. Je n'étais rien et j'étais mu.
RIEN ET TOUT
Les gens abandonnent près du temple les chiens qu'ils ne désirent pas,
pour que l'on prenne soin d'eux et, durant cette retraite, il y eut une
nouvelle portée de chiots dont plusieurs étaient malades. je m'assis
pendant des jours, prenant l'un après l'autre ces chiots gémissants.
Cela me déchirait. Beaucoup de chiens apparaissaient et disparais-
saient mais ce jour-là pourtant, je vis que la vérité sous-jacente à la
vie était immuable, bien qu'elle se manifestât dans des corps chan-
geants. je continuai à méditer au milieu des chiots et de leurs excré-
ments puis je retournai dans la salle de méditation.
j e devins très calme. Pensées et intentions s'élevaient et s'éva-
nouissaient en un instant, et il n'y avait aucune impulsion à les sui-
vre. Un lâcher-prise plus profond vint ensuite, comme une énorme
explosion de toutes les perceptions, dans l'espace, dans la vacuité. Sou-
dain il n'y eutplus moi, plus rien àJaire ni à résoudre. Tout ceci n'était
que sottise. JeJus soulevé de mon coussin, j'avais un sourire de six
pieds de large et dans la vacuité s'éleva unejoie, une rivière sans rives,
une danse de vacuité, une confirmation de liberté dans laquelle la vie,
le « soi » et même les chiens malades ne sont pas un problème.
Le matin, bien avant le jour, il se leva, sortit et s'en alla dans un lieu
désert, et là il priait.
Pour moi, je ne suis qu'un enfant jouant sur la plage tandis que les
vastes océans de vérité s'étendent devant moi, inconnus.
RIEN ET TOUT 127
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132 LES PORTES DE L'ÉVEIL
satori; pour nous souvenir de notre vrai nom, nous devons sim-
plement apprendre à lâcher. Un maître zen européen eut à
trente-sept ans sa première expérience de satori. Etudiant, il
vint à la vie spirituelle en partie pour fuir la douleur et la con-
fusion qui régnaient dans sa famille et en partie pour accéder à
une réalité plus large qu'il savait possible. La discipline qu'il
suivit ne se limita pas aux pratiques traditionnelles zen; elle
inclut un travail sur le rêve, le traitement et la thérapie. Chaque
discipline l'aida à démêler et libérer ses peines et ses défenses
passées. Dans le même temps, il continua la pratique de zazen.
Pendant une seconde vous voyez et, voyant le secret, vous êtes le
secret. Les soufis appellent cela l'union avec le Bien-Aimé. Ce que
nous avons cherché à connaître illumine notre propre corps et notre
QUI ES-TU RÉELLEMENT, VAGABOND? 137
cœur comme ce fut le cas pour une nonne dominicaine qui demeura
quarante-deux ans dans cet ordre.
Dès mon enfonce, j'eus une relation très personnelle avec le Christ.
Une fois nonne, connaissant mieux la prière, je me posai cette
question: "Où est jésus maintenant?» Nous priions, officiions et
tentions de rendre notre cœur pur afin de l'accueillir. Mais je savais
qu'il y avait plus que cela. Le Christ vint à moi la nuit, comme un
espritfort et réconfortant. Il pénétra même mon corps. En de multi-
ples occasions, une extase spirituelle s'empara pendant des heures de
toutes les parties de mon corps, comme un amant. Durant des heures
j'étais au ciel. je ne pouvais pas vraimentparler de cela, même sije me
sentais rayonnante etprofondément comblée. Il inondait mon cœur de
tant d'amour. je commençai à voir le Christ partout- chez les êtres
en lutte, chez les pauvres, dans la dernière de Ses créatures, chez mes
sœurs et aussi chez les riches. je les servis tous avec amour comme étant
"le Christ dans son accoutrement de misère». Pour certains cela sem-
blera une hérésie, mais jésus est là parmi nous, en chaque être humain,
dans chaque caillou, dans nos actions, dans nos succès et nos erreurs.
Sa gloire se trouve dans l'abricotier du jardin, dans le cadeau queje
fois à mes nièces, dans mes propres mains et mes yeux. je Le sens
bouger dans ce corps qui m'a été donné. Quel magnifique royaume où
s'éveiller: la présence divine dans le monde.
C'est moi qui dois m'aimer. Personne d'autre ne peut me faire sentir
la plénitude. Moi seul peux procurer cet amour. Maintenant je sais
que tous les êtres et moi-même avons accès à cette plénitude, toujours
et partout. Savoir cela mepermet de vivre avec une sérénité nouvelle
et une bienveillance envers les autres et moi-même. De la manière la
plus simple, cela a complètement changé ma vie.
AU-DELÀ DU SATORI
LES CARTES DE L ' EVEIL
'
chute. C'est là, dans ma pire douleur, que j'ai appris qu'il n'y a pas
d'autre choix que de vivre dans la grâce de Dieu.
Dans le zen, une image différente nous est proposée, tout aussi
poétique dans sa manière d'induire l'interconnexion.
Chutes et brûlures
vons tomber bas et cela doit également être indiqué dans nos
cartes de vie spirituelle, et respecté comme faisant tout naturel-
lement partie de ce grand cycle.
Le koan zen cité en introduction du huitième chapitre
demandait aux disciples qui avaient expérimenté un premier
éveil:« Un être totalement éveillé tombe dans un puits. Com-
ment est-ce possible? » Un maître zen rappelle à ses étudiants :
«Après toute expérience spirituelle forte, on redescend inévita-
blement, on a du mal à intégrer ce que l'on a perçu. » Le puits
dans lequel nous tombons peut être créé par la saisie de notre
expérience et de nos idéaux spirituels ou parce que nous nous
accrochons à des idées excessives sur nos maîtres, notre chemin
ou nous-mêmes. Ce peut être dû au travail inachevé de notre vie
psychologique et émotionnelle, au refus de reconnaître nos zones
d'ombre, de tenir compte des nécessités humaines, de la douleur
et de l'obscurité dont nous sommes porteurs, de voir que nous
gardons toujours un pied dans l'obscurité. Si lumineux soit-il,
l'univers a aussi besoin que l'on s'ouvre à son autre aspect.
Une enseignante de l'ordre soufi avait vingt-trois ans
lorsqu'elle entra dans une tradition consacrée aux louanges de
Dieu et aux récitations de prières. Elle vendit ses biens et vécut
pendant plus de dix ans dans une communauté soufie contem-
plative, vouée à la prière. Ce fut une période radieuse de sa vie
durant laquelle elle ouvrit son cœur. Puis elle décida de se
marier et repartit vers le monde.
conjoint, souji lui aussi, était pire. Il ne pouvait supporter defoire foce
à la colère, lafrustration et les exigences d'une vie de couple autonome.
Alors il me quitta. je restai seule dans cettepetite maison. Quel quefût
le niveau que j'avais atteint, je retombai encore plus bas. Son départ
souleva en moi une vague de fond, chargée de désespoir, provenant de
la noyade de ma sœur et de l'abandon consécutifde mafamille par ma
mère- choses que je m'étais empressée d'aller soigner auprès des sou-
fis. Dieu que cefut dur! Il n'y avait aucune lumière au bout du tunnel
et au milieu de tout cela, ce n'était qu'obscurité. Peu importait que ce
fût le milieu de la nuit, l'été ou l'hiver. Cela dura une année et tout ce
que je pus foire fut de rechercher des gens capables de me soutenir, de
simplement écouter mes larmes et ma rage jusqu'à ce qu'enfin je puisse
demeurer avec moi-même. Ces annéesfurent certes douloureuses mais
elles m'apportèrent quantité de guérisons et d'assimilations. j'aurais
juste souhaité avoir à cette époque plus de recul ou un meilleur accom-
pagnement spirituel.
Si vousjouez avec la Mère Divine, elle vajouer avec vous car elle
est tout. . . Elle est tous les désirs, toutes les colères, toutes les
convoitises; elle est tout. Si vous voulez un nom, une réputation, vous
pouvez l'avoir- Mère va vous le donner. Mais ce quej'avais atteint
par la pratique provenait de la grâce de vivre auprès des saints. Vous
détenez cet espace grâce à la bénédiction des saints. En commençant à
être complaisant avec moi-même,}'interrompis ma véritable pratique
etje perdis tout.
La vie spirituelle ne se joue pas une bonne fois pour toutes; c'est
un processus constant. Après trois ans d'une« vie spirituelle» qui était
en fait des mondanités, j'en eus assez et décidai de rentrer chez moi
auprès de mes enfants. je retournai dans le monde ordinaire et vendis
des voitures d'occasion à Santa Cruz. je devins un homme d'affaires
et peu à peu perdis totalement conscience du divin.
Vingt ans plus tard, un ami m'amena voir un saint qui était de
passage. Pendant trois heures, je tombai dans une méditation profonde.
Puis la voix de mon gourou me parvint et je voulus chanter le nom de
Dieu. C'est donc ce que j'aifait, jusqu'à maintenant. Mais cettefois je
suis plus attentifetje regarde avec qui je passe mon temps. Vous devez
faire attention si vous pensez avoir réalisé quelque chose car vous
pouvez encore le perdre. Vous devez préserver vos engagements spiri-
tuels et continuer votrepratique. Maintenantj'essaie simplement d'être
un véritable être humain et si mon expérience peut servir à d'autres,
alors tout ceci ne sera pas arrivépour rien.
Honorer la chute
Une femme tant aimée qu'une seule lyre exprime plus de lamenta-
tions que toutes les pleureuses, tant aimée qu'un univers de lamen-
tations jaillit dans lequel toute la nature réapparaît : forêts et val-
lées ... champs et rivières, animaux, tous en deuil ... tant elle fut
aimée.
Notre cœur est ainsi fait : il est dans notre nature humaine
de nous retourner - et Orphée pour finir se retourne, bien
qu'en agissant ainsi il perde Eurydice à jamais. Nous ne pou-
vons vivre uniquement dans le monde de la lumière. Notre
cœur sait que pour s'ouvrir il doit toucher tous les aspects de la
vérité, tout ce que nous sommes, même au risque de perdre ce
que nous aimons. En définitive, pour chanter pleinement notre
plus profonde compréhension, la musique d'Orphée doit
inclure les tendances éternelles de perte et de douleur.
Il est dit traditionnellement que si nous n'honorons pas nos
devoirs inachevés, notre karma se charge de nous le rappeler et
nos conflits non résolus vont réapparaître. Nous serons alors
forcés de nous tourner vers ce que nous n'avons pas regardé en
nous-mêmes. En clair, les circonstances de la vie humaine vont
insister pour attirer notre attention. Notre chute doit être hono-
rée au même titre que notre ascension. Cette simple reconnais-
sance est parfois la seule chose nécessaire. Un maître zen en parle
ams1:
Après des mois de joie, due à une retraite durant laquelle mon maître
zen avait reconnu en moi un éveil authentique, je devins déprimé.
Par la suite, j eparticipai à une autre retraite, simplement pour avoir
L'ÉVEIL N'EST PAS UNE FIN r8s
une expérience avec Toni Packer. Un soir, lors d'un enseignement, elle
mentionna le fait que les gens, après avoir expérimenté de grands
états d'ouverture, étaient souvent assez déprimés. Au moment même
où j'entendis ces mots, ma déprime commença à s'alléger. C'était
comme si j'avais eu besoin d'une permission pour accepter ce qui était
et pour qu'ensuite le cycle puisse se poursuivre.
Lâcher prise
Parmi ces hauts et ces bas inévitables, ces phases d'expansion
et de contraction qui surviennent lorsque vous donnez naissance
à vous-même, il peut y avoir des moments où il convient d'insis-
ter et de faire des efforts en direction d'un but spirituel. Mais le
plus souvent, la tâche consiste à lâcher prise, à découvrir un cœur
empli de grâce, qui honore les changements de la vie.
Suzuki Roshi résuma une fois tous les enseignements boudd-
histes en ces trois simples mots : « Pas toujours pareil. » Les con-
ditions changent toujours. Nous descendons du sommet. Mara
revient. Honorer cette vérité de l'éphémère permet à notre expé-
rience de l'obscurité et de la chute de faire partie d'une plénitude
plus large.
Un lama occidental sortit d'une retraite silencieuse de sept
ans pour aller voyager et enseigner sept ans également.
La plus grande surprise fut pour moi de voir à quel point j'avais
encore besoin d'apprendre à être confiant. Pendant des années, je pen-
sais que la vie spirituelle consistait en des états spéciaux de perfection
ou d'éveil. Il s'agit en foit d'abandonner l'attachement. La vie ne
dépendpas seulement de ce que vousfoites. Les grandes illusions pour
lesquelles nousfoisons des efforts, que ce soit dans le monde ou dans la
vie spirituelle, se révèlent êtrefousses. Quand vous apprenez à lâcher,
vous trouvez unefoi immense vis-à-vis de tout et découvrez ce qui est
et demeure vrai avant et après tous vos projets. Tout apparaît et passe
-voilà la vraie perfection. j'ai réalisé queje pouvais avoir confiance
en cela.
L 1 ÉVEIL N 1 EST PAS UNE FIN
Pour les esprits obsédés par des pensées et des saisies puissantes, il
faut simplifier la pratique méditative à ces deux seuls mots -
« lâcher prise >>-plutôt que d'essayer de développer cette pratique-
ci et ensuite celle-là, parachever ceci, pénétrer cela. L'esprit qui saisit
veut lire les soutras, étudier l'Abhidharma, apprendre le pali et le
sanskrit, puis le Madhyamika et la Prajnaparamita, obtenir l'ordina-
tion dans la voie Hinayana, Mahayana, Vajrayana, écrire des livres
et devenir une autorité reconnue du bouddhisme.
Au lieu de devenir un expert mondial du bouddhisme et être
invité à de grandes conférences internationales, pourquoi ne pas sim-
plement « lâcher prise, lâcher prise, lâcher prise »? Pendant des
années, je n'ai fait que cela comme pratique. À chaque fois que
j'essayais de comprendre et d'examiner les choses, je me disais« lâche
prise, lâche prise, lâche prise» jusqu'à ce que le désir s'évanouisse.
Pour vous éviter d'être écrasés par une montagne de souffrances, je
vous dis les choses de la façon la plus simple possible. Il n'y a rien de
plus pénible que de devoir participer à des conférences internationales
bouddhistes. Certains d'entre vous ont peut-être le désir de devenir le
Bouddha de notre ère, Maitreya, irradiant l'amour à travers le monde.
Soyez au contraire un ver de terre qui connaît seulement deux mots :
« lâcher prise, lâcher prise, lâcher prise ».Vous savez, notre chemin est
appelé le petit véhicule, le Hinayana, nous n'avons donc que ces pra-
tiques qui portent la marque du dénuement.
188 L'ÉVEIL N'EST PAS UNE FIN
Vous, démons non humains rassemblés ici, vous êtes des obstacles.
Buvez ce nectar d'amitié et de compassion et partez.
L'étreinte secrète
Même si cela semble simple, le lâcher-prise est une pratique
avancée. Elle nous est demandée dans les plus grandes épreuves
de nos vies et à nos derniers instants. C'est là que le cœur
apprend le secret : lâcher prise, c'est aussi étreindre ce qui est
vra1.
Une enseignante bouddhiste, ayant pratiqué pendant des
années dans la voie monastique, vécut ensuite un divorce dou-
loureux puis la mort d'un de ses enfants. Cela la plongea dans
un chagrin profond qui l'amena à réexaminer toutes ses années
de pratique.
LE LINGE SALE
pèrent de l'île, les pêcheurs et les bergers qui levèrent les yeux
les prirent pour des dieux.
La Crète ayant disparu derrière eux, Icare se réjouit de la
puissante portée de ses battements d'ailes et il commença à
s'élever, s'abandonnant à l'ivresse du vol. S'élevant de plus en
plus, il approcha du soleil avec la sensation de pouvoir atteindre
les cieux. Mais bien vite la chaleur fit fondre la cire et les plumes
tombèrent de ses ailes. Hurlant au secours, Icare tomba comme
une feuille dans la mer et s'y noya, laissant juste quelques
plumes à la surface de l'eau. Le cœur empli de chagrin et de
désespoir, Dédale rentra dans son pays, accrocha ses ailes dans
un temple dédié à Apollon et ne tenta plus jamais de voler.
Nous pouvons, nous aussi, nous retrouver comme Dédale,
prisonnier du labyrinthe de la vie que nous avons créé nous-
mêmes. Grâce à une longue et patiente pratique, nous pouvons
développer les moyens qui nous permettent de nous en échapper.
Une partie de nous-mêmes connaît nos limites et peut naviguer
à travers les dangers d'un envol libérateur. Mais si nous oublions
que nous sommes des humains, si une partie de nous pense
qu'elle peut s'élever très haut sans prendre de précautions, alors
c'est le vol lui-même qui va nous laisser tomber et nous allons
inévitablement être précipités dans les eaux sombres.
Isolement et reniement
Lorsqu'une communauté s'établit à l'écart du monde ou a ten-
dance à s'enfermer dans un semblant de culte, il n'y a plus de
possibilités réelles pour un regard critique. De la même
manière, quand des enseignants sont portés aux nues et consi-
dérés comme des êtres parfaits, ils peuvent devenir isolés et
coupés de leurs semblables intègres, de leurs partenaires et de
leurs amis spirituels. Les membres de la communauté peuvent
dans cette situation perdre de vue ce qui se passe réellement.
Les enseignants entourés d'étudiants qui les idolâtrent plus que
des pairs peuvent être en proie à la solitude et au manque de
reconnaissance de leurs besoins de véritable intimité; pire
zoo L'ÉVEIL N'EST PAS UNE FIN
* Le Zen de la guerre.
**En présence de mes ennemis.
204 L'ÉVEIL N'EST PAS UNE FIN
Confusion interculturelle
Les traditions d'origine asiatique rencontrent une autre difficulté
en Occident : la confusion interculturelle. Venant d'un environne-
ment dans lequel l'habillement est sans prétention et les hommes
et les femmes strictement séparés, les enseignants peuvent perdre
208 L'ÉVEIL N'EST PAS UNE FIN
nions nos idéaux et nos fautes, que nous nous débattions dans
le pardon. Peu de tâches sont aussi riches d'enseignements.
Qyand la communauté Kripalu Yoga du yogi Amrit Desai
éclata en 1994, un immense sentiment de trahison balaya la com-
munauté. La révélation publique des affaires secrètes du maître
et des manipulations de pouvoir et d'argent durant vingt ans fit
perdre toute illusion à de nombreuses personnes. Mais comme
Amrit Desai était aussi un enseignant plein de créativité et de
sagesse, ses étudiants furent capables d'utiliser les pratiques qu'il
leur avait enseignées - d'analyse, d'équilibre et de compassion
-pour gérer ces désillusions. Après des mois de rencontres et de
réunions difficiles, il fut demandé au maître de partir et les étu-
diants durent par eux-mêmes faire un travail sur leurs confusions
et leur désespoir. Depuis lors, au fil des ans, la communauté s'est
reconstruite et se dédie aux principes de yoga et de saine spiritua-
lité que la crise due à la trahison leur a enseignés. Le maître a
déclaré que lui aussi avait beaucoup appris dans cette affaire.
Le maître zen Dogen affirme que la vie d'un maître zen est
une erreur permanente - c'est-à-dire une opportunité
d'apprendre, erreur après erreur. À travers la trahison et l'abus
de pouvoir nous rencontrons les échecs qui résultent du fait
d'être des humains. En conséquence, que nous quittions une
communauté en crise ou que nous restions, il nous faudra de
toute façon apprendre la vraie pratique de la sagesse et de la
compasswn.
En aérant ce linge sale, ne soyons pas trop empressés de
juger. Les forces impersonnelles d'idéalisme et d'exagération, la
profondeur des illusions et des peurs, les méandres subtils de
l'auto-illusion et de l'ambition font partie de notre nature
humaine. Les tragédies grecques, les vedas indiens, les mythes
des tribus africaines, les koans zen sont en prise avec ces forces
qui depuis des temps anciens ont façonné notre lot humain.
216 L'ÉVEIL N'EST PAS UNE FIN
LE MANDALA DE L'ÉVEIL
DE QUOI NE TIENS-TU PAS COMPTE?
Le Mandala d'Intégralité
Un mandala est une image souvent complexe. Il représente le
grand cercle de l'existence, la complétude sacrée, un univers
entier. Le but d'une vie spirituelle sensée consiste à découvrir et
incarner dans notre vie cette intégralité sacrée.
Il y a deux principes essentiels pour s'éveiller à cela. Tout
d'abord, pour que la liberté puisse s'épanouir totalement, tous
les domaines importants de notre expérience terrestre doivent
être inclus dans notre vie spirituelle. Aucun aspect significatif
ne peut être exclu de notre prise de conscience. Les Aînés
bouddhistes disent qu'il faut cultiver les quatre fondements de
l'attention sacrée: vis-à-vis du corps, des sensations, de l'esprit
et des principes qui régissent la vie. Leurs enseignements éten-
dent ensuite la même présence d'esprit sacré à la famille, à la
communauté, aux moyens d'existence et d'une façon plus large
aux relations avec le monde. C'est seulement à travers une
attention à l'égard de chacune de ces choses que nous accom-
plissons l'éveil. Ces aspects seront plus largement développés
dans les chapitres suivants.
Le second principe pour s'éveiller à la plénitude consiste à
tenir compte du fait que notre conscience dans un domaine ne
se retrouve pas forcément dans les autres aspects de notre vie.
Nous savons que les athlètes de niveau olympique sont très
entraînés et ont une grande conscience de leur forme physique,
ce qui n'empêche pas certains d'être émotionnellement imma-
tures ou mentalement limités. À l'inverse, certains intellectuels
brillants souffrent parfois d'ignorance et de manque d'intérêt
en ce qui concerne leur corps ou leurs émotions. D'autres, cons-
cients de leurs sensations et experts en relations humaines, peu-
vent être terriblement inconscients des systèmes de pensée et
des croyances qui les enferment.
222 NETTOYER POUR s'ÉVEILLER
La voie du milieu
Ce vocabulaire d'une compréhension plus large montre comment
le cœur s'assouplit et se sensibilise. Les tendances dogmatiques et
rigides de la ferveur religieuse laissent place à la voie du milieu, à
une présence sage qui n'est ni indulgente ni craintive.
Mon maître Ajahn Chah manifestait cette souplesse
lorsqu'il se montrait le plus incohérent, contredisant des choses
qu'il avait affirmées auparavant, rejetant des enseignements
qu'il avait préconisés la veille. Qiand un étudiant frustré (moi)
lui en fit la remarque, Ajahn Chah se mit à rire.« C'est comme
LE MANDALA DE L'ÉVEIL 229
* The Wisdom ofNo Escape, ouvrage paru en français sous le titre Entrer en
amitié avec soi-même, La Table Ronde.
234 NETTOYER POUR s'ÉVEILLER
Un manque de lien avec cette vie qui s'incarne n'est pas uni-
quement notre lot individuel; cette carence est liée à la disper-
sion rapide et générale de la société de consommation
moderne. La femme poète Adrienne Rich se fait l'écho du cha-
grin caché derrière nos vies affairées :
La vérité de notre enfance est conservée dans notre corps; bien que
nous puissions la réprimer, jamais nous ne pourrons l'altérer. Notre
intellect peut être trompé, nos sentiments manipulés, nos concep-
tions troublées et notre corps mystifié par des médicaments. Mais
un beau jour, notre corps va nous présenter l'addition car il est incor-
ruptible comme un enfant qui, l'esprit entier, n'accepte aucun com-
promis ni aucune excuse. Il ne cessera de nous tourmenter jusqu'à ce
que nous arrêtions de fuir la vérité.
Les femmes ont de telles craintes pour leur corps. Les hommes aussi
j'imagine. Dans ma vie spirituelle j'avais travaillé sur de profondes
blessures dans ce domaine. Les enseignements les plus sages du
judaïsme considèrent la sexualité et le corps comme sacrés et recon-
naissent qu'en abuser revient à abuser du divin. Je suis rabbin et je
me soigne depuis de nombreuses années, mais c'est seulement
maintenant que je commence à apprendre le yoga, le mouvement et
les danses juives. Je réalise que l'énergie du corps est l'énergie de
Dieu. Nous devons le tenir en estime. Tout arrive à travers lui.
Illumination incarnée
L'illumination doit être vécue ici et maintenant, dans ce corps
même, sinon elle n'est pas authentique. C'est dans ce corps et
cet esprit que nous trouvons la cause de la souffrance et la fin
de cette souffrance. Pour que l'éveil soit une ouverture à la
liberté dans cette vie même, le corps doit en être la base.
L'illumination incarnée n'est pas l'obtention d'accomplisse-
ments psycho/physiques spéciaux, ni la maîtrise des yogas du
feu intérieur, ni la réalisation des tantras sexuels, ni la manifes-
tation d'un corps d'arc-en-ciel. Bien sûr, certains lamas tibé-
tains sont capables de s'asseoir nus dans la neige à cinq mille
mètres d'altitude et de produire suffisamment de chaleur pour
faire fondre cette neige à vingt pieds autour d'eux. Des saints
NOTRE CORPS ACTUEL, LE BOUDDHA
Le bourgeon
existe pour toutes choses,
même pour celles qui nefleurissent pas,
car toutfleurit de l'intérieur, de par sa propre bénédiction;
cependant il est parfois nécessaire
de réapprendre à une chose sa beauté,
de poser une main sur le contour
d'unefleur
et de lui redire en paroles et en touchers
qu'elle est belle
jusqu'à ce qu'ellefleurisse à nouveau, de l'intérieur,
de par sa propre bénédiction;
comme saint François
qui posa sa main sur lefront plissé
de la truie en lui offrant par la parole et le toucher
les bénédictions de la terre pour les truies; alors la truie
commença à se souvenir de son corps volumineux,
NOTRE CORPS ACTUEL, LE BOUDDHA 243
Une grosse tumeur abdominale mefut enlevée et avec elle tout ce que
j'avais comme certitudes dans ma vie. je quittai mon travail et cessai
tout enseignement spirituel. De l'acupuncture aux thérapies profon-
des, je me tournai vers tout ce qui pourrait m'aider, pensai-je, à chan-
ger ce qui m'avait amenée au cancer. je devins humble face à mon
corps. C'était il y a quinze ans; maintenant je peux dire que cefut le
plus grand tournant et le plus grand éveil de ma vie. j'avais utilisé
mon corps pourpratiquer. Maintenant je devais l'habiter, le respecter,
244 NETTOYER POUR s'ÉVEILLER
Ne rien délaisser
Comme nous l'avons vu, vivre cette illumination incarnée com-
porte des défis dont l'un des plus importants est lié à la sexua-
lité. Les traditions religieuses nous mettent souvent en garde
contre les risques de nous perdre dans le monde sensoriel et il
est vrai que nous pouvons nous y attacher et trop nous identifier
au corps et à ses plaisirs. Notre culture a exploité cette tendance
jusqu'à l'extrême. Mais dans les cercles spirituels, le danger
opposé, celui de l'aversion, de la peur et de l'inconscience est
peut-être encore plus courant. Il existe, comme le suggère le
Bouddha, une voie médiane à trouver dans chacune de nos vies.
Lorsqu'elle enseignait une posture difficile, une femme, profes-
seur de yoga, s'arrêtait souvent un instant et recommandait à
ses élèves: «Vous, les acharnés, détendez-vous! Et vous, les
indolents, redressez-vous! »
Jung décrivit l'équilibre nécessaire entre notre corps animal
et son lien avec les plus hautes formes de spiritualité à travers
l'éros.
La sagesse de L'incarnation
En mai rgg8, dans notre Centre de Méditation de Spirit Rock,
nous avions organisé une grande collecte destinée aux soins médi-
caux de Ram Dass qui avait eu une grave attaque l'année précé-
dente. Après presque un an de convalescence, Ram Dass était
capable de parler, bien qu'hésitant et cherchant encore ses mots. À
la fin de la journée, on amena son fauteuil roulant sur l'estrade pour
qu'il puisse parler. Rappelant, parmi les rires, qu'on l'avait prévenu
qu'il était peu recommandable de venir juste pour son propre bien-
fait- et pourtant il était là pour ça - Ram Dass fit un discours
qui posa la question de l'identité.
C'est dans ce corps-là que je suis. Vous qui êtes ici maintenant, vous
avez eu droit à mon curriculum.
Le courage incarné
Incarnation et lessive
Hakuin Zenji écrivait dans son ancien Chant de Zazen: «Tous
les êtres sont par nature des bouddhas, comme la glace est par
nature de l'eau. Comme il est triste que les gens ignorent ce qui
est proche et cherchent au loin la vérité. Ils sont semblables à
celui qui, au milieu de l'eau, se lamente de la soif.. . Honnête-
ment, quelque chose nous manque-t-il maintenant? Le nir-
vana est juste ici, devant nos yeux; cet endroit même est la pure
terre du lotus; ce corps même est le Bouddha. »
Pour Hakuin, la porte pour demeurer dans le nirvana est
l'attention incarnée. La sainteté d'être vient en pénétrant com-
plètement l'instant, de toute notre attention. Toutes les formes
extérieures de religion -les temples, les enseignants, les pra-
tiques- nous convient simplement à l'éternel présent: elles
nous invitent à incliner notre cœur pour qu'il touche chaque
instant.
Une fable chinoise parle d'un jeune homme qui observe un
sage près du puits du village. Le vieil homme fait descendre un
seau en bois avec une corde puis remonte doucement l'eau à la
main. Le jeune s'éloigne et revient avec une poulie. Il s'appro-
che du vieil homme et lui montre comment utiliser cet outil.
« Regardez! Vous placez la corde dans la roue et faites remonter
l'eau en tournant la manivelle.» Le vieil homme refuse alors :
« Si j'utilise un outil comme celui-ci, moa esprit va se croire
intelligent. Avec un esprit malin, je ne vais plus mettre mon
NOTRE CORPS ACTUEL, LE BOUDDHA zss
cœur dans ce que je fais et bientôt seuls mes poignets travaille-
ront. Si mon cœur et tout mon corps ne participent pas à ce tra-
vail, celui-ci deviendra sans joie. Si mon travail est sans joie,
quel goût aura l'eau selon toi? »
Il est dit dans le zen que l'ensemble du ciel et de la lune se
reflète dans une goutte de rosée sur un brin d'herbe. Chaque
petite chose, chaque instant contribue à l'ensemble et le reflète.
Border un enfant dans son lit, payer ses factures, écouter un
associé, payer le pompiste à la station d'essence, écrire une
lettre ou taper un mémoire, se réunir autour d'un repas, plani-
fier un travail, arroser le jardin- chaque chose devient l'incar-
nation du cœur éveillé. Il est incroyable que nous puissions
oublier cette vérité.
Une petite fille de six ans demanda à sa mère ce qu'elle fai-
sait à l'université où elle allait chaque jour. «Je suis dans le
département des beaux-arts. J'apprends aux gens à dessiner et
à peindre », répondit la mère. Stupéfaite, la petite fille
demanda : « Tu veux dire qu'ils oublient? »
Qyand nous oublions, l'éveil nous rappelle à la bénédiction
de l'activité simple de chaque instant. Un lama occidental se sou-
vient d'avoir recouru à un travail physique, associé à la prière,
pour rester conscient et posé après être sorti d'une retraite tibé-
taine de trois ans :
Les hindous et les soufis enseignent que tout acte doit être
accompli pour le Bien-Aimé. En incarnant la présence d'esprit,
nous plions le linge comme si c'était les robes de Jésus ou du
Bouddha, nous ne servons pas un repas à notre famille ou à
nous-mêmes mais à l'Être Saint. Qyand le corps est inclus dans
le mandala de la pratique, la moindre action devient celle du
cœur autant que des mains. Une sœur dominicaine appelle cela
« la théologie incarnée ».
À soixante ans,je suis revenue aux choses simples que j'avais apprises
quandj'étais jeune. Si je corrige des copies, en les lisant, je prie pour
chaque étudiant. Si je m'inquiète pour un patient, je récite un rosaire.
Adoration, action de grâce, imploration. j'essaye de tout apprécier,
même les choses difficiles, même de venir en aide face à l'injustice.
Voilà ce qui est donné maintenant, voilà la vérité. Ma vie est devenue
une vie d'interdépendances,foite des petites épiphanies de chaque ins-
tant bien vécu. je ne fois pas confiance aux grandes dans lesquelles
mon ego devient tout bouffi. C'est ici et maintenant ou alors nous
l'avons raté.
chaque porte, une pensée avant de manger, une pause pour res-
pirer consciemment avant de répondre au téléphone. Une
prière ou un vers peuvent même être composés pour la télévi-
sion, dit le maître zen Thich Nhat Hanh : « En regardant le
journal du soir, je sais qu'il s'agit de mon histoire. Inspirant avec
calme, je nous maintiens tous dans la compassion. » En nous
souvenant du souffle, nous rétablissons toutes les choses à leur
place dans le corps.
Lorsqu'un étudiant zen affirma à son maître:« Tout ce qui
est laissé de côté, ce ne sont que des détails »,le maître s'exclama :
«Des détails, oui! Mais il n'y a rien d'autre.» Incarner la pré-
sence, c'est ne pas oublier d'être avec chaque chose qui se pré-
sente. Gandhi appelait cela « la monotonie bénie » et comparait
ce rythme quotidien au soleil et à la lune sur leurs orbites régu-
lières et aux cycles silencieux des étoiles et des saisons. Le zen
rapproche cela de la cuisson du pain dans un four : vous enfour-
nez chaque jour et vous dégustez la saveur particulière de chaque
miche de pain. Claude Monet, qui vécut à Giverny pendant
trente-cinq ans, a peint les mêmes nénuphars, année après année,
dans la lumière nouvelle de chaque journée. Voir avec la fraîcheur
des yeux qui perçoivent la lumière particulière de l'instant-c'est
l'esprit du débutant.
Cette intimité simple d'aide réelle et physique était égale-
ment au centre de l'activité de Mère Teresa.
chose pour votrefamille, la même chose dans votre église et votre com-
munauté. Simplement démarrer- un, puis un, puis un.
ÉMOTIONS ÉVEILLÉES
ET PERFECTION ORDINAIRE
!:esprit et le cœur
« Le Joyau dans le Lotus »est la traduction du mantra universel
de compassion« Om Mani Padme Houng >>.Il a de nombreu-
ses significations mais une des explications de son symbolisme
est que la compassion s'élève lorsque le joyau de l'esprit
demeure dans le lotus du cœur. L'esprit éveillé a la clarté d'un
diamant. Qyand cette vision claire demeure dans la tendre
compassion du cœur, les deux dimensions de la libération sont
réunies.
ÉMOTIONS ÉVEILLÉES ET PERFECTION ORDINAIRE 265
Sentiments et tempérament
S'éveiller aux émotions signifie les ressentir- ni plus, ni moins. Il
n'est donc pas nécessaire de modifier nos sentiments- ils chan-
gent tout le temps d'eux-mêmes. Cela ne veut pas dire non plus
changer de tempérament. <2!Ie nous soyons nerveux, bilieux, san-
guins ou lymphatiques, cela va rester pratiquement tel quel.
L'éventail sera plus large mais notre tempérament et notre person-
ÉMOTIONS ÉVEILLÉES ET PERFECTION ORDINAIRE 267
Ton nom est sur le mur noir à D.C. Beaucoup de monde passe
devant chaque jour. Tu peux reconnaître les vétérans ... Nous
sommes là, simplement à regarder et à sangloter, sans prêter garde à
ceux qui nous voient pleurer. .. J'étais tellement en colère de te trou-
ver là, même si je savais que tu y serais. J'ai si longtemps espéré pou-
voir te sauver. J'aurais donné ma vie si j'avais su que cela pouvait te
ramener d'une manière ou d'une autre ... J'ai porté l'angoisse de ta
mort pendant si longtemps! Mais maintenant, je peux cesser de
t'attendre. Je pense que je peux commencer à vivre (à nouveau) ...
272 NETTOYER POUR s'ÉVEILLER
Qiand cet étudiant lui fit savoir qu'il était toujours affligé
par cette perte, le maître zen fouilla dans son sac et en sortit un
rosaire de perles magnifiquement sculptées qu'il lui donna. TI le
posa délicatement dans les mains de son étudiant ravi, l'y main-
tenant de sa propre main. Puis d'un seul coup, le maître leva
l'autre main et gifla violemment la joue du disciple en lui
criant : « Laisse-la tomber. »
Le maître s'inclina ensuite et sortit. Tous ceux qui avaient
assisté à la scène étaient stupéfaits. Mais nous remarquâmes
bien vite que l'étudiant avait été radicalement transformé par ce
soufflet. Il lâcha prise et continua sa vie.
Avec la force du cœur, nous pouvons faire face à l'ensemble
des émotions humaines, sans avoir peur de ce que nous ressen-
tons, sans identification ni lutte. Qiand nous acceptons les
émotions comme des forces impermanentes et impersonnelles,
nous sommes libres de les honorer sans être mis à bas, effrayés
ou encore emportés par elles. Wilhelm Reich fit un jour remar-
quer à une de ses patientes qui s'efforçait de ne rien ressentir:
« Vous avez un masque. » La femme rétorqua : « Mais docteur,
vous aussi, vous avez un masque! » Il répliqua : « Oui, c'est vrai.
Mais le masque, lui, ne m'a pas! »
Morrie Schwartz enseigna la psychologie sociale à Bran-
deis. Le best-seller Tuesdays with Morrie* a pour thème les der-
niers enseignements qu'il donna à son ami Mitch Albom avant
sa mort. Au milieu de l'angoisse de la maladie de Lou Gehrig,
il dit à son dernier étudiant :
Perfection ordinaire
Dans la maturité spirituelle, nous devons trouver la perfection
dans ce qui est imparfait. Seng-Tsang, fondateur du zen, ensei-
gne que l'illumination ne commence à poindre que lorsque
ÉMOTIONS ÉVEILLÉES ET PERFECTION ORDINAIRE 275
Ma vie est compliquée etje souffre encore beaucoup, mais cela ne veut
rien dire. C'est éphémère, juste une partie de la vie. je ressens aussi très
profondément la souffrance du monde etjefois ce queje peux. Mais en
même temps, il m'apparaît évident que les choses sont ce qu'elles sont
et que, pour que mes actions aient le moindre impact bénéfique, elles
doivent provenir d'un cœur serein. Tel est mon but: manifester la
paix au milieu de tout cela.
ÉMOTIONS ÉVEILLÉES ET PERFECTION ORDINAIRE 279
Messieurs,
J'ai discuté avec mes voisins pour déterminer ce qu'ils en pense-
raient. Tous disent que ce serait un sale tour fait par une société mina-
ble avec laquelle ils ne voudraient plus jamais traiter.
Sincèrement vôtre,
M. Jones.
Devenir excentrique
Lorsque les émotions sont libres, lorsque le cœur peut s'expri-
mer sans se préoccuper de l'opinion des autres, cette liberté
s'étend à tous les aspects de notre caractère. Si vous deviez ren-
contrer Ruth Denison, vous la verriez comme une vieille
femme excentrique. Si nous regardons honnêtement la com-
munauté des enseignants spirituels, nous trouvons bon nombre
ÉMOTIONS ÉVEILLÉES ET PERFECTION ORDINAIRE 283
Dans le zen, d'un côté nous nous centrons pour ne pas nous perdre
dans l'avidité, la haine et l'ignorance. Nous devons suivre ce proces-
sus purificateur de lâcher-prise jusqu'à ce que nous lâchions totale-
ment prise. Mais ensuite nous devons revenir et être authentiques,
totalement sincères avec notre propre vie.
Bonheur d'être
avec les enfants. Son bonheur réside dans le fait d'être en paix avec
lui-même.
assis près de lui comme cela un bon nombre de nuits. Il n'y avait
pas grand-chose à dire. Je lui tenais la main, il avait peur. Il ne
voulait rien savoir de la méditation, il ne voulait même pas en
parler. L'important était que je sois assis, ici, sans peur, sans reje-
ter sa peur ni sa douleur, à simplement lui tenir la main. Il
mourut quelques jours plus tard. J'étais heureux d'avoir pu
m'asseoir ainsi à ses côtés pendant ces moments extraordinaires.
Peut-être est-ce ce que nous pouvons faire de mieux : aider
quand nous le pouvons; témoigner à l'autre de la bonté; offrir
notre présence; montrer la confiance que nous avons dans la
vie. La vie spirituelle ne consiste pas à beaucoup savoir mais à
beaucoup aimer.
La plupart d'entre nous doivent dans leur vie spirituelle
effectuer un grand travail de guérison au niveau familial. Arri-
ver à être capable de m'asseoir près de mon père en toute tran-
quillité fut le résultat de nombreuses années de travail intérieur.
Ma douleur familiale avait été recouverte par mes premières
méditations monastiques, durant lesquelles je m'étais focalisé
sur le fait d'être vide, serein et sage. Mais elle était toujours là,
sous-jacente, à attendre, influençant inconsciemment tout mon
mode d'être et, quand je me retrouvai avec une famille et des
relations intimes, tous les conflits ressortirent. Sans doute
auraient-ils fini par ressurgir également si j'étais resté dans une
voie ascétique.
Devoir me débattre à nouveau avec mes émotions fut diffi-
cile.J'avais besoin de l'aide de la méditation et en même temps
d'une thérapie pour être enfin capable de reconnaître les
niveaux les plus profonds de peur, de colère, de jugement et de
peine dont j'étais porteur. Le thérapeute était essentiel en tant
que témoin compatissant, un être différent de moi qui puisse
m'aider à faire face aux images et aux peurs inscrites dans mon
corps et à tout ce que je n'avais pas été capable d'affronter seul.
294 NETTOYER POUR s'ÉVEILLER
tu devrais être. Tu n'utilises pas tes dons; tu n'en fois pas assez.»
jamais assez! j'avais tellement l'habitude d'être critiquée et je me
sentais si mal Mais avec une bonne thérapie et beaucoup de travail
intérieur, j'ai commencé à comprendre : maintenant je vois tout cela
comme des cyclesfamiliaux, des phases de honte qui simplement s'élè-
vent. je les reconnais pour ce qu'elles sont. «Oh! Une autre phase de
honte. »Aujourd'huije peux même en rire. Cette vision aplus contri-
bué à la guérison de mon cœur que mes années de lutte pour être une
sainte.
• Déesses en chaquefemme.
HONORER LE KARMA FAMILIAL 299
j'en étais arrivée à une chose essentielle: la volonté d'avoir une rela-
tion continue avec le bien et le mal, de m'autoriser à soujfrir consciem-
ment, d'être le champ de tolérance où se déversent les larmes du
monde, proches comme lointaines. Ma spiritualité ne s'oppose désor-
mais plus à la colère, à la passion ni au conflit. Cela ne vaut rien. Ces
enseignements ontfait plus de tort que de bien. À lafin, on réalise qu'il
n'y a rien à condamner. jefois vœu de non-violence vis-à-vis de tout.
Ne te tourmente pas, n'accrois pas la douleur en toi-même ni autour
de toi, voilà maintenant l'une de mes plus grandes prières.
Être avec safamille et ses amis intimes diffère de toutes les autres rela-
tions. C'est très dijférent du rôle d'enseignant. Avec ma famille, je
dois juste être et laisser l'amour et l'ouverture opérer. j e ne suis ni mis
en avant ni responsable. j'essaye de les accepter, d'être ce que j e suis et
tolérant avec ce qu'ils sont. Il y a également dans tout cela une indé-
niable passion, un éros, un rôle à jouer entre parents, erifànts etpetits-
enfants. Ce peut être en positif comme en négatif M ême les conflits
deviennent plus importants à cause de la profondeur de nos liens. Ce
quej'essaye de faire, c'est d'établir une brèche pour accéder à la con-
nexion des cœurs, à l'essence sous-jacente à notre histoire.
jeune catholique, j'étais inspirée par les saints. j'avais toujours voulu
foire des choses comme travailler avec Mère Teresa en Inde mais la plus
grande partie de ma vie nefut pas aussi glorieuse. Après mes études, je
suis devenue institutrice dans une écoleprimaire. Puis ma mère a eu une
attaque etj'ai dû arrêter l'enseignementpour lui venir en aidependant
deux ans :la laver, prendre soin de ses escarres, cuisiner, régler lesfactu-
res, entretenir la maison. Parfoisje voulais enfinir avec ces responsabi-
lités et retourner à ma vie spirituelle. Puis un matin, la lumière sefit
dans mon esprit-j'étais en train defoire le travail de Mère Teresa, et
je lefaisais dans ma propre maison.
Amba Shankar ajouta : << Dis un seul mot et je pars mourir pour que
tu te portes mieux. >>Je restai sans parole. Je ne comprends pas ce
genre de choses. Je parvins enfin à dire:« Amba,je ne pense pas être
si malade. Ne fais rien d'irréfléchi maintenant, s'il te plaît. Je pense
que nous allons nous en sortir tous les deux.» Et c'est ce qui arriva.
Mais cet homme m'avait offert un présent inestimable- sa vie.
je t'ai trouvé un travail et que je t'ai laissé vivre ici dans ma mai-
son. C'est comme cela que j'ai commencé à te changer. Ce
garçon a maintenant disparu. Aujourd'hui, puisque mon fils est
parti, puisque son assassin est parti aussi, je veux te proposer de
rester ici. Tu as une chambre et je souhaiterais t'adopter si tu le
veux bien. >> Elle devint ainsi la mère du meurtrier de son fils,
la mère qu'il n'avait jamais eue.
De L'isolement à La communauté
Pour la retraite de trois ans, nous avons étéjetés tous ensemble dans
un minuscule centre de retraite. Quinze personnes, comme si nous
avions été mariés et largués dans une zone de conflits. Cela avait la
même intensité. Vivre très proches les uns des autres arrondit vos
angles saillants : vous ne pouvez vous tromper vous-même car les
autres vous perçoivent plus clairement que vous-même n'osez vous
regarder. Ce fot une période très constructive. Sur un certain plan, la
vie en collectivité avait autant de valeur que toutes les autres médi-
tations. Cela rendit vivants à chaque instant les enseignements de
compassion.
Maintenant ma pratique principale est devenue la communion :
reconnaître l'esprit de vie qui est en chacun, en chaque chose et pas
320 NETTOYER POUR s'ÉVEILLER
Après des années en Inde, je rentrai et devins connue pour les retraites
de yoga que je dirigeais. je courais d'une ville à l'autre. Les gens
n'arrêtaient pas de me dire: «Établissons une communauté perma-
nente de yoga. »Je préférais éviter cela et, même lorsque mes amis dis-
posèrent d'un grand ashram, je continuai à partir voyager et ensei-
gner. Finalement, il m'apparut queje ne voulais tout simplement pas
de communauté et en particulier si je devais y tenir le rôle d'ensei-
gnante. C'était trop de responsabilité, trop difficile d'être proche de
tous ces gens. je suppose que cela réveillait mes drames familiaux. je
ne pouvais imaginer une vie de groupe qui ne soit ni étouffante ni
douloureuse. je n'étais pas prête, tout simplement.
que toutes les colères et les peurs présentes dans la salle. Nous res-
tâmes silencieux pendant un moment.
En écoutant avec le cœur, en donnant voix à la vérité de la
compassion, un être peut orienter vers la paix une énergie de con-
flit. Dans toute relation et communauté, il y aura de la frustration,
du blâme, de la saisie, de la colère et de la trahison. Peu importe qui
nous sommes ou à quel point nous sommes éveillés, tout cela arri-
vera. Et c'est là que notre connexion avec la communauté va nous
aider. En désignant la sangha comme étant le Bouddha, Thich
Nhat Hanh nous rappelle que la sagesse est un bien collectif. Lors-
que nous-mêmes ou notre communauté sommes dans l'impasse et
que nous ne pouvons trouver les bénédictions de la compassion, en
nous apportant une véritable amitié spirituelle un autre peut ouvrir
les portes du ciel.
La table du rabbin, la réunion des Alcooliques Anonymes,
l'Assemblée de vérité des soufis, le Concile bouddhiste ont ce
pouvoir. Dans notre propre communauté, nous suivons la tradi-
tion ancienne des Aînés bouddhistes et recherchons le consensus
en nous réunissant régulièrement en conseil. À cette assemblée
d'écoute, nous avons ajouté le bâton à palabres des Amérindiens
et encouragé la simplicité et la vérité spontanée. Qyand des pro-
blèmes difficiles apparaissent, comme la résolution de conflits
entre des enseignants, le choix d'une équipe ou l'établissement de
nouvelles perspectives pour notre centre, nous tenons une assem-
blée. Qyiconque tient le bâton à palabres est écouté sans inter-
ruption. Ce bâton est ensuite passé à d'autres et ainsi, chacun
peut dire ce qu'il a sur le cœur. Grâce à cette écoute respectueuse,
nous trouvons les solutions, le consensus et de nouvelles direc-
tions. Au fil des ans, ces assemblées ont par leur sincérité révélé
la sagesse de notre expérience collective, une sagesse plus vaste
que celle que chacun d'entre nous peut avoir individuellement.
332 NETTOYER POUR s'ÉVEILLER
!:intention du cœur
Devenir conscient d'une intention est une clé pour s'éveiller à
la pratique de l'instant. Dans chaque situation qui requiert
notre engagement, une intention intérieure va précéder notre
réponse. La psychologie bouddhiste enseigne que cette inten-
tion est ce qui fait la trame de notre karma. Le karma, la loi de
la cause et du résultat de toute action, provient des intentions
du cœur qui précèdent chaque action. Qyand elles sont bonnes,
le résultat karmique est très différent de celui qui résulte de
celles basées sur l'avidité ou l'agression. Si nous ne sommes pas
attentifs, nous allons inconsciemment agir par habitude et par
peur. Mais si nous veillons à nos intentions, nous allons déter-
miner si elles proviennent de notre corps de peur ou d'une
réflexion délibérée et de notre attention.
Chaque tradition propose des prières et des méditations pour
établir la meilleure des intentions du cœur. Celles-ci sont parfois
générales. « Puissent les paroles prononcées par ma bouche et les
dédicaces de mon cœur vous servir, oh seigneur!»~ Puisse chaque
activité être une prière. » « Puisse mon cœur offiir librement la bien-
veillance et le pardon.» «Je fais vœu d'apporter l'éveil à chaque être
que je rencontre en pensée, en parole ou en action. » La tradition
334 NETTOYER POUR s'ÉVEILLER
Les organes de notre corps, nos bras, nos mains, nos poumons, nos
reins fonctionnent comme une coopérative afin de survivre. Les
humains, les animaux, les arbres et la terre sont entremêlés, associés
en coopérative. Le soleil, la lune, les planètes et les étoiles sont aussi
une coopérative gigantesque. En nous éveillant à ce qui est au-delà
de notre intérêt individuel, nous découvrons une écologie naturelle
de l'esprit et de la nature, fraîche, ouverte, joyeuse, dans laquelle
nous sommes organiquement reliés à toute chose.
tian à la terre s'est peu à peu glissée dans nos actions et nos prières.
Nous apprenons cela à ceux qui nous rendent visite. Certaines de nos
sœurs sont devenues militantes en Amérique latine. Cela ne veut pas
dire que tout ceci était exclu de nos prières vers Dieu, mais mainte-
nant les espèces en voie de disparition, laforêt tropicale et les cultiva-
teurs pauvres sont intégrés à notre activité sacrée; ils sont une partie
de nous-mêmes.
Quand je vivais en Inde dans les années 70, l'un de mes gourous
enseignait le yoga dans une ville bruyante, sale et polluée. Nous
apprenions tout ce qui concernait la pureté intérieure mais jamais il
ne mentionna la misère autour de nous. Mon deuxième gourou avait
un ashram à la campagne et, là aussi, nous étudiions le yoga, la médi-
tation et de puissantes pratiques de respiration pour transcender le
monde. Là encore, l'environnement était laissé à lui-même. C'était
choquant de voir comment la conscience écologique et la pratique du
yoga étaient deux mondes tellement séparés. Nous pensions qu'être
végétariens suffisait. Maintenant, je dirige des retraites de yoga dans
des endroits sauvages etj'essaye d'enseigner comment l'esprit pur et la
pureté de nos rivières et de notre air sont interconnectés. Il est devenu
nécessaire de vivre avecplus d'attention et d'avoir un yoga du monde,
pour relier consciemment nos corps avec le corps du monde.
C'est comme si ma vie spirituelle avait été un cheval lent. j'ai com-
mencé avec beaucoup d'ambition. j'ai essayé de galoper au début, de
foire des longues pratiques ici et en Asie :j'étais en route pour l'illu-
s'ÉVEILLER AVEC TOUS LES ÊTRES 359
eut un silence.
Puis une femme se leva en colère et voulut savoir pourquoi
Joanna et son équipe mettaient leur nez dans cette histoire.
Joanna demeura calmement assise. Un vieil homme prit enfin
la parole: «Nous pouvons au moins expliquer à nos enfants
NETTOYER POUR s'ÉVEILLER
pour tous les êtres, quelles qu'aient pu être les choses qui lui
étaient arrivées. Au milieu de ses tortures, elle priait pour ses
bourreaux. Ceux-ci, lorsqu'ils virent ses lèvres bouger, la bâillon-
nèrent avec un ruban adhésif. Voyant le ruban bouger, ils en
rajoutèrent plusieurs épaisseurs mais cela ne put arrêter ses priè-
res. Et lorsqu'elle fut libérée, ses prières continuèrent. Peu
importe ce qui arrivait, cette nonne priait pour le bien-être de
tous. C'était sa vraie libération, son être véritable, que rien ne
pouvait empêcher de rayonner.
l'éveil, nous voyons que toutes nos actions ont des conséquen-
ces pour cet ensemble.
Voir ainsi les choses rend nos vies différentes. Elles devien-
nent l'histoire d'un enseignement perpétuel. Un homme, qui
visitait en Europe un gigantesque chantier couvert de pierres
avec lesquelles les ouvriers continuaient à élever les tours d'un
édifice attenant comme ils l'avaient fait pendant des siècles,
demanda à l'un d'eux ce qu'il faisait. Celui-ci répondit d'un ton
las : « Mon travail consiste à tailler des pierres et à les déplacer. »
À la même question, un deuxième ouvrier expliqua: «Je suis
tailleur de pierres et je travaille pour subvenir aux besoins de ma
femme et de mes enfants et pour nourrir ma famille. » Un troi-
sième homme accomplissant la même tâche le regarda joyeuse-
ment et dit : «Je construis une grande cathédrale. » Qyand nous
sommes capables de voir que la terre est notre cathédrale, nos
yeux s'ouvrent à un bonheur secret dans tout ce que nous entre-
prenons. Chacun des tailleurs de pierres contribuait à un travail
grandiose, la seule différence était que l'un d'entre eux le savait.
Qye nous prenions position politiquement ou que nous tra-
vaillions dans nos écoles, que nous méditions pendant un an ou
que nous vivions un an dans un séquoia- comme le fait une jeune
femme du nom de Julia« Butterfly »Hill pour empêcher l'abattage
des vieux séquoias dans le comté de Humboldt - nous devons
offrir notre contribution et faire entendre notre voix. Peut-être nos
dons particuliers sont-ils en rapport avec le monde de l'enfance, de
la justice, du commerce, de la musique, des réseaux informatiques,
du jardinage. Peu importe le type de briques que nous apportons à
l'édifice, l'essentiel est de permettre à notre voix, unique et singu-
lière, d'agir en harmonie avec une direction vivante.
Car si nous sommes incapables de nous souvenir de notre
part dans la cathédrale, d'offrir nos dons spécifiques et la contri-
bution de notre voix particulière, notre vie devient d'une grande
s'ÉVEILLER AVEC TOUS LES ÊTRES
Voici ce que vous devez foire :aimez la terre, le soleil et les animaux,
dédaignez les riches, donnez l'aumône à tous ceux qui la demandent,
dressez-vous foce aux idiots et auxfous,
consacrez vos revenus et votre travail aux autres, haïssez les tyrans,
n'ayez pas de controverses à propos de Dieu,
soyez patient et indulgent avec les gens ...
Réexaminez tout ce qui vous a été dit à l'école, à l'église ou dans un livre,
rejetez ce qui insulte votre âme véritable,
votre chair doit devenir un grandpoème.
(Walt Whitman.)
LE RIRE DU SAGE
Imagine que tu n'as pas encore été engendré, que tu es fœtus, que tu
es jeune, que tu es vieux, que tu es mort, que tu es dans le monde
au-delà du tombeau. Saisis tout cela dans ton esprit d'un seul coup,
tous les temps, tous les lieux; élargis cela à l'ensemble des qualités et
des forces rassemblées; tu peux alors commencer à voir le jeu du
Divin.
LA VIE À L'ENVERS
La vie est coriace,
elle vous prend beaucoup de temps,
tous vos week-ends,
et qu'est-ce que vous avez au bout du compte?
La mort, une grande récompense.
je pense que le cycle de la vie est complètement inversé.
Vous devez d'abord mourir, vous débarrasser de cela.
Ensuite vous vivez vingt ans dans une maison pour les vieux.
Puis on vous jette dehors car vous êtes trop jeune.
Vous avez une montre en or etpartez travailler.
Vous travaillez quarante ans
jusqu'à ce que vous soyez suffisammentjeunepourprofiter de votre retraite.
Vous allez à l'université et à des fêtes
jusqu'à ce que vous soyez prêtpour le lycée.
Vous devenez un enfant, vous jouez,
vous n'avez pas de responsabilité,
vous devenez un petit garçon ou une petitefille,
vous retournez dans le ventre de votre mère
et vous passez les derniers neufmois àflotter.
Puis vousfinissez en lueur dans l'œil de quelqu'un.
Voyant la misère qui réside dans les points de vue et les opinions, je
n'en adopte aucune et trouve ainsi la paix intérieure et la liberté. Celui
qui est libre ne s'accroche à aucun point de vue et ne se querelle pas
pour une idée. Pour le sage, il n'y a rien qui soit plus haut, plus bas, ni
égal, aucun endroit où l'esprit puisse s'accrocher. Mais ceux qui
s'accrochent à des points de vue et des opinions ne font qu'errer à tra-
vers le monde en ennuyant les gens.
quand les mots et les sons se mélangent au hasard, sans donner aucun
sens -juste «des sons d'amour» comme je les appelle. Tous les
parents l'ont fait pour un enfant malade ou effrayé.
Tandis que je chantais doucement à son oreille et que j'embras-
sais son front, mes mains surent quoi faire, bien qu'il n'y ait eu aucun
but dans mon esprit. Mes doigts caressèrent sa gorge, massèrent son
visage puis mes mains ouvertes entourèrent son cœur. Nous perdî-
mes toute notion de temps. Je pouvais le sentir couler en moi, mon
corps servant de coussin à ce qui restait de sa forme squelettique. Sa
gorge commença enfin à se détendre et sa tête à revenir vers l'avant.
Ses yeux s'ouvrirent. Ils semblaient soulagés.
Par la suite, je me suis demandé si j'avais fait la chose appropriée.
Peut-être aurais-je dû suivre les conseils de l'enseignant. L'avais-je
détourné de quelque état de mort imminente? Avais-je interrompu
un processus de délivrance? Honnêtement, je l'ignore. Je sais seule-
ment que le cœur doit s'adoucir avant que chacun de nous puisse être
libre.
L'Esprit Enfant
Le cheminement spiriruel nous a conduits dans de nombreuses
aventures avant de nous ramener là où nous sommes maintenant.
Rumi et Nietzsche utilisent trois images poétiques pour décrire ce
parcours : le chameau, le lion et l'enfant. Ces phases de la voie ne
sont que des aspects du développement de la conscience; à chaque
instant ils sont tous présents en nous. Pourtant, il nous est utile de
les appréhender comme des étapes successives du chemin.
Le chameau symbolise notre abandon initial, notre engage-
ment, notre acceptation à nous agenouiller, à porter dignement
notre charge, à traverser la misère et à voyager dans de lointains
pays. À ce stade d'éveil de la conscience, nous nous ouvrons à
l'esprit par la grâce, l'humilité, la prière, la répétition et l'acti-
vité physique. Le respect que nous manifestons à l'égard de
LE RIRE DU SAGE
Un jour de vie suffit à nous réjouir. Même si vous ne vivez qu'un seul
jour, si vous êtes éveillés, ce seul jour est largement supérieur à une
vie de torpeur sans fin ... Si vous perdez ce seul jour, même en cent
ans de vie, l'aurez-vous jamais à portée de main une nouvelle fois?
Le rire du sage
La vieille ville de Kyoto abrite les plus beaux monastères du Japon.
Les gens y viennent en pèlerinage pour découvrir les jardins de
pierres, pour se prosterner dans les temples ou boire le thé aux
abords des sanctuaires anciens. Un jour, le fameux poète zen Basho
visitant ces lieux dessina ces lignes :
M ême à Kyoto,
En entendant le chant du coucou
je suis en quête de Kyoto.