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La cité des Lois présente une structure composite, bien que les éléments
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3. Cf. Platon, République, II, 379a (ο&κιστα πλεω, « fondateurs d’État »), cf. VIII, 547c
(ο&κε%ν, « se gouverner »). Cf. Dušanić 1978, p. 72 sq. et n. 121.
4. Cf. Platon, Lettre XI, 359a (ο&κιστα, « colonisateurs »), et Dušanić 1980, p. 123-125. Cet
usage spécifique du vocabulaire de la « colonisation » avait ses racines dans les premières
idées cycliques (Dušanić 1990, p. 380) et, d’autre part, dans la conviction qui était celle de
Platon qu’il est plus facile de mener à bien la réforme véritable d’une cité après une rupture
radicale avec l’état antérieur des affaires (voir infra).
5. Cf. par exemple Schöpsdau 1991 ; Dušanić 1990, p. 238 et n. 25, p. 381 ; Laks 2001.
6. Dušanić 1990, p. 381-383. Pour quelques autres doublets du même genre, voir ibid.,
p. 266-270, p. 384 (à propos de VI, 752d-753a et 754c-d), p. 269 (à propos de VI, 755e et
756a-b), p. 291-301, p. 386 sq. (à propos de XII, 951d-e et 961a-c). Comme le montrent les
commentaires allusifs d’Isocrate sur les Lois (Panathénaïque, 78, 240 et 246), Platon utilisait
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797d sqq.). D’une façon qui n’a rien d’inattendu, le lecteur des Lois est
conduit à chercher la source du salut de Magnésie dans le Conseil Nocturne,
une copie institutionnalisée de l’Académie de Platon (voir infra II-III). Son
aide ne devait pas être limitée à la sphère intellectuelle : l’Athénien exige
ouvertement du candidat à l’entrée dans le Conseil 11 qu’il participe si néces-
saire à une révolution 12, qui éradique la corruption dans sa cité natale (VI,
770e-771a). L’image du feu purificateur est introduite dans un passage
connexe (XII, 960c9), dont les modernes ont tendance à donner une lecture
différentes techniques qu’on peut ranger sous les rubriques de la fiction, de l’allusion, de la
création d’équivoques, etc.
7. Cf. Platon, Lois, I, 627e.
8. Cf. Friedländer 1960, p. 362 et p. 504 n. 12.
9. Cf. Dušanić 1982, p. 29-31 ; Dušanić 1994, p. 92 sq. Notez les observations de l’Athénien
dans le livre I des Lois : « Une guerre se livre en chacun de nous contre nous-mêmes » (« à
la maison, au village, dans une cité »), 626e-627a (cf. République, IV, 430e sqq.).
10. Cf. Lois, I, 627a (à propos de la victoire des citoyens qui forment dans l’État la « minorité
vertueuse »).
11. C’est-à-dire le « gardien des lois » et le « législateur » (VI, 770c, avec la référence à la
révision des lois, 770e-771a).
12. Si l’on interprète ainsi l’expression employée par l’Athénien à 770e1-6, anastatos (scil.
polis), (une cité) « mise sens dessus dessous, révolutionnée ». Je proposerai ailleurs une
explication détaillée de cette expression significative. La meilleure traduction à ce jour de
770e1-6 est celle de R.G. Bury (Loeb Classical Library), fondée sur un texte légèrement
corrigé : « ... concernant l’État, il (le futur membre du Conseil Nocturne) doit accepter qu’il
soit révolutionné, si cela paraît nécessaire... ». Cf. III, 688e : « ... le législateur doit s’efforcer
d’inculquer aux cités toute la sagesse possible, et d’en éradiquer la folie autant qu’il le peut ».
Voir Dušanić 1990, p. 298-300, 387.
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13. On a souvent corrigé le substantif de τ. πυρ (« par le feu ») et athétisé τ?ν λεχθ$ντων,
α/πAκάσµενα τ@, sans bonnes raisons ni résultats satisfaisants. La phrase doit être comprise
de la façon suivante : « Que la première d’entre elles est Lachésis, la deuxième Clotho, et
Atropos la troisième sauveuse de ceux qui ont été choisis (c’est-à-dire, dans le cas d’un
individu ou d’un État, choisis par « quelque divinité » [III, 691d-e ; Politique, 271c]), ce qui
[c’est-à-dire l’étymologie du nom d’Atropos, cf. les « titres » de c5 ; Atropos et l’irréversibilité
du destin : République, X, 620e sqq.] exprime (l’image des) fils sur un fuseau dont le feu rend
la torsion irréversible. » Voir Dušanić 1990, p. 327, n. 340.
14. Le passage le plus proche étant Euthydème, 285c : – Socrate : « Je ne suis qu’un vieil
homme, je suis donc prêt à courir le risque, et je me remets aux mains de Dionysodore que
voici comme s’il était Médée de Colchide. Qu’il me tue, qu’il me fasse cuire même s’il veut,
si seulement il me rend vertueux » (il s’agit là d’un motif populaire, où l’on retrouve l’écho
des Cavaliers d’Aristophane, 1321 sq. et des programmes de patrios politeia). La recomman-
dation de démarches aussi drastiques n’est pas rare dans le corpus platonicum, voir par exemple
Politique, 293 b, d (le médecin usant « d’un scalpel, d’un cautère ou de quelque autre traitement
douloureux », cf. Charmide, 156b sqq.), 296a-e (voir Motte 1981, p. 573 sq.). Pour les Lois,
I, 628c et IV, 706b-c, voir Dušanić 2000, p. 58 sq.
15. 5040, pour être exact, mais voir Aristote, Politique, II, 1265a (et cf. 1262a : les Mille de
la République).
16. Parmi les partisans de cette thèse, on trouve Barker 1960, p. 402, n. 2 ; Diès 1951,
LES PROGRAMMES DE RÉFORME CONSTITUTIONNELLE / 345
qu’il n’y a rien qui ressemble au Conseil Nocturne dans les institutions
recommandées par Platon aux Syracusains dans ses Lettres VII et VIII, contem-
poraines des Lois. Manifestement, il ne pouvait pas imaginer qu’un tel corps
fonctionne ailleurs qu’à Athènes, « le prytanée même de la science » (Hip-
pias, dans le Protagoras, 337d).
(b) Le corps appelé « les gardiens des lois » (Nomophylakeia) constituait
l’organe le plus puissant de Magnésie. Étymologiquement, son nom rappelle
la compétence principale de l’Aréopage antérieur à Éphialte. G.R. Morrow
a soutenu de façon convaincante que la ressemblance entre les deux, les
Aréopagites et les Nomophylakes, n’était pas dénuée de signification : bien
p. LXXXVIII ; Morrow 1960, p. 509 sqq., et Dušanić 1990, p. 301 sqq., 386 sq.). Dans une
excellente analyse (Brisson 2000), L. Brisson a exprimé un point de vue similaire, formulé
avec précaution. Il n’est pas repris dans Brisson 2001.
17. Cf. 961a-c. Pour le Conseil plus parfait, et moins athénien, de XII, 951d-e, voir Dušanić
1990, p. 291 sqq., 386 sq.
18. Jacoby 1923, 328 F 223 ; Plutarque, Adversus Colotem, 32 (Moralia, 1126c).
19. Morrow 1960, p. 509 sq. ; Dušanić 1990, p. 306 sq. (sur Cléarque, Aristonyme, Socrate
le Jeune, Léodamas, Ménédème de Pyrrha, Euphraios, etc.).
20. « Mégillos et Clinias, dit l’Athénien, il est impossible de décider des activités du Conseil
avant qu’il ait été établi. Le curriculum de ses membres doit être fixé par ceux qui ont déjà
maîtrisé les branches nécessaires du savoir – et seuls un enseignement préalable et une
abondance de discussions personnelles règleront avec succès des questions comme celle-là ».
Cf. 968b : – L’Athénien, à Clinias : « J’ai beaucoup d’expérience de tels projets, et j’ai étudié
pendant longtemps dans ce domaine, aussi serai-je plus qu’heureux de vous aider – et peut-être
en trouverai-je d’autres pour se joindre à moi. »
21. Morrow 1960, p. 513 et n. 22 ; Dušanić 1990, p. 301, 386.
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croire que Platon tenait réellement en haute estime les auteurs de la consti-
tution de Théramène 29. Cela appelle quelques commentaires prosopographi-
ques. S’il faut en croire Diodore de Sicile (XIV, 5, 1-3), Théramène étudia la
philosophie avec Socrate. Critias et Alcibiade, deux élèves de Socrate éga-
lement célèbres, jouèrent un rôle notoire parmi les conspirateurs de 411-
410 30 : tout essai d’exégèse du dialogue doit reconnaître la décision de Platon
d’inscrire le souvenir d’Alcibiade dans l’État de Magnésie, que ce soit à
travers le nom quasi-dynastique de Clinias ou l’image du jeune tyran colla-
borant avec un dialecticien expérimenté (IV, 709e-712e ; cf. XII, 969c). On
trouve des messages analogues dans le dialogue apocryphe Hipparque, publié
par un membre de l’Académie vers 355-354 avant J.-C.
III
son ou ses propre(s) candidat(s) au titre de despote éclairé 31 ; la fin des années
350 et le début des années 340, qui virent la composition des Lois, ne firent
pas exception à cet égard 32. À en juger par le cadre attique de la constitution
de Magnésie et par le portrait du despote tel qu’il est tracé au livre IV,
incontestablement inspiré en partie d’Alcibiade 33, le candidat de Platon était
destiné à gouverner Athènes, et non pas Syracuse ni aucune autre cité grecque.
De ce point de vue aussi, il y a de clairs indices de continuité entre le cercle
de Socrate et celui de Platon 34. Le projet d’installer un tyran prometteur
appartenait au monde de la politique concrète plutôt qu’à la théorie législative.
D’un côté, l’Athénien admet la possibilité que le candidat à la bonne tyrannie
puisse « se trouver actuellement parmi nous » (711e) 35. De l’autre, la démo-
cratie athénienne contemporaine de la maturité de Platon envisageait réelle-
29. Cf. par exemple la Lettre VII, 324b-325b. Le jugement de Platon, implicite dans ce passage,
sur les événements de 411-410, doit avoir été le même que celui de Thucydide (VIII, 97) et
d’Aristote (Constitution d’Athènes, 28, 5 ; 32, 2 [Rhodes 1985, p. 359 sq.]).
30. Rhodes 1985, p. 369-372 ; Dušanić 2000, p. 57 sq. et n. 24.
31. Dušanić 1995.
32. Cf. par exemple le contexte attique de l’Hipparque.
33. Friedländer 1960, p. 394 ; Des Places 1951, ad loc. ; Dušanić 1990, p. 247 sq. et 382 ;
supra, sections I d et II c.
34. Il est digne de remarque que les Athéniens pro-macédoniens des années 340 trouvaient
recommandable de se référer de façon critique aux socratiques Alcibiade (Isocrate, Philippe,
58-61) et Critias (Eschine, Contre Timarque, I, 173) dans les discours politiques.
35. Cf. IV, 712a : « Mettons donc que nous avons comme raconté une fable et rendu un oracle,
en montrant que, s’il est difficile pour une cité d’arriver à de bonnes lois, la chose, une fois
réalisé ce que nous disons, serait de loin la plus rapide et la plus facile du monde. »
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36. Tod 1948, 144, lignes 24-26 (cf. Dušanić 1979, 134 sq.) ; Supplementum epigraphicum
graecum, vol. XII, 87.
37. Brisson 2000.
38. VI, 753a (τ@ µετρB δυνάµει βιασάµενοι) fait allusion à la contrainte exercée par un
tyran modéré (σ8ρων, κσµιο), dont il a déjà été question au livre IV (710a, c, d ; cf.
711c : « un homme qui combine la persuasion et la contrainte »). Il faut souligner que le titre
parfaitement légal de strategos (hegemon) autokrator, conféré entre autres à Alcibiade, peut
avoir conduit un général habile, même très jeune, à la position d’un tyran, comme dans le cas
de Denys Ier.
39. Dušanić 1995, p. 344 ; Dušanić 1990, p. 284-290, 382-385.
40. Diogène Laërce, III, 43. Dušanić 1995, p. 341 sq., p. 344.
41. Cf. Jérôme, Adversus Jovinianum, I, 307 (Migne, PL, XXIII, 271c).
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de la Guerre Sociale 42. Mais Platon doit avoir pensé aussi à l’alternative de
mesures moins drastiques au service de programmes analogues de réformes 43.
Comme l’indiquent plusieurs passages des Lois, il était prévu de trouver le
point de départ de telles mesures réformatrices dans une action conjointe de
l’Aréopage et de l’Académie 44. Sur le plan de la politique concrète, tout ce
projet de changements relativement pacifiques peut s’être focalisé sur Eubule
de Probalinthos, un autre des amis de Platon 45 et le principal homme d’État
athénien à la fin des années 350 et au début des années 340 46. Il était
évidemment à la fois trop pragmatique et trop vieux pour incarner le jeune
tyran. Cependant, patriote, « modéré » et honnête, il possédait toutes les
qualités fondamentales requises de l’acteur principal du « projet réformiste »
de Platon. Voilà pourquoi « Nestor » est évoqué à 711d-e.
b
Résumons les commentaires qui précèdent sur Athènes et la « troisième
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